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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 16 - Témoignages du 14 juin 2017


OTTAWA, le mercredi 14 juin 2017

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 3, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Daniel Lang, et je suis sénateur du Yukon. À ma gauche immédiate, vous avez les greffiers du comité, Adam Thompson et Mireille LaForge. Je vais demander un tour de la table pour que chaque membre se présente, en commençant par ma vice-présidente préférée.

La sénatrice Jaffer : Je m'appelle Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l'Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Peter Harder, d'Ottawa.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

Le président : Merci, chers collègues.

Aujourd'hui, nous aurons trois heures de réunion pour poursuivre notre examen du projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence. Le projet de loi a été renvoyé à ce comité le 30 mai et, le 5 juin, nous avons commencé notre examen. Depuis, nous avons entendu 25 témoins et nous nous sommes réunis le mercredi 7 juin ainsi que le lundi 12 juin.

Il s'agit de notre quatrième journée d'audiences en deux semaines. Je tiens à remercier tous les membres du comité qui se sont engagés à examiner ce projet de loi et les nombreuses et importantes problématiques qui ont été signalées.

Se joignent aujourd'hui à notre premier groupe de travail M. Charles Robert, greffier du Sénat du Canada, et M. Michel Patrice, greffier et conseiller parlementaire. Messieurs, soyez les bienvenus. Nous vous avons invités ici pour nous aider à mieux comprendre la question du privilège parlementaire, car le projet de loi dont nous sommes saisis vise à supprimer le privilège des parlementaires qui siègent au comité.

J'aimerais pour commencer féliciter M. Robert qui vient d'être nommé greffier de la Chambre des communes.

Avant toute chose, je crois comprendre que vous n'avez pas de déclaration écrite aux fins de la réunion aujourd'hui.

Charles Robert, greffier du Sénat et greffier des Parlements, Sénat du Canada : C'est exact.

Le président : Vous êtes ici pour répondre aux questions que nous nous posons tous concernant ce à quoi les parlementaires renonceraient s'ils acceptaient l'article 12, je crois, du projet de loi qui nous occupe.

Je dois vous dire également que nous avons une heure pour cette réunion, qui se poursuivra pour nous avec un autre groupe d'experts.

Tout d'abord, je vais me prévaloir de mon privilège de président pour commencer par poser une question au greffier, si vous me le permettez, et peut-être à vous deux. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le privilège parlementaire est si important pour le fonctionnement du Parlement, en particulier pour les députés et les sénateurs dans l'exercice de leurs fonctions de parlementaires? De sorte que l'on comprenne bien en quoi il consiste et pourquoi nous l'avons.

M. Robert : Nous répondrons tous les deux à la question, mais je dirai d'emblée que le privilège parlementaire existe afin de donner aux parlementaires les immunités, les droits et les pouvoirs nécessaires pour leur permettre de s'acquitter de leurs fonctions sans entrave et de travailler avec efficacité et efficience sans crainte d'être interrompus dans la poursuite de leur tâche.

Le premier privilège était sans doute l'immunité d'arrestation et la liberté de circuler sans entraves pour se rendre de leur domicile au Parlement. La liberté d'expression, reconnue à la fin du XVIIe siècle en vertu de l'article 9 de la Déclaration des droits, est considérée comme le privilège le plus fondamental rattaché à la personne. Il existe également des privilèges de nature institutionnelle dont le Sénat jouit en tant qu'organe parlementaire : celui de contrôler ses procédures; celui, peut-être moins important aujourd'hui, de punir qui l'outrage; et celui de réglementer le comportement de ses membres et ceux qui interagissent avec le Parlement.

Voilà quels sont ces privilèges, leur nature et leur raison d'être.

Michel Patrice, greffier et conseiller parlementaire, Sénat du Canada : M. Robert l'a très bien résumé. J'ajoute que ces privilèges sont inscrits dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle. Ils constituent une disposition habilitante qui autorise le Sénat et la Chambre des communes à s'attribuer les mêmes privilèges que ceux qui existaient au Royaume-Uni en 1867. C'est ce qu'a fait le Parlement en adoptant l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada qui revendiquait tous les privilèges existant au Royaume-Uni.

Le président : Chers collègues, passons directement aux questions.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à tous les deux d'être ici. C'est apprécié. On se débat avec le privilège parlementaire.

J'ai deux questions. Premièrement, le privilège parlementaire est-il absolu? S'applique-t-il à chaque situation, ou seulement à certaines?

M. Robert : Sa raison d'être est de protéger le Parlement et ses délibérations ou ses travaux. Le sénateur Lang et moi en discutions juste avant la réunion du comité : un parlementaire qui participe à une activité reconnue comme parlementaire, jouit du privilège de la liberté d'expression. L'activité du comité est parlementaire et elle est protégée par un privilège.

Cependant, si vous répétez quelque chose qui pourrait être considéré comme diffamatoire en dehors de ce contexte ou de la Chambre, vous vous exposez à des poursuites en diffamation. En fait, le privilège existe dans les limites de l'activité parlementaire légitime.

C'est pourquoi, je pense, le projet de loi C-22 déclare délibérément que ce comité n'est pas un comité du Sénat ou de la Chambre ou du Parlement. Cela afin de tenter d'établir qu'il travaille dans un contexte qui n'est pas parlementaire.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Patrice, j'ai une question à vous poser qui me tarabuste. Il ne s'agit pas d'un comité du Parlement; mais d'un comité de parlementaires. Il est extérieur au Parlement, mais composé de parlementaires. C'est le premier point.

Le second, plus important et plus pertinent pour la plupart d'entre nous, c'est que, si le privilège parlementaire n'existe pas, c'est à cause de l'information qui pourrait se présenter et des conséquences que cela pourrait avoir si elle était partagée.

Pourriez-vous développer cela, et me dire si je raisonne correctement?

M. Patrice : Votre raisonnement est bon, je pense. De toute évidence, et comme l'ont souligné de nombreux membres du comité, il ne s'agit pas d'un comité parlementaire. C'est un comité de parlementaires, composé de membres des deux chambres, mais qui ne s'inscrit pas dans le cadre des délibérations du Parlement; par défaut, en quelque sorte, le privilège ne s'applique pas parce que ce comité n'est pas un comité du Parlement.

En ce qui concerne l'exception ou le paragraphe 12(1), tout part du principe qu'un comité de parlementaires pourrait recevoir des informations confidentielles, classifiées, et qu'il faut éviter qu'un de ses membres ne les divulgue dans le cadre de travaux parlementaires à proprement parler.

La sénatrice Jaffer : Pourquoi est-ce important? Je sais pourquoi, mais pourquoi ne le pouvons-nous pas?

M. Patrice : Parce cette protection a été supprimée. Si vous deviez divulguer des informations confidentielles obtenues par l'entremise de ce comité des parlementaires dans cette instance, votre responsabilité ne pourrait être engagée, qu'il s'agisse de responsabilité civile, en matière de diffamation, par exemple, ou même de responsabilité pénale.

D'après ce que je comprends, les membres de ce comité devront, par serment, s'engager à respecter la confidentialité des renseignements qui, par exemple, seraient couverts par la Loi sur la protection de l'information.

M. Robert : Il y a un point intéressant que j'aimerais ajouter à ce qu'a dit M. Patrice. Prenez le paragraphe 12(2), qui dit :

Une déclaration faite par un membre ou un ancien membre du comité devant l'une ou l'autre Chambre [...] est admissible en preuve contre eux dans le cadre d'une instance visée au paragraphe (1).

Ce n'est pas différent de ce qui s'est passé lorsque, en 1871 au Royaume-Uni et en 1875 au Canada, nous avons autorisé l'assermentation des témoins qui comparaissaient devant les comités. Ils pouvaient être poursuivis au pénal pour parjure. Le parjure ne peut être établi que si les déclarations de l'intéressé peuvent servir de preuves devant les tribunaux afin de déterminer si l'accusation de parjure est fondée ou non. C'était une exception à l'article 9 de la Déclaration des droits, parce que l'article 9 dit que les délibérations du Parlement ne peuvent être mises en cause à l'extérieur du Parlement ou devant un tribunal. Cependant, dans le cas d'une accusation de parjure, on doit faire état des éléments de preuve du Parlement afin d'établir s'il y a eu ou non violation du serment de donner un témoignage sincère à un comité. C'est une circonstance parallèle.

La sénatrice Lankin : La personne a déjà été mentionnée au paragraphe 12(1). On parle d'information classifiée dont les gens prennent connaissance, et des dispositions de la Loi sur la protection de l'information. Par exemple, les divers organes spéciaux de surveillance ne bénéficient de rien de semblable à un privilège parlementaire.

Les membres du SCRS ou de la GRC doivent prêter serment. Si, dans le cadre de leur travail, ils prennent connaissance d'informations classées comme relevant de la sécurité nationale et couvertes par la Loi sur la protection de l'information, et qu'ils les divulguent publiquement, ils s'exposent à des poursuites, tout comme les membres de ce comité.

Cela signifie que les membres du comité ne peuvent pas divulguer d'informations classifiées. Si l'un deux prend la parole pour dire que le ministre qui a comparu devant le comité n'était pas totalement sincère, ce ne serait pas parlementaire, mais cela ne signifie pas qu'il jouit d'un privilège le mettant à l'abri d'accusations de diffamation dans ces débats. Cependant, tout ce qu'on apprend au comité est classifié. Il y a une distinction.

J'ai dit dans une discussion que nous venons d'avoir, que quelqu'un peut, par excès d'esprit partisan ou de stupidité, divulguer des informations, mais une fois qu'on a juré le secret et qu'on reçoit des documents portant la mention « classifié », le mieux à faire est de ne pas en parler, sauf entre vous au sein de ce groupe.

C'est la première chose que je retiens de ce que vous avez dit. Lundi, nous avons entendu le témoignage d'un professeur de droit de l'Université Lakehead. Je sais que tout le monde n'est pas d'accord avec ce qu'il a dit, mais j'aimerais que vous y réfléchissiez.

Je vais commencer par vous, monsieur Patrice. Dans son témoignage, il disait que, le privilège ayant sa source dans une disposition de la Constitution, on ne peut adopter de loi qui priverait les personnes des droits que leur accorde la Constitution. Je paraphrase ce droit, je pense. Par conséquent, il y aura un recours constitutionnel contre la disposition en question, et il sera couronné de succès.

Cela dépasse mon niveau de rémunération. Pouvez-vous éclairer l'aspect juridique de la question, s'il vous plaît?

M. Patrice : Oui, j'ai lu le témoignage du monsieur dont vous parlez. Sans vouloir offenser qui que ce soit, je pense qu'il confond certains problèmes. On parle ici du privilège parlementaire. Comme je l'ai dit, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la Loi constitutionnelle de 1867, prévoyait une disposition habilitante donnant au Parlement la possibilité d'octroyer des privilèges parlementaires.

Ce n'était pas une obligation. Ces privilèges n'étaient pas conférés automatiquement au Parlement fédéral, aux deux chambres. C'était un pouvoir habilitant. Ensuite, le Parlement a sagement décidé, à l'époque, de faire siens tous les privilèges qui existaient à l'époque au Royaume-Uni. Il ne s'agit pas d'un amendement constitutionnel, comme semble l'indiquer son témoignage. C'est une question qui avait été abordée dans le renvoi au Sénat. Ôter, découper, prélever une partie du privilège reconnu à la Chambre ou à ses députés n'est pas, en soi, un amendement constitutionnel. C'est une question qui est couverte par la Constitution, mais ce n'est pas un amendement constitutionnel.

M. Robert vous a signalé la question du parjure. Le parjure a également fait l'objet d'un découpage quand il a été décidé que les comités pouvaient assermenter les témoins, ce qui n'est pas la norme et qui ne l'était pas à l'époque, puisque dans le fond, devant un comité, chaque témoin doit dire la vérité, peu importe qu'il y ait eu ou non prestation de serment. La conséquence étant alors : qui ment se rend coupable d'outrage au Parlement.

Quand le Parlement a décidé d'accorder aux comités la possibilité d'assermenter les témoins, il l'a assortie de la sanction de parjure prévue par le Code criminel, ce qui est un découpage, car, comme l'a souligné M. Robert, ce témoignage particulier, si quelqu'un était accusé de parjure, serait utilisé à l'encontre du principe général et plus large de la liberté d'expression devant le Parlement.

Je dirais, respectueusement, que cette disposition n'est pas constitutionnelle et qu'elle ne résiste pas à l'examen, selon l'analyse juridique que j'en fais.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Je vais lire ma question parce que vous y avez tous deux répondu pour l'essentiel, au sujet du parjure et de l'assermentation, mais je tiens à m'assurer que la loi la couvre correctement.

Les témoins devant les comités parlementaires sont tenus de dire la vérité. Comment les comités du Parlement peuvent-ils s'assurer de la sincérité des témoignages et quel recours ont-ils contre quelqu'un qui induirait un comité parlementaire en erreur?

Je pose la question parce que le comité proposé dans le projet de loi C-22 n'a aucun des pouvoirs qu'aurait un comité parlementaire pour s'assurer qu'il reçoit des témoignages véridiques. Cela m'inquiète. Pouvez-vous préciser?

M. Robert : C'est là qu'il y a un peu de confusion parce que ce n'est pas un comité parlementaire; c'est un comité de parlementaires. Vous n'avez pas recours aux mêmes pouvoirs qu'un comité parlementaire. Le recours pour outrage n'existe pas. Je n'ai pas vu dans le projet de loi de pouvoirs particuliers d'assermentation ou autre, parce qu'il s'agit en fait d'un comité qui appartient à l'exécutif. Il agit dans le cadre des paramètres que l'exécutif juge appropriés pour le travail qui lui est assigné.

De ce point de vue, sénatrice Beyak, l'approche qui serait normalement suivie dans un comité parlementaire ne me semble pas s'appliquer.

La sénatrice Beyak : Cela vous préoccupe-t-il un tant soit peu? Pour ma part, je trouve ça un peu préoccupant. Comment savoir si nos témoins disent la vérité?

M. Patrice : Autant que je puisse en juger concernant le mode de fonctionnement de ce comité, son mandat et son rôle, il devrait, par exemple, entendre des fonctionnaires qui travaillent dans le domaine de la sécurité pour différents divers ministères et recevoir le ministre, et cetera.

S'agissant d'une sorte d'organe exécutif, on pourrait supposer qu'ils diraient la vérité parce que, s'ils ne le faisaient pas, ils s'exposeraient à la sanction habituelle dans leurs propres ministères et à tout leur dispositif employeur-employé habituel. Je sens également que le comité n'a pas de pouvoir lui permettant de convoquer des personnes ou de les citer à comparaître. Le ministère concerné est effectivement tenu de se conformer à la demande du comité.

