Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 15 - Témoignages du 7 juin 2017
OTTAWA, le mercredi 7 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à midi, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du mercredi 7 juin 2017. Je m'appelle Dan Lang, et je suis un sénateur du Yukon. À ma gauche, voici le greffier du comité, Adam Thompson. Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Je m'appelle Mobina Jaffer, et je suis de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur White : Vern White, Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, Ontario.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le président : Merci.
Nous nous réunirons aujourd'hui de midi à 13 h 15 pour poursuivre notre étude du projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence.
Nous accueillons aujourd'hui M. Wesley Wark et M. Errol Mendes, tous deux professeurs à l'Université d'Ottawa.
Messieurs, bienvenue. Je sais que vous avez chacun une déclaration préliminaire. Je vous invite donc à la présenter, en commençant par M. Mendes qui sera suivi de M. Wark. Nous avons environ 1 heure 15 minutes. Allez-y, je vous en prie.
Errol Mendes, professeur, faculté de droit - Section de common law, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je remercie le comité de m'avoir invité.
J'aimerais déclarer dès le départ que je suis fortement en faveur du contenu général du projet de loi C-22, qui tente de combler les lacunes sur le plan de l'examen et de la surveillance parlementaires de la sécurité nationale, ce qu'il est grand temps de faire, compte tenu du fait que la plupart de nos alliés les plus proches ont déjà établi une telle responsabilisation démocratique cruciale dans leurs cadres de sécurité nationale et de renseignement. Pour renforcer cette responsabilisation ferme que le gouvernement a établie dans le projet de loi C-22, je proposerais, si le gouvernement est d'accord, que le paragraphe 8(1) soit modifié en vue d'attribuer au comité le mandat exprès d'examiner le cadre de sécurité nationale et de renseignement, ainsi que sa compatibilité avec la Charte des droits et libertés. Je tiens à répéter « seulement si le gouvernement est d'accord », parce que je souhaite que ce projet de loi soit adopté sans amendement; cependant, je vais ajouter quelques remarques qui pourraient apaiser certaines des préoccupations que ce comité pourrait entendre.
Lors des consultations nationales que j'ai aidé à organiser au sujet du projet de loi C-51 et de la première version du projet de loi C-22 en novembre dernier, à l'université, certains de mes collègues du monde universitaire et de la communauté de défense des libertés civiles ont exprimé des préoccupations, en particulier en ce qui concerne l'alinéa 8b), l'article 14 et l'article 16. Je vais en parler et proposer quelques moyens d'éliminer ces préoccupations.
En ce qui concerne l'alinéa 8(1)b), la préoccupation exprimée porte sur le fait que si le ministre compétent estime que l'examen porterait atteinte à la sécurité nationale, il pourrait y avoir une limite à l'accès à l'information. Il a été mentionné, lors de certaines consultations que j'ai organisées, que les opérations des organismes de sécurité nationale peuvent se prolonger pendant de longues périodes et pourraient toucher certaines questions cruciales se rapportant à la primauté du droit et à la protection de la vie privée, questions que ce comité pourrait et devrait peut-être même examiner. Cependant, même s'il est clair que les opérations en cours ne devraient pas, en général, faire l'objet d'un examen par un comité parlementaire, il pourrait y avoir un moyen de gérer et de surveiller le recours à ce pouvoir discrétionnaire sans avoir à modifier la loi. Par exemple, le Sénat pourrait ajouter des observations au projet de loi recommandant au gouvernement d'établir un processus de rapport sur le recours à cette discrétion par le ministre compétent, une fois ce comité établi, et peut-être même de discuter avec les fonctionnaires compétents de la façon dont des normes cohérentes pourraient être appliquées dans l'ensemble du gouvernement sur la façon dont ce pouvoir discrétionnaire pourrait être exercé en conformité avec la responsabilité du gouvernement à l'endroit du public.
Bien que lors des consultations que j'ai organisées il y ait eu d'autres objections quant à la liste des exceptions présentée à l'article 14, en général, en dehors de certaines préoccupations concernant l'alinéa 14d), je crois que pour la plupart ce sont des exceptions légitimes. Permettez-moi d'expliquer pourquoi.
Les confidences du Cabinet, par exemple, sont partie intégrante de notre ordre de gouvernance responsable et sont une exception légitime. De même, les renseignements concernant la protection de témoins constituent une exception légitime, pour des raisons évidentes.
L'exception citée à l'alinéa 14c) a soulevé quelques préoccupations, parce qu'elle se rapporte à l'identité...
Le président : Excusez-moi, mais pouvez-vous parler un peu plus lentement pour les interprètes?
M. Mendes : Certainement.
Revenant à l'alinéa 14c) qui traite de l'identité des personnes fournissant des renseignements confidentiels, ainsi que des renseignements se rapportant à ces personnes, c'est, en partie, une prolongation de l'ancien projet de loi C-44 se rapportant à la protection du Canada contre les actes de terrorisme et la mesure dans laquelle la divulgation des sources confidentielles d'information du SCRS est matière à inquiétude. Je crois qu'il y aurait lieu, plus tard, de tenir un débat pour déterminer si la disposition présentée à l'alinéa 14c) devrait s'étendre ou non au-delà de cela. Le cas échéant, il pourrait y avoir une révision législative du projet de loi C-22 dans ce contexte.
Cependant, les principales préoccupations entendues lors de la consultation en ce qui concerne l'alinéa 14d) se rapportent aux enquêtes en cours qui sont menées par un organisme chargé de l'application de la loi et qui pourraient aboutir à des poursuites. C'est là une exception légitime visant à empêcher la direction politique d'opérations policières dans la plupart des cas, mais il pourrait y avoir des circonstances où un organisme chargé de l'application de la loi pourrait entreprendre une enquête non axée sur des poursuites imminentes, mais ayant le potentiel de poursuites à une date ultérieure. Par exemple, il pourrait s'agir d'enquêtes en cours sur la radicalisation visant un endroit particulier, mais pas une personne précise. C'est un domaine qui pourrait intéresser le comité, compte tenu de l'impact sur des groupes précis. Là encore, dans des observations sur le projet de loi, si vous l'adoptez, le Sénat pourrait proposer que l'application de cette exception soit surveillée et, en pratique, restreinte de sorte qu'elle ne comprenne que les enquêtes qui mèneront probablement à d'éventuelles poursuites.
Enfin, lors des consultations nationales que j'ai organisées, il y a eu des critiques du monde académique et d'experts visant l'article 16 qui confère au ministre compétent le pouvoir de refuser de communiquer tout renseignement qui, à son avis, est un « renseignement opérationnel spécial » au sens de la Loi sur la protection de l'information, et porterait atteinte à la sécurité nationale.
Les préoccupations soulevées portaient sur la définition de « renseignement opérationnel spécial » au sens de la Loi sur la protection de l'information qui est très large et définie par des normes opérationnelles. Si vous me posez des questions, je pourrais vous donner des exemples précis, mais à ce stade, je veux simplement vous en mentionner un qui pourrait causer certaines préoccupations. Voilà de quoi il s'agit : les renseignements pouvant faire partie de la catégorie renseignement opérationnel spécial pourraient se rapporter aux endroits, aux personnes, aux groupes ou aux entités qui sont, ou sont censés être visés par des mesures de collecte de renseignements secrètes de la part du gouvernement. Ce n'est qu'un des exemples de renseignement opérationnel spécial au sens de la Loi sur la protection de l'information.
Une définition tellement large de ce qui constitue un renseignement opérationnel spécial est sujette à une interprétation tout aussi large. Bien que cela soit équilibré par le fait que le ministre doive fournir le raisonnement sur lequel le refus de fournir les renseignements est fondé, les participants à la consultation que j'ai organisée s'inquiétaient de l'absence de mesures de protection adéquates pour ce type particulier de pouvoir discrétionnaire.
Là encore, pour cette exception, le Sénat pourrait proposer, dans des observations, que bien que le ministre doive en effet fournir les renseignements, il y a peut-être lieu que le comité, une fois établi, engage un dialogue avec les fonctionnaires compétents sur la façon de faire appliquer ce pouvoir discrétionnaire avec cohérence et, peut-être même, d'élaborer un protocole sur la façon dont ce pouvoir discrétionnaire pourrait être exercé une fois le comité établi.
