Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 18 - Témoignages du 4 décembre 2017
OTTAWA, le lundi 4 décembre 2017
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi concernant le prédédouanement de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis, se réunit aujourd’hui, à 13 h 5, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Avant les exposés, je souhaite accorder quelques minutes à mes collègues pour qu’ils se présentent.
[Français]
Nous allons commencer à ma gauche avec le sénateur Richards.
[Traduction]
Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je me présente. Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais du Québec. Aujourd’hui, nous disposons de quatre heures afin d’examiner le projet de loi C-23, Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis.
Dans notre première session, je profite de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Patricia Kosseim, avocate générale principale et directrice générale, ainsi que Rebecca Shepherd, conseillère juridique. Je vous donne la parole, monsieur Therrien. Évidemment, plus votre présentation sera brève, plus les sénateurs auront du temps pour poser des questions.
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je remercie le vice-président et les honorables membres du comité de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui pour parler du projet C-23. Mes remarques devraient effectivement être brèves.
Comme je l’ai souligné dans le cadre d’autres études parlementaires, le droit relatif à la vie privée doit être considéré dans le contexte dans lequel il est appliqué. Le commerce et la sécurité sont des enjeux vitaux dans les politiques de précontrôle à la frontière canado-américaine et nous avons besoin de contrôles bien pensés à nos frontières pour les personnes, les marchandises et les données.
Par contre, ces enjeux ne signifient pas que la vie privée doit être mise de côté lorsque nous sommes à un poste frontalier. Le projet de loi C-23 autorise les agents des États-Unis à mener des activités de précontrôle, incluant des fouilles aux installations de précontrôle en sol canadien.
Conformément à ce projet de loi, les Canadiens et les autres personnes qui tenteront d’entrer aux États-Unis en passant par les installations de précontrôle au Canada pourraient voir leurs appareils électroniques faire l’objet d’une fouille sans motif juridique valable.
Cette situation n’est pas différente de ce que prévoit la loi canadienne actuelle qui autorise les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada à effectuer des fouilles sans motif les marchandises des personnes qui souhaitent entrer au Canada. Cependant, il existe une différence importante en ce sens que la politique de l’agence exige des motifs précis pour effectuer la fouille d’appareils électroniques, à savoir : « que les appareils électroniques ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contravention ».
Pour les raisons que je vous expliquerai, je crois que cette politique plus nuancée devrait être élevée au niveau d’une règle de droit.
[Traduction]
L’idée selon laquelle les appareils électroniques devraient être considérés comme de simples biens et pouvant être fouillés à la frontière sans motif juridique est clairement dépassée et ne reflète pas la réalité de la technologie moderne. Bien que la loi accorde en général une grande latitude aux autorités étatiques de mener des fouilles à la frontière pour assurer la souveraineté, l’intégrité territoriale et réguler l’immigration, la Cour suprême est aussi d’avis que dans de nombreux contextes, la fouille d’appareils électroniques est extrêmement envahissante. Par conséquent, même si le droit n’est pas encore bien établi, il m’apparaît clair que les tribunaux canadiens considéreraient que les fouilles sans motif d’appareils électroniques sont inconstitutionnelles, même si elles sont faites à la frontière. C’est peut-être pour cette raison que l’ASFC a adopté une politique nuancée.
Les membres du Cabinet, incluant le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique, ont tenté de rassurer les Canadiens en déclarant que les lois canadiennes, notamment la Charte canadienne des droits et libertés, s’appliqueront aux agents des États-Unis qui exercent leurs fonctions et leurs attributions dans les installations de précontrôle.
Cependant, cette protection est largement inopérante puisqu’en vertu de la Loi sur l’immunité des États de 1985, aucun tribunal canadien ne pourrait faire appliquer l’article 11 du projet de loi C-23 à l’encontre des États-Unis ou de ses agents, sauf dans des situations qui généralement dépassent le contexte de la présente analyse.
Dans un effort pour remédier aux lacunes du texte en ce qui a trait aux mesures réparatrices, le projet de loi C-23 a été modifié pour ajouter un recours administratif auprès du Groupe consultatif chargé du précontrôle, comme il est défini à l’article 26.1. Cependant, ces modifications comportent aussi d’importantes failles, notamment sur le fait qu’elles ne s’appliquent pas aux fouilles d’appareils électroniques.
Ce qui précède m’amène à recommander deux modifications au projet de loi C-23. D’abord, il faut faire en sorte que les fouilles d’appareils électroniques soient assujetties au même seuil que les fouilles sur des personnes, c’est-à-dire, à des motifs raisonnables de soupçonner. Deuxièmement, il convient d’élargir la mesure administrative de l’article 26.1 à toutes les activités menées par les agents des États-Unis dans les installations de précontrôle, y compris les fouilles d’appareils électroniques.
Su ce, monsieur le président, il me fera plaisir de répondre maintenant à vos questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D’abord, merci à nos invités. Monsieur Therrien, bienvenue.
La semaine dernière, lorsque le ministre est venu présenter son projet de loi, je lui ai posé quelques questions et ses réponses m’ont parues ambiguës. Je vais vous les présenter et j’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Tout d’abord, il semblerait que les téléphones cellulaires seront considérés, selon la loi, comme des objets tout à fait banals, telle une bouteille d’eau, et que la vie privée ne sera pas nécessairement protégée. Croyez-vous qu’il y a là transgression des droits à la vie privée des Canadiens qui se feraient saisir leur téléphone cellulaire?
Ma deuxième question concerne les avocats, dans le cas de fouilles et de saisies de téléphones cellulaires, et la possibilité de mettre en danger des informations confidentielles de nature professionnelle. Il peut s’agir, par exemple, d’une liste de clients, de courriels liés à un procès ou à la défense des droits d’un citoyen. La loi est-elle assez claire pour protéger ce type de renseignements et reconnaître la notion de vie privée au téléphone cellulaire?
M. Therrien : J’ai entendu le témoignage de M. Goodale. Il a dit un certain nombre de choses qui me semblent correctes. Je suis moins préoccupé par la description que fait le ministre du droit actuel que du fait que le droit actuel ne tienne pas suffisamment compte de la nature sensible des données qui se trouvent dans les appareils électroniques, dont les téléphones cellulaires. Le droit ne suit pas la réalité de la technologie.
Pour mettre les choses en perspective, comme je le disais dans mes remarques liminaires, l’État, à la frontière, dispose, de façon générale, d’une plus grande marge de manœuvre pour poser des questions et procéder à des fouilles afin de protéger son territoire. Dans ce contexte, les appareils électroniques, dont les téléphones cellulaires, sont depuis toujours considérés comme des biens, ce que vous appelez des objets banals. C’est l’état de droit tel qu’il est depuis des décennies.
Le ministre a raison de dire que, en droit strict, les téléphones sont des biens et que l’accord bilatéral avec les États-Unis ainsi que le projet de loi qui est devant vous ne font que refléter le statu quo. Je tiens à vous signaler que ces dispositions sont tout à fait désuètes. Elles n’ont aucune espèce de rapport avec la réalité moderne et le droit devrait suivre la technologie. Le contenu des appareils électroniques, dont les téléphones cellulaires, n’a rien à voir, pour reprendre votre exemple, avec une bouteille d’eau, un vêtement ou le genre de choses que les douaniers vérifient et fouillent dans les bagages depuis toujours.
C’est donc mon point principal. Le droit devrait être modifié. Vous avez une occasion, avec le projet de loi C-23, de relever le niveau de preuves requises de la part d’un agent des douanes pour faire en sorte que ce genre de fouille ou de perquisition fasse l’objet du même niveau de preuves qu’une fouille corporelle, qui est simplement des motifs raisonnables de soupçonner. Ce ne sont pas des motifs très exigeants pour l’État, parce qu’on est dans un contexte de frontières. Toutefois, l’absence totale de motifs juridiques menant à une fouille n’est pas une protection adéquate de la vie privée en 2017 en raison du contenu de ces appareils électroniques.
Pour ce qui est du secret professionnel et de la situation des avocats, ces renseignements, comme d’autres, pourraient faire l’objet de fouilles de la part d’agents américains en sol canadien. Est-ce qu’il faudrait légiférer? Idéalement, oui. Vous pourriez soit légiférer à ce sujet ou prendre des mesures non législatives, parce que le secret professionnel est reconnu en droit canadien et en droit américain. Y aurait-il lieu de donner des indications, des lignes directrices ou des conseils aux agents des douanes pour faire particulièrement attention lorsqu’ils vérifient le contenu soit de documents écrits ou de téléphones cellulaires afin de tenir compte de la nature particulière des renseignements protégés par le secret professionnel? Cela pourrait aussi être utile. L’idéal serait de mettre en oeuvre une mesure législative. Cependant, je suis conscient — c’est dans ce contexte que mes recommandations sont relativement limitées — qu’un accord a été négocié avec le gouvernement des États-Unis. C’est un accord bilatéral et il faut tenir compte du fait que les Américains pourraient accepter des changements à cet accord. À votre question concernant le secret professionnel, je réponds idéalement par l’affirmative pour ce qui est de la loi, mais peut-être, étant donné l’état avancé des négociations, que des lignes directrices pourraient suffire.
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : J’ai une question complémentaire à celle du sénateur Boisvenu. On peut toujours contester et il faut avoir le temps de le faire. Par exemple, lorsque des avocats doivent se rendre à New York pour rencontrer un client, ils sont toujours un peu pressés. Pour la majorité des voyageurs canadiens, c’est le temps qui compte. Ne croyez-vous pas que les Canadiens seraient prêts à accepter qu’on fouille leur ordinateur pour éviter un refus d’entrée aux États-Unis, ou même de rater leur avion?
M. Therrien : Il est bien possible qu’un certain nombre et peut-être même une majorité de voyageurs acceptent de se soumettre à des fouilles. Premièrement, ce que je dis, c’est que le contenu des appareils cellulaires est très sensible. Deuxièmement, le Canada ne peut pas dicter aux États-Unis sa politique en matière de contrôle aux frontières, ce qui est pertinent à la question que vous posez. Je ne suis pas dans une position d’influence pour ce qui de cet aspect. Peut-être que le gouvernement l’est, toutefois, a des pouvoirs limités à ce sujet. Les États-Unis adoptent leurs propres politiques en matière de contrôle aux frontières.
Pour revenir au comportement des individus, je crois qu’ils doivent tenir compte du fait que les États-Unis contrôlent leurs frontières et ont comme politique de fouiller les téléphones sans motifs juridiques. Avant de se présenter à la frontière, les voyageurs devraient donc réfléchir aux conséquences et voir s’ils sont à l’aise ou non d’amener des données sensibles aux États-Unis et de les exposer à des fouilles. Certaines personnes, pour des raisons pratiques, accepteront de se rendre à leur rendez-vous à New York en risquant d’exposer ces renseignements protégés sous le secret professionnel, qui n’est pas nul. D’autres diront qu’ils n’amèneront pas ces renseignements à la frontière et qu’ils tenteront de trouver un autre moyen de les conserver chez eux ou pour y avoir accès autrement qu’en les exposant au contrôle d’un douanier.
Oui, il y a l’aspect de la décision individuelle en ce qui concerne les fouilles, mais les recommandations que j’ai formulées visent à faire en sorte que les agents de l’État respectent certaines normes minimales, puis ce sera aux voyageurs de prendre une décision.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci, monsieur Therrien. Ma question concerne le premier amendement recommandé que vous avez mentionné dans votre exposé. Vous avez indiqué que les fouilles d’appareils électroniques, mentionnées dans cet amendement, sont assujetties au même seuil que les fouilles de personnes, c’est-à-dire celui du motif raisonnable de soupçonner.
Explorons davantage notre expérience des dernières années dans le cas de ce motif raisonnable de soupçonner. J’aimerais savoir si l’on a tenu compte du genre de protection qui découragerait le profilage racial, au vu de ce caractère raisonnable, par ceux qui pourraient décider de pousser leur enquête.
M. Therrien : Eh bien, si la loi prévoyait ce que je recommande, l’agent appliquant cette mesure devrait avoir des motifs raisonnables de soupçonner la personne qui fait l’objet d’un contrôle à la frontière, à des fins douanières. L’agent serait contraint de prendre une décision qui ne serait pas fondée sur de la discrimination ou du profilage, et cetera. C’est ainsi, selon moi, que cette disposition s’appliquerait à la frontière.
La sénatrice McPhedran : Donc, si je comprends bien et pour bien préciser les choses, vous estimez que nous disposons déjà des mesures de protection adéquates afin de nous protéger contre le profilage racial dans le cadre d’une fouille fondée sur le caractère raisonnable.
M. Therrien : Non, en fait, j’ai dit que, si ma recommandation était adoptée, il faudrait que l’agent des douanes américain travaillant dans un établissement de précontrôle porte un jugement personnel.
En l’absence d’un tel amendement, l’agent américain peut procéder à une fouille sans aucun motif juridique. Certes, il est régi par des politiques, mais il y a absence de fondement juridique et il est donc davantage possible que sa décision soit fondée sur des techniques de profilage. À l’heure actuelle, il existe un risque que les agents américains se prévalent de leur important pouvoir discrétionnaire d’une manière qui pourrait conduire à du profilage ou à de la discrimination.
Je sais que le gouvernement, le ministre Goodale en particulier, a répété à maintes reprises que le travail des douaniers américains serait assujetti au droit canadien en vertu de l’article 11 du projet de loi et des articles de la Charte. En principe, c’est vrai, mais en fait personne ne pourrait traduire le gouvernement américain devant les tribunaux pour faire appliquer cette règle. C’est pourquoi je dis que cette protection est vide de sens.
La sénatrice McPhedran : C’est donc un droit sans recours.
M. Therrien : Oui.
La sénatrice McPhedran : Merci.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : J’aurais une question complémentaire à celle de la sénatrice McPhedran. Le ministre Goodale a clairement mentionné que, dans la zone de prédédouanement en sol canadien, ce sont les lois canadiennes qui ont priorité. Par contre, vous dites que, même si un douanier américain pose un geste, il doit quand même se conformer aux règles des États-Unis.
On peut toujours admettre que, même s’il y a une zone de prédédouanement en sol canadien, l’autorité américaine est là et il serait difficile, pour les douaniers américains, d’aller à l’encontre des lois américaines.
M. Therrien : La zone de précontrôle est spéciale dans le sens où l’article 11, je crois, stipule que le droit canadien s’applique, mais le droit américain s’applique également parce que le rôle de l’agent des douanes américaines est de s’assurer que la personne qui veut entrer aux États-Unis peut le faire en vertu du droit américain. Le droit américain s’applique donc en ce sens.
Le projet de loi prévoit que le droit canadien s’applique aussi, en particulier la Charte canadienne des droits et libertés. Encore une fois, je prétends que cette protection qui vient avec l’application du droit canadien, dont la Charte canadienne des droits et libertés, est théorique plus que pratique, et est en fait inopérante à cause de l’immunité du gouvernement américain.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Vous avez recommandé deux amendements au projet de loi. En avait-il été question, d’une façon ou d’une autre, lors du débat à la Chambre des communes? En a-t-on parlé à la Chambre?
M. Therrien : Je vais inviter ma collaboratrice à compléter ma réponse. Il n’a peut-être pas été question de ma recommandation, mais j’ai soulevé des réserves sur la nature délicate du contenu des appareils électroniques et du caractère vide des recours au Canada.
Je n’ai pas fait de recommandation à propos de cet amendement à l’article 26.1, parce que cette disposition n’existait pas dans le projet de loi avant qu’il ne soit étudié par la Chambre; son ajout correspond à une tentative visant à améliorer la disposition corrective. Il n’existait donc à ce moment-là aucune disposition sur laquelle je pouvais m’exprimer.
Je résumerais cela en disant que les deux préoccupations que je soulève maintenant l’ont été précédemment, mais peut-être pas sous la forme de recommandations précises. Désormais, je souhaite en faire des recommandations. Bien franchement, j’aimerais en formuler d’autres, plus générales, si ce n’était de l’accord bilatéral, afin qu’il existe sans doute des limites à ce que le Canada peut demander aux États-Unis de faire dans la mise en œuvre de l’accord. J’essaie de corriger d’importantes lacunes sur le plan des modalités d’application tout en étant conscient du fait que le processus est bien enclenché.
