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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 37 - Témoignages du 5 décembre 2018


OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier et surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue. Premièrement, je veux présenter une motion.Vous plaît-il, honorables sénateurs, que le comité permette la prise de photos pendant la réunion?

Des voix : D’accord.

La présidente : Avant d’entendre les témoignages, j’inviterais les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La présidente : Je suis la sénatrice Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et je préside le comité.

Aujourd’hui, nous accueillons des étudiants de l’Association des études internationales et politiques de l’Université d’Ottawa et aussi des étudiants de la faculté des affaires publiques à l’Université Carleton. Ils sont avec nous à l’occasion de cette réunion spéciale de la Journée des droits de la personne. Chers étudiants, vous êtes invités à rester après la levée de la séance pour une photo de groupe avec les sénateurs.

La sénatrice Hartling : Je suis Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick. Je reconnais quelques visages. C’est bon de vous revoir. Merci d’être venus.

La présidente : L’année 2018 marque le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Pour marquer cette occasion spéciale, notre comité a décidé de tenir une audience spéciale pour évaluer les progrès des mesures de promotion de l’égalité, de la justice et de la dignité humaine. Nous sommes ravis qu’un groupe très distingué de témoins soit ici aujourd’hui pour parler des droits de la personne d’un point de vue national ainsi qu’international.

Nous passerons la première heure avec quatre témoins. On a demandé à chacun de prononcer des remarques liminaires de cinq minutes. Permettez-moi de vous les présenter dans l’ordre dans lequel ils prendront la parole.

Nous allons commencer par Marie-Claude Landry, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne. Elle est accompagnée de Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale. Nous entendrons deux témoins par vidéoconférence. Robyn Maynard est une écrivaine, militante et éducatrice de l’Université de Toronto et l’auteure de Noirs sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada. Également par vidéoconférence, nous accueillons Cheryl Knockwood, coordonnatrice de la gouvernance pour le Conseil de bande de Membertou, en Nouvelle-Écosse. Avec nous dans la salle, nous avons Kathy Vandergrift, présidente de la Coalition canadienne pour les droits des enfants.

Bienvenue à toutes.

Marie-Claude Landry, présidente, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup. Je prononcerai mes remarques dans les deux langues officielles.

[Français]

Je vous remercie d’avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à prendre part à cette discussion sur les progrès des droits de la personne au Canada depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

La Déclaration universelle des droits de l’homme a été une réponse aux horribles atrocités nées de la haine. Elle a uni le monde dans une cause commune : celle de promouvoir les principes d’égalité, de dignité et de respect pour tous. Il s’agissait de reconnaître, à travers le monde entier, que tout être humain est né avec les mêmes droits et les mêmes libertés fondamentales, et ce, peu importe où il se trouve.

[Traduction]

Au cours des sept dernières décennies, le Canada a fait siennes les valeurs fondamentales énoncées dans la déclaration. Une grande partie des progrès qui ont été réalisés au Canada ne l’ont pas été par accident. Ils l’ont été grâce à une conception soignée de nos systèmes. La Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi que les lois provinciales et territoriales sur les droits de la personne ont toutes été élaborées à partir des principes de la déclaration. Ces lois ont donné aux gens vivant au Canada le pouvoir de dénoncer l’injustice et de s’y opposer et, ce faisant, de créer des changements positifs, non seulement pour eux-mêmes, mais pour leurs citoyens.

[Français]

Cet anniversaire nous donne un temps de réflexion et nous permet de renouveler notre engagement à l’action. Dans son rapport déposé dans le cadre de l’Examen périodique universel du Canada aux Nations Unies, la commission a mis en évidence des situations par rapport aux droits de la personne qui nécessitent une attention urgente et immédiate, notamment celles des peuples autochtones, des personnes handicapées, des personnes de différentes appartenances raciales et des personnes de diverses orientations sexuelles ou identités de genre.

Il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous devons faire preuve d’une grande vigilance, notamment en raison de l’augmentation significative de l’intolérance, du sectarisme et de la haine dans le monde. Le Canada n’y échappe pas. Nous avons constaté une très importante croissance de la haine, et ce, ici même au Canada. Le discours haineux peut mener au crime haineux.

La semaine dernière, Statistique Canada a publié de nouvelles statistiques qui montrent que les crimes haineux déclarés à la police ont augmenté de façon marquée en 2017, et qu’ils sont en hausse de 47 p. 100 par rapport à l’année précédente.

Les délits sont motivés par le racisme, la xénophobie et l’intolérance religieuse, et ils sont des exemples de crimes haineux. Les crimes motivés par les préjugés contre l’invalidité d’une personne, son orientation sexuelle ou son identité de genre sont également des crimes haineux.

Ces crimes haineux sont une attaque et une menace directes envers l’engagement du Canada vis-à-vis de la démocratie et des droits fondamentaux d’égalité et de non-discrimination.

[Traduction]

Le silence n’est pas une option. Il nous appartient tous et chacun de dénoncer la haine. Après la Seconde Guerre mondiale, la structure des droits de la personne au Canada a été créée pour répondre à l’injustice et à la discrimination et prévenir la recrudescence de la haine. Les systèmes au Canada font bien leur travail, mais il existe toutefois un déficit dans la manière dont le Canada répond à la haine.

La dernière fois que le Parlement a mené une vaste étude sur la haine était en 1965. Le comité Cohen a révélé que :

[...] les individus et les groupes qui propagent la haine au Canada constituent « une menace évidente et réelle » au bon fonctionnement d’une démocratie...

Bien que cela soit encore pertinent et vrai, le Canada d’aujourd’hui est un endroit bien différent d’il y a 53 ans. Le monde est, en soi, bien différent.

Tout le monde a maintenant le pouvoir d’être un diffuseur d’information. Un individu peut parler plus fort et influencer plus de gens que jamais auparavant. Une nouvelle génération est maintenant exposée à la haine en ligne. Conséquemment, la menace posée par le discours haineux est amplifiée. Nous avons la responsabilité d’examiner de près la façon dont la haine se propage, d’examiner comment contrer ce phénomène et de demander des comptes aux personnes qui la répandent et qui servent de courroie de transmission.

Voilà pourquoi j’encourage votre comité à initier une nouvelle étude sur la façon de contrer la haine au Canada. Vous êtes bien placés pour en assumer le leadership, faire participer tous les acteurs, amener tout le monde à la table incluant les gouvernements, la société civile, les experts, les organismes de réglementation, les fournisseurs de services et les législateurs. Par le passé, vous avez démontré un solide leadership en faisant face aux défis soulevés par les questions pressantes des droits de la personne. Votre leadership sur cette question permettrait d’informer les citoyens, de proposer des actions et de définir la voie à suivre afin de protéger les gens de cette menace évidente et réelle.

[Français]

En conclusion, en ce 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Canada peut être fier de ses réalisations, mais ce sentiment de fierté ne doit pas nous mener à l’assurance et nous faire baisser la garde. Nous devons demeurer vigilants et, surtout, ne rien tenir pour acquis.

Je vous remercie beaucoup. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions avec Me Maillet.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame Landry.

Robyn Maynard, auteure de Noirs sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada, à titre personnelJ’aimerais vous remercier tous de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui.

Je vais profiter du temps qui m’est alloué pour parler aujourd’hui des réalités contemporaines de la diaspora noire au Canada dans le contexte des droits de la personne.

Je suis très alarmée de la montée de la haine que nous observons à la grandeur du pays et dans le monde entier, mais je suis aussi extrêmement préoccupée par le type de discrimination raciale observé, qui est structural, systémique, et qui, de certaines façons, fait toujours partie de la manière dont notre société fonctionne.

Il y a quelques années, les Nations Unies ont déclaré que la décennie serait consacrée à l’étude des réalités des peuples de descendance africaine autour du monde. Après avoir tenu de multiples consultations partout au Canada, elles ont demandé au gouvernement canadien de se pencher sur la vaste gamme de violations des droits de la personne dont étaient victimes les populations noires au pays, y compris des traitements discriminatoires aux mains des policiers, des niveaux d’incarcération et des taux de chômage plus élevés ainsi que le traitement des familles noires dans le système de protection de la jeunesse et les écoles.

Bien sûr, cela est en corrélation avec des données produites dans les documents gouvernementaux par la Commission ontarienne des droits de la personne, la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse et la Commission des droits de la personne du Québec. Dans une nation engagée à l’égard de la Charte des droits et libertés et de la Loi sur le multiculturalisme, nous voyons que les réalités auxquelles font face les Canadiens noirs aujourd’hui, à l’échelle nationale et internationale, devraient être perçues et comprises comme étant inadmissibles.

J’espère que nous pouvons tous nous entendre pour dire que les enfants noirs, les jeunes Noirs et tous les Noirs, quel que soit leur âge, leurs capacités et leur sexe, méritent de pouvoir prétendre à des vies riches, épanouissantes et saines. Quoi qu’il en soit, les données empiriques et les revendications de longue date des communautés noires nous montrent que, à la grandeur du Canada, nous sommes très loin de ce fait.

Comme les Nations Unies l’ont reconnu, et comme mon travail et celui de bien d’autres au Canada l’ont évoqué, la discrimination raciale dont nous voyons les communautés noires être victimes aujourd’hui ne date pas d’hier. Elle remonte au soutien légalisé de ce pays à l’esclavage des Noirs au Canada pendant 200 ans.

Je vais utiliser une partie des minutes à ma disposition pour donner, je pense, une partie des exemples les plus pertinents de l’injustice systémique dont nous continuons d’être témoins.

Premièrement, j’aimerais attirer votre attention sur les réalités auxquelles font face les enfants noirs. J’aimerais simplement vous rappeler à tous que, dans le contexte de l’esclavage, les petits esclaves noirs étaient achetés et vendus comme des biens, parfois pour punir leurs parents, surtout leur mère. Nous avons vu, bien sûr, la pratique légalisée de la ségrégation dans les écoles, qui n’a pris fin en Nouvelle-Écosse et en Ontario qu’en 1983 et 1965, respectivement. Nous pouvons nous pencher sur l’histoire du traitement des enfants noirs en Nouvelle-Écosse dans la Nova Scotia Home for Colored Children où la ségrégation était appliquée et où les cas d’abus étaient répandus et le financement gouvernemental, insuffisant jusqu’au milieu du XXe siècle.

La dévalorisation des enfants noirs est toujours présente aujourd’hui, alors qu’il y a quelques années à peine, une fillette noire de 6 ans s’est retrouvée menottée dans son école; les jeunes Noirs sont pris en charge à un taux cinq fois plus élevé que celui des autres jeunes; les jeunes Noirs à Toronto représentent 8 p. 100 des jeunes, mais 40 p. 100 des jeunes pris en charge, et 65 p. 100 dans d’autres villes. À Montréal, les jeunes Noirs anglophones constituent le tiers des jeunes à la charge de la Protection de la jeunesse. Nous savons que les enfants noirs pris en charge par l’État restent plus longtemps en foyer et sont réunis moins fréquemment que les autres avec leur famille.

Nous pouvons aussi toujours voir la dévalorisation et le manque de protection de longue date des enfants noirs dans les écoles du pays. Dans le plus grand conseil scolaire du Canada, le Conseil scolaire du district de Toronto, près de la moitié des enfants expulsés entre 2011 et 2016 étaient des Noirs. À Halifax, où les jeunes Noirs représentent 8 p. 100 de la population étudiante, ils représentaient 23 p. 100 des cas de suspension en 2015 et 2016.

Une étude récente de l’American Psychological Association nous montre que les enfants noirs continuent d’être perçus comme étant moins innocents, plus âgés qu’ils le sont et moins dignes d’être protégés. Comme je l’ai dit, c’est quelque chose qui doit être inadmissible dans une société.

J’aimerais parler aussi, pour un instant, des réalités des Noirs qui sont si surreprésentés dans le système de justice pénale.

La documentation nous a montré qu’il est très courant que les Noirs doivent décliner leur identité et qu’ils soient arrêtés par la police de façon excessive. Ils sont arrêtés à un taux deux à quatre fois plus élevé que la population en général, pas seulement à Toronto, mais aussi à Kingston, Halifax, Vancouver et Lethbridge. Une autre étude vient d’être publiée hier à Montréal dans laquelle il a été démontré que, à grande échelle, les jeunes Noirs étaient beaucoup plus souvent arrêtés que les autres et victimes de violence et d’épithètes racistes.

Nous avons aussi perdu trop de membres de la communauté noire aux mains de la police. Une récente étude de CBC nous a montré que le nombre démesuré de membres de la communauté noire qui se retrouvent en danger est considérable. Nombre des nôtres pleurent toujours la mort d’Andrew Loku, d’Abdirahman Abdi et de Pierre Coriolan.