En conclusion, l'éducation du public est un aspect essentiel de ce comité proposé. En vertu des fonctions importantes d'examen et de surveillance que lui confère le projet de loi C-22 et en encourageant la mobilisation du public, le comité devrait pouvoir tenir responsables les organismes et le gouvernement sur le plan du cadre de sécurité nationale et de renseignement; voilà pourquoi je l'appuie fortement.
Un seul aspect reste encore à débattre. Dans la décision du Président de la Chambre des communes sur le transfert des détenus afghans, M. Milliken a déclaré sans équivoque qu'aucune exception ne pourrait être faite quant à la divulgation de tout document à un comité parlementaire — et je précise « un comité parlementaire » —, même si ces documents se rapportent à la sécurité nationale. Un tel privilège de pouvoirs exhaustif s'étend au comité parlementaire. Ce n'est pas la même chose que le présent comité, qui est un comité de parlementaires.
Bien que le projet de loi C-22 limite clairement les privilèges parlementaires, surtout dans l'article 12 en ce qui concerne l'immunité contre les poursuites, le gouvernement et les ministres devraient, dans une certaine mesure, lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire au titre des trois dispositions mentionnées, comprendre qu'ils devraient témoigner d'un degré suffisant de confiance et de capacité à l'endroit du comité pour que celui-ci puisse s'acquitter de ses obligations. Je crois que cela sera important. Une fois le comité établi, la chose la plus importante sera de trouver des moyens d'établir cette confiance entre le gouvernement et ce comité, et de conférer au comité le plus grand pouvoir discrétionnaire possible pour qu'il puisse s'acquitter de ses fonctions.
En conclusion, bien que certaines préoccupations aient été soulevées surtout au niveau de ces trois dispositions, le comité a la possibilité de proposer, dans des observations, des moyens de régler ces préoccupations et, au fil du temps, une fois le comité établi, l'établissement d'une confiance adéquate entre le gouvernement et le comité permettra en fin de compte d'apaiser ces préoccupations.
En dernière recommandation, je dirais qu'à un moment donné, le nombre de sénateurs membres du comité devrait être augmenté, étant donné que leur durée d'office et leur expérience acquise seront plus longues que celles de certains membres élus, et ce, afin d'établir une mémoire et une spécialité institutionnelles accrues pour l'efficacité à long terme du comité. Peut-être que, dans quelque temps, on pourrait envisager d'augmenter le nombre de sénateurs, mais comme je l'ai dit, l'adoption de ce projet de loi est urgente et longtemps attendue, et je l'appuie fortement. Merci beaucoup.
Le président : Merci.
Monsieur Wark.
Wesley K. Wark, professeur invité, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, à titre personnel : Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de cette occasion de vous présenter mon témoignage au sujet du projet de loi C-22. J'ai témoigné à l'autre endroit au sujet de la version antérieure de ce projet de loi le 3 novembre 2016. Je prendrai quelques instants, si vous me le permettez, pour dire que quand j'ai témoigné à l'autre endroit, je l'ai fait aux côtés de mon collègue distingué, Ron Atkey, qui est malheureusement décédé plus tôt cette année. Ses connaissances spécialisées et son sérieux quant aux questions de sécurité nationale nous manqueront énormément dans ce pays.
Le projet de loi C-22 a subi certains changements depuis son dépôt initial en juin 2016. Il y a eu un processus assidu d'examen parlementaire ainsi que des critiques de la part du public au sujet de ce projet de loi. Suite à ces développements au cours des 12 derniers mois, je demeure convaincu de trois choses. Premièrement, la création d'une véritable capacité parlementaire d'examiner les opérations de la communauté canadienne de sécurité et de renseignement est d'une importance cruciale à une époque où les menaces à la sécurité nationale changent rapidement; le rôle accru assumé par les organismes canadiens de renseignement et de sécurité sont reconnus dans la Stratégie nationale de sécurité de 2004 comme étant la première ligne de défense du Canada, et les pouvoirs étendus que peut dorénavant avoir le système canadien. Cette capacité parlementaire n'est pas seulement conçue pour offrir une mesure supplémentaire de responsabilité à un niveau stratégique, mais elle peut aussi servir d'éducation continue du public au sujet des menaces à la sécurité et des mesures de sécurité. Je suis du même avis que mon collègue, M. Mendes, soit que nous faisons face à un déficit problématique des connaissances du public au sujet des questions de sécurité et de renseignement au Canada qu'un nouveau comité de parlementaires peut aider à régler.
La deuxième chose dont je suis convaincu, c'est que ce projet de loi C-22 dans son état actuel est un mécanisme éminemment viable pour une phase initiale de contrôle parlementaire. Par « éminemment viable », j'entends qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui laisse entendre que le comité est destiné ou voué à l'échec dans son objectif, et il n'y a rien dans le projet de loi qui me laisse entendre que le comité ne pourra pas réussir à exécuter son mandat.
La troisième chose dont je suis convaincu, en ce qui concerne le projet de loi C-22, c'est que nous avons besoin de voir la loi proposée dans le contexte du genre d'équilibre qu'il tente d'accomplir entre un certain nombre de prérogatives concurrentes. Il n'est pas étonnant que le projet de loi C-22, comme tout effort de loi sur la sécurité nationale, doive viser un équilibre. C'est l'éternel problème de l'équilibre entre les droits et la sécurité. Dans le contexte précis du projet de loi C- 22, il s'agit de l'équilibre entre la protection des secrets et l'efficacité du comité proposé dans l'exécution de son mandat.
Dans le reste de ma déclaration préliminaire, j'aimerais me concentrer sur certains aspects de la façon dont le projet de loi établit cet équilibre.
Tout d'abord, quelques remarques sur le mandat et les pouvoirs, qui sont au cœur de l'efficacité du comité. Le mandat du comité décrit à l'article 8 est très large. Il est clairement conçu de sorte que le comité puisse examiner de près la communauté de la sécurité et du renseignement sur toute la ligne et à un niveau stratégique. Cette capacité de grande portée est pertinente, même si le comité constatera que la majeure partie de son temps est consacrée principalement aux organismes centraux du renseignement et de la sécurité.
Le pouvoir éventuel de limiter l'examen au titre du mandat est contrôlé, comme vous le savez, par l'exigence pour le ministre d'informer le comité des raisons pour lesquelles il juge qu'une chose « porterait atteinte à la sécurité nationale ». J'ose espérer qu'il serait aussi contrôlé par le bon sens et l'appui du comité de parlementaires par le gouvernement afin que ce comité puisse s'acquitter d'un devoir public vital. Je crois que le ministre de la Sécurité publique a ajouté un autre argument selon lequel le comité aurait une sorte de « tribune d'intimidation » lui permettant de contrer toute restriction non justifiée de son mandat.
Au nombre de ses aspects les plus louables, le projet de loi prévoit un secrétariat ayant à sa tête un directeur général. Ce secrétariat sera l'organe de recherche du comité et accomplira la majorité des gros travaux dans l'exécution de son mandat, au point que, je crois bien, le secrétariat de l'organisation sœur, le comité du renseignement et de la sécurité au Royaume-Uni, lui envie quelque peu ces dispositions.
Les pouvoirs du comité proposé reposent sur l'accès aux renseignements délicats et sur la portée des rapports. L'article 14 énumère certaines exceptions automatiques à l'accès. Il faut noter que la liste des exceptions dans cet article a été réduite par rapport à la version originale du projet de loi, et il est particulièrement important de remarquer qu'il n'est plus fait mention de questions de renseignements militaires dans les exceptions. J'appuie pleinement ce changement.
Il y a aussi les exceptions discrétionnaires concernant l'accès décrites à l'article 16. Celles-ci méritent un examen attentif, et j'ai déjà mentionné mon inquiétude au sujet du « renseignement opérationnel spécial ». Comme l'a indiqué M. Mendes, la définition au sens de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada se prête à une interprétation très large. Heureusement, l'aspect renseignement opérationnel spécial est conjugué à l'exigence pour le ministre de déterminer si communiquer ce renseignement porterait atteinte à la sécurité nationale. Le cas échéant, le ministre doit présenter des motifs au comité, ainsi qu'aux organes d'examen indépendants actuels, c'est- à-dire la GRC, le SCRS et le CSTC.
