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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule no 3 - Témoignages du 18 octobre 2016


OTTAWA, le mardi 18 octobre 2016

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui, à 9 h 34, pour étudier les ordres et pratiques du Sénat conformément à l'alinéa 12-7(2)c) (désignation des sénateurs) et pour étudier les travaux à venir du comité.

Le sénateur Vernon White (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Chers collègues, je vais présider la réunion, car la sénatrice Fraser, qui est la présidente du comité, est absente.

Nous avons deux articles à l'ordre du jour. Premièrement, il y a la question de la désignation des sénateurs. Deuxièmement, nous aurons une discussion générale sur les activités à venir du comité.

Je rappelle à tous que, le 22 juin, juste avant que le Sénat ajourne ses travaux pour la période estivale, le Président du Sénat a tranché une question de privilège soulevée par la sénatrice Ringuette. Elle s'inquiétait du fait que les sites web du Sénat et d'autres endroits indiquaient désormais qu'elle était non affiliée et non pas indépendante comme c'était antérieurement le cas.

Des exemplaires de la décision du président vous ont été remis à votre arrivée. J'espère que vous les avez en main. C'est un document de quatre pages. Je vous renvoie plus précisément au dernier paragraphe si vous n'avez pas eu le temps de tout lire.

Le Président y indique que ce n'est pas une question de privilège, mais que l'affaire est tout de même sérieuse. Il conclut en suggérant que la question pourrait être renvoyée au Comité du Règlement pour que celui-ci soit en mesure « d'effectuer un examen approfondi, de solliciter l'avis des sénateurs, de noter les pratiques antérieures et d'obtenir de l'information d'autres administrations ».

Notre première tâche, aujourd'hui, est donc de faire le suivi de ce qui s'est passé en juin dernier. Nous n'avons pas encore reçu de directive du Sénat nous invitant à examiner la question des affiliations, mais ça ne doit pas nous empêcher de le faire en vertu de l'alinéa 12-7(2)c), qui autorise le comité à « examiner les ordres et pratiques du Sénat et les privilèges parlementaires » de son propre chef.

La réunion d'aujourd'hui va nous permettre de déterminer si, à défaut d'une directive du Sénat, le comité devrait s'interroger sur la façon dont les affiliations sont enregistrées et, dans ce cas, comment nous devrions procéder, ce qui permettra au comité directeur de planifier le travail.

Concrètement parlant, beaucoup de sénateurs voudront exprimer leur avis. Il y aura un éventail de points de vue, et je m'attends à ce que des opinions très fortes soient exprimées à ce sujet. Je vous demande donc à tous d'être attentifs au temps écoulé afin que tout le monde puisse participer, et nous veillerons à ce que tout le monde participe autant que possible.

Lorsque nous aurons discuté la question des affiliations, si nous en avons le temps et j'espère que nous l'aurons, nous passerons à nos activités à venir. Nous pourrions, entre autres, revenir sur le principe du privilège dont nous avons commencé à parler à la dernière session. Le 2 juin 2015, le comité a déposé un document de travail sur le privilège. Un exemplaire de ce document a été remis à chacun de vous avant la réunion, et je sais que vous êtes nombreux à avoir participé à cette discussion. J'aimerais que nous y revenions le plus tôt possible.

Vous avez aussi en main, je crois, des exemplaires de deux documents, l'un de Geneviève Gosselin et l'autre de Michael Dewing, dont le premier porte sur l'identification de l'affiliation politique dans certaines chambres hautes, notamment dans des pays comme l'Australie et le Royaume-Uni, que nous suivons de près, mais aussi dans des pays comme l'Inde, les États-Unis et l'Afrique du Sud.

Le deuxième document porte sur les modes de désignation des parlementaires non affiliés dans tous les groupes de partis et propose une analyse plus approfondie des systèmes en vigueur dans certains des mêmes pays.

Je cite les dernières phrases de la décision du Président du Sénat en juin :

La mesure que je recommanderais pour la considération du Sénat est de renvoyer au Comité du Règlement le plus rapidement possible la question des désignations « indépendant » et « non affilié(e) ». Le Comité du Règlement sera en mesure d'effectuer un examen approfondi, de solliciter l'avis des sénateurs, de noter les pratiques antérieures et d'obtenir de l'information d'autres administrations. En attendant une décision du Comité du Règlement, le Comité de la régie interne pourrait envisager de suspendre sa décision d'utiliser l'expression « non affilié(e) » dans les documents et les dossiers dont il est responsable en ce qui concerne les sénateurs qui ont clairement indiqué qu'ils préféraient être désignés comme étant indépendants.

Nous commencerons notre discussion ici. Je ne sais pas si nous avons des sénateurs qui ne siègent pas régulièrement au comité. Je vois que la sénatrice Poirier remplace le sénateur Wells.

J'aimerais que chacun de vous prenne 10 secondes pour s'identifier, car il s'agit d'une réunion radiodiffusée.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier. Ce matin, je remplace le sénateur Wells.

Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l'Ontario.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le vice-président : Je m'appelle Vernon White. Je suis le vice-président de ce comité et je représente l'Ontario.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le sénateur Joyal : Serge Joyal, du Québec.

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, de Québec.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

Le vice-président : Qui veut lancer la balle?

Le sénateur Wallace : Cette question a déclenché toute une controverse à l'époque, et j'ai écrit aux membres du Comité de la Régie interne après la décision pour obtenir ce changement, pour qu'on indique « non affilié » plutôt qu'« indépendant ». J'imagine que, vu de l'extérieur, ça peut sembler avoir beaucoup de conséquences. En fait, ce qui compte, c'est la façon dont nous faisons notre travail, mais notre façon de nous désigner a aussi son importance. Les gens utilisent cette désignation pour essayer de comprendre ce que nous défendons dans cette institution.

Je ne veux pas parler pour mes collègues, bien que j'aie une assez bonne idée de la position de mes collègues indépendants, mais, pour ce qui me concerne, je représente le Nouveau-Brunswick en tant que sénateur indépendant non partisan, et c'est très important à mes yeux. Cette désignation est extrêmement importante pour moi, d'autant plus que j'ai quitté un caucus politique en novembre dernier.

À l'époque, j'ai quitté le caucus politique, j'ai fait savoir au greffier et à toutes les personnes ayant autorité que je siégerais comme sénateur indépendant, et ça a été accepté. C'est ce qui a été indiqué dans tous les documents parlementaires et dans toute ma correspondance. Je crois qu'un certain nombre de mes collègues indépendants, sinon tous, ont fait la même chose.

La façon dont nous nous désignons nous-mêmes est importante. La désignation des membres du Sénat a toujours été laissée aux sénateurs eux-mêmes, et c'est ce qu'a clairement fait comprendre le sénateur Furey dans sa décision concernant la question de privilège soulevée par la sénatrice Ringuette.

Il y explique en particulier que la décision unilatérale et sans consentement des intéressés du Comité de la régie interne de faire ce changement est troublante et qu'elle ne traduit pas le principe établi dans la décision du 19 mai, selon lequel les sénateurs devraient, dans des limites raisonnables, bénéficier d'une certaine latitude en ce qui concerne la façon dont ils sont désignés.

Cette décision semble également contraire à la pratique bien établie de laisser aux sénateurs énormément de latitude quant à leur façon de se désigner eux-mêmes.

J'ai donc, comme d'autres, trouvé très choquant que le Comité de la régie interne prenne une décision sans consulter les sénateurs indépendants ni obtenir leur consentement. Tout ça est clairement expliqué par le Président Furey dans sa décision.

Il dit également ceci :

Ce n'est pas une bonne situation et c'est contraire à notre pratique habituelle établie depuis longtemps. Cela n'aide en rien non plus au maintien de bonnes relations entre les sénateurs.

J'ai mon propre avis à ce sujet, et je pense que vous en avez une idée. Je souhaite qu'on continue de me considérer comme un sénateur indépendant. Bien franchement, j'irai plus loin dans ma propre correspondance en me décrivant comme sénateur indépendant non partisan. La possibilité de faire ainsi et la latitude historiquement accordée aux sénateurs ont été clairement rappelées par le Président du Sénat dans sa décision, et il n'y a aucune raison impérative de changer ça.

En conclusion, je dirais que je tiens absolument à ce que les sénateurs qui désirent se considérer et se désigner comme indépendants aient le droit de se faire désigner comme tels. Les Canadiens comprennent parfaitement ce que ça veut dire. C'est ainsi que les sénateurs indépendants se désignent depuis très longtemps et c'est ainsi que cette institution, que le Parlement, leur a donné le droit de le faire. Je ne vois aucune raison de changer ça.

L'expression « non affilié » est ambiguë pour le commun des mortels. Je ne crois pas que les Canadiens comprendraient ce que ça veut dire. Bien franchement, je ne suis pas sûr de savoir moi-même ce que ça veut dire. Peut- être que ça veut dire non affilié à un parti politique. Peut-être que ça veut dire non affilié à d'autres groupes indépendants, et c'est tout à fait possible, étant donné que d'autres groupes feront partie du Sénat.

Donc, pour moi, l'expression « non affilié » est nulle et non avenue. Le terme à employer est « indépendant ». C'est ce terme qu'on a toujours utilisé. Il décrit ce que nous sommes. En ce qui me concerne, c'est comme ça que je veux être désigné.

La sénatrice Lankin : Je tiens vraiment à savoir ce que les autres ont à dire, mais il n'y a pas beaucoup de volontaires pour l'instant. Donc, peut-être que tout le monde fait ça.

Je voudrais simplement vous faire part de certaines réflexions qui ont occupé mon esprit au cours de l'été. J'ai discuté avec des membres du caucus conservateur et du caucus libéral. Et j'ai compris comment, pour certains, le mot « indépendant », tel qu'il est employé par moi et d'autres, donnait l'impression que je privais ces autres sénateurs d'une certaine idée de leur identité. Ça m'a vraiment donné à réfléchir. J'ai appartenu auparavant à une formation partisane. Je comprends ce genre de dynamique et je comprends la différence, ici au Sénat, et la façon dont les gens estiment que chaque membre du Sénat est indépendant dans la façon dont chacun exerce son jugement dans le cadre de ses fonctions. Je pense que le changement apporté dans le processus de nomination et l'arrivée de sept d'entre nous dans le cadre de ce nouveau processus se sont produits à un moment où le Sénat traversait une zone de changements et de bouleversements. Je n'ai certainement pas mesuré l'importance du contexte dans lequel les gens m'ont entendue ou reçue. Je m'en rends compte aujourd'hui et j'y suis sensible.