Nous savons qu’il y a trois fois plus de Noirs incarcérés que de membres de la communauté noire dans la population générale et qu’il existe des écarts au niveau de la détermination des peines et du recours à la force derrière les barreaux. Nous savons que ce sont des injustices qui perdurent. De plus, les Noirs sont placés en isolement. À titre d’exemple, Arlene Gallone, qui a passé neuf mois en isolement cellulaire il y a seulement quelques années, a maintenant intenté un recours collectif contre Service correctionnel Canada.

Dans un pays si souvent représenté comme ce qu’on appelle le chemin de fer clandestin, nous avons besoin de nous pencher aussi sur les migrants noirs au Canada. Étant donné que près de la moitié de la population noire du Canada est née ailleurs, nous devons aussi étudier la crise de l’incarcération dans le contexte du soutien de longue date du Canada pour la détention indéfinie. J’aimerais attirer l’attention sur le cas de Michael Mvogo, qui a été détenu dans un centre de détention de l’immigration pendant presque 10 ans après avoir purgé une courte peine pour avoir eu en sa possession une petite quantité de cocaïne épurée, pas parce qu’il était dangereux, mais parce qu’on n’a pas réussi à l’identifier de façon satisfaisante. J’aimerais aussi attirer l’attention sur Alpha Anawa, un enfant noir né dans un centre de détention de l’immigration et dont les premiers mots, à deux ans, ont été « contrôle radio », qu’il entendait les gardiens dire aux changements de quart de travail. En 2016 et 2017, le Canada a détenu 162 enfants, et 439 migrants ont été détenus pendant plus de trois mois.

Dans l’esprit de la représentation de la diversité qui fait notre force, alors que le Canada continue d’être perçu comme un bastion des droits des immigrants et des réfugiés, nous constatons que la majorité des migrants qui traversent la frontière de façon irrégulière depuis les États-Unis sont originaires de pays à majorité noire, en particulier des Haïtiens et des Nigérians, juste au moment où le gouvernement vient d’annoncer qu’il est sur le point d’accroître les expulsions de 20 à 30 p. 100 dans les années qui viennent, comme l’a rapporté CBC.

J’aimerais en particulier attirer votre attention sur les réalités des femmes noires qui passent si fréquemment entre les mailles du filet. Elles sont incarcérées, elles aussi, à un taux nettement plus élevé que celui des autres femmes dans la société et continuent d’être sujettes à la brutalité policière, y compris le cas récent de Majiza Philip, dont le bras a été cassé par la police de Montréal en 2014. La façon dont les mères noires continuent d’être la cible des Services à l’enfance et à la famille et se font enlever leurs enfants par eux, souvent pour des raisons extrêmement injustes, des façons qu’on ne voit pas souvent comme un type de profilage racial, est tout aussi dommageable, sinon plus, que ce qui se passe dans les rues.

La présidente : Madame Maynard?

Mme Maynard : Mon temps est-il écoulé?

La présidente : Oui, cela fait un moment. Je sais qu’il y a beaucoup de choses dont vous voulez nous faire part.

Mme Maynard : Merci.

La présidente : J’ai hésité à vous interrompre. Je sais qu’il y aura des questions. Je pense que vous serez en mesure, à ce moment-là, d’aborder certains des autres arguments que vous vouliez soulever. Merci.

Mme Maynard : J’étais sur le point de terminer de toute façon. Merci de m’avoir écoutée.

Cheryl Knockwood, coordonnatrice de la gouvernance, Conseil de bande de Membertou : [Note de la rédaction : Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]

Merci de m’avoir invitée, honorables sénateurs, et de me donner cette occasion de vous faire part de mon point de vue sur les droits de la personne des Autochtones.

Premièrement, j’aimerais souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel des Mississaugas de New Credit, des Anishnaabe, des Haudenosaunee, des Wyandotte et de la nation Huronne ici, à Toronto, où la réunion est filmée.

Dans ma nation, lorsqu’on se présente, il est d’usage qu’on donne non seulement son nom, mais qu’on parle aussi de sa famille et qu’on dise son origine. Je m’appelle Cheryl Knockwood. Je suis une L’nu de Mi’kma’ki. J’ai grandi sur le territoire traditionnel du district de Sikniktuk, et je vis actuellement dans le district de Unama’ki. Le territoire traditionnel des Micmacs englobe le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, la région de Gaspé au Québec et des parties de l’État du Maine.

Je crois savoir que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne tient cette audience pour évaluer les progrès du Canada au chapitre de la promotion des droits de la personne. Le comité m’a invitée à lui faire part de mon point de vue sur les progrès qui ont été réalisés au Canada pour respecter les droits de la personne des peuples autochtones et ce que je pense qu’il reste à faire.

La vérité est que, aujourd’hui, les nations autochtones du Canada sont en crise et le resteront tant que nos droits de la personne collectifs en tant qu’Autochtones, qui sont énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ne seront pas maintenus, respectés et appliqués, et que le processus de décolonisation du Canada ne se sera pas produit.

Récemment, Mme Pam Palmater, militante pour la justice sociale, a décrit avec éloquence l’état de crise actuel au Canada, ou les vérités de la colonisation, qui sont les suivantes : les peuples autochtones ne représentent que 5 p. 100 de la population canadienne, mais constituent la moitié des enfants en foyer nourricier à l’échelle nationale. Au Canada, c’est 90 p. 100; en Saskatchewan, 80 p. 100. Au Canada, 25 p. 100 de tous les détenus fédéraux sont des hommes autochtones et 36 p. 100 sont des femmes autochtones. La principale cause de décès chez les jeunes Autochtones au Canada est le suicide. Chez nous, 60 p. 100 des enfants autochtones vivent dans la pauvreté. Les femmes ou les filles autochtones au pays courent six fois plus de risques d’être assassinées que les femmes non autochtones.

De plus, il y a à peine 150 ans, 100 p. 100 du territoire que l’on connaît maintenant comme le Canada appartenait aux Autochtones. À l’heure actuelle, les peuples autochtones ne possèdent que 0,2 p. 100 de la masse territoriale totale au pays au titre du système de réserves.

Dans un grand nombre de causes, la Cour suprême du Canada a reconnu les droits ancestraux ou issus de traités pour de nombreuses nations autochtones au Canada. Pourtant, nous avons encore de la difficulté à faire mettre en œuvre ces décisions — par exemple, la décision Marshall, rendue en 1999, qui a reconnu les droits issus de traités des Micmacs, des Malécites et des Passamaquoddy de vendre leurs poissons et d’en tirer un revenu modeste. Vingt ans plus tard, aucune communauté des Micmacs, des Malécites et des Passamaquoddy ne pêche en vertu des traités conclus en 1761. Ils le font en vertu d’accords provisoires.

Le Canada compte plus de 600 communautés des Premières Nations. À tout moment, une communauté sur cinq est visée par un avis d’ébullition de l’eau. Les langues autochtones sont dans une situation d’urgence; certaines sont sur le point de disparaître.

Quelles mesures prenons-nous pour faire face à cette situation d’urgence?

Sur Twitter, Cindy Blackstock a dit récemment que nous devons prôner les changements que nous souhaitons voir se produire. Je prône donc aujourd’hui un vrai changement, car les gestes sont plus éloquents que les paroles. Il faut agir. De vrais progrès doivent être réalisés.

Honorables sénateurs, je vais maintenant vous présenter mes recommandations sur les mesures à prendre.

Le Canada doit offrir plus de ressources et de programmes à l’appui des langues autochtones. Alors que le financement fédéral pour l’enseignement du français et de l’anglais représente environ 4 000 $ par enfant, les langues autochtones ne reçoivent que 4 $ par enfant de la part du gouvernement.

Le Canada doit fournir de l’eau potable à toutes les communautés autochtones.

Le Canada doit nous redonner une partie de nos terres et de nos ressources, et non pas simplement souligner que nous nous trouvons sur le territoire de certains peuples autochtones.

Le Canada doit éliminer la discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens.

Le Canada doit indemniser les nations autochtones pour les torts causés par la colonisation et le génocide.

Le Canada doit faire en sorte que les enfants autochtones puissent rester dans leurs communautés et il doit offrir les ressources, les services et les programmes qu’il faut pour que les familles autochtones restent unies.

Le Canada doit fournir les ressources nécessaires pour que les services de police mènent des enquêtes approfondies et en temps opportun sur les femmes, les hommes, les filles et les garçons disparus ou assassinés.

Le Canada doit éliminer les peines minimales obligatoires.

Le Canada doit respecter toutes ses obligations découlant des traités.

En janvier 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a jugé que le Canada agissait de manière discriminatoire envers les enfants des Premières Nations en sous-finançant les services d’aide sociale à l’enfance. Le Canada doit respecter cette décision.

Le Canada doit adopter le projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je suis ravie d’entendre qu’on en est à l’étape de la deuxième lecture au Sénat.

Enfin, la Déclaration des Nations Unies offre une vision pour le changement. Si le gouvernement canadien, avec l’aide des peuples autochtones, peut évaluer les lois du pays, les structures de gouvernance et les systèmes bureaucratiques en fonction de la norme établie dans la Déclaration des Nations Unies, nous pourrons alors élaborer des plans efficaces pour favoriser un changement sur les plans social, juridique et politique. Un examen honnête des structures et systèmes de droit du Canada, à la lumière de la Déclaration des Nations Unies, mené en partenariat avec les peuples autochtones favorisera l’adoption de nouvelles approches sur les politiques et les procédures et de nouvelles idées sur l’élaboration de projets sociaux et économiques. La détermination du gouvernement à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, par conséquent, à rendre nos lois conformes à la déclaration, selon moi, favorisera réellement l’amélioration du respect des droits de la personne pour tous les peuples autochtones.

Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’exprimer mon point de vue.

La présidente : Merci, madame Knockwood.

Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les droits des enfants : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de participer à une discussion importante à un moment historique.

J’aimerais parler du passage des aspirations à la réalisation pour les droits des enfants au Canada.

La Convention relative aux droits de l’enfant est l’un des traités importants pour l’application de la Déclaration universelle de droits de l’homme que nous célébrons aujourd’hui. Le Canada a été un leader dans l’adoption et la ratification de la convention sur les droits de l’enfant. Nous soulignerons son 30e anniversaire l’an prochain. Il s’agit de l’instrument de défense des droits de la personne le plus ratifié.

À l’heure actuelle, le Canada fait l’objet du quatrième examen sur sa mise en œuvre de la convention. On en est presque à cinq mois de retard maintenant concernant le rapport du gouvernement et on n’a pas fait participer la population au processus. La mise en œuvre demeure faible au Canada, et je crois que les témoins qui ont comparu avant moi l’ont dit également. On n’a pas tenu compte de la plupart des recommandations qui ont été présentées dans les examens précédents, même s’il aurait été avantageux de le faire pour les enfants du Canada.

Pourquoi la mise en œuvre est-elle importante? J’aimerais soulever trois points. Premièrement, les faits parlent d’eux-mêmes : les enfants se portent mieux dans les pays qui prennent la mise en œuvre au sérieux. Deuxièmement, la convention est utile pour les politiques publiques qui touchent les enfants. Elle fournit un cadre global et complet qui relie des volets de la politique publique. Les enfants ne vivent pas dans les vases clos des ministères, de sorte que la convention peut fournir un outil utile pour l’intégration de politiques et permettre d’éviter des conséquences imprévues, dont certaines ont été mentionnées. Troisièmement, mettre en œuvre les droits des enfants pourrait améliorer le fonctionnement du fédéralisme canadien.

Quels sont les obstacles à la mise en œuvre? Je vais en mentionner trois rapidement.

Je parle d’un passage des aspirations à la réalisation parce que, à la fin de la guerre froide, la convention était considérée comme un document d’aspirations. On considérait qu’elle portait surtout sur les enfants d’Afrique et d’Asie et peut-être pas tellement sur ceux du Canada. On continue de dire qu’au Canada, les enfants vont bien, à l’exception des enfants autochtones et peut-être ceux d’autres groupes. C’est faux. Les comparaisons qui ont été faites à l’échelle internationale ces dernières années constituent un rappel à la réalité. Elles indiquent que pour bon nombre d’aspects des droits et du bien-être des enfants, le Canada se classe dans la moitié inférieure parmi des pays comparables. De plus, je souligne que la plupart des enfants au Canada ne sont pas informés de leurs droits et de la façon de bien les exercer. Des études indiquent quels sont les avantages concrets lorsque les enfants et les parents connaissent les droits des enfants. Rien ne justifie que le Canada n’ait pas pris les mesures de mise en œuvre de base.

