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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à midi pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Avant tout, je demanderais à tous les sénateurs de se présenter, à commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Et vous êtes notre deuxième vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Je suis la deuxième vice-présidente, oui.

La présidente : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et je suis la présidente du comité.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois. J’encourage les sénateurs à consulter le bureau du légiste s’ils prévoient de proposer des amendements au projet de loi.

Nous sommes heureux de recevoir aujourd’hui l’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. On me dit que le ministre Goodale est disponible jusqu’à 13 heures, mais que les représentants du gouvernement seront disponibles jusqu’à 13 h 30 pour répondre aux questions des sénateurs. Le ministre Goodale est accompagné de Kathy Thompson, qui est sous-ministre adjointe du Secteur de la sécurité communautaire et de la réduction du crime à Sécurité publique Canada, et d’Angela Connidis, qui est directrice générale de la Direction générale de la prévention du crime, des affaires correctionnelles et de la justice pénale.

Nous recevons également Serge Côté, qui est surintendant principal et directeur général des Services canadiens d'identification criminelle en temps réel et des Services de police spécialisés à la GRC. De plus, nous recevons deux représentants de la Commission des libérations conditionnelles: Daryl Churney, qui est directeur exécutif, et Brigitte Lavigne, qui est directrice en matière de clémence et de suspension du casier. Nous recevons aussi deux représentants du ministère de la Justice du Canada: Nathalie Levman, qui est avocate à la Section de la politique en matière de droit pénal, et Shawn Scromeda, qui est avocat-conseil pour le Portefeuille de la sécurité publique des Services juridiques de la Sécurité publique.

Monsieur Goodale, vous avez la parole.

L’honorable Ralph Goodale, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Merci beaucoup, madame la présidente et honorables sénateurs. C’est toujours un privilège et un plaisir de pouvoir témoigner devant un comité sénatorial et parler de notre programme législatif devant le Parlement.

[Français]

Je vous remercie de votre invitation à comparaître aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Il s’agit d’un important pas vers l'avant dans nos efforts pour reconnaître la discrimination envers les communautés LGBTQ2, ce qui n’est pas complètement chose du passé, et pour faire du Canada un pays plus ouvert et inclusif.

[Traduction]

Madame la présidente, je vous remercie d’avoir présenté tous les représentants qui sont avec nous aujourd’hui, y compris les quatre qui se trouvent à la table. Je vais profiter de l’occasion pour remercier ma sous-ministre adjointe Kathy Thompson de son travail exemplaire à titre de haute fonctionnaire au sein de Sécurité publique Canada et pour la féliciter du nouveau poste qu’elle occupera bientôt. Elle quittera ses fonctions actuelles et sera bientôt vice-présidente de la politique stratégique à l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC. Je suis heureux de savoir que Kathy travaillera toujours au sein de mon portefeuille. Je perdrai son aide et ses conseils précieux à titre de sous-ministre adjointe, mais je me réjouis à l’idée de continuer de travailler avec elle par l’entremise de l’ASFC. Merci beaucoup, Kathy. Je vous souhaite la meilleure des chances dans vos nouvelles fonctions.

Le projet de loi C-66 fait partie de l’engagement du gouvernement à défendre les droits de la communauté LGBTQ2, à reconnaître les erreurs du passé et à les aborder. Il se fonde sur d’autres mesures législatives comme le projet de loi C-16, qui interdit la discrimination fondée sur l’identité et l’expression de genre, de même que sur le projet de loi C-39, qui éliminera certaines dispositions inconstitutionnelles du Code criminel.

Il vise aussi à concrétiser les excuses récentes du Canada envers les Canadiens LGBTQ2.

Personne n’aurait jamais dû être arrêté, et encore moins condamné, pour s’être adonné à des activités sexuelles consensuelles avec un partenaire d’âge légal et aucune loi ne pourra effacer les années de discrimination ou les préjudices associés à un dossier criminel injustifié. En permettant la radiation de ces dossiers, le projet de loi C-66 propose une façon d’aborder certaines des injustices du passé et nous aide à avancer vers un avenir plus juste et plus inclusif.

J’espère que nous conviendrons tous de la valeur et de l’importance de cette initiative. Je sais qu’on a soulevé quelques préoccupations au sujet de certains éléments du projet de loi, tant devant le comité la semaine dernière que de façon plus générale dans le cadre des discussions publiques. Je vais aborder le plus de préoccupations possible avec le temps dont je dispose. Si j’en oublie quelques-unes, j’espère que vous n’hésiterez pas à m’en parler.

Tout d’abord, je sais qu’on a posé des questions au sujet des infractions visées par le projet de loi C-66 et de celles qui ne le sont pas. À l’heure actuelle, le projet de loi permet la radiation des condamnations pour « grossière indécence », « sodomie » et « relations sexuelles anales ». Ce sont les trois infractions qui ont été le plus clairement utilisées par le passé pour cibler les personnes LGBTQ2. Ces trois infractions ne sont plus en vigueur dans le Code criminel.

Je tiens à préciser que ces infractions n’étaient pas les seules utilisées pour discriminer les membres de la communauté LGBTQ2. L’infraction relative au vagabondage et d’autres infractions associées aux maisons de débauche ont souvent été appliquées de façon discriminatoire. La difficulté, c’est que dans ces cas-là, on parle de problèmes associés à des lois qui ne sont pas inconstitutionnelles par nature. En effet, ces lois demeurent en vigueur. Il devient alors beaucoup plus difficile de déterminer, des décennies plus tard dans de nombreux cas, si une condamnation en vertu de l’une de ces lois était légitime.

Je sympathise avec les gens qui ont été victimes d’une application injuste de ces lois. Bien que nous n’ayons pas inclus ces infractions dans le projet de loi C-66, nous l’avons rédigé de manière à laisser la porte ouverte à l’ajout d’autres infractions à l’avenir, à la suite d’un examen en règle.

Certaines personnes se sont également dites inquiètes de la destruction des dossiers radiés, et se demandaient si cela aurait pour effet d’éliminer les preuves historiques de la discrimination. Il ne fait aucun doute qu’il faut comprendre les chapitres sombres de notre passé, les reconnaître, améliorer le présent et bâtir un avenir meilleur.

C’est pourquoi il est important de souligner que la radiation ne donnera lieu qu’à la destruction du dossier criminel en soi; les références aux arrestations, aux accusations et aux condamnations présentes dans d’autres documents comme les transcriptions judiciaires ou les dossiers d’enquête demeureront. Tous ceux qui voudront garder une copie de leur casier judiciaire pourront l’obtenir avant de faire une demande de radiation, en présentant une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Je sais aussi que certaines personnes se préoccupent de la nature du processus de demande en vertu du projet de loi C-66 qui, j’en conviens, devrait être le plus simple et le moins stressant possible. C’est pourquoi il n’y aura pas de droits de demande, par exemple. Nous avons également engagé 4 millions de dollars afin de veiller à mettre en place un nombre suffisant de ressources de sorte que la Commission des libérations conditionnelles du Canada puisse gérer la situation et que le processus soit facile et rapide.

Les demandeurs devront démontrer que l’activité en question était consensuelle et que leurs partenaires étaient d’âge légal. C’est important parce que, bien sûr, nous ne voulons pas que les gens qui ont réellement commis un acte criminel utilisent ce processus de manière indue. Toutefois, puisque de nombreuses années se sont écoulées dans bon nombre des cas, les déclarations sous serment pourront être acceptées à titre de preuve si les dossiers de la police ou des tribunaux, ou d’autres documents, n’existent tout simplement plus aujourd’hui.

On a aussi posé des questions au sujet de l’âge de consentement. Les critères du projet de loi établissent l’âge de 16 ans à titre de seuil et prévoient une exception relative à la proximité d’âge, même s’il est vrai que lorsque la plupart de ces accusations ont été portées, l’âge légal du consentement était de 14 ans pour les partenaires de sexe opposé.

La raison pour laquelle nous avons choisi l’âge de 16 ans plutôt que l’âge de 14 ans est très claire: nous offrons la radiation pour des activités qui seraient légales aujourd’hui. Les activités sexuelles entre un adulte et un jeune adolescent ne sont pas légales aujourd’hui, pour une bonne raison, évidemment.

Cela va au cœur de notre objectif. Nous tentons, après toutes ces années, de réparer les torts qu’ont subis des personnes qui n’avaient rien fait de mal et qui ont été injustement persécutées, ce qui est gênant et honteux pour la collectivité.