Je tiens à dire, en mon nom et aussi, je crois, au nom de collègues ayant employé le mot « indépendant », que je ne considère pas cette désignation comme une définition supérieure de notre rôle. Je ne considère pas l'esprit de parti comme une façon moins honorable, et je pense qu'elle est honorable, de conduire la vie politique et les débats politiques et de proposer et d'opposer des idées dans le cadre d'un débat.

J'ai choisi de ne pas m'assujettir à une discipline de parti. Je pense que la discipline de parti et l'esprit de parti sont deux choses différentes. Il s'agit, pour l'avenir, de revendiquer notre indépendance à tous.

Cela dit, si nous pouvons accepter qu'il n'y aucune mauvaise intention dans l'utilisation de ce mot, il faut comprendre qu'il décrit quelque chose d'autre qu'un membre d'un caucus de parti. Quant à moi, je pense que je me décrirai désormais comme sénatrice affiliée au groupe des sénateurs indépendants. C'est un groupe, et c'est un groupe qui pourrait bien être reconnu comme tel en vertu du Règlement. Le débat est encore à faire, je le sais bien. Je ne suis pas en train de dire que c'est un fait accompli. Je sais que ce n'est pas le cas. Mais je suis affiliée à un groupe, et c'est donc ma perspective.

J'ai aussi fait quelques lectures cet été. J'ai lu la décision rendue en juin par le Président du Sénat, puis la décision de mai portant sur le rappel au Règlement concernant le titre de la sénatrice Bellemare et sa façon très personnelle de désigner le représentant du gouvernement. J'ai consulté certaines des listes de titres, affiliations et non-affiliations, ou, devrais-je dire, de désignations, adoptés au fil du temps. Si on remonte le temps, on constate que l'éventail est très large. On trouve des conservateurs, des progressistes conservateurs, des conservateurs libéraux et des indépendants. Ça n'a jamais été un problème, et aucune désignation n'a jamais été imposée à un groupe comme l'a fait le Comité de la régie interne.

J'ai mon opinion sur la façon dont ça a été fait. Ça n'a rien à voir avec ce que nous faisons aujourd'hui, et je n'ajouterai donc rien. Mais, au final, ça crée beaucoup de confusion. Il y a des endroits, dans notre site web, où on parle de nous comme d'indépendants et d'autres où on nous désigne comme non affiliés.

Le jargon et le langage du Sénat ont changé. J'ai assisté à la conférence de presse associée à la publication du rapport du comité de la modernisation. Quand on lit la transcription, on constate que le sénateur Joyal, le sénateur McInnis et, bien sûr, la sénatrice McCoy, ont tout le temps parlé des sénateurs indépendants. Dans les discussions à la chambre et dans les débats relatifs à certaines motions découlant du rapport, on parlait de « sénateurs indépendants ». C'est une chose que nous acceptons dans le cadre du processus de transformation, et ça peut encore changer, mais personne ne parle régulièrement des membres de ce groupe comme de non affiliés.

Je pense que la tradition établie peut être acceptée par nous tous, et la question est de savoir si nous y revenons ou pas. S'il y a moyen de régler la difficulté liée à l'impression qu'un groupe revendiquant son indépendance donne à d'autres le sentiment de diminuer la leur, c'est bien en l'abordant sous l'angle des relations, de la façon dont nous travaillons ensemble, et en essayant de régler ce problème ainsi. Ce n'est pas une question qu'un comité sénatorial peut trancher en imposant une désignation à un groupe de personnes.

C'est à cette conclusion que j'en suis arrivée, mais j'aimerais connaître l'avis des autres et savoir comment ils en sont arrivés à leur opinion.

Le sénateur Tkachuk : Je voudrais juste soulever quelques points.

Il y a toujours eu des sénateurs indépendants, mais ils ne se sont jamais organisés en groupes et ils n'ont jamais demandé d'argent non plus, pour parler aussi directement que possible. Je pense que les gens ont le droit de savoir que des groupes différents obtiennent de l'argent des contribuables en plus de ce qu'ils auraient normalement comme sénateurs. Les gens devraient savoir qui ils sont. Il n'y a pas une grande masse informe de sénateurs indépendants. Ils sont divisés en groupes. Il y a les indépendants libéraux, les indépendants nommés par le premier ministre, d'autres qui se sont déclarés indépendants de notre caucus et ceux qui se sont déclarés indépendants du caucus libéral.

C'est correct. S'ils veulent siéger comme indépendants, qu'ils soient indépendants. Mais ce n'est pas ça qu'ils veulent. Ils veulent se constituer en caucus et demandent de l'argent. Alors je veux savoir qui ils sont. Je pense que les gens ont le droit de savoir.

Je pense que le Comité de la régie interne s'est trouvée en difficulté au sens où je ne pense pas qu'elle ait l'obligation d'identifier le groupe. Elle voulait seulement un moyen de le nommer et elle a donc utilisé l'expression « non affilié », qui, à mon avis, est une désignation valable tant qu'il n'y a pas affiliation, puisque nous avons un certain nombre de groupes affiliés. Et ces désignations ne viennent pas de la Loi électorale du Canada. Je ne sais pas d'où ça sort, en fait, et je pense donc que ça crée de la confusion. Ces sénateurs ont la responsabilité de préciser qui ils sont.

Le sénateur Wallace vient du Nouveau-Brunswick, mais il y a d'autres sénateurs indépendants dans son groupe qui viennent de partout au pays. Ils ont une chose en commun : ils veulent tous de l'argent. S'ils veulent tous des fonds supplémentaires, les Canadiens ont le droit de savoir à qui va leur argent.

La sénatrice Batters : Tout d'abord, il faut dire que la catégorie qui est toujours indiquée dans le site web ou sur le plan de salle est l'affiliation politique. C'est ce que veut dire « affiliation ». J'estime donc que « non affilié » est la façon qui convient de désigner les sénateurs qui ne sont pas ou ne désirent pas être affiliés à un parti politique. Il n'existe pas actuellement de parti politique dit « indépendant » auquel appartiendrait ce groupe de sénateurs, et je pense donc que « non affilié », c'est-à-dire non affilié à un parti politique reconnu en vertu de la Loi électorale du Canada, est l'appellation qui convient.

Quand je consulte les documents rédigés par la Bibliothèque du Parlement, on reconnaît le plus souvent ce que fait la Chambre des Lords britannique. Je remarque qu'il y a de nombreux groupes de sénateurs dans leurs catégories, mais il existe une catégorie de sénateurs dits non affiliés. Il n'y a pas de groupe simplement dit indépendant. Il y a d'autres groupes, qui comprennent des travaillistes indépendants, des sociaux-démocrates indépendants et des membres indépendants du Parti unioniste de l'Ulster, mais il n'y a pas de groupe simplement « indépendant ». Le Sénat australien, lui aussi, compte plusieurs groupes, mais aucun n'est dit « indépendant ».

Pour souligner l'argument avancé par la sénatrice Lankin, il y a beaucoup de sénateurs, dans le caucus conservateur et dans le caucus libéral, qui s'estiment très offensés qu'un groupe de sénateurs se désignent eux-mêmes officiellement comme indépendants, parce qu'ils se considèrent comme très indépendants eux aussi. La désignation dans les documents officiels et la possibilité d'obtenir des fonds à ce titre font que les mots sont importants. Comme l'a dit le sénateur Tkachuk, les Canadiens ont besoin de savoir à qui ils donnent de l'argent et ils ont aussi besoin de savoir le rôle que joue tel ou tel groupe. Il est plus facile de déterminer un rôle comme l'opposition officielle ou la représentation d'un parti politique pour lequel on vote. Ce qui nous occupe est plus difficile à déterminer.

Le sénateur McInnis : Je n'ai rien de profond à dire. Mon été a été beaucoup plus occupé que le vôtre, madame la sénatrice Lankin, pour que j'aie le temps de faire une recherche sur un sujet comme ça.

Mon point de vue sur les non affiliés, à l'heure actuelle, est peut-être différent de ce qu'il sera quand nous approuverons, je l'espère, la recommandation concernant les caucus. Je crois qu'il s'agit de la recommandation numéro 7 dans le rapport du Comité de modernisation.

Je considérerais peut-être les non affiliés comme des personnes n'appartenant à aucun groupe ni aucun caucus. Je dirais peut-être que ce sont des non affiliés.

Mais quelle est l'importance de la désignation? À la Chambre des communes, ceux qui quittent le caucus deviennent des indépendants. C'est comme ça qu'on les appelle. Ça se passe dans les législatures provinciales et au Parlement fédéral.

Le terme « indépendant » ne me pose pas de problème. Je ne vois pas le lien entre la nécessité de savoir qui ils sont et le fait qu'ils reçoivent des fonds. Pour l'instant, ils ne reçoivent pas de fonds. Si la recommandation est approuvée, ils pourraient avoir droit à des fonds, mais je ne vois pas le rapport avec l'idée qu'on ne peut pas les appeler des indépendants. Ils sont un groupe d'indépendants aux idées communes, apparemment, et ils formeront un caucus s'ils ont neuf sénateurs ou plus.

Donc, ceux que je considérais comme les sénateurs non affiliés, à défaut d'un meilleur terme, étaient ceux qui n'appartenaient pas à un caucus ou un groupe. Il peut y en avoir un ou deux ou trois, mais ils ne sont pas affiliés à un groupe.

Le vice-président : Je sais que vous avez siégé à ce comité, monsieur le sénateur. Pour clarifier les choses, vous dites qu'il pourrait y avoir des groupes indépendants affiliés et quand même des sénateurs externes à ces groupes également.

Le sénateur McInnis : Ça se pourrait très bien.

Le vice-président : On les appelle des non affiliés parce qu'ils ne sont affiliés à aucun groupe indépendant — un, deux ou trois — ou aux libéraux ou conservateurs indépendants.

Le sénateur McInnis : S'il y a 105 sénateurs ou plus, il pourrait y avoir 11 groupes. Espérons que ça n'arrive pas, mais c'est peu probable.

Certains pensaient que le seuil devrait être plus élevé. Il pourrait y avoir des sénateurs qui forment des groupes non affiliés. Je suppose que, si on appartient à un groupe, on reste indépendant, mais il pourrait y avoir des enjeux communs justifiant la formation de ce groupe. D'après la recommandation, évidemment, on ne peut pas appartenir à deux groupes. C'est l'un ou l'autre.