La sénatrice Griffin : D’accord. Donc, vous avez soulevé des réserves, mais savez-vous pourquoi personne n’en a tenu compte et pourquoi il n’y a pas eu d’autre amendement? Vous a-t-on donné une raison pour cela?
M. Therrien : Pour ce qui est de l’amélioration des dispositions correctives de l’article 26.1, la Chambre a probablement jugé qu’elle était en partie d’accord avec moi, mais aussi avec d’autres qui avaient qualifié l’absence de recours dans la loi de lacune du projet de loi C-23 présenté à l’époque. Ils n’ont pas dit qu’ils étaient en désaccord sur tout, mais qu’ils étaient en partie d’accord avec l’idée de recours administratifs dans certaines dispositions du projet de loi C-23, si ce n’est que c’était à l’égard des appareils électroniques. Certes, je spécule, mais je pense que c’est ce qui s’est passé.
Quant au fait de resserrer la norme ou d’exiger davantage de preuves pour qu’un douanier américain puisse fouiller dans des appareils électroniques, je crois que le ministre Goodale a répondu à cela la semaine dernière en disant que le projet de loi ne fait que codifier et maintenir une pratique qui existe depuis des années, voire des décennies, pratiques consistant à traiter les téléphones cellulaires et les appareils électroniques comme de simples marchandises. Il a donc raison d’affirmer que le projet de loi maintient la façon dont ces appareils sont considérés en vertu de la Loi sur les douanes. Voilà comment j’interprète sa réponse à ma recommandation.
Je vous soumets qu’il est exact que la loi est telle qu’elle a toujours été, mais qu’elle ne devrait plus se présenter ainsi en 2017.
Le sénateur Richards : Peu importe qu’ils se trouvent au Canada ou aux États-Unis, les douaniers américains sont finalement régis par la loi fédérale américaine, et non pas par la loi canadienne. C’est bien ça?
M. Therrien : C’est exact.
Le sénateur Richards : Une grande partie de cette discussion est donc théorique parce que, en fin de compte, nous entrons dans leur pays et c’est à eux qu’il revient de prendre la décision de nous autoriser ou pas à le faire.
M. Therrien : On peut effectivement dire que le gouvernement des États-Unis pourrait imposer toutes ces exigences, et des fouilles non motivées, si elles étaient effectuées sur le territoire américain. Je reconnais que les États-Unis peuvent adopter une politique de contrôle des frontières.
Je pense qu’il est tout à fait approprié, à ce stade, que ces douaniers travaillent en territoire canadien et qu’on est en droit de se poser la question du rôle de notre gouvernement quant à l’amélioration des normes en vertu desquelles ils conduisent leurs activités. Voilà pour une chose.
De plus, et c’est sans doute plus important encore, le gouvernement a affirmé à maintes reprises qu’il s’agit d’une protection découlant du droit canadien.
Il est vrai que si ces activités étaient menées sur le sol américain, nous n’aurions absolument aucune influence sur la façon dont elles sont conduites mais, dans ce cas, tout se déroulera en sol canadien.
Je comprends qu’il y ait des avantages économiques à appliquer ce système. Absolument. Mais le gouvernement répète sans cesse aux Canadiens : « Soyez rassurés, la loi canadienne s’applique. »
Cela ne vient pas de moi, mais du gouvernement du Canada. Ce que je dis, c’est qu’on se trouverait à donner une fausse assurance aux gens parce qu’au final l’immunité de l’État signifie qu’un Canadien estimant que la loi canadienne a été enfreinte ne pourrait pas, de façon générale et à quelques rares exceptions près, demander réparation devant les tribunaux canadiens.
Le sénateur Richards : C’est exactement ce que je veux dire, soit que, en dernière analyse, la jurisprudence ne signifie pas grand-chose en ce qui concerne les douaniers américains et les personnes qu’ils autorisent à franchir la frontière. La décision revient finalement aux Américains eux-mêmes. Ce ne sera pas aux Canadiens de décider. Peu importe tout ce que nous mettons sur la table, ce sont les Américains qui, au final, décideront de laisser passer les gens à la frontière.
M. Therrien : Permettez-moi deux remarques. En fin de compte, ce sera effectivement le cas, mais les activités se déroulent sur le sol canadien. Cela nous donne peut-être une occasion limitée, mais je pense que le Canada a au moins la possibilité d’influencer la façon dont les choses se dérouleront. Voilà pour une chose.
Deuxièmement, si nous nous disons que nous n’avons aucune influence sur les Américains, alors n’indiquons pas à tort aux Canadiens qu’ils peuvent se prévaloir d’un recours, parce qu’ils n’en ont pas.
Le sénateur Richards : Je suis tout à fait d’accord sur ce point. Oui.
Patricia Kosseim, avocate générale principale, directrice générale, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : De plus, le projet de loi prévoit actuellement une exception, au paragraphe 10(1), selon laquelle un préposé au dédouanement appliquera les lois américaines, mais au paragraphe 10(2), une limite est prévue.
En ce qui a trait à l’exercice effectif des pouvoirs d’interrogation, de fouille et de saisie, et cetera, il est dit qu’un agent de prédédouanement n’est pas autorisé à exercer les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de lois américaines.
En un sens, le projet de loi C-23 vient remplacer ces aspects juridiques par des règles qui existent ici en matière de fouilles. D’une certaine façon, il est donc possible, dans les limites de l’accord et de ce qui a déjà été convenu, de modifier les choses comme le commissaire vient de le souligner à juste titre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, monsieur Therrien. Vos réponses sont assez claires.
Je suis convaincu que 99 p. 100 des Canadiens qui se présentent à un aéroport comme celui de Montréal ne connaissent pas leurs droits en sol américain. Au Canada, on applique la Charte canadienne des droits et libertés, qui assure une grande protection des droits individuels.
Comment cette entente peut-elle être équitable pour les Canadiens alors qu’il y a une assez grande distorsion entre la protection des droits civiques aux États-Unis et ceux au Canada? Comment un Canadien dans le périmètre de contrôle américain à l’aéroport peut-il faire cette distinction sans sentir que ses droits sont brimés en fonction des droits reconnus au Canada et non aux États-Unis?
M. Therrien : C’est une bonne question. Le droit canadien et le droit américain sont évidemment différents, mais les deux pays sont régis par des constitutions prévoyant des droits. La loi américaine est-elle plus permissive pour l’État tout en protégeant moins les individus que le droit canadien en l’espèce? Ce serait une belle question à étudier.
Je mets l’accent en ce moment sur le fait que les agents américains peuvent fouiller des biens, y compris des téléphones cellulaires, sans motif. Le droit canadien, à l’heure actuelle, est au même niveau parce qu’il est question de frontières et les états, de façon générale, exercent des pouvoirs assez larges à la frontière. L’Agence des services frontaliers du Canada a comme politique d’aller au-delà de ce que lui permet le droit et de limiter ses interventions aux cas où elle a des motifs de soupçonner qu’un téléphone cellulaire puisse contenir une preuve d’infraction à une loi quelconque. C’est une politique canadienne, mais en matière de droits stricts, le droit applicable à la frontière canadienne par l’Agence des services frontaliers du Canada n’est pas si différent du droit applicable par les agents américains lorsque quelqu’un cherche à entrer aux États-Unis.
Votre question laisse entendre qu’on devrait aviser les voyageurs avant qu’ils se présentent devant un douanier américain. Avant de donner un tel avis, il faut déterminer si, dans l’ensemble, le droit américain protège moins que le droit canadien. Oui, un avis pourrait être utile, mais les Américains ont-ils vraiment des pouvoirs plus larges?
Dans le projet de loi, il y a une disposition spécifique quant à la biométrie disant expressément que si un agent américain recueille des renseignements biométriques quelconques, le voyageur au poste de précontrôle doit en être avisé. Il y a donc des dispositions qui vont un peu dans le sens de vos propos. Les voyageurs devraient être informés. C’est le cas en vertu de l’article du projet de loi portant sur la biométrie. Est-ce que cela devrait être élargi à d’autres mesures auxquelles s’expose un voyageur lorsqu’il se présente devant un douanier américain? Probablement. Vous devriez poser cette question à des fonctionnaires. Cela pourrait être utile, mais est-ce nécessaire? Je n’en suis pas certain. Peut-être que le droit canadien et le droit américain ne sont pas si différents.
Le sénateur Boisvenu : Le ministre nous a parlé de l’éventuelle possibilité d’ouvrir, dans certains aéroports américains, des postes de précontrôle semblables à ceux qu’ont les Américains au Canada. Est-ce que cela veut dire que les voyageurs américains seraient filtrés dans un aéroport américain par des douaniers canadiens?
M. Therrien : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Ces douaniers appliqueraient-ils la Charte canadienne des droits et libertés canadiennes aux voyageurs?
M. Therrien : Ce serait exactement l’autre côté de la médaille, l’image miroir, dans l’autre sens. Les agents américains en sol canadien sont assujettis au droit canadien, comme prévu par le projet de loi, mais appliquent le droit américain pour savoir si la personne peut entrer aux États-Unis. De la même façon, dans votre exemple, que l’agent canadien appliquerait le droit canadien pour savoir si la personne peut entrer au Canada et, dans l’exercice de ses pouvoirs, serait assujetti à la Charte canadienne. Cependant, je crois que l’agent serait aussi assujetti au droit américain parce qu’il agit en sol américain.
Le sénateur Boisvenu : Prenons l’exemple du téléphone cellulaire. Admettons qu’on accepte l’amendement que vous avez proposé et qu’on modifie le droit canadien en impliquant que le téléphone cellulaire est une extension de la vie privée et qu’il faut un motif raisonnable pour le perquisitionner et en faire la fouille. Il faut s’assurer que, de l’autre côté, une même modification est appliquée. Sinon, un Américain qui entrerait dans un aéroport américain en sol canadien aurait plus de droits à la vie privée que le Canadien qui entre dans un aéroport canadien en sol américain. Il faut s’assurer que la loi soit modifiée des deux côtés de la frontière, pour avoir le même type de droit en matière de protection.
M. Therrien : Vous avez raison. Je me suis concentré sur le projet de loi C-23 comme tel, parce que vous en êtes saisis, mais ce que vous dites est tout à fait logique et je crois que le fait d’appliquer la même règle aux douaniers canadiens serait un amendement à la Loi sur les douanes du Canada qui changerait la norme de preuves nécessaires avant qu’un agent des douanes puisse procéder à la fouille d’un appareil électronique lorsque quelqu’un veut entrer au Canada. Cela pourrait être une modification corrélative, si vous voulez.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Je souhaite revenir à ma question, à notre discussion. J’ai conclu en disant que, selon moi, nous discutons en fait de l’articulation de droits sans recours, ce qui, bien évidemment, rend ces droits vides de sens. Je souhaite aller un peu plus loin et parler de deux amendements que vous avez recommandés, le deuxième visant à étendre le recours administratif prévu à l’article 26.1 à toutes les activités effectuées par des fonctionnaires américains, dans des installations de précontrôle, notamment la fouille d’appareils électroniques. Je crois que c’est clairement indiqué.
Je souhaite donc revenir sur l’article 26.1 et examiner plus à fond avec vous à quoi pourrait vraiment s’apparenter le recours de fond que nous proposons dans le cas de l’article 26.1.
Je note qu’un voyageur peut, d’une manière prescrite, informer les hauts fonctionnaires canadiens du Groupe consultatif sur le prédédouanement et qu’ils peuvent ensuite invoquer les éléments précisés dans cet article — nous avons des détails précis, notamment la fouille à nu, le contrôle des selles, la fouille corporelle, le retrait de l’inspection ou la présumée infraction — et c’est là que vous ajouteriez une référence précise au téléphone cellulaire.
S’entend-on sur le fait qu’il s’agirait uniquement de téléphones cellulaires considérés comme des appareils personnels?
Je souhaite également examiner la nature du recours, car, quand on parle d’informer les hauts fonctionnaires canadiens du Groupe consultatif sur le prédédouanement, qu’est-ce que cela pourrait me rapporter en tant que voyageur? Où est le remède?
L’autre partie de ma question est la suivante : pour que les Américains soient tenus responsables de ce qu’ils font aux Canadiens, en sol canadien, dans le cadre du processus de précontrôle, et pour que les Canadiens puissent se fier à ce que prévoit le projet de loi, cela ne revient-il pas, concrètement, à devoir poursuivre le président Trump? N’est-ce pas un véritable défi pour le voyageur canadien moyen?
De quoi parle-t-on, quand on parle de recours de fond? Je vous concède que ma question dépasse sans doute les aspects que vous avez soulevés. N’hésitez pas à limiter vos réponses aux points clés que vous avez mentionnés, mais j’ai l’impression qu’en ce qui concerne l’application de l’article 26.1 sous cet angle, nous devons vraiment nous poser une question sur le recours potentiel qui est proposé.
M. Therrien : Merci. L’article 26.1 offre un recours administratif, ce qui est évidemment moins important qu’un recours judiciaire, mais c’est de cela dont traite le projet de loi dont vous êtes saisi. Pour ce qui est de la façon dont le tout s’articulerait dans le cas des téléphones cellulaires ou des appareils électroniques, je pense que les deux recommandations vont de pair.
L’article 26.1 est la partie corrective qui dit que, pour un certain nombre de droits substantiels conférés par le projet de loi, essentiellement les fouilles à nu et les retraits du contrôle, il existe un recours administratif.
Pour que le recours administratif s’applique aux appareils électroniques, vous devez commencer par adopter la première recommandation qui est de hausser la norme de sorte à donner certains droits aux particuliers. Le recours prévu à l’article 26.1 est alors lié à un droit substantiel. Il faut donc faire les deux pour que ce recours administratif s’applique aux appareils électroniques.
Se limiterait-il aux téléphones cellulaires? Non, mais il s’appliquerait certainement aux appareils électroniques en général. Je ne veux pas être tenu de vous soumettre une formulation exacte et tout ce que j’essaie de faire… Les fouilles conduites sur des marchandises ne sont soumises et n’ont jamais été soumises à aucun motif. Si vous cherchez une bouteille d’eau, comme le sénateur Boisvenu le disait, c’est très bien; vous êtes à la frontière. Je ne dis pas qu’il faudrait hausser le seuil pour une fouille concernant n’importe quelle catégorie de marchandise. Nous devons dissocier de la catégorie générale des marchandises, les biens qui contiennent des renseignements personnels de nature délicate et qui doivent être protégés. Il suffit de réfléchir 15 secondes pour conclure que les appareils électroniques correspondent à cette description, et nous devons définir une catégorie qui est certainement plus large que celle englobant les téléphones pour inclure éventuellement les appareils électroniques en général.
Il serait utile de mentionner dans la loi la raison pour laquelle ces marchandises particulières sont assujetties à une norme plus stricte. Pourquoi les appareils électroniques? Eh bien, parce qu’ils contiennent des renseignements de nature délicate qui créent des attentes raisonnables en matière de protection des renseignements personnels. Les gens peuvent raisonnablement s’attendre à ce que la confidentialité de leurs données soit protégée, ce qui s’entend aussi du bien contenant ces données, soit le dispositif électronique.
Il serait utile d’établir un lien entre l’appareil et son contenu ainsi qu’avec la protection des renseignements personnels. Nous pourrions peut-être proposer un libellé, si cela peut vous être utile, afin d’essayer de régler ce problème.
Vous vouliez ensuite savoir ce que peut représenter un recours administratif consistant à informer un groupe de hauts fonctionnaires de la branche exécutive. Si nous n’en étions pas sur le point de conclure un accord, que nous avons négocié il y a deux ans et que les Américains ont adopté sous la forme d’un projet de loi de mise en œuvre, je dirais que nous devrions prévoir un recours judiciaire. C’est la véritable forme de réparation à viser.