Le projet de loi C-66 ne répare pas — et ne tente pas de réparer — toutes les injustices subies par les Canadiens LGBTQ2, mais il s’agit d’un important pas dans la bonne direction, que l’on aurait dû faire il y a longtemps. J’espère que le comité appuiera le projet de loi. Si vous souhaitez faire des observations officielles ou des suggestions informelles sur les prochaines étapes relatives au processus de recours et de réconciliation avec les communautés LGBTQ2, je serai heureux de les entendre.

Je vous remercie de m’avoir écouté. Les représentants de mon ministère et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Nous vous remercions de votre exposé, monsieur Goodale.

Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions.

La sénatrice Ataullahjan : Nous vous remercions de votre présence, monsieur le ministre.

Dans ses excuses destinées aux Canadiens LGBTQ2, le premier ministre a fait référence aux dispositions du Code criminel sur les maisons de débauche. Il a fait valoir ceci:

Il y a eu des descentes dans des bains publics, des gens ont été piégés par la police.

Nos lois encourageaient et appuyaient ceux qui voulaient s’attaquer au désir sexuel non conforme.

Or, les dispositions du code sur les maisons de débauche ne figurent pas à l’annexe des infractions admissibles à la radiation. Cette omission a grandement préoccupé les Canadiens LGBTQ2 et d’autres. Les personnes qui ont témoigné devant le comité la semaine dernière ou qui lui ont fait parvenir des mémoires écrits l’ont exhorté à ajouter les dispositions sur les maisons de débauche à la liste des infractions admissibles.

Ma question est la suivante : pouvez-vous nous expliquer pourquoi les infractions relatives aux maisons de débauche ne font pas partie de l’annexe?

M. Goodale : Oui, madame la sénatrice. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous nous sommes centrés sur les trois anciennes dispositions du Code criminel qui étaient les plus discriminatoires; ces dispositions ne sont plus en vigueur aujourd’hui.

En ce qui a trait aux autres dispositions, comme celles sur les maisons de débauche auxquelles vous avez fait référence, elles ne sont pas inconstitutionnelles par nature. Elles sont toujours en vigueur aujourd’hui. Le processus visant à aborder ces dispositions est beaucoup plus complexe. Plutôt que de retarder tout le processus afin d’aborder sans exception toutes les mesures discriminatoires, nous avons décidé de présenter les trois qui se retrouvent dans le projet de loi. Nous avons toutefois rédigé le projet de loi de manière à ce que le Parlement puisse ajouter d’autres infractions aux dispositions du projet de loi C-66 s’il le juge nécessaire, à la suite d’un examen rigoureux des autres enjeux et infractions.

Les cas associés à ces trois infractions désignées dans le projet de loi C-66 sont assez clairs et nous sommes en mesure d’aller de l’avant maintenant. Nous avons laissé la porte ouverte en vue de tenir compte d’autres infractions plus tard, mais nous ne voulions pas retarder le processus. Nous pouvons aller de l’avant avec ces trois infractions pour le moment et en ajouter d’autres plus tard.

La présidente : Excusez-moi. J’aurais dû commencer par le parrain du projet de loi, suivi du porte-parole. Nous passons maintenant au sénateur Cormier.

Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français, monsieur le ministre. Je tiens d’abord à vous souhaiter la bienvenue et à vous remercier de réaliser cette importante initiative pour la communauté LGBTQ2.

[Français]

Ce projet de loi est extrêmement important. Comme vous l’avez précisé, c’est un pas en avant qui permet d’installer une bonne fondation pour poursuivre le travail. Comme vous l’avez mentionné, à titre de parrain de ce projet de loi, je suis préoccupé par la lecture des mémoires que les témoins nous ont envoyés.

Vous avez mentionné les principaux enjeux, je ne les rappellerai donc pas. Mais je voudrais, pour être très franc et clair avec vous — je crois qu’on a besoin d’être rassuré —, approfondir la compréhension que nous avons des raisons pour lesquelles vous n’avez pas inclus les maisons de débauche. On le sait, quand on regarde les gens qui ont des dossiers criminels, la question des maisons de débauche a été utilisée fréquemment ainsi que les autres infractions possibles. J’aimerais donc approfondir avec vous la question des maisons de débauche.

Des témoignages que nous avons entendus, à l’instar d’un commentaire fait par le sénateur Joyal, mentionnaient les décisions de la Cour suprême du Canada dans le cas des affaires Bedford et Labaye, pour proposer un élargissement du projet de loi, c’est-à-dire l’inclusion des maisons de débauche. Dans l’affaire Labaye, la Cour suprême avait reconnu que le fait d’être membre actif d’un club dont les membres pratiquent l’échangisme respectait entièrement les droits assurés aux individus par la Charte canadienne des droits et libertés. Dans le cas Bedford, la Cour suprême a fait part de sa décision de reconnaître que la tenue d’une maison de débauche pouvait, dans certains cas, ne pas être un crime, et que l’article du Code criminel portait donc atteinte à la sécurité de la personne garantie par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Ces deux décisions de la Cour suprême du Canada ne remplissent-elles pas les critères constituant une injustice historique, tels que décrits au paragraphe 23(2) du projet de loi, à savoir la criminalisation d’une activité qui ne constitue plus une infraction à une loi fédérale? Vous avez donné un début d’explication, mais pourquoi l’avoir exclu, considérant les décisions de la Cour suprême?

[Traduction]

M. Goodale : Sénateur Cormier, j’inviterais l’avocat du ministère de la Justice à répondre à votre question sur ces deux décisions d’un point de vue technique. L’enjeu et le défi pour nous étaient de désigner les infractions, en vertu du code, qui étaient les plus discriminatoires; ces infractions se trouvent dans le projet de loi C-66.

Nous reconnaissons que d’autres circonstances auraient aussi été considérées comme étant discriminatoires, mais les questions juridiques connexes sont plus complexes puisque les dispositions de la loi sont toujours en vigueur dans certains cas. Toutefois, les trois infractions désignées dans le projet de loi ne sont plus en vigueur; elles n’existent plus.

Nous avons été confrontés au défi suivant : pouvons-nous, avec une seule mesure législative et en une seule fois régler toutes les questions juridiques associées aux dispositions plus complexes et aux dispositions plus directes? Nous avons conclu qu’il fallait plus de temps pour réfléchir aux autres cas de discrimination possibles, mais que ces trois infractions étaient associées aux cas de discrimination les plus graves — et ces cas étaient très clairs — et que nous pouvions aller de l’avant.

C’est ce que nous avons choisi de faire, mais nous avons rédigé le projet de loi de manière à ce qu’on puisse y ajouter d’autres infractions, selon la décision du Parlement, lorsqu’elles auront fait l’objet d’un examen approprié.

Nous ne voulions pas dire : « Voilà, c’est tout; fin de l’histoire. » C’est le début d’un processus. Nous reconnaissons trois infractions pour commencer et la porte est ouverte à d’autres.

Puis-je demander à Me Scromeda s’il souhaite ajouter quelque chose au sujet de la décision de la cour?

Shawn Scromeda, avocat-conseil, Sécurité publique, Portefeuille de la sécurité publique, Services juridiques de la Sécurité publique : Simplement pour vous montrer la complexité juridique de ces cas, bien que ces décisions aient en effet donné lieu à l’invalidation des dispositions — en partie, dans le cas de la maison de débauche —, elles n’ont pas éliminé la partie qui abordait la question des personnes LGBTQ2 et la question d’indécence. Elles ont éliminé la partie qui traitait de la prostitution. Les préoccupations abordées dans le projet de loi existent toujours dans la loi.

En ce qui a trait à l’acte indécent en soi, il est vrai que la décision de la Cour suprême a restreint la définition aux fins de l’interprétation, en partie à la lumière des principes constitutionnels. Toutefois, l’infraction demeure. L’un des principes fondamentaux du projet de loi veut que la radiation ne s’applique qu’aux actes qui ne sont plus criminels aujourd’hui. Ces infractions sont toujours en vigueur.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je veux m’assurer de bien comprendre. Puisque le projet de loi, tel qu’il est articulé, permet à l’article 23 d’ajouter des infractions et à l’article 24 de prévoir des critères à respecter, il était impossible pour vous, dans ce contexte-là, d’ajouter les maisons de débauche en considérant que vous pouviez préciser les critères qui feraient en sorte que ce serait admissible.