Le sénateur Joyal : Je crois qu'il faut essayer de comprendre le système. Comme l'a expliqué le sénateur Wallace, un observateur extérieur pourrait s'amuser à couper les cheveux en quatre, mais cette question renvoie également au cœur de notre institution.

Les sénateurs ne sont pas élus sous la bannière d'un parti politique reconnu aux termes de la Loi électorale. Notre mandat ne découle pas des engagements d'un certain parti politique à l'égard de son électorat. Notre mandat découle des conclusions d'une commission royale. Par conséquent, le premier ministre ou le chef d'un parti n'a pas d'influence directe sur nous comme il l'a sur ses membres élus. Si le chef d'un parti refuse de signer la lettre vous reconnaissant comme candidat, vous n'êtes tout simplement pas candidat sous l'égide de ce parti.

Le chef d'un parti reconnu du Canada n'a pas d'influence sur les sénateurs, quels qu'ils soient. Je crois que c'est un élément important à rappeler. Je le répète : notre mandat découle des conclusions d'une commission royale. Nous sommes nommés par le gouverneur général par le biais d'une convention après recommandation du premier ministre. Cela dit, c'est le premier ministre qui, traditionnellement, recommande des candidats parmi les allégeances à son propre parti, parmi des indépendants et même parmi les membres d'un autre parti.

Par exemple, le premier ministre Paul Martin avait nommé le sénateur Segal. Personne ne peut douter que le sénateur Segal soit un partisan des conservateurs ou un membre de cette famille politique. Il a également nommé la sénatrice Nancy Ruth, qui fait toujours partie du caucus conservateur. D'autres premiers ministres ont nommé des sénateurs indépendants, soit des membres d'un autre parti, soit des personnes sans affiliation. Il faut absolument en tenir compte parce que ça a un impact sur le fonctionnement des partis politiques au Sénat.

Lorsqu'un sénateur est nommé, il peut décider de rejoindre ou non une famille politique. Il peut continuer à siéger avec un groupe de personnes dont il partage les idées ou s'en séparer. Mon ami le sénateur Wallace a décidé de siéger en dehors du groupe traditionnellement désigné comme indépendant. C'est notre façon de désigner les sénateurs qui ne sont membres ni du gouvernement ni de l'opposition. C'est la façon dont fonctionne le Sénat depuis environ 150 ans. Comme la Chambre des Lords. Ces indépendants sont appelés des transfuges, en anglais des « crossbenchers », parce que, s'il n'y a pas de banquettes opposées, il n'y a pas d'intersection. Les indépendants siègent entre l'opposition et le gouvernement, pour qu'on puisse les identifier concrètement.

Comment désigner les sénateurs qui ne se déclarent pas membres d'un parti politique, que ce soit un groupe politique membre du caucus national ou un groupe appliquant une certaine discipline en termes de cohésion concernant l'issue des enjeux? Au Sénat, on ne peut pas menacer un sénateur de renvoi parce qu'il a voté contre la position du parti. La sanction ultime serait qu'un groupe expulse un sénateur de ses rangs. Ça arrive même à la Chambre des Lords parmi les transfuges. On peut demander à un lord de partir si on estime qu'il a compromis son indépendance en participant à des activités partisanes.

Un groupe peut s'imposer une discipline. Cette discipline est plus ou moins stricte, la sanction la plus grave étant l'expulsion d'un sénateur, et, dans le cas d'un transfuge, pour activités partisanes. Si vous n'êtes pas un transfuge et appartenez à une famille politique, vous êtes censé prendre position selon les fondements traditionnels du programme de votre parti.

Les partis politiques canadiens sont des agrégats très flottants. Je me rappelle très bien mon premier patron sur la Colline du Parlement, l'ancien Président du Sénat, Jean Marchand. Au début des années 1970, il m'a dit : « Sais-tu la différence, Serge, entre les conservateurs et nous? Ils ont plus de conservateurs" que nous dans leurs rangs ». Autrement dit, il y a toutes sortes de nuances au sein d'un même parti, et les extrêmes se touchent presque. Les libéraux les plus progressistes touchent le NPD et les libéraux les moins progressistes touchent les plus progressistes des conservateurs.

Les partis politiques canadiens sont des agrégats très flottants. On ne peut pas s'attendre à ce que leurs membres, s'ils sont libres de choisir leur position, se sentent toujours tenus de voter dans le sens traditionnel du parti. On l'a bien vu au Sénat concernant le projet de loi C-377 modifiant le Code du travail. Au premier tour de vote, on a vu où chacun se positionnait dans le continuum d'allégeance au sein des partis. Qui est à l'une ou l'autre extrémité du spectre? C'est la même chose au Parti libéral. Vous l'avez constaté en mai dernier quand nous avons voté sur le projet de loi C-14.

Au Sénat, les partis politiques ne peuvent pas être un groupe de gens imposant une ligne de parti, alors que, à la Chambre des communes, c'est ce qu'on attend, parce qu'il y a une discipline de parti. La discipline, ça veut dire qu'on ne vous nommera pas secrétaire parlementaire, qu'on ne vous nommera pas au Cabinet et, dans le pire des cas, qu'on ne vous reconnaîtra pas comme candidat officiel à la prochaine élection. C'est la forme ultime d'outrage.

Au Sénat, nous en sommes épargnés. Les partis politiques n'ont pas d'influence sur nous, même si le chef de mon parti me téléphone pour me dire que, s'il avait su, il ne m'aurait jamais nommé. Eh bien, c'est dommage, merci beaucoup, mais je suis nommé et je serai encore là quand vous serez parti. En fait, ça m'est arrivé. Je ne suis pas en train de vous raconter une histoire fictive. Ça m'est réellement arrivé.

Donc, au Sénat, les partis politiques ne doivent pas être considérés comme des groupes fixes qui votent toujours dans la même direction et partagent les mêmes points de vue et arguments sur tel ou tel sujet. Plus le candidat recommandé par le premier ministre a d'ancienneté dans le parti, plus le sénateur aura les coudées franches. J'ai été nommé par M. Chrétien, et ça fait trois mandats qu'il n'est plus là. J'ai beaucoup de reconnaissance pour lui, mais ce qu'il pense de ma façon de voter ne changera rien à mon vote.

Personnellement, il y a quelque chose qui m'offense dans cette perception de la dynamique des partis politiques au Sénat, et j'adresse mes observations à la sénatrice Bellemare et à la sénatrice Lankin. J'ai reçu deux communiqués de presse du groupe des indépendants indiquant qu'ils avaient pris telles et telles initiatives et décisions. La dernière phrase disait que les indépendants ne sont pas là pour être au service des partis politiques, mais des Canadiens, autrement dit, moi, je ne suis pas au service des Canadiens.

Je crois que mes antécédents valent bien ceux de n'importe quel autre sénateur quant à mon dévouement aux Canadiens. Je m'estime donc personnellement offensé. Autrement dit, si on n'est pas indépendant, on n'est pas au service des Canadiens. Selon cette logique, les députés de la Chambre des communes ne seraient pas au service des Canadiens. Ils sont là parce qu'ils ont reçu un mandat des Canadiens. Si ce mandat ne vient pas des Canadiens, d'où est-ce qu'il viendrait?

Notre mandat découle des conclusions d'une commission royale. Pour organiser nos débats, nous devons avoir un groupe de personnes aux points de vue divergents et permettre aux idées de se confronter. C'est ça la démocratie.

Je ne suis pas ici pour être toujours d'accord avec le sénateur Wallace ou la sénatrice Lankin, ni même avec mes collègues libéraux. Il se trouve que j'ai des opinions différentes de celles de mes collègues libéraux, et ça ne m'offusque pas. Au contraire, je respecte leur point de vue, je respecte leurs prises de position, mais ça ne veut pas dire que tel groupe de sénateurs est meilleur parce qu'ils ne sont pas affiliés à un parti politique et que, donc, ce sont des puristes et que leur esprit n'est pas corrompu par l'allégeance à un parti ou une famille politique.

Je ne crois pas que c'est la bonne façon de considérer le Sénat. Je tiens à le dire officiellement parce que nous devrions tous comprendre ce contexte si nous voulons fonctionner sur d'autres bases. Je tiens à l'exprimer sincèrement ici parce que je pense que c'est le meilleur moyen de réorganiser le travail du Sénat, en donnant la même latitude à tout le monde et en donnant accès aux mêmes ressources, et cetera. Je n'y vois pas d'inconvénient. Mais certainement pas dans l'esprit de distinguer entre les sénateurs qui sont au service des Canadiens et ceux qui sont au service d'un parti politique.

Je ne suis pas au service du Parti libéral du Canada quand je suis au Sénat. J'ai un point de vue libéral, c'est évident, mais je suis un sénateur indépendant d'esprit. Et c'est le principal critère. Le critère principal, ce n'est pas d'être classé comme indépendant, mais d'être indépendant de l'orientation votre propre groupe.

À mon avis, c'est surtout ça qu'il faut comprendre si nous voulons collaborer paisiblement, dans le respect de chacun, et personne ici ne songerait à ne pas vouloir respecter un collègue, quelle que soit son opinion.

Comme l'a dit le sénateur Tkachuk, nous avons tous des antécédents professionnels. Nous avons tous notre idée de la façon dont la société canadienne devrait fonctionner et des valeurs sur lesquelles elle devrait s'appuyer pour évoluer. Sinon, nous ne serions pas ici. C'est pour ça que nous sommes ici, avec notre expérience professionnelle et notre engagement à faire notre part dans l'évolution du Canada. Nous ne sommes pas des anges, et nous ne sommes pas non plus des juges de la Cour suprême.

J'aurais pu être juge dans une autre vie, j'aurais pu choisir cette voie. Je n'ai pas voulu. Je voulais participer au débat politique, en toute indépendance d'esprit. Autrement dit, je voulais dire les choses comme je le pensais, même si ça devait contredire le fait que je me suis toujours considéré comme un partisan des libéraux, sauf que, sur certaines questions, je pouvais être en conflit avec le leadership de l'autre camp.

Quand on définit le statut des indépendants, il faut faire très attention de comprendre les principes qui sous-tendent le fonctionnement de cette institution. Autant je suis favorable à l'évolution et à l'adaptation, autant je pense qu'il faut s'assurer que les principes de cette institution restent bien compris et préservés.