Compte tenu des avantages économiques et de tout ce que le ministre Goodale a mis sur la table, si l’on visait la réparation judiciaire — qui est le véritable recours en l’espèce — qu’adviendrait-il de tout cet accord? Comme je veux être réaliste, je dirais que je travaille à partir de ce que fait la Chambre, soit créer un recours administratif qui est certainement moins complet qu’un recours judiciaire, mais qui peut éventuellement mener à des discussions entre les autorités frontalières américaines et les responsables de Sécurité publique Canada et de l’ASFC. Moyennant un peu de bonne foi, il serait possible d’améliorer les choses.
Je reconnais donc que, même si nous n’avons pas là un recours parfaitement efficace, ce genre de recours administratif peut apporter certains avantages. Ce n’est pas idéal, mais j’essaie d’être réaliste.
La sénatrice McPhedran : Excusez-moi, mais il me semble que toute cette question de recours dépend du fait qu’il incombe à chaque voyageur de réunir ses preuves, de déposer une plainte, puis d’en assurer le suivi. Nous imposons ainsi tout un fardeau aux voyageurs canadiens.
La sénatrice Griffin : J’ai plusieurs questions à vous poser. Je crois que vous avez déjà répondu en partie aux deux premières. Elles ont trait à une lettre datée du 8 mars que vous avez affichée dans votre site web. Elle s’adresse à l’honorable Ralph Goodale et à l’honorable Harjit Sajjan, ministre de la Défense nationale. Vous y exhortez le gouvernement canadien à demander aux États-Unis d’ajouter le Canada à sa liste des pays désignés par le Judicial Redress Act, ce qui accorderait aux Canadiens certains droits à un recours judiciaire en vertu de l’U.S. Privacy Act.
Je crois que vous avez déjà répondu à cette question, mais je vais quand même vous la poser explicitement. Le gouvernement a-t-il accédé à votre demande?
M. Therrien : Non. Le gouvernement m’a répondu il y a quelques semaines, essentiellement, qu’il continuera à respecter les mesures de protection administratives prévues dans les accords administratifs conclus entre le Canada et les États-Unis. Il ajoute qu’il n’est donc pas nécessaire de demander que l’on ajoute le Canada à cette liste.
La sénatrice Griffin : C’est très intéressant.
Ma question porte sur le retrait des voyageurs des zones de précontrôle. Je suis sûre qu’on vous a posé de nombreuses questions à ce sujet; on vous en a posé beaucoup ici aujourd’hui, en tout cas. Quand un voyageur se retire d’une zone de précontrôle avant d’entrer aux États-Unis, dans quelles banques de renseignements personnels ceux qu’un agent des douanes américaines obtient seront-ils sauvegardés?
M. Therrien : Comme ces renseignements sont recueillis par un agent du gouvernement des États-Unis, ils sont sauvegardés dans les banques de données du gouvernement américain. Il a établi un système pour aviser les particuliers du type général de renseignements qu’il recueille et des usages qu’il compte en faire. Cependant, tout cela est régi par la loi et par l’administration américaine, ou par l’infrastructure que le gouvernement des États-Unis a établie pour appliquer ces lois.
La sénatrice Griffin : Donc ces renseignements seraient régis par les lois américaines. Votre bureau aurait-il le pouvoir d’exiger le respect des lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels?
M. Therrien : De façon générale, les pouvoirs dont les douaniers américains jouissent dans ce cas seraient assujettis aux tribunaux judiciaires et administratifs des États-Unis. L’accord bilatéral stipule cela explicitement dans l’une de ses dispositions.
Seul le groupe consultatif dont nous avons parlé tout à l’heure ferait exception à cela au Canada.
La sénatrice Griffin : Alors je suppose que votre réponse est non, votre bureau n’a pas la compétence d’assurer la conformité aux lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels?
M. Therrien : Oui, c’est exactement cela.
La sénatrice Griffin : Ce projet de loi devait s’appliquer dans les deux sens. Qu’arriverait-il si nous avions des zones de précontrôle des voyageurs qui entrent au Canada?
M. Therrien : Alors je disposerais de cette compétence.
La sénatrice Griffin : C’est aussi ce que je voulais savoir. Merci.
Le sénateur Richards : La loi américaine sur les services frontaliers serait la même. Je ne m’oppose pas à ce projet de loi, mais je souligne simplement que la loi sur le précontrôle serait la même à Halifax et à Calais, où l’on entre en voiture. On appliquerait la même loi. C’est une loi américaine. Les États-Unis appliqueraient les mêmes règles d’entrée au pays, que vous arriviez par Halifax ou en auto par Calais, par le Maine ou par le Nouveau-Brunswick. La loi américaine ne changerait pas à chaque point d’entrée.
Autrement dit, si nous n’acceptons pas cette loi, si nous n’acceptons pas le précontrôle d’entrée au Canada et si nous n’adoptons pas cette loi, nous ne pourrons pas nous opposer à une fouille à nu ou à une interdiction d’accès à Calais ou au Maine. Il en sera de même à Halifax et à Toronto, si les douaniers américains en décident ainsi. Ils protègent leur pays, n’est-ce pas? Ils ont donc le dernier mot.
M. Therrien : Ils protègent leur pays, oui, mais ils le font en territoire canadien. Je le répète, je suis convaincu que nous pourrions exercer une certaine influence à ce sujet.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Je remercie M. Therrien, Mme Kosseim ainsi que Mme Shepherd d’avoir comparu devant le comité.
Nous poursuivons la séance avec notre deuxième groupe de témoins. Au nom de l’Association du Barreau canadien, nous recevons M. Michael Greene, membre honoraire de l’Exécutif, Section du droit de l’immigration et Mme Kathleen Terroux, avocate, Législation et réforme du droit. Nous accueillons également M. Hugues Langlais, président, Comité en droit de l’immigration et de la citoyenneté et Mme Réa Hawi, avocate au Secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques du Barreau du Québec. Enfin, au nom de l’Association canadienne des avocats musulmans, nous recevons Mme Pantea Jafari, membre du conseil.
Je vous demanderais autant que possible d’écourter vos présentations afin de donner aux sénateurs l’occasion de poser le plus de questions possible.
[Traduction]
Kathleen Terroux, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Nous vous remercions de nous avoir invités. Nous sommes très heureux d’être ici aujourd’hui pour représenter les sections du Barreau canadien chargées du droit de l’immigration, de la justice pénale et de la taxe à la consommation pour présenter nos observations sur le projet de loi C-23.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Notre mandat consiste, en grande partie, à améliorer les lois et l’administration de la justice.
En mars 2017, nous avons présenté un mémoire sur le projet de loi C-23. Nous y appuyions le précontrôle en reconnaissant les avantages économiques qu’il présente. Cependant, nous exhortions le gouvernement alors au pouvoir de mener un examen approfondi avant d’adopter ce projet de loi extrêmement importun.
Je vous présente Michael Greene, conseiller principal et ancien président de la Section du droit de l’immigration, qui vous décrira nos principales observations et qui répondra à vos questions, si vous en avez.
Michael Greene, membre honoraire de l’Exécutif, Section du droit de l’immigration, Association du Barreau canadien : Bonjour. Merci de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. Nous sommes très heureux de cette occasion de vous présenter nos préoccupations.
Je m’appelle Michael Greene. J’exerce le droit de l’immigration à Calgary, en Alberta, depuis environ 30 ans. J’enseigne aussi à l’école de droit de Calgary. La loi sur laquelle repose ce projet de loi a été adoptée en 1999, alors que je siégeais au comité exécutif national. Comme j’étais la personne-ressource pour ce projet de loi, j’ai comparu devant ce comité. En effet, le projet de loi avait été envoyé au Sénat, puis il est retourné à la Chambre des communes. Soulignons que le Sénat y avait apporté la grande majorité des amendements avant de le renvoyer à la Chambre des communes. Ces changements étaient radicaux. Ce projet de loi a subi le même sort que celui qui nous occupe aujourd’hui; le pouvoir exécutif avait négocié un accord avec les États-Unis, qu’il a ensuite déposé sous forme de projet de loi.
Comme dans le cas qui nous occupe, on avait à peine pensé aux droits et aux libertés des Canadiens. La première version de ce projet de loi était donc atroce. La version de 1999 de la Loi sur le précontrôle que vous avez sous les yeux a subi de profondes modifications. Notamment, elle prévoit explicitement le droit de retrait. Je vais donc consacrer mon allocution sur ce point. Je me ferai cependant un plaisir de répondre à des questions sur d’autres sujets. Notre mémoire présente toutes les préoccupations qui nous troublent.
Les groupes qui comparaissent avec nous à cette audience et à la suivante ont discuté de tout cela. Chacun de nous soulignera un domaine particulier afin d’éviter de vous présenter plusieurs fois la même chose. Je vous assure que nous nous entendons tous sur ces diverses préoccupations.
Je tiens cependant à souligner un fait dès le départ. Comme M. Therrien l’a déjà mentionné plusieurs fois, nous nous trouvons devant la situation bizarre où le gouvernement a déjà négocié un accord qu’il n’a aucune intention de renégocier. Il ne veut pas revenir à la table. Il n’acceptera que les amendements qui perfectionneront cet accord sans en modifier le contenu principal. Il sera extrêmement difficile de le faire sans sacrifier entièrement les droits et libertés des Canadiens.
On vous a assuré plusieurs fois, au cours de votre dernière audience, que ce projet de loi soutient certains droits et qu’il est conforme aux dispositions de la Constitution du Canada, de la Charte des droits et libertés et de la loi canadienne. En réalité, il n’y a absolument pas moyen d’appliquer ces dispositions. Il n’y a absolument pas moyen de réviser cet aspect du projet de loi.
Tout semble très bien. Même le ministre a affirmé que le système de précontrôle fonctionne bien depuis 60 ans. Nous n’avons jamais assisté à un grave incident. Je suggère donc que ce projet de loi est bon. Son cadre de fonctionnement est bon. Il vous accorde un droit absolument indiscutable de vous soustraire au précontrôle en tout temps. Vous êtes en territoire canadien. La situation serait entièrement différente si votre point d’entrée se trouvait en territoire américain. Vous êtes en territoire canadien. Si vous vous sentez maltraité, si vous avez l’impression de subir un profilage racial ou religieux, si vous subissez patiemment un long interrogatoire depuis une heure et que vous voulez vous en aller, ce projet de loi vous en empêche maintenant. Il ne vous accorde pas le droit de partir, parce que les douaniers pourront alors vous interroger sur les raisons pour lesquelles vous désirez partir.
Le ministre et d’autres témoins ont souligné que le projet de loi vous accorde une soupape de sécurité en affirmant que l’on ne peut pas enlever de façon déraisonnable à un voyageur le droit de se soustraire au précontrôle. Mais comment définit-on ce qui est raisonnable? Nous avons une idée générale de ce qui semble raisonnable aux Canadiens. Ce terme revient assez régulièrement devant la Cour suprême dans différents domaines. Toutefois, dans ce contexte, le Canada est très aimable. Il soutient entièrement la libre circulation des biens et des personnes. Il faudra donc définir ce qui semble raisonnable dans le contexte de cette libre circulation.
Dans leur pays obsédé par la sécurité, les agents des douanes américaines auront été formés et entraînés de manière à considérer la sécurité avant tout et à interdire l’accès aux personnes suspectes. Ils auront donc un degré d’interrogatoire raisonnable différent du nôtre. Vous me répondrez qu’ils seront obligés d’appliquer la loi canadienne dans ces zones. Mais qui appliquera cette règle? Quel mécanisme avons-nous établi pour le faire? Ce mécanisme n’existe pas.
Nous avons passé l’accord au peigne fin, et je n’y ai pas trouvé de mécanisme. Le groupe consultatif que l’on y mentionne n’aurait pas le mandat recommandé par la Chambre des communes. Il serait chargé avant tout d’examiner les situations où un agent des douanes ferait face à des accusations criminelles dans un tribunal du pays hôte qui lui, ne jouerait qu’un rôle accessoire.
Le projet de loi prévoit cependant que la partie qui en a la compétence prend la décision définitive. L’alinéa 17c) exige que cette partie prenne la décision définitive à sa seule discrétion. Alors même si le voyageur dépose une plainte devant le comité, les Américains décideront ultimement du bien-fondé de sa plainte. En outre, le projet de loi ne prévoit aucun recours après cela.
Par conséquent, même si vous appuyez la tenue d’un examen judiciaire en Cour fédérale, vous vous heurtez au fait que cela nécessiterait une modification fondamentale de l’accord.
Nous suggérons donc de modifier les pouvoirs. Il n’est pas nécessaire d’accorder aux agents américains les pouvoirs que ce projet de loi leur donnerait. Concentrons-nous sur le droit de retrait. Jouons sur une nuance de ce droit de retrait. Les agents peuvent en demander les raisons. Nous suggérons, et je crois que nos collègues des autres groupes sont du même avis, qu’on limite cette exigence au fait de donner ou de déterminer une raison, sans essayer de définir les types de raisons à donner.
Ce mécanisme se déroulerait de la façon suivante. Disons qu’un voyageur musulman arrive à la zone de précontrôle. On l’envoie à la zone d’inspection secondaire pour l’interroger. Le voyageur n’aime pas l’orientation des questions qu’on lui pose et décide de se retirer. Le douanier l’avise qu’il a le droit de lui demander pour quelles raisons il veut se retirer. Il lui pose donc d’autres questions. Finalement, le voyageur décide qu’il en a assez. Voilà deux heures qu’il se fait interroger, il refuse de répondre à une seule question de plus. Il veut s’en aller.
Le douanier peut alors mettre le voyageur en accusation parce qu’il a des motifs raisonnables de le soupçonner. Vous savez que le seuil de ce qui est raisonnable est très peu élevé. Il a des motifs raisonnables non pas de croire, mais de soupçonner que le voyageur a commis un délit en ne lui fournissant pas les vraies raisons de son désir de se soustraire au précontrôle.
Nous tombons alors sous l’article 32. En vertu de l’accord et de ce projet de loi, le douanier peut détenir le voyageur. Il peut, conformément à l’alinéa c) de l’article 32, si je ne m’abuse, interroger le voyageur sans plus aucune restriction. Le projet de loi n’exige plus de motifs raisonnables. Il suffit au douanier d’affirmer qu’il a des raisons de croire que le voyageur ne lui dit pas la vérité. Il lui suffit de dire cela. Il peut alors faire subir au voyageur une interrogation illimitée. Que peut faire le voyageur qui se sent lésé? Nous ne lui offrons aucun mécanisme.
Pour régler ce problème, il faut dès le départ éviter de mettre ces pouvoirs entre les mains des douaniers. Ne leur accordez pas le pouvoir illimité de poser des questions. Il leur suffirait de mentionner la raison. Ils possèdent déjà plus de papiers d’identité qu’il ne leur faut. Ils savent très bien qui est ce voyageur. Ils ont son passeport, donc ils l’ont identifié. Ils ont ses renseignements biométriques. Ils possèdent des photographies dotées de tous les renseignements qu’il faut. Ils en savent déjà beaucoup sur ce voyageur. En le laissant partir, ils ne lâchent donc pas un délinquant dans la société. Ils ont déjà inscrit qui il est et ce qu’il fait.
Nous sommes d’accord pour dire que les douaniers identifient le voyageur avant de le laisser partir et, évidemment, qu’ils lui demandent pour quelle raison il s’en va. Si l’on découvre plus tard qu’il a menti, on pourra le mettre en accusation conformément à la loi. Ce mensonge est un délit canadien.
Je crois que ma collègue, Pantea Jafari, vous parlera de ce manque de recours. Les témoins du groupe précédent vous l’ont aussi mentionné. Cette absence de recours nous inquiète profondément. Sans recours, personne n’a de droits.
Il est difficile de déterminer un moyen d’ajouter un mécanisme de recours dans cette situation, parce qu’on se heurte à nouveau à l’obligation de ne pas modifier le fonds de l’accord. Il sera plus facile de définir les pouvoirs à accorder aux agents des douanes américaines.
Je vais parler de deux ou trois autres points, et je traiterai du reste en répondant à vos questions. Le ministre affirme que l’on n’applique que rarement la saisie et la confiscation. Il dit que nous n’avons jamais fait face à un incident. Quand une chose va bien, pourquoi la réparer?
