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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 2 - Témoignages du 14 juin 2016


OTTAWA, le mardi le 14 juin 2016

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour poursuivre son étude du cas de privilège qui concerne les fuites du rapport du vérificateur général sur son audit du Sénat.

La sénatrice Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour tout le monde. Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement poursuit son étude sur la question de privilège soulevée par la sénatrice Hervieux-Payette. Aujourd'hui, nous avons le grand plaisir d'accueillir comme témoin un sénateur qui siégerait normalement avec nous, mais qui est aujourd'hui témoin. C'est l'honorable Serge Joyal, qui est non seulement sénateur, mais aussi vice-président du Comité permanent sur l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs.

[Traduction]

Nous avions convenu que la sénatrice Andreychuk, présidente du comité, allait comparaître en même temps que le vice-président, mais elle a dû s'absenter pour des affaires parlementaires. Toutefois, nous sommes certains que le sénateur Joyal pourra nous dire tout ce que nous devons savoir.

Les sénateurs peuvent poser les questions qu'ils veulent, mais nous voulions entendre les représentants du Comité des conflits d'intérêts, car il a récemment élaboré des sanctions en cas d'atteinte au code. Comme vous le savez, les sanctions sont une question qui a été soulevée au cours de notre étude. Nous espérons que le sénateur Joyal pourra nous expliquer le système actuel en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs et nous dire pourquoi le comité a créé cette liste de sanctions.

[Français]

Sénateur Joyal, merci beaucoup d'avoir accepté. La parole est à vous.

[Traduction]

L'honorable Serge Joyal, C.P. : Merci de l'invitation. Je vais tout d'abord répéter ce que vous avez dit à propos de la sénatrice Andreychuk, présidente du Comité sénatorial permanent de l'éthique et des conflits d'intérêts.

La sénatrice Andreychuk et moi avons discuté de l'exposé de ce matin, qui résulte de nos efforts conjoints et de nos réflexions visant à aider les sénateurs concernant les sanctions.

Comme dans le cadre de procédures judiciaires, je vais d'abord établir la crédibilité du témoin. Comme la sénatrice Andreychuk et vous, madame la présidente, je siégeais au comité qui devait rédiger le premier Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs en 2003-2004. Adopté en 2005, le code exigeait la mise sur pied du comité selon des règles très précises. J'ai été élu premier président du comité en 2006 et j'ai occupé ce poste jusqu'à ce que la vice-présidente Andreychuk me remplace en 2012. Je siège actuellement au comité à titre de vice-président.

Je travaille à ce code depuis sa création. Je suis en quelque sorte condamné à siéger au comité pour un certain temps. Je prends cette responsabilité très au sérieux, car elle se fonde sur la confiance des autres sénateurs. C'est dans ce contexte que je vais vous parler des sanctions prévues par le code.

Lors de son adoption en 2006, le code ne prévoyait aucune sanction précise. Toutefois, il permettait que des sanctions soient imposées, car le Sénat jouissait d'un pouvoir disciplinaire général depuis la Confédération de 1867.

Le Sénat bénéficie de ce privilège en vertu de l'article 18 de la Constitution. Cet article était un enjeu majeur lors de la Confédération, car il transférait les privilèges du Parlement de Westminster au Parlement du Canada.

Il importe de comprendre les origines de nos privilèges de discipline à l'endroit des sénateurs et des députés, car la Chambre des communes a reçu les mêmes privilèges que le Sénat en matière de discipline.

Il est important de savoir que ces privilèges sont d'origine constitutionnelle. Ce n'est pas une loi qui accorde ce pouvoir de discipline au Sénat, mais l'article 18 de la Constitution que je vais lire aux honorables sénateurs. Je crois qu'il est important de se le rappeler.

Article 18 :

Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par la Loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédent ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.

Nous avons tendance à l'oublier, mais notre privilège de discipline émane de la Constitution.

La première Loi sur le Parlement du Canada adoptée tout de suite après la Confédération a confirmé ce pouvoir et elle constitue le fondement sur lequel le code repose. Autrement dit, le Code régissant l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs est issu de notre pouvoir qui figure dans la Constitution.

C'est dans cet esprit que nous avons rédigé le code il y a près de 15 ans. Lorsque le Sénat impose une sanction à un sénateur, il exerce son pouvoir disciplinaire qui découle des privilèges que possède le Sénat pour régir la conduite de ses membres.

Tout comme les juges ont le privilège de régir le comportement de leurs confrères sans que l'on sache comment ils parviennent à une décision, les juges ne savent pas comment nous tranchons les questions de comportement des sénateurs. Cet élément me paraît important, car il explique un aspect essentiel de la procédure que je vais vous présenter.

Deuxièmement, on ne peut pas envisager un régime de sanctions sans tenir compte de la procédure qui mène à ces sanctions. Autrement dit, on ne peut pas imposer une sanction sans respecter ce que j'appelle la justice fondamentale. Lorsqu'on impose une sanction, on limite la liberté de la personne qui en fait l'objet. Conformément à la justice fondamentale, on ne peut pas sanctionner quelqu'un sans respecter un certain nombre de principes.

Nous avons veillé à rédiger le code de manière à ce qu'il respecte le principe de justice fondamentale. L'article 44 du code décrit la procédure à suivre sous le titre « Généralités », à la rubrique « Application ».

Le premier principe énoncé à l'article 44 se lit comme suit :

44. (1) Tout manquement au présent code par un sénateur a des répercussions sur l'ensemble des sénateurs et sur la capacité du Sénat de s'acquitter de ses fonctions et peut amener celui-ci à imposer des sanctions ou à ordonner des mesures correctives.

Le pouvoir d'imposer des sanctions tire donc son origine de l'article 44 du code qui investit le Sénat de la responsabilité de discipliner ses membres. Avec ce pouvoir vient la responsabilité de déterminer la sanction qui convient.

Lors de l'adoption du code en 2005, il ne semblait pas essentiel de dresser une liste de sanctions. Il fallait plutôt réaffirmer le principe selon lequel le Sénat a le privilège d'imposer des sanctions. Le code ne donnait pas plus de précision.

Nous avions fait de notre mieux lors de la rédaction du code. Quel était son objectif? Il s'agissait de nouvelles mesures; nous étions en territoire inconnu. Nous pensions que le besoin d'améliorer le code allait se manifester dans sa mise en œuvre et qu'au fil des ans, nous serions appelés à le réexaminer.

C'est ce que le comité sénatorial de l'éthique et des conflits d'intérêts a fait il y a plus de deux ans, en avril 2014, lorsqu'il a déposé son troisième rapport qui recommandait des sanctions. Nous disposons d'une liste de sanctions depuis deux ans.

Je répète que nous ne pouvons pas imposer de sanctions sans respecter une procédure stricte que je vais décrire très brièvement. Cette procédure découle de l'examen préliminaire d'une allégation d'atteinte au code.