La Cour suprême du Canada n'a jamais dit qu'il fallait changer les principes qui fondent le Sénat. Ces principes sont solides et fidèles à l'esprit des pères ou, pour parler en terme neutre, des fondateurs de ce pays. Je pense que l'exigence la plus importante est que les sénateurs soient indépendants d'esprit, quelle que soit leur famille politique.

Comme je l'ai dit, je ne veux pas identifier les gens nommés parmi les indépendants, mais, comme l'a dit le sénateur Tkachuk, qui a écrit des articles toute sa vie dans des journaux, pensez-vous qu'il ne connaît pas ses allégeances ni comment il voit la société? J'écris moi aussi, vous le savez, ce n'est pas un secret, mais dire que je suis neutre et indépendant — eh bien, si on est politiquement unique, je ne suis pas sûr que notre place soit au Sénat, parce que c'est une institution politique.

Nous faisons partie du Parlement du Canada. Au Parlement, il y a débat, et un débat, c'est une confrontation d'idées. Pour qu'il y ait confrontation d'idées, il faut que chacun sache où il se situe à un certain âge, 50 ans ou plus, après avoir travaillé toute sa vie dans telle ou telle profession où il a fallu prendre des décisions en fonction d'un certain nombre de principes. C'est ça qui fait de vous une personne responsable. On peut justifier ses conclusions.

À mon avis, cette question est l'arbre qui cache la forêt. Il faut comprendre comment fonctionne le Sénat et à quels égards la présence des partis politiques est utile au Sénat.

Je n'apprécie pas du tout l'idée de se débarrasser des partis politiques au Sénat sous prétexte que nous aurions corrompu le Sénat. Je peux vous dire que, en 19 ans, j'ai vu au Sénat des débats que je n'ai jamais vus à la Chambre des communes, le dernier étant celui du printemps dernier.

Voyez ce qui s'est passé au Sénat. C'est le sénateur Ogilvie qui a présidé la réunion du comité mixte. Et voyez ce qui s'est passé à la Chambre des communes. On peut voir la différence. Il y avait des membres de deux partis politiques au Sénat qui se prononçaient sur cette question, comme à la Chambre des communes, et voyez ce qui s'est passé au Sénat.

Pour moi, ça illustre clairement qu'on peut avoir des partis politiques et qu'on peut avoir une chambre indépendante, où chaque sénateur se prononce selon ce qu'il juge juste.

Mais, de là à dire qu'on espère voir le jour où il n'y aura plus de partis politiques au Sénat, je ne suis pas sûr que nous comprenions ce qu'est une institution politique. Nous ne sommes pas la Cour suprême du Canada. Si vous voulez être des juges de la Cour suprême, allez-y et présentez votre candidature. Mais, si vous voulez être un membre du Parlement du Canada, où le système démocratique est fondé sur les partis politiques, je crois que vous devez envisager l'évolution de cette institution en tenant pleinement compte de la participation des sénateurs indépendants, comme nous avons toujours considéré les indépendants, mais sûrement pas en nous débarrassant des partis politiques.

Les partis politiques ne sont pas un fléau pour les institutions démocratiques de ce pays. Ils ont tous leur histoire. Par ailleurs, nous voulons permettre le débat le plus complet et le plus honnête au Sénat concernant les enjeux du jour. Pour moi, c'est ça l'objectif.

Le fait qu'un sénateur se prononce au Sénat et qu'il soit par ailleurs membre d'un parti politique ou se réclame d'une famille politique ne réduit pas sa crédibilité à mes yeux. J'écoute ses arguments. Je veux comprendre ses arguments, et, s'ils sont valables, je pourrais bien voter dans le même sens que lui au terme du débat.

La beauté de cette institution est que nous sommes indépendants d'esprit parce que les partis politiques ne peuvent pas nous influencer, et c'est ça l'essentiel. Pour moi, le reste, c'est la façon dont nous veillons à ce qu'ils soient reconnus, qu'ils aient leur place aux comités et qu'ils aient accès à des fonds. Je suis tout à fait favorable à tout ça.

Comme je l'ai dit, nous devons faire attention de ne pas diviser cette chambre en fonction des allégeances partisanes par opposition aux soi-disants indépendants, qui sont tellement purs qu'ils vont devenir les nouveaux oracles de ce qui est bon pour le Canada.

Je ne suis toujours pas convaincu. Peut-être que ça viendra, et j'écouterai les arguments avec beaucoup d'attention, mais, compte tenu du fonctionnement de cette institution, avant de dire que, dans 10 ans, tous les sénateurs seront indépendants, je dis : on verra. Je ne serai plus là depuis longtemps, mais ils devront relever le défi à partir des mêmes principes que j'ai soulignés, et c'est comme ça, d'après moi, qu'il faut aborder cette question.

Je suis désolé d'avoir pris tant de temps.

Le vice-président : Je suis très sensible, comme toujours, à vos remarques, et je vous en remercie sincèrement, monsieur le sénateur. Nous avons quelques autres interventions.

Le sénateur Martin : J'appuie le sénateur Joyal. Comment est-ce que je peux le faire?

Le vice-président : Mais personne ne parlerait si nous attendions.

Le sénateur Martin : Je suis sensible aux arguments de tous mes collègues, et je vais donc simplement partager mon point de vue, qui est vraiment la seule chose que je puisse offrir. Ce que j'entends influence aussi la façon dont j'envisagerais d'aborder cette question et cette étude.

Je comprends ce que veut dire la sénatrice Lankin quand elle parle d'apprécier l'utilisation du mot « indépendant » et que, en l'appliquant à un groupe ou à des sénateurs qui se désignent comme indépendant, on a l'air, d'une certaine façon, de laisser supposer que les autres sont moins indépendants ou ne le sont pas.

Quant à moi, je m'identifie aussi bien au mot « indépendant » qu'à l'expression « non partisan ». Quand on dit qu'on a un groupe de sénateurs indépendants, l'ex-professeur d'anglais que je suis voit un oxymore. Je ne dis pas que vous n'avez pas le droit de styliser ce groupe de cette façon, mais le terme « indépendant » signifie entre autres non connecté, séparé. Alors parler de groupes de sénateurs indépendants est une façon intéressante de voir les choses, qui m'a donné à réfléchir, et j'y ai vu un oxymore ou une forme d'ironie.

Mais je comprends ce que vous voulez dire. Il est naturel que des gens partageant les mêmes idées se regroupent.

À la réunion du plumitif et à la chambre, c'était intéressant d'observer ce que fait le groupe des sénateurs. C'est un plaisir d'avoir la sénatrice McCoy, et ce matin nous avons eu le sénateur Sinclair, donc on communique, et j'apprécie ça et je l'appuie tout à fait.

Quant à désigner des sénateurs comme « indépendants » ou comme « non affiliés », je ne vois pas pourquoi on conteste l'appellation « non affilié ». Ça dit clairement, comme l'a expliqué la sénatrice Batters, qu'on n'est pas affilié à un parti.

Actuellement, au Sénat, nous sommes assis les uns en face des autres et nous avons des débats. C'est donc important d'avoir des caucus qui nous permettent d'entrer dans ces débats.

Mais, comme l'a dit la sénatrice Lankin, les choses changent. Je ne peux pas imaginer de nouveaux sénateurs, même avec la sénatrice Bellemare comme adjointe législative du représentant du gouvernement, qui n'auraient pas de caucus, parce que le caucus, c'est ce qui permet de s'organiser. Le caucus permet de vous sentir soutenu par des collègues aux idées semblables. Il y a un whip, et certaines choses peuvent sembler plus de son ressort que d'autres, mais chaque sénateur a le choix, au final, de prendre position et de voter sur un projet de loi ou une motion comme il l'entend. Cette indépendance est toujours là.

Les sénateurs ont le droit de choisir le titre qu'ils veulent, et je comprends que vous vouliez vous faire appeler ainsi, mais, personnellement, quand ça donne l'impression que je suis moins indépendant que vous, je me trouve en position défensive face à des gens qui disent : « Vous faites partie d'un caucus et vous avez un point de vue partisan », ce qui est plutôt négatif. Je me défendrai toujours en disant : « Nous sommes tous indépendants d'esprit. Nous avons tous le choix au final. Et il y a beaucoup de délibérations internes avant que nous votions. » Cela dit, l'appartenance à un caucus signifie que vous êtes responsables les uns envers les autres, et il y a des responsabilités associées au fait d'appartenir à un caucus affilié à un parti.

Et puis, avec le temps, j'ai appris à apprécier le fait que le Sénat ait des règles claires. Comme leader adjoint et comme ex-whip adjoint, j'ai beaucoup appris sur la façon dont fonctionne le Règlement du Sénat. Les règles sont fixées, mais elles sont très souples du point de vue de ce qu'elles nous permettent de faire en chambre et en comité. Elles nous permettent d'entamer un débat et de vraiment faire connaître nos opinions, et c'est ce que nous faisons. Le Règlement est là.

Je respecte entièrement le fait que nous ayons un Règlement. En attendant que des changements soient adoptés après tout le processus voulu, je pense qu'il est important pour nous, à ce comité, de parler de la définition ou de l'emploi de l'expression « non affilié » par opposition à « indépendant » dans le cadre du Règlement actuel du Sénat et non pas d'un règlement que nous pourrions adopter plus tard. Ce sera difficile parce qu'il y a les débats en cours et cette discussion ici. Il me semble qu'il serait bon de retirer quelques-unes de ces motions ou études pour que nous puissions nous concentrer sur ce qu'on nous demande vraiment, qui est d'examiner certains de ces changements aux règles.

Donc, ce n'est pas ce qui se passe. Nous faisons tout ce qui précède et nous entendrons les débats au Sénat. Et nous en parlerons à ce comité.

Ce qui me guide pour l'instant, c'est que nous avons le Règlement du Sénat. Je suis content que nous sachions clairement que nous sommes dans l'opposition et que nous soyons conscients du rôle que nous jouons et de l'importance que ça a au Sénat, parce que c'est ça qui est sûr. Nous avons des représentants du gouvernement dont les rôles sont désignés, et cetera, mais ce qui nous a permis de continuer à fonctionner comme institution, c'est le Règlement et le fait que l'opposition et notre rôle sont très clairs.

