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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 16 - Témoignages du 12 juin 2017


OTTAWA, le lundi 12 juin 2017

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Honorables sénateurs, après la dernière réunion, le sénateur Kenny a communiqué avec moi pour me dire qu'il voulait revenir sur ce qu'il avait dit la dernière fois afin d'apporter des précisions.

Avant d'entreprendre nos travaux, aujourd'hui, puis-je donner la parole au sénateur Kenny?

Le sénateur Kenny : Merci, madame la présidente. Je l'apprécie et je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de parler brièvement aux membres du comité.

Je voulais plus particulièrement parler de l'échange qui s'est produit à la fin de la dernière réunion, mercredi. Je veux aussi formuler de brefs commentaires sur notre position relativement à l'étude du projet de loi C-22.

Premièrement, je tiens à remercier la sénatrice Saint-Germain d'avoir formulé ses préoccupations durant la dernière réunion au sujet de mes commentaires. Si j'ai donné l'impression que je tentais, d'une façon ou d'une autre, d'exercer une influence ou de contester les remarques des témoins, ce n'était assurément pas mon intention. Je n'avais pas d'arrière-pensée lorsque j'ai pris la parole. Je voulais tout simplement que les témoins formulent des commentaires sur n'importe lesquelles des nombreuses questions que, selon moi, nous n'avions pas abordées intégralement dans le cadre des travaux du comité.

Ma principale préoccupation, franchement, c'est que je ne crois pas que nous ayons fait honneur au projet de loi jusqu'à présent, et j'estime que les travaux du comité pourraient bénéficier de plus amples discussions, soit à huis clos, soit en public — ça m'est égal — au sujet des divers aspects du projet de loi.

J'ai l'impression qu'on tente de faire adopter à toute vitesse le projet de loi C-22. Il a été déposé devant la Chambre des communes le 16 juin 2016, et adopté par la Chambre des communes le 4 avril 2017. Les députés l'ont examiné pendant 10 mois. Le comité de la sécurité publique y a consacré huit réunions et a rencontré 27 témoins.

Le projet de loi est arrivé devant le Sénat le 13 avril. Nous avons eu environ trois mois pour l'étudier, et, jusqu'à présent, nous y avons seulement consacré deux réunions et avons seulement reçu 10 témoins. Nous avons une longue journée de travail qui nous attend. Nous allons compenser un peu le manque de temps, mais, pour ma part, je n'ai pas l'impression que nous avons donné à cet important projet de loi toute l'attention qu'il mérite.

Selon moi, ce que nous avons oublié, et ce à quoi nous devrions mieux réfléchir, c'est au fait que le comité tel qu'il est imaginé ou envisagé dans le projet de loi est absolument une créature du gouvernement. Nous sommes des parlementaires. Le projet de loi a pour effet de nous coopter au sein du gouvernement. Quasiment tous les aspects du fonctionnement du comité sont contrôlés par le premier ministre. Je sais que les gens nous ont dit que, au bout du compte, c'est lui qui est responsable, mais on parle ici des enjeux liés à la sécurité nationale. Le Sénat a son travail à faire, et je crois que son rôle est bafoué lorsqu'une personne choisit le leadership, les membres, le personnel et que c'est aussi cette personne qui peut caviarder tout ce qui en sortira.

L'objectif du comité, c'est ce que j'ai compris, est de donner aux Canadiens et au Parlement confiance grâce à ses travaux. Je crois que le niveau de confiance serait plus élevé si on ne se fait pas autant à une seule personne pour prendre toutes les décisions.

Ce n'est pas que je n'aime pas le premier ministre. Je l'aime bien. J'ai travaillé pendant 10 ans pour son père. Je connais le premier ministre depuis qu'il est bébé, et j'ai beaucoup de respect pour lui. Je ne crois tout simplement pas que ce projet de loi précis lui rende service.

Des témoins sont venus devant le comité pour nous dire que nous avions besoin de petites roues d'entraînement. Des petites roues, je n'en reviens toujours pas. Cette affirmation est habituellement liée au fait que, dans le système britannique, sur lequel s'appuie beaucoup notre projet de loi, on est passé d'un comité de parlementaires à un comité parlementaire. Cette décision a été prise pour de bonnes raisons, et la raison que les gens donnent, c'est qu'on pourra réévaluer le tout dans cinq ans, ce qui semble un genre de façon de dire qu'on n'a pas à faire notre travail, aujourd'hui, parce qu'il y a une autre équipe qui sera là dans cinq ans et qui pourra corriger les choses qu'on n'aura pas bien faites la première fois.

Je ne crois pas que le fait d'être nouveau est nécessairement un avantage. Des 30 membres de...

La vice-présidente : Monsieur le sénateur, je suis désolée de vous arrêter. Ce n'est pas mon intention. Pardonnez-moi. Nous avons un témoin qui attend, et je croyais que vous vouliez simplement fournir des précisions sur ce que vous disiez la dernière fois.

Le sénateur Kenny : Je parle de la même chose, et j'ai presque fini.

La vice-présidente : D'accord.

Le sénateur Kenny : Je parlais des problèmes. Nous sommes nouveaux, et c'est un nouvel instrument. Nous avons de nouveaux ministres au Cabinet. Personne ne s'offusque du fait que le ministre de la Défense, le ministre des Finances, la ministre de la Santé et la ministre de la Justice en soient tous eux aussi à leurs premiers pas. Personne ne laisse entendre qu'ils ont besoin de petites roues d'entraînement.

Je ne crois pas qu'un tel comité ait besoin de petites roues. Nous n'avons pas discuté, ici, de la possibilité de nommer des coprésidents représentant chaque chambre. Nous n'avons pas discuté de la question importante de l'équilibre accru entre les deux chambres.

Le niveau d'information que le comité obtient n'est pas équivalent à celui du CSARS et du commissaire du CST. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait adopter un projet de loi qui fait plus confiance à ces représentants qu'aux sénateurs et aux députés de la Chambre des communes qui seront membres du comité. Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas une discussion plus approfondie sur les pouvoirs d'assignation. Le comité doit avoir un pouvoir d'assignation. Ce n'est pas logique selon moi.

Nous n'avons pas encore discuté de la charge de travail. Il y aura 17 ou 21 organismes à examiner. Est-ce que la structure prévue, ici, est adéquate afin de vraiment assurer aux Canadiens que les activités réalisées sont légales et efficaces? Je ne vois pas comment ce sera possible.

Pour ce qui est de la surveillance ou de l'examen, il n'y a eu aucune discussion d'importance devant le comité sur la différence entre les deux et le fait que, s'il s'agit de surveillance, cela signifie une responsabilité partagée avec le gouvernement au pouvoir, ce qui n'est pas la responsabilité des parlementaires. L'examen ferait probablement en sorte qu'on pourrait éliminer les articles 14 et 16 du projet de loi parce que ce serait après coup.

Merci de votre compréhension, madame la présidente.

La vice-présidente : Merci beaucoup, sénateur Kenny. Monsieur Clement, puis-je vous demander de vous joindre à nous à la table? Merci d'être là. Nous vous avons réservé une plage horaire. Vous aurez droit aux 45 minutes.

Bienvenue à la réunion du lundi 12 juin 2017 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Mobina Jaffer. Je suis sénatrice de la Colombie-Britannique. Immédiatement à ma gauche se trouvent les greffiers du comité, Adam Thompson et Mireille LaForge.

Je vais maintenant demander aux membres autour de la table de se présenter, en commençant par le sénateur Dagenais, à ma gauche.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec. Bienvenue, monsieur Clement.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l'Ontario.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de votre circonscription.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, du Nord de l'Ontario, là aussi, près de votre circonscription.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

[Français]

La vice-présidente : Aujourd'hui, nous nous réunissons de 13 h à 19 h 30 afin de poursuivre notre étude du projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence.

[Traduction]

Chers sénateurs, comme vous le savez, nous serons ici longtemps aujourd'hui afin de pouvoir étudier en profondeur le projet de loi C-22, le projet de loi sur la surveillance. C'est une première étape importante en vue de la création d'un organisme de surveillance composé de parlementaires dont l'objet sera les ministères et les organismes responsables du renseignement et de la sécurité nationale. Nous voulons produire un rapport sur ce projet de loi le plus rapidement possible.

Nous accueillons aujourd'hui une personne très bien connue partout au pays, l'honorable Tony Clement, C. P., député et porte-parole de l'opposition officielle du projet de loi C-22 à la Chambre des communes. M. Clement est aussi porte-parole de l'opposition officielle concernant la sécurité publique.

Monsieur Clement, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui. Veuillez présenter votre exposé. Ensuite, comme vous le savez, les sénateurs vous poseront quelques questions.

[Français]

Tony Clement, député, Parry Sound—Muskoka, porte-parole de l'opposition officielle du projet de loi, à titre personnel : Je vous remercie, madame la vice-présidente. C'est un très grand honneur d'être ici avec vous. C'est la première fois que je comparais à titre de député.

[Traduction]

Avant, je comparaissais devant les comités sénatoriaux comme ministre, mais, dans la vie, il faut apprendre des choses variées. Je suis très honoré d'être ici tandis que vous étudiez ce très important projet de loi. Merci de me donner un peu de temps pour parler de cet important texte législatif.

Bien sûr, je sais que vous êtes des représentants d'une chambre qui va réaliser un examen très approfondi du projet de loi. Je veux vous faire part, au moins, de ma perception de certains des témoignages qui ont eu lieu devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, de certains des témoins qui ont bien sûr comparu devant le comité et de certains des enjeux qui ont été soulevés durant les travaux.

Comme je l'ai dit, il est capital de procéder à un examen minutieux du projet de loi. Assurément, l'examen parlementaire de nos organismes responsables de la sécurité nationale est essentiel. Remarquez mon utilisation du mot « examen ». C'est quelque chose dont le sénateur Kenny a parlé, dans sa déclaration, il y a quelques minutes. J'utilise le mot « examen » de façon très délibérée, parce que j'ai remarqué que certaines des personnes qui ont parlé de ce dossier ont confondu le mot « examen » et le mot « surveillance », et il y a une différence très importante entre ces deux rôles.

En fait, nous avons constaté pour la première fois cette confusion ou cet amalgame dans la plateforme du Parti libéral, où les libéraux ont promis de créer un comité de parlementaires responsables de surveiller la sécurité nationale. Certains peuvent m'accuser de jouer sur les mots, mais il y a en effet une distinction importante entre « surveillance » et « examen ».

La « surveillance » signifie qu'on se mêle des activités quotidiennes des organismes de sécurité qui font leur travail, sur le terrain, en tant que tel. Certains pays ont adopté un tel modèle, dans le cadre duquel une tierce partie experte de la sécurité nationale participe directement et en temps réel aux opérations. En fait, le Canada avait, anciennement, ce modèle, mais il a été jugé inefficace et a fini par être éliminé par le gouvernement conservateur précédent.

Je tiens à souligner que les parlementaires ne s'acquittent de cette fonction dans aucune administration que je connaisse. À l'inverse, par opposition à la surveillance, « examen » signifie regarder les choses après coup et s'assurer que tout a été fait de la façon la plus appropriée et efficace possible.

Je tiens à vous dire que le Parti conservateur est favorable à l'examen et à la responsabilisation de nos organismes de sécurité nationale, mais lorsqu'il est question de projets de loi comme celui-ci, comme toujours, le diable est parfois dans les détails.

Je voudrais vous dire que le projet de loi que vous avez devant les yeux aujourd'hui comporte des lacunes importantes faisant en sorte qu'il est impossible de le soutenir et, en effet, les membres du caucus conservateur ne l'ont pas appuyé à la troisième lecture. Nous l'avons soutenu à la deuxième lecture, mais pas à la troisième. De plus, certains des amendements qui ont été adoptés devant l'autre chambre ont affaibli encore plus le projet de loi. Le comité proposé par ce projet de loi, dont, évidemment, le président a déjà été choisi, donne, selon nous, beaucoup trop de contrôle au Cabinet du premier ministre et trop peu de contrôle au Parlement et aux parlementaires.

Premièrement, le premier ministre choisit les membres du comité proposé. Même s'il les choisit en consultation avec les chefs des partis de l'opposition, au bout du compte, les membres sont choisis par le premier ministre et le Cabinet du premier ministre. De plus, il y a un déséquilibre préoccupant entre les deux chambres du Parlement. Traditionnellement, les comités conjoints comptaient une représentation égale de la Chambre des communes et du Sénat. Ce n'est tout simplement pas le cas ici. Traditionnellement, il y avait des coprésidents, un du Sénat, et l'autre, de la Chambre des communes, qui étaient choisis par les membres du comité. Encore une fois, comme je l'ai déjà mentionné, ce n'est pas le cas ici.

De plus, non seulement les membres sont choisis par le premier ministre, mais les renseignements auxquels le comité proposé aura accès seront aussi dictés par le parti au pouvoir. Le premier ministre et le ministre pertinent peuvent décider que certains renseignements sont de nature trop délicate pour être communiqués au comité proposé, malgré le fait que les membres du comité sont tenus au secret sous la foi d'un serment. Ils sont assermentés.

De quelle façon le comité peut-il examiner les activités de nos services de sécurité si l'information qu'il reçoit est confirmée et approuvée par des acteurs politiques?

Laissez-moi vous parler du deuxième problème que j'ai constaté et qui concerne la nature du comité. Ce n'est pas un comité parlementaire. C'est un comité de parlementaires. Par conséquent, ils ne possèdent pas les pouvoirs et les privilèges d'un comité parlementaire. En fait, le ministre de la Sécurité publique ou le premier ministre peuvent modifier les rapports du comité ou les bloquer totalement. Cela nous préoccupe tous, et je soupçonne que certains d'entre vous, dans la salle, partagent aussi mes préoccupations.

Si des renseignements problématiques devaient voir le jour durant une enquête du comité proposé, le ministre ou le premier ministre pourrait cacher cette information, et le comité — ce n'est pas rien — n'aurait aucun recours. Selon moi, cela va à l'encontre du but recherché par l'adoption du projet de loi.

Notre bon ami, l'ancien président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le regretté Ron Atkey, qui est décédé il y a quelques semaines, a déclaré ce qui suit durant une réunion de notre comité :

Le risque que les travaux exécutés par le comité dont on propose la constitution soient compromis par un ministre qui statue que l'examen de son ministère pourrait porter atteinte à la sécurité nationale fait l'objet d'une discrimination excessive et pour cette raison, il doit être supprimé ou modifié.

S'il y a un problème grave, les Canadiens devraient pouvoir le savoir. Comme je l'ai déjà dit, je reconnais sans détour que le Parti conservateur, lorsqu'il était au pouvoir, n'a pas soutenu la création de ce comité. Je le reconnais, mais si nous devons en créer un, assurons-nous qu'il fonctionne de façon appropriée et dans l'intérêt public. Même si certains renseignements détaillés doivent être protégés, ce qui arrivera, les Canadiens ont le droit de savoir ce que le gouvernement fait en leur nom.

Permettez-moi de citer aussi Me Kent Roach, qui a comparu devant notre comité. Il a beaucoup écrit sur les questions liées à la surveillance dans le domaine de la sécurité nationale. Il a déclaré ce qui suit :

Les cloisonnements existent au détriment du bien-fondé et de l'efficacité.

Et malgré tout, c'est le système qui est créé par ce projet de loi. Je soumets aux honorables sénateurs réunis ici aujourd'hui que c'est très préoccupant. C'est une préoccupation qu'on peut dissiper en apportant quelques amendements bien réfléchis au projet de loi.

Je vous souhaite bien sûr bonne chance, que Dieu vous garde, dans le cadre de vos délibérations sur ce très important projet de loi. Merci. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Clement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Clement, de votre présentation. Évidemment, il s'agit d'un comité qui revêt une certaine importance. D'un autre côté, pour renchérir sur les propos de mon collègue, le sénateur Colin Kenny, il faut prendre le temps d'étudier le projet de loi C-22, qui vise la création d'un comité sur la sécurité nationale. Il ne faut pas bousculer les choses, mais prendre le temps d'étudier le dossier.

J'aimerais entendre votre opinion sur l'importance de la répartition équitable des membres de ce comité entre les sénateurs et les députés de la Chambre des communes, et sur l'influence que ce comité pourrait avoir sur les décisions du gouvernement. Comme vous l'avez clairement mentionné, il arrive quelques fois que le travail qui est fait en silos n'améliore pas la prise de décision.

J'aimerais également que vous nous parliez de la nomination du président du comité. À mon avis, le président devrait peut-être être élu par le comité. On sait qu'il a été nommé manu militari par le premier ministre. J'aimerais vous entendre à ce sujet, monsieur le ministre — je dis « monsieur le ministre », parce que vous avez tout de même été ministre, monsieur Clement.

M. Clement : Merci, monsieur le sénateur. Je peux dire quelques mots. Il est important d'avoir la parité et l'égalité de chaque Chambre de notre Parlement. C'est peut-être une convention de la Chambre des communes, mais il est important d'avoir la participation du Sénat.

[Traduction]

C'est important d'assurer la pleine participation du Sénat, et je le dis parce que c'est lié à la question du fonctionnement approprié du comité. Selon toute vraisemblance, l'une des choses que nous voulons que le comité acquière au fil du temps, c'est de bonnes connaissances et une expérience des affaires liées à la sécurité nationale.

Il me semble évident que les membres du Sénat peuvent jouer un rôle au sein de ce comité, tout simplement en raison de la durée des nominations au Sénat. Cet ensemble de connaissances pourrait être mieux représenté et reflété dans les travaux du comité. Je crois que c'est important.

[Français]

Il est très important d'avoir la participation de nos collègues du Sénat.

[Traduction]

Vous avez mentionné, sénateur Dagenais, l'importance du président. Dans le cadre des travaux de notre comité, c'est quelque chose qui a fait l'objet d'un amendement proposé par le NPD, soit un processus en vertu duquel le président serait nommé par les membres du comité. L'amendement a été rejeté par les membres du gouvernement qui siégeaient au comité, mais je crois qu'il serait opportun de discuter pour déterminer s'il y a une meilleure façon de choisir le président de ce comité, une façon qui respecte davantage les pratiques exemplaires dans le monde entier.

Le sénateur Kenny a aussi soulevé ce point — si vous me permettez de répéter une chose —, parce que la position du gouvernement, c'est qu'il faut apprendre à marcher avant d'apprendre à courir. C'est important de commencer quelque part et de permettre au comité d'évoluer tandis qu'il gagnera en expérience, afin qu'on ne se retrouve pas avec exactement la même situation qu'au Royaume-Uni ou en Australie. C'est selon moi un argument à courte vue, parce que l'une des choses que nous pouvons faire, c'est d'apprendre des deux décennies ou plus d'expérience au Royaume- Uni, en Australie et chez nos autres alliés. Nous pouvons intégrer ces pratiques exemplaires dans la structure de notre comité.

Pourquoi passer 20 ans pour en arriver là où les autres comités sont rendus? Selon moi, ce n'est pas un processus logique. Il serait préférable de tirer parti de leurs pratiques exemplaires, de les appliquer à notre situation et de s'assurer que les membres de ce comité, y compris les sénateurs, sont des gens de qualité, compétents et dignes de confiance. Selon moi, ce serait vraiment dans l'intérêt national.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Clement, de votre exposé. Je tiens à attirer votre attention sur trois dispositions du projet de loi, c'est-à-dire le paragraphe 12(1), sur le privilège parlementaire, les articles 14 et 16, sur les renseignements exclus, et d'autres composantes du projet de loi dont ont déjà parlé de nombreux sénateurs.

Pouvez-vous nous dire s'il n'y a pas certains amendements fondamentaux qu'on pourrait apporter au projet de loi?

M. Clement : Merci d'insister sur ces dispositions, parce qu'elles ont été abordées par beaucoup de témoins experts qui ont comparu devant notre comité. Cette préoccupation, c'est ce qu'on a appelé le « triple verrou ». En raison de ces dispositions et de leur application, il n'y a pas une, deux ou trois façons pour le gouvernement et ses organismes de sécurité — très franchement —, de s'opposer à la volonté du comité de faire son travail au titre du texte législatif proposé.

Je dirais même qu'une majorité des amendements proposés durant les travaux de notre comité visait à éliminer ce triple verrou, tout en reconnaissant qu'il y a parfois des enjeux liés à la sécurité nationale. Nous devons compter sur un comité responsable qui, assurément, doit s'assurer de ne pas miner l'intérêt public en laissant ébruiter quelque chose qui pourrait être néfaste pour la sécurité nationale.

Nous avons tellement erré du côté de la prudence en rédigeant le projet de loi qu'il serait possible de le modifier sans miner la sécurité nationale, mais tout en permettant au comité de s'acquitter des fonctions définies dans le projet de loi.

Si je peux me permettre un propos général, une bonne partie de nos amendements que vous pouvez étudier visent à trouver un juste équilibre entre le besoin pour le comité de faire son travail et la sécurité nationale. N'oublions pas que beaucoup de témoins ont dit qu'il y avait une partialité institutionnelle au sein des organismes de sécurité. Je suis sûr que ces derniers sont préoccupés par la création d'un nouveau comité. Je comprends, mais je crois que nous pouvons trouver un juste équilibre afin de nous assurer de protéger l'intérêt public dans ces circonstances.

La sénatrice McIntyre : J'aimerais revenir sur le paragraphe 12(1), qui concerne le privilège parlementaire. Le sénateur Dagenais a mentionné que vous avez été ministre au sein du gouvernement et avez eu accès à des renseignements hautement classifiés. Vous étiez assujetti à certaines obligations en ce qui a trait à la manipulation de ces renseignements. Durant votre mandat, avez-vous eu à composer avec quoi que ce soit de similaire au paragraphe 12(1) du projet de loi qui aurait pu vous retirer votre privilège parlementaire si jamais l'information en question avait été révélée dans la Chambre.

D'après ce que j'ai compris, il n'y a rien de similaire au paragraphe 12(1) dans la loi britannique non plus. Ma question est donc la suivante : le paragraphe 12(1) est-il un obstacle potentiel à la création d'une relation de confiance entre le gouvernement et le Parlement?

M. Clement : De toute évidence, rien de similaire au paragraphe 12(1) n'a jamais fait partie des discussions sur la responsabilité du Cabinet ou les obligations des membres du Cabinet.

Bien sûr, les membres du Cabinet prêtent serment. Ils sont conscients de ce serment, ce qui signifie que les discussions confidentielles du Cabinet ne peuvent pas être ébruitées. Il y aurait des conséquences immédiates, si c'était le cas, mais il n'a jamais été question de retirer l'immunité à qui que ce soit dans une telle situation.

C'est une des choses dont on entend parler dans les régions du globe où l'autoritarisme a le vent dans les voiles. Lorsqu'on constate qu'un joueur politique va trop loin dans ses attaques contre le gouvernement, tout d'un coup, de fausses accusations sont portées, et on retire l'immunité parlementaire à cette personne qui s'oppose au gouvernement au pouvoir. De toute évidence, nous ne voulons pas reproduire quelque chose de similaire dans un pays respectueux des lois comme le Canada.

Je vous dirais qu'il s'agit d'une clause sans précédent, et c'est assurément une source de grande préoccupation.

La sénatrice Lankin : Monsieur Clement, bienvenue. Merci d'être là. J'ai l'impression que nous changeons de côté dans ces dossiers, de temps en temps, entre celui qui pose les questions et celui qui y répond. C'est à nouveau moi qui pose les questions.

M. Clement : Absolument.

La sénatrice Lankin : Je vais me faire l'avocat du diable. Comme vous l'avez dit, je comprends que, lorsque vous étiez membre du Cabinet, votre gouvernement n'a pas soutenu ce projet de loi. Je travaillais pour le CSARS, à l'époque et j'avais parlé à deux ou trois ministres de la Sécurité publique et à d'anciens membres de votre cabinet, qui sont par la suite devenus membres du CSARS, et l'une des raisons du manque de soutien pour le projet de loi, c'était la partisanerie frileuse dans la Chambre des communes et le fait que les gens devaient acquérir un certain niveau de crédibilité relativement aux renseignements, ils devaient créer une relation avec les organismes, et les agences devaient quant à elles avoir l'occasion de susciter la confiance à l'égard de leurs propres actions.

En fait, j'ai eu l'occasion de parler avec Sir Malcolm Rifkind. Leur comité avait été créé depuis un certain nombre d'années à ce moment-là. Il a dit que c'était aussi pour cette raison que leur comité avait pris, au départ, la forme d'un comité de parlementaires.

Malgré le fait que certains députés et/ou sénateurs ont déjà été des ministres du Cabinet et qu'ils ont prêté serment, n'est-ce pas une préoccupation raisonnable que, dans un contexte plus partisan, il faut laisser le temps aux relations de se bâtir et au niveau de confiance de s'établir?

M. Clement : C'est une préoccupation prévisible. Je ne crois pas que j'irais aussi loin que de dire, sénatrice Lankin, qu'il s'agit d'une préoccupation raisonnable. C'est quelque chose de facile à trouver dans un endroit comme celui-ci. Malgré l'important roulement qu'a connu la Chambre des communes, par exemple, dans les dernières élections, où il y a eu 200 nouveaux députés, on peut encore trouver des gens des trois principaux partis pouvant s'acquitter de leurs responsabilités avec une grande délicatesse et dans l'intérêt du public.

Par exemple, il y a mon collègue du NPD, Murray Rankin, qui a clairement de l'expérience. En tant qu'ancien avocat du CSARS, c'est un très bon exemple. Si quelqu'un m'avait dit, comme on me l'aurait dit lorsque j'étais au gouvernement : « on ne peut faire confiance à personne au sein du NPD », j'aurais répondu : « on peut faire confiance à Murray Rankin ». C'est un très bon exemple. Dans un même ordre d'idées, j'avancerais qu'il y a aussi plusieurs membres du caucus conservateur, par exemple.

Bien sûr, le fait de trouver les bonnes personnes pouvant être membres d'un tel comité est toujours une source de préoccupation, mais avec un bassin de 338 membres de la Chambre des communes, on peut trouver les bonnes personnes. Et je suis convaincu que c'est aussi le cas pour le Sénat.

La sénatrice Lankin : En lisant entre les lignes de ce que vous dites et à la lumière de ce que j'ai entendu directement, le gouvernement précédent était préoccupé. D'une certaine façon, j'imagine que je comprends pourquoi c'est une préoccupation pour ce gouvernement.

Pour ce qui est de la question du privilège, savez-vous si les personnes font beaucoup de comparaisons entre les organismes d'examen? Savez-vous, par exemple, si les membres du CSARS bénéficient d'un privilège, de protections ou d'immunité?

M. Clement : Vous le savez plus que moi.

La sénatrice Lankin : La réponse, c'est « non ».

M. Clement : Non.

La sénatrice Lankin : J'aurais pu répondre moi-même à cette question.

Je vais vous demander de formuler des commentaires sur deux déclarations. Premièrement, le projet de loi a été beaucoup amélioré après les travaux réalisés par le comité de la Chambre des communes. J'ai lu une partie des commentaires de MM. Forcese, Kent et Menzies qui étaient ici la semaine dernière. Ils semblaient affirmer que c'était une bonne première étape et qu'il fallait y être favorable. Bien sûr, tout peut être amélioré, mais il est préférable d'avoir un demi-pain que de ne rien avoir du tout, si je peux m'exprimer ainsi. À la lumière des améliorations que vous avez apportées, je me demande ce que vous pensez de cette déclaration.

Deuxièmement, le gouvernement affirme — et je crois qu'il a raison à la lumière de ce que j'ai lu et de ce que j'ai vu dans d'autres administrations — que le projet de loi va plus loin, de certaines façons, que les régimes en place, par exemple, au Royaume-Uni et, peut-être, en Australie, puisqu'il s'agit d'un modèle hybride. On ne parle pas seulement d'examen; ce n'est pas non plus une surveillance à part entière. C'est un peu entre les deux.

Il y a certaines possibilités de surveillance d'opérations continues, sauf s'il est question de sécurité nationale ou lorsque cela pourrait être vu comme une ingérence politique dans le cadre d'une enquête criminelle.

Ces caractéristiques distinguent notre structure des 20 ans d'histoire dont vous avez parlé en ce qui a trait au comité en place au Royaume-Uni.

Pouvez-vous commenter ces deux affirmations s'il vous plaît?

M. Clement : Je serai heureux de le faire. Merci d'avoir expliqué les choses de cette façon.

Pour commencer, on pouvait bien espérer que, après au moins la moitié du processus d'examen — l'examen par la Chambre des communes — certaines améliorations auraient été apportées au projet de loi. C'est quelque chose que je reconnais évidemment.

Pour ce qui est du témoignage de personnes comme Me Roach et le regretté Ron Atkey, par exemple, je ne crois cependant pas que le fondement ou l'accent de leur principale préoccupation — c'est-à-dire la communication de renseignements et la capacité du comité de tenir le gouvernement responsable — ont été suffisamment pris en considération si on regarde les amendements qui ont été adoptés. Assurément, tous les amendements qui ont été proposés auraient permis de dissiper ces préoccupations, mais pas seulement celles qui ont été adoptées par le Comité de la sécurité nationale de la Chambre des communes.

Un demi-pain, pour une personne qui meurt de faim, c'est mieux que de ne rien avoir du tout, mais nous avons une occasion unique. Le comité s'est vu saisi du dossier et il peut créer le meilleur organisme possible. Ce serait décevant de passer à côté de l'occasion d'apporter d'autres changements permettant d'améliorer le comité.

Les témoins étaient très heureux qu'un tel comité soit créé. Vous avez tout à fait raison, sénatrice Lankin, mais, selon moi, leurs préoccupations n'ont pas vraiment été dissipées par les amendements qui ont été adoptés.

Ensuite, vous avez raison dans la mesure où le projet de loi prévoit certaines fonctions de surveillance, et d'autres, d'examen. Permettez-moi encore ici de sonner l'alarme à propos de quelque chose. Si on regarde les exceptions qui figurent à l'article 14 du projet de loi, c'est un des aspects de ce triple verrou dont a parlé Me Roach. Il n'a pas fait breveter l'expression, et c'est donc une expression que j'utilise beaucoup ces jours-ci lorsque je parle du projet de loi. L'article 14 fait donc partie de ce triple verrou :

Le Comité n'a pas un droit d'accès aux renseignements suivants :

d) les renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours menée par un organisme chargé de l'application de la loi et pouvant mener à des poursuites.

À première vue, cette disposition semble assez raisonnable, mais il y a des enquêtes dont on dit qu'elles sont en cours pendant des décennies, y compris le cas d'Air India, une enquête qui est encore en cours, d'après ce qu'on nous dit. Si un organisme de sécurité peut, sans surveillance appropriée, déclarer que tel ou tel dossier est une enquête en cours et que, par conséquent, on ne peut pas fournir l'information pertinente à cette enquête au comité, je vous dirais que, dans une telle situation, le travail du comité est entravé. Le comité ne peut pas faire son travail.

Le paragraphe 14d) n'est qu'un exemple de la façon dont le comité ne pourra pas bien faire son travail. Oui, certains aspects de ce projet de loi sont de toute évidence nécessaires, et il faut les maintenir, mais il y reste tout de même ces problèmes liés au texte du projet de loi.

La sénatrice Lankin : Je veux revenir sur la question de l'alinéa 14d). J'ai soulevé une préoccupation auprès du ministre lorsqu'il est venu. C'est exactement le même scénario que celui dont vous avez parlé relativement à ces enquêtes qui peuvent durer pendant un certain nombre d'années. Il a parlé d'une préoccupation bien réelle que nous pouvons tous reconnaître dans le cas d'une enquête criminelle. Ce serait extrêmement problématique, si je peux défendre cet alinéa, que des politiciens puissent, d'une façon ou d'une autre, se mêler à de telles enquêtes.

D'autres témoins ont mentionné que, dans le cadre d'une situation en cours, certains éléments peuvent être pertinents sans l'être pour d'éventuelles poursuites. Je ne vois pas comment on pourrait le savoir d'entrée de jeu, mais certains ont laissé entendre que nous pourrions peut-être négocier des protocoles associés au projet de loi afin d'avoir accès à l'information en question.

J'ai de la difficulté à l'imaginer, puisque le projet de loi l'interdit. J'ai l'impression que ce serait la réponse normale de tout organisme : « Désolé, la loi l'interdit alors nous ne pouvons pas en parler du tout. »

Avez-vous des commentaires ou des suggestions à ce sujet ou est-ce que, au bout du compte, selon vous, c'est quelque chose qu'il faudrait retirer des exceptions et prévoir sous forme d'un pouvoir discrétionnaire ministériel?

M. Clement : Selon moi, le fait de prévoir une telle interdiction générale permet à un ministre moins outillé que le ministre Goodale ou à un organisme moins bien administré que nos organismes le sont actuellement de perturber la capacité du comité de faire son travail à un moment ou à un autre à l'avenir.

Ce que le NPD et nous avons proposé dans nos amendements, c'était, essentiellement, de miser davantage sur le dialogue afin que le comité ne soit pas bloqué automatiquement par une déclaration d'un représentant d'un organisme de sécurité qui dirait : « Je suis désolé, l'enquête est en cours. » Le fait que ce soit déclaré comme un pouvoir sans discussion semble, selon nous, aller à l'encontre de l'intention du projet de loi.

Il doit y avoir un mécanisme mis en place si une enquête dure depuis un an, deux ans ou trois ans. Si, après 20 ans, l'enquête est encore en cours, à première vue, cela me semble déraisonnable. Il faut permettre un possible dialogue entre le comité et l'organisme responsable afin que ce ne soit pas le cas.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci, monsieur le ministre — en France, les ministres conservent leur titre, je vais donc suivre ce modèle.

