Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 15 - Témoignages du 5 juin 2017
OTTAWA, le lundi 5 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 12 h 59, pour faire l'étude du projet de loi.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Dan Lang. Je suis un sénateur du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. J'aimerais maintenant que chaque membre se présente en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Je m'appelle Mobina Jaffer. Je viens de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l'Ontario.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Bonjour, monsieur le ministre, et bonjour à votre équipe. Je suis Raymonde Saint- Germain, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l'Ontario.
La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario.
Le sénateur Day : Joseph Day, sénateur libéral indépendant du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Sénateur conservateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, sénatrice conservatrice de l'Ontario. Bienvenue.
Le président : Merci.
Nous nous réunissons aujourd'hui de 13 heures à 17 h 30 pour commencer l'examen du projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence.
Après les trois premiers groupes de témoins, nous nous réunirons à huis clos pour examiner l'ébauche d'un rapport sur le projet de loi C-44, l'étude préliminaire sur le projet de loi d'exécution du budget.
Nous accueillons parmi nous l'honorable Ralph Goodale, C.P., député et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et l'honorable Bardish Chagger, leader gouvernementale à la Chambre des communes. Les ministres sont accompagnés de représentants du Bureau du Conseil privé, soit Ian McCowan, sous-secrétaire du Cabinet, Gouvernance, et Heather Sheehy, directrice des opérations, Secrétariat de l'appareil gouvernemental. Nous accueillons aussi Malcolm Brown, sous-ministre de Sécurité publique Canada.
Madame et monsieur les ministres, bienvenue. Je vais vous invite à commencer. Je vous demande de limiter dans la mesure du possible la durée de vos déclarations préliminaires afin que les membres du comité aient amplement le temps de poser des questions. La parole est à vous.
L'honorable Bardish Chagger, C.P., députée, leader du gouvernement à la Chambre des communes : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous au sujet du projet de loi C-22, qui aura pour effet de créer le premier comité des parlementaires du Canada sur la sécurité nationale et le renseignement.
Je tiens à souligner au comité que, même si je dois partir promptement à 14 heures afin de participer à la période des questions à la Chambre, mon collègue, le ministre Goodale, restera après 14 heures, pour continuer à répondre à vos questions. Mes représentants resteront aussi ici pour répondre.
Dans le cadre de ses engagements à l'égard de la sécurité nationale et du renseignement, le gouvernement a affirmé que les pouvoirs gouvernementaux pour combattre les menaces liées à la sécurité des Canadiens et à celle du Canada doivent être assortis d'un cadre de responsabilisation solide et robuste. Le projet de loi C-22 met en évidence cette promesse de responsabilisation à l'égard des Canadiens et de protection de nos droits et libertés.
Fondamentalement, le Parlement est responsable d'adopter les lois en vertu desquelles les organismes canadiens responsables de la sécurité nationale et du renseignement s'acquittent de leurs responsabilités. Par conséquent, le gouvernement doit être responsable devant le Parlement de l'exercice de ces pouvoirs. Une telle responsabilisation est une caractéristique essentielle de notre système démocratique, qui s'appuie sur l'échange ouvert de renseignements. Clairement, cela constitue un défi lorsqu'il est question de sécurité nationale et de renseignements, en raison de la nature même de ces activités.
[Français]
L'une de mes grandes priorités en tant que leader du gouvernement à la Chambre des communes est de donner des moyens d'action aux parlementaires et de renforcer nos institutions parlementaires. C'est pourquoi le projet de loi C-22 a pour but d'accroître, de manière significative, le dialogue au sein du Parlement sur les questions liées à la sécurité nationale et au renseignement. Un mandat portant sur tous les aspects et un vaste accès à des renseignements classifiés feront en sorte que le travail du comité contribuera de manière importante au débat qui se tient au Parlement sur les activités liées à la sécurité nationale et au renseignement, sur les dispositions législatives et sur les dépenses.
[Traduction]
Accroître le rôle du Parlement à cet égard constituerait une importante nouvelle mesure de responsabilisation au sein du cadre de sécurité nationale. En s'assurant que les pouvoirs sont exercés de façon appropriée et comme prévu, grâce à ses travaux, le comité améliorera la confiance du public à l'égard de nos organismes de sécurité nationale et de renseignement.
Même si des points de vue différents ont été exprimés relativement à certains aspects du projet de loi, un thème est resté clair durant tout le débat : les experts et les intervenants ont félicité le gouvernement d'avoir présenté le projet de loi. Comme vous le savez, un certain nombre d'alliés occidentaux du Canada ont déjà créé des mécanismes permanents de communication des renseignements classifiés avec des parlementaires afin de garantir que les activités de sécurité nationale font l'objet d'un examen efficace sans compromettre la confidentialité ni les sources des renseignements visés.
[Français]
L'étude des pratiques exemplaires de nos alliés par le gouvernement a été avantageuse pour le projet de loi C-22. Nous avons appris, par exemple, qu'une approche progressive a bien servi d'autres pays, et je crois fermement que cette disposition législative est un point de départ à la fois approprié et ambitieux pour le lancement du Comité des parlementaires du Canada. Cela étant dit, je tiens à souligner que le projet de loi C-22 présente une approche avant- gardiste et purement canadienne en matière d'examen de tous les ministères et organismes qui sont responsables des activités du Canada liées à la sécurité nationale et au renseignement.
Un vaste accès à des renseignements classifiés est certainement essentiel à l'examen exhaustif des activités liées à la sécurité nationale et au renseignement. À cet égard, et sous réserve d'exceptions très précises, les membres du Comité auront accès aux renseignements ayant trait aux activités liées à la sécurité et au renseignement à l'échelle des ministères, sociétés d'État et organismes fédéraux.
[Traduction]
Cependant, la communication publique de tels renseignements de nature délicate pourrait être préjudiciable aux intérêts nationaux du Canada, mettre directement des Canadiens en danger et menacer la capacité de nos organismes de sécurité nationale et de renseignement de s'acquitter des tâches qui leur sont attribuées par le Parlement. C'est la raison pour laquelle le projet de loi C-22 inclut des restrictions strictes liées à l'accès à l'information des parlementaires ainsi que des dispositions visant à s'assurer que les renseignements classifiés restent en sûreté.
L'augmentation de la responsabilisation de l'infrastructure canadienne de sécurité nationale et de renseignement sera possible grâce au soutien et à l'engagement continu de tous les députés. Vous tous, en tant que membres de ce comité sénatorial, offrirez un point de vue particulier dans le cadre de l'étude du projet de loi C-22, vu les travaux déjà réalisés par le Sénat sur des propositions similaires, y compris les travaux du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, qui a recommandé la création d'un comité de surveillance parlementaire.
[Français]
Le gouvernement sera heureux de tirer parti de votre expérience et de vos observations sur le fond du projet de loi.
J'aimerais maintenant laisser la parole à mon collègue, l'honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui présentera les grandes lignes du projet de loi C-22. Merci beaucoup.
[Traduction]
L'honorable Ralph Goodale, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Monsieur le président et honorables membres du comité, je suis heureux d'être de retour parmi vous.
[Français]
Merci de m'avoir invité à discuter de cette mesure législative très importante qui vise à établir un comité de parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. La question de ce comité était un élément central de nos engagements envers les Canadiens en matière de sécurité nationale lors des dernières élections, et il demeure essentiel afin d'assurer que notre cadre de sécurité nationale protège la sécurité des Canadiens, de même que nos droits et libertés.
[Traduction]
Le projet de loi permettra enfin de s'assurer que les organismes canadiens de sécurité et de renseignement doivent rendre des comptes à un comité de parlementaires, comme c'est déjà le cas depuis longtemps pour la plupart de nos alliés, y compris les pays du Groupe des cinq et bien d'autres pays. Comme vous le savez, des experts en matière de sécurité nationale, des enquêtes judiciaires, le vérificateur général et des sénateurs et des députés demandent depuis longtemps la surveillance parlementaire des organismes de sécurité nationale et de renseignement.
À la deuxième lecture, le sénateur Harder a décrit de façon très détaillée les nombreux rapports et les nombreuses recommandations du passé à cet égard, alors je ne vais pas tout répéter ce qui a déjà été dit. Je vais simplement mettre à nouveau l'accent sur le fait qu'il y a eu de nombreuses demandes d'adoption d'un texte législatif comme le projet de loi C- 22, et que le Sénat est en fait celui qui a souvent formulé de telles demandes, y compris dans un rapport de 2009 du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme présidé par l'ancien sénateur Hugh Segal.
En 2014, le sénateur Segal a essayé de concrétiser cette recommandation en présentant l'ancien projet de loi S-220, projet de loi qui a été appuyé par l'ancien sénateur Roméo Dallaire. Lorsque M. Segal a comparu devant le comité de la Chambre des communes sur la sécurité publique en octobre dernier, il a dit aux députés que le projet de loi C-22 était « très fidèle » — je le cite — aux recommandations formulées par son comité sénatorial spécial en 2009.
En effet, si vous regardez les recommandations de ce comité il est demandé de constituer :
un comité composé de membres des deux chambres du Parlement ayant le pouvoir de surveiller les cadres administratif et stratégique ainsi que les dépenses et les activités des ministères et organismes fédéraux responsables de la sécurité nationale [...]
C'est en fait ce qui est proposé dans le projet de loi C-22 :
Le comité sénatorial spécial recommande que les membres soient nommés par le gouverneur en conseil [...] prêtent un serment du secret [...] et soient astreints par la loi au secret à perpétuité [...]
Encore une fois, c'est ce que prévoit le projet de loi C-22.
De plus, les sénateurs ont recommandé que les rapports soient présentés au premier ministre, que les rapports soient rendus publics et qu'on indique tout caviardage pour des raisons de sécurité nationale.
Encore une fois, c'est ce que prévoit le projet de loi C-22.
Le rapport du comité spécial a expliqué que tout cela était nécessaire pour que l'on puisse veiller à ce que les organismes et les ministères qui ont des responsabilités liées à la sécurité nationale et au renseignement :
servent efficacement les intérêts de sécurité nationale, respectent la Charte canadienne des droits et libertés et soient financièrement responsables, bien organisés et bien administrés.
Il s'agissait là en effet d'objectifs louables. Je suis tout à fait d'accord, et j'espère que nous pourrons adopter et appliquer le projet de loi C-22 le plus rapidement possible parce que ces objectifs sont enchâssés dans ce texte.
Je sais que certaines préoccupations ont été soulevées durant l'étude qu'a faite le Sénat du projet de loi jusqu'à présent durant la deuxième lecture. J'aimerais essayer de les dissiper du mieux que je peux au cours des prochaines minutes.
Pour commencer, certaines préoccupations étaient exprimées au sujet de l'article 12 qui concerne le privilège parlementaire. Je veux garantir aux sénateurs que cet article concerne seulement les renseignements classifiés auxquels les sénateurs et les députés auront accès en tant que membres du comité. Tant qu'ils ne révèlent pas des renseignements classifiés, les membres du comité pourront discuter de leur travail à l'extérieur du comité et, ce qui est important, ils pourront attirer l'attention du Parlement et des Canadiens sur toute lacune perçue du gouvernement dans le cadre de l'exécution de ses fonctions. En effet, cette tribune influente est l'un des meilleurs outils que les membres du comité auront, tant que, en cours de route, ils n'utilisent pas cette tribune pour communiquer des renseignements classifiés.
Je suis sûr que nous pouvons tous convenir que les renseignements classifiés ne sont pas classifiés pour rien. Certains renseignements, si on en discute publiquement, pourraient miner les relations du Canada avec ses partenaires internationaux ou peut-être mettre des vies en danger, y compris la vie de Canadiens. Les parlementaires ne devraient pas pouvoir divulguer de tels renseignements, puis prétendre à l'immunité. Comme je l'ai mentionné tantôt, le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme voyait les choses de la même façon.
Je comprends que certains puissent craindre qu'un parlementaire s'expose à des sanctions pour avoir accidentellement divulgué des secrets d'État, mais, en toute honnêteté, si quelqu'un est susceptible de dire des choses aussi dangereuses, il devrait peut-être siéger à d'autres comités et pas celui-là.
J'ai aussi remarqué que, dans votre débat lié à la deuxième lecture, vous avez soulevé l'enjeu du pouvoir d'assignation. C'est un sujet qui a aussi été longuement débattu — comme vous vous en souvenez peut-être — durant l'étude du projet de loi devant la Chambre des communes. Après beaucoup de délibérations, la Chambre a décidé, au bout du compte, que ce genre de pouvoir n'était pas approprié, et je veux expliquer brièvement pourquoi le comité de la Chambre en est venu à cette conclusion.
Dans le cas d'un comité parlementaire régulier, le gouvernement n'est pas tenu par la loi de fournir les documents demandés. Cependant, si le gouvernement refuse de fournir l'information, le comité parlementaire peut, grâce aux pouvoirs exercés par les leaders, exiger du gouvernement qu'il fournisse l'information en question. À l'opposé, le projet de loi C-22 crée l'obligation juridique du ministre pertinent de fournir l'information demandée. C'est ce que prévoit l'article 13, dans la mesure où l'information relève du mandat du comité. Par conséquent, un tel pouvoir d'assignation n'est pas nécessaire.
Pour ce qui est de contraindre des témoins précis, il faut s'assurer de ne pas empiéter sur l'indépendance opérationnelle des organismes du gouvernement dans le domaine de la sécurité du renseignement. Le projet de loi prévoit que l'administrateur général de l'organisme décidera qui au sein du ministère ou de l'organisme est le mieux placé pour parler d'un enjeu soulevé par le comité, et c'est très important de laisser ce pouvoir à l'administrateur général pour des raisons opérationnelles.
Par exemple, imaginons une situation où le comité assigne à témoigner un agent de terrain précis du SCRS pour discuter d'une opération terminée il y a deux ans. Le même agent, cependant, est actuellement déployé dans le cadre d'une autre opération, et son départ pourrait mettre en danger cette mission. Le directeur du SCRS doit absolument avoir le contrôle opérationnel des activités de ses agents. Nous ne créerons pas une situation où les opérations du SCRS et, par conséquent, la sécurité nationale pourraient être compromises parce qu'un agent précis aurait l'obligation de témoigner à un moment donné.
Pour terminer, je vais aborder deux ou trois des changements apportés par la Chambre des communes au projet de loi C-22. Par exemple, après des consultations auprès du sénateur Harder, j'ai été convaincu qu'il fallait ajouter d'autres membres au sein du comité. Cependant, durant ces discussions, nous avons souligné que la recommandation de la Couronne associée au projet de loi permettait seulement la nomination de neuf membres. Par conséquent, le gouvernement a proposé un amendement à l'étape du rapport nous permettant d'inclure une nouvelle recommandation de la Couronne visant l'ajout d'un autre sénateur et d'un autre député, pour un total de trois sénateurs et huit députés au sein du comité, soit 11 membres.
Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a apporté plusieurs autres amendements, y compris un amendement important proposé par le NPD en vue de l'inclusion d'une disposition sur la protection des dénonciateurs. Cela exige du comité qu'il communique au ministère pertinent et au procureur général du Canada tout acte fautif constaté. En d'autres mots, le comité aura la capacité de dénonciation.
Honorables sénateurs, le projet de loi que vous avez devant les yeux représente un pas de géant en matière de responsabilisation des organismes de sécurité nationale au Canada. C'est un ajout important à notre système actuel d'organes d'examen visant des organismes précis, parce que, en plus du fait que des organismes comme l'ASFC ne possèdent aucun organe d'examen actuellement, ceux qui existent ne peuvent pas suivre une piste peu importe où elle mène au sein du gouvernement fédéral. Ce nouveau comité des parlementaires pourra le faire. Les organes d'examen actuels travaillent seulement de façon verticale et relativement à un organisme précis. Le comité des parlementaires aura un mandat horizontal et pourra suivre des éléments de preuve, quelle que soit la direction vers laquelle il pointe.
Cela nous assurera aussi une bonne position à l'échelle internationale, parce que bon nombre des homologues internationaux de ce nouveau comité sont eux aussi limités à l'examen des travaux d'un organisme précis ou d'un nombre limité d'organismes et de ministères. Notre comité aura fondamentalement une portée beaucoup plus vaste.
Fait plus important encore, le projet de loi prévoit lui-même son examen parlementaire après cinq ans. Nous savons tous qu'il y aura des leçons apprises au cours des premières années d'existence du comité. Cet examen obligatoire après cinq ans crée une occasion intégrée d'apprendre de ces leçons et de les appliquer pour améliorer le fonctionnement du comité à l'avenir, surtout lorsque ce nouveau comité aura eu l'occasion d'assurer sa crédibilité aux yeux des organismes qu'il examinera et d'obtenir la confiance des Canadiens.
Je veux mentionner une dernière chose. Le projet de loi C-22 est un élément important de l'approche du gouvernement en matière de sécurité nationale, mais ce n'est d'aucune façon le seul élément. Nous préparons actuellement des propositions supplémentaires pour respecter nos engagements des dernières élections et donner suite aux commentaires que nous avons reçus dans le cadre de nos consultations sans précédent sur la sécurité nationale.
J'espère être en mesure de présenter publiquement certaines de ces autres propositions au cours des prochaines semaines, y compris en comblant une lacune en matière d'examen qui, je le sais, préoccupe le Sénat relativement à l'ASFC, l'Agence des services frontaliers du Canada. L'ancien sénateur Willie Moore travaillait dur sur ce sujet. Vous avez raison de dire qu'il y a une lacune, et il faut la combler. J'espère pouvoir expliquer publiquement, dans un avenir très proche, exactement de quelle façon nous prévoyons y arriver, en plus de ce que prévoit déjà, ici, le projet de loi C- 22.
Nous nous sommes engagés à améliorer le cadre de sécurité nationale du Canada afin de mieux protéger les Canadiens tout en protégeant leurs droits et libertés. Tout ce que nous faisons dans le domaine de la sécurité nationale vise à promouvoir ces deux objectifs inséparables : la sécurité des Canadiens et la protection de leurs droits et libertés. C'est ce que fait exactement le projet de loi C-22, et j'espère que nous pourrons vous convaincre d'y donner votre appui.
Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Avant de passer à la période de questions et de réponses, au nom du comité, nous tenons à exprimer nos regrets pour l'horrible acte de terrorisme qui s'est produit durant la fin de semaine en Grande-Bretagne et nous tenons à exprimer nos condoléances à la famille Archibald. En effet, madame Chrissy Archibald, une de nos concitoyennes canadiennes est décédée dans l'attaque terroriste.
M. Goodale : Je suis sûr que tous les parlementaires veulent ajouter leur voix à la vôtre.
Le président : Chers collègues, avant de commencer, j'aimerais s'il vous plaît poser une question très précise. D'entrée de jeu, selon moi, tout le monde est d'accord avec le fait qu'un comité de surveillance ou d'examen dans le domaine de la sécurité nationale est nécessaire. Je crois que c'est là un objectif commun et un but que nous partageons tous, mais je crois aussi qu'il reste à déterminer certains détails quant au pouvoir prévu dans le projet de loi et qu'il reste à savoir si, oui ou non, les pouvoirs répondent à nos besoins à court et long termes, aussi.