Je suis très ouvert à la discussion. Je sais qu'on aura d'autres éléments de discussion au Sénat aujourd'hui avec tous les rapports qui nous ont été remis par le comité de la modernisation.

Pour cette étude-ci, je voudrais dire au président et aux membres du comité que le document d'information que nous a remis la Bibliothèque du Parlement est très intéressant, mais que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg et qu'il serait bon d'examiner comment d'autres pays ont fait la transition et ajouté d'autres groupes. Si on accepte et adopte d'autres groupes et que c'est ainsi qu'on peut les désigner, ce serait utile si nous devons continuer à élargir le mode de fonctionnement du Sénat.

Mais, pour l'instant, je tiens à rappeler à tous les sénateurs que nous avons un Règlement clair pour guider nos délibérations, mais qu'il est très souple. Cela dit, tant qu'un autre Règlement n'est pas adopté, il faudrait se rappeler que nous en avons un et que c'est ainsi qu'il faut procéder.

C'est ce que j'avais à dire, monsieur le président. J'aimerais que nous puissions avoir accès à d'autres études ou ressources et que nous réfléchissions au Règlement en vertu duquel nous fonctionnons actuellement.

La sénatrice Frum : Je suis d'accord avec une grande partie de ce qui a déjà été dit. Je voudrais ajouter que je pense qu'il faut examiner cette idée que les sénateurs auraient la possibilité, dans des limites raisonnables, de se désigner eux-mêmes comme ils l'entendent. Ce n'est pas vrai. Un sénateur ne peut pas se désigner comme libéral, même s'il a contribué à la campagne à la direction de Justin Trudeau, comme nous savons que certains l'ont fait, ou même si des membres de sa famille ont activement fait campagne pour le Parti libéral. Une fois nommé ici, il peut être n'importe quoi, mais pas un libéral. Ça crée donc un problème. Si les sénateurs qui sont des libéraux ne peuvent pas se désigner comme tels, il faut qu'ils se désignent autrement. Et c'est la situation dans laquelle nous sommes.

Comme l'a dit le sénateur Joyal, ça soulève la question de savoir ce qu'est cette institution, ce que nous sommes censés faire ici et s'il s'agit d'une institution politique ou non. Évidemment que nous sommes une institution politique. C'est ce que nous faisons toute la journée. Nous nous occupons de lois, de politiques et de la politique, et l'idée qu'on puisse évacuer la politique de la politique n'est tout simplement pas réaliste, ni honnête, ni transparente. C'est ça la question pour moi. C'est une question de transparence.

Nous sommes dans une situation, comme je disais, où certaines personnes n'ont même pas la possibilité de s'affilier comme elles le souhaiteraient dans un monde parfait où elles seraient honnêtement affiliées au groupe qu'elles veulent. Et ces personnes doivent donc créer un autre groupe, trouver d'autres noms, pour se décrire. C'est rendre un mauvais service aux Canadiens parce qu'on va donner un autre nom aux choses et en quelque sorte les déguiser.

Je proposerais une solution que ce groupe pourrait envisager, parce que je trouve aussi que l'idée que certains d'entre nous seraient plus indépendants que d'autres ou mieux intentionnés ou plus détachés de la politique n'est pas acceptable, serait peut-être que tous les sénateurs soient désignés comme indépendants. Nous devrions nous unir en groupes d'idées sans nous donner de désignations politiques. Certains d'entre nous pourraient être les « Maple Leafs indépendants », d'autres les « Canadiens indépendants » ou les « Canucks indépendants », juste pour choisir des noms. Ça pourrait être des couleurs ou des lettres de l'alphabet, mais nous pourrions nous unir en groupes d'indépendants à notre gré, parce que les choses seraient égales de cette façon. Sinon, on se retrouve dans une situation où certains d'entre nous se désignent de façon transparente et d'autres, non. C'est la principale différence à mes yeux.

Si on reconnaît cette institution comme une institution politique, il faut s'organiser en fonction des désignations politiques.

À mon avis, ceux qui veulent se placer au-dessus de la politique doivent d'abord prouver que cette institution n'est pas une institution politique. Je pense que c'est par là qu'il faudrait commencer pour me convaincre qu'il faut s'éloigner d'un système de désignations politiques ou de non-affiliation par opposition à une catégorie plus générale d'esprits nobles qui serait une sorte de groupe aristocratique, de noblesse terrienne, dont les membres se réuniraient ici parce qu'ils sont supérieurs aux autres et bien au-delà des préoccupations politiques. Si on peut me convaincre que c'est vraiment ce qu'est cette institution, d'accord. Mais si elle est ce que nous pensons qu'elle est en réalité, il faut vivre avec le fait que nous devons nous définir en fonction de nos affiliations politiques.

Le vice-président : Mais, si je vous suis bien, en tant que résident d'Ottawa, ça ferait de moi un membre des « Sénateurs indépendants ».

La sénatrice Seidman : Je vois bien, à écouter mes collègues autour de la table, qu'il est temps de se demander : pourquoi maintenant? Pourquoi est-ce que nous discutons de ça maintenant et pourquoi est-ce que c'est important? Parce que nous sommes à un moment où les choses changent manifestement et que notre comité de modernisation est chargé d'examiner tout ça.

Je pense que le vocabulaire traditionnel de cette institution ne doit pas nécessairement être accepté sans une sérieuse réflexion. Et, donc, le simple fait que des indépendants aient demandé à être appelés de cette façon auparavant ne doit pas être simplement accepté, mais qu'il faut y réfléchir très sérieusement puisque nous sommes dans un processus de réorganisation, peut-être en examinant notre fonctionnement et en réévaluant certains aspects de notre Règlement.

Je dirais simplement, en réponse au sénateur Wallace qui dit que c'était comme ça avant et que donc ça devrait toujours être comme ça, je dirais que je ne suis pas nécessairement d'accord.

Je pense que le vocabulaire, ça compte. Je m'associe à l'argumentation passionnée du sénateur Joyal concernant l'indépendance et les sénateurs à l'esprit indépendant.

Et je pense que l'expérience, ça compte aussi. J'ai fait de la recherche dans ma vie, et, en tant que chercheuse, j'essaierais de comprendre le problème et de l'analyser en m'inspirant de l'expérience des autres. Dans ce cas-ci, j'apprécie beaucoup le travail de la Bibliothèque du Parlement, qui nous fournit une première analyse et nous propose d'examiner d'autres systèmes parlementaires, d'autres systèmes politiques, parce que, comme disait la sénatrice Frum, nous sommes une institution politique. Vous avez tout à fait raison, je suis d'accord avec vous.

Si on s'en tient au travail préliminaire effectué par la Bibliothèque du Parlement, le vocabulaire employé dans les quatre autres pays du monde qui comptent une proportion important d'« indépendants », on ne parle pas d'« indépendants », on ne parle pas de « non affiliés », on parle de « transfuges » et autres catégories.

Ce que je souhaite ici, et je pense que ça nous serait utile à tous, c'est analyser ce qui se passe dans d'autres pays aux systèmes parlementaires semblables au nôtre et essayer de comprendre pourquoi ils n'utilisent pas le terme « indépendant », mais préfèrent « non affilié » ou « transfuge ». Nous pourrions alors faire un choix.

C'est ce que j'ai de mieux à proposer comme analyse pour le moment.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame la sénatrice.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je suis d'accord avec beaucoup de choses qui ont été dites autour de la table par les différents honorables sénateurs, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes dans une situation de changement et que le débat entourant la terminologie d'être non affilié ou indépendant se situe dans un contexte dont il faut tenir compte.

La sénatrice Martin en a fait état dans ses remarques tantôt. Le sénateur Joyal aussi, mais je dois dire que la position du sénateur Joyal, qui est fort intéressante, m'apparaît théorique. En principe, il est vrai que nous faisons partie d'une institution politique et que notre base, historiquement, repose sur des partis. Je me souviens très bien, à mon arrivée au Sénat, d'avoir rencontré le sénateur Joyal, et je lui en suis très redevable, car il m'a transmis son livre. Il m'avait dit de le lire quand j'aurais du temps. Il m'avait aussi avertie de faire attention, que le Sénat n'avait pas toujours été ce qu'il est maintenant, et que, souvent, maintenant, les décisions se prennent de façon très partisane, alors que dans le passé, cela arrivait un moins souvent. J'ai entendu tous ces discours.

Je suis au Sénat depuis maintenant cinq ans. Je me considère comme indépendante d'esprit et je crois que les gens autour de la table le savent. Je partage un ensemble de valeurs parfois plus conservatrices, d'autres fois plus libérales ou sociales-démocrates. J'ai beaucoup de difficultés, personnellement, à me catégoriser dans un contexte de parti politique unique. Je suis convaincue que je ne suis pas la seule ici à vivre cette situation.

Je crois que de plus en plus de gens et d'électeurs ne sont plus partisans d'un même parti de la naissance à la mort. Auparavant, nous naissions dans une famille rouge ou une famille bleue. Aujourd'hui, les électeurs ont beaucoup plus tendance à louvoyer.

Des études internationales ont justement été menées par la spécialiste du modèle britannique, Meg Russell. Ces études citent des sondages internationaux qui confirment que le fait d'avoir de la difficulté à se situer dans un seul parti du début de la vie jusqu'à la mort, c'est une tendance. Les électeurs sont de plus en plus, je ne dirais pas volages, mais ils se déplacent selon les problématiques.

Le Sénat canadien est très particulier. Mon bureau a fait des recherches en 2014, dont les résultats sont affichés sur mon site web. En 2014, nous avons recensé environ 80 pays dans le monde qui avaient un Sénat. Le bicaméralisme était très présent. Plus de la majorité des pays recensés avaient un Sénat. Cependant, seulement 17 de ces 80 Sénats étaient nommés. Bref, la grande majorité des sénateurs sont élus.

Il est évident qu'un Sénat élu a une identification partisane. Les sénateurs vont se présenter habituellement en fonction des partis politiques connus. Dans les 17 des 80 Sénats nommés, dans la plupart de ces Sénats — il s'agit de pays du Commonwealth —, les sénateurs sont nommés pour de très courtes périodes de temps; ils ont des mandats de plus ou moins quatre ou cinq ans, non pas des mandats à vie.