Nous nous retrouvons dans une situation où une fois que nous laisserons les Américains prendre le dessus… Cela créera l’effet pervers d’inciter un douanier canadien formé au Canada à respecter la Charte en refusant de mener une fouille parce qu’il n’a pas de motifs raisonnables de le faire.
On a ajouté à ce projet de loi une disposition qui n’était pas dans la loi initiale. Elle permet à un douanier américain d’ignorer les renseignements qu’il a tirés d’une personne et décider de procéder quand même à la fouille. Ces douaniers ont le pouvoir de le faire. Cet article le prévoit explicitement. Je ne sais pas ce que pensaient les rédacteurs. Je crois qu’ils ne pensaient pas que des douaniers canadiens seraient présents. En réalité, même si vous effectuez le précontrôle à la gare de Montréal, les agents de police canadiens viendraient effectuer la fouille au besoin. Ces zones de précontrôle ne se trouvent pas en pleine campagne. Elles se trouvent toutes dans de grands centres.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur l’échange de renseignements. L’un de mes collègues vous en parlera plus en détail. C’est un enjeu très nuancé. L’ASFC modifie maintenant sa politique à ce sujet. Elle se trouve dans ses manuels de politiques. Cet enjeu présente trois questions. La première concerne ce que l’on trouve dans un appareil. La deuxième est l’accès au nuage, qui contient un tout autre niveau d’information. La troisième a trait au secret professionnel de l’avocat. Ces trois questions sont importantes. Elles risquent toutes de créer des divergences entre la politique canadienne et celle des États-Unis.
Il est crucial que nous abordions ce problème. Comme l’a dit M. Therrien, il faut le régler non seulement dans le cas du précontrôle, mais aussi dans notre territoire douanier. Nos tribunaux ne le comprennent pas très bien, mais notre administration le comprend. Nous respectons beaucoup plus les droits à la protection des renseignements personnels que le fait le gouvernement des États-Unis, surtout à l’heure actuelle.
Je crois que le représentant de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique vous présentera ma dernière question. Que se passe-t-il dans les zones canadiennes de précontrôle situées hors du Canada? Je tiens à mentionner la négation du droit qu’ont les résidents permanents de revenir au pays. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés donne sans réserve aux résidents permanents canadiens le droit absolu de revenir au Canada. Dès que le contrôleur voit la preuve qu’une personne est résidente permanente du Canada, il doit la laisser rentrer, sans condition aucune.
Le gouvernement veut maintenant permettre aux douaniers d’une zone de précontrôle de refuser l’entrée de ces résidents, qui doivent alors se rendre à un point de passage frontalier.
Le ministre a mentionné les crimes graves, mais je ne vois pas pourquoi se limiter à cela. Pourquoi ne pas mentionner aussi les menaces à la sécurité et aux droits de la personne et les actes de terrorisme? Pourquoi s’arrêter aux crimes graves?
En réalité, ils veulent remettre ces personnes entre les mains des Américains pour que ceux-ci les traitent à leur guise. Voilà ce qui nous inquiète tant. Cela nous préoccupe beaucoup. En effet, combien de fois le Canada devra-t-il verser 10 millions de dollars et s’excuser officiellement auprès de personnes qu’il aura remises entre les mains des Américains qui eux, les auront renvoyées dans un pays étranger, ou à Guantanamo, ou ailleurs?
Ce n’est pas prévu dans l’accord, en passant, alors ils ne peuvent pas prétendre qu’ils ne veulent pas modifier l’accord. Cette histoire de refuser l’entrée à des résidents permanents est sortie de nulle part. Je la signale comme un autre de nos points de désaccord.
Je rappelle enfin que l’article 15 permet aux parties de modifier le présent accord si elles en conviennent mutuellement par écrit. C’est tout ce qu’il faut. Je sais que cela exige de la diplomatie.
[Français]
Hugues Langlais, président, Comité en droit de l’immigration et de la citoyenneté, Barreau du Québec : Je vous remercie d’accueillir le Barreau du Québec dans le contexte qui est celui de l’analyse du projet de loi C-23.
Le Barreau du Québec s’intéresse à différentes questions concernant la protection du public. C’est sa mission première. Dans cet esprit, lorsque le Barreau du Québec analyse un projet de loi, il est très soucieux des droits des individus qui sont en cause et qui sont mis en cause par la loi proposée.
Dans le contexte actuel, nous sommes vraisemblablement préoccupés par un certain nombre de choses qui ont été mises de l’avant par mon collègue, Michael Greene, et avec lesquelles le Barreau du Québec est entièrement d’accord. D’autres propositions vous seront faites aujourd’hui avec lesquelles nous n’insisterons pas davantage.
Nous allons nous concentrer sur un certain nombre de choses. Tout d’abord, nous nous réjouissons à l’idée que les agents et les contrôleurs américains suivront une formation en droit canadien. En fait, il faudra les déprogrammer pour les reprogrammer en droit canadien, ce qui représente une tâche colossale, à notre avis. En plus d’une reprogrammation, il faudra s’assurer qu’ils sont constamment accompagnés par des agents canadiens dans leur travail, à défaut de quoi cette reprogrammation souffrira de plusieurs ratés.
L’autre préoccupation qu’a le Barreau du Québec dans ce contexte-là c’est aussi d’assurer que l’exercice des pouvoirs conférés par le projet de loi soit effectué dans le respect intégral du secret professionnel de l’avocat.
Il est primordial que nous en revenions à la base des enseignements de la Cour suprême sur la protection que doit avoir le secret professionnel de l’avocat. Il existe d’autres éléments qu’on pourra préciser davantage en répondant aux questions. Il faudra revoir la rédaction française de l’article 33(1) du projet de loi qui présente une faiblesse en français. Nous recommandons aussi de définir le terme « résiste » qui se trouve à l’article 38 du projet de loi. Je m’arrête ici en espérant que vous serez nombreux à nous poser des questions. Merci.
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Madame Hawi, aviez-vous quelque chose à ajouter?
Réa Hawi, avocate au Secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Non, les points ont été couverts par mon collègue de l’Association du Barreau canadien.
[Traduction]
Pantea Jafari, membre du conseil, Association canadienne des avocats musulmans : Bon après-midi. Je m’adresse à vous au nom de l’Association canadienne des avocats musulmans. Nous représentons des musulmans dans tout le pays quel que soit leur état par rapport à l’immigration, qu’ils soient citoyens, résidents permanents ou invités à titre de visiteurs, de travailleurs ou d’étudiants. Nous représentons aussi un large éventail de gens étiquetés automatiquement « musulmans » depuis le 11 septembre, c’est-à-dire une proportion considérable des résidents canadiens qui seraient assujettis à ce projet de loi.
Tous les témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre et devant le vôtre ont fait valoir clairement que ce projet de loi manque de mordant en ce qui concerne les protections fondamentales des droits des Canadiens, celles-là mêmes que le premier ministre et le ministre Goodale décrivent comme son principal bienfait.
Ce projet de loi est présenté en partant de l’idée que, oui, les Américains peuvent faire ce qu’ils veulent, mais qu’ici nous avons l’avantage d’être en sol canadien sous la protection de la Charte et des autres lois du Canada. Comme le commissaire et une foule d’intervenants juridiques l’ont dit au comité de la Chambre qui étudie ce projet de loi, et comme le reste d’entre nous et le prochain groupe de témoins vous le diront aujourd’hui, ce n’est tout simplement pas le cas.
Dans ces conditions, il faut se demander ce qui se passe. Quelle est la raison d’être de ce projet de loi?
Lorsque le ministre Goodale a ouvert le débat à la Chambre des communes, il a déclaré que tout allait pour le mieux. Les États-Unis étaient entièrement satisfaits des zones de précontrôle. Il n’y avait aucun problème. En fait, ils étaient si contents qu’ils envisagent de faire la même chose ailleurs dans le monde. Ils aiment beaucoup le modèle canadien, au point de vouloir en étendre l’application.
Dans sa version actuelle, le projet de loi comporte aussi une clause de temporarisation. Il prévoit un mécanisme de réexamen à intervalles de cinq ans.
On ne nous en a pas parlé. On ne nous a pas présenté la moindre preuve tangible selon laquelle les Américains ne pourraient pas s’acquitter de leurs tâches, qu’ils ne pourraient pas protéger leurs frontières sans les pouvoirs accrus que confère ce projet de loi en matière de fouille et de saisie, de fouille à nu, d’interrogation, de restriction du droit de retrait. Rien de tout cela n’a été prouvé comme étant nécessaire à la bonne marche continue des zones de précontrôle. En fait, comme l’a fait remarquer M. Greene, le ministre a parlé de 60 années de fonctionnement sans problèmes. Alors qu’est-ce qui se passe? Pourquoi faisons-nous cela?
Je comprends qu’il puisse être avantageux d’étendre le précontrôle à la grandeur du Canada, comme de l’étendre aussi aux échanges commerciaux et aux transports, mais nous devons faire très attention au prix à payer pour obtenir ces avantages.
Contrairement à d’autres organisations qui pourraient, de manière plus politiquement correcte, prendre place ici et vous parler des défauts de ce projet de loi, qui sont décrits en détail dans nos mémoires écrits et repris devant le comité de la Chambre, par exemple, nous avons présenté conjointement une synthèse de tous les arguments essentiels du Conseil national des musulmans canadiens, de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et de l’Association canadienne des avocats musulmans.
Nous avons souligné que le défaut fondamental qui est indéniable et palpable dans ce projet de loi est qu’il n’offre aucun recours. De faire cela à une époque où nous avons le test le plus concret des craintes à considérer quand on envisage de céder des pouvoirs d’une telle ampleur, c’est vraiment décourageant. C’est très inquiétant et très alarmant.
La population que notre association représente sera, à coup sûr, la plus visée par le moindre changement dans les zones de précontrôle. Le président Trump parle de « contrôle extrême », eh bien, c’est ce qui se produit déjà. On voit des mères qui veulent traverser la frontière pour acheter des jouets à leurs enfants se faire interroger sans fin, pendant six ou sept heures, et se voir refuser l’entrée. Ce matin, nous avons appris qu’un écrivain et un journaliste en Ontario se sont fait questionner pendant deux heures, ont manqué leur vol, sont revenus plus tard pour en prendre un autre et ont encore subi un interrogatoire.
Si des choses pareilles peuvent se produire sous le régime de la Loi actuelle sur le précontrôle, comment peut-on imaginer que des changements comme ceux que propose ce projet de loi n’auront pas un effet disproportionné et discriminatoire sur les populations racialisées? Ainsi, nous voulons obtenir un avantage économique en facilitant le commerce et les déplacements transfrontaliers au prix d’importantes libertés civiles, un prix qui sera payé hors de toute proportion par des éléments précis de la population.
Tout le monde ne subira pas ces inconvénients, bien entendu. Le citoyen moyen se fera peut-être poser quelques questions et pourra passer. Les gens qui attendent aux postes frontaliers en ce moment même seront bien contents de gagner du temps avec le précontrôle.
Je me souviens d’une députée au comité de la Chambre qui nous expliquait combien elle avait trouvé exaspérant d’attendre indéfiniment aux douanes d’un aéroport et comme ce serait beaucoup mieux si nous avions ces zones de précontrôle. Ce serait bien plus rapide pour elle de traverser.
Je suis d’accord. Certaines parties de la population en profiteront. Mais nous ne pouvons pas nier que, pour une grande part, les éléments qui sont racialisés, qui sont déjà soumis à une surveillance policière excessive dans leurs localités, qui sont déjà scrutés à la loupe aux frontières, qui se sentent déjà menacés par les détenteurs de l’autorité, vont rester coincés à la frontière sans avoir le droit de se retirer vraiment, vont se sentir encore plus frustrés chaque fois qu’ils devront choisir entre les avantages d’aller aux États-Unis, que ce soit pour assister à des rencontres familiales ou à des activités professionnelles nécessaires peut-être pour garder leur emploi, et l’indignité de subir un interrogatoire si poussé qu’ils ont l’impression d’être traités comme des criminels.
C’est déjà ce qui se passe dans la réalité. Nous ne ferons qu’aggraver les choses en accordant un renforcement de pouvoirs que rien ne justifie, je le répète, et sans l’assortir du moindre recours en cas de violation des droits fondamentaux.
De nombreuses organisations ont déclaré dans leur témoignage que, avec la Loi sur l’immunité des États et les dispositions du projet de loi, il n’y a pratiquement aucune possibilité réelle ou défendable d’obtenir réparation d’un acte répréhensible commis par un agent du précontrôle américain, sauf en cas de décès, de lésion corporelle ou de dommage matériel. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on peut envisager de poursuivre le gouvernement américain, et lui seul, de sorte que l’agent ne sera pas nécessairement tenu responsable.
Une personne ordinaire au Canada qui veut se rendre aux États-Unis, qu’elle soit un citoyen, un résident permanent ou un résident temporaire, devrait s’en prendre au gouvernement américain et, encore là, seulement en cas de décès, de lésion corporelle ou de dommage matériel. Ce serait son seul recours en vertu de ce projet de loi, ce qui est extrêmement inquiétant.
Nous en sommes à l’étape de l’étude au Sénat. Nous avons soulevé tous ces points à l’étape de la Chambre.
Je suis heureuse de constater que certains amendements en sont sortis, par exemple celui d’un réexamen aux cinq ans. Nous en sommes très reconnaissants, mais absolument rien ne vient corriger le défaut essentiel de ce projet de loi, qui est l’absence d’imputabilité.
Je remarque aussi que l’étude à la Chambre a amené l’ajout de l’article 26.1. Sauf votre respect, ce n’est que du maquillage, une vulgaire fiche d’appréciation.
L’article dit littéralement, comme le lisait plus tôt la sénatrice McPhedran : « […] le voyageur peut, selon les modalités réglementaires, informer les hauts fonctionnaires canadiens… » Qu’entend-on par « informer »? Vous devez dire à quelqu’un que vous vous êtes senti violé?
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Madame Jafari, je dois malheureusement vous interrompre. Il ne reste que 30 minutes et les sénateurs aimeraient poser des questions. Vous pourrez continuer vos explications tout en répondant aux questions.
Le sénateur Boisvenu : Je vous souhaite la bienvenue. Votre présentation était des plus intéressantes, mais également des plus inquiétantes.
Monsieur Greene, croyez-vous que ce projet de loi est un recul par rapport à la loi de 1999?
[Traduction]
M. Greene : Oui, c’est cela.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À vous entendre, j’en ai la confirmation.
[Traduction]
M. Greene : Il est sans doute nécessaire, du point de vue du gouvernement, d’être beaucoup plus exhaustif. Le nouveau projet de loi est probablement quatre ou cinq fois plus long que l’ancien et il contient beaucoup plus de dispositions, surtout en ce qui concerne la responsabilité des agents et les accusations criminelles portées contre eux. Ce semble être un souci majeur, comme aussi celui d’englober les entrées par voie terrestre et par voie maritime.
Je suis conscient des intérêts économiques comme ceux de l’aéroport Billy Bishop et de l’aéroport de Québec, où on tient beaucoup à étendre les zones de précontrôle, mais mon impression actuelle, qui s’est renforcée tout le temps depuis que je suis plongé dans ce dossier, est que l’absence de tout recours et de toute réparation pèse de plus en plus lourdement. Une fois le dentifrice sorti du tube, je ne vois pas comment on pourra le remettre dedans.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous l’impression que ce projet de loi a été dicté davantage par les autorités américaines que par les autorités canadiennes?
[Traduction]
M. Greene : J’aurais tellement voulu être caché derrière le rideau pour écouter. Je pense qu’il a toutes les caractéristiques du premier, qui a été rédigé par des gens de l’administration — je n’aime pas employer le mot « bureaucrates » — qui voulaient parvenir à leurs propres fins. Du point de vue des Américains, il semblerait qu’ils veuillent avoir les mêmes pouvoirs qu’ils ont aux points d’entrée quand ils sont en sol américain. Le maximum de pouvoirs avec le minimum d’imputabilité.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On consacre vraiment, dans le projet de loi, le fait qu’en sol canadien il y a des parcelles qui seront entièrement américaines?