Le président : Chers collègues, par souci de clarté, je passerai d'abord aux membres désignés du comité pour les questions et ceux qui sont ici présents et ne sont pas membres du comité seront en mesure de poser des questions à la fin parce que je veux que tout le monde puisse le faire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Ma première question s'adresse à M. Patrice. Vous avez mentionné plus tôt que dans le projet de loi C-22, on n'a pas donné au comité le pouvoir d'assigner les témoins. Pouvez-vous nous donner un aperçu de l'importance d'un tel privilège, ainsi que des exemples? Existe-t-il des comités qui ont le pouvoir d'assigner, ou est-ce que ce comité serait le premier?

M. Patrice : C'est une très bonne question, sénateur. En ce qui concerne le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître, cela va dépendre du rôle que le comité va se donner et de son fonctionnement. En toute honnêteté, on peut spéculer à savoir si le comité va vouloir entendre des témoins externes à l'appareil de sécurité gouvernemental ou s'il recevra des informations de gens qu'il compte entendre dans le déroulement normal de ses activités, tels un ministère ou une force policière. On sait aussi qu'il aura des relations fonctionnelles avec les autres comités de surveillance.

Je ne vois pas la nécessité de doter le comité d'un pouvoir d'assignation de témoin. Ce pouvoir est nécessaire dans la mesure où le comité souhaite entendre ce que j'appellerais des témoins récalcitrants, des gens externes à l'appareil de sécurité canadien dont le comité sera saisi. En ce qui concerne les comités parlementaires qui ont le pouvoir d'assignation, ils n'ont pas souvent besoin d'utiliser ce pouvoir, mais ce peut être nécessaire à l'occasion, effectivement.

M. Robert : Ce pouvoir était utilisé à l'occasion pour forcer des témoins à comparaître. La dernière fois — et possiblement la seule fois dans l'histoire parlementaire canadienne — qu'un témoin a été mis en prison pour avoir refusé de témoigner, c'était en 1913, dans le cas de R.C. Miller, à la Chambre des communes.

La sénatrice Saint-Germain : Je reviens à la question d'un comité parlementaire plutôt qu'un comité de parlementaires. Vous avez très bien expliqué l'enjeu lié au privilège et le contexte de sécurité nationale. N'y a-t-il pas un autre enjeu qui justifie que ce soit un comité de parlementaires? Je parle ici de la procédure du Parlement. Un comité parlementaire doit faire rapport au Parlement obligatoirement, selon la procédure. Dans ce contexte, même un comité mixte des deux Chambres aurait l'obligation de faire rapport aux Chambres respectives. Cela me semble incompatible avec la notion d'un rapport présenté à un ministre désigné dans un contexte de sécurité nationale. Ne voyez-vous pas un enjeu procédural dans ce contexte-là?

M. Patrice : Ce sont deux modèles tout à fait différents quant à la composition et au rôle du comité en question. J'ai remarqué dans le projet de loi que le rapport de ce comité serait présenté au premier ministre et qu'éventuellement ce dernier devra le déposer en Chambre.

La sénatrice Saint-Germain : Autrement dit, un comité parlementaire serait incompatible avec la finalité du projet de loi.

M. Patrice : Effectivement. Si c'était un comité parlementaire, le rapport ne serait pas d'abord transmis au premier ministre. Il serait présenté ultimement au Parlement, mais pas au premier ministre en premier lieu.

M. Robert : Si je comprends bien, l'objectif de ce projet de loi est d'établir les circonstances par lesquelles les parlementaires peuvent s'engager à étudier des questions de sécurité nationale sans les mettre en cause ou menacer leur divulgation.

La sénatrice Saint-Germain : Merci.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au comité, messieurs. Je vais revenir sur le sujet des privilèges que ce projet de loi ne prévoit pas pour les parlementaires. On sait qu'au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, ce type de privilège existe. Est- ce que vous avez dressé une liste des membres du système parlementaire de Westminster — ce système qui ressemble au nôtre — qui ont créé ce type de comité, afin de savoir si, dans d'autres pays, ce type de privilège n'a pas été accordé ou a été retiré?

M. Robert : Pas nécessairement dans ce contexte-ci. Quand j'ai fait mes études dans le domaine du privilège parlementaire, j'ai constaté qu'en Allemagne, les députés du Bundestag n'ont pas le droit de commettre un geste diffamatoire. Ils ne sont pas protégés, même comme parlementaires, même dans l'enceinte du Parlement. C'est une décision qu'ils ont prise délibérément pour démontrer que tous les parlementaires doivent respecter les citoyens et leurs droits. Donc, la culture peut varier dépendamment du pays.

Le sénateur Boisvenu : Si l'on prend les pays liés au Commonwealth qui ont des systèmes parlementaires semblables au nôtre, y a-t-il des situations similaires à la mesure qu'on s'apprête à adopter? Je n'essaie pas de vous poser une question piège.

M. Patrice : Je dois vous avouer que je n'ai pas fait une analyse comparative avec les autres juridictions, parce que je crois qu'un document de la Bibliothèque du Parlement a été distribué à ce sujet, et je le regarde rapidement.

Le sénateur Boisvenu : C'est tout de même exceptionnel, ce retrait des privilèges du projet de loi, lorsqu'on se compare à d'autres régimes.

M. Patrice : J'ai remarqué que, dans le cas du Royaume-Uni, il ne semble pas y avoir de privilèges parlementaires pour le comité qui joue un rôle similaire à celui qui est proposé ici.

Le sénateur Boisvenu : L'Angleterre n'en avait pas au départ, mais elle les a rétablis.

M. Robert : C'était son choix. Cela ne veut pas dire qu'au début, c'était inacceptable, illégal ou non constitutionnel. C'était plutôt dans le sens que vous avez le droit de formuler les privilèges comme bon vous semble.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci aux témoins d'être là.

En fin de compte, vous nous dites qu'en réalité, il n'est pas nécessaire d'avoir une longue discussion sur le privilège parlementaire; car ce n'est pas un comité de par sa forme, du moins pas comme ceux du Parlement.

Selon le modèle du Royaume-Uni, il faut permettre au ministre responsable de décider si le comité peut entendre certains éléments de preuve susceptibles d'aboutir à une poursuite ou à une enquête. Ce « ministre » ici serait le premier ministre. Dans ce cas, le modèle ne le dit pas explicitement. Il est dit : un ministre déterminera.

Puisque c'est un comité de l'exécutif, comme vous l'avez dit, en d'autres termes, le comité du premier ministre, ne serait-il pas préférable que ce soit le chef du gouvernement qui prenne directement ces décisions plutôt que de suivre le modèle britannique, si c'est celui qui nous sert de modèle? Ne serait-ce pas plus logique? La réalité est que nous pourrions nous retrouver avec deux ou trois ministres, chacun suivant ses propres critères pour déterminer si l'on doit ou non demander des témoignages oraux ou écrits.

M. Robert : Je reprendrai l'argument de la sénatrice Lankin pour dire que cela dépasse mes compétences.

Le sénateur White : D'après votre nouvel emploi.

M. Robert : C'est vrai. C'est un conflit d'intérêts.

M. Patrice : Encore une fois, sur la base de mon analyse et de mon examen du projet de loi, je dirai qu'il s'agit plus d'un choix de processus. En gros, puisque les articles 14 et 16 du projet de loi prévoient des exceptions, ça devrait être au ministre, qui a l'information et qui connaît la question, de trancher.

Selon le modèle que vous proposez, le ministre rend compte ensuite au premier ministre, en disant que cette information ne devrait pas être divulguée parce qu'il y a une enquête en cours, par exemple, et que cela nuirait à l'enquête.

En gros, cela se passe ainsi : d'abord le ministre décide. Le comité peut alors préparer un rapport qu'il soumet au premier ministre, en précisant que le ministre X refuse de lui fournir cette information dont il a besoin pour s'acquitter de son mandat. Il appartient ensuite, naturellement au premier ministre de déterminer si l'information peut être divulguée.

Le sénateur Kenny : Bienvenue, messieurs. Ai-je raison de supposer qu'en fait cet article du projet de loi n'a d'autre fin que de permettre au gouvernement de se retourner contre les membres du comité? Il n'y a rien de semblable pour le Cabinet qui pourrait être dans une situation similaire.

J'aimerais avoir d'abord vos commentaires là-dessus. Puis votre point de vue sur les conséquences de cette disposition, en général, pour les membres de ce comité. Ça a vraiment tout l'air de préparatifs en vue de quelque chose qui n'a rien de parlementaire. Nous pourrions aussi bien ne pas exister. Le premier ministre pourrait choisir de faire ce qu'il veut de notre groupe et cette idée n'est peut-être pas loin de la vérité.

M. Robert : J'aurais du mal à répondre à certains éléments de la question. La suppression de votre immunité est un moyen, je pense, de démontrer l'importance que ce gouvernement attache à la sécurité nationale. La structure du comité des parlementaires offre le moyen d'informer les parlementaires de questions de sécurité nationale d'une nature très sensible, tout en réduisant le risque que cette information soit rendue publique et en engageant la responsabilité de qui se risque délibérément à le faire.

D'où, me semble-t-il, ce découpage, pour souligner l'idée que, même si vous agissez en parlementaire dans ce cadre, vous n'aurez aucune protection privilégiée.

Le sénateur Kenny : Le ministre non plus alors.

M. Patrice : Les ministres du Cabinet sont assermentés et de ce fait également soumis à la Loi sur la protection de l'information. De toute évidence, leur responsabilité est également engagée s'ils divulguent des informations confidentielles.

En ce sens, ce ne serait pas différent. Vous avez raison, l'article 12 est rédigé de telle façon qu'il permettrait d'intenter une action contre un membre de ce comité qui divulguerait des informations. L'aspect pénal a été évoqué, par exemple l'article 126 du Code criminel et le non-respect d'une loi du Parlement. Il y a la Loi sur la protection de l'information, et il y a également l'aspect responsabilité civile.

En cherchant un scénario en matière de responsabilité civile, un exemple m'est venu à l'esprit. Si vous apprenez que l'on soupçonne M. X d'être un terroriste connu et que vous le divulguiez, ce serait une calomnie vous exposant à des poursuites en diffamation si l'information devait être fausse. Oui, cela supprime la protection et vous laisse beaucoup moins de latitude pour transposer, en dehors de l'enceinte de ce comité, les informations que vous y obtenez ou que vous tenez du Sénat.

Le président : Chers collègues, j'en appelle à votre indulgence. Je pense qu'il est important d'aller au fond des choses parce que c'est l'essence même de la question que soulève ce projet de loi visant à exclure du champ couvert par leur privilège parlementaire les activités des députés au sein de ce comité.

Voici comment je comprends la chose : si je suis ministre responsable et j'interviens à la Chambre des communes sur la question de la sécurité publique, je continue à bénéficier pleinement de la protection que me garantit mon privilège parlementaire. Mais si je suis membre du comité ayant accès à la même information que le ministre et que je passe à la Chambre des communes ou au Sénat pour discuter d'une question de sécurité publique, je ne suis pas à l'abri d'éventuelles poursuites pour ce que je déclarerai au Sénat ou à la Chambre des communes, en ma qualité de député.

N'est-ce pas correct?

M. Patrice : C'est exact.

Le président : Après quoi, la question qui se pose à vous en qualité de membres du bureau du Sénat est la suivante : ne nous exposons-nous pas, en qualité de sénateurs, appelés à siéger et à œuvrer au sein de ce comité, à d'éventuelles sanctions juridiques si l'on gaffe et laisse échapper une information dénuée d'importance à nos yeux, mais qui en a une en fin de compte? Pareille gaffe pourrait-elle exposer le sénateur ou le député à des poursuites?

Voulez-vous nous faire part de vos commentaires?

M. Robert : Je soupçonne que le risque existe, mais il sera fonction, je pense, de l'ampleur de la gaffe.

Le président : Ce qui me dépasse un peu, c'est la raison pour laquelle le ministre bénéficie de ses privilèges et pas les autres membres de la Chambre et du Sénat qui sont invités à y renoncer. Ils se voient confier certaines responsabilités.

M. Patrice : Je comprends cela.

Le président : C'est le seul endroit où vous l'auriez, à la Chambre des communes ou au Sénat lui-même.

M. Patrice : Et en comité. Je comprends le parallèle ou l'analogie que vous faites et les différentes conséquences potentielles pour un membre du comité et le ministre. La conséquence pour le ministre, évidemment, pourrait être l'exclusion du Cabinet, par exemple. Ce n'est pas la même chose.

Un ministre court aussi le risque de faire une gaffe, mais vous avez raison, les conséquences ne sont pas exactement les mêmes. Le ministre, quand il a accepté la responsabilité de sa charge, a prêté serment. Un ministre se retrouve aussi parfois en porte-à-faux dans son double rôle de député, de parlementaire, et de ministre et membre de l'exécutif. C'est dans la nature du système et de son agencement, mais vous avez raison, les conséquences varient.

M. Robert : Dans le prolongement de ce que dit M. Patrice, le ministre a le droit, en vertu de sa fonction de ministre, d'accéder à cette information. En tant que parlementaire, vous n'avez droit à ces renseignements que dans la mesure où vous êtes membre du comité. Ces droits ne sont pas identiques.

Le sénateur Kenny : L'un est choisi par le Cabinet. Le premier ministre choisit son Cabinet et il choisit ce comité.

M. Robert : À mes yeux, ils ne sont pas identiques.

[Français]

La sénatrice Moncion : Cela nous amène à nous questionner sur la raison pour laquelle on voudrait siéger à ce comité, parce qu'il n'y a vraiment pas de protection pour personne. Quoi qu'il en soit, ma question n'est pas liée à cela.

Je reviens au pouvoir d'assigner, qui semble être une ordonnance à comparaître, et cela revient souvient. Ma question est la suivante. Pour nous, cela semble représenter un enjeu, mais pas pour la Chambre des communes. Peut-être que je me trompe ou que je n'ai pas accès à toute l'information, mais pourquoi l'ordonnance à comparaître ne semble-t-elle pas être un enjeu pour ce comité, c'est-à-dire, puisqu'elle n'est pas incluse dans le projet de loi?

M. Robert : En Chambre, il y a un échange d'information avec les fonctionnaires, les gens du gouvernement. Ce sont eux qui possèdent vraiment cette information délicate qui touche la sécurité nationale. J'imagine que la plupart seront sommés par le ministre à comparaître devant ce comité. Donc, ce n'est pas un enjeu tel qu'on l'imagine avec les gens du public, qui ne sont pas vraiment assujettis aux demandes d'un ministre ou d'un comité. Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur ce pouvoir, parce que je ne prévois pas les circonstances où cela pourrait être nécessaire.

M. Patrice : Pour reprendre l'intervention de Charles, c'est que l'obligation de collaborer est déjà prévue en ce qui concerne les fonctionnaires et les membres de l'exécutif, hormis les exceptions prévues aux articles 14 et 16 du projet de loi.

