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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 39 - Témoignages du 27 février 2019


OTTAWA, le mercredi 27 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel et pour se pencher, à huis clos, sur l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (examen d’un ordre du jour provisoire — travaux futurs).

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue. J’aimerais d’abord souligner, au nom de la réconciliation, que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.

Je veux aussi souligner qu’aujourd’hui est la Journée du chandail rose, alors je remercie tous ceux qui portent du rose en symbole de la lutte contre l’intimidation.

Je m’appelle Wanda Thomas Bernard et je viens de la Nouvelle-Écosse. J’ai l’honneur et le privilège de présider le comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, Ontario.

La présidente : Merci.

Notre comité étudie les droits de la personne des prisonniers dans les établissements correctionnels fédéraux. Au cours de cette étude, le comité a tenu des audiences publiques à Ottawa ainsi que dans diverses régions du pays et il a effectué des visites d’information dans 29 établissements. Notre étude tire à sa fin, et nous sommes rendus à entendre des témoins des services gouvernementaux qui concernent les établissements carcéraux.

Nos premiers témoins aujourd’hui représentent le Service correctionnel du Canada. Permettez-moi de vous présenter Anne Kelly, commissaire. Je vais vous laisser présenter les personnes qui vous accompagnent et vous pourrez ensuite faire votre exposé. Merci.

Anne Kelly, commissaire, Service correctionnel du Canada : Merci beaucoup, madame la présidente et honorables membres du comité. Merci de m’avoir invitée. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous informer des progrès réalisés par le Service correctionnel du Canada et de contribuer à vos travaux dans le cadre de l’étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral.

Sont venus avec moi M. Alain Tousignant, sous-commissaire principal; Mme Jennifer Wheatley, commissaire adjointe, Services de santé; Mme Kelley Blanchette, sous-commissaire pour les femmes; et, enfin, M. Larry Motiuk, commissaire adjoint, Politiques.

[Français]

J’ai comparu devant vous, il y a un peu plus de deux ans, dans mon rôle précédent de sous-commissaire principale, alors que vous entrepreniez cette étude approfondie. Depuis, je sais que vous avez entendu de nombreux intervenants et que vous avez voyagé d’un océan à l’autre pour visiter plusieurs de nos installations pour en apprendre davantage sur notre travail, nos établissements, nos programmes et les personnes dont nous sommes responsables.

[Traduction]

D’entrée de jeu, je voudrais remercier les 18 000 employés du Service correctionnel du Canada, ainsi que les nombreux bénévoles qui nous appuient. Au cours de mes 35 années de service au sein du Service correctionnel du Canada, j’ai été témoin du dévouement et de l’engagement dont font preuve les employés chaque jour et de la façon dont leurs efforts contribuent directement à la réadaptation et à la réinsertion sociale des délinquants et à la sécurité de tous les Canadiens.

Je tiens également à remercier le comité de son récent rapport provisoire. Nous examinons actuellement les conclusions de ce rapport et nous continuerons de travailler fort pour répondre aux nombreux problèmes soulevés.

Le racisme, le sexisme, l’homophobie et toute forme de discrimination et d’inconduite n’ont pas leur place dans nos établissements et notre milieu de travail. Nous allons toujours condamner ces comportements répréhensibles et nous y attaquer.

Vous le savez peut-être, le ministre Goodale m’a remis une lettre de mandat en septembre dernier au moment de ma nomination à titre de commissaire du Service correctionnel du Canada. Cette lettre demande l’instauration au sein du Service correctionnel du Canada d’une culture d’autoréflexion continue, ce qui correspond à ma vision personnelle de l’amélioration qualitative continue. L’autoréflexion signifie de continuellement réévaluer nos politiques et nos programmes afin de trouver ce qui fonctionne et de changer ce qui ne fonctionne pas. Cela veut aussi dire d’accueillir les critiques constructives faites de bonne foi et de ne pas avoir peur des idées novatrices.

Comme je dois faire un exposé plutôt bref, j’ai choisi de mettre en évidence deux secteurs où nous avons adopté de nouvelles approches pour répondre à des défis de longue date.

Premièrement, comme vous l’avez noté au cours de votre étude, la surreprésentation des peuples autochtones, particulièrement celle des femmes autochtones, dans le système de justice pénale canadien, notamment dans les établissements carcéraux fédéraux, est toujours un problème criant.

[Français]

Au cours de la dernière année, nous avons mis en œuvre des centres d’intervention pour Autochtones comme stratégie centrale visant à améliorer les résultats de réinsertion sociale des délinquants autochtones. Ces centres sont destinés aux Autochtones, en particulier à ceux et celles qui purgent des peines plus courtes et qui, dès leur admission, commenceront à participer à des programmes destinés aux Autochtones, travailleront avec un aîné et amorceront un plan de libération en vertu de l’article 84, le cas échéant.

[Traduction]

Un autre point auquel le Service correctionnel du Canada doit s’attaquer concerne les besoins en santé mentale des détenus les plus vulnérables. Vous le savez sans doute, le taux de maladie mentale chez les délinquants est plus élevé que dans la population générale. Les budgets fédéraux de 2017 et de 2018 comprenaient 78,2 millions de dollars pour les services en santé mentale et l’énoncé économique de l’automne dernier prévoyait 448 millions de dollars de plus pour le système correctionnel, dont 150 millions de dollars consacrés à l’amélioration des services de santé mentale, comme le diagnostic précoce, l’amélioration des soins en santé mentale et la création d’un système de défense des patients.

[Français]

Ces nouveaux investissements permettront d’établir un système de soins de santé mentale conforme à ce qui est offert dans la collectivité. Cela permettra d’améliorer notre capacité à offrir des soins et des traitements proactifs pour répondre de manière appropriée aux besoins des patients les plus vulnérables.

[Traduction]

Le reste des 298 millions de dollars servira à soutenir la transformation du système correctionnel, notamment par la mise en œuvre d’un nouveau modèle d’interventions correctionnelles en nous assurant que les établissements offrent un milieu sûr et sécurisé qui favorise la réadaptation des détenus, la sécurité du personnel et la protection du public. Cela permettra aussi de veiller à ce que le système correctionnel canadien demeure progressif et tienne compte des besoins de sa population diversifiée.

En plus de ces investissements, le projet de loi C-83 vise à mettre fin à l’isolement et il permettrait, entre autres, de renforcer le cadre législatif régissant l’utilisation des unités d’intervention structurée, d’inscrire dans la loi des mécanismes de surveillance et de renforcer le rôle joué par les professionnels de la santé dans nos établissements.

[Français]

Veuillez noter que nous surveillons les progrès du projet de loi C-83 au Parlement et que nous verrons à ce que des changements soient apportés à nos politiques et à nos formations pour appuyer sa mise en œuvre.

[Traduction]

Avant de conclure mon exposé, je veux prendre quelques minutes pour souligner quelques-unes de nos réussites. Par exemple, nous avons vu une augmentation de 23 p. 100 du nombre de délinquants gérés dans la collectivité depuis 2012-2013. D’ailleurs, il y a maintenant plus de femmes sous surveillance au sein de la collectivité que de femmes dans les établissements fédéraux. Fait à noter, tant le nombre d’Autochtones que le nombre de femmes en liberté conditionnelle ont augmenté de façon significative au cours des cinq dernières années; l’augmentation est de 36 p. 100 chez les délinquants autochtones et de 50 p. 100 chez les femmes délinquantes. De plus, le nombre d’octrois de semi-liberté a atteint des sommets depuis 2012-2013 avec une augmentation de 43 p. 100 et le nombre de révocations est à son plus bas, avec une diminution de 27 p. 100. Enfin, en 2017-2018, nous avons obtenu le taux le plus élevé jamais enregistré de délinquants qui ne sont pas retournés dans un établissement fédéral au cours des cinq années suivant la fin de leur peine, soit 85 p. 100. Ces résultats sont le fruit du travail assidu de toutes les personnes qui contribuent à l’accomplissement de la mission du Service correctionnel du Canada.

En terminant, comme je le dis souvent, il n’est de plus grande responsabilité que d’être chargé des soins et de la garde d’un être humain. En tant que commissaire, j’apprécie le travail accompli par nos partenaires, par les intervenants et par les parlementaires, notamment les membres du présent comité, pour examiner notre travail, visiter nos établissements, discuter avec le personnel et avec les délinquants et recommander des améliorations.

[Français]

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Je souhaite la bienvenue aux deux vice-présidentes du comité, la sénatrice Cordy et la sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Cordy : Merci d’être venue témoigner afin de répondre aux questions que nous avons concernant certaines choses que nous avons vues lorsque nous avons parcouru le pays.

J’ai quelques questions. La première concerne l’isolement. En novembre, le Comité de la sécurité publique de la Chambre a fait la recommandation suivante concernant le projet de loi C-83. Je la cite :

Que, compte tenu du témoignage de l’enquêteur correctionnel et des autres intervenants et du fait que seules 10 femmes sont en isolement préventif au Canada, le comité encourage vivement Service correctionnel Canada à trouver des mesures autres à cette pratique, par exemple le projet pilote proposé en 2016 par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry [...]

Maintenant, selon les données de l’enquêteur, en janvier 2019, il n’y avait que trois femmes en isolement préventif dans les établissements fédéraux. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la recommandation faite par le comité de la Chambre et si vous avez pris des mesures pour évaluer la faisabilité de cette recommandation et déterminer s’il serait possible d’y donner suite.

Mme Kelly : Merci de votre question. D’abord, j’aimerais vous informer que, en ce moment, il n’y a aucune femme en isolement préventif. Cela peut changer d’une journée à l’autre, mais, à l'heure actuelle, il n’y en a aucune.

Comme vous le savez, le projet de loi C-83 mettrait fin à la pratique de l’isolement. Cela s’applique également aux établissements pour femmes. Nous travaillons à la mise en place d’unités d’intervention structurée.

Lors de la table ronde des intervenants, les participants ont fait certains commentaires. Kelley pourra vous en dire plus à ce sujet, mais une des solutions que nous examinons en ce moment — rien n’est encore coulé dans le béton — serait la possibilité de créer ce que nous appelons des unités de soutien accru pour les femmes. Comme il n’y aura plus d’isolement, les femmes seraient envoyées dans ces unités à la place et elles auraient accès à davantage d’interventions des agents de libération conditionnelle et des agents des programmes.

Kelley Blanchette, sous-commissaire pour les femmes, Service correctionnel du Canada : En outre, comme la commissaire l’a dit, nous n’avons pas encore terminé les consultations concernant spécifiquement les femmes. Certaines sont prévues en mars et il y en aura d’autres par la suite.

L’objectif des unités de soutien accru est de permettre des interventions soutenues au sein de ces unités. D’après nos données, nous savons que l’isolement servait surtout pour les détenues à sécurité moyenne. En proportion, il y avait plus de détenues à sécurité moyenne en isolement, alors nous pensons que les unités de soutien accru pourraient être créées dans l’enceinte à sécurité moyenne et minimale des cinq établissements régionaux. Comme il y aurait un soutien plus structuré dans ces unités, nous croyons qu’il serait possible d’éviter le recours aux unités d’intervention structurée. Le modèle des unités d’intervention structurée serait utile dans la structure à sécurité maximale dans les situations où nous ne pouvons gérer le risque dans un contexte de sécurité moyenne.

La sénatrice Cordy : Lorsque nous avons visité les établissements carcéraux partout au pays, la plupart avaient déjà abandonné l’isolement traditionnel avant même que le projet de loi ait été présenté, mais j’avais parfois l’impression qu’on pratiquait encore l’isolement. Peut-être qu’on ne parlait plus de cellule d’isolement, mais quand une personne doit demeurer dans sa cellule 23 heures par jour, je pense qu’il s’agit d’isolement. Ces personnes n’ont pas accès aux services de l’établissement. Est-ce qu’il y aura encore des personnes qui devront demeurer dans leur cellule 22 ou 23 heures par jour? En pratique, il s’agit d’une mesure d’isolement.

Mme Kelly : Avec l’élimination de l’isolement et la création des unités d’intervention structurée, nous voulons permettre aux agents de libération conditionnelle et aux agents des programmes d’intervenir. Des professionnels de la santé mentale pourront aussi intervenir auprès des délinquants. L’objectif est de retourner le plus rapidement possible ces personnes avec les autres détenus. L’intention derrière la création des unités d’intervention structurée est vraiment de pouvoir intervenir auprès des délinquants.

Peut-il arriver que des délinquants refusent les interventions auxquelles ils auront accès? C’est possible. Actuellement, même dans les unités d’isolement telles qu’elles sont aujourd’hui — c’est déjà le cas dans certains établissements —, nous ouvrons quelques unités où nous pouvons envoyer certains délinquants qui ne remplissent pas les critères pour l’isolement. Malgré nos efforts, certains délinquants refusent de sortir. Nous devons continuer de travailler avec eux et tenter de les influencer afin de pouvoir les retourner dans la population générale.