Il y a une opposition culturelle aux droits des enfants. Dans certains cas, on comprend mal ces droits, mais ce n’est pas un obstacle insurmontable. La crainte que les enfants deviennent trop difficiles si on les informe de leurs droits n’est pas fondée. Selon les études, les enfants qui en apprennent à ce sujet respectent davantage leurs enseignants et d’autres responsables, ont moins recours à l’intimidation et sont plus en mesure de trouver ce dont ils ont besoin pour développer leur potentiel. Le Canada se portera mieux si nous réalisons des progrès pour atteindre l’objectif de la convention de faire en sorte que chaque enfant développe son plein potentiel. La convention est parfois décrite comme étant contre la famille, mais en fait, les familles seraient davantage soutenues si la convention était mise en œuvre. Des questions sur les droits des enfants sont soulevées dans différentes communautés culturelles, mais on peut y répondre parce que la convention traite de l’identité culturelle et des questions d’identité de façon positive.

Les structures gouvernementales constituent le dernier obstacle. Le fédéralisme pose un défi. Chaque aspect des droits des enfants relève à la fois des compétences fédérale et provinciale. Chacun continue de jeter le blâme sur l’autre. Depuis plus de 20 ans, j’entends des représentants fédéraux blâmer les provinces qui, de leur côté, disent qu’elles ne reçoivent pas assez d’argent du fédéral. Je crois que la population en a assez de ce jeu des reproches mutuels. La coalition a avancé l’argument selon lequel la mise en œuvre de la convention peut améliorer le fonctionnement du fédéralisme. Il faut cesser de voir le fédéralisme comme une raison de mettre la convention de côté et voir plutôt la convention comme un atout pour le fédéralisme. Pourquoi? Elle se concentre sur les résultats pour les enfants, et non sur le montant d’argent dépensé et la question de savoir qui paiera la facture. On peut alors prendre des mesures plus souples tout en suivant les progrès accomplis à l’égard des objectifs ultimes de sorte que les provinces puissent choisir différentes politiques tout en atteignant l’objectif d’un traitement équitable partout au Canada. Enfin, la transparence et la responsabilité à l’égard du public pour tous les acteurs font partie de la mise en œuvre.

La crise actuelle dans la protection de l’enfance est un bon exemple qui montre que la mise en œuvre de la convention aurait pu améliorer le fédéralisme. C’est encore possible, si nous la prenons au sérieux. Quels sont certains des éléments clés de la mise en œuvre? Je vais nommer quatre orientations.

Premièrement, on doit se servir de la convention comme un outil de politique publique et non la voir seulement comme un idéal onusien abstrait ou un lourd fardeau, comme j’entends parfois des responsables décrire les suivis et la production de rapports. Si nous avions mis la convention en application de façon plus sérieuse, nous aurions découvert plus tôt la situation des enfants autochtones dont la réparation coûte maintenant cher.

Deuxièmement, il faut utiliser les droits des enfants pour faire en sorte que le fédéralisme fonctionne mieux et cesser le jeu des reproches mutuels.

Troisièmement, il faut faire preuve de persévérance politique. Nous avons beaucoup d’énoncés généraux sur le bien-être des enfants. Nous n’avons pas besoin d’autres énoncés généraux. Ce dont nous avons besoin, c’est de la persévérance politique pour réaliser la mise en œuvre sur deux plans. Il faut mettre en place les changements systémiques qui prennent les droits des enfants au sérieux et donner suite à des recommandations précises.

J’espère que votre comité pourra trouver un moyen de jouer un rôle dans l’examen actuel pour qu’on ait ce type de discussion au Canada sur la façon dont nous appliquons les droits des enfants.

Enfin, sur le plan culturel, il y a deux étapes. Premièrement, il faut utiliser les termes des droits des enfants dans les documents publics et les politiques avec constance. Deuxièmement, il faut mieux informer les enfants de leurs droits. Le Canada a la capacité de le faire. Nous pourrions faire en sorte que dans cinq ans, par opposition à l’état actuel des choses où la plupart des enfants ne connaissent pas leurs droits, la plupart sachent comment exercer leurs droits d’une manière qui respecte ceux des autres.

J’ai hâte de répondre à vos questions et de discuter avec vous.

La présidente : Je vous remercie de vos témoignages. Des sénateurs veulent poser des questions.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre présence et de vos témoignages. J’écris des notes, et je n’oublie pas que d’autres sénateurs ont des questions à poser également. Je vais seulement essayer de glisser deux questions.

Madame Landry, on dit que nous avons la responsabilité de dénoncer la haine. On dit également qu’on assiste à une montée de la haine. On nous dit que notre force, c’est la diversité. En tant que musulmane, je sens le changement. Je l’entends. J’ai osé m’exprimer sur les médias sociaux et j’ai reçu des commentaires haineux. J’ai passé la plus grande partie de ma vie au Canada. Le Canada, c’est chez moi. Je suis fière de servir ce pays. Pourtant, on m’a dit : « Retourne chez toi. » Voulons-nous que des groupes racialisés immigrent au Canada et aident à le construire? Voulons-nous qu’ils restent silencieux et n’expriment pas leur opinion? Par exemple, ma fille, une étudiante au doctorat, était en retard pour un vol. Pendant qu’on l’appelait, « Ataullahjan », un des agents de bord s’est mis à rire et l’autre a dit: « Je ne sais même pas si elle comprend l’anglais. » Je pourrais vous donner bien d’autres exemples de ce genre. Que pouvons-nous faire pour que les gens sentent qu’ils appartiennent vraiment au Canada? Mes enfants sont Canadiens. Par exemple, on ne les appelle pas pour des entrevues en raison du nom qu’ils portent, et moi je leur dis de changer leur nom. Où traçons-nous la ligne? Je suis d’accord avec vous; la situation s’est aggravée.

Mme Landry : Je vous remercie de la question, sénatrice.

Je vais inviter ma collègue à intervenir si elle veut ajouter quelque chose, mais voilà pourquoi nous demandons qu’une étude soit menée. Le Canada est différent aujourd’hui par rapport à ce qu’il était il y a 53 ans, avec le phénomène des médias sociaux et le fait que, maintenant, n’importe qui peut être un diffuseur. Nous avons tous des téléphones intelligents et des iPad, et nous avons tous accès aux technologies. À l’école, les enfants peuvent les utiliser. Ils ont presque tous des appareils maintenant, même quand ils sont jeunes, et c’est accessible. Nous devons élaborer une stratégie.

À mon avis, les problèmes liés à la haine, à l’intolérance et à la discrimination et ce à quoi nous faisons face ne peuvent pas être réglés par un seul groupe, qu’il s’agisse de la Commission canadienne des droits de la personne ou d’un autre groupe. Il faudra élaborer une stratégie pour ce faire. Il faudra mener une étude pour comprendre le phénomène et le manque d’empathie dont nous souffrons au Canada, et dans le monde. Il ne s’agit pas seulement du Canada, mais nous ne sommes pas habitués à voir de telles choses au pays, et c’est ce que nous observons. C’est une question sur laquelle nous devons nous pencher.

J’ai donné des entrevues sur des situations qui se sont produites, qu’il s’agisse de la mosquée de Québec ou de la fusillade à Pittsburgh. Je crois fermement que les dirigeants doivent dénoncer la discrimination, la haine et l’intolérance. Ils doivent en parler.

Quand je parle des dirigeants, je parle des politiciens. Nous serons dans une année électorale. Il est très important que nos dirigeants montrent l’exemple et dénoncent l’intolérance et la haine auxquelles nous sommes confrontés. C’est la même chose pour tous les leaders du pays. Oui, il y a des politiciens, mais bien des gens que nous connaissons tous sont dans une position de leadership. Ils peuvent utiliser leur voix. Comment puis-je demander à une personne dans la rue ou à mes enfants de faire quelque chose si un leader ne montre pas, par l’exemple, à quel point il est important de mettre fin à cette situation?

Je demande vraiment qu’une étude soit menée. Je pense que c’est important. Nous ne pouvons pas improviser. Il nous faut comprendre ce qui se passe et le phénomène, soit que tout le monde peut maintenant être un diffuseur. J’espère avoir répondu à votre question en partie.

La présidente : Pouvez-vous attendre au second tour pour poser votre deuxième question? Ma liste est longue, mais j’espère que nous pourrons faire un deuxième tour.

La sénatrice Cordy : Merci infiniment à chacune de vous. Vous nous avez donné tellement d’information précieuse. Malheureusement, nous en avions entendu une grande partie déjà, mais on ne perd rien à répéter les mêmes choses. Nous allons souligner le 70e anniversaire de la Journée des droits de l’homme. Je suis sûre qu’au début, il y a 70 ans, ils ont cru que nous célébrerions cela en grand, mais nous voici, 70 ans plus tard, et nous devons reconnaître qu’il reste tant à faire.

Madame Knockwood, vous nous avez donné une excellente description des jeunes Autochtones, des jeunes en particulier, et de ce qui se passe avec le pourcentage d’enfants pris en charge, par comparaison avec la population générale. Nous menons une étude sur les droits de la personne dans les établissements carcéraux. Nous sommes allés dans les provinces des Prairies — vous nous avez parlé de 25 p. 100 pour la population générale du Canada —, et là, c’est 65 p. 100 des détenus qui sont autochtones. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a quelque chose que nous ne faisons pas comme il faut. Nous savons que le groupe qui connaît la croissance la plus rapide, dans la population canadienne, et celui des jeunes Autochtones, et que si nous ne faisons pas ce qu’il faut pour eux, nous causons du tort à l’ensemble du pays. C’est le groupe qui connaît la croissance la plus rapide.

Vous nous avez fait des suggestions concernant ce que nous devrions faire, par exemple, concernant la langue, la salubrité de l’eau, les terres, ce genre de choses. Je m’intéresse plus particulièrement à votre observation sur les ressources pour les services aux enfants. Je pense que la même chose est valable, madame Maynard, pour les familles noires, compte tenu des statistiques que vous avez fournies. Si nous ne faisons rien pour aider les familles — les mères, les pères, les jeunes — à croître et à devenir ce qu’elles peuvent être, afin d’aider le Canada et leurs gens, rien ne fonctionnera. Pouvez-vous nous dire un peu plus précisément ce que nous devrions faire pour les enfants et leurs familles, dans ces deux groupes?

Mme Knockwood : Je vous remercie de cette question, honorable sénatrice.

En ce qui concerne ce que nous pouvons faire pour les familles et les jeunes Autochtones des collectivités, un des problèmes auxquels nous faisons face est que les services à l’enfance et à la famille que nous avons créés et qui sont utilisés dans de nombreuses collectivités autochtones en ce moment ont été conçus selon le modèle des services à l’enfance et à la famille de la province. Nous devons examiner et réévaluer les structures qui ont été créées pour le placement familial et les familles en fonction de ce qui se passe dans les collectivités, et nous devons réévaluer les institutions. Nous devons nous tourner vers nos cultures, nos traditions et notre sagesse, transmises par nos aînés, envisager de repenser certaines des institutions qui ont en ce moment la responsabilité de résoudre le grave problème qui fait que nous sommes en état de crise, et envisager de créer de nouvelles institutions correspondant mieux aux besoins et aux enjeux des collectivités des Premières Nations. Cela serait vraiment d’une grande aide.

L’autre chose est de fournir plus de ressources pour les familles qui ont de la difficulté. Si tant d’enfants sont pris en charge, c’est, entre autres, à cause de la pauvreté. Nous devons nous attaquer à la pauvreté pour veiller à ce que les enfants demeurent dans leurs familles et leurs collectivités. Nous devons nous pencher là-dessus aussi. De nombreux rapports et études ont porté là-dessus. Nous devons nous attaquer à ce problème.

Ce sont les deux observations que je voulais faire.

Mme Maynard : Merci beaucoup. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Knockwood.

J’aimerais ajouter qu’il est absolument nécessaire d’accorder la priorité aux initiatives menées par la communauté, par les membres et les éducateurs de la communauté noire, pour résoudre le problème des taux d’expulsion de jeunes Noirs, dans les écoles, et les initiatives menées par la communauté pour que les enfants noirs demeurent avec leurs familles. Les ressources qu’il faut sont énormes, pour le placement d’un jeune Noir — comme je l’ai mentionné, ils sont pris en charge de façon disproportionnée —, et cela correspond souvent au double de ce que font les familles noires, et en particulier les mères monoparentales noires.

L’une des principales causes de placement d’enfants noirs et autochtones est la pauvreté, mais nous n’avons toujours pas vu d’investissements importants dans des solutions à la pauvreté massive des enfants noirs et des familles noires. À cause de cela, on continue de voir les familles comme étant négligentes, alors que ce qui est négligent, en fait, c’est que l’on continue de loger les familles noires dans des logements sociaux qui sont invivables ou insuffisamment financés. Les communautés noires, plus généralement, n’ont pas le soutien financier communautaire qu’il leur faut.