Le conseiller sénatorial en éthique examine les allégations d'atteinte au code. Ces allégations doivent lui être soumises par écrit et préciser les éléments ou les faits qui demandent une enquête. Le conseiller peut lancer une enquête préliminaire s'il est convaincu qu'elle est nécessaire à première vue.

L'enquête préliminaire aide le conseiller sénatorial en éthique à établir s'il faut mener une enquête complète. À la lumière des allégations ou des renseignements qu'il a recueillis, le conseiller va ensuite inviter le sénateur à donner sa propre version des faits allégués dans la lettre ou des faits recueillis.

Le sénateur a donc l'occasion d'expliquer sans délai ce qui a motivé son comportement.

Au terme de l'enquête préliminaire, le conseiller sénatorial en éthique décidera s'il faut mener une enquête complète. Si l'affaire est publique, le conseiller va informer le Comité sénatorial de l'éthique qu'il va entreprendre une enquête.

Le comité est donc avisé, mais il ne participe pas à l'enquête, qui relève uniquement du conseiller sénatorial en éthique. La participation du comité se limite à être mis au courant de l'enquête.

C'est au conseiller sénatorial en éthique que revient la tâche de mener l'enquête, d'exiger des renseignements, des documents et des témoignages et bien sûr d'inviter le sénateur à comparaître, accompagné ou non de son avocat, pour lui poser des questions et discuter comme on le ferait dans le cadre d'un procès. Il s'agit bien sûr d'une procédure qui se déroule jusque-là à huis clos, car l'allégation n'est toujours pas prouvée.

Comme je l'ai dit à maintes reprises au Sénat, le principal atout d'un sénateur est sa réputation. Tant que le conseiller sénatorial en éthique n'a pas tiré de conclusion, il est le seul responsable de l'enquête qui garantit la présomption d'innocence.

Évidemment, l'opinion publique va tout de suite présumer coupable la personnalité publique qui fait l'objet d'une allégation. La population ne lui donnera pas le bénéfice du doute. À ce stade, nous voulons protéger la réputation du Sénat le plus possible, car l'allégation grave n'a toujours pas été prouvée.

Lorsque le conseiller termine son enquête, il dépose son rapport au Sénat le jour même. Si le Sénat ne siège pas, le rapport est déposé devant le greffier du Sénat et publié sur le site Internet du Sénat. Si le Sénat siège, le rapport est immédiatement déposé en chambre.

Lorsque le rapport est déposé ou rendu public, il est envoyé sur-le-champ au Comité sénatorial permanent sur l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs. Dans son rapport, le conseiller ne détermine pas la sanction à appliquer. Il peut recommander une sanction au vu des faits examinés, ne mentionner aucune sanction ou expliquer les circonstances qu'il faudra prendre en compte lorsque le sénateur s'expliquera au comité de nouveau et qu'il faudra établir la sanction appropriée.

Le comité permet au sénateur de se défendre, tout comme l'enquête du conseiller sénatorial en éthique. Le sénateur témoigne et fournit les renseignements supplémentaires qu'il veut ajouter au rapport. Il peut être accompagné de son avocat ou offrir de répondre aux questions des membres du comité. Les discussions entre le comité et le sénateur se déroulent à huis clos et ne sont pas rendues publiques à cette étape-là.

Après cela, sur conclusion des délibérations du comité, une sanction est éventuellement recommandée au Sénat en comité plénier.

Je le répète encore : ce n'est pas le comité qui impose les sanctions; le comité recommande les sanctions au Sénat dans son rapport.

À la suite du dépôt du rapport par le conseiller sénatorial en éthique, le comité dépose son rapport. Y figure une sanction, pas de sanction ou une explication de la raison pour laquelle il ne devrait pas y avoir de sanction, étant donné les circonstances de la situation ayant fait l'objet de l'enquête préliminaire et, bien sûr, de l'enquête.

C'est sur cette base, après avoir entendu le sénateur ou la sénatrice faisant l'objet des allégations et faisant l'objet du rapport que le comité doit choisir une sanction dans une liste. Mais le comité n'est pas limité à cette liste.

Laissez-moi lire la disposition 49(4) du Code régissant les conflits d'intérêts, qui indique :

Lorsque le conseiller sénatorial en éthique a conclu qu'un sénateur a manqué à ses obligations aux termes du présent code, le Comité formule, dans un rapport au Sénat, des recommandations quant aux mesures correctives et aux sanctions appropriées en tenant compte de l'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le Comité peut notamment formuler l'une ou l'autre des recommandations suivantes :

Je souligne « notamment ».

... Mais elles ne se limitent pas à ce qui suit :

a) le retour de tout cadeau ou autre avantage;

b) toute mesure corrective;

c) la restriction ou la suppression de l'accès aux ressources du Sénat;

d) la révocation des affectations, fonctions et pouvoirs conférés par le Sénat;

e) la limitation du droit de parole ou de vote;

f) l'invitation ou l'ordre de présenter des excuses;

g) le blâme, la semonce ou la réprimande;

h) la suspension.

Comme vous pouvez le constater, il existe une gradation de sanctions et de leur gravité. C'est au comité de suggérer laquelle de ces sanctions ou toute autre mesure corrective lui semble appropriée. La recommandation est faite au Sénat et c'est sur cette base que le rapport est déposé en Chambre. Comme tout rapport issu d'un comité, c'est à la Chambre de décider quelle suite y donner.

Bien entendu, quand le comité dépose son rapport à la Chambre, le sénateur ou la sénatrice ayant fait l'objet du rapport et de la recommandation de sanctions peut prendre la parole. Libre à lui ou à elle de faire une déclaration ou de contester les recommandations du comité. Le code prévoit clairement cette étape, parce que le Sénat est le tribunal de dernier ressort. Je l'ai déjà indiqué : comme pour toute procédure judiciaire, nous nous efforçons d'accorder les mêmes droits à tous les sénateurs.

Il y a quatre étapes différentes, en fait : l'enquête préliminaire, l'enquête, l'audience du comité, puis l'audience du Sénat. À chaque étape, le sénateur ou la sénatrice a l'occasion d'établir sa version des faits ou les raisons pour lesquelles il ou elle ne devrait pas faire l'objet de sanctions ou pour lesquelles les sanctions ne devraient pas être celles recommandées par le comité. C'est l'occasion aussi pour le sénateur ou la sénatrice d'indiquer pourquoi le Sénat devrait conclure qu'il y a eu contravention ou pas au code et, s'il y a eu contravention au code, étant donné les circonstances attenantes, pourquoi le Sénat devrait abroger une sanction.

C'est donc la dernière étape; le Sénat a le dernier mot.