[Traduction]

M. Scromeda : On pourrait les ajouter plus tard. Je crois que la mesure appropriée à prendre serait d’abord de procéder à une réforme juridique en ce qui a trait à ces infractions, puis de songer à les radier, ce que nous avons fait pour les infractions désignées dans le projet de loi C-66.

La sénatrice Andreychuk : Pour faire suite à cela, monsieur le ministre, le premier ministre a présenté ses excuses, qui ont certainement été entendues dans tout le Canada, et ailleurs dans le monde, et elles visaient aussi les maisons de débauche. Maintenant, vous dites qu’il s’agit d’une question technique et difficile et qu’elle sera abordée plus tard. Y a-t-il une initiative visant à modifier les dispositions du Code criminel sur les maisons de débauche?

M. Goodale : Le premier ministre a nommé un conseiller principal responsable de tous les enjeux propres à la communauté LGBTQ2, le député d’Edmonton-Centre, Randy Boissonnault. Il a mené de très vastes consultations avant la rédaction du projet de loi C-66, et ces consultations se poursuivent.

Lorsque nous avons présenté cette mesure législative, nous avons clairement indiqué que c’était le début d’un processus. Les consultations doivent être continues. Il ne fait aucun doute qu’elles permettront au fil du temps de cerner d’autres enjeux qu’il faudra régler. Nous n’en sommes pas encore à la présentation d’une mesure législative, mais nous examinons tous les cas de discrimination, y compris la discrimination juridique, pour déterminer comment régler les enjeux de ce genre.

La sénatrice Andreychuk : Donc, c’est en constante évolution. Vous dites qu’aucun projet de loi n’est prévu pour le moment, c’est cela?

M. Goodale : Nous n’en sommes pas à la rédaction d’un projet de loi. Nous examinons les enjeux, mais aucun autre projet de loi n’est en préparation pour le moment.

Sénatrice, j’ai à l’esprit de nombreux enjeux pour lesquels le Sénat a été un important promoteur avant-gardiste du changement. Les sénateurs voudront sans doute jouer un rôle dans l’étude de cette question, hors du contexte de l’étude d’une mesure législative précise, afin de contrer réellement ce problème et examiner de possibles ajustements pour faire de cette forme de discrimination une chose du passé, une fois pour toutes.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur le ministre, je dirais que ce qu’il faut dans ce cas-ci, ce n’est pas d’autres études, mais un suivi. La communauté a très bien fait connaître les changements qu’elle souhaite. Je pense qu’il n’en faut pas plus; j’ajoute donc cela dans l’équation.

Un autre aspect qui me préoccupe est la possibilité d’apporter des modifications, des ajouts, à la liste. Vous utilisez constamment le terme « Parlement ». Ce que je vois, c’est que les règlements et les critères relèveront du gouverneur en conseil, qui pourra faire des ajouts à la liste.

J’ai deux préoccupations à cet égard. Le Parlement n’a pas un rôle direct; il s’agit davantage du rôle du pouvoir exécutif. Je suppose que certaines choses seront archivées. J’aimerais avoir des précisions sur la façon dont le public sera informé des mesures prises par le gouverneur en conseil. Est-ce par l’intermédiaire de la réglementation habituelle?

Ma deuxième préoccupation porte sur la sensibilisation. Cela sort rarement d’Ottawa lorsque cela se fait par l’intermédiaire du gouverneur en conseil. Je pense que le Parlement a un rôle très important à jouer. En mon sens, le projet de loi ne comprend pas de modalités claires quant au fonctionnement, de façon à assurer une surveillance parlementaire et à permettre aux gens des deux côtés de cet enjeu d’exprimer leur point de vue par l’intermédiaire de leur Parlement.

Pourriez-vous me donner des explications à ce sujet?

M. Goodale : Selon le projet de loi C-66, les modifications potentielles seront faites par le processus du gouverneur en conseil, ce qui nécessite habituellement...

La sénatrice Andreychuk : La présentation de demandes.

M. Goodale : Oui, et des avis publics adéquats, et cetera. Étant donné la nature de ces enjeux, je suis porté à croire que beaucoup de Canadiens agiront de façon proactive. Je ne vois pas comment cela pourrait être fait dans le secret.

La sénatrice Andreychuk : En ce qui concerne la radiation en soi, quels seront les recours pour une personne dont la demande est refusée, sachant que son dossier est dans le système et qu’il y a eu un suivi?

M. Goodale : J’invite M. Churney, de la Commission des libérations conditionnelles, à répondre à la question.

Daryl Churney, directeur général exécutif, Clémence et suspension du casier, Commission des libérations conditionnelles du Canada : En cas de problème lors de l’examen d’une demande, par exemple une incohérence ou des renseignements qui ne nous semblent pas clairs, notre première étape est de communiquer avec le demandeur. Nous lui donnons l’occasion de fournir des renseignements complémentaires ou d’apporter des précisions pour résoudre le problème. Ce serait la première étape.

Si le demandeur ne satisfait pas aux critères établis dans la loi pour une raison quelconque et que nous refusons la demande de radiation, il peut toujours faire une demande d’exercice de la prérogative royale de clémence, par exemple. Cette mesure législative n’a pas pour effet d’éliminer ce recours; c’est toujours possible. Le régime de clémence offre diverses options. À titre d’exemple, une personne pourrait demander un pardon absolu, qui revient essentiellement à dire qu’il n’y a jamais eu infraction.

Nous ferions le nécessaire, en collaboration avec le demandeur, pour résoudre les problèmes et nous assurer de sa compréhension des exigences auxquelles il doit satisfaire et des documents requis. Nous avons la capacité d’offrir l’aide nécessaire.

La sénatrice Andreychuk : A-t-on envisagé la création d’un processus d’appel?

M. Goodale : La décision pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

La sénatrice Andreychuk : Ce serait toutefois un contrôle administratif, n’est-ce pas? Il ne s’agirait pas d’un appel sur le fond, mais bien sur le plan administratif.

M. Scromeda : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Donc, ce n’est pas un appel.

M. Scromeda : Pas directement, non.

La sénatrice Andreychuk : Ce n’est pas un appel direct. Merci.

La sénatrice Pate : Monsieur le ministre Goodale, ou monsieur Churney, combien de demandes d’exécution de la prérogative royale de clémence ont été acceptées au cours de la dernière année, ou même au cours des 10 dernières années, et dans quel contexte? Combien de cas étaient liés à la question dont nous sommes saisis? Oui, la clémence.

M. Churney : J’ai le résumé. Je peux vous dire qu’au cours des 10 dernières années, pour la période de 2007 à 2017, la Commission des libérations conditionnelles a reçu 377 demandes de pardon en vertu de la prérogative royale de clémence; 278 demandes ont été rejetées et 19 ont été acceptées.

Un instant, je regarde la répartition. Six cas étaient liés à un pardon absolu. Si cela peut vous être utile, c’est avec plaisir que je vous fournirai la liste détaillée après la réunion.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Andreychuk : En ce qui concerne la question de l’archivage, il y avait manifestement beaucoup de malentendus, y compris lorsque j’ai commencé, quant à savoir à qui appartiennent les dossiers et les archives. Je me concentrais sur la radiation.

Monsieur le ministre, vous avez attiré notre attention sur les nombreux dossiers de condamnations qui ne pourront être éliminés des registres judiciaires et policiers. A-t-on examiné cet aspect? C’est ce que croient les gens de la communauté. La question est de savoir si les registres seront éliminés ou non. Vous dites qu’un nombre restreint de dossiers seront radiés et que les autres seront conservés, ce qui a évidemment des avantages et des inconvénients.

M. Goodale : Je pense que vous avez entendu les avantages et désavantages dans les témoignages qui ont été présentés au comité.

Ce qui sera éliminé, ce sont les dossiers de condamnations, étant donné qu’ils n’auraient jamais dû être créés. Il y a évidemment des registres pour le reste du processus judiciaire, mais ce que nous éliminerons ce sont les dossiers de condamnation.

Maître Scromeda, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

M. Scromeda : Oui; c’est exact. Le projet de loi traite également des dossiers qui pourraient être détenus par d’autres entités fédérales, comme la GRC, dans ce cas-ci, ou encore par d’autres ministères fédéraux. Aux termes du projet de loi, toutes ces entités seraient tenues de détruire ou de supprimer ces dossiers. Ils pourraient aussi être détenus par les provinces ou les tribunaux, qui ne seraient pas assujettis à cette obligation. Même si nous n’avons pas une compétence directe sur ces entités, elles seraient informées en vertu des dispositions du projet de loi. Elles ont l’habitude de collaborer, par exemple pour les suspensions du casier en vertu de la Loi sur le casier judiciaire.