La sénatrice Moncion : Ceux qui seraient appelés à comparaître devant le comité seraient-ils ministres ou fonctionnaires?

M. Patrice : Les fonctionnaires ou les membres des forces policières, et cetera. C'est ce que je crois comprendre du fonctionnement du comité.

La sénatrice Moncion : D'accord, merci.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Pourriez-vous nous expliquer en quoi le privilège parlementaire est important pour la protection des témoins et quelles modifications il faudrait apporter à la législation pour assurer aux témoins un niveau de protection similaire?

M. Robert : Si on parle de témoins qui comparaissent devant les comités parlementaires, le bénéfice du privilège leur est accordé pour garantir la sincérité des témoignages. Contrairement aux États-Unis, ils ne peuvent pas invoquer un cinquième amendement pour se refuser à fournir des informations qui pourraient être incriminantes.

Les comités du Parlement veulent posséder la vérité. Ils veulent être pleinement informés pour pouvoir travailler correctement et accomplir leur tâche. La protection du privilège est accordée aux témoins afin qu'ils n'aient pas peur, tout comme tout parlementaire n'aurait pas peur, de parler clairement.

La sénatrice Griffin : Dans ce cas, que peut-on faire? Si ce ne doit pas être un comité parlementaire, quel autre amendement nous permettrait d'accorder aux témoins une protection similaire?

M. Patrice : Il s'agit de savoir si ces témoins ont besoin de protection. Toute la question est là en fin de compte.

Un comité parlementaire engage une enquête, fait appel à des membres du public, peut faire appel à un dénonciateur ou recevoir différentes parties prenantes, et cetera. Je ne suis pas sûr, mais je ne vois pas s'établir la même relation quant au fonctionnement de ce comité.

Les fonctionnaires, les cadres ministériels, les ministres, les membres de la GRC et les députés se présentent, suivant en cela essentiellement les ordres de leur patron. Ils n'ont pas besoin de cette protection, me semble-t-il. Tout comme nous ici. Bien que nous soyons protégés par le privilège parlementaire, je ne ressens pas le besoin de cette protection de mon patron, du Sénat et des sénateurs.

La sénatrice Cools : Je voudrais remercier les témoins qui se sont joints à nous aujourd'hui. Et commencer peut-être par demander instamment au comité d'examiner ce projet de loi avec le plus grand soin. Il est autrement plus compliqué et dangereux que nous ne l'imaginons.

Les rédacteurs du projet de loi ont choisi d'appeler « comité » ce regroupement de membres. Le projet de loi s'intitule Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale, mais, comme nous le savons, un comité est un pouvoir délégué. Ce comité du Sénat en ce moment est un pouvoir délégué du Sénat.

Mais dans le cas de ce comité, puisqu'un comité est un pouvoir délégué, quel est l'organisme parent qui délègue son autorité à ce comité? Cette question reste ici sans réponse et je pensais que vous seriez à la hauteur du défi.

M. Patrice : Je dirais que c'est un organe établi dans une loi.

La sénatrice Cools : Certes, mais un comité est toujours issu d'un organisme parent. Cela n'en change pas la structure. Un conseil d'administration peut constituer des comités.

M. Patrice : Je dirais qu'il s'agit d'un organisme créé par la loi et dont le régime de gouvernance prévoit, par exemple, qu'il fait rapport au premier ministre. Ce n'est pas pareil, selon moi, dans le cas dont vous avez parlé, qu'un conseil d'administration et ses actionnaires. Le régime de gouvernance correspond à ce que l'exécutif a décidé de créer : établir un comité en vertu de la loi appelé à jouer un certain rôle, après quoi ce comité fait rapport au premier ministre, pour schématiser, concernant le processus et l'accomplissement de son mandat.

La sénatrice Lankin : Qu'auriez-vous à nous dire concernant les pouvoirs que l'article 20 accorde au comité? Notamment le pouvoir de déterminer la procédure qu'il suivra dans l'exercice de ses pouvoirs, y compris les comparutions.

On a le sentiment qu'il pourrait en découler des pouvoirs de réglementation également. Un témoin au moins nous en a parlé. Quelles compétences concernant la procédure suivie par le comité, cet article confère-t-il au comité?

M. Patrice : Cela ressemble plutôt au mode habituel de rédaction de la législation habituelle.

En gros, l'article 20 prévoit que le comité peut mettre en place sa propre procédure, mais en excluant la possibilité d'adopter des règlements. Il existe également une disposition dans cette loi qui s'applique à son fonctionnement, mais concernant son pouvoir d'adopter une réglementation relative à sa procédure.

La sénatrice Lankin : Est-ce que l'un de ces règlements pourrait, par exemple, concerner l'assermentation?

M. Robert : En fait, ce n'est pas différent du contrôle que les organes parlementaires ont sur la façon dont ils mènent leurs affaires. En fait, on dit ici, oui, vous avez ce pouvoir et vous pouvez décider entre vous de votre façon de travailler.

Je laisserai à M. Patrice la question de la réglementation, mais si vous vouliez mettre en place une procédure organisant les comparutions et prévoyant que chaque témoin disposera de 10 minutes, c'est le genre de procédure qui déterminerait en quelque sorte la façon dont vous voulez mener vos affaires.

M. Patrice : L'analogie faite par M. Robert est très bonne. Fondamentalement, nous savons tous que les comités du Sénat sont maîtres de leurs propres procédures, mais ils sont toujours assujettis au Sénat ou à une décision du Sénat. C'est un peu du même ordre. Cela signifie que, en l'absence de réglementation, le comité mettra en place toutes ses procédures. Ensuite, il y a le pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil, pour ce qui est plus spécialement de l'activité du Parlement.

Le sénateur Kenny : Je reviens à la question des citations à comparaître. J'ai beaucoup de respect pour MM. Patrice et Robert, mais l'expérience montre que les comités bien souvent ne bénéficient pas de la coopération des témoins représentant le gouvernement, lesquels reçoivent pour instruction de leur patron : « Dites-leur-en le moins possible. » Vous poussez un peu si vous vous imaginez que les gens vont se précipiter vers ce comité pour converser à cœur ouvert avec ses membres. De même que l'on n'a sans doute pas tort de s'imaginer que le comité ne souhaitera pas demander à des non-bureaucrates de comparaître.

Ce qu'il y a de bien dans le pouvoir de citer à comparaître, c'est qu'il suffit d'en disposer pour ne pas avoir à s'en servir, sauf exception. C'est juste que les gens voient d'un autre œil le comité qui en dispose. Je me demande si vous avez considéré l'hostilité que l'on rencontre parfois dans la fonction publique quand on l'appelle à coopérer.

M. Robert : Je vais répondre à la question et laisser le plus dur entièrement à M. Patrice.

Avec ce projet de loi, on crée un comité qui est un simple agent de l'exécutif. S'il dispose du pouvoir d'assignation, comment l'appliquera-t-il?

Vous laissez entendre que les fonctionnaires ne coopèrent pas et que vous voulez avoir le pouvoir d'assignation, mais il s'agit d'un comité de l'exécutif et vous avez affaire à des membres de l'exécutif. J'ai du mal à faire cadrer les choses.

Le sénateur Kenny : Monsieur Robert, nous posons les questions; vous nous donnez les réponses. Le CSARS, par exemple, se plaignait de devoir attendre un temps fou pour obtenir le témoignage de certaines personnes. Il ne pouvait guère compter sur leur coopération.

Le président : Je me dois de signaler une chose pour le compte rendu. Nous avons eu le cas du responsable d'un organisme à qui nous avons demandé à plusieurs reprises de comparaître. Chaque fois, on nous répondait qu'il ne pouvait pas pour telle ou telle raison.

Nous avons fini par dire : « Si vous ne vous présentez pas de bon gré, nous devrons vous faire traduire devant nous. » La personne s'est présentée.

La question de la citation à comparaître doit être posée. Au moins, en cas de besoin, vous avez ce recours.

Il y a d'autres questions, dans le domaine de la sécurité publique, par exemple celle d'Air India, qui est toujours sous enquête. L'organisme d'enquête peut avoir besoin que quelqu'un soit appelé à témoigner. Je ne sais pas. Ce que je dis, c'est que ça peut être utile en dehors de la fonction publique.

M. Patrice : En référence à ce qu'a dit le président et aux commentaires du sénateur Kenny, concernant les comités parlementaires et les rapports avec les témoins, j'ai dû, au cours de ma carrière, émettre des assignations au nom d'un comité pour faire comparaître des témoins. C'est un modèle un peu différent de celui que nous avons ici, qui est un comité de l'exécutif, essentiellement.

Évidemment, on ne dispose pas de la totalité de l'information ou du contexte au sujet du rôle de ce comité, qui pourrait sortir du cadre de la fonction publique et des organismes de sécurité. On manque de contexte pour déterminer si le pouvoir de citation à comparaître serait nécessaire ou pour apprécier la coopération que le CSARS reçoit de ces différentes agences, mais certainement le modèle est un peu différent de celui du CSARS.

La sénatrice Lankin : L'objet du projet de loi, repris dans son titre, consiste à créer un comité de parlementaires. On parle et on parle de ce que ça pourrait être d'autre, mais c'est une décision politique qui nous a été présentée en qualité de comité de parlementaires. C'est la mécanique de ce comité et pas de quoi que ce soit d'autre qui doit être au centre de nos discussions.

Je sais que mes exigences concernant la portée passent mal au Sénat, mais dans la perspective de la Chambre des communes — non, je ne peux pas vous demander ça.

J'essaie de circonscrire le débat à ce qui nous occupe aujourd'hui, par opposition à ce que nous aimerions voir dans l'avenir. Je ne sais pas. Est-ce que le titre du projet de loi ne nous dit rien quant à l'orientation et à l'objectif politique recherchés?

M. Robert : Oui, je pense que oui. Il s'agit de créer une entité, un réceptacle pour recevoir des informations importantes au regard de la sécurité nationale. Un organisme appelé à devenir permanent. Il aura un secrétariat pour l'appuyer. Un directeur exécutif à sa tête. Il s'agit d'une opération sérieuse, mais ceux qui ont le droit de recevoir cette information, de bénéficier de l'existence du secrétariat, sont identifiés dans ce projet de loi comme un regroupement de parlementaires.

Comme nous l'avons dit plus tôt et il nous faut, je pense, insister sur ce point, c'est une créature de l'exécutif. Il existe de par la loi. Il est destiné à fournir un canal de communication concernant les problèmes de sécurité nationale aux parlementaires, mais les parlementaires destinataires de cette information sont soumis à certaines contraintes qui visent à préserver la sécurité nationale.

Le président : Chers collègues, nous en arrivons à la conclusion de cette partie. Je voudrais revenir une fois encore sur la question du privilège, de ce à quoi un député devrait renoncer pour siéger à ce comité.

On nous a dit, et c'est consigné au compte rendu, que le recours ultime des parlementaires de ce comité, lorsque quelque chose cloche selon eux et qu'ils ne sont pas d'accord sur certains aspects de la sécurité publique, c'est la Chambre des communes ou le Sénat, qui leur offrent une tribune du haut de laquelle ils peuvent tonner pour tenter d'infléchir l'action du gouvernement dans certains domaines.

La question que je me pose est la suivante : si je siégeais sur ce comité, moi ou tout autre membre ici présent, sans privilège parlementaire et sans pouvoir exprimer librement mes idées sur ce qui se passe, j'éprouverais sans doute quelque réticence à exprimer mes opinions ne sachant trop si je m'expose par-là à des poursuites sur la base d'allégations relatives à des commentaires que j'aurais pu faire alors que je tonnais du haut de la tribune que m'offre la Chambre des communes. Telle est ma question.

M. Patrice : C'est une question intéressante. De toute évidence, quelqu'un qui fait partie de plus d'un comité pourrait parfois être placé dans des situations délicates en raison des informations obtenues au sein des deux tribunes. Cela ne fait aucun doute.

Encore une fois, il faut faire des choix et prendre des décisions à savoir si vous voulez faire partie d'un comité, si vous êtes la personne toute désignée pour participer aux travaux de ce comité des parlementaires et si vous aurez toute la liberté d'action voulue au sein de cette tribune.

Le sénateur White : Des dirigeants d'organismes qui comparaissent chaque jour devant ce comité ne peuvent pas toujours discuter de tout ce qu'ils savent, mais en cinq ans, je n'ai jamais vu aucun d'entre eux se trouver véritablement en position de réel danger. Ils sont placés dans cette situation chaque jour.

Je suis d'accord. En fin de compte, il s'agit de déterminer si vous pouvez le faire et, si c'est impossible pour vous, vous ne siégez pas au comité.

M. Patrice : Exactement.

Le président : Chers collègues, j'aimerais remercier tous nos témoins. Le prochain témoin comparaîtra par vidéoconférence.

Dans le cadre de notre deuxième groupe de la journée, nous accueillons par vidéoconférence, du Royaume-Uni, sir Malcolm Rifkind, ex-président du Comité du renseignement et de la sécurité du Parlement britannique. Sir Malcolm a été député et ministre sous les gouvernements de Margaret Thatcher et de John Major.

Bienvenue au comité, sir Malcolm. On nous a dit que vous aviez une déclaration préliminaire, mais nous vous demandons de ne pas parler trop vite étant donné qu'un interprète traduira vos paroles. Nous vous écoutons.

Le très honorable sir Malcolm Rifkind, KCMG, C.P., c.r., ex-président du Comité du renseignement et de la sécurité du Parlement (Royaume-Uni) : Merci beaucoup. C'est un grand privilège d'être invité à comparaître devant un comité sénatorial du Parlement canadien. Je ferai une déclaration préliminaire relativement courte afin de laisser un maximum de temps à vos collègues qui auront des questions à me poser.

J'ai présidé le Comité du renseignement et de la sécurité du Royaume-Uni de 2010 à 2015, soit pendant cinq ans en tout. J'aimerais d'abord vous décrire un peu le contexte. Jusqu'aux années 1990, aucune surveillance parlementaire n'était exercée relativement à nos services du renseignement et ces services n'étaient même pas encadrés par une loi. Ils relevaient de la responsabilité ministérielle et exécutive.

Pour diverses raisons, il a été décidé dans les années 1990 de modifier ce système et de créer une loi pour réglementer nos agences de renseignement. Dans le cadre de cette loi, vers 1995 pour la première fois, le Comité du renseignement et de la sécurité a été créé. C'est une loi qui a porté création du comité, mais elle précisait que tous ses membres devaient être membres de la Chambre des communes ou de la Chambre des lords. Ils devaient tous avoir été nommés par le premier ministre et, dans le cas des membres de l'opposition, après consultation des dirigeants des partis d'opposition.