Je voulais aussi mentionner, en particulier quand on parle des jeunes Noirs, qu’il faut que l’on condamne le traitement que la police continue de réserver aux jeunes Noirs et qu’on y mette fin. Nous devons garder à l’esprit qu’il s’agit souvent d’enfants ou d’adolescents qui, comme l’indique le rapport Livingstone publié hier, subissent ces types horribles de violence et d’exclusion. Il faut une condamnation générale des pratiques policières qui permettent le harcèlement et le ciblage des jeunes Noirs et un engagement contraignant pour y mettre fin. Je pense en particulier à ce qu’on appelle souvent les initiatives ciblant les gangs de jeunes, dont le but est réellement, comme me l’ont dit tant de jeunes Noirs à qui j’ai parlé, de criminaliser les jeunes Noirs qui se retrouvent à trois ou plus dans des lieux publics et qui sont vus comme formant un gang. Il faut que ce soit condamné et que cela change.

La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à vous, madame Maynard. Je reviens sur ce que la sénatrice Cordy a demandé, concernant les problèmes familiaux dont vous parlez. L’une des questions auxquelles je travaille, et ce, depuis un bon moment, c’est la stérilisation forcée des femmes autochtones. J’aimerais savoir si vous avez constaté ce problème dans les communautés noires avec lesquelles vous avez traité.

Mme Maynard : Je ne suis pas une experte de ce sujet en particulier. Je travaille comme défenseure des intérêts communautaires et je suis travailleuse de proximité depuis des années, et je peux vous dire que, généralement, le traitement que l’on réserve aux femmes noires dans les systèmes de soins de santé est atroce. Des études américaines montrent, par exemple, que les femmes noires qui ont dit ressentir de la douleur sont souvent perçues comme ressentant moins de douleur que d’autres femmes. J’ai vu des femmes à qui on a refusé des services et que l’on n’a pas cru, parce qu’on croyait qu’elles essayaient d’obtenir des médicaments antidouleur. Il y a eu une enquête secondaire sur les réalités des femmes noires dans les systèmes de soins de santé. Il faut accorder la priorité à cela pour que les vies des femmes noires soient valorisées dans notre société. Je ne peux donc pas vous parler précisément de la stérilisation, mais je peux vous dire, plus généralement, que les femmes qui sont traitées avec négligence ont un accès très limité aux soins de santé reproductive, à la liberté et à l’autonomie, compte tenu surtout du taux élevé de femmes noires qui sont derrière les barreaux, là où nous savons que depuis les années 1990, on refuse de donner du lait et des vitamines aux femmes noires qui sont incarcérées.

La sénatrice Pate : Merci à vous toutes d’être venues témoigner aujourd’hui, mais merci surtout du travail auquel vous avez consacré votre vie et de vos nombreuses contributions aux Canadiens et à vos communautés respectives, ainsi qu’à nous tous.

Je voulais revenir sur deux choses. La pauvreté fait partie intégrante de tous les aspects que vous avez abordés. L’un des éléments qui m’intéressent particulièrement, surtout à la lumière de la recherche qui a été publiée, quelque minimes que soient les exemples, est l’effet que pourrait produire d’après vous un revenu de subsistance garanti sur les divers groupes avec lesquels vous travaillez, que ce soit les jeunes ou d’autres groupes. Nous ne parlons pas d’un revenu de base, mais bien d’un revenu de subsistance garanti. Nous avons entendu beaucoup d’exemples pour illustrer comment cela pourrait aider les communautés autochtones et noires. J’aimerais connaître votre point de vue sur la façon dont cela pourrait être relié aux services sociaux, non pas comme solution de remplacement, mais comme moyen d’atténuer le contrôle exercé sur les familles concernant les revenus et d’autres enjeux que vous avez toutes les deux mentionnés, mesdames Knockwood et Maynard.

Mme Knockwood : Merci de vos questions, honorable sénatrice.

J’ai récemment lu un livre dont l’auteur est Bernie Sanders, qui a été candidat à la présidence américaine. L’une des choses qu’il recommandait aussi était un revenu minimum garanti. Je crois que cela serait vraiment efficace pour tous. J’appuie cela.

Mme Maynard : Je suis également pour. Bien entendu, comme vous l’avez dit, cela ne peut se substituer aux mesures visant à réparer les injustices commises et tant d’autres problèmes. Par exemple, je ne crois pas que le versement d’un revenu de subsistance garanti nous débarrasserait du problème de la mise sur fiche. Cependant, s’attaquer à l’injustice économique, en particulier parce qu’elle a continuellement répondu à des critères raciaux au fil de l’histoire du Canada, représenterait une intervention dans une situation qui est souvent invivable pour tant de familles noires. Ce serait une étape essentielle vers la justice raciale, économique et sociale.

Mme Vandergrift : J’ajouterais à cela que c’est une option que nous devons envisager, mais vous avez mentionné une des préoccupations soulevées concernant les enfants. Nous savons que pour aider les enfants en sortant leur famille de la pauvreté, il faut souvent conjuguer l’aide au revenu du ménage et l’aide communautaire. La crainte, c’est que si l’on voit le revenu annuel garanti comme étant la solution, on risque de négliger d’autres éléments importants. Concernant la stratégie émergente en matière de réduction de la pauvreté, nous souhaitons voir des cibles beaucoup plus ambitieuses, pour la lutte contre la pauvreté des enfants, de manière à résoudre les problèmes que nous avons entendus ici, et nous souhaitons aussi que soient combinés le soutien du revenu des ménages et les services de soutien.

Mme Landry : Comme nous le savons tous, la pauvreté amplifie la discrimination. C’est certainement un des outils que la CCDP, la Commission canadienne des droits de la personne, appuierait, comme moyen de lutter contre la discrimination.

La sénatrice Hartling : Merci à vous toutes d’être présentes en cette journée de commémoration de 70 années de promotion des droits de la personne, bien qu’il reste encore beaucoup à faire.

Madame Landry, je pense à l’étude que vous nous avez suggéré de faire sur les questions de droits de la personne et à la façon dont nous ferions cela. Vous êtes toutes invitées à répondre. Qu’est-ce qui alimente cette haine au Canada? J’ai remarqué, dans les actualités de la semaine dernière, que les nombres sont en hausse concernant les hommes noirs et les hommes musulmans. Qu’est-ce qui alimente cela? Il me semble que ce n’était pas ainsi au Canada, avant. Qu’est-ce qui se passe? Cela m’inquiète, car ce ne sont pas nos valeurs, au Canada. Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de cela?

Mme Landry : Je vais citer Nelson Mandela.

Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de ses origines, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, ils peuvent apprendre à aimer, car l’amour jaillit plus naturellement du cœur humain que son opposé.

Je crois que c’est un phénomène lié aux médias sociaux et à toute la technologie. Nous sommes à une époque où les gens manquent d’empathie, et c’est ce qui se produit en l’absence d’empathie et de compassion. Nous ne nous mettons pas à la place des autres, et nous établissons de moins en moins de liens les uns avec les autres. Si quelqu’un parle d’un enfant musulman ou d’un enfant noir, les gens ne se sentent pas touchés par cela. Nous sommes plus individualistes, et je crois que c’est un des problèmes. Il faut que nous arrivions à comprendre d’où cela vient pour pouvoir y faire face.

Mme Vandergrift : L’une des choses que j’aimerais souligner, c’est ce que la preuve démontre à propos des enfants qui apprennent leurs droits dans des écoles où les droits sont respectés. Nous devons commencer tôt à enseigner le respect. Selon la preuve, si vous l’intégrez dès le début dans le système scolaire et que les enfants apprennent à avoir des comportements respectueux, l’attitude est différente. La recherche vient essentiellement du Royaume-Uni, mais elle est pertinente pour le Canada.

Nous ne faisons pas cela au Canada. Nous ne commençons pas tôt. La plupart des enfants n’apprennent rien sur leurs droits. Les droits de la personne sont enseignés en septième ou en huitième année. C’est enseigné dans les cours sur la citoyenneté, pour préparer les jeunes à voter. Ce n’est pas enseigné aux enfants pour qu’ils mettent cela en pratique maintenant. Le respect des droits se fonde sur les relations et sur la création d’un espace pour chacun. Ce n’est certainement pas la seule solution; il faut d’autres stratégies. Je ne comprends vraiment pas pourquoi nous n’avons pas adopté cela. Nous avons réalisé une enquête auprès de tous les systèmes d’éducation provinciaux, et nulle part on n’enseigne de façon crédible les droits que les enfants ont.

Mme Knockwood : J’aimerais ajouter quelque chose. On pourrait en dire long sur cela. Parfois, il faut juste se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il vit.

J’ai eu l’occasion de voir un exercice appelé l’exercice de la couverture. Je ne sais pas si les sénateurs ont eu l’occasion de faire cela. De toute évidence, c’est mon histoire et je l’ai vécue. Quand j’ai participé à cela, j’étais probablement une des trois personnes membres des Premières Nations dans un groupe d’environ 40 personnes. Cet exercice a été très puissant pour moi ainsi que pour tous les autres, car il a donné l’occasion à tous les participants de reconnaître l’histoire tragique vécue par les peuples autochtones au Canada, à partir du premier contact. Lire sur le sujet et en voir des bribes dans les médias, ou en apprendre un peu à l’école, cela n’a pas un effet aussi formidable que de participer à un exercice de couverture qui dure deux heures. Je crois que toutes les institutions au Canada qui travaillent avec les Premières Nations — peut-être même tous les établissements d’enseignement au Canada — devraient prévoir, à un moment donné, un exercice semblable à l’exercice de la couverture, pour que les gens aient l’occasion de ressentir cette tragédie et de la comprendre.

Une fois qu’on ressent de la compassion pour un groupe autre que le sien, les possibilités de discussions sont meilleures, de même que les possibilités de jeter les ponts qui sont tellement nécessaires pour veiller à ce que la haine ne prolifère pas au Canada. La haine se nourrit de l’ignorance et de la peur de l’inconnu. Jetons de la lumière sur l’inconnu et sur les expériences, et ne nous limitons pas au volet académique. Je crois que l’exercice de la couverture a beaucoup contribué à l’éducation et, ainsi, à la compassion, et c’est ce qu’il nous faut, d’après moi. Merci.

Mme Maynard : Je veux que nous nous rappelions que cette montée de la haine ne vient pas que de l’extérieur de notre société. Je veux revenir aux facteurs systémiques. Nous vivons au sein d’institutions qui, faute de s’être réformées, continuent souvent de tolérer l’injustice racialisée : les vies des enfants noirs ne sont pas valorisées dans les écoles et dans les foyers d’accueil où ils se retrouvent souvent, et les Noirs qui vivent une crise de santé mentale sont tués sans qu’il y ait de conséquences. La discrimination systémique constante est une forme de tolérance tacite de la haine, car on tolère certaines formes de déshumanisation et on permet qu’elles soient légales et acceptables. C’est ainsi que la déshumanisation se poursuit et qu’elle suscite le type de haine que nous voyons.

La haine n’est pas que populiste. Elle est aussi en hausse chez de nombreux dirigeants politiques. Je songe à Doug Ford, qui parle des gens qui ont des enfants au Canada en disant qu’ils ont des bébés d’ancrage, une formule très racialisée. Je pense aussi à d’autres politiciens conservateurs de droite et, par exemple, à l’annonce conservatrice dans laquelle on voit un homme noir qui franchit la frontière, et où l’on dit que le Canada doit mettre fin à ce qu’il vient de commencer. Nous devons chercher à comprendre d’où cela vient. Cela ne vient pas que de la population, mais aussi des dirigeants politiques. Malheureusement, cela fait encore partie des institutions canadiennes. À moins d’un engagement complet en vue de remédier à ces injustices d’une façon plus généralisée, nous ne serons pas en mesure de faire face à la montée des discours haineux racialisés à l’extérieur de ces institutions.

La présidente : Je suis désolée, chers collègues. Nous n’avons pas le temps de faire une deuxième série de questions; nous avons un deuxième groupe de témoins.

Je vous remercie tous d’avoir témoigné aujourd’hui, d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir aidés à mieux connaître les lacunes en matière de droits de la personne au pays qui nécessitent toujours notre attention. Merci de votre travail quotidien à cet égard.