J'ai beaucoup aimé, dans vos remarques liminaires, la distinction que vous avez faite entre surveillance et révision. Je pense que c'est important et qu'il y a eu confusion. Ma prémisse est que les organismes de renseignement et de sécurité, de façon générale, en cas de doute, ont développé une culture de restriction. Ce n'est pas une culture d'accès ouvert, ce qu'on peut comprendre, compte tenu du contexte.

J'ai deux questions : premièrement, que le comité de surveillance soit un comité parlementaire ou un comité de parlementaires, quels sont selon vous les accès à l'information et les renseignements qui sont essentiels à la bonne conduite de son mandat, et dont le projet de loi le prive en ce moment?

M. Clement : Je peux dire que c'est important d'avoir un comité qui peut faire le travail d'une façon qui fonctionne pour le public; pour la sécurité publique, certes, mais pour l'intérêt public aussi.

[Traduction]

C'est important de compter sur un comité pouvant bien jouer un rôle d'examen. Je le redis : si nous prenons la peine de créer un tout nouveau comité, assurons-nous qu'il peut bien faire son travail d'entrée de jeu.

L'information requise dépend des circonstances, évidemment. Il est inévitable qu'il y aura certaines interactions entre les organismes de sécurité, le ministre, le Cabinet du premier ministre — probablement — et les membres du comité. La préoccupation que nous avions, en tant que parlementaires, c'était que le fait de prévoir toutes ces choses d'entrée de jeu faisait tellement pencher la balance, que les inclinations naturelles de toute organisation, particulièrement les organisations qui s'occupent de la sécurité, allaient toujours — j'allais dire brimer, mais je dois peser mes mots — primer le besoin du comité de représenter l'intérêt public de façon appropriée.

Je ne peux pas fournir une liste des renseignements en question. C'est difficile à prévoir tant qu'on ne connaît pas le contexte approprié, mais je peux vous dire que certains des amendements que vous pouvez étudier et qui ont été présentés à l'autre comité sont raisonnables dans ce contexte et permettraient le juste équilibre entre la sécurité et la protection de l'intérêt public.

C'est ce que je croyais que nous allions faire. Oui, c'est une bête différente, parce que c'est un comité de parlementaires plutôt qu'un comité parlementaire. Nous étions préoccupés par toutes les autres choses que nous sommes habitués à voir, mais nous étions heureux de constater l'adoption de l'amendement sur la protection des dénonciateurs. Nous craignons d'avoir à tout construire à partir de rien plutôt que de faire assumer automatiquement par le comité les conventions propres aux comités parlementaires.

[Français]

Il est important de prévoir cette protection. Bien entendu, si le comité compte des députés et des sénateurs, il est important d'avoir un processus qui fonctionne, au regard des intérêts du Parlement, mais nous sommes aussi les gardiens de l'intérêt public.

[Traduction]

C'est la chose principale que nous tentions de faire avec les amendements que nous avons proposés.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Dans votre introduction, vous avez indiqué que, lorsque vous étiez membre du gouvernement, vous aviez des réserves et que vous étiez en désaccord avec la formation d'un tel comité. Sans trahir de secrets, j'aimerais savoir quelles étaient vos principales réserves à ce moment-là. J'ai bien dit sans trahir les secrets du gouvernement.

M. Clement : Mes réserves étaient liées au fait d'avoir un comité qui peut protéger les intérêts de la sécurité et les informations.

[Traduction]

C'est pourquoi le projet de loi a été rédigé comme il l'a été. Je n'en sais rien, parce que je ne fais pas partie du gouvernement, mais je serais surpris que le gouvernement au pouvoir n'ait pas été informé des mêmes préoccupations que celles qui ont été formulées à l'intention de M. Harper quant à la façon dont le fonctionnement du comité pourrait faire dérailler une situation.

C'est la raison pour laquelle le document a été rédigé de cette façon. Il est beaucoup trop prudent, cependant. Avec le recul que me permettent d'avoir les deux ans plus ou moins que j'ai passés dans l'opposition, je crois que nous pouvons trouver des gens de qualité, honnêtes et capables dans les deux chambres, des gens qui pourront gérer l'information de façon appropriée tout en fournissant un examen à valeur ajoutée qui sera nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du comité.

Le sénateur White : Merci beaucoup d'être là. J'ai moi aussi l'habitude de vous appeler monsieur le ministre, j'en ai bien peur.

Tel qu'elle est rédigée actuellement, la version actuelle du projet de loi donne au CPM ou au PM une importante capacité de révision. Croyez-vous que ce pouvoir est excessif ou aimeriez-vous qu'on réduise le niveau de révision?

M. Clement : Pour dire les choses simplement, cela fait partie du problème du triple verrou. Il y a dans la loi trois occasions de caviarder de l'information, par l'intermédiaire soit du premier ministre, soit du ministre, soit des organismes de sécurité eux-mêmes.

Nous avions proposé des amendements liés à tous ces aspects. Devrait-il y avoir un processus de révision? Il devrait y en avoir, dans une certaine mesure, mais les trois niveaux de révision dans le processus semblent, selon moi, trop lourds et néfastes à la capacité du comité de faire son travail.

Le sénateur White : Si vous deviez modifier quoi que ce soit, que proposeriez-vous?

M. Clement : Si je me rappelle bien, il faudrait faire en sorte qu'il soit plus facile de remettre en question le processus de révision. Des motifs supplémentaires devraient être donnés en cas de contestation. Si le processus de révision est trop lourd, on pourrait le soumettre à un débat public, par exemple.

Il y a beaucoup d'autres choses qu'on pourrait faire, mais, essentiellement, le gouvernement a le droit d'essayer de tirer des conclusions quant à ce qui est approprié ou inapproprié, mais le fait qu'il ait trois occasions de le faire, c'est trop. C'est essentiellement ce que disaient les membres de l'opposition au sein du comité.

La sénatrice Griffin : Ma question est assez simple. Je veux être tout à fait sûre que vous soutenez la recommandation de 2004 sur la création d'un comité parlementaire conjoint plutôt que la plus récente proposition du sénateur Segal.

La sénatrice Moncion : Ma question a trait à l'accès à l'information. La plupart des amendements proposés concernaient précisément ce sujet, et il y en avait pas mal.

Vous en avez expliqué certains, mais je ne suis toujours pas totalement sûre de comprendre le problème lié à l'accès à l'information en raison de la complexité de certains des renseignements qui pourront être fournis.

M. Clement : Pour répondre à votre première question, assurément, une recommandation concernant la création d'un comité parlementaire conjoint serait plus acceptable. Nous apprenons maintenant qu'il s'agira d'un comité de parlementaires. La plupart de nos amendements visaient à donner au comité une structure plus proche de celle d'un comité conjoint, en incluant certaines conventions et pratiques qu'on associe habituellement à un comité parlementaire conjoint.

Pour ce qui est de l'accès à l'information, c'est ce qu'on trouve essentiellement à l'article 16 sur le « refus de communication ». Il est indiqué que le ministre peut refuser de fournir au comité de l'information à laquelle, sinon, il aurait droit. Encore une fois, la notion de renseignement opérationnel spécial ratisse large et est ambiguë. En quoi consiste un renseignement opérationnel spécial? Puis, il y a la question de l'atteinte à la sécurité nationale. Bien sûr, personne ne veut qu'on porte atteinte à la sécurité nationale, mais on parle là d'une importante exception qui laisse vraiment libre cours au gouvernement au pouvoir ou à l'organisme de sécurité s'ils décident de l'utiliser.

L'article 16 a été un point de litige durant les travaux de notre comité. Nous avions proposé beaucoup d'amendements à l'article 16 — dont la plupart n'ont pas été acceptés —, et ce serait donc un sujet qui mérite, selon moi, un examen plus approfondi.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Clement, de votre disponibilité aujourd'hui. Nous avons vraiment appris beaucoup de choses grâce à votre témoignage. Nous espérons pouvoir travailler à nouveau avec vous à l'avenir.

Nous accueillons maintenant le prochain témoin, l'ancien député Derek Lee. M. Lee, votre amitié et votre expertise nous manquent sur la Colline. Je suis heureuse de vous revoir.

[Français]

M. Lee était président du Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale, dont le sénateur Kenny était vice-président.

[Traduction]

En octobre 2004, le comité a produit le rapport du Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale, le comité consultatif composé de membres de la Chambre des communes et du Sénat.

Monsieur Lee, bon nombre des principes que vous avez définis — avec le sénateur Kenny — dans votre rapport de 2004 sont repris, aujourd'hui, dans le projet de loi C-22. Nous vous souhaitons la bienvenue parmi nous et nous vous remercions du travail que vous, le sénateur Kenny et les autres membres du comité avez fait dans ce dossier.

Veuillez commencer votre déclaration préliminaire; nous passerons ensuite aux questions.

Derek Lee, ancien député : Merci, madame la présidente. Après avoir travaillé pendant de nombreuses années sur la question de la sécurité nationale en tant que député, je suis heureux d'être ici pour ce qui s'avérera peut-être la dernière étape de ce que d'autres et moi avons accompli au Parlement, c'est-à-dire l'adoption du projet de loi.

J'avais précédemment participé à l'examen décennal du SCRS, en 1989. Ma motion avait eu pour effet la création du Sous-comité sur la sécurité nationale du Comité permanent de la justice, en 1991. Je tiens à dire que deux très précieux collègues — tous les deux des progressistes-conservateurs —, Blaine Thacker et Bob Horner, avaient fait valoir l'idée au sein de leur caucus, le caucus gouvernemental à l'époque. Ma motion présentée à la fin des années 1990 a entraîné la création du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Toutes ces composantes se sont ajoutées au fil du temps. C'est un peu comme un ensemble de petites solutions temporaires qui sont adoptées pour permettre une surveillance parlementaire raisonnable; j'utilise ici le mot surveillance de façon générique et au sens large.

Lorsque je regarde le projet de loi actuel, je suis l'un de ceux qui affirment que le verre est à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Si je l'avais rédigé moi-même, je m'y serais cependant pris un peu autrement.

Comme le sénateur Kenny l'a probablement dit, il a été un membre très utile et compétent du comité intérimaire sur la sécurité nationale. À l'époque, un rapport unanime avait été remis au premier ministre Paul Martin. Un projet de loi avait été rédigé, bien sûr, mais il n'a jamais été adopté par la Chambre. Pour commencer, je vais formuler des commentaires sur une des composantes du projet de loi, puis je parlerai du contexte.

Je veux parler de l'article 20, qui concerne les procédures. Il convient de souligner que le nouveau comité n'est clairement pas un comité parlementaire. On précise même que ce n'en est pas un. Par conséquent, aucun privilège n'y est associé. Rien. Il n'y a aucun pouvoir d'assignation, de personnes, de documents ni de dossiers. Il n'a pas la capacité de protéger ses témoins. Il ne peut même pas assigner de témoins. Il n'y a ni priorité, ni planification, ni recherche. Certains diront que c'est un avion sans ailes, mais la loi en tant que telle fait en sorte qu'il en a au moins une : la capacité d'obtenir de l'information. Il n'a cependant pas toutes les cartes nécessaires en main, comme les autres comités parlementaires. Même le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité — un organisme d'examen — a le pouvoir d'émettre des assignations et celui d'assermenter.

Il y a le CPSNR, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui regroupe de 6 à 12 composantes de notre milieu de la sécurité nationale, y compris tous ses organismes et toutes ses fonctions. Je parlerai tout simplement du MR, le milieu du renseignement, puisque nous vivons dans un monde d'acronymes.

Je trouve anormal que même un comité parlementaire ordinaire, un comité permanent, comme c'est le cas actuellement, ait le pouvoir d'exiger la production de renseignements classifiés. Si vous en doutez, vous pouvez lire mon livre ou lire la décision de 2010 du Président Milliken. Il est parfaitement clair qu'un comité parlementaire permanent a tous les pouvoirs d'assignation dont il a besoin. Parfois, il ne peut pas les exercer parce qu'il n'obtient pas une majorité ou parce que la Chambre hésite à prendre les mesures qui s'imposent, mais le pouvoir existe bel et bien.

Notre Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement n'a aucun de ces pouvoirs. C'est un peu comme aller dans un restaurant chinois et remplir soi-même sa commande. On la remet au serveur et on espère qu'il apportera la nourriture. Habituellement, c'est le cas. C'est tout ce que ce comité peut faire.

Selon moi, c'est un peu une anomalie, et je le regrette un peu, mais, pour régler ce problème, il faudrait complètement revoir le projet de loi parce qu'il s'agit d'une question constitutionnelle, ce qui fait intervenir les privilèges de la Chambre et du Sénat, les privilèges du Parlement. C'est un domaine qui peut être complexe.

L'incapacité de protéger les témoins pourrait avoir un impact sur la réputation future du comité. Une situation pourrait se produire, et le comité pourrait avoir l'air incompétent. Au bout du compte, je suis prêt à lancer les dés dans ce dossier. Comme vous pouvez voir, je penche dans cette direction.

Les responsables ont probablement réfléchi à la question des locaux qu'occupera le comité, mais qui paiera pour le fonctionnement? Quelles installations les membres du comité vont-ils utiliser? Ce sera peut-être similaire à la situation du CSARS, à la façon dont le Comité de surveillance est hébergé et à la façon dont on paye pour ses activités. Le comité n'est absolument pas une fonction du Sénat ni de la Chambre des communes. Les hommes et les femmes qui siégeront à ce comité vont essentiellement disparaître de la Chambre. Selon moi, ils travailleront ailleurs, dans d'autres installations. Bien sûr, il y aura des liens avec la Chambre, comme je le soulignerai plus tard.

La question liée à la qualité et à la quantité de renseignements communiqués au comité est importante. Cet enjeu précis sera toujours d'actualité. Même si nous réglons le dossier, ici même, cette question restera un enjeu. C'est un enjeu pour tous les comités qu'ont mis en place nos autres partenaires de l'alliance.

Le sénateur Kenny et moi-même avons du moins participé à cela. Nous avons rencontré des collègues en Australie, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. Nous les avons vus au fil des ans. Nous leur avons parlé. C'est toujours un enjeu. Peu importe qui rédige les règles, les hommes et les femmes du comité doivent toujours s'efforcer d'obtenir les renseignements dont ils ont besoin. C'est là où entre en jeu le principe du besoin de savoir. C'est la raison pour laquelle je crois que nous devons peut-être tenter d'arranger le projet de loi un peu, ou de tout simplement aller de l'avant et d'en assurer l'évolution au fil du temps.

Je vais maintenant formuler quelques considérations pratiques. Si le comité n'obtient pas l'information qu'il cherche, il n'y a aucun mécanisme d'appel. Il sera laissé pour compte. Le comité est composé de députés, et ceux-ci siègent aux côtés d'autres députés, de ministres et du premier ministre. Lorsque j'étais dans la Chambre, à une exception près, le premier ministre écoutait toujours son caucus. Les députés ont toujours pu appeler le premier ministre pour dire : « Les choses ne fonctionnent pas Houston, nous avons un problème. »

De plus, le ministre ne veut pas se faire prendre dans une de ces situations. Dans un premier temps, bien sûr, le député pourrait se tourner vers le ministre et dire : « Nous devons régler le problème. Les renseignements communiqués ne sont pas adéquats. Nous ne pouvons pas faire notre travail. » Et celui-ci de répondre : « Oh, je ne peux rien faire. Les représentants ne me le permettent pas. » Le député doit alors se tourner vers le patron du ministre. Le ministre n'aime pas ce genre de situation, et les représentants non plus.

Je n'ai jamais eu l'honneur de servir au Sénat, mais il y a une façon de faire ces choses. Il y a une façon de repousser les limites. Tous nos collègues doivent le faire. Tous nos collègues internationaux dans d'autres pays n'ont pas toujours à le faire, mais ils doivent tout de même le faire de temps en temps. Les gens semblent y arriver au bout du compte. Ils sont capables de flatter le système dans le sens du poil pour obtenir les renseignements dont ils ont besoin. Si un document est trop caviardé, s'il y a un peu trop de noir ou de blanc, il faut retourner au champ de bataille et essayer à nouveau : il faut faire preuve de persistance.

À la lumière de mon expérience, je veux souligner quelques autres dynamiques pertinentes dont on ne parlera probablement jamais dans la loi et qui concernent ce type de comité. Au fil du temps, on fera de plus en plus confiance au comité et à ses membres. C'est la réalité. On travaille avec les gens, et ils finissent par faire confiance à la nouvelle institution. On finit par faire partie du processus, et les obstacles qui étaient peut-être là au départ disparaissent. Le système commence à faire de plus en plus confiance au nouveau comité.

Les membres eux-mêmes apprendront à mieux maîtriser le principe du besoin de savoir. On ne demande pas tout. On ne réagit pas à chaque phrase caviardée. On tente d'obtenir ce dont on a besoin pour faire son travail. On finit par comprendre qu'on n'a pas besoin de tout savoir. Même si on pouvait tout savoir, on ne veut pas, parce que ce n'est pas nécessaire, et, en outre, on ne peut pas parler de ce qu'on ignore.

Je me souviens d'une réunion avec un ancien directeur de la CIA. Il avait dit : « Six mois plus tard je ne me souviens plus si c'est quelque chose que j'ai appris à la une du New York Times ou dans une note d'information confidentielle ».

Il faut oublier. Il faut tourner le dos. On reçoit de l'information classifiée, elle reste là, dans une boîte d'acier, et on n'en parle pas. Les membres du comité l'apprendront, et leurs homologues dans les organismes sauront qu'ils savent. Ils sauront qu'ils savent, c'est ce que m'a appris mon expérience en tant que législateur œuvrant près de ces agences.

La vice-présidente : Monsieur Lee, nous avons beaucoup de questions. Je suis sûre que ces choses seront abordées durant la période de questions.

M. Lee : Pourquoi ne pas passer aux questions?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Comme vous l'avez mentionné, monsieur Lee, le temps que vous avez consacré à ce projet est la preuve qu'on ne peut pas bousculer les choses dans ce domaine important qu'est la sécurité. Je dis cela, parce que j'ai l'impression qu'on voudrait nous faire adopter ce projet de loi sans amendement. À ce qu'on dit, il est tout à coup urgent.

Seriez-vous favorable à un amendement que nous pourrions apporter au projet de loi selon lequel le président serait choisi par les membres du comité plutôt que par le cabinet du premier ministre, qui s'est réservé ce droit, tout comme il s'est réservé le droit de désigner les employés du futur comité? Et, du même coup, croyez-vous qu'on devrait apporter un amendement pour protéger correctement les sonneurs d'alerte qui pourraient fournir des informations à ce comité?

[Traduction]

M. Lee : Pour ce qui est du président, je crois que, 99 fois sur 100 — qu'il soit élu par le comité ou le premier ministre ou en consultation avec les deux chambres —, au bout du compte, il fera l'affaire. À bien y réfléchir, dans ce cas-ci — puisque c'est le coup d'envoi d'une nouvelle partie —, je préfère une nomination au terme d'une consultation à la Chambre et/ou au Sénat. Pour ce qui est de nos relations internationales, le président aura l'approbation du gouvernement. Je ne crois pas que ce sera néfaste du tout pour le comité. Je suis sûr que, peu importe qui est choisi — pour un certain nombre de raisons que je ne vais pas aborder ici —, il ne sera le chien de poche de personne. J'accepterais la nomination.

Le deuxième enjeu était l'amendement visant à protéger les dénonciateurs. Selon moi, c'est une omission que de ne pas prévoir un genre de protection pour les dénonciateurs ou même les témoins ordinaires qui comparaissent devant un comité parlementaire. J'estime que le comité devrait avoir la capacité de protéger les dénonciateurs grâce à des privilèges permettant de le faire. Je n'ai pas réfléchi au libellé qui permettrait d'y arriver, mais l'idée est là.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Nous avons reçu différents témoins à qui nous avons posé des questions sur les faiblesses du projet de loi, notamment en ce qui touche l'accès à l'information et à l'indépendance par rapport au gouvernement.Certains de ces témoins, experts en sécurité, nous ont dit que mieux valait un projet de loi imparfait adopté rapidement que l'absence de cet organisme de surveillance. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Lee : Oui, à la lumière de mon expérience, je crois qu'il faut mettre le comité en place et veiller à ce qu'il soit opérationnel. Les membres seront tous des politiciens. Ils trouveront bien une façon de faire le travail.

Je suis en faveur de ne pas trop en faire. Il reste suffisamment de temps dans le cadre de la présente législature, j'imagine. Vous pourriez vous faufiler et apporter quelques amendements importants, mais cette décision revient aux sénateurs. J'ai déjà dit que je suis favorable à l'adoption du projet de loi le plus rapidement possible. C'est un projet de loi qui fonctionne, et il n'y a pas d'omission flagrante.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Lee, de votre exposé. Vous avez présidé le Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale de 2004. Vous avez produit un rapport très intéressant, dans lequel — à mon souvenir — vous parliez d'une approche proprement canadienne.

Vous avez milité pour la création d'un comité conjoint et à parts égales du Sénat et de la Chambre, un comité qui serait présidé ou coprésidé par des représentants des deux chambres. Vous avez même recommandé la création d'un comité du Parlement, et non pas d'un comité de parlementaires. Vous avez aussi mentionné que les membres du comité devaient être nommés par le premier ministre.

En d'autres mots, vous recommandiez une structure beaucoup plus ambitieuse pour assurer l'examen parlementaire des questions liées à la sécurité et au renseignement au Canada. J'aimerais comprendre pourquoi vous en êtes venu à cette conclusion à ce moment-là.

M. Lee : Oh, c'est facile. C'était notre travail de parlementaires à l'époque. N'oubliez pas, nous venions de vivre le 11 septembre. Je me souviens — c'est environ une semaine après le 11 septembre — qu'un ministre du gouvernement était venu me voir à la hâte : « Derek, Derek, le Sous-comité sur la sécurité nationale est-il encore en fonction? » J'ai dit : « Oui, oui; c'est là-bas. » Il a dit : « Dieu merci. »

Le point, c'est que le gouvernement a besoin de ce type de comité. Sinon, il a l'air de tout cacher. Il faut se pencher sur la question des libertés civiles et celle de l'optimisation des dépenses. Seul ce type de comité peut faire tomber les murs et y arriver.

Pour ce qui est du comité intérimaire, si je me souviens bien, nous nous sommes entendus à l'unanimité. Ça n'a pas été facile, et nous avons dû composer avec des enjeux liés à la sécurité, à la loyauté et à des questions juridiques, mais nous en sommes arrivés à cette recommandation. Le Sénat assure la continuité constitutionnelle, tandis que des députés peuvent se joindre au comité ou en être retirés au gré des élections. Selon moi, le fait de compter sur quelques sénateurs d'expérience au sein d'un tel comité serait un atout. C'était aussi le point de vue du comité.

Je ne suis pas sûr que tous les membres du NPD soutenaient avec aplomb la participation du Sénat, mais nous avons réussi à produire — si je me rappelle bien — un rapport unanime, qui a fourni le fondement du projet de loi que nous avions rédigé. Si la décision me revenait, j'aurais rédigé un projet de loi avec un petit peu plus de mordant que le projet de loi actuel. Je suis convaincu que, peu importe le résultat final, les députés feront en sorte que ça marche.

La sénatrice Lankin : C'est encore purement théorique : que fera-t-on et que devrions-nous faire? Tant que le comité n'est pas fonctionnel, on ne peut que spéculer. Ce que j'ai constaté en partie au cours des 15 dernières années, c'est que le gouvernement Martin a rédigé un projet de loi et n'a pas pu le faire adopter. Dans le cas du gouvernement Harper, le projet de loi du gouvernement Martin a été revu pour créer un nouveau projet de loi. Il a poireauté et n'a jamais été présenté. À la lumière des meilleurs renseignements que j'ai obtenus, on a pris ce projet de loi, on l'a amélioré, et il nous est maintenant proposé par le gouvernement Trudeau.

Il faut reconnaître l'hésitation des organismes. Il y a une certaine hésitation au sein du gouvernement. Si on passait à l'action et qu'on permettait au comité d'obtenir une certaine expérience, on pourrait éliminer certaines de ces préoccupations et permettre à cette entité de prendre du coffre.

Vos commentaires sur les différents éléments de l'article 20 m'ont interpellée. Il y a trois choses : le privilège, la protection des témoins et le pouvoir d'assignation. En ce qui a trait à la protection des témoins, prévoyez-vous que ce comité entendrait des témoins de l'extérieur du service public et des organismes? Je vais vous expliquer pourquoi je vous pose la question.

M. Lee : Ce ne serait pas courant. C'est la réponse courte.

La sénatrice Lankin : Selon moi, dans le cadre de leur travail, ces gens bénéficient d'une protection pour les dénonciateurs. Les seules personnes devant qui ils témoigneront sont des membres du comité qui ont prêté serment. Je ne crois pas que ce soit la même chose que lorsqu'une personne témoigne devant un comité public.

Pouvez-vous m'aider à comprendre de quelle façon on pourrait avoir un si grave problème qu'il faut envisager une bonification maintenant plutôt que de laisser l'expérience parler d'elle-même?

M. Lee : Comme je l'ai déjà dit, je suis réticent à l'idée que le comité veuille aller de l'avant et entendre des témoins. Actuellement, il n'y a selon moi pas d'infrastructure qui lui permette d'accueillir des témoins. Je ne sais pas si le gouvernement y a pensé, mais en tant que parlementaire, je crois qu'il faut permettre aux députés d'avoir accès à des renseignements qui ne sont pas prémâchés par le gouvernement.

S'agit-il d'un organisme qui veut tout simplement dire quelque chose à un membre du comité, à huis clos, au besoin? Les choses se passeraient probablement à huis clos. Si on fait venir un témoin, l'avocat de ce témoin dira : « Je ne crois pas que ce soit possible. Je ne peux pas vous recommander d'aller de l'avant, parce que les députés ne contrôlent pas le processus. » C'est à huis clos, mais ce n'est pas comme s'ils ne pouvaient pas parler de ce qui s'est passé dans la salle. Ils ont seulement une obligation au secret relativement à l'information que leur fournissent les organismes, pas à l'égard de ce que quelqu'un qui vient les rencontrer dans la salle pourrait bien leur dire.

La capacité de gérer l'information qui ne vient pas du gouvernement n'existe pas. Elle n'est pas là. Si j'étais le président, c'est quelque chose que j'éviterais comme la gale. Le fait de dire : « non, nous ne pouvons pas faire venir des gens. D'une certaine façon, nous ne pouvons pas avoir accès à cette information », empêcherait le comité de jouer son rôle.

Sinon, le comité serait comme une moitié de CSARS : on regarde des choses, on renvoie l'information et on coche des cases. Dans le domaine des libertés civiles et de l'optimisation des dépenses, il y a tout un monde de données qui existe, et ces données ne sont pas seulement gérées par les organismes du milieu du renseignement. Les renseignements classifiés, oui, mais il y a aussi des citoyens en jeu.

La sénatrice Lankin : Je ne suis pas sûre que nous ayons les mêmes renseignements en ce qui a trait à la capacité de faire témoigner des personnes. C'est assurément quelque chose que prévoit le gouvernement. Dans son témoignage, le ministre a dit qu'il en sera ainsi. La personne qui comparaîtrait serait choisie à la lumière des meilleurs conseils du directeur de l'organisme, et ce, seulement en raison de considérations liées aux opérations sur le terrain, à la participation à de telles opérations, au moment où elles se déroulent et à ce genre de considérations. C'est la raison pour laquelle il est contre l'attribution d'un pouvoir d'assignation.

Je ne sais pas si c'est une raison suffisante ou non, mais on prévoit assurément que des témoins comparaîtront devant le comité. À la lumière de vos commentaires, je ne suis pas sûre que vous voyiez les choses de cette façon.

M. Lee : Je ne voudrais pas qu'un témoin comparaisse en pensant que c'est exactement comme s'il était devant un comité parlementaire, parce que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas un comité parlementaire. Il pourrait aussi bien aller parler au comité de rédaction du Toronto Star.

La sénatrice Griffin : Seriez-vous favorable à un amendement pour classifier les activités du comité comme étant des procédures judiciaires de façon à ce que les témoins prêtent serment et qu'on puisse ainsi obtenir la vérité?

M. Lee : Tout à fait. Ce serait un amendement facile. Oui, je crois que ce serait facile, même s'il fallait réfléchir aux répercussions plus générales découlant de l'intégration de ces composantes à la structure de ce type de comité. À première vue, oui, j'y serais favorable.

La sénatrice McPhedran : Lorsque le ministre Goodale est venu ici, il a parlé un certain nombre de fois dans sa déclaration de la Charte canadienne des droits et libertés. J'aimerais obtenir votre point de vue sur la valeur... ou plutôt votre point de vue sur les risques en cause, si nous décidons d'examiner à nouveau le mandat du comité — et plus particulièrement l'article 8, où il est indiqué que le mandat du comité consiste à examiner le cadre réglementaire, législatif, administratif et financier de la sécurité nationale et du renseignement —, et d'ajouter aux objectifs des examens, entre autres, le respect de la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Lee : Bien sûr, ce serait un des objectifs globaux du comité. Je crois que chaque membre du comité dirait : « Oui, nous devons tenir compte de la Charte dans tous nos examens. » Il y a quelque chose qui me dit que ces enjeux sont déjà pris en considération, normalement et de temps en temps, et que c'est habituellement le rôle d'une autre composante du gouvernement, d'une autre composante du ministère de la Justice.

En faire une fonction explicite ne serait pas problématique. Ce serait une façon de donner une certaine orientation au comité, parce que, actuellement, le comité est chargé de réaliser des examens. Ce n'est pas un mauvais mandat, mais on pourrait ainsi donner une certaine orientation au comité. Sa raison d'être pourrait être plus facilement acceptée si la Charte fait partie du mandat. Je crois que c'est une bonne façon de voir les choses.

La sénatrice Boniface : C'est peut-être moi, mais je ne vous ai pas entendu parler du privilège parlementaire et du débat en cours connexe. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Lee : Vous voulez dire dans le projet de loi?

La sénatrice Boniface : Oui.

M. Lee : Essentiellement, il n'y a pas de privilège parlementaire prévu dans le projet de loi.

La sénatrice Boniface : Oui.

M. Lee : Il n'y a rien. La seule référence, en fait, c'est lorsqu'il est question de l'exclusion du privilège parlementaire, dans le cas où un membre serait poursuivi pour violation du secret. C'est une illusion de croire que, en quelque sorte, c'est de cette façon que le privilège parlementaire est enchâssé dans les lois. Il n'y a aucun privilège parlementaire. En fait, les membres sont laissés à eux-mêmes. On leur retire complètement ce privilège. C'est la raison pour laquelle je pensais que certains parlementaires ne l'avaient peut-être pas compris.

J'exagère un peu en disant que travailler pour ce comité c'est un peu comme travailler pour General Motors. Ici, on travaille en vertu d'une certaine interprétation de la loi, mais bonne chance. J'espère que ça fonctionnera : « Voici votre mandat. Vous n'avez aucun pouvoir juridique ni de pouvoir d'assignation. Vous ne pouvez pas protéger vos témoins. Si vous faites une erreur, vous vous exposez à des poursuites. » Bonne chance aux hommes et aux femmes de la Chambre des communes et du Sénat.

J'exagère follement, mais je crois que vous comprenez ce que je veux dire. Je suis un parlementaire. Je ne suis même pas certain que les membres de ce comité auraient encore une partie des privilèges. Ce serait un comité complètement différent. Il faudrait une autre réunion du comité... Nous n'allons pas nous attarder sur le sujet, mais la question du privilège est fascinante. Elle colle à ce projet de loi particulier.

Le sénateur White : J'allais poser la question plus tard. Certains soutiennent que vous ne pouvez pas vraiment perdre votre privilège parlementaire, certainement pas pour un rôle comme celui-ci, sauf si vous l'avez d'une manière ou d'une autre accepté. Êtes-vous d'accord? Est-ce que c'est ce que vous êtes en train de dire? N'êtes-vous pas convaincus que le privilège parlementaire pourrait vous être enlevé?

M. Lee : Le projet de loi vous l'enlève. En l'occurrence, personne n'a à donner son consentement.

Le sénateur White : Je comprends.

M. Lee : J'imagine qu'un député ou une députée pourrait, sans avoir rien fait, renoncer à un élément de son privilège. La Chambre des communes et le Sénat peuvent retirer le privilège. Je me souviens, il y a 10 ou 15 ans, que le ministère de la Justice avait présenté un amendement au Code criminel. Je suis tout simplement tombé dessus par hasard. Il s'agissait de supprimer tout un pan du privilège parlementaire. Je suis allé voir le premier ministre de l'époque et je lui ai dit : « Vous ne pouvez pas faire ça. » Le projet de loi a été modifié.

Nous avons tous tendance à tenir nos privilèges pour acquis et à penser qu'il y a quelqu'un qui veille au grain. Dans cette affaire, je ne voulais pas que les députés pensent qu'ils avaient tous les privilèges. Ils en ont peut-être quelques- uns, mais, au bout du compte, ce n'est pas clair.

La vice-présidente : J'aimerais poser une question pour connaître votre opinion sur la composition du comité. Dans le rapport provisoire du comité, vous proposez un ratio différent de celui de deux députés par sénateur. Vous affirmez que le comité mixte de parlementaires devrait être représenté à parts égales par des membres de la Chambre des communes et du Sénat. Vous savez ce que propose le projet de loi C-22 : 3 sénateurs sur 11 membres.

Pourriez-vous expliquer, s'il vous plaît?

M. Lee : Ce serait en raison de l'excellente représentation du Sénat au comité intérimaire. Il y avait le sénateur Michael Forrestall et le sénateur Kenny. Est-ce que j'en oublie un ou est-ce qu'il n'y en avait que deux?