J'en resterai là, honorables sénateurs, ayant ainsi établi le contexte dans lequel une sanction est susceptible d'être imposée.

Si votre comité souhaite adopter certaines sanctions dans le Règlement du Sénat, ma recommandation est la suivante : il serait très important d'avoir dans le Règlement du Sénat une procédure parallèle à celle qui existe dans le code ou inspirée par celle-ci, afin de donner au sénateur ou à la sénatrice ayant peut-être fait l'objet d'une fuite — vu que c'est de cela dont on parle — une procédure équitable.

On a pu voir que le code est juste et équitable. Avant que la liste de sanctions soit ajoutée au code en avril 2014, le conseiller sénatorial en éthique avait enquêté sur une infraction. Il n'avait pas recommandé de sanction. Après avoir entendu le sénateur qui faisait l'objet d'un rapport, le comité a conclu que des mesures correctrices s'imposaient. Le comité a ensuite présenté une recommandation qui a été acceptée par le Sénat et par le sénateur en question, dans un discours en chambre.

Un précédent dans la procédure montre que le système fonctionne de façon équitable. Mon exposé porte surtout là-dessus.

Je pourrais reparler des diverses sanctions, mais il convient de les mettre en contexte. On ne peut pas inclure n'importe quelle sanction dans le code et penser que tout va bien aller. Notre chambre doit donner l'exemple.

Laissez-moi vous expliquer sur quoi se fondent les sanctions que nous avons choisies. Honorables sénateurs, nous pensions que les sources les plus fiables se trouvaient au Barreau du Haut-Canada, au Barreau du Québec et dans les ordres professionnels des médecins. Nous nous sommes servis de leur structure de sanctions disciplinaires comme point de référence afin d'établir les sanctions et de les échelonner, car il s'agit de sanctions très graves.

Je répète que certaines sanctions sont très graves. Cette procédure peut mener à la suspension du sénateur. Elle peut entraîner bien des conséquences pour le Sénat et le sénateur visé. Nous devons donc faire très attention de respecter la présomption d'innocence et la réputation des sénateurs, ainsi que protéger l'institution du Sénat.

C'est l'objectif général du code; ne l'oublions pas. Fondamentalement, le code sert à protéger le Sénat en tant qu'institution, son intégrité et, bien sûr, la réputation de chaque sénateur.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, sénateur Joyal. C'était très utile.

La sénatrice Jaffer : Merci d'être ici aujourd'hui, sénateur Joyal. Je veux également vous remercier officiellement pour tout le travail que vous avez fait au sujet du code et des conflits.

J'ai des questions pour éclaircir un certain nombre de points. Vous vous occupez du code tout le temps, mais pas moi. Lorsque vous parliez de sanctions, vous ne parliez que de sanctions pour les sénateurs, n'est-ce pas?

Le sénateur Joyal : Exactement.

La sénatrice Jaffer : Nous examinons une fuite du rapport du vérificateur général, donc il n'y aurait de sanction que si nous découvrions que c'est un sénateur qui a envoyé le rapport. Si c'était quelqu'un d'autre, il nous faudrait un autre processus. À quoi ce processus ressemblerait-il?

Le sénateur Joyal : Vous avez tout à fait raison. Le code sert essentiellement à régir la conduite des sénateurs. Dans le cas d'une fuite, il pourrait y avoir d'autres personnes du Sénat, par exemple, un employé du bureau d'un sénateur, ou du service du Sénat. Cela pourrait être le service de traduction, d'impression ou de distribution. Il y a de nombreux services qui s'occupent de la publication d'un rapport.

Si c'était le cas, alors le Sénat pourrait ordonner à la régie interne, qui est responsable de l'administration générale du Sénat, de se fonder sur la procédure qu'adopterait le Comité du Règlement pour un sénateur. Le code est vraiment axé sur la conduite des sénateurs, même s'il prévoit que le sénateur est responsable de son époux et de sa famille immédiate. La responsabilité pour ce groupe existe, car il fallait évidemment éviter, initialement, les conflits financiers, et puis encadrer la conduite générale des sénateurs.

Dans le contexte d'un bris de confidentialité relativement à un document du Sénat, bien sûr les sanctions ou la procédure devraient tenir compte de la responsabilité générale du comité de régie interne à l'égard de l'administration du Sénat. Ce serait de sa responsabilité de déterminer une procédure équitable. Les membres du comité seraient chargés de conclure ce qui serait le mieux pour l'institution.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup, sénateur Joyal.

Vous l'avez déjà mentionné, mais j'ai besoin d'éclaircissements : advenant une plainte, elle serait d'abord transmise au Bureau du conseiller sénatorial en éthique. Est-ce exact?

Le sénateur Joyal : Tout à fait.

La sénatrice Jaffer : Une fois que le conseiller sénatorial en éthique aurait fait enquête, le dossier serait transmis à votre comité?

Le sénateur Joyal : D'abord j'aimerais mentionner l'article du code en question. Il s'agit de l'article 47 :

(2) Le conseiller sénatorial en éthique procède à un examen préliminaire dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

a) il a des motifs raisonnables de croire que le sénateur a manqué à ses obligations au terme du présent code;

b) il reçoit une demande d'enquête d'un sénateur qui a des motifs raisonnables de croire qu'un autre sénateur a manqué à ses obligations au terme du présent code.

C'est uniquement dans ces deux situations où il y a violation du privilège où le conseiller sénatorial en éthique peut mener une enquête.

La sénatrice Jaffer : Et cela ne relève que des compétences du conseiller sénatorial en éthique. Le comité ne peut pas examiner les cas prima facie. C'est le conseiller sénatorial en éthique qui se pencherait sur ce type de dossier. Est-ce exact?

Le sénateur Joyal : Tout à fait.

La sénatrice Jaffer : Vous vous êtes très bien expliqué sur la protection de l'institution. Combien de temps prend le processus? Combien de temps prend le conseiller sénatorial en éthique pour déterminer s'il s'agit d'un cas prima facie? Je suis confuse quant au délai.

Le sénateur Joyal : C'est une très bonne question, parce que c'est quelquefois une source de frustration. Il n'y a aucune disposition du code qui limite le temps que le conseiller sénatorial en éthique peut prendre pour conclure son enquête. Dans le cas d'une enquête préliminaire, c'est ce que nous appelons — et vous reconnaîtrez le terme — une preuve prima facie d'un manquement au code. Ensuite, si les éléments de fait qui figurent dans la lettre d'allégation sont clairs, le conseiller sénatorial en éthique pourra conclure assez rapidement de la nécessité ou non de mener une enquête.

L'étape préliminaire est habituellement plus rapide que la deuxième étape. Ce qui prend davantage de temps, c'est l'enquête, et le conseiller sénatorial en éthique n'a pas de temps limite pour rendre ses conclusions.