Puisque j'étais ministre de la Défense à l'époque, j'ai participé à certains travaux préparatoires pour ce comité. Les agences de renseignement au Royaume-Uni étaient extrêmement nerveuses. Elles étaient non seulement assujetties à une loi, ce qui ne les dérangeait pas, mais des parlementaires auraient pour la première fois la possibilité de les interroger, de les contre-interroger et d'avoir accès à certains de leurs documents. Afin d'obtenir leur collaboration et d'assurer une transition en douceur, le gouvernement a accordé des pouvoirs relativement modestes au comité dans le projet de loi d'origine, qui a constitué la loi initiale.

Par exemple, le comité avait le droit de demander des informations à nos agences de renseignement, mais il ne pouvait les exiger. Même si les agences ont toujours répondu à nos demandes, elles avaient évidemment la liberté de choisir ce qu'elles voulaient bien nous révéler. Elles n'avaient aucune obligation de tout révéler. Elles jugeaient elles-mêmes de ce qu'elles estimaient opportun de communiquer, et il en a résulté des difficultés considérables au fil des ans.

Les responsabilités prévues dans la loi pour le Comité du renseignement et de la sécurité étaient plutôt modestes. Elles consistaient à s'occuper des politiques, de la situation financière et des ressources des agences de renseignement. Il n'était même pas question dans la loi du sujet qui intéresse le plus le public et le Parlement, à savoir les opérations. Ce n'était pas l'un des pouvoirs accordés au comité.

En réalité, dans les années qui ont suivi, même sans modification de la loi, les pouvoirs du comité ont été élargis, surtout parce que plusieurs gouvernements ont jugé utile, en cas de problème majeur concernant nos agences de renseignement, soit un échec du renseignement, quelque chose d'aussi important, un incident terroriste, ou autre chose de ce genre, de pouvoir dire : « Nous avons invité le Comité du renseignement et de la sécurité à enquêter sur cette question et nous lui accordons un soutien total à cet égard. »

Permettez-moi de décrire la situation au comité jusqu'à 2012, c'est-à-dire il y a cinq ans, lorsque le comité que je présidais a pris la relève. Nous avons procédé à un examen en profondeur de la situation et avons jugé qu'une augmentation radicale des pouvoirs était requise. J'ai alors eu une discussion préliminaire avec David Cameron, le nouveau premier ministre, qui a déclaré que le gouvernement était d'accord en principe pour moderniser les pouvoirs du comité et lui donner plus de mordant, pour ainsi dire.

Je résume évidemment, mais les principales différences approuvées par le Parlement dans la loi de 2013 sur la justice et la sécurité ont tout d'abord accordé au comité le pouvoir d'exiger que les agences de renseignement fournissent des renseignements qui se trouvaient dans leurs dossiers à la demande du comité. Le mot « exiger » n'est limité d'aucune façon que ce soit. Les agences de renseignement ne peuvent refuser de fournir les renseignements que le comité exige. Si elles estimaient que nos exigences étaient déraisonnables, leur seul recours consistait à s'adresser au premier ministre et, bien entendu, un premier ministre était très réticent à se ranger du côté d'agences de renseignement au détriment d'un comité parce qu'il aurait dû ensuite défendre cette décision.

Rien n'indique à ce jour qu'un premier ministre ait choisi d'agir de cette façon, ou même que des services de renseignement aient fait appel au premier ministre, parce qu'ils savent que la loi vise d'abord à ce que le Comité du renseignement et de la sécurité ait un accès complet aux renseignements qu'il demande.

En vertu de la deuxième modification d'importance, les opérations sont désormais mentionnées expressément dans la loi, si bien que le Comité du renseignement et de la sécurité a le plein pouvoir d'examiner les opérations de renseignement du MI6, du MI5, du GCHQ, et ainsi de suite. La seule limite, et nous y avons nous-mêmes consenti, c'est que notre examen et nos pouvoirs, en ce qui a trait aux opérations, doivent être rétrospectifs. Nous n'avons ni demandé ni réclamé à aucun moment d'obtenir le pouvoir d'enquêter sur une opération pendant son déroulement, puisque nous estimons que la plupart de ces opérations sont déjà tellement difficiles que la dernière chose à faire dans l'intérêt national consisterait à surveiller les agences pendant qu'elles travaillent.

Nous sommes conscients du fait qu'en limitant nos pouvoirs à des opérations rétrospectives, nous courons le risque que les agences de renseignement étalent des opérations sur plusieurs années et puissent ainsi, en pratique, bloquer les enquêtes pendant cette période. En conséquence, la loi en tant que telle ainsi qu'un protocole d'entente que nous avons conclu avec le gouvernement pendant que la loi était approuvée par le Parlement précisent les critères qui permettent de déterminer si la condition de la rétrospection est remplie sur le fond, de façon que les agences ne puissent contourner les règles de façon déraisonnable.

En raison d'un autre changement majeur, lorsque le comité a été initialement mis sur pied, c'était sans aucun doute un comité de parlementaires, mais ce n'était pas essentiellement un comité du Parlement, puisque le premier ministre exerçait tous les pouvoirs pertinents quant au personnel du comité. Nos rapports étaient destinés au premier ministre, et ils n'étaient publiés qu'une fois que le premier ministre et ses collègues l'avaient examiné. Cela a maintenant changé.

Le premier ministre recommande encore les membres du Comité du renseignement et de la sécurité, mais ces recommandations doivent ensuite être approuvées par le Parlement. Si le Parlement rejette un ou la totalité des membres, le premier ministre doit recommencer et recommander de nouvelles personnes. En ce qui a trait aux rapports, ils sont maintenant soumis conjointement au Parlement et au premier ministre plutôt que seulement au premier ministre en première instance. Il y a eu un certain nombre d'autres réformes détaillées de ce genre.

Je dois mentionner un autre changement majeur qui n'est pas inscrit dans nos lois, mais qui s'applique en pratique à l'heure actuelle et qui a été convenu avec les agences de renseignement. Nous avons estimé que si nous avions le pouvoir d'obliger les services de renseignement à fournir tous les renseignements dont nous avions besoin, nous devions avoir la certitude absolue, si nous l'indiquions dans notre rapport public, que cela avait effectivement été le cas.

Lorsque nous menons une enquête à l'heure actuelle, les agences de renseignement épluchent tous leurs dossiers. Ils nous envoient tous les renseignements demandés. Elles appliquent le critère selon lequel les renseignements qu'elles nous envoient doivent être exactement les mêmes que si c'est un tribunal ou un juge qui les avaient exigés. Elles ont en outre convenu que les membres de notre personnel ont désormais le droit d'entrer dans les locaux du MI6, du MI5 et du GCHQ et d'examiner les dossiers, en particulier ceux qui ont trait à notre enquête, mais que l'agence a estimé redondants ou pas assez importants pour justifier le temps que nous y aurions consacré.

Il nous est arrivé de trouver des documents, et je le dis sans aucune intention sinistre, qui sont venus corroborer ou ajouter des preuves que nous n'aurions peut-être pas eues autrement. Ce changement s'est révélé d'une très grande utilité. À bien y réfléchir, il est remarquable que les parlementaires au sein du comité aient le droit, eux-mêmes ou par l'entremise de leur personnel, d'entrer dans les locaux de ces agences et d'enquêter sur tout ce qu'elles font.

Si je peux faire un dernier commentaire dans le cadre de mes remarques préliminaires, je ne suis pas un expert, mais j'ai pris connaissance des détails généraux du genre de comité que vous envisagez. Il est décrit dans le document qu'il aurait pour fonction d'assurer la surveillance et le suivi des opérations de chaque ministère et organisme gouvernemental ayant des responsabilités en matière de sécurité nationale.

Cela me semble plutôt différent du mandat du Comité du renseignement et de la sécurité du Royaume-Uni. Notre mission concerne essentiellement le renseignement et les agences de renseignement. Nous ne dépassons le cadre des agences de renseignement qu'en face d'un certain aspect du renseignement en ce qui concerne les activités des ministères ou d'autres activités de ce genre.

Par exemple, notre ministère de la Défense a ses propres attributions de renseignement de la défense en partie pour aider les militaires, mais certains de nos meilleurs analystes du renseignement au Royaume-Uni se trouvent dans le domaine du renseignement de la défense et nous surveillons leurs activités. Nous surveillons le renseignement de la défense, mais pas celui du reste du ministère britannique de la Défense.

De même, si nous entendons le témoignage du ministre des Affaires étrangères, qui a la responsabilité légale du MI6 et du GCHQ, ou du ministre de l'Intérieur, qui a la responsabilité du MI5, notre interrogation, notre contre-interrogation et nos recommandations ne dépasseront pas l'aspect du renseignement en tant que tel. Évidemment, il faut inévitablement inclure parfois des questions qui concernent la sécurité nationale, mais notre Parlement dispose d'un comité mixte de la Chambre des communes et de la Chambre des lords sur la sécurité nationale, qui a pour objectif principal de se pencher sur les questions de sécurité nationale. La différence fondamentale entre les deux comités est que le comité mixte est un comité parlementaire ordinaire et, comme tous les comités parlementaires en Grande-Bretagne, il n'a pas accès aux renseignements classifiés. Il n'obtient jamais de renseignements classifiés ou secrets.

Dans le cas du Comité du renseignement et de la sécurité, c'est presque exactement l'inverse. Nous avons un accès complet aux renseignements très secrets. En conséquence, si des documents doivent faire l'objet d'une surveillance parlementaire, y compris des dossiers policiers qui comportent des renseignements secrets, nous avons le pouvoir d'entendre des témoignages et de faire des recommandations à ce sujet.

Le président : Merci beaucoup. Commençons par le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Rifkind. Le gouvernement canadien dit s'être inspiré des Britanniques pour rédiger le projet de loi C-22. Le projet de loi dont nous sommes saisis fait en sorte que le premier ministre a déjà choisi le président de ce futur comité sans faire de consultation et avant même la nomination des membres du comité. Dans quelle mesure votre façon de faire, qui a évolué au fil des ans, est-elle plus démocratique et plus crédible?

[Traduction]

M. Rifkind : Jusqu'au moment de ma propre nomination inclusivement, cela se passait exactement comme vous venez de le décrire. David Cameron m'a nommé président du Comité du renseignement et de la sécurité à l'époque, et ce n'est qu'après cette nomination que celle des membres du comité a débuté.

Conformément aux dispositions en place depuis l'entrée en vigueur de notre Loi sur la justice et la sécurité, des changements substantiels ont été apportés. Comme je l'ai dit plus tôt, le premier ministre recommande tous les membres du comité. Si le Parlement approuve ces recommandations, les membres désignent un président parmi eux lors de leur première réunion. Le président peut provenir du gouvernement ou de l'opposition. Normalement, on pourrait s'attendre à ce qu'il provienne du parti majoritaire au sein du comité, mais ce n'est pas automatique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup. J'aimerais entendre votre opinion sur la procédure de rédaction du rapport du comité. Le projet de loi prévoit, en matière de rédaction, une consultation entre le premier ministre et le président du comité, qu'il aura nommé. Chez vous, le premier ministre doit consulter non pas le président du comité, mais tout le comité. Qu'est-ce que cela change?

[Traduction]

M. Rifkind : La meilleure façon de répondre à votre question consiste peut-être à expliquer très brièvement la procédure.

Lorsque nous préparons notre ébauche de rapport et que nous en sommes satisfaits, et seulement à ce moment, nous l'envoyons au Cabinet du premier ministre. Nous ne l'envoyons pas là pour qu'il soit approuvé. J'ai dit plus tôt que lorsque notre rapport est publié, il l'est simultanément pour le Parlement et le premier ministre, mais s'il est envoyé à son Cabinet, c'est pour que nous puissions savoir quels passages devront être expurgés et qui n'apparaîtront donc pas dans la version publique.

Nous n'envoyons pas immédiatement le rapport au premier ministre. Dans la pratique, nous envoyons d'abord notre projet de rapport aux agences de renseignement afin de savoir quels passages devront être expurgés. Elles exigent parfois que d'importants passages soient supprimés, et il nous arrive de ne pas accéder à leurs demandes. Elles ne peuvent pas décider; elles ne peuvent que recommander. Nous acceptons certaines de leurs recommandations ou nous les rejetons.

Une fois ce processus terminé, nous envoyons notre rapport. Le premier ministre ne peut pas le modifier; il ne peut y apporter aucun changement. Il ne peut qu'indiquer que certains mots, phrases ou paragraphes ne peuvent pas être dans la version publique puisqu'ils pourraient menacer la sécurité nationale.

Il commencerait par nous relancer puisque nous préférons toujours assumer la responsabilité de ces caviardages. Nous arrivons normalement à nous entendre. À ma connaissance en effet, il n'est encore jamais arrivé que le premier ministre prenne une décision finale sur des caviardages dont nous n'étions nous-mêmes pas persuadés du caractère délicat, mais il a tout de même le pouvoir, si nous n'arrivons pas à nous entendre, de prendre cette décision finale.

À l'origine, lorsqu'un rapport était publié, nous avions l'habitude de décider unilatéralement de simplement laisser des espaces vierges à la place du matériel expurgé, ce qui pouvait parfois être très gênant quand cela représentait la moitié d'un rapport, s'il s'agissait d'un dossier plutôt délicat. Nous utilisons maintenant des astérisques, qui indiquent essentiellement qu'une certaine partie du matériel a été expurgée de la version publique.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup, monsieur Rifkind, de vous joindre à nous. Votre expérience peut nous être très utile.

Je peux commencer par dire que j'ai eu l'honneur de vous rencontrer avec certains membres de votre comité. Je ne me rappelle pas si c'était en 2011 ou en 2012 lorsque vous êtes venu en visite ici. J'étais membre du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à cette époque. Vous nous aviez rendu visite et nous avions parlé de votre comité des parlementaires. Vous nous aviez parlé du slogan que certaines personnes utilisaient : « Nous allons marcher avant de courir; nous allons acquérir de l'expérience. »

Vous nous aviez également dit que vous aviez eu assez rapidement accès aux pouvoirs du comité qui dépassaient le mandat initial, et ce, avec l'appui des agences et du premier ministre.

Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet, dans le contexte où certaines personnes disent que le gouvernement ici aurait dû tirer des leçons du Royaume-Uni et ne pas mettre sur pied un comité constitué de parlementaires, mais plutôt se tourner directement vers un comité parlementaire. Ce n'est pas le mandat qui nous est proposé dans ce projet de loi.

Pourriez-vous nous parler de la façon dont les choses ont évolué chez vous?

M. Rifkind : Oui, sénatrice, je me souviens bien de notre rencontre avec vous et vos collègues. Vous me voyez ravi d'avoir pu vous être utile.

Je devrais préciser que nous ne sommes pas, même maintenant, un comité du Parlement au sens courant parce que nous demeurons un comité créé en vertu d'une loi. Nous avons changé notre nom. De Comité du renseignement et de la sécurité, nous sommes passés à Comité du renseignement et de la sécurité du Parlement, mais nous ne constituons pas un comité restreint. À plusieurs égards, nous sommes très différents, encore aujourd'hui, d'un comité ordinaire du Parlement.