Le sénateur Kenny : Tommy Banks.

M. Lee : Oui, le sénateur Banks. Tous les membres de la Chambre, si je me souviens bien, ont accepté que des membres du Sénat soient présents. La plupart des sénateurs ont de longues années de service, et c'est un atout pour un comité de parlementaires. Le calcul est simple : 50-50, ça n'a rien d'extraordinaire. Qu'est-ce que c'est, pour l'instant, 70-30? C'est à peu près 70-30, n'est-ce pas?

La vice-présidente : Pas tout à fait. C'est 8-3.

M. Lee : L'important, c'est que des sénateurs sont présents, et je suis d'accord. Selon la Constitution canadienne, nous devons reconnaître que le Sénat est un atout très précieux. Le fait que les sénateurs ne soient pas élus est peut-être une bonne chose, ou peut-être une mauvaise chose, mais c'est ainsi. Aujourd'hui, la Chambre propose 80-30, si j'ai bien compris.

Je m'accommoderais très bien d'un comité à 50-50, mais j'aimerais que la chambre des élus joue son rôle correctement en tant que chambre des élus, peu importe la composition du comité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Lee. En tenant pour acquis que le président sera nommé par le premier ministre et représentera la Chambre des communes, seriez-vous favorable à un amendement proposant que le vice- président du comité provienne du Sénat?

[Traduction]

M. Lee : Oui, cela ne me poserait aucun problème. Il serait peut-être toutefois illusoire qu'un vice-président soit un membre du Sénat si la loi ne définissait pas son rôle. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une nouvelle entité, ce n'est pas un comité parlementaire. On ne sait pas tout à fait clairement quel serait le rôle du vice-président de ce Comité de parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Il est évident que le vice-président appuierait le président. Cela ne poserait absolument aucun problème.

La vice-présidente : Monsieur Lee, merci beaucoup de vous être rendu disponible. Votre expertise nous sera certainement utile. C'est toujours un plaisir de vous recevoir. Merci beaucoup.

M. Lee : Merci. J'ai trouvé l'exercice agréable. Bonne chance.

La vice-présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant accueillir notre troisième groupe de témoins. Nous accueillons Me Craig Forcese, professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et Me Kent Roach, professeur titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique de la Faculté de droit de l'Université de Toronto.

Ce n'est pas la première fois que MM. Roach et Forcese comparaissent devant notre comité. Nous leur avons souvent demandé leur soutien, comme l'ont fait d'autres comités du Sénat. Vous connaissez très bien tous les deux le sujet dont nous débattons aujourd'hui. Je vous souhaite la bienvenue au nom de tous les membres de notre comité. Nous avons bien hâte de discuter avec vous et de poursuivre notre relation professionnelle.

Maître Forcese, vous pouvez commencer.

Craig Forcese, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je remercie les membres du comité et du Sénat de nous accueillir. Nous avons en fait divisé notre exposé, par souci d'efficience. Je vais donc vous donner un peu de contexte puis présenter deux petites suggestions.

J'aimerais cependant noter que M. Lee, dans un précédent témoignage, avait indiqué qu'à son avis, le projet de loi C-22, — et le comité — était comme un verre à moitié plein. J'irais jusqu'à dire que, dès la première lecture, j'ai trouvé que c'était comme un verre à moitié plein et que, aujourd'hui, dans sa forme modifiée, il est comme un verre aux trois quarts plein. Nous allons présenter des critiques constructives, mais, dans l'ensemble, nous sommes en faveur de ce projet. Je vais donc vous expliquer pourquoi notre soutien est sincère.

J'aimerais revenir sur le rapport présenté en novembre 2014 par le comité sur le renseignement et la sécurité du Royaume-Uni. Cette étude de 200 pages, portant sur le renseignement, avait trait au meurtre du fusilier Lee Rigby par deux terroristes, dans une rue du sud de Londres. Le rapport concluait que, selon sept différentes enquêtes des agences de sécurité, les deux terroristes en question étaient des personnes d'intérêt. Des erreurs ont été commises, pendant les opérations. Bien qu'il soit peu probable que, même sans ces erreurs, les services auraient pu prédire et empêcher le meurtre du fusilier Rigby, le comité sur le renseignement et la sécurité a proposé un certain nombre de changements systémiques des opérations des services. Il a mis en lumière les leçons apprises et a présenté des recommandations.

Supposez maintenant que la situation se soit produite au Canada. Il y a près de trois ans, le caporal Nathan Cirillo et l'adjudant Patrice Vincent ont été tués par des terroristes, dans deux incidents distincts, y compris celui qui s'est terminé dans l'édifice même du Parlement. Nous n'avons pas de rapport public de sources véritables sur ce qui s'est produit. Qu'est-ce que nos services savaient? Comment en sont-ils arrivés à prendre les décisions qu'ils ont prises? Quelles leçons ont-ils retenues? Au mieux, nous avons des comptes rendus lourdement censurés du système de sécurité de la Colline, comme si les questions touchant la sécurité nationale ne s'étaient posées qu'au moment où des terroristes sont entrés dans l'enceinte du Parlement.

Il y a des documents internes sur les leçons retenues par la police. Ils n'ont jamais été publiés. Il y a un rapport du coroner du Québec sur l'attaque de Saint-Jean-sur-Richelieu, mais aucune mesure n'a été prise pour rassembler toutes les conclusions du gouvernement. Autrement dit, le Canada ne fait pas comme il le faut les exercices liés aux leçons retenues. Il y a des commissions d'enquête judiciaires, par exemple celles sur le traitement de Maher Arar et il y a eu une enquête sur l'attentat d'Air India, longtemps attendue, mais cela reste épisodique. Lorsqu'une commission d'enquête prend fin, ses recommandations disparaissent avec elle.

Pendant ce temps, nos comités d'experts s'attachent à la conformité avec les lois et les politiques, ce que nous appelons les « examens de pertinence. » Ces examens débouchent rarement sur des recommandations touchant ce que nous appelons les « examens de l'efficacité », qui viseraient à savoir si nos systèmes nationaux de sécurité fonctionnent bien et, surtout, s'ils collaborent bien ensemble. Et c'est pourquoi nous soutenons le projet de loi C-22. Il confère aux parlementaires une sérieuse responsabilité relativement à la sécurité nationale, pour la première fois dans l'histoire du Canada. D'ailleurs, l'enquête McDonald, au début des années 1980, recommandait déjà un tel rôle. Point plus important encore, le projet de loi ouvre la porte pour la première fois à la possibilité d'un examen pangouvernemental par un organisme permanent, capable de suivre la piste d'un ministère à un autre et de mener un examen sur l'efficacité. Cette entité durera, et elle sera en mesure d'assurer un suivi qui était impossible aux commissions d'enquête ponctuelles.

Nous croyons que la proposition du projet de loi C-22 se compare avantageusement avec des propositions semblables d'autres démocraties de type Westminster, même s'il ne faut pas comparer des pommes et des oranges. J'ai fourni un tableau. Si j'ai bien compris, il sera traduit. J'ai tenté de comparer le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande en fonction de diverses caractéristiques de l'examen parlementaire.

Pour toutes ces raisons, nous croyons que le projet de loi C-22, même dans sa version actuelle, mérite notre soutien, mais ce soutien s'accompagne de quelques mises en garde. La réussite du comité de parlementaires proposé dépendra, ultimement, de trois critères. Premièrement, les parlementaires qui assumeront ce rôle devront pouvoir s'acquitter de leurs fonctions avec sérieux, de bonne foi et sans être assujettis à la réglementation des organismes. Autrement dit, nous devons nommer les bonnes personnes.

Deuxièmement, en pratique, les parlementaires participeront à temps partiel aux travaux du comité d'examen, et il y aura un roulement, parmi les parlementaires, et en particulier entre les parlements. Il faudra un personnel stable, bien appuyé et composé d'experts, pour assurer la continuité et le savoir institutionnel.

Troisièmement, le comité devra avoir un accès sans réserve à l'information classifiée. J'aimerais, dans le temps qu'il me reste, souligner ce troisième axiome.

En ce qui a trait à l'accès à l'information, le comité proposé par le projet de loi C-22 ne pourra pas procéder à un examen aussi robuste que les organismes d'examen spécialisés, par exemple le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, principalement en raison du fait que le comité aura un accès plus limité à l'information.

Devant la Chambre des communes, nous avons fait valoir que le comité prévu par le projet de loi C-22 devrait avoir le même accès à l'information que les organismes d'examen spécialisés, comme le CSARS. Cela limiterait les exceptions prévues à l'article 14 aux documents confidentiels du Cabinet uniquement en éliminant entièrement l'article 16. Cet argument, de toute évidence, n'a pas obtenu l'aval du gouvernement.

Aujourd'hui, devant vous, nous mettons de l'eau dans notre vin et proposons des modifications plus modestes qui, à notre avis, respectent les objections du gouvernement, qui refuse, selon nous, que l'on aille aussi loin et qu'on échange tous les renseignements, mais cela permet quand même au système du projet de loi C-22 d'évoluer et de remplir sa fonction.

Premièrement, selon l'article 14, le gouvernement pourra automatiquement refuser que le comité ait accès à certaines catégories de renseignement. La disposition qui nous préoccupe tout particulièrement est l'alinéa 14d), lequel concerne les enquêtes des organismes chargés de l'application de la loi. Ces enquêtes peuvent durer indéfiniment. Encore aujourd'hui, des dizaines d'années plus tard, l'enquête sur l'attentat d'Air India de 1995, menée par la GRC, est toujours en cours. Encore aujourd'hui, le comité du projet de loi C-22 ne pourrait pas avoir accès aux renseignements touchant la conduite désastreuse du milieu de la sécurité et du renseignement dans cet incident terroriste, le plus horrible qui ait eu lieu au Canada.

Nous comprenons les motifs de l'exception prévue à l'alinéa 14d). Cela tient à l'indépendance de la police. Nous sommes inquiets, cependant, car l'article 14 ferme définitivement la porte au partage, même dans le cas où les préoccupations touchant l'indépendance de la police pourraient s'être atténuées. Nous notons en outre que cette exclusion obligatoire va plus loin que ne le prévoient certains aspects de la Loi sur l'accès à l'information. C'est pourquoi nous estimons que cette disposition devrait être modifiée de façon que le chef des services de police, plus probablement le commissaire de la GRC, conserve le pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements.

Je vais lire le texte, aux fins du compte rendu. Nous proposons de limiter cette exclusion aux renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours conduite par un organisme d'application de la loi et pouvant mener à des poursuites au cas où, de l'avis du directeur de l'organisme, il serait raisonnable de s'attendre à ce que la communication de l'information au comité porterait préjudice à l'application d'une quelconque loi du Canada ou d'une province du Canada ou à la conduite d'enquêtes légitimes. Ce libellé est presque mot pour mot celui de la Loi sur l'accès à l'information.

Cet amendement créerait un pouvoir discrétionnaire quant au partage de l'information. L'article 16 crée lui aussi ce pouvoir discrétionnaire. Ce qui nous préoccupe, donc, c'est que l'on demandera désormais à de nombreux responsables de se servir de leur pouvoir discrétionnaire pour des motifs plutôt généraux de refuser de communiquer des renseignements au comité du projet de loi C-22. Nous craignons que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé sans uniformité, selon le moment et selon le responsable.

Nous proposons donc un deuxième amendement inspiré des lois du Royaume-Uni. Il rend obligatoire la création d'un protocole d'entente entre les services de sécurité et le comité sur le renseignement et la sécurité du Royaume-Uni, un protocole qui régirait entre autres choses l'échange d'information. Le protocole pourrait servir à établir des lignes directrices négociées plus précises visant à uniformiser l'exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser l'échange d'information. Il pourrait être modifié lorsque le comité prévu par le projet de loi C-22 aura gagné en confiance et en crédibilité en tant qu'organisme d'examen.

Autrement dit, nous devrions éviter de créer un comité qui serait dès le départ affaibli et qu'il ne serait pas possible de corriger avant l'examen législatif complet qui doit avoir lieu cinq ans plus tard.

Mon collègue, Kent Roach, va maintenant aborder d'autres questions touchant le projet de loi C-22.

Kent Roach, professeur, titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup de l'invitation; merci beaucoup, sénatrice Jaffer, de cette très gentille présentation.

Comme on l'a déjà expliqué, nous soutenons en principe le projet de loi C-22. Cet élargissement de l'examen parlementaire des activités de la sécurité nationale, qui se ferait pour l'ensemble du gouvernement, était attendu depuis longtemps. Comme Me Forcese l'a mentionné, la Commission McDonald en avait fait une recommandation, en 1981. J'ajouterais seulement que nous sommes le seul pays du Groupe des cinq qui refuse de confier à ses parlementaires des renseignements secrets.

Une des forces de ce projet de loi tient aux articles 22 et 23, qui reconnaissent qu'il y aura des échanges dans les deux sens entre le nouveau comité et les organismes d'examen existants de la GRC, du SCRS et du CST.

Ce qu'il faut souligner, ici, ne s'arrête pas à ce qui a été souligné à propos de l'article 9, c'est-à-dire que le nouveau comité doit éviter le dédoublement des tâches d'examen. Tout le travail est fondé sur l'évaluation du risque et la vérification. Il ne s'agit pas à proprement parler de surveillance, mais, dans le but que les organismes d'examen travaillent de concert, j'englobe les organismes d'examen existants et le nouveau comité des parlementaires.

Une autre force de ce projet de loi a trait aux dispositions selon lesquelles le comité ne sera pas composé à majorité de députés du parti au pouvoir. La sécurité nationale et la sécurité du pays ne peuvent que pâtir lorsque la sécurité nationale devient un enjeu partisan. C'est pour cette raison que je suis en outre en faveur d'une forte représentation du Sénat au comité. J'ai toutefois quelques réserves à formuler au sujet, d'une part, des pouvoirs de nomination du président dont disposera le premier ministre, en application de l'article 6, et, d'autre part, du fait qu'il sera possible de présenter des rapports révisés ou caviardés, en application de l'article 21.

Il y a autre chose qui me préoccupe dans l'article 21, et c'est le fait qu'il accorde au premier ministre le droit de réviser des rapports, non seulement au motif que la communication de l'information porterait atteinte à la sécurité nationale — et, comme M. Clement l'a dit ce matin, personne ne veut porter atteinte à la sécurité nationale —, mais aussi lorsqu'il s'agit de renseignements protégés par le secret professionnel ou par le privilège relatif au litige. Par contre, le paragraphe 13(2) du projet de loi C-22 donne au comité, de façon judicieuse et à juste titre, à notre avis, accès à des renseignements pertinents qui seraient par ailleurs protégés par le secret professionnel.

L'une des plus importantes leçons tirées des événements du 11 septembre, à partir des dossiers sur la torture des États-Unis, a fait en sorte que, aujourd'hui, la sécurité nationale est le fief des avocats. Si le public n'a pas accès à des renseignements qui pourraient être visés par le secret professionnel ou le privilège relatif au litige, il ne pourra jamais vraiment connaître toute l'ampleur des pouvoirs relatifs à la sécurité ni quelles sont les règles de facto qui régissent nos activités de sécurité. Ainsi, l'article 21 contredit le paragraphe 13(2).

Plus précisément, nous craignons que le fait de censurer des rapports en fonction du secret professionnel empêcherait le nouveau comité de présenter des rapports rigoureux sur des dossiers comme ceux sur lesquels la Cour fédérale a fait la lumière, dans ses décisions historiques de 2013 et de 2017, lorsqu'elle a établi que le SCRS, se fondant sur des conseils juridiques erronés, avait recueilli et conservé des renseignements par des moyens illégaux. Nous estimons qu'il y a contradiction entre le principe approprié, selon lequel le nouveau comité devrait pouvoir consulter des renseignements protégés par le secret professionnel et le fait que, au bout du compte, les rapports seront caviardés en fonction du secret professionnel.

Nous nous en voudrions de ne pas signaler qu'à notre avis, il faudrait que les tribunaux, ou tout autre tiers indépendant, soient chargés de régler les litiges relatifs aux éléments des rapports du comité qui pourraient être censurés. C'est le cœur un peu lourd que je souligne que le regretté Ron Atkey avait déclaré la même chose devant un comité de l'autre endroit. Comme sur tant d'autres sujets, nous sommes entièrement d'accord avec Ron Atkey, que nous respectons et regrettons énormément, et dont nous sommes fiers d'avoir été les collègues.

Pour terminer, voici mon troisième et dernier amendement, qui découle également, je crois, du magnifique héritage de Ron Atkey, premier dirigeant du CSARS. Nous proposons de modifier le nouvel article 31.1 pour faire en sorte que le comité relève du ministre compétent et responsable, en ce qui a trait non seulement aux activités que la loi pourrait ne pas autoriser, mais également les activités pouvant supposer un exercice inutile ou déraisonnable des pouvoirs. Nous nous inspirons du libellé original de la Loi sur le SCRS de 1984, en ce qui concerne l'inspecteur général.

Par exemple, pensons aux activités du CST, notre organisme responsable du renseignement d'origine électromagnétique. Bon nombre de ces activités sont conformes à la loi, c'est-à-dire au mandat large, quoique contesté du CST, mais il reste que le public et le ministre responsable souhaiteraient savoir si le nouveau comité concluait que le CST a exercé ses vastes pouvoirs de manière inutile, déraisonnable ou disproportionnée. Cela faisait partie des obligations redditionnelles de l'inspecteur général du SCRS, à compter de 1984 jusqu'à ce qu'elles soient supprimées en 2012. Nous croyons qu'il s'agit d'exigences redditionnelles appropriées et nous espérons qu'elles seront imposées à ce nouveau et précieux comité.

Merci de nous avoir écoutés.

La vice-présidente : Merci beaucoup à tous les deux.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse au professeur Roach. Professeur, compte tenu de ce que nous avons entendu, je pense qu'il y a beaucoup de marge pour améliorer immédiatement ce projet de loi. J'aimerais que vous nous donniez votre point de vue sur les capacités de fonctionnement d'un tel comité si les conservateurs et le NPD refusaient d'y participer en raison des trop grands pouvoirs du bureau du premier ministre et du contrôle complet qu'il compte exercer sur ce comité de surveillance.

[Traduction]

Me Roach : Merci, sénateur Dagenais. Je crois que ce serait tout à fait déplorable. D'une certaine façon, les pouvoirs prévus à l'article 16 s'apparentent à la clause nonobstant de la Charte. Oui, ils pourraient servir à détourner le comité de son objectif, mais il faudrait supposer une certaine mauvaise foi. Il faudrait supposer que l'exercice de ces pouvoirs n'aurait aucun prix politique.

Il y a une chose qui m'a encouragé tout au long de ma carrière, et c'est de savoir que la mobilisation du public peut réellement avoir un coût politique. Nous nous sommes toujours intéressés davantage à l'article 14 qu'à l'article 16.

Dans un monde idéal, comme l'a dit mon collègue, ce comité aurait exactement les mêmes droits d'accès que le CSARS, c'est-à-dire tous les renseignements, sauf les documents confidentiels du Cabinet. Toutefois, nous ne vivons pas dans un monde idéal et nous devons parfois avancer à tout petits pas. Je crois qu'il serait vraiment regrettable que les parties ou le public perdent confiance, tout simplement parce que ces pouvoirs existent. Des mesures de protection ont été prévues, et le comité pourra, si ces pouvoirs sont exercés de manière déraisonnable, déposer plainte et en parler publiquement.

Je crois que si le premier ministre ou un autre ministre se mettait à dire « Vous ne pouvez pas voir ça », l'attention des journalistes, de la société civile, des universitaires et d'autres intéressés sera immédiatement attirée par la question, comme les papillons sont attirés par la lumière. Je suis presque convaincu que, si nous continuons à nous mobiliser sur cette question — quand je dis nous, cela comprend les médias et la société civile —, il y aura un prix élevé à payer si l'on refuse certains renseignements au comité ou si l'on censure ses rapports de façon non justifiée.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Forcese, auriez-vous une opinion à partager avec nous sur la formule de rémunération qui est prévue pour les membres du comité et les limites que cela risque d'imposer à l'avenir? Évidemment, ces gens seront rémunérés.

[Traduction]

Me Forcese : J'imagine que vous parlez des membres du comité, non pas de son personnel.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je parle des membres du comité, effectivement.

[Traduction]

Me Forcese : Je n'ai pas d'opinion particulière à ce sujet. Je crois qu'ils assument des tâches assez extraordinaires et, personnellement, je n'aurais rien contre le fait qu'ils soient rémunérés pour assumer ces fonctions. Vous laissez entendre que cela pourrait soulever un conflit. Je ne crois pas y avoir vraiment réfléchi. J'aimerais que vous précisiez ce que vous vouliez faire entendre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On le verra à l'usage, mais j'imagine que le président du comité, qui est député, recevra sûrement une rémunération additionnelle, parce qu'il est président du comité.

[Traduction]

Me Forcese : Honnêtement, je n'ai aucune opinion positive ni négative sur la rémunération des membres du comité. Je crois qu'il serait juste qu'ils soient rémunérés. Je ne crois pas que leur rémunération poserait problème.

La sénatrice Lankin : Bienvenue à tous les deux. C'est agréable de vous revoir. Je vous remercie d'avoir réfléchi à l'état de la situation, à l'étape où nous en sommes rendus dans l'élaboration de ce projet de loi et aux amendements qui pourraient aujourd'hui être utiles.

Maître Forcese, vous avez évoqué la possibilité d'un protocole d'entente. Nous en avons même parlé au ministre, lorsqu'il était ici.

Ce qui me préoccupait, au sujet de l'article 16 et du pouvoir discrétionnaire du ministre, c'est le manque d'uniformité dans l'application des définitions de la sécurité nationale et d'autres éléments. Je vous remercie de votre suggestion et des formulations qui pourraient éclairer tout cela.

J'imagine que l'on pourrait utiliser le même mécanisme pour les relations entre le comité et les divers organismes d'examen tel le CSARS. Croyez-vous que ce mécanisme pourrait être intégré à l'amendement que vous proposez?

Me Forcese : Oui, tout à fait. J'imagine qu'il va de soi que de tels protocoles d'entente soient conclus, étant donné qu'il s'agit justement des instruments qu'utilisent entre eux les services de sécurité eux-mêmes.

Mais il faudra que la négociation de ce protocole soit obligatoire, ce qui, au Royaume-Uni, a fait en sorte que le protocole d'entente, qui est du domaine public, précise que le pouvoir discrétionnaire d'exclure certains renseignements ne sera que rarement exercé. Le protocole établit des attentes relatives à la communication de renseignements et, si ces attentes sont respectées, nous pourrons dissiper les préoccupations relatives à la portée excessive, par exemple, de la définition des renseignements opérationnels spéciaux. Le fait d'aller plus loin rend possible un processus évolutif.

Comme je l'ai déjà laissé entendre, à mesure que la confiance s'installera entre les services de sécurité et le comité, le protocole pourra lui-même être plusieurs fois modifié.

Me Roach : Vous le savez mieux que moi, madame la sénatrice. J'aimerais ajouter rapidement qu'il est très important que ce nouveau comité ait accès, présumément du moins, à tous les rapports classifiés du SCRS et du commissaire du CST. Je sais très bien que tous ceux d'entre nous qui ne sont pas dans l'antre du secret ne connaissent en réalité qu'une très petite proportion de l'important travail effectué par les organismes d'examen.

Ce serait un des éléments à négocier dans le cadre d'un protocole d'entente. Cela ne touchera peut-être pas tous les rapports; cependant, une des forces particulières de ce projet de loi, c'est le secrétariat, puisque les membres du secrétariat seront payés au taux de rémunération de la direction, ce qui n'est pas rien. Comme vous le savez, il sera très important que les membres aient accès à ce secrétariat et que le secrétariat puisse embaucher du personnel chaque fois qu'il en aura besoin.

Encore une fois, j'aimerais dire que je suis quelque peu préoccupé par le vocabulaire ampoulé ayant trait à la surveillance. Le comité fera un travail utile, un peu comme le CSARS, mais il devra se tailler une place. La sécurité nationale va inévitablement devenir plus complexe et plus technologique, et c'est pourquoi il est important que le secrétariat puisse avoir accès chaque fois qu'il en aura besoin à l'expertise dont il a besoin pour faire son travail.

La sénatrice Lankin : Parlons du secrétariat un instant; la semaine dernière, pendant une réunion, des témoins ont soulevé la question de la direction du secrétariat. Leur préoccupation, c'était que le ministre responsable soit le ministre responsable de l'appareil gouvernemental et de l'intégration du secrétariat dans le Bureau du Conseil privé. Cela ne donnerait-il pas trop de contrôle au pouvoir exécutif?

Je suis allée au Bureau du légiste du Sénat pour travailler sur un possible amendement, et j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. J'en suis arrivée à la conclusion, sur leurs conseils, que cette structure, aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques, prévoit que les pouvoirs seront conférés au directeur exécutif, qui se trouvera au même niveau qu'un sous-ministre. Le ministre n'exercera pas un contrôle direct, comme cela se fait dans d'autres secrétariats ou organismes, selon diverses autres lois. Comme son travail consiste à soutenir le comité, c'est suffisamment clair. Si l'on ajoutait quoi que ce soit d'autre, bien qu'on m'ait proposé certains libellés, ce serait redondant et, en même temps, ça pourrait entraîner des conséquences imprévues pour notre projet de loi, mais aussi pour d'autres lois.

Je vous rapporte de mémoire ce qu'on m'a dit, mais j'aimerais que vous me fassiez part de vos réflexions à ce sujet.

Me Roach : Dans la version actuelle du projet de loi, le paragraphe 24(2) prévoit ceci : « Le Secrétariat soutient le Comité dans l'exercice de son mandat. » Toutefois, le directeur général est nommé par le gouverneur en conseil.

Dans un monde idéal, le secrétariat relèverait très clairement du comité. Peu importe où il se situe, dans le BCP, comme vous le savez, quand nous avons affaire à des renseignements secrets, les protocoles sont nombreux et, honnêtement, cela suppose toute une structure. On doit pouvoir s'attendre à ce que le directeur général et le président travaillent en très étroite collaboration et que les membres du secrétariat soutiennent les membres du comité dans un domaine d'activité des plus complexes.

Me Forcese : Une fois que le tableau aura été traduit, vous verrez que notre proposition touchant la dotation indépendante a quelques longueurs d'avance par rapport aux autres comités de parlementaires d'autres démocraties inspirées de Westminster. En fait, le comité sur le renseignement et la sécurité du Royaume-Uni, le CRS, pour commencer, ne compte qu'un très maigre effectif, et les membres de l'effectif viennent par rotation du bureau du conseil des ministres. Dans un cas comme celui-là, j'aurais de vives inquiétudes touchant l'indépendance, mais nous leur en avons parlé et ils affirment qu'en pratique le problème ne se pose pas.

En fait, Kent leur en a parlé, mais nous pourrions apprendre du Royaume-Uni à quel point l'accès à des conseils juridiques indépendants est important. Cela a peut-être donné du fil à retordre au CRS du Royaume-Uni. Je reprends le commentaire de Kent sur l'embauche de gens de l'externe; nous connaissons toute une troupe d'avocats spéciaux qui détiennent une habilitation de sécurité et sont tenus au secret, et qui savent comment cela se passe à l'intérieur, même s'ils ne font pas partie du gouvernement. Il serait très important que le comité ait la possibilité d'utiliser cette expertise, pour l'ajouter à l'expertise accessible à l'interne.

La sénatrice Lankin : Il n'y a rien dans le projet de loi qui l'empêcherait. Il faut tout simplement le savoir et nous assurer de pouvoir utiliser cette ressource.

Vous n'avez pas d'inquiétude quant au fait que la structure, dans sa forme actuelle, pourrait empêcher le directeur général de travailler dans le but de soutenir le comité. Il n'y a rien à faire de ce côté-là pour le moment.

Me Roach : Non, j'ai toujours supposé que le secrétariat travaillerait pour le comité. Quand le projet de loi a été déposé, la première chose que j'ai vérifiée, c'est s'il y avait un secrétariat; j'étais très heureux de voir que c'était le cas.

Le sénateur McIntyre : Vous défendez tous les deux ardemment un examen exhaustif des questions touchant la sécurité nationale. Pour ce qui est du projet de loi C-22, vous avez mis en relief certaines de ses limites, y compris les renseignements exclus en application des articles 14 et 16. De plus, vous faites valoir l'importance d'un système d'examen par des experts. Ce n'est pas prévu dans le projet de loi C-22.

Ma question est la suivante : dans quelle mesure est-ce que cela vous préoccupe?

Me Roach : Il est évident que, dans les articles que nous rédigeons ensemble, mais aussi dans ceux que nous rédigeons chacun de notre côté, nous défendons l'idée d'un super-CSARS. Ce n'était pas mon opinion, au départ. Quand j'ai fait partie du comité consultatif de recherche, pendant la Commission Arar, en 2006, je croyais fermement que ces trois entités, avec des passerelles législatives, étaient suffisantes, mais j'en suis venu à croire, en partie en raison des dispositions sur l'échange d'information du projet de loi C-51, qu'un super-CSARS serait l'objectif ultime.

J'aimerais souligner, monsieur McIntyre, qu'il est important que ce nouveau comité envisage les choses à l'échelle du gouvernement, mais qu'il ne remplacera pas l'organisme de surveillance du pouvoir exécutif du gouvernement. En fait, ce qui nous préoccupait, entre autres, c'est qu'aucun mécanisme ne visait l'examen de l'efficacité de nos activités touchant la sécurité nationale. Il se peut que le commissaire du CST et le SCRS se penchent sur certains aspects de l'efficacité, mais leur mandat concerne davantage les aspects juridiques et réglementaires.

Si j'ai dit qu'il était important que ces deux organismes travaillent de concert et qu'on ne considère pas qu'ils font double emploi, c'est entre autres parce que je soupçonne qu'un comité de parlementaires ne pourra faire autrement, parfois, que de s'intéresser aux questions d'efficacité, tandis que l'examen mené par l'organisme de surveillance du pouvoir exécutif devrait porter davantage sur les questions de réglementation.

Vu que tous ces organismes devront se faire une place et qu'ils ne pourront vérifier dans les faits qu'une très petite tranche des activités de sécurité nationale à la fois, je crois qu'il serait en fait dans l'intérêt du public qu'il y ait un certain chevauchement.

Le sénateur McIntyre : Nous avons déjà un système d'examen. Aujourd'hui, le projet de loi C-22 propose de créer un comité de parlementaires.

Ma question est la suivante : dans quelle mesure croyez-vous que le projet de loi C-22 ne fera qu'ajouter une couche à ce système d'examen existant en créant un comité d'examen des parlementaires, avec toutes les limites que cela suppose?

Me Roach : Pour les raisons que je viens d'exposer, je crois que leurs objectifs sont différents. Il se peut qu'un certain chevauchement pose problème. L'article 9 traite de la question du double emploi. Je m'attends à ce que le secrétariat travaille en très étroite collaboration avec l'organisme de surveillance du pouvoir exécutif, mais je ne crois pas que le double emploi sera très répandu.

Je crois que ces entités ont chacune leur raison d'être, et, même si ce n'était pas le cas, je crois qu'il y a suffisamment à faire pour qu'ils ne se marchent pas sur les pieds.

Me Forcese : Je n'ai rien à ajouter; je suis d'accord. Je crois que l'on visera l'efficacité, pour ce qui est du comité d'examen des parlementaires, et la réglementation, pour ce qui est des organismes d'examen spécialisés. Ce serait une façon très utile de diviser le travail.

La sénatrice Griffin : Le temps file; il y a deux ou trois semaines, j'ai prononcé un discours devant la Chambre. Vous allez reconnaître la citation, monsieur.

L'absence d'adhésion de tous les partis et une vive acrimonie partisane réduisent la possibilité que le comité de surveillance fonctionne. Les membres du comité devront se rallier autour d'une mission partagée, d'une culture professionnelle partagée et de mœurs comportementales partagées.

Comment envisagez-vous le rôle du Sénat, à la lumière de ce projet de loi, le projet de loi C-22? Trouvez-vous qu'il y a eu une trop vive acrimonie partisane au moment où la Chambre des communes a adopté le projet de loi?

Me Forcese : Je vais répondre en tant que citoyen à la première partie de votre question. Je crois, fort malheureusement, que le processus de la Chambre des communes a été davantage chargé d'acrimonie que nous pensions qu'il le serait. Lorsque nous avons comparu devant le comité permanent de la Chambre des communes, nous avons trouvé que la discussion se déroulait en fait très bien. C'est après qu'il s'est passé quelque chose, et nous ne savons pas très bien de quoi il s'agit exactement.

Dans la première partie de votre question, vous citez un passage de mon blogue, où, en réalité, je suppliais les parlementaires de trouver un compromis. Il ne s'agit pas d'un organisme administratif ordinaire, pour lequel le Parlement adopte une loi et qui continue son petit bonhomme de chemin. Il s'agit d'un organisme administratif avec lequel le Parlement et les parlementaires devront avoir une relation durable, permanente. Si cet organisme n'arrive pas à inspirer confiance au sein de tous les partis, c'est risqué, à mon avis.

Quand nous avons formulé certaines de ces propositions, nous avons essayé de trouver le juste équilibre entre les préoccupations du gouvernement et celles que nous ont confiées les partis de l'opposition dans l'espoir de trouver un terrain d'entente neutre, une solution qui sera acceptable pour le gouvernement et qui dissipera également les préoccupations des membres de l'opposition. Mais ils devront dire eux-mêmes si cela les satisfait.

