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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 30 - Témoignages du 30 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 30 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 33, pour étudier le projet de loi C-309, Loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes (sujet : Mois du patrimoine asiatique).

La sénatrice Jane Cordy (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour, et bienvenue. Je demande à toutes les sénatrices de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La vice-présidente : Je suis Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Je suis vice-présidente du comité, mais je présiderai la réunion d’aujourd’hui. Nous allons maintenant entreprendre l’étude du projet de loi C-309, Loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes.

Dans notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Sven Spengemann, député et parrain du projet de loi à la Chambre des communes.

Nous entendrons aussi, de Condition féminine Canada, Nanci-Jean Waugh, directrice générale, Direction des communications et des affaires publiques.

La parole est à vous, monsieur Spengemann.

Sven Spengemann, député de Mississauga—Lakeshore, parrain du projet de loi : Distingués membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, je voudrais vous remercier de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole au sujet de mon projet de loi d’initiative parlementaire C-309, Loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes.

C’est un grand honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd’hui, car, à mon avis, cette mesure législative est susceptible d’avoir des effets positifs aussi forts que profonds sur la société canadienne.

Avant d’aborder brièvement le vif du sujet, je voudrais prendre quelques instants afin de remercier certaines personnes du dévouement dont elles ont fait preuve pour que le projet de loi atteigne son stade actuel. Je voudrais tout d’abord remercier le sénateur Dennis Dawson et son équipe pour avoir accepté d’être le parrain du projet de loi au Sénat et pour en avoir dirigé l’avancement avec compétence jusqu’ici; la sénatrice Hartling pour avoir pris la parole au sujet du projet de loi; mon équipe d’Ottawa et de la circonscription de Mississauga—Lakeshore; Adrian Zita-Bennett, mon chef de cabinet et adjoint législatif, qui a fait le gros du travail lors des consultations et de l’élaboration du préambule du projet de loi; Wendy Gordon, directrice des Affaires législatives au bureau du légiste et conseiller parlementaire; et Sarah Hleyhel, stagiaire sur la Colline du Parlement qui se joindra à notre équipe de la circonscription et qui défend ardemment la justice sociale et l’égalité.

Je voudrais également remercier l’équipe extraordinaire que j’ai à mon bureau de circonscription : Dulce Santos, Hanan Harb, Leslie Ellis et Kassandra Fiore. Ces collaboratrices ont établi des contacts avec les membres de la collectivité à Mississauga—Lakeshore et nous ont appuyés, ici à Ottawa, à tous les stades du travail. Merci aussi à Strength in Stories, organisation de la base qui se consacre à la promotion de la femme et qui a contribué au lancement de l’idée du projet de loi, et particulièrement à sa cofondatrice, Rachelle Bergen.

Il y avait en outre des intervenants locaux et nationaux, comme des organisations à but non lucratif, des refuges pour femmes et tous les ordres de gouvernement qui, en nous envoyant des commentaires, ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration du préambule du projet de loi.

Enfin, je voudrais vous remercier, madame la présidente ainsi que vos collègues du Sénat, pour votre puissant appui qui a permis de renvoyer le projet de loi à votre comité aujourd’hui. Le fait de parler avec franchise et vigueur de la pleine gamme des inégalités liées au sexe qui persistent au Canada est une étape essentielle pour s’assurer que la Semaine de l’égalité des sexes réalisera un engagement national et aboutira à des solutions efficaces.

La raison est très simple. Pour résoudre n’importe quel problème, nous devons commencer par en reconnaître l’existence et la portée. Nous devons être capables d’appeler les problèmes par leur nom et de faire preuve de franchise et d’ouverture en affrontant les défis qui se présentent. Nous ne devons pas oublier que les disparités liées au sexe touchent non seulement le développement du Canada, mais aussi la croissance et la prospérité partout dans le monde.

[Français]

Je suis sûr que les membres de ce comité ne seront pas surpris d’entendre les intervenants affirmer que nous avons encore beaucoup de travail à faire pour établir une société davantage axée sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

J’aimerais vous faire part de certains faits qui renforcent cette perception. Au moyen de son rapport mondial sur les disparités entre les sexes publié chaque année depuis 2006, le Forum économique mondial (FEM) montre l’ampleur des inégalités fondées sur le sexe et les efforts déployés pour les éliminer, et ce, particulièrement dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la participation économique, des perspectives économiques et de l’automatisation politique.

Selon le rapport de 2017 publié en novembre dernier par le FEM, le Canada se situe aux 16e rang sur 144 pays, entre le Royaume-Uni et la Bolivie et il se classe au premier rang en Amérique du Nord.

[Traduction]

L’élimination des disparités liées aux sexes aurait des avantages économiques aussi importants que durables. C’est un élément clé que je vous présente à des fins de discussion.

De plus en plus, les organisations internationales et les gouvernements du monde sensibilisent les gens à ce potentiel inexploité. Comme l’a souligné un rapport de 2013 du Fonds monétaire international sur la participation des femmes au marché mondial du travail, « les défis de la croissance, de la création d’emplois et de l’inclusion sont étroitement interdépendants ».

[Français]

Madame la vice-présidente, distingués membres du comité, nous devons aussi reconnaître en tant que Canadiens que l’écart salarial entre les hommes et les femmes nuit à notre économie et à l’économie mondiale.

Partout dans le monde, on reconnaît de plus en plus que l’inégalité entre les hommes et les femmes donne lieu à un écueil économique d’une ampleur critique.

Selon un rapport publié en 2005 par la Banque Royale, l’écart salarial ferait perdre chaque année aux femmes canadiennes des revenus de l’ordre de 126 milliards de dollars. Dans un rapport publié en octobre dernier par l’entreprise d’investissement UBS, on lisait que le rendement économique mondial augmenterait de 10 billions de livres sterling si l’on comblait l’écart salarial entre les femmes et les hommes.

De même, un rapport du McKenzie Global Institute paru en septembre 2015 disait qu’en favorisant légalité entre les hommes et les femmes, on ajouterait 12 billions de livres sterling au PIB mondial d’ici 2025.

[Traduction]

Les Canadiens appartenant à des groupes minoritaires d’identité et d’expression de genre sont souvent confrontés à ces défis d’une manière encore plus grave. La reconnaissance de ces faits va bien au-delà des lignes de parti. Nous assumons tous une part de responsabilité dans une société qui, d’une façon catégorique et systématique, traite et valorise différemment le genre.

Bref, si nous voulons vraiment affronter ces défis, je crois qu’il faut en tout premier lieu les reconnaître avec franchise et les comprendre pleinement.

À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat, j’ai trouvé édifiant le fait que les sénateurs ont abordé ces défis persistants d’une manière très directe et très franche. À mon avis, il est essentiel que la Chambre des communes et le Sénat travaillent ensemble pour affronter les disparités liées au sexe et amener nos collectivités à apporter des changements positifs.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral ne peut pas résoudre tout seul ces problèmes. L’égalité des sexes exige conscience et engagement de la part de tous les Canadiens, et c’est là le véritable objet du projet de loi. Il s’agit d’une cause à laquelle chacun doit commencer à contribuer utilement tous les jours. La simple adoption d’un projet de loi sans reconnaissance des défis et sans engagement du public à les affronter ne suffira pas.

Vous pourriez vous demander à quoi servirait exactement une Semaine annuelle de l’égalité des sexes. Chaque année, dans les 338 circonscriptions fédérales du Canada, la Semaine de l’égalité des sexes peut inspirer les Canadiens — filles, garçons, hommes, femmes et membres des minorités d’identité et d’expression de genre — à prendre part à un dialogue visant à établir une société plus inclusive. Le projet de loi encourage les autorités fédérales, provinciales, municipales et autochtones, les organismes à but non lucratif, les universités, les collectivités et les organisations autochtones, le secteur privé, les organisations sportives, les premiers intervenants, nos forces armées, les médias et l’ensemble de la société civile à mieux sensibiliser les gens à ces défis et à la recherche de solutions constructives.

Ensemble, nous pouvons trouver des solutions. Comme parlementaires, nous pouvons nous servir de cette semaine désignée pour approfondir nos rapports et notre collaboration avec les dirigeants communautaires et les groupes de défense d’intérêts. Ce travail peut prendre de nombreuses formes : assemblées et débats communautaires, projets de recherche, reportages télévisés, comptes rendus dans les médias sociaux, initiatives de collecte de fonds, marches, manifestations musicales et artistiques, et cetera.

En favorisant le dialogue local et communautaire, la Semaine de l’égalité des sexes peut aussi renforcer les initiatives fédérales actuellement en cours dans les collectivités du pays. Dans ma circonscription, Mississauga—Lakeshore, des jeunes et des aînés ont contribué à l’élaboration du projet de loi. Les membres de notre conseil des jeunes ont en particulier exprimé leur préoccupation au sujet des difficultés que connaissent les jeunes femmes qui veulent entrer dans la population active et y exceller. Les dirigeants de notre communauté d’aînés peuvent jouer un grand rôle dans une semaine annuelle de l’égalité des sexes. Ils ont eux-mêmes vu comment les attitudes et les politiques ont ou n’ont pas évolué en matière d’égalité des sexes. Leur contribution serait donc essentielle si nous voulons éliminer les disparités liées au sexe, y compris la pauvreté, pour la prochaine génération et au-delà.