Seuls les Sénats du Royaume-Uni et du Canada nomment leurs sénateurs pour une très longue période. Au Royaume- Uni, il s'agit de nominations à vie, et certaines sont héréditaires. Au Canada, on a ramené l'âge de la retraite obligatoire à 75 ans. Encore là, il y a une différence entre le Royaume-Uni et le Canada. Au Royaume-Uni, on nous a dit que la problématique de la partisanerie n'était pas aussi aiguë que dans d'autres pays, parce que les sénateurs sont regroupés en plusieurs partis politiques et que, de plus, il y a ces fameux cross-benchers. Il y a plusieurs groupes au Royaume-Uni, mais aucun d'eux ne peut obtenir une majorité absolue de sénateurs. Cela assure l'indépendance institutionnelle de l'organisation. De plus, au Royaume-Uni, ils ont limité le pouvoir de veto de la Chambre des lords. Le pouvoir de veto suspensif est encadré.

Au Canada, la dynamique est très différente. Les sénateurs sont non seulement nommés pendant leur vie professionnelle, mais en plus, jusqu'à tout récemment, le Sénat était composé de deux partis. Cela n'existe nulle part ailleurs, même dans les autres pays du Commonwealth. Généralement, ça peut exister, cependant, la durée du mandat est très courte.

Dans ces pays, lors d'élections, le premier ministre nomme d'autres sénateurs et le parti de l'opposition nomme des sénateurs. Au Canada, les sénateurs sont nommés, ils ont des mandats à vie, assortis de pouvoirs immenses intégrés dans la Constitution. On doit faire fonctionner un Parlement, faire en sorte que le gouvernement soit géré. Comme le Parlement était bipartisan, la tendance pour le parti au pouvoir a toujours été de contrôler le Sénat, d'avoir une majorité absolue au Sénat.

Cette réalité historique explique beaucoup de choses, et la population n'est pas dupe. La population considère le Sénat canadien trop partisan. La population souhaite des réformes majeures pour que le Sénat devienne moins partisan, plus indépendant, plus transparent. Ça, c'est le contexte. La théorie est une chose, le contexte en est une autre.

Dans ce contexte, comme sénatrice, lorsqu'on me demande de m'identifier, la première chose qui me vient à l'esprit — et je suis certaine que certains d'entre vous ont la même réaction —, c'est de dire que je suis une sénatrice du Québec. Je le disais même quand j'étais dans la famille du groupe conservateur. Quand des journalistes me demandent si je suis une sénatrice du Québec, je dis oui. Moi, je suis avant tout une sénatrice du Québec. J'ai mon ensemble de valeurs, mais j'ai été nommée, et quand on est nommé, il est clair que notre rôle est de représenter, dans la politique fédérale, les intérêts de la population dont on est issu.

Je suis d'accord avec tous les sénateurs qui ont dit que la question dont nous sommes saisis aujourd'hui, en ce qui concerne l'appellation d'indépendance ou de non-affiliation, est une question qu'il sera difficile de régler, parce qu'il y a maintenant un ensemble de règles qui nous gouvernent, parce que nous sommes dans un paradigme partisan. Cependant, nous sommes aussi dans un contexte où nous devons répondre au désir de la population : la modernisation du Sénat. En effet, la population évolue. La population n'est plus partisane, rouge ou bleue de la naissance au cimetière. Ce n'est pas la réalité. Certaines familles politiques ont de la difficulté à être représentées dans l'autre Chambre, mais elles pourraient l'être au Sénat. C'est notre rôle de représenter les minorités de tous les groupes.

Dans ce contexte, je pense que, tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas pris de décision sur l'avenir du Sénat, les sénateurs doivent avoir la capacité de choisir l'appellation qu'ils désirent. Porter le titre « non affilié », c'est très négatif, c'est « non quelque chose », ça ne décrit rien. D'un autre côté, l'appellation « indépendant » peut heurter certaines personnes.

Il est vrai que les sénateurs libéraux indépendants ont associé le mot indépendance à leur groupe. Quand ils se lèvent et se présentent, ils sont des sénateurs libéraux indépendants. Quelle est la différence entre les sénateurs indépendants et non indépendants dans ce contexte? Certains groupes politiques appartiennent à un caucus national et ils ont un lien stratégique avec l'autre Chambre, alors que d'autres ne n'ont pas de lien avec des caucus nationaux.

C'est une réalité. Ça fait partie des questions qu'on devra soulever dans le cadre du Comité de la modernisation, dans la deuxième partie de sa démarche. D'importants débats nous attendent. Entre-temps, je pense que nous devrions avoir la liberté de nous identifier comme nous le souhaitons. Moi, en tout cas, je m'identifie toujours comme une sénatrice du Québec, indépendante.

C'est ce que j'avais à dire dans le cadre du débat d'aujourd'hui.

Le vice-président : Merci beaucoup, sénatrice Bellemare.

[Traduction]

La parole est au sénateur Ogilvie.

Le sénateur Ogilvie : Pour l'essentiel, ce qui devait être dit selon moi a été dit. Je tiens plus précisément, comme d'habitude, à m'aligner sur la réflexion fondamentale du sénateur Joyal, même si d'autres sénateurs et sénatrices ont fait de très bonnes remarques.

Je pense que l'expression « non partisan » dans ce contexte est le plus offensant pour moi personnellement. Le mot « partisan » est parfaitement compris en français, et, du moment que vous appuyez un concept ou une idée, vous êtes partisan de cette idée. Je suppose donc que les membres non partisans n'appuieront aucune idée ou proposition soulevée au Sénat du Canada.

Si nous sommes dans un contexte politique purement limité où il n'y a que deux partis, ou même trois, et qu'on s'exprime et analyse les choses sans parti pris, alors oui, je peux comprendre et accepter facilement, mais pas quand on commence à remplir la place de gens qui se considèrent comme indépendants ou non partisans. Au moment où ils appuient un point de vue, selon la définition du terme « partisan », ils prennent parti et sont donc partisans de ce point de vue.

Quant au terme « indépendant », comme d'autres l'ont très clairement expliqué, je trouve offensante l'idée que ceux qui font partie d'un caucus défini en termes politiques, qu'il s'agisse de libéraux ou de conservateurs, seraient incapables de penser en toute indépendance au Sénat du Canada. Je peux vous dire que, durant les sept années que j'ai passées au Sénat, personne, parmi les dirigeants politiques du parti représenté par le groupe politique dont je fais partie, n'a jamais tenté de me dire comment voter sur tel ou tel sujet. Je sais parfaitement comment la majorité des gens voudraient voter sur tel ou tel sujet, mais jamais personne n'a tenté de m'influencer. Lorsqu'on m'a invité au Sénat du Canada, rien dans ce qu'a dit le premier ministre ne donnait à penser qu'il s'agissait d'un rôle partisan. Il a très clairement expliqué pourquoi il m'invitait à devenir membre du Sénat. Et ça n'avait absolument rien à voir avec les enjeux du jour. J'étais invité à apporter une certaine expérience dont le Sénat avait besoin.

Du moment que vous réunissez neuf membres indépendants, ce ne sont plus des indépendants. Impossible.

Je m'en tiendrai là pour l'instant. Je trouve ce débat inutile et sans pertinence pour l'avenir de ce pays.

Le vice-président : Madame la sénatrice Poirier?

La sénatrice Poirier : Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me donner la parole. Je sais bien que je ne suis pas un membre régulier de ce comité.

Je suis d'accord avec beaucoup de ce qui a été dit autour de la table, et on a dit beaucoup de choses. Je voudrais seulement y apporter un certain angle.

J'ai des antécédents politiques puisque j'ai été députée à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, puis ministre, avant d'arriver au Sénat, où je savais que la situation serait différente. Oui, je suis liée, je suis affiliée. Je fais partie du caucus conservateur, et j'en ai toujours fait partie. Mais, comme l'a dit le sénateur Ogilvie il y a quelques minutes, personne n'a jamais fait pression sur moi, jamais. Je n'ai jamais eu le sentiment que je serais sanctionnée ou pénalisée si je ne votais pas dans un certain sens. Je pense que ça s'est très bien vu, dans l'ensemble du Sénat, quand il a été question du projet de loi sur l'aide médicale à mourir. Nous avons tous eu la liberté et l'indépendance de voter normalement selon ce que nous pensions que nos mandataires voulaient. J'ai toujours eu ce sentiment d'indépendance.

Je suis donc d'accord avec la sénatrice Lankin pour dire que, quand on emploie le mot « indépendant », il faut vraiment se demander ce que ça veut dire et s'assurer qu'on ne se prive pas de cette indépendance. Le fait qu'on soit lié à un parti ne signifie pas qu'on ne puisse pas voter en toute indépendance et selon sa conscience.

Des gens me demandent parfois : « C'est comment au Sénat? Est-ce que c'est comme quand vous étiez à l'assemblée législative? » Non, c'est différent, et c'est différent à bien des égards. Premièrement, je trouve que les discours, quel que soit le sujet abordé, et les débats sont bien moins politiques au Sénat qu'à la Chambre des communes ou dans une assemblée législative. Donc, déjà, même si on est lié à un parti ou membre d'un parti, on a cette liberté, et ça se voit.

Le travail en comité est un autre exemple important, je dois dire. Là encore, on voit très bien, que ça se passe dans une assemblée législative ou à un comité, qui est de tel bord et qui est en face. Comme on le sait, les différents comités du Sénat font un travail fantastique. Nous travaillons sur la base du consensus, et il y a une très bonne collaboration. Nous devenons un groupe uni en tant que comité, et nous sommes tous ensemble au service de tous les Canadiens. Nous avons la même chose à cœur : améliorer les choses. Donc, à cet égard, c'est différent.

J'ai écouté très attentivement le sénateur Tkachuk et un autre sénateur au sujet des budgets et de l'argent, et aussi des raisons pour lesquelles le Comité de la régie interne a le sentiment d'être dans une zone grise : « Comment faire? » Évidemment, nous sommes en cours de modernisation, et on a commencé par ça. Mais il faut aussi, oui, comprendre qu'il y a des gens aujourd'hui qui se disent indépendants à titre individuel parce qu'ils ne sont pas liés à qui que ce soit. Et il y a en même temps un autre groupe de huit ou neuf membres qui se disent le « groupe indépendant des neuf ». Je ne sais pas comment les appeler autrement pour l'instant.

Nous ne pouvons pas oublier que nous avons une vingtaine de sénateurs qui monteront à bord très bientôt, et, dans les années à venir, d'autres partiront et d'autres arriveront. Je peux comprendre que le Comité de la régie interne se demande où on va. Que se passera-t-il si la vingtaine en question se divise en trois groupes et que chacun veut être reconnu comme tel et obtenir son propre budget pour s'organiser? Je peux donc comprendre que la tâche à accomplir ne sera pas facile.