Le sénateur Kenny : Vous avez parlé de l'efficacité en disant que le comité examinerait certainement la question en faisant l'examen de divers organismes. À quelle sorte de paramètres pensez-vous, pour cette évaluation?

Me Roach : Il y a un sujet auquel j'ai beaucoup réfléchi, et c'est la relation entre le renseignement et la preuve. Depuis l'adoption du projet de loi C-44, qui assurait la protection aux sources humaines de renseignement du SCRS et donnait à ce service des pouvoirs touchant la réduction de la menace, je n'ai pas manqué de faire part de mes inquiétudes, entre autres parce qu'il s'agit peut-être de quelques solutions aux problèmes plus persistants qui touchent le Canada au moment d'utiliser le renseignement comme élément de preuve, même dans des affaires publiques. Dans notre ouvrage, False Security, nous n'avons pas manqué de comparer les données per capita sur le nombre de poursuites dans des affaires de terrorisme; nous avons constaté que le Canada accusait un retard, arrivant même derrière l'Australie. La menace est peut-être d'un autre ordre, en Australie, mais j'aurais tendance à en douter.

La question de l'utilisation du renseignement de sécurité comme élément de preuve est un bon exemple des préoccupations relatives à l'efficacité. J'ai toujours moi-même été convaincu que, même si le service du renseignement a de toute évidence un rôle à jouer, quand des gens planifient un attentat à la bombe, ce n'est pas le SCRS qu'on appelle, ce sont les policiers et les avocats. Et vous espérez pouvoir établir hors de tout doute raisonnable, publiquement et de la façon la plus juste possible, la culpabilité. Ce serait un autre exemple lié d'une manière ou d'une autre à l'efficacité.

Peut-être qu'un autre exemple touchant l'efficacité, ce serait...

Le sénateur Kenny : Je suis désolé, monsieur, ma question était celle-ci : quels paramètres utilisez-vous pour mesurer ces choses?

Me Roach : En effet, les paramètres sont soit le témoignage des intervenants de l'organisme, soit le résultat final. Les paramètres que nous avons utilisés, c'est le nombre de poursuites dans les affaires de terrorisme intentées au Canada depuis le 11 septembre.

Me Forcese : Ces données ne se prêtent pas toutes nécessairement de manière naturelle à des analyses empiriques. Le rapport du CRS sur le meurtre du fusilier Rigby consistait, en réalité, en un examen de l'efficacité, puisqu'il visait à savoir dans quelle mesure les divers organismes du Royaume-Uni ont collaboré ensemble. Il s'agissait en partie de transformer des renseignements en éléments de preuve, d'échanger de l'information. Cela tenait aussi à la culture et aux pratiques opérationnelles. Dans quelle mesure les organismes ont-ils formé une équipe, à l'échelle du gouvernement?

Je le répète, je ne crois pas que cela puisse être chiffré, mais voici un organisme qui peut prendre du recul et dire : « Voici tous les enjeux que nous devons traiter. Nous sommes la seule entité qui puisse voir la forêt plutôt que l'arbre ». La seule autre entité qui peut faire cela, au Canada, c'est une commission d'enquête judiciaire. L'examen de l'efficacité, c'était l'objectif de la Commission Arar. C'était aussi celui de l'enquête sur Air India. Encore une fois, il ne s'agit pas nécessairement d'exprimer tout cela en chiffres. Il faut agir en fonction d'une priorité qui touche tous les systèmes.

Le sénateur Kenny : À ce propos, qu'en est-il des documents confidentiels du Cabinet? On en parle à voix basse, pourtant, selon mon estimation, plus d'un millier de personnes à Ottawa ont accès au quotidien aux documents confidentiels du Cabinet.

Pourquoi ces documents sont-ils différents dans le cas d'un comité comme celui-ci, dont les membres sont assermentés, et pour lequel la loi prévoit toutes les mesures de protection nécessaires?

Me Forcese : Il est essentiel de tenir un débat sur la question des documents confidentiels du Cabinet et sur leur importance, entre autres pour savoir pourquoi de si nombreux documents sont des documents confidentiels en application de la Loi sur l'accès à l'information. En ce qui a trait à notre projet de loi, aux articles 14 et 16, la situation idéale, à notre avis, serait de fournir un accès aux simples documents confidentiels du Cabinet. Outre cela, il faudrait que ce débat se tienne. Mais nous en sommes encore loin, puisque, avant de tenir ce débat, il faudra régler bien d'autres questions plus urgentes, par rapport aux fonctions essentielles du comité prévu dans le projet de loi C-22, des questions dont on ne peut pas parler, ce qui fait que nous tentons de réduire au minimum la portée de l'article 14, en ajoutant certaines formulations que je propose, au regard des enquêtes des organismes d'exécution de la loi, et de faire des mises en garde quant à l'application de l'article 16.

Ce n'est pas une très bonne réponse. Nous sommes tellement loin encore d'un débat sur les documents confidentiels du Cabinet en tant que seule limite que nous n'avons pas vraiment réfléchi à la question de savoir s'il faudrait ou non supprimer cette restriction.

Le sénateur Kenny : Si vous n'avez pas accès aux documents confidentiels du Cabinet, comment pouvez-vous être certains que vous comprenez bien ce que le gouvernement veut vraiment faire faire?

Me Roach : Dans une démocratie, il existe un processus selon lequel le gouvernement énonce ses objectifs stratégiques, les énonce publiquement, dans des discours, des documents d'information et ainsi de suite.

Le sénateur Kenny : Vous parlez de la sécurité nationale et de la défense?

Me Roach : Tout à fait; on a dit bien des choses au sujet du projet de loi C-51 et sur ce qu'il proposait. Si nous avons donné à notre ouvrage le titre de False Security, c'est parce que nous ne pensions pas qu'il était à la hauteur, étant donné ce qui s'est dit pendant la Commission d'enquête sur la tragédie d'Air India et la Commission Arar.

J'espère que ce comité pourra favoriser une conversation plus éclairée et plus adulte sur la sécurité nationale. Dans un monde idéal, cela voudrait peut-être dire que le comité aurait accès aux documents confidentiels du Cabinet. Honnêtement, je ne crois pas que ce soit une possibilité réaliste, mais je ne crois pas non plus que cela devrait nous empêcher de tenir un débat éclairé au sujet de l'efficacité. Et, même si le comité pourra se réunir à huis clos, il est évident que les membres devront bien faire attention à ce qu'ils disent une fois qu'ils sortent de ces réunions. Si tout se passe comme il le faut, il pourrait y avoir une plus grande transparence quant à l'évolution des menaces auxquelles notre pays et nos alliés font face.

La sénatrice McPhedran : Merci de comparaître de nouveau. C'est un plaisir de vous recevoir, tous les deux.

Je sais que vous étiez présents lorsque j'ai demandé à M. Lee de répondre à une question plus détaillée, et je ne vais pas tout reprendre à partir du premier mot. J'aimerais beaucoup une réponse générale. Pensez-vous qu'il faudrait étudier plus avant, ou peut-être, modifier mon amendement, qui vise à inclure spécifiquement, dans le mandat d'examen du comité, l'exigence de respecter la Charte canadienne des droits et libertés?

Me Roach : Selon mon interprétation, madame McPhedran, c'est probablement implicite, mais cela ne ferait pas de tort si c'était explicite.

Pour être parfaitement honnête, je dirais que le comité ne doit pas oublier de tenir compte de la Charte. Ce n'est pas parce que la loi est conforme à la Charte et que nous pouvons faire une chose ou une autre au nom de la sécurité nationale qu'il faut nécessairement le faire au nom de la sécurité nationale.

De fait, j'ai malheureusement froissé certaines personnes du ministère de la Justice lorsque j'ai fait valoir cet argument, tout de suite après les événements du 11 septembre, mais j'estimais, étant donné que j'ai consacré beaucoup de temps à la Charte, que je ne pouvais pas en toute bonne conscience affirmer qu'une politique particulière — je crois qu'elle concernait les audiences d'enquête — n'était pas conforme à la Charte. En fait, j'estimais que le ministère de la Justice avait intégré suffisamment de contraintes touchant la Charte. J'étais également tout à fait convaincu que les audiences d'enquête constituaient un empiètement peu souhaitable sur le territoire de notre système accusatoire de justice et qu'elles étaient peu susceptibles de donner des résultats.

J'allais dire « bref », mais il est déjà trop tard. Si vous voulez une réponse détaillée, la voici. Je ne vois aucun mal à ce que l'on demande au comité de tenir compte de la Charte. Toutefois, j'espère qu'il tiendra compte de l'ensemble de la situation.

Je dirais également que l'amendement que je propose à l'article 31.1, qui dit que la question concerne non seulement la légitimité, mais la question de savoir si les pouvoirs ont été exercés de façon inutile ou déraisonnable, a été conçu en partie pour refléter ce qui constitue selon moi l'esprit de la Charte, non pas — nous sommes tous deux avocats — pour refléter le caractère immuable de celle-ci.

J'ose espérer que le comité avisera le ministre responsable et, dans la mesure du possible, le public, s'il estime qu'un organisme de sécurité fait les choses avec un peu trop d'ardeur, même s'il hésite à affirmer qu'il s'agit d'une violation claire de l'article 8 ou de l'article 15 de la Charte. Comme nous le savons tous les deux, ce sont des questions complexes, et nous en sommes souvent réduits à conjecturer sur ce qu'en dira la Cour suprême.

Je crois que l'amendement proposé est un amendement mineur, et j'espère qu'il ne ralentira pas l'étude du projet de loi. Si nous réclamons des rapports publics lorsque certains organismes utilisent leurs pouvoirs non seulement de manière contraire à la loi, ce qui inclurait à mon avis la Charte, mais aussi de façon déraisonnable ou inutile, c'est davantage pour respecter l'esprit de la Charte que, tout simplement, son caractère immuable.

Me Forcese : Je serais d'accord avec Me Roach. Votre comité peut régler certains de ces enjeux, en donnant une orientation quant aux priorités du comité du projet de loi C-22. Nous avons discuté de l'architecture de la loi, mais nous n'avons pas beaucoup pensé à ce que le comité devrait faire pendant ses 100 premiers jours et aux premières tâches qu'il devrait assumer.

Une possibilité serait d'intégrer les dossiers constitutionnels aux prérogatives prévues à l'alinéa 8(1)a). Cela donne des indices quant au type de personnel interne qu'il faudra engager, puisqu'il vous faudra des gens qui connaissent bien le droit constitutionnel. Si vous vous y prenez assez longtemps d'avance, vous pourrez embaucher des personnes capables de vous aider à assumer cette fonction.

Il serait aussi utile que vous présentiez dans votre rapport des recommandations quant à la vie du comité pendant ses six premiers mois, environ. J'ajouterais, en parlant de la composition du comité, que, comme j'ai discuté avec des personnes qui sont actuellement chargées d'examens, il faut environ un an pour former un examinateur jusqu'à ce qu'il soit capable de s'acquitter de sa fonction. Il faudra donc attendre un bon bout de temps avant que le comité soit rodé, efficace et opérationnel.

Je crois que ce serait très utile, dans la mesure où nous pouvons vous faciliter les choses et fournir une orientation quant à la façon de les accélérer, surtout vu que, avec chaque nouvelle élection, le roulement affectera l'acquisition du savoir institutionnel.

La sénatrice McPhedran : Excusez-moi; j'aimerais rappeler, pour plus de clarté, que l'expression qui m'intéresse, c'est en conformité avec la Charte. Pensez-vous que cela respecte suffisamment l'esprit et les valeurs dont vous venez de parler, maître Roach?

Me Roach : Encore une fois, de mémoire, quelque chose comme une certaine uniformité ou, pour aller plus loin, des valeurs constitutionnelles...

Quand nous pensons à l'efficacité, nous avons tendance à oublier tout l'éventail des relations qu'entretiennent les administrations fédérale, provinciales et municipales. La Charte brûle une bonne partie de l'oxygène de notre Constitution. Croyez-moi, je suis partisan de la Charte, mais je sais que les membres du comité ont réfléchi à divers enjeux, par exemple la lutte contre l'extrémisme violent. Quel est le rôle des municipalités? Quel est le rôle des provinces, qui exercent des pouvoirs si étendus dans les domaines de l'éducation et de la santé mentale?

Il est à espérer que les membres de ce comité seront au courant de toute la gamme des valeurs constitutionnelles que les Canadiens jugent importantes, et ces valeurs englobent évidemment la Charte, l'égalité, le multiculturalisme et la division des pouvoirs.

Ce qui me préoccupe personnellement, quand on parle de la lutte contre l'extrémisme violent, c'est que si tout se fait à l'échelon fédéral, les services de sécurité pourraient bien prendre tout en main. Les dossiers pourraient être confiés aux services de police et aux organismes de renseignement, qui ne sont pas nécessairement les mieux placés. En fait, les provinces et les territoires ont une grande expertise dans ce domaine.

La sénatrice Boniface : J'aimerais vous remercier tous les deux d'être venus. Cela a été extrêmement utile.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que j'aimerais parler spécifiquement de la disposition qui concerne les enquêtes continues et de l'amendement que vous voulez y apporter.

Est-ce que j'ai bien compris? Vous dites que votre amendement vise entre autres à permettre aux organismes de communiquer certains renseignements, alors que la version actuelle du projet de loi les en empêche?

Me Forcese : C'est exact. Cet amendement crée un pouvoir discrétionnaire là où il n'y en a pas. Il confère ce pouvoir discrétionnaire au chef des services de police, de façon à protéger son indépendance.

Ce qui préoccupe la GRC, dans le cas où on éviterait toute mention des enquêtes des organismes d'exécution de la loi, c'est qu'elle serait obligée de communiquer de l'information sur des activités en cours et que, d'un seul coup, les membres du comité pourraient être considérés comme des témoins dans le cadre de poursuites criminelles subséquentes.

Qui plus est, si nous avons institué l'indépendance de la police, au départ, c'est justement pour éviter que des acteurs de la scène politique puissent observer de l'intérieur les enquêtes policières.

Il serait bien utile de pouvoir laisser au chef des services de police un certain pouvoir discrétionnaire, de façon que cette possibilité soit écartée, mais que, en même temps, cela nous assure de sa bonne foi, peut-être en fonction du protocole d'entente dont j'ai déjà parlé, et qu'il communique de bon gré les renseignements demandés dans le cas où rien ne permet de croire que des problèmes se poseront, par exemple comme dans l'enquête sur l'attentat d'Air India en 1985.

La vice-présidente : J'aimerais vous poser une question, maître Forcese, à propos du triple verrou. Vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire. Vous avez dit à l'autre endroit que le comité pourrait trébucher sur cette question. Vous avez dit que les pouvoirs discrétionnaires pourraient atténuer ce problème.

Pourriez-vous vous expliquer, s'il vous plaît?

Me Forcese : Bien sûr. Comme l'a souligné Me Roach, l'article 14 nous a préoccupés bien plus que les autres, parce qu'il écarte d'office certaines catégories d'information.

Cette liste est devenue plus courte après les amendements apportés par la Chambre des communes, et, aujourd'hui, elle est plutôt raisonnable. La seule chose qui nous préoccupe toujours, c'est l'alinéa 14d), qui concerne les enquêtes des organismes d'application de la loi.

Nous proposons que l'exception relève d'un pouvoir discrétionnaire plutôt que d'être obligatoire, ce qui permet de croire, comme je l'ai dit, que la relation entre le comité et les services de sécurité a de bonnes chances d'évoluer.

Nous avons également souligné que, dans un monde idéal, ce serait bien que le comité ait accès de la même manière que le CSARS à tous les renseignements, sauf aux documents confidentiels du Cabinet. De toute évidence, cela ne se passera pas comme ça; c'est pourquoi, comme je l'ai dit, nous avons mis de l'eau dans notre vin.

La sénatrice Moncion : J'ai une question touchant les règlements d'application. Il en est question à l'article 20. Ne pourrions-nous pas régler par règlement les préoccupations que vous soulevez, par exemple les pouvoirs d'assignation, ou d'autres choses comme cela, qui pourraient être intégrés à un règlement plutôt qu'à une loi? Il est plus facile de faire des changements au moyen d'un règlement qu'au moyen d'un projet de loi.

Me Forcese : C'est possible. On a laissé entendre que le gouverneur en conseil établira par règlement la procédure qui s'appliquera au comité du projet de loi C-22. La disposition sur la réglementation se trouve à l'article 33 :

Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant :

[...] les règles et les procédures relatives à la manutention, à la conservation [...] de documents [...] les procédures relatives à l'exercice des attributions du comité [...] toute autre mesure d'application de la présente loi.

J'imagine qu'il serait utile, pour le ministère de la Justice, de savoir si ces dispositions, surtout la dernière, la disposition générale, seraient interprétées comme permettant la prise de règlements pour créer certains des pouvoirs dont vous parlez : la protection des témoins, l'assignation à comparaître, la protection des personnes qui formulent des commentaires pendant les travaux d'un comité contre toutes poursuites subséquentes.

Je ne suis pas certain qu'il serait possible de tout faire cela en prenant des règlements, puisque, dans certains cas, le règlement l'emporterait sur la loi, et ça, c'est impossible. Peut-être que certaines choses pourraient se faire ainsi. Personnellement, je n'y ai pas vraiment réfléchi.

Me Roach : Je sais qu'on a beaucoup parlé d'assignations à témoigner, et c'est un peu la question de la poule et de l'œuf. Comme vous avez travaillé dans le cadre de commissions d'enquête détenant un pouvoir d'assignation à témoigner, vous n'avez jamais vraiment eu besoin de l'utiliser. Il se pourrait très bien que l'article 20 prévoie une certaine souplesse. J'aimerais relire le projet de loi en tenant compte de cela, mais je ne me souviens pas, à brûle-pourpoint, d'éléments pouvant empêcher quelque chose comme un pouvoir d'assignation à témoigner d'être enchâssé dans l'article 20.

Vous devriez savoir que le projet de loi exclut certaines choses. Celle qui m'inquiétait un peu concernait le paragraphe 31(2), qui interdit au comité d'intenter une poursuite s'il est en désaccord avec les décisions en matière de caviardage du premier ministre. Je suis un peu inquiet du fait que certains d'entre nous ont peut-être provoqué cela en proposant à l'autre endroit qu'il y ait un décideur tiers ici dans les cas de différend.

Encore une fois, cela revient à la question de la poule et de l'œuf. Notre idée n'était pas d'avoir un litige au titre de l'article 38 devant la Cour fédérale pour chaque rapport, mais le simple fait que cette disposition existe peut parfois permettre d'éviter ces problèmes.

Je n'avais pas pensé à l'article 20. Il prévoit peut-être de la souplesse, tout comme, bien sûr, l'examen effectué cinq ans après la date de l'entrée en vigueur de la loi. La réalité est que, avec les prochaines élections et d'ici l'examen réalisé par le comité après la période de cinq ans, le comité — s'il est jamais créé —, aura peut-être produit deux, trois ou quatre rapports en fonction desquels on le jugera. Il sera en train de faire ses premiers pas.

La sénatrice Lankin : Je vais oublier ma question sur les pouvoirs d'assignation à témoigner et examiner moi-même l'article 20.

Dans l'amendement proposé de l'alinéa 14d), le pouvoir discrétionnaire demeure-t-il dans l'article 14 ou passe-t-il à l'article 16?

Me Forcese : Je le conserverais dans l'article 14 parce que le droit discrétionnaire est enchâssé dans l'alinéa 14d). Le fait de le déplacer dans l'article 16 le place dans un régime où les ministres prennent la décision.

Du point de vue de l'indépendance de la police, si vous avez une enquête en cours, il serait troublant que le ministre prenne la décision de divulguer ou non l'information aux parlementaires.

La sénatrice Lankin : Oui, merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous pose la même question que j'ai posée aux témoins précédents. Étant donné que le président du comité est nommé par le premier ministre, seriez-vous d'accord pour que le vice-président du comité soit nommé au sein du groupe des sénateurs?

[Traduction]

Me Forcese : Ça me satisferait. Vous avez demandé plus tôt comment vous enchâsseriez la disposition dans la loi. Une possibilité serait d'utiliser le pouvoir réglementaire prévu à l'article 33 et de créer un mandat pour un vice- président.

La vice-présidente : Merci beaucoup encore une fois de tout le soutien que vous apportez constamment aux deux chambres. Nous sommes certainement impatients de lire vos blogues — certains d'entre nous vous suivent — et vos gazouillis et avons hâte de vous recevoir ici. Merci beaucoup.

Pour notre quatrième table ronde, nous accueillons Ian McPhail, président, et Richard Evans, directeur principal, Opérations, de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC. Nous recevons également l'honorable Jean-Pierre Plouffe, commissaire, et J. William Galbraith, directeur exécutif, du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications; Michael Doucet, directeur exécutif, et Darryl Sitka, directeur de recherche, du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

Nombre de témoins et de sénateurs ont de multiples questions, alors je demande humblement aux sénateurs de poser des questions courtes et aux témoins de répondre de la manière la plus complète et exhaustive possible, mais sans prendre trop de temps.

Comme beaucoup de Canadiens qui regardent également ces audiences, j'aimerais que vous n'utilisiez pas trop d'acronymes parce que les gens ne pourront pas suivre. Le comité n'a pas de problème avec cela, mais les acronymes peuvent poser des difficultés à nos téléspectateurs.

Monsieur Plouffe, allez-y.

L'hon. Jean-Pierre Plouffe, commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Bon après-midi, madame la présidente et honorables sénateurs. Je suis heureux de témoigner à nouveau devant votre comité, cette fois-ci au sujet du projet de loi C-22. Je suis accompagné par Bill Galbraith, directeur exécutif, qui est à ma droite.

Je me suis présenté devant le comité permanent de la Chambre des communes, l'automne dernier, au sujet de ce projet de loi. Comme vous le savez déjà, des modifications ont été apportées au projet de loi. Je ne vais pas répéter tout ce que j'ai dit auparavant; je vais plutôt parler de certaines des modifications, mettre l'accent sur des points nouveaux et répéter ce qui, selon moi, vaut la peine de l'être.

[Français]

D'abord, je tiens à préciser que je suis heureux de l'existence de ce projet de loi. Je suis heureux aussi de l'engagement accru des parlementaires à l'égard de la reddition de comptes en matière de sécurité nationale, tel que l'illustre ce projet de loi. Je me réjouis de l'occasion de dialoguer plus étroitement avec les parlementaires dans le contexte d'une relation complémentaire, afin d'éviter les chevauchements inutiles, tel que le stipule l'article 9 du projet de loi.

[Traduction]

Je pense que le comité des parlementaires, qui a accès à des renseignements classifiés et qui a le pouvoir d'examiner, avec des qualifications particulières, je dois dire, toute activité d'un organisme ou d'un ministère ayant des responsabilités à l'égard de la sécurité nationale, procurera, en collaboration avec les organismes d'examen existants, une fondation solide pour un cadre de reddition de comptes exhaustif concernant les activités liées à la sécurité nationale.

À mon avis, ce comité comblera un vide. Son mandat, tel qu'il est établi dans le projet de loi, plus particulièrement dans l'article 8, lui permettra de poser un regard stratégique et étendu sur toutes les activités gouvernementales liées à la sécurité nationale. Le comité aura la possibilité de suivre l'information dans les agences et les ministères; en d'autres mots, de suivre la menace.

Ce pouvoir devrait aider considérablement à établir le cadre de reddition de comptes exhaustif souhaité. Bien entendu, les responsabilités du comité continueront d'être définies pendant que le comité s'oriente, ce qui se reflète dans la disposition d'examen quinquennal, que nous retrouvons à l'article 34.

[Français]

Ensemble, le comité et les organismes d'examen existants devront veiller à être les plus transparents possible afin de permettre au Parlement et au public d'être mieux informés sur la conduite des activités liées à la sécurité nationale et sur la façon dont les agences et les ministères sont tenus de rendre des comptes.

Nous nous pencherons sur ce sujet lorsque nous élaborerons une relation de travail avec les membres du comité. La transparence aide à établir et à renforcer la confiance du public. Le public veut savoir si les organismes chargés de protéger le Canada, les Canadiens et les Canadiennes, le font de façon efficace, dans les limites de leur mandat respectif, de même que dans le respect des libertés et de la vie privée. C'est là la pierre angulaire de mon approche en tant que commissaire du CST.

[Traduction]

La relation de travail entre le comité et son secrétariat, d'une part, et entre le comité et les organismes d'examen existants, d'autre part, nécessitera dès le départ des efforts soutenus. Le projet de loi contient des paramètres généraux concernant cette relation, la nécessité d'éviter les chevauchements inutiles dans l'article 9 et l'échange de renseignements dans les articles 22 et 23.

[Français]

Compte tenu de cette orientation générale, il nous appartiendra à tous de travailler fort, en particulier au début, afin de faire en sorte que nos rôles se complètent et que nous ne répétions pas le travail d'un autre, dans le but d'utiliser, de la façon la plus efficace et rentable possible, nos ressources respectives. Toutefois, je ne dis pas que le projet de loi contient une orientation détaillée. Ce sera l'expérience et l'intérêt commun qui devront façonner notre relation.

[Traduction]

Nous avons cependant réfléchi à la façon d'établir une relation productive. Brièvement, voici trois exemples.

Nous allons d'abord offrir aux membres du comité une séance d'information initiale sur notre travail, et nous pourrons nous rencontrer aussi tôt et aussi souvent qu'ils le souhaiteront.

Nous pouvons ensuite offrir au personnel du secrétariat un atelier d'examen que nous avons élaboré il y a six ans à l'intention des organismes d'examen et des nouveaux employés chargés de la fonction d'examen.

Enfin, nous sommes disposés à communiquer les plans de travail ainsi que les principaux éléments et à en discuter, ce qui aidera à éviter les chevauchements et pourrait permettre de cerner des thèmes communs que le comité pourra examiner plus en profondeur pour toutes les agences et tous les ministères qui ont des responsabilités à l'égard de la sécurité nationale.

L'un des aspects définis de la relation entre le comité et les organismes d'examen est l'échange de renseignements, qui est décrit aux articles 22 et 23 du projet de loi. Chacune des deux parties, soit le comité et les organismes d'examen, peut fournir des renseignements liés à la réalisation du mandat de l'autre partie.

[Français]

La structuration de ces échanges de renseignement facilitera la définition des rôles de chacun, renforcera la complémentarité et aidera à éviter les chevauchements. Selon moi, ces échanges favorisent et renforcent la reddition de comptes en général.

[Traduction]

Il y a eu beaucoup de discussions sur le type de renseignements auxquels le comité des parlementaires aura accès. Nous pensons plus particulièrement à l'alinéa 8(1)b), ainsi qu'aux articles 14 et 16 du projet de loi. En ce qui me concerne, je suis d'avis que les limites imposées par l'alinéa 8(1)b) ou les restrictions concernant des opérations en cours semblent raisonnables lorsque nous regardons le paragraphe 8(2). Un ministre peut refuser de fournir des renseignements sur les opérations en cours qui, selon lui, portent atteinte à la sécurité nationale, mais doit fournir les motifs de son refus au comité.

Combien de fois serons-nous témoins d'un tel refus? L'expérience nous le dira. Toutefois, mon expérience me permet de dire qu'il arrive rarement que les inquiétudes que nous avons se matérialisent dans la mesure où nous l'avions prévu au début. Je m'attends à ce que les ministres compétents aient rarement recours à ce pouvoir.

L'une des modifications qui ont été apportées au projet de loi pendant son examen par la Chambre des communes a été la diminution des limites ou des exceptions relativement aux renseignements auxquels le comité parlementaire pourrait avoir accès.

L'article 14 conserve quatre des sept exceptions qu'il contenait auparavant. Ces quatre exceptions me semblent raisonnables, si l'on tient compte de l'objet, du régime juridique et du contexte d'ensemble du projet de loi.

Ces commentaires s'appliqueraient également à l'article 16, dont l'objet est le refus de fournir des « renseignements opérationnels spéciaux ». Il s'agit de renseignements très sensibles que le gouvernement protège en prenant des mesures. Un exemple de cela figure à l'alinéa 14c) du projet de loi. Quant à l'article 16, nous devons également tenir compte de la deuxième partie où nous parlons de renseignements qui « portent atteinte à la sécurité nationale ».

Le ministre doit fournir les motifs de son refus, et si les renseignements sont liés au CST, au SCRS ou à la GRC, il doit également fournir les motifs de son refus à l'organisme d'examen pertinent, c'est-à-dire à l'un de ceux qui témoignent devant vous aujourd'hui.

[Français]

Il y a également eu un débat concernant la composition du comité des parlementaires, et certains ont suggéré d'accroître le nombre de sénateurs. Cette suggestion m'apparaît raisonnable si l'on tient compte du fait que les mandats des sénateurs sont plus longs. Effectivement, les sénateurs ont la possibilité d'accumuler des connaissances et de développer une expertise à long terme, ce qui, selon moi, renforce la capacité de poser des questions plus précises et plus étoffées aux agences et aux ministères. Cette suggestion a aussi l'avantage d'assurer une continuité et de préserver ce qu'on appelle « la mémoire institutionnelle ». Le secrétariat est aussi appelé à jouer un rôle important à cet égard.

En conclusion, j'attends avec impatience l'occasion de travailler avec le comité des parlementaires lorsque ce dernier sera devenu réalité. Je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de témoigner devant vous aujourd'hui, et c'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.

La vice-présidente : Merci à vous aussi. Passons maintenant à la présentation de M. McPhail.

[Traduction]

Ian McPhail, président, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui pour vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi visant à créer un Comité des parlementaires sur la sécurité nationale. Je suis ravi de faire connaître mon point de vue sur le comité proposé, les organismes de surveillance spécialisés et la reddition de comptes en matière de sécurité nationale en général.

Alors que vous étudiez le renforcement de la surveillance des activités liées à la sécurité nationale, je crois qu'il est important de prendre en considération les organismes de surveillance spécialisés déjà en place et le rôle que ceux-ci peuvent jouer pour compléter le comité proposé de parlementaires.

En 2014, le mandat de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes a été élargi pour inclure, outre le traitement des plaintes du public, l'examen systémique des activités de la GRC. De tels examens ont pour but de vérifier que les activités sont menées conformément à la loi, à la réglementation, à l'orientation ministérielle ou à toute autre politique, procédure ou directive. Moi-même ou le ministre de la Sécurité publique pouvons demander la tenue d'un examen.

Nous venons de terminer un examen sur le harcèlement en milieu de travail à la GRC, à la demande du ministre Goodale. Un examen est en cours, à ma demande, sur la mise en œuvre par la GRC des recommandations du juge O'Connor à la suite de l'affaire Maher Arar.

Si vous vous souvenez bien, les activités liées à la sécurité nationale de la GRC ont fait l'objet d'une surveillance étroite lors de la Commission d'enquête O'Connor. C'est pourquoi j'ai pensé qu'il était important d'entreprendre un examen indépendant sur la mise en œuvre par la GRC des recommandations du juge O'Connor.

Au bout du compte, l'examen a pour but d'accroître la transparence et l'obligation de rendre compte des activités de la GRC liées à la sécurité nationale. D'un point de vue plus général, je crois que le projet de loi C-22 vise le même but. Le projet de loi met en lumière le rôle critique des parlementaires dans le cadre redditionnel en matière de sécurité nationale et reconnaît la contribution des organismes de surveillance spécialisés. Les organismes de surveillance spécialisés, composés de professionnels qualifiés, offrent un point de vue indépendant lorsqu'ils se penchent sur les activités des organismes qu'ils surveillent. La création d'un comité des parlementaires établira un cadre redditionnel complet à l'intention de la collectivité de la sécurité et du renseignement du Canada.

À cet égard, je me réjouis à l'idée de collaborer avec le comité et d'entretenir avec lui des liens professionnels productifs. Il est tout aussi important que les organismes de surveillance spécialisés aient le mandat clair de collaborer aux travaux du comité, au besoin, comme l'a recommandé le juge O'Connor en 2006.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mes réflexions.

La vice-présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant passer à M. Doucet. Vous avez la parole.

Michael Doucet, directeur exécutif, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Madame la présidente, chers membres du comité, bonjour. J'aimerais vous remercier d'avoir invité le CSARS à se présenter devant vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-22, la Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale. Notre président, l'honorable Pierre Blais, m'a chargé de vous transmettre ses salutations. Je suis accompagné de monsieur Darryl Sitka, directeur des recherches au CSARS.

[Français]

Le CSARS a suivi l'élaboration du projet de loi C-22 avec intérêt. Cet après-midi, j'espère nourrir votre étude de ce projet de loi en expliquant la façon dont le CSARS pourrait collaborer avec le comité de parlementaires proposé et son secrétariat.

Le CSARS est un organisme de surveillance externe indépendant, sans lien de dépendance avec le gouvernement, qui rend compte des activités opérationnelles du Service canadien du renseignement de sécurité au Parlement.

[Traduction]

Le comité compte actuellement cinq membres. En tant que directeur exécutif, j'apporte mon soutien au président et aux membres, par exemple, lorsqu'ils prennent des décisions concernant le choix des activités du SCRS auxquelles il faut donner la priorité dans le cadre de nos études. Le CSARS assure trois fonctions.

Tout d'abord, il remet un certificat au rapport annuel que le directeur du SCRS prépare à l'intention du ministre de la Sécurité publique. Il s'agit pour le comité de déterminer si toute activité opérationnelle du Service visée dans le rapport agit à l'encontre de ses pouvoirs en vertu de la Loi sur le SCRS, contrevient aux instructions du ministre ou comporte un exercice abusif par le Service de ses pouvoirs.

Ensuite, il conduit des études approfondies sur les opérations du SCRS. Les recommandations du comité issues de ces études encouragent la prise de mesures efficaces pour favoriser la conformité des activités et protéger les droits des Canadiens.