Aujourd’hui, pour la deuxième heure, nous accueillons quatre témoins. Nous avons demandé à chacun de faire un exposé de cinq minutes, selon une perspective internationale. Ils feront leur exposé selon l’ordre des présentations. Nous accueillons donc M. Martin O’Hanlon, président de SCA Canada, le Syndicat des médias, à la Fédération internationale des journalistes; M. Jean-Nicolas Beuze, représentant du HCR au Canada, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés; Mme Alice Kim, qui est interne au bureau de la sénatrice Martin et qui participe à un programme de stages pour les jeunes transfuges de la Corée du Nord; et, enfin, M. Mohammed Emrul Hasan, vice-président, efficacité et qualité des programmes, à Plan International Canada.

Martin O’Hanlon, président, SCA Canada, Le Syndicat des médias, Fédération internationale des journalistes : Sénatrices, sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à parler des droits des journalistes en ce 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

J’aimerais être porteur de bonnes nouvelles, mais je suis navré de dire que pour les journalistes, la situation ne fait qu’empirer partout dans le monde. La liberté d’expression, en particulier la liberté de la presse, est gravement menacée partout sur la planète. Depuis longtemps, divers gouvernements — de l’Arabie saoudite à la Russie en passant par Cuba — restreignent la liberté d’expression des journalistes. Or, maintenant, de nombreux pays récidivistes, en particulier la Chine, ont intensifié la répression et utilisent la technologie pour étouffer la dissidence et bloquer le partage d’informations sur les médias sociaux.

Ce qui est encore plus troublant, c’est qu’on assiste, dans des pays autrefois progressistes comme la Pologne, la République tchèque, la Hongrie et les Philippines, à l’émergence de démagogues et de partis ultraconservateurs ouvertement hostiles aux médias. La Turquie, qui était auparavant un pays laïque, vient maintenant au premier rang mondial pour l’emprisonnement de journalistes. En effet, des centaines de journalistes font l’objet de fausses accusations et beaucoup ont reçu des peines de plusieurs années de prison. À cela s’ajoutent les États-Unis, où l’odieux président Trump et ses facilitateurs républicains sont une menace à la liberté de la presse et à la démocratie.

Soyons clairs : le journalisme est un pilier de la démocratie et toute attaque contre les médias est une attaque contre notre système démocratique et notre mode de vie. Il est essentiel que les pays progressistes, modérés et responsables comme le Canada dénoncent publiquement toute menace à la liberté de la presse, que nous exercions des pressions diplomatiques sur les autres pays pour qu’ils s’améliorent et que nous frappions les pires pays délinquants de sanctions économiques, si nécessaire.

Restreindre les droits des journalistes est une chose. Cependant, dans bien des pays, la situation est encore plus désastreuse. De 2012 à 2016, selon les données de l’UNESCO, au moins 530 journalistes ont été tués et 90 p. 100 de ces crimes demeurent impunis. L’impunité règne.

Des centaines de journalistes sont emprisonnés. Tous les jours, des travailleurs des médias sont attaqués, battus, détenus, harcelés ou menacés. La sécurité en ligne est de plus en plus menacée. Les cyberattaques, le piratage et le harcèlement en ligne, en particulier contre les femmes journalistes, entraînent une crise de la sécurité parmi les professionnels des médias.

Derrière chaque statistique se trouve une tragédie humaine, un décès, un kidnapping, une personne qui perd une mère, un père, un frère ou une sœur. Derrière chaque statistique se trouve un pays ou une communauté sans information qu’on prive de son droit d’être bien informé.

C’est la frustration croissante découlant de l’inaction et, souvent, du manque de volonté de s’attaquer à l’épineux problème de l’impunité qui a incité la Fédération internationale des journalistes a demandé la tenue d’une convention internationale sur la sécurité des journalistes et des professionnels des médias. Ce serait l’occasion de réunir l’ensemble des règles internationales encadrant la profession de journaliste en un seul instrument qui comprendrait des dispositions sur les droits de la personne et sur le droit humanitaire. Cela inclurait l’obligation de protéger les journalistes contre les atteintes à leur vie, les arrestations arbitraires et les campagnes de violence et d’intimidation; l’obligation de les protéger contre les enlèvements et les disparitions forcées; l’obligation de mener des enquêtes efficaces sur les cas d’ingérence présumée et de traduire les responsables en justice; l’obligation, dans le contexte de conflits armés, de traiter les travailleurs des médias et les installations des médias comme étant du domaine civil.

Une déclaration de principes par l’intermédiaire d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU pourrait être la première étape du processus. Bien que non contraignante, une telle déclaration permettrait de clarifier le droit et d’exprimer la détermination de la communauté internationale à lutter contre l’impunité dans le cas d’attaques contre les journalistes et serait la fondation pour l’adoption éventuelle d’un instrument contraignant. Je souligne que toutes les conventions sectorielles de l’ONU, les conventions sur les droits des femmes, sur les enfants et sur les personnes handicapées, ont chacune été précédées d’une déclaration de l’assemblée générale.

Nous avons demandé au gouvernement du Canada d’appuyer publiquement la tenue de la convention. Nous espérons avoir l’appui du comité et du Sénat en général.

Je sais que je suis ici pour parler du contexte international, mais avant de terminer, j’aimerais parler brièvement de la situation au Canada, qui suscite des préoccupations, même si elle est moins grave. Plus tôt cette année, le journaliste Antoine Trépanier, de Radio-Canada, a été arrêté de l’autre côté de la rivière, à Gatineau, alors qu’il faisait simplement son travail, qui est de poser des questions. Il a été arrêté en raison d’une plainte frivole de harcèlement déposée par une personne qui n’aimait pas ses reportages. Cela n’aurait jamais dû se produire. Toujours cette année, un juge a ordonné à la journaliste Marie-Maude Denis, de Radio-Canada, de révéler sa source dans le cadre du procès d’une affaire de corruption au Québec. L’affaire est maintenant devant la Cour suprême. La semaine dernière, la Cour suprême a ordonné au reporter Ben Makuch, de Vice Media, de remettre aux autorités les informations qu’il a recueillies sur un combattant de l’EIIS qui fait l’objet d’accusations.

Soyons clairs : les médias ne sont pas et ne devraient jamais être un organe de l’État. En tant que journalistes, nous avons le devoir d’empêcher quiconque, en particulier les autorités, d’entraver la liberté de la presse. C’est pour cette raison que notre syndicat fera maintenant pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il renforce la Loi sur la protection des sources journalistiques afin de mieux protéger les sources.

Je vous remercie de votre temps. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La présidente : Merci.

Jean-Nicolas Beuze, représentant du HCR au Canada, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : Je ne suis pas davantage porteur de bonnes nouvelles que Martin. Je suis sûr que nos collègues, partout dans le monde, constatent aussi la détérioration de la situation des réfugiés. Comme vous le savez peut-être, l’UNHCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a aussi comme mandat de trouver des solutions au problème de l’apatridie.

Je tiens à rappeler à tous que l’article 15 de la déclaration universelle indique sans équivoque que tous ont droit à la nationalité. À l’heure actuelle, plus de 10 millions de personnes dans le monde ne peuvent se réclamer de la protection d’un État, ce qui nuit considérablement à leur capacité de revendiquer leurs droits fondamentaux de la personne.

J’ai eu l’honneur d’informer le comité sur la situation des Rohingyas, peut-être le groupe d’apatrides le mieux connu. Ils sont probablement plus de 1,4 million, sans compter les nombreux Rohingyas du Bangladesh qui sont maintenant dans cette catégorie. Nous avons aussi des populations apatrides, même au Canada. Il est en outre difficile de trouver des statistiques sur le nombre de personnes qui ne réclament pas leur citoyenneté canadienne.

Permettez-moi de passer à l’article 14, le droit de demander asile. Comme vous le savez, nous avons assisté à un nombre sans précédent de déplacements forcés. De 2016 à 2017, le nombre de réfugiés est passé de 22 millions à 25 millions, donc 3 millions de réfugiés supplémentaires en une seule année. Il s’agit de la pire année qu’on ait vue depuis la Seconde Guerre mondiale.

À cela s’ajoutent 40 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui sont confinées à ses frontières et qui décident de ne pas franchir une frontière internationale. La décision de partir de chez soi est une décision difficile pour tout être humain. En somme, nous franchirons bientôt le cap des 70 millions de personnes déplacées en raison d’un conflit, de la violence généralisée et de la persécution.

Il importe de noter que la déclaration universelle protège tous les droits qui justifient une demande d’asile, s’ils ne sont pas respectés par l’État : liberté d’expression; droits des journalistes; liberté d’opinion politique et de religion; protection des minorités. Le droit d’une personne de ne pas être renvoyée dans un pays où elle risque d’être soumise à la torture — visée par une interdiction absolue enchâssée à l’article 5 — est l’une des pierres angulaires du cadre international pour les réfugiés.

Il est aussi intéressant de souligner que la Convention sur les réfugiés de 1951 est le premier instrument en matière de droits de la personne à être reconnu officiellement par les États membres après la déclaration universelle qui, comme vous le savez, était au départ un instrument non juridiquement contraignant adopté par l’assemblée générale. C’était la première fois que les États membres affirmaient le droit de toute personne de demander l’asile lorsqu’un pays manque à son obligation de protéger les droits de la personne. Par conséquent, les États ont l’obligation d’accepter et d’accueillir les demandeurs d’asile et de les traiter équitablement.

Partout dans le monde, les frontières sont fermées aux réfugiés. Ce ne sont pas nécessairement les frontières des pays aux premières lignes, mais plutôt celles des pays occidentaux. On constate une recrudescence de la rhétorique xénophobe et populiste à l’égard des réfugiés, des migrants et des étrangers en général. Comme vous le savez très bien, ce pays n’est pas immunisé contre un tel détournement du débat à des fins politiques, contre l’utilisation des informations transmises au public pour susciter la peur plutôt que pour rassurer la population en faisant valoir que nous avons des mécanismes pour répondre aux besoins des personnes qui demandent spontanément l’asile au Canada ou des 30 000 réfugiés que le Canada accueille chaque année.

Je voulais simplement attirer votre attention sur la situation au Canada en raison de dégradation du débat qu’on observe ces derniers mois sur la question des réfugiés et des personnes qui entrent au pays par des moyens irréguliers. J’insiste sur le terme « irrégulier ». Ce ne sont pas des actes illégaux. On parle ici des personnes qui sont entrées de manière irrégulière et spontanée par le chemin Roxham, à Lacolle, au Québec. On compte un peu plus de 20 000 personnes cette année, le même nombre que l’an dernier. Ajoutez 30 000 personnes arrivées par les points d’entrée réguliers, notamment les aéroports, pour un total de 50 000 demandeurs d’asile au Canada.

Cela correspond au nombre de personnes accueillies par le Bangladesh au plus fort de la crise des réfugiés rohingyas. Le Bangladesh a accueilli plus de 700 000 personnes au total, dont 50 000 en une seule journée, la pire de toutes. Le Bangladesh a maintenu la frontière ouverte et a surpassé ses obligations afin d’accueillir ces réfugiés dans une région du pays très densément peuplée, avec toutes les difficultés que cela comporte sur le plan des ressources.

Plus près de nous, je tiens à souligner que la situation se détériore au Salvador, au Guatemala et au Honduras, ce qui est à l’origine de la caravane récemment arrivée au Mexique. On parle de gens de la communauté LGBTQ, de femmes et d’enfants qui fuient pour échapper au viol et à la violence systématiques par des membres de groupes criminalisés et à l’enrôlement forcé dans ces groupes.

En terminant, je souligne que la situation se détériore aussi au Venezuela, où 5 000 personnes quittent le pays tous les jours. Je pense que tout ceci est très représentatif de l’ampleur du problème des réfugiés.

La présidente : Merci beaucoup.

Alice Kim, à titre personnel : Merci à tous de l’invitation à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Alice. Je suis au Canada en tant que participante au projet des pionniers de HanVoice, le plus important organisme sans but lucratif du Canada axé sur les questions liées aux droits de la personne et aux réfugiés en Corée du Nord. HanVoice a créé le projet des pionniers pour aider les réfugiés comme moi à acquérir et à développer les compétences nécessaires pour mieux faire connaître la Corée du Nord. Aujourd’hui, je suis ici pour raconter l’histoire de ma famille. J’espère présenter un portrait de la réalité en Corée du Nord et illustrer le rôle que le Canada peut jouer pour changer les choses.

Je suis née à Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord, en 1995. Mes parents faisaient partie de l’élite de haut rang du Parti des travailleurs de Corée. Mon père était général et ma mère était secrétaire de haut rang dans la garde rapprochée de Kim Il-sung.