Lorsque le rapport est déposé au Sénat, en ce qui concerne le comité, il doit agir le plus rapidement possible. Si nous ne sommes pas en session, le comité sera rappelé dans les jours suivants. C'est ce qui s'est produit dans le précédent que j'ai mentionné. Cela se passait en été, et je me souviens avoir été rappelé le 27 juillet et être resté à Ottawa pendant trois jours pour l'étude du rapport et la préparation de nos recommandations.

Dans la mise en application de l'obligation du conseiller sénatorial en éthique de mener une enquête, nous n'avons aucun contrôle sur la durée. Le comité est très hésitant à faire publiquement pression auprès du conseiller sénatorial en éthique pour qu'il présente ses conclusions, même si les sénateurs attendent toujours après six mois ou un an. Comme vous le savez, nous subissons des pressions de la part des médias à la suite d'une allégation publique, mais il incombe uniquement au conseiller sénatorial en éthique de contrôler la vitesse à laquelle il mène son enquête.

La sénatrice Lankin : Merci de votre exposé. Vos remarques indiquent que le comité de l'éthique a beaucoup réfléchi au principe d'équité, de justice naturelle et d'application régulière de la loi, et y attache beaucoup d'importance. Il s'agit en partie de respecter le droit à la confidentialité sur certains points, jusqu'à atteinte d'un certain seuil, quand une affaire est soumise au comité.

Il me semble donc que, si les fuites du rapport du vérificateur général sont graves, c'est en partie parce qu'elles minent le droit d'un individu à l'application régulière de la loi ou celui d'un groupe de personnes, vu qu'il y avait, dans ce cas, plusieurs vérifications en cours, où les gens étaient en droit de s'attendre à un certain respect de leurs renseignements personnels durant une partie du processus.

Pourriez-vous nous parler de la gravité des fuites de documents confidentiels, au vu de la justice naturelle et de l'application régulière de la loi?

Le sénateur Joyal : Le rapport du vérificateur général est un cas bien différent de celui d'un rapport de comité susceptible, par exemple, d'avoir des répercussions financières et de faire bénéficier un groupe de la société de privilèges financiers ou de renseignements financiers, un peu comme une fuite du budget. Nous comprenons parfaitement que si le gouvernement envisage d'imposer un impôt dans un certain domaine, d'investir dans certaines activités ou encore de commander un équipement quelconque, il y a des segments de la société directement concernés par ces actions.

Nous comprenons aussi que, dans ce cas, une fuite pourrait avantager un certain groupe de personnes et aller totalement à l'encontre d'un accès équitable à de mêmes renseignements au même moment.

Dans le cas du rapport du vérificateur général, le problème, tel que je l'ai vécu et perçu personnellement, était que le nom d'un sénateur était divulgué comme fautif en matière de remboursement. Même si ce sénateur avait, comme moi, déjà reçu une lettre du vérificateur général affirmant que son usage des fonds publics ne donnait pas matière à plainte, il était tenu de s'abstenir de divulguer tout renseignement ayant trait à la vérification effectuée par le vérificateur général et n'était pas en mesure de se défendre. Si je l'avais fait, j'aurais failli à un engagement de maintien de la confidentialité pris auprès du vérificateur général. Autrement dit, la presse pouvait indiquer que mon nom était du nombre, sans que ce soit vrai, mais sans que je puisse le nier.

Autrement dit, il y a eu une période où j'étais soupçonné de devoir peut-être rembourser de l'argent, et cela a entraîné toutes sortes de conséquences imprévues. Supposons que vous ayez des activités hors du Sénat axées sur la confiance qu'on vous porte, et supposons que les personnes concernées voient votre nom dans le journal — dans ce cas- ci, c'était à la télévision; ces personnes pourraient bien être tentées d'attendre avant de vous demander quelque chose.

Sans vouloir être trop personnel, dans mon cas, il s'agissait d'une candidature à la Société royale du Canada, que j'avais soumise à un jury très exigeant. Or, c'est arrivé exactement au moment où siégeait le jury. Et je craignais vraiment qu'un membre du jury ne dise : « Pour la candidature du sénateur Joyal, mettons-la de côté. On ne sait pas exactement ce qui se passe. Mieux vaut attendre. » Dans ce cas, votre candidature est repoussée jusqu'à l'année suivante.

Un sénateur peut pâtir de la situation, sans être en mesure de se défendre. Je n'étais pas le seul. Il y avait d'autres sénateurs exactement dans la même position que moi.

En l'occurrence, je n'étais pas en mesure de demander au vérificateur général de déclarer publiquement que je n'étais pas suspect. Il aurait refusé, puisque cela devait figurer dans le rapport final. Durant une période stratégique de trois mois, l'affaire est restée en suspens et j'ai dû attendre la publication du rapport final avant de pouvoir être considéré sans reproche. Vous constatez donc combien cela peut nuire à la personne concernée.

J'ai expliqué mon cas afin d'illustrer pourquoi j'insiste sur le fait que la réputation d'un sénateur est tellement importante. Lorsque vous êtes un personnage public et que vous débattez de questions qui sont contestées publiquement, la crédibilité que vous apportez à ce débat est essentielle pour convaincre les gens que ce que vous proposez dans le cadre de cette discussion publique est responsable.

C'est très sérieux et, en l'occurrence, les règles n'ont pas été respectées. Je ne pouvais même pas demander réparation. Ma réputation a été rétablie à la fin, lorsque le rapport a été publié en juin.

Le sénateur Ogilvie : Sénateur, j'aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Jaffer, mais du point de vue surtout du privilège parlementaire qui se reflète dans les actions des comités que le Parlement crée pour examiner une question et formuler des conseils sur des questions importantes dont le Parlement est saisi.

Je veux parler de cas où il est peu probable que la divulgation des travaux à huis clos des comités ou autres instances créées par le Parlement pour le conseiller sur une question importante est peu susceptible de nuire ou de profiter à quelqu'un financièrement, ou encore de ternir ou de flatter sa réputation, comme vous venez de le décrire.

À mon avis, l'un des aspects les plus importants et les plus précieux du privilège est l'assurance que l'information fournie pendant les discussions à huis clos d'instances créées et dirigées par le Parlement ne sera pas rendue publique tant que le Parlement lui-même n'aura pas reçu cette information.

Je ne citerai pas d'exemple, et si ce que je vais dire semble se rapporter à quelque chose dont vous êtes au courant depuis six mois, ce sera peut-être pure coïncidence.

Si nous attachons de l'importance à ce privilège parlementaire, il faut qu'il y ait des sanctions parce que quelqu'un le viole, et d'après mon expérience, il n'y a eu aucune sanction.