Enfin, il effectue des enquêtes sur les plaintes déposées au sujet de toute action du SCRS, notamment celles concernant les annulations et les refus d'habilitations de sécurité.

Je répondrai avec plaisir à toutes les questions sur le travail du CSARS après mon intervention, mais tout d'abord, j'aimerais demander au comité de réfléchir au rôle crucial que jouent les organismes de surveillance spécialisés dans le cadre redditionnel instauré pour les activités de nos services chargés du renseignement et de la sécurité nationale. Je vais décrire brièvement trois avantages précis qu'apporte la surveillance spécialisée, à savoir l'indépendance, l'expertise et la continuité. Il faut les mentionner quand on se penche sur les manières dont le CSARS peut contribuer au travail du comité des parlementaires proposé.

L'indépendance est au cœur du rôle que joue le CSARS dans le mécanisme de reddition de comptes. Le comité n'a aucun lien de dépendance avec le gouvernement ni avec le SCRS ou le ministre. Le CSARS décide seul de ses domaines d'étude et des activités dont il fait rapport. Les fruits de son travail sont les rapports classifiés qu'il prépare à l'intention du ministre de la Sécurité publique, et qu'il lui remet directement.

[Français]

Le rapport annuel public du CSARS donne aux parlementaires et aux Canadiens un aperçu de ces études. Le comité cherche à être aussi ouvert et transparent que possible. Toutefois, le rapport doit être édité pour que toutes les informations classifiées en vertu de la Loi sur la protection de l'information y soient supprimées. Cependant, aucun ministre ou aucune personne en dehors du comité ne participe à l'élaboration du rapport qui est déposé au Parlement.

[Traduction]

Deuxièmement, un organisme de surveillance indépendant a une précieuse utilité : il dispose d'un personnel à temps plein composé de chercheurs et d'experts juridiques. En vertu de la Loi sur le SCRS, les chercheurs du CSARS ont accès à toutes les informations qui relèvent du Service, à la seule exception des documents confidentiels du Cabinet. Nous enquêtons sur les opérations du Service dans tout le Canada et dans le monde entier. Toutefois, sans les connaissances et l'expertise requises, un tel accès ne peut donner lieu à des conclusions importantes ou à des recommandations constructives.

L'un des avantages souvent méconnus d'un organisme de surveillance indépendant est sa capacité à mener un travail approfondi, sur la durée. Pour le CSARS, cela se traduit par un travail d'examen continu et contextuel des principales activités du SCRS, notamment le ciblage, les activités s'appuyant sur des sources humaines, et les activités de réduction des menaces.

Les membres du CSARS sont nommés par le gouverneur en conseil, ce ne sont pas des représentants élus. Dès lors, nous poursuivons notre travail, même si le Parlement est dissous. Les études du CSARS, prises dans leur ensemble et au fil du temps, peignent un tableau général du rendement du SCRS.

Permettez-moi de prendre un exemple récent pour mettre en évidence la valeur du travail de surveillance spécialisé. L'automne dernier, après la publication du rapport annuel du CSARS, la Cour fédérale a statué qu'il était illégal que le Service conserve des métadonnées sans lien avec une menace. Le ministre a ensuite demandé au CSARS s'il pouvait élaborer un rapport spécial sur la réaction du SCRS. Notez bien qu'il s'agissait là d'une simple demande du ministre. Il ne peut pas contraindre le CSARS à agir, car le comité est indépendant. Le CSARS a convenu que cela constituait une piste d'étude importante, et il examine actuellement les activités du SCRS dans le cadre de cette décision.

L'une des activités en cours d'étude porte sur la façon dont le SCRS utilise les capteurs IMSI, un système de surveillance téléphonique qui suscite actuellement l'intérêt des citoyens. L'étude du CSARS vise à déterminer si les activités de collecte et de conservation des métadonnées du SCRS respectent l'atteinte du seuil de la mesure strictement nécessaire, tel que le prescrit l'article 12 de la Loi sur le SCRS. Il s'agit également d'une étude prospective, car elle s'attache aux politiques et procédures que le SCRS mettra en place pour se conformer à la décision de la Cour et à la Charte canadienne des droits et libertés.

Cet exemple souligne bien l'importance d'un organe de surveillance. C'est le travail d'étude qui a poussé la Cour fédérale à agir. C'est ce même travail qui se penche sur une question d'intérêt public. Et grâce à l'expertise du CSARS, c'est une étude qui peut évaluer la légalité et la fermeté de la réaction du SCRS.

Le mécanisme de reddition de comptes tirera profit d'une surveillance parlementaire et des activités d'examen menées par des spécialistes. Le comité proposé examinera les cadres législatif, réglementaire, stratégique, financier et administratif de la sécurité nationale et du renseignement. Il sera bien placé pour procéder à une surveillance de haut niveau du cadre général de la sécurité nationale et du renseignement. Toutefois, ce sont des études opérationnelles détaillées et approfondies, menées par le CSARS et d'autres organismes de surveillance indépendants, qui vont nourrir un examen de haut niveau.

[Français]

Le CSARS se réjouit à la perspective de créer une relation de travail coopérative et productive avec le comité proposé et son secrétariat. Par exemple, le CSARS envisagerait de lui transmettre son plan de recherche annuel; de se présenter devant le comité pour discuter de son travail, de ses conclusions et de ses recommandations; et de contribuer aux discussions sur les sujets à l'égard desquels il possède une expertise. Ces efforts contribueraient ainsi à un travail fait de façon complémentaire et à éviter tout double emploi.

[Traduction]

Si le ministre de la Sécurité publique décidait qu'il serait préjudiciable pour la sécurité nationale que le comité des parlementaires examine une activité ou des informations précises concernant le SCRS, le CSARS pourrait offrir ses ressources. Le CSARS aurait accès à l'information dont la communication a été refusée. En vertu de son propre mandat, il pourrait procéder à un examen de l'activité du SCRS en question, et faire rapport sur ses conclusions. Le comité aurait l'assurance de l'indépendance et de la rigueur du CSARS, ainsi que de sa capacité à replacer les conclusions dans le contexte plus large des activités du SCRS, ce qui permettrait ensuite au comité de situer l'objet de l'étude au cœur du cadre plus vaste de la sécurité nationale.

Il ne fait aucun doute qu'une plus grande surveillance parlementaire représente un pas en avant vers une meilleure reddition de comptes. Pourtant, à notre avis, il subsiste une lacune de taille dans le cadre d'imputabilité : la capacité d'effectuer un examen mené par des spécialistes à l'échelle de la communauté.

Récemment, lorsqu'il s'est présenté devant votre comité, le ministre de la Sécurité publique a fait référence à d'autres propositions qui, selon lui, avanceront dans les prochaines semaines.

Le CSARS espère que le gouvernement prendra des mesures pour résoudre le problème de compartimentation des activités, et ce, en créant un organe de spécialistes chargé de l'examen de la communauté qui aurait le pouvoir d'examiner toutes les activités liées à la sécurité nationale et au renseignement. Cela est d'autant plus important que la plupart des institutions affectées à ces activités ne font actuellement pas l'objet d'une surveillance indépendante.

Sinon, le gouvernement pourrait donner officiellement au CSARS la capacité de procéder à des examens conjoints avec les organismes de surveillance existants et de suivre le fil de l'information que le SCRS partage avec ses partenaires au gouvernement.

Bien que cette question aille au-delà de la portée du projet de loi C-22, il est pertinent de l'évoquer ici, aujourd'hui, car elle est intimement liée à toute discussion sur le renforcement de la structure de reddition de comptes en matière de sécurité nationale et de renseignement.

[Français]

Permettez-moi de conclure mes propos en vous remerciant de votre engagement à l'égard de vos travaux sur cette question. Le gouvernement a pris l'engagement ferme de renforcer le cadre de responsabilisation en matière de sécurité nationale, et c'est avec confiance que le CSARS se propose d'apporter son aide à l'appui et à l'atteinte de cet objectif.

Je répondrai maintenant volontiers à vos questions. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Je vous remercie de votre présentation. J'ai une question.

[Traduction]

J'ai une question sur quelque chose qui a été soulevé un certain nombre de fois concernant la fonction de notre comité et si, selon le projet de loi C-22, il devrait être un comité de surveillance ou un comité d'examen. Selon ce qu'on a expliqué, la surveillance vise les opérations, et l'examen est effectué par la suite. C'est la façon dont je l'ai compris.

J'aimerais que tous les trois vous nous disiez ce que vous pensez en tant que représentants d'organes de surveillance et d'examen. Vous avez utilisé ces mots comme des synonymes. Quelle est votre opinion à cet égard?

Je vais commencer par vous, monsieur Doucet.

M. Doucet : Vous avez tout à fait raison. Même si les mots surveillance et examen représentent deux fonctions très différentes, je les utilise parfois de façon interchangeable.

Je vais commencer par l'examen parce que le CSARS est un organe d'examen. Ce que nous voulons dire par là, c'est que nous examinons des activités effectuées par le passé. Nous les examinons lorsqu'elles ont été menées, et nous ne nous occupons pas de la surveillance.

Contrairement à l'examen, la surveillance fera en sorte qu'on prend parfois des décisions concernant des opérations qui doivent être effectuées. La surveillance peut examiner des activités et des opérations avant qu'elles se produisent et elles peuvent faire l'objet de conversations avant leur déclenchement.

Je m'attendrais à ce que le comité des parlementaires exerce non seulement une fonction d'examen, mais aussi de surveillance, où les membres seraient informés par les organismes non seulement avant la tenue d'opérations, mais également avant que soient prises des décisions concernant les aspects de l'environnement de la sécurité nationale à analyser.

M. Plouffe : Je vais demander à M. Galbraith de répondre.

J. William Galbraith, directeur exécutif, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Pour revenir sur ce qu'a dit mon collègue M. Doucet, dans le mandat du comité d'examen, les mots « surveillance » et « examen » sont en effet utilisés comme des synonymes. Il reviendrait en grande partie au comité de déterminer la mesure dans laquelle il s'occupe de surveillance davantage comme un exercice en temps réel relatif aux activités de divers organismes de renseignement et de sécurité.

La profondeur de l'examen que nous effectuons a souvent un impact sur des opérations en cours ou des opérations futures seulement en raison des recommandations qui sont faites et mises en œuvre par, dans notre cas, le CST.

Les protections de la vie privée et la réduction du risque de non-conformité peuvent être en fait préventives. Les organes d'examen ne cherchent pas à avoir un véritable contrôle sur les activités, mais, certainement, vont de l'avant lorsque les recommandations sont faites et mises en œuvre par les organismes auprès desquels nous effectuons un suivi afin de nous assurer qu'elles sont mises en œuvre. Le comité lui-même déterminera la portée de son intervention en ce qui concerne l'accès en temps réel.

Richard Evans, directeur principal, Opérations, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Pour ce qui est de notre commission, nous effectuons principalement un examen a posteriori. Principalement pour la même raison, le potentiel d'une surveillance simultanée court le risque de nuire à des opérations de police en cours. Cela dit, rien dans la loi ne nous empêche d'effectuer un examen simultané des opérations.

Une disposition dans notre loi permet à la commission elle-même ou à la GRC de suspendre l'examen s'il peut nuire à une enquête en cours. Les dispositions sont là pour protéger les opérations, mais notre attention se porte principalement sur l'examen a posteriori.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Ma première question s'adresse à M. Plouffe.

Monsieur Plouffe, selon votre expérience, lorsqu'il s'agit d'examiner et de donner suite aux plaintes, croyez-vous sincèrement qu'un comité de 11 personnes aura la capacité de mener efficacement sa mission de surveillance de toutes les agences? Le comité sera surtout composé de députés qui auront d'autres occupations, qui seront en campagne électorale tous les quatre ans et qui ne seront peut-être pas de retour après les élections.

M. Plouffe : Merci, sénateur Dagenais, de votre question. Je pense qu'à cet égard le secrétariat a un rôle primordial à jouer. Le CSARS est composé de cinq personnes, et il y a également des fonctionnaires spécialistes qui donnent l'heure juste aux membres du comité.

C'est la même chose de mon côté. Je suis le commissaire, je suis un juge à la retraite. Ce n'est pas moi qui ai la spécialité quant au CST. Ce sont les spécialistes qui font partie de mon bureau. Le secrétariat joue donc un rôle clé avec les spécialistes qu'il engage. Il doit nommer la bonne personne à titre de directeur général et les autres spécialistes en la matière. Ce sont eux qui conseilleront le comité sur les enquêtes à mener et sur la façon de les faire. Il faut se rappeler que les agences de surveillance, dites expertes, ont le devoir d'aider le comité. Nous serons ravis de vous parler de la façon dont nous menons nos examens, de notre plan triennal, ainsi de suite. Nous devons mettre l'accent dès le début sur la collaboration entre le comité des parlementaires, les organismes de surveillance et le secrétariat, laquelle est primordiale.

Le sénateur Dagenais : Ne trouvez-vous pas que cela revient à dire que c'est le bureau du premier ministre qui a la main haute sur le choix du personnel qui sera responsable de la surveillance des agences?

M. Plouffe : Oui. C'est une question qui m'a été posée également par le comité de la Chambre des communes. Comme nous le savons tous, le comité des parlementaires, tel qu'il est décrit dans le projet de loi, est une créature de l'exécutif. Ce n'est pas un comité du Parlement. C'est là toute la différence. Si c'était un comité du Parlement, il y aurait toutes sortes de façons de convoquer des témoins, et ainsi de suite. Dans ce cas-ci, c'est un comité de parlementaires et, étant donné que c'est une créature de l'exécutif, c'est la raison pour laquelle le premier ministre et les ministres ont un rôle à jouer.

Je ne veux pas faire de politique et ce n'est pas mon rôle. Je n'ai pas fait de politique depuis 45 ans. J'essaie de faire valoir que c'est un travail qui est en cours. Vous allez me dire de regarder ce qui se passe en Angleterre et au Royaume- Uni. C'est tout à fait vrai. Chaque pays doit développer sa façon de faire selon son expérience et ses connaissances. J'ai l'impression que le gouvernement veut procéder de façon prudente. On peut être d'accord ou en désaccord, mais avant d'apprendre à courir, il faut apprendre à marcher.

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s'adresse à M. Doucet. Qu'est-ce qui peut motiver le législateur à ne pas accorder de protection aux sonneurs d'alerte de la fonction publique, alors que c'est le cas ailleurs?

[Traduction]

Darryl Sitka, directeur de recherche, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Dans le cas de tout renseignement du SCRS, un des rôles du CSARS serait de recevoir les plaintes concernant ce renseignement.

Je ne crois pas que nous pouvons émettre des hypothèses quant à savoir pourquoi le gouvernement ne voudrait pas mettre en place une protection particulière et plus étendue des dénonciateurs dans le contexte de ce projet de loi, mais pour les renseignements du SCRS qui sont visés, comme dans les cas des renseignements du CST, des renseignements de la GRC et des fonctions liées aux plaintes qui existent chez nos collègues d'autres organismes d'examen.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En ce qui concerne le comité dont on étudie les travaux, ne serait-il pas important que les sonneurs d'alerte disposent d'une protection à l'instar de la GRC, du CSARS et ainsi de suite?

[Traduction]

M. Sitka : Je dis simplement qu'il ne nous revient pas d'émettre des hypothèses, monsieur, sur le fait de savoir pourquoi le gouvernement n'a pas mis en place une disposition similaire dans le projet de loi actuel à l'étude.

Dans le cas de renseignements concernant les trois organismes que nos organes examinent, ces protections existent certainement. D'autres protections élargies, à l'échelle du gouvernement, existent, comme vous le savez. Les agents du Parlement et le commissaire à l'intégrité du secteur public, par exemple, détiennent certains pouvoirs et certaines capacités de recevoir des renseignements de la part de ceux qui voudraient dénoncer un acte répréhensible potentiel au sein du gouvernement.

En ce qui concerne la façon dont nous planifierions de travailler avec le comité proposé, comme nous l'avons tous dit ici aujourd'hui, c'est un rôle que nous pouvons assumer en fournissant au comité des parlementaires, à des fins de discussion, notre expertise et les renseignements que nous avons, tant ceux qui découlent de nos examens des activités opérationnelles que les renseignements que nous obtenons dans le contexte d'enquêtes sur les plaintes.

La sénatrice Lankin : J'ai un certain nombre de questions. Je veux revenir, d'abord, sur la coordination entre les organes d'examen et le nouveau comité proposé.

Un certain nombre de personnes ont parlé du fait de vouloir s'assurer d'éviter le double emploi. Le ministre, lorsqu'il était ici, et les témoins qui ont comparu plus tôt aujourd'hui ont laissé entendre que les protocoles d'entente conclus entre les organisations pourraient servir à définir certains des processus et des lignes directrices en matière de communication de renseignements. Le ministre a affirmé que cela serait une pratique normale. D'autres ont mentionné que nous devrions en réalité enchâsser cette pratique dans la loi.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Je m'intéresse particulièrement au CSARS et au dédoublement des tâches avec l'inspecteur général qui s'est passé à ce moment. Je ne me rappelle pas s'il y avait eu un protocole d'entente, mais je sais que ça n'a pas suffi de communiquer les plans annuels, et tout le reste, n'a pas été suffisant pour éviter ce dédoublement.

Nous comprenons que la situation était peut-être particulière, mais je voulais savoir, pour commencer, si vous aviez des commentaires à faire là-dessus.

M. Doucet : Lorsqu'il est question d'organisations et de personnes, je crois fermement que nous devons établir s'il y a des objectifs communs. Dans notre travail avec le comité des parlementaires, notre objectif est la transparence et la reddition de comptes. La chose responsable à faire serait d'être proactif et de non seulement vous communiquer nos projets de recherche, mais également de vous faire profiter des examens que nous avons menés dans le passé il y a cinq ou dix ans ou plus loin encore. Nous devrions aussi vous expliquer la méthodologie que nous utilisons pour choisir les examens à recommander au comité, et tout le reste.

On a également mentionné l'établissement de protocoles d'entente. Comme le commissaire Plouffe l'a dit, nous devons apprendre à marcher avant de courir. Il faut parfois des mois, des trimestres ou des années pour élaborer des protocoles d'entente. Selon moi, on ne peut pas rester assis à attendre que cela se fasse.

Permettez-moi de faire une analogie. Quand nous nous rendons à l'étranger, nous rencontrons non seulement les représentants du SCRS, mais également leurs partenaires canadiens à l'étranger. D'expérience, je sais que nous produisons des meilleurs résultats pour les Canadiens, lorsque nous partons à l'étranger pour discuter avec d'autres personnes, quand notre équipe canadienne veut travailler ensemble pour aller atteindre un objectif commun. C'est ce genre de philosophie que j'adopterais dans l'avenir pour notre relation avec le comité des parlementaires.

Je ne dirais pas que je suis en défaveur des protocoles d'entente, mais je ne voudrais pas que votre relation soit fondée sur des protocoles d'entente, parce que ça pourrait être très long avant d'atteindre nos buts. Le CSARS croit que nous devrions être prêts à collaborer et à discuter dès le jour 1.

La sénatrice Lankin : Quelqu'un d'autre veut-il dire quelque chose à ce sujet?

M. Plouffe : J'ajouterais que je suis d'accord avec la suggestion selon laquelle un protocole d'entente pourrait être très pratique, en temps et lieu. Cependant, comme M. Doucet l'a dit, cela va peut-être prendre un peu de temps avant qu'on en arrive à cette étape.

Nous savons tous qu'un protocole d'entente n'est pas juridiquement contraignant, même si, d'un autre côté, on pourrait dire que c'est un engagement d'honneur. Je crois que c'est bien d'écrire noir sur blanc les accords qui ont été conclus, une fois que la relation a été établie. Je crois que cela devrait se faire, en temps voulu.

La sénatrice Lankin : Ce que vous dites, tous les deux, c'est qu'on devrait se lancer, établir une relation fonctionnelle, puis la développer jusqu'au moment où nous pourrons conclure une entente.

M. Plouffe : Exactement.

La sénatrice Lankin : J'ai aussi une question pour les représentants de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes. L'alinéa 14d) du projet de loi ne permet pas au comité d'accéder aux renseignements qui ont un lien avec une enquête en cours pouvant mener à des poursuites.

Le commentaire de M. Evans à propos de votre propre examen a retenu mon attention. C'est à propos du fait que vous ne pouvez parfois pas effectuer une surveillance simultanée ou que vous pouvez recevoir une demande ou un ordre qui veut dire « pas maintenant, c'est trop tôt ». Je ne sais pas si vous pouvez m'expliquer. On nous a proposé de diluer un peu l'alinéa 14d), lequel ressemble un peu à votre mandat, afin de laisser au directeur de la GRC le pouvoir de prendre ce genre de décision policière.

Il y a certaines affaires — Air India, par exemple — qui durent depuis très longtemps et qui pourraient quand même mener à des poursuites au bout du compte. Dans ce cadre policier, il serait peut-être approprié, en partie, de communiquer certains renseignements. Pouvez-vous nous donner votre point de vue là-dessus?

M. McPhail : Oui, madame la sénatrice. Vous avez soulevé de très bons points. Dans la Loi sur la GRC, il y a une disposition selon laquelle nous ne devons pas nous mêler des enquêtes en cours. Richard, quel est le terme exact?

M. Evans : Compromettre ou nuire sérieusement.

M. McPhail : Nuire sérieusement à une enquête. Dans ce genre de cas, le commissaire de la GRC doit signaler ses motifs par écrit.

En cas d'incertitude dans l'interprétation de la loi, vos débats pourront aider à éclaircir la situation. Les tribunaux prennent effectivement cela en considération lorsque les parlementaires, par exemple, signifient leur accord dans le compte rendu à propos d'une interprétation de la loi. Vous devriez songer à préciser le flou.

Sous sa forme actuelle, l'interprétation de l'article en question serait : quelles activités de la GRC ne sont actuellement pas visées par cet article?

M. Evans : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose d'important, selon moi. Lorsque nous devons accéder à des renseignements qui concernent peut-être une affaire en cours, ça ne veut pas dire que l'information sera rendue publique. Nous avons le droit de consulter ce qu'il y a dans un dossier. Nous le faisons déjà dans le cadre de notre examen en matière de sécurité nationale.

Nous allons avoir accès à l'information. Nous allons consulter des documents sur des affaires en cours, mais cela n'ira pas plus loin. Nous en avons déjà discuté plus tôt. Nous pouvons évaluer l'information sans la révéler.

M. McPhail : J'ajouterais que nous sommes en train de mener notre examen en matière de sécurité nationale présentement. Nous avons eu l'entière collaboration de la GRC pour ce qui est de l'accès à l'information. Ça n'a pas été un problème.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Plouffe, j'avais une question pour vous à propos des renseignements auxquels le comité des parlementaires aura accès. Mais puisque vous avez abordé le sujet dans votre exposé, je vais passer à autre chose.

M. Plouffe : Merci.

Le sénateur McIntyre : La Loi sur la défense nationale établit les pouvoirs du commissaire du CST. Selon la loi, le commissaire a tous les pouvoirs conférés à un commissaire en vertu de la partie II de la Loi sur les enquêtes, y compris le pouvoir d'assignation, c'est-à-dire d'obliger une personne à répondre à des questions.

Si je vous questionne là-dessus, c'est parce que le comité des parlementaires ne disposera pas, en vertu du projet de loi C-22, du pouvoir d'assignation. Votre accès aux renseignements est-il sujet à des restrictions? Pouvez-vous nous parler de la façon dont le pouvoir d'assignation est utilisé et dont il peut vous aider dans vos examens?

M. Plouffe : En vertu de la partie II de la Loi sur les enquêtes, je suis habilité à sommer des témoins à comparaître, et tout le reste. Le pouvoir n'a jamais été utilisé depuis la création du bureau en 1996. Je dois dire tout de même que ça pourrait être utile.

[Français]

Cela se compare à une épée de Damoclès suspendue au-dessus de votre tête.

[Traduction]

Présentement, votre bureau, le BCCST, jouit d'un accès complet à tout ce qui concerne le CST : son personnel, ses ordinateurs, les gens, et cetera En ce qui concerne votre comité, on a également posé cette question à la Chambre des communes, et j'ai répondu que ce serait peut-être pratique qu'il y ait aussi une disposition dans ce sens à propos du pouvoir d'assignation pour le comité des parlementaires. Il faudrait y réfléchir. Sans ce pouvoir, que reste-t-il au comité? Je dirais qu'il vous reste la persuasion politique ou l'humiliation publique, mais ce serait s'éloigner de la légalité.

Je vais répéter ce que j'ai déjà dit. Ce serait peut-être pratique pour le comité, mais il faut garder à l'esprit que votre comité n'est pas un comité parlementaire. C'est un comité de parlementaires. Disons que vous décidez d'examiner un ministère ou une organisation gouvernementale et qu'on refuse de vous fournir les documents que vous avez demandés ou qu'un témoin refuse de comparaître pour une raison ou pour une autre. Que faites-vous, dans ce cas? Il vous reste la persuasion politique ou l'humiliation publique, mais vous ne pouvez pas, sur le plan juridique, contraindre un témoin à comparaître devant vous. Cela pourrait représenter un problème.

Le sénateur McIntyre : Si vous me le permettez, madame la présidente, je dirais que le mandat et les activités du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité sont soutenus par le directeur exécutif ainsi que le personnel de recherche et des services juridiques.

Cela dit, qui est chargé de nommer le directeur exécutif et le personnel? De qui relevez-vous, monsieur Doucet? Pouvez-vous nous expliquer le rapport hiérarchique qui existe entre vous et les membres du CSARS ainsi qu'avec les organismes centraux du gouvernement?

M. Doucet : Je vais commencer par mon poste de directeur exécutif. Le processus de nomination du directeur exécutif du CSARS commence par une présentation au Conseil du Trésor. Habituellement, on fait une sorte de chasse aux cadres. Lorsque j'ai été nommé au poste de directeur exécutif, l'honorable Chuck Strahl était président. Nous nous sommes rencontrés, il m'a fait passer une entrevue, puis il y a eu une présentation au Conseil du Trésor recommandant que je sois embauché.

Pour ce qui est du personnel du CSARS, les embauches se font habituellement sur ma recommandation. Je suis prêt à rendre des comptes en ce qui concerne les ressources humaines et les finances, directement à notre président, l'honorable Pierre Blais. Nous nous asseyons ensemble, et nous passons en revue les finances et tout le reste. Cela ressemble beaucoup à la relation sous-ministre/ministre. Voilà comment on s'occupe des ressources humaines au CSARS, en résumé.

Le sénateur Kenny : Monsieur Doucet, peut-être ne vous ai-je pas entendu correctement, mais avez-vous dit que vous aviez été nommé à titre amovible?

M. Doucet : Oui, en ce sens que je suis un cadre de la fonction publique engagé par le CSARS.

Le sénateur Kenny : Est-ce selon le bon plaisir du CSARS? Faut-il qu'il y ait vote à la majorité? Le président peut-il prendre la décision, ou êtes-vous nommé selon son bon plaisir?

M. Doucet : En ce qui me concerne, le président a déposé une présentation au Conseil du Trésor pour mon embauche après m'avoir reçu en entrevue, mais je ne suis pas embauché pour une période de temps déterminée.

La sénatrice Griffin : J'avais cru comprendre que la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC ne peut pas accéder directement et en temps réel aux documents de politique de la GRC qui sont stockés sur son Intranet. Vous devez demander des copies physiques à la place. Je suis sûre que cela nuit à vos examens et retarde le processus.

Je crois également savoir que les entrepreneurs et même les gardiens de prison ont accès à l'Intranet de la GRC. Mais vous, non, même si certains membres de la Commission ont une habilitation leur donnant accès aux informations classées très secret. Je trouve cela plutôt intrigant.

Croyez-vous que le comité de surveillance parlementaire devrait adopter une approche similaire à celle de votre organisation pour l'accès aux documents, ou recommanderiez-vous d'accéder aux documents par voie électronique en utilisant une installation sécuritaire?

M. McPhail : Nous travaillons sur un protocole d'entente afin de régler quelques-uns de ces problèmes, même si, comme mes collègues l'ont déjà mentionné, la préparation et la rédaction d'un protocole d'entente peut prendre beaucoup de temps.

Je vais laisser M. Evans entrer dans les détails de l'accès aux documents.

M. Evans : Nous n'avons pas eu de difficulté excessive pour accéder aux documents. Dans le cadre de notre examen en matière de sécurité nationale, par exemple, nous pouvons accéder aux documents de la GRC, mais c'est plus compliqué d'y avoir accès en temps opportun.

Puisque nous n'avons pas accès aux documents de politique en format électronique, c'est énormément difficile d'accéder aux documents en temps opportun. Nous devons attendre que la GRC nous les fournisse au cas par cas. Lorsqu'on nous fournit des documents par voie électronique, ils ne fonctionnent pas la plupart du temps à cause des hyperliens. Le format électronique soulève toujours plein de problèmes techniques.

Pour résumer, même si on coopère avec nous pour nous fournir les documents, le fait que nous n'ayons pas accès aux documents de politique par voie électronique nous empêche de procéder rapidement.

La sénatrice Griffin : C'est ce que je pensais. Merci.

M. Doucet : Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, le CSARS jouit de ce que j'appellerais un accès illimité non seulement aux installations et aux employés du SCRS, mais également à ses systèmes d'information par voie électronique.

Dans le passé, nous pouvions demander qu'on nous fournisse des documents. Cela nous arrive encore aujourd'hui, lorsque nous devons obtenir des documents qui ne sont pas en ligne ou auxquels nous n'avons pas accès. Nos recherchistes et nos avocats vont se rendre dans les bureaux du SCRS pour effectuer leurs fouilles documentaires. Je dirais que nous avons un accès exceptionnel. C'est très rare que j'intervienne en ce qui concerne l'accès aux installations ou aux documents.

Tout le temps où j'ai travaillé au SCRS, je n'ai pas eu à demander à notre président d'intervenir en raison de problèmes d'accès. Cela aurait été la prochaine étape, le cas échéant. Les gens comprennent qu'un examen complet est bon non seulement pour l'organisme qui mène l'examen, mais aussi pour l'organisation qui le subit. Aujourd'hui, nous avons une très bonne entente de coopération en vigueur en ce qui concerne l'accès.

La sénatrice McPhedran : J'ai deux petites questions. Premièrement, votre mandat accorde-t-il une attention particulière à la Charte canadienne des droits et libertés ou y accordez-vous une attention particulière dans l'accomplissement de votre mandat? Y a-t-il quelqu'un de nommé expressément pour cela?

Deuxièmement, y a-t-il des femmes parmi les cadres de vos organisations?

M. Plouffe : En réponse à votre première question au sujet de la Charte des droits et libertés, je veille à ce que le CST respecte la loi et protège les renseignements personnels des Canadiens. Du même coup, si nous veillons à ce que le CST respecte la loi, il va aussi devoir respecter la Charte des droits et libertés. C'est implicite, voyez-vous.

Je vais demander à M. Galbraith de vous parler des femmes dans des postes de direction.

M. Galbraith : Notre effectif compte 11 personnes qui travaillent à temps plein. Nous avons deux gestionnaires, et je suis le directeur exécutif. Le poste de directeur des opérations est présentement vacant, et nous allons entamer un processus de dotation pour le combler. Nous avons également un poste d'avocat interne, présentement occupé par une femme. Elle est chargée de fournir des conseils juridiques à l'interne pour le commissaire. Le commissaire a aussi à sa disposition un conseiller juridique indépendant externe, chargé de lui fournir des conseils.

Ni l'un ni l'autre ne sont liés au ministère de la Justice. Entre autres choses, c'est essentiel pour s'assurer de l'autonomie du commissaire.

M. McPhail : Madame la sénatrice, pour répondre à votre question, le CETP compte huit gestionnaires, dont trois sont des femmes. En fait, nous en avons une avec nous aujourd'hui. Il s'agit de Joanne Gibb, notre directrice des examens systémiques. Nous avons aussi une directrice des examens. Je parle des examens sur les plaintes du public que nous recevons. Ce sont les deux principales gestionnaires. Nous avons aussi une avocate, et, dans l'ensemble, plus des trois quarts des membres de la commission sont des femmes.

M. Doucet : Évidemment, en plus de prendre en considération la Charte dans nos activités, mais avec nos cinq avocats et nos recherchistes, nous avons du personnel qui connaît beaucoup de choses en matière de protection des renseignements personnels et relativement à la Charte. Je crois que nous nous débrouillons très bien à ce chapitre. En cas de besoin, nous pouvons obtenir des conseils ou de l'expertise pour ces questions à l'extérieur de l'organisation, mais je crois que nous avons tout ce dont nous avons besoin.

Actuellement, mon équipe compte quatre gestionnaires qui relèvent directement de moi, dont Darryl est le seul représentant masculin. Avant son arrivée, mon équipe de gestion était composée exclusivement de femmes.

La sénatrice McPhedran : Merci.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question concerne l'ordonnance à comparaître. Dans quelles circonstances, dans le cadre des travaux du comité, le mandat tel qu'il est décrit dans la loi serait-il nécessaire? À mon avis, cela a été exclu de la loi, car il n'était pas nécessairement entendu qu'il y aurait un travail à faire pour amener des gens à comparaître devant le comité dans le cadre de ses travaux. J'aimerais vous entendre quant à cette question.

M. Plouffe : Je vous remercie de la question. Il est vrai que, jusqu'à un certain point, le rôle que le comité de parlementaires est appelé à jouer diffère du nôtre. Notre organisme de surveillance se concentre sur des questions beaucoup plus spécifiques comparativement à ce que le comité de parlementaires sera appelé à faire.