Donc, nous avisons également les provinces et les tribunaux, qui ont l’habitude de collaborer même si nous n’avons pas une compétence directe sur eux. Nous nous attendons certainement à leur collaboration dans ce cas-ci.

La sénatrice Andreychuk : On procède à la radiation en raison du tort qui a été causé. Nous jugeons inapproprié, maintenant, que ces accusations aient été portées. On fait autant de tort en déposant des accusations, mais sans y donner suite.

Il y a un malentendu selon lequel la radiation entraîne l’élimination de tous les dossiers. Ce n’est pas le cas. Si vous avez été condamnés, ce qui fait l’objet de la radiation, c’est la dernière étape, et non tous les enjeux liés à la pertinence de l’accusation et au déroulement du processus. Je tenais à le préciser.

M. Goodale : Malheureusement, sénatrice Andreychuk, il nous est impossible de corriger après coup tout ce qui n’aurait pas dû se produire au cours de notre histoire. Nous pouvons toutefois radier ces dossiers, et c’est ce que la mesure législative nous permet de faire.

Si nous avions la possibilité de corriger toutes les erreurs du passé par magie, je pense que les Canadiens souhaiteraient le faire. Lorsqu’on traite d’une situation après coup, il faut faire de son mieux pour corriger ce qui peut l’être et faire les choses correctement maintenant, de nombreuses années après les faits.

La sénatrice Cordy : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être ici, et je remercie également les fonctionnaires qui sont venus ici aujourd’hui pour discuter du projet de loi, une mesure qui représente sans contredit un important progrès lorsqu’on pense aux arrestations injustifiées de nombreux membres de la communauté LGBTQ2 dans le passé. Il s’agit d’un énorme pas en avant. Les excuses du premier ministre ont été bien accueillies, pas seulement par les membres de la communauté LGBTQ2, mais aussi par la plupart des Canadiens, à mon avis. Elles se sont fait longtemps attendre et ont été fort appréciées. Je vous prie de transmettre ce message au premier ministre.

J’aimerais parler du processus de demande que vous avez mentionné dans votre exposé. La semaine dernière, un de nos témoins, M. James Lockyer, a indiqué que dans les cas des personnes décédées, la présentation d’une demande ne serait pas nécessaire et que la radiation du dossier serait automatique. Je sais qu’une disposition vise à permettre aux membres de la famille de le faire, mais certains pourraient ne pas vouloir passer par ce processus. Comme le dit le vieux proverbe, il ne faut pas réveiller le chat qui dort. Ne ranimons pas le passé. Le témoin a fait valoir que cela devrait être automatique pour les personnes décédées.

Mon deuxième commentaire porte sur le processus de demande. J’ai été très heureuse de constater qu’il n’y aura pas de frais et que 4 millions de dollars ont été réservés à cette fin. La semaine dernière, des témoins — dont certains avaient un casier en raison d’accusations injustes — ont indiqué que beaucoup de gens ignorent la procédure. Les gens ne savent pas où trouver cette information et ne connaissent pas les étapes. Je me demande à quoi serviront ces 4 millions de dollars. Je vous demanderais aussi de répondre à la question de M. Jim Lockyer au sujet des personnes décédées.

La semaine dernière, l’une des propositions que nous avons entendues était que le montant de 4 millions de dollars serve notamment à payer les frais pour ceux qui seraient obligés d’avoir recours à l’aide juridique ou à un avocat, de façon à ce qu’ils puissent entreprendre correctement le processus de demande.

M. Goodale : Monsieur Churney, pourriez-vous décrire le processus de demande et parler des mesures prises par la Commission des libérations conditionnelles pour aider les gens à remplir la demande correctement et à présenter le meilleur dossier possible?

M. Churney : Certainement. Sénatrice, nous travaillons déjà à l’élaboration d’un guide de présentation des demandes pour aider les demandeurs à présenter leur dossier à la Commission des libérations conditionnelles. Nous avons créé un formulaire de demande ainsi qu’un guide détaillé dans lesquels on décrit en langage simple les diverses étapes pour la présentation des documents requis, ce qui est lié aux divers critères de la loi. Nous ne nous attendons absolument pas à ce que les demandeurs aient lu la loi ou soient des spécialistes du droit.

Nous veillerons à diffuser ces renseignements, en ligne et en version papier. Lorsque la loi entrera en vigueur, nous mettrons en service une ligne téléphonique sans frais. Ces préparatifs sont en cours. Les informations sont publiées sur le site web canada.gc.ca et peuvent être consultées sur le site web de la Commission des libérations conditionnelles. Des avis seront envoyés à nos partenaires du système de justice pénale et à d’autres, notamment les intervenants de la communauté LGBTQ2, pour les informer de l’adoption du projet de loi. Le personnel de la Commission des libérations conditionnelles recevra une formation sur la façon de remplir le formulaire et sur les endroits où trouver des renseignements, ce qui permettra d’aider les demandeurs, en personne, par téléphone ou par courriel. Nous sommes prêts à aider les demandeurs pendant le processus.

La sénatrice Cordy : Est-ce offert uniquement en ligne, ou y a-t-il un endroit où les gens peuvent aller pour trouver les formulaires en format papier?

M. Churney : Je suis certain que des formulaires seront disponibles au bureau national ou dans nos bureaux régionaux. Nous pourrions sans doute les distribuer dans des réseaux plus vastes.

Nous tenons à rendre le processus le plus facile possible, conformément à l’objet du projet de loi.

La sénatrice Cordy : Dans certains cas, ce sont des gens beaucoup plus âgés qui préféreraient peut-être remplir un formulaire papier. Il y a un bureau régional en Nouvelle-Écosse. Pouvez-vous veiller à ce que le formulaire soit fourni à des organismes de défense des droits des membres de la communauté LGBTQ2 pour que les gens y aient facilement accès?

M. Churney : Oui. Nous travaillons avec le Secrétariat LGBTQ2 du Bureau du Conseil privé; nous voulons avoir une liste des organismes communautaires que nous devrions aviser afin de leur fournir des liens vers la documentation pertinente. Nous cherchons activement des solutions à cet égard.

La sénatrice Cordy : J’aimerais revenir au commentaire de M. James Lockyer concernant les personnes décédées. Pourquoi n’est-ce pas automatique?

M. Goodale : Sénatrice, l’enjeu est de veiller à ce que les informations sur lesquelles la Commission des libérations conditionnelles fonde sa décision permettent réellement d’établir que le dossier de la personne, qu’elle soit vivante ou décédée, satisfait aux termes de la loi, à savoir qu’il s’agissait d’actes consensuels entre adultes. Cela doit être établi, peu importe si cela concerne une personne vivante ou une personne décédée.

Nous avons essayé de rendre le processus le plus ouvert, le plus accessible et le plus simple possible afin d’éviter qu’une question de procédure n’empêche les gens de remédier à la discrimination dont ils ont fait l’objet.

La sénatrice Pate : Merci à tous d’être ici. Je vous remercie également de vos témoignages ainsi que du travail que vous faites sur cet enjeu au quotidien. Je joins mes remerciements à ceux de la communauté LGBTQ2S.

Ma question se rapporte aux questions de mes collègues, en particulier la sénatrice Cordy. En ce qui concerne le processus de radiation de condamnations, je crois comprendre, surtout d’après votre commentaire le plus récent à cet égard, monsieur le ministre Goodale, qu’une de vos préoccupations est de savoir si la personne satisfait réellement aux critères de radiation de condamnation établis dans cette disposition. Toutefois, comme Mme Thompson l’a indiqué — et comme elle l’a dit précédemment au comité —, il pourrait être difficile d’obtenir des preuves, de sorte qu’on acceptera les déclarations sous serment.

La question est de savoir quelle importance on accorde à cela, en particulier parce qu’il s’agit, dans certains cas, de dossiers très anciens. On peut, à juste titre, se demander si vous avez examiné cet aspect et pourquoi vous avez décidé de ne pas considérer comme radiées toutes les condamnations en fonction d’une date et de catégories précises. On parle de personnes qui ne sont plus dans le système ou qui n’ont eu aucun démêlé avec la justice depuis cette condamnation.

Pourquoi ne pas avoir envisagé un processus n’exigeant pas un formulaire de demande, mais accordant plutôt, comme on l’a fait ailleurs dans le monde, une radiation automatique ou une radiation réputée?