La sénatrice Cordy : Je vois que vous en ferez plus pour répondre aux besoins en santé mentale, ce qui est très important. Je me souviens de ma visite dans un établissement de la Saskatchewan adapté aux personnes atteintes de maladies mentales. La première chose qui m’a traversé l’esprit en entrant dans l’unité était : « Pourquoi ces personnes sont en prison? » Elles ne devraient pas être en prison. Il devrait y avoir un autre type d’établissement pour ces personnes, des établissements de santé, pas des prisons. Cela a été en quelque sorte un choc pour moi; c’est une des choses qui m’ont choquée lors de mes visites.

Je suis vraiment contente que vous mettiez en place un système de défense des patients pour les détenus; il y en avait un dans un des établissements que nous avons visités. Cela semblait bien fonctionner, même si, parfois, je crois qu’il faut se rappeler que ceux qui défendent les patients ont aussi besoin de soutien, parce que, si vous devez passer la nuit avec quelqu’un qui a l’intention de se suicider, il faut que vous puissiez aussi décrocher. Cela me glace le sang. Qu’allez-vous mettre en œuvre comparativement à ce qui est présent dans la collectivité? Bien que les choses s’améliorent un peu, il n’y a toujours pas beaucoup de soutien pour ceux qui sont atteints de maladies mentales dans la société. En fait, je me demande comment vous allez vous y prendre pour mettre en place un système de défense des patients. En quoi les soins offerts seront-ils proactifs et quels traitements comprendront-ils pour répondre aux besoins des patients? Comment faire pour empêcher la marginalisation des gens atteints de maladies mentales — cela existe dans la société, alors je suis certaine que c’est la même chose dans le système carcéral — afin que ceux qui ont besoin d’aide l’obtiennent en temps opportun? On nous a également beaucoup parlé des longs délais d’attente pour l’obtention de soins de santé physique, et c’est la même chose pour les soins de santé mentale.

Mme Kelly : Je vais commencer et je vais ensuite demander à Mme Wheatley de parler du système de défense des patients.

Assurément, une partie du financement servira à améliorer les services en santé mentale. Nous serons en mesure de faire des diagnostics plus précoces, ce qui signifie que nous pourrons être proactifs dans le traitement des délinquants. Je crois que cela nous aidera.

Grâce à une partie du financement que nous avons reçu en 2017 et 2018, nous avons pu mettre en place des unités de soins de santé intermédiaires dans les établissements à sécurité moyenne et à sécurité maximale. Nous avons également un contrat avec l’Institut Philippe-Pinel et nous envisageons d’augmenter le nombre de lits auxquels nous avons accès là-bas. Il y a également les centres de traitement, qui sont agréés. Il y a aussi eu une annonce récemment concernant la mise en place d’un nouveau centre d’excellence en soins de santé à Shepody. Cela se traduira par l’ajout de lits auxquels nous avons accès, dont 10 pour les femmes, ce qui nous aidera à répondre aux besoins des délinquants en matière de santé mentale.

Jennifer Wheatley, commissaire adjointe, Services de santé, Service correctionnel du Canada : En ce qui concerne la défense des patients, nous approchons cette question par deux volets. Le premier se rapporte au fait que la défense des patients est un rôle fondamental de tous les professionnels de la santé, autant dans les établissements carcéraux que dans le reste de la société. Nous travaillons à renforcer cette responsabilité fondamentale pour tout le personnel de santé qui donne des soins à des patients qui sont détenus dans des établissements fédéraux. L’autre volet consiste à voir la défense des patients comme un service distinct pour lequel il faut embaucher des gens qui ne travailleront qu’à cette tâche. Nous menons actuellement un examen de la littérature et nous regardons dans la société ce qui se fait en matière de défense des patients partout au Canada, et nous tenons des consultations pour savoir comment ce modèle, ou ces modèles, parce qu’il y en a plus qu’un, pourraient s’imbriquer dans notre contexte. Cela fait partie de notre plan de travail actuellement. Nous devrions avoir terminé dans les mois à venir.

La présidente : La sénatrice Pate a une question complémentaire.

La sénatrice Pate : Merci à tous d’être présents aujourd’hui. C’est très pratique d’obtenir les données les plus récentes et d’être informés des développements.

Lorsque nous nous sommes rendus dans les établissements carcéraux, notamment dans les établissements à sécurité maximale, on travaillait à mettre en place des unités d’isolement dans chacun des établissements. Est-ce que cela fait partie de ce que vous appelez les unités de supervision intensive? Quand vous dites qu’il n’y a personne en isolement, combien de gens sont actuellement en isolement, peu importe le type d’isolement, pour des raisons de santé mentale, d’observation ou autres? Les détenus et le personnel nous ont certainement parlé de ce genre de situations et nous en avons aussi été témoins.

Madame Wheatley, concernant un point que vous avez soulevé quant à la défense des patients par les pairs, lorsque nous étions à l’établissement de Stony Mountain, nous avons rencontré un groupe d’hommes qui travaillaient à la défense de leurs pairs qui étaient des patients, des pairs protecteurs auxquels se fient les détenus. Nous avons tous été étonnés de les entendre parler des interventions qu’ils faisaient, des interventions qu’un psychologue ou une infirmière feraient normalement ou, dans certains contextes, que d’autres professionnels de la santé feraient. Personne ne reconnaissait leur travail et aucune formation ne leur était offerte, mis à part du soutien de base et, chose certaine, ils n’obtenaient aucune rémunération pour ce travail et rien n’était en place pour leur permettre de tirer profit de leurs efforts afin de trouver un emploi une fois qu’ils seront sortis de prison. Je me demande ce que vous faites pour répondre à ces problèmes. J’en conviens, vous avez parlé de formation du personnel, mais comment cela est-il lié aux autres objectifs de Service correctionnel du Canada?

Mme Kelly : Votre première question concernait-elle les femmes?

La sénatrice Pate : Pas exclusivement. Lorsque nous avons visité les établissements à sécurité maximale pour hommes aussi, ils vivaient tous dans des unités d’isolement. Plusieurs étaient en confinement lors de notre passage et ils n’avaient accès qu’à quelques programmes. Pour nous, il semblait s’agir d’unités d’isolement.

Mme Kelly : Dans les établissements à sécurité maximale, en ce moment il y a des unités d’isolement. Les détenus qui ne sont pas en isolement ont évidemment accès aux programmes. Je vous dirais que, dans les établissements à sécurité maximale, il y a souvent des confinements ou des fouilles. En tant que commissaire, c’est une chose que j’aborde au Comité de direction; nous discutons de l’augmentation de la participation des délinquants des établissements à sécurité maximale aux programmes et aux interventions. C’est notre objectif.

Alain Tousignant, sous-commissaire principal, Service correctionnel du Canada : À l'heure actuelle, dans les établissements pour hommes, il y a environ 350 détenus en isolement préventif. Normalement, ils peuvent sortir de leur cellule deux heures par jour, en plus d’aller prendre leur douche, et le directeur de l’établissement ainsi que le personnel médical les rencontrent quotidiennement, alors, chaque jour, ces détenus ont ce genre de contacts. Comme la commissaire l’a dit plus tôt, certains détenus refusent d’aller dans la cour ou de sortir de leur cellule, mais, normalement, ils ont la possibilité de sortir de leur cellule deux heures par jour et d’aller prendre leur douche.

Mme Wheatley : En ce qui concerne le soutien par les pairs, vous avez parlé du PLSP à l’établissement de Stony Mountain. Il y a d’autres programmes de soutien par les pairs comme le programme des CRT dans la région du Pacifique, comme vous le savez, et d’autres initiatives locales.

À l'heure actuelle, nous cherchons des solutions pour créer des modules de soutien au soutien par les pairs. Il y aurait un module de base pour que les personnes qui donnent du soutien à leurs pairs obtiennent les compétences requises, puis une formation spécifique en fonction du type de soutien qu’elles donnent à leurs pairs, qu’il s’agisse de soutien auprès des délinquants âgés ou des personnes vulnérables en raison de maladies mentales ou de maladies infectieuses, de façon à bonifier le soutien qui est déjà offert et à adapter le programme de soutien par les pairs à la population desservie dans nos différents établissements.

Dans le passé, Goodwill, par exemple, donnait de la formation aux femmes en matière de soutien par les pairs. Goodwill remettait un certificat à celles qui réussissaient la formation. Nous voulons revitaliser le soutien par les pairs et accroître l’uniformisation dans les cas où nous pouvons trouver des partenaires dans la collectivité afin que ceux qui offrent du soutien à leurs pairs puissent obtenir un moyen de montrer quelles compétences ils ont acquises lorsqu’ils auront fini de purger leur peine.

J’ai eu des discussions à ce sujet récemment, mais je donnerai suite à vos commentaires et je discuterai avec les sous-commissaires régionaux de la possibilité de faire du soutien par les pairs un emploi rémunéré dans les établissements. C’est un travail, alors nous renforcerons le message aux établissements quant à la possibilité de faire de ce travail un emploi rémunéré en établissement à titre de formation au travail.

Mme Kelly : L’autre élément, c’est que, comme la population vieillit, nous voulons aussi qu’il y ait du soutien par les pairs pour ces délinquants. Nous examinons en ce moment cette avenue.

La sénatrice Ataullahjan : Je voudrais aussi vous faire part de certaines préoccupations que nous avons entendues. Une des choses qui revenaient constamment, c’est que tous les détenus sous responsabilité fédérale nous ont fait part d’histoires personnelles dérangeantes concernant les services de santé et les soins dentaires, dans la plupart des cas, des soins prodigués par des médecins ou des dentistes à forfait embauchés par le Service correctionnel du Canada. Dans l’ensemble, on nous a donné de nombreux exemples où les préoccupations en matière de sécurité du personnel en étaient venues à prévaloir de façon régulière sur les besoins relatifs à la santé des détenus, notamment sur les besoins en santé mentale. En outre, autant les témoins que nous avons entendus que les détenus nous ont fait part de préoccupations concernant la pertinence et l’accessibilité des programmes d’employabilité du Service correctionnel du Canada, notamment de CORCAN, et du manque de programmes de la sorte. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet?

Mme Kelly : En fait, oui. CORCAN permet aux détenus d’acquérir des compétences par la pratique dans le cadre des emplois qu’il offre. Je peux vous donner le nombre de certificats qui ont été décernés. Au cours de l’exercice 2017-2018, près de 15 000 certificats ont été remis. Si on fait la ventilation, nous avons plus de 9 100 certificats pour des hommes non autochtones, près de 1 300 certificats pour des femmes non autochtones, 3 400 certificats pour des hommes autochtones et près de 700 certificats pour des femmes autochtones. Des coordonnateurs de l’emploi, du personnel et des contractuels aident également les délinquants pendant la période de surveillance dans la collectivité; ils ont aidé 2 667 détenus à participer à des placements dans la collectivité. CORCAN en fait beaucoup pour aider les délinquants en matière d’emploi.

Comme vous le savez, nous avons également rouvert les fermes en Ontario. Ainsi, les détenus de l’établissement de Collins Bay travaillent actuellement à la gestion de la terre et, au printemps, du bétail devrait arriver. On parle des établissements de Collins Bay et de Joyceville. À terme, il y aura entre 40 et 60 emplois directs.

De plus, en 2017, nous avons reçu du financement. Il était surtout consacré aux initiatives de CORCAN visant à permettre aux délinquants autochtones de mettre en place des industries communautaires à Edmonton et à Saskatoon afin que les délinquants puissent acquérir des compétences de base en construction et mettre ces compétences en pratique une fois qu’ils seront mis en liberté dans la collectivité.

La sénatrice Ataullahjan : Qu'en est-il des soins de santé et des soins dentaires? On nous a raconté des histoires d’horreur où, bien souvent, plutôt que de procéder à une obturation d’une carie ou à un autre type de traitement, on retirait tout simplement la dent affectée. On nous a raconté la même histoire d’un bout à l’autre du pays.