Dans un contexte plus vaste, il s’agit de savoir quel genre de Canada nous voulons bâtir. Dans quel genre de pays voulons-nous que nos enfants et leurs enfants grandissent et assument des rôles de leadership?

Nous avons tant réalisé depuis la Confédération. Pourtant, en matière d’égalité et d’équité entre les sexes, il nous reste encore énormément à faire. Le projet de loi C-309, Loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes, est un effort destiné à mieux sensibiliser les gens aux inégalités actuelles liées au sexe et à travailler en faveur de l’établissement d’une société plus inclusive. Nous devons cerner les problèmes d’une manière franche et comprendre que le gouvernement ne peut pas les résoudre seul. C’est un effort auquel nous devons tous contribuer et qui devrait nous permettre de réaliser de vrais progrès dans nos collectivités et partout ailleurs dans le pays.

Je vous remercie.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Spengemann.

Nanci-Jean Waugh, directrice générale, Direction des communications et affaires publiques, Condition féminine Canada : Madame la présidente, sénatrices, monsieur Spengemann, je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui pour participer à l’examen du projet de loi C-309.

Le projet de loi met l’accent sur la connaissance des disparités et des défis qu’affrontent les Canadiennes ainsi que les personnes transgenres et non conformes au genre. Il nous encourage tous à nous tenir au courant des enjeux liés à l’égalité des sexes et à rester engagés au cours de la Semaine de l’égalité des sexes et pendant tout le reste de l’année afin d’en arriver à une plus grande inclusivité. Célébrée la dernière semaine de septembre, la Semaine de l’égalité des sexes constituerait une base solide pour la célébration de trois autres activités commémoratives reconnues par le gouvernement du Canada : le Mois de l’histoire des femmes en octobre, qui met l’accent sur les réalisations des femmes et des filles canadiennes tout le long l’histoire du pays; la Journée internationale des filles, le 11 octobre, qui défend l’égalité de chances pour les filles à l’échelle internationale; et la Journée de l’affaire « personne », le 18 octobre, qui rappelle la reconnaissance juridique des femmes à titre de « personnes » au Canada. Deux des membres du comité ont reçu le prix annuel que le gouverneur général décerne en commémoration de l’affaire « personne ». Si vous me permettez de dire un mot à titre personnel, je mentionnerai que le processus de mise en candidature est maintenant ouvert et que nous vous invitons à soumettre des candidatures.

Les célébrations de la Semaine de l’égalité des sexes peuvent comprendre diverses initiatives visant à souligner l’importance de cette égalité pour l’ensemble de la population canadienne. La ministre de la Condition féminine et Condition féminine Canada joueraient un rôle de premier plan dans la promotion de la semaine, en partenariat avec d’autres ministères fédéraux et la société civile. L’objectif serait de cibler les principaux enjeux d’égalité auxquels font face les femmes et les filles, en plus de souligner les obstacles à l’égalité auxquels se butent les personnes transgenres et non conformes au genre. La semaine serait également une occasion pour le gouvernement du Canada de faire valoir l’analyse comparative entre les sexes plus et d’en promouvoir l’utilisation.

Avec l’adoption du projet de loi C-309, les Canadiennes et les Canadiens auraient une autre occasion de comprendre ce que représente l’égalité des sexes, de contribuer à éliminer les écarts qui subsistent entre les sexes et de se tenir au courant des nouveaux enjeux.

Je vous remercie.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Ataullahjan : Bonjour. Je m’excuse de mon retard, mais je suis à la merci de l’autobus.

Je vous remercie de vos exposés. Monsieur Spengemann, quels intervenants avez-vous consultés au sujet du projet de loi?

M. Spengemann : Sénatrice, merci beaucoup de votre appui. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité ce matin. En dépit des limites d’un projet de loi d’initiative parlementaire ainsi que du temps et des moyens qui lui sont attribués, nous avons réussi à prendre contact avec un important groupe d’intervenants un peu partout dans le pays — y compris des organisations sportives, des associations professionnelles et des groupes féminins autochtones — qui, à notre avis, avaient quelque chose à dire. Si le comité le souhaite, je peux fournir la liste complète des intervenants consultés.

Leur contribution, surtout dans le cas des organisations autochtones et des organismes de santé, a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration du préambule que vous avez devant vous.

La vingtaine de paragraphes du préambule constitue l’essentiel du projet de loi. La dernière partie déclaratoire de cette mesure n’aurait aucun sens en l’absence du préambule, qui énonce les raisons pour lesquelles nous voulons désigner la quatrième semaine de septembre comme Semaine de l’égalité des sexes. Nous avons abordé les intervenants en leur présentant les paramètres d’un projet de loi d’initiative parlementaire et leur avons demandé ce que sont, à leur avis, les plus importants défis existants qu’il faudrait faire connaître au public canadien en termes francs et précis afin de créer des occasions d’engagement.

Cet effort de communication a été déterminant. Je tiens à mentionner en particulier le rôle essentiel joué par mon adjoint, Adrian Zita-Bennett, qui a fait le plus gros du travail de compilation et de rédaction du préambule. Vous trouverez dans ces paragraphes les points de vue d’un certain nombre d’organisations féminines du pays, exprimés dans un certain nombre de perspectives différentes.

La sénatrice Ataullahjan : En parlant de préambules, celui du projet de loi C-309 incite les hommes et tous ceux qui ne s’identifient pas comme femmes à faire leur part pour réaliser l’inclusivité et l’égalité des sexes au Canada. Pourquoi est-il si important de mentionner la participation des hommes dans le préambule du projet de loi?

M. Spengemann : Il y a deux éléments. J’ai dit plus tôt que le gouvernement ne peut pas agir seul, en ce sens que nous ne pouvons pas réussir simplement en légiférant. Nous pouvons proposer des mesures législatives — d’importants projets de loi ont été déposés ou sont en préparation —, mais si le grand public n’est pas au courant et n’est pas engagé, les initiatives en faveur de l’égalité des sexes n’iront nulle part.

Cela est particulièrement important dans le cas des hommes et des garçons, non seulement parce qu’ils occupent, à bien des égards, l’espace dominé par les hommes, mais aussi parce qu’une vraie égalité entre les sexes exige un changement d’attitude de la part de tout le monde. Des initiatives telles que la campagne HeForShe nous ont inspirés, mais il y a de nombreux autres groupes d’hommes, de garçons et d’autres qui ne sont pas pleinement engagés et auxquels nous devons expliquer qu’ils sont non pas les ennemis, mais les alliés dont nous avons besoin pour faire des progrès au Canada et — ce qui est encore plus important, sénatrices, comme vous le savez bien grâce à votre travail au sein de l’Union interparlementaire — dans le monde.

La sénatrice Ataullahjan : En ce qui concerne Condition féminine Canada, vous avez parlé dans votre exposé de la nécessité d’être au courant des écarts et des défis qu’affrontent les Canadiennes. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Waugh : C’est le cas, par exemple, des écarts touchant les femmes et les filles dans les professions non traditionnelles. Nous savons qu’elles sont plus souvent que les autres victimes de violence. Ce ne sont que deux exemples.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie tous les deux de votre présence au comité. Comme vous le savez, je suis vraiment enthousiaste au sujet de ce projet de loi.

Monsieur Spengemann, qu’est-ce qui vous a poussé à vous occuper de ce projet de loi? Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’égalité des sexes?

M. Spengemann : C’est une très bonne question parce qu’il arrive souvent que tout un ensemble de facteurs soient à l’origine d’un projet de loi d’initiative parlementaire.

Le tirage au sort m’a donné la possibilité de présenter quelque chose. Je crois que j’ai eu le numéro 38, de sorte que j’ai dû m’en occuper assez rapidement. Je n’ai pas immédiatement pensé à l’égalité des sexes, mais je voulais intervenir dans le domaine de la justice sociale et de l’inclusion.

À mon bureau de circonscription, nous avons au mur, depuis un an et demi, une inscription qui dit : « Pour bâtir une collectivité plus inclusive ». Ce sont ces mots qui m’ont inspiré parce que c’est la façon dont j’interprète mes fonctions. Tout revient à la collectivité. L’inclusivité est un vaste programme dans lequel l’égalité des sexes est un important élément, mais il y a de nombreux autres aspects.