En 1996, mon père a été promu au poste de diplomate, en Chine. Ma mère et moi l’avons accompagné en Chine. Nous n’y sommes pas restés longtemps, car la situation en Corée du Nord a commencé à évoluer très rapidement. Après le décès de Kim Il-sung, en 1994, le pays a connu une famine qui a perduré pendant de nombreuses années. Pendant la transition du pouvoir, en 1994, Kim Jong-il a instauré la politique de Songun, qui signifiait que l’armée avait la priorité absolue. La famine continuait de détruire le pays; mon père a dit, devant d’autres, que les politiques de Kim Jong-il causaient plus de tort que de bien. Peu après, il a reçu l’ordre de retourner en Corée du Nord immédiatement. On l’avait dénoncé aux autorités supérieures. Mon père a compris qu’il était devenu une menace à l’accession au pouvoir de Kim Jong-il et que nos vies étaient en danger.

Mon père a retardé son retour en Corée du Nord; sa tête a été mise à prix. Un soir, il a senti qu’on appuyait un fusil à côté de son oreille. Mes parents ont immédiatement commencé à planifier la fuite. Mon père avait des contacts dans d’autres missions diplomatiques, y compris celle du gouvernement portugais à Macao. Ils ont accepté d’aider mon père à fuir la Chine pour se rendre en Corée du Sud. Comme vous le savez peut-être, Macao a été occupée par les Portugais pendant près de 200 ans et a été rendue à la Chine en 1999. Les Coréens du Nord ne peuvent donc plus sortir de Chine en passant par Macao.

Fin décembre 1997, peu de temps avant le début de la présidence de Kim Dae-jung, nous avons quitté Macao par avion pour nous rendre en Corée du Sud. Vous savez peut-être déjà que Kim Dae-jung a reçu le prix Nobel de la paix pour sa politique du « rayon de soleil ». Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que cette politique a eu une incidence considérable sur les politiques nationales relatives aux réfugiés et sur les attitudes à leur égard. Pour maintenir des relations positives avec la Corée du Nord, le sort des réfugiés était écarté des discussions. Pour empirer les choses, la région s’est retrouvée dans une crise financière la même année, plongeant le pays dans un chaos économique. Nous sommes arrivés en Corée du Sud au pire moment pour une famille nord-coréenne. L’idée de nous offrir une aide financière n’était pas bien perçue, et on n’accordait plus d’importance à la connaissance des rouages internes d’un gouvernement secret.

En découvrant l’histoire de ma famille, j’ai compris l’incidence sur le cours de nos vies de frontières tracées à des moments cruciaux de l’histoire. Si Roosevelt et Staline n’avaient pas divisé notre pays en deux en 1945, y aurait-il une Corée du Nord et une Corée du Sud, ou des réfugiés coréens? Si Kim Il-sung n’était pas décédé subitement, mes parents feraient-ils toujours partie de l’élite respectée de la Corée du Nord? Si le Portugal n’avait pas contrôlé Macao, à l’époque, ma famille aurait-elle pu fuir? Si nous n’étions pas arrivés là-bas pendant la présidence de Kim Dae-jung et la crise du FMI, aurait-on souligné l’arrivée d’une famille de réfugiés survivants?

J’ai fait une demande dans le cadre du programme HanVoice Pioneer pour agir comme ambassadrice afin de contribuer à effacer la frontière la plus profonde ayant définie mon identité. Je souhaite la réunification des deux Corées, parce que cette frontière n’aurait jamais dû être au départ, et surtout, dans mon cas, parce qu’elle nous a forcés à abandonner des êtres chers derrière nous. Quand mon père a été affecté en Chine, notre famille a été forcée de laisser derrière elle ma sœur aînée, suivant la politique qui s’appliquait aux diplomates. Elle constituait une assurance-dépôt. Nous ne savons toujours pas à ce jour si les membres de notre famille, y compris ma sœur aînée, sont encore en vie. Elle avait 6 ans à l’époque, et aujourd’hui, elle en aurait 28.

Si je refuse d’être une réfugiée nord-coréenne silencieuse, c’est pour cette raison. C’est aussi pour cette raison que je me tourne vers le gouvernement et le peuple canadiens pour leur demander d’agir. Je suis une humble nord-coréenne qui se présente devant vous aujourd’hui pour rappeler au gouvernement canadien et aux décideurs que les frontières que vous tracez ont des répercussions concrètes dans la vie des gens. J’espère que mon histoire encouragera les décideurs canadiens à poursuivre la conversation avec les gens dans le besoin afin que nous puissions adopter des politiques ouvrant la voie à un avenir meilleur pour le peuple nord-coréen et pour que je puisse enfin, un jour, retrouver ma sœur aînée grâce à vos efforts et à votre aide.

Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de nous avoir raconté votre histoire.

Mohammed Emrul Hasan, vice-président, Efficacité et qualité des programmes, Plan International Canada : Merci, madame la présidente, mesdames les vice-présidentes, et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vais vous présenter des observations le cœur rempli d’espoir, de même que des récits qui vont rejoindre ceux d’autres témoins.

Nous sommes très heureux d’avoir l’occasion de célébrer les avancées mondiales et de réfléchir à la façon dont le Canada peut demeurer un chef de file sur la scène internationale en faisant la promotion des droits de la personne pour tous, y compris les enfants et en particulier les filles. Je vais me concentrer sur le contexte international, mais en y intégrant le contexte canadien, car il y a des enfants partout sur la planète.

Comme nous sommes une des organisations de développement les plus importantes du monde, travaillant depuis plus de 80 ans à promouvoir les droits des enfants et l’égalité pour les filles, nous savons que la communauté internationale se trouve à une période charnière qui présente à la fois de grands défis et de grands espoirs pour les enfants, en particulier les filles.

Nous avons fait, à n’en pas douter, de nombreux gains dans le monde et, au Canada, en adoptant d’excellentes politiques législatives sur l’égalité et la non-discrimination et en mettant en place des initiatives institutionnelles pour aider les filles à réussir, notamment grâce à l’accès à l’éducation primaire, des taux de mortalité sous les 5 p. 100, et cetera. Nous observons également une recrudescence du militantisme social chez les femmes et les filles, ainsi que chez les garçons, les hommes et les personnes se réclamant d’autres identités de genre au Canada et partout dans le monde, qui veulent continuer à défendre leurs droits. Ces gains méritent d’être célébrés.

On sent, chez tous les gouvernements qui décident d’adhérer aux objectifs de développement durable, un engagement ferme à ne laisser personne derrière et à protéger les droits de la personne pour tous.

Malgré cela, nous sommes témoins tous les jours de normes sociales et de genre discriminatoires qui continuent de perpétuer les inégalités qui empêchent les filles d’aller à l’école, de faire entendre leurs voix et de faire des choix. Elles ne peuvent ni décider de leur corps, ni de leur avenir, ni de vivre à l’abri de la violence et des mauvais traitements. Dans trop d’endroits dans le monde, on considère la situation comme normale. Malheureusement, aucun pays, y compris le Canada, n’a réussi à atteindre une parfaite égalité des genres.

Nous savons que la situation de millions de filles dans le monde, y compris au Canada, nous échappe en raison de l’absence de données crédibles et opportunes. Sans ces données, il nous est impossible de définir avec précision les problèmes auxquels font face les filles et de mesurer les progrès réels.

Nous savons également que la protection des enfants est un problème qui a été négligé partout dans le monde. La violence dont ils sont victimes, en particulier les filles, et la violation systémique de leurs droits reconnus dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant qui se produit au Canada comme ailleurs, demeure un obstacle persistant à l’atteinte des objectifs de développement durable.

Nous savons toutefois que des solutions existent. Nous savons d’expérience que nous attaquer aux normes de genre pernicieuses et aux causes profondes des inégalités sont les seules façons de provoquer des changements durables pour les enfants et d’obtenir justice pour tous. Il ne fait aucun doute également, données à l’appui, que l’égalité des genres profite à tous sur les plans social, économique, politique et environnemental, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour y arriver.

Le Canada est un chef de file mondial dans la promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des filles et des femmes, et les données nous indiquent que c’est non seulement la bonne chose à faire, mais aussi une façon intelligente de favoriser un développement vraiment durable.

De Muskoka à la Politique d’aide internationale féministe jusqu’à la récente déclaration du G7 sur l’éducation et l’autonomisation des filles dans les situations de crise, les initiatives soutenues et de longue date du Canada et sa solide réputation dans la promotion de l’égalité des genres ont joué un rôle crucial pour mobiliser les efforts de la communauté internationale afin de lutter contre la mortalité infantile et maternelle et le mariage précoce et forcé d’enfants. Le Canada contribue également à promouvoir les droits et la santé reproductive et sexuelle des adolescentes, l’éducation, la participation des femmes et des filles à la vie politique, ainsi que la paix et la sécurité.

Il est aussi important de mentionner que la Politique d’aide internationale féministe du gouvernement canadien a attiré l’attention sur le fait que l’autonomisation des femmes et des filles est une fin en soi. Nous devons maintenant continuer à bâtir sur ces gains, acquis de haute lutte. Le Canada se doit également de réaffirmer que la protection des enfants et les droits des enfants font partie intégrante de sa politique d’aide internationale féministe et constituent la prochaine étape pour que sa mise en œuvre donne des résultats maximaux.

Le Canada doit également, et c’est le point le plus important que je veux faire valoir ici, réaffirmer qu’il est redevable aux filles, aux femmes et aux collectivités bénéficiant de l’aide au développement, tout comme aux contribuables canadiens, des résultats accomplis en les mesurant de façon claire et simple.

Il nous manque beaucoup de données sur les genres, et les systèmes de reddition de comptes sont relativement peu performants, si bien que nous avons un urgent besoin de bien surveiller et mesurer l’égalité entre les genres et les progrès accomplis dans l’atteinte de nos objectifs de développement durable. Cela vaut également pour le Canada.

Il est en outre urgent de concevoir des mesures exhaustives pour transformer la condition et la situation des femmes et des filles par l’aide au développement. La tâche n’est pas facile mais, si on procède correctement, en fournissant aux femmes et aux filles les outils pour prendre leurs vies en main et pour créer un monde plus juste, on pourrait libérer le plein potentiel de l’humanité.

Merci.

La présidente : Merci à tous de vos témoignages.

La sénatrice Cordy : Merci. Nous avons deux panels extraordinaires aujourd’hui, quelques jours seulement avant de célébrer la Journée internationale des droits de la personne, le 10 décembre.

Monsieur O’Hanlon, j’aimerais vous poser une question au sujet des journalistes et de la liberté de presse. Je suis d’accord avec vous pour dire que le journalisme est un pilier de la démocratie, et l’histoire nous a enseigné que les pays qui ont abandonné les journalistes et la liberté de presse n’ont pas bien fait dans l’histoire. Vous avez parlé de la Pologne, de la Turquie, de la Chine et de l’Arabie saoudite. J’étais en Turquie tout juste après le soulèvement. Assez bizarrement, les journalistes, les juges et les membres de l’opposition ont tous été arrêtés quelques heures à peine après le soulèvement, ce qui nous amène à nous demander si les listes n’avaient pas été rédigées à l’avance.

Cela m’inquiète, mais je suis profondément troublée également par ce qui se passe en Amérique du Nord — au Canada et aux États-Unis — mais contentons-nous de parler du Canada. Certains commentaires à propos des journalistes m’inquiètent. Voir des femmes journalistes faire des entrevues à la télé et être harcelées sexuellement à l’arrière-plan par des gens qui ne s’inquiètent même pas de se trouver dans la vidéo me consterne. Je m’inquiète du langage qu’on entend et dont M. Beuze a parlé, quand on utilise des expressions comme migrants illégaux et réfugiés illégaux. Ils ne sont pas illégaux. Ce sont des réfugiés et des migrants. On constate des changements dans le ton, mais pas seulement dans le ton. En entendant dire que de plus en plus de journalistes sont tués, certains se contentent de hausser les épaules.

Que devrions-nous faire? Doit-on légiférer? La chose n’est pas facile, car dans bien des cas, on s’attaque aux gouvernements, soit provincial ou fédéral, et ils réagissent également, mais on ne veut pas entendre de critiques à l’égard des gouvernements. Que pouvons-nous faire comme parlementaires?

M. O’Hanlon : Au sujet précisément des gens qui harcèlent sexuellement certaines de nos femmes journalistes, le gouvernement peut facilement adopter une loi pour cibler ce genre de situation et en faire un crime passible d’une sanction. C’est effrayant de voir que ces gens s’en tirent, car ils le font vraiment en toute impunité.

Pour ce qui est de ce que nous pouvons faire pour lutter contre les attaques verbales faites à la presse, c’est inquiétant. Nous en avons été témoins. Trump est le plus impitoyable, mais vous savez, nous avons un nouveau premier ministre en Ontario qui s’attaque à la presse, et récemment...

La sénatrice Cordy : Oui, il a sa propre station de télévision.