Mme Wheatley : Nous avons commencé à mesurer le temps d’attente pour différents services spécialisés. Dans la plupart des cas, nous respectons ou dépassons les normes qui ont cours dans la collectivité, à quelques exceptions près, notamment pour les services dentaires où le temps d’attente et le temps des services sont plus longs que ce que nous voudrions. C’est donc assurément un de nos secteurs prioritaires, que ce soit pour l’accroissement de la disponibilité des dentistes dans l’ensemble du service ou encore pour l’examen de la façon de gérer la prestation des soins dentaires afin qu’elle soit aussi efficiente que possible et que le roulement des patients soit meilleur pour que plus de gens puissent obtenir des soins. C’est l’un de nos objectifs et nous allons continuer de mesurer les résultats afin de voir où il y a amélioration et où il faut continuer de mettre de la pression.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

La sénatrice Boyer : Merci à vous tous d’être venus aujourd’hui. J’ai une question qui porte sur un élément que la sénatrice Cordy a mentionné et sur lequel vous êtes revenus, soit les 150 millions de dollars consacrés à l’amélioration des soins en santé mentale. Vous avez également parlé des deux établissements où des lits sont offerts en vertu d’accords conclus aux termes de l’article 29, mais je voulais savoir le nombre de lits supplémentaires auquel vous vous attendez et le plan qui est en place pour le recours aux accords conclus aux termes de l’article 29 au moyen de ces 150 millions de dollars.

Mme Kelly : Encore une fois, je vais laisser Mme Wheatley vous donner les détails. Dans le budget de 2018, nous avons reçu de l’argent pour des marchés avec des hôpitaux psychiatriques externes. Nous avions déjà accès à des lits à l’Institut Philippe-Pinel. Notre plan est d’augmenter le nombre de lits à cet endroit. Pour ce qui est des autres hôpitaux psychiatriques, nous cherchons continuellement à trouver des hôpitaux qui seraient prêts à accueillir des délinquants. À ce jour, les délinquants sont principalement envoyés à l’Institut Phillippe-Pinel.

Mme Wheatley : Une chose que je pourrais ajouter, c’est que les femmes nous disent que les grandes distances représentent un obstacle à l’obtention des soins, alors soit elles refusent d’être transférées à l’hôpital, soit elles demandent d’obtenir un congé prématuré avant d’être complètement rétablies, parce qu’elles veulent demeurer près de leur collectivité, près de leur famille et de leurs enfants, ce qui est normal. Idéalement, nous voudrions avoir accès à des lits partout au pays près des établissements régionaux pour femmes de façon à éviter que les femmes aient à faire de longs déplacements pour se rendre à Saskatoon ou à Pinel.

Nous poursuivons nos démarches auprès des hôpitaux psychiatriques près des établissements pour femmes en vue d’obtenir l’accès à un nombre restreint de lits afin de réduire les distances et de faciliter l’accès aux soins pour les femmes de ces établissements. Cependant, comme la commissaire l’a souligné, ce n’est pas une tâche facile. Je crois que les hôpitaux psychiatriques peinent déjà à avoir suffisamment de lits pour les Canadiens en général, alors c’est un défi pour tout le monde, mais nous poursuivons nos démarches et nous saisissons les occasions qui se présentent.

Mme Kelly : Je crois qu’une autre bonne nouvelle est la création d’un centre d’excellence en santé dans la région de l’Atlantique, qui augmentera le nombre de lits pour les femmes.

La sénatrice Boyer : Ma question au fond était de savoir de combien de lits on parle et quand ils seront disponibles.

Mme Wheatley : Nous sommes en négociation avec Pinel pour l’augmentation du nombre de lits. Je ne veux pas m’avancer quant au nombre, parce que le protocole d’entente n’a pas encore été finalisé, mais nous nous attendons à conclure le processus ce printemps et nous pourrons alors donner plus d’information à ce sujet...

La sénatrice Boyer : Alors on parle de 10 ou plus, 20?

Mme Wheatley : Nous avons reçu du financement supplémentaire dans le budget de 2018. Pinel ne pourra fournir des lits pour l’ensemble du nouveau financement. Cependant, je crois que de n’avoir qu’une ressource centralisée n’est pas la solution que les femmes veulent. Elles veulent avoir accès à des hôpitaux partout au pays, à des hôpitaux qui sont près de leur région et de leur collectivité. Par conséquent, en plus de travailler avec Pinel pour accroître l’offre de l’institut, nous allons continuer nos démarches auprès des hôpitaux psychiatriques de partout au pays pour voir si nous pouvons avoir accès à davantage de lits près des établissements pour femmes.

La sénatrice Boyer : Je comprends, mais je me demandais s’il était possible d’obtenir un nombre exact de lits ou une date prévue pour l’accès à ces nouveaux lits.

Mme Wheatley : Nous serons en mesure de donner le nombre de lits à Pinel au printemps, lorsque le protocole d’entente aura été conclu avec l’institut. À l'heure actuelle, aucun autre hôpital n’est prêt à conclure un protocole d’entente, mais nous continuons nos démarches en ce sens.

La présidente : Peut-être pourriez-vous nous communiquer cette information lorsque vous l’aurez?

La sénatrice Pate : J’ai une question complémentaire à ce sujet. Il faudrait avoir des renseignements concernant les femmes, mais aussi les hommes, ainsi qu’au sujet de la fin du contrat de Brockville et de l’état de... des négociations en cours entre le gouvernement de l’Ontario et Service correctionnel du Canada, et avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en particulier. D’après ce que j’ai compris, ces négociations se déroulent depuis plus d’une décennie et aucune solution n’a encore été trouvée, en grande partie à cause de questions liées au financement.

Mme Wheatley : Je ne suis pas certaine que le financement soit le seul problème. Je crois que c’est plutôt une question de capacité dans les différentes provinces. Le nombre de lits est limité dans les provinces, comme c’est le cas dans tous les systèmes de santé dans le monde, mais nous pourrons vous communiquer ces informations.

La sénatrice Pate : Pour revenir aux discussions concernant ce qui nous attend avec le projet de loi C-83, s’il est adopté, et aux unités d’intervention structurée, celles-ci sont décrites par plusieurs, moi y compris, comme une simple façon de renommer l’isolement. Comme nous avons déjà discuté des unités à sécurité maximale, je voudrais savoir ce qui est fait pour que toute la recherche menée sur... Vous avez parlé des gens qui ne veulent pas sortir de leur cellule, par exemple. La réalité, c’est que nous connaissons maintenant les impacts de l’isolement, qui cause des dommages cérébraux, des problèmes psychologiques et des maladies mentales.

Des gens embauchés par le Service correctionnel du Canada ont fait des recommandations, je pense, entre autres, à Mme Moira Law, qui a recommandé que toutes les femmes soient d’abord envoyées dans des établissements à sécurité minimale. Le comité a entendu deux femmes qui avaient déjà été désignées comme délinquantes dangereuses — en fait, l’une d’elles a encore cette désignation — et l’écart entre la façon dont elles étaient décrites dans l’établissement et le comportement qu’elles ont dans la collectivité est marqué et nous l’avions noté.

Quels efforts déployez-vous pour vous éloigner des solutions impliquant l’ajout de structures avec des gardiens? Parce que, même les infirmières qui sont venues témoigner à la dernière réunion nous ont parlé de la nouvelle présence exigée de deux gardiens lorsque les portes des cellules seront ouvertes afin de permettre davantage de contacts humains. En quoi, selon vous, cela constitue-t-il du traitement volontaire? Parce que, dans les faits, avec la présence de deux gardiens, on peut se demander s’il s’agit d’un traitement volontaire ou d’un traitement imposé.

Lorsque nous avons visité les prisons, nous avons constaté que les gardiens étaient très visibles, mais pas nécessairement ceux qui font partie du personnel des programmes. Cela nous a frappés, mes collègues et moi, à quel point, à mesure que les établissements deviennent de plus en plus sécurisés, il y de moins en moins de solutions pour aider les gens à obtenir leur libération. Autant les détenus que le personnel nous ont fait part de préoccupations quant au fait qu’on se tourne de plus en plus vers les mesures de sécurité. Malgré l’approche qui semble être préconisée dans le projet de loi, ce que nous avons constaté sur le terrain était fort différent.

À ce sujet, comment, selon vous, les articles 29, 81 et 84 pourront-ils être utilisés concrètement pour que davantage de gens puissent sortir dans la collectivité et quelle proportion de l’augmentation du nombre de gens dans la collectivité relèvera des décisions de la Commission des libérations conditionnelles ou du travail correctionnel que vous avez accompli à l’interne?

Mme Kelly : D’accord; il y avait beaucoup d’éléments dans cette intervention.

Assurément, dans le cas des unités d’intervention structurée, oui, il faudra davantage d’agents correctionnels, mais nous allons embaucher du personnel, comme je l’ai mentionné, des intervenants, soit des agents des programmes, des agents de libération conditionnelle, des travailleurs sociaux et des ergothérapeutes. Encore une fois, l’objectif est de faire en sorte que les détenus sortent plus souvent de leur cellule. Évidemment, les agents correctionnels sont là pour assurer la sécurité du personnel et de l’environnement, mais les intervenants sont l’élément clé des unités d’intervention structurée; ils peuvent faire des interventions ciblées et offrir des programmes aux délinquants de ces unités. L’idée est vraiment de travailler auprès de ces détenus, comme je l’ai dit, et de les retourner avec le reste de la population carcérale le plus rapidement possible. C’est l’objectif et je m’attends à ce que le personnel cherche à l’atteindre.

Il y aura aussi des professionnels de la santé mentale dont le rôle sera crucial. Tous devront collaborer. Nous espérons que l’amélioration des soins en santé mentale et les diagnostics précoces nous permettront de mieux cerner les délinquants qui ont des besoins et de mieux les traiter en ayant un plan de suivi.

Nous avons observé que la collaboration entre les intervenants en gestion de cas, en santé et en sécurité est plus efficace dans le cadre de notre nouveau modèle d’engagement et d’intervention. Quand il y a un incident, nous apportons des changements. Il arrive souvent qu’un incident de sécurité dans lequel des agents correctionnels sont impliqués se transforme en incident nécessitant une intervention médicale parce qu’un délinquant présente des signes de détresse. Ce modèle montre bien que nous devons travailler en équipe et que nous avons tous un rôle à jouer. Voilà mon premier point.

En ce qui y a trait à l’article 81, nous en sommes à cinq pour le moment. Nous sommes toujours ouverts aux déclarations d’intérêt. Si des gens veulent se prévaloir de l’article 81, nous travaillerons avec eux et leur expliquerons les exigences à respecter. Nous cherchons à mettre des services en place pour les femmes dans la région des Prairies. J’ai aussi parlé avec les sous-commissaires régionaux des régions où il n’y a pas de services au titre de l’article 81 pour leur demander de faire des démarches pour en établir dans ces régions.

Dans le cas de l’article 84, les chiffres sont en hausse. Nous avons lancé une bonne initiative dans sept institutions carcérales destinée aux délinquants autochtones, une dans chaque région, sauf celle du Pacifique où il y en a trois. Nous avons créé des centres d’intervention autochtones. Ces centres intègrent des programmes d’admission et de réinsertion. Nous avons mobilisé des agents de développement auprès de la collectivité autochtone afin que la planification de la mise en liberté des délinquants commence dès leur admission plutôt que six mois avant leur mise en liberté. Je voulais vous parler de ce que montrent les chiffres. À notre avis, les Centres d’intervention pour Autochtones fonctionnent, car nous avons noté une augmentation des mises en liberté discrétionnaires — je parle des délinquants autochtones. La proportion est passée de 26,8 p. 100 en 2012-2013 à 40,4 p. 100 en 2017-2018. Depuis cinq ans, le nombre de délinquants autochtones mis en liberté sous condition a augmenté, le nombre de réincarcérations dans un établissement fédéral a diminué de 5 p. 100 et le taux de révocation a baissé. Je crois que ce sont des facteurs de réussite.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup pour ces informations.

Revenons aux articles 81 et 84. Vous avez mentionné que vous expliquez aux communautés quelles sont les exigences à respecter. Cherchez-vous des moyens pour faire en sorte que la politique soit conforme à l’intention initiale du législateur? Les services n’étaient pas censés se limiter au niveau de sécurité minimale, mais plutôt être offerts pour chaque niveau de sécurité. Ils n’étaient pas censés être réservés aux Autochtones, mais plutôt offerts à tous les prisonniers. Envisagez-vous de modifier la politique pour la rendre conforme à la loi?

Rien n’a encore été dit au sujet de la recommandation proposant que toutes les femmes reçoivent initialement une cote de sécurité minimale en raison de la façon discriminatoire d’attribuer les cotes qui a été évoquée.

Enfin, pouvez-vous nous parler des chiffres concernant les désignations spécifiques, soit le nombre de personnes dans chaque établissement, surtout en ce qui a trait au personnel? Quel montant ira aux agents correctionnels — combien spécifiquement et pas seulement en chiffres —, quel nombre d’heures et quelle proportion? L’enquêteur correctionnel nous a fait part de ses préoccupations concernant le montant alloué, qui est insuffisant pour atteindre les objectifs qui figurent dans votre lettre de mandat ou ceux formulés par le gouvernement lors de la présentation du projet de loi C-83. Il serait bon de le savoir.