Néanmoins, le mandat du comité de parlementaires est très large. Cela n'exclut pas que, à un moment donné, pour une raison que le comité décidera, il entreprenne une enquête ou un examen d'un problème qui a lieu dans un ministère ou une agence. C'est possible pour le comité, il a le pouvoir de le faire. La question que les gens me posent est toujours la même : si les témoins refusent de comparaître devant le comité de parlementaires, qu'est-ce qu'on fait? S'ils refusent de produire des documents, qu'est-ce qu'on fait? Je ne vais pas me répéter. C'est pourquoi, lors de ma comparution devant le comité de la Chambre des communes, j'ai dit que c'était une chose à examiner, parce qu'il est vrai aussi que c'est un travail qui est en cours. C'est la raison pour laquelle il y a une disposition qui précise qu'il y aura une révision dans cinq ans. Il y aura plusieurs choses à changer, soyez sans crainte, et c'en est probablement une.

La sénatrice Moncion : C'est une lacune importante dès le départ.

M. Plouffe : Je crois. Voilà pourquoi je le dis. En tant que juriste et juge à la retraite, je suis un peu surpris de voir qu'un tel comité, le comité des parlementaires n'a pas le pouvoir d'assignation. Cela me surprend. J'ai ce pouvoir, et le commissaire à la vie privée et le CSARS ont quelque chose de semblable. Nous ne sommes peut-être pas appelés à nous en servir, mais les gens qui comparaissent devant nous savent que nous avons ce pouvoir. Donc, ils ont tendance à collaborer beaucoup plus facilement.

La sénatrice Moncion : Merci.

[Traduction]

La vice-présidente : Sénateur Boisvenu, le sénateur Kenny a une question supplémentaire.

M. Evans : De notre côté, la commission a effectivement le pouvoir d'assigner les gens à comparaître. Je ne sais pas pourquoi on parle d'une assignation au lieu d'une citation à comparaître, mais nous avons déjà utilisé ce pouvoir dans le passé.

Nous avons adopté la bonne pratique d'assigner des membres de la GRC à comparaître à l'occasion de nos enquêtes. Nous n'avons pas tenu d'audiences publiques, mais nous en avons le pouvoir maintenant, autant en ce qui a trait aux enquêtes qu'aux audiences. Nous avons utilisé ce pouvoir, mais malheureusement, les gens ont accédé à nos demandes jusqu'ici, alors nous n'avons pas eu à prendre de mesures pour régler la question lorsqu'un membre refuse de se montrer ou de nous fournir des documents. Là aussi, il reste encore des choses à régler.

Le sénateur Kenny : Pour que ce soit plus clair, j'aimerais situer la question dans un contexte sénatorial. Dans la trentaine d'années et plus où j'ai siégé à des comités, nous avons parlé deux fois du pouvoir d'assignation. La pratique en vigueur au Sénat est de donner deux avertissements, puis de recommander à la personne de se prendre un avocat. Au bout du compte, elle finit toujours par venir témoigner, avec ou sans avocat.

Ce que vous dites, c'est que si vous avez le pouvoir d'assignation, cela ne veut pas dire que vous aurez à l'utiliser, mais si vous ne l'avez pas, peut-être que vous allez le regretter.

M. Plouffe : Exactement. C'est ça, monsieur le sénateur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens tout d'abord à m'excuser auprès de mes collègues de mon retard. J'avais des obligations urgentes.

Je me mets à la place d'un citoyen qui nous regarde aujourd'hui et qui se demande qui surveille qui. Cela me semble être une nouvelle créature qui arrive, qui se retrouvera un peu dans vos plates-bandes, mais sans y être vraiment. Ce qui m'apparaît être le nœud du problème, c'est l'indépendance politique de l'organisme. Vous me direz si j'ai tort ou raison. Je peux arriver à la conclusion que votre organisme a une certaine indépendance politique, n'est-'ce pas?

M. Plouffe : Nous sommes indépendants, oui.

Le sénateur Boisvenu : Maintenant, on crée une autre organisation qui a presque le même nom et qui aura une dépendance politique. Tout le processus de sélection des membres et du personnel est dans les mains d'une seule et unique personne. Retrouve-t-on ce type de concentration dans d'autres pays, mis à part l'Afrique?

[Traduction]

La vice-présidente : Pourquoi est-ce que vous parlez des pays d'Afrique? Qu'est-ce que vous voulez dire?

Le sénateur Boisvenu : Non, c'est qu'il y a des pays là-bas...

[Français]

La vice-présidente : Pourquoi? Ce n'est pas nécessaire.

Le sénateur Boisvenu : Je m'excuse pour l'Afrique, madame.

M. Plouffe : Oui, c'est un choix politique à ce stade-ci. Pourquoi le gouvernement décide-t-il de créer un comité de parlementaires et non pas un comité du Parlement? C'est un choix politique. En Grande-Bretagne, il y a plusieurs années, il y avait quelque chose de similaire. C'était un comité de parlementaires et, au cours des années, nous avons compris que nous voulions faire mieux. Nous avons appris des Britanniques que le comité des parlementaires avait certaines limites en termes de ressources et en général. Nous sommes récemment passés d'un comité de parlementaires à un comité du Parlement doté de pouvoirs. C'est un choix politique. La raison pour laquelle le gouvernement veut procéder de cette façon m'échappe. Ce n'est pas à moi d'exprimer une opinion à ce sujet; cependant, ce comité est un début.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que le cheminement de cette politique et notre contexte politique sont différents au point où nous n'arriverons pas à la même conclusion?

M. Plouffe : Par rapport à l'Angleterre? C'est possible. J'ai l'impression que le gouvernement se dit que c'est nouveau, et que les parlementaires ne sont pas habitués à faire affaire avec les organismes de renseignement, et cetera. On leur donnera ainsi la chance d'apprendre et de faire leurs devoirs. Une fois que ce sera fait et, si je peux employer l'expression, lorsqu'ils seront rendus à l'adolescence, nous passerons, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, d'un comité de parlementaires à un comité du Parlement.

Le sénateur Boisvenu : Il y a une stratégie de contrôle dans tout cela dans le fond, pour garder la main haute.

M. Plouffe : Je ne le sais pas. Ça, c'est vous qui le dites. Tout ce que je vous dis, c'est que c'est un choix politique de la part du gouvernement de procéder de cette façon. Il y a des pour et des contre. C'est très clair

Le sénateur Boisvenu : À vous écouter, j'en arrive à cette conclusion. Je vous remercie beaucoup de votre réponse.

[Traduction]

La vice-présidente : J'ai une question pour vous, monsieur McPhail, à propos des activités en cours. Certains témoins nous ont dit qu'il y a des enquêtes en cours — prenez l'exemple de Air India — qui peuvent s'éterniser.

À l'alinéa 14d) du projet de loi, il est écrit :

Le Comité n'a pas un droit d'accès aux renseignements suivants :

d) les renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours menée par un organisme chargé de l'application de la loi et pouvant mener à des poursuites.

De façon très concrète, toute action entreprise par la Division nationale de la GRC est susceptible de mener à des poursuites, même si c'est dans un grand nombre d'années. On a mentionné souvent le fait que les renseignements sont inaccessibles pour les enquêtes en cours.

J'aimerais connaître votre opinion, ou celle de M. Evans, à ce sujet.

M. McPhail : Je crois que nous avons tous les deux quelque chose à dire. Comme je le disais un peu plus tôt à la sénatrice Lankin, cette disposition pourrait viser toutes les activités de la GRC, si on l'interprétait ainsi.

La vice-présidente : Exactement.

M. McPhail : Pour interpréter les textes législatifs, les tribunaux suivent plusieurs règles. Par exemple, relativement à vos débats parlementaires, s'il est accepté dans l'ensemble qu'un comité de parlementaires aurait le droit d'accéder à l'information, pourvu que cela ne nuise pas à une enquête en cours, alors ce serait pris en considération.

Le fait qu'on peut juger que tous les textes législatifs ont un objectif réparateur pourrait être pris en considération dans l'interprétation. Le fait que le mandat du comité de parlementaires serait de jouer le rôle d'un organisme de surveillance pour toutes les questions de sécurité nationale serait également pris en considération.

Je suis sûr que M. Evans a aussi quelque chose à dire.

M. Evans : D'un point de vue opérationnel, d'abord, c'est probablement risqué pour un fonctionnaire de venir ici critiquer la façon dont un projet de loi est rédigé, alors je vais m'abstenir. Je vais me contenter de commenter le libellé du projet de loi.

Premièrement, de notre côté, nous avons un seuil à respecter. Cela ne se limite pas à une enquête en cours. Il faut qu'il soit établi que la communication de renseignements relativement à une enquête pourrait la compromettre ou y nuire sérieusement. Ça ne suffit pas qu'il s'agisse d'une enquête en cours.

Deuxièmement, cette disposition, ainsi que d'autres, a été ajoutée tard dans le processus de rédaction de la loi. Nous sommes satisfaits de la façon dont les choses ont été réglées, parce qu'il s'agit d'un juste milieu entre les pouvoirs de la commission et ceux de la GRC. Par exemple, si quelqu'un dépose une plainte, nous ne saurons peut-être pas si la personne qui a déposé la plainte fait également l'objet d'une poursuite au criminel. Si nous obtenons ce renseignement, nous allons communiquer avec la GRC pour lui en faire part, après quoi nous pourrons suspendre l'enquête. L'inverse est aussi vrai. La GRC peut nous le demander.

Troisièmement, les enquêtes auxquelles nous pourrions nuire ne se limitent pas aux enquêtes criminelles. Il y a une disposition facultative dans ce texte selon laquelle nous pouvons suspendre un examen s'il risque d'interférer avec une action civile ou administrative. Pour cela aussi, dans chaque cas, il faut justifier ces motifs et satisfaire à un seuil. Ce n'est pas une interdiction générale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aurais une dernière question qui s'adresserait à M. Plouffe.

M. Plouffe : Je suis populaire auprès de vous.

Le sénateur Dagenais : Oui, car nous apprécions beaucoup votre témoignage.

Pour l'avancement des travaux, quel serait l'avantage d'accorder au commissaire à la vie privée le droit de communiquer sans restriction avec le futur comité de surveillance?

M. Plouffe : Le commissaire à la vie privée et moi avons deux approches différentes en ce qui a trait à la protection de la vie privée. Dans mon cas, je me concentre sur une agence en ce qui a trait à la conformité avec la loi, ce qui inclut la protection de la vie privée. De son côté, le commissaire à la vie privée du Canada a comme juridiction tous les ministères et agences du gouvernement fédéral. C'est un mandat qui est beaucoup plus large.

Occasionnellement, je rencontre le commissaire à la vie privée et nous discutons de ces sujets. Il est évident que nous avons un intérêt commun en ce qui a trait à la vie privée, mais sous un angle et une perspective qui diffèrent. Sa perspective est beaucoup plus générale, alors que la mienne est beaucoup plus spécifique. Nous sommes donc complémentaires jusqu'à un certain point. Dans mon cas, comme j'ai un mandat de protection de la vie privée quant au CST, il n'est peut-être pas nécessaire à ce moment-là pour le commissaire à la vie privée d'être un membre ou de devenir un responsable d'examen, comme le sont les trois autres organismes qui comparaissent devant vous aujourd'hui.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Plouffe.

M. Plouffe : Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Dagenais : Oui, très bien. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : J'ai une question de portée générale pour quiconque voudrait y répondre. Le mandat du comité a trait à un certain nombre de choses, comme l'administration, les politiques et l'efficacité. Un certain nombre de témoignages ont laissé entendre qu'il s'agit d'un nouveau domaine à explorer, un domaine sur lequel les organismes de surveillance ne se sont pas encore penchés. Cependant, je me souviens... je pense aux activités du SCRS surveillées par le CSARS comme le filtrage, que ce soit à des fins d'immigration ou de sécurité avant de nommer quelqu'un à un poste.

Certains examens ont révélé une mauvaise affectation des ressources, et en réaction, le service a décidé de réaffecter les ressources. Cela va plus loin que l'efficacité, mais je voulais savoir si vous aviez quelque chose à dire là-dessus.

Même si ce n'est pas nécessairement le cas, je voulais savoir si, selon vous, vos mandats comprenaient un objectif d'efficacité, ou est-ce que vous les voyez comme distincts de celui du comité parlementaire? Aussi, quelles seraient vos attentes concernant les activités de surveillance du comité?

M. Doucet : Il va sans dire que lorsque nous effectuons un examen, l'efficacité pourrait être un aspect à prendre en considération. Il y a un certain nombre d'années, nous avons effectué un examen sur la présence du SCRS dans le Nord. À l'époque, l'attention du gouvernement était surtout tournée vers le Nord. Je crois que vous étiez déjà des nôtres à cette époque. Vu les efforts déployés dans le Nord, nous avions déclaré que le fait que le SCRS n'ait pas de présence permanente dans le Nord rendait les choses difficiles. Nous avons ainsi ouvert la voie pour que le SCRS puisse y exercer ses activités en prenant les ressources en considération.

Selon moi, pour ce qui est de l'efficacité, le comité de parlementaires devra composer avec un système de sécurité nationale qui comprend 17 organisations. Il sera de toute évidence en mesure de cerner les dédoublements et il pourra aussi peut-être chercher les lacunes. Il pourra chercher à renforcer l'efficacité. Encore une fois, le comité va examiner un système et un ensemble d'organisations afin de vérifier non seulement comment nous réglons les problèmes, mais avec quelle efficacité nous coopérons, mais aussi comment nous remplissons nos rôles respectifs.

La sénatrice Lankin : Je vais continuer sur cette lancée, dans ce cas. Monsieur Doucet, vous avez plus tôt mentionné certains aspects de la prochaine portion du cadre de sécurité nationale qui, espérons-le, concerneront les organismes de surveillance et leurs liens quand il s'agit de faire suivre des renseignements dans ce qu'on pourrait appeler un super- CSARS ou dans le cadre d'activités pan-organisationnelles... Je parle de la façon dont les activités se déroulent. Selon ce que vous avez répondu, il semble que le comité va jouer un rôle important, puisqu'il aura une vue d'ensemble sur les problèmes systémiques inter et intra-organisationnels.

Si on veut ajouter de la valeur au comité pour les Canadiens, devons-nous, selon vous, commencer par étudier en profondeur les divers cloisonnements et volets ou devrions-nous étudier le cadre et les liens qui existent entre les organisations?

M. Doucet : Lorsque le comité de parlementaires sera créé, il aura à décider exactement comment il veut procéder. Il aura à décider de ses stratégies. Nous ne savons pas quelle taille aura son secrétariat ni la mesure dans laquelle il pourra compter sur le soutien d'experts. Cependant, on ajouterait de la valeur pour les Canadiens en examinant le système dans son ensemble.

Ce qui est plus important pour les Canadiens, si on se fie aux dernières années, ce sont les questions de sécurité nationale, qui prennent de plus en plus d'importance. Le projet de loi C-51 a mis certaines choses au premier plan. Ce projet de loi sur le comité de parlementaires fait ressortir certaines choses. On en discute de plus en plus.

Je crois que le rôle du comité des parlementaires sera non seulement de poursuivre ces discussions, mais également de leur donner une impulsion et de mettre un visage sur cette communauté qui est, selon moi, plutôt méconnue de la plupart des Canadiens.

Dans son rapport annuel, le comité sera en mesure de déclarer : « Nous nous en occupons. Nous surveillons les choses et nous posons les bonnes questions. Quand il faut approfondir un sujet, nous l'approfondissons, et lorsque c'est impossible, nous demandons un examen d'expert pour nous aider. » Encore une fois, je crois que ce sera très important de remplir nos rôles correctement et de collaborer avec le comité.

J'ai été intrigué par la question et par le dialogue sur les assignations à témoigner. Personnellement, je pense que le plus grand pouvoir du CSARS, c'est le rapport annuel qu'il produit tous les automnes. Nous commentons et examinons un certain nombre des activités du SCRS. Ce rapport, en soi, génère un certain nombre de questions, et ainsi de suite. En outre, selon mon expérience, le SCRS et le ministre prêtent attention à notre travail. Si nous formulons des recommandations, ils les prennent au sérieux. Nous voyons des mesures être prises. Nous effectuons un suivi à l'égard de ces recommandations. Nous suivons l'orientation qu'ils adoptent à leur égard. Nous ne sommes pas un comité de vérification, mais nous posons tout de même des questions de suivi pour savoir comment vont les choses.

Vous ne savez peut-être pas que, chaque année, notre comité tient une réunion avec les hauts dirigeants du SCRS afin de discuter, pour qu'ils voient ce que nous faisons et comment nous travaillons. Je pense que le comité de parlementaires aura des rôles à jouer et décidera exactement comment il veut procéder. Il est à espérer non seulement qu'il bénéficiera du soutien de secrétariat nécessaire pour le faire, mais aussi qu'il travaillera avec nous afin que cela se réalise.

Le sénateur Kenny : Je suis curieux de vous demander de revenir sur votre propre expérience. Je suis très préoccupé au sujet de la capacité des parlementaires d'avoir une perspective qui englobe 17 ou 21 organismes différents. Nous n'avons pas obtenu de réponse claire à la question de savoir combien il y a d'organismes. Si le projet de loi est adopté, nous savons que tous les organismes seront visés.

Combien de temps croyez-vous qu'il faudra pour apprendre à fonctionner, s'il y avait 17 CSARS? Peut-être que le CSARS n'est pas un bon exemple, car vous avez tous les trois un travail compliqué. Pouvez-vous préciser au comité le type de défis auxquels devra faire face le comité de parlementaires envisagé actuellement dans le document qui nous vient de la Chambre pour devenir opérationnel?

M. Plouffe : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Je souscris à votre opinion selon laquelle le mandat du comité de parlementaires est effectivement très vaste. Les stratégies devront être établies au moment où le comité se réunira, en temps et lieu.

La suggestion que je ferais au comité — si je devais en faire une — serait de s'en tenir aux fonctions générales qui sont mentionnées dans la loi, c'est-à-dire l'examen du cadre législatif, réglementaire, stratégique, administratif et financier, et ainsi de suite, et de nous laisser les détails concernant l'examen réalisé par des experts. En temps et lieu, nous allons rencontrer le comité, et, plus tard, s'il veut procéder à des examens particuliers dans certains ministères ou organismes, nous serons là pour l'aider. Toutefois, pour commencer, il devrait s'en tenir aux questions générales et suivre le fil. En ce moment, comme vous le savez, les organismes d'examen composés d'experts ne peuvent pas suivre le fil. Le comité le peut. C'est un domaine que le comité pourrait aborder, et espérons qu'il le fera.

Le sénateur Kenny : Je serais heureux d'entendre d'autres commentaires. Je devrais signaler qu'il y a des organismes, comme l'ASFC, qui ne disposent pas d'un organisme comme le vôtre. Il n'y aurait personne en particulier à qui vous pourriez vous adresser. Si d'autres témoins ont un point de vue à communiquer, je serais heureux de l'entendre.

M. Doucet : Je pense qu'il s'agit d'une excellente question, monsieur le sénateur. Je vais vous donner l'exemple des membres du CSARS. Nous en avons actuellement cinq. Très souvent, un membre du comité se présente à nous sans expérience en matière de sécurité nationale, mais avec une expérience exceptionnelle et la capacité de vraiment avoir une incidence sur notre organisation.

Je constate qu'il ne leur faut pas très longtemps pour être fonctionnels. Pourquoi est-ce le cas? C'est en raison de la façon dont on les informe, des renseignements que nous leur soumettons et de la force de nos conseillers juridiques et de nos chercheurs qui prennent une question de sécurité et de renseignement très complexe et l'expliquent d'une façon concrète.

Au CSARS, nous avons entrepris une planification fondée sur le risque, afin de prévoir notre cycle d'examen en fonction des risques. Je proposerais au comité de parlementaires d'étudier et de peut-être déchiffrer ce qui pose un risque élevé pour le gouvernement du Canada dans cet écosystème de sécurité nationale. Le comité devrait utiliser cela pour alimenter son étude.

Vous avez mentionné l'ASFC. Il s'agit d'un excellent exemple de domaine sur lequel le comité pourrait ou non vouloir se concentrer, au départ. Les membres peuvent utiliser la force, la constance et la capacité de leur secrétariat pour présenter de l'information au comité dans le but de prendre des décisions quant à leur orientation, à la façon dont ils veulent procéder et à l'ordre dans lequel ils veulent le faire.

M. Galbraith : Monsieur le sénateur, vous avez peut-être mentionné le premier grand projet d'examen que pourrait entreprendre le comité de parlementaires pour ce qui est de déterminer où s'effectuent les activités de sécurité nationale dans tous ces ministères et organismes disparates. Pour reprendre les termes de mon collègue M. Doucet, où le risque est-il le plus élevé, de la protection de la vie privée à la non-conformité? Quelle est l'interaction? Quels sont les renseignements qui circulent?

Le fait de contribuer à déterminer ce à quoi nous avons affaire constituerait un bon premier projet majeur.

M. McPhail : J'aimerais ajouter quelque chose aux réponses, monsieur le sénateur. Mes collègues ont soulevé des éléments très valables. L'un des premiers défis à relever pour le comité de parlementaires sera de déterminer ce qui constitue un problème de sécurité nationale. En ce qui concerne la GRC, par exemple, à quel moment une enquête criminelle menée au titre du Code criminel devient-elle une affaire de sécurité nationale?

Je ne vais même pas tenter de répondre à cette question, mais elle serait très importante à aborder pour le comité.

Le sénateur Kenny : J'ai posé la question, mais peut-être que, pour rendre les choses un peu plus compliquées, compte tenu du roulement que nous observons au Parlement... nous pouvons mesurer à quelle fréquence il y a du roulement au Sénat, mais, à la Chambre des communes, parfois, tous les trois ou quatre ans... les choses sont imprévisibles.

Comment peut-on préserver la mémoire institutionnelle? Je suppose que c'est la meilleure façon de le décrire.

M. Plouffe : Vous soulevez un bon point, monsieur le sénateur. La présence de sénateurs au comité est importante, en ce qui a trait à votre question, car le mandat des sénateurs dure plus longtemps; par conséquent, ils en viendront à mieux connaître le sujet, d'une part. D'autre part, ils auront ce qu'on appelle une « mémoire organisationnelle » que n'auront peut-être pas les gens de l'autre endroit.

Voilà pourquoi, dans ma déclaration préliminaire, j'ai mentionné qu'il était d'une importance primordiale que le comité et les organismes d'examen entretiennent une relation productive parce que nous pouvons les aider à former les membres du comité, s'ils le souhaitent. Nous pouvons aider les membres du secrétariat à cet égard également.

Ce serait ma réponse à votre question.

M. Doucet : Personnellement, je n'ai aucune préoccupation au sujet de la mémoire organisationnelle en ce qui concerne le comité de parlementaires.

Je vais donner l'exemple du CSARS aujourd'hui. Je travaille pour ce comité depuis quatre ans. Aucun des cinq membres actuels du comité n'était au CSARS quand je suis arrivé. La continuité ou la mémoire de l'organisation est maintenue par le personnel. Les employés sont vraiment bons et sont des experts, si on veut, non seulement pour ce qui est d'exercer leurs fonctions quotidiennes, mais aussi pour présenter nos recommandations dans leur contexte au comité et préserver cette mémoire ou cette histoire de l'organisation.

Je comprends et j'approuve tout à fait l'idée de créer un comité de parlementaires. Certains membres pourraient changer au fil du temps. Le secrétariat a un rôle crucial à jouer dans la façon dont sont gérés les renseignements présentés et dont les tâches sont attribuées au comité.

M. Plouffe : Je souscris entièrement aux propos tenus par M. Doucet. Le secrétariat a un rôle important à jouer, lui aussi, en ce qui a trait à ce qu'on appelle la mémoire de l'organisation. C'est là qu'il importe de nommer les bonnes personnes au secrétariat, plus particulièrement au poste de directeur général, car le titulaire jouera un rôle important à cet égard.

La vice-présidente : De nombreux sénateurs lèvent la main pour poser des questions, mais notre temps est écoulé. Je pense que nous aurions pu continuer pendant encore une heure et que nous aurions encore eu des questions. J'adresse mes sincères excuses aux nombreux sénateurs qui ont des questions à poser.

Je vous remercie tous d'être présents aujourd'hui et de toujours vous rendre disponibles pour les comités du Sénat.

C'est une très longue journée, et je ne vous remercierai jamais assez, mesdames et messieurs les sénateurs, de rester pour mener à bien cette séance. Je remercie notre cinquième groupe de témoins de s'être présenté. MM. Leuprecht et Scott ont déjà comparu devant des comités, et Mme McNorton est nouvelle. Bienvenue, et j'espère que nous aurons d'autres occasions dans l'avenir de travailler ensemble.

Le professeur et ancien député Craig Scott, de l'École de droit Osgoode Hall, se joint à nous officiellement, maintenant. Il communiquera avec nous par vidéoconférence. Nous accueillons également le professeur Christian Leuprecht, du Collège militaire royal du Canada, et Hayley McNorton, adjointe de recherche de l'Université Queen's.

Je pense que M. Leuprecht prendra la parole en premier.

Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d'économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Je suis venu en compagnie de Mme McNorton parce qu'elle a passé les deux dernières années à étudier intensivement le reste de la communauté du Groupe des cinq. Une partie de la conversation que nous avons entendue au cours des derniers jours et certains des mémoires ne sont peut-être pas assez nuancés relativement à ce que font certains de nos partenaires et à ce que nous pouvons ou non apprendre d'eux. Je me suis dit que peut-être, durant la conversation, certaines de ces nuances pourraient contribuer à offrir plus de détails que ceux que je suis en mesure de fournir. Voilà ce que pourra offrir Mme McNorton.

Nous devons nous rappeler pourquoi nous sommes là afin de discuter du projet de loi en question, car c'est quelque chose qui semble se perdre dans la conversation. Bien entendu, il y a déjà pas mal de responsabilisation, notamment par l'intermédiaire des fonctionnaires, des juges, de la Cour fédérale et du ministre. Toutefois, il y a un certain scepticisme de la part des Canadiens à l'égard — je suppose — de l'impartialité de ces personnes.

Comme cela a souvent été signalé, parmi toutes ces personnes, celles qui manquent sont les parlementaires. Bien entendu, ils font partie intégrante du processus ailleurs. Alors, la question est la suivante : comment les parlementaires devraient-ils être intégrés dans cette vaste conversation?

À ce sujet, il faut répondre à deux questions clés. Qu'est censé être le mandat du comité, en soi? Quel soutien le comité devrait-il recevoir, du point de vue des ressources et du mandat du secrétariat? À cet égard, nous croyons que nous devrions commencer de façon modeste, en ce qui a trait à l'infrastructure et à un secrétariat composé de bons experts. Nous n'avons pas besoin d'un super-CSARS ni d'un secrétariat auquel des ressources massives ont été affectées. Un certain nombre de dangers et de problèmes sont associés à cette possibilité, notamment, peut-être, le fait de ne pas être en mesure de recruter tous les gens possédant ce type d'expertise dont on pourrait vouloir.

Il faut répondre à six questions. Nous les avons déjà abordées dans le cadre de la conversation antérieure.

Quelle méthode le comité devrait-il employer pour tenir les auteurs d'EER responsables? Quelles EER devraient relever de la compétence du comité? Qui affectera du personnel à cet organisme chargé de la responsabilisation? S'il y a plus d'un organisme, comme c'est le cas au Canada, comment le comité et les organismes d'examen devraient-ils coordonner leurs activités afin de prévenir les chevauchements? Quelle relation l'organisme chargé de la responsabilisation ou le comité entretient-il avec les dirigeants politiques? C'est l'une des questions plus litigieuses. À quels renseignements et le comité et le secrétariat auront-ils accès?

Bien entendu, ils n'auront pas nécessairement besoin d'avoir accès aux mêmes renseignements. Le secrétariat pourrait se voir accorder l'accès à certains systèmes et à certaines bases de données, auxquels les parlementaires mêmes n'auront peut-être pas accès. Nous pouvons discuter de façon détaillée afin de déterminer pourquoi c'est ainsi, mais la nature délicate de certains des renseignements fait en sorte qu'il sera difficile de communiquer toutes les bases de données et tous les systèmes, de façon générale, au secrétariat et qu'il sera encore plus difficile de les communiquer aux parlementaires.

Le reste de ma déclaration portera précisément sur certains des problèmes qui ont été soulevés et abordés ici.

Pour ce qui est de déterminer le nombre total de ministères et d'organismes que le CPSNR examinera, je pense que deux questions fondamentales se posent. D'abord, il faut décider si le ministère de la Défense nationale devrait faire partie ou non du champ d'examen du CPSNR. Je suis d'avis que le MDN devra nécessairement en faire partie.

Une autre façon d'établir une distinction, c'est entre les activités ouvertes et secrètes. Concernant la question de savoir quel ministère devrait être inclus, les principales préoccupations qui tendent à être soulevées par les citoyens sont à l'égard des activités secrètes, ce qui signifie les trois organismes suivants : le SCRS, le CST et la GRC. Ces trois organismes sont déjà dotés de leurs organismes d'examen, alors cela signifie que le secrétariat a l'avantage de pouvoir, dès le début, travailler activement par l'intermédiaire de ces organismes d'examen et tirer parti de leur expertise. Dans le cas des autres ministères, l'interlocuteur évident pour le comité sera l'agent de liaison parlementaire de ces ministères.

Comment devrions-nous assurer la continuité à l'intérieur du comité? C'est là que les sénateurs — bien entendu, comme cela a été souligné — jouent un rôle clé pour ce qui est de s'assurer que, compte tenu du roulement relativement rapide chez les députés, l'expertise continue d'être transmise. Le secrétariat joue aussi, fondamentalement, un rôle en ce qui concerne la question de la façon dont ces divers membres devraient être nommés.

Dans la version actuelle du projet de loi, je suis préoccupé par la concentration relativement forte de pouvoirs entre les mains de l'exécutif, qui contrôle le comité; l'exécutif nomme le président, les membres du comité ne font actuellement pas l'objet d'un vote par la Chambre ou le Sénat, et l'exécutif contrôle également la procédure. Il ne s'agit pas des pratiques exemplaires que nous observons chez les pays membres du Groupe des cinq. Nous croyons que le président devrait être élu par scrutin secret, comme c'est le cas ailleurs. Pour ce qui est des membres sélectionnés du comité, nous croyons que la liste des membres du comité devrait être soumise à la Chambre, dans le cas des députés, et au Sénat, dans le cas des sénateurs, afin d'être mise aux voix. Nous croyons que l'exécutif devrait n'avoir qu'un droit de regard limité sur la procédure, comme c'est le cas, par exemple, au Royaume-Uni. Le comité devra faire l'objet d'un certain contrôle de la procédure afin qu'on puisse le considérer comme indépendant et que soit réalisé le mandat que j'ai exposé au début, au sujet de la légitimité stratégique de la communauté.

Il y a la question des vice-présidents. À mes yeux, leur nécessité n'est pas évidente. Ils ne semblent pas être nécessaires ailleurs. On pourrait vouloir que le président brise l'égalité dans les cas où il y a cinq votes par côté et qu'il y ait une participation parlementaire accrue pour ce qui est de présenter des candidats et de nommer les présidents, comme je viens tout juste de l'expliquer.

Ensuite, il y a la question de déterminer s'il devrait y avoir un comité parlementaire ou un comité de parlementaires. Bien entendu, le projet de loi est très clair à ce sujet. L'intention du gouvernement relativement à l'établissement d'un comité de parlementaires, c'est qu'il relève de l'exécutif. C'est précisément pour cette raison que nous croyons que la capacité d'assigner des témoins à comparaître sera un élément dissuasif important pour le comité, afin qu'il ait cette capacité en arrière-plan, au cas où il aurait besoin d'y recourir, dans le but de s'assurer que tout le monde se conforme et répond aux demandes du comité.

Nous sommes moins certains au sujet de certaines des propositions qui ont été formulées au sujet de l'article 16, en ce qui concerne la capacité du ministre de retenir des renseignements. Nous pensons qu'il s'agit d'un élément important du pouvoir de l'exécutif de ne pas publier de documents qui pourraient nuire à la sécurité nationale.

Certains éléments n'ont pas été mentionnés. Même si un examen quinquennal est prévu dans le projet de loi, ce qui est beaucoup plus important, c'est un examen quinquennal de l'ensemble des lois qui régissent le milieu du renseignement et de la sécurité et la responsabilisation à l'égard du renseignement. Un certain nombre de problèmes bien connus se posent relativement à plusieurs des lois qui régissent la sécurité nationale et le renseignement. Ces problèmes n'ont pas été réglés par le Cabinet, alors il s'agit d'une occasion de s'assurer qu'ils sont systématiquement soulevés en ce qui a trait aux lacunes de notre loi. Le comité précédent a fait indirectement allusion à certaines de ces lacunes.

Il importe également de créer des normes en matière de renseignement, d'examen et de surveillance. Actuellement, nous ne disposons pas de telles normes pour le milieu dans son ensemble. Si nous voulons que le CPSNR et les organismes d'examen mesurent des éléments particuliers, alors je pense que nous devons déterminer quelles sont ces normes, et, à ce moment-là, le comité de parlementaires pourra jouer un rôle important dans leur établissement de ces normes.

Je pourrais aborder un certain nombre d'autres problèmes liés à la surveillance et aux examens, mais peut-être que je vais mettre fin à ma déclaration là-dessus, et nous pourrons discuter de ces éléments durant la conversation.

La vice-présidente : Monsieur Scott, je crois savoir que vous avez une déclaration à faire.