[Traduction]
M. Greene : Il n’est pas censé en être ainsi. Dans le projet de loi précédent, le C-22 si ma mémoire est bonne, qui est devenu en fait la Loi sur le précontrôle de 1999, on s’est évertué à bien préciser, parce que ce n’était pas clair dans la première ébauche, qu’il ne s’agissait pas de sol américain, mais bel et bien de sol canadien. Sauf que ce qui se produit, et vous avez raison si je dis vrai, c’est que cela devient de facto du sol américain, à cause de l’incapacité d’y faire appliquer toute loi canadienne.
[Français]
M. Langlais : C’est l’équivalent d’une renonciation à la souveraineté du Canada sur le droit de passage entre les deux territoires. Imaginez des lois avec une disposition de dérogation. Tout le monde serait aux barricades. Il s’agit d’une loi mettant en cause des droits fondamentaux et dans laquelle on a accepté, à mots couverts, qu’il y ait une disposition de dérogation portant sur l’ensemble du droit canadien. C’est donc une renonciation à la souveraineté du Canada.
Le sénateur Boisvenu : Un élément m’apparaît particulièrement inquiétant, c’est l’absence du recours d’appel.
M. Langlais : Entre autres.
Le sénateur Boisvenu : Un Canadien qui se trouve dans un aéroport en sol canadien, où il y a une autorité américaine, serait captif. En plus de perdre son droit de recul, comme le prévoyait l’ancienne loi, il n’a aucune possibilité d’appel même si ses droits ont été brimés.
M. Langlais : Aucune possibilité d’appel. Rien n’est prévu, dans l’état actuel du droit, permettant un appel, une révision judiciaire ou une contestation de quelque nature que ce soit et je dirais une contestation qui soit effective. On peut entreprendre des recours. De là à dire que cela se conclura en une compensation ou un redressement quelconque, la réponse est non.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que cette perte de droits pourrait être contestée devant la Cour suprême?
M. Langlais : On peut toujours formuler une demande devant la Cour suprême avec l’espoir qu’elle prenne une décision en notre faveur. Oui, on a toujours la possibilité d’exercer un recours. Est-ce une décision qui nous sera favorable? L’enjeu devient à la fois politique et juridique, dans une certaine mesure. Il y a matière à contestation, oui. Est-ce qu’on aura gain de cause? C’est une autre paire de manches.
[Traduction]
Le sénateur Brazeau : Je suppose que ma question s’adresse davantage à M. Greene, puisqu’elle concerne le droit illimité de se retirer. Pensez-vous que, avec ce projet de loi, le gouvernement cherche à se décharger de sa responsabilité afin d’apaiser peut-être un gouvernement américain obnubilé par la sécurité?
M. Greene : Je ne sais pas si c’était l’intention première. Je préfère croire que nos représentants ne voyaient tout simplement pas le problème. Ils pensaient qu’il suffirait d’inclure une clause d’application de la Charte et que tout irait pour le mieux.
C’est une drôle de façon de légiférer. On s’enferme derrière des portes closes, on en vient à un accord et on appose sa signature. Puis on présente cet accord au Parlement en disant qu’il n’y a rien à changer : « Nous allons maintenant faire des consultations et inviter les Canadiens et les Canadiennes à se prononcer. Mais peu importe ce que vous direz, nous ne pouvons pas le changer, alors vous êtes pris avec. »
Le résultat net à notre avis est que, oui, le gouvernement s’est déchargé de sa responsabilité et a bien mal protégé les droits des Canadiens et c’est pourquoi ce projet de loi laisse grandement à désirer.
Le sénateur Brazeau : Et qu’il a peut-être aussi bien mal fait connaître sa position?
M. Greene : Oui. S’il avait une position, eh bien, elle n’a pas compté. Rappelez-vous, on était sous l’administration précédente aux États-Unis, qui était, en principe, beaucoup plus sensible à notre point de vue, mais je ne suis pas certain que les choses fonctionnent ainsi. Je ne pense pas que les directives venaient de la Maison-Blanche. Je soupçonne plutôt tout l’appareil des agences de services frontaliers.
Il faut se rappeler que nous faisons beaucoup de coopération avec les Américains maintenant, beaucoup d’échanges de renseignements. Nous faisons beaucoup de travail en collaboration très étroite. Aussi j’imagine que c’est venu de ce processus par lequel on décide de ce qui fonctionne le mieux pour les services frontaliers, sauf qu’entre-temps, on a oublié, semble-t-il, de tenir compte des droits des Canadiens.
La sénatrice McPhedran : Je suis à la page 19 de votre mémoire et au sommaire des recommandations. Puis je tourne à la page 20. J’ai beaucoup de questions, mais je vais m’en tenir à vous demander de clarifier un peu l’objet de la recommandation no 8, qui est un peu floue, pour moi du moins.
Elle se lit comme il suit :
Les sections de l’ABC recommandent la création d’un groupe de travail composé de représentants de l’ABC, de Justice Canada et de l’ASFC qui collaboreront à l’établissement d’une politique spécifique applicable aux fouilles effectuées aux postes frontaliers canadiens qui impliquent des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.
J’ai des questions à ce sujet et j’invite bien sûr les représentants des autres organismes à y aller aussi de leurs commentaires.
Voici mes questions : premièrement, quel serait d’après vous l’échéancier idéal pour ce groupe de travail? Deuxièmement, pourquoi vous en tenez-vous seulement au secret professionnel de l’avocat? Troisièmement, en ce qui concerne les constatations du groupe de travail, quelle serait, à vos yeux, la démarche optimale de protection des droits? Qu’adviendrait-il de ces constatations? Qui leur donnerait suite? Comment les constatations du groupe de travail pourraient-elles aboutir concrètement à faire changer la loi?
M. Greene : C’est beaucoup de questions. Je vais essayer de m’en souvenir.
La sénatrice McPhedran : Elles sont toutes liées à cette recommandation en particulier.
M. Greene : Je vois. Ce mémoire a été rédigé en comité et vous savez ce que cela veut dire, mais je pense être en mesure de vous répondre.
Cela fait partie d’une question plus vaste; il ne s’agit pas seulement des zones de précontrôle. C’est la question avec laquelle le gouvernement est aux prises dans le projet de loi C-21; les mêmes problèmes surgissent en différents endroits. M. Therrien en a parlé en signalant que nous devons être clairs au Canada quant au traitement du contenu des appareils électroniques et, comme je l’ai dit, pas seulement le contenu des appareils, mais aussi le contenu stocké dans le nuage.
Alors, comment traiter le secret professionnel de l’avocat? Lorsqu’on prend mon appareil à la frontière, il faut savoir qu’il contient plein de correspondance avec mes clients, une correspondance hautement confidentielle. Je ne voudrais pas qu’elle soit copiée et envoyée à Washington, où on ne pourrait plus jamais la récupérer.
Cela se produit aux points d’entrée aussi, quand vous arrivez au Canada. Nous devons être clairs à ce sujet, définir précisément nos politiques en la matière. Nous demandons d’être invités à participer à l’élaboration de ces politiques au lieu d’être mis devant le fait accompli, lorsque quelqu’un n’a pas fait ses consultations et, probablement en toute innocence, a omis certains points délicats.
La sénatrice McPhedran : Quand souhaitez-vous être invités? L’échéancier n’est pas clair.
M. Greene : Je pense que cela devrait se passer dès maintenant parce que la technologie évolue si rapidement et la capacité de capter l’information aussi.
Pensons au projet de loi C-21, dont le Parlement est saisi actuellement, qui va modifier radicalement les pouvoirs des douaniers. Les douaniers pourront examiner les gens au départ et leur poser toutes les questions qu’ils posent à l’arrivée. Ils auront le droit de faire cela. Ce sera une occasion de plus de recueillir de l’information. Nous devons être clairs à propos de nos politiques.
La Cour suprême s’est prononcée sur les appareils électroniques, en disant qu’il faut relever la norme, et elle a placé le secret professionnel de l’avocat tout en haut dans l’échelle des normes. Quant au traitement spécifique de l’information stockée dans le nuage, elle ne l’a pas abordé dans le contexte des points d’entrée, à ce que je sache.
La sénatrice Jaffer en parle dans ses observations. Elle mentionne des cas précis et nous invite à la prudence. J’insiste pour dire que notre recommandation situe dans un contexte plus large ce qui doit se produire aux points d’entrée et la saisie de ce genre d’information, alors elle vise bien sûr le précontrôle. Nous disons que les Américains doivent appliquer la loi canadienne, alors notre interprétation de la loi canadienne devrait être la politique appliquée par l’Agence des services frontaliers du Canada. Voilà ce que le département de la Sécurité intérieure des États-Unis devrait appliquer dans les zones de précontrôle en sol canadien. Si nous ne sommes pas clairs là-dessus, comment les Américains pourront-ils l’être?
La sénatrice McPhedran : À ma question sur l’échéancier, vous répondez que c’est dès maintenant, autrement dit, avant l’adoption de ce projet de loi. Vous voulez qu’on approfondisse ce point dès maintenant, soit par notre entremise ou autrement, mais vraisemblablement ici par notre étude en comité. Vous nous faites cette recommandation. Je comprends.
Quand j’ai demandé pourquoi on se limitait au secret professionnel, je ne souhaitais pas du tout en diminuer l’importance. En tant qu’avocate, j’en reconnais la valeur. Cependant, qu’en est-il de l’article 26.1? Qu’en est-il de la vacuité de l’article 26.1 et de l’absence de solution de rechange à l’heure actuelle?
[Français]
M. Langlais : Comment dirais-je? D’abord, je crois qu’il faut rappeler, concernant le secret professionnel, qu’il s’agit d’un pouvoir qui nous est investi et qui nous est octroyé par le client. Vous êtes avocate de formation. Donc, vous comprenez que le secret professionnel, nous le possédons, mais que c’est celui qui nous a été octroyé par le client. La vulnérabilité c’est nous, mais c’est davantage le client. C’est le client qui est vulnérable à cette violation des droits fondamentaux.
Si on a des données dans nos ordinateurs, nos portables, nos téléphones ou autres, ce sont certes des éléments qui peuvent nous appartenir, qui sont les nôtres, mais qui sont davantage ceux des clients, et c’est cette protection qu’on doit assurer. La Cour suprême nous l’a dit à plusieurs reprises, dans plusieurs décisions : le secret professionnel de l’avocat est une considération essentielle dans notre société démocratique.
Dans cette perspective, il faut assurer la protection lorsqu’on quitte le territoire canadien et lorsqu’on y revient parce que la même vulnérabilité existe à tout moment. Il n’y a actuellement aucune balise de quelque nature que ce soit relativement à la protection du secret professionnel à la traversée d’une frontière dans une direction ou dans une autre. C’est préoccupant, excessivement préoccupant, et c’est en ce sens que le Barreau du Québec souscrit à la recommandation du Barreau canadien de créer un groupe de travail, et nous sommes tout disposés à y participer le plus tôt possible.
Quant à l’article 26.1, il s’agit d’un article qui comporte un certain nombre de mots absolument vides de sens.
[Traduction]
Mme Jafari : Je crois comprendre que vous demandez s’il existe d’autres sujets d’inquiétude sur lesquels nous devrions à présent nous pencher. Sans détour, je répondrai par l’affirmative, en dépit du fait que des représentants d’organismes, dans leurs témoignages au Sénat et à la Chambre, ont fait état de ces lacunes fondamentales, dont la principale est l’absence d’examen ou de reddition de comptes. Notre position consiste à demander comment pallier ces lacunes. Par exemple, le commissaire a dit, dans son témoignage, qu’il serait utile d’ajouter les appareils mobiles à l’article 26.1.
Je tiens à dire que ce n’est pas suffisant. C’est même fondamentalement insuffisant. Le fait de pouvoir rendre compte d’une violation des droits ou d’un sentiment que l’on a ressenti sans qu’il y ait de recours juridiques pour que quelqu’un soit tenu responsable, voilà qui n’a aucun sens. Comme vous l’avez dit, c’est un droit dépourvu de recours.
C’est pourquoi l’accord qui sous-tend cet état de fait doit absolument être renégocié, même si l’on n’en a pas envie. C’est la raison d’être du processus législatif. Un accord est d’abord conclu, puis les parlementaires s’en saisissent et le passent au peigne fin pour voir s’il y a des problèmes cruciaux et si des amendements sont nécessaires.
Si le projet de loi présente des lacunes fondamentales et que vous êtes contraints par l’accord, vous devez recommander la réouverture de l’accord, à mon avis.
Si le président Trump peut rouvrir l’ALENA sans crier gare, pourquoi ne pourrions-nous pas rouvrir cet accord? Il présente des lacunes si profondes que les libertés civiles de tous les Canadiens s’en trouvent sacrifiées. Aussi, nous savons qu’une certaine tranche de la population serait ciblée de manière discriminatoire et disproportionnée. Pourquoi devrions-nous suivre cette voie? Pourquoi ne pas mettre le holà avant que la situation n’empire? Je le répète : en renonçant à notre souveraineté et en faisant de ces zones de précontrôle des territoires américains, en pratique, nous abandonnons des pouvoirs que nous ne pourrons pas reconquérir si facilement. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous avons encore le pouvoir d’agir.
La sénatrice Griffin : J’ai quelques questions, dont l’une a trait à la carte NEXUS. Si je comprends bien, des cartes NEXUS ont été saisies dans les zones de précontrôle pour des motifs possiblement contestables dans certains cas. Dans votre mémoire détaillé que nous avons sous la main, vous avez formulé une recommandation pour remédier au problème en proposant un amendement au projet de loi C-23. Pourriez-vous nous en dire plus, je vous prie?
M. Greene : Pourriez-vous me donner la référence du passage, s’il vous plaît?
La sénatrice Griffin : Pages 9 et 10, f) NEXUS, ainsi que la recommandation no 8 à la page 10.
M. Greene : Je vous avouerai que je ne connais pas très bien cette question. Je ne dirai pas que c’est faux, mais il me semble qu’il existe un mécanisme que les gens utilisent lorsque leur carte NEXUS est confisquée à un point d’entrée ou une zone de précontrôle, mécanisme qui déclenche un examen NEXUS. Mes collègues me corrigeront si je me trompe, mais je crois qu’après avoir ébauché ces lignes, nous avons reçu une réponse à la question. Je ne crois pas que nous insistions beaucoup là-dessus.
À propos, nous avons envoyé sous forme de lettre la version à jour de notre mémoire, datée du 4 décembre, qui porte sur un nombre restreint de questions, dont celle que vous mentionnez ne fait pas partie. Nous avons fondu nos recommandations, en quelque sorte, pour n’en garder que quelques-unes. Non pas que les recommandations du mémoire détaillé fussent inutiles, mais nous avons voulu nous concentrer sur les aspects les plus pernicieux, pour lesquels des modifications sont particulièrement nécessaires. Je ne crois pas que NEXUS fasse partie de cette liste.
La sénatrice Griffin : J’ai un document daté du 4 décembre et adressé à la présidente du comité, la sénatrice Gwen Boniface. J’ignore ce qui s’est passé. Il semble qu’il y ait deux versions.
M. Greene : L’une des versions date du mois du mars. Mes excuses. C’est le mémoire que nous avions apporté à la Chambre. Il y a eu des amendements et certains problèmes ont été réglés.
La sénatrice Griffin : Très bien. Voilà qui est positif.
M. Greene : Oui. Le processus fonctionne. C’est positif.
La sénatrice Griffin : Dans quelle mesure les préoccupations exprimées ici aujourd’hui seraient-elles apaisées par l’ajout du Canada à la Judicial Redress Act de 2015 des États-Unis, une loi qui reconnaît aux personnes qui n’ont pas le statut de résident américain les mêmes droits de poursuite judiciaire ainsi qu’une protection accrue de leur vie privée?
M. Greene : Je ne sais pas trop. La question a été abordée lors de la dernière séance, si je ne m’abuse. Je crois qu’il s’agissait d’offrir des recours, puisque le projet de loi actuel en est dépourvu. Je ne sais pas bien comment ce mécanisme fonctionnerait; je crois qu’il ouvrirait la possibilité d’un recours si le Canada souscrivait à la loi. Voilà quelle était l'intention, je crois.