Mme Kelly : Pour répondre à l’idée d’attribuer initialement une cote de sécurité minimale à toutes les femmes, comme vous le savez, nous disposons d’outils actuariels. Nous utilisons ces outils à l’admission des délinquants dans les établissements fédéraux. Ces outils ont été validés pour les femmes et les Autochtones. Il y a un outil de réévaluation de la cote de sécurité spécialement pour les femmes. Il s’agit d’une échelle dont se sert l’agent de libération conditionnelle pour faire son évaluation et faire l’attribution d’une cote de sécurité. Nous ne donnerions pas une cote de sécurité minimale à toutes les femmes en partant. Comme je l’ai dit, nous avons des outils actuariels qui nous aident à déterminer la cote à attribuer. Nous réévaluons évidemment les cotes de sécurité des femmes, en tenant compte de leur participation aux programmes et de leur plan correctionnel, ce qui leur permet de passer d’un niveau à l’autre.

Mme Blanchette : La majorité des femmes ont initialement une cote de sécurité minimale. Il y en a 51 p. 100 qui reçoivent initialement cette cote et 45 p. 100 qui reçoivent une cote de sécurité moyenne. Moins de 5 p. 100 reçoivent en partant une cote de sécurité maximale.

M. Tousignant : Je reviens sur vos propos, sénatrice Pate. Vous avez dit que les unités d’intervention structurée étaient des unités d’isolement portant un autre nom. Ce commentaire revient souvent. Il est important de préciser que ce n’est pas le cas. Si nous superposions la politique actuelle sur l’isolement et le plan pour les unités d’intervention structurée, qui misent sur les interventions, il apparaîtrait clairement que les unités d’intervention structurée que nous proposons pour l’avenir sont fort différentes de l’isolement préventif actuellement en place.

La sénatrice Pate : On élimine vraisemblablement ainsi toutes les garanties procédurales, mais, en pratique, c’est différent, surtout quand on prévoit des interventions avec un nombre accru d’agents correctionnels par rapport à des interventions sans agents correctionnels. Si j’évoque le cas des deux femmes qui ont été déclarées délinquantes dangereuses, c’est en partie parce que l’évaluation de l’une d’elles était fondée exclusivement sur son traitement en prison. Aussitôt qu’elle a eu accès à un thérapeute de l’extérieur, à une personne en qui elle avait confiance, il y a eu un changement radical. Son comportement a complètement changé. Voilà qui montre qu’il faut se tourner vers des ressources de l’extérieur, à mon avis, plutôt de multiplier les interventions des agents correctionnels.

M. Tousignant : Comme la commissaire l’a dit, nous prévoyons que nous cognerons régulièrement à la porte du détenu, pour des interventions en matinée et en après-midi avec des agents de libération conditionnelle, des aînés, des aumôniers et des thérapeutes comportementalistes pour inciter les détenus à s’investir dans le plan correctionnel et les motiver. Je suis tout à fait d’accord pour dire que si nous amorçons un virage, c’est ce qui doit se passer.

La présidente : Je vous invite à la concision dans vos questions et vos réponses pour que nous puissions mener à bonne fin ce panel. Il suscite manifestement beaucoup d’intérêt.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Bienvenue à vous tous à notre comité.

Ma question s’adresse à Mme Kelly. Dans vos notes d’allocution, vous avez mentionné qu’il y a encore des problèmes en ce qui a trait à la surreprésentation des peuples autochtones. Je n’aime pas admettre ceci, mais j’ai commencé ma carrière en politique autochtone il y a 20 ans. C’était un fait il y a 20 ans et c’est encore un fait. Vous avez dit que cela reste une préoccupation. Donc, 20 ans plus tard c’est encore une préoccupation.

Dès votre entrée en poste, vous avez reçu une lettre de mandat du ministre de la Sécurité publique pour adopter une culture d’autoréflexion. Cela dit, dans votre pratique ou dans le concept d’autoréflexion, est-ce que le Service correctionnel du Canada a une obligation de formuler des recommandations au gouvernement, peu importe sa couleur, pour améliorer le système et réduire la surreprésentation des peuples autochtones? Vous connaissez votre clientèle et ses problèmes sur le plan socioéconomique, de la santé mentale, de la dépendance, et cetera. Vous connaissez les peuples autochtones au sein de vos institutions. Faites-vous des recommandations au gouvernement en vue d’améliorer le système?

Mme Kelly : J’ai reçu la lettre de mandat du ministre, qui faisait justement référence aux peuples autochtones. Il y a quand même une surreprésentation des délinquants autochtones dans nos établissements. C’est en partie parce que nous ne contrôlons pas qui est admis dans nos établissements. Malheureusement, 24 p. 100 des gens qui sont admis sont des Autochtones. C’est bien évidemment un problème. Nous voulons réduire le nombre de ces délinquants. C’est pour cette raison que nous avons créé des centres d’intervention autochtones, dont trois dans la région des Prairies.

Nous faisons de notre mieux pour intervenir auprès des délinquants autochtones tant qu’ils sont dans le système correctionnel, afin qu’ils puissent participer à des programmes en temps opportun. Nous essayons d’intervenir aux termes de l’article 84, et pas seulement juste avant leur libération. Il y a du travail à faire quelques années avant leur libération. Nous faisons de notre mieux pour réduire le nombre de délinquants.

Le sénateur Brazeau : Faites-vous des recommandations au gouvernement pour tenter d’améliorer le système en tant que commissaire au Service correctionnel du Canada?

Mme Kelly : Le Service correctionnel du Canada déploie des efforts pour gérer la population autochtone et essayer de réduire le nombre de délinquants. Comme vous l’avez dit, nous connaissons notre clientèle dans les établissements. Nous savons quelles initiatives n’ont pas donné les résultats escomptés. À mon avis, les centres d’intervention autochtones fonctionnent, d’après les résultats que je vous ai transmis. C’est quand même assez nouveau.

Le sénateur Brazeau : À l’inverse, les gouvernements proposent-ils des recommandations pour tenter de changer le système ou d’intervenir davantage pour répondre aux besoins spécifiques des Autochtones qui sont incarcérés?

Mme Kelly : Des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada concernent l’article 81 et l’offre de programmes.

Nous connaissons bien le mandat que le ministre nous a confié dans sa lettre. Nous mettons différentes interventions à l’essai pour voir si elles fonctionnent. Nous espérons que les centres d’intervention autochtones donneront les résultats attendus.

Il y a une composante dans la communauté. Une initiative sur le plan des antécédents sociaux des Autochtones donne de bons résultats. Nous avons donné de la formation aux agents de libération conditionnelle. Nous constatons que la qualité des rapports s’est améliorée et la Commission nationale des libérations conditionnelles a fait part de ses commentaires sur la qualité des rapports. Donc, cela aide également.

Le sénateur Brazeau : J’aurais d’autres questions à poser, mais nous manquons de temps.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Je vous remercie d’être ici. J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Ataullahjan. Elle a mentionné que des témoins et des personnes purgeant une peine de ressort fédéral ont soutenu que de nombreuses politiques du Service correctionnel du Canada sont source de discrimination fondée sur la race, le genre, la déficience, l’état de santé mental, l’ethnicité, la religion, la langue et le reste. Pouvez-vous nous dire quelles politiques sont en place pour remédier à ce problème?

Mme Kelly : Je dois dire qu’à mon avis nous n’avons pas des politiques discriminatoires. Je dirais que c’est une initiative individuelle pour chaque délinquant. Il y a un plan correctionnel pour chaque délinquant. M. Motiuk pourrait en parler, car nous faisons le tour à leur admission. Il est vrai que nous posons beaucoup de questions. Le plan correctionnel est individualisé. Dans le cas des délinquants autochtones, par exemple, nous prenons en compte les antécédents sociaux des Autochtones. Nous avons d’ailleurs formé du personnel pour le faire.

Quand j’ai lu votre rapport provisoire, j’ai vu que l’autre situation préoccupante est celle des délinquants noirs parce que ceux-ci représentent 8 p. 100 de la population carcérale, mais 4 p. 100 de la population canadienne. Nous cherchons aussi à tenir compte des circonstances particulières qui touchent les délinquants noirs dans nos rapports. Voilà le genre de chose que nous faisons.

Larry Motiuk, commissaire adjoint, Politiques, Service correctionnel du Canada : Les politiques de développement que nous élaborons s’appuient toujours sur la mission et les valeurs fondamentales de l’organisme, lesquelles respectent les droits. Il existe aussi un processus de recours pour les délinquants qui permet d’examiner les droits, les recours et les solutions. Les délinquants peuvent déposer un grief ou une plainte. Il arrive que ce soit pour cause de discrimination et de harcèlement. Ces plaintes et ces griefs font l’objet d’une analyse et reçoivent une réponse individuelle de A à Z. Nous nous inquiétons chaque fois que ce genre d’allégations sont portées à notre attention. Nous surveillons depuis un certain temps la quantité de griefs formulés et nous nous réjouissons d’être parvenus à réduire de façon significative le retard dans le traitement des plaintes déposées par les détenus dans tout le service pour diverses raisons, au point où l’arriéré est maintenant gérable. Il s’agit d’un processus crucial pour nous. Nous avons le devoir d’écouter la population carcérale quand elle signale des problèmes comme la discrimination ou qu’elle a d’autres sujets de plainte.

Le sénateur Ngo : Pardon, mais vous n’avez pas répondu à ma question. Les témoins et les personnes détenues dans des établissements fédéraux disent que bon nombre des politiques de Service correctionnel Canada sont discriminatoires à leur endroit. C’est ce qu’on nous a dit.

M. Motiuk : Je ne vois pas lesquelles, mais nous examinerons sans hésiter toute forme de commentaires signalant où une telle chose est perçue. Lors de l’élaboration des politiques, nous consultons la population carcérale et les comités de détenus sur chacune des directives de la commissaire — il y en a plus de 200 — pour recueillir des commentaires. Il s’agit d’un élément qui nous apparaîtrait inquiétant et au sujet duquel nous ferions preuve d’ouverture.

Mme Kelly : S’il y a des exemples, pourrait-on nous en faire part? Pour ma part, à titre de commissaire ayant un mandat, j’adhère à la culture de la constante introspection. Je pense qu’il faut constamment examiner les politiques, les pratiques et les procédures pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Si quelque chose ne fonctionne pas, il faut le changer. Je prends cela très au sérieux. Soyons clairs, nous ne rédigeons jamais au grand jamais des politiques avec l’intention de faire de la discrimination. Cela dit, si des détenus vous ont dit qu’il y a des politiques discriminatoires, il serait bon d’en entendre parler.

La présidente : Nous ferons un suivi. La sénatrice Hartling a une question. Je rappelle aux sénateurs que ce groupe suscite beaucoup d’intérêt. Nous aurions pu passer tout notre temps avec vous. S’il y a d’autres questions, nous vous les enverrons. J’invite les sénateurs à nous les faire parvenir avant la fin de la semaine, pour que nous puissions faire un suivi rapide.

La sénatrice Hartling : Voulez-vous que je vous envoie ma question?

La présidente : Non, allez-y. Nous allons prendre quelques minutes.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de votre présence.

La santé mentale est un sujet qui revient constamment. On en parle en lien avec les établissements carcéraux, mais aussi avec la société canadienne. Je sais que vos employés travaillent très fort. Vous pouvez aussi compter sur 6 200 bénévoles. De ce nombre, combien entrent dans les prisons fédérales et à quel titre? Peuvent-ils offrir de l’aide pour atténuer les problèmes de santé mentale? Ont-ils quelque chose à apporter à cet égard, en tant que bénévoles?

Mme Kelly : Nous travaillons avec environ 6 000 bénévoles. Ceux-ci font toutes sortes de choses. Il y en a qui sont là pour parler avec les délinquants. Je ne crois pas que nous ayons des bénévoles qui sont... Je ne crois pas qu’ils jouent le rôle de psychologues, mais ils sont là pour venir en aide aux délinquants. Il y a même des bénévoles qui accompagnent les délinquants dans leur réinsertion sociale. Ils font différentes choses.

Le passage de la vie en institution à la vie en société est difficile. Je dis souvent que dans la société, les délinquants sont... Nous offrons beaucoup d’encadrement. Il y a beaucoup de personnel. Il y a des programmes. Il y a des interventions. Il est possible de parler avec des professionnels de la santé mentale. Quand vous réintégrez la société, après une longue incarcération, les choses ont changé. J’ai déjà vu des délinquants qui ne savaient pas utiliser un guichet automatique. Il y a donc des bénévoles qui les aident à s’orienter quand ils réintègrent la société.

En ce qui concerne la santé mentale, je vais laisser Mme Wheatley en parler.