Craig Scott, professeur de droit, École de droit Osgoode Hall, à titre personnel : Madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis ici, à Barrie, alors j'espère qu'il n'arrivera rien à notre connexion.

Je considère mon rôle comme une valeur ajoutée à la suite des témoignages qui ont été présentés toute la journée, que j'ai regardés. Généralement, je ne m'oppose à aucune des propositions faites par MM. Roach et Forcese, car je suis d'avis qu'elles contribuent à rendre un projet de loi imparfait moins imparfait. Toutefois, j'ai sept ou huit recommandations supplémentaires, que je formulerai sous peu. La plupart d'entre elles sont très différentes de ce que vous avez entendu ou sont présentées différemment.

Avant que j'en arrive à ces recommandations, permettez-moi de dire que je comparais à titre personnel, mais que mon témoignage comprend des connaissances que j'ai acquises dans le cadre de mon expérience précédente en tant que député. Je mettrais l'accent sur trois expériences particulières.

Premièrement, j'ai été le porte-parole de l'opposition officielle pour la réforme démocratique et parlementaire. Je préciserai plus tard pourquoi c'est pertinent.

Deuxièmement, j'ai aussi participé très activement au débat sur le projet de loi C-51 et, avant cela, sur le projet de loi C-44, qui clarifiait le fait que le SCRS possède des pouvoirs à l'étranger.

Troisièmement, j'ai passé une bonne partie de mes trois années et demie en tant que député à chercher la transparence dans le contexte du transfert des détenus afghans, y compris au moyen de demandes d'accès à l'information et de ce qu'on appelle des questions à inscrire au feuilleton, qui sont des questions écrites que les députés peuvent poser. Tous ces éléments m'ont donné une certaine perspective qui, je l'espère, contribuera à éclairer et à illustrer ce que je suis sur le point de dire.

Toute cette expérience me donne à penser que la rédaction d'un bon projet de loi C-22, ou du moins d'un projet de loi aussi bon que possible, concerne fondamentalement autant la santé de notre démocratie que sa sécurité. Pourquoi est-ce le cas? Laissez-moi formuler quatre arguments connexes.

Premièrement, en ma qualité de porte-parole de la réforme démocratique, il est devenu de plus en plus évident pour moi que, vu l'interrelation du gouvernement démocratique et des impératifs en matière de sécurité, nous sommes désavantagés du point de vue de la responsabilisation à l'égard de ce qu'on pourrait appeler l'état de sécurité permanent. C'est à la fois dû à la surveillance limitée — une surveillance non pas absente, mais limitée par l'exécutif politique, surtout dans le domaine du renseignement militaire ou relatif à la défense — et à la marginalisation presque totale du Parlement par rapport à un rôle de responsabilité, soit le problème que le projet de loi C-22 est censé contribuer à régler.

Deuxièmement, le projet de loi C-22 porte également sur la forme particulière de domination du Parlement par l'exécutif dans notre système, lorsque le gouvernement est majoritaire. Elle découle du système de Westminster en soi, et de la fusion partielle des pouvoirs exécutif et législatif. Elle découle de notre système électoral, qui accorde de fausses majorités à des partis qui n'obtiennent pas vraiment la majorité des voix. Je pense que le facteur le plus important dans la façon dont fonctionne la domination dans notre système de Westminster, c'est notre propre culture politique.

Nous avons vu cette culture à l'œuvre dans le cas du projet de loi C-22 à la Chambre, quand plusieurs partis au sein du comité de la Chambre — SECU — ont appuyé un certain nombre d'amendements visant à le renforcer. J'insiste sur le fait que ces amendements ne venaient pas simplement du NPD et des conservateurs; il y a également eu à au moins une ou deux occasions des députés libéraux qui ont voté en faveur de ces amendements. Ils ont été annulés intégralement, de façon générale, par le gouvernement qui a fouetté ses troupes à l'étape du rapport. Nous devons tenir compte de ce contexte, qui détermine en partie pourquoi le projet de loi C-22 vous est soumis dans le cadre de l'exercice d'une forme presque classique du pouvoir exécutif inspiré de Westminster.

Voilà qui m'amène à mon troisième argument, c'est-à-dire le rôle du Sénat. Ce que j'ai mentionné précédemment donne au rôle du Sénat potentiellement une importance particulière relativement à ce genre de projet de loi adopté à la Chambre dans ce contexte. Comme il y a de moins en moins de partisanerie au Sénat, vous, les sénateurs, avez manifestement le potentiel d'être une voix dissidente moralement autoritaire. Dans le contexte du projet de loi C-22, je pense que des amendements solides sont de mise, mais, en tant que néo-démocrate, j'estime que, si ces amendements étaient ensuite rejetés à la Chambre, en tout ou en partie, le Sénat n'aurait pas à les bloquer à cette étape ultérieure.

Quatrièmement, je pense que le projet de loi C-22 fait partie des exemples de projets de loi qui, depuis un an et demi, sont très étroitement liés à la confiance à l'égard de la politique en général. Lors des dernières élections, le gouvernement a expliqué le fait qu'il avait voté en faveur du projet de loi C-51 et de l'expansion des pouvoirs de l'État en matière de sécurité au fait qu'il allait compenser ces pouvoirs par une responsabilisation adéquate. Manifestement, le projet de loi C-22 est sa réponse, sans que nous sachions ce qui va arriver d'autre au reste du projet de loi C-51, mais le projet de loi C-22 n'est pas à la hauteur pour toutes les raisons... Vos propres questions révèlent que vous êtes nombreux à estimer qu'il n'est pas à la hauteur. Je crois que le Sénat a un rôle à jouer pour ce qui est de rappeler au gouvernement qu'il a fait cette promesse, en partie pour préserver la valeur des promesses électorales.

Le dernier commentaire que je formulerai avant mes recommandations en est un que, je l'espère, vous ne prendrez pas de mauvaise part. Les sénateurs ne devraient pas se bercer d'illusions, de mon point de vue, quant à la tentation et à la tendance des acteurs gouvernementaux — c'est-à-dire les responsables de la sécurité, lorsqu'ils font équipe avec les avocats du gouvernement — de profiter des occasions qui s'offrent de bloquer et de retarder les efforts déployés à l'étape de l'examen en ce qui a trait au caractère approprié ou à l'efficacité.

Vous n'avez qu'à songer à quelques exemples. Dans le cas de la commission sur la Somalie, qu'est-il arrivé là-bas, et pourquoi a-t-elle fini par être abolie? La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a consacré 20 pages de son rapport final à un compte rendu détaillé de ce qu'elle a appelé « l'obstruction par le ministère de la Justice » de ses efforts visant à obtenir la vérité dans le cadre de son mandat d'examiner la question du transfert des détenus afghans. Quand j'étais député, j'ai reçu des réponses adroites à certaines de mes propres questions à inscrire au feuilleton, au point qu'à ce moment-là, j'ai soupçonné — et je le crois maintenant, à la lumière d'autres recherches — qu'un grand nombre de ces réponses étaient délibérément trompeuses, plutôt que pleinement véridiques. Il s'agissait pas mal du seul mécanisme dont disposaient les députés pour tenter d'aborder des enjeux comme, dans mon cas, celui des détenus afghans.

Veuillez ne pas oublier le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan de la Chambre des communes, qui disposait des pleins pouvoirs, chose que ce nouveau comité n'aura pas. Il a utilisé ces pouvoirs afin d'ordonner au gouvernement de fournir les documents qui ont mené à une conclusion d'outrage au Parlement. Tout cela découlait d'une activité menée à l'échelon de l'exécutif dans le but d'entraver le comité à chaque occasion.

Là où je veux en venir, c'est que le projet de loi C-22 offre de nombreuses possibilités à quiconque voudrait bloquer et retarder les choses, à première vue, sans que des responsables et des avocats n'aient jamais à adopter une approche agressive, comme c'était le cas dans la plupart des exemples que je viens tout juste de vous donner. Le gouvernement peut agir de façon légaliste et prétendre se conformer de bonne foi au projet de loi C-22. Je demande au comité de tenir compte de cette réalité au moment de déterminer l'importance qu'auraient certains des amendements clés.

Laissez-moi en arriver à ces amendements et suggestions. Il y en a deux ou trois qui se chevauchent. Je crois premièrement qu'il faut, d'une certaine manière, retirer le blocage des contrôles judiciaires en ce qui concerne les décisions de retenir de l'information, le fait d'arrêter le contrôle si une enquête commence après le début du contrôle et l'ordonnance de caviarder les rapports du comité.

Deuxièmement, le paragraphe 22(1) porte sur les autres organismes d'examen, comme le CSARS ou le commissaire du CST, et sur le fait qu'ils « peuvent » communiquer des renseignements au nouveau comité. Honnêtement, je ne vois pas pourquoi le libellé ne devrait pas indiquer qu'ils « doivent » le faire, puisqu'il y a des exceptions qui s'appliquent, lesquelles engloberaient alors toute éventualité où les organismes pourraient ne pas vouloir communiquer les renseignements. Le verbe « peut » leur donne le plein pouvoir discrétionnaire, ce qui est complètement inapproprié, dans un monde où nous savons que le cloisonnement n'est pas la meilleure idée lorsqu'il s'agit de responsabilité.

Troisièmement, comme de nombreuses autres personnes l'ont affirmé, je pense que le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître et d'exiger la production de documents est nécessaire, ne serait-ce que pour permettre au comité d'être pris au sérieux. Un témoin antérieur a abordé l'effet « épée de Damoclès ». À ce sujet, j'ajouterais la position de Derek Lee à l'égard de la protection des témoins. Si on doit être en mesure d'assigner des témoins à comparaître ou si des témoins se présentent de leur propre chef, un certain genre de privilège doit être prévu dans la loi, qui est identique ou comparable à ce dont bénéficieraient les témoins s'ils comparaissaient devant un comité de la Chambre des communes ou du Sénat.

Quatrièmement, je souscris à l'idée de MM. Roach et Forcese concernant l'alinéa 14d) selon laquelle les enquêtes en cours constituent un obstacle à ce que peut étudier le comité. Il faut au moins créer un pouvoir discrétionnaire, et ce pouvoir devrait être conféré au chef du service de police, pas au gouvernement dans son ensemble. Je suis également d'accord avec cela.

Je rappellerais aux sénateurs qu'il n'est pas seulement question de la GRC. Je crois que le renseignement militaire et les affaires militaires ont en quelque sorte passé sous le radar en ce qui a trait au projet de loi C-22. Il y a aussi le bureau du grand prévôt au ministère de la Défense nationale.

Je souhaite préciser que je n'ai pas une grande expertise au sujet de ma cinquième recommandation. Je demanderais aux sénateurs de s'assurer qu'une indépendance financière semblable à celle d'un mandataire du Parlement est offerte à ce nouveau comité.

Le directeur général des élections et le vérificateur général profitent dans leur loi d'articles sur la gestion des finances qui leur accordent essentiellement un accès indiscutable à des fonds, selon le besoin, dans certains contextes, par exemple au moment des élections, dans le cas du directeur général des élections.

Sommes-nous certains que le projet de loi C-22 sera adéquat pour permettre au secrétariat de ce comité de fonctionner sans manquer de ressources en raison de décisions prises par le gouvernement? Peut-être que cette question a été abordée lors de témoignages précédents que j'ai manqués, mais je crains que cette réalité liée à l'argent puisse se révéler être aussi importante que presque tout le reste.

Sixièmement, j'ai été personnellement presque choqué de constater cela, et je n'ai pas entendu beaucoup parler de ce sujet. Je pense qu'il faut retirer la capacité du Cabinet d'utiliser ses pouvoirs réglementaires pour contrôler les règles de procédure du comité. Il n'y aurait pas de problème si le Cabinet proposait des règles pendant que le comité mène ses activités ou qu'il était en mesure d'en établir pendant une période provisoire, mais tout ce qui est prévu dans la disposition sur la réglementation relative à la procédure devrait être annulé. Le comité devrait être le maître de sa propre procédure.

Septièmement, le paragraphe 21(2) porte sur les rapports spéciaux et sur le mécanisme qui permettra au comité de signaler son insatisfaction. Voilà comment les gens devraient interpréter ce paragraphe.

J'irais jusqu'à ajouter des marqueurs textuels afin que toute personne qui le lira plus tard et tout membre du public qui tentera de comprendre les pouvoirs du comité sache à quoi ces rapports pourraient servir. J'établirais des marqueurs qui reflètent les dangers du système du point de vue de ce qui pourrait arriver.

Je dirais que cette disposition, sans limiter le caractère général de tout le reste, devrait prévoir que le comité, au moyen de rapports spéciaux, peut rendre compte de retards déraisonnables ou délibérés, d'un manque de ressources et/ ou de quoi que ce soit d'autre qu'il estime nuire à la collaboration, même si cela ne constitue pas de l'obstruction.

Enfin, concernant les avis juridiques, le projet de loi C-22 contient une disposition intéressante qui prévoit précisément que les documents protégés par le secret professionnel de l'avocat ou par un privilège relatif au litige sont accessibles au comité, puis, bien entendu, que toutes les autres exceptions s'appliquent.

Les avis juridiques sont absolument essentiels pour que le comité comprenne l'environnement normatif dans lequel les services de sécurité fonctionnent. Quel conseil lui donne-t-on? Le conseil, en soi, est-il légitime, ou bien s'agit-il d'un conseil à la limite de l'acceptable?

Je proposerais que, chaque fois que des avis juridiques sont refusés au comité, une justification distincte précise doive être donnée par le gouvernement pour expliquer l'application des motifs d'exclusion. À mon avis, dans bien des cas, le gouvernement ne pourra pas faire entrer une cheville carrée dans un trou rond, et le comité devrait avoir accès à un plus grand nombre d'avis juridiques que ce que souhaiterait probablement le gouvernement.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je terminerai en disant simplement que je formulerai deux recommandations rapides concernant votre propre processus. Si vous adoptez plusieurs amendements, je vous exhorte de les publier clairement d'une façon qui plaît aux médias, quels que soient les pouvoirs de votre comité pour ce qui est de présenter les choses de cette manière.

La voix dissidente du Sénat concernant une question comme celle-ci doit pouvoir être traduite pour le grand public, afin que le Sénat puisse jouer avec autorité ce rôle de voix dissidente faisant autorité, dont je parlais. Si l'on se contente de transmettre des amendements formulés de façon légaliste et de laisser les médias les interpréter par eux-mêmes, cela pourrait ne pas exercer le bon genre de pression normative sur la Chambre.

Pour revenir à ce qu'a proposé la sénatrice Boniface plus tôt, je suggérerais au comité de continuer à penser que le projet de loi n'est peut-être pas parfait. Il vaut la peine d'aller de l'avant avec le projet de loi maintenant, idéalement après y avoir apporté des amendements sérieux, mais pourquoi ne pas entreprendre un processus afin d'étudier quel genre de règlement pourrait être mis en place, pour combler certaines des lacunes que le Sénat ou la Chambre n'accepte pas de corriger en apportant des amendements au projet de loi en tant que tel? La sénatrice Boniface a donné l'exemple des pouvoirs d'assignation à témoigner.

Le Sénat apporterait une contribution précieuse s'il produisait un rapport selon lequel tel ou tel règlement — mais rien n'exige qu'ils soient enchâssés dans le projet de loi C-22 — aurait de la valeur et s'il les recommandait au gouvernement. Merci.

La vice-présidente : J'ai deux questions à poser : une à M. Scott, et une à M. Leuprecht.

Je me souviens bien de vous, monsieur Scott, en tant que député. Vous vous êtes fait entendre haut et fort au sujet du projet de loi C-51 et avez surtout soulevé des problèmes liés à la Charte. Je voudrais vous parler du paragraphe 8(1) du projet de loi C-22. Il devrait prévoir explicitement que « le comité a pour mandat d'examiner le cadre de la sécurité nationale et du renseignement et sa compatibilité avec la Charte canadienne des droits et libertés ».

Que sous-entend le projet de loi? Actuellement, il ne comporte aucune mention explicite de la Charte. Pensez-vous qu'il devrait contenir une mention, ou bien que, du simple fait que la Charte, c'est la loi, elle est englobée? Qu'en pensez-vous?

M. Scott : Personnellement, je pense qu'un tel amendement aurait de la valeur. Je ne suis pas tout à fait certain de ce qu'a pensé le gouvernement pour ne pas l'avoir intégrée par lui-même. Nous savons tous que, dans le cadre de ses examens portant sur le caractère approprié, le comité se penchera sur des questions relatives à la Charte. Après tout, l'alinéa 8(1)a) tient compte des cadres législatif et réglementaire; le comité doit donc vérifier si, selon son expérience, certaines des mesures prises par les divers organismes touchent des enjeux liés à la Charte.

Je répéterais les propos tenus par Me Roach. Cela aiderait à signaler le fait que, si le mandat d'examen comprenait l'étude des comportements déraisonnables ou inappropriés de la part d'organismes de sécurité, ce mandat pourra être étayé, comme il l'est dans notre jurisprudence, par la Charte, sans nécessairement que la Charte s'applique directement ou que son application soit enfin déclenchée parce qu'on pourrait adopter une approche axée sur des valeurs bien moins plus souple que ce qui est prévu, au moyen de ce qu'il a proposé.

Toutefois, si vous mentionnez la Charte de la manière dont vous venez tout juste de le faire, je pense que le rôle du comité serait plus acceptable aux yeux du gouvernement, si c'était enchâssé dans le projet de loi. Cependant, je considère cela comme quelque chose qui pourrait être fait de toute manière.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins pour leurs présentations.

Ma question s'adresse à M. Leuprecht. Monsieur Leuprecht, je voudrais vous remercier pour la clarté des amendements et des changements que vous avez présentés et qui pourraient être apportés au comité de surveillance, ceci afin de le rendre plus fonctionnel et plus efficace.

En ce qui a trait au futur comité, nous pourrions peut-être même parler d'une coprésidence partagée entre la Chambre des communes et le Sénat. Le comité pourrait même être formé à égalité par les sénateurs et les députés. J'aimerais vous entendre davantage à ce sujet.

M. Leuprecht : En ce qui a trait à la coprésidence, je ne suis pas convaincu. La coprésidence est une bonne idée, mais je ne suis pas convaincu que ce soit essentiel pour le fonctionnement du comité comme tel. Toutefois, une bonne et forte représentation du Sénat et des sénateurs est indispensable au fonctionnement du comité.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais aussi vous entendre sur les avantages que donnerait au comité le pouvoir d'assigner des témoins. Qu'en pensez-vous?

M. Leuprecht : Pour faire suite à la réponse précédente, il n'existe pas de coprésidence dans les pays partenaires tels l'Australie et le Royaume-Uni, donc je ne crois pas que cela risque de remettre en question le fonctionnement du comité. Comme je l'ai mentionné dans mes remarques d'introduction, il me semble que le pouvoir d'assigner est indispensable pour que le comité soit pris au sérieux. Il s'agit tout de même de la façon de s'assurer de la présence des témoins et donc de décourager les refus de se présenter, et ainsi de suite.

S'il s'agissait d'un comité parlementaire, ce ne serait pas forcément nécessaire. Mais, comme il s'agit d'un comité de parlementaires, soit une créature de l'exécutif, le pouvoir d'assigner me semble indispensable.

Le sénateur Dagenais : Pourrait-on dire que ce sera un comité gouvernemental?

M. Leuprecht : Tel qu'indiqué dans mes remarques introductives, il y a déjà une influence et une puissance marquée de l'exécutif dans la version actuelle du projet de loi. Donc, le pouvoir d'assigner est au moins une façon de rééquilibrer le pouvoir de l'exécutif.

Le sénateur Dagenais : En fait, on devrait dire que c'est un comité gouvernemental plutôt qu'un comité de parlementaires.

M. Leuprecht : De la façon dont le comité est actuellement conçu, nous ne voyons nulle part ailleurs dans les comités parlementaires une structure semblable où c'est l'exécutif qui nomme le président du comité à l'avance. De plus, il n'y a pas de vote pour l'approbation des membres qui sont nommés au comité par la Chambre des communes et le Sénat. À mon avis, tel que mon collègue et moi l'avions remarqué, le pouvoir sur les procédures qui reposent entre les mains de l'exécutif est aussi une aberration par rapport au fonctionnement de nos pays partenaires. Enfin, il me semble que le pouvoir d'assigner serait indispensable.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Leuprecht.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Merci à tous de vous être joints à nous aujourd'hui. Je veux étudier de façon un peu plus poussée la notion de la valeur d'un règlement comme solution distincte du fait d'apporter des amendements au projet de loi en tant que tel.

Je veux poser une question à vous tous, c'est-à-dire : considérez-vous qu'il soit nécessaire d'ajouter à l'ébauche du projet de loi des moyens par lesquels les mesures de protection prévues pour les parlementaires siégeant au comité ne tiennent pas au secrétariat?

Je songe particulièrement au roulement. Je songe également à la combinaison 8-3, à ce stade, et, en tant que nouvelle sénatrice indépendante, je pense que j'ai fait l'expérience de la mesure dans laquelle les responsables peuvent avoir de l'influence et de la fréquence à laquelle nous tendons à rester tranquilles face à un « avis officiel ».

J'espère que la question n'est pas trop vague. Il s'agit en résumé de déterminer si nous avons besoin d'être préoccupés à ce sujet. Si nous le sommes, envisagerons-nous d'apporter un amendement au projet de loi et/ou d'adopter un règlement ou bien seulement d'édicter un règlement?

M. Leuprecht : J'ai un point de vue clair sur cette question. Il ne fait aucun doute que le comité aurait besoin d'un secrétariat modeste doté d'experts, idéalement de gens qui se sont retirés du milieu et qui ne sont plus dans la course du point de vue de leur carrière ou de je ne sais quoi, afin qu'ils puissent donner le genre de conseils, de consignes et effectuer les recherches appropriées dont aura besoin le comité.

En même temps, on suppose que, plus il y a de ressources, mieux c'est. Je travaille pour la seule université qui appartient également au gouvernement fédéral, alors je sais tout au sujet de la bureaucratie. Le problème tient au fait que, si on accorde trop de ressources au comité dès le départ et que l'on crée cette infrastructure massive, il y a un risque sérieux que ce soit le secrétariat qui oriente le comité et ses priorités, et non le comité qui influe sur les mécanismes et les activités du secrétariat.

Le gouvernement pense, compte tenu de l'intention qui sous-tend le projet de loi, qu'un certain soutien sera requis, mais ce soutien devrait être modeste. Cependant, j'ai une mise en garde à ce sujet. Si le comité estimait qu'un secteur ou organisme particulier est particulièrement problématique du point de vue des délais dans lesquels il présente les documents, des documents qu'il présente ou du type de témoignages qu'il présente, c'est à ce moment-là que le comité va devoir disposer de la capacité d'augmenter ses effectifs, surtout en ce qui a trait aux ressources dans ce secteur particulier.

Bien entendu, je rappellerais aux sénateurs que le milieu de la sécurité et du renseignement n'est pas homogène. Les organismes ont des mandats très différents et des cadres législatifs très distincts. Cela voudra dire qu'il y a des cultures différentes sur les plans de la communication de l'information et diverses échéances. Ils ont établi des relations différentes avec leurs organismes d'examen respectifs.

Voilà pourquoi je pense que le comité sera bien servi, dès le départ, s'il travaille en très étroite collaboration avec les organismes d'examen déjà en place, qui ont perfectionné cette relation. Au bout du compte, le comité devra fonctionner selon la bonne volonté du comité, du secrétariat et des organismes. Je pense que ces ressources supplémentaires ne devraient être affectées qu'en cas de besoin précis, dans des secteurs particuliers que le comité désignera comme étant particulièrement problématiques et exigeant des ressources supplémentaires.

La sénatrice McPhedran : S'agit-il d'un amendement au projet de loi, ou bien s'agit-il, comme l'a proposé la sénatrice Boniface, d'une disposition d'un règlement futur?

M. Leuprecht : Ce sera dans le règlement, car, en fin de compte, c'est le gouvernement qui devra décider la façon dont il affecte des ressources à ce comité particulier.

Je serais réticent à insérer cela dans le projet de loi, car, à ce moment-là, alors, nous risquons de créer des mandats supplémentaires, des super-CSARS ou je ne sais quoi. Nous devons voir comment le comité fonctionne avant de décider à quels éléments nous voulons affecter des ressources et des sommes supplémentaires et dont nous voulons renforcer les capacités. Ce n'est pas qu'une question d'argent, bien entendu. Il s'agit également de ce à quoi le comité et le secrétariat devraient pouvoir accéder, les bases de données, les systèmes et je ne sais quoi. Il conviendrait mieux de prévoir tout cela par règlement parce que, dans ce cas, cela nous donne également la marge de manœuvre nécessaire — par décret ou par règlement — pour appuyer le comité à mesure qu'il trouvera sa voie.

Hayley McNorton, adjointe de recherche, Université Queen's : De plus, comme le projet de loi fera l'objet d'un examen quinquennal, si le comité estimait qu'il avait besoin de modifier la loi au chapitre de l'appui dont il bénéficie, il pourrait le faire à ce moment-là.

La sénatrice McPhedran : M. Scott avait-il une réponse à donner à ma question?

M. Scott : Je peux être très bref. Oui, madame la sénatrice McPhedran, je pense que la première réponse n'est pas tellement satisfaisante, mais MM. Roach et Forcese en ont également fait leur premier argument.

Selon la qualité et la détermination des membres, des parlementaires, on saura que, en tant que groupe, ils contrôlent le processus. Par conséquent, toute la question de qui sera nommé prend de l'importance.

Honnêtement, j'insisterais sur le fait que, pour bien faire cela, il s'agira d'un emploi à temps plein qui s'ajoutera au reste des tâches des députés et des sénateurs. Vous avez raison de penser que, compte tenu de tout ce qui incombe à un sénateur ou à un député, la probabilité est mince qu'à un moment ou à un autre, tous les membres soient à jour dans leurs tâches au lieu d'avoir à compter entièrement sur le secrétariat.

Il est extrêmement important que, forts de leur identité collective générale en tant que parlementaires, les membres affirment clairement qu'ils sont aux commandes.

J'ai un point de vue légèrement différent de celui de M. Leuprecht sur le dernier élément. Oui, il y a une disposition qui porte précisément sur l'augmentation des effectifs, la passation de marchés et ce genre de conseil, mais je ne suis pas à l'aise avec l'idée que ce comité a été établi pratiquement en tant qu'extension de l'exécutif, même si on l'appelle un comité de parlementaires. Le projet de loi ne prévoit absolument aucune protection du budget et rien qui ressemble à ce sur quoi peuvent compter les mandataires du Parlement pour faire leur travail.

Je demanderais le soutien du personnel du comité sénatorial afin qu'il vérifie si tout pouvoir analogue à celui du directeur général des élections ou du vérificateur général devrait être enchâssé dans le projet de loi relativement à au moins certaines fonctions de base, car il n'est pas inimaginable qu'un gouvernement — par un moyen ou par un autre — finisse par affamer ce comité.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Leuprecht, au moment où j'ai appris que vous deviez comparaître devant le comité, j'ai effectué une recherche rapide, et je suis tombé sur un document que vous aviez corédigé en 2016, qui s'intitule « Defending Freedoms by Effectively Countering Terrorism ».

Dans le document, vous avez soulevé un certain nombre d'enjeux, y compris celui de la sécurité nationale au Canada. Vous avez posé un certain nombre de questions relativement à la création d'un comité d'examen parlementaire. Plus particulièrement, vous avez proposé que le gouvernement réfléchisse à la logique de l'examen et qu'il évite d'apporter des modifications superficielles qui pourraient plaire au public, d'une part, mais faire peu pour ce qui est d'améliorer la sécurité nationale, d'autre part.

Cela étant dit, pourrais-je connaître vos réflexions sur la façon dont vous croyez que le projet de loi C-22 pourra atteindre cet objectif? Y a-t-il des moyens d'améliorer le projet de loi afin qu'il atteigne mieux cet objectif?

M. Leuprecht : C'est une question formidable. Nous avons parlé d'examen, de surveillance, de conformité et d'efficacité. Un élément que nous n'avons pas abordé, c'est l'innovation en tant que volet important de l'examen. Les organismes vous diront que l'un des aspects qui ont la plus grande valeur, à part le fait de s'assurer qu'ils sont sur la bonne voie en ce qui a trait au mandat, à la loi, à la Charte, à la Constitution et à je ne sais quoi, c'est que l'examen les force continuellement à innover, tout comme un examen par les pairs nous oblige à le faire, quand nous, en tant qu'universitaires, par exemple, présentons des articles.

La capacité du comité de poser des questions difficiles pour savoir si le milieu est à l'avant-garde ou s'il réalise le mandat du gouvernement est un élément clé. À cet égard, comme je l'ai mentionné dans la déclaration préliminaire, nous voudrions voir l'examen quinquennal être étendu non seulement au projet de loi C-22, mais à l'ensemble du cadre législatif relatif à la sécurité nationale et au renseignement. Les lois qui régissent le cadre général présentent un certain nombre de problèmes connus, en ce qui concerne les organismes d'examen ainsi que le milieu de la sécurité nationale et du renseignement.

Ces problèmes doivent être réglés, mais il n'y a actuellement aucun mécanisme qui permet de le faire parce qu'on envoie un mémoire au Cabinet, mais que, au bout du compte, le Cabinet est toujours trop occupé pour se rendre aux petits amendements. Il s'agirait d'une occasion pour le comité de présenter un examen général du milieu et des lois qui le régissent en recensant les problèmes et je ne sais quoi.

N'oubliez pas que ce milieu évolue très rapidement, en particulier lorsqu'il s'agit de renseignement d'origine électromagnétique. L'évolution rapide de la technologie fait en sorte que le renseignement d'origine électromagnétique et la capacité de continuer à examiner ce que fait notre organisme de renseignement d'origine électromagnétique bougent à la vitesse de la lumière. La loi n'a pas suivi cette évolution.

Le sénateur McIntyre : Je veux revenir sur le document. Dans une note de service qui nous a été distribuée, vous avez formulé neuf recommandations. Êtes-vous encore d'accord avec les recommandations qui figurent dans la note de service que vous avez distribuée?

M. Leuprecht : J'ai modéré mon point de vue sur certaines d'entre elles en ce qui concerne les coprésidents, mais, de façon générale, ces neuf recommandations sont la clé pour faire fonctionner ce projet de loi.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Lankin : En guise de commentaire procédural, je ne sais pas à quel document le sénateur fait allusion.

Le sénateur McIntyre : Ce n'était qu'une courte note de service qui a été distribuée.

M. Leuprecht : Peut-être qu'elle ne l'a pas été. Je vais m'assurer qu'elle soit distribuée à l'ensemble du comité.

La sénatrice Lankin : Vient-elle tout juste d'être communiquée à certains sénateurs?

M. Leuprecht : Je ne sais pas pourquoi elle a abouti entre les mains de certaines personnes, mais pas d'autres. Il s'agit d'une présentation destinée à tous les membres du comité.

La sénatrice Lankin : Il serait formidable qu'elle puisse être communiquée. Merci beaucoup.

J'ai deux questions à poser. Monsieur Scott, merci beaucoup de votre travail, en particulier sur les détenus afghans. Je veux m'informer au sujet de l'ensemble du processus à suivre pour tenter d'obtenir l'accès à des documents, à des renseignements classifiés, à ce moment-là, et à la décision du Président Milliken. Pouvez-vous faire la lumière sur ce processus et nous expliquer à quoi tous les comités du Parlement ont accès ou non par rapport à ce comité? Pouvez- vous effectuer cette comparaison?

Je m'intéresse aux pouvoirs d'assignation à témoigner. J'aime bien l'idée qu'on laisse entendre, c'est-à-dire qu'ils pourraient être traités au titre du pouvoir réglementaire, mais, selon moi, seulement si le gouvernement accepte, sans que l'amendement ait été adopté. Pourriez-vous aborder ce sujet, s'il vous plaît?

M. Scott : Je vais le faire, madame la sénatrice Lankin. Je vais commencer par la dernière partie, c'est-à-dire qu'il serait étrange de prévoir des pouvoirs d'assignation à témoigner dans un règlement au lieu d'y réfléchir à l'avance et de les intégrer dans le projet de loi. La nature de l'organisme qui a été créé pourrait nécessiter cela si, disons, le Sénat devait continuer d'exercer des pressions sur le gouvernement à cet égard.

Il y a une autre façon d'envisager cela : le jour pourrait venir où, essentiellement, ce nouveau comité dira : « Nous n'avons pas de pouvoirs d'assignation à témoigner. Nous avons plus de limites qu'un comité parlementaire qui est déterminé à aller au fond des choses. Alors, nous pouvons simplement formuler une recommandation, dans un rapport spécial ou un rapport annuel, afin qu'un comité spécial du Parlement soit mis sur pied dans le but de régler une question parce que le nouveau comité ne va nulle part, car il n'a pas de pouvoirs d'assignation à témoigner, et cetera. »

On refilerait la responsabilité à une autre instance. Il dépendrait totalement de la Chambre. Si la Chambre était occupée par un gouvernement en situation minoritaire, ce pourrait être plus probable.

Pour ce qui est des détenus afghans, la saga a été telle que nous ne connaissons pas encore la vérité. Comme me l'a dit M. Mulcair quand j'ai été élu, l'une des raisons pour lesquelles il voulait que je continue à creuser à ce sujet, c'était que le problème tenait non seulement à la torture et à ce qui était arrivé à un grand nombre des personnes que nous avions remises aux autorités afghanes, mais aussi à ce que cette situation faisait à nos institutions parlementaires, révélant les faiblesses et montrant que, essentiellement, une stratégie de l'exécutif bien organisée peut bloquer le Parlement.