Si vous me permettez de lancer le bal, j'ai une question sur la façon dont les membres sont nommés dans l'organisme précis que nous recommandons, ici. Voici ma question : dans le système britannique, les membres sont choisis grâce à un vote du Parlement dans le cas de ce comité précis en raison de son importance au chapitre de la sécurité nationale.
Pourquoi le projet de loi ne compte-t-il pas des dispositions prévoyant l'élection et, par la suite, le vote par le Parlement, tant le Sénat que la Chambre des communes, sur les recommandations concernant les membres du comité?
M. Goodale : Monsieur le président, c'est parce que, au bout du compte, c'est le premier ministre qui est responsable de la sûreté et de la sécurité des Canadiens et de la protection des droits et libertés. Au bout du compte, c'est lui l'ultime responsable. Par conséquent, lorsque nous avons rédigé le projet de loi, nous nous sommes dit qu'il était important de nous assurer que le premier ministre avait le pouvoir nécessaire de choisir tout en étant soumis à un cadre très complet d'examen, de transparence et de gouvernance.
L'idée, c'est que le premier ministre pourrait choisir, mais seulement après avoir consulté de façon appropriée la Chambre et le Sénat, pour s'assurer qu'il a bénéficié des points de vue et des conseils que ces personnes, qu'il est obligé de consulter, pourraient lui offrir en cours de route. Au bout du compte, cependant, nous croyons que le premier ministre doit avoir le pouvoir de choisir les membres, ce qui est, si je me souviens bien de ce qui s'est passé, la façon dont un certain nombre des comités similaires dans d'autres pays ont aussi vu le jour. Certains ont évolué et ont fini par adopter un processus de sélection différent, mais c'était en quelque sorte la genèse, la façon dont tout a commencé.
La sénatrice Jaffer : Je tiens à remercier les deux ministres de leur présence. Je veux commencer en remerciant le premier ministre et vous deux de votre vision et d'avoir présenté le projet de loi. C'est un projet de loi qui se fait attendre depuis très longtemps. Comme nous le savons tous, tout pays qui sacrifie les droits de la personne pour la sécurité finit par n'avoir aucun des deux.
Je vais commencer en posant une question à la ministre Chagger. J'en aurai ensuite une pour le ministre Goodale.
Madame la ministre Chagger, les électeurs que vous et moi servons savent que le projet de loi C-51 a vraiment été néfaste pour la collectivité et a suscité beaucoup de méfiance. Il a aussi été préjudiciable pour les communautés que vous et moi représentons.
Voici ce que j'aimerais que vous nous expliquiez : quelle est la vision sous-jacente au projet de loi? À quoi avez-vous pensé? De quelle façon alliez-vous tendre la main? De quelle façon alliez-vous assurer aux communautés que vous et moi représentons que leurs droits pourraient enfin être protégés?
Évidemment, je ne vous demande pas de nous transmettre des documents confidentiels du Cabinet, mais j'aimerais savoir quelle était la vision entourant ce projet de loi.
Mme Chagger : Pour ce qui est du fait que nous représentons les Canadiens, c'est vrai que, au bout du compte, notre objectif est toujours de représenter tous les Canadiens. Nous savons que, actuellement, il n'y a pas de mécanisme de surveillance. Les mécanismes de surveillance qui existent actuellement sont limités et cloisonnés. C'est la raison pour laquelle, comme le ministre Goodale l'a dit, l'actuel mécanisme de surveillance visera tous les organismes et toutes les organisations qui s'occupent de sécurité nationale.
Pour ce qui est des préoccupations que les Canadiens ont et partagent, nous savons que la politique de la peur est bien implantée, et c'est quelque chose qu'il faut changer. Les Canadiens doivent savoir que, lorsqu'ils ont une plainte ou une préoccupation, ils seront écoutés et qu'il y a des mécanismes en place afin de pouvoir dissiper de telles préoccupations.
Sans ce comité des parlementaires, une telle structure n'existe pas. Nous reconnaissons l'importance de la sécurité nationale. Cependant, nous reconnaissons aussi l'importance de nos droits et libertés. C'est la raison pour laquelle le projet de loi que nous proposons fait les deux. Ce seront toujours les deux objectifs, et on leur accordera toujours la même valeur. Ce comité permettra aux Canadiens qui ont des préoccupations relativement à certains des organismes actuellement en place de les transmettre au comité, qui pourra obtenir l'information nécessaire, peu importe où elle se trouve.
Actuellement, toutes ces zones grises ne sont visées par aucun mécanisme de surveillance, et c'est la raison pour laquelle un tel comité est essentiel et nécessaire.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre Goodale, j'ai une question pour vous, et vous avez déjà répondu de façon générale dans votre déclaration préliminaire. J'aimerais qu'on examine les articles 8, 14 et 16. Je les appelle « le triple blocage », et je crois que je ne suis pas la seule. Chaque fois que le comité examine des renseignements, il doit appliquer les articles 8, 14 et 16.
Comme vous le savez, l'alinéa 8b) prévoit que le comité des parlementaires ne veut pas examiner des sujets liés à des opérations en cours si le ministre compétent détermine que l'examen porterait atteinte à la sécurité nationale. L'alinéa 14d) du projet de loi prévoit que le comité des parlementaires ne peut pas avoir accès à des renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours pouvant mener à des poursuites. L'article 16 donne aux ministres le pouvoir de refus de communication, s'il est question de renseignements opérationnels spéciaux, au sens de la Loi sur la protection de l'information.
Monsieur le ministre Goodale, je crois que cela peut limiter la capacité du comité de faire son travail. Il y a des situations où, bien sûr, il faut que le ministre intervienne, mais les dispositions sont trop restrictives. J'aimerais connaître votre avis sur ce triple blocage, les articles 8, 14 et 16, qui, d'une certaine façon, limitent le travail du comité.
M. Goodale : Dans le cadre des travaux réalisés devant le comité et la Chambre, des préoccupations similaires ont été exprimées, madame la sénatrice Jaffer, et, en fait, nous avons modifié ces trois articles pour en élargir la portée et élargir le mandat du comité.
Premièrement, dans le libellé initial de l'article 8, il était question des activités en général et le libellé a été précisé afin qu'il soit question précisément d'opérations en cours. C'est une exception beaucoup plus limitée que lorsqu'on parlait de toutes les activités. Pour ce qui est des opérations en cours, le point, c'est qu'il pourrait très bien y avoir une très bonne raison pour laquelle une activité en cours devrait rester confidentielle. Puis, plus tard, une fois que l'activité n'est plus en cours, elle pourrait faire l'objet d'un examen.
Vous avez peut-être remarqué que le ministre est obligé, en fait, d'informer le comité lorsque la situation change, que les facteurs qui ont pu mener le ministre à croire qu'une demande d'information était préjudiciable à un moment donné disparaissent, changent ou ne s'appliquent plus; alors, le ministre serait obligé d'informer le comité qu'un examen est maintenant possible.
Ce que nous avons essayé de faire à l'article 8, c'est de rendre le mandat du comité le plus large possible. Je crois que les amendements qui ont été concoctés dans la Chambre ont permis d'atteindre cet objectif. Assurément, le mandat est maintenant plus large que ne le prévoyait le libellé initial.
Dans les clauses subséquentes que vous avez mentionnées, nous avons indiqué qu'il y a certaines catégories de renseignements qui doivent rester secrets. Il s'agit là des compétences normales du Conseil privé, l'identité des témoins, l'identité des sources et des enjeux concernant des enquêtes policières en cours. De façon générale, je ne crois pas que ces limites suscitent beaucoup de controverse. Dans le cadre d'une enquête policière, je ne crois pas qu'on voudrait permettre une surveillance politique. Ce serait un peu étrange.
Au départ, la liste d'exceptions était beaucoup plus longue. Il était question des renseignements d'Information Canada, par exemple, et des renseignements du CANAFE. Toutes ces exceptions ont été retirées, ce qui fait en sorte que la liste complète des exemptions est maintenant beaucoup plus limitée.
Pour ce qui est de la dernière disposition dont vous avez parlé soit que le ministre peut exercer un pouvoir discrétionnaire et décider qu'un type d'information précis ne doit pas être communiqué, le ministre devra expliquer au comité pourquoi il prend une telle décision. Ce ne sera pas un caprice ni une décision arbitraire. Le ministre a l'obligation de dire au comité qu'il refuse de fournir certains renseignements, mais il devra fournir une bonne raison de procéder ainsi.
Puisque les membres du comité seront des parlementaires, huit membres de la Chambre des communes et trois membres du Sénat, s'ils n'acceptent pas l'explication ou le traitement des ministres, ils auront tout à fait l'occasion de le dire très clairement et publiquement. Ils ne peuvent pas communiquer des renseignements classifiés, mais ils peuvent dire, de façon catégorique et sans équivoque, qu'ils croient que le gouvernement se trompe.
Si un comité de cette envergure dit des choses, cela aura un impact important en matière de politique publique. Si le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a un vrai grief contre le gouvernement en raison des limites ou peu importe ce que le gouvernement propose d'imposer et qu'il le dit publiquement, comme c'est son droit, ce sera là une situation très malaisée pour le gouvernement au pouvoir. Mon instinct me dit que les gouvernements feront tout en leur pouvoir pour s'assurer que les membres du comité sont heureux et satisfaits en assurant un niveau suffisant de divulgation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci de votre présence, monsieur Goodale, madame Chagger.
Monsieur le ministre, la Chambre des communes a approuvé une augmentation de la participation du Sénat au comité de deux à trois membres. Le Parlement compte deux Chambres égales; le Sénat y représente les intérêts régionaux. À la demande du premier ministre, le Sénat est de plus en plus indépendant. J'ajouterais même que, puisque le mandat des sénateurs est habituellement plus long que celui des députés, ils possèdent, en conséquence, une mémoire historique plus étendue.
Pouvez-vous nous dire pourquoi le gouvernement s'oppose à la création d'un comité où la représentation de la Chambre des communes et du Sénat serait égale? Le premier ministre lui-même parlait de la formation d'un comité de parlementaires. Actuellement, j'ai l'impression qu'on a plutôt affaire à un comité gouvernemental. Pouvez-vous m'expliquer cette opposition à une répartition égale des sièges?
[Traduction]
M. Goodale : Monsieur le sénateur, j'imagine que la question du nombre peut toujours faire l'objet de débats et suscite toujours des points de vue différents. Je crois que vous soulevez un point valide lorsque vous parlez de toute l'expertise accumulée dans le domaine de la sécurité nationale de certains membres du Sénat. On parle ici de beaucoup de talent, d'expérience et d'expertise.
Nous constatons, pas de façon officielle, mais de façon anecdotique, qu'il semble y avoir un grand intérêt des deux côtés de l'édifice du Centre pour participer aux travaux de ce comité. Il y a 338 députés dans la Chambre des communes et environ 100 sénateurs. Lorsqu'on réunit ces chiffres, même si on ne peut pas laisser tout le monde participer aux travaux du comité, nous nous sommes dit qu'un ratio de 8:3 — à la lumière de la discussion dans la Chambre des communes — était équitable. On respecte aussi ainsi une pratique antérieure — d'après ce que j'ai compris — liée à l'organisation d'autres comités.
On pourrait contester les calculs et les nuancer, dans une certaine mesure, mais, dans l'ensemble, je crois que le ratio 8:3, pour un total de 11 membres, reflète assez bien les nombres de membres des deux côtés du couloir, de la Chambre et du Sénat.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi le premier ministre et le Conseil privé veulent exercer plus de contrôle sur ce comité de surveillance? Est-ce que vous seriez ouvert à ce que l'on propose des amendements à la composition du comité?
[Traduction]
M. Goodale : J'imagine que j'aurais besoin de savoir, monsieur le sénateur, ce que vous voulez dire exactement lorsque vous parlez de la composition. Selon nous, la structure prévue est appropriée, soit huit membres de la Chambre, et trois du Sénat. Pour ce qui est des huit membres de la Chambre, il y aura un nombre limité de représentants du gouvernement. On s'assurerait que l'opposition officielle et le troisième parti bénéficient d'une représentation appropriée au sein des huit pour refléter la nature actuelle du Parlement à un moment donné.
Les futurs premiers ministres auront l'obligation d'agir rapidement après les élections pour s'assurer que le comité soit fonctionnel lorsqu'on passe d'une législature à l'autre. Il ne faudrait pas qu'il y ait une longue pause dans la capacité du comité de faire son travail, parce que, évidemment, les activités de sécurité et de renseignement sont réalisées de façon permanente, et le comité devra être efficace et fonctionnel.
Si quelqu'un a un argument à formuler sur un processus différent, nous sommes évidemment toujours prêts à entendre des opinions différentes. Après avoir consulté longuement le public et avoir entendu les débats et les commentaires de la Chambre et du Sénat jusqu'à présent, nous croyons que la structure atteint un juste équilibre, mais s'il y a un autre argument à formuler, c'est évidemment la raison pour laquelle le comité du sénateur Lang est là.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné qu'il fallait éviter le vide dans la structure du comité. Je pense qu'une des meilleures façons de le faire serait de prévoir plus de sièges de sénateurs, étant donné que nous sommes en place plus longtemps.
[Traduction]
M. Goodale : Je comprends ce que vous dites, mais, encore une fois, puisqu'il y a 338 députés à la Chambre des communes et 100 sénateurs et qu'on tente de définir une représentation appropriée en vertu de laquelle les deux chambres seront raisonnablement satisfaites, je crois que la configuration de huit députés et trois sénateurs correspond aux nombres actuels des deux côtés.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Merci, madame et monsieur les ministres. La notion de sécurité nationale, c'est une notion très large que la loi ne définit pas. Le mandat du comité a une portée précise et vous avez balisé dans la loi certains accès, certaines restrictions. Pour bien comprendre la portée du mandat, j'aimerais que vous nous donniez un aperçu des enjeux contemporains et actuels en matière de sécurité nationale et de renseignement qui, pour vous, devraient retenir en priorité l'attention du comité lorsqu'il sera en fonction.
[Traduction]
M. Goodale : C'est une question très intéressante, madame la sénatrice, parce que l'importance ou la priorité sont souvent une question de perception. L'une des choses que nous avons tenté de dire clairement dans le projet de loi, c'est que le comité peut décider lui-même ce qu'il veut faire, ce qu'il veut examiner et quelles sont ses priorités. Ce sont des questions auxquelles les membres du comité répondront eux-mêmes.
L'article 8 permet au ministre en poste de demander au comité d'examiner un dossier, mais, sinon, le comité pourra définir son propre programme. Je crois que c'est un principe important de façon à ce que ça ne soit pas le gouvernement qui décide ce que fait le comité. Le comité lui-même doit décider ce sur quoi il doit se pencher.
Vous pouvez passer en revue le dernier rapport ou les deux ou trois derniers rapports du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, ou du Bureau du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, pour voir les genres d'enjeux sur lesquels ces organes d'examen spécialisé se penchent. Je crois que vous pourrez avoir une idée de l'ordre de grandeur des genres de choses que ces comités jugent importantes. Un comité de parlementaires pourrait très bien vouloir examiner ces mêmes enjeux ou encore en examiner d'autres.
Il y a actuellement toute une gamme de questions liées à la sécurité publique et à la sécurité nationale qui intéressent le grand public. Puisque c'est un sujet qu'on semble voir sur chaque arrêt d'autobus le long de la rue Wellington, le sujet qui me vient à l'esprit, c'est l'utilisation d'appareils électroniques permettant de détecter la présence de téléphones cellulaires. C'est ce qu'on appelle les IMSI pour faire court. Chaque fois que ces appareils sont utilisés par les organismes de sécurité du gouvernement du Canada, que ce soit la GRC ou d'autres entités, ces utilisations sont assujetties à une procédure d'autorisation judiciaire très stricte en ce qui a trait au recours à ce genre de technologies.
Cependant, nous avons appris dans les médias que certaines de ces technologies ont été utilisées au centre-ville d'Ottawa au cours des derniers mois. Nous savons que ce n'est pas la GRC. Nous savons que ce n'est pas le SCRS. C'est qui, alors? Les Canadiens veulent le savoir, et c'est une question qui fait l'objet d'une enquête active de la GRC et du SCRS actuellement. Cependant, le comité des parlementaires pourrait vouloir se pencher sur la question générale de l'utilisation de ce genre de technologies et réfléchir aux procédures et mesures de protection appropriées qu'il faut mettre en place afin de protéger l'intérêt public.
Ce qui est évident, c'est que quand la Loi sur le SCRS a été rédigée en 1984, les télécopieurs étaient une toute nouvelle technologie. Il s'est produit beaucoup de choses dans le monde numérique depuis. La question suivante pourrait être une très bonne question à poser : quels sont les règles, les règlements et les régimes de politique appropriés qu'il faudrait mettre en place pour maintenant tenir compte du fait que la technologie a changé de façon importante depuis ce temps? Les gens qui pourraient nous causer du tort, du point de vue de la sécurité nationale et du renseignement, utilisent activement ces technologies.
Quelles sont les réponses appropriées du gouvernement et des organismes de sécurité à l'égard du peuple canadien? Ce pourrait très bien être le genre d'enquête que le comité des parlementaires pourrait réaliser en plus d'examiner des cas précis de situations où les choses ont pu mal tourner, ce qui pourrait pousser le comité à mener une enquête plus judiciaire.
Le président : Avant de poursuivre, monsieur le ministre, je tiens à souligner que je suis reconnaissant de vos connaissances, mais je demanderais à mes collègues de poser des questions courtes, et je demanderais aux témoins de formuler des réponses courtes, eux aussi.
Je sais que nous avons pas mal de temps, mais nous avons une longue liste de membres qui veulent poser des questions et nous voulons que les renseignements figurent au compte rendu.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur le ministre, je comprends donc de votre réponse que vous serez disposé, selon la marge que vous donne la loi, à échanger avec les membres du comité sur vos préoccupations — et vous avez été très diplomate — pour permettre éventuellement aux membres du comité d'apprécier les enjeux qui préoccupent le ministre de la Défense nationale. C'est bien cela?
[Traduction]
M. Goodale : La portée des travaux du comité sera très large. L'objectif, c'est que le comité lui-même décide de ce sur quoi il veut se pencher. Vu la façon dont nous avons rédigé les articles 8, 14 et 16, l'objectif, c'est de tout de même permettre au gouvernement de dire non si certaines informations peuvent être préjudiciables pour la sécurité nationale, mais de seulement lui permettre de le faire dans des situations bien précises.
Le sénateur White : Merci à vous tous d'être là. Je vous en suis reconnaissant. Je veux revenir sur une question qu'a posée la sénatrice Jaffer.