M. Goodale : Comme je le disais, c’est pour préserver l’intégrité du système autant qu’il est humainement possible de le faire, compte tenu qu’il s’agit de dossiers remontant à plusieurs décennies. Nous demandons à la Commission des libérations conditionnelles de prendre les décisions. Nous voulons qu’elle puisse disposer de toute l’information voulue pour le faire aussi consciencieusement que possible.

Selon certaines personnes consultées, si l’on accorde automatiquement la radiation à tout le monde, cette démarche perd en quelque sorte une partie de sa valeur. Nous cherchons plutôt à appuyer les décisions sur des bases solides de telle sorte que l’intégrité du processus lui confère non seulement une pertinence juridique, mais aussi une valeur morale. Il ne s’agit d’aucune manière d’un exercice superficiel. Nous pourrons ainsi rendre justice à ces gens qui auraient toujours dû y avoir droit. Nous rectifierons ce traitement discriminatoire avec tout le respect et le sérieux nécessaires.

La sénatrice Pate : Merci pour cette réponse. C’est la première fois que j’entends cet argument. Étant donné toutefois que Mme Thompson a indiqué devant le comité de la Chambre qu’il y avait environ 9 000 dossiers n’ayant pas fait l’objet d’une demande, je n’ai pas l’impression que c’est ce qui cause problème. Il est bien qu’aucun frais ne soit payable, mais pouvez-vous nous dire comment les choses se sont passées au Royaume-Uni et en Allemagne lorsqu’il a été question d’octroyer automatiquement la radiation? D’après tout ce que j’ai pu lire, il me semble qu’aucune de ces préoccupations n’ait été soulevée, alors même que ces questions sont susceptibles de se poser dans n’importe quel pays.

M. Goodale : Si vous permettez, je vais demander à Kathy de vous indiquer comment les choses se sont passées ailleurs dans le monde.

Kathy Thompson, sous-ministre adjointe, Secteur de la sécurité communautaire et de la réduction du crime, Sécurité publique Canada : Merci pour la question.

Comme vous le savez, le Canada propose qu’une demande soit requise. Quant à certains autres pays que nous avons considérés, disons que l’Australie a opté pour un processus similaire. En Angleterre et au Pays de Galles, une demande est exigée, mais la radiation est automatique à titre posthume. En Allemagne, il n’y a pas de processus de demande. La formule retenue en Nouvelle-Zélande et en Écosse est semblable à la nôtre.

La sénatrice Pate : Est-ce que certaines des préoccupations soulevées ici sont également venues sur le tapis en Allemagne et au Royaume-Uni tout particulièrement?

Mme Thompson : Il semblerait que des facteurs différents aient été pris en compte dans ces deux pays qui ont convenu de pencher davantage du côté de la radiation automatique. Je ne saurais vous dire de combien de condamnations il était question dans chaque cas, mais ce sont les éléments qui ont été soumis à la considération du gouvernement, comme le ministre l’a indiqué.

La sénatrice Pate : Il y aurait donc 9 000 dossiers semblables au Canada. Cela reste à vérifier, mais le New York Times indiquait en juin dernier que 50 000 casiers judiciaires avaient été automatiquement radiés en Allemagne. C’est un processus plus facile pour les demandeurs qui exige également moins de temps, d’énergie et d’investissements pour les autorités.

Je serais curieuse de savoir si ces facteurs ont été pris en compte dans votre décision. Si vous l’avez fait, pourquoi ne pas avoir opté pour cette formule? Sinon, pourquoi ne pas l’avoir fait?

M. Goodale : Nous avons voulu mettre en place un processus aussi simple, équitable et intègre que possible. L’Angleterre et l’Allemagne ont choisi d’autres avenues. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Écosse ont opté pour un système comme le nôtre. Les facteurs à considérer peuvent varier d’un pays à l’autre.

Nous allons devoir traiter entre 9 000 et 10 000 dossiers au cours des prochaines années. Nous avons prévu le budget nécessaire à cette fin, et nous estimons avoir mis en place un processus équitable qui n’entravera aucunement les efforts déployés pour corriger les injustices du passé avec un maximum de légitimité, de crédibilité et de sérieux.

La sénatrice Pate : Madame Thompson, pourriez-vous nous indiquer pourquoi l’autre formule n’a pas été envisagée?

Mme Thompson : Comme le ministre vient de le souligner, ce n’est pas un facteur qui a pesé dans la balance. Vous avez parlé de 50 000 casiers judiciaires. Peu importe le nombre de dossiers en cause, ce n’était pas un problème de capacité. Comme l’a dit le ministre, les critères ont été établis par le gouvernement. Il s’agit de s’assurer que ces critères sont remplis et que les condamnations pouvant faire l’objet d’une radiation faisaient suite à des activités entre personnes de même sexe qui étaient consentantes et portaient sur l’une des trois infractions retenues.

Nous souhaitions vraiment mettre en place un processus de demande aussi simple que possible en offrant tout le soutien nécessaire à cette fin. En revanche, nous tenions également à assurer avec toute la rigueur voulue que les critères établis par le gouvernement étaient bel et bien remplis.

La sénatrice Pate : Comme vous nous dites que les consultations vont se poursuivre, je vous encourage à revoir votre démarche. Vous nous indiquez que la GRC conserve ces informations dans son répertoire national et que vous êtes prêt à accepter les déclarations sous serment. J’en conclus que vous pourriez sans doute traiter ce processus à l’interne. Merci beaucoup.

La sénatrice Martin : Je vous prie d’excuser mon léger retard, et je vous remercie tous de votre présence aujourd’hui.

En répondant à la sénatrice Pate, vous avez dit vouloir créer un système simple, équitable et intègre tout en vous assurant d’éliminer le plus possible les obstacles.

Ma question porte sur l’accès aux dossiers conservés par les provinces et les municipalités. Je sais à quel point il peut être complexe en tant que citoyenne canadienne d’essayer de rassembler certaines informations me concernant, ne serait-ce qu’auprès des différentes autorités médicales de ma propre ville. Avez-vous tenu des consultations et conclu des accords avec les provinces et les administrations municipales pour éliminer les entraves et corriger les lacunes à ce chapitre? Pouvez-vous me dire également si de l’aide sera offerte aux demandeurs? Il peut être difficile de s’y retrouver même lorsque l’on fait affaire avec un seul gouvernement.

Pouvez-vous donc nous indiquer s’il y a eu des consultations ou des accords avec d’autres administrations et quelle forme prendra le processus?

M. Goodale : Mme Thompson a participé à quelques-unes des consultations que nous avons menées auprès des instances provinciales.

La sénatrice Martin : Et municipales.

M. Goodale : Tout à fait. Je vais lui demander de vous parler de ce processus. Au Canada, il est plutôt rare que l’on puisse faire affaire avec un seul gouvernement à la fois, mais je vais laisser Kathy vous expliquer comment les autres ordres de gouvernement ont réagi à cette démarche.

Mme Thompson : Merci, monsieur le ministre. Nous avons effectivement soulevé la question auprès de nos homologues provinciaux et territoriaux en leur fournissant toute l’information nécessaire. En outre — et je crois que M. Scromeda l’a déjà mentionné — la GRC a un processus en place lui permettant de coordonner ses efforts avec les instances municipales et provinciales pour ce qui est de la destruction, de la gestion et de la reproduction de dossiers. On va donc s’appuyer sur ce processus qui existe déjà.

Nous allons aussi compter sur la Commission nationale des libérations conditionnelles qui fera appel à son vaste réseau de contacts, et ce sera la même chose pour le ministère de la Justice. Ce sera donc un effort pangouvernemental pour mettre à contribution toutes les relations déjà établies.

Peut-être que le représentant de la GRC pourrait vous parler de la manière dont les efforts sont actuellement coordonnés avec les forces policières municipales et provinciales.

La sénatrice Martin : Juste pour que les choses soient bien claires, êtes-vous en train de nous dire que l’on va confier la coordination à la GRC ou à la Commission des libérations conditionnelles, plutôt que de laisser le demandeur tout faire lui-même?

Mme Thompson : Non. Je parlais de l’étape de la destruction des dossiers, soit une fois que la décision de radiation a été rendue. Pour ce qui est de l’accès à l’information, cela se fait en grande partie par l’entremise de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Celle-ci a reçu le financement nécessaire pour appuyer les démarches des personnes souhaitant présenter une demande.

M. Churney a expliqué comment procédait la commission pour s’assurer que les informations nécessaires sont accessibles et pour offrir à chacun le soutien dont il a besoin. Il a parlé d’un guide de présentation d’une demande qui sera préparé ainsi que de copies papier qui seront mises à la disposition des demandeurs.