C’est la femme que j’ai mentionnée plus tôt, Rachelle Bergen, qui nous a inspiré la question précise que nous avons choisie. Elle est venue me voir, à titre d’ancienne camarade de classe. Nous ne nous étions pas vus depuis 20 ans. Elle voulait faire quelque chose au sujet de la condition féminine, de la protection et de l’habilitation des femmes. Au départ, elle pensait au secteur de l’éducation. Nous avons eu une conversation rapide au cours de laquelle nous avons évoqué les limites à respecter au fédéral puisque l’éducation relève des provinces. Nous avons donc décidé de faire quelque chose de plus général qui favoriserait l’éducation et la sensibilisation et aurait un caractère déclaratoire et — à notre insu — une portée nationale. C’est là que nous avons pensé à l’égalité des sexes, non seulement dans son aspect éducatif, que nous jugeons essentiel — c’est la raison pour laquelle j’ai mentionné dans mon exposé la nécessité d’avoir les gouvernements provinciaux comme partenaires —, mais aussi en ce qui concerne des choses telles que la violence liée au sexe et les facteurs économiques.

La sénatrice Ataullahjan a demandé pourquoi il faut inciter les hommes et les garçons à s’engager. Il est possible d’intéresser les hommes, s’ils ne le sont pas déjà, en soulevant l’argument économique, qui est extrêmement puissant. Si nous avions la parité salariale demain, l’avantage économique mondial dépasserait les 10 000 milliards de dollars. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Cela est important et ouvrira la voie à de nouvelles conversations.

Un projet de loi déclaratoire peut s’arrêter aux considérations juridiques en laissant les gens sceptiques quant à son impact. J’étais d’avis qu’il fallait créer un élément d’incitation et compter sur la société civile canadienne. Compte tenu du nombre de domaines en cause et des grands écarts qui existent encore, nous n’irions pas loin comme pays sans le soutien de la société civile. Par conséquent, une semaine annuelle ciblée au cours de laquelle tout le monde pense au problème en cause devrait nous aider à avancer.

La sénatrice Hartling : Madame Waugh, je suis heureuse de vous revoir. Si le projet de loi est adopté, pourrait-il être déjà en vigueur en septembre prochain? Que ferait Condition féminine Canada pour en assurer la mise en œuvre? Y a-t-il eu des discussions à ce sujet?

Mme Waugh : Nous en sommes au stade préliminaire de ces discussions. Pour cette année, nous voulons surtout associer cette semaine à la semaine de sensibilisation à l’analyse comparative entre les sexes. C’est sur cela que se concentreront les efforts au sein de l’administration fédérale. Nous commencerions à positionner la question comme point de départ de la discussion concernant le Mois de l’histoire des femmes et d’autres dates de commémoration prévues au cours de l’année. Nous aimons bien le moment choisi, après les vacances d’été, quand les gens reprennent leur train de vie habituel et la routine scolaire. Les gens commencent à voir comment organiser leur année. Nous aimons bien la façon dont cela permet d’entamer la discussion.

Cette commémoration est également utile parce qu’elle permet de discuter de l’égalité des sexes dans son sens le plus large. Nous pouvons ensuite cibler diverses autres discussions sur des sujets tels que la violence contre les femmes, les droits des filles, les manifestations du type « personne », le Mois de l’histoire des femmes et la Journée internationale des femmes en mars.

La sénatrice Hartling : Je pense aussi au fait que, en juin 2019, une énorme conférence aura lieu à Vancouver. J’ai l’impression que le destin nous est très favorable. Je vous remercie.

La vice-présidente : Sénatrice Boyer, je vous souhaite la bienvenue au comité.

La sénatrice Boyer : Je suis heureuse d’être ici et d’aborder ce sujet extrêmement intéressant. Monsieur Spengemann, j’ai une question à vous poser. L’Association des femmes autochtones du Canada utilise depuis 10 ans au moins une forme culturellement adaptée d’analyse comparative entre les sexes. Elle estime en particulier que la culture ne peut pas être isolée du sexe. Cela est très important quand elle examine ses politiques et contribue à l’élaboration d’autres politiques au Canada. Avez-vous consulté l’Association des femmes autochtones du Canada lors de l’élaboration du projet de loi?

M. Spengemann : Oui, nous l’avons fait. Nous avons consulté quelques groupes féminins autochtones et inuits. J’ai offert au comité de mettre à sa disposition la liste complète des intervenants consultés. Cela pourrait vous aider dans vos délibérations et votre réflexion sur le projet de loi. Quoi qu’il en soit, oui, nous avons consulté l’association.

La sénatrice Boyer : Vous a-t-elle parlé de l’analyse comparative culturellement adaptée?

M. Spengemann : Cela est implicite dans certains des paragraphes du préambule, surtout en ce qui concerne les intersectionnalités. C’est du langage technique et bureaucratique. Une part de notre mission, comme personnes devant participer à la mise en œuvre du projet de loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes, sera d’expliquer à nos collectivités en quoi consistent les rôles culturellement adaptés liés au sexe. « Intersectionnalité » ne veut rien dire pour quiconque ne s’est pas occupé de l’aspect politique de la question. Toutefois, si nous racontons aux gens des histoires… Imaginez la situation d’une femme autochtone âgée qui est aussi lesbienne et handicapée. En tenant compte de ces différents facteurs, cherchez à comparer sa situation à celle d’une autre dirigeante communautaire. La compréhension évoluera rapidement. Nous devons avoir ce genre de conversation. Nous devons tous beaucoup apprendre, aussi bien comme parlementaires que comme citoyens et électeurs.

La sénatrice Boyer : Et écouter aussi la voix du peuple.

M. Spengemann : Absolument.

La sénatrice Martin : Je vous remercie. Toutes mes excuses pour mon retard.

J’ai regardé la note d’information que nous avons tous reçue. Elle dit que le gouvernement du Canada énumère sur son site web environ 26 jours, semaines et mois consacrés aux femmes et au genre. Vous envisagez de désigner la quatrième semaine de septembre comme Semaine de l’égalité des sexes.

Je dois constamment répondre aux questions de membres des caucus et de sénateurs qui voient passer différents projets de loi désignant une journée ou une semaine. Comme il y a déjà au calendrier beaucoup de dates où on pourrait inclure différents événements et initiatives, j’aimerais bien entendre quelques arguments plus convaincants sur la nécessité de cette nouvelle semaine.

Madame Waugh, il arrive que, en cherchant à cibler des groupes précis, on coure le risque de devenir plus exclusif. Pouvez-vous nous parler de ce que fera votre ministère pour veiller à ce que ces initiatives aient vraiment un caractère inclusif?

M. Spengemann : Merci beaucoup de votre question. Elle est importante et a déjà fait l’objet de vives discussions. La décision de désigner une semaine à la fin de septembre découle d’un compromis tenant compte d’un certain nombre des aspects que vous avez mentionnés.

Tout d’abord, pourquoi une semaine plutôt qu’une journée ou un mois? Compte tenu du préambule que nous avons, je crois qu’une journée n’aurait pas suffi pour que les universités et les organismes à but non lucratif fouillent assez le sujet pour susciter un dialogue dans la collectivité. Un mois aurait été trop long et aurait empiété sur d’autres périodes désignées. Nous avons jugé qu’une commémoration d’une semaine conviendrait bien à cause de l’importance du sujet et de la nécessité de respecter d’autres semaines, jours et mois désignés.

Nous avons opté pour septembre parce que les universités et le secteur de l’éducation, qui jouent un rôle central dans le processus, auraient alors entrepris la session d’automne après le congé de l’été. Si nous avions choisi le début de septembre, période qui aurait occasionné moins de conflits avec d’autres manifestations, les gens, n’ayant pas encore repris leurs activités habituelles, n’auraient pas accordé leur pleine attention au sujet. La fin septembre convient mieux puisque ce n’est pas un projet de loi de célébration. Nous avons le Mois de l’histoire des femmes en octobre, qui a un caractère commémoratif. Cette distinction est importante, car elle influe sur l’approche à adopter.

Nous voulons reconnaître dans le projet de loi les réalisations des Canadiennes et des femmes du monde entier. La Semaine de l’égalité des sexes ne célèbre aucun événement, mais montre au public canadien qu’il existe encore d’importants problèmes à régler.

La sénatrice Martin : Avons-nous besoin d’une semaine désignée? Le sujet que vous évoquez est important. Si les universités, les collèges et même les écoles secondaires se rendent compte de son importance, ils pourraient en discuter pendant toute l’année. Les particuliers et les groupes peuvent l’aborder n’importe quand. Voilà pourquoi je dois vous demander : pourquoi avons-nous besoin d’une semaine désignée?

M. Spengemann : C’est une très bonne question, sénatrice. Ce qui se passe pendant cette semaine aura une résonance de portée nationale. Vous pouvez même dire que nous créerons un mot-clic, ce qui a son importance. Dans le cas de la campagne Cause pour la cause de Bell Canada, nous prenons la santé mentale très au sérieux pendant toute l’année, mais au cours de la journée désignée, tout le pays y pense : on en parle aux actualités, des contacts sont établis sur les médias sociaux ainsi qu’au cours de réunions et de congrès qui ne se tiennent pas ordinairement pendant l’année parce que chacun doit s’occuper de ses propres affaires. En mettant le sujet en évidence à l’échelle nationale pendant sept jours chaque année, nous pouvons imprimer l’élan dont nous avons besoin pour avancer.