À l'article 8, en particulier, il est question des « activités des ministères ». Évidemment, les ministères réalisent très peu d'activités liées aux types de questions que nous voulons poser, mais c'est tout le contraire dans le cas des organismes qui sont redevables envers ces ministères ou, du moins qui doivent leur rendre des comptes.
Lorsqu'on nous refuse de l'information — et c'est une bonne chose qu'on puisse parler au ministre —, pourrions- nous aussi demander aux chefs des ministères ou des organismes de répondre à des questions quant à savoir pourquoi ce n'est pas approprié de se pencher sur telle ou telle chose, et pas seulement au ministre?
M. Goodale : Dans le projet de loi, monsieur le sénateur White, au paragraphe 8(2), il revient au ministre de fournir l'explication.
Le sénateur White : Oui, je le vois bien.
M. Goodale : Je crois que le ministre et ses représentants auraient toutes les raisons d'être très coopératifs et d'expliquer au comité pourquoi un sujet d'enquête précis ne serait pas approprié à un moment donné.
Comme vous pouvez le voir au paragraphe (3), il y a une obligation d'informer le comité si les circonstances changent, mais le comité aurait tout de même droit à une explication complète de la raison pour laquelle une enquête ne peut pas être entreprise à un moment précis.
D'un point de vue technique et lié aux définitions, et relativement à l'utilisation du mot « ministère », comme vous pouvez le voir dans la section des définitions, « ministère » est utilisé de façon très générale. Cette notion inclut tous les ministères, organismes, organisations et autres entités au sein du gouvernement du Canada, y compris les sociétés d'État, qui s'acquittent d'une fonction liée à la sécurité ou au renseignement. Lorsque le mot « ministère » est utilisé dans la loi, il faut l'interpréter de façon très générale comme incluant toutes les entités au sein du gouvernement du Canada qui réalisent des activités de sécurité et de renseignement.
Le sénateur White : Merci de cette précision parce que j'avais bel et bien regardé la définition. J'imagine qu'elle exclut les organes d'examen, ce qui signifie que nous ne pourrions pas appeler, par exemple, le CSARS pour lui demander de répondre à des questions même s'il possède peut-être des renseignements pertinents pour le comité. C'est exact?
M. Goodale : Ce à quoi on s'attend, monsieur le sénateur White, c'est que le comité des parlementaires travaillera en collaboration avec le CSARS ou le commissaire ou, actuellement, avec la CCETP. Ces entités vont communiquer des renseignements entre eux et réunir leurs ressources dans la mesure où, habituellement, elles n'enquêteraient pas sur les mêmes choses. Je suppose que, si un enjeu est particulièrement grave, elles pourraient se pencher sur le même dossier, mais pour éviter les chevauchements et les dédoublements, elles travailleront en collaboration les unes avec les autres pour s'assurer que leurs ressources couvrent l'ensemble du paysage et que chaque sujet est bien examiné sans dédoublement.
Ce ne sera jamais parfait, mais c'est ainsi que nous espérons que les choses fonctionneront.
Le sénateur White : Ma deuxième question concerne le secrétariat. J'essaie de comprendre la place que les membres du secrétariat occuperont. Je comprends le modèle proposé. La plupart des secrétariats relèvent d'un ministère comme, par exemple, la Sécurité publique.
Je ne sais pas à qui le secrétariat rendrait des comptes. Rendra-t-il des comptes au Conseil privé? Dans l'affirmative, se préoccupe-t-on du fait qu'il relèverait du même secrétariat que le premier ministre?
M. Goodale : Je vais demander à M. McCowan d'essayer de répondre, et de parler du point de vue de l'appareil gouvernemental.
Ian McCowan, sous-secrétaire du Cabinet, Gouvernance, Bureau du Conseil privé : Monsieur le sénateur, il y a une disposition dans le projet de loi qui précise que le premier ministre pourra désigner le ministre responsable, mais le ministre Goodale a tout à fait raison dans la mesure où le projet de loi proposé a été classé dans le portefeuille de la leader parlementaire du gouvernement dans la mesure où c'est une entité centralisée, pour ainsi dire.
La question concernait d'autres emplacements possibles. Évidemment, pour ce qui est du portefeuille de la Sécurité publique, un certain nombre de ces entités réalisent des activités liées à la sécurité nationale, et on s'est donc dit qu'il était préférable de le mettre dans un endroit plus central afin de lui permettre de faire son travail comme prévu.
Le sénateur White : Vous prévoyez qu'il restera là?
M. McCowan : C'est une décision qui reviendra, au bout du compte, au premier ministre. Pour ce qui est des indices, la marraine du projet de loi est la leader parlementaire du gouvernement. Si on se tourne vers la Loi sur la gestion des finances publiques, la loi semble laisser entendre qu'elle serait l'entité responsable dans ce cas-là. Cela dit, le premier ministre ou un prochain futur ministre pourrait voir les choses autrement.
La sénatrice Lankin : J'ai deux ou trois questions sur les articles 8, 14 et 16. Je pourrai peut-être poser mes autres questions durant la deuxième série.
Merci aux deux ministres d'être là aujourd'hui. Monsieur le ministre Goodale, je veux vous poser une question sur le mandat du comité et l'accès à l'information. Je vais commencer par le mandat.
En passant, je tiens à souligner que je comprends tout à fait l'enjeu que vous avez soulevé au sujet du besoin de créer des relations et d'accroître les niveaux de confiance au fil du temps. J'ai eu l'occasion, il y a de nombreuses années, de rencontrer sir Malcolm Rifkind et un certain nombre de membres du comité de parlementaires britanniques du Parti conservateur et du Parti travailliste. J'ai pu me faire une très bonne idée de la façon dont les choses ont évolué au fil du temps et l'accès à l'information l'emportait de loin sur les dispositions législatives une fois un certain niveau de confiance établi, alors je comprends ce processus.
Pour ce qui est du mandat, j'aimerais connaître votre point de vue sur la différence entre l'examen et la surveillance, parce qu'on semble ici jongler avec une notion hybride en un certain sens. Si on prend le CSARS, c'est un comité d'examen. Si on y réfléchit, il n'est peut-être pas possible d'avoir accès à certains renseignements s'il s'agit d'opérations en cours, mais c'est tout de même possible.
Comment voyez-vous la distinction entre surveillance et examen? Votre objectif était-il de permettre au comité d'examiner certaines opérations en cours?
M. Goodale : Madame la sénatrice, j'ai eu l'occasion de discuter de ce sujet et d'autres éléments liés au projet de loi C-22 avec nos homologues britanniques. Ils ont soulevé le même point que vous venez de mentionner. Si l'on crée ce nouveau genre d'architecture, il est absolument essentiel d'affermir la crédibilité et d'instaurer la confiance. Si on n'a ni l'un ni l'autre, c'est fichu. Selon leurs conseils, il faut commencer avec prudence, apprendre par l'expérience, accroître le niveau de confiance, augmenter le niveau de crédibilité, et les choses allaient ensuite évoluer au fil du temps. Comme ils l'ont souligné, la structure et le mandat du comité britannique ont évolué de façon importante au cours des 15 dernières années.
Nous pensions que, grâce à l'effet combiné des articles 8, 14 et 16, nous avions visé juste. Nous croyions avoir réussi dès le début, mais, de toute évidence, après les amendements apportés à la Chambre, force est d'admettre que nous avons encore fait mieux les choses et avons trouvé un juste équilibre entre le mandat le plus général possible et les limites les plus étroites possible, de façon à ce que le comité puisse faire son travail efficacement.
Le président : Je me permets de vous interrompre un instant. Je tiens à remercier la ministre Chagger de sa présence.
Je sais que vous avez un autre engagement, et je vous remercie beaucoup du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui. Je vais vous excuser, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Mme Chagger : Merci beaucoup. Je suis sûr que je vous laisse entre des mains plus que compétentes.
S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire, n'hésitez pas à me le dire, et merci de m'avoir invitée.
M. Goodale : Madame la sénatrice Lankin, vous avez raison. On est ici au-delà d'un simple examen. Certains diraient que ce n'est pas complet, et je crois qu'ils auraient raison de le dire. Ce n'est pas une surveillance complète, mais le projet de loi permet au comité de jouer un rôle qui ne se limite pas à une étroite fonction d'examen. À mesure que la crédibilité et le niveau de confiance augmenteront, à la lumière des travaux concrets réalisés par le comité, la fonction de surveillance pourrait très bien s'accroître de plus en plus.
Je tiens à mentionner, à cette étape-ci, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, que c'est l'un des éléments dans nos plans en ce qui a trait à la sécurité nationale, mais d'autres choses suivront assurément. Il sera important d'évaluer le résultat final de l'ensemble des éléments que nous aurons mis en place.
La sénatrice Lankin : Je tiens à poursuivre avec la question de l'accès à l'information. Permettez-moi de dire que, selon moi, les amendements que vous avez accepté d'apporter au projet de loi améliorent beaucoup l'équilibre. Je tenais donc à vous en féliciter.
L'un des deux enjeux qui m'intéressent dans le dossier de l'accès à l'information, c'est l'alinéa 14d), soit l'interdiction touchant tous les renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours pouvant mener à des poursuites. En un sens, nous parlons ici non plus de renseignements, mais d'éléments de preuve.
Ce qui m'intéresse, ici, c'est que, parfois, des enquêtes durent très longtemps, particulièrement lorsqu'il est question de sécurité nationale. Il arrive parfois que des incidents qui se sont produits il y a plus d'une décennie fassent encore l'objet d'enquêtes. J'ai l'impression que l'article 14d) pourrait être traité de la même façon que les dispositions que vous avez établies sur le pouvoir discrétionnaire ministériel. C'est la première chose que je tenais à dire.
Dans les autres cas, le pouvoir discrétionnaire permet au ministre de refuser de fournir des renseignements ou des documents lorsque cela peut miner la sécurité nationale. On pourrait être devant une situation similaire lorsqu'on craint que la communication puisse compromettre une enquête en cours pouvant mener à des poursuites. C'est un des aspects où j'aimerais bien comprendre pourquoi vous ne voulez pas inclure cette disposition dans celle sur le pouvoir discrétionnaire ministériel.
J'aimerais connaître vos commentaires sur la façon dont vous entrevoyez l'élaboration d'une approche standard. J'ai vu, entre des organismes d'examen et des organismes de service, en particulier, des arguments ineptes au sujet du caviardage de renseignements ne pouvant absolument pas être liés à la sécurité nationale. Ce pouvoir discrétionnaire est très important. Je comprends ce que vous dites, lorsque vous affirmez que les gens seront des plus conciliants, mais différents ministres pourraient adopter des approches très différentes les unes des autres.
L'une des choses que nous aimerions savoir concerne le fait que nous bénéficions d'une certaine uniformité quant à la gestion de l'accès à l'information par le gouvernement. Pouvez-vous dissiper mes préoccupations, ici?
M. Goodale : Madame la sénatrice, l'un des dossiers sur lesquels le comité pourra vouloir se pencher rapidement en collaboration avec le Bureau du Conseil privé et d'autres représentants du gouvernement serait justement cette question, de façon à ce que les membres du comité des parlementaires puissent s'assurer que des normes uniformes sont appliquées à l'échelle du gouvernement lorsqu'il est question de caviardage, peu importe l'organisme ou le ministère en question. On parle ici de tous les renseignements fournis au comité.
Pour ce qui est des renseignements fournis par le comité, le seul caviardage possible serait celui demandé par le premier ministre et qui concernerait la sécurité nationale et les renseignements classifiés. Dans ce cas, il faudrait expliquer en détail tous les endroits où du caviardage a eu lieu et pourquoi.
Notre objectif, ici, c'est de permettre au comité de produire des rapports sur tous les sujets qu'il désire et de pouvoir dire tout ce qu'il veut dire, tant qu'il ne révèle pas des renseignements classifiés. Ce pourrait être un très bon objectif pour les membres du comité d'entreprendre une discussion, une fois qu'ils seront en place, avec les représentants pertinents du gouvernement pour définir un protocole sur le caviardage des renseignements qui sont fournis.
Pour ce qui est du premier point que vous avez soulevé sur l'alinéa 14d), la raison pour laquelle sa disposition est là, c'est principalement pour éviter toute perception d'ingérence politique dans les opérations policières. Il est extrêmement important que les décisions sur l'application de la loi soient prises par les organismes d'application de la loi sans aucune partisanerie ou aucune tractation politique. C'est la raison pour laquelle on a inclus cette exception.
La sénatrice Lankin : Monsieur le président, la prochaine question que je veux poser concerne l'accès à l'information, mais voulez-vous que je la pose durant la prochaine série?
Le président : Si c'est possible, puisqu'il y a beaucoup de membres sur la liste. Je demande à nouveau à tout le monde de réduire leur préambule au minimum et, monsieur le ministre, je vous demanderais aussi d'être le plus bref possible dans vos réponses.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au comité. Ma question est davantage de nature politique et a trait à la nomination de la présidence du comité, qui est un poste stratégique en termes de communication avec le conseil exécutif, comme vous le savez. D'abord, j'aimerais comprendre la raison pour laquelle un candidat a déjà été pressenti pour occuper la poste de la présidence. Ensuite, l'opposition a-t-elle été consultée quant à cette nomination à la présidence? Dans la négative, je voudrais entendre votre opinion sur le fait que la confiance du public puisse être minée, dans le sens où la présidence aurait été nommée de façon unilatérale par le gouvernement.
De plus, pourquoi ne pas avoir laissé aux membres du comité la décision de nommer le président?
[Traduction]
M. Goodale : Monsieur le sénateur, selon le cadre prévu, dans la loi, les décisions concernant les membres puis la présidente du comité seront prises par le premier ministre, décision dont ce dernier serait, au bout du compte, responsable.
Très rapidement durant les délibérations, le premier ministre en est venu à la conclusion qu'il aimerait que M. McGuinty soit le président du comité une fois ce dernier créé, en raison de l'expérience de M. McGuinty au Parlement et dans d'autres pans de sa vie privée. Le premier ministre a jugé que ce dernier avait les qualités nécessaires pour bien jouer le rôle de président. En arrivant à cette conclusion, le premier ministre a fait connaître son choix de façon tout à fait transparente quant aux réflexions qui l'ont poussé à prendre cette décision.
Le choix des autres membres du comité, il y en a 11, maintenant, plutôt que 9, qu'on avait prévus initialement, fera intervenir un processus de consultation comme le prévoit le texte législatif. Cette consultation n'est pas requise dans le projet de loi en ce qui a trait au choix du président, mais elle l'est pour les membres du comité. Le premier ministre communiquera assurément avec les parties appropriées, comme l'exige le projet de loi, pour mener des consultations efficaces et obtenir les différents points de vue sur les personnes qui, au bout du compte, devraient être nommées.
Au bout du compte, c'est la prérogative du premier ministre et sa responsabilité ultime. Comme je l'ai dit plus tôt, lorsqu'il est question de sécurité nationale, et ce, de bien des manières, la responsabilité revient au premier ministre lui- même. Par conséquent, il doit avoir les pouvoirs nécessaires pour mettre en place un système efficace.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je comprends votre réponse, mais en ce qui concerne de nombreux postes stratégiques de haut niveau au sein du gouvernement, la responsabilité revient au premier ministre. Pourquoi, dans ce cas précis, l'opposition et le Sénat n'ont-ils pas été consultés sur le choix de ce président?
[Traduction]
M. Goodale : Le point, monsieur le sénateur, c'est que, très rapidement à la suite des élections, nous avons voulu envoyer le message selon lequel l'engagement que nous avions pris relativement à la création d'un comité de parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement n'était pas de la poudre aux yeux, et que c'était un dossier que le gouvernement prenait très au sérieux.
En nommant le président tôt, on a envoyé un fort signal, même si le processus législatif devait prendre un certain temps, comme cela s'est produit. Dès qu'il aura le pouvoir législatif de créer le comité, le premier ministre entend agir le plus rapidement possible. La nomination rapide du président visait à envoyer un signal constructif que nous proposions de faire les choses le plus rapidement possible.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur le ministre d'être là. Beaucoup de Canadiens regardent les réunions du comité à la maison en raison de la situation mondiale et ils s'attendent à ce que nous fassions les choses correctement dans cet important dossier.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les hauts fonctionnaires du Parlement ont été exclus du projet de loi, plus précisément le vérificateur général, la commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée?
M. Goodale : Parce que, en fait, ce sont de hauts fonctionnaires du Parlement et pas des agents du gouvernement.
Le projet de loi vise les organismes qui réalisent des activités liées à la sécurité nationale et le renseignement n'importe où au sein du gouvernement du Canada. Le Parlement du Canada est une entité distincte.
La sénatrice Beyak : Pendant toutes ces années que j'ai passées ici, nous avons entendu de nombreux témoins nous dire que les entités d'examen et de surveillance sont cloisonnées. On craint que la communication d'information ne soit pas suffisante.
Dans le projet de loi, vous avez fait un bon bout de chemin, mais il reste des exclusions et des lacunes associées à la Commission d'enquête O'Connor. Pourquoi ne les autorise-t-on pas plus directement à communiquer de l'information? Nous avons souvent entendu dire que notre principal problème, c'est la lacune dans le partage de l'information.
M. Goodale : Ce pourrait très bien être un sujet que le nouveau comité des parlementaires voudra examiner, pour revenir à la question de la sénatrice Saint-Germain sur les genres de choses que le comité pourrait faire.
Si le partage d'information à l'interne entre les ministères et les organismes semble être un obstacle à une activité de sécurité efficace, le comité des parlementaires pourrait très bien se pencher sur une telle chose.
N'oubliez pas, nous avons dit tout au long de la discussion qu'il y a deux objectifs aussi importants l'un que l'autre : assurer la sécurité des Canadiens et protéger leurs droits et libertés. Nous voulons que ce comité contribue dans les deux cas, à protéger les droits et libertés, absolument, mais aussi à s'assurer que nos organismes et nos activités de sécurité et de renseignement font tout ce qu'il faut pour assurer la sécurité des Canadiens.
On accorderait assurément beaucoup d'importance aux conseils du comité des parlementaires si ce dernier devait statuer qu'il faudrait adopter un régime de communication de l'information différent.
La sénatrice Griffin : Merci d'être là aujourd'hui. J'ai examiné le projet de loi C-22, je crois que c'est un très bon projet de loi. Félicitations. C'est excellent qu'on y ait intégré une disposition d'examen quinquennal, mais plutôt que d'attendre cinq ans, je crois que nous avons tous très hâte de nous assurer que le projet de loi est aussi bon qu'il peut l'être. Je suis sûr que c'est votre objectif à vous aussi.
J'ai simplement deux ou trois questions précises. Les dénonciateurs ne sont pas protégés par le privilège parlementaire, parce que ce dont il est question ici, c'est un comité de parlementaires plutôt qu'un comité parlementaire. Évidemment, le personnel du ministère devra fournir au comité l'information demandée, mais de quelle façon des employés subalternes du ministère pourront-ils fournir l'information au comité?