Deuxièmement, il y a un problème lorsque la réputation de plus d'une personne est mise en cause et que celles-ci font des dépositions différentes. Par exemple, supposons qu'il y a un comité composé de députés et de sénateurs et supposons qu'il y a une fuite délibérée et prouvée — les entrevues de certaines personnes — avant le moment convenu pour le dépôt de rapport au Parlement. Cependant, deux personnes sont ciblées, un député et un sénateur.

Que faudrait-il faire dans un tel cas? Comme vous l'avez déjà dit, nous discutons seulement de la capacité du Sénat d'agir, mais, dans le cas qui nous occupe, les deux chambres sont concernées. Pensez-vous que le Sénat peut agir à l'égard de l'atteinte à son privilège malgré ce que fait l'autre chambre ou même si celle-ci ne fait rien?

Le sénateur Joyal : C'est une question très intéressante. Permettez-moi de dire tout d'abord que chaque chambre a le même privilège pour ce qui est de discipliner ses propres membres. Comme je le disais dans mon exposé, aucune autorité externe ne peut intervenir dans l'exercice de cette discipline. La Chambre des communes ne pourrait pas s'ingérer dans les affaires du Sénat et lui demander de sanctionner le sénateur Ogilvie parce que celui-ci a divulgué le rapport du Comité spécial mixte sur l'aide médicale à mourir.

Le sénateur Ogilvie : Pure coïncidence.

Le sénateur Joyal : En effet, mais vous vous rappellerez, monsieur le sénateur, que j'ai rappelé aux membres du comité, où il y avait également des députés, de faire très attention de ne pas répéter en public ce que nous disions à huis clos. Heureusement, il n'y a pas eu de fuite dans ce cas-là.

Comme je le disais, le principe est que chaque chambre a le privilège exclusif de discipliner ses propres membres. Cependant, il est très clair, dans le cas que vous venez de décrire, que si le Sénat était informé qu'un sénateur et un député étaient responsables, sans l'ombre d'un doute, d'une fuite, le Sénat pourrait inviter l'autre chambre à imposer elle aussi une sanction à ce sénateur. Une fois les détails de la situation rendus publics, il y aurait beaucoup de pression, pas de la part du Sénat, mais de l'opinion publique en général, pour que l'autre chambre intervienne de la même façon.

Mais ce n'est pas parce que le Sénat sanctionne un sénateur qu'il peut en faire de même avec un député. L'article 18 de la Constitution prévoit clairement que chaque chambre exerce ses privilèges de discipline de manière exclusive.

Le sénateur Ogilvie : Mais le Sénat pourrait-il agir seul?

Le sénateur Joyal : Oui, tout à fait.

La sénatrice Seidman : Vous avez beaucoup plus d'expérience au comité et vous connaissez bien mieux le code que la plupart d'entre nous. D'après ce que je comprends, vous considérez qu'une fuite d'un document confidentiel est une atteinte au code, n'est-ce pas?

Le sénateur Joyal : Non.

La sénatrice Seidman : Ce n'est pas une atteinte au code?

Le sénateur Joyal : Non. Les articles 2 et 7 du code prévoient des obligations très différentes, concernant un sénateur et une fuite. L'article 13 et les suivants du Règlement du Sénat portent déjà sur une fuite en tant que question de privilège.

Le Règlement du Sénat établit la procédure à suivre. Dans sa décision, le président va juger si à première vue la fuite constitue une atteinte au privilège. Il y a des façons de réparer les torts causés. Le Comité du Règlement doit mener une enquête.

S'il juge que c'est nécessaire, le comité va choisir une procédure plus élaborée qui mène à des sanctions. Ces sanctions découlent bien sûr d'un rapport au Sénat, car c'est le Sénat dans son ensemble qui exerce ce privilège.

La sénatrice Seidman : Quels seraient les avantages et désavantages de traiter une divulgation de renseignements personnels comme une atteinte au code, par exemple?

Le sénateur Joyal : C'est clair qu'il faudrait modifier le code pour agir de la sorte. Je ne recommande pas que le conseiller sénatorial en éthique soit chargé d'enquêter dans de telles circonstances.

En réponse au sénateur Ogilvie et à la sénatrice Lankin, l'avantage de la liste de sanctions, c'est son effet dissuasif. Si aucune forme de sanction n'est prévue, les gens pensent pouvoir s'en tirer sans conséquence. Dans le Code criminel, la déontologie ou le code d'éthique, les sanctions jouent un rôle de sensibilisation majeur.

Les médecins apprennent à respecter un code de déontologie très strict. Cela fait partie de l'assurance dont ils pourraient se prévaloir si jamais un patient les poursuivait pour négligence ou inconduite dans leur pratique médicale.

Autrement dit, le code est un important facteur de sensibilisation. Comme je l'ai dit ici il y a quelques semaines, il est essentiel que les nouveaux sénateurs disposent de ressources pour comprendre leurs responsabilités. Si aucune sanction n'est prévue, la question ne sera pas traitée en priorité. En fait, tous les sénateurs qui siègent en comité à huis clos consultent des documents ou des renseignements confidentiels. Cela fait partie du travail des sénateurs, mais ils ne seront pas au courant si personne ne les renseigne sur leurs responsabilités.

Il importe donc que le comité envisage de préciser le manquement aux responsabilités des sénateurs dans le Règlement du Sénat et les sanctions qui l'accompagnent jusqu'à la suspension. Comme sanction possible, le sénateur pourrait être suspendu ou expulsé de son comité.

La sénatrice Seidman : Cela m'amène à ma prochaine question, parce que vous avez mentionné dans votre exposé que vous pourriez en dire plus sur les sanctions. Au paragraphe 49(4), il est clairement indiqué que « Le comité peut notamment formuler l'une ou l'autre des recommandations suivantes... », et il y a une liste.

Le sénateur Joyal : Absolument.

La sénatrice Seidman : Pourriez-vous nous en dire plus sur les sanctions possibles et si, par exemple, il y en a d'autres qui ne sont pas dans la liste? Ce serait utile.

Le sénateur Joyal : Premièrement, il faut qu'il y ait une gradation des sanctions. Voilà le principe. Normalement, la sanction est adaptée à la gravité de l'infraction que l'on veut constater et punir : plus l'infraction est grave, plus la sanction est grave.

On se demande quels sont le minimum et le maximum. Le maximum se trouve à l'article 31 de la Constitution. Voilà pourquoi l'article 31 est mentionné au paragraphe 49(4). L'article 31 de la Constitution concerne les situations où le siège d'un sénateur devient vacant. Nous ne pouvons pas nous aventurer sur ce territoire, parce que c'est le Sénat qui s'en occupe pour des raisons très précises. En d'autres mots, nous ne pourrions pas ajouter un motif de vacance d'un siège à la liste de l'article 31 de la Constitution. C'est le seuil maximal à respecter.