La sénatrice Griffin : C’était là l’intention, je crois. C’est pourquoi je pose la question. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans vos 17 recommandations, je n’en ai pas vu qui concernaient l’absence de recours. Est-ce que j’ai mal lu? Parce que l’un des éléments sur lesquels vous insistiez, c’est que le projet de loi ne prévoit pas de recours pour les citoyens canadiens qui sont interceptés.
Parmi les 17 recommandations, je n’ai rien vu en lien avec la possibilité d’établir un processus de recours ou d’appel.
[Traduction]
M. Greene : Pour qu’il y ait la possibilité d’un recours, vous n’auriez d’autre choix que de modifier l’accord. Je ne vois pas de possibilité que vous fassiez cela.
Ce que nous suggérons, c’est que l’on évite de créer la situation qui fait en sorte qu’un recours devient nécessaire. Il s’agit de ne pas leur donner les pouvoirs que ce projet de loi leur conférerait. Il y a beaucoup de bonnes choses dans le projet de loi. Seulement, il ne faut pas leur donner les pouvoirs de fouiller les gens par eux-mêmes ou d’interroger les personnes qui veulent quitter la zone. En d’autres termes, il s’agit de revenir à la loi actuelle et de maintenir le droit inaliénable de retrait qu’elle établit. Si ce droit existe, aucun recours n’est nécessaire. En tout cas, la nécessité d’un recours est bien moindre.
Les problèmes commencent quand des gens sont la cible de profilage en raison de leurs opinions politiques ou de leur religion, quelles qu’elles soient, et quand on refuse de les laisser partir. Pour ces personnes, il s’agit d’une expérience horrible. Cependant, elles n’y peuvent rien. Elles n’ont aucun recours.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On se retrouve en « catch-22 », si vous me permettez l’expression. Vous dites que si les recommandations sont acceptées, nous n’avons pas besoin de recours. Par contre, si elles ne sont pas acceptées et qu’il y a absence de recours, nous sommes encore plus mal pris.
[Traduction]
M. Greene : De fait, il y a un problème. Nous affirmons que vous ne pouvez pas laisser les choses telles quelles. L’autre solution consiste à accorder les pouvoirs en question, à condition d’établir une forme de recours. Or, quels seront ces recours?
Le groupe d’experts-conseils mentionné à l’article 26.1 n’était pas censé servir d’arbitre pour régler les litiges. On devait s’adresser à ce groupe pour exprimer ses préoccupations. Ensuite, les experts-conseils devaient en faire part à leurs homologues américains et tenter de trouver une solution. En cas d’échec, ils pouvaient utiliser les canaux diplomatiques.
En fin de compte, ce sont ceux qui accomplissent les actions, c’est-à-dire les Américains, qui prennent la décision. Ce n’est pas vraiment un recours, mais simplement la possibilité d’exprimer quelque chose.
Je ne sais pas quelle est la solution. Cela dit, c’est un changement majeur. Nous ne devons pas perdre de vue que les pouvoirs que nous accordons modifient l’essence même des zones de précontrôle, alors que, au dire du ministre lui-même, les choses ont bien fonctionné pendant 60 ans. Pourquoi aller aussi loin?
C’est un véritable problème parce que, même si la loi canadienne s’applique, il est dit dans l’accord qu’il est impossible de contester une décision en Cour fédérale. Quelqu’un a parlé de la Cour suprême. De fait, en vertu de nos lois, il est impossible de s’adresser à la Cour suprême sans passer d’abord par la Cour fédérale. De la Cour fédérale, on passe à la Cour fédérale d’appel et enfin à la Cour suprême.
Si, au lieu de cet article du projet de loi qui stipule qu’il ne peut y avoir de révision de la décision, on pouvait demander une révision en Cour fédérale, une pratique de profilage racial, par exemple, pourrait être déclarée inconstitutionnelle et une ordonnance pourrait empêcher les agents d’agir ainsi. Voilà un recours efficace. Si l’ASFC agissait de la sorte, c’est ce que nous ferions, parce que nous en avons le pouvoir. Quand nous renonçons à nos pouvoirs en affirmant qu’un voyageur ne peut pas demander justice en Cour fédérale, que faisons-nous? Puis, que font-ils, eux?
Le propos de ce mémoire est le suivant : si vous ne leur donnez pas de tels pouvoirs, vous n’aurez pas besoin de recours. J’ignore quel recours serait efficace. J’imagine que le mieux serait d’ouvrir la possibilité d’une action en Cour fédérale. Autrement dit, il s’agirait d’éliminer les dispositions stipulant qu’il ne peut y avoir de recours en Cour fédérale.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Monsieur Greene, j’aimerais vous poser une question. Actuellement au Canada, il y a des zones de précontrôle, dont une à Montréal et une à Toronto. À votre connaissance, est-ce qu’un contrôleur américain aurait abusé de ses pouvoirs ou aurait agi de façon déraisonnable? Cela s’est-il déjà produit dans une zone de précontrôle, soit à Montréal ou à Toronto? On parle quand même de douanes en territoire canadien.
[Traduction]
M. Greene : À propos des zones de précontrôle dont vous parlez, je sais que le ministre a dit, à un moment donné, qu’on n’y a déploré aucun incident fâcheux.
Tout dépend de la définition que l’on adopte. Nous, les avocats de l’immigration, nous avons tous entendu les plaintes de clients qui se sont sentis maltraités dans les zones de précontrôle. Les députés les ont entendues aussi, j’en suis sûr; pour ce qui est des sénateurs, je ne sais pas.
Je peux vous raconter des histoires de clients qui ont eu affaire à un agent très strict. Un client a été escorté jusqu’à un guichet automatique afin de payer une amende. Il a été détenu à cette fin, cela ne fait aucun doute; or, c’est illégal.
Cette pratique n’est plus en usage. Cet incident en particulier a été ébruité jusqu’à la Chambre des communes, en raison des pratiques qui avaient cours en ce temps-là. Le public en a entendu parler et le département d’État américain s’en est mêlé.
Ce sont là des solutions d’ordre diplomatique. La diplomatie existe. Seulement, les recours judiciaires font défaut. Voilà le problème.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais m’assurer que je vous ai bien compris, monsieur Greene. Vous avez dit que le comité — à moins que ce ne soit vous-même, à titre individuel — a examiné très attentivement le Groupe consultatif sur le précontrôle sur lequel on a fait peser le fardeau de protéger les droits des personnes, d’une manière ou d’une autre.
J’ai lu votre mémoire et je ne crois pas avoir vu de détails à ce sujet.
Tout d’abord, j’aimerais formuler une demande, si vous me le permettez. Si nous n’avons pas encore cela sous la main, j’aimerais le demander, je vous prie, pour que nous l’examinions. Avez-vous des remarques à formuler sur ce sujet en particulier avant de devoir nous quitter aujourd’hui? Je parle ici de la clarté du mandat du Groupe consultatif sur le précontrôle et de sa capacité — ou de son incapacité — à fournir des recours aux Canadiens qui y expriment leurs inquiétudes.
M. Greene : Notre mémoire principal n’en fait pas mention, parce que cela n’a été évoqué en Chambre que lorsqu’est apparue l’idée de l’article 26.1, qui stipule que l’on peut informer ce groupe.
Le groupe a été créé. On peut le voir à l’article 17 de l’accord proprement dit. Je vous encourage à l’examiner. On vous dit que cet accord vous contraint, ne l’oubliez pas. Ce pourrait être une bonne idée d’y jeter un coup d’œil.
Vous pouvez constater que, dans cet accord, le groupe n’était pas censé être… Je ne crois pas qu’il devait servir à régler les plaintes. Une partie peut s’adresser à l’autre partie pour exprimer une inquiétude. Ensuite, les deux parties se réunissent et tentent de trouver une solution. Si elles ne s’entendent pas, on grimpe au palier supérieur, soit les canaux diplomatiques. C’est ainsi que cela se passait.
Il semble que ce soit dans le contexte où des agents se conduiraient mal et où ils pourraient être accusés dans une juridiction ou une autre. Il s’agirait de s’entendre sur la voie à suivre en pareil cas.
Je ne sais pas si l’intention allait au-delà de cela. Quand ils ont inséré l’accord dans le projet de loi, celui-ci restait muet là-dessus; cela a changé quand la Chambre a ajouté l’article 26.1. Il ne s’agissait pas d’un mécanisme; cela n’en avait pas l’apparence, à moins que la chose ne m’ait échappé. Peut-être que c’est caché là-dedans.
Il est possible que cela puisse être transformé en quelque chose qui ait plus de force, si on y ajoutait un pouvoir décisionnel en disant par exemple ceci : « À l’avenir, ce sera là la politique qui dictera comment se dérouleront les fouilles », ou autres. Peut-être. Cependant, pour l’instant, cela semble manquer de mordant.
Mme Jafari : J’aimerais prendre un instant pour dire que l’Association canadienne des avocats musulmans — soit l’ACAM — a préparé un mémoire à jour pour le Sénat. Je ne crois pas l’avoir envoyé encore; je m’en excuse. Vous le recevrez bientôt.
Je vous invite aussi à lire le mémoire préparé conjointement par l’ACAM, le Conseil national des musulmans canadiens et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, mémoire déposé au comité de la Chambre. Il est toujours valable. Nous espérons que l’étude du comité se fondera sur ces recommandations, qui demeurent toutes valables.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Je remercie nos invités. Merci à M. Greene, à Mme Terroux, à Mme Hawi et à Mme Jafari.
Pour notre troisième groupe de témoins cet après-midi, nous entendrons M. Tim McSorley, coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, et M. Josh Paterson, directeur général de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Bienvenue, messieurs, au Comité de la sécurité nationale et de la défense. Si vous avez une présentation, nous allons commencer par M. McSorley suivi de M. Paterson. Par la suite, les sénateurs pourront poser des questions. Nous vous écoutons, messieurs.
[Traduction]
Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Je vous remercie de nous recevoir. Comme le président l’a mentionné, je fais partie de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, une coalition de 40 organismes, répartis à travers le Canada, qui se penchent tout particulièrement sur l’incidence qu’ont les lois sur la sécurité nationale et sur la lutte au terrorisme sur les libertés civiles au pays. Je suis ravi de pouvoir prendre la parole ici aujourd’hui au nom des membres de notre coalition.
Comme l’ont dit Mme Jafari et M. Greene, nous avons quelque peu accordé nos violons. J’exprime donc les mêmes préoccupations qu’eux. Nous partageons les inquiétudes que Mme Jafari et M. Greene ont formulées et que M. Paterson exprimera aujourd’hui. Je me concentrerai sur deux parties du projet de loi. Ainsi, aucun pan du projet de loi ne sera négligé.
J’aimerais d’abord discuter de la troisième partie du projet de loi, qui porte sur les modifications au Code criminel relatives au port d’armes à feu par les agents de précontrôle américains en sol canadien. Comme beaucoup de Canadiens partout au pays, nous nous inquiétons du fait que cette mesure législative, en modifiant le Code criminel, permettrait aux agents de précontrôle américains de porter des armes à feu dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce qui nous inquiète, au fond, c’est le fait que ces agents conduiront leurs activités en sol canadien. Ils ne travailleront pas toujours en équipe avec un ou plusieurs agents canadiens. Ce sera donc sans supervision qu’ils porteront ces armes. À l’heure actuelle, il est interdit aux agents des douanes canadiens de porter des armes à feu dans les aéroports. Nous sommes inquiets à l’idée que l’on permettrait aux agents de précontrôle américains de porter des armes à feu alors même que les agents canadiens de l’ASFC, qui se trouvent dans des situations semblables dans les aéroports canadiens, n’en portent pas.
On nous a dit que les amendements allaient induire une réciprocité. En d’autres mots, les agents de précontrôle américains allaient pouvoir porter des armes à feu dans les mêmes situations que les agents de l’ASFC. Nous sommes préoccupés par ce que cela signifie. Par exemple, si les agents de l’ASFC portent des armes à feu dans les aéroports — on sait que leur syndicat réclame qu’on leur accorde ce droit en ce moment —, alors les agents de précontrôle américains feront forcément de même. On ne nous a donné aucune raison pour justifier cela. Nous appréhendons l’adoption de ces amendements au Code criminel, surtout au vu de cette absence de recours dont nos collègues ont fait état toute la journée. Nous serions très inquiets de voir ces droits s’étendre aux agents américains sans que l’on ait débattu du sujet en profondeur et sans que l’on accorde une protection accrue aux voyageurs qui transitent par ces zones de précontrôle.
Comme je l’ai dit, les agents de l’ASFC ne portent pas d’armes à l’heure actuelle. De bonnes raisons expliquent cet état de fait, raisons qui ont été exposées lors du débat sur la Loi sur les douanes. Ce n’est pas sans inquiétude que nous verrions cette mesure adoptée sous la forme d’un amendement au projet de loi sur le précontrôle. Il vaudrait mieux procéder comme suit : s’il doit y avoir un débat sur le port d’armes à feu par les agents des douanes dans les aéroports canadiens, ce serait alors le moment de se demander si c’est une bonne idée d’étendre l’autorisation aux agents américains de précontrôle. L’inclusion de la mesure dans ce projet de loi est très problématique. Dans notre mémoire, nous établissons certaines conditions à cet effet. En fin de compte, nous pensons que cet article devrait être tout bonnement supprimé du projet de loi et que, pour l’heure, nous ne devrions pas envisager d’étendre l’autorisation du port d’armes à feu aux agents de précontrôle.
Je voudrais aussi dire un mot au sujet de la deuxième partie du projet de loi, soit celle qui porte sur l’établissement de zones de précontrôle canadiennes en sol américain. Nous avons quelques inquiétudes à ce sujet, inquiétudes que partagent d’autres organismes. Je tiens d’abord à dire que nous ne sommes pas contre les zones de précontrôle canadiennes à l’étranger, y compris aux États-Unis. Nous croyons que ce serait une bonne chose, mais la façon dont cela est formulé dans le projet de loi nous préoccupe pour différentes raisons.
Avant de parler de ces raisons en détail, je rappelle que, pour l’essentiel, l’étude de ce projet de loi — aujourd’hui et lors d’autres audiences — a été axée sur les zones de précontrôle américaines en sol canadien. Comme les zones de précontrôle canadiennes ne font pas encore partie de la discussion, nous nous demandons si nous devrions vraiment décider des règles des zones de précontrôle canadiennes en sol américain à ce moment-ci, ou si nous ne devrions pas plutôt les envisager dans un projet de loi futur, lorsque nous discuterons véritablement de l’établissement de zones de précontrôle canadiennes, d’autant plus que le présent projet de loi porterait seulement sur les zones de précontrôle canadiennes en sol américain. Toutefois, on a dit que cela allait aussi servir de modèle pour l’établissement de zones de précontrôle dans d’autres pays, si je ne m’abuse. Pour l’instant, on ne tient compte ni de cela ni des inquiétudes qui existent, dans la deuxième partie du projet de loi.
Pour préciser ce que nous jugeons problématique dans la partie 2 du projet de loi, premièrement, elle semble accorder de vastes pouvoirs pour empêcher les résidents permanents de retourner au Canada. Comme M. Greene l’a souligné, les résidents permanents ont le droit de retourner au Canada et on ne voit pas exactement dans le projet de loi C-23 ce qui pourra être invoqué pour les empêcher de rentrer en passant par une zone de précontrôle. Ils devront passer par une frontière terrestre ce qui est très compliqué si vous rentrez de Floride et qu’on vous dit que vous ne pouvez pas monter à bord de l’avion. Vous devez alors vous présenter à une frontière terrestre. Comment se rendre jusqu’à cette frontière?
Comme M. Greene, nous pensons que nous nous déchargeons de nos responsabilités et nous nous demandons quelles seront les répercussions si un résident permanent se voit interdire de rentrer au Canada en passant par une zone de précontrôle. Il sera alors en territoire américain et risque d’être détenu et d’avoir d’autres problèmes aux États-Unis, car il n’y a pas de règles pour le moment quant à la façon dont les renseignements obtenus lors d’un refus d’accès dans une zone de précontrôle des États-Unis pourraient être partagés avec les agents américains. Nous estimons que cet article du projet de loi ne protège pas suffisamment les renseignements personnels.