De toute évidence, leur superviseur pourrait facilement leur dire qu'ils ne peuvent pas fournir telle ou telle information au comité. Si un employé subalterne se rend compte que des gens au-dessus de lui et autour de lui au sein de son ministère agissent peut-être de façon illicite, de quelle façon peut-il communiquer avec le comité et le dire? Quelle protection peut-on lui accorder puisqu'il ne s'agit pas d'un comité parlementaire assorti du privilège parlementaire?
M. Goodale : Madame la sénatrice, le terme de dénonciateur est peut-être utilisé différemment dans différents contextes. Si, dans le cadre de son travail, le comité découvre une activité qu'il juge répréhensible, illégale ou inappropriée, et assurément s'il obtient des preuves d'actes répréhensibles et contre la loi, il pourra le déclarer au procureur général du Canada. Les membres du comité peuvent le dire au ministre qui est directement responsable, mais ils peuvent aussi passer directement au procureur général du Canada afin que les mesures judiciaires qui s'imposent à la lumière de l'information divulguée puissent être prises. C'est l'aspect du mandat du comité qui concerne les communications sortantes.
Pour ce qui est de la réception de renseignements, aucune limite n'est imposée si un membre du public, un membre de la fonction publique ou un Canadien quelconque a une question, une préoccupation ou un problème qu'il désire soulever en communiquant avec le comité. Si la personne est membre de la fonction publique, il y a évidemment un protocole à suivre en matière de présentation de témoignages et d'éléments de preuve, mais si une personne estime que, d'une façon ou d'une autre, on l'empêche d'agir, qu'on dénature ses propos ou qu'on ne dit pas toute l'histoire, elle est libre de communiquer avec le président ou n'importe quel membre du comité pour attirer leur attention sur ce fait, et ce, comme elle l'entend.
Il reviendrait ensuite au comité de déterminer s'il veut se pencher sur cette question ou non, mais l'un des avantages d'avoir un comité de parlementaires, c'est que les membres d'un tel comité ont tendance à avoir un bon instinct politique, soit en tant que membres de la Chambre, ou sénateurs, et ils seraient en mesure de déterminer si les renseignements qui leur sont communiqués méritent un genre d'examen spécial. Il n'y a jamais eu une telle composante dans notre architecture d'examen jusqu'à présent. Ce sera maintenant le cas, et ce sera un important élément disciplinaire du processus.
La sénatrice Griffin : Dans un même ordre d'idées, j'en reviens encore au dénonciateur ou aux employés subalternes qui ne sont pas protégés par le privilège parlementaire. Ces personnes pourraient être congédiées, sanctionnées ou je ne sais quoi d'autre par leur superviseur ou le ministère. C'est l'une des situations où le fait d'avoir un comité de parlementaires — plutôt qu'un comité parlementaire — les désavantage.
M. Goodale : Madame la sénatrice, permettez-moi de demander à M. McCowan, du Bureau du Conseil privé, de vous en dire plus à ce sujet. En ce qui a trait aux protections pour les dénonciateurs de façon générale dans la fonction publique, il y a une loi, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, qui peut s'appliquer dans une telle situation.
M. McCowan : C'est exactement ça. Le projet de loi C-22 ne vise pas à créer un nouveau cadre de dénonciation.
Comme le ministre l'a souligné, il y a une loi actuellement qui couvre la situation que vous décrivez et la façon dont un fonctionnaire doit aborder une telle situation. Avec les deux lois que le ministre a mentionnées et la Loi sur la protection de l'information, il y a un code en place, et il agit comme régime opérationnel si une personne devait se retrouver dans la situation que vous venez de décrire.
La sénatrice Griffin : J'ai un dernier point à soulever.
Le président : Non, je suis désolé. Il faudra attendre à la deuxième série.
Le sénateur Wetston : Un des avantages d'être à la fin d'une série de questions, monsieur le ministre, c'est d'avoir eu l'occasion d'entendre beaucoup de réponses, ce qui a été très utile. Le projet de loi arrive assurément à point nommé, vu la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons chaque jour.
J'ai une question très précise. Je m'intéresse au processus de conception jusqu'à la mise en œuvre. Le concept est bon, la mise en œuvre pourrait être difficile. Je sais que vous avez déjà à l'esprit certains des défis liés à la mise en œuvre que vous rencontrerez peut-être. Pouvez-vous en parler au comité?
M. Goodale : Ils sont importants. Un des défis sera lié à la création de la structure administrative de la nouvelle organisation, de façon à compter sur des talents suffisants, des gens qui sont prêts à s'acquitter de l'importante fonction d'enquête de l'organisation.
Les 11 membres du comité ont sans doute très hâte d'entreprendre le processus, mais ils auront besoin de personnel de soutien. Ils auront besoin d'un secrétariat. Ils auront besoin d'une structure administrative pour les soutenir, parce qu'ils ne pourront pas tout faire seuls, en tant que membres individuels du comité. Un des défis importants tiendra à la mise en place de tout l'appareil nécessaire pour que le comité puisse être efficace.
Un autre important défi administratif consistera à trouver l'espace approprié où fonctionnera le comité, parce que quasiment tout ce qu'il fera au quotidien fera intervenir des renseignements classifiés qu'on ne peut pas tout simplement conserver dans des cahiers d'information divers. Il faudra tout conserver dans un environnement de sécurité.
Le comité britannique, par exemple, possède une salle de réunion sécurisée spéciale. Il en va de même pour les appareils de bureau connexes, afin que les membres puissent faire leur travail très efficacement et aient accès à l'information dès qu'ils en ont besoin. Ils doivent se rendre dans ce bureau et faire leur travail à l'interne entre ces quatre murs, pour s'assurer d'être bien informés tout en s'assurant qu'il n'y ait aucune fuite d'information classifiée.
La troisième chose, c'est que le comité devra cerner lui-même ses principales priorités. Il faudra peut-être pour y arriver regarder très attentivement ce que le commissaire a fait relativement au Centre de la sécurité des télécommunications, ce que fait le CSARS relativement au SCRS et voir s'il y a des dossiers dont la CCETP s'occupe relativement à la GRC qui concernent la sécurité nationale et le renseignement. En outre, le comité devra, à la lumière de tout ce qui précède, déterminer par où il veut commencer.
Quels sont les enjeux les plus importants qui concernent la sécurité nationale et le renseignement ainsi que le droit de savoir du public sur lequel le comité veut se pencher? Ce sera quelque chose d'important afin d'envoyer des signes clairs à l'interne entre les organismes pour indiquer qu'il s'agit d'un groupe de personnes crédibles et sérieuses, et au public, aux Canadiens, afin qu'ils sachent que l'organisation est un ajout utile à notre architecture d'examen et de surveillance.
Ce sont les trois choses qui me semblent être les défis initiaux.
La sénatrice McPhedran : Par une heureuse coïncidence, ma question est liée directement à ce que vous venez de répondre, monsieur le ministre. Ce n'est pas une question particulièrement détaillée, mais j'en reviens toujours à des préoccupations au sujet de l'interprétation de ce qui pourrait être une question portant sur les dispositions de la Charte, concernant la Charte, bien sûr, en prenant en considération votre déclaration préliminaire et en revenant sur ce que la sénatrice Jaffer a dit concernant l'importance du respect des droits garantis par la Charte.
Pouvez-vous m'aider à comprendre un peu mieux ce qu'il en est du secrétariat? Je vais formuler ma préoccupation le plus succinctement possible comme suit : de quelle façon peut-on s'assurer que le secrétariat ne mène pas l'ensemble du processus, que la complexité ou la quantité de renseignements sont telles qu'il y a toutes sortes de décisions à prendre, y compris des décisions au sujet du respect des droits garantis par la Charte? J'aimerais aussi savoir s'il n'y a peut-être pas eu plus de renseignements que vous nous en avez communiqués jusqu'à maintenant au sujet d'un mécanisme de responsabilisation précis qui sera intégré dans la structure prévue.
M. Goodale : Concrètement, madame la sénatrice McPhedran, tout revient au choix des membres du comité. Il ne fait aucun doute que le secrétariat tentera de formuler toutes sortes de conseils et de directives, mais les 11 membres du comité auront le pouvoir de prendre les décisions. Ils devront être vigilants, assidus et proactifs en faisant en sorte qu'il est très clair qu'ils n'ont aucunement l'intention de se satisfaire de la médiocrité.
C'est l'une des choses importantes qui sont ressorties de nos consultations auprès des intervenants du comité britannique. La réussite du Comité des parlementaires sur la sécurité et le renseignement dépendra du rendement et de la détermination de ses membres. C'est utile, ici, de compter sur différents points de vue politiques et des membres des différentes chambres du Parlement parce que les membres pourront se tenir au pas les uns des autres, mais je ne crois pas que quoi que ce soit peut remplacer la participation de membres du comité de haut calibre et de grande qualité.
Le président : Je veux poser une question complémentaire, ici, parce que je crois que c'est très important. La sénatrice McPhedran a soulevé un point important, soit de savoir pour qui travaillera le secrétariat au bout du compte.
Ce qui me préoccupe, dans ce projet de loi, de la façon dont je le comprends, c'est que le secrétariat travaille en fait pour le Bureau du Conseil privé ou pour le premier ministre plutôt que pour le président et les membres du comité dont il relève en ce qui concerne ses tâches et responsabilités.
Pourquoi le secrétariat ne relève-t-il pas du président et du comité, comme cela se fait au Royaume-Uni? Il faut qu'il y ait une distinction des plus claires entre les responsabilités du Conseil privé et du cabinet du premier ministre et celles du comité. Il faut un écart entre ces deux organisations, ce qui fait en sorte que l'information que le comité cherche et dont il a besoin pour faire son travail lui soit apportée de façon indépendante plutôt que de l'être par des voies qui pourraient être, d'une façon ou d'une autre, compromises, peu importe la raison?
La question est la suivante : pourquoi le secrétariat ne relève-t-il pas du comité?
M. Goodale : Au bout du compte, si les membres de ce nouveau comité ne sont pas satisfaits de ce qu'ils obtiennent, ils auront tout à fait le droit de dénoncer ce fait, si vous me passez l'expression, et de faire savoir publiquement qu'ils estiment ne pas être bien servis. Cela constituerait une critique accablante du système de soutien.
Me permettez-vous, au sujet de la structure de tout cela, de demander à M. McCowan d'expliquer les choses sous l'angle de la mécanique du gouvernement?
M. McCowan : Puisqu'il s'agit du pouvoir exécutif, il faut bien qu'il trouve sa place quelque part au sein du gouvernement. S'il ne fait pas partie au bout du compte du portefeuille du premier ministre, cela ne change rien au fait que c'est le comité qui a les deux mains sur le volant et qui pilote le programme.
Comme le ministre l'a indiqué, le secrétariat doit suivre l'orientation du comité pour savoir quelle direction emprunter quand il s'agit des examens du gouvernement.
Le président : Je serais d'avis contraire. Peu importe de qui relève le secrétariat, c'est à cette entité qu'il doit rendre des comptes, et cela se passe de la même manière au Royaume-Uni. À ce que j'en comprends, le secrétariat rend ses comptes au Royaume-Uni et il est une entité distincte; la reddition de comptes est donc clairement établie.
N'ai-je pas raison?
M. McCowan : Je ne sais pas vraiment très bien comment cela se passe chez les Britanniques. Je crois que, concrètement, le ministre a raison. S'il arrivait dans les faits que le secrétariat ne soit pas à l'écoute du comité, la situation dégénérerait rapidement, et le public serait au courant.
En ce qui concerne les détails de l'exemple du Royaume-Uni, nous pourrions bien sûr entreprendre une étude et vous donner plus de détails sur la structure.
La sénatrice McPhedran : J'aimerais faire observer quelque chose. Nous avons beau vouloir apprendre des autres pays, il ne faut pas perdre de vue le fait que le Royaume-Uni n'a pas de charte. Nous devons nous entendre sur le fait qu'il s'agit d'une priorité du Canada et que c'est à nous de faire la lumière. Je me demande toujours quelle place occupe le secrétariat.
M. Goodale : Madame la sénatrice, je comprends ce que vous voulez dire. C'était différent, au départ, au Royaume- Uni, mais c'est aujourd'hui un comité parlementaire; de notre côté, il s'agit d'un comité de parlementaires créé en vertu d'une loi et chargé d'une fonction précise. Les deux pays n'ont pas la même structure.
Comme M. McCowan l'a mentionné, il faut bien placer les services de soutien quelque part, dans l'appareil du gouvernement, et le lieu le plus neutre, c'est le Bureau du Conseil privé, qui relève du portefeuille du premier ministre, et c'est ici que ça s'arrête, comme je l'ai déjà dit. La reddition de comptes, finalement, se fait là.
Comme je l'ai dit quand j'ai commencé à vous répondre, l'essentiel, c'est que les membres de ce comité prennent leur tâche au sérieux. Ces 11 personnes vont assumer une fonction très spéciale et très unique. Par rapport aux 338 personnes qui travaillent à la Chambre et à la centaine de personnes qui travaillent au Sénat, elles sont chargées d'une fonction tout à fait unique et pourront jouer leur rôle avec énergie.
Pour finir, si ces personnes estiment ne pas être bien servies, si elles pensent que cela pourrait contrevenir à la Charte ou que, d'une manière ou d'une autre, elles ne sont pas en mesure d'exécuter leurs tâches pour le compte des Canadiens, elles pourront recourir à ce moyen d'intimidation et placer le gouvernement au pouvoir dans une position très inconfortable. Cet inconfort persistera tant que le problème ne sera pas résolu. Étant donné que les membres du comité ont, en tant que parlementaires, un certain prestige et qu'ils peuvent s'adresser au public, sauf s'il s'agit de renseignements classifiés, ils disposent là d'un outil très utile.
Le président : J'aimerais revenir à ce que M. McCowan a dit touchant l'engagement du secrétariat du Royaume-Uni et son fonctionnement, par comparaison à ce que nous recommandons ici. J'aimerais que cette information soit communiquée rapidement, parce que nous avons l'intention de traiter de tous les aspects du projet de loi.
De mon point de vue de président, je crois qu'il est essentiel de savoir de qui réellement le secrétariat relève et quelles sont ses responsabilités. J'aimerais que cette information soit communiquée.
M. McCowan : Nous vous enverrons un résumé au sujet du fonctionnement au Royaume-Uni et nous allons vous l'envoyer rapidement.
Le président : Monsieur le ministre, nous pourrions vous convoquer de nouveau sur ce même sujet, plus tard, dans quelques semaines, si vous en avez le temps.
J'ai une autre question, si vous me le permettez, et elle concerne la loi en vigueur. On parle de la nomination des membres du comité. Le comité ne doit compter que trois membres qui seront aussi membres du Sénat. Il n'est pas dit qu'il y aura trois membres. Il est dit qu'il pourrait y en avoir un, deux ou trois.
Ma question porte sur cette disposition particulière; je veux que cela soit clair aux fins du projet de loi et pour l'avenir. J'aimerais qu'il soit possible d'apporter un petit amendement pour préciser que le comité sera composé de trois ou de quatre membres, peu importe le nombre.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. Goodale : Monsieur le président, j'ai eu l'occasion il y a quelques semaines de rencontrer les membres du Sénat et de discuter de ce projet de loi d'une façon un peu plus hypothétique; la sénatrice Jaffer avait à cette occasion dit exactement la même chose.
Je serais tout à fait prêt à modifier le libellé pour que notre intention soit claire. Notre intention, c'est que le comité compte onze membres, dont trois représenteraient le Sénat et huit, la Chambre. Les rédacteurs du ministère de la Justice ont dit que cette formulation était correcte, mais s'il y a une meilleure manière de le dire, je suis tout à fait prêt à ce que l'on choisisse une meilleure formulation.
Je crois que l'on essaie d'éviter que quelqu'un puisse croire que le comité ne peut pas fonctionner si un poste est vacant, à un moment donné, si un des membres de la Chambre démissionne, décède ou déménage, et que, en conséquence, la Chambre ne soit représentée que par sept personnes plutôt que par huit, ou encore si un des membres du Sénat est incapable de siéger et ne fait plus dans les faits partie du comité, de sorte que le Sénat n'est plus représenté que par deux personnes plutôt que par trois.
Est-ce que cela empêcherait le comité de fonctionner? Est-ce que cela aurait une incidence sur le quorum à une réunion particulière? Les rédacteurs essaient d'éviter d'affirmer que le comité ne peut pas fonctionner s'il n'y a pas huit personnes et trois personnes. Quand on dit « jusqu'à », c'est pour laisser une certaine marge de manœuvre, mais notre intention, monsieur le sénateur, c'est que le comité compte huit et trois personnes.
Nous pourrions peut-être trouver une autre formulation mieux adaptée pour éviter les écueils, pour éviter de dire que le comité ne peut pas fonctionner si, à un moment donné, il n'y a que sept ou deux représentants. S'il y a une meilleure manière de faire comprendre ces termes juridiques, je suis bien sûr tout à fait ouvert à ce que l'on change les termes.
Le président : Nous avons pris plus de temps que nous n'en avions. Il semble que certains problèmes techniques nous empêchent d'entendre notre prochain témoin, qui doit comparaître par vidéo. Nous allons poursuivre aussi longtemps que nous le pourrons.
La sénatrice Lankin : J'aimerais revenir sur la question de l'accès à l'information. Il y a deux volets. Premièrement, j'ai bien écouté votre réponse au sujet du pouvoir d'assignation. La situation que vous cherchez à éviter est celle où il y a un conflit opérationnel, où le comité désire entendre une personne qui a réuni des éléments de preuve et où le comité estime qu'il est pertinent de la convoquer. Mais cette personne participe à une opération de première ligne et, si elle devait comparaître, cette comparution mettrait en péril l'opération. On peut le comprendre.
Par ailleurs, j'aimerais revenir sur l'expérience de ce service, l'expérience des plaintes, car il n'est pas rare que la personne avec laquelle vous voulez vraiment parler ne soit pas disponible. Vous avez parfois l'affreuse impression qu'on vous met les bâtons dans les roues. Je me pose des questions à ce sujet, et j'aimerais savoir si vous seriez ouvert à ce que l'on cherche un moyen d'éliminer cet obstacle. Cela pourrait avoir trait aux protocoles dont vous avez parlé, monsieur le ministre, mais j'aimerais savoir si le comité ne dispose pas d'un pouvoir un peu plus fort.
Ensuite, vous avez parlé du site sécurisé où les documents seraient conservés et du site où travaillerait le secrétariat. Bien sûr, les autres organismes d'examen procèdent de la même manière. Vous entrez dans l'édifice et vous devez passer les barrières de sécurité pour pouvoir examiner des documents. C'est là que les documents se trouvent. Vous ne pouvez pas les emporter, et j'imagine cela ne changerait pas.