La sénatrice Martin : C’est une bonne réponse, avec la résonance nationale et les raisons invoquées. Je crois qu’il serait important pour nous de mettre ces choses en évidence.

La vice-présidente : La sénatrice Martin est une ancienne enseignante. Je crois bien qu’elle vient de vous attribuer un A.

Mme Waugh : Merci beaucoup. La question que vous m’avez posée plus tôt concernait l’inclusivité. Pour toutes nos manifestations commémoratives, nous essayons d’établir un certain fondement, mais nous demandons à d’autres organisations, de l’administration fédérale ou d’ailleurs, de s’associer à nous.

Ces organisations peuvent choisir un thème ou s’inspirer de l’esprit de la semaine pour organiser des activités dans leurs propres collectivités, qu’il s’agisse de l’Association des femmes autochtones du Canada, de la Campagne du ruban blanc ou d’écoles locales. Elles peuvent choisir le thème qui, à leur avis, aura le plus d’impact dans leurs collectivités, au sein de leur organisation ou encore là où des écarts existent et où des efforts d’éducation ou de sensibilisation sont nécessaires.

La sénatrice Martin : Même avant l’adoption du projet de loi, j’aimerais mentionner en particulier un groupe de la Colombie-Britannique, EVA BC. Je ne sais pas si vous avez déjà collaboré avec ce groupe, mais je suis sûre que vous le connaissez. Il a un excellent programme dans la province, faisant participer l’équipe de football des Lions et des étudiants du secondaire qui interviennent auprès des joueurs ainsi que des garçons et des filles dans les écoles. À mon avis, ce groupe ferait un excellent partenaire.

M. Spengemann : Vous parlez de résonance, d’amplification et de modèles. Je suis 100 p. 100 d’accord avec vous.

La vice-présidente : Madame Waugh, vous avez mentionné dans votre exposé préliminaire les prix décernés en commémoration de l’affaire « personne » afin d’honorer les Canadiens qui font la promotion de l’égalité des femmes. Vous voudrez peut-être faire savoir à ceux et celles qui nous écoutent où trouver les renseignements nécessaires pour proposer des candidatures. Vous aurez ainsi une seconde occasion de dire un mot en faveur de cette manifestation.

Mme Waugh : Merci beaucoup. Si vous allez sur le site www.femmes.gc.ca, vous y trouverez la section concernant la commémoration de l’affaire « personne » et les prix du gouverneur général. Il suffit d’attendre que la bannière rotative atteigne ce sujet. Nous serions enchantés de recevoir des mises en candidature d’ici au 3 juillet.

La vice-présidente : J’aimerais remercier les deux témoins qui ont comparu ce matin. Vous nous avez présenté d’excellents renseignements pour mettre en évidence l’importance du projet de loi.

Honorables sénatrices, nous allons maintenant poursuivre notre étude. Nous devons modifier l’ordre prévu parce qu’il y a une personne d’Edmonton que nous devons entendre par vidéoconférence. L’autre personne, qui se trouve en Colombie-Britannique, se joindra à nous plus tard. D’Edmonton, nous avons Mme Anjum Mullick, directrice des services d’ingénierie, Services de planification et de soutien de la Ville d’Edmonton. À Ottawa, nous avons Mme Annie Chau, coordonnatrice de projet, Avancement de l’égalité des femmes, Antigonish Women’s Resource Centre & Sexual Assault Services Association.

Pour l’étude du projet de loi C-309, nous accueillons un groupe spécial dans le contexte du Mois du patrimoine asiatique. Par conséquent, nous célébrons le Mois du patrimoine asiatique et étudions en même temps le projet de loi C-309. Nous allons donc mettre en évidence le talent et l’expertise des femmes d’origine asiatique et leur contribution à l’égalité des sexes.

Avant de commencer les discussions, est-il convenu de permettre aux gens de la Direction des communications de prendre des photos pendant l’audience de cet après-midi?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Anjum Mullick, directrice des services d’ingénierie, Services de planification et de soutien, Ville d’Edmonton, à titre personnel : Bonjour, je vous remercie de votre invitation à venir vous faire ma présentation aujourd’hui. Cela me fait grand plaisir.

[Traduction]

Je m’appelle Anjum Mullick. Je suis ingénieure civile et environnementale à Edmonton. Après avoir occupé un emploi pendant 18 ans dans une entreprise privée d’experts-conseils en génie qui travaillait surtout pour les secteurs des mines et du pétrole et du gaz, j’ai accepté un poste à la Ville d’Edmonton, il y a un an et demi, à titre de directrice des services d’ingénierie. Je suis, évidemment, tout le contraire de mon prédécesseur.

Comme vous le savez sans doute, il y a très peu de filles et de jeunes femmes qui entrent dans le domaine des STIM, c’est-à-dire des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, et encore moins qui y restent et qui accèdent à des postes de direction, et il y a encore beaucoup moins de femmes cadres d’origine asiatique.

Comme directrice, je dirige un effectif d’une centaine de personnes, dont 90 p. 100 sont des hommes blancs.

Nés en Inde, mes parents sont arrivés au Canada dans les années 1960, sous le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Je suis moi-même née dans la ville minière isolée de Sept-Îles, au Québec. Mon père est un ingénieur métallurgiste à la retraite. J’ai grandi à Fort McMurray, en Alberta, où j’étais l’une des rares filles au teint brun et où il n’y avait que très peu de personnes avec qui je pouvais me lier. Comme Indienne de première génération, je n’avais le choix qu’entre trois carrières : médecin, avocate ou ingénieure. C’est là que j’en suis aujourd’hui.

Ma passion pour la question de la diversité des genres, surtout dans le domaine des STIM, est née pendant que je faisais mes études de premier cycle en génie à l’Université de Waterloo. L’un des bâtiments du génie civil n’avait même pas de toilettes pour femmes. Même aujourd’hui, beaucoup de bâtiments abritant des facultés de génie n’ont pas de toilettes pour femmes. C’est le cas du bâtiment du génie minier ici, à l’Université de l’Alberta.

C’est un vrai problème, surtout à Edmonton où, je peux vous l’affirmer, nous avons six mois d’hiver chaque année. Personne ne veut patauger dans la neige pour aller à la toilette, surtout si les hommes n’ont pas à le faire. Ce n’est là que l’un des nombreux obstacles qu’il serait facile d’éliminer pour réaliser l’égalité des sexes, mais qui persiste encore.

Je dois coprésider la prochaine Conférence de la Coalition canadienne des femmes en génie, en sciences et en technologie qui s’ouvrira demain ici même, à Edmonton. C’est pour cette raison que je ne pouvais pas comparaître devant le comité à Ottawa aujourd’hui. Une grande partie du programme de la conférence concerne l’inclusion des filles, et en particulier des filles autochtones. Comme vous le savez, Edmonton a, après Winnipeg, la plus importante population autochtone urbaine du Canada.

Je fais également partie du conseil d’administration du Centre canadien pour les femmes en sciences, en génie et en technologie. J’ai aussi été conseillère et représentante de l’industrie dans un certain nombre de programmes universitaires de recherche, dont le plus récent était l’étude sur le succès en génie dirigée par Mme Elizabeth Croft, anciennement de la faculté de génie de l’Université de la Colombie-Britannique.

Je participe aux activités de nombreuses organisations locales qui s’intéressent aux femmes ayant un rôle de leadership. Enfin, je suis présidente du comité de diversité et d’inclusion de mon département à la Ville d’Edmonton.

J’ai été enchantée d’apprendre que le Sénat en était à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-309, qui parle surtout du manque de femmes dans le domaine des STIM. Comme Canadienne d’origine asiatique travaillant dans un domaine dominé par des hommes, je sais qu’il est impératif que les filles et les femmes puissent s’inspirer de modèles auxquels elles peuvent s’identifier et qui travaillent dans des domaines qu’elles n’envisageraient pas nécessairement. L’établissement d’une semaine nationale de l’égalité des sexes, au cours de laquelle seraient mises en évidence les réalisations de Canadiennes de divers secteurs et la nécessité d’éliminer les obstacles qui entravent encore l’égalité des sexes, contribuerait sûrement à l’atteinte de ces objectifs.

À mon avis, le projet de loi C-309 renforcerait chez les gens la conscience de la complexité et de l’intersectionnalité inhérente auxquelles nous devons nous attaquer pour réaliser des progrès à cet égard. L’affectation de ressources au niveau fédéral serait une preuve d’engagement qui soulignerait l’importance des objectifs à atteindre tant au Canada qu’à l’échelle internationale.