M. Goodale : Monsieur Côté, vous avez quelque chose à ajouter?

Serge Côté, surintendant principal, directeur général, Services canadiens d’identification criminelle en temps réel, Services de police spécialisés, Gendarmerie royale du Canada : Merci, monsieur le ministre. Je pourrais apporter quelques précisions. Vous vouliez savoir, sénatrice, comment les demandeurs pourront obtenir l’information qui sera exigée par nos collègues de la Commission des libérations conditionnelles pour traiter leur dossier.

La sénatrice Martin : Oui.

M. Côté : Mme Thompson et son équipe ont leurs propres groupes de travail fédéraux-provinciaux-territoriaux, et nous procédons de la même façon du côté des forces de l’ordre. Je peux par exemple vous dire que nous nous sommes employés la semaine dernière à mieux faire connaître les incidences de ce projet de loi sur les services de police de première ligne, qu’il s’agisse des détachements de la GRC ou des forces policières locales.

Nous avons même déjà rédigé un message en collaboration avec la Commission des libérations conditionnelles en vue des communications à venir. Dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale, nous transmettrons ce message aux différents chefs de police et commandants divisionnaires de la GRC de telle sorte qu’ils sachent exactement comment procéder pour aider un demandeur qui se présenterait à leur bureau. Ce message est déjà prêt à être diffusé.

Nous attendons donc que les consultations soient terminées et que le projet de loi reçoive la sanction royale.

La sénatrice Martin : Puis-je poser une dernière question?

La présidente : J’essaie de voir le temps qu’il nous reste. Je sais que le ministre doit nous quitter dans deux minutes.

La sénatrice Martin : J’aurais seulement une requête à formuler pour ma propre gouverne et celle de mes collègues. Vous parlez du processus et du soutien que vous allez offrir, mais je serais curieuse de savoir comment les choses vont se passer exactement. Allez-vous aider directement les demandeurs ou simplement leur remettre une documentation écrite quant à la marche à suivre? Il arrive que ces processus soient plutôt complexes. J’aimerais bien savoir quelle forme prendra le soutien qui sera offert.

M. Côté : Je parlais de ce qui arrive lorsqu’un demandeur se présente à un poste de police. Je ne peux pas vous dire comment les choses vont se passer avec les tribunaux. Je me limite simplement à l’information qui doit être transmise par un de nos détachements ou un service de police local pour appuyer un demandeur. Le message que nous avons préparé traitera de l’intention du projet de loi et du processus à suivre.

Je crois que mon collègue de la Commission des libérations conditionnelles pourrait vous parler mieux que moi des efforts qui seront déployés de ce côté-là pour communiquer avec les demandeurs. Je pense que M. Churney a d’ailleurs mentionné un guide qui allait être offert.

M. Churney : Oui. Comme je l’indiquais, nous voulons faciliter le processus de demande dans toute la mesure du possible. Notre guide sera accessible en version PDF et en format papier. Les clients qui se demandent à qui s’adresser ou comment obtenir l’information dont ils ont besoin pourront obtenir l’aide des employés de la commission via notre ligne téléphonique 1-800. Nous essaierons d’être aussi disponibles que possible pour répondre aux besoins de chacun.

La présidente : Merci, sénateurs, pour vos questions. Ministre Goodale, un grand merci de votre visite et du temps que vous nous avez consacré ce matin. Nous allons maintenant prendre une courte pause pour permettre à M. Goodale de quitter la salle, puis nous passerons au second tour de questions avec les représentants des différentes organisations. Merci encore.

M. Goodale : Merci, madame la présidente. Je suis heureux d’avoir eu l’occasion d’échanger avec vous. Je dois me rendre à la Chambre, car j’ai une autre période de questions qui m’attend.

Merci.

La présidente : Nous reprenons notre examen du projet de loi C-66. Nous amorçons maintenant le second tour de questions.

[Français]

Le sénateur Cormier : J’aimerais revenir sur certains points auxquels on a déjà répondu en partie.

On a beaucoup entendu qu’il y avait eu des lacunes quant aux consultations faites au moment de la rédaction du projet de loi. La communauté s’est exprimée clairement à ce sujet en disant qu’elle n’avait pas été suffisamment consultée. Pouvez-vous me dire comment, dans la suite des choses, la communauté sera consultée? Quel sera le rôle, par exemple, du Bureau du Conseil privé dans le dossier LGBTQ2 sur la question, par exemple, en ce qui concerne l’ajout d’infractions admissibles à l’annexe? Pouvez-vous donner plus d’information sur la façon dont cette consultation sera effectuée?

Mme Thompson : Est-ce que vous parlez des consultations qui ont eu lieu ou de celles qui sont planifiées?

Le sénateur Cormier : L’enjeu principal porte sur l’avenir du projet de loi et, comme le spécifiait le ministre Goodale, sur son évolution en ce qui concerne l’inclusion éventuelle d’autres infractions. Comment se fera ce processus et quel type de consultations envisagez-vous tenir, dans ce contexte de l’évolution de ce projet de loi?

Mme Thompson : Pour l’instant, comme le ministre l’a mentionné, il y a des discussions qui se font à l’intérieur de notre ministère et du ministère de la Justice quant à l’évolution du projet de loi, mais nous n’en sommes pas encore à l’étape d’envisager des consultations à l’extérieur du gouvernement. Pour ce qui est des consultations qui se tiendront après l’adoption du projet de loi C-66, je pense que M. Churney a déjà parlé de la façon dont ils ont approché le Bureau du Conseil privé pour savoir qui contacter pour la distribution de l’information dans la communauté élargie.

Le sénateur Cormier : Vous avez abondamment parlé de la question du processus des demandes. De quelle façon comptez-vous accompagner la personne qui fait une demande?

Mon deuxième point est peut-être plus une réflexion, mais ça peut aussi être une question. À la lumière du fonctionnement prévu, le fardeau de la preuve demeure sur la victime plutôt que sur la Couronne. Est-ce que la Commission des libérations conditionnelles du Canada aurait les moyens ou les ressources nécessaires afin que ce soit elle qui entreprenne les recours de demandes et la récupération des dossiers des demandeurs plutôt que les victimes elles-mêmes? Pourquoi maintenir la responsabilité sur le demandeur plutôt que sur la commission, qui pourrait l’aider à réparer ces torts?

[Traduction]

M. Churney : Merci pour la question. Il est bien certain que la Commission des libérations conditionnelles souhaite appuyer les demandeurs dans toute la mesure du possible. Nous essayons notamment de nous préparer à l’entrée en vigueur de cette loi en dispensant à notre personnel une formation non seulement sur les aspects techniques du projet de loi lui-même, mais aussi relativement à sa pertinence compte tenu des injustices historiques qui ont été commises.

C’est ainsi que notre personnel a débuté cette semaine une formation offerte par Egale, le groupe national de défense des droits des gays et des lesbiennes. Il s’agit de bien faire comprendre à nos employés comment ces mesures législatives s’inscrivent dans la perspective historique des injustices qui ont été perpétrées.

Nous voulions prendre le temps nécessaire pour que nos employés saisissent bien toute l’importance que revêt ce projet de loi et les objectifs un peu particuliers qu’il vise via le processus de radiation.

Cette formation permet de rappeler le traitement dont ont été victimes certains membres de la communauté LGBTQ2 pendant les années 1950, 1960, 1970 et 1980 tout en expliquant la manière dont ce projet de loi s’articule avec les excuses formulées par le premier ministre. Il s’agissait vraiment de sensibiliser nos employés de telle sorte qu’ils aient une meilleure idée des expériences vécues par ceux qui présenteront une demande et qu’ils comprennent bien qu’il est primordial de traiter ces demandes avec toute la compréhension, le respect et l’empathie nécessaires.

Nous sommes très attentifs à ces considérations. Nous devons effectivement offrir du soutien à ceux qui utilisent notre ligne 1-800, mais nous avons également jugé qu’il fallait nous assurer que notre personnel soit bien conscient de toute la portée de ce projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : J’aurais une autre question dans la même veine, monsieur Churney. On parle ici d’une procédure de radiation qui sera différente de l’ancien système de réhabilitation, même en tenant compte de l’évolution qu’il a connue. Il s’agit de faire savoir aux gens que ces condamnations n’auraient jamais dû être prononcées.

Ce n’est pas comme les autres causes où des actes répréhensibles ont effectivement été commis et pour lesquelles il convient de prendre les mesures qui s’imposent, notamment pour la réhabilitation.