Je lis le projet de loi en m'intéressant au rôle du secrétariat, et je vois que, selon la définition, le comité a tous les pouvoirs nécessaires quant à ce qu'il peut voir. Il semble que le comité doit demander. Mais je n'arrive pas à comprendre comment le comité peut demander à voir certains documents s'il ne sait pas ce qu'il y trouvera?
Prenons par exemple le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité; les analystes de recherche ont accès à tous les documents, à tout ce que détient le SCRC, à l'exception des documents confidentiels du Cabinet. Le personnel n'a qu'à s'asseoir devant les ordinateurs. Nous avons même eu, à un moment donné, un ordinateur compatible qu'il suffisait de brancher pour faire des recherches dans toutes les bases de données du service.
Pensez-vous que ce secrétariat pourrait avoir le même genre de relation? La loi ne semble pas l'exiger. Comment savez-vous ce que vous voulez voir si vous ne pouvez pas accéder aux bases de données et faire des recherches pour trouver le type d'information qu'il serait pertinent de présenter au comité en place?
M. Goodale : Madame la sénatrice, exception faite de ce que la loi mentionne précisément, l'intention, c'est que ce comité ait accès à tout le reste.
Le libellé, en particulier vu les modifications élaborées par la Chambre, a fait en sorte que ce comité a un mandat bien plus large que la plupart des autres comités d'autres pays et que les exceptions sont très précisément définies.
Dans ce cadre, le comité aura accès à tout le reste. Le comité doit préciser quels documents il veut voir, en présenter la demande, puis ce sera au ministre de répondre.
Parlons franchement; j'aurais tendance à croire que les ministres prendraient des mesures extraordinaires pour s'assurer que ce nouveau comité de parlementaires n'a pas lieu de se plaindre d'eux. Si un comité de parlementaires se plaignait d'eux, disant qu'ils ne sont pas prêts à l'aider, la critique serait assez terrible, pour n'importe quel ministre. Il faudrait que la situation le justifie vraiment.
La sénatrice Lankin : Vous dites qu'il se peut que, grâce à des protocoles sur l'échange d'information, le personnel du secrétariat pourrait avoir tout l'accès voulu au service ou à la GRC.
M. Goodale : Il pourrait y avoir un problème de chevauchement avec le CSARS ou avec le commissariat, selon l'organisme dont on parle. Il y a dans la loi une disposition qui prévoit que, dès le départ, le comité et les organismes d'examen existants s'entendront, dans le cadre prévu par la loi, sur un processus d'échange d'information. Les parties s'assureraient de bien pallier tous les problèmes et, dans la mesure du possible, d'éviter les chevauchements, ce qui ne serait pas une manière efficace d'utiliser les ressources.
Toutefois, je crois que nous devrions nous attendre à ce que le nouveau comité et les organes d'examen en question prennent très rapidement un arrangement commode comme celui-là en ce qui concerne leur collaboration. Si un problème se pose, s'il apparaît qu'une orientation plus précise est requise, nous pourrions y revenir au moment de réévaluer la loi, si le niveau de collaboration n'est pas à la hauteur de nos attentes, si la collaboration n'est pas claire ou aussi efficace qu'elle devrait l'être.
La sénatrice Griffin : J'aimerais demander un éclaircissement. Pour en revenir à mon dénonciateur, par rapport à la situation ordinaire, où un dénonciateur est protégé par les mesures de protection habituelles de la fonction publique, la différence, c'est que vous pouvez avoir affaire à des informations classifiées. La situation est différente. À ce moment- là, l'individu en question risque d'être accusé en application de la Loi sur la protection de l'information.
Cela me ramène donc à ce que je disais : j'aimerais vraiment beaucoup que ces personnes soient protégées par le privilège parlementaire. Vous n'avez pas besoin de répondre; je voulais tout simplement le souligner.
M. McCowan : Comme je l'ai dit plus tôt, si j'ai bien compris, il n'y a rien de nouveau dans ce projet de loi-là en ce qui concerne les dénonciateurs. S'il y a des dispositions plus complètes ailleurs, dans les deux lois dont le ministre a parlé, c'est une chose, mais je ne crois pas pouvoir dire quoi que ce soit d'autre à ce sujet.
Le président : J'aimerais que ce soit clair; je crois que ce que nous essayons de comprendre, c'est la situation des personnes qui font affaire avec des renseignements classifiés. Comment est-ce que c'est lié aux lois en place, qui protègent les dénonciateurs, et aux cas où votre champ de responsabilité suppose la plus grande confidentialité? Est-ce bien cela, sénatrice Griffin?
La sénatrice Griffin : Oui, c'est cela. Ces personnes pourraient être accusées en application de la Loi sur la protection de l'information, ce qui n'est pas agréable du tout.
M. McCowan : Si j'ai bien compris, le projet de loi propose une approche, un protocole que les fonctionnaires doivent suivre s'ils se retrouvent dans une telle situation. Ce protocole définit bel et bien les cas où des renseignements confidentiels sont en jeu. En fait, ces lois prévoient un cadre, et c'est le cadre de référence.
M. Goodale : S'ils décident d'envoyer une enveloppe brune aux médias, cela poserait un problème. S'ils décident de mettre au courant le comité de parlementaires, ils procèdent de la bonne façon.
M. McCowan : Je crois que les lois proposent un cadre selon lequel il faut d'abord agir à l'interne. Je n'ai pas le texte de loi sous les yeux, et je me contenterai de dire, tout simplement, qu'il existe un cadre applicable en la matière.
M. Goodale : Nous essaierons d'obtenir davantage d'explications de la sénatrice Griffin.
Le président : Chers collègues, nous avons dépassé les délais. J'aimerais remercier le ministre de sa patience et de sa disponibilité au moment de discuter avec nous de ce projet de loi si important. J'aimerais aussi remercier le personnel d'être venu.
Nous recevons maintenant deux anciens membres de notre comité. Le sénateur Hugh Segal est avec nous, aujourd'hui, et nous espérons que le sénateur Roméo Dallaire pourra discuter avec nous par vidéoconférence au cours de l'heure qui suit.
Bon retour parmi nous, monsieur le sénateur. Je sais que ce dossier a occupé une grande place dans ses responsabilités sénatoriales, tout au long de son mandat de sénateur, et je sais qu'il doit être heureux que ce dossier fasse l'objet d'un débat public.
Je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire, monsieur le sénateur. Vous pouvez y aller.
[Français]
L'honorable Hugh Segal, ancien sénateur, à titre personnel : J'aimerais remercier les membres du comité de m'avoir invité à discuter de cette question importante, soit le projet de loi C-22. Votre travail aujourd'hui n'est pas seulement très important, mais aussi historique.
[Traduction]
Si je mentionne l'importance et le caractère historique de votre travail, c'est parce que, contrairement à d'autres comités parlementaires, qui sont créés par une motion approuvée par le Sénat ou par l'autre endroit, on vous demande de discuter d'un comité spécial de parlementaires, une chose inédite dans l'histoire du Canada. Il aura le mandat exigeant et essentiel d'assurer la surveillance des services nationaux de la sécurité et du renseignement du Canada.
Le Canada est le seul grand pays de l'OTAN et du Groupe des cinq qui n'a pas de comité de ce genre. Bien sûr, aucun projet de loi n'est jamais parfait, et les lois peuvent et doivent être améliorées au fil du temps, mais quand on prend un nouveau départ, surtout pour une aventure comme celle qu'on vous propose aujourd'hui, il faut bien fixer une date. Le plus long voyage commence toujours par un premier pas.
Dieu nous préserve des tragiques événements terroristes comme celui qui s'est produit à Manchester; s'il s'était produit au Canada, le comité de parlementaires proposé, dont vous êtes en train d'étudier le statut, aurait permis aux parlementaires canadiens de rencontrer de hauts responsables des services du renseignement et des services de police pour leur demander s'ils étaient au courant, depuis quand ils étaient au courant, depuis combien de temps ils surveillaient le kamikaze et ce qu'ils avaient fait avec l'information dont ils disposaient.
S'il y avait des lacunes dans le processus conjoint de planification ou d'échange d'information, s'il fallait apporter des changements pour empêcher que ces lacunes se présentent de nouveau, le comité que l'on vous propose pourrait produire un rapport provisoire qui serait d'abord envoyé directement au premier ministre du Canada puis, rapidement, au Parlement et au peuple du Canada. Il ne s'agit pas ici, mesdames et messieurs, tout simplement d'un processus; il s'agit d'obtenir de meilleurs résultats et d'augmenter la sécurité des Canadiens.
En outre, pendant les audiences, les directeurs des agences et des services pourraient communiquer de véritables renseignements aux parlementaires ayant une habilitation de sécurité, désignés par le premier ministre, plutôt que de leur fournir des renseignements dilués, étant donné que leur propre habilitation de sécurité les empêchait auparavant de fournir ce type de renseignements, comme le comité l'a souvent vécu, au fil des ans, lorsque des membres distingués de l'armée et d'autres services de sécurité n'étaient tout simplement pas autorisés à transmettre ces renseignements étant donné qu'ils n'avaient pas le même niveau d'habilitation de sécurité que les membres du comité.
C'est souvent ainsi que cela se passe lorsque de hauts fonctionnaires comparaissent devant des comités parlementaires ordinaires. Les fonctionnaires sont liés par le serment du secret et ne peuvent pas communiquer des renseignements qui, s'ils étaient divulgués délibérément ou autrement, pourraient trahir leur devoir sacré de protéger la sécurité du pays et de tous les Canadiens.
Il y a quelques dizaines d'années, lorsque j'avais le grand privilège d'être le chef de cabinet du premier ministre, je détenais une cote de sécurité très élevée, et mon devoir, en ce qui concerne le secret, la sécurité nationale et la non- divulgation, était très clair et très précis.
[Français]
La proposition centrale est l'idée de l'équilibre entre la surveillance parlementaire et la protection de la sécurité nationale. À mon avis, cet équilibre est bien respecté dans ce projet de loi que vous examinez aujourd'hui. Le principe d'équilibre est essentiel à ce nouvel instrument de contrôle de notre sécurité nationale.
[Traduction]
Il y a des nouveautés importantes dans ce projet de loi. Le fait que ce nouveau comité de parlementaires pourra lui-même déterminer son programme relativement à l'ensemble du gouvernement, c'est une nouveauté et c'est du jamais vu parmi nos partenaires de l'OTAN. Le fait que des dossiers liés au renseignement et à la sécurité, s'appliquant en matières civiles, militaires et de protection de la frontière, pourront être examinés et surveillés par le comité; le fait qu'il y aura un mécanisme administratif et de soutien suffisamment financé, qui relèvera en bonne partie, je crois, du comité lui-même, lequel pourra se procurer l'expérience approfondie et l'expertise nécessaires; et le fait que d'autres organes d'examen extérieurs au Parlement, comme le CSARS, pourront communiquer certains documents au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : voilà autant d'importantes premières pour nos parlementaires, et elles constituent un changement historique pour le Canada.
Si je pouvais me permettre de vous faire des suggestions, pour votre étude, je vous recommanderais de désigner un vice-président du comité et de le choisir parmi les sénateurs. Quand vous présenterez votre rapport au Sénat, quand vous lui soumettrez vos observations, vous pourriez également lui exposer votre opinion quant aux règlements qu'il faudra adopter pour rendre ce nouveau comité opérationnel, et ce, le plus rapidement possible.
Un libellé qui serait flou plutôt que directif, en ce qui concerne l'ajout d'un sénateur, serait peut-être une solution constructive si l'on veut assurer un meilleur équilibre, que j'appuie sans réserve, en évitant la complexité liée à la recommandation royale et tout ce que cela veut dire pour les projets de loi que vous présentez à l'autre endroit.
Le privilège parlementaire, que nous sommes obligés de laisser tomber dans le cas du nouveau comité, pour respecter le secret nécessaire de façon que les séances à huis clos puissent être productives et que les organismes de sécurité puissent réellement se faire confiance les uns les autres... Le nouveau comité n'est pas, à mon avis, un prix trop élevé à payer pour respecter le principe de la surveillance parlementaire. Si les membres du comité ne renoncent pas au privilège parlementaire, il ne pourra pas y avoir un échange libre et ouvert de renseignements essentiels, et les parlementaires y ont droit. On pense que le privilège ne s'étend pas à la protection de ces renseignements particuliers; à mon avis, avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas un prix trop élevé à payer.
Au bout du compte, l'application des mesures de protection de la sécurité nationale, à l'échelon fédéral, relève du gouvernement en place et, plus précisément, du premier ministre en place, peu importe le parti politique au pouvoir. Un comité spécial des parlementaires devra être lié par toutes les dispositions relatives au secret et au respect de la sécurité nationale, tout comme les fonctionnaires de l'organe exécutif le font, dans leur organisme respectif, lorsqu'ils s'occupent de la protection de notre sécurité nationale pour le compte de tous ceux qui pourraient comparaître devant le comité.
Il faudrait demander au ministre de la Sécurité publique de dire clairement que le gouvernement en place n'autoriserait pas les dirigeants des différents organismes qui sont invités à témoigner à refuser de le faire sans raison; cela donnerait plus de portée et d'étendue au travail du comité.
Par définition, du moins selon la définition que j'ai toujours proposée, la sécurité nationale, dans une démocratie, la sécurité nationale défendue par diverses entités de l'État, des ministères, des organismes, des lois et des règlements, des organismes d'analyse, du renseignement, de prévention, des services de police, en collaboration avec des entités de nos alliés démocratiques, ne vise pas uniquement à protéger les Canadiens de l'intimidation, des préjudices physiques, des menaces, de la subversion ou de la violence : elle vise à protéger la liberté de vivre à l'abri de la peur, fondamentale à l'existence d'une démocratie.
L'une des deux libertés énoncées dans la Charte de l'Atlantique, signée par MM. Churchill et Roosevelt, au large de Terre-Neuve, en août 1941, c'est-à-dire il y a environ 75 ans... Ces libertés, qui comprennent la liberté de vivre à l'abri du besoin, s'appliquaient à la démocratie et aux débouchés économiques qu'elle assurait, en en faisant la base du monde libre de l'après-guerre.
La protection de la démocratie est le but essentiel de la sécurité nationale dans un pays démocratique. On ne peut pas respecter cet engagement sans donner aux parlementaires des pouvoirs démocratiques de surveillance de tous les instruments de sécurité nationale du pays. Et c'est ce que fait le projet de loi C-22, une première dans l'histoire du Canada, et c'est pourquoi je répète qu'il est très important. Je vous prierais d'examiner ce projet de loi le plus favorablement possible. Comme l'avait dit le premier ministre Mulroney lorsque son gouvernement négociait les accords de libre-échange avec les États-Unis, il ne faut pas oublier que le mieux est l'ennemi du bien.
Le projet de loi C-22 n'est pas parfait, mais si nous le repoussons toujours en espérant arriver à la perfection, nous pourrions mettre en péril tout le projet, pour lequel le gouvernement en place a fait campagne, dans le cadre d'élections ouvertes, et pour lequel il a reçu un mandat démocratique clair. Je serai heureux de répondre à vos questions, si vous en avez, ou à vos attaques personnelles, le cas échéant.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Je vois le sénateur Dallaire sur l'écran, par vidéoconférence. Je suis désolé que nous ayons commencé un peu en retard. Je vous demanderais à tous de ne poser que de courtes questions et de répondre brièvement, de façon à ce que notre temps soit le mieux utilisé possible.
Sénateur Dallaire, je crois que vous avez des déclarations préliminaires à faire.
Lieutenant-général (à la retraite) l'honorable Roméo Dallaire, ancien sénateur, à titre personnel : Je vais m'efforcer d'être bref, monsieur le président, mais ce n'est pas l'un de mes points forts.
Mesdames et messieurs, membres du comité et du Sénat, chers collègues; j'aimerais appuyer ce que le sénateur Segal vient de dire, du point de vue d'un praticien, sur l'absence d'outils qui permettraient à mon avis de donner aux membres du comité et, au bout du compte, au gouvernement, un niveau d'analyse approprié des situations qui peuvent réellement menacer notre pays.
Nous nous sommes éloignés de la guerre froide, des scénarios presque simplistes d'un monde bipolaire eurocentrique dans lequel les processus bien établis par John le Carré et le reste de la bande qu'on connaît bien s'appliquaient en fait à la sécurité des deux côtés.
Dans les années 1990, nous nous sommes retrouvés à une époque où l'ambiguïté et la complexité étaient énormes dans les divers domaines allant des forces de sécurité en tant que telles jusqu'à l'abus du partage des pouvoirs entre les groupes ethniques et même religieux, en passant par l'économie et la culture. Nous avons vu un certain nombre de pays imploser. Nous avons observé des violations massives des droits de la personne qui ont été perpétrées dans des pays, mais qui ont aussi traversé des frontières. Nous sommes à une époque où, en fait, nous sommes presque sans frontières, car notre propre pays fait face à des menaces attribuables au recrutement par des organisations extrêmement violentes de nos jeunes, au pays.
La sécurité de notre pays est fondée sur le principe très solide du fait de savoir ce qui se passe ou sur sa capacité au chapitre du renseignement. Il s'agit du cadre en fonction duquel toute décision opérationnelle peut être prise par tout organisme, et, certainement, au bout du compte, par le gouvernement, dans le but d'avoir une idée des problèmes qui existent et de ce qu'on peut faire pour les régler.
Par nature, les organismes de renseignement sont très reclus et très protecteurs. Même s'ils font preuve de solidité dans leur analyse et dans leur collecte de renseignements, ils sont extrêmement faibles pour ce qui est de diffuser cette information, même à l'interne, dans leur propre organisation, et la situation est encore pire lorsqu'ils veulent diffuser ou transmettre cette information à des organisations sœurs situées dans le même pays ou à des alliés.
Nous sommes dans une situation où il y a même des corps policiers et des forces militaires dans des théâtres d'opérations qui ne se font pas confiance parce qu'ils ne sont pas certains que leurs sources seront protégées et qu'ils pourront appliquer les bonnes décisions.
Je déclare tout cela parce que, si nous n'avons aucun organisme pour surveiller et superviser la multitude d'organismes de collecte de renseignements que nous possédons au pays et que possèdent tous les pays modernes, et pour en faire le suivi et leur fournir des consignes, nous allons avoir des lacunes. Nous allons observer des interprétations qui se contredisent, sans que nous puissions régler les problèmes, car nous ne possédons aucun outil pour le faire, sauf d'un point de vue ministériel.
Je soutiendrais que, dans ce contexte, l'exécutif ne fait pas preuve de l'engagement fondamental qui, selon moi, serait essentiel pour que nous puissions finir par prendre les bonnes décisions, de la bonne manière et en temps opportun. Le comité — ce comité incroyablement essentiel — est une bête noire depuis le jour où je suis devenu vice- président du comité de la défense et même président du comité des anciens combattants.