Je voudrais aussi ajouter que lorsque les gouvernements font des efforts concertés, des changements positifs en découlent. Quand le NPD provincial a pris le pouvoir en Alberta en 2015, il a reconnu que les organismes provinciaux avaient une représentation excessive de certains caractères démographiques. Il a donc élaboré des politiques et a fait adopter des mesures législatives pour augmenter la diversité de ces organismes. Je suis moi-même un exemple du fait qu’une femme compétente membre d’une minorité visible n’aurait peut-être pas été considérée comme une candidate valable pour la Commission d’appel de l’environnement de l’Alberta, dont je fais actuellement partie. Avant ma nomination, les 12 membres de la commission se composaient de 11 hommes et d’une femme. Les nominations effectuées en 2016 avaient pour objet de remplacer la moitié des membres. Elles ont permis de nommer six femmes, dont une appartenant à une minorité visible.

J’ai été honorée de m’adresser au comité aujourd’hui. Je serais heureuse maintenant de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Annie Chau, coordonnatrice de projet, Avancement de l’égalité des femmes, Antigonish Women’s Resource Centre & Sexual Assault Services Association, à titre personnel : Sénatrices, je vous remercie de m’avoir invitée. Je m’appelle Annie Chau. Je suis née au Canada de parents « boat people » vietnamiens. Je suis féministe et je travaille pour des organisations féministes depuis 10 ans. Je vis à Antigonish, dans le Nord rural de la Nouvelle-Écosse, et j’ai un emploi au Centre des femmes de la ville.

Mes efforts en faveur de l’égalité des femmes étaient surtout centrés sur des projets communautaires visant à renforcer les mesures d’intervention et de prévention en matière de violence sexuelle.

Je suis encouragée de voir le projet de loi C-309, Loi instituant la Semaine de l’égalité des sexes, c’est-à-dire une semaine destinée à marquer et à célébrer les réalisations en matière d’égalité des sexes, mais aussi et surtout à attirer l’attention sur l’action courageuse qui est nécessaire pour faire progresser l’égalité et pour l’exiger.

Je connais le pouvoir des activités organisées. Elles permettent de rendre publiques et visibles des questions de justice sociale qui sont souvent masquées, rendues invisibles et transformées en problèmes individuels.

Au cours des manifestations organisées par les femmes de Take Back the Night pour protester contre la violence faite aux femmes dans les villes et les localités du Canada et du monde, j’ai pu me rendre compte du pouvoir de ces activités : les survivantes s’y retrouvent elles-mêmes et retrouvent d’autres en racontant leur histoire devant un micro; elles peuvent voir d’autres survivantes marcher bruyamment dans les rues et en prendre possession et ont la possibilité, une fois prêtes, de participer elles-mêmes aux marches.

Par conséquent, le fait d’instituer une semaine de l’égalité des sexes pour rendre publiques et visibles ces questions est une chose à laquelle j’aspirais. En travaillant en faveur de l’égalité des sexes, nous devons axer nos efforts sur l’égalité des femmes, l’égalité des femmes transgenres, l’égalité des femmes non binaires, l’égalité des personnes non conformes au genre et l’égalité des personnes bispirituelles qui sont rendues invisibles par suite de la marginalisation de leur genre.

Nous devons également parler des hommes qui sont rendus invisibles pour une autre raison : le pouvoir et les privilèges que leur confère leur genre.

Nous devons en outre comprendre la vie complète de toutes les femmes, avec leurs identités sociales, économiques et politiques : femmes racialisées, particulièrement noires et à teint brun, femmes autochtones disparues et assassinées, femmes handicapées, femmes devant affronter des formes d’oppression qui sont liées aux disparités de genre et les renforcent, des formes d’oppression qui marginalisent, menacent et affectent certaines femmes, le colonialisme de peuplement, l’impérialisme religieux, le racisme anti-noir et anti-brun, le sexisme, l’hétérosexisme, la transphobie, la discrimination en fonction de la taille et le capacitisme. Nous devons affronter simultanément toutes ces formes d’oppression, car elles n’agissent qu’à cause de leur interdépendance et constituent toutes des moyens de rabaisser les femmes.

Nous devons aussi affronter les défis que connaissent les femmes des régions rurales où l’accès aux occasions, au gagne-pain et aux services est insuffisant et où la pauvreté et le logement constituent de vrais problèmes. Dans le Canada atlantique en particulier, il y a une migration circulaire vers l’Ouest qui bouleverse constamment la vie des femmes et de leur famille dans nos collectivités.

J’espère que la semaine envisagée permettra d’affronter les problèmes liés à l’égalité des sexes et de provoquer des changements et que, ce faisant, on écoutera attentivement les voix qui ont toujours préconisé ces changements.

Même si leur financement est insuffisant, les organisations féministes ainsi que les centres de femmes et les centres d’aide aux victimes de viol et d’agression sexuelle sont des organismes communautaires essentiels qui continuent à offrir des services de soutien et à travailler en faveur d’un changement de culture et des systèmes pouvant mener à l’égalité des sexes dans leur collectivité. Pour nous, la semaine de l’égalité des sexes dure 52 semaines par an.

Je voudrais maintenant vous faire part de ce que j’ai appris au sujet des disparités de genre dans mon travail actuel auprès d’une collectivité autochtone, d’une école publique et d’une université. Dans les collectivités autochtones, il y a maintenant une nouvelle forme de colonialisme : les femmes autochtones savent que, en signalant des cas de violence, elles risquent de perdre leurs enfants.

Dans les écoles publiques, de fortes pressions s’exercent sur les jeunes femmes qui se servent de leur corps pour exprimer leur identité et leur sexualité et qui essaient de manifester leur féminité sans passer pour des femmes faciles.

Sur les campus universitaires, les mythes liés au viol persistent, les femmes victimes étant souvent blâmées tandis que les agresseurs n’ont pas à rendre de comptes.

Il y a différents contextes dans lesquels nous devons exiger l’égalité des sexes aussi bien durant cette semaine que tout le reste du temps.

Je vous remercie. Je serai heureuse d’avoir l’occasion de réfléchir à vos questions.

La vice-présidente : Nous essayons encore de joindre Mme Chaudhry à l’Université de la Colombie-Britannique par vidéoconférence. Entre-temps, les membres du comité peuvent poser des questions.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie d’avoir accepté de témoigner et de nous avoir présenté des exposés. Ma question s’adresse à Mme Mullick.

Je suis moi-même une personne « brune » originaire de l’Asie du Sud. Je ne sais pas s’il y a des gens extérieurs à cette région qui connaissent le terme, mais on l’entend souvent dans les foyers d’Asie du Sud. Mes enfants disent souvent : « Nous autres bruns. » Je ne sais pas. Parfois, c’est bon de l’entendre, mais il arrive aussi que cela revête un sens péjoratif.

Les gens originaires de l’Asie du Sud doivent affronter des problèmes assez particuliers. Il y a un important hiatus que ressentent les femmes, en partie à cause de circonstances familiales et en partie à cause du rôle assumé par les hommes et du fait que beaucoup de ces femmes ne prendront pas position contre leur mari. Comme j’ai longtemps été bénévole dans les écoles, j’ai pu voir que nos enfants mènent souvent une double vie, surtout dans le cas des filles qui doivent se conformer à des règles différentes de celles des garçons.

Comment pouvons-nous encourager les parents de ces enfants et les familles d’Asie du Sud à comprendre que garçons et filles sont égaux?

Je répète souvent une observation que ma mère m’avait faite : « Ma fille est comme un garçon. » Quand j’ai demandé pourquoi, elle a dit que c’était parce que je gagnais ma vie et que je rapportais de l’argent à la maison. Je lui ai demandé : « Pourquoi ne reconnais-tu pas que tu as une fille forte et compétente capable de s’occuper d’elle-même et de toi? » Cette notion n’est pas encore courante dans la communauté d’Asie du Sud. Comment pouvons-nous transmettre le message?

Mme Mullick : C’est une question très complexe. Comme vous l’avez noté, notre culture tend à être profondément ancrée. Même après plusieurs générations, on voit encore ces stéréotypes concernant le rôle des hommes et des femmes.

L’une des solutions que je crois efficaces consiste à revenir au simple rôle de modèle. Je travaille avec ceux qu’on pourrait appeler les « oncles » de la communauté. Quand ils se rendent compte de ce que j’ai réussi à accomplir, ils se disent que leur fille pourrait peut-être faire la même chose. L’important, dans leur cas, est d’être exposé à des choses différentes plutôt que de se rabattre sur les attentes traditionnelles en disant : « Ma fille se mariera et restera à la maison. Oui, elle peut aller à l’université, mais, en fin de compte, son rôle est de prendre soin de sa famille et d’obéir. »

Je crois aux modèles de comportement et à l’exposition des membres masculins de la communauté à des femmes fortes originaires d’Asie du Sud.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez également signalé l’absence de toilettes pour femmes dans certaines écoles d’ingénieurs. Nous sommes au Canada en 2018, et nous parlons encore de situations de ce genre.