Tout d'abord, la composition de bon nombre de nos comités spéciaux est désormais déterminée par la Chambre des communes comme telle, c'est-à-dire par les députés, plutôt que d'être nommée par le premier ministre. Cette façon de faire est devenue relativement inhabituelle. Bien entendu, 95 p. 100 de nos séances se déroulent à huis clos, sans que personne ne puisse comparaître à part nos témoins et notre personnel.

Il existe un certain nombre d'autres façons de procéder. J'ai entendu quelques-unes de vos discussions précédentes au sujet du privilège parlementaire. Comme nous ne sommes pas un comité du Parlement, nous ne bénéficions pas du privilège parlementaire. Il y a des raisons pour lesquelles nous affichons un certain détachement à ce sujet, mais j'y reviendrai plus tard.

La manière dont les choses ont évolué chez nous peut s'expliquer de plusieurs façons. Tout d'abord, sur le fond comme sur la forme, depuis sa création, notre comité est véritablement bipartite contrairement, par exemple, aux comités du Sénat ou du Congrès aux États-Unis, au sein desquels les républicains et les démocrates votent souvent de différentes façons. Je peux dire avec certitude qu'aucun vote politique n'a été décidé selon la discipline de parti au sein de notre comité depuis sa mise sur pied en 1995. Chaque député peut exprimer son désaccord avec la majorité, mais aucun vote n'est décidé suivant la division des partis.

Comment expliquer cela? Les raisons sont nombreuses, mais la première saute aux yeux. Nos réunions sont tenues à huis clos et nos délibérations ne sont pas publiées. Il n'y a aucun avantage politique particulier à tirer dans les médias un jour donné ni les jours suivants.

En outre, les personnes normalement invitées à siéger au comité sont des parlementaires relativement chevronnés. Certains ont été ministres et n'ont plus d'ambitions ministérielles. Ils ont aussi tendance à savoir comment bien gérer le renseignement.

Ces facteurs ont amené les agences de renseignement à avoir une plus grande confiance, et ce, non seulement pour partager certains faits avec nous. Certains des renseignements les plus importants que nous obtenons des dirigeants du renseignement qui témoignent devant nous apparaissent non seulement dans leurs documents, mais concernent leur jugement quant aux chances de succès ou aux risques d'échec d'une activité de renseignement. Par activité de renseignement, je ne veux pas simplement dire qu'ils font partie de l'activité de renseignement. Par exemple, il y a eu un échange au moment où l'Iran développait des armes nucléaires ou était perçu comme se constituant une réserve d'armes nucléaires. Les dirigeants nous faisaient part de leur perception quant aux chances de réussite ou non des tentatives internationales de limiter ces activités.

Enfin, j'aimerais souligner un dernier point qui pourrait être important pour votre comité, à savoir que l'une des raisons pour lesquelles nous avons développé une relation très constructive avec les agences de renseignement, c'est que j'ai clairement établi dès le début, et mes collègues étaient d'accord avec moi à ce sujet, que nous devions non seulement siéger à huis clos, mais aussi publiquement. L'objectif de notre comité était double. Tout d'abord, nous devions effectivement surveiller les agences de renseignement et, si elles faisaient quelque chose de stupide, de mal ou d'inopportun, nous devions le dire publiquement, si nous le pouvions. Cela les gênait, mais c'était notre fonction. Nous avions également un deuxième objectif, qui s'est également révélé très important. Si les agences de renseignement étaient soumises à des attaques injustes dans les médias ou au Parlement, et si elles n'étaient pas capables de s'en défendre ouvertement et publiquement en raison de leur statut d'agences de renseignement, en théorie, le gouvernement pouvait les défendre, mais comme il s'agissait de leur employeur, il n'aurait pas été considéré comme un arbitre indépendant. Nous étions les seuls à pouvoir effectivement examiner les faits réels allégués et juger si une attaque était justifiée ou non.

Cela s'est produit lorsque, lors de l'affaire Snowden, le GCHQ, vous vous en souviendrez, a été accusé dans le journal le Guardian et ailleurs d'avoir demandé aux États-Unis d'obtenir sur diverses personnes du Royaume-Uni des renseignements qu'il n'avait pas le droit d'obtenir. C'était une allégation très grave. Nous avons immédiatement enquêté. Nous avons eu accès à tous les renseignements, et ceux-ci nous ont permis de conclure que les allégations ne reposaient sur aucun fondement. C'est un très bon exemple. Parce que cela s'est produit, pas souvent, mais une ou deux fois, les agences de renseignement ne nous considèrent pas comme un allié. Elles savent que nous n'hésiterons pas à les critiquer si elles font quelque chose de mal, mais elles trouvent également très encourageant et apaisant de savoir qu'il existe un groupe constitué de parlementaires qui peut effectivement se pencher sur ce qu'il considère comme des allégations non fondées contre elles.

Le président : Chers collègues, il nous reste 30 minutes et 7 personnes ont des questions à poser. Soyez bref. Je demande aussi à notre témoin de faire preuve de concision, s'il le peut, dans ses réponses.

La sénatrice Beyak : Merci, sir Malcolm, pour vos connaissances très utiles et bien éclairées. Vous allez aider notre comité avec ce que vous nous apprenez aujourd'hui.

Je pense que vous avez déjà parlé de ma principale préoccupation, parce que vous vous réunissez surtout à huis clos et parce que vos témoins et vos dénonciateurs sont protégés. Il n'y a rien dans notre loi qui en fait autant. Il n'y a pas de protection parlementaire prévue pour les témoins ou pour quiconque souhaite divulguer des renseignements confidentiels au comité. En fait, le comité tel que proposé ne peut pas réclamer des documents ou convoquer des témoins.

Dans quelle mesure estimez-vous important qu'un tel comité ait le pouvoir de protéger les témoins et les dénonciateurs qui cherchent à divulguer des renseignements au comité? Je pense que vous y avez déjà répondu.

M. Rifkind : J'y ai répondu en partie. Évidemment, parce que nous traitons uniquement avec nos personnes du renseignement, et non de sécurité nationale en tant que telle, pendant mes cinq années à la présidence du comité, je ne me souviens pas avoir accueilli un témoin qui ne provenait pas des agences de renseignement ou qui n'était pas un ministre responsable d'une de ces agences. Nous n'avions pas besoin d'inviter des gens du grand public.

En ce qui concerne le privilège parlementaire, nous n'en avons pas parlé. À un certain moment, nous avons pensé qu'il serait utile d'obtenir un privilège parlementaire, mais en fin de compte, nous avons laissé tomber parce que les avocats nous ont informés que le privilège parlementaire ne pouvait être créé que par le Parlement comme tel, et que si nous essayions de l'inscrire dans une loi, cela pourrait accorder aux tribunaux la préséance sur le Parlement. Au Royaume-Uni, et je ne sais pas si c'est pareil au Canada, la souveraineté du Parlement est telle que les tribunaux ne peuvent pas poser de questions sur la façon dont le Parlement prend ses décisions et sur les questions de privilège parlementaire.

Nous n'avions pas l'impression d'en avoir besoin. Pendant toutes les années où nous avons opéré, il n'y en a jamais eu et cela n'a causé aucun problème.

Le sénateur Enverga : Sir Malcolm, merci d'être ici. Votre sagesse et votre expérience nous sont très précieuses.

Pourquoi est-il avantageux d'en arriver à un consensus entre les partis à la mise sur pied de ce comité? Le texte législatif proposé par le gouvernement a amené les partis de l'opposition à la Chambre des communes à voter contre le projet de loi. Ces partis ont préparé la mise sur pied d'un comité parlementaire, mais on leur a dit qu'ils n'étaient pas prêts et qu'ils ne pouvaient créer un tel comité.

Du point de vue du Royaume-Uni, selon votre vaste expérience parlementaire, pouvez-vous nous dire pourquoi il est important pour nous d'en arriver à un consensus entre les partis sur ce projet de loi, y compris pour déterminer la façon dont le président est élu?

M. Rifkind : C'est important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, je pense que la plupart des députés et le grand public vous diront qu'en matière de sécurité nationale et d'agences de renseignement, tous les députés et tous les partis politiques au Parlement croient en la sécurité nationale et en la nécessité d'avoir de solides agences de renseignement qui sont en mesure de protéger le public. En conséquence, vous commencez par établir que l'agence ne doit pas être de nature partisane. Il n'y a aucun avantage à adopter une approche automatiquement partisane.

Ce n'est pas tout, car c'est aussi une question pratique. Lorsque les agences de renseignement se présentent régulièrement devant nous afin de nous fournir des preuves pendant des heures plusieurs fois par an, l'échange est beaucoup plus fructueux si leurs représentants estiment que les membres du comité ne sont pas seulement là pour marquer des points sur le plan politique lors des discussions ultérieures.

Le troisième point est, bien entendu, la réputation du comité lui-même. Si dans nos rapports, une fois publiés, on constatait que la majorité des membres d'un parti faisait des recommandations avec lesquelles la minorité n'était pas d'accord ou n'était pas d'accord en partie, cela affaiblirait l'efficacité du rapport en soi. Il est plus facile pour ceux qui n'aiment pas nos recommandations de les rejeter comme des positions purement partisanes.

Ce que je dis, et je le sais en théorie, pourrait s'appliquer à tous les comités spéciaux et les comités parlementaires. En réalité, l'activité principale au Parlement consiste à discuter en public de points de vue divergents. Il serait très inquiétant que les comités en arrivent toujours à un consensus et n'expriment pas de divergences de vues.

Personnellement, j'estime qu'au chapitre des services de renseignement nationaux et du rôle des agences de renseignement, il y a davantage à gagner qu'à perdre de l'adoption d'une approche bipartite pour les raisons dont je viens de parler.

Le sénateur Enverga : Pourriez-vous nous dire comment, selon vous, le président devrait être choisi?

M. Rifkind : Bien sûr. À l'origine, une ou deux personnes soutenaient que puisque nous réformions le comité, l'occasion était belle de permettre aux députés de voter pour ceux de leurs collègues qui voulaient siéger au comité? C'est ainsi que la plupart des membres de nos comités sont choisis. Le gouvernement ne participe pas du tout au processus.

Nous avons conclu, au grand soulagement du gouvernement selon moi, qu'il serait imprudent et potentiellement dangereux de procéder ainsi, et je vais vous expliquer pourquoi. Lorsque vous traitez avec des personnes qui doivent avoir accès aux renseignements les plus secrets au pays, vous devez avoir la conviction non seulement qu'ils sont loyaux et qu'ils ne vous trahiront pas, et nous supposons évidemment que tous les députés sont loyaux, mais il est tout aussi important que ces personnes sachent comment composer avec des renseignements secrets.

Le problème, c'est que les députés passent le reste de leur temps à parler aux médias. C'est leur travail. Une partie du travail d'un parlementaire consiste à faire part de ses opinions par l'intermédiaire des journalistes, dans les journaux et à la télévision. Si vous faites partie des députés qui, en plus de tous les autres renseignements dont ils disposent, ont également lu des dizaines de documents secrets qui, s'ils venaient à être révélés d'une façon ou d'une autre, même involontairement ou sans intention diffamatoire de la part des journalistes, pourraient gravement porter atteinte à l'intérêt national, cela irait à l'encontre de l'intérêt national. Malheureusement, cela signifie aussi que les dirigeants du renseignement, lorsqu'ils viennent témoigner, doivent tenir compte de ce risque. S'ils croient que même un seul membre du comité est indiscipliné ou aime parler aux journalistes afin de prouver qu'il sait beaucoup de choses, ils ne vous donneront pas leurs opinions en toute franchise.

Ce n'est pas arrivé dans notre comité, mais je sais que dans un important comité spécial de la Chambre des communes, dont l'un des membres aimait dévoiler aux journalistes ce qu'il avait appris de façon confidentielle au comité, quand des gens venaient témoigner devant ce comité, ils ne divulguaient rien qui n'était pas déjà du domaine public, parce qu'ils ne pouvaient pas prendre ce risque.

Pour conclure très brièvement, c'est la raison pour laquelle nous avons jugé que le premier ministre devait faire la recommandation initiale, mais qu'à la différence de ce qui se passait auparavant, il ne devait pas avoir le dernier mot. Dans l'éventualité où le Parlement n'aimerait pas les personnes qu'il recommande, il faudrait qu'il en trouve d'autres qui répondent aux critères.

La sénatrice Moncion : Bonjour, sir Malcolm. J'aimerais connaître la structure de gouvernance de votre comité et le type d'information qui se trouve dans vos règlements administratifs.

M. Rifkind : Quand vous parlez de « structure de gouvernance », que voulez-vous dire?

La sénatrice Moncion : Au sein de votre comité.

M. Rifkind : Comment fonctionne mon comité?

La sénatrice Moncion : Oui, et si vous avez défini ce fonctionnement dans vos règlements.

M. Rifkind : La seule chose qui est écrite, c'est qu'il y a un président qui est choisi par les autres membres du comité. Lorsque ce président est choisi, il demeure président pour le reste de cette législature, jusqu'à la prochaine élection générale. Le comité se dissout automatiquement quand une élection générale est déclenchée et il doit ensuite être reconstitué.

Dans la pratique, lorsque j'étais président, j'étais du Parti conservateur et mon vice-président de fait, même s'il ne s'était pas officiellement déclaré comme tel, était un membre de haut rang du Parti travailliste, un membre principal de l'opposition au sein du comité, simplement parce que cette façon de faire fonctionnait bien et qu'elle était plus sensée.

Nous comptons un greffier et un membre du personnel, comme on aurait pu s'y attendre, mais ce sont vraiment les seuls aspects de la gouvernance. Je dois également préciser que les bureaux que nous occupions appartenaient au gouvernement. Il le fallait parce qu'il devait avoir l'assurance, sur le plan de la sécurité et des structures de sécurité nécessaires, que les dossiers très secrets que nous gardions au bureau ne pouvaient aboutir entre les mains d'éléments hostiles. C'était une opération assez coûteuse, mais même si nos bureaux étaient fournis par le gouvernement et qu'ils ne relevaient pas de notre budget, dans la pratique, nous avions le contrôle de ce qui s'y passait.

La sénatrice Moncion : J'aimerais approfondir cette question. Avez-vous des règles précises auxquelles vous vous astreignez, ou est-ce plutôt, non pas le laisser-aller, mais un cadre à respecter? Vous courez le risque d'être infiltrés par des agents doubles qui pourraient prendre connaissance de renseignements auxquels ils ne devraient pas avoir accès. Avez-vous établi une série de règles à observer?

M. Rifkind : Pas une série de règles comme telle, mais j'aimerais répondre à votre question un peu différemment. Nous déterminons nos propres objectifs. Le gouvernement ne peut nous ordonner d'accomplir des tâches. Il peut nous inviter à le faire, mais c'est nous qui décidons.