Je ne pense pas qu'aucun de nous ne connaisse vraiment la solution actuellement, mais je pense qu'il faut entamer une solide discussion à ce sujet pour déterminer notre orientation dans le cadre du changement.

Cela dit, au final, je dois dire que je suis ici, et que j'ai toujours eu le sentiment d'y être, à titre d'indépendante, et indépendante au point que j'ai toute liberté de voter pour les gens que je représente, les habitants du Nouveau- Brunswick, et qu'ils sachent que leur voix est entendue à travers la mienne. Je pense que nous sommes tous d'accord là- dessus. C'est ce que je tenais à vous dire.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame la sénatrice, et merci d'être parmi nous aujourd'hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

Le sénateur Wallace : Bonne discussion. Évidemment, les avis sont partagés. Comme l'a rappelé le sénateur Joyal, c'est pour ça que nous sommes ici, pour nous assurer que tous les points de vue soient pris en considération.

J'aimerais formuler quelques commentaires. Concernant la désignation d'« indépendant » par opposition à « non affilié », on parle ici de désignation individuelle. On ne parle pas de désignation de groupes reconnus en vertu du Règlement relativement à un budget. Ça, c'est pour une autre fois. C'est une question entièrement distincte.

La sénatrice Batters a déclaré qu'il fallait que les groupes soient correctement identifiés, et c'est vrai, parce que, comme on le voit actuellement, seuls les partis reconnus obtiennent un budget en vertu du Règlement. Les partis reconnus sont ceux qui sont directement affiliés à un caucus politique, à un parti politique.

Ce fait est reconnu dans le rapport du comité de modernisation, c'est certain : il y aura des changements dans la façon dont les groupes de sénateurs seront financés, mais, aujourd'hui, il est question de désignation individuelle, pas de désignation de groupes.

Deuxièmement, et c'est lié, il y a la question du financement des groupes. Le sénateur Tkachuk a parlé du financement des indépendants, de la façon dont ils seraient décrits. Cette question ne nous concerne pas pour le moment.

Comme l'a fait remarquer le sénateur McInnis, à l'heure actuelle, les indépendants ne reçoivent pas d'argent. Je suis sûr que c'est une question qui sera abordée dans le cadre de la modernisation. Je ne dirais pas que c'est un faux problème, car ce n'est pas le cas. C'est évidemment très important, mais ce n'est pas la question qui nous amène ici aujourd'hui. On parle de la façon dont certains sénateurs se désignent eux-mêmes. Les autres questions seront abordées un autre jour.

Le sénateur Joyal a dit que les caucus politiques ne devraient pas disparaître du Sénat. Je tiens juste à dire que je suis complètement d'accord avec lui. Les membres du Sénat qui désirent faire partie d'un caucus politique devraient certainement pouvoir le faire, mais il y en a d'autres qui ne le souhaitent pas. Il doit donc y avoir place pour les deux. Pour être sûr que je me fais bien comprendre, il ne s'agit pas de se débarrasser des caucus politiques au Sénat.

Comme le premier ministre Trudeau continue de faire des nominations dans le cadre du système actuel, le résultat sera ce qu'il est. À ce que je sache, son intention est de nommer des sénateurs indépendants non partisans. Mais c'est son choix, et on verra où ça nous mène du point de vue de la composition de la chambre.

Concernant la désignation de « non affilié », et elle a été prononcée ici ce matin, ça n'a pas le même sens pour tout le monde. Ce n'est pas une expression généralement comprise dans la population, et je ne dirais pas non plus qu'elle est généralement comprise parmi les sénateurs. Comme l'a expliqué le sénateur McInnis, il s'agit de personnes qui ne sont pas associées à un caucus ou un groupe officiel. Pour d'autres, lorsque d'autres groupes seront reconnus, il pourra s'agir de personnes non affiliées au groupe des indépendants, qui est actuellement constitué d'un regroupement flou de sénateurs indépendants, ou il peut s'agir de plus que ça.

La désignation de « non affilié » ne rend pas les choses plus claires. Ce qui est clair dans l'esprit de chacun de nous et dans l'esprit des Canadiens est la désignation de « sénateurs indépendants ». Nous avons une longue lignée de sénateurs indépendants qui ont grandement contribué à cette chambre, et, durant mon propre mandat, il y a eu de très nombreux sénateurs indépendants, je pense notamment au sénateur Murray et au sénateur Atkins, qui ont compté et qui ont fait leur part dans l'intérêt de cette institution et dans l'intérêt du pays. Ils se disaient sénateurs indépendants.

La sénatrice Lankin : J'aimerais ajouter quelques mots.

J'ai été sensible au caractère à vif du sentiment exprimé par certains concernant l'emploi du mot « indépendant » et l'effet qu'il avait sur le sentiment d'indépendance des autres. Je prends cette perception très au sérieux et prendrai garde à ma propre attitude tout en continuant à utiliser ce mot. Il y a l'intention, la perception et la réception des choses, et ça compte dans nos divergences d'opinions sur le sens des mots.

La sénatrice Frum a parlé de noblesse terrienne et de supériorité d'esprit, mais je ne m'identifie à rien de tout ça. Par contre, je comprends que c'est peut-être l'impression que ça donne.

Certains laissent entendre que, si on utilise le mot « indépendant », on ne reconnaît pas que cette institution a un caractère politique. Je reconnais que c'est une institution politique parce que la politique ne s'écrit pas avec un P majuscule pour moi. La politique, c'est l'expression d'idées, ce sont des débats et des divergences d'opinions et le fait de transformer un mode de gouvernance dans le sens qui nous semble important pour notre pays.

La façon dont les gens emploient les mots « politique », « partisan » et « partis » est variable, et chacun y apporte sa perception personnelle. C'est important d'en tenir compte et de considérer que nous avons tous notre façon d'envisager les choses. Nous utilisons les mêmes mots dans des sens différents. Je fais une simple observation sur la façon dont la discussion s'est déroulée.

Je pense que nous devons avoir une sérieuse conversation, comme certains l'ont fait remarquer, et le comité de modernisation, grâce à cette discussion, pourra déterminer ce à quoi ressemblera l'avenir et le rôle des caucus partisans et des caucus politiques. J'emploie plusieurs mots, parce que je crois que les gens envisagent ça sous des angles différents. Je pense que c'est une discussion vraiment importante parce que la transformation actuelle doit se faire dans l'intérêt de la gouvernance démocratique pour la population de notre pays. Ça doit être une discussion réfléchie. Je ne pense pas que qui que ce soit devrait se précipiter en pensant qu'il ou elle a la bonne réponse à ce sujet.

Concernant ce dont nous parlons ici aujourd'hui, je comprends dans quel esprit les gens entament ce débat et je comprends comment c'est lié. Mais ce qui est arrivé, et non pas en raison des budgets et du mode de reconnaissance des différents groupes, mais de la façon radicalement nouvelle dont ce changement s'est produit, ce qui est arrivé, c'est qu'un très petit groupe de sénateurs ont décidé d'imposer une désignation à un certain nombre de sénateurs sans mûre réflexion. En fait, quand j'ai demandé au président du comité pourquoi c'était arrivé, sa seule réponse a été qu'il fallait répondre aux sénateurs qui s'étaient sentis offensés par l'emploi du mot « indépendant » au sens où il les aurait privés de leur propre indépendance. J'ai essayé, dans mes propres mots, de reconnaître ici que c'est à mon sens un sentiment tout à fait justifié.

Monsieur le sénateur Joyal, je comprends ce que vous avez dit au sujet de la dernière ligne des communiqués de presse et je vais avoir une discussion avec certaines personnes à ce sujet. Je pense qu'il est important de se rendre compte de l'effet que ces choses ont sur d'autres gens.

Mais, comme le disait le sénateur Martin, pour travailler dans le cadre du Règlement, je ne crois pas que celui-ci permette à un petit groupe d'imposer quoi que ce soit aux autres. Je pense que ça pourrait être une partie importante de la discussion à venir. Mais je ferais valoir que, au lieu de retarder notre discussion en attendant d'autres recherches, nous devrions entamer des recherches sur ce que nous ferons quand nous aurons à déterminer notre vision et notre orientation.

Actuellement, nous respectons la tradition. On réinitialise et on respecte le fait que les sénateurs ont le droit, et c'est droit reconnu, de se désigner eux-mêmes comme ils l'entendent. Et, pour le reste, parlons d'avenir. Ne mélangeons pas les deux choses parce que, autant certains ont vraiment fait les frais de la façon dont on a présenté le mot « indépendant » ou dont il a été perçu par d'autres, autant un autre groupe fait les frais de la façon dont un petit groupe leur impose quelque chose, et ça n'est jamais arrivé dans cette institution auparavant.

Je pense que nous avons entamé une discussion importante et qu'elle devrait se poursuivre, mais je voudrais vraiment demander qu'on comprenne comment les choses sont arrivées et qu'on comprenne qu'un autre groupe de gens se sent lésé également. Nous devrions essayer de régler ça et de rétablir la possibilité pour les sénateurs de se désigner eux-mêmes comme ils l'entendent et de participer à la discussion sur la vision de l'avenir, notre orientation et ce que signifie leur désignation, par exemple.

La sénatrice Frum : Je voudrais dire rapidement que j'apprécie énormément les remarques de la sénatrice Poirier. J'espère qu'elle comprend et que tout le monde comprend que je crois que ses remarques au sujet de la différence entre être un membre élu d'une législature provinciale et la façon dont on se conduit là et ici ou la différence d'atmosphère des deux chambres sont importantes. Je pense que ça peut parfaitement coexister avec mon rappel que cette institution a un caractère politique. J'apprécie ce que vous avez dit parce que je pense qu'une grande partie de nos efforts de modernisation a consisté à détruire l'idée de partisanerie au Sénat. Comme vous l'avez dit, cette idée que c'est la partisanerie excessive qui a empoisonné le Sénat n'est pas vraie. Nous essayons de trouver une solution à un problème dont je ne crois pas qu'il existe vraiment, et nous nous occupons d'un faux problème.