Mme Wheatley : En matière de santé, les bénévoles jouent généralement deux rôles. D’un côté, ils agissent comme défenseurs des patients sous notre responsabilité. Il arrive fréquemment que des employés ou des bénévoles d’ONG se présentent pour défendre les droits des patients. C’est une excellente chose dans notre système. De l’autre, ils renforcent la dimension sociale au sein d’un établissement. Nous savons que le rétablissement de la santé mentale et la recherche du bien-être ne passent pas uniquement par la thérapie. Avoir un sentiment d’appartenance et des activités utiles et enrichissantes contribue grandement au bien-être des patients. La contribution des bénévoles est immense dans cet aspect du rétablissement des personnes sous notre responsabilité.

La sénatrice Hartling : Merci. Je pense que ce rôle pourrait être élargi. Bon nombre d'entre nous avons les compétences nécessaires pour contribuer à certaines de vos tâches. Merci beaucoup.

La présidente : Merci à tous d’être venus ici ce matin et d’avoir répondu à nos questions. Comme je l’ai dit plus tôt, nous vous ferons parvenir toute question supplémentaire que nous pourrions avoir. Merci.

Mme Kelly : Merci beaucoup.

La présidente : Dans la deuxième partie de notre réunion d’aujourd’hui, nous allons entendre le témoignage de représentants de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Je vais laisser la présidente, Jennifer Oades, nous présenter ses collaborateurs et faire ses commentaires liminaires. Merci.

Jennifer Oades, présidente, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Bon après-midi, madame la présidente et honorables membres du comité. Je vous remercie d’avoir invité la Commission des libérations conditionnelles du Canada à s’adresser à vous aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur les droits de la personne des délinquants dans le système correctionnel. Je suis heureuse de comparaître devant vous pour vous aider à éclairer votre étude.

Je vous présente mes collègues : Daryl Churney, directeur général exécutif, qui travaille au bureau national avec nous; et, enfin, Michelle Van De Bogart, directrice générale régionale pour la Région de l’Ontario.

Comme vous vous en souvenez peut-être, la Commission des libérations conditionnelles du Canada a comparu devant ce comité pour la première fois dans le cadre de cette étude le 5 avril 2017. Aujourd’hui, mes propos porteront sur l’environnement opérationnel dans lequel se trouve la commission ainsi que sur les priorités organisationnelles que j’ai établies depuis ma nomination en tant que présidente, le 31 janvier 2018, et je serai ensuite heureuse de répondre à vos questions.

Comme vous le savez, la commission fait partie intégrante du système de justice pénale. Elle prend des décisions indépendantes sur la mise en liberté sous condition et la suspension du casier et formule des recommandations en matière de clémence. La commission contribue à la protection de la société en favorisant, lorsqu’il convient de le faire, la réintégration en temps opportun des délinquants comme citoyens respectueux des lois. La commission honore cet engagement de manière transparente et responsable, tout en respectant les droits et la dignité des délinquants et des victimes.

Depuis notre dernière comparution devant le comité, la commission est maintenant responsable des radiations, dans la foulée de l’entrée en vigueur, le 21 juin 2018, de la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques. Cette loi permet la destruction ou la suppression définitive des dossiers judiciaires de condamnations constituant des injustices historiques, notamment pour des cas d’infractions admissibles concernant des activités sexuelles consensuelles entre des partenaires de même sexe qui seraient légales de nos jours.

Les libérations conditionnelles demeurent le secteur d’activité de la commission le plus important. La sécurité publique demeure la principale préoccupation de la commission dans tous les cas qu’elle traite.

La commission s’efforce d’assurer une équité dans ses politiques, de respecter les différences entre les sexes et les différences ethniques, culturelles et linguistiques chez les délinquants, et de répondre aux besoins particuliers des délinquantes et des membres d’autres groupes ayant des besoins particuliers.

Nous avons travaillé d’arrache-pied au cours de la dernière année pour bâtir une organisation qui se base sur les connaissances et qui est agile dans sa capacité à réagir aux changements dans un environnement opérationnel dynamique.

Nous nous acquittons de nos fonctions dans un environnement exigeant, et notre travail fait l’objet d’énormément d’attention du public. Nous devons en outre assurer une harmonisation efficace avec l’objectif du gouvernement du Canada d’assurer la sûreté et la sécurité des Canadiens. Le mandat de la commission est bien défini, mais son travail est complexe et exigeant. Les commissaires doivent traiter quotidiennement de deux aspects fondamentaux de la vie : la liberté individuelle et le droit de la société de se sentir à l’abri de la criminalité. Tous les jours, nous devons assurer une gestion des risques et veiller à ce que les délinquants soient réintégrés de manière efficace. Nous travaillons sans relâche pour mieux comprendre les risques et notre approche à l’égard de l’évaluation des risques et pour s’assurer que notre approche quant au processus décisionnel concernant les libérations conditionnelles répond aux besoins multiples et complexes de la population carcérale, tout en respectant la norme la plus élevée en matière de sécurité publique.

L’une des grandes priorités organisationnelles que j’ai établies depuis ma nomination est d’améliorer la capacité de la commission à répondre aux besoins des délinquants autochtones. La surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale est bien connue, et la commission s’emploie à s’assurer que les délinquants, les victimes et les collectivités autochtones connaissent leurs droits en matière de libération conditionnelle et qu’il n’y a pas d’obstacles systémiques à leur participation à ce processus. La commission continue à établir des politiques et à fournir des activités de formation qui tiennent compte des facteurs sociaux et culturels propres aux délinquants autochtones et à leurs collectivités. Nous continuons également à recourir à des modèles différents pour les audiences de libération conditionnelle, notamment les audiences tenues avec l’aide d’un aîné et les audiences tenues avec l’aide de membres de la collectivité.

Nous nous penchons également sur des façons de mieux répondre aux besoins des délinquantes. Nous sommes conscients du fait que ce qui fonctionne pour les délinquants ne fonctionne pas pour les délinquantes. Nous examinons des manières d’intégrer la prise de décisions en tenant compte des différences entre les sexes dans notre processus décisionnel en matière de libérations conditionnelles, et ce, dans le but de contribuer aux efforts visant à obtenir de meilleurs résultats.

La commission a entrepris l’analyse de tous les cas où des renseignements concernant le sexe et/ou le genre sont recueillis, utilisés et présentés à la commission. Cette démarche vise toutes les publications externes et internes, les formulaires, les applications informatiques, et cetera. Les résultats seront analysés et alimenteront les analyses comparatives entre les sexes qui seront réalisées par la commission dans l’avenir et ils serviront de base à tout changement éventuel à un programme ou à une publication.

Après ma nomination à titre de présidente, j’ai rapidement reconnu que la commission pouvait en faire plus pour devenir une organisation davantage tournée vers l’extérieur et davantage orientée vers la collectivité et les partenariats. Pour atteindre cet objectif, j’ai fait de l’amélioration de la communication de nos politiques et programmes auprès des partenaires, des victimes, des demandeurs, des délinquants et des Canadiens l’une des principales priorités de la commission. Nous avons travaillé activement pour élargir nos partenariats à l’externe dans le but de dialoguer avec la collectivité que nous desservons et afin d’apprendre grâce à cette dernière et, ce faisant, pour trouver des façons de nous adapter pour pouvoir répondre aux besoins d’une population carcérale en pleine transformation.

Au cours de la dernière année, nous avons également cherché à accroître le nombre d’occasions nous permettant de sensibiliser la population par rapport à notre mandat, étant donné que la question des libérations conditionnelles est souvent mal comprise. J’ai bon espoir que nous pourrons poursuivre nos efforts de sensibilisation de la population et de dialogue avec les partenaires dans la collectivité, ce qui contribuera à changer des attitudes et à défaire des conceptions erronées que certaines personnes pourraient entretenir à l’égard de la Commission des libérations conditionnelles et de sa contribution à la sécurité publique. Ce type d’engagement nous aide par ailleurs à prendre en considération et à mettre au point des façons nouvelles, novatrices, constructives et durables qui nous permettront de renouveler notre approche en matière de services correctionnels communautaires.

Merci. Je serais maintenant heureuse de répondre à vos questions.

La sénatrice Cordy : Merci d’être ici aujourd’hui. Je suis contente de vous voir. Certains d’entre nous ont eu la chance d’assister à une audience de libération conditionnelle lorsque nous sommes allés visiter une des prisons.

Est-ce que tous les postes de la commission ont été pourvus à l’échelle du pays? Je me souviens, il y a quelques années, que les gens du Canada atlantique devaient se rendre dans l’Ouest ou dans les provinces centrales parce qu’il n’y avait pas assez de gens pour faire le travail.

Mme Oades : Je suis heureuse de vous dire que nous sommes presque là où nous devrions être. Nous espérons nommer quelques autres commissaires au cours des prochains mois. Je dirais qu’il manque quelques commissaires dans la région du Pacifique, mais ailleurs, tout va bien.

Je tiens aussi à souligner que nous avons fait d’énormes progrès au chapitre de la diversité depuis notre dernière comparution devant vous. Ainsi, nous avons maintenant 79 commissaires, 44 à temps plein et les autres à temps partiel, et 54 p. 100 d’entre eux sont des femmes. Il y a donc 43 femmes à la commission. La dernière fois que nous avons comparu, il y en avait 11. Il y a en outre 9 p. 100 d’Autochtones, 6 p. 100 de membres de minorités visibles, 4 p. 100 de personnes handicapées — désolée, je pourrai vous fournir les données exactes. Nous avons grandement amélioré la diversité et sommes ainsi plus représentatifs des collectivités que nous desservons.

La sénatrice Cordy : Qu’en est-il des délais d'attente? Lorsqu’un détenu est admissible à la libération conditionnelle, il doit attendre avant son audience. Quel est le temps d'attente habituel? À moins que tout cela soit organisé d’avance et que les audiences soient prévues des mois avant que la personne ne devienne admissible? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Oades : Au moment de leur condamnation, les gens sont censés savoir quelle est leur peine. Je ne vais pas trop entrer dans les détails. La durée de la peine est divisée en trois tiers. Un détenu peut faire une demande de libération conditionnelle totale après avoir purgé le premier tiers de sa peine. Il peut présenter une demande de semi-liberté six mois avant sa date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. Les recherches montrent que la remise en liberté graduelle, structurée et supervisée est la façon de réintégrer les détenus dans la société qui protège le mieux la population. Dans le meilleur des cas, un détenu obtient sa semi-liberté six mois avant sa date de libération conditionnelle totale, puis obtient sa libération conditionnelle totale. Ceux qui ne réussissent pas à obtenir leur libération conditionnelle ou qui n’en font pas la demande sont généralement remis en liberté après avoir purgé les deux tiers de leur peine. La libération d’office a donc lieu aux deux tiers de la peine. Ce n’est pas la commission qui décide dans ces cas-là. Là où la commission intervient, c’est dans l’établissement des conditions qui vont s’appliquer à la personne qui est remise en liberté d’office.

La sénatrice Cordy : Comment les détenus sont-ils préparés en vue des audiences? Sont-ils préparés avant leur audience pour qu’ils comprennent bien quels sont leurs droits et pour qu’ils ne soient pas laissés à eux-mêmes sans savoir quels sont leurs droits et leurs responsabilités? Reçoivent-ils de la formation préalable?

Mme Oades : De la formation pour...

La sénatrice Cordy : « Formation » n’est pas vraiment le bon terme. Je parle de préparer les détenus avant leur audience pour qu’ils comprennent bien le processus. J’imagine que ce doit être intimidant. Le commissaire tient pour ainsi dire leur vie entre ses mains. Qu’est-ce qu’on donne aux détenus? J’ai parlé de formation, mais ce peut être des consultations ou...

Mme Oades : Nous avons ce que nous appelons le programme In-Reach, qui est un programme d’accompagnement : notre personnel rencontre les détenus et leur parle du processus. Nous l’avons mis en application beaucoup plus souvent, je pense, depuis un peu plus d'un an. Auparavant, nous parlions surtout aux agents de libération conditionnelle pour tout leur expliquer, mais je ne crois pas que l’information se rendait vraiment aux détenus. Maintenant, nous rencontrons les détenus pour leur expliquer quels sont leurs droits, comment l’admissibilité à la libération conditionnelle fonctionne et à quoi ils doivent s’attendre lors de l’audience. Dans le cas des détenus autochtones, nous leur parlons des différentes possibilités qui s’offrent à eux, comme les audiences tenues avec l’aide d’un aîné ou de membres de la collectivité. Nous faisons donc de l’accompagnement.