Par exemple, alors que nous étions déjà en train de mener une enquête et que le gouvernement voulait que nous en débutions une autre, nous lui avons répondu que nous ne le ferions que s'il fournissait des ressources supplémentaires pour nous permettre de faire notre travail sans que la qualité en souffre.

La façon dont le comité fonctionne au jour le jour consiste essentiellement pour le président à travailler en étroite collaboration avec le greffier et à consulter les autres membres, mais lorsque nous recueillons des preuves, notre façon de procéder, selon ce que je peux voir, est très semblable à la vôtre. Le président invite tous ses collègues à poser les questions qu'ils jugent appropriées aux témoins qui comparaissent devant eux.

La sénatrice Moncion : Je vous remercie.

Le sénateur Harder : Merci beaucoup. J'aimerais savoir comment vous voyez la relation entre le comité et les membres de son personnel de soutien, et savoir comment ils ont contribué, surtout aux premières étapes, à développer la culture que vous avez décrite et qui a permis aux agences et aux parlementaires d'être plus à l'aise avec le travail du comité en tant que tel?

M. Rifkind : Les membres du personnel ont un rôle absolument essentiel puisque d'une certaine façon, ils sont les gardiens de l'histoire du comité ainsi que de ses documents. Les députés, comme nous le savons tous, vont et viennent. Certains restent longtemps et d'autres ne sont que de passage. Il est très important que le patrimoine de sagesse du comité, dans la mesure où il existe, soit transmis aux prochaines générations de ce comité.

Le premier ministre essaie habituellement, avec l'aide du Parlement, d'assurer une certaine continuité dans la composition des comités, s'il est pratique de le faire. Idéalement, au moins trois ou quatre membres doivent avoir servi au sein de la législature précédente. Le président est soit quelqu'un qui a déjà été membre du comité, soit un ministre. Lorsque j'étais ministre des Affaires étrangères, puisque j'étais le ministre responsable du MI6 et du GCHQ, j'avais déjà une expérience du renseignement d'un point de vue ministériel. J'étais donc devenu une sorte de garde-chasse, mais j'avais l'expérience souhaitée, dans une certaine mesure. Dans notre cas, nous avons été chanceux puisque la dame qui est greffière du comité occupe effectivement ce rôle depuis environ 10 ou 12 ans et a beaucoup de connaissances sur les précédents et ainsi de suite.

Je dois aussi préciser que nous n'avions pas ce pouvoir auparavant, mais que nous pouvons désormais nous adresser à des consultants de l'extérieur pour obtenir des conseils spécialisés. Par exemple, lorsque nous faisions une enquête sur le GCHQ, nous avions besoin de bon nombre de connaissances scientifiques et techniques détaillées sur la cybersécurité. Or, en notre qualité de parlementaires, nous possédions certaines connaissances générales, mais pas de connaissances spécialisées, mais nous avons eu la chance de pouvoir compter sur quelqu'un qui avait une autorisation de sécurité et qui a pu nous conseiller sur l'importance technique et scientifique de certaines des preuves que nous avons recueillies en ce qui concerne le renseignement de cybersécurité.

Le sénateur Harder : Je vous remercie.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. J'ai eu le plaisir de vous rencontrer un certain nombre de fois, en Angleterre et ici lorsque vous avez rencontré les membres de notre comité. Je tiens à vous remercier. Le gouvernement nous rappelle constamment de prendre notre temps et d'apprendre à marcher avant de courir, mais comme vous nous aidez dans ce processus depuis de nombreuses années, je tiens à vous en remercier.

J'ai deux questions à vous poser. L'une d'elles porte sur le fait que, lorsque ce comité sera formé, il lui faudra tout d'abord bâtir une relation de confiance avec la collectivité du renseignement. Vous avez rappelé que si quelqu'un parle à l'extérieur du comité du renseignement, celui-ci inspire soudainement moins confiance. Il serait intéressant de vous entendre parler de la façon dont vous vous y êtes pris pour créer ce lien de confiance et le maintenir en tout temps.

Les gens du renseignement peuvent ne pas aimer ce que vous dites, mais je sais que vous êtes juste et que vous avez instauré une relation de confiance.

M. Rifkind : Merci. Loin de moi l'idée de vous faire des recommandations quant au rythme à adopter pour changer les choses, c'est-à-dire quant à la nécessité d'aller vite ou pas.

La sénatrice Jaffer : Je cogitais, sans plus. Je m'interroge sur la question de la confiance.

M. Rifkind : Ça, je connais. Je voulais simplement vous rappeler une chose. Il vaudrait peut-être mieux ne pas aller trop vite dans la création du comité, car, advenant que vous vouliez le réformer ensuite, vous devrez attendre l'occasion de soumettre un nouveau projet de loi. Or, il faut parfois longtemps pour pouvoir étudier un texte sur le renseignement, parce que de telles mesures législatives ne retiennent pas beaucoup l'attention et que les gouvernements ont d'autres priorités.

Notre premier comité a été constitué en 1995 et nous avons dû en accepter les défauts, ou composer avec les structures hésitantes adoptées 17 ans plus tôt jusqu'à ce que nous ayons l'occasion de le réformer pour en faire ce qu'il est maintenant.

Il vous appartient de décider de ce que vous voudrez faire au début, mais il est important de maintenir le dialogue, surtout avec les patrons du renseignement pour qu'ils ne doutent pas que votre intention n'est pas de les menacer, que votre démarche s'inscrit dans la structure démocratique, que le renseignement doit tomber sous le coup des mécanismes de surveillance, et qu'on peut vous faire confiance dans la façon dont vous traiterez les renseignements de sécurité, à titre personnel ou en tant que collectif. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le fait d'avoir un comité bipartisan est certainement une excellente façon de mettre les gens en confiance.

Certains pourront vous demander : « Mais pourquoi donc vous donner tout ce mal? Après tout, les patrons du renseignement sont de simples fonctionnaires. Ils n'ont d'autre choix que de répondre à vos questions et de se soumettre à votre supervision. » Sur le plan constitutionnel, le raisonnement se tient, mais il se trouve qu'on a affaire à la nature humaine. Quand les gens se sentent menacés, ils limitent instinctivement les renseignements et les décisions qu'ils transmettent. Ils ne devront pas avoir la possibilité de restreindre les informations qu'ils communiquent, mais leurs jugements — sur les bons et les mauvais coups — seront teintés par l'impression qu'ils auront de votre sens de l'équité envers eux. Ils savent qu'ils seront critiqués.

Je me souviens de la fois où nous avions fait enquête sur un pataquès d'un de nos organismes du renseignement. Après avoir reçu notre ébauche de rapport, le responsable de l'organisme en question m'avait déclaré en privé : « Vos critiques sont tout à fait justifiées, mais vous nous faites passer pour une bande d'amateurs, pour des bons à rien qui font toujours tout de travers. » La question pour lui n'était pas le bien-fondé de nos critiques, mais le fait que nous ne les avions pas formulées en tenant compte de toutes les activités de son organisation.

Il nous appartient donc, en dernière analyse, d'écrire ce que nous voulons dans nos rapports, mais si nous pouvons ne pas donner l'impression de régler des comptes, de nous complaire à fustiger les gens visés par nos enquêtes, il y a beaucoup plus de chance alors que la surveillance porte fruit, puisque nous avons affaire à des adultes, conscients que les critiques peuvent être justifiées.

La sénatrice Jaffer : J'ai entendu des députés et des sénateurs parler de leur charge de travail. Tout comme vous l'avez fait remarquer à propos de la Chambre des lords, contrairement à nos collègues de l'autre côté, nous n'avons pas à nous faire élire. Pour un sénateur, membre de ce comité, la charge de travail est énorme.

Comment les membres de votre comité s'en sortent-ils? À quelle fréquence vous réunissez-vous, par semaine ou par mois? C'est très lourd d'essayer d'être à la fois parlementaire et membre de ce comité.

M. Rifkind : Cela demande beaucoup, mais la charge de travail n'est peut-être pas plus imposante que dans un autre comité parlementaire de premier plan. Le président ou le simple membre d'un tel comité aura l'impression que la charge de travail n'est guère différente.

Il y a cependant une différence majeure que vous n'avez peut-être pas mentionnée dans votre question. Habituellement, quand un parlementaire a beaucoup de travail, il peut prendre des dossiers chez lui, le soir. Il les lit après le dîner et travaille, disons, jusqu'à 23 heures.

Cependant, les documents relatifs à nos enquêtes sont tous très secrets et il nous est impossible d'en sortir un seul des bureaux du Comité du renseignement et de la sécurité. L'édifice dans lequel nous travaillons n'est pas très loin du parlement, à quelques centaines de mètres à peine.

Donc, le véritable fardeau tient au fait que les membres de ce comité doivent se réserver des périodes dans la journée, ou certains jours dans la semaine, pour aller dans le bâtiment afin de lire les mémoires et les autres documents qu'ils ne peuvent pas sortir. Sans cela, ils sont mal informés.

C'est là où, selon moi, la charge de travail est très différente de celle qui incombe aux membres des autres comités parlementaires.

La sénatrice Jaffer : Excusez-moi, mais je devrais connaître la réponse à cette question. Quelle est la composition de votre comité? S'agit-il d'un comité conjoint où siègent à la fois des députés et des sénateurs, ou avez-vous deux comités distincts?

M. Rifkind : Nous ne nous désignons pas sous l'appellation de comité conjoint. Nous sommes effectivement un comité de la Chambre des communes et de la Chambre des lords. Depuis toujours, pour des raisons évidentes tenant au fait que la Chambre des lords n'est pas composée d'élus, six ou sept membres du comité — mais il faudrait que je confirme mes chiffres — sont des députés et il n'y a qu'un représentant de la Chambre des lords, voire deux tout au plus. À un moment donné, nous en avons eu deux, et parfois et il n'y en a eu qu'un. Nous en comptons tout au plus deux. La représentation des partis reflète la composition actuelle de la Chambre des communes.

Le président : J'aimerais revenir sur deux questions, sir Malcolm.

La première concerne la question du privilège. Vous en avez un peu parlé tout à l'heure. Si j'ai bien compris, vous êtes effectivement un comité de la Chambre, mais votre existence est inscrite dans la loi.

M. Rifkind : Pas tout à fait. Nous ne sommes pas un comité de la Chambre des communes en tant que tel parce que nous sommes un comité du Parlement. C'est le Parlement qui établit le règlement et qui détermine quels comités sont créés.

Nous sommes une créature du Parlement. Nous sommes créés par une loi du Parlement et les juristes parlementaires nous ont indiqué que nous sommes très différents des autres comités et que nous n'avons pas, par exemple, automatiquement le privilège parlementaire qui accompagne la charge.

Nous n'aurions le privilège parlementaire que si le Parlement lui-même décidait de nous en accorder, ce qui n'est pas automatique parce que notre existence est déterminée en tout point par d'autres règles et procédures.

Le président : Poursuivons dans cette veine parce que la question du privilège a été soulevée à quelques reprises.

Le projet de loi dont nous sommes saisis indique clairement qu'en qualité de membres du comité, nous renonçons à notre privilège parlementaire, au sens des travaux du Parlement.

Cela est contraire à ce que vous venez de dire. Dans votre cas, vous pouvez demander à conserver ce privilège.

M. Rifkind : Nous sommes tous des parlementaires et nous jouissons donc tous, pour le travail que nous faisons à la Chambre des communes ou à la Chambre des lords, du même privilège que nos collègues. Rien ne change à propos des déclarations que nous pouvons faire en dehors du comité, en lien avec notre charge de parlementaires et nous ne sommes pas différents des autres.

Je voulais plutôt dire que les travaux du comité et ses rapports échappent aux règles régissant le privilège. Dans la pratique, cependant, cela ne nous a jamais posé le moindre problème.

Le président : Alors, précisons une chose. Je suppose qu'en qualité de parlementaire, membre du comité de sécurité, vous conservez votre privilège à la Chambre des communes, à l'instar du ministre, dans le cadre du débat public. Est-ce que je me trompe?

M. Rifkind : C'est globalement le cas. Par exemple, quand nos rapports sont soumis à la Chambre des communes, comme c'est souvent le cas, il est normal que je prononce une allocution en ma qualité de président du comité. Pour tout ce que je dis à la Chambre des communes sur les affaires concernant le Comité du renseignement et de la sécurité, je bénéficie du même privilège que n'importe quel parlementaire ou membre d'un autre comité.

Même si nous ne pensons pas que cela puisse faire une grande différence, c'est à l'étape de la publication d'un rapport ou lors d'une démarche collective du comité que nous n'avons plus aucun privilège, à strictement parler. Aucun privilège n'est associé au comité ni à nos rapports en tant que tels. Nos déclarations à la Chambre des communes ou sur d'autres tribunes tombent sous le coup du même privilège que celui dont jouissent les autres parlementaires.

Le président : Sénatrice Lankin, voulez-vous poursuivre?

La sénatrice Lankin : J'ai une question de suivi, effectivement. Je dirais que la différence réside dans le fait que le privilège s'applique aux débats sur les rapports et à ce genre de choses, mais pas aux renseignements classifiés que nous recevons en qualité de membres du comité, si ceux-ci devaient être dévoilés. Je ne sais donc pas, dans le cas du renseignement de sécurité, ce que prévoient vos dispositions législatives. Si vous dévoiliez des renseignements classifiés, seriez-vous protégé par votre privilège parlementaire?

M. Rifkind : Pas du tout. Au contraire, nous sommes dans la même situation que n'importe quel autre citoyen. Tout ce qui est secret officiel tombe sous le coup de notre loi sur les secrets officiels. En qualité de membre du Comité du renseignement et de la sécurité, nous n'avons pas plus de protection que les membres du public ni que les autres députés.

Si, en divulguant cette information nous enfreignions la loi sur les secrets officiels, nous serions poursuivis, comme il se doit. Nous n'avons jamais songé à demander un quelconque privilège pour passer outre cette disposition.

Le président : Je vais poursuivre dans cette veine, parce que je trouve que le sujet est important.

À la façon dont je comprends les choses, si un député siège à ce comité et qu'il est protégé par le privilège parlementaire, à la Chambre des communes, ce privilège vaut jusqu'à ce qu'il divulgue une information classifiée.

M. Rifkind : Ce sont deux choses distinctes, si je puis m'exprimer ainsi. Si, lors d'un débat à la Chambre des communes, un député s'en prend à l'intégrité ou à l'honnêteté d'un membre du public, la personne ne peut le poursuivre pour diffamation, parce qu'il sera protégé par le privilège parlementaire.

Si, en ma qualité de président du Comité du renseignement et de la sécurité, je m'exprimais en Chambre à l'occasion d'un débat et que j'attaque l'intégrité de quelqu'un, je bénéficierais exactement du même privilège que n'importe lequel de mes collègues.