La conjugaison de ces éléments reconnaît, je crois bien, que seule une très petite proportion de la masse des renseignements opérationnels spéciaux disponibles au gouvernement pourrait être jugée comme portant atteinte à la sécurité nationale s'ils étaient divulgués au comité puis intégrés dans un rapport du comité.
Certains éminents experts et collègues académiques ont jugé que les exceptions automatiques et discrétionnaires constituent une série d'obstacles verrouillant les travaux du comité. Je ne les perçois pas ainsi. À mon sens, elles constituent des restrictions raisonnables, mais elles peuvent éventuellement être sujettes à un certain abus qui ne peut être éliminé par la législation. L'élément d'abus est contrôlé tout au long du projet de loi, et peut-être davantage encore par les attentes parlementaires et publiques et les attentes de la communauté de la sécurité et du renseignement elle- même concernant les travaux du comité.
Les restrictions de rapport imposées au comité ont fait l'objet de certaines discussions et de controverses, surtout en ce qui concerne les pouvoirs conférés au premier ministre. Le premier ministre peut intervenir pour demander le caviardage de certains éléments d'un rapport pour les motifs précisés au paragraphe 21(5) avant que le rapport annuel du comité ou n'importe quel autre rapport spécial ne soit déposé au Parlement.
J'aimerais dire deux choses rapidement au sujet de ce pouvoir. Tout d'abord, cela place le premier ministre carrément en position d'autorité à l'endroit de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement, ce qui est pertinent quoique souvent peu reconnu comme pratique canadienne.
Deuxièmement, les pouvoirs du premier ministre sont contrôlés en quelque sorte par l'exigence d'une mention qu'il s'agit d'une version révisée en plus de précisions quant à la portée et aux motifs de la révision. Il ne s'agit pas d'autoriser un pouvoir capricieux ni un fouet de contrôle sur les rapports du comité. Un tel pouvoir exécutif pourrait-il être abusé? Bien sûr, mais tout abus serait coûteux.
Il est clair que le projet de loi vise l'équilibre du mandat et des pouvoirs réels du comité au moyen de la protection des secrets. C'est au comité que revient la responsabilité difficile de déterminer quels sont les secrets valides et au gouvernement celle de la justification. Il y aura inévitablement des frictions.
Mettre des secrets dans les mains de députés est une proposition qui n'a jamais été essayée auparavant et qui va au cœur du projet de loi C-22. Ce projet de loi a-t-il atteint le bon équilibre dans les exigences imposées aux membres du comité? J'ai déjà dit qu'à mon avis, les dispositions des articles 10 à 12 du projet de loi sont excessivement compliquées et pourraient être simplifiées par un simple serment qui renverrait aux dispositions de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, mais je ne crois pas qu'il faille tenir mordicus à cela. Le comité peut faire son travail avec ces dispositions même si elles ne sont pas confortables, et après cinq années d'expérience, il serait possible de déterminer une autre mesure de la confiance qui peut être placée dans les membres du comité pour la protection des secrets.
Sénateurs, je suis prêt à répondre à vos questions, et, en tant que citoyen canadien, j'attends avec hâte le passage de ce projet de loi et le bien qu'il pourra apporter. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Avant que nous ne commencions les questions, j'aimerais préciser une ou deux choses. De toute évidence, nous sommes ici pour entendre les témoins et si des modifications sont nécessaires, les membres du comité procéderont en conséquence. Le comité n'a pas l'intention de retarder ce projet de loi. Je tiens à ce que cela soit très clair. Cependant, il a l'intention de faire en sorte que le projet de loi soit le plus clair possible et que ce soit le meilleur projet de loi que nous puissions adopter en ce qui concerne le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale.
J'aimerais qu'il soit clairement mentionné dans le compte rendu que c'est ce que nous avons fait dans le cas de plusieurs projets de loi auxquels des amendements importants ont été apportés, amendements que le gouvernement a acceptés et c'est ainsi que nous avons procédé. Je ne crois pas que nous devrions nous mettre dans la situation où un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, et que ce soit tout ce que nous devrions accepter. Le comité devrait envisager les choses dans une perspective à long terme.
Deuxièmement, et c'est une chose qui m'inquiète, j'aimerais préciser pour le compte rendu qu'il n'y a pas eu consensus des partis de l'opposition pour ce projet de loi à l'autre endroit. Cela nous place dans une position difficile également, parce qu'il s'agit d'un comité de parlementaires choisis à même les divers partis et dont l'objectif est de veiller à la sécurité publique. J'ose espérer que nous pourrons aider à faire en sorte qu'il y ait consensus pour au moins la plupart des éléments du projet de loi.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous deux de votre témoignage et de votre disponibilité en dépit du court préavis. Le comité vous en est reconnaissant.
En vous écoutant, j'ai eu nettement l'impression que vous appuyez tous deux le projet de loi. Si je ne me trompe pas, vous avez parlé d'une phase initiale, et dites que dans cinq ans nous pourrons l'améliorer. Nous n'avons pas eu de contrôle. C'est mieux que ce que nous avons, et c'est donc une bonne chose.
J'aimerais que M. Mendes commente ceci en premier, puis M. Wark.
Monsieur Wark, vous ne semblez pas être d'accord avec la définition de verrou. Vous pourriez peut-être développer ça davantage également.
Monsieur Mendes, vous avez parlé du triple verrou dans les articles 8, 14 et 16. J'ai posé des questions sur le triple verrou l'autre jour en ce qui concerne l'accès à l'information pour des motifs de grande portée. Le fait que le triple verrou est de très grande portée m'inquiète. Pouvez-vous parler davantage de ce qui vous inquiète au sujet du triple verrou, sans oublier, comme vous dites, qu'il n'y a pas lieu de faire des amendements? Comment pouvons-nous régler la question du triple verrou sans amendement?
M. Mendes : Comme je l'ai dit, vous pouvez proposer des amendements au projet de loi, mais à dire franchement, avec ce que nous savons de la Chambre des communes, cela pourrait mettre en danger l'adoption du projet de loi, surtout si cette session prend fin et il y a prorogation.
Il est possible de régler ce problème. J'ai été très précis. En commençant par le paragraphe 8b), par exemple, si l'exception dans le cas des opérations en cours pose un problème, dans la grande majorité des cas, il y aurait des motifs très légitimes d'exclure les opérations en cours. Disons, par exemple, s'il y a pour des opérations en cours de graves problèmes qui peuvent toucher la protection de la vie privée — vous avez entendu le commissaire à la protection de la vie privée — ou des questions de primauté du droit au niveau d'opérations en cours, serait-il possible que le comité formule des observations demandant au gouvernement d'établir un processus de rapport sur le recours à ce pouvoir discrétionnaire par le ministre compétent? Peut-être qu'une fois le comité établi, il pourrait y avoir un mécanisme selon lequel le recours au pouvoir discrétionnaire pourrait être uniforme au niveau de l'ensemble du gouvernement.
Comme mon collègue l'a dit, dans cinq ans, quand les renseignements découlant de cette observation démontreront qu'il pourrait y avoir un bon usage de ce pouvoir discrétionnaire, aucune modification ne pourrait alors être nécessaire dans ce cas. C'est un exemple.
Un autre exemple, touchant le paragraphe 14d), serait dans le cas d'une enquête en cours menée par un organisme chargé de l'application de la loi. Certainement, il ne devrait y avoir aucune intervention politique dans la plupart des opérations policières. Comme je l'ai dit, dans le cas d'une opération de portée plus générale qui pourrait ne pas aboutir à des poursuites contre une personne précise — par exemple, enquêtes en matière de radicalisation, qui sont de portée très large —, le comité pourrait proposer dans une observation que ce pouvoir discrétionnaire soit limité aux circonstances où des poursuites sont probables. Dans les autres cas, plus généraux, il devrait y avoir la possibilité d'examiner la question, surtout quand il s'agit de radicalisation.