Au sénateur Wallace, je voudrais dire que non, ce n'est pas vrai qu'on parle de personnes et non de groupes. Nous sommes dans une situation, aujourd'hui même, où notre leader du gouvernement, notre adjoint au leader du gouvernement et notre whip du gouvernement se désignent comme indépendants. Si vous trouvez que ça a du sens, il faudra me l'expliquer, parce que je ne vois pas comment on peut représenter le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau et être indépendant, mais c'est ce que nos représentants du gouvernement veulent nous faire croire et accepter. C'est un problème.

Madame la sénatrice Lankin, je sais bien que vous ne vous considérez pas comme un membre de la noblesse terrienne. Je vous connais. J'essaie simplement de rappeler le principe de l'imputabilité. J'ai déjà dit ça : je crois que, lorsque des sénateurs se retirent du processus d'imputabilité consistant à s'affilier à un parti politique pour se placer au- dessus de la mêlée et, d'une certaine façon, éliminer la nécessité de rendre compte de quoi que ce soit à qui que ce soit, ils se dotent d'un pouvoir excessif. Quand on dit : « Je n'ai pas de comptes à rendre au premier ministre qui m'a nommé ou à un parti politique, mais seulement à ma conscience et à ma vision des choses », on se place au-dessus du premier ministre lui-même, parce qu'il doit, lui, rendre des comptes au peuple. Ma question est donc la suivante : d'où vient votre légitimité dans ce cas? C'est tout ce que je voulais dire, je ne voulais pas vous traiter d'élitiste. Je sais que vous ne l'êtes pas.

C'est la question que je vous pose : à qui rendez-vous des comptes et d'où vient votre légitimité?

La sénatrice Lankin : Je voudrais dire un mot ici. Nous sommes en train de discuter du pouvoir des mots, et tout le monde vise le mot « indépendant ».

Je plaisantais en parlant de noblesse terrienne. Je ne suis pas vexée.

Vous venez de dire que ceux qui se disent indépendants se placent au-dessus des autres, et je ne suis pas du tout d'accord. Ces mots me choquent tout autant que le mot « indépendant » vous choque. Je le dis parce que nous devons entendre ce que pensent les uns et les autres et essayer de comprendre.

Je ne crois pas que le sénateur Joyal ait dit autre chose. Il ne rend pas de comptes au premier ministre qui l'a nommé. Il lui est reconnaissant, mais pas redevable, non plus qu'à un parti politique. J'ai entendu des membres de votre caucus dire la même chose.

Donc je vous pose la question à mon tour : d'où vient cette idée d'imputabilité?

Je suppose qu'elle vient des années de participation au débat politique, à la fonction publique, dans la conviction que, ayant été nommée pour représenter une région, j'ai la responsabilité d'en comprendre les enjeux, et du fait d'avoir été nommée au Parlement, qui est chargé de veiller au respect de la Constitution, de la Charte et des droits des minorités et des régions.

Il y a là un débat réfléchi qui n'est pas seulement d'ordre tactique. Et je ne réduis en rien l'importance du fonctionnement de la Chambre des communes. J'ai travaillé dans ce genre de contexte. Mais un examen discursif — je suis imputable à cet égard puisque j'ai été nommée par la Couronne pour le faire. Ça fait partie du boulot. Je crois que j'ai le sens de mes responsabilités, et je comprends que votre perspective puisse être différente. Mais je ne crois pas que je dise quoi que ce soit de différent de ce qu'a dit le sénateur Joyal.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'aimerais ajouter un commentaire pour faire suite aux propos de la sénatrice Frum. Je comprends que les gens n'aiment pas et se sentent menacés par le fait qu'un groupe se nomme indépendant et se croit au-dessus des autres, mais à mon avis, le problème est ailleurs.

J'ai beaucoup pensé à la question suivante : que signifie être un sénateur indépendant? Ce n'est pas être dans un vide, car nous avons nos valeurs. Pour moi, un sénateur indépendant analyse les projets de loi selon un ensemble de critères factuels. Par exemple, il se pose les questions suivantes : est-ce qu'un projet de loi nuit à une province plus qu'à une autre, ou à un groupe plus qu'à un autre? Il est question du respect des chartes internationales, de la charte individuelle et de la constitutionnalité, surtout en ce qui concerne les projets de loi présentés par des membres individuels. Un sénateur se pose un ensemble de questions lorsqu'il analyse un projet de loi. Est-il bien écrit? Les versions anglaises et françaises sont-elles les mêmes? Existe-t-il des contresens dans la loi?

En ce qui me concerne, ce n'est pas parce que je n'aime pas un projet de loi que je voterai contre. Pour moi, un sénateur indépendant doit respecter les lois votées dans l'autre Chambre puis, en complément, veiller à l'améliorer. Ma lorgnette ne se limite pas à mes valeurs, mais comprend un ensemble de questions objectives.

Pourquoi ai-je voté en faveur de projets auxquels je ne croyais pas? Parce que je n'aime pas voter contre. Pour moi, l'indépendance n'est pas une chose facile à définir. Par contre, nous pouvons nous donner des balises afin de travailler de façon objective.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je voudrais revenir rapidement sur ce qu'a dit la sénatrice Bellemare et sur la façon dont elle s'est décrite comme indépendante, mais c'est peut-être un problème de traduction. Je ne vois pas en quoi la discussion qu'elle vient d'entamer sur l'examen et la modification de lois d'un gouvernement et, éventuellement, le fait de voter contre — elle a fait tout ça quand elle était au caucus conservateur du Sénat, et donc je ne vois pas comment le fait d'être désignée comme « indépendante » — elle est adjointe au leader du gouvernement libéral actuel — règle les choses.

La sénatrice Bellemare : C'est peut-être un problème de traduction, madame la sénatrice Batters, mais j'ai déposé une motion à la chambre pour essayer d'aider le comité chargé d'étudier les projets de loi de travailler en fonction de questions précises. C'est, selon moi, un exercice d'indépendance. Il s'agit d'analyser les projets de loi en fonction d'une série de critères ou de règles.

Je n'aime pas nous comparer à des juges, mais il y a un rapport au sens où les juges, lorsqu'ils doivent rendre une décision, doivent appliquer la loi et tenir compte d'un certain nombre de critères. Ils ne décident pas selon leurs inclinations propres. Pour les sénateurs, c'est la même attitude que nous devons avoir quand nous examinons des projets de loi. Ce n'est pas une question de préférences personnelles. Un projet de loi a été voté par l'autre chambre et nous devons dire s'il est correct, s'il peut être amélioré, si on peut y ajouter de la valeur.

Je peux dire à la sénatrice Batters que je n'ai jamais voté contre un projet de loi du gouvernement, à ce que je me rappelle. J'ai voté contre des projets de loi d'initiative parlementaire. Je l'ai fait parce que c'était de mauvais projets de loi, en particulier le projet de loi sur les syndicats. Quand j'avais un problème, je quittais la chambre pour m'occuper de choses.

Donc, j'ai voté pour de nombreux projets de loi, même s'ils n'étaient pas dans l'ordre de mes préférences.

Il faut éviter de parler à titre personnel ici. Je vois bien que vous n'aimez pas ce que je dis, mais j'essaie de vous expliquer le contenu que je donne au mot « indépendance ». Être « indépendant », ça ne veut pas dire être un électron libre, ça ne veut pas dire faire ce qu'on veut. Nous sommes ici pour faire fonctionner le Parlement et faire en sorte que des projets de loi puissent être modifiés s'ils ne sont pas parfaits. C'est notre rôle : nous complétons l'autre chambre.

La sénatrice Frum : Je suis d'accord, c'est très important de ne pas parler à titre personnel, et je n'avais pas l'intention de faire entendre ainsi mes observations. Mais ça me dérange encore. Je trouve que cette notion de sénateurs indépendants est compromise quand trois sénateurs dits indépendants ont accepté de jouer un rôle au nom du gouvernement Trudeau. Je ne comprends pas, tout simplement. Le simple fait que, à l'heure actuelle, des sénateurs indépendants soient aussi des sénateurs du gouvernement Trudeau, ce seul fait rend toute la conversation extrêmement difficile parce que ça remet en cause toute l'idée de l'indépendance. Si c'est ça l'indépendance, ça ne marche pas pour moi. Disons.

La sénatrice Bellemare : Encore un mot : le sénateur Harder a proposé des modifications. Ça pourrait arriver plus tard aussi.

Le Sénat ne fonctionne pas dans le vide. Il existe en tant que deuxième chambre du Parlement, et le Parlement est là pour adopter des lois. Nous n'avons pas un rôle d'opposition, nous devons être constructifs. Donc, si un projet de loi est présenté au Sénat, mais est tout à fait contraire au désir des Canadiens, le Sénat s'y opposera. C'est son rôle.

Du moment que les projets de loi présentés au Sénat ont largement l'appui de la chambre élue, notre rôle consiste à les améliorer si c'est possible. Si c'est le cas, ils seront modifiés. Nous l'avons fait récemment avec les projets de loi C-14 et C-7. Beaucoup de modifications ont été proposées en comité. C'est notre rôle.

L'ERG, l'équipe des représentants du gouvernement, est une nouveauté. C'est un élément nouveau. C'est une espèce entièrement différente de ce que pouvait être le leadership auparavant, mais c'est destiné à créer des liens entre les deux chambres. Nous restons quand même des sénateurs.

Je peux comprendre qu'il soit très difficile de comprendre, parce que j'ai moi-même hésité à prendre cette position, mais, personnellement, je me suis dit que c'était un défi à relever dans le cadre de la modernisation du Sénat et de la transformation des mentalités.

Le vice-président : Je tiens à vous remercier tous et toutes de ce dialogue intéressant. Je ne pensais pas qu'on puisse finir aujourd'hui, et j'avais raison. Un certain nombre de personnes, dont le sénateur Joyal, voudraient encore s'exprimer, mais nous allons manquer de temps.

Encore une fois, merci de ces échanges. Nous avons réussi à élargir la discussion, et c'est important parce qu'elle aura des conséquences sur l'avenir à mesure que nous recevrons d'autres éléments d'information du comité de modernisation, et je suis sûr qu'il en viendra.

Nous continuerons cette discussion à une prochaine réunion. Il y aura, en principe, une réunion du comité directeur la semaine prochaine avec la sénatrice Frum, qui est le troisième membre de ce comité, auquel participent également la sénatrice Fraser et moi-même, et nous vous reviendrons à une prochaine réunion. Merci de votre attention.

(La séance est levée.)

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