Daryl Churney, directeur général exécutif, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Je peux ajouter quelque chose à ce sujet. La présidente a mentionné les détenus autochtones. Nous savons que ces détenus présentent un défi particulier pour le système correctionnel. En 2018-2019, la Commission des libérations conditionnelles a organisé 31 activités de sensibilisation externe et interne auprès de collectivités et d’institutions partout au pays.

Les activités externes incluaient les partenaires communautaires et les ONG qui œuvrent dans le milieu correctionnel. Il y a parfois des comités de justice locaux dans les collectivités. Les activités internes, comme la présidente l’a mentionné, visaient précisément les détenus autochtones et consistaient en des rencontres avec des détenus autochtones, des agents de libération conditionnelle et des gestionnaires d’établissements correctionnels. Ces rencontres ont pour but de renseigner les détenus à propos du déroulement des audiences et des questions qu’ils risquent de se faire poser afin de réduire leur niveau d’anxiété avant l’audience.

Cette année, nous avons également eu des conversations avec le Service correctionnel du Canada pour ramener la Commission des libérations conditionnelles dans la formation des agents de libération conditionnelle. C’est ce que nous faisions auparavant, mais, pour une raison ou une autre, cette pratique a cessé il y a une dizaine d’années. Il y a donc une dizaine d’années que la Commission des libérations conditionnelles n’a pas pris part à la formation des nouveaux agents de libération conditionnelle et de ceux qui suivent un programme de perfectionnement professionnel continu pour leur expliquer ce que fait la commission, à quoi ressemble une audience de libération conditionnelle, à quoi s’attendre et comment un agent de libération conditionnelle peut se préparer et préparer les détenus en fonction des attentes des commissaires. En avril 2019, nous recommencerons à faire ces présentations aux agents de libération conditionnelle dans le cadre de leur perfectionnement professionnel continu. La deuxième phase, plus tard dans l’année, consistera à discuter avec les nouveaux agents de ce à quoi ils doivent s’attendre lors d’une audience de libération conditionnelle.

La sénatrice Cordy : Les agents de libération conditionnelle sont sous votre responsabilité?

Mme Oades : Non, ils sont sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada.

La sénatrice Cordy : Merci.

La présidente : Pourrais-je poser une brève question complémentaire? Vous avez dit que vous nous fourniriez les données sur la diversité des commissaires. Lorsque vous le ferez, pourrez-vous subdiviser la catégorie des minorités visibles?

Mme Oades : Certainement.

La sénatrice Martin : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Cordy à propos des processus, de l’accès à l’information et de la préparation des détenus. Vous avez dit pendant votre présentation que vous voulez répondre aux différents besoins des détenus et personnaliser les services, car chaque détenu a des besoins différents. Je pense aussi à la diversité des populations carcérales et aux différences selon les régions du pays.

Vous avez parlé d’éliminer les obstacles systémiques. J’aimerais que vous nous parliez un peu plus des obstacles systémiques que vous avez notés à travers les travaux de la commission et des mesures que vous avez prises pour en éliminer. Vous avez mentionné l’attention particulière que vous accordez aux détenus autochtones et aux femmes, mais j’aimerais savoir quelles autres mesures personnalisées sont prises pour atténuer ou éliminer les obstacles systémiques dans la mesure du possible.

Mme Oades : C’est une très bonne question. Pour être honnête, je dois dire que nous avons encore des difficultés à certains égards. Je crois fermement que le risque posé par chaque détenu est propre à chacun et que les outils d’évaluation des risques ne suffisent pas. Il faut une approche plus globale.

Le meilleur exemple est évidemment celui des détenus autochtones. Nous avons travaillé avec les collectivités et auprès des détenus pour éliminer certains des obstacles. Le plus triste, c’est que la commission ne voit pas beaucoup de détenus autochtones, puisqu’il arrive très souvent que ceux-ci ne se prévalent pas de leur droit d’admissibilité à la libération conditionnelle, que ce soit à la semi-liberté ou à la libération conditionnelle totale. Les efforts que nous déployons visent notamment à les encourager à rencontrer les commissaires et à faire une demande de semi-liberté ou de libération conditionnelle totale. Le simple fait de les convaincre de présenter une demande est un obstacle en soi.

Il y a aussi des préoccupations du côté des détenus issus de groupes ethnoculturels. Nous avons donné beaucoup de formation à nos commissaires à cet égard. Chaque année, il y a une séance de formation qui dure cinq jours et qui aborde les questions liées à la diversité. Celle qui aura lieu bientôt à Kingston porte entièrement sur la diversité et vise à faire en sorte que la composition de la commission reflète la diversité de la société. Nous avons encore du travail à faire à cet égard. Les commissaires doivent comprendre que la population carcérale est diversifiée et être conscients de cette diversité dans les questions qu’ils posent, et l’organisation des audiences de libération conditionnelle. Je crois qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire. C’est pourquoi la prochaine séance de formation portera précisément sur la diversité.

Les troubles de santé mentale chez les détenus causent également des difficultés. On ne devrait pas tenir d’audiences par vidéoconférence dans le cas de détenus qui ont des troubles de santé mentale. Nous savons que ce n’est pas la meilleure façon de procéder dans ces cas-là. Par exemple, si le détenu est agité, nous encourageons les commissaires à lui permettre de se lever et de marcher dans la pièce pendant l’audience si cela peut faciliter les choses.

Au bout du compte, le détenu a le droit d’être entendu. C’est l’audience du détenu, alors il faut que celle-ci reflète sa réalité culturelle. Je ne dis pas que nous sommes parfaits, mais nous nous efforçons de nous améliorer.

La sénatrice Martin : J’ai une question sur vos façons d’accompagner les détenus. Vous préparez les gens, vous offrez de la formation et vous faites de votre mieux pour accompagner les détenus. S’il manque un maillon de la chaîne, y a-t-il un partenaire ou quelqu’un d’autre dans la prison? Qui peut faire le pont? Il me semble que vous déployez beaucoup d’efforts pour donner de la formation et pour prendre en considération toutes les circonstances individuelles des détenus, mais on dirait qu’il manque toujours un maillon. Y a-t-il moyen de combler ce manque?

Mme Oades : Vous voulez parler des audiences elles-mêmes?

La sénatrice Martin : Ou même pour aider les gens à se préparer et pour les informer. Vous dites que des détenus ne se prévalent pas des possibilités qui leur sont offertes, mais n’y a-t-il pas quelque chose à faire? Je me demande s’il existe un intermédiaire. Comment pouvons-nous amener les gens à accepter ce que vous offrez?

Mme Oades : Nos partenaires des ONG avec qui nous travaillons au sein des collectivités en sont conscients. Ils œuvrent énormément à l’intérieur des prisons et essaient d’aider.

Bien honnêtement, il faut que la commission travaille de plus près avec le Service correctionnel du Canada pour comprendre pourquoi ces gens ne se prévalent pas de leurs droits. Je suis sûre qu’ils ont parfois de bonnes raisons, mais compte tenu du nombre de détenus qui renoncent, il doit y avoir d’autres causes.

La sénatrice Martin : Par exemple, dans le secteur médical, il y a le patient et il y a la famille. Les travailleurs sociaux sont très utiles pour aider les familles et les patients à accéder aux programmes. Des travailleurs sociaux ont témoigné lors d’une réunion précédente. Je m’interroge sur le rôle des intervenants qui sont déjà sur le terrain et qui travaillent à l’intérieur du système. Il faudrait trouver les meilleures personnes pour contribuer à combler le manque. Quel rôle les travailleurs sociaux, par exemple, jouent-ils?

M. Churney : Je crois que le rôle de nos partenaires du secteur bénévole est crucial. Je pense à des organismes comme la Société John Howard et la Société Elizabeth Fry. Tous ces gens qui s’occupent du soutien après la détention sont nos partenaires. Ils sont parfois perçus comme des intervenants ou de simples parties intéressées, mais nous les considérons réellement comme des partenaires. Ce sont habituellement à des organismes comme ceux-là que nous confions les gens qui sortent de prison.

Je pense qu’il est juste d’affirmer que le système n’inclut pas toujours très bien ces partenaires dans la planification et la préparation de la remise en liberté. Ils ne sont pas toujours inclus dans le processus aussi tôt que possible pour préparer les plans de remise en liberté et pour que le système sache en quoi consistent ces plans du point de vue des collectivités. Où la personne va-t-elle habiter? Quels sont les programmes et les ressources communautaires nécessaires pour l’appuyer?

Le système est généralement conçu de telle sorte que les gens participent à des programmes et cochent des cases lorsqu’ils les complètent afin que la commission soit au courant. C’est certainement important, mais les recherches menées par le Service correctionnel du Canada lui-même montrent qu’environ 40 p. 100 de la population carcérale fédérale présente un faible risque. Ces mêmes recherches disent que surcharger de programmes des personnes à faible risque peut faire plus de mal que de bien.

Globalement, nous devons porter une plus grande attention sur notre façon d’utiliser les ressources, et mettre davantage l’accent sur les personnes à risque élevé qui ont des besoins complexes et moins sur les personnes à faible risque, afin que celles-ci avancent plus vite dans le système. Je crois que ce serait utile.

Nous venons d’avoir des discussions avec nos partenaires communautaires la semaine dernière. Tous sont résolus à jouer un rôle plus actif. Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse pour ajouter que nombre de ces partenaires reçoivent du financement de base du gouvernement, mais que les niveaux de financement sont à peu près stables depuis une vingtaine d’années. Ils font un travail phénoménal avec des budgets très serrés. Je crois qu’il vaut la peine d’y réfléchir.

La sénatrice Martin : Merci.

La sénatrice Boyer : J’ai une question à propos de la cote des groupes menaçant la sécurité, ou GMS. Des témoins nous ont dit, au cours du dernier mois environ, à quel point il est difficile de faire supprimer cette cote de son dossier. Cela semble impossible. Je me demande quel rôle cette cote joue dans la prise de décisions concernant les libérations conditionnelles.

Mme Oades : Je ne suis pas certaine. Je trouve votre question intéressante parce que nous avons entendu la même chose la semaine dernière lors d’une séance de réflexion. Plusieurs personnes ont parlé de la difficulté de supprimer cette cote et du fait qu’elle peut parfois être attribuée des années après qu’une personne a été remise en liberté. C’est préoccupant. Je ne suis pas sûre que cette cote soit encore indiquée sur les demandes de libération conditionnelle. À mon avis, si la cote est toujours active, la personne visée se fera poser des questions assez pointues à propos de cette désignation. Par contre, si elle est inactive, elle ne devrait pas être prise en considération dans l’évaluation globale liée à l’infraction désignée.

La sénatrice Boyer : D’accord. C’est bon à savoir. Donc, si la cote est inactive, elle n’aura aucun impact sur la décision relative à la libération conditionnelle?

Mme Oades : Eh bien, elle n’aura aucun impact sur la suite des choses. Elle sert surtout à établir que vous avez commis l’infraction désignée, par exemple, que vous faisiez partie d’un gang, mais si vous faites des progrès, votre désignation peut devenir inactive. Il est difficile d’associer un risque à cette désignation si elle est inactive.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être venus et merci pour tout votre travail.

Le groupe de témoins précédent nous a parlé de l’augmentation du nombre de remises en liberté et de libérations conditionnelles l’année dernière. Il n’est pas évident de déterminer si cela s’explique par des changements au Service correctionnel du Canada ou à la Commission des libérations conditionnelles. Si vous croyez pouvoir nous en parler, je vous invite à le faire.

Ma question porte sur les types de libérations. Quand nous avons visité les prisons, nous avons vu beaucoup de personnes malades, physiquement ou mentalement. Lorsque nous avons posé des questions sur les libérations exceptionnelles, on nous a laissés entendre que personne n’obtient ce genre de venus sauf si on est sur le point de mourir. Pourtant, comme vous le savez, la loi prévoit toutes sortes de cas pour lesquels une libération exceptionnelle est permise. Il y a aussi l’article 29, qui prévoit le transfèrement d’un détenu pour des raisons de santé.

On nous a aussi dit que de nombreux détenus sont dissuadés de faire une demande de libération conditionnelle par leur agent de libération conditionnelle. Vous avez mentionné que beaucoup de détenus renoncent à leur droit de présenter une demande, et cela semble concorder avec ce qu’on nous a dit. Les détenus sont aussi dissuadés de présenter des demandes au titre des articles 81 et 84, par exemple. Ce que je comprends après avoir assisté aux audiences de libération conditionnelle, c’est que le rôle de la commission consiste à poser des questions à propos du détenu. Cela dit, dans quelle mesure êtes-vous capables de présenter des demandes de libération exceptionnelle ou des demandes au titre des articles 81 ou 84?