Mesdames et messieurs mes collègues du Sénat, en ma qualité de général à trois étoiles, je disposais d'une cote de sécurité qui faisait en sorte que les conditions d'exercice de mon mandat étaient, selon moi, sécuritaires, mais, dès que je suis entré dans le Sénat et que je suis arrivé au comité, je suis devenu aveugle et n'avais aucune perception profonde des scénarios extrêmement complexes auxquels on faisait face au moment de donner des consignes et d'adresser des recommandations au gouvernement, et encore moins au moment d'influer sur les lois. À mes yeux, il était tout à fait illogique que l'on ne puisse pas étudier la question en profondeur, au-delà des éléments stratégiques génériques, pour être en mesure de tenir les gens responsables, mais aussi d'obtenir les renseignements appropriés afin de prendre les bonnes décisions et d'adresser les bonnes recommandations au gouvernement.
Nous ne pouvons pas tenir les parlementaires dans l'obscurité, dans ce domaine dont la complexité et l'ambiguïté sont énormes, où nous ne savons pas de quelle direction ou de quelle source les menaces peuvent provenir. Nous n'avons pas de capacité intégrée, d'instrument permettant d'intégrer le renseignement et de tenir les organismes de renseignement responsables si ces menaces se concrétisaient un jour.
Selon moi, le fait de s'appuyer sur les commissions actuelles et d'assurer ce contournement des capacités par les parlementaires constitue la position la plus efficiente, mais aussi la plus responsable, que puisse adopter le gouvernement à l'égard de son peuple en garantissant que même les politiques fondées sur le renseignement seront coordonnées et mises à contribution dans le but de fournir des solutions à la situation complexe à laquelle nous faisons face au moment de décider comment déplacer nos ressources et, au bout du compte, de sauver des vies, y compris celles de personnes qui servent outre-mer, dans des théâtres d'opérations.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur le sénateur. Comme je l'ai dit au début, notre temps s'est écoulé dans une certaine mesure, alors je demanderais que les questions, de même que leur préambule, soient brèves et concises. Je demanderais sincèrement à mes anciens collègues, les sénateurs Segal et Dallaire, de donner des réponses brèves afin que tous les membres aient l'occasion de poser leurs questions et que nous obtenions les renseignements nécessaires aux fins du compte rendu.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, messieurs les sénateurs Dallaire et Segal, du travail que vous faites à l'égard de cet enjeu depuis de très nombreuses années et de comparaître aujourd'hui.
Comme vous le savez, un énorme défi tient au fait que nous avons établi un équilibre au chapitre de notre surveillance des organismes de renseignement et que nous faisons la promotion de la protection des libertés civiles canadiennes, des libertés essentielles et des renseignements personnels, conformément à notre Charte canadienne des droits et libertés.
De nombreuses personnes croient que l'article 8 devrait être modifié de manière à prévoir explicitement que le mandat du comité comprend l'examen des activités nationales de sécurité et de renseignement afin d'assurer leur conformité avec les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Je vous ai tous les deux entendu dire qu'il n'est pas parfait. Je ne veux pas parler pour vous, mais je crois savoir que, ce que vous dites, c'est : « Commençons par ceci, puis nous pourrons envisager la modification. »
Les collectivités que je représente craignent que ce ne soit pas suffisant. Le comité comprendra-t-il que le mandat est fondé sur notre Charte des droits et libertés? J'aimerais vous entendre tous les deux formuler un commentaire à ce sujet.
M. Segal : Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir posé cette question très importante. S'il est établi, il s'agira d'un comité qui créera une nouvelle source de tension à l'intérieur du gouvernement du Canada, dans le cadre de ses activités. Dans une certaine mesure, cette tension reflétera précisément les éléments que vous venez tout juste de soulever, soit la présomption d'innocence, la Charte des droits et libertés, des principes fondamentaux très importants et la protection de notre sécurité nationale.
Même si la recommandation que vous avez proposée en ce qui concerne l'article 8 est extrêmement justifiée, de mon point de vue, tout comité nommé par le premier ministre, qui reflète les talents et les ensembles de compétences des deux Chambres, comportera des membres qui partageront ces points de vue et les appliqueront de façon distincte, sans qu'il soit nécessaire qu'une loi les encourage à le faire. Voilà ce à quoi les Canadiens ont le droit de s'attendre, selon moi.
Lgén Dallaire : J'affirmerais, madame la sénatrice, que cette surveillance parlementaire va en fait prévenir le travail à la pige et va empêcher tout organisme d'aller dans des directions qui pourraient contrevenir aux droits de la personne et aux responsabilités prévus dans la Charte. Cet organisme pourrait être tenu responsable pendant qu'il le fait, en temps réel, puisque les comités qui existent actuellement sont des comités après-coup. Ils ne peuvent pas aller au cœur du volet opérationnel et n'ont pas d'incidence sur la bataille, si je puis employer le terme. Ainsi, ces divers organismes peuvent être tenus responsables. Ce faisant, on obtient une réponse beaucoup plus directe et immédiate que celles que nous avons pu donner à quiconque dans le passé.
Le président : Chers collègues, nous allons vous limiter à une question parce que notre liste de sénateurs qui veulent poser des questions est longue. Vous aurez le droit de poser une question, puis nous allons devoir passer au prochain sénateur.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Premièrement, je tiens à souhaiter la bienvenue à mes deux ex-collègues. Ça a été un plaisir pour moi de travailler avec eux.
En raison de l'importance des sujets traités, ce comité parlementaire devrait continuer à fonctionner lorsque le Parlement est dissous. Est-ce que la formule, composée de huit députés et de trois sénateurs, est la meilleure? Comment éviter le vide qui pourrait se créer compte tenu du nombre de députés qui risquent de ne pas revenir après une élection? Selon votre vaste expérience, auriez-vous une suggestion pour éviter le vide qu'une élection pourrait entraîner au sein de ce comité?
M. Segal : Dans le comité britannique, il existe un fort équilibre entre la Chambre des lords et la Chambre des communes, ce qui souligne le principe vous venez de mentionner. Au cours de la première année de fonctionnement du comité, il y aura beaucoup de questions liées au déclenchement d'une élection, et nous nous demanderons comment poursuivre les travaux du comité. Nous avons maintenant une loi qui nous donne une réponse, mais il faudra trouver une façon de poursuivre nos travaux.
Dans le cas où le gouvernement souhaite conserver sa crédibilité quant à l'importance de ce comité, il trouvera des solutions positives. Sans cela, ce comité ne sera pas traité de façon sérieuse. À mon avis, l'engagement actuel du gouvernement est tout à fait sérieux.
Lgén Dallaire : Sénateur Dagenais, je dirais que le modèle de continuité demeure dans les mains des sénateurs et du secrétariat qui sera établi et qui travaillera dans l'ombre durant cette période de changement de gouvernement. Dans un tel contexte, le risque sera évalué avant que l'élection ait lieu et le comité pourra reprendre par la suite.
J'aimerais en effet qu'il existe un meilleur équilibre. Par contre, je crois que la continuité mise en place est raisonnable dans le contexte actuel.
La sénatrice Saint-Germain : Sénateur Dallaire et sénateur Segal, vous avez tous les deux une expérience interne de la gouvernance publique. Notamment, général Dallaire, vous avez une expérience très vaste et très connue au sein des forces armées.
J'ai une préoccupation liée à l'inégalité des pouvoirs. On sait qu'en matière de sécurité nationale, on fonctionne beaucoup en silos. Ce n'est pas nécessairement propre au Canada, mais c'est ce qu'on constate. Les membres du comité auront un accès encadré à l'information, un accès moindre que les membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et que le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. D'autre part, ils n'auront pas le pouvoir d'assigner et donc pas de pouvoir en matière d'assignation à comparaître.
Comment, à partir de votre expérience, croyez-vous que cette réalité dans la loi puisse être contrée? Est-ce qu'un amendement serait nécessaire? Quelles sont les autres voies possibles pour établir un certain équilibre des forces à l'intérieur du comité dans son accès à l'information essentielle?
M. Segal : À mon avis, je ne trouve pas qu'un amendement soit la meilleure façon de protéger une certaine égalité de pouvoir. La meilleure façon de la protéger, c'est d'avoir un comité qui indique, au départ, sa volonté de créer une certaine égalité entre les forces au sein du gouvernement. En effet, les pouvoirs du comité seront toujours axés sur la protection de l'intérêt public par cette inclinaison directe. Cela créera une tension et une pression sur le gouvernement du jour. La réponse sera-t-elle positive de sa part? Rejettera-t-il cette idée d'égalité des forces? Comme le ministre l'a indiqué, le problème pour un gouvernement qui rejette tout, c'est que cela entachera sa crédibilité.
Selon moi, il faut commencer avec une loi qui offre au moins une plateforme, et il faut établir un esprit de confiance entre les membres du comité afin qu'ils puissent travailler à refléter les devoirs et les valeurs démocratiques du Canada.
Lgén Dallaire : Les commissions existantes sont très pointues dans leurs pouvoirs et elles travaillent avec des données désuètes pour produire leurs rapports. Dans le monde du renseignement, ce ne sont pas ces entités qui pourront donner ce portrait essentiel qui devra être corroboré avant la prise de décisions fondamentales. Il s'agit d'un ensemble de sources, et ce comité fera l'envie de toutes les organisations du renseignement, car il aura accès à de nombreuses sources d'information.
Autrement, les ministères y répondront, mais peut-être que la citation à comparaître serait quelque chose à envisager. Cependant, on a vu que les Britanniques n'en ont pas eu besoin, et ils fonctionnent ainsi depuis fort longtemps. Enfin, je dirais que le comité sera d'autant plus utile à répondre aux besoins que ces commissions qui sont beaucoup trop limitées dans leurs capacités.
[Traduction]
Le sénateur White : Merci à vous deux. Manifestement, la retraite vous donne meilleure mine. Heureux de vous voir comparaître tous les deux aujourd'hui.
Ma question concerne l'accès à l'information. Je me demande si vous croyez ou non que cela permettra au comité proposé d'accéder à l'information requise, comparativement à certains des organismes de surveillance qui, je le soutiendrais, ont davantage accès à l'information que ce comité.
L'un d'entre vous a-t-il des recommandations à formuler concernant les modifications qui pourraient être requises ou le fait que vous croyez ou non qu'il y a là suffisamment d'information?
M. Segal : Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette question. Je ne pense pas que le projet de loi contienne quoi que ce soit qui limite la capacité du comité envisagé dans la loi — le projet de loi C-22 — de prendre des mesures très dynamiques relativement à ce qu'il a besoin de voir et de se faire communiquer pour faire son travail. Comme le sait la sénatrice Lankin de sa vaste expérience au CSARS, les autres organismes auxquels vous faites allusion sont des organismes d'examen qui reviennent souvent sur des événements et sur ce qui en est ressorti pour rendre des comptes adéquatement afin qu'on puisse déterminer si la primauté du droit, les droits de la personne et la Charte ont été respectés, ce qui est une fonction très importante.
Je dois dire que, dès le début, j'ai toujours pensé que le projet de loi concerne ce que nous faisons maintenant au sujet de l'avenir de notre sécurité nationale. Quels sont les plans? Quelles sont les stratégies? Quels sont les budgets? Quelles sont les capacités? Quelles sont les sources d'information dont nous avons besoin?
Dans ce contexte, à mon avis, le comité a une possibilité très claire. Sans être présomptueux, j'affirmerais qu'il a pour responsabilité de formuler, en s'appuyant sur une très vaste quantité de renseignements, ceux dont il aura besoin pour parvenir à ces conclusions aux fins du rapport qu'il présentera de temps en temps au Parlement par l'entremise du premier ministre ainsi qu'au public canadien.
Je soutiendrais que le fait que l'AI — ou l'accès à l'information — est adopté ou non en tant qu'élément fonctionnel à tous les échelons est intéressant, mais n'est pas pertinent par rapport au travail du comité.
Lgén Dallaire : Je tiens les mêmes propos que le sénateur Segal. J'ai beaucoup réfléchi, par exemple, à l'armée et aux opérations menées sur le terrain par les autres organismes et l'armée, ainsi qu'à notre capacité d'envisager la planification pour l'avenir. Ce qu'on cherche à déterminer, c'est la façon dont nous allons être efficaces dans l'avenir pour ce qui est de prévoir ce qui nous attend et de limiter proactivement les dégâts ou, nous l'espérons, d'empêcher la situation de se produire.
Oui, j'ai cédé à l'argument selon lequel, lorsque les gens sont sur le terrain et courent un risque important pour leur vie, il y a des limites dont il faut tenir compte, surtout si beaucoup d'opérations spéciales sont en cours.
Les paramètres prévus dans l'article relatif à cette dimension me semblaient être raisonnables. L'article garantirait que nous obtiendrions suffisamment d'information sans avoir à demander un accès aux renseignements, ce qui, en soi, comporte des limites quant à la capacité d'obtenir une réponse en temps opportun.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question fait suite à celle de la sénatrice Saint-Germain au sujet de la gouvernance. Jusqu'à maintenant, de tous les témoins que j'ai entendus lors des réunions des comités auxquelles j'ai assisté dans le cadre de l'étude de nouveaux projets de loi, vous êtes le seul à avoir parlé de gouvernance.
Vous avez parlé de réglementation en vue de l'encadrement de ce projet de loi; la réglementation signifie tout l'encadrement et toutes les réponses aux inquiétudes souvent soulevées par des articles de loi qui ne sont pas suffisamment élaborés. Quels sont les secteurs ou les paramètres pour lesquels vous entrevoyez ce genre de réglementation qui permettrait, justement, de répondre aux préoccupations quant à l'accès et à la quantité d'information à recevoir?
M. Segal : Je vous remercie de votre question. Je dirais, respectueusement, que la création d'une réglementation détaillée par un sous-comité du gouvernement ou du Conseil privé est une chose, mais que l'établissement des principes fondamentaux qui doivent gouverner ces réglementations, soit les principes qui ont déjà fait l'objet de vos discussions, reste l'une des options à privilégier à titre de membres de ce comité.
J'espère que vous aurez l'occasion d'inscrire, dans la section des observations de votre rapport qui sera présenté au Sénat avant l'étape de la troisième lecture du projet de loi, des observations assez détaillées en ce qui concerne la réglementation et les principes fondateurs qui doivent être respectés. Cela pourrait, à mon avis, servir d'instrument directif pour le gouvernement.
Je viens d'entendre le ministre dire que la mise sur pied de l'agence pourrait être difficile. S'il ne respecte pas les principes soulignés par ce comité en toute bonne foi, son travail pourrait même être encore plus difficile. C'est l'occasion pour le gouvernement et pour ce comité de souligner les principes concernant les détails, les opérations et l'encadrement qui devront être respectés par le gouvernement présent.
Lgén Dallaire : Cette agence devra passer par un processus d'apprentissage des réglementations et des projets de loi existants pour déterminer la façon de s'adapter à cette capacité de faire appel à tous les canaux individuels, afin que ces gens aient une certaine protection pour faire leur travail. Il y aura donc, selon moi, une évolution de la réglementation qui se fera et qui nécessitera une clarification de la part du gouvernement afin d'aider les différents organismes à respecter la nature de la loi, ce qui permettra d'agir selon des règlements qui fonctionnent et non pas des règlements qui pourraient, au contraire, être restrictifs et, ultimement, empêcher le comité d'agir. Donc la mise sur pied vous revient, mais je crois qu'un apprentissage devra se faire quant à la façon d'apporter des éléments de solution dans un avenir qui, selon moi, n'est pas tellement éloigné.
[Traduction]
M. Segal : J'ai seulement un petit élément à ajouter, si je le puis. Il y a une histoire merveilleuse au sujet de M. Churchill, qui siégeait à la Chambre des communes; un député nouvellement élu est allé le voir, a regardé de l'autre côté et a dit : « Voici l'ennemi », et Churchill a répliqué : « Non, non, non, il s'agit de votre adversaire. L'ennemi est assis juste derrière vous. »
Si vous choisissez d'établir les principes en fonction de la réglementation, il est très important que vous ne donniez pas au Conseil du Trésor la possibilité de décider que les exigences financières normales s'appliqueront au comité, comme il le fait pour tous les autres ministères, car ces exigences ne peuvent pas s'appliquer à nos organismes de sécurité nationale.
Si le comité doit faire un travail compétent en ce qui a trait à la surveillance qu'il exercera, il lui faudra jouir d'une certaine liberté financière, dans des limites raisonnables, qui ne sera pas fixée par des analystes du Conseil du Trésor animés de bonnes intentions, mais déconnectés. C'est l'un des grands défis auxquels font face tous les gouvernements, et ce gouvernement autant que tout autre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos anciens collègues; c'est agréable de vous revoir aussi en forme.
Je vais parler de sujets qui ont déjà été traités de façon différente et qui concernent la gestion de l'information. On sait que ce projet de loi laisse beaucoup de latitude au gouvernement et à son premier ministre en ce qui touche la gestion de l'information, à savoir ce qui peut ou ne peut pas circuler. On sait que ce projet de loi va toucher, de façon horizontale, beaucoup d'organisations, ce qui fera en sorte qu'il y aura aussi beaucoup d'échanges d'informations délicates quant à la sécurité du Canada.
J'ai lu le projet de loi. Vous disiez, plus tôt, que le Canada était le seul pays à ne pas avoir un tel comité. Mais si on se compare aux autres pays, est-ce qu'on a des balises quant à la protection de la vie privée ou à la protection des renseignements personnels? Le commissaire à la vie privée a soulevé cette préoccupation. Est-ce que les autres pays ont encadré, de façon plus claire qu'on le fait dans ce projet de loi, l'échange et la transmission de l'information? J'aimerais connaître vos points de vue à ce sujet.
M. Segal : Les comités mis sur pied dans les autres pays, nos alliés de l'OTAN, par exemple, jouissent d'une grande expérience. Ils ont établi des normes, des préoccupations et des façons de travailler qui ont créé certaines attentes.
De notre côté, nous sommes devant une table rase, c'est-à-dire que le nouveau comité aura l'occasion de créer ses propres façons de gérer l'information. Si je comprends bien le défi, le comité sera formé par le premier ministre du Canada, et comptera des membres des deux Chambres, qui auront les cotes de sécurité nécessaires afin d'avoir accès à toute l'information disponible et importante. Ce sera différent d'être invité, à titre de chef d'une agence, par exemple, à comparaître devant ce comité que d'être invité à comparaître devant un comité parlementaire.
Ce sera différent d'un comité qui serait peut-être dirigé par certaines perspectives partisanes. C'est un comité qui jouira de toute l'importance que lui conférera la loi, soit le projet de loi C-22, accompagnée d'une nomination par le premier ministre. Cela créera des attentes assez sérieuses. Si, comme l'indique le ministre, le gouvernement empêche certaines informations de se rendre au comité, le comité aura le droit d'en demander publiquement la raison, et cela créera des problèmes fondamentaux pour le gouvernement.
À mon avis, pendant les trois ou quatre premières années, ils vont essayer d'éviter ce genre de problèmes. Il y aura une certaine tension, ce qui est bon pour la démocratie, mais aussi un respect du mandat du comité qui travaille pour la population canadienne.