Enfin, en ce qui concerne l'exception au paragraphe 16 se rapportant au renseignement opérationnel spécial, je suis d'accord avec mon collègue, parce que la définition est trop large et comprend une chose qui m'a interpellé : un lieu, une personne, un groupe ou une entité fait ou fera l'objet d'activités secrètes de collecte de renseignements par le gouvernement; cette possibilité nécessite en effet que le comité puisse, à un moment donné, examiner la façon dont ce pouvoir discrétionnaire est exercé, même si le ministre présente ses motifs. En fin de compte, ce pourrait être que le ministre souhaite que le comité étudie, au fil du temps, la façon dont il serait possible de réduire la portée de ces renseignements opérationnels spéciaux.
Au moyen de vos observations, vous pouvez présenter des exemples concrets de façons de régler ces problèmes.
Dans l'ensemble, j'aimerais insister sur le point que, si le gouvernement est d'accord, en plus du mandat conféré au comité pour l'examen du cadre national de sécurité et de renseignement, il y aurait lieu d'ajouter la compatibilité avec la Charte canadienne des droits et libertés. Ce serait important, si ce point est accepté.
Ce sont là mes suggestions concrètes.
M. Wark : Pour répondre à la question de la sénatrice Jaffer en ce qui concerne la métaphore du triple verrou, je crois que celle-ci n'est pas pertinente. Elle accroche, mais elle n'est pas adaptée. La notion de verrou peut avoir été une plus grande préoccupation dans la version initiale du projet de loi C-22 déposée en juin 2016. Comme je l'ai dit dans mes observations, la version initiale a été considérablement modifiée en réaction à certaines de ces préoccupations.
Il ne s'agit pas de verrou, littéralement. Nous parlons de restrictions. Ces restrictions, à mon avis, sont là pour établir un équilibre entre la protection des secrets et l'accès aux renseignements. Il y a des exceptions automatiques qui ont été limitées. Il y a des exceptions discrétionnaires qui ont été définies. Il y a aussi la question de la détermination des communications qui pourraient porter atteinte à la sécurité nationale, ce qui sera une forme de discernement central que le gouvernement devra exercer en négociation avec le comité. Tout cela est inévitable.
J'ose espérer qu'à ce stade dans les délibérations concernant la version actuelle du projet de loi C-22, nous puissions mettre de côté cette métaphore exagérée et comprendre que les restrictions sont, dans le contexte d'une nouvelle expérience canadienne de contrôle parlementaire, pertinentes, et que de telles restrictions devront être mises à l'essai au cours des cinq premières années d'existence du comité, puis elles pourront être modifiées subséquemment, si l'on estime que certaines de ces restrictions ne sont pas pertinentes.
J'espère que les membres du comité et les autres parlementaires garderont à l'esprit, au fil de l'évolution de cette expérience, qu'après une longue expérience, le comité du renseignement et de la sécurité du Royaume-Uni a vu son cadre législatif changer en 2013. Qui plus est, ce comité a déterminé qu'il serait utile, dans le contexte de l'expérience passée, d'établir un protocole d'entente entre le comité du renseignement et de la sécurité et les membres de la direction. C'est un peu ce dont parlait M. Mendes au sujet des observations, mais ce protocole décrirait les méthodes de travail du comité de sorte que son fonctionnement soit bien compris. Une des méthodes décrites dans le protocole d'entente est le fait que le comité, dans ses travaux courants, aurait accès à toute une gamme de renseignements délicats et que, dans de rares circonstances seulement, des renseignements seraient mis hors de leur portée.
La sénatrice Jaffer : Merci.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Tous les deux, vous indiquez que le projet de loi doit être adopté sans amendement, parce que, au fond, plus vite il le sera, mieux ce sera et plus rapidement on corrigera ce qui a trop tardé à être corrigé, et on mettra en place un véritable organisme de surveillance. Très bien. Vous dites, en particulier M. Wark, que rien n'empêche en ce moment le comité d'exercer son mandat. Vous avez fait référence à un protocole d'entente qui serait une forme de règlement permettant au comité et aux instances sous surveillance de s'entendre sur un modus operandi.
L'une de mes préoccupations, c'est l'absence de pouvoir pour le comité d'assigner des témoins, « no subpoena power ». Croyez-vous que cette lacune pourrait être remplacée par un élément ou une disposition précise dans le cadre d'un protocole d'entente ou d'une entente de mise en oeuvre, comme vous l'avez suggéré? Que pensez-vous de l'absence du pouvoir d'assigner des témoins?
[Traduction]
M. Wark : Merci, sénatrice. Je vais répondre en anglais.
J'ai une ou deux choses à dire. Tout d'abord, à mon avis, et je le répète, le projet de loi confère au comité suffisamment de pouvoirs pour qu'il puisse être efficace. Il ne faut pas oublier aussi que c'est une expérience. C'est une activité en démarrage. Il y a beaucoup de choses à apprendre et, pour cette raison, le gouvernement a sagement décidé de préciser une période obligatoire d'évaluation de cinq ans pour que ces leçons soient apprises et qu'on puisse déterminer ce qui doit être changé. Je ne recommande pas que le projet de loi soit accepté tel quel, sans amendement, parce qu'il pourrait être modifié rapidement; je le recommande parce que c'est un plan de travail. Il faut acquérir l'expérience et il pourra être réexaminé après cinq ans.
Quant aux pouvoirs d'assignation, je note que cette question a été posée lundi par le ministre de la Sécurité publique. J'appuie, modestement, les remarques qu'il a faites. À mon sens, le comité n'a pas besoin de pouvoirs d'assignation. Je ne peux penser à des circonstances dans lesquelles il en aurait besoin pour l'accès à des personnes ou à des documents, et je crois que de tels pouvoirs créeraient une atmosphère malsaine, même s'ils n'étaient jamais utilisés. Le projet de loi lui-même énonce clairement que ce comité aura l'accès nécessaire, par renvoi aux ministres compétents de ministères compétents pour tous les renseignements dont il a besoin.
M. Mendes : J'ajouterais, si vous me le permettez, qu'en recommandant des observations de votre part, je vois un certain élément de protocole ou, comme mon collègue l'a mentionné, un protocole d'entente qui pourrait prendre en compte les besoins du comité en matière d'accès à certains dossiers.
Dans mes autres activités juridiques, quand j'étais arbitre dans le domaine des droits de la personne, lorsque j'étais appelé à délivrer de nombreuses assignations à comparaître, l'atmosphère changeait radicalement une fois qu'un témoin recevait une assignation. Il passait immédiatement de témoin complaisant à témoin hostile. C'est une chose qui pourrait être nécessaire dans 10 ans peut-être, mais à ce stade initial, je crois que disposer de ces types de protocoles non formels ou demander à un ministre de donner les motifs pour lesquels il a refusé les renseignements, cela serait peut-être même plus efficace qu'une assignation à comparaître, d'après ce que j'ai vu moi-même dans ma pratique du droit.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Dans votre présentation, si j'ai bien compris, il ne faudrait pas que les pouvoirs accordés au premier ministre soient à ce point excessifs de manière à miner la crédibilité du comité auprès du public. Cela dit, durant l'existence du comité, il pourrait y avoir des personnes qui dénonceraient des abus possibles, par exemple des abus commis par certains fonctionnaires. Selon vous, ces personnes ne devraient-elles pas bénéficier d'une certaine protection? Si oui, comment pourrait-on mettre en place cette protection dans le cadre du projet de loi actuel?
[Traduction]
M. Mendes : Si vous parlez de la façon dont on pourrait protéger certaines personnes, ma proposition d'amendement, si le gouvernement est d'accord, serait qu'en plus de déclarer que le comité a pour mandat d'examiner notre cadre de sécurité et de renseignement, il serait très utile d'ajouter que c'est dans la mesure où cela respecte la Charte canadienne des droits et libertés. Cela offre la possibilité d'un grand degré de protection si nécessaire, avec la protection, au-delà de la portée du projet de loi C-22, des personnes qui ont besoin d'être protégées au titre de la Charte des droits et peut-être d'autres lois aussi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Le présent gouvernement est au pouvoir depuis près de deux ans. On arrive en fin de session et on sent le besoin urgent de faire adopter ce projet de loi, malgré qu'il contienne des éléments qui m'apparaissent discutables. Vous semblez dire que ce n'est pas très grave, et qu'on pourrait corriger le tir plus tard. Pourquoi ne pas se donner quelques mois de plus afin d'accomplir le travail correctement, du moins sur le plan politique?