En deçà de ce seuil, il y a toutes sortes de sanctions auxquelles on peut songer selon la gravité de l'infraction :

a) le retour de tout cadeau ou autre avantage;

b) toute mesure corrective;

Le comité a utilisé l'expression « toute mesure corrective », dans le cas où nous devrions, par exemple, recommander au Sénat que celui-ci impose à un sénateur de suivre un cours sur la façon de gérer le personnel dans le contexte actuel de ce qui est exigé d'une personne qui gère des employés — quelles sont les obligations, quoi faire et ne pas faire. On retrouve cela dans les écoles d'administration, et elles ont élaboré des procédures, et cetera. Dans un tel cas, nous recommandons — en plus d'une excuse — que le sénateur ou la sénatrice s'engage à assister à ces cours, faisant rapport de sa présence et de sa compréhension des conséquences.

En d'autres mots, les mesures correctives doivent refléter les circonstances particulières de l'infraction.

Il y a ensuite :

c) la restriction ou la suppression de l'accès aux ressources du Sénat;

Je pense que nous comprenons tous ce que cela signifie.

d) la révocation des affectations, fonctions et pouvoirs conférés par le Sénat;

Par exemple, si le sénateur est membre ou vice-président d'un comité, le Sénat pourrait décider de recommander que cette personne n'exerce plus cette responsabilité.

e) la limitation du droit de parole ou de vote;

C'est une sanction très grave, surtout par rapport au droit de vote. J'ai mis en doute la constitutionnalité de cette recommandation, car selon la Constitution, le Sénat, à l'article 91, doit donner « son avis et son consentement » à Sa Majesté avant qu'une loi ne soit adoptée. Comment pouvons-nous empêcher un sénateur de donner son avis et son consentement, ce que l'on fait en vote? Il s'agit d'un devoir constitutionnel.

Puisque l'article 18 de la Constitution prévoit que nous n'ayons pas plus de privilèges que ceux qui sont « exercés par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande », nous avons regardé du côté de la Chambre des lords pour interpréter cela. Nous avons examiné le traitement ou la sanction pour un lord s'il commettait une infraction grave. Nous avons constaté que le code régissant la conduite des membres de la Chambre des lords, à l'article 141, prévoit :

... que le membre soit sanctionné par une suspension ou qu'il se voit refuser l'accès au système de ressources financières...

La suspension consiste vraiment à retirer à la personne le droit de vote, parce que si on est suspendu, on ne participe pas au débat et on ne peut pas voter lorsqu'il y a un vote. C'est la sanction la plus grave.

Notre code poursuit :

f) l'invitation ou l'ordre de présenter des excuses;

g) le blâme, la semonce ou la réprimande;...

Et ensuite, comme je le disais :

h) la suspension.

La gradation correspond à la gravité de l'acte, mais le Comité sénatorial de l'éthique ne se limite pas à cela. Le Sénat peut recommander au Sénat dans son ensemble une mesure correctrice particulièrement appropriée en fonction de l'infraction — la conclusion, c'est bien ce qui est arrivé, et cela concernait ce sénateur.

Autrement dit, nous estimons qu'il doit y avoir une certaine correspondance entre ce que comporte le code sur les conflits d'intérêts et les règles de la Régie interne. Ainsi, un sénateur saurait que les sanctions prévues sont de nature similaire, en fonction de la gravité de l'infraction, soit au Règlement administratif du Sénat ou aux privilèges dont jouit le Sénat d'être le premier informé sur le rapport, sur la fuite, ou toute infraction à certains articles visant l'obligation établie dans le code.

La sénatrice Seidman : Tout cela est très instructif.

La présidente : J'ai moi-même une question à poser. Le sénateur Joyal a fait remarquer tout à l'heure que certains de nous étions déjà ici aux premiers jours du code. Je me souviens particulièrement de l'extraordinaire opposition de certains sénateurs au concept même de ce genre de code en général et, en particulier, aux dispositions de divulgation — et de façon plus générale à l'octroi de pouvoirs d'enquête au conseiller sénatorial en éthique.

Je me souviens d'une séance de comité que je présidais, ponctuée des cris des sénateurs. Ils estimaient que ce nouveau système de divulgation et d'enquête était une atteinte à leurs privilèges de sénateur. Non pas qu'ils voulaient pouvoir commettre des infractions et faire quoi que ce soit de répréhensible ou contraire à l'éthique, mais ils trouvaient véritablement que leurs privilèges de sénateur étaient enfreints.

Je ne crois pas qu'ils pensent encore ainsi. Ce changement d'attitude peut évidemment être attribué au fait qu'avec le passage du temps, l'expérience a démontré que les choses se passent raisonnablement bien. Et c'est aussi en partie dû au fait que certains sénateurs de la vieille garde ont pris leur retraite.

Mais je pense qu'il y a aussi une part d'éducation, dans cette évolution. C'est directement lié à ce dont on parle maintenant, à propos de l'avenir de l'institution.

Pouvez-vous me dire, sénateur Joyal, s'il y a pour les nouveaux sénateurs des lectures d'introduction particulières, des documents, des guides explicatifs, ou des efforts particuliers qui sont faits pour les informer de leurs obligations précises en vertu du code, et de son application?

Le sénateur Joyal : Tout d'abord, j'aimerais dire quelques mots au sujet de la période qui a précédé l'adoption du code et de celle qui lui a succédé. Avant le code, le principe général était : mon honneur est mon code. Autrement dit, c'était un engagement à toujours se comporter conformément aux normes attendues d'une personne honorable. Le sens « d'honorable » étant qu'une personnalité publique peut décider des droits et libertés des gens, et de la loi, et que la population doit pouvoir faire confiance à l'institution et à ses membres pour lui donner crédibilité et avoir la croyance que ce qui émane de cette chambre du Parlement est des plus exemplaires. C'était le concept avant le code.

Le code n'est pas arrivé — je n'aime pas évoquer d'images religieuses — par pure magie. Il est le fruit d'une situation survenue au Sénat, de critiques formulées à l'égard de certains sénateurs qui ont pris leur retraite de cette chambre il y a longtemps. Il était nécessaire, parce que les attentes avaient augmenté. Il était temps d'avoir un code qui refléterait de façon générale cette opinion du public, et toutes les autres assemblées législatives ont répondu à ce besoin d'attentes rehaussées en matière de conduite.

Le Sénat ne siège pas en vase clos. Il y a des assemblées législatives comme la Chambre des communes et d'autres Parlements du modèle de Westminster, comme la Chambre des lords et la Chambre des communes en Grande- Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et cetera. Il est évident que les autres chambres parlementaires du modèle de Westminster ont conclu qu'il était approprié d'avoir un code de conduite.