Lgén Dallaire : La nature de la bête étant ce qu'elle est, il n'y a aucun doute que toutes les agences du renseignement seront très nerveuses face aux soucis que vous avez énoncés. Cela exigera beaucoup de doigté ainsi qu'un apprentissage qui sera essentiel afin d'assurer la sécurité. Cependant, dans le même contexte, je voudrais tout simplement préciser que, trop souvent, les comités seront plus soucieux que l'agence dans leurs règles d'engagement. Les gens sont plus restrictifs au lieu de pousser à fond les pouvoirs qui leur sont accordés. Ce n'est qu'avec le temps qu'ils utiliseront la pleine capacité de leurs pouvoirs.
Avec un comité statutaire qui a toutes ces protections, notre premier souci devrait être de nous demander si les membres du comité voudront vraiment pousser à fond et aller chercher ces renseignements auprès d'organismes qui n'ont pas l'habitude d'être consultés. Deuxièmement, se feront-ils suffisamment confiance mutuellement pour fonder leurs réponses sur des réponses qui auront été mises en commun et non pas individualisées et même, ultimement, oubliées?
[Traduction]
La sénatrice Lankin : Merci à vous deux de comparaître aujourd'hui. Je voudrais poursuivre et élargir la discussion — je m'adresse particulièrement au sénateur Segal — sur deux ou trois éléments qui ont été soulevés. Vous avez parlé de deux choses. L'une, c'était un cadre financier qui est différent de celui qu'applique le Conseil du Trésor à d'autres entités et organisations.
Je voudrais que vous me donniez un peu de détails à ce sujet parce que, quand je vois le CSARS, ou même le service ou la GRC, ils sont soumis au cadre financier du Conseil du Trésor, et la sécurité nationale n'y change rien en ce qui concerne leurs intérêts. Quelle est votre préoccupation, et que pouvons-nous faire à ce sujet?
Vous avez également parlé de ce sur quoi le comité allait se concentrer. Dans tous vos commentaires, il semblait s'agir davantage de sécurité nationale, de suivi du renseignement ou de l'étude d'un incident qui est survenu ou de quoi que ce soit. Quand la sénatrice Jaffer vous a posé une question, vous avez évoqué les droits de la personne et la conformité avec la Charte.
Je ne veux pas que la même question soit posée deux fois, mais, quand je regarde la mission du CSARS en guise d'exemple, je pense qu'il s'agit de la clé. Il s'agit du seul organisme qui sera en mesure de composer avec l'ensemble des diverses entités responsables de la sécurité. L'échange de renseignements, les forces opérationnelles interarmées et les choses qui se passent dans nos services de sécurité, les partenaires du Groupe des cinq et les autres partenaires dans des situations particulières présentent tous un certain potentiel. Nous avons déjà considéré des choses qui ont été cachées du CSARS et d'autres entités comme des infractions aux droits prévus dans la Charte.
Affirmez-vous que c'est moins important dans le cas de ce comité? Je voudrais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet, s'il vous plaît.
M. Segal : Laissez-moi aborder peut-être l'un des instruments qui pourraient être accessibles à ce comité. Une fois qu'il serait constitué, le comité pourrait prendre la décision — s'il choisit de le faire — de conclure un protocole d'entente avec le greffier du Conseil privé en ce qui a trait à ce qui doit être différent entre ce comité et d'autres organismes du gouvernement. Il ne s'agit pas d'un organisme du Parlement. Il s'agit très clairement d'un organisme du gouvernement.
C'est là que certains de ces problèmes peuvent être réglés. En ce qui concerne le fait de participer à une enquête détaillée au sujet de menaces éventuelles pour notre sécurité nationale, cela pourrait exiger davantage de capacité financière et de temps que ce qui est habituellement prévu. Un mécanisme devrait être établi, au moyen duquel cette affaire pourrait être réglée par les dirigeants du comité et le greffier du Conseil privé, de sorte que le travail puisse effectivement avoir lieu. Il s'agit d'une proposition tout à fait raisonnable que tout greffier du Conseil privé voudrait appuyer, mais il faut comprendre qu'un débat est en cours et que ce n'est pas automatique.
Pour ce qui est de la Charte des droits et libertés et de ces enjeux, c'est tout le contraire. En fait, je pense qu'il s'agira du comité qui aura une autorisation de sécurité et la capacité de poser des questions au sujet d'activités qui pourraient en fait avoir involontairement enfreint la Charte des droits et libertés. Jusqu'à présent, les responsables ne pouvaient pas être honnêtes à ce sujet avec les membres des comités précédents parce qu'ils ne possédaient pas la même autorisation de sécurité.
Il faudrait que cette information soit communiquée. Ensuite, le comité pourrait adresser de solides recommandations au Parlement et aux gens du Canada, par l'intermédiaire du cabinet du premier ministre, au sujet de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas. Il pourrait également adresser des recommandations au procureur général, dans toute circonstance où, à son avis, une enquête devrait être menée au sujet d'accusations criminelles ou autres qui pourraient être déposées. Aucun comité parlementaire au Canada n'a ce pouvoir en ce qui a trait aux affaires touchant la sécurité nationale.
La sénatrice McPhedran : Merci infiniment à tous les deux de votre présence. Je veux adresser ma question à vous deux, compte tenu de votre expertise et de votre expérience en matière d'opérations.
Tout d'abord, je veux clarifier un élément, monsieur le sénateur Segal. Avez-vous affirmé que le secrétariat ne devrait pas rendre des comptes principalement au comité?
M. Segal : Non, j'ai affirmé tout le contraire. J'ai dit que, quand je travaillais dans le cabinet d'un premier ministre, il y a un millier d'années, nous disions : « C'est dans l'appareil gouvernemental que meurent les bonnes idées. » C'était non pas parce que ces personnes étaient mauvaises, mais parce qu'elles voulaient davantage savoir comment et quand, plutôt que pourquoi. À mon avis, le pourquoi devrait occuper une grande place pour les gouvernements.
Même si l'appareil gouvernemental affirmera que nous devons examiner les nominations, les salaires, la hiérarchie, le statut et toutes ces choses légitimes, l'orientation réelle de ce secrétariat dans ce qu'il fait, ses priorités et les questions qu'il étudie seraient du ressort du comité, sans quoi ce ne serait pas dans l'intérêt du comité.
La conclusion d'un protocole d'entente entre le comité et le greffier du Conseil privé serait un bon moyen de régler ce genre de question, car le secrétariat de l'appareil gouvernemental rend des comptes au greffier du Conseil privé. Ce comité sera nommé par le premier ministre, et le greffier rend des comptes au premier ministre. Il y a là une convergence.
Si la valeur est réelle, c'est-à-dire qu'il s'agira d'un comité qui est censé faire son travail efficacement et obtenir un soutien sur les plans de l'administration et des enquêtes dans le cadre de ce processus, alors, dans ce contexte, il devrait vraiment tenir à l'établissement d'un protocole d'entente qui respecte le rôle de ce comité consistant à orienter l'organisme. Toutefois, la question des salaires et de la hiérarchie et toutes les autres questions devront être réglées par l'appareil gouvernemental de la manière normale.
La sénatrice McPhedran : Dans ce cas, voici la question que j'adresse à vous deux, s'il vous plaît, de votre point de vue respectif : y a-t-il une modification, selon vous, que nous devrions apporter au projet de loi afin que l'on puisse s'assurer que le secrétariat ne dirige pas le comité?
M. Segal : Laissez-moi simplement dire que je pense que cela risque de se produire. Toutefois, si, parmi ses premières questions prioritaires, le comité présente sa demande de protocole d'entente dans le but d'empêcher que cela se produise, on court le risque que le gouvernement laisse l'organisme diriger les travaux du comité, plutôt que de l'inverse.
Lgén Dallaire : J'insisterais sur le fait que les sénateurs et les députés qui siégeront à ce comité se sentiront habilités et exigeront du secrétariat qu'il leur fournisse les documents nécessaires pour prendre ces décisions très difficiles et formuler ces recommandations. Je ne pense pas que le secrétariat aura jamais une politique reflétant son indépendance.
Il s'agira en réalité d'un organisme de soutien, et le soutien qu'il offrira sera ce que veut le comité, et non pas ce qu'il pense qu'il devrait avoir.
Le président : Nous arrivons à une conclusion, et je veux revenir sur la question du secrétariat, car je pense qu'elle est importante.
Le projet de loi prévoit clairement comment le directeur général est nommé, par qui il l'est, et son rang en ce qui a trait à l'ordre hiérarchique que vous avez mentionné plus tôt, monsieur le sénateur Segal. D'après la façon dont le secrétariat est établi, il est très clair que le directeur général rendra des comptes, à mon avis, au Conseil privé ou au cabinet du premier ministre, selon la façon dont le secrétariat est conçu par rapport à la responsabilité.
Si le comité doit être indépendant du Conseil privé et prêt à être en mesure de faire le travail qu'on lui demande de faire, il me semblerait que la première responsabilité du directeur général serait de rendre des comptes au président et au comité afin qu'on puisse s'assurer d'obtenir une indépendance au chapitre des renseignements, au besoin. C'est un peu comme ce dont a parlé la sénatrice Lankin au sujet des renseignements qui ne sont parfois pas présentés au bon moment; dans une situation d'indépendance, ils pourraient bien devoir être présentés.
Ma question concerne le projet de loi et son libellé. Je voudrais entendre votre commentaire. Je soutiendrais qu'un amendement devrait être apporté afin qu'on puisse s'assurer que le directeur général et son personnel rendent des comptes au comité plutôt qu'à tout agent du cabinet du premier ministre. Vos commentaires, s'il vous plaît.
M. Segal : Je m'opposerais à cet amendement, et laissez-moi vous dire pourquoi. Premièrement, c'est l'un des amendements qui auraient la capacité de faire dérailler complètement le projet de loi et de causer la perte de tout le projet. Il s'agirait d'une grande diminution de notre mandat démocratique relativement à la question de la sécurité nationale, du point de vue de la démocratie parlementaire.
Deuxièmement, nous connaissons tous des situations où le PDG d'une organisation est comptable à un président du conseil d'administration, mais il y a une évaluation conjointe de l'efficacité de cette personne pour ce qui est de s'acquitter de ses obligations de la façon attendue.
Rien n'empêcherait le nouveau comité, et son président, de dire : « Voici nos attentes », pour indiquer clairement au Bureau du Conseil privé qu'il évaluera le rendement de l'organisme par rapport à ces attentes, tout comme il déterminera si le chef de l'organisme devrait ou non être nommé de nouveau.
Réfléchissez à la dynamique : un gouvernement établit un comité et lui confère des pouvoirs qui n'ont jamais existé auparavant, et lui demande de se pencher sur un organisme; après les deux années, pour quelque raison que ce soit, les membres du comité disent : « Cet organisme ne sert pas nos fins. »
Le gouvernement voudra réfléchir de concert avec le président du comité et ses collègues relativement à ce qui constitue un rendement adéquat pour l'organisme et son chef. Dans ce contexte, il pourrait y avoir une relation redditionnelle avec une instance en ce qui a trait aux questions financières et administratives et aux comptes des dépenses, mais, pour ce qui est du but, des réalisations, des activités et des objectifs, l'organisme doit relever du président du comité.
Le président : Monsieur le sénateur Dallaire, avez-vous un commentaire à formuler? Je suis sur le point de conclure avec ce groupe.
Lgén Dallaire : Je veux seulement insister sur le fait que le président du comité demandera des comptes à ce chef du secrétariat, comme nous l'avons rarement vu, en raison de la nature des renseignements, du sentiment de sécurité, du sentiment de sûreté et, au bout du compte, des décisions qui seront prises par le comité et qui auront une influence directe sur le premier ministre.
Je ne pense pas qu'il y aura une marge pour que le chef de ce secrétariat soit en mesure de faire du travail à la pige. De fait, le président de ce comité lui demandera des comptes de façon soutenue afin qu'il réponde à ces exigences dès le départ.
Le président : Chers collègues, je voudrais remercier les sénateurs Segal et Dallaire d'avoir pris le temps de comparaître, malgré leur horaire chargé. Comme l'a dit le sénateur White, on dirait que la retraite vous va bien à tous les deux. Nous sommes très heureux que vous ayez comparu devant nous afin de contribuer à un débat d'importance nationale qui en vaut la peine.
Juste avant que nous commencions à entendre notre prochain témoin, je vous rappellerais qu'après que nous ayons conclu avec ce groupe de témoins, nous allons passer à huis clos pour quelques minutes afin d'aborder les recommandations concernant le projet de loi C-44, c'est-à-dire l'étude préalable des finances que nous avons menée il y a quelques semaines. Vous en avez tous une copie. Elle a été distribuée. Je voulais vous informer du fait qu'il s'agissait du prochain point à l'ordre du jour.
Je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Therrien à la séance.
Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Veuillez prendre la parole.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci de m'avoir invité à discuter de cet important projet de loi avec vous tous.
Tout d'abord, je vous dirais que je suis favorable à l'instauration d'une surveillance parlementaire des activités de renseignement et de sécurité. Pour maintenir la confiance du public, le Canada a besoin d'une surveillance d'experts —- ce que nous avons en partie, mais de façon imparfaite —- et une surveillance parlementaire qui seule peut apporter une légitimité démocratique non partisane.
Au cours de ma brève intervention aujourd'hui, j'expliquerai ce que devraient être selon moi les caractéristiques souhaitables d'un système de surveillance parlementaire efficace. Je préciserai en quoi le projet de loi à l'étude tombe court de cet idéal et j'expliquerai les raisons pour lesquelles je vous recommande tout de même de l'adopter.
Pour effectuer un examen efficace, le comité proposé devrait avoir un mandat aussi vaste que possible et avoir un accès aussi illimité que possible aux renseignements. Idéalement, il ne devrait donc pas être assujetti à des limites concernant l'information qui porterait atteinte à la sécurité nationale, un peu comme les tribunaux appelés à déterminer si les activités des organismes de sécurité nationale sont licites peuvent examiner les renseignements les plus sensibles sur le plan de la sécurité, sous réserve d'attestations ministérielles prévues en vertu de la Loi sur la preuve. Lorsque les tribunaux se prononcent sur la légalité de certaines activités, les jugements peuvent être caviardés, mais il revient aux juges et non au gouvernement de décider quels renseignements caviarder. Je prônerais l'adoption de normes similaires dans le cas du comité.
En ce qui concerne les exceptions aux droits d'accès mentionnées aux articles 14 et 16, je reconnais que le comité n'a sans doute pas besoin de connaître, par exemple, le nom de témoins ou de sources confidentielles. À mon avis, les exceptions devraient être aussi limitées que possible. Je suis particulièrement préoccupé par l'exception prévue à l'alinéa 16(1)a) concernant « tout renseignement opérationnel spécial », au sens de la définition énoncée dans la Loi sur la protection de l'information. Cette catégorie comprend les renseignements strictement opérationnels dont le comité n'aurait pas besoin pour s'acquitter de son mandat, mais elle comprend aussi les renseignements de nature plus générale qui pourraient soulever des questions de politique, ce qui risquerait de laisser le comité dans l'ignorance concernant les activités mêmes qu'il a été chargé de surveiller. Pensons, par exemple — c'est l'un des alinéas de l'article 16 —, aux renseignements sur « les moyens que le gouvernement fédéral a mis en œuvre pour la collecte ou l'obtention secrète ou pour l'analyse, le traitement, la communication ou toute autre utilisation d'information ».
[Traduction]
De façon plus générale, le projet de loi ne me semble pas idéal en ce sens que le gouvernement pourrait invoquer les motifs de sécurité nationale pour restreindre le mandat du comité — article 8 —, son accès à l'information — article 16 — et sa capacité de présenter ses conclusions aux Canadiens — article 21.
Toutefois, je reconnais que le projet de loi a été amélioré à la Chambre des communes, si bien que le gouvernement devra expliquer formellement les raisons pour lesquelles il invoque des motifs de sécurité nationale pour limiter les activités du comité. Cela devrait servir de mesure de protection importante contre une trop grande dépendance du gouvernement au recours à l'exception relative à la sécurité nationale.
Enfin, je sais que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ne figure pas parmi les organismes de surveillance auxquels le comité pourrait communiquer des renseignements. Comme les organismes de sécurité nationale dépendent de l'analyse de renseignements, notamment personnels, ce qui entraîne l'application du droit à la vie privée, mon commissariat a un rôle important à jouer pour garantir un juste équilibre entre la sécurité et la protection des droits de la personne. Par conséquent, je crois qu'il serait souhaitable que le commissariat soit ajouté à la liste des organismes de surveillance. S'il est impossible de l'ajouter dans le projet de loi actuel, j'espère qu'on le fera dans la loi que le gouvernement a promis d'adopter pour modifier la Loi antiterroriste de 2015.
Par ailleurs, j'aimerais souligner un point : en dépit des lacunes relevées, le projet de loi constitue un progrès important et comblera un fossé de longue date. Pour cette raison, je recommanderais d'adopter le projet de loi dès maintenant, d'évaluer l'efficacité de la loi après son adoption et de la modifier au besoin quelques années après sa mise en œuvre.
Il existe un risque que les limites du mandat et de l'accès à l'information privent le comité des outils nécessaires à un examen efficace, mais ces risques ont été réduits grâce aux modifications apportées par la Chambre des communes.
Je crois qu'il est important de souligner que la trop grande dépendance aux exceptions entraînerait probablement un prix politique pour le gouvernement en place. En fin de compte, même si le projet de loi n'est pas parfait, il représente un progrès important, et, à mon humble avis, vous devriez l'adopter.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Therrien.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, monsieur Therrien. Merci de votre présence et de votre disponibilité constantes.
La plupart d'entre nous sont favorables à ce projet de loi. Malgré l'enthousiasme manifesté concernant l'adoption de ce projet de loi, comme vous l'avez aussi mentionné dans votre déclaration liminaire, je suis préoccupée par le fait que, cette année seulement, le gouvernement a élargi son réseau de renseignement du Groupe des cinq afin de partager 1,2 million de dossiers confidentiels canadiens par année avec ses partenaires internationaux.
Pire encore, du moins, selon mes sources, il a élargi le programme sans même avoir eu à réaliser une simple évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, malgré la nature très délicate des dossiers partagés. Même si le Conseil du Trésor estime que ces évaluations sont obligatoires, ces dernières ne sont jamais réalisées.
Ce qui me préoccupe, monsieur Therrien, c'est qu'au titre de l'alinéa 8b), que vous avez également mentionné, le comité des parlementaires ne peut examiner tout sujet lié à des opérations en cours si le ministre compétent considère que l'examen porterait atteinte à la sécurité nationale. Comme vous le savez, ces opérations en cours peuvent s'étendre sur une longue période.