Il y a un lien de la plus haute importance parmi les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et les différents ministères et organismes. Comment pouvons-nous les amener à laisser des femmes occuper des postes de direction? Il ne suffit pas d’avoir des postes à l’égard desquels ils pourraient dire : « Nous avons tant de femmes de groupes minoritaires qui travaillent dans notre ministère. » Nous nous débattons encore. Nous avons des femmes à ces endroits, mais elles restent toujours à un certain niveau.

Ma question s’adresse aux deux témoins. Comment pouvons-nous changer cette situation? De plus, quelles difficultés avez-vous eues, comme femmes asiatiques? Quelles sortes de défis et d’obstacles avez-vous dû surmonter?

Mme Mullick : En me basant sur mon expérience, je dirais que le plus utile est en fait de fixer des objectifs. Je sais que cette question suscite une certaine controverse. Il faut avoir une direction forte au sommet pour donner le ton, définir des objectifs et dire : « Vous savez quoi? Nous aurons 30 p. 100 de femmes dans nos commissions. Nous recruterons des femmes pour qu’elles représentent 30 p. 100 du corps enseignant. » Il faut ensuite élaborer une stratégie en conséquence.

Dans le monde des affaires, nous accordons de l’importance à cette question et nous établissons des stratégies comprenant des objectifs mesurables. Si nous nous limitons à dire que la diversité est importante sans prendre des mesures concrètes, nous n’accomplirons rien du tout. Cela prête à controverse, car on entend alors parler de choses telles que les quotas. Certains disent qu’on engage des gens simplement parce qu’il s’agit de femmes ou de membres de minorités visibles ou d’autres groupes sous-représentés.

Encore une fois, si on peut prouver que la diversité dans le monde des affaires présente des avantages tangibles et qu’on ne prend pas de mauvaises décisions simplement pour atteindre des objectifs, il est possible de définir des objectifs et de tracer la voie à suivre pour y parvenir. Autrement, on peut se demander : « Qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui n’a pas marché? » Nous établissons des stratégies à volets multiples fondés sur le parrainage, qui va au-delà du mentorat. Cela s’applique quand une personne occupant un poste de direction trouve quelqu’un qui a un grand potentiel.

L’automne dernier, j’ai assisté au Gender Summit de Montréal. Le vice-président de VIA Rail était présent. Lorsqu’il avait pris la direction, il y a huit ans, le conseil ne comptait qu’une seule femme. Il avait dit : « Vous savez quoi? Je fixe l’objectif de 30 p. 100 de femmes dans cinq ans. Par conséquent, quand vous viendrez me voir au dernier stade du recrutement, vous devrez me présenter une candidate qualifiée et un candidat qualifié. Et, si vous choisissez l’homme, vous devrez m’expliquer les raisons de votre choix. »

Lorsque vous devez aller voir votre PDG en utilisant des expressions telles que « c’est lui qui convient le mieux » et d’autres expressions nébuleuses du même genre qui sont intrinsèquement partiales, vous commencez à réfléchir et à vous demander : « Pourquoi est-ce que je choisis cette personne ou cette autre? »

Il avait aussi dit que si le bassin de candidats est insuffisant et qu’on puisse le démontrer, il faut alors se poser la question suivante : qu’avons-nous fait pour préparer l’étape suivante et veiller à ne pas revenir dans deux ans pour proposer deux hommes blancs comme candidats au poste de directeur financier?

Je crois que cela revient à la fixation d’objectifs et à l’établissement de stratégies destinées à les atteindre.

Mme Chau : J’appuie les importantes réflexions critiques de ma collègue. J’ajouterai que nous avons besoin de créer un climat accueillant pour les femmes et de prévoir des services de garde d’enfants pour qu’elles puissent se donner entièrement à leur carrière et participer pleinement à notre économie.

Bref, il est très important d’exiger une certaine représentation des femmes dans les différents organismes, mais il faut aussi créer les conditions voulues pour qu’elles se sentent à l’aise.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie toutes les deux de votre présence au comité. C’est un sujet très intéressant. Je voudrais tout d’abord poser une question à Annie. Vous vivez à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, très petite ville que je connais bien parce que c’est là que je suis allée à l’université. J’ai quelques questions à vous poser. Premièrement, avez-vous été initiée au féminisme? Je ne sais pas ce que représente aujourd’hui la diversité dans une petite ville rurale. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous vous êtes taillé une place à cet endroit?

Mme Chau : Bien sûr. Je crois souvent, après réflexion, que les féministes ont toujours su qu’elles étaient féministes sans nécessairement pouvoir se donner ce titre.

Il y a eu une période, tandis que je commençais ma carrière et que je travaillais pour des organisations féminines, où je ne pensais pas être suffisamment féministe. Au cours d’une interview à Kingston, en Ontario, on m’avait demandé ce que signifiait mon féminisme et quelle expérience j’avais dans ce domaine. À ce moment, j’avais pu me souvenir ce que j’avais vécu dans mon enfance. Et, tout à coup, je me suis rendu compte que j’étais féministe, que je l’avais été et que je m’étais toujours souciée de ma capacité d’agir dans le monde et de celle d’autres femmes comme moi.

Je dirais que mon parcours de féministe se poursuit encore. Je crois que le féminisme est un processus dans le cadre duquel je me mets constamment au défi de mieux travailler et d’inclure des femmes qui ne sont pas comme moi et qui sont encore plus invisibles et marginalisées.

Mon travail au Women’s Resource Centre d’Antigonish m’a permis d’acquérir une profonde compréhension de la vie des autres femmes, particulièrement dans mes activités auprès de la nation autochtone de Paqtnkek Mi’kmaw. L’expérience et la résistance de ces femmes ont vraiment renforcé mon féminisme.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie. Croyez-vous que le projet de loi vous aidera à mobiliser les gens de votre région?

Mme Chau : Absolument. Comme je l’ai dit dans mon exposé préliminaire, je crois au pouvoir des activités organisées. J’ai été témoin de manifestations qui ont touché des gens qui ne faisaient que passer par là. Je sais combien il est important de continuer à sensibiliser les gens à des choses qui ne sont pas toujours évidentes pour tous.

Antigonish est une petite collectivité où la plupart des gens se connaissent. D’une certaine façon, il est difficile d’être très visible, mais si on crée des conditions permettant de voir ce qui se passe, des changements peuvent se produire au niveau communautaire. Je le constate à l’échelle individuelle et communautaire lorsque les gens se soutiennent mutuellement. Cela est vraiment remarquable. Je crois donc que les événements tels que les semaines — par exemple, la Semaine internationale des femmes ou la Semaine de l’égalité des sexes ou encore la campagne Take Back the Night — constituent des moments clés dans la conscience et la cohésion de notre collectivité.

La sénatrice Hartling : Madame Mullick, je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience. J’ai été très proche de la communauté des ingénieurs de ma collectivité, à Moncton, à cause de la question du 6 décembre. Je connais un certain nombre de femmes ingénieures, mais, comme vous l’avez dit, il n’y en a pas beaucoup.

Où allez-vous chercher vos appuis? Si le projet de loi est adopté, est-ce que votre groupe d’ingénieurs et les gens que vous connaissez peuvent contribuer à faire progresser la situation? Pouvez-vous nous en parler?

Mme Mullick : Vous avez parfaitement raison. Nous ne sommes pas très nombreuses. Il faut vraiment aller chercher les femmes ingénieures. En moyenne, 18 p. 100 des diplômés des universités canadiennes sont des femmes. Malheureusement, après 10 ans de carrière, le pourcentage tombe presque de moitié pour atteindre 10 ou 11 p. 100 seulement. Aussi, Ingénieurs Canada, organisation nationale qui régit la profession, s’est fixé un objectif de 30 p. 100 en 2030. Je reviens encore à la question des objectifs. L’organisation a réussi à mobiliser différents organismes provinciaux, dont la plupart ont maintenant un groupe de promotion des femmes ingénieures chargé de faciliter la progression vers l’objectif.

Encore une fois, je crois qu’une initiative fédérale ferait ressortir, auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux, l’importance d’atteindre non seulement l’égalité, mais au moins en ingénierie, d’augmenter la représentation. Il est clair qu’un pourcentage de 18 p. 100 est affreux par rapport à ce qu’on voit dans d’autres pays d’Asie et d’Europe de l’Est, où au moins 50 p. 100 des diplômés sont des femmes.

La sénatrice Hartling : Excusez-moi. Avez-vous mentionné le nombre de femmes d’origine asiatique qui sont ingénieures au Canada? Connaissez-vous ce nombre?

Mme Mullick : Non, je ne le connais pas. Les statistiques ne mentionnent que les hommes et les femmes, dont le pourcentage n’est que de 18 p. 100, ce qui est très bas.

La sénatrice Hartling : Vous êtes vous-même un excellent modèle pour les femmes et les filles. Je vous remercie.