Les rapports des comités permanents aussi sont protégés par le privilège parlementaire. Quand ils sont publiés, ils ne peuvent pas servir de fondement à une action en justice.

Cela étant, nos rapports ne sont pas couverts par le privilège parlementaire parce que nous ne sommes pas un comité du Parlement comme les autres. En pratique, nos rapports ne traitent pas du genre de questions pouvant donner lieu à des poursuites en diffamation ou à des problèmes de ce genre. En outre, nos propres avocats passent au peigne fin toutes les ébauches de nos rapports en songeant à tous ces aspects.

N'oubliez pas que nous entendons nos témoins à huis clos et qu'aucune transcription n'est produite.

Le président : Nous en sommes arrivés au terme du temps prévu avec sir Malcolm que je tiens à remercier pour sa présence. Votre témoignage a été très utile.

Au nom des députés, merci beaucoup pour votre témoignage. Je suis certain qu'il va influer sur le genre de décisions que nous allons prendre.

M. Rifkind : Merci beaucoup. J'ai apprécié tout ce temps passé avec vous.

Le président : Nous accueillons maintenant notre troisième témoin, Me Anil Kapoor qui a été avocat spécial dans des dossiers concernant des certificats de localisation. Avant cela, il avait été conseiller juridique auprès de la Commission d'enquête relative aux mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India et il a siégé au Conseil consultatif sur la sécurité nationale. Me Kapoor est aujourd'hui membre du conseil de l'Association canadienne des libertés civiles.

Maître Kapoor, ce n'est pas la première fois que vous témoignez devant notre comité. Je vous souhaite la bienvenue et vous invite à nous livrer votre déclaration liminaire.

Anil Kapoor, avocat, Kapoor Barristers, à titre personnel : Très brièvement. À l'examen de ce texte de loi, tel qu'il se présente aujourd'hui, je suis frappé par ses faiblesses et je crains que nous ne soyons en train de passer à côté d'une occasion.

Avec ce comité des parlementaires, je pense que nous voulons parvenir à effectuer un examen unifié et intégré du paysage canadien en matière de sécurité nationale. Je veux dire par là qu'il est question d'un organisme d'examen ayant le pouvoir de se pencher sur tous les aspects des mandats de sécurité nationale confiés à certaines organisations et d'accéder sans restriction à ce que font les différents organismes du renseignement, au contenu dont ils traitent dans l'exécution de leur mandat.

Ce qui me frappe dans cette loi, et qui fait problème, c'est la capacité du ministre de tutelle à nier au futur comité la possibilité d'accéder à des renseignements, au motif qu'il pourrait juger l'examen préjudiciable à la sécurité nationale.

Nous conviendrons tous qu'à la façon dont le comité est structuré et mandaté, il n'est pas question qu'il aille se mêler d'enquêtes en cours. Cependant, une fois qu'une affaire est bouclée et que le Parlement a la possibilité d'examiner la situation, le comité et, au bout du compte, l'ensemble des Canadiens pourront lever le voile sur le fonctionnement de l'appareil de sécurité nationale, ce qui ne peut se faire que si le comité a pleinement accès à tous les documents pertinents, même si le ministre estime que cela pourrait porter tort à la sécurité nationale.

C'est ce que je veux dire quand je parle d'accès non restreint aux informations pertinentes. Malheureusement, il semble que le Parlement n'ait pas fait ce choix dans le projet de loi. C'est particulièrement évident au paragraphe 16(3) selon lequel, si le ministre est d'avis que la communication du renseignement réclamé par le comité risque de porter tort à la sécurité nationale, il faut transférer la décision et les motifs de ce ministre à l'organisme de surveillance pertinent. S'il s'agit de la GRC, ce sera la Commission civile d'examen. Pour le CST, ce sera le commissaire et, dans le cas du SCRS, ce sera le CSARS.

On constate tout de suite que la décision du ministre peut contrarier la capacité du comité à appliquer une démarche unifiée, intégrée. Il appartient plutôt au ministre de décider si cela doit relever du privilège concernant la sécurité nationale, comme c'est mentionné à l'article 38 sous le titre « litiges ». Que se passe-t-il dès lors? Eh bien, on en revient au bon vieil examen cloisonné qui empêchait le CSARS d'accéder aux renseignements de la GRC, et vice versa pour l'ensemble de l'appareil de sécurité nationale.

Si je puis me permettre, je pense qu'il n'aurait pas fallu s'y prendre ainsi. Il faudrait que les membres de ce comité des parlementaires soient tous autorisés au niveau très secret et puissent accéder à de tels renseignements.

Il devrait leur être possible d'adresser un rapport privé ou confidentiel au premier ministre, plutôt que de diffuser un rapport spécial qui aboutit éventuellement au Parlement. Afin qu'il soit efficace, il faut que l'examen effectué puisse se faire en toute confiance et qu'il soit possible de conseiller le premier ministre, en toute confiance également. Si tout doit être rendu public, on limitera très sérieusement la portée des informations auxquelles le comité pourra avoir accès et au sujet desquelles il pourra faire rapport.

Enfin, bien que cela ne soit pas nécessairement mentionné dans la loi, le comité serait soumis à un ensemble de règlements et de dispositions budgétaires. Le comité doit en effet être correctement doté en personnel et financé, et je serais très heureux de vous parler du genre de structure qui pourrait convenir à cet égard.

Voilà pour mes remarques liminaires et je serai heureux de vous aider dans la limite de mes compétences. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons débuter les questions.

La sénatrice Jaffer : Merci, maître Kapoor de vous être rendu disponible. Je suis certaine que vous avez suivi nos audiences avec attention.

J'aimerais que vous nous parliez de la question du triple verrouillage découlant des articles 8, 14 et 16, ainsi que des enquêtes en cours. Pensez-vous que cela risquerait d'entraver le travail du comité parlementaire?

M. Kapoor : Je vais commencer par vous répondre au sujet des enquêtes en cours. Il convient que le comité n'examine pas les enquêtes en cours. Les organismes seront en pleine opération, en train de prendre des décisions en temps réel. Il faut leur laisser la possibilité d'exécuter leur mandat. À l'expérience, je peux vous dire que ces gens-là effectuent généralement du bon travail. Il faudrait leur permettre de mener leurs opérations à terme, comme il se doit.

Là où le comité sera le plus utile, c'est en se penchant sur des opérations parvenues à terme, pour en étudier l'efficacité, pour examiner les mandats confiés aux acteurs de l'appareil de sécurité nationale et pour voir quels enseignements il peut tirer de tout cela. Le comité devrait donc se pencher sur les dossiers clos et non sur les affaires en cours.

Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration liminaire, j'estime que le comité devrait avoir un accès illimité aux renseignements. Je trouve très étrange que le comité puisse être privé de la possibilité d'examiner la totalité des renseignements secrets détenus par le SCRS, si ces renseignements peuvent permettre de comprendre l'opération faisant l'objet de l'examen. Comme la mesure législative accorde, a priori, un statut particulier aux renseignements en question, j'ai l'impression que le comité n'aura tout simplement pas les outils nécessaires pour aller au fond des choses.

La sénatrice Jaffer : Comme vous connaissez très bien toutes ces questions, permettez-moi de vous pousser un peu sur le sujet des opérations en cours.

Je viens de la Colombie-Britannique et, si vous allez là-bas, vous comprendrez pourquoi je vous pose cette question. Dans ma province, certains m'ont dit que l'affaire Air India est encore en cours. Les gens se demandent quand on va examiner ce qui s'est fait et la manière dont cette affaire a été menée.

Il est question de savoir qui était visé et pourquoi les choses ont pris tant de temps. Je ne vais pas rentrer dans tous ces détails — nous pourrons en faire un sujet de conversation une autre fois —, mais je tiens à dire que les gens sont indignés du fait que cette opération en cours s'éternise. Air India demeure une opération en cours.

M. Kapoor : Vous avez raison, il y a un problème, et le problème est que l'organisme définit lui-même le statut de l'opération. On pourrait corriger la situation en déterminant pourquoi telle ou telle opération est active ou, au contraire, dormante.

Il y a déjà eu une commission d'enquête sur l'affaire Air India. Nous avons eu accès à tous les renseignements secrets sur Air India. Nous avons vu tous les documents non caviardés et il y a encore un dossier en cours à la GRC. Il le restera tant que la GRC ne parviendra pas à porter des accusations contre les présumés responsables.

La question fondamentale est de savoir s'il s'agit d'une opération en cours ou d'une opération dormante.

La sénatrice Jaffer : Disposiez-vous d'un pouvoir d'assignation?

M. Kapoor : Le comité envisagé devrait avoir le pouvoir d'assigner les membres des différents organismes et de les contraindre à témoigner.

La sénatrice Jaffer : Et vous, l'aviez-vous?

M. Kapoor : Oui. À la commission royale, nous avions le pouvoir d'assigner des témoins. La plupart du temps, nous n'avions pas besoin de l'invoquer, parce que les témoins et leurs avocats se présentaient de leur propre gré, sinon nous l'aurions fait.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie notre invité. J'ai deux questions. Premièrement, vous connaissez très bien le projet de loi, puisque vous avez participé aux travaux du comité de la Chambre des communes. Des amendements ont été adoptés après l'étude, mais d'autres, qui m'apparaissent importants, ont été rejetés. Selon votre expérience, quels sont les deux ou trois amendements les plus importants que le Sénat pourrait apporter à ce projet de loi pour l'améliorer?

[Traduction]

M. Kapoor : Il est question de garantir un accès illimité. Personnellement, j'amenderais l'article 16 pour retirer au ministre le pouvoir d'exclure les renseignements dont l'examen par le comité des parlementaires, de son point de vue, pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. J'amenderais aussi, en contrepartie, les dispositions concernant les rapports afin de permettre la présentation d'un rapport confidentiel ou classifié au premier ministre. Ainsi, les organismes seraient assurés que leurs renseignements sont traités en toute confidentialité, pas uniquement par le comité des parlementaires, mais aussi dans le rapport classifié uniquement destiné au premier ministre.

Cela permettrait aussi de supprimer la disposition exigeant que le premier ministre reçoive un rapport spécial, qu'il en vérifie le contenu auprès des organismes concernés qui pourraient alors dire : « Eh bien, le comité n'a pas respecté son devoir de réserve, pour ainsi dire, et il a inclus ici des renseignements très secrets ou classifiés », ou alors « Le rapport risque de compromettre la sécurité nationale. ». Dans tous les cas, le premier ministre devrait alors se retourner vers le comité pour lui réclamer un rapport révisé. Cette procédure est un tantinet lourde et elle ne ferait que gêner la tenue d'examens intégrés et unifiés.

Voilà les deux amendements que je recommanderais pour l'article 16 afin que le ministre n'ait pas la possibilité d'exclure des renseignements au motif que leur examen porterait atteinte à la sécurité nationale. De plus, je permettrais au comité de remettre un rapport classifié, de même qu'un rapport public sur tout dossier ayant fait l'objet d'un examen.

Le sénateur Kenny : J'ai une question supplémentaire. Vous venez juste de nous dire que nous pourrions supprimer la quasi-totalité des articles 14 et 16, si le comité était chargé d'effectuer des examens ne comportant aucune dimension de surveillance.

M. Kapoor : Comme vous le savez, sénateur Kenny, il y a tout un débat sur le choix entre l'examen et la surveillance. Je verrais les choses ainsi : une enquête a été terminée et le comité veut étudier ce qui s'est fait ou déterminer l'efficacité des interventions menées. Prenons, par exemple, le cas de la tuerie sur la Colline du Parlement. Cette opération est terminée. Le comité pourrait souhaiter faire enquête pour déterminer si la réaction des corps policiers a été appropriée. Une des questions consisterait à établir si les organismes étaient au courant, si l'attentat aurait pu être évité. Bref, autant de choses pour lesquelles il faut avoir accès à des renseignements classifiés. Je dis bien que le comité devrait avoir accès à tous ces renseignements. Il s'agit d'une affaire terminée que le comité devrait pouvoir examiner.

J'ai personnellement constaté que les organismes du renseignement de sécurité hésitent rarement à invoquer l'excuse de la sécurité nationale. Pour autant qu'ils craignent qu'un examen puisse porter atteinte à la sécurité nationale, j'ai peur qu'ils n'empêchent que le comité ait accès au contenu d'un dossier d'enquête. Cela me préoccupe. Pourtant, ce seront tous des députés autorisés au niveau secret ou top secret qui devraient pouvoir accéder à tous les renseignements.

Le sénateur Kenny : Je veux faire ressortir le fait qu'il y a peu de possibilités que le comité soit utile dans son rôle de surveillance. Vous avez dit que les gens du renseignement ne voudront pas être dérangés en plein milieu d'une opération et que l'idée que des parlementaires soient mis au courant du déroulement d'une opération en cours semble hérétique.

Que penseriez-vous de l'idée de créer simplement un comité d'examen qui examinerait tout, mais uniquement après les faits? Vous vous en êtes, je crois, très bien sorti au sujet d'Air India, parce que l'enquête de M. Major a presque tout couvert.

M. Kapoor : Oui.

Le sénateur Kenny : Je voudrais en fait savoir si ce projet de loi ne permettrait pas d'accoucher d'un comité plus efficace, à condition qu'on évite de courir le risque qu'un ministre vienne dire : « Non, cette fois-ci, chers collègues, nous ne voulons pas que vous examiniez cette question. » Ce faisant, nous éliminerions le problème et contribuerions à hausser la crédibilité du comité. Pour tout dire, si le Parlement décidait qu'il doit y avoir un examen, j'ai l'impression qu'on pourrait se passer du risque qu'un ministre dise : « Vous ne pouvez pas examiner cette question parce que vous porteriez atteinte à la sécurité nationale », et pourtant, nous pourrions avoir un comité plus efficace.

Je suis en train de vous mettre les mots dans la bouche, mais n'est-ce pas finalement ce que vous nous avez dit?

M. Kapoor : Effectivement, c'est ce que je crois. J'estime que ce comité devrait avoir un accès illimité au contenu des enquêtes. Les ministres ne devraient pas pouvoir empêcher ou entraver ce genre d'accès. Comme je le disais, la seule exception serait celle des opérations en cours.

Le mécanisme d'examen que vous avez décrit est précisément ce que nous recherchons. Le contenu des rapports du comité est important, car les rapports sont rendus publics. De plus, et je ne vous dirai que cela, le comité sera composé de parlementaires. Vous aurez affaire à des gens qui, d'un côté, seront des politiciens et, de l'autre, devront répondre à leurs élus. Ils seront également membres d'un parti. Par définition, les rapports produits par ce comité feront l'objet d'un dialogue public, comme ce doit être le cas.

M. Rifkind, un collègue anglais, vous a, je crois, parlé des solides débats qui ont cours là-bas. Nous pourrions faire la même chose ici et ce comité pourrait alimenter le débat.