Enfin, le ministre a déclaré à cet égard que ce serait en cas de criminalité grave. Ce n’est pas précisé dans le projet de loi et nous craignons donc que cela ne se limite pas vraiment à la criminalité grave. Comme M. Greene l’a mentionné, cela pourrait s’étendre à des questions de sécurité nationale et autres. Par conséquent, nous pensons que cette section de la partie 2 pose de sérieux problèmes.
Un dernier problème touchant la partie 2 est que les zones de précontrôle seraient considérées comme étant canadiennes sur le plan des douanes et de la sécurité, mais pas sur le plan de l’immigration et de la protection des réfugiés. Par exemple, la loi dit explicitement que si vous vous présentez dans une zone de précontrôle, vous ne pourrez pas y faire une demande d’asile. Nous trouvons très regrettable que les zones de précontrôle fassent l’objet de deux poids deux mesures et qu’on y applique une partie de la loi canadienne, mais pas une autre.
Comme on a déjà mentionné que l’Entente sur les tiers pays sûrs s’appliquerait aux États-Unis, il y a lieu de se demander s’il sera possible ou non de faire une demande d’asile à une frontière terrestre ou dans une zone de précontrôle. Comme bien d’autres organismes, nous nous soucions de l’impact de l’Entente sur les tiers pays sûrs et nous pensons que cela ne devrait pas influer sur nos décisions. Encore une fois, on peut se demander si cela n’établira pas un précédent pour les zones de précontrôle dans les autres pays avec lesquels nous n’avons pas ce genre d’entente. Nous craignons fort que ce genre de limitation empêche des gens pouvant prétendre au droit d’asile au Canada de passer par une zone de précontrôle et que cela puisse servir de frontière préliminaire pour l’immigration et la protection des réfugiés au Canada.
Je vais m’arrêter là. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, mais nos principales préoccupations portent également sur la question des recours et la façon dont le projet de loi a été négocié, le fait qu’il se fonde sur un accord dont on n’a pas discuté ou débattu publiquement et le fait qu’on nous dit maintenant que les mains du gouvernement sont liées quant aux amendements qui peuvent être apportés. Je tiens à préciser que telles sont nos principales préoccupations à l’égard de cette mesure, mais que d’autres dispositions nous inquiètent également.
Josh Paterson, directeur général, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup, sénateurs, de nous avoir invités à comparaître au sujet de cette question importante. Nous avons déposé un mémoire détaillé dans lequel nous disons appuyer le précontrôle et les efforts déployés pour l’offrir à plus de Canadiens et d’entreprises. Cela dit, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a d’importantes réserves au sujet de ce projet de loi. Je vais consacrer mon temps à certaines d’entre elles, car mes collègues ont déjà parlé des autres.
Le ministre a déclaré au comité, lors de son témoignage, que les pouvoirs que ce projet de loi confère aux agents des États-Unis ne représentent qu’un petit changement par rapport à la situation actuelle. Nous ne sommes pas du tout d’accord avec le ministre. Ce projet de loi confère de nouveaux pouvoirs importants aux contrôleurs des États-Unis pour questionner, fouiller et peut-être détenir des voyageurs, même lorsqu’ils décident de ne pas aller aux États-Unis. Cela survient au moment même où le gouvernement et l’administration des États-Unis ont signalé par leurs paroles et leurs actes à la communauté mondiale qu’ils comptaient agir délibérément de façon discriminatoire à leurs frontières, particulièrement vis-à-vis des musulmans et des minorités raciales. L’administration américaine a manifesté sa méfiance et son incompréhension de l’état de droit et du rôle des tribunaux. Tout dans le contexte actuel montre la nécessité de faire preuve d’une grande prudence.
Notre principale inquiétude est, comme d’autres l’ont souligné, l’absence de recours en cas de violation des droits ou de préjudices subis dans le cadre de cette mesure. Comme vous l’avez entendu dire, le gouvernement insiste sur le fait que les agents américains exerceront ces nouveaux pouvoirs dans le cadre de la loi canadienne, de la Charte et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le ministre a déclaré ici qu’il ne voyait pas « comment nous pourrions avoir une protection plus forte que celle-ci ».
Je me permets d’affirmer que la protection qu’offre le projet de loi est beaucoup trop faible. Comme nous l’avons déjà entendu dire ici aujourd’hui et comme l’avocat du ministère de la Justice l’a déclaré plus tôt, il sera très difficile d’obtenir un recours contre les États-Unis en cas de violation des garanties à l’égard des droits de la personne. Sauf blessure ou dommage matériel grave ou de décès, comme le prévoit le projet de loi, la Loi sur l’immunité des États s’appliquera pour protéger le gouvernement des États-Unis contre des poursuites civiles.
Nous savons que l’immunité des États est une question complexe, mais cela reste très problématique. Et le projet de loi ne s’arrête pas là. Non seulement les États-Unis sont à l’abri d’un vaste éventail de recours, mais le Canada s’est également accordé l’immunité dans ce projet de loi. Le paragraphe 39(3) porte que, pour l’application de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, le contrôleur n’est pas un préposé de l’État. Cela veut dire que le Canada ne peut pas être tenu civilement responsable, en vertu de la Charte ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des actes des contrôleurs américains, même si ces derniers exercent les pouvoirs que le Parlement leur a conférés, même s’ils exercent des pouvoirs canadiens. Nous trouvons très problématique que la Couronne délègue des pouvoirs de coercition à un tiers, y compris des agents étrangers et n’accepte aucune responsabilité relativement à l’exercice de ces pouvoirs, ni pour elle-même ni pour le gouvernement étranger.
À notre connaissance, l’accord n’exige pas que le Canada se dégage de ses responsabilités. C’est une chose que le gouvernement du Canada a choisi de faire de son propre chef.
Selon le principe de l’état de droit, si des droits existent, il faut pouvoir accéder aux tribunaux pour obtenir un recours. Le projet de loi est contraire à ce principe. Comme nous l’avons entendu dire aujourd’hui au sujet de l’article 26.1, le Groupe consultatif chargé du précontrôle a pour rôle de parler de la collaboration entre les gouvernements sur le plan opérationnel. Il pourra peut-être améliorer certaines choses en cours de route, mais il ne peut pas offrir un recours aux personnes lésées et c’est donc tout à fait insuffisant.
Contrairement au gouvernement, nous ne pensons pas que ce projet de loi protégera les droits des Canadiens garantis par la Charte et nous estimons que le gouvernement du Canada ne devrait pas craindre d’assumer la responsabilité de ce qui arrivera. S’il délègue ces pouvoirs, ce que nous désapprouvons, il devrait assumer ses responsabilités et il faudrait modifier le projet de loi pour supprimer l’immunité du Canada à l’égard des actes commis en se servant de pouvoirs délégués par le Parlement.
Je vais maintenant parler de la fouille à nu. C’est une situation dans laquelle des violations de la Charte risquent fort d’être commises. Le projet de loi permet d’effectuer ce genre de fouille si l’on a des motifs raisonnables de croire que le voyageur dissimule quelque chose qui pourrait présenter un danger pour la vie ou la sécurité. De nouveaux motifs permettent également aux contrôleurs américains de faire cette fouille pour s’acquitter de leurs fonctions de précontrôle dans l’exercice de leurs pouvoirs, et non pas des pouvoirs canadiens.
La loi actuelle permet seulement à un contrôleur américain de détenir une personne aux fins d’une fouille à nu. Comme on vous l’a dit, l’agent américain ne peut, en aucune circonstance, procéder lui-même à la fouille à nu.
Le ministre a déclaré que le seul véritable changement qu’apporte le projet de loi est que si un contrôleur américain estime qu’il existe des raisons d’effectuer une fouille à nu, dans des circonstances exceptionnelles, il peut procéder à cette fouille si un agent canadien n’est pas disponible pour s’en charger. Sans vouloir offenser le ministre, ce n’est pas un tableau complet de la situation. Ce projet de loi confère des pouvoirs accrus aux agents américains.
Premièrement, si aucun Canadien n’est disponible dans un délai raisonnable, ou si un Canadien a fixé un rendez-vous aux agents américains, mais n’est pas là à temps parce qu’il est occupé ailleurs dans l’aéroport, l’agent américain aura le pouvoir d’effectuer la fouille à nu. Étant donné que les contrôleurs peuvent détenir des personnes si nécessaire et même user d’une force raisonnable pour protéger la vie et la sécurité, nous ne voyons aucune raison pour laquelle le gouvernement des États-Unis ne pourrait pas simplement attendre que l’ASFC finisse ce qu’elle doit faire dans l’aéroport et vienne effectuer la fouille.
Ce pouvoir ne s’arrête pas là. Le projet de loi va jusqu’à conférer aux agents américains — ce que nous trouvons incroyable — le pouvoir d’effectuer une fouille à nu si un agent canadien refuse de le faire. C’est extrêmement inquiétant. Par conséquent, si un agent canadien juge qu’une fouille à nu est inutile, un agent américain peut l’effectuer.
Nous trouvons inimaginable qu’un agent américain obtienne le pouvoir de fouiller à nu un Canadien alors que les agents canadiens ont jugé inutile de le faire compte tenu des circonstances.
Nous estimons qu’il faut également changer cela et enlever cette disposition du projet de loi, car, selon le contrat civil conclu entre le peuple et l’État, les Canadiens s’attendent à ce qu’il ne soit porté atteinte à leurs libertés fondamentales que dans des circonstances extrêmement limitées et justifiées. Une fouille à nu empiète gravement sur les droits que la Charte confère aux citoyens et c’est une chose que la Couronne ne devrait jamais confier à une tierce partie.
Pour conclure, je voudrais attirer l’attention du comité sur le mémoire du Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada. Nous craignons aussi que les travailleurs des ports, que Transports Canada a déjà soumis à une vérification de sécurité rigoureuse, puissent se voir quand même refuser l’accès aux zones de précontrôle uniquement parce que le gouvernement des États-Unis en aura décidé ainsi. Nous appuyons la recommandation du syndicat selon laquelle les travailleurs, à qui on a déjà accordé l’habilitation de sécurité en matière de transport maritime, ce qui a été fait en collaboration avec le gouvernement des États-Unis, soient expressément autorisés dans le projet de loi à accéder aux zones de précontrôle lorsque c’est nécessaire pour remplir leurs fonctions.
Telles sont nos recommandations, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, messieurs, pour ces exposés. Devant le comité permanent de la Chambre des communes, le printemps dernier, vous avez tous les deux émis des inquiétudes au sujet du projet de loi et de la façon dont les protections garanties par la Charte seraient appliquées dans les zones de précontrôle.
Comment les agents américains se conduisent-ils dans le cadre de l’accord de précontrôle existant et arrive-t-il parfois et souvent qu’ils ne tiennent pas compte des lois canadiennes lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions?
M. McSorley : Je vais répéter ce que M. Greene a déclaré durant la deuxième partie de la séance, de même que Mme Jafari, à savoir que nous entendons régulièrement dire qu’il y a des inquiétudes. Comme l’a dit le ministre Goodale, le système fonctionne bien. Néanmoins, nous entendons régulièrement parler de gens qui ont des problèmes à la frontière, y compris dans les zones de précontrôle. Aujourd’hui, il était question à la radio de la CBC du cas d’Amal El-Mohtar, une romancière canadienne primée, lorsqu’elle s’est rendue aux États-Unis, la semaine dernière. Lors du précontrôle, on l’a soumise à un contrôle supplémentaire pour des motifs très contestables et on lui a posé toute une série de questions que nous trouvons très alarmantes. On en a parlé aujourd’hui à la radio de la CBC.
Elle aurait peut-être pu invoquer le droit de se retirer. À l’heure actuelle, peu de gens savent qu’ils ont le droit de se soustraire au précontrôle, mais elle aurait pu le faire. Elle aurait pu ainsi éviter un contrôle supplémentaire. Cela veut dire qu’elle aurait raté son vol et n’aurait pas pu se rendre aux États-Unis, mais au moins elle n’aurait pas eu à subir cela.
Le projet de loi C-23 ne lui permettrait pas de le faire et elle aurait à répondre aux questions, ce qui l’exposerait à ce que nous considérons comme un interrogatoire injustifié, une détention et un risque d’escalade avec des perquisitions et ce genre de choses.
Déjà aujourd’hui, Mme El-Mohtar dit qu’elle a dû débloquer son téléphone cellulaire et qu’il lui a été enlevé pendant deux heures. Elle ignore ce qu’on a fait de son téléphone pendant ces deux heures. On lui a remis un bordereau disant qu’il avait peut-être été cloné par des agents des États-Unis, que son contenu a peut-être été copié.
La façon dont les contrôleurs agissent et ce qui se passe dans les zones de précontrôle continuent de susciter de sérieuses inquiétudes. Le projet de loi C-23 aggraverait les choses en élargissant ces pouvoirs sans fournir aucun recours.
Le sénateur McIntyre : Je voudrais en revenir aux garanties de la Charte. Quand le ministre a comparu devant le comité la semaine dernière, il a décrit un certain nombre de façons dont les garanties de la Charte sont protégées dans le projet de loi C-23, et je vais seulement en mentionner trois.
Cela comprend la formation des agents américains en droit canadien; deuxièmement, les dispositions de l’entente, par exemple celle selon laquelle un agent ne peut pas empêcher le voyageur de se soustraire au précontrôle « dans un délai raisonnable »; et, enfin, le fait que le gouvernement canadien peut signaler directement au gouvernement des États-Unis toute objection concernant les agissements de certains agents américains.
Ma question est la suivante : dans quelle mesure est-il réaliste de croire que les agents américains vont simplement agir de façon musclée, même si cela risque d’avoir des répercussions négatives sur les relations Canada-États-Unis?
M. Paterson : Merci, sénateur McIntyre. La formation est une bonne chose. Nous avons parlé de la formation au comité des Communes. Elle a été incluse dans la loi, et c’est une bonne chose.
Cela dit, le fait que le gouvernement canadien puisse soulever directement avec le gouvernement américain les problèmes qui se posent lors du précontrôle ne sera d’aucun secours pour qui que ce soit. Prévoir des changements pour l’avenir est peut-être une bonne chose. Nous ne disons pas, par exemple, que le Groupe consultatif chargé du précontrôle ne sera d’aucune utilité s’il entend parler de problèmes à l’avenir. Il pourra peut-être apporter des changements concrets. C’est bien. Néanmoins, qu’il s’agisse d’une réunion bilatérale entre un ministre et un secrétaire ou de réunions à haut niveau, ces personnes n’auront pas le pouvoir de fournir des recours individuels. Je doute fort que la table bilatérale puisse résoudre un seul cas individuel.
La Commission ontarienne des droits de la personne a publié, cette année, un rapport sur le profilage racial. Il portait non seulement sur le travail de la police en Ontario, mais aussi sur celui des douaniers. Selon le rapport, rien que cette année, 60 p. 100 des répondants musulmans ont dit avoir été victimes de ce qu’ils considéraient comme un traitement injuste au cours de leurs voyages. Le Conseil national des musulmans canadiens déclare que 50 p. 100 de toutes les plaintes qu’il reçoit sur sa ligne d’assistance relative aux libertés civiles se rapportent à des problèmes à la frontière. Même si nous entendons dire que, la plupart du temps, cela se passe sans incident, le fait est qu’il y a de sérieux problèmes.
Le troisième élément que vous avez mentionné est la disposition qui parle d’un « délai raisonnable » et cela n’améliore-t-il pas les choses? Selon nous — et la faculté de droit de l’Université de Toronto partage notre point de vue — en droit, il y a deux possibilités : soit vous êtes libre, soit vous êtes détenu. Si le délai est raisonnable, mais vous êtes forcé de rester et de plus, forcé de répondre aux questions, on a déjà violé vos droits garantis par la Charte contre la détention arbitraire, car il n’y avait pas de motif raisonnable de vous retenir. Si c’est proposé comme solution aux violations de la Charte, nous estimons que cela constitue en soi une violation de la Charte.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à messieurs McSorley et Paterson. Ma première question concerne votre opposition fondamentale au port d’arme chez les agents. Nous avons pu constater, au cours des dix dernières années, un changement de cap chez les douaniers. Le Sénat et la Chambre des communes ont maintenant des agents armés. Les douaniers canadiens qui n’étaient pas armés, il y a 10 ans, aux frontières le sont maintenant.