M. O’Hanlon : Ils veulent être les porteurs du message. C’est une affaire politique. Ils constatent plaire à une base et qu’en attaquant la presse, ils peuvent faire des gains des différentes façons dans l’opinion publique.

À mon avis, le plus important pour les parlementaires est de réitérer l’importance d’avoir une presse libre comme pilier de la démocratie, d’avoir des reportages indépendants, et de rappeler aux gens que nous avons besoin d’une presse libre, et qu’il faut respecter les journalistes, en particulier ceux qui font des reportages impartiaux. Certains journalistes n’en sont pas vraiment puisqu’ils sont rattachés à un groupe particulier ayant un nom, mais si un journaliste travaille pour un média grand public, pour un média indépendant, il devrait avoir droit au respect. Les politiciens devraient leur faire preuve de respect en tout temps.

La sénatrice Cordy : Monsieur Beuze, avez-vous des commentaires au sujet du langage utilisé pour parler des réfugiés?

M. Beuze : Nous vivons dans un monde — et Martin pourra certainement vous en dire plus long — où les faits, les chiffres et les cadres juridiques et stratégiques ne résonnent plus dans le grand public. Les discussions sur ces enjeux reposent sur les valeurs et les émotions, et c’est dangereux, car c’est un terrain fertile à la rhétorique populiste, aux attitudes xénophobes, anti-LGBTQ, anti-noires, anti-juives ou anti-musulmanes.

Vous aurez sans doute remarqué, par exemple, qu’une section entière du pacte mondial sur les migrations, qui sera adopté à Marrakech le 10 décembre, appelle les États à faire exactement ce dont a parlé Martin, c’est-à-dire à se doter d’un cadre juridique et stratégique pour protéger la liberté d’expression, qui n’est pas illimitée dans les cas où elle vise à encourager les violences et les haines raciales, quand on véhicule de fausses informations et qu’on veut instiller la peur au sein de la population. Les journalistes, selon ce que prévoit le cadre des droits de la personne, sont tenus de rendre des comptes.

La sénatrice Ataullahjan : Je veux vous remercier tous, et en particulier, Mme Kim, de nous avoir fait part de votre expérience. Je vous félicite de votre courage. Vous avez sans doute remarqué quelques larmes perlées de ce côté.

Ma question rejoint celle de la sénatrice Cordy. Martin, auriez-vous imaginé qu’un jour les journalistes seraient traités comme ils le sont au Canada et que vous verriez ce que vous voyez actuellement?

Ma question qui s’adresse à vous, commissaire, est la suivante : pourriez-vous nous donner les dernières nouvelles au sujet des Rohingyas et du trafic sexuel que nous craignons au sujet des enfants? On nous a parlé des fourgonnettes qui venaient dans les camps pour enlever les enfants, des victimes de viol et des enfants qui naissaient de ces viols. Les problèmes sont si nombreux. Je ne cesse de poser la question et personne ne semble en mesure de faire le point.

M. O’Hanlon : C’est intéressant que vous posiez la question. J’ai prononcé un discours récemment et je disais que je ne pouvais pas croire qu’en 2018 on devait encore s’occuper de toutes ces absurdités. Voir le premier ministre de l’Ontario faire une sortie pour attaquer la presse afin d’en retirer des gains politiques est absurde. Ce n’est pas une question partisane; comme journalistes, nous n’appuyons ni les libéraux, ni les conservateurs, ni le NPD. Nous discutons des enjeux, et un des enjeux importants en démocratie, un de ses piliers, est la liberté de presse. Si un parti s’attaque à la liberté de presse, nous devons la défendre. Vous voulez savoir ce que vous pouvez faire? Vous devez élever la voix et leur tenir tête lorsque cela se produit. Chaque fois que quelqu’un s’attaque à un journaliste, nous devons leur tenir tête et leur dire qu’un journaliste a le droit de faire son travail, qu’il a la responsabilité de le faire, et qu’il ne devrait pas être rabaissé parce qu’il le fait.

M. Beuze : Brièvement, il faut du temps aux partenaires humanitaires pour mettre en place les bons mécanismes qui vont permettre de créer des espaces sécuritaires, des groupes de discussions, des rencontres individuelles ou des évaluations participatives pour aider les survivantes d’un viol à sortir de l’ombre. Dans le cas des Rohingyas, les faits remontent à un an seulement. Nous avons pu constater, dans le cas des réfugiées syriennes, par exemple, qu’il faut neuf mois à une femme qui participe à des activités comme des ateliers de cuisine ou de couture pour se sentir assez en confiance pour sortir de l’ombre et demander de l’aide parce qu’elle a été victime de violence sexuelle ou de viol. Il faut prendre en considération le fait que les survivantes ont besoin de beaucoup de temps pour se sentir suffisamment en confiance pour en parler. Il y a des problèmes liés aux traditions, aux normes sociales, ou aux risques de représailles des hommes de la famille dans le cas des Rohingyas ou des Syriens. C’est le premier point. Nous ne forcerons jamais quelqu’un à parler, même si nous soupçonnons qu’un enfant est le fruit d’un viol. Nous allons toujours respecter la décision d’une femme d’en parler ou non.

Deuxièmement, il faut offrir des solutions aux gens. Lorsque les moyens de subsistance sont rares, que les gens ont peine à joindre les deux bouts, ils seront forcés de s’adonner au sexe « de survie », un euphémisme pour parler de prostitution, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou des enfants. Et il n’y a pas que les filles qui sont touchées; il faut être très conscients que les petits garçons et les hommes sont aussi victimes de différentes formes de harcèlement sexuel. Pour éviter que cela se produise, nous devons fournir des ressources suffisantes aux familles pour éviter qu’elles ne soient forcées de recourir à ces pratiques traumatisantes, qui peuvent comprendre le mariage précoce, le retrait des enfants de l’école pour les faire travailler ou les faire mendier dans la rue, etc. C’est un cas où le financement — vous m’avez entendu répéter cela à maintes reprises ici et devant d’autres comités du Parlement — est absolument crucial. C’est la seule façon de prévenir ces formes de violations des droits de la personne.

La sénatrice Martin : Je ne suis plus membre du comité, mais je suis venue aujourd’hui, car je savais qu’il s’agissait d’une journée spéciale. Je remercie mes collègues de m’avoir donné l’occasion d’être ici.

J’ai l’impression que l’on devrait vous faire venir un à la fois, car il y a tellement de questions qu’on pourrait poser. Je vous remercie donc de vos exposés.

J’ai une question pour Alice, qui travaille actuellement dans mon bureau. Chaque fois que je l’écoute raconter son histoire, elle en dit un peu plus. J’étais émue aux larmes, comme d’autres dans la salle.

Quelle est la façon la plus efficace pour la communauté internationale, y compris le Canada, d’aider les transfuges de la Corée du Nord? À la fin de votre discours, vous avez appelé les décideurs à agir. Que leur recommanderiez-vous de faire?

Monsieur Hasan, j’ai écouté attentivement ce que vous aviez à dire. Vers la fin, vous avez dit qu’il nous manquait beaucoup de données sur les genres, et que le système de reddition de comptes est relativement peu performant. Vous poursuivez en expliquant ce que vous voulez dire par là, et cela a piqué ma curiosité. Nous avons des défis dans tous les secteurs au sujet de la reddition de comptes. Que feriez-vous pour la renforcer? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Y a-t-il des mesures prises dans le domaine? Si c’est le cas, que peut faire le Canada pour apporter sa contribution?

Mme Kim : Merci. C’est une très bonne question.

Je peux recommander des efforts que le Canada peut déployer pour apporter des changements. Il y a d’abord le programme de réinstallation du Nord vers le Nord. J’ai tellement souffert d’intimidation en tant que Nord-Coréenne en Corée du Sud; c’est très difficile pour un Nord-Coréen de vivre en Corée du Sud. Mes parents ont aussi eu de la difficulté à trouver un emploi et à survivre dans ce pays comme réfugiés de Corée du Nord. Cependant, lorsque je suis arrivée ici au Canada, j’ai vu que les Canadiens ne se formalisent pas des autres cultures et origines. Mon origine ne leur importe pas. Je cache toujours mon origine à ma meilleure amie en Corée du Sud. C’est pour moi un secret honteux. Je m’inquiète aussi de la réaction de mes amis s’ils l’apprennent. Je pense que le Canada peut accepter plus de réfugiés de Corée du Nord, qui peuvent vivre ici dans un plus grand confort.

Ensuite, je sais que le Canada est un chef de file en matière de droits de la personne. À ce titre, il peut se pencher davantage sur les questions de droits de la personne nord-coréennes. Comme vous le savez, les États-Unis et la Corée du Sud se sont engagés dans un dialogue sur la dénucléarisation avec la Corée du Nord. Je sais aussi que la dénucléarisation est importante, mais je pense que les questions de droits de la personne sont primordiales pour le peuple de Corée du Nord. En tant que chef de file international en matière de droits de la personne nationaux, le Canada peut soulever cette question sur la scène internationale.

Enfin, le gouvernement canadien et le présent comité peuvent appuyer et seconder les ONG qui viennent en aide aux réfugiés nord-coréens, comme HanVoice, y compris les ONG en Corée du Sud. Je pense que cela aidera les réfugiés nord-coréens.

M. Hasan : Merci pour vos questions. Je vais d’abord souligner trois choses pour préciser ce que j’entends par lacunes concernant les données sur les sexes et ensuite me pencher sur ce que le Canada peut faire.

Si vous prenez tous les sondages réalisés à l’échelle mondiale, y compris au Canada, par exemple le recensement, les enquêtes démographiques et sanitaires réalisées dans des pays partout dans le monde, les enquêtes à indicateurs multiples que mène l’ONU et les sondages annuels auxquels procèdent nombre de gouvernements, vous constaterez qu’il arrive souvent que ces sondages ne fassent qu’analyser les données selon le sexe, au mieux. Nous savons que si vous voulez analyser les données en fonction de facteurs comme l’âge, l’endroit ou une autre identité de genre, il vous en coûtera plus. Nous en sommes conscients. Cependant, sans cette analyse, on obtient des données qui sont presque inutiles. Nous avons donc besoin de promouvoir et de déterminer la façon de recueillir les données de différents groupes d’âge, surtout le groupe des 13 à 18 ans. Ce groupe est celui que nous appelons la cohorte manquante dans chaque étude ou enquête. On s’interroge beaucoup sur la question de savoir si on utilise la bonne méthodologie pour mener l’enquête. Récemment, l’Organisation mondiale de la Santé et notre organisation, avec l’appui du gouvernement canadien, ont mené une enquête pilote auprès des adultes, des filles et des garçons. Nous avons appris que, ce faisant, on peut trouver bien d’autres éléments nécessaires pour prendre des décisions stratégiques. C’est la première chose.

Ensuite, il arrive assez souvent que nous abordions le problème complet du point de vue d’un ménage, et le fait de traiter l’homme comme le chef de famille élimine en gros toute la dimension sexospécifique du ménage, de la collectivité et de la société. On laisse passer l’élément important pour prendre des décisions de programme concernant ce qu’il faut faire avec les filles et les femmes.

Le gouvernement canadien, surtout Affaires mondiales Canada avec l’aide versée à l’échelle internationale, a grandement rehaussé la reddition de comptes. Ils ont parlé du fait que les données ne seront pas fournies que pour les rapports, mais qu’elles le seront aussi pour permettre aux collectivités d’en tirer de l’information et de prendre des mesures au niveau des programmes pour régler l’inégalité entre les sexes dans le monde entier. C’est une bonne étape. Ensuite, ils ont déjà dégagé le besoin de trouver des façons de mesurer l’égalité entre les sexes, une des choses les plus difficiles à mesurer. Ce concept englobe l’autonomisation, et bien des gens demandent comment il est possible de le mesurer. Il est nécessaire d’investir davantage pour apprendre comment le faire. Nombre d’organismes au Canada, avec l’appui actuel d’Affaires mondiales Canada, font du bon travail pour cerner les cadres de mesure afin que nous puissions informer le secteur et le reste du monde et, en même temps, utiliser ces données à l’appui de meilleures décisions de politiques et de programmes.

La présidente : Merci. Nous avons le temps de faire une deuxième série de questions maintenant.

La sénatrice Cordy : Madame Kim, merci beaucoup. Votre témoignage a eu beaucoup d’impact. Lorsque vous êtes issu d’une famille de classe moyenne et que vous vivez en Corée, êtes-vous conscient du climat politique là-bas? Êtes-vous conscient de la situation des droits de la personne en Corée du Nord?