[Traduction]
M. Wark : Merci, sénateur. Je comprends ce que vous voulez dire.
En principe, il n'y a rien de mal à prendre le temps de bien faire les choses. Dans mon témoignage et celui de M. Mendes, ainsi que peut-être le témoignage que vous avez entendu d'autres témoins et que vous entendrez à l'avenir, on vous dit que le plan révisé présenté dans le projet de loi C-22 est viable. Bien sûr, des difficultés surviendront dans les travaux du comité. Celui-ci aura l'occasion d'acquérir une expérience et ces questions d'expérience et de difficulté pourront être réglées subséquemment.
Si M. Mendes ou moi, ou d'autres témoins que vous avez entendus, estimions qu'il y avait des éléments dans ce projet de loi qui empêcheraient le comité de fonctionner correctement, compte tenu de l'enthousiasme que nous sommes si nombreux à manifester au sujet de ce concept, nous aurions sonné l'alarme. Mais à ce stade, compte tenu de la longue progression de ce projet de loi à la Chambre des communes et de l'ampleur de l'examen attentif qui en a été fait là et dans le cadre de consultations publiques, je suis plutôt catégorique en affirmant que le moment est venu d'agir, d'agir en sachant qu'il y aura un moment plus tard où on pourra y revenir.
M. Mendes : J'aimerais ajouter, si vous me le permettez — et c'est une remarque que j'ai faite dans le contexte de ma comparution devant le comité pour le projet de loi C-14, l'aide à mourir — le mieux est presque toujours l'ennemi du bien. Il vous faut tenir compte de ce que vous pourriez perdre si vous décidez que vous voulez perfectionner certaines dispositions du projet de loi C-22, parce que n'oubliez pas que cela fait 10 ans, comme vous l'avez dit, qu'il y a des pressions pour la création d'un comité de surveillance à l'image de ce qu'ont fait nos alliés du Groupe des cinq, et rien n'a été fait. C'est donc le moment pour nous d'entreprendre au moins ce processus qui nous permettra d'avoir cette surveillance cruciale de notre cadre de renseignement et de sécurité.
Il faut aussi tenir compte du fait qu'il est possible que ce projet meure de sa belle mort avec la prorogation, et que rien ne sera fait. Pensez-y. Ce serait vraiment le cas du mieux qui est l'ennemi du bien.
La sénatrice Wallin : J'aimerais faire écho à votre opinion. À titre de membre du comité qui a recommandé cela en 2011, je suis manifestement d'avis que c'est la bonne chose à faire. Je conviens également que les changements qui ont déjà été apportés nous ont rapprochés, sinon du mieux, mais tout au moins du bien.
Monsieur Mendes, vous venez de le mentionner, mais j'aimerais entendre l'opinion de vous deux : en tant que membre du Groupe des cinq et du G7, quel est le danger pour nous de faire exception, de ne pas faire cela le plus rapidement possible?
Ensuite, j'ai une question précise pour vous, monsieur Mendes. La Charte des droits et libertés est la loi du pays. Pourquoi donc devons-nous l'ajouter?
M. Mendes : Excellente question, la première partie de votre question.
Quand on voit des incidents de terrorisme — vous avez vu ce qui est arrivé à Londres —, c'est un vrai défi que de tenter de réagir suffisamment sans tomber dans l'excès. Dans nos démocraties libérales occidentales, il faut disposer d'un mécanisme au niveau parlementaire selon lequel les représentants élus et les sénateurs peuvent gérer ces enjeux en tenant compte de l'équilibre. Il est vraiment crucial de disposer de cette voix publique, contrairement à la voix des dirigeants ou des organismes spéciaux.
Au fil du temps, hélas, nous pouvons nous attendre à d'autres incidents du genre, et il est important que nous disposions de cette surveillance démocratique qui rassure le peuple en général. C'est un aspect crucial.
Quant à votre deuxième question, si je propose qu'il soit utile d'ajouter la Charte des droits et libertés à l'examen global, c'est parce que, comme l'a dit le ministre, compte tenu du fait que des lois s'en viennent pour faire face à certaines autres questions litigieuses découlant du projet de loi C-51, la Charte deviendra un élément crucial pour les questions à venir comme l'interruption de la menace, la liste d'interdiction de vol, et cetera. Je crois que c'est absolument crucial, si le gouvernement le veut bien, et il devrait le vouloir, parce que c'est déjà implicite, d'ajouter ces mots au mandat du comité. Voilà pourquoi je le propose, compte tenu des lois qui pourraient venir bientôt.
La sénatrice Wallin : Tout ce que je dis, c'est qu'elle existe déjà.
M. Wark : Merci, sénatrice Wallin.
Après tout, nous avons vécu sans contrôle parlementaire véritable des opérations délicates de sécurité et de renseignement pendant bien longtemps. Est-il donc dangereux de continuer à vivre sans contrôle parlementaire véritable pendant un peu plus de temps? Non. Allons-nous rater une occasion et retarder tout cela encore plus en n'établissant pas à ce comité tous les mécanismes qu'il représente une fois la loi adoptée, le secrétariat étant la clé? Il faudrait renverser la question et se demander : retarder dans quel but? Y a-t-il un véritable avantage à retarder?
Je vais m'aventurer ici en terrain très délicat en espérant que vous recevrez mes remarques avec indulgence. Le public du Canada se trouve devant un nouveau genre de Sénat, tout comme les membres mêmes du Sénat y font face, et d'aucuns se demandent dans quelle mesure un Sénat peut être efficace. À mon avis, ce projet de loi reconnaît que les membres du Sénat peuvent avoir un rôle véritable dans ce comité de parlementaires, mais je ne suis pas sûr que la réputation du Sénat gagnerait, à dire franchement, si celui-ci est perçu comme traînant la patte sur un projet de loi de ce genre qui, je crois bien, est très largement appuyé par le public.
À moins que vous ayez une vraiment bonne raison de retarder l'adoption de ce projet de loi, il me semble qu'il incombe probablement au comité et au Parlement dans son ensemble de s'y atteler, car la tâche sera ardue. Plus nous tardons, plus il en coûte. Plus nous tardons, plus longtemps cette capacité parlementaire que nous recherchons nous fera défaut et plus longtemps il nous manquera la possibilité accrue d'une meilleure connaissance et d'une meilleure compréhension du public qui sera, je l'espère, un des avantages de ce projet de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. J'ai deux questions très techniques à vous poser qui demanderont des réponses courtes, mais qui pourront ajouter à la recherche de la perfection dans ce projet de loi.
Ma première question touche la crédibilité d'un tel comité, notamment en ce qui concerne l'absence de conflits d'intérêts. C'est très important. Le personnel ne relèverait pas du comité, mais du conseil exécutif. Dans ce cas-là, le projet de loi ne devrait-il pas préciser que le personnel relève du comité, et non pas du Conseil privé?
[Traduction]
M. Mendes : Votre question renvoie directement à la raison pour laquelle nous avons un comité de parlementaires par opposition à un comité du Parlement. Je crois que nous pouvons, dans une certaine mesure, tirer les leçons du comité parlementaire britannique qui a commencé comme comité de parlementaires. Il me semble qu'à certains égards, nous examinons ici les premiers pas, en quelque sorte, de ce qui est un domaine très complexe.
Dans mes cours sur le sujet à la faculté de droit où j'enseigne, je sais que mes étudiants s'arrachent les cheveux devant sa complexité, du projet de loi C-51 au projet de loi C-42, à celui sur lequel nous nous penchons maintenant. La question devient donc la suivante : les parlementaires sont-ils capables de s'immerger dans la complexité de cette question en dehors de leurs autres tâches de parlementaires? Là est la question. Selon moi, ce projet de loi est structuré pour avancer progressivement : faisons ceci, essayons d'ajouter quelques mécanismes. Mon collègue en a proposé certains et j'en ai proposé d'autres.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous arrête : je demande une réponse assez précise. Je comprends que vous êtes des professeurs d'université et que vous faites de la pédagogie. Afin d'éviter une forme de conflit d'intérêts — et la crédibilité du comité reposera sur cet aspect —, le personnel ne devrait-il pas relever du comité, et non du Conseil privé? Oui ou non?