Donc, il y a un mouvement dans presque tous les pays du G20 où nous armons les gens qui gardent les frontières, sans doute en raison de la montée du terrorisme. Alors, j’essaie de comprendre quel est votre fondement par rapport à votre opposition à avoir des douaniers armés.
[Traduction]
M. McSorley : Merci, sénateur Boisvenu. Je ne connais pas très bien toute l’histoire du débat au sujet des agents de l’ASFC armés dans les aéroports canadiens. La façon dont je vois les choses est que les gens sont soumis à un contrôle lorsqu’ils vont dans les aéroports. La question d’avoir des agents de l’ASFC armés dans ces zones ne se pose pas. Il y a eu un débat et la décision a déjà été prise de ne pas armer les agents dans les aéroports, du moins ceux des douanes.
Comme nous avons décidé...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que les agents n’ont pas besoin d’armes à feu? Si on regarde un peu partout dans le monde, dans tous les pays ayant des aéroports où ont été commis des actes de terrorisme, presque tous ont armé leurs douaniers pour des raisons de sécurité. Sur quelle base vous opposez-vous à ce phénomène presque mondial de sécuriser les passagers aériens par des moyens utilisés par des terroristes? Sur quelle base vous opposez-vous à ce que nos agents soient armés?
[Traduction]
M. McSorley : Je vous prie de me pardonner, mais je n’ai pas de réponse complète à cette question. Je n’étais pas prêt à répondre lorsque vous m’avez demandé pourquoi l’ASFC et le ministère de la Sécurité publique n’ont pas décidé d’armer les douaniers canadiens dans les aéroports. En fait, il s’agissait de déterminer à quel moment il était nécessaire d’être armé et à quel moment ce ne l’était pas. En ce moment, ce n’est pas nécessaire pour les douaniers affectés aux aéroports canadiens d’être armés.
Essentiellement, vous voulez savoir pourquoi les douaniers américains ont le droit d’être armés si nous avons décidé que les douaniers canadiens n’ont pas le droit de l’être.
Je suis d’accord pour dire que nous pouvons débattre de la question de savoir si les douaniers canadiens qui font un travail semblable dans les aéroports canadiens devraient être armés ou non. En ce moment, ils ne le sont pas. Nous croyons que ce pouvoir ne devrait pas être octroyé aux douaniers américains chargés du précontrôle avant que nous ayons réglé la question du port d’arme chez les douaniers canadiens.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les témoins l’ont dit depuis le début de la réunion : là où il y a du transport, cette loi reconnaît l’autorité américaine sur les parties du territoire canadien consacrées à ces fins. Êtes-vous d’accord que le fait d’armer ou non un agent appartient aux autorités américaines et non aux autorités canadiennes?
[Traduction]
M. McSorley : Je ne suis pas d’accord. Nous ne sommes pas d’accord non plus avec l’idée que ces parties du territoire devraient être considérées comme étant un territoire américain. Pour cette raison, nous ne croyons pas que ce devrait être au gouvernement américain de décider si les douaniers canadiens devraient être armés ou non.
[Français]
M. Paterson : Pour nous, ce n’est pas une question de principe. Nous n’avons pas d’objection fondamentale au port des armes à feu par les Américains. C’est une question de la nature automatique de ce privilège de pouvoir porter des armes à feu quand les agents canadiens ont le droit dans cet espace. Pour nous, ce n’est pas évident que chaque fois qu’un officier canadien porte une arme à feu, il faille absolument que l’Américain le porte aussi, particulièrement dans une situation où les questions de remède juridique, de surveillance et de responsabilité de ces agents sont très problématiques. S’il y a une menace ou une bonne raison, on peut avoir des armes à feu, mais les avoir automatiquement, c’est problématique.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Merci infiniment de votre présence. Vous avez répondu à ma question, mais je croyais qu’un douanier canadien devait obligatoirement donner le feu vert avant qu’une fouille à nu ne soit autorisée dans la zone de précontrôle. N’est-ce pas le cas?
M. Paterson : Non, ce n’est pas le cas. La loi précise clairement que, si le douanier canadien refuse de procéder à une fouille, le douanier américain peut le faire.
Le sénateur Richards : La loi a-t-elle été modifiée récemment?
M. Paterson : Aujourd’hui, monsieur Richards, aucun douanier américain ne peut procéder à une fouille à nu. Point final. Un douanier canadien doit être présent. Si le douanier canadien ne se présente pas, s’il refuse ou quoi que ce soit, la fouille à nu ne peut pas être effectuée. Si je me souviens bien, le ministre vous a fait remarquer que, au cours des quelque 60 dernières années, aucun douanier canadien n’a refusé lorsqu’on lui a demandé de le faire.
Cela n’est pas du tout relié à la question de savoir si nous devrions leur permettre de le faire lorsque l’autorisation n’a pas été donnée. C’est important. Soit dit en passant, nous ne sommes pas contre l’élargissement des motifs. En ce moment, les fouilles à nu sont effectuées pour des raisons de santé et de sécurité ou pour voir si vous mentez ou non. Cependant, les motifs sont en voie d’être élargis, ce qui veut dire que les fouilles à nu seront effectuées à des fins de précontrôle.
Le précontrôle est le seul pouvoir consenti aux Américains. Combien de fruits transportez-vous? Quelle ferme visiterez-vous? Croyons-nous que vous allez vraiment assister à ce colloque ou non? Nous élargissons les motifs.
Les douaniers canadiens pourraient maintenant avoir davantage de raisons de dire que la fouille à nu est justifiée pour savoir si vous transportez une bombe. Ils pourraient refuser de vous fouiller à nu s’ils ne croient pas que vous vous rendez véritablement à l’Université de l’Oregon pour enseigner, alors que les douaniers américains chargés du précontrôle, eux, auront le droit de le faire.
Le sénateur Richards : Merci.
La sénatrice McPhedran : J’ai une question à poser à nos témoins, mais avant, j’aimerais poser une question rapide au comité de direction et au greffier. Est-ce que le ministre reviendra témoigner devant ce comité? Ou bien est-ce que sa comparution la semaine dernière sera son seul et unique passage?
Je tiens à mentionner, aux fins de compte rendu, que je trouve dommage que ce soit le cas, puisque nous recevions beaucoup de renseignements qui nous auraient probablement permis d’avoir une conversation beaucoup plus approfondie avec le ministre.
J’aimerais poser une question aux témoins pour situer le projet de loi dans son contexte et leur permettre de répondre à ce qui semble être, d’un point de vue structurel, un accord exécutif conclu sans que l’on ait recours à un processus législatif, non seulement pour justifier le projet de loi C-23, mais qui, si j’ai bien compris le contenu des transcriptions qui sont disponibles à l’heure actuelle, se veut presque une directive interdisant tout changement, puisque nous avons déjà décidé ce que doit être la loi.
Je vous invite à nous faire part de vos commentaires à ce sujet et à préciser ou corriger l’impression que je me suis faite, si j’ai manqué quelque chose.
M. Paterson : Merci, sénatrice McPhedran. Selon nous, c’est un des aspects de ce débat qui est très problématique. Bien entendu, l’État, par le biais de la branche exécutive, a le droit de négocier des accords avec des pays étrangers. Cela fait partie de son travail.
La sénatrice McPhedran : C’est arrivé aujourd’hui en Chine.
M. Paterson : C’est aux parlementaires de mettre en vigueur ces accords, de les ratifier et de les prendre en considération. Ils ne deviennent pas loi parce que la reine et ses ministres ont dit qu’ils devraient l’être. Ils deviennent loi une fois que les parlementaires ont jugé qu’il convient de les inscrire dans la loi.
J’entends régulièrement des sénateurs et des députés très bien intentionnés, par ailleurs, exprimer le sentiment d’avoir les mains liées. Je ne doute pas de la sincérité de ce sentiment et je sais que nous avons à travailler avec un gouvernement partenaire imprévisible. Nous sommes confrontés à une série de dossiers bilatéraux remplis d’incertitudes, de sorte qu’on hésite à faire des vagues.
Fondamentalement, c’est au Parlement de veiller à ce que ses textes législatifs soient légaux et que, quand l’État conclut des ententes, il doit le faire d’une manière qui soit conforme à notre Constitution, à défaut de quoi ces ententes ne devraient pas être inscrites dans la loi.
Sincèrement, l’idée que le Parlement puisse adopter certaines lois en sachant qu’elles sont imparfaites parce qu’on se sent pris au piège quelque part est très problématique. Ainsi, ce sont les Canadiens qui doivent payer pour contester ces lois devant les tribunaux et qui, entre-temps, peuvent être victimes de violations des droits.
La sénatrice McPhedran : Sans recours.
M. Paterson : Sans recours, ou du moins avec beaucoup de difficultés.
J’imagine qu’une personne serait obligée d’aller devant les tribunaux pour affirmer que l’édifice tout entier est inconstitutionnel ou que la délégation de pouvoirs est inconstitutionnelle, puisqu’elle ne pourrait pas intenter un recours civil pour faire suite aux mesures prises contre elle.
La sénatrice McPhedran : Puis-je demander à l’autre témoin de répondre à ma question?
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Vous n’aviez pas terminé? Vous pouvez répondre, monsieur McSorley.
[Traduction]
M. McSorley : Merci pour votre question, sénatrice McPhedran.
Nos préoccupations reflètent en grande partie ce que M. Paterson vient d’évoquer. J’aimerais également ajouter qu’il est inquiétant de voir que les changements apportés au précontrôle frontalier ne sont pas faits en vase clos. Les gens nous racontent constamment ce qui arrive quand on adopte des lois discutables portant atteinte à nos droits à la frontière. L’histoire du Canada est truffée d’exemples de ce genre de chose. Comme l’a souligné M. Paterson, des Canadiens musulmans et des Canadiens racialisés rapportent souvent qu’il s’agit d’un problème courant, qui existait déjà au moment de négocier cet accord.
Cela soulève également la crainte qu’un accord sur un sujet aussi important que la sécurité des frontières puisse être négocié en catimini, sans faire l’objet d’un examen public. Aujourd’hui, nous apprenons que le projet de loi C-23 devra être conforme à cet accord.
Selon nous, il y a des problèmes de droits fondamentaux. Il y a de fortes chances que nous constations davantage de problèmes à la frontière. N’oublions pas non plus que ce ne sont pas seulement les aéroports qui seront affectés, mais aussi les passages par voie terrestre et même peut-être par bateau — on parle de nos terminaux de croisière —, par train et par autobus. Cette situation nous préoccupe grandement.
Encore une fois, le projet de loi énonce les nouvelles règles en matière d’établissement des zones canadiennes de précontrôle. Ce n’est pas régi par l’accord avec les États-Unis. Nous craignons que cela ne soit inclus dans le projet de loi et que celui-ci ne soit pas examiné à la loupe, comme il devrait l’être.
La sénatrice Griffin : J’ai demandé aux autres témoins leur avis sur la Judicial Redress Act des États-Unis.J’aimerais entendre votre opinion. Celle-ci conférerait les mêmes droits de poursuite et assurerait une protection accrue des renseignements personnels aux personnes qui ne sont pas des résidents américains. Si le Canada s’arrimait à cette loi, est-ce que cela contribuerait à soulager certaines de vos inquiétudes?
M. McSorley : Notre organisation n’a pas étudié cette question en profondeur. Nous sommes d’accord avec les autres témoins à ce sujet.
Il faut être absolument clair sur les façons d’obtenir réparation à la frontière à tout moment. Faisons attention cependant avant d’annoncer que nous envisageons d’ajouter cette disposition à un autre recours éventuel sans l’inscrire dans la loi que nous étudions, outre qu’il faudra veiller à ce que cet ajout corresponde à ce même projet de loi. Il vaudrait mieux ne pas en faire la proposition par le biais d’un amendement s’il n’est pas clair que le changement vise à précisément corriger ce problème.
M. Paterson : De plus, nous estimons qu’il est très important que les gens disposent d’un recours relativement à la délégation de ces pouvoirs, ici, au Canada, contre le gouvernement fédéral. Donc, s’il était possible de se rendre aux États-Unis et d’y intenter une poursuite ou si, un jour, l’immunité des États devait tomber, il pourrait exister alors davantage de possibilités de recours contre les États-Unis, mais devant les tribunaux canadiens. Dans l’état actuel des choses, ce projet de loi dit qu’il n’y aura aucun recours possible contre qui que ce soit. Voilà ce qui nous inquiète.
Le sénateur Brazeau : Merci d’être ici et merci pour vos exposés. Le ministre était ici la semaine dernière et une question lui a été posée concernant les douaniers américains qui, de toute évidence, doivent recevoir une formation sur la Charte, sur d’autres lois canadiennes, et cetera.
Après avoir lu ce projet de loi et discuté de la formation, nous nous retrouvons avec plus de questions que de réponses et nous ne savons pas qui s’occupera du dispositif prévu, comment cela se fera ni comment on mesurera le tout, et cetera.
Croyez-vous que ce projet de loi prévoit plus de mesures de protection qui vous portent à croire que les douaniers américains, peu importe la formation qu’ils recevront, respecteront effectivement les lois canadiennes?
M. Paterson : Je n’ai aucun doute que bon nombre d’entre eux tenteront de le faire, mais ce sera très difficile.
Dans notre mémoire, nous parlons de cette formation. Nous affirmons qu’elle doit être rigoureuse, mais nous avons remarqué que même les policiers canadiens qui suivront des formations tout au long de leur carrière n’y arrivent pas.
Un rapport sur les services de police du nord de la Colombie-Britannique a été récemment publié par la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes contre la GRC. Dans cette région, les fouilles à nu étaient effectuées d’une manière qui n’était pas conforme à la loi canadienne. Ce n’était même pas conforme à la politique nationale de la GRC ni à celle de la province. On s’y prenait différemment dans le Nord de la Colombie-Britannique. Certains douaniers ne respectaient même pas leurs politiques locales.
Notre intention n’est pas de dénigrer les douaniers ou les policiers. Il est difficile de suivre le fil, mais au moins, en ce qui a trait aux douaniers canadiens, nous connaissons nos recours.
Nous sommes bien sûr ravis qu’un engagement en matière de formation soit prévu dans le projet de loi, mais nous craignons beaucoup que cette mesure ne soit pas efficace en l’absence de recours.
M. McSorley : Nous sommes sensiblement du même avis. Nous ne doutons pas de la bonne foi des douaniers américains, malgré les inquiétudes que nous avons quant à nos droits à la frontière. Par contre, même les gens les mieux formés ne sont pas infaillibles.
Nous avons constaté, au cours des derniers mois, que les organismes de sécurité nationale du Canada ont été soumis à un examen, qu’ils ont été appelés à rendre des comptes et qu’ils ont été soumis à une surveillance plus serrée, et nous croyons qu’il est important que tous les douaniers américains exerçant des activités semblables en sol canadien puissent être soumis à un régime de recours et de demandes de réparation et qu’ils puissent être tenus responsables.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : En guise de conclusion, je vais me permettre un petit commentaire. J’ai l’impression que cette renégociation avec les Américains est utopique, à moins que nous n’attendions encore quatre ou cinq années supplémentaires.
Je connais bien les préoccupations du côté de l’aéroport Jean-Lesage, dans la ville de Québec. On attend cela depuis longtemps. Le report de l’implantation de ces zones de précontrôle va sûrement décevoir beaucoup de Québécois. On pense également à l’aéroport Billy Bishop, à Toronto, entre autres, et à la Gare centrale de Montréal. Ces zones de précontrôle sont attendues depuis longtemps.
Seriez-vous d’accord pour dire que, si ces zones n’existent pas, les Canadiens qui se rendent aux États-Unis rencontreront les mêmes difficultés en sol américain?
Êtes-vous d’accord pour dire que, sur le plan individuel, cela ne changera pas grand-chose