La mise en œuvre du code de conduite a nécessité un processus d'éducation, parce que nous sommes passés d'un système où chacun décidait de sa conduite à un système où nous avions des obligations en matière de divulgation. La divulgation d'un intérêt que l'on pourrait avoir à une autorité indépendante a été un élément essentiel au départ pour éviter toute apparence d'avantages grâce au poste que l'on détient, celui de responsable d'une charge publique d'un Parlement.

Il y a eu une période d'accommodement pendant les premières années du nouveau système, pour apprendre comment il fonctionne, et avoir confiance que la personne responsable — en gros, le conseiller sénatorial en éthique — protégera la confidentialité des renseignements qu'on lui donne. Si vous divulguez vos intérêts et vos actifs financiers, la première chose à faire est d'en maintenir la confidentialité, et ce qui serait rendu public dans votre déclaration annuelle serait protégé par votre droit à la confidentialité. Vous avez toujours un droit à la confidentialité, même s'il y a une responsabilité de divulgation.

Le processus a évolué, et je pense qu'il a atteint sa maturité après 10 ans. Après 10 ans, ceux qui avaient des doutes ont eu l'occasion de comprendre — et je le dis avec un sourire — que le conseiller sénatorial en éthique est votre meilleur ami. Si vous devez prendre une décision au sujet d'une situation, si vous voulez vous protéger et être certain de ne pas faire l'objet d'allégations, la meilleure chose à faire est de demander l'avis, en toute confidentialité, du conseiller sénatorial en éthique.

Votre opinion variera en fonction de ce que vous estimez être adéquat. Bien sûr, si le conseiller sénatorial en éthique, ou CSE, vous conseille d'agir d'une certaine façon et que vous ne suivez pas ce conseil, vous vous exposez à un problème.

Le CSE agit à titre de conseiller pour vous aider à cet égard et pour vous protéger de toute allégation importune ou frivole.

Autrement dit, le CSE s'est avéré utile aux sénateurs dans la façon dont ils mènent leurs affaires et dans leur vie publique relativement à l'acquittement de leurs responsabilités. Voilà en quelque sorte comment le système a évolué.

Comme vous l'avez indiqué, il y aura de nouveaux sénateurs. Certains ont été assermentés il y a moins de trois mois, et d'autres le seront encore. Je crois qu'il serait très utile d'organiser une séance avec la présidente, le vice-président ainsi que tous les nouveaux sénateurs pour leur expliquer la façon dont fonctionne le système et les inviter à faire confiance au CSE. Le CSE constituera pour eux la meilleure source de conseils.

Le CSE n'est pas un directeur de conscience. Il a des responsabilités très précises relativement au code. Il peut indiquer aux sénateurs qui veulent s'informer au sujet de la régie interne de ce qui relève du comité ou du Règlement du Sénat du Canada. Ce conseiller n'a rien à voir avec ces éléments.

Au demeurant, cela aiderait les nouveaux sénateurs à s'orienter dans le système de sorte qu'ils puissent maîtriser le plus rapidement possible les connaissances essentielles rattachées au code et éviter de se trouver en eaux encore plus troubles.

Ce serait la meilleure façon d'envisager les choses. Le conseiller pourrait, bien sûr, organiser une séance pour les nouveaux sénateurs afin de se présenter, puisque les sénateurs doivent rencontrer cette personne au moins une fois par année dans le cadre de la déclaration annuelle. Le ou la titulaire du poste devrait donc se présenter aux nouveaux sénateurs.

La séance pourrait avoir lieu à huis clos. La présidente et le vice-président du comité pourraient leur fournir des renseignements sur les aspects pratiques du système et pourraient expliquer aux sénateurs qu'ils peuvent se fier à cette fonction.

La présidente : Merci.

La sénatrice Cools : J'aimerais soulever quelques questions au sujet de la période où le code sur les conflits d'intérêts a été adopté. Comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, les sénateurs à l'époque avaient émis certaines réserves, et je crois qu'ils avaient raison d'hésiter.

Il faut se rappeler qu'il s'agit d'une époque différente. On a déjà oublié le contexte dans lequel nous nous trouvions. L'une des principales préoccupations, c'était que le premier ministre essayait toujours de faire avancer la notion d'un poste unique, qu'il s'agisse d'un commissaire ou d'un agent, pour les deux chambres. Ce point, plus que tout autre, achoppait chez les sénateurs, car ils ne voulaient pas être assujettis à tout agent de la Chambre des communes que ce soit. Il faut admettre que les sénateurs ont vaincu trois différents premiers ministres sur la question. À tout moment, il faut garder à l'esprit en quoi consistait l'essentiel pour les sénateurs.

Il y a aussi d'autres points à soulever. Oui, nous sommes assujettis à un document intitulé Code régissant l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs, mais ce code ne couvre pas tous les enjeux éthiques du monde ni toute vertu positive dont chacun devrait être empreint. On visait à suivre un comportement en matière de votes. Voilà pourquoi cela porte le nom de conflit d'intérêts.

J'ai appris qu'aux États-Unis, il y a de graves problèmes rattachés à cet élément qui sont en train d'émerger dans les différentes chambres. Je ne suis pas la politique américaine de très près, mais au fil de mes rencontres avec des membres du Congrès ou des sénateurs américains, je recueille un peu d'information.

Il faut aussi se rappeler que ces préoccupations ne touchaient que les sénateurs.

Ce que je tiens à dire — et on l'oublie souvent —, c'est que lorsqu'un sénateur est accusé d'avoir mal agi ou manqué de vertu, et ce, de façon grave, c'est que l'acte qu'on lui reproche constitue une violation de son serment d'allégeance. Dans le cas de manquements à l'éthique, ce lien doit exister. Les juristes, il y a bien des années, ont travaillé très fort pour démêler tout cela.

En tout temps, la conduite du délinquant ou du quasi-délinquant doit être évaluée en fonction de ce qui constitue une atteinte à Sa Majesté.

Dans la Loi sur l'Amérique du Nord britannique, les Pères de la Confédération ont longuement réfléchi à cela. Dans l'article 31, ils ont consigné les critères qui leur semblaient indiqués — et qui le sont encore, je crois, même s'ils se trouvent maintenant au paradis constitutionnel — et le genre d'agissements dont il est question.

N'oublions pas qu'il s'agit d'actes qui sont très graves, presque aussi graves que le crime de trahison. On oublie, par exemple, ce que dit le paragraphe 31(4) :

Il est déclaré coupable de trahison, félonie ou autre crime entraînant une peine infamante.

Le terme « félonie » n'est plus usité au Canada, même s'il est encore employé aux États-Unis. À cette époque, le mot « félonie » s'entendait d'un crime si grave qu'il portait atteinte à l'intégrité de la Reine.

Le terme tel qu'on l'emploie aujourd'hui aux États-Unis n'a pas le même sens; il signifie simplement un crime. Une félonie est un délit aujourd'hui, mais, alors, la félonie était un crime contre Dieu et la Reine. Il faut bien comprendre la réalité où nous nous trouvons.