M. Mendes : Oui, oui.
Le sénateur Boisvenu : Votre réponse est oui?
M. Mendes : Oui.
[Traduction]
M. Wark : Permettez-moi de tirer mon collègue d'un mauvais pas, car la question repose, en vérité, sur une hypothèse erronée, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur. Il est fort possible que le futur secrétariat soit hébergé par le Bureau du Conseil privé. Cela tient, d'un point de vue pratique, au fait qu'il lui faudra un espace sécurisé où il pourra conserver des données sensibles, traiter des secrets, organiser des séances d'information classifiées et ainsi de suite. Il n'effleure l'esprit de personne, je crois, que les membres du secrétariat puissent être à la solde de l'exécutif.
Les membres du secrétariat relèveront du directeur général, serviront le comité et le comité seulement. Le modèle que nous avons en place pour cela, établi de longue date, est celui du secrétariat qui sert le comité du renseignement et de la sécurité au Royaume-Uni, qui est lui aussi hébergé au sein du Cabinet mais qui sert le comité.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous parliez plus tôt, monsieur Mendes, de la Grande-Bretagne. On a prévu un pouvoir d'appel pour le comité en Grande-Bretagne, si jamais le ministre ne voulait pas transmettre de l'information. Il n'y a pas de tel mécanisme d'appel dans ce projet de loi. Devrait-on le modifier pour prévoir ce pouvoir d'appel?
[Traduction]
M. Mendes : Permettez-moi de répondre à la première question pour laquelle mon ami a volé à mon secours.
L'autre chose à propos du secrétariat, c'est que la façon dont le projet de loi est présenté, l'appareil gouvernemental a besoin d'un organisme central particulier pour s'en occuper. Donc, ce sujet complexe par rapport à l'appareil gouvernemental, dont je pense que de précédents témoins du gouvernement vous ont parlé, nécessite la surveillance d'un organisme centralisateur.
Pour répondre à votre question, oui, il existe un système d'appel en Grande-Bretagne, mais il a été ajouté après l'expérience acquise dans la première mouture du comité parlementaire britannique. En fait, j'ai rencontré ses membres quand ils sont venus ici et ils m'ont donné l'impression, au fond, que, dans une certaine mesure, ce mécanisme n'était guère nécessaire. Ce qui nous ramène à ce que je disais plus tôt : il s'agit d'avancer progressivement.
Le président : Avant de poursuivre, il me semble qu'il y a un malentendu. D'après l'information fournie au comité au sujet de la structure hiérarchique du secrétariat, le secrétariat sera hébergé au bureau du leader parlementaire et il y aura par la suite une nomination par le gouverneur en conseil. De plus, il y a un administrateur général. C'est ce que j'ai cru comprendre.
Sénatrice Lankin, peut-être avez-vous une clarification à ce sujet?
La sénatrice Lankin : J'ai compris autre chose, à savoir que, si le leader parlementaire est responsable de l'appareil gouvernemental en tant que portefeuille et du pilotage de ce projet de loi, le secrétariat en tant que tel sera hébergé au BCP.
Le président : Je demanderai que ce soit clarifié parce que j'avais l'impression que c'était au bureau du leader parlementaire. Il faudra que ce soit clarifié, car il reste à déterminer de qui relèvera le nouveau secrétariat et qui sera chargé de produire des rapports. La question demeure.
Sénatrice Lankin, vous avez la parole.
La sénatrice Lankin : Je vous remercie.
Au début, monsieur le président, vous avez dit combien vous pensez qu'il est important de veiller à ce qu'on comprenne que des amendements sont possibles. Vous avez souligné que nous n'avons pas à accepter des demi-mesures. Je tiens à préciser que je ne pense pas que nous examinions actuellement une demi-mesure. Je ne voudrais pas que les gens aient cette impression de notre travail ici.
Le président : Loin de moi cette idée, madame la sénatrice.
La sénatrice Lankin : Non, c'est pourtant ce que vous avez fait.
J'apprécie les observations, les questions et les réponses que nous avons entendues jusqu'ici.
Au début de la semaine, j'étais concentrée sur les alinéas 8b) et 14d) et sur les pouvoirs d'assignation, et j'ai évolué dans ma façon de voir à plusieurs égards. Ce que je vous ai entendu dire, en substance, au sujet des observations, ce qui est important, et de la constitution du comité et de son secrétariat, c'est qu'il va falloir structurer beaucoup de protocoles, de relations et de partenariats. Cela prendra du temps et de l'expérience. J'en suis convaincue en pensant à mon expérience personnelle.
J'aimerais, cependant, poursuivre sur la dernière question concernant le secrétariat. Je n'ai rien lu dans le projet de loi qui expose la façon de fonctionner dont vous parlez. Je suppose que c'est peut-être l'intention, mais il y a une question à la fois de perception et de réalité potentielle en ce qui concerne l'hébergement du secrétariat au BCP, dont il pourrait recevoir ses directives opérationnelles. Il me semble que ce serait une interprétation bizarre, mais ce conflit pourrait se présenter. Le projet de loi prévoit la structure de la nomination du directeur général, par décret ou par le gouverneur en conseil, ainsi que les traitements, pensions et indemnisations.
J'aimerais savoir ce que vous pensez du fonctionnement du secrétariat et du travail qui découlera des instructions du comité. Je crois que nous pourrions travailler sur un libellé qui soit acceptable pour tous, acceptable pour le gouvernement. C'est ce que nous devrions chercher à faire, mais je crois que les députés et les sénateurs et, surtout, le public en général seraient réconfortés de savoir que le secrétariat recevra ses instructions et ses ordres directement du comité. Sans cela, la perception d'un conflit ou d'un manque d'indépendance pourrait devenir problématique.
M. Mendes : Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Un des défis en ce qui concerne la perception du public — c'est intéressant. J'ai travaillé au Bureau du Conseil privé. Tout le monde pense qu'il s'agit juste d'un ministère, alors que ce n'est pas du tout ce qu'il est censé être. Le BCP est censé être un organisme centralisateur pour l'ensemble du gouvernement, et le greffier du Conseil privé est supposé veiller à son indépendance. Peut-être la réponse est-elle, pour reprendre la suggestion de mon ami, un protocole d'entente très ferme du comité et du gouvernement, y compris du premier ministre, stipulant que la garantie d'indépendance sera scrupuleusement observée. Peut-être pourrait-on prévoir des fonctions de reddition de comptes directement de la direction du secrétariat à la présidence du comité, ce qui renforcera cette disposition.
Le Bureau du Conseil privé, qui est un énorme monstre à certains égards, comprend de nombreux volets. Il est sans doute possible d'assurer son indépendance par un protocole d'entente.
M. Wark : Sénatrice Lankin, je prends bonne note. Je pense que le gouvernement envisagera volontiers cet amendement. Si nous cherchons à clarifier le fonctionnement possible du secrétariat, je suppose qu'il serait facile de compléter le libellé du paragraphe 24(2) qui, pour l'instant, dit simplement : « Le Secrétariat soutient le Comité dans l'exercice de son mandat. » Je suis certain qu'on peut clarifier le libellé, car je crois que le type d'activités dont vous parlez correspond à l'intention du gouvernement.
Il faut savoir, à propos de ce projet de loi, dans la mesure où il s'inspire de l'expérience et de la loi britanniques, que le gouvernement de l'époque pensait être allé encore plus loin en donnant un fondement législatif au secrétariat, et il s'en est tenu là. Mais je pense qu'il serait utile de compléter le paragraphe 24(2) par souci de clarté et pour dissiper tout malentendu.
La sénatrice Lankin : Je vais y travailler.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue à nos deux experts. Je tiens à vous remercier de votre présence. Je suis désolée d'être en retard. Je siège à deux comités qui se réunissent à la même heure, ce qui m'oblige à des allers-retours entre les deux.