Nous avons l'impression que le comité n'est pas en mesure de surveiller beaucoup de choses. Je crains que les restrictions de l'alinéa 8b) empêchent le comité des parlementaires de vraiment agir en tant qu'organisme de surveillance. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
M. Therrien : Comme je l'ai mentionné, le projet de loi n'est pas parfait. Une façon de voir la surveillance parlementaire est de la comparer à la révision judiciaire. On a trois organes de gouvernement. Au moyen de ce projet de loi, le Parlement aurait le mandat de surveiller les activités relatives à la sécurité nationale menées par l'organe exécutif. Lorsque les tribunaux, un autre organe du gouvernement, examinent ces questions en fonction de leur compétence, c'est-à-dire la légalité des activités, ils voient que les renseignements sensibles relatifs à la sécurité nationale font seulement l'objet d'attestations ministérielles au titre de la Loi sur la preuve au Canada, ce qui est exceptionnel.
Les tribunaux examinent les renseignements sensibles relatifs à la sécurité nationale, les protègent, en tiennent compte; par conséquent, leurs décisions mentionnent seulement les principes qui ne mettent pas en péril les impératifs de sécurité nationale. Idéalement, on pourrait voir un comité de surveillance parlementaire qui a des règles semblables : pratiquement aucune limite, possibilité de limites exceptionnelles, accès à l'information et aucune limite du mandat. Ainsi, le comité parlementaire serait dans une situation comparable à celle que connaissent actuellement les tribunaux pour ce qui est de leur fonction de révision. Cela serait peut-être le système idéal.
Enfin, je crois que même si cette lacune signifie que le projet de loi présenté n'est pas parfait, il représente tout de même un progrès très important. Nous attendons depuis de nombreuses années une surveillance parlementaire et une surveillance spécialisée plus rigoureuse. L'adoption de ce projet de loi représenterait sans l'ombre d'un doute un progrès important.
En ce qui a trait aux limites que présente ce projet de loi sur le plan de l'accès à l'information et au mandat du comité, la preuve résidera dans l'utilisation concrète. En fin de compte, je vous recommande d'adopter ce projet de loi, de vérifier si l'organe exécutif dépend de ces exceptions ou s'il les utilise prudemment. Selon la conduite du gouvernement dans les quelques prochaines années, vous aurez la possibilité de modifier la loi au moment de l'examen quinquennal, au besoin.
Le président : Je reviens sur votre question, madame la sénatrice Jaffer, je crois que ce que vous venez de décrire est important, c'est-à-dire les informations révélées au cours de la dernière semaine concernant le fait que 1,2 million de dossiers ont été rendus accessibles à nos alliés du Groupe des cinq sans avoir fait l'objet d'une évaluation obligatoire relativement à l'atteinte à la vie privée.
Quelles sont les conséquences de ne pas avoir effectué cette évaluation, qui est obligatoire, selon la loi?
M. Therrien : En fait, c'est une directive. La loi n'exige pas que l'on réalise une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. La directive du Conseil du Trésor mentionne que les nouvelles initiatives du gouvernement qui touchent la vie privée doivent nous être transmises à des fins d'évaluation. Néanmoins, nous devrions avoir reçu cette proposition avant qu'elle soit mise en place.
Il n'y a pas de conséquences juridiques, car il s'agit d'une directive, et non d'une loi. Dans le contexte des modifications potentielles de la Loi sur la protection des renseignements personnels, nous avons proposé que cette exigence soit prévue dans la loi, car nous croyons qu'il est important que les risques d'atteinte à la vie privée soient évalués dès le début de l'élaboration des programmes, comme dans ce cas-ci.
Il n'y a pas de conséquences juridiques pour l'instant, mais il y a manifestement un risque d'atteinte à la vie privée ou de divulgation de renseignements à d'autres États de façon non conforme à la législation relative à la protection des renseignements personnels. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, IRCC, nous a dit qu'il nous enverrait sous peu une évaluation.
Nous en sommes très heureux, mais pour l'instant, nous n'avons pas de renseignements concernant l'élargissement de l'entente avec les États-Unis pour qu'elle inclue les trois autres membres du Groupe des cinq.
Le président : Je souhaite seulement préciser que vous êtes sur le point de réaliser une évaluation en matière de vie privée en ce qui concerne les renseignements qui ont déjà été communiqués.
M. Therrien : En effet, dès que nous recevrons les renseignements du ministère de l'Immigration. Nous n'avons encore rien reçu, mais le ministère de l'Immigration nous l'a promis.
Le président : Pour que nous ayons une meilleure idée, dans combien de temps, selon vous?
M. Therrien : Dans les semaines qui suivront la réception des renseignements, nous procéderons à l'évaluation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Therrien, de votre présentation. Ma question sera brève. Pourriez-vous nous énumérer trois points qui pourraient miner la confiance que la population devrait avoir à l'égard d'un tel comité?
M. Therrien : J'en ai nommé deux, je crois, dans mes remarques préliminaires, y compris les limites au mandat du comité. De par le projet de loi qui est devant vous, le mandat fait l'objet d'une exception. Un ministre peut faire en sorte, avec une attestation, qu'une question qui porterait atteinte à la sécurité nationale ne fasse pas l'objet d'un examen. Dans un certain sens, il est un peu contradictoire qu'un comité chargé de l'examen des activités liées à la sécurité nationale puisse voir certaines activités retirées de son mandat pour les motifs que la question puisse porter préjudice à la sécurité nationale. Encore une fois, tout dépend de la façon dont sera exercée cette limite. À la Chambre des communes, le projet de loi a été modifié de telle sorte que cette décision du gouvernement devra être motivée. Je pense que c'est là une protection importante contre les abus.
De la même façon, l'accès à l'information par le comité serait limité, dans certains cas, en vertu de l'article 16 en particulier. Encore une fois, la sécurité nationale pourra être invoquée pour faire en sorte que le comité n'ait pas accès à certains renseignements qui, autrement, seraient nécessaires à son examen. En théorie, il s'agit d'une limite importante qui pourrait soulever des questions quant à l'intégrité du processus. Tout dépendra de la façon dont cela sera exercé.
Le projet de loi crée un comité de parlementaires plutôt qu'un comité parlementaire, la distinction étant que le comité en question fera rapport au premier ministre plutôt que directement aux Canadiens ou au Parlement. En Grande- Bretagne, par exemple, l'équivalent de ce comité fait rapport au Parlement et au public de façon directe, sans passer par le premier ministre. Cela pose également des interrogations. Encore une fois, le projet de loi n'est pas parfait. Les exceptions qui sont apportées, je pense, pourraient être problématiques. Je ne veux pas présumer ou spéculer sur le fait que ces exceptions seront utilisées de façon exagérée. Je pense, en fin de compte, qu'il faut donner la chance au coureur. C'est un progrès important que d'avoir ce comité. Malgré certaines réserves qu'on pourrait avoir par rapport à un idéal, je crois que le temps est venu d'adopter un tel mécanisme.
Le sénateur Dagenais : Diriez-vous qu'il n'y a pas de problème si le contrôle émane du Bureau du premier ministre?
M. Therrien : Lorsqu'on regarde les dispositions du projet de loi, on voit que le contrôle par le Bureau du premier ministre se fait sur certains points, en particulier celui de retirer certaines questions pour des raisons de sécurité nationale. Encore une fois, si le gouvernement exagère, il y aura un débat public et, présumément, un prix politique à payer.Si le premier ministre, par l'intermédiaire de ses fonctionnaires, vient à limiter les renseignements qui font l'objet d'un rapport public de la part du comité, c'est possible. Toutefois, encore une fois, il y aura un prix à payer.
D'un point de vue mécanique, le premier ministre a un rôle important à jouer. En pratique, cela dépendra de la façon dont seront exercées ces limites. À ce sujet, je crois qu'il faut donner la chance au coureur.
Le sénateur Dagenais : Il ne faudrait pas qu'il abuse de son pouvoir dans l'intérêt de la sécurité nationale.
M. Therrien : Tout à fait.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Vos réponses au sénateur Dagenais ont répondu à la plupart de mes questions.
Je me demandais si vous croyez que le pouvoir de caviarder du premier ministre n'est pas un peu exagéré. Comment le public serait-il mis au courant des raisons du caviardage fait par le premier ministre?
M. Therrien : Le public ne serait pas informé des raisons : c'est ça le but. Le premier ministre dirait que des intérêts de sécurité nationale, comme la protection des sources ou les méthodes utilisées, seraient compromis si les renseignements étaient rendus publics.
C'est pourquoi, selon le projet de loi, la décision finale revient au premier ministre. Le comité connaîtrait les raisons. Même si le comité ne pourrait pas parler des faits qui justifient la décision du premier ministre, il serait parfaitement en mesure de dire qu'il croit que le premier ministre a outrepassé les limites de la sécurité nationale.
Je crois que c'est un équilibre acceptable.
La sénatrice Beyak : De quelle façon le commissariat participerait-il à cela?
M. Therrien : Selon le projet de loi tel que rédigé, il n'y participerait pas.
La sénatrice Beyak : Le fait que vous n'y preniez pas part me préoccupe.
M. Therrien : Il s'agit d'un lien entre l'organe exécutif et l'organe parlementaire. Nous n'aurions pas de rôle à jouer. Au bout du compte, en vertu de ce projet de loi, le contrepoids au pouvoir du premier ministre est le fait que le comité lui-même pourrait dire publiquement s'il est d'accord ou non avec la façon dont les exceptions ont été utilisées par l'organe exécutif.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
La sénatrice Lankin : Pour poursuivre sur ce sujet, je vous entends dire que, en fin de compte, il s'agit d'un progrès. Vous avez mentionné le comité du Royaume-Uni. Évidemment, il a aussi commencé en tant que comité de parlementaires. Le gouvernement a exprimé son désir d'établir un certain nombre de protocoles, de normes et de relations ainsi que des liens de confiance. C'est exactement ce qui s'est produit au Royaume-Uni, à un point tel qu'il s'agit maintenant d'un comité parlementaire qui fonctionne très efficacement et sans certaines des préoccupations.
Nous ne connaîtrons la position réelle du gouvernement à cet égard que lorsque les gens prendront connaissance des informations et comprendront la nature des restrictions qui seront mises en place.
Toutefois, le point que vous avez soulevé concernant le rôle de votre commissariat m'intéresse. Est-ce que votre inclusion dans le projet de loi exigerait que la recommandation royale soit modifiée? Si vous n'en faites pas partie, est- ce qu'il y a quelque chose qui empêche le comité de vous inviter à témoigner sur la portée du travail ou sur toute préoccupation?
Enfin, dans le cadre de la nature actuelle de votre travail, comme je l'ai vu par le passé, vous agissez lorsqu'un membre du public soulève des préoccupations quant à l'accès à l'information ou encore au caviardage d'un rapport particulier le concernant ou à la protection de sa vie privée lorsqu'il n'y a pas eu de caviardage.
Avez-vous la possibilité d'examiner les opérations des divers ministères et organismes de sécurité nationale qui vous donneraient un aperçu au chapitre de l'atteinte à la vie privée des membres du public ou qui soulèveraient des préoccupations à cet égard?
M. Therrien : Est-ce qu'il faudrait modifier la recommandation royale? Je dois dire que je ne me suis pas penché longuement sur ce sujet, mais je crois que, si la loi mentionnait le Commissariat à la protection de la vie privée en tant qu'organisme d'évaluation, en plus des trois autres actuels, à qui le comité parlementaire pourrait communiquer des renseignements, cela constituerait une autorisation légale adéquate.
Est-ce que le comité pourrait appeler le commissariat même s'il n'est pas mentionné en tant qu'organisme d'évaluation? Oui, sur le plan politique. Il pourrait y avoir une discussion entre le comité parlementaire et le commissariat sur des questions stratégiques, mais ces discussions ne reposeraient pas sur une compréhension commune des faits qui les sous-tendent, ce qui constitue, à mon avis, un réel problème. Il pourrait y avoir un certain degré de discussion entre le comité parlementaire et le commissariat.
Si je peux reformuler votre troisième question, je paraphrase, et dites-moi si j'exagère la portée de votre question, je crois qu'elle signifie ceci : quelle est la valeur ajoutée du CPVC pour l'examen parlementaire et l'examen des autres organismes de surveillance?
Un système solide de surveillance ou d'évaluation pour les organismes de sécurité nationale doit comprendre un examen parlementaire et un examen spécialisé. Il y a trois organismes spécialisés mentionnés dans la loi. Ils sont des experts dans leur domaine. Ils ont une certaine expertise en matière de vie privée, mais nous sommes les experts en la matière. Je crois qu'un examen rigoureux a lieu lorsqu'on combine l'expertise d'un certain nombre d'intervenants; le Parlement en fait partie, parce qu'il fournit la légitimité démocratique. L'expertise liée à certains organismes de sécurité nationale servira plus souvent devant le comité. Il s'agit des comités d'examen du CSARS, du BCCST et de la GRC.
Cela inclut également le Commissariat à la protection de la vie privée, car je crois que nous avons quelque chose à apporter : notre expertise en matière de protection de la vie privée. Les renseignements personnels sont souvent en jeu dans les activités des organismes de sécurité nationale. C'est en plein notre champ d'expertise, et c'est pourquoi je crois que nous devrions avoir un rôle à jouer.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Therrien, en tant que commissaire à la protection de la vie privée, vous avez par le passé parlé de la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité et de la façon dont le gouvernement et les organismes d'application de la loi peuvent espionner les activités en ligne et les télécommunications sans autre fondement que des motifs raisonnables que le fait de soupçonner qu'une infraction sera commise.
J'ai écouté ce que vous avez dit plus tôt. Oui, cela existe, et nous devons y accorder du temps. Répéteriez-vous la même chose : « Laissons du temps au comité de surveillance pour voir comment vont les choses »? Êtes-vous encore à l'aise avec le statu quo?
M. Therrien : Sauf votre respect, ce ne serait pas le cas. Ce ne serait pas l'idéal. Il y a un certain nombre de lacunes, mais, à mon avis, ce ne serait pas le statu quo. C'est pourquoi je dis que, tout compte fait, même si je n'avais pas rédigé ce projet de loi exactement de cette façon, il s'agit d'un progrès important. Ce n'est pas le statu quo.
Ce que je recommande, c'est d'adopter ce projet de loi pour voir de quelle façon on l'utilise, quels avantages il comporte et si le gouvernement a trop souvent recours à certaines exceptions. On aurait la possibilité de passer la loi en revue dans cinq ans.
La sénatrice Jaffer : Ce qui me préoccupe, c'est qu'on parte tous en pensant qu'il y a maintenant une surveillance et que nous dormions tous mieux en sachant que quelqu'un protège nos intérêts. Ce n'est pas vraiment le cas, parce que s'il y a une opération en cours, le gouvernement ou les organismes du renseignement peuvent tout de même espionner. Il n'y a pas de surveillance dans le cas d'une opération en cours. Dans ce cas, ils peuvent toujours communiquer vos renseignements à des partenaires, ils peuvent encore vous espionner, et, parce qu'il s'agit d'une opération en cours, il n'y a aucune surveillance.
M. Therrien : Je suppose que cela revient à la façon dont le gouvernement aura recours à ces exceptions. Je suis d'accord avec le fait que l'exclusion de certaines opérations en cours de la sphère de compétence du comité est loin d'être idéale, mais même pendant l'opération, le comité pourrait écouter le gouvernement, les ministres et les agents témoigner sur les lois et les politiques pertinentes dans le cadre de l'opération en question.
Certains détails opérationnels ne seraient pas examinés, mais le mandat du comité inclut le fait d'examiner les lois ainsi que de vérifier si les politiques sont efficaces et si les organismes ont le bon cadre financier pour mener à bien leurs opérations. Toutes ces questions importantes pourraient être examinées par le comité même pendant une opération en cours, mais certains détails très spécifiques ne feraient pas l'objet d'un examen durant cette période. Dès qu'elle serait terminée, l'opération pourrait faire l'objet d'un examen parlementaire.
Oui, il y a des limites à ce que le comité pourrait voir, mais je vois le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.
Le président : Nous allons bientôt terminer, mais j'aimerais seulement apporter un élément. Le projet de loi qui a été présenté tenait compte du modèle du Royaume-Uni. Pour que tout le monde comprenne, l'un des mandats du comité du Royaume-Uni comprend la surveillance de l'activité opérationnelle et des activités plus larges du gouvernement en matière de renseignements et de sécurité. Je crois que cela devrait être préoccupant.
La sénatrice Jaffer a abordé très clairement les questions de la recherche d'un équilibre et de la capacité du comité parlementaire, auquel, pour l'instant, aucun secrétariat ne rend compte. Il rend des comptes au secrétariat dans le cadre de son fonctionnement actuel. À mon avis, ils vont se retrouver les mains liées, en quelque sorte, lorsqu'ils essaieront de faire le travail que le Parlement leur demande. Du moins, le projet de loi leur met des bâtons dans les roues.
J'aimerais aussi ajouter qu'on fait une déclaration sous serment et qu'on respecte les procédures pour obtenir les cotes de sécurité nécessaires. On a les meilleures cotes, encore une fois, pour être en mesure de faire ce que le Parlement demande aux parlementaires dans le cadre de ce projet de loi. Néanmoins, on les exclut en même temps de certains domaines, et on les empêche peut-être même de poser des questions, je crois donc que cela doit soulever des préoccupations.
M. Therrien : En ce qui concerne plus particulièrement votre dernier argument, les parlementaires sont les seuls qui peuvent offrir la légitimité démocratique à ce processus. Étant donné que ces parlementaires auraient la cote de sécurité adéquate, le comité pourrait certainement prendre connaissance des renseignements opérationnels en jeu. Il serait tout à fait légitime de conclure que cela pourrait être protégé et devrait être limité, mais la sénatrice Lankin a mentionné que, en Grande-Bretagne, le cheminement vers une plus grande participation des comités parlementaires a été graduel.
Je crois qu'il n'y a, en principe, aucune raison pour laquelle les parlementaires ne pourraient pas voir des données et des renseignements opérationnels, plus particulièrement, comme vous l'avez dit, monsieur le président, s'ils ont une cote de sécurité adéquate. Il faudrait plutôt se demander s'il y a quelque chose qu'il faut s'efforcer d'obtenir dans un certain nombre d'années. Est-ce que c'est nécessaire à la tenue d'un examen efficace? Croyez-vous que l'on peut faire un examen efficace maintenant sans cet élément et que c'est quelque chose qu'il faudrait tenter d'obtenir? Au bout du compte, c'est votre décision. À mon avis, ce qui vous est présenté constitue un progrès important, et je vous recommande de l'adopter.
Le président : Merci beaucoup. J'aimerais remercier nos témoins. Nous apprécions le fait que vous ayez pris le temps de témoigner. Les témoins peuvent partir.
Nous prendrons une très courte pause et nous continuerons à huis clos afin de discuter du projet de loi C-44; les membres du comité peuvent donc rester pour cette rencontre.
(La séance se poursuit à huis clos.)