Mme Kim : En fait, mes parents me parlent tous les jours de la Corée du Nord parce qu’ils pensent que c’est important. Ils veulent que je devienne un pont entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Lorsque mes parents étaient à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord, ils ont connu la plus grande famine de l’histoire de ce pays. Même à Pyongyang, il n’y avait rien à manger. Ma mère a dit que notre voisinage est mort de la famine, mais qu’ils ne pouvaient pas s’en plaindre auprès du gouvernement parce que les Nord-Coréens ne sont pas autorisés à le faire. Ils ignorent la signification des droits de la personne. Il n’y a pas de concept des droits de la personne, si bien qu’ils ne savent pas eux-mêmes ce qui s’est passé en Corée du Nord.

Lorsque mes parents sont partis vivre en Chine en passant par les autres provinces de Corée du Nord, ils ont vu de nombreuses personnes qui étaient mortes à cause de la famine. Ils n’avaient plus d’arbres ou d’herbe à manger parce qu’ils l’avaient déjà fait. Nombre d’enfants sont simplement laissés à eux-mêmes dans leur province autour des personnes défavorisées, et ce sont surtout eux et les femmes qui sont à risque d’agressions sexuelles. Ils ne savent pas ce qui arrive par la suite.

Dans cette situation, le gouvernement nord-coréen s’est borné à diffuser des informations concernant les armes nucléaires et à dire que c’était dangereux à l’extérieur, que notre pays était le meilleur endroit où vivre et que les citoyens de Corée du Nord devaient obéir aux ordres et aux conditions de la famille Kim. On nous a tout bonnement enseigné l’histoire de la famille Kim et montré que la Corée du Nord était le meilleur pays, et nous avons simplement suivi.

La sénatrice Ataullahjan : La question que j’ai à vous adresser, monsieur Hasan, est en deux volets. J’aimerais connaître les défis uniques auxquels les filles sont confrontées dans les pays en développement et les pays en conflit.

De plus, vous venez de dire que l’homme était le chef de famille. Nous devons retirer les dimensions sexospécifiques. Comment pensez-vous que nous arriverons à le faire dans les pays où les rôles sont si traditionnels et où les femmes ne contrarieront pas les souhaits de leur père, de leur mari et de leurs frères? Lorsque je suis invitée à prononcer une allocution, je parle d’encourager les femmes, mais en les appuyant. Je dis aux hommes de la famille qu’ils doivent les soutenir.

M. Hasan : Je veux commencer par votre dernière question parce qu’elle est intéressante.

Ce n’est pas facile dans une société où le patriarcat est la norme. Soulever les questions concernant les filles et les femmes et les aborder simplement en ciblant les filles et les femmes ne réglera pas la question. Un concept crucial dans la sphère du développement international est celui de la « mobilisation des hommes ». Il s’agit de mobiliser les hommes pour qu’ils prennent des mesures afin de contrer certaines des pratiques sociales inadmissibles et qu’ils en viennent ensuite à l’autonomisation.

Si je vais dans un pays et je commence à faire de l’autonomisation dès le départ sans comprendre les contextes socioculturel, politique et religieux et je dis que nous allons passer de X à Y et autonomiser tout le monde, ce serait la mauvaise approche. Il faut trouver la façon de mettre fin aux pratiques néfastes qui représentent un obstacle de taille pour les femmes et les filles, de mobiliser les hommes pour vraiment aborder ces questions et d’ensuite travailler graduellement avec eux sur une plus longue période.

Nous avons un certain nombre d’exemples tirés de notre travail dans un pays comme le Nigeria et la région de Boko Haram, qui est difficile sur les plans religieux et politique. La région du Punjab au Pakistan est aussi un endroit où il est très difficile de travailler; nous y avons lancé un programme appelé « autonomisation économique des femmes » dans le cadre duquel nous avons offert du soutien aux femmes du secteur laitier pour les aider à devenir d’importantes productrices.

Nous constatons toujours qu’il faut du temps, mais si vous arrivez à mobiliser les hommes et à laisser les filles et les femmes comprendre et développer leurs capacités d’agir pour elles-mêmes, à les faire avancer ensemble et à leur transmettre les données concernant ce qui se passe — l’égalité des sexes n’améliore pas seulement la vie des filles et des femmes: elle améliore aussi celle des hommes. S’il est possible de montrer ces données aux personnes et de démontrer que cette initiative aide la société et la collectivité en entier, on changera les choses. C’est un bon exemple de changement. Il faudra beaucoup de temps pour le faire partout dans le monde, mais le changement finira pas s’opérer.

La première question que vous avez posée concerne les données...

La sénatrice Ataullahjan : Les défis auxquels les filles sont confrontées.

M. Hasan : Oui, les défis sont nombreux, surtout si vous prenez les zones de conflit. Je vais vous donner un exemple parce que je reviens tout juste d’une de mes missions au Bangladesh, région où vivent des réfugiés rohingyas du Myanmar. Ils se trouvent dans une situation instable, pas vraiment en conflit, mais instable. Si vous prenez les problèmes ou obstacles traditionnels auxquels les filles et les femmes sont confrontées au Bangladesh, c’est manifestement le manque d’éducation si vous êtes pauvre et la mobilité, qui est un problème de taille — vous êtes incapable de vous déplacer librement — mais le plus important est celui de la prise de décisions. Puis-je prendre des décisions pour ma famille et moi? Suis-je capable de prendre des décisions pour mes enfants en tant que femme? Si vous prenez la situation des réfugiés, qui ont un problème de sécurité et qui sont incapables de combler même leurs besoins fondamentaux, en plus de toutes les autres choses que j’ai mentionnées, vous ne pouvez pas parler de décisions quand vous voyez les problèmes profonds qu’ils ont en matière de sécurité. C’est un exemple.

Un autre exemple que je peux vous donner provient d’une mission que j’ai fait en Syrie et en Jordanie où j’ai travaillé avec des réfugiés qui traversaient la frontière de ce côté. Le principal problème est celui de la violence sexuelle et physique à l’égard des filles et des femmes dans les conflits. Il s’agit d’agressions qui ont été documentées et signalées. Un certain nombre d’unités ici et au sein de l’UNICEF ont cerné ces problèmes pour les filles et les femmes en zone de conflit. Les problèmes sont si importants que, lorsque vous essayez de les régler, comme vous l’avez dit, au cours de la première ou des deux premières années, elles ne vous le signaleront même pas. Il faut user de beaucoup de psychologie pour travailler avec elles pour obtenir les preuves et travailler avec elles. Ce sont les problèmes courants des filles et des femmes en zone de conflit.

Le sénateur Ngo : J’ai des questions pour M. O’Hanlon et M. Beuze.

Vous avez mentionné que la liberté de presse avait été entravée, surtout dans les anciens pays d’Europe de l’Est, en Turquie, au Myanmar, au Vietnam et en Chine. Quelles sont les principales menaces auxquelles ces journalistes sont confrontés lorsqu’ils font rapport de questions de droits de la personne dans ces pays?

M. O’Hanlon : Dans nombre d’entre eux, ils ne peuvent simplement pas faire état de violations des droits de la personne sans risquer d’être attaqués — par le gouvernement, les gangs criminels ou d’autres personnes qui ont intérêt à les faire taire. Il peut vraiment s’agir d’une attaque physique. Vous faites état de quelque chose dont quelqu’un ne veut pas que vous parliez, ce qui est l’essence même du journalisme. Comme on dit, le reste, ce sont des relations publiques. Lorsqu’ils essaient de rapporter des crises dans des pays où les gouvernements ne veulent pas qu’elles soient signalées, ils seront punis d’une façon ou d’une autre.

Le Myanmar serait un parfait exemple de cette situation. Nous n’entendons pas beaucoup parler de ce qui s’y passe. Lorsque nous avons des nouvelles, par exemple de Reuters, les journalistes sont emprisonnés, ce qui est horrible. Il s’agit d’une importante agence de presse internationale et même ses journalistes à elle ont été incarcérés. Quel message cela lance-t-il aux pigistes, aux indépendants ou aux petits journalistes si on enferme les journalistes d’une des plus grandes agences de presse au monde?

Le sénateur Ngo : Qu’en est-il du Vietnam? Avez-vous des exemples de là-bas?

M. O’Hanlon : Je n’ai pas d’exemple précis de ce pays, mais la presse n’est pas libre au Vietnam. C’est la même chose. Si les journalistes essaient de rapporter quelque chose que le gouvernement ne veut pas ébruiter, les choses ne se passeront pas bien.

Le sénateur Ngo : Monsieur Beuze, Mme Kim a mentionné les réfugiés nord-coréens. Pourquoi d’autres pays n’ont-ils pas accepté les Nord-Coréens comme réfugiés? Quelles en sont les principales raisons?

M. Beuze : Comme vous le savez, il est extrêmement difficile pour les Nord-Coréens de quitter le pays. Tout le monde a le droit de demander l’asile, mais, à un certain nombre d’endroits, pas seulement en Corée du Nord, il est extrêmement difficile de quitter son propre pays. Ensuite, il est difficile de trouver un pays limitrophe qui vous accueillera et gardera la frontière ouverte. Nous observons, surtout en Afrique subsaharienne, au Moyen Orient et en Asie, une ouverture aux personnes fuyant la violence et la persécution, mais dans un certain nombre d’autres pays, il est difficile d’arriver de façon régulière, même de façon irrégulière, et de demander l’asile. Le système est de plus en plus restrictif.

Mme Kim : Les réfugiés nord-coréens sont victimes de bien des préjugés et discriminations en Corée du Sud. Ils ne peuvent qu’entrer en Corée du Sud. C’est la seule option lorsqu’on fuit la Corée du Nord, mais en tant que réfugiés nord-coréens en Corée du Sud, notre vie est très difficile. Nous vivons bien des difficultés. Lorsque ma famille est arrivée en Corée du Sud, le gouvernement sud-coréen nous a enlevé tous nos certificats de Corée du Nord. Les titres de compétence de mes parents et leurs postes élevés dans le Nord ont généré les soupçons. Ils ont passé des journées entières à travailler à des sites d’enfouissement, à des stations services et dans la rue pour gagner le petit montant d’argent dont nous avions besoin pour survivre.

Les problèmes financiers ont été difficiles pour notre famille, mais pas autant que la discrimination. Lorsque j’étais au secondaire et au primaire, j’ai souvent trouvé que mon casier débordait de déchets, et il arrivait parfois que les enfants me versent l’eau souillée d’un seau à vadrouille sur la tête lorsque j’étais dans une cabine de toilette. Parfois, ils cachaient des lames acérées dans mon bureau pour que je me coupe la main en allant chercher un livre. Les mauvais traitements se sont intensifiés et ont empiré au fil des ans.

Comme je l’ai mentionné, le Canada, une société multiculturelle, peut accepter l’origine des réfugiés nord-coréens, qui ont plus d’options dans ce pays quant à l’endroit où ils vivront. Nous pouvons nous construire un meilleur avenir ici. Je recommande que le Canada, en tant que chef de file en matière de droits de la personne, donne l’exemple en offrant éventuellement un programme de réinstallation aux Nord-Coréens.

La présidente : C’est probablement un bon argument sur lequel nous arrêter, et je suis ravie que nous terminions avec vous, madame Kim. Vous êtes pour nous un modèle de personne qui a eu le courage de trouver sa voix et de militer. Le dernier groupe nous a dit que le silence n’était pas une option. Chacun d’entre vous a clairement renforcé le thème selon lequel il est très important pour nous de défendre les droits. Lundi, jour où nous marquerons le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous nous souviendrons de tout ce que vous nous avez dit aujourd’hui et nous rappellerons que, bien que nous ayons réalisé des progrès, il nous reste toujours fort à faire. Nous devons tous nous servir de nos tribunes pour défendre les droits de la personne. Je tiens à vous remercier de nous avoir accordé de votre temps aujourd’hui et de nous avoir fait part de vos expériences et de votre expertise. Merci encore.

Je rappelle aux sénateurs que nous souhaitons faire une pause pour prendre une photo avec les étudiants.

La sénatrice Pate : Sénatrice Bernard, avec votre accord et celui du comité, je propose que, après la photo, nous passions à huis clos pour discuter du rapport provisoire de la semaine dernière et des travaux futurs.

La présidente : Cela voudrait dire rester tard et simplement...

La sénatrice Martin : La séance du Sénat est à 14 heures.

La présidente : La séance est à 14 heures. J’ignore comment nous gérerions cela. Nous avons... Non? Non.

La sénatrice Ataullahjan : Non.

La sénatrice Cordy : Cela me va.

La présidente : Vous êtes prête à rester? Alors, si nous avons quorum, nous pourrions toujours tenir la réunion à huis clos. D’accord, alors nous allons suspendre nos travaux pendant cinq minutes pour prendre la photo et nous poursuivrons ensuite la séance à huis clos. Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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