Ma question concerne le thème récurrent dans vos réponses et la possibilité d'approfondir la réflexion, mais aussi la nécessité de saisir la chance de faire adopter ce projet de loi. J'aimerais me concentrer sur la disposition optimale qui prévoit un examen législatif cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. J'apprécie beaucoup le renvoi à la Charte, mais j'aimerais voir si nous pouvons approfondir le sujet. Rappelez-vous, je m'interroge sur la notion d'« optimal ». Je m'interroge, par exemple, sur la possibilité de plus de précision, d'un énoncé plus clair à propos de la transparence, de détails plus clairs sur le type de « publication de rapports » auquel les Canadiens peuvent s'attendre et je me demande, en particulier, si l'expérience nous a appris que nous devons avoir des occasions claires de soumettre des mémoires, d'examiner les mémoires et les incorporer dans tout rapport publié. Je vous invite donc tous deux à imaginer avec nous ce qui serait optimal.
M. Mendes : Merci, madame la sénatrice.
Une partie de mes suggestions en ce qui a trait aux observations est, en fait, qu'elles déclenchent un mécanisme de surveillance continue pour savoir ce qui est nécessaire dans le cadre d'un examen quinquennal et ce qui doit être renforcé et, peut-être, changé au bout de cinq ans, ce qui comprend toutes les questions que vous mentionniez. J'espère que, si vous êtes d'accord de transmettre ce projet de loi avec les observations, elles feront partie des travaux du comité pour ce qui est de ce à quoi il doit être vigilant, afin de présenter, pour finir, à l'examen quinquennal ce qui doit être modifié et amélioré, étant donné surtout les questions soulevées par les trois articles que nos collègues universitaires qualifient de triple verrou.
Il me semble que les observations pourraient faire partie du mandat de suivi et de surveillance du comité, afin de formuler dans cinq ans des recommandations pour améliorer les dispositions.
M. Wark : Sénatrice McPhedran, je dirais quelque chose de similaire. L'idée derrière un examen quinquennal est de tirer les enseignements de l'expérience. Il serait difficile de prévoir à ce stade ce que celle-ci sera, mais l'examen quinquennal permettra certainement d'agir en conséquence.
L'autre chose que nous devons tous reconnaître, c'est qu'il s'agit d'un essai. Ce sera une expérience stimulante pour le Parlement de creuser dans le monde secret de la sécurité et du renseignement pour cerner les questions qui requièrent véritablement son attention à un niveau stratégique.
Nous avons un peu parlé d'un protocole d'entente qui serait, en quelque sorte, un instrument de clarification négocié, en fin de compte, entre le comité de parlementaires et l'exécutif, mais je pense qu'il est bon de garder l'expérience britannique à l'esprit. Les Britanniques ont attendu 2013 pour décider qu'ils avaient besoin d'un protocole d'entente et celui qu'ils ont mis en place se révèle être un instrument utile. Il nous faudra probablement du temps aussi pour décider de ce que nous voulons mettre dans un protocole d'entente de ce type parce que nous devons également tenir compte du principe selon lequel ce comité de parlementaires, qui est appelé à grandir, à mûrir et à acquérir de l'expérience, devra bénéficier d'une certaine latitude les premiers temps pour bien appréhender cette tâche.
J'hésiterais à préciser les conditions d'un examen quinquennal à ce stade. Il serait pratique que l'examen soit indéfini, de sorte que le Parlement concerné puisse décider exactement des questions qu'il souhaite traiter.
Le sénateur McIntyre : Messieurs, merci à tous les deux de vos exposés.
Professeur Wark, j'aimerais m'arrêter brièvement sur deux sujets, la composition du comité et la représentation sénatoriale étant le premier et le privilège parlementaire, le second.
Le projet de loi propose un comité ne comptant que trois sénateurs, vraisemblablement un par groupe actuellement représenté au Sénat. Cependant, en 2004, le comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale recommandait un comité composé à parts égales de sénateurs et de députés. J'aimerais connaître votre avis sur la question, étant donné vos commentaires devant le comité de la Chambre des communes l'an dernier. Voici ce que vous avez déclaré : « Il est primordial d'avoir de bons membres et de mettre en place une culture axée sur la neutralité politique. » Pouvez-vous préciser ce que vous entendiez par là et en dire plus sur le rôle que le Sénat pourrait jouer à cet égard?
M. Wark : Sénateur McIntyre, merci de votre question et merci de me rappeler ce que j'ai dit en novembre.
Il faut d'abord comprendre que, dans les changements apportés depuis le dépôt initial du projet de loi, le nombre de sénateurs nommés au comité a augmenté, peut-être pas beaucoup, mais il est passé de deux à trois. Il me semble que cela montre que le gouvernement a conscience que le Sénat a effectivement un rôle important à jouer.
Là encore, je pense qu'il vaudrait mieux laisser l'expérience dire si la présence de plus de sénateurs en son sein aiderait le comité. Je crois que l'expérience le dira, notamment parce que le Sénat a tellement changé et qu'il continue de changer et d'évoluer pour ce qui est de sa composition, de ses capacités, de ses talents et de son expertise. Je dirais que le Sénat a probablement besoin d'un peu de temps pour s'habituer à ses nouveaux habits, et cela se produira parallèlement, si vous voulez, aux cinq premières années d'existence du comité lui-même.
Je ne suis pas convaincu que le nombre de trois sénateurs soit insuffisant. Je ne suis pas convaincu qu'ajouter d'autres sénateurs serait une mauvaise idée, mais il ne semble pas y avoir d'argument de poids à ce stade pour proposer un amendement ou mener cette bataille en particulier, si on se fonde sur l'expérience.
Si par votre question, monsieur le sénateur, vous laissez entendre que les sénateurs s'attelleront à cette tâche avec un état d'esprit non partisan, il se peut fort bien que ce soit le cas et c'est de toute évidence une des raisons pour lesquelles le gouvernement veut avoir des sénateurs à ce comité. Mais là encore, si les députés nommés au comité ne peuvent pas y siéger en se montrant suffisamment impartiaux, c'est toute l'expérience qui est vouée à l'échec, quel que soit le nombre de sénateurs au comité.
Le sénateur McIntyre : En ce qui concerne le privilège parlementaire, pendant votre témoignage devant le comité de la Chambre en novembre dernier, et aujourd'hui encore, vous étiez d'avis qu'il fallait se fier à un serment du secret comme principal mécanisme de protection exigé.
Étant donné vos remarques, pensez-vous qu'il serait raisonnable de veiller par un amendement au projet loi au rétablissement du privilège parlementaire ou pensez-vous que ce soit inutile?
M. Wark : Là encore, je laisserais parler l'expérience. Je suis d'avis qu'après cinq ans — étant donné les nombreuses dispositions visant à s'assurer que le comité puisse bien fonctionner en secret et qu'il ne devienne pas la source de fuites ou de commentaires inappropriés dans le domaine public —, l'expérience dira que le comité n'est pas la source de telles fuites. Mais je pense également, à ce stade, que nous pouvons laisser parler l'expérience. Si l'exercice de l'immunité parlementaire, par exemple, ne pose pas de problème, s'il ne s'est rien passé en cinq ans, il me semble que certaines des dispositions que j'estime exagérées pourront être facilement modifiées. Sans doute qu'un comité de parlementaires doit malheureusement faire ses preuves à cet égard.
Le sénateur Kenny : J'aimerais dire que, depuis 34 ans maintenant, j'écoute des personnes comme vous qui viennent témoigner en juin — c'est un problème typique du mois de juin — pour nous dire que le Sénat doit donner suite au projet de loi qui a passé une année entière à la Chambre des communes et qui ne nous a été transmis qu'il y a quelques semaines parce que le ciel va nous tomber sur la tête. Eh bien, ce n'est pas vrai.
Et à propos de respect, monsieur Wark, le Sénat sera respecté s'il fait du bon travail, pas s'il se dépêche pour tenir une date butoir sans même avoir examiné ses questions et les problèmes qui le préoccupent. Il ne me semble donc pas approprié que vous veniez nous dire d'en finir, que le projet de loi est bon et que le Sénat n'a rien à ajouter. Le Sénat est là pour une raison.
J'aimerais entendre parler de plusieurs sujets et je puis vous assurer qu'ils n'ont guère été discutés jusqu'ici à nos audiences, or il faut en parler davantage. Il s'agit, par exemple, du fait que nous ne connaissons pas le nombre total d'organismes sur lesquels ce comité est supposé se pencher. En tout cas, ils seront nombreux. Nous ne savons pas s'il s'agit de 17 ou de 21. Ce sont les deux chiffres qui ont été avancés.