Le comité spécial était un comité parlementaire, pas un comité permanent. En fin de compte, comme on lui refusait l'accès aux documents qu'il voulait consulter, il a adopté une motion. Encore une fois, c'était un Parlement minoritaire, ce qui explique en partie pourquoi c'est arrivé. Le comité a adopté une motion demandant tous les documents pertinents non censurés.

Le gouvernement a refusé. L'affaire s'est rendue à la Chambre des communes. La demande a été confirmée en tant que motion de toute la Chambre. Le gouvernement a continué à refuser. Le Président a confirmé que le gouvernement avait commis un outrage au Parlement, ce qui a fini par entraîner la tenue d'un processus parlementaire spécial visant à étudier certains des documents pendant une période donnée. Ensuite, les élections ont eu lieu, en 2011, et le gouvernement majoritaire nouvellement élu a arrêté entièrement le processus. Toute la saga tenait au fait que le Parlement était incapable de découvrir la vérité et de savoir ce qui se passait, et encore moins de parvenir à toute conclusion.

Le projet de loi C-22 ne fera rien pour aider à cet égard. Si cette situation s'était produite dans le cas du nouveau comité de parlementaires, tout ce que le gouvernement aurait eu à faire, c'est invoquer les dispositions du projet de loi C-22 concernant la sécurité opérationnelle continue, et le comité aurait été arrêté complètement.

Ce n'est pas comme si j'étais là à dire que ce comité pourrait faire un meilleur travail que ce qu'a permis d'accomplir le processus bloqué au Parlement entre 2009 et 2010. Je ne pense pas que ce serait le cas, quoique ce comité a maintenant la possibilité, puisque nous sommes sortis de l'Afghanistan, de se pencher sur ce qui est réellement arrivé à ce moment-là, car le gouvernement ne peut maintenant plus revendiquer des problèmes continus de sécurité opérationnelle.

La sénatrice Lankin : Madame la présidente, le processus est de deux questions par sénateur.

La vice-présidente : Non, ce n'est pas le cas. Je vais revenir à vous.

Concernant la question du document que vous avez soulevée, il ne s'agit pas d'un document qui a été distribué à tout le monde. Le document qu'a mentionné le sénateur McIntyre a été préparé. Je demanderais au témoin de l'envoyer au greffier afin que nous puissions le distribuer. Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais me limiter à une seule question. Monsieur Leuprecht, j'ai lu avec attention vos recommandations, et ma question sera d'ordre général. Le projet de loi C-22, dont le comité est saisi à l'heure actuelle, contient-il un nombre de failles à tel point qu'il ne faudrait pas l'adopter dans sa forme actuelle, mais qu'il faudrait plutôt y apporter des modifications comme celles que vous proposez afin d'éviter — comme vous le faites valoir à l'aide de votre argumentaire — que les pouvoirs de gérer cette loi ne se retrouvent qu'entre les mains d'une seule personne, soit celles du premier ministre? C'est l'argument de base selon lequel vous émettez plusieurs recommandations. Le projet de loi C-22 dans sa forme actuelle doit-il être modifié, au sens démocratique, afin qu'il soit plus acceptable, selon vous?

M. Leuprecht : N'importe quel projet de loi présente toujours des problèmes, mais pour que le gouvernement puisse atteindre ses propres objectifs, il me semble que des amendements sont indispensables.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Ma question était très semblable, alors laissez-moi la poser à M. Scott. Comme le processus relatif à ce comité a été recommandé dans le cadre de la Commission McDonald et que cela fait de nombreuses années que nous attendons la prise d'une mesure, à l'heure actuelle, devons-nous aller de l'avant avec ce projet de loi si nous sommes incapables d'obtenir ces genres d'amendements, quitte à le peaufiner durant la période de cinq ans, ou bien arrêtons-nous ce projet de loi?

M. Scott : Je crois que vous devriez aller de l'avant pour deux raisons. La première, c'est qu'après avoir été presque la risée implicite du monde occidental vu que nous n'avions pas de processus d'examen parlementaire, je crois que ce projet de loi est certainement mieux que rien. Je m'inquiète qu'il soit lacunaire au point qu'il puisse aboutir à la création d'un organisme de légitimation qui ne se rendra pas très loin dans la réalisation de son mandat, mais ce processus suivra son cours, et nous verrons. Je ne voudrais pas qu'on l'arrête pour cette raison.

Deuxièmement, je crois que le projet de loi a maintenant été adopté par la Chambre. À mon avis, le rôle du Sénat serait de contrer fortement le projet en proposant des amendements qui, selon son avis indépendant, sont nécessaires. Si la Chambre devait rejeter chacun des amendements proposés, à mon avis, selon ma philosophie politique, le Sénat ne devrait pas bloquer un projet de loi.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Monsieur Leuprecht, comme vous le savez, certains ont reçu le document contenant les recommandations et d'autres sénateurs ne l'ont pas. Vous avez aimablement accepté de nous l'envoyer. Si je peux me permettre, je vous demanderais de le transmettre le plus tôt possible, car nous accélérons les travaux.

Merci beaucoup, monsieur Leuprecht, monsieur Scott et madame McNorton de votre présence. Nous sommes reconnaissants de vos commentaires.

Vous serez heureux d'apprendre que nous recevons dans le sixième et dernier groupe de témoins M. Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, et M. Ryan Alford, de l'Université Lakehead.

[Français]

Les deux témoins jouissent d'une grande expertise en ce qui a trait aux droits de la personne, ainsi qu'à l'égard des règles de la loi dans le cadre des activités de la sécurité nationale et du renseignement.

[Traduction]

Je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Je vais vous inviter à faire vos allocutions d'ouverture. J'aimerais mentionner aux témoins et aux membres du comité que nous avons d'autres affaires à traiter. Nous allons tenter de terminer d'ici 19 h 15. Je vais surveiller d'un peu plus près le temps que vous prenez pour répondre aux questions. Je vous demande d'être compréhensifs.

Nous allons commencer par M. McSorley.

Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Merci beaucoup. Je vais essayer d'être bref pour que nous puissions passer aux questions.

Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui et de m'exprimer au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles à propos du projet de loi C-22. Je crois que vous avez tous reçu le mémoire détaillé que nous avons rédigé. Je vais limiter mes commentaires à quelques points en particulier que j'aimerais souligner, et ensuite, bien entendu, nous pourrons discuter d'autres points de façon plus approfondie.

Notre mandat consiste à protéger les libertés civiles au Canada des possibles effets négatifs des lois et activités liées à la sécurité nationale. Nous sommes d'avis qu'il est nécessaire de mettre en place des cadres robustes d'examen et de reddition de comptes pour s'assurer du respect de la Charte canadienne des droits et libertés et des différents engagements du Canada en matière de libertés civiles et de droits de la personne. C'est pourquoi nous appuyons totalement l'objectif fondamental du projet de loi C-22, soit la mise en place d'un examen parlementaire des activités nationales en matière de sécurité au Canada.

Nous étions satisfaits quand le gouvernement a annoncé son intention de créer un comité à cet égard. Toutefois, depuis la présentation du projet de loi, nous avons exprimé de grandes réserves concernant les restrictions imposées au comité, qui nous ont menés à nous demander si le comité sera en mesure de remplir son important mandat de façon efficace. Même si certains amendements ont permis d'améliorer le projet, nous sommes d'avis qu'il faut apporter d'autres modifications importantes.

Nos préoccupations portent essentiellement sur trois aspects, soit la reddition de comptes, la capacité de mener des examens et l'accès à l'information. En ce qui concerne la reddition de comptes, nous estimons qu'il est important que le comité soit indépendant par rapport au gouvernement et au Cabinet du premier ministre. Nous sommes d'avis que le comité devrait être comptable directement au Parlement. En conséquence, nous recommandons que le comité soit établi à titre de comité parlementaire mixte spécial composé de députés et de sénateurs, plutôt qu'à titre de comité de parlementaires. Il incomberait aux chambres respectives de choisir les membres du comité, et il reviendrait aux membres d'élire le président du comité.

Le fait que le comité soit constitué en comité parlementaire réglerait aussi certains autres problèmes que nous avons ciblés et qui ont été mentionnés par d'autres témoins dans le cadre des audiences, y compris celui lié au pouvoir de convoquer des personnes et d'exiger des documents, soit le pouvoir de citer à comparaître. Même si la constitution en comité parlementaire ne ferait pas taire toutes nos préoccupations, cela en éliminerait un bon nombre.

Comme d'autres l'ont souligné, le comité sur le renseignement et la sécurité du Royaume-Uni a d'abord été créé comme comité de parlementaires, et, une décennie plus tard, a été transformé en comité parlementaire. Nous sommes d'avis que le Canada devrait tirer des leçons de l'expérience du Royaume-Uni et créer un comité parlementaire dès le début, au lieu de commencer au même point que les Britanniques il y a 10 ans.

Dans le même esprit, nous croyons aussi que le comité devrait présenter son rapport directement au Parlement, sans accorder au premier ministre des pouvoirs aussi vastes que celui de demander un rapport révisé, comme c'est le cas actuellement dans le projet de loi. Selon nous, il en résulte que, même si cela n'est pas énoncé de façon explicite dans le libellé, le premier ministre pourrait, somme toute, caviarder les rapports du comité au Parlement, ce que nous estimons poser un grand problème. Pour faire obstacle à cette possibilité, nous recommandons, comme d'autres l'ont fait, d'amender le projet de loi C-22 pour y inclure certaines formes de contrôle judiciaire, y compris la possibilité d'examiner les modifications apportées aux rapports du comité présenté au Parlement. Je vais expliquer un peu plus tard pourquoi nous croyons qu'un contrôle judiciaire pourrait aussi améliorer d'autres aspects de ce projet de loi.

En ce qui concerne la capacité de mener des examens et l'accès à l'information, comme beaucoup d'autres témoins l'ont mentionné dans le cadre des audiences, nous approuvons l'idée de l'effet du triple obstacle des articles 8, 14 et 16. Toutefois, je souhaite souligner un des enjeux sous-jacents et expliquer pourquoi nous considérons qu'il s'agit d'un problème. Nous estimons que les membres du comité feront l'objet d'un filtrage suffisant en raison du processus d'obtention d'une cote de sécurité, qu'ils seront tenus au serment du secret et qu'ils prendront au sérieux la nature délicate de leur travail. Selon nous, il faut tenir compte de cela au moment de décider ce qu'ils pourront examiner et à quels renseignements ils pourront avoir accès.

En ce qui concerne ce qui peut faire l'objet d'un examen par le comité, nous sommes d'avis que les restrictions prévues à l'article 8 sont trop grandes et que le libellé est trop vague. Si les ministres ont le pouvoir de limiter les examens, le projet de loi devrait clairement faire état des motifs permis pour le faire, et le libellé ne devrait pas simplement comprendre le fait que l'examen porte atteinte à la sécurité nationale. Encore une fois, la possibilité d'avoir recours à un contrôle judiciaire, en cas de différend sur ce que le comité devrait être en mesure d'examiner, pourrait être utile dans cette situation.

En ce qui concerne les renseignements auxquels le comité a accès, comme MM. Kent et Forcese l'ont mentionné, même s'ils ont dit qu'il est clair que le gouvernement a affirmé qu'il ne souhaite pas que l'article 14 ait une incidence sur les pouvoirs actuels conférés au CSARS, nous demandons que le comité créé ait les mêmes droits d'accès à l'information que le CSARS et que, en conséquence, l'article 14 en fasse état.

En ce qui concerne l'article 16, encore une fois, nous sommes d'avis qu'il octroie trop de pouvoirs aux ministres quant au droit de refuser l'accès à des renseignements dont le comité a besoin pour mener ses travaux. Cet article, encore une fois, donne aux ministres beaucoup de pouvoir discrétionnaire pour limiter le travail du comité, cette fois en permettant de refuser de communiquer un renseignement pour deux motifs : premièrement, le renseignement est un renseignement opérationnel spécial, au sens du paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection de l'information; et, deuxièmement, sa communication porterait, encore une fois, atteinte à la sécurité nationale.

Je souhaite m'attarder en particulier aux renseignements opérationnels spéciaux, parce que je ne crois pas que cela ait été mentionné très souvent, du moins au cours des audiences du comité que j'ai suivies. Je crois que c'est important, parce que la catégorie des renseignements opérationnels spéciaux est vaste et que cela pourrait empêcher le comité d'avoir accès à des types de renseignements auxquels nous croyons qu'il devrait avoir accès.

La vice-présidente : Je vous prierais de terminer s'il vous plaît.

M. McSorley : Je vais donner un exemple et je vais conclure.

En novembre, quand la Cour fédérale a rendu son jugement concernant le CADO, le Centre d'analyse de données opérationnelles du SCRS, il a été précisé que le terme renseignement opérationnel spécial comprend les méthodes que le gouvernement canadien utilise pour la collecte de renseignements. Nous sommes préoccupés par la possibilité que ce genre de disposition puisse être utilisé pour empêcher le comité d'examiner une telle situation, alors que nous croyons qu'il s'agit exactement du type de situation sur laquelle il devrait se pencher.

J'aimerais mentionner une dernière chose qui n'a pas été soulevée. Je crois que j'ai entendu une autre personne le mentionner, et il s'agit de l'article 35 du projet de loi C-22, qui modifie la Loi sur l'accès à l'information. Il prévoit ce qui suit :

Le Secrétariat du Comité [...] est tenu de refuser de communiquer les documents qui contiennent des renseignements qui ont été créés ou obtenus par lui ou pour son compte dans le cadre du soutien qu'il apporte au Comité des parlementaires [...]

Nous sommes préoccupés par le fait que cet article pourrait être invoqué à l'avenir. Si une question portant sur la transparence ou le fonctionnement du comité, y compris le fonctionnement de son secrétariat, est soulevée, le Parlement et le public auraient de la difficulté à avoir accès aux renseignements. Le régime d'accès à l'information contient déjà des dispositions pour protéger des renseignements de nature délicate liés à la sécurité nationale.

Nous sommes d'avis qu'il faudrait retirer cet article du projet de loi pour nous assurer qu'il y a suffisamment de transparence pour analyser le fonctionnement du comité dans cinq ans.

La vice-présidente : Simplement pour préciser, est-ce qu'il s'agit de la recommandation 13 dans le mémoire que vous nous avez fait parvenir?

M. McSorley : C'est dans le document. Je vais vérifier s'il s'agit bien de la recommandation 13.

La vice-présidente : Je suis désolée de vous avoir coupé la parole. Je ne voulais pas être impolie. Vous avez rédigé un mémoire détaillé, et je peux vous assurer que nous l'avons lu.

M. McSorley : C'est très bien, merci.

Ryan Alford, professeur adjoint, Faculté de droit Bora Laskin, Université Lakehead, à titre personnel : J'approuve toutes les recommandations formulées par M. McSorley. J'examinais la liste des témoins publiée vendredi. J'ai la quasi-certitude que j'approuverais aussi les recommandations de MM. Forcese, Roach et Scott. Au lieu de vous présenter l'aperçu que j'ai préparé, je vais plutôt me concentrer sur une question en particulier, soit l'infirmité constitutionnelle du projet de loi. S'il me reste du temps à la fin, je le céderai volontiers à M. McSorley ou aux membres, pour vos questions.

Ce projet de loi soulève une question constitutionnelle importante. Elle ne sera vraisemblablement pas réglée par l'énoncé de conformité avec la Charte qui sera publié en même temps que le projet de loi. Je parle en particulier du privilège parlementaire.

Pour comprendre cette question, il faut d'abord consulter le jugement de la Cour suprême de 2014 rendu dans ce qu'on appelle communément l'affaire de la réforme du Sénat. Dans ce jugement, la Cour a mentionné que la composition du Sénat fait partie de l'architecture constitutionnelle du Canada et que, en conséquence, elle ne peut être modifiée simplement par une loi. Il faut pour cela le consentement de sept provinces, en application du processus de modification constitutionnelle du Canada.

Je vais vous renvoyer à une autre affaire. Il s'agit de la cause New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse. Le privilège parlementaire fait aussi partie de l'architecture constitutionnelle du Canada, ce qui signifie que les privilèges des parlementaires ne peuvent être retirés au moyen d'une loi. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, qui inclut l'article 11 proposant la suppression de la défense du privilège parlementaire, ne servirait qu'à chercher une contestation constitutionnelle. L'article ne résisterait pas à un examen de sa constitutionnalité, en particulier par la Cour suprême du Canada, et je ne comprends pas pourquoi il a été jugé nécessaire de l'inclure dans la version actuelle du projet de loi.

Toutefois, le simple fait de supprimer cet article ne réglera pas le problème, parce qu'il met en évidence le cœur du problème qui touche ce projet de loi. À mon sens, l'établissement d'un comité de parlementaires crée une structure qui n'est ni chair ni poisson. Il n'y a aucun précédent semblable au Canada, et, comme M. McSorley l'a souligné, cela a engendré d'importants problèmes au Royaume-Uni.

Nous pourrions aussi tirer des leçons du Royaume-Uni en ce qui concerne le privilège parlementaire. Au Royaume- Uni, où il y a eu des problèmes liés à ce qui était appelé des super-injonctions et des hyper-injonctions, la seule solution que les parlementaires ont trouvée pour régler un problème d'abus des protections de confidentialité, qu'il découle d'une injonction judiciaire ou d'une mesure législative, dans le cas du Official Secrets Act, était d'avoir recours au privilège parlementaire.

Si nous créons un comité de parlementaires dont les membres sont sélectionnés en raison du prestige qu'ils confèrent à l'institution; s'ils sont choisis parce qu'ils sont des gens sérieux et réfléchis qui font preuve de discernement et de jugement quant aux questions touchant la sécurité nationale, comment pouvons-nous affirmer qu'il faudrait leur refuser la possibilité de prendre la parole au Parlement, comme leur permet le privilège parlementaire?

Honnêtement, ce n'est pas qu'une question de menace au privilège parlementaire. C'est une grave menace à la souveraineté parlementaire que l'on empêche ces personnes, qui, essentiellement, ne siègent qu'à un comité consultatif du premier ministre, d'utiliser leur pouvoir en tant que parlementaires, d'une façon qui comporte des lacunes sur le plan constitutionnel.

Dans la mesure où il s'agit vraiment de la création d'un organe qui crée l'illusion ou l'impression d'une surveillance plutôt que la possibilité d'une surveillance réelle, c'est ce qui est au cœur de ce projet de loi. Je suis entièrement d'accord avec M. McSorley, qui affirme qu'on pourrait régler pratiquement tout cela en mettant en place un comité mixte spécial du Parlement au lieu de ce prétendu comité des parlementaires.

À ce sujet, qu'arriverait-il si un député qui siège à ce comité avait une crise de conscience parce qu'il a vu quelque chose dont il croit que le Parlement et les Canadiens devraient être au courant? Par exemple, si on voyait des soldats canadiens remettre des prisonniers de guerre à une autre force qui est complice de torture ou qui torture directement ces prisonniers, c'est peut-être quelque chose que le Parlement devrait savoir, étant donné que cela relève de lui. Il est responsable de la législation et de la surveillance de toute affaire, qui, selon lui, relève de ses compétences de surveillance.

De même, les Canadiens devraient être mis au courant de ce fait. Si on dit qu'on a un comité des parlementaires, des personnes en qui nous devrions avoir confiance et dont le jugement est irréprochable, et que, dans cette situation où ils prennent leur rôle de parlementaire au sérieux, on empêche ces personnes d'agir à ce titre d'une manière qui n'est pas constitutionnelle, il y a quelque chose de très mauvais dans ce projet de loi. Je ne crois pas que l'on peut régler cela simplement en s'attaquant à la levée d'immunité contre des poursuites au titre du privilège parlementaire.

J'aimerais clarifier tout cela. Je crois qu'il est important de comprendre que, après 2014, la Cour suprême du Canada a précisé que le Parlement ne peut pas changer l'architecture de la Constitution canadienne. Quelques années plus tôt, elle a reconnu que le privilège parlementaire était une partie essentielle de cette architecture constitutionnelle. Toutefois, personne n'a soulevé le fait que c'est faible sur le plan constitutionnel, même si je sais que des sénateurs ont souligné qu'il y a un grave problème concernant cette disposition qui retirerait le privilège parlementaire.

Je veux souligner le fait que cela ne passerait pas l'examen constitutionnel. J'aimerais faire le lien entre cela et les préoccupations de Me Roach, de Me Forcese, de M. Scott et de M. McSorley, qui ont dit que c'était inadéquat, étant donné qu'il ne s'agit pas d'un comité parlementaire, mais de quelque chose qui est sans précédent, soit un comité des parlementaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur McSorley, plusieurs témoins ont suggéré d'importants amendements à apporter à ce projet de loi. Je fais partie de ceux qui croient qu'il faudrait prévoir encore plus de temps pour discuter de ce projet de loi, tellement il est important. Certains témoins ont aussi suggéré qu'on devrait accepter tel quel le projet de loi et laisser le temps faire son oeuvre pour que tout devienne fonctionnel. Autrement dit, on adopte le projet de loi, et les choses s'arrangeront avec le temps. Que pensez-vous de cette logique?

M. McSorley : Nous croyons qu'un tel comité est nécessaire au point que nous trouvons que, sans les amendements, ce projet de loi est inacceptable. Même si nous comprenons qu'on ne peut pas toujours atteindre la perfection, nous pensons qu'il vaudrait la peine, même si cela devait demander quelques mois supplémentaires, de retravailler le projet de loi afin d'atteindre un consensus sur les amendements avec la Chambre des communes.

Le sénateur Dagenais : Quelqu'un a dit : « Vite et bien n'existent pas; il faut prendre le temps. »

Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Monsieur McSorley, vous avez soulevé la question de l'examen judiciaire. Après avoir examiné ce projet de loi, seriez-vous d'accord pour dire que le public n'a pas recours à une surveillance indépendante des dossiers du comité ou de leur classification?

Comme vous le savez, on a déjà la Loi sur l'accès à l'information. Diriez-vous que, avec le projet de loi C-22, le Parlement et son mandat de surveillance sont affaiblis et que la Loi sur l'accès à l'information est en quelque sorte vidée de sa substance?

M. McSorley : Je dirais que c'est le cas en ce qui concerne l'article 35 du projet de loi. Comme je l'ai mentionné précédemment, elle a une incidence importante sur l'accès à l'information. La question concernant la capacité de surveillance du Parlement est bonne. À mon avis, ce que l'on soulève en ce qui concerne le privilège parlementaire et le pouvoir de citer à comparaître, c'est deux questions importantes sur la capacité de ce comité et des parlementaires de mener à bien leurs tâches.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins.

Monsieur McSorley, d'une part, vous écrivez, dans votre mémoire, que le projet de loi C-22 doit être grandement renforcé, alors que, d'autre part, vous affirmez — à moins que je vous comprenne mal — que le projet de loi doit être adopté et que vous êtes pour ce projet de loi. Je constate une certaine contradiction dans vos propos. Vous dites que le projet de loi doit être modifié et adopté, mais vous proposez 16 modifications à y apporter. Quand on souhaite apporter autant de modifications à un projet de loi, c'est la preuve qu'il n'est pas parfait.

M. McSorley : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Votre proposition est donc de dire qu'il faut que le projet de loi soit amendé, n'est-ce pas?

M. McSorley : Oui, c'est bien cela. Cela fait plus d'une décennie que nous demandons qu'un tel comité soit mis sur pied. Nous pensons qu'il serait important que le projet de loi soit amendé et qu'on trouve une solution afin que les membres du comité puissent poursuivre leur travail. Nous avons vu des situations où des gens qui s'opposaient à la mise sur pied d'un tel comité ont utilisé nos recommandations afin d'affirmer que ce type de comité ne devrait pas exister.

Nous voulons donc qu'il soit clair que nous voulons un tel comité, mais que nous pensons qu'il faudrait apporter des amendements au projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : J'ai une dernière question. Certains témoins sont venus nous dire qu'il valait mieux accepter le projet de loi tel quel que d'y apporter des amendements qui risqueraient de retarder sa mise en œuvre. Selon vous, est- ce qu'il serait mieux d'amender ce projet de loi ou de le garder tel quel afin de pouvoir l'adopter le plus rapidement possible?

M. McSorley : Nous croyons qu'il serait préférable de prendre le temps d'y apporter des amendements.

Le sénateur Dagenais : J'aurais une dernière petite question à vous poser, monsieur McSorley. Selon vous, les dénonciateurs devraient-ils être protégés, comme c'est le cas dans d'autres comités?

M. McSorley : Oui, c'est ce que nous demanderions. Nous croyons aussi que cette disposition serait incluse s'il s'agissait d'un comité parlementaire et non pas d'un comité de parlementaires.

Le sénateur Dagenais : D'accord. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Pour ce qui est de la question que nous venons tout juste d'aborder à propos du fait qu'il s'agit d'un projet de loi imparfait, monsieur Alford, je crois que tous les sénateurs autour de la table ont certaines questions qu'ils souhaiteraient voir modifier; on se préoccupe aussi du fait de prendre ou non quelques mois pour mettre cartes sur table, du risque de prorogation et de la mort éventuelle du projet de loi au Feuilleton. Pratiquement tous les témoins, que ce soit dans le compte rendu ou lorsque je leur ai posé la question après leur témoignage, ont déclaré : « Essayez, mais allez de l'avant et adoptez-le. C'est ce qui compte le plus, étant donné que nous attendons cela depuis de nombreuses années. »

C'est essentiellement ce qu'a dit M. McSorley, en mettant peut-être un peu plus l'accent sur la modification du projet de loi. Pourriez-vous en parler? Vous semblez être certain qu'il s'agit d'un mauvais projet de loi, et je me demande comment vous répondriez à cette question.

M. Alford : Merci, madame. Je vais adopter le point de vue contraire. Si cela reste tel quel, soit un comité des parlementaires, et non un comité mixte spécial du Parlement, il ne vaut pas la peine d'adopter le projet de loi parce qu'il crée l'illusion d'une surveillance sans qu'il n'y en ait véritablement une. Je crois que c'est dangereux. Si on l'appelait un comité consultatif spécial du premier ministre, il serait évident pour tout le monde qu'il ne fournirait pas de véritable protection.

De plus, comme je l'ai mentionné plus tôt, le projet de loi est, en fait, faible sur le plan constitutionnel. Sans la disposition retirant la levée de l'immunité parlementaire, on peut s'attendre à des problèmes dans les tribunaux.

Cette question restera à l'ordre du jour du Parlement. Si on examine le calendrier parlementaire, on pourra voir que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale apportera à l'automne des modifications à la Loi antiterroriste de 2015. Je crois que cette question demeurera à l'avant-plan.

En fait, je préférerais que l'on règle ces problèmes au lieu que l'on adopte ce projet de loi tel quel.

La sénatrice Lankin : J'ai une question complémentaire, monsieur Alford. Le gouvernement, dans sa réponse aux questions entourant le manque de pouvoir de citer à comparaître, par exemple, a parlé de l'importance de préciser très clairement qu'il ne s'agit pas d'un comité du Parlement. Je ne fais pas qu'appeler cela un comité des parlementaires, mais certaines parties de l'organisation de ce projet de loi, soit le manque de privilège et de pouvoir de citer à comparaître, le distingue parce qu'il s'agit d'un comité consultatif du premier ministre.

Je veux revenir sur votre affirmation selon laquelle il pourrait être contesté en vertu de la Constitution. Si on le structure de façon à préciser qu'il ne s'agit pas d'un comité du Parlement, mais plutôt d'un comité des parlementaires, est-ce que cela le protège de quelque façon de la contestation constitutionnelle dont vous parlez?

M. Alford : C'est une excellente question. Je ne crois pas que cela le protège, parce que le parlementaire demeure un parlementaire, peu importe le chapeau qu'on lui fait porter. Cela dit, le député qui se joint à ce prétendu comité des parlementaires perd son privilège parlementaire, et cela a une incidence sur lui et sur son statut de parlementaire. Tout comme le Parlement ne pourrait pas faire adopter un projet de loi qui décrète que le premier ministre est désormais le dictateur suprême jusqu'à la fin de ses jours, on ne pourrait pas faire adopter un projet de loi qui enlève à un député le privilège parlementaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pour faire suite à la question de la sénatrice Lankin, monsieur Alford, vous dites que la partie du projet de loi qui est liée aux privilèges vous semble inconstitutionnelle; est-ce votre opinion personnelle ou est-ce ce que vous avez retiré des consultations que vous avez faites?

[Traduction]

M. Alford : J'en ai discuté avec mes collègues. Je serai sincère. Il y a un débat entre les professeurs de droit sur cette question; je pourrais donc vous nommer Emmett MacFarlane, de l'Université de Waterloo, qui serait probablement en désaccord. Toutefois, je crois que, lorsqu'on examine la décision de 2014, qui renvoie au cas du Sénat, la Cour suprême du Canada définit l'architecture constitutionnelle du pays. Elle dit qu'on ne peut pas changer la constitution du Sénat au moyen d'un simple projet de loi. Il faut obtenir le consentement de sept provinces. J'ai mentionné que l'arrêt Nouveau-Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse et que la Cour suprême du Canada ont également précisé que le privilège parlementaire fait partie de la Constitution du Canada.

On peut changer cela seulement en modifiant la Constitution, et non par un projet de loi. C'était le point de vue de la Cour suprême du Canada en 2014. Je ne comprends pas comment la loi pourrait survivre à un examen constitutionnel, même si on pourrait probablement trouver des personnes comme moi, des professeurs de droit, qui aimeraient faire valoir à la Cour suprême que ça ne devrait plus être le cas.

À la lumière des deux cas que j'ai mentionnés, à moins que la Cour suprême du Canada change d'idée, c'est la loi.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Alford, dans votre mémoire présenté au Comité de la Chambre des communes, vous avez recommandé qu'il y ait un plus grand comité parlementaire et que celui-ci ait le pouvoir de désigner les membres de son propre personnel.

Pourquoi croyez-vous que ces deux éléments sont si importants?

M. Alford : Le pouvoir de citer à comparaître est essentiel. Sans la possibilité de mener des enquêtes, ce que le Parlement ferait séparément des autres organismes n'est pas clair. Il y a un certain nombre de cas. On a demandé à ce que l'un de ceux-ci soit réexaminé par la Cour fédérale du Canada. Un autre cas concernait des métadonnées datant de deux ans plus tôt. Parfois, ces cas sont portés à l'attention de la Cour fédérale. À cette instance, la Cour fédérale peut conclure qu'il y a vraiment beaucoup de lacunes. Par exemple, dans ces deux cas, les mots du juge Noël étaient plutôt cinglants, mais comment cela est-il porté à l'attention des tribunaux? Ils ne disposent pas de membres du personnel qui font des enquêtes, même si, lorsque cela devient un vrai litige, ils ont des pouvoirs de citer à comparaître.

Ce qu'il faut, c'est un organisme qui a un pouvoir d'enquête. Afin de résoudre ce problème, que Me Forcese appelle le problème du téléphone défectueux, il faut une institution qui a des pouvoirs d'examen et de surveillance très larges. Le personnel est également un élément important. Il faut des personnes qui puissent suivre toutes ces pistes, sinon cela risque d'être un exercice purement formel dans le cadre duquel les membres d'un comité se réunissent sans vraiment avoir de pouvoir d'enquête afin de surveiller ces organismes.

Je vous dirai que c'est beaucoup de travail. On ne parle pas seulement du SCRS, mais également du Centre de la sécurité des télécommunications, qui n'a pas été très surveillé jusqu'à présent. Il faudra faire sous peu le suivi de beaucoup de questions afin d'être en mesure de remplir ce rôle adéquatement. Pour ce faire, il est impératif d'avoir un pouvoir de citer à comparaître et de nommer les membres de son propre personnel.

La vice-présidente : Monsieur Alford, j'ai une dernière question, je vais me faire l'avocat du diable. Je vais dire que vous avez tort, sauf votre respect, en ce qui concerne le privilège parlementaire.

Je ne suis pas aussi renseignée que vous, mais je comprends que le privilège parlementaire s'applique seulement au parlementaire dans le cadre de ses fonctions. Ce comité n'est pas un comité du Parlement; je crois donc que ce privilège ne s'applique pas. Ai-je tort?

M. Alford : Cela dépend des fonctions, comme vous l'avez bien mentionné. Prenons ce que M. McSorley a dit : disons qu'il y a un problème d'informateur interne, et que celui-ci fait partie du comité des parlementaires. Comme c'est souvent le cas, la façon dont on tente de résoudre ce problème, c'est en lisant quelque chose à voix haute à la Chambre des communes et en disant : « C'est ainsi que je mettrai en évidence ce très grave problème, lequel, pour une raison quelconque, ne semble pas vouloir être réglé par le premier ministre. » Puis, survient une situation où il y a un informateur interne. Un député peut vouloir, comme cela a été le cas dans un certain nombre de situations au Royaume- Uni, devenir un informateur interne grâce à son privilège parlementaire. C'est exactement ce qu'interdit le projet de loi, et je crois que c'est précisément ça, le problème constitutionnel.

Dans la mesure où une personne pourrait faire l'objet de restrictions en tant que membre du comité des parlementaires, c'est tout à fait vrai. Toutefois, est-ce que ces mêmes restrictions pourraient empêcher quelqu'un de parler à la Chambre des communes ou au Sénat? Je ne crois pas.

La vice-présidente : Mesdames et messieurs, il n'y a pas d'autres questions. Je lève cette séance ouverte et demande à ce que l'on continue à huis clos.

Merci beaucoup à vous deux, monsieur McSorley et monsieur Alford. C'est peut-être terminé pour vous, mais vous nous avez laissé beaucoup de matière à réflexion.

Merci beaucoup.

(Le comité poursuit à huis clos.)

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