À ce sujet, madame la présidente, j'aimerais faire une remarque sur le droit absolu du Parlement d'imposer des mesures disciplinaires parlementaires. J'ai ouvert le livre de M. Maingot à la page 181 de la version anglaise; c'est le livre qui guide actuellement la Chambre des communes. Nous connaissons M. Maingot et nous savons que son livre porte des limites et quelques erreurs.

Il nous dit que l'arrêt ayant fait autorité est celui de Bradlaugh c. Gosset qui disait ceci :

On pourrait citer de nombreux exemples en ce qui concerne les députés, mais il faut noter que, dans l'affaire Bradlaugh c. Gosset, la cour était saisie d'une action en annulation de l'ordre donné par la Chambre (enjoignant le sergent d'armes d'expulser le député, demandeur en l'espèce...

Pour que ce soit bien clair, Gosset est le sergent d'armes et Bradlaugh est le député — « jusqu'à ce qu'il s'engage à ne plus troubler l'ordre) » — et Bradlaugh avait perturbé les travaux de la Chambre.

— parce qu'il transgressait ses pouvoirs et sa compétence. Le demandeur voulait également qu'une ordonnance interdise au sergent d'armes d'empêcher Bradlaugh par la force de pénétrer dans la Chambre. La cour a déclaré qu'il ressortait très clairement des arrêts Burdett c. Abbot et Stockdale c. Hansard que « la compétence des Chambres sur leurs propres membres et leur droit de faire régner la discipline dans leurs murs, sont absolus et exclusifs » et s'est donc récusée.

J'ai cherché ces décisions et je les ai lues. Peut-être que nos analystes voudraient jeter un coup d'œil à ces décisions, parce que ce n'est pas clair. Quand on lit les arrêts, on constate que ce n'est pas simple.

L'un des juges — un juge bien connu dont j'ai oublié le nom — a affirmé que les parlementaires qui estimaient avoir été victimes d'une injustice de la part du Parlement devaient s'en remettre à leurs électeurs, ou quelque chose du genre.

Il n'est pas certain que nous puissions appliquer cette décision au Sénat sans l'étudier plus attentivement. Peut-être que ce serait une bonne occasion de le faire.

Vous vous souvenez peut-être que bon nombre de ces affaires ont découlé du cas Stockdale c. Hansard, qui avait fait autorité à l'époque.

Je tenais seulement à vous le signaler.

La présidente : Votre question?

La sénatrice Cools : Ma question concerne les suspensions. Dans aucun de ces jugements, de ces cas, il n'a le moindrement été envisagé de suspendre quelqu'un pour trois ou quatre ans, comme ce qui est arrivé au Sénat très récemment.

La suspension, ici, qui a été imposée à cette personne, visait à corriger son comportement, lequel il n'avait su corriger en un délai suffisamment court. Ces questions doivent être abordées avec la plus grande prudence.

La présidente : Je suppose que votre question au sénateur Joyal — vous pouvez me corriger si je me trompe — porte sur les limites constitutionnelles qui sont de notre pouvoir de suspension.

La sénatrice Cools : J'en parlais simplement aux fins d'étude. D'après ce que je comprends actuellement, je pense que les gens devraient s'informer d'où viennent ces éléments, et alors je serais prête à poser d'autres questions.

Je pense que la démarche est prématurée. J'estime que le sénateur Joyal a fait un très bon travail et il nous a bien rappelé l'esprit qui régnait à ce moment-là, ce qui est très important. Il ne faut pas se leurrer, si, on a causé d'énormes remous, et je n'hésite pas à vous le dire. La sénatrice Carstairs, qui était habile, a su convaincre M. Chrétien d'abandonner l'idée d'un seul commissaire pour les deux chambres.

La présidente : Aussi, d'ailleurs, un code officiel.

La sénatrice Cools : Précisément et, autrement dit, à l'enchâsser dans une loi. Nous lui devons pour cela une grande dette de gratitude.

Le sénateur Joyal : Je serai très bref, parce que le temps file.

La présidente : Nous allons manquer de temps.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie, madame la sénatrice, de m'avoir rappelé cette lutte épique.

La sénatrice Cools : C'était effectivement épique.

Le sénateur Joyal : Je m'adresse au sénateur Tkachuk quand je dis que nous n'aurions absolument pas pu rajouter le projet de loi du gouvernement de l'époque, au Sénat. Peut-être devrais-je m'adresser à la sénatrice Lankin en disant cela. Le Sénat a rejeté le projet de loi du gouvernement libéral majoritaire de l'époque, alors même que le Sénat était composé en majorité de sénateurs libéraux, parce qu'on voulait défendre le privilège du Sénat d'avoir son propre commissaire à l'éthique, ou plutôt éviter qu'il n'y ait qu'un seul commissaire dans l'ensemble du Parlement. L'argument posé était que le privilège de cet exercice de discipline relève uniquement et exclusivement du privilège de cette chambre en tant que telle.

Comme le disait la sénatrice Cools, le gouvernement est revenu à la charge la session suivante avec un autre projet de loi similaire qui, encore une fois, a eu l'appui de l'opposition. En regardant le sénateur Tkachuk, je pense au sénateur Kinsella, qui était alors le leader de l'opposition, et ce n'est qu'à la suite de la troisième initiative du premier ministre Martin, qui avait succédé à M. Chrétien, qu'il a finalement été reconnu qu'il y aurait deux commissaires différents et que chaque chambre aurait son propre code.

Voilà donc bien le cas de figure de l'exercice de notre droit de veto, parce que cette mesure a été finalement reconnue comme étant essentielle au maintien de l'autonomie législative de la chambre.

Il se trouve que le Sénat a exercé ce droit de veto dans une situation sur mesure, où le principe en jeu était essentiel au bon fonctionnement de l'institution.

Je veux saisir cette occasion pour remercier la sénatrice Cools, le sénateur Tkachuk et la sénatrice Fraser, qui étaient ici à l'époque, d'avoir résisté aux pressions que nous subissions pour adopter le projet de loi.

Je pense que ce qui a découlé de cette décision de l'époque a été avantageux pour l'institution.

La présidente : Merci beaucoup, sénateur Joyal.

Comme toujours, les fabuleux dons d'érudition illustrés ici nous sont très utiles.

Chers collègues, puisque nous sommes déjà au mois de juin et que nous ne savons pas comment se déroulera le calendrier parlementaire, je ne peux faire aucune promesse ni offrir aucune garantie en ce qui concerne la réunion de notre comité la semaine prochaine. S'il y en a une, ce sera, je crois, pour discuter d'ébauches de rapport, donc ce serait une réunion à huis clos.

(Le comité s'ajourne.)

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