Nous parlons d'un groupe de parlementaires qui en ce moment même n'ont pas assez de temps pour faire le travail qu'ils aiment pour leurs électeurs et pour fonctionner en tant que parlementaires. Quelqu'un s'est-il demandé combien d'heures par semaine il faudra réserver à ce comité pendant les 36 ou 37 semaines où le Parlement siège pour examiner les 17 ou 21 organismes qu'il est supposé surveiller?
Qu'en est-il de la question du roulement? Il sera très difficile d'avoir une certaine continuité à ce comité ou, mieux encore, de prévoir une courbe d'apprentissage pour que les parlementaires comprennent ce qu'ils essaient de surveiller. Personne n'a vraiment parlé des difficultés qui se présenteront et des mesures de renforcement à prendre. J'aimerais savoir si vous avez, l'un ou l'autre, des commentaires à ce sujet.
Réduire au minimum le recours au Sénat, voilà ce qui se passe jusqu'à présent. Nous avons eu des comités parlementaires mixtes dans le passé. Ils avaient toujours une coprésidence, soit un président du Sénat et un président de la Chambre des communes. Je ne vois pas cela dans le projet de loi. Je ne comprends pas vraiment pourquoi ce n'est pas prévu.
Personne n'a souligné que, dans ce projet de loi, une seule personne décide. Une personne nomme le président; en fait, il est déjà nommé et rémunéré.
Le président : Non, c'est inexact, sénateur. Rétablissons les faits. Ce sont des personnes qui ne sont pas rémunérées, juste pour que vous le sachiez.
Le sénateur Kenny : Je retire donc ce que j'ai dit.
Heureusement qu'il existe un privilège parlementaire, dont ne dispose pas ce comité, mais il a choisi le futur président et il va ensuite choisir chacun de ses membres. Je suis désolé, mais si le but est de rassurer les parlementaires, ils ont l'habitude de choisir leurs propres gens. Je ne vois aucun inconvénient à ce que le premier ministre examine les candidatures aux fins d'autorisation de sécurité. Je veux bien qu'il exerce un veto sur ces candidatures, mais si on veut que le Parlement ait confiance dans les personnes qui siégeront à ce comité, il faut qu'il participe à leur choix. J'apprécierais qu'on en parle. Il en a très peu été question jusqu'ici, mais vous voulez qu'on avance.
Le personnel est choisi par le premier ministre. Pour qui travaille-t-il, pour le premier ministre ou pour le comité? Nous n'avons pas approfondi le sujet, or il est important d'en parler. On pourrait penser que le premier ministre serait bien conseillé sans avoir à choisir tout le monde. Un serment protégera l'information qui sortira et la rédaction empêchera l'information de sortir. Je ne comprends pas pourquoi on impose à ce comité des conditions qu'on n'impose pas au CSARS, pas plus qu'au juge qui s'occupe du CST. Pourquoi fait-on plus confiance à ces personnes qu'aux parlementaires qui siégeront à ce comité?
Le président : Pouvez-vous en venir au fait? Je pense que toutes vos questions sont portées au compte rendu.
Le sénateur Kenny : Enfin, nous n'avons pas discuté du fait de savoir s'il devrait s'agir d'un comité parlementaire ou d'un comité de parlementaires. Nous l'avons tous pris pour acquis : « Voilà ce que dit le projet de loi, ce doit donc être bien. » Si nous avons un Sénat, c'est pour poser des questions sur ce qui sera vraiment bien et pour nous en convaincre.
J'aimerais connaître votre avis sur les points que je viens de soulever.
Le président : Je crois qu'il est important de préciser que le sénateur Kenny faisait partie du comité qui a examiné la question de la surveillance en 2004 et qui a remis un rapport à l'époque.
Monsieur Wark, nous commencerons par vous.
M. Wark : Sénateur Kenny, nous avons, vous et moi, beaucoup d'expérience au comité, aux moments où vous l'avez présidé. Je crois que je devrais dire deux choses en réponse à certaines de vos observations préliminaires.
D'une part, nous sommes invités en tant qu'experts à venir témoigner, et nous décidons de la nature de notre témoignage. J'espère que vous accepterez ce principe fondamental de l'intégrité, de l'indépendance et de l'expertise académiques.
D'autre part, vous auriez tort de penser que nous cherchons par nos remarques à inciter le Sénat à ne pas examiner sérieusement ce projet de loi. Ce n'est en tout cas pas mon intention et je ne crois pas que ce soit celle de M. Mendes.
Ce que nous essayons de vous dire, c'est que le projet de loi a été examiné de très près depuis un an. Il a été modifié. Je considère, en tant qu'expert, qu'il propose, comme je l'ai dit, un mécanisme acceptable. Ce mécanisme n'est pas parfait, comme l'a dit le professeur Mendes, mais il est acceptable.
On pourrait remanier pendant longtemps le projet de loi de manières qui peuvent être utiles ou futiles. Il faut se demander s'il est utile de proposer des amendements importants à ce stade, par opposition à des amendements de clarification comme la sénatrice Lankin en propose, et se poser la question du coût de nouveaux retards.
En tout cas, n'allez pas penser que nous incitons le Sénat à approuver automatiquement ce projet de loi.
M. Mendes : Si je puis ajouter quelque chose, ce que je suggère est le contraire de vous demander de fermer les yeux. Je suis d'avis que le Sénat peut, dans ce cas, vraiment montrer l'exemple à la Chambre des communes en disant : « Nous savons que vous avez eu du mal à faire adopter ce texte à la Chambre basse parce que nous ne parvenions pas à concilier les différences entre différentes parties de la Chambre des communes, mais nous proposons des observations qui peuvent concilier bon nombre de ces préoccupations. Et nous allons concilier ces préoccupations par les instructions données au comité, ce qui pourrait, au final, montrer le leadership du Sénat, pas de la Chambre des communes, dans tout ce domaine. »
Si vous insistez, et je recommande que votre comité surveille de près le fonctionnement de ce comité par rapport aux observations que vous proposez, vous pouvez exercer un leadership considérable. Ce que je suggère, monsieur le sénateur, est tout à fait le contraire de fermer les yeux. Je vous propose, en fait, de jouer un rôle moteur et de faire en sorte que, oui, le tout se fasse progressivement.
Vous avez peut-être raison de dire que beaucoup de choses clochent dans le projet de loi. Je conviens que le président devrait être élu par les membres du comité. Mais cela relève de la politique.
Nous ne sommes pas ici — je ne sais pas ce qu'il en est de mon collègue — pour parler politique. Je suis ici pour voir comment vous pouvez utiliser votre leadership pour faire de ce projet de loi un symbole de la façon dont le Sénat, avec son second examen objectif, avec son temps et sa capacité, peut créer ce comité d'une manière qui montrera que, peut- être, la Chambre des communes n'a pas fait son travail et que, vous, vous le faites. Voilà ce que je suggère.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : J'aurais simplement un commentaire à faire. J'aimerais qu'il apparaisse dans le compte rendu que je considère que tous les experts qui viennent à ce comité doivent pouvoir s'exprimer librement et donner leur avis sans craindre quelque arrière-pensée que ce soit de la part des sénateurs. Nous pouvons — après — discuter de l'avis des experts. Je tiens à ce que ce soit consigné : je ne partage pas l'opinion du commentaire qui a été fait et je crois que les experts doivent pouvoir s'exprimer librement au sein de nos comités.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, notre temps est écoulé; il est 13 h 15. Je remercie les témoins d'avoir accepté de comparaître. Je les remercie aussi du temps et des efforts qu'ils consacrent à un domaine qui préoccupe beaucoup le pays. Merci de votre présence. Ce que vous avez dit sera certainement pris en compte.
Je demanderais aux sénateurs de rester afin que nous poursuivions à huis clos très brièvement afin d'examiner le calendrier en cours en ce qui concerne l'étude du projet de loi et de parler d'autres témoins. À ce moment-là, je convoquerai une réunion du comité directeur afin que nous puissions prendre d'autres décisions.
Merci beaucoup, messieurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)