Comme j’ai travaillé avec l’ancien système, je comprends notamment ce que cherche à établir la Commission des libérations conditionnelles. C’est une décision totalement différente qui porte sur des questions de fond. En l’espèce, il s’agit plutôt simplement pour la personne concernée de faire la preuve qu’elle a fait l’objet d’une condamnation semblable. C’est la raison pour laquelle je comprends difficilement qu’une demande soit suffisante pour être réputé n’avoir jamais été condamné. Si certains ont la possibilité de s’adresser à la Commission des libérations conditionnelles pour formuler une telle demande, il en va tout autrement par exemple de ceux qui sont décédés et qui n’ont pas de famille. Leur casier judiciaire ne sera jamais radié. À mes yeux, c’est une injustice fondamentale.

Je préfère que les dossiers soient traités par la Commission des libérations conditionnelles. Estimez-vous que votre formation permettra de cibler les enjeux associés à cette radiation qui diffèrent de ceux avec lesquels la commission doit normalement composer?

M. Churney : Merci pour la question. Vous avez tout à fait raison. C’est un processus de demande qui ne sera pas totalement étranger au personnel de la Commission des libérations conditionnelles, car il y a certaines similitudes avec celui utilisé pour l’octroi de la réhabilitation et la suspension du casier judiciaire. C’est tout de même un processus bien distinct. Suivant le libellé du projet de loi, on penchera du côté de la radiation du casier judiciaire lorsque le demandeur satisfera aux trois critères établis. Il y a à mon avis, moins de latitude que pour le programme de suspension du casier judiciaire alors que l’on doit s’efforcer d’évaluer les avantages possibles pour la société et les perspectives de réinsertion dans la collectivité.

Il n’y a pas vraiment de marge de manœuvre discrétionnaire dans ce cas-ci. Il s’agit seulement de satisfaire aux trois critères établis dans la loi, notamment quant au consentement mutuel et à la nature de l’infraction. Nous en sommes conscients. Nous allons tendre plutôt vers l’octroi de la radiation à moins qu’il y ait preuve du contraire ou qu’il soit évident que le demandeur ne satisfait pas aux critères établis.

La sénatrice Andreychuk : Madame Thompson, il y a la question de l’âge de consentement qui a déjà été soulevée par d’autres témoins, et qui ressort certes clairement de ce projet de loi. Nous octroyons une radiation rétrospective, mais nous fixons à 16 ans l’âge minimum. Comme l’âge minimum était de 14 ans à l’époque pour les activités hétérosexuelles, je note qu’il y a encore une forme de discrimination. Est-ce que les personnes de ce groupe d’âge pourront obtenir justice rétroactivement?

Mme Thompson : Merci pour la question. Comme le ministre l’indiquait tout à l’heure, le gouvernement a choisi 16 ans parce que c’est l’âge légal aujourd’hui et que l’un des objectifs de ce projet de loi est de corriger les injustices du passé à l’égard d’agissements qui seraient tout à fait légitimes de nos jours. Le ministre a aussi parlé de la possibilité d’invoquer la proximité d’âge comme moyen de défense. Par exemple, si un individu qui avait 14 ans à l’époque a participé à des activités homosexuelles avec un autre de 15, 16 ou 17 ans, il demeure admissible à une radiation parce qu’il peut invoquer la proximité d’âge. Cependant, un jeune de 16 ans ayant eu des relations avec un autre de 20 ans ne serait pas admissible, car il s’agirait, comme le ministre l’a indiqué, de rapports entre un adulte et un adolescent.

La sénatrice Andreychuk : Reste quand même que des poursuites pourraient être intentées, une possibilité qu’il faut prendre en considération.

Mme Thompson : Comme je le disais, s’il y a proximité d’âge entre les deux individus, il serait tout de même admissible. Si c’était un jeune de 14 ans…

La sénatrice Andreychuk : Il faudrait qu’il revienne à la charge d’une autre manière pour faire radier son casier judiciaire, ou qu’il invoque la proximité d’âge.

Mme Thompson : La proximité d’âge peut effectivement être invoquée.

La sénatrice Andreychuk : Mais cela ne s’applique pas…

Mme Thompson : C’est une proximité de cinq ans. Alors pour un jeune de 14 ans, le partenaire doit avoir moins de 19 ou 20 ans.

La sénatrice Andreychuk : Je vais en rester là pour l’instant, mais je crois tout de même qu’il s’agit d’une lacune à corriger.

La sénatrice Cordy : J’aimerais que nous parlions quelques instants des échanges d’information avec les partenaires étrangers. Nous avons bien sûr de nombreux partenaires à l’échelle planétaire avec lesquels nous échangeons des renseignements, notamment au sujet des condamnations. Ces informations peuvent servir pour les contrôles de sécurité aux frontières ou les services d’immigration. Je crois qu’un Canadien qui a obtenu une réhabilitation reçoit un document qu’il peut garder sur lui. Il peut ainsi présenter ce document au poste frontalier.

Si cette loi est adoptée, comment les choses vont-elles se dérouler aux passagers frontaliers les plus fréquentés, soit ceux vers les États-Unis, nos voisins immédiats? Si un Canadien dont les condamnations ont été radiées grâce à ce projet de loi se présente à la frontière pour se faire dire par les autorités américaines qu’une condamnation est encore inscrite dans leurs dossiers, quels seront ses recours? Que pourra-t-il faire?

Mme Thompson : Merci pour la question. Nous avons discuté brièvement des champs d’intervention de la GRC et des possibilités de mise en commun de l’information à l’intérieur du pays. C’est un peu différent avec nos partenaires étrangers. Il y a eu des améliorations pour ce qui est des échanges de renseignements.

Peut-être que le superintendant pourra le confirmer, mais j’estime peu probable que la GRC conserve d’aussi vieux dossiers dans sa base de données. Cela m’étonnerait beaucoup, mais je vais laisser le représentant de la GRC vous répondre.

M. Côté : Si je comprends bien votre question, sénatrice, vous faites référence à une situation où, un peu comme dans le cas du régime d’octroi de la réhabilitation, un individu se présente à la frontière pour se faire dire par les autorités américaines qu’elles ont encore de l’information concernant la radiation…

La sénatrice Cordy : Ou que les agents savent qu’il y a eu radiation.

M. Côté : Exactement. Il y aurait sûrement des moyens, et je peux peut-être céder la parole à mes collègues de la CLCC. Quand la Commission des libérations conditionnelles informe la GRC de la radiation d’une condamnation, nous avons pour rôle d’appliquer cette décision et de retirer l’information visée du dépôt national. Les autorités américaines ont accès à certains renseignements par application de diverses ententes d’échange d’information conclues au fil du temps.

Je présume que dans ce cas, la personne pourrait obtenir un document qui attesterait de la décision rendue et qui pourrait expliquer l’incohérence. C’est ce qu’on fait quand il y a pardon, mais je laisserai M. Churney vous expliquer peut-être un peu plus la situation.

M. Churney : Oui. Je dirais qu’un peu comme dans le régime de pardon, quand une condamnation est radiée, la personne reçoit ce qu’on appelle un certificat de radiation. Si elle se présente à la frontière, elle peut montrer ce certificat aux autorités américaines pour prouver qu’il y a bel et bien eu radiation.

La sénatrice Pate : Je vous remercie encore une fois tous et toutes.

Monsieur Churney, pouvez-vous nous décrire les mesures à prendre pour qu’il y ait automatiquement archivage en cas de radiation ou que le processus de radiation soit enclenché d’office au Canada, au cas où nous voudrions recommander quelque chose du genre?

Ma prochaine question s’adresse probablement à vous, maître Scromeda. La portée du paragraphe 23(2) est-elle suffisamment large pour qu’une fois le projet de loi sur le cannabis adopté, les personnes trouvées coupables d’infractions criminelles sous le régime précédent soient également protégées et que leurs condamnations soient radiées?

M. Scromeda : La première question s’adressait à M. Churney. Je le laisserai y répondre d’abord.

M. Churney : Je pense que cela pourrait entrer un peu en ligne de compte dans l’approche privilégiée par le gouvernement dans ses politiques. Pour répondre brièvement à votre question sur la radiation automatique, je vous dirais que la Commission des libérations conditionnelles aura besoin de certains renseignements pour pouvoir bien identifier la personne et la lier aux bonnes condamnations.