Comme je travaille dans ce domaine et que je l'enseigne à l'école de droit, je trouve frustrant de constater à quel point les gens, même les exégètes, ignorent à peu près tout de ce qui se passe dans le milieu du renseignement. Très honnêtement, ce comité pourrait faire beaucoup de sensibilisation publique, histoire de rassurer les gens. Après tout, les nouvelles ne sont pas toujours mauvaises; il arrive que des opérations soient réussies et que le travail soit bien fait.

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut pas donner la possibilité au ministre d'entraver l'accès au contenu, mais j'ajouterais qu'il faudrait apporter un amendement parallèle pour permettre que des rapports classifiés soient adressés au premier ministre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Comme je vous le disais précédemment, monsieur Kapoor, le Parlement britannique a choisi d'accorder une protection aux témoins qui comparaissent devant le comité de surveillance, alors que ce n'est pas le cas dans le projet de loi C-22. Quelle importance accordez-vous à cette protection et quel effet a-t-elle sur un témoin quand il sait qu'il est protégé, notamment contre des procédures pour libelle? Si je comparaissais comme témoin, je souhaiterais certainement pouvoir profiter d'une telle protection.

[Traduction]

M. Kapoor : Je pense effectivement qu'il y a deux choses à considérer ici. Je tiens à faire une distinction entre les civils travaillant pour ces organismes et ceux qu'on appelle généralement les « sources ». Il s'agit de personnes qui, selon moi, ne devraient pas être contraintes à témoigner devant ce comité.

D'un autre côté, je ne vois pas pour quelle raison on ne pourrait pas permettre au personnel des organismes occupant un rôle opérationnel, et pour qui la discrétion s'impose, de témoigner devant le comité sous le couvert de l'anonymat. Le comité pourrait tenir des séances publiques et des séances à huis clos, dans le dernier cas pour entendre les témoins exigeant la discrétion. Les sources humaines pourraient également être entendues dans ces conditions, à condition qu'elles le souhaitent ou qu'elles y consentent.

Cependant, c'est là un aspect plus épineux et un tantinet plus compliqué, surtout au vu du paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS. Je ne vois toutefois pas pourquoi on ne pourrait pas protéger le personnel opérationnel de ces divers organismes qui est affecté à des fonctions dites sensibles. Il faut trouver des compromis pour recueillir l'information souhaitée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Tout d'abord, je tiens à remercier notre invité d'être parmi nous aujourd'hui.

Le point qui m'inquiète dans ce projet de loi concerne l'indépendance du processus de nomination des membres, du président et même du personnel du comité. On a beau dire qu'il s'agit d'un comité de parlementaires et non d'un comité parlementaire, toujours est-il que le risque, c'est qu'il devienne un comité de parlementaires partisans. La majorité des pouvoirs de nomination sont dans les mains d'un seul homme : le premier ministre. Ce processus ne devrait-il pas être plus indépendant? Ne devrait-on pas donner au comité beaucoup plus de responsabilités au lieu de tout concentrer dans les mains du premier ministre?

De plus, la nomination des sénateurs devrait-elle être du ressort du premier ministre ou ne serait-il pas plus logique que le Sénat nomme ses représentants au sein du comité?

[Traduction]

M. Kapoor : Le processus de nomination doit être conçu pour donner lieu à des nominations indépendantes et non partisanes. La sécurité nationale est un enjeu apolitique. Je veux dire par là que les gens pourraient ne pas s'entendre sur l'équilibre à atteindre entre, d'un côté, les pouvoirs de l'établissement chargé de la sécurité nationale et, de l'autre, la protection des droits constitutionnels. Je soupçonne que, dans l'actuelle structure de parti, vous entendrez un vaste éventail de points de vue qui n'obéissent pas simplement aux lignes de parti ni à la discipline de parti. Il faut pouvoir nommer des personnes qui ne seront pas partisanes ou qui ne considéreront pas le processus comme étant partisan.

Cela reviendrait-il à dire que le meilleur processus consisterait à ce que le Sénat nomme lui-même les membres du comité? J'y verrais, certes, une certaine valeur, parce que les gens seraient désignés par une pluralité de sénateurs. Je ne peux pas vraiment me prononcer sur la méthode à appliquer entre la désignation par le premier ministre ou une nomination semblable à celle que vous proposez, par le Sénat, si ce n'est pour vous dire que votre processus doit être imaginé pour nommer des personnes indépendantes d'esprit et n'étant pas forcément disposées à suivre la ligne de leur parti.

J'ajouterais qu'il m'est difficile de penser à l'examen d'une seule opération de sécurité nationale qui pourrait soulever un débat partisan. Comment imaginer, en effet, qu'en cas de problème de sécurité ou d'échec du renseignement, les conservateurs puissent voir les choses d'une façon, les libéraux d'une autre et les néo-démocrates d'une autre encore. Par définition, ces questions ne portent pas à un débat partisan, mais elles appellent plutôt à l'indépendance réelle des députés. Il faut pouvoir compter sur des personnes indépendantes d'esprit qui n'auront pas peur de poser des questions difficiles à l'établissement de sécurité nationale.

Voilà ce que nous devrions effectivement faire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais sans doute vous poser une question à laquelle il sera difficile de répondre. Lorsqu'on concentre les pouvoirs dans les mains d'une seule personne au sein d'une organisation gouvernementale, notamment en ce qui concerne les nominations du président, du personnel ou des parlementaires, n'y a-t-il pas un plus grand risque de partisanerie si on démocratise ce processus?

[Traduction]

M. Kapoor : Je pense que, par principe, si toutes les décisions reviennent à une seule personne, on tombe alors dans un système hautement idiosyncrasique et que tout dépend à partir de là de qui est le décideur. Si vous avez une pluralité de voix, il y a une bonne chance d'atténuer cette idiosyncrasie dans les nominations.

Une mise en garde, cependant. Vous n'arriverez à aucune décision si trop de voix s'expriment. Il faut trouver un juste équilibre. Je ne sais pas s'il doit s'agir d'un groupe de cinq ou de six, peu importe le nombre, mais vous devez trouver ce juste équilibre où vous pourrez effectivement réaliser quelque chose. Trop de cuisiniers gâtent la sauce.

La sénatrice Beyak : Merci, maître Kapoor pour vos remarques et pour votre connaissance de la question.

Il y a deux écoles de pensée parmi les personnes de mon entourage. La première de ces écoles se demande pourquoi le gouvernement se précipite aussi tardivement. Cela fait 10 mois qu'il planche sur le projet et il ne nous reste maintenant que peu de temps pour faire les choses correctement.

L'autre école prône l'adoption immédiate du projet de loi qui serait suivie d'un examen un an ou deux plus tard, mais pas 17 ans après comme le témoin précédent l'a indiqué.

J'ai des réserves à propos des mécanismes de production des rapports. Aucune protection pour les lanceurs d'alerte n'est prévue. Cette partie du projet de loi est défaillante. Que pouvez-vous nous en dire?

M. Kapoor : Je ne suis résolument pas favorable à l'idée d'accélérer l'adoption des projets de loi. Comme vous le savez, une fois qu'ils ont été adoptés, il est très difficile d'en changer. Prenez n'importe quelle loi et vous verrez à quel point il est difficile de revenir en arrière et de tout modifier. Je pense que vous devriez prendre le temps nécessaire pour mettre dans le mille du premier coup, autant que faire se peut.

Pour ce qui est de la protection des lanceurs d'alerte ou des témoins anonymes, et je n'aime d'ailleurs pas le terme de « lanceurs d'alerte » pas plus que celui de « dénonciateurs », je dirais que le comité aurait tout à gagner à pouvoir entendre des témoins sous le sceau de la confidentialité ou en leur assurant une certaine protection.

Je reviendrai à la question de la dotation, mais laissez-moi vous dire que le comité des parlementaires devrait être assez astucieux pour déterminer que, si quelqu'un crie aux loups, c'est qu'il y en a peut-être quelque part. Il va falloir faire confiance au comité des parlementaires pour cela, à condition qu'il soit structuré et équipé comme il se doit.

Je craindrais plutôt que nous ne mettions sur pied un comité à qui nous ne donnerions pas les moyens d'agir de façon concrète et efficace pour protéger des renseignements relevant de la sécurité nationale, pour produire des rapports confidentiels, pour garantir l'anonymat à certains témoins et ainsi de suite. Je ne suis pas quelqu'un qui aime la précipitation et je comprends qu'il faille respecter l'échéancier législatif ainsi que les promesses électorales, mais mieux vaut y parvenir dans les règles de l'art que de mal faire.

La sénatrice Lankin : Qu'est-ce qui empêcherait le comité envisagé, en vertu de procédures qu'il établirait lui-même aux termes de l'article 20, d'offrir aux gens la possibilité de témoigner sous le couvert de l'anonymat? Il ne s'agirait pas nécessairement d'audiences publiques et, dans la plupart des cas, les témoins seront entendus à huis clos.

M. Kapoor : Il est certain que l'article 20 pourrait constituer l'assise législative voulue pour offrir l'anonymat. Cette disposition particulière a cela de bien qu'elle est une forme de publicité. La promesse de garantir l'anonymat ne sera pas sans effet sur la population. Les gens s'en rendront compte. Si, à la faveur d'un examen, quelqu'un souhaite témoigner devant ce comité, il lui sera possible de le faire de façon anonyme.

Je ne pense pas que l'article 20 puisse empêcher le comité d'agir ainsi. Je suis favorable à l'idée d'en parler explicitement, mais on peut arriver au même résultat par le truchement de l'article 20. Je demande simplement que le comité le fasse.

Le président : Chers collègues, j'aimerais revenir à la question du privilège parlementaire qui a fait partie de la conversation.

Sir Malcolm Rifkind, du Royaume-Uni, nous a expliqué que les membres de son comité n'ont pas de privilèges particuliers en dehors de la Chambre des communes, mais qu'ils conservent le privilège parlementaire qui était le leur avant d'être nommés au comité. C'est ainsi que je comprends les privilèges.

Voulez-vous réagir à cela?

M. Kapoor : La meilleure formule, et encore dans ce contexte particulier limité, est celle des Américains. Au Sénat américain, la situation est claire. Les sénateurs tiennent des séances confidentielles, à huis clos, lors desquelles ils ont accès à des renseignements classifiés. Ils rédigent des rapports publics et, si besoin est, des rapports classifiés.

Selon moi, ce modèle est bien meilleur que la solution consistant à s'en remettre à toutes sortes de privilèges, comme c'est le cas au Royaume-Uni, parce que la ligne à tenir pour protéger les renseignements est bien établie et que les organismes ont conscience que le comité traitera en toute confidentialité les renseignements sensibles.

Au Canada, il existe un pendant à cette formule, à la Cour fédérale. Dans les causes concernant les certificats de sécurité, la cour a reçu des renseignements publics et des renseignements classifiés. Elle applique une procédure particulière pour le traitement des renseignements classifiés. Je ne vois pas pourquoi ce ne pourrait pas être la même chose avec le comité des parlementaires. Puisque les membres seront autorisés au niveau très secret, ils devraient pouvoir accéder à ces renseignements.

La sénatrice Lankin : C'est ainsi que je comprends l'intention. Pour confirmer que j'ai bien compris ce qui se passe au Royaume-Uni, on peut dire que tout commence par la loi sur les secrets officiels qui est à peu près semblable à notre Loi sur la protection de l'information. Une personne divulguant des renseignements reçus en qualité de membre du comité des parlementaires ne serait pas couverte par le privilège parlementaire.

C'est la même chose que ce que vous nous dites. Nous tiendrons évidemment des séances à huis clos pour traiter les renseignements classifiés. C'est ainsi que le comité sera constitué parce qu'aucune protection n'est garantie au titre du privilège parlementaire.

C'est ce que je conclus aussi de ce vous avez dit cela à propos de la protection des renseignements classifiés.

M. Kapoor : C'est exact. La protection des renseignements serait encadrée par la Loi sur la protection de l'information. Tout membre de ce comité qui enfreindrait cette loi serait sans doute inculpé et j'espère alors qu'il aura la riche idée de venir me voir pour que je puisse le défendre.

Le président : Puis-je poser une question de suivi à ce sujet pour préciser ce dont il retourne?

La sénatrice Lankin : Je vous en prie.

Le président : Si, en qualité de membre de ce comité, quelqu'un enfreignait la Loi sur la protection de l'information en diffusant, d'une manière ou d'une autre, des renseignements classifiés, ce ne serait pas du tout la même chose que si un député ou un sénateur, fort de ses privilèges habituels, commençait à parler et à débattre de questions de sécurité publique.

J'ai peut-être mal compris, mais j'essaie de me corriger. Pourquoi retirer la disposition sur le privilège? J'ai cru comprendre qu'au Royaume-Uni, le privilège parlementaire n'a pas été retiré, mais qu'aucun privilège particulier n'a été accordé au titre des travaux des comités. Tous les parlementaires conservent leurs privilèges normaux pendant qu'ils siègent.

Voici ma question : pourquoi retirer le privilège parlementaire, du moins à la façon dont je comprends les choses, dans le cas des travaux de la Chambre plutôt que dans celui des travaux des comités? C'est ma question.

M. Kapoor : Je suppose que vous faites allusion à l'article 12 du projet de loi qui vise à supprimer l'application du privilège parlementaire. À la façon dont je lis cet article, je pense qu'il est davantage question de retirer aux parlementaires la possibilité d'invoquer la défense du privilège. Tout parlementaire qui, à la Chambre ou au Sénat, révélerait des renseignements classifiés, des renseignements obtenus lors de séances à huis clos, risquerait toujours d'être poursuivi aux termes de la Loi sur la protection de l'information. Pour se défendre, il ne pourrait invoquer le privilège parlementaire.

C'est ainsi que j'interprète l'article 12. Si j'ai raison, je dirais qu'il s'agit là d'une saine politique. Vous ne voulez pas que les parlementaires aillent divulguer des renseignements classifiés à la Chambre ou au Sénat. Cela étant, je ne pense pas qu'un seul le ferait et ce n'est pas ainsi que je vois les choses.

Je pense que le législateur a inscrit cette disposition pour prévoir le cas extrême où quelqu'un se laisserait aller à dévoiler des secrets. Le cas échéant, l'intéressé ne pourrait pas invoquer le privilège parlementaire pour se défendre.

C'est ainsi que j'interprète la disposition.

Le président : Chers collègues, comme il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier le témoin d'avoir passé tout ce temps avec nous. Nous l'avons apprécié.

Nous allons libérer notre témoin et je vais suspendre pendant 10 minutes afin de donner à tout le monde l'occasion de prendre une courte pause, après quoi nous passerons à huis clos pour parler de l'orientation que nous allons suivre dans la poursuite de nos travaux sur ce projet de loi.

Merci beaucoup, maître Kapoor. Vous pouvez disposer et je suis sûr que nous nous reverrons.

M. Kapoor : Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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