Si je pose la question, c’est en partie parce que vous nous avez indiqué que vous aviez de nouvelles approches en ce qui concerne notamment les membres de groupes ethnoculturels, les Autochtones et les femmes. Il me semble que renseigner les gens et se demander pourquoi ces options n’ont pas été envisagées serait une bonne idée. Je ne sais pas à quel point vous pouvez utiliser ces mécanismes et si ce qui vous en empêche relève de la façon dont ils sont appliqués ou d’autre chose. Je suis désolée de poser une question aussi large.

Mme Oades : Merci. Ce sont de bonnes questions.

Je vais commencer par votre dernière question. C’est intéressant, parce qu’on m’a dit quelques fois que la commission devrait avoir davantage de pouvoirs. Nous pourrions en faire davantage, comme demander aux délinquants de revenir devant la commission aux fins d’examen de leurs conditions de libération. Je parle surtout des délinquants qui purgent une peine d’une durée indéterminée et qui sont en liberté dans la collectivité depuis 20 ou 25 ans, par exemple.

J’ai été agente de libération conditionnelle. Je peux vous dire que les dossiers de détenus condamnés à perpétuité sont les plus agréables parce qu’ils sont généralement les plus simples. On entend souvent des agents dire qu’ils préféreraient avoir à gérer 30 dossiers de condamnés à perpétuité qu’un mélange de toutes sortes de peines, parce que ces délinquants sont généralement plus stables au fur et à mesure qu’ils passent du temps dans la collectivité, et il est très rare qu’ils reviennent pour modifier les conditions de leur libération.

Je ne sais pas si, dans la collectivité, les agents de libération conditionnelle sont réticents à l’idée de suggérer aux délinquants de comparaître de nouveau devant la Commission des libérations conditionnelles, mais je ne crois pas que celle-ci devrait attendre. Je pense que, dans le cadre du pouvoir qui nous est conféré d’octroyer la libération conditionnelle, nous devrions dire : « Soit dit en passant, nous aimerions vous revoir dans cinq ans pour déterminer si les conditions qui vous ont été imposées sont toujours pertinentes ou si elles devraient être modifiées. » Je pense vraiment que la commission devrait insister davantage là-dessus. Les conditions sont censées être le moins restrictives possible et être proportionnelles au risque. Je pense que bien des choses peuvent changer en cinq ans — et encore plus en 10 ans. À mon avis, le chiffre magique est d’environ huit ou neuf années passées dans la collectivité. Le libéré conditionnel est aussi susceptible de récidiver que chacun d’entre nous autour de cette table. Je pense que nous pouvons faire progresser les choses à cet égard.

Pour ce qui est des délinquants vieillissants ou mourants, nous avons eu des discussions avec le Service correctionnel du Canada à ce sujet. Par la suite, nous avons obtenu d’excellents résultats. En effet, lorsque nous sommes informés le plus tôt possible des cas, nous pouvons organiser une audience rapidement et décider s’il est possible d’accorder une libération conditionnelle suivant le processus normal ou à titre exceptionnel.

Je demanderais à Michelle de nous dire ce qu’elle en pense, car il y a eu un cas dans sa région. Il s’agissait probablement d’un cas inédit, où il a été possible d’organiser très rapidement une audience en vue de libérer une personne pour qu’elle puisse mourir dans la collectivité.

Michelle Van De Bogart, directrice générale régionale, Région de l’Ontario, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Nous avons été appelés récemment à gérer deux cas de ce genre, en collaboration avec le Service correctionnel du Canada, à partir du moment où la commission a été informée que la personne était mourante. Nous avons travaillé en collaboration pour obtenir tous les renseignements nécessaires.

Dernièrement, nous avons aussi assoupli notre politique. Les renseignements médicaux exigés peuvent être obtenus auprès non seulement du médecin traitant, mais aussi d’autres professionnels de la santé, ce qui nous donne encore plus de souplesse.

Dans les deux cas, une décision a été prise très rapidement. Dans l’un d’entre eux, les commissaires ont pris leur décision dans les 48 heures suivant la réception de l’avis nous demandant de recueillir tous les renseignements nécessaires. Nous avons donc permis à ces deux personnes de mourir entourées de leur famille, dans une chambre exempte de mesures de sécurité.

La présidente a demandé aux directeurs généraux régionaux de discuter de ces questions avec leurs homologues du SCC dans les régions. Tous mes collègues au pays ont participé à ces discussions et, depuis, les choses fonctionnent très bien en Ontario.

La sénatrice Pate : Serait-il utile qu’une entité comme la nôtre ou un autre groupe recommande que la commission puisse assumer davantage de fonctions d’enquête? Disons que 5 ou 10 femmes ou Autochtones ou encore des membres d’autres groupes se présentent devant la commission et que celle-ci ne voit pas comment elle pourrait mettre en application l’article 81 ou 84 de la loi. La commission dispose-t-elle déjà d’un pouvoir en matière d’enquête qu’elle pourrait utiliser dans ces cas?

Mme Oades : Je ne suis pas certaine de la réponse, mais je pense qu’il vaudrait vraiment la peine de se pencher là-dessus.

J’aimerais simplement souligner une autre chose. En 2012, le gouvernement a modifié la définition de la semi-liberté inscrite dans la loi pour autoriser le délinquant à réintégrer tout autre lieu précisé. Depuis toujours, la semi-liberté prévoyait que le délinquant devait retourner dans une maison de transition, un établissement ou un autre lieu que le SCC avait désigné et qui répondait à ses exigences. En 2012, on a modifié la loi pour autoriser tout autre lieu. La loi accorde ainsi beaucoup de souplesse aux autorités. Nous avons modifié notre politique interne, qui, auparavant, ne nous permettait pas vraiment de choisir un autre lieu. À mon avis, la politique répond maintenant aux besoins de certaines personnes qui vivent en région éloignée.

Dans le cas de la semi-liberté, certaines personnes laissent entendre qu’il s’agit en fait d’une libération conditionnelle totale, puisque la personne visée peut demeurer à la maison. Ce n’est pas ce que je pense, car la différence entre la semi-liberté et la libération conditionnelle totale, c’est la sévérité des conditions imposées au délinquant. Un délinquant en semi-liberté doit réintégrer chaque soir un foyer, une maison de soins infirmiers ou un autre lieu, en particulier dans les régions éloignées, et il doit aussi se conformer à des conditions qui sont un peu plus structurées que celles imposées dans le cas de la libération conditionnelle totale.

Il convient de souligner ce changement, car je pense qu’il est important, tant pour la commission que pour le SCC. Comme ce changement est relativement nouveau, il faudra un certain temps avant que tous les intervenants puissent s’y habituer.

M. Churney : La stratégie consistait notamment à harmoniser nos politiques avec la loi et les autorisations nécessaires, ainsi qu’à prêter main-forte au SCC à certains égards. Le SCC doit composer avec des pressions et des problèmes attribuables au manque de places dans la collectivité et les établissements résidentiels communautaires. On décide parfois d’envoyer un délinquant dans une maison de transition sans que cela soit forcément nécessaire. Il convient d’élargir la portée de la politique pour permettre que des délinquants soient envoyés ailleurs, par exemple chez leur mère ou leur grand-mère, à condition que cette décision tienne compte des risques que présentent les délinquants en question et qu’elle leur convienne. Il s’agit d’un moyen d’atténuer en partie les pressions que subit le SCC dans le dossier de l’hébergement en milieu communautaire.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Vos témoignages sont très intéressants, et il semble bien que les choses soient en train de progresser.

J’ai apprécié vos commentaires sur la nécessité de traiter différemment les hommes et les femmes et de gérer leurs cas différemment. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je pense aussi au fait que des personnes ont maintenant d’autres identités de genre, comme les transgenres. Est-ce un facteur dont vous tenez compte?

Mme Oades : Je pense que oui. Parlons d’abord des femmes. Comme j’ai été sous-commissaire pour les femmes au Service correctionnel du Canada, j’accorde la priorité aux façons de faire les choses différemment.

Quand je suis arrivée à la commission, j’ai été quelque peu étonnée de constater que les audiences étaient menées exactement de la même façon pour les hommes et les femmes, et ce, même si les facteurs à l’origine de la criminalité sont très différents dans le cas des femmes, sans parler des traumatismes qu’elles ont subis. Je m’inquiétais du fait que les audiences commençaient toujours par un examen de l’infraction à l’origine de la peine. Compte tenu de la structure mise en place pour le déroulement des audiences, on ne devrait pas être étonné de constater qu’une délinquante se replie sur elle-même, puisqu’on l’oblige à revivre son traumatisme en parlant d’abord de l’infraction à l’origine de sa peine. Y aurait-il une meilleure façon de tenir ces audiences? Les femmes devraient-elles pouvoir choisir entre divers formats d’audience?

Nous disposons déjà d’excellentes pratiques depuis un certain temps, notamment à l’Établissement Nova pour femmes. Dans cet établissement, les audiences de libération conditionnelle ne sont pas menées selon la pratique traditionnelle, qui veut que les commissaires posent des questions à la délinquante assise en face d’eux. Les commissaires s’habillent de manière un peu plus informelle. Ils forment habituellement un cercle. C’est ce qu’on fait pour répondre à la volonté des femmes. Ces dernières ont le choix. Il n’est pas nécessaire d’être Autochtone pour demander que l’audience se déroule en forme de cercle. Les résultats sont meilleurs dans ces cas, et les délinquantes sont plus susceptibles de présenter une demande de libération conditionnelle, car elles se sentent moins intimidées dans un tel processus.

Michelle copréside un comité chargé d’examiner cette question et de déterminer les pratiques exemplaires en la matière. J’ai été très surprise de constater que certains de mes collègues américains agissent déjà en ce sens. Nous n’avons jamais pensé que les États-Unis pourraient constituer un modèle à cet égard, mais certains États ont déjà commencé à examiner la possibilité de tenir un plus grand nombre d’audiences adaptées au sexe des délinquants.

Voilà où se situe notre point de départ, et nous sommes en train de faire certaines recherches. Nous examinons la documentation pertinente. Ce n’est qu’un début. Il y a lieu d’examiner la situation des transgenres, des gais et des lesbiennes, entre autres. La portée de l’examen sera élargie en conséquence. Je pense aussi que ce qui fonctionne généralement bien pour les femmes est tout aussi efficace pour les hommes, du moins en pratique. J’espère donc qu’il y aura un effet d’entraînement.

Le sénateur Brazeau : Bienvenue à tous. Vous avez dit, il me semble, que la Commission des libérations conditionnelles tente de poser des questions adaptées à la situation des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles. Pourriez-vous nous donner des exemples de ces questions?

Mme Van De Bogart : Par exemple, dans le cas des délinquants autochtones, il arrive souvent que les audiences se tiennent avec l’aide d’un aîné. Si les hommes ou les femmes qui comparaissent devant la commission ont déjà participé avec des aînés à des programmes destinés aux Autochtones, nous allons discuter avec eux des cérémonies auxquelles ils ont participé, des enseignements qui leur ont été offerts et de ce qu’ils en ont retiré. Nous tenons compte de cette information dans l’évaluation du risque. Nous prenons en considération toutes sortes de facteurs au moment d’évaluer le risque. La présidente de la commission a fait allusion à cela lorsqu’elle a parlé des antécédents des délinquants, de ce qu’ils ont fait pendant leur incarcération et des endroits où ils souhaitent aller après leur libération. Nous tenons compte de ces renseignements et de la participation des délinquants à des cérémonies tenues en présence d’aînés, ainsi qu’à des activités culturelles et religieuses.

Il est difficile de donner un exemple de question, car les commissaires décident de l’angle que doit prendre la conversation avec le délinquant en fonction de chaque cas. Il ne fait aucun doute que ces renseignements sont pris en compte.

Le sénateur Brazeau : D’accord. Je vous remercie de ces précisions.

Deuxièmement, je pense que vous avez indiqué que de nombreux Autochtones renoncent à leur droit de comparaître devant la Commission des libérations conditionnelles. Savez-vous pourquoi ils font cela?

Mme Oades : Non, à part le fait qu’ils ne se sentent peut-être pas prêts ou qu’ils sont intimidés à l’idée de comparaître devant la Commission des libérations conditionnelles. Ils s’attendent à recevoir une réponse négative. Aux termes de la loi actuelle, en cas de réponse négative de la part de la commission, il y a un délai à respecter avant de pouvoir présenter de nouveau une demande. Ce n’est pas coulé dans le béton. À certains égards, je pense toutefois que c’est le cas. Un délinquant doit attendre un certain temps avant d’avoir le droit de présenter une nouvelle demande. Je pense qu’un délinquant condamné à une peine relativement courte et qui n’a pas suivi tous ses programmes risque d’être intimidé et de ne pas comparaître devant la commission à la première occasion. Il sait aussi que, advenant le rejet de sa demande, il devra attendre peut-être un an avant de pouvoir en présenter une nouvelle. Je pense que c’est une des raisons qui expliquent cette situation.