À partir du moment où nous avons le bon dossier de condamnation et les bonnes données d’identification personnelle, nous pourrions avoir besoin de prendre les empreintes digitales de la personne pour établir son nom usuel, par exemple. Je pense que ce serait probablement les trois éléments de base dont nous aurions besoin de tenir compte. Mme Connidis aurait peut-être autre chose à ajouter.

Angela Connidis, directrice générale, Direction générale de la prévention du crime, des affaires correctionnelles et de la justice pénale, Sécurité publique Canada : Je vous remercie de cette question, sénatrice Pate.

Nous avons sérieusement étudié l’exemple des pardons accordés d’office lorsque nous avons commencé à envisager la chose. L’une des difficultés, c’est que le dossier de condamnation ne fait pas mention de l’âge de la victime, alors qu’il est impératif de déterminer si la victime était mineure et si elle est toujours vivante, parce que si nous faisions tout cela de manière automatique, nous pourrions radier sans le savoir des condamnations pour des infractions commises sur un enfant.

La sénatrice Pate : Et si vous aviez accès aux déclarations sous serment?

Mme Connidis : L’information se trouve souvent dans les dossiers judiciaires. Quand il y a une déclaration sous serment, il nous faut une preuve que la personne a essayé d’accéder à ses documents judiciaires, sans succès. Comme M. Churney l’a déjà mentionné, ce projet de loi a été rédigé de manière à permettre la radiation de la condamnation plutôt que de ne pas la permettre. Or, une fois une condamnation radiée, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Nous pourrions toutefois utiliser les dispositions sur le parjure. Si nous nous rendons compte après coup que la personne a menti dans sa demande, dans sa déclaration sous serment, les lois sur le parjure s’appliqueront.

La sénatrice Pate : Il semble que l’information est pourtant accessible quelque part et qu’on devrait pouvoir y avoir accès d’office.

Mme Connidis : C’est compliqué. Nous ne savons pas nécessairement devant quel tribunal la personne a comparu, dans quelle municipalité, à quelle instance. Cela peut nécessiter beaucoup de recherches.

La sénatrice Pate : On pourrait peut-être investir un peu là-dedans plutôt que d’embaucher du personnel pour faire toutes ces recherches. Je m’excuse, c’était plus un commentaire qu’une question.

M. Scromeda : Comme les sénateurs peuvent sûrement le comprendre, je ne peux pas fournir d’avis juridique au comité, mais je peux faire des observations générales en réaction à votre question. Vous me demandiez si l’article 23 permettrait plus tard d’ajouter, par exemple, les infractions de possession de marijuana à la liste pour que ces condamnations puissent être radiées.

À ma connaissance, pour l’instant, cet article n’est pas conçu à cette fin. À l’heure actuelle, je crois que les infractions de possession de marijuana ne sont pas jugées inconstitutionnelles. La question a été soumise à la Cour suprême, qui ne les a pas jugées inconstitutionnelles. Je pense que les condamnations rendues à ce jour pour des infractions de possession de marijuana et la réforme juridique concernant le cannabis sont deux choses différentes. Il pourrait y avoir d’autres mesures subséquentes à cet égard, mais pour l’instant, selon les textes actuels, il faut se demander: cette condamnation constitue-t-elle une injustice historique à la lumière des infractions actuelles? Il faudra se poser la question. Je suppose qu’il faudra aussi nous demander, comme le dicte l’article 23, s’il ne s’agit plus d’une infraction parce que la possession illicite de marijuana demeurera une infraction. Il devrait être possible d’obtenir de la marijuana en toute légalité bientôt, mais la question de la possession illicite demeurera entière.

Ces questions devront être analysées. D’après ce que je comprends, les infractions de possession de marijuana ne sont pas considérées comparables à celles qui seront radiées en vertu de ce projet de loi.

La sénatrice Ataullahjan : Parmi les personnes touchées, il pourrait y avoir beaucoup de citoyens qui ne sont pas très à l’aise avec les ordinateurs. Quelles mesures la Commission des libérations conditionnelles et les autres ministères prennent-ils pour que ces personnes aient accès au processus de radiation? Si je ne sais pas comment utiliser l’Internet ou que je n’y ai pas accès, comment pourrai-je avoir accès à l’information pour que le processus suive son cours en bonne et due forme?

M. Churney : Je vous remercie de cette question. Encore une fois, j’ai parlé un peu plus tôt de la vaste campagne d’information prévue après la sanction royale du projet de loi pour sensibiliser non seulement nos partenaires du système de justice pénale, mais aussi les membres du public, plus particulièrement les personnes LGBTQ2. Je pense que nous voudrons probablement aussi tisser des liens avec les organisations qui travaillent avec les personnes âgées, par exemple, un autre groupe cible auquel nous devrions porter attention, à mon avis.

Ce sera tout nouveau pour la Commission des libérations conditionnelles. Nous aurons beaucoup à apprendre au début pour déterminer comment améliorer notre service à la clientèle. Il y aura une période d’apprentissage aussi pour bien comprendre comment nous pouvons venir en aide aux personnes touchées et de quel genre de partenariat nous pourrions avoir besoin avec les organismes communautaires. Je conviens tout à fait avec vous que ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec les ordinateurs et qu’il pourrait y avoir des gens qui auront besoin de papiers et de crayons pour faire une demande. Nous travaillerons avec des partenaires du milieu communautaire pour faire tout ce que nous pouvons.

La sénatrice Martin : J’aurais une petite question complémentaire à poser après celle de la sénatrice Cordy sur ce qui arrivera à la frontière. Incombera-t-il à la personne qui se présente à la frontière de présenter une preuve? Si tel est le cas, chaque fois qu’elle souhaitera traverser la frontière, elle se fera arrêter et sera soumise à des vérifications. Avez-vous entrepris de travailler avec nos partenaires des États-Unis afin qu’ils corrigent leurs dossiers? Est-ce quelque chose de prévu?

M. Côté : Sénatrice, je vous remercie de cette question. Je ne peux pas vous dire ce que les autorités américaines feront lorsqu’elles se trouveront devant un sujet canadien. J’ai déjà été l’officier responsable du détachement de Windsor, ce qui m’amenait à travailler en étroite collaboration avec les Américains. Je dirais que leur évaluation de chaque cas est unique. Je ne peux pas vous répondre au nom de mes anciens collègues américains, du temps où je travaillais à la frontière, et vous dire comment ils évalueront les Canadiens souhaitant entrer aux États-Unis.

Je pense que M. Churney nous a confirmé que lorsqu’une décision sera rendue en faveur d’une radiation, le demandeur recevra un document en attestant. D’après ce que j’ai compris de la réponse de M. Churney, le Canadien touché pourra transporter ce document avec lui, un peu comme les Canadiens qui bénéficient actuellement du pardon.

La sénatrice Martin : Prévoyez-vous établir une entente ou en discuter avec les Américains? Est-ce que cette question pourrait faire partie des discussions? Chaque fois qu’une personne se fait arrêter, elle est traitée de façon différente. Je m’interroge un peu sur les effets qu’aura l’adoption de cette loi.

Mme Connidis : Lors d’une discussion précédente, le secrétaire parlementaire Holland a mentionné ici qu’il y aurait des discussions avec nos homologues américains.

[Français]

Le sénateur Cormier : J’ai une observation à faire plutôt qu’une question à poser. D’abord, je vous remercie pour tout le travail que vous avez fait concernant ce projet de loi important. Vous avez bien répondu à la question de la formation qui sera offerte au personnel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Cependant, le fardeau de la preuve revient quand même à la victime, et l'on sait que c’est une question très sensible.

Ma question reste entière, en fait : auriez-vous pu imaginer que la Commission des libérations conditionnelles prendrait les dossiers en main et les porterait pour aider les victimes? Je voulais tout simplement porter à votre attention cette notion que ce sont des dossiers extrêmement sensibles et que les victimes ne sont pas forcément heureuses que leur dossier soit public. On peut travailler avec toutes sortes d’associations, mais il s’agit d’un enjeu réel. C’était mon commentaire plutôt général, mais je veux vous remercier pour le travail qui a été fait. Il y a certainement énormément d’observations possibles à faire pour la suite des choses.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie tous et toutes du temps que vous nous avez accordé aujourd’hui. Nous vous remercions d’avoir poursuivi la conversation avec nous après le départ du ministre.

Je remercie également les sénateurs des questions qu’ils ont posées aujourd’hui. Notre séance tire à sa fin. Nous continuerons l’étude de ce projet de loi la semaine prochaine.

(La séance est levée.)

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