La sénatrice Martin : Je remercie les deux témoins. Vous avez présenté des exposés très clairs.

Madame Mullick, je dois reconnaître que, comme je suis fille d’immigrants asiatiques, je n’ai pas eu la possibilité de choisir mon champ d’études à l’université. On m’a forcée à entrer en génie. Je me souviens que j’avais un casier dans le bâtiment du génie physique. Je regardais la masse compacte des hommes des cours précédents et je me demandais si j’arriverais jamais à m’adapter.

Je n’ai pas réussi à devenir ingénieure. J’ai donc le plus grand respect pour le défi que représentent les études pour n’importe qui.

Lorsque ma collègue vous a posé une question et que vous avez souligné l’importance d’avoir des stratégies et des objectifs vraiment efficaces pour atteindre les cibles fixées, qu’il s’agisse d’une représentation de 30 p. 100 ou d’autre chose, j’estime que tout cela est purement symbolique. À titre de femme asiatique ayant des fonctions politiques, j’ai dû subir les commentaires de gens qui s’interrogeaient sur la façon dont j’ai pu accéder à ces fonctions et qui suggéraient que c’était peut-être à cause de certaines concessions. Voilà pourquoi je dis que c’est du symbolisme.

Je suis toujours consciente du fait que si nous instituons une semaine de l’égalité ou autre chose, nous devons viser à établir des programmes et à exprimer des choses qui permettent d’éviter de renforcer ou de perpétuer le mythe de la femme ou de l’Asiatique symbolique.

Madame Mullick, j’aimerais vous demander de nous expliquer comment vous avez réussi à occuper le poste que vous avez. Quelle aide véritable, quels programmes, quelles personnes vous ont permis d’y arriver?

De plus, vous pourriez même nous parler peut-être des idées que vous avez quant à la façon dont Condition féminine Canada devrait organiser les activités de cette semaine. En effet, je suis sûre que vous avez participé à différentes initiatives vraiment authentiques et efficaces. J’aimerais que vous nous donniez quelques exemples à cet égard.

Madame Chau, les membres des communautés asiatiques ou ethniques se font une certaine idée de ce que les Canadiens blancs pensent d’eux. Comme vous pouvez le voir, je parle d’« eux » et de « nous ». Je me souviens d’une visite que j’avais faite dans la petite ville où mon mari avait grandi. Pour la première fois, j’avais eu l’impression d’appartenir à un groupe minoritaire. Pourtant, je n’avais aucune raison d’avoir ce sentiment.

J’aimerais beaucoup vous entendre parler de votre expérience à Antigonish, et peut-être de contester quelques-unes des idées préconçues que vous auriez pu avoir. Comment pouvons-nous apprendre des choses les uns des autres et faire de cette semaine un moyen de faire passer des idées du Canada rural au Canada urbain, et pas dans l’autre sens?

Mme Mullick : Laquelle des deux aimeriez-vous entendre en premier?

La sénatrice Martin : Allez-y, madame Mullick.

Mme Mullick : Si j’ai bien compris, vous avez posé deux questions : la première au sujet de mon avancement de carrière et de ce qui m’a aidée à obtenir le poste que j’occupe aujourd’hui, et la seconde au sujet des idées que je pourrais avoir pour une mise en œuvre positive de la semaine de l’égalité, qui éviterait les aspects purement symboliques et les différentes perceptions. Est-ce exact?

La sénatrice Martin : Oui, c’est très bien.

Mme Mullick : En ce qui concerne la première question, j’insiste constamment sur les modèles de comportement forts et les mentors qui croient en vous. Pour moi, cela a commencé à l’école secondaire où j’ai eu d’excellents professeurs de calcul infinitésimal et de physique qui encourageaient les filles de la classe — en toute franchise, elles étaient vraiment les meilleures en calcul et en physique — à choisir une carrière dans ces domaines.

Mme Chau a parlé des obstacles qui existent dans les écoles rurales. J’ai grandi à Fort McMurray qui, sans être rurale à l’époque, était isolée. Il n’y avait pas beaucoup de ressources permettant d’envisager différentes carrières. Toutefois, comme il s’agit d’une ville minière, on trouve là beaucoup d’ingénieurs, c’est-à-dire beaucoup de modèles possibles de comportement.

À l’université, il faut chercher les gens qui puissent vous encourager et que vous pouvez admirer. J’ai eu des professeurs ouvertement sexistes qui disaient que les femmes n’avaient pas leur place sur un chantier de construction. « Pourquoi avez-vous choisi le génie civil? » À la fin de ses cours, il nous montrait des diapos de femmes en bikini. C’était en 1992, il n’y a donc pas si longtemps.

Nous avions cependant réussi à prendre contact avec le doyen pour lui parler de ce qui se passait. Il avait bien réagi, en créant le premier groupe de femmes en génie de l’Université de Waterloo. Il est donc essentiel de trouver des appuis parmi les hommes.

J’ai eu la chance d’avoir de bons supérieurs dès le début de ma carrière, c’est-à-dire dans le premier poste d’ingénieure que j’ai occupé dans le cadre du programme d’alternance travail-études. J’ai souvent travaillé dans des sites pétroliers et gaziers isolés où il n’y avait pas de toilettes portatives pour les femmes. Ce sont de petites choses, mais elles suffisent pour qu’on se sente exclue. Mme Chau a abordé cette question en disant qu’il faut commencer par créer un environnement où les femmes se sentent à l’aise. Pendant des siècles, nous nous sommes efforcés de créer un milieu de travail accueillant pour les hommes.

Comme je l’ai dit, j’ai eu la chance d’avoir de bons supérieurs. Ils m’ont incitée à me dépasser et m’ont donné des occasions dont je n’aurais peut-être pas profité par moi-même. Beaucoup de recherches montrent que les femmes s’excluent elles-mêmes de certains postes. Il est donc important de s’entourer de gens qui croient en vous et qui vous disent : « Vous pouvez le faire. » Ce facteur m’a vraiment aidée à parvenir à mes fonctions actuelles.

Si nous fixons des objectifs, il y aura toujours des gens qui penseront qu’une personne appartenant à une minorité visible a été choisie pour une raison autre que sa compétence. Je dis toujours aux jeunes femmes qu’elles peuvent prouver qu’elles sont tout aussi compétentes que les autres sinon plus dans le poste qu’elles occupent. Nous devons constamment affronter des stéréotypes et des obstacles un peu partout.

C’était ma réponse à la première question. J’ai été entourée d’excellents mentors qui croyaient en moi et qui m’ont poussé à entreprendre des choses et à réaliser des projets que, dans certains cas, je n’aurais peut-être pas envisagés si j’avais été laissée à moi-même.

En ce qui concerne votre seconde question concernant la mise en œuvre de la semaine, ma réponse peut paraître simpliste, mais il suffit de le faire d’une façon sérieuse et significative qui confirme que des mesures concrètes peuvent découler d’une telle initiative.

Lorsque la ministre Duncan a parlé de tous les fonds que le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie attribue aux hommes, elle a clairement dit que, si les universités ne nommaient pas des femmes aux chaires de recherche, elle leur couperait leur financement.

Il ne s’agit donc pas nécessairement de conséquences. Il faut plutôt aller au-delà des belles paroles pour penser à ce qu’on peut vraiment faire en faveur de l’égalité des sexes. Qu’est-ce que le gouvernement compte faire au-delà de la désignation d’une semaine? Il faut établir une stratégie dans ce domaine.

Mme Chau : Je suis plus consciente que jamais de ma race depuis que je vis à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. L’expérience a été éprouvante et m’a donné une conscience accrue de ma propre identité et de la façon dont elle est perçue par les autres. Pour se rendre vraiment compte de la réalité, il est essentiel de comprendre ce que représente la marginalisation, surtout dans un milieu rural où les différences sont plus évidentes et ont un plus grand impact.

J’ai pensé à ce que vous avez dit au sujet du symbolisme. C’est particulièrement vrai dans un milieu rural où on est peut-être la seule femme asiatique présente et où les gens vous associent à toutes les voix et les identités liées à une question. À cet égard, ma stratégie consiste à assumer le rôle symbolique qu’on m’attribue, de conserver l’espace que j’occupe et, comme l’a suggéré Mme Mullick, de chercher des alliés et de créer encore plus d’espace pour des gens comme moi ou des gens autrement différents. Cela est vraiment important.

Il est difficile de penser qu’on est là juste comme symbole d’équité, mais c’est pour moi une occasion de continuer. En effet, nous devons continuer, même si nous n’occupons qu’un seul espace à la table. La chaise sur laquelle on est assise vient peut-être d’une autre salle, mais je crois quand même que c’est important.

La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes les deux. Je vous félicite aussi pour tout ce que vous avez accompli dans des conditions difficiles.

L’une des questions qui se sont posées dans le travail que je faisais avant de venir au Sénat et qui se posent encore, c’est que chaque fois qu’on commence à parler d’égalité des sexes, on a tendance à faire abstraction d’autres aspects, comme une analyse très claire de choses telles que la violence contre les femmes.

Madame Mullick, vous avez parlé d’un de vos professeurs qui, en 1992, projetait des images de femmes en bikini. C’est encore une fois toute la question de la chosification des femmes. Lorsque j’ai eu l’occasion d’organiser une rencontre de filles ici en octobre dernier, toutes les jeunes femmes présentes ont parlé des codes vestimentaires, de ce qu’elles sont censées porter, de leur aspect physique, des stéréotypes relatifs aux femmes, de l’égalité des femmes et de la violence dont elles sont victimes. Je me suis dit que cela faisait longtemps que j’avais leur âge, mais que ces questions n’avaient pas encore été réglées.

Est-ce qu’une semaine de l’égalité des sexes qui ajoute encore plus d’aspects à une situation déjà complexe ne risque pas de masquer le besoin de s’attaquer d’une manière fondamentale à la violence contre les femmes, à leur chosification, à leur sexualisation, et cetera? Pensez-vous que c’est juste un autre problème à affronter ou qu’une chose se produira sur laquelle nous pourrons bâtir? Il n’y a pas de doute qu’il serait avantageux d’avoir plus de femmes comme vous dans des postes de direction. Comme j’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, d’échanger avec des jeunes femmes qui étudient actuellement en génie, j’ai entendu parler des mêmes problèmes. Ce n’est pas seulement en 1992 : elles ont les mêmes difficultés aujourd’hui. Vous avez vous-même parlé de l’absence de toilettes pour femmes dans certaines écoles.

C’est merveilleux de pouvoir parler de jeunes femmes qui occupent comme vous des postes de direction, mais qu’en est-il des jeunes femmes qu’on rabaisse encore à cause de ces questions? Que pouvons-nous faire pour remédier à ce problème?

Mme Chau : Nous devons absolument centrer les efforts sur les femmes dans ce que nous faisons en faveur de l’égalité des sexes. Nous devons centrer sur l’égalité des femmes. En le faisant, nous connaîtrons toute la vie des femmes, avec leur identité raciale, leur situation socioéconomique, leur sexualité et tout le reste, ce qui éclairera encore mieux les questions qui se posent. Ces questions sont entremêlées et difficiles à régler parce qu’elles se répercutent de mille façons différentes sur la vie des femmes.

Les organisations féminines et féministes ainsi que l’approche féministe permettent de centrer sur les femmes et de considérer les autres facteurs difficiles à cerner.

J’ai vécu certaines expériences que je ne suis pas trop sûre de pouvoir attribuer au fait que je suis femme, que je suis racialisée ou aux deux. Il importe donc de centrer sur ces expériences, car elles montrent comment les différentes formes d’oppression sont interreliées. Cela s’applique particulièrement aux jeunes femmes qui doivent relever des défis que je n’ai pas connus lorsque j’étais à l’école secondaire. Dans une grande partie du travail que nous faisons, nous parlons en tête-à-tête ou en groupe à des jeunes femmes qui nous mettent au courant de ce qu’elles ont vécu. Encore une fois, il est vraiment important de centrer sur leurs expériences de jeunes.

Mme Mullick : Vous m’avez demandé si la semaine risque de masquer d’autres problèmes. Telle qu’elle est exposée dans le projet de loi, la question est complexe. La mise en œuvre devrait donc avoir de multiples aspects.

Je bavarde souvent avec de jeunes étudiantes en génie, à titre de chargée de cours ou de conférencière. J’entends encore des choses comme celles-ci : « Dans nos cours de préparation au programme d’alternance travail-études, on nous parle de la façon de s’habiller correctement. Tout est centré sur les hommes. À nous autres femmes, on dit de but en blanc : « Évitez simplement les décolletés et les jupes courtes.  »  » Il s’agit d’un cours donné à l’Université de l’Alberta en 2018.

Je représente quelque chose de différent. J’ai réussi à me hisser à un poste de direction. J’ai encore des obstacles à surmonter, et c’est pourquoi je dis que la semaine ne masque pas d’autres problèmes. Nous devons affronter la situation en allant des situations les plus élémentaires jusqu’aux femmes qui occupent des postes de direction. Encore une fois, cela revient à une stratégie très claire permettant de s’attaquer aux domaines que nous voulons cibler et aux enjeux où nous situons les priorités. Comme je l’ai déjà dit, nous avons des ministres qui agissent au niveau universitaire. Nous en avons d’autres qui cherchent à régler les problèmes socioéconomiques inhérents auxquels doivent faire face les femmes autochtones.

Je ne crois pas que nous ayons à nous inquiéter du risque de masquer certains problèmes en abordant la situation d’une manière globale.

La sénatrice Pate : Je vais vous citer comme exemple ce que m’a dit une jeune femme autochtone. Elle a mis en parallèle le problème des femmes autochtones disparues et assassinées et les pressions qui s’exercent sur les jeunes pour qu’elles se conforment à un certain modèle de la femme. Je dirais personnellement qu’il s’agit d’un modèle sexualisé et chosifié, d’après la description que mon interlocutrice en a donnée. Ensuite, les jeunes femmes sont punies si, en adoptant le modèle préconisé, elles attirent les regards masculins, que ce soit les regards d’autres étudiants ou ceux des enseignants.

Quant à mon interlocutrice autochtone qui a reçu tous ces messages contradictoires, on dira d’elle, si elle est vraiment intelligente, que son avancement n’est pas dû à ses capacités. Je comprends donc quand vous dites que cela ne masque pas les problèmes.

Il y a parfois un certain manque de clarté en ce qui concerne les choses qui empêchent encore les femmes d’avancer, surtout dans le cas des femmes autochtones et racialisées. Quoi qu’il en soit, merci beaucoup, et félicitations à toutes deux pour le travail que vous avez accompli et les postes que vous occupez. Ce sont d’importants postes de direction pour des jeunes femmes.

La sénatrice Ataullahjan : Dans le climat actuel, qui semble avoir changé si on tient compte de ce qui se passe chez nos voisins du Sud, des paroles utilisées ainsi que des pensées et des émotions exprimées, nous, comme femmes appartenant à des groupes minoritaires, entendons des choses qui n’auraient jamais été dites auparavant. Quelle influence ce climat a-t-il eu sur vous? Ressentez-vous le changement qui s’est produit?

Mme Chau : Oui. Le contexte est intéressant. Nous avons la campagne #MeToo et les réformes qu’elle a entraînées dans l’industrie du spectacle aux États-Unis. En même temps, il y a des gens en position d’autorité qui ne se gênent pas pour faire des commentaires sexistes et misogynes. C’est un espace déroutant pour les jeunes, tant hommes que femmes, qui doivent naviguer dans un contexte hypersexualisé leur imposant certaines attentes, notamment dans leur façon d’exprimer leur sexualité. De bien des façons, je crois que les choses n’ont pas changé, mais il y a des situations dans lesquelles je ressens le changement. Sur le double plan personnel et professionnel, je trouve que nous vivons une période de grande confusion. Il est impératif d’en parler davantage. La semaine envisagée n’en est que plus importante.

La sénatrice Ataullahjan : Je comprends pourquoi vous répondez ainsi à ma question. Vos paroles me permettent de voir le combat qui se livre en vous. Vous vous contrôlez bien, mais j’ai pu constater que vous ressentez les effets du changement.

Madame Mullick, voulez-vous répondre?

Mme Mullick : Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit Mme Chau. Quoi qu’il en soit, oui, les choses ont certainement changé. C’est parfois décourageant de s’en apercevoir. À l’occasion, on est tenté de renoncer et de dire que rien n’a changé en 30 ans ou plus. Je crois cependant que notre gouvernement a réalisé des progrès et, comme l’a dit Mme Chau, le projet de loi prouve que c’est un enjeu important qui mérite d’être soutenu. L’égalité des sexes n’est pas une question qui disparaîtra de sitôt, indépendamment de ce qui peut se passer chez nos voisins du Sud.

La vice-présidente : Y a-t-il d’autres questions? Je voudrais remercier nos deux témoins, Mme Chau et Mme Mullick. Vous avez été parfaites.

Vous nous avez fait part de votre expérience et nous avez parlé du merveilleux travail que vous faites. Comme l’a dit la sénatrice Pate, vous méritez des félicitations pour le travail que vous avez accompli et parce que vous constituez toutes deux des modèles de comportement. Je sais que la situation de modèle impose parfois de lourdes responsabilités et qu’il vous arrive de penser que vous aimeriez bien échapper à l’attention des gens pour redevenir simplement vous-mêmes. N’empêche, vous êtes toutes deux de merveilleux modèles.

Vous avez ajouté au dialogue engagé sur le projet de loi C-309 et vous avez en même temps mis en évidence la situation des femmes asiatiques alors que nous célébrons le Mois du patrimoine asiatique. Vous avez donc joué un double rôle aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissantes de votre comparution devant le comité. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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