Je dirais que nos activités de liaison interne ont aussi contribué à dissiper certains mythes. J’ai également mis sur pied le cercle autochtone de la présidente et je peux compter sur des personnes vraiment remarquables, comme Ron Sky et le chef Benedict, d’Akwesasne. Je reçois également les conseils de personnes compétentes, qui sont engagées dans leur collectivité et dans l’ensemble du processus correctionnel. Parmi leurs principales inquiétudes, il y avait la question suivante : Pourquoi les délinquants autochtones renoncent-ils à leur audience de libération conditionnelle? Nous nous penchons là-dessus. À mon sens, c’est l’un des dossiers sur lesquels la commission doit travailler en collaboration beaucoup plus étroite avec le Service correctionnel du Canada.

Le sénateur Brazeau : À votre avis, que devrait-on faire pour mieux appuyer les détenus autochtones afin qu’ils soient plus susceptibles de voir la Commission des libérations conditionnelles leur accorder une libération conditionnelle?

Mme Oades : Je pense qu’on peut faire deux ou trois choses. On peut examiner les programmes. À mon avis, on doit s’assurer que le délinquant suit les bons programmes au bon moment pendant sa peine afin qu’il soit bien préparé en vue de sa comparution devant la commission. Il faut absolument expliquer au délinquant la marche à suivre et les options qui s’offrent à lui. Souhaite-t-il participer à une audience de libération conditionnelle ordinaire? Souhaite-t-il participer à une audience avec l’aide d’un aîné? Je pense qu’on peut l’aider en lui offrant différentes options.

Il faut aussi travailler en collaboration avec la collectivité. Les efforts peuvent venir de l’intérieur comme de l’extérieur de l’établissement. Je pense que les efforts provenant de l’extérieur peuvent être plus efficaces, car, dans ce contexte, la collectivité aide activement le délinquant à réintégrer la société et à bénéficier des services de soutien qui y sont offerts. Les commissaires doivent être convaincus de la viabilité du plan de libération conditionnelle. Le risque de récidive est peut-être modéré ou faible, mais de quels services de soutien le délinquant peut-il profiter dans la collectivité pour l’aider à atténuer le risque qu’il pourrait poser? Le délinquant souffre-t-il de problèmes de santé mentale? Peut-il suivre des programmes et obtenir des services de counselling dans la collectivité? Existe-t-il différents types de programmes qui pourraient être nécessaires pour atténuer le risque que pose le délinquant? L’aide ne doit pas venir uniquement de l’intérieur; elle doit aussi être offerte à l’extérieur.

M. Churney : Des membres du comité ont parlé plus tôt des accords conclus aux termes des articles 81 et 84 de la loi. Il est difficile pour la commission de conclure des accords de ce genre, car elle ne peut le faire qu’indirectement. Comme ils figurent dans la partie 1 de la loi, les accords conclus en vertu des articles 81 et 84 relèvent de la compétence de nos collègues du SCC. Nous pouvons tenter de conclure des accords de ce genre en assurant la formation des agents de libération conditionnelle à cet égard ou en discutant avec nos collègues du SCC pour les inciter à le faire.

Je sais que, depuis quelques années, nos collègues de Sécurité publique Canada exécutent un programme efficace dans les communautés autochtones. Ils les aident à implanter des plans de sécurité communautaire, qui, dit-on, connaissent beaucoup de succès. La communauté a alors l’occasion de déterminer elle-même ses besoins en matière de sécurité. Ce n’est pas le gouvernement qui élabore un plan pour la communauté, mais plutôt celle-ci qui met en place son propre plan, ce qui, selon moi, est très important. Il semble que, parfois, des communautés autochtones sont réticentes à l’idée d’accueillir des délinquants, en particulier s’il s’agit de délinquants sexuels, qui font l’objet de beaucoup de préjugés. Les communautés peuvent éprouver des préoccupations et des inquiétudes à leur égard. À mon avis, il s’agit d’un bon modèle, car il permet aux communautés d’élargir la portée des possibilités et des programmes afin de définir elles-mêmes leurs besoins en matière de sécurité publique.

La sénatrice Pate : Lors de leur rencontre avec des détenus à l’intérieur des établissements, les membres du comité ont appris notamment qu’il est très difficile d’avoir accès aux programmes. On dit aux détenus qu’ils doivent suivre les programmes prévus dans leur plan de traitement correctionnel. Les détenus qui purgent une longue peine d’emprisonnement se voient reléguer à la fin de la queue. Les détenus considérés comme étant affiliés à un groupe menaçant la sécurité ne peuvent aucunement modifier cela en présentant de l’information. Les détenus nous disent qu’on les dissuade de demander d’être inscrits à des programmes auxquels ils n’ont pas accès, et ce, même si cela pourrait aider la commission à déterminer leur degré de motivation. Ils n’ont tout simplement pas accès à ces cours.

Auriez-vous des recommandations à faire au comité s’il décidait d’examiner cette question? Il me semble que c’est un enjeu de taille, en particulier pour les détenus autochtones et les autres détenus racialisés. Par exemple, nous avons entendu les commentaires de certains hommes qui participent au programme Breakaway offert à l’Établissement de Collins Bay. Ce n’est pas un programme reconnu. Il n’est pas financé et ni totalement mis en œuvre à l’extérieur. Pourtant, c’est la seule intervention dont peut bénéficier un détenu affilié à un groupe menaçant la sécurité.

Mme Oades : Un GMS.

La sénatrice Pate : Oui, un GMS. Merci.

Mme Oades : Je pense qu’il faut examiner la question des programmes dans un contexte plus large. Cette question ne relève pas de mon mandat, mais les données probantes et toutes les recherches pertinentes révèlent que la plupart des programmes sont beaucoup plus utiles et plus efficaces pour les délinquants s’ils sont mis en œuvre dans la collectivité.

M. Churney : La recherche montre clairement que les programmes donnent généralement de bons résultats et qu’ils sont encore plus efficaces s’ils sont réalisés dans la collectivité plutôt qu’en milieu carcéral.

Le système subit les conséquences des mesures de réduction du déficit depuis un certain nombre d’années. Je pense à un programme comme Option vie, qui était mis en œuvre par nos collègues du Service correctionnel du Canada. Ce programme de soutien par les pairs était destiné aux condamnés à perpétuité. Il était extrêmement efficace, mais, malheureusement, il a été éliminé à la suite de compressions budgétaires. Ce programme existe toujours sous une certaine forme, car des bénévoles continuent d’en enseigner les éléments fondamentaux dans la collectivité. Des partenaires de la collectivité déploient des efforts concertés pour maintenir le programme, malgré l’absence de fonds gouvernementaux. Je pense que le comité pourrait certainement se pencher là-dessus.

Pour en revenir à nos partenaires des ONG, je pense qu’ils sont tout à fait prêts à mettre en œuvre des programmes si le gouvernement décidait de débloquer les ressources nécessaires en ce sens.

À l’époque où je travaillais à Sécurité publique Canada, mes fonctions consistaient à collaborer avec le Service correctionnel du Canada et à évaluer son rendement. Je sais qu’environ 2 p. 100 de son budget total est consacré aux programmes. Il ne m’appartient pas de déterminer si cela est suffisant ou non, mais je tiens simplement à le souligner. Un pourcentage relativement faible d’un énorme budget est consacré aux programmes. Je pense donc qu’il convient de se pencher là-dessus.

Mme Oades : Il convient aussi d’envisager la possibilité d’avoir des assistants aux audiences. En effet, tous les délinquants ont le droit de recevoir l’assistance d’une personne aux audiences. Selon moi, ces assistants sont très utiles aux délinquants, qui se sentent ainsi mieux appuyés dans leurs démarches. Je pense qu’il serait très intéressant d’examiner les résultats — je ne suis pas sûre que nous l’avons fait — entre, d’une part les décisions prises dans le cas des délinquants accompagnés d’un assistant et, d’autre part, celles qui sont prises lorsque les délinquants n’ont pas recours aux services d’un assistant. D’après ce que j’ai pu constater, les assistants peuvent aider les délinquants en leur expliquant des choses qu’ils ne comprennent pas, ce qui permet d’améliorer le déroulement des audiences. Je pense donc que leur présence est très utile. Il serait bien d’en savoir plus à ce sujet. L’Université Queen’s offre un excellent programme dans le cadre duquel des étudiants en droit assistent les délinquants pendant les audiences. Je pense qu’il serait très utile de mettre en œuvre des programmes du genre partout au pays.

La présidente : Merci. J’aimerais poser deux ou trois questions. Je sais qu’il nous reste peu de temps, mais j’aimerais me renseigner sur quelques sujets.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de renseignements sur les audiences tenues avec l’aide de membres de la collectivité? Comment ces audiences se déroulent-elles? Habituellement, qui a recours à ce genre d’audience?

Mme Van De Bogart : La structure des audiences tenues avec l’aide de membres de la collectivité est semblable à celle des audiences tenues avec l’aide d’un aîné, qui ont lieu à l’intérieur des établissements. L’audience se divise en deux parties. Au cours de la première partie, on tient une cérémonie, tandis que la deuxième partie est consacrée à l’évaluation du risque.

Nous nous rendons dans la collectivité où le délinquant sera remis en liberté. Il y a beaucoup de travail à faire avant de tenir l’audience en tant que telle. Ce travail est réalisé par le SCC et la commission. Nous allons rencontrer les membres de la collectivité. Nous leur expliquons le processus et répondons à leurs questions pour être sûrs que tout le monde comprend bien le déroulement de l’audience.

Pour ce qui est de l’audience elle-même, les commissaires et les membres du personnel de la commission se rendent sur place. Le délinquant est présent, de même que les personnes qui le soutiennent et des membres de la collectivité. L’audience commence par une cérémonie, qui peut et devrait être adaptée à la culture du délinquant. Par exemple, il peut s’agir d’une prière et d’une cérémonie de purification. Nous effectuons ensuite une évaluation du risque. Nous procédons alors exactement de la même manière que dans le cas de toutes les autres audiences tenues par la commission. Il s’agit d’une évaluation rigoureuse du risque.

Les participants forment un cercle, et une partie de l’évaluation du risque et de l’audience elle-même comprend la présentation de témoignages. Nous rendons ensuite notre décision. Les audiences tenues avec l’aide de membres de la collectivité se déroulent donc essentiellement de la même manière que celles tenues avec l’aide d’un aîné en milieu carcéral. Le cadre est toutefois plus large, car on entend généralement plus de membres de la collectivité qui s’intéressent au cas. Ces audiences se déroulent dans la collectivité.

La présidente : Merci. J’aimerais soulever une autre question. Certains de mes collègues ont parlé des déclarations que vous avez faites au sujet des nombreux détenus autochtones qui ne présentent pas de demande de libération conditionnelle. On a posé des questions complémentaires et soulevé des points très importants. J’aimerais souligner que, lorsque j’ai visité des établissements, un certain nombre de détenus noirs m’ont dit que, s’ils ne présentent pas de demande de libération conditionnelle, c’est notamment à cause de l’expérience vécue par d’autres détenus à cet égard. Cette expérience est loin d’être positive et, si leurs codétenus voient leur demande être rejetée, ils sont eux-mêmes moins susceptibles de présenter une demande de libération conditionnelle. J’entends des commentaires de ce genre depuis un certain nombre d’années déjà. Je sais que nous n’avons pas le temps de faire cela maintenant, mais je vous prierais de réfléchir à cette question, puis de nous transmettre des renseignements à cet égard et de nous dire ce que la Commission des libérations conditionnelles pourrait faire pour corriger la situation.

Mme Oades : Merci. Je vais réfléchir à cela. Je m’attends à ce que les délinquants qui se voient refuser une libération conditionnelle considèrent qu’il s’agit tout de même d’une expérience positive. Je m’attends donc à ce que la commission explique aux délinquants auxquels elle refuse une libération conditionnelle les points qu’ils devraient améliorer. Je vais réfléchir plus longuement à cette question.

La sénatrice Pate : Pourriez-vous aussi nous envoyer des renseignements sur les nouveaux programmes de formation des commissaires, le travail que vous faites dans les prisons et le nombre de mises en liberté? Je vous saurais aussi gré de nous faire parvenir le nombre de pardons octroyés, ainsi que les statistiques et les tendances que vous jugez pertinentes.

Mme Oades : D’accord.

La présidente : Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous livrer votre témoignage cet après-midi. Vos observations sont très éclairantes. Nous vous en remercions.

Chers collègues, je vous rappelle que nous devons discuter de quelques questions administratives. Êtes-vous d’accord pour que nous poursuivions la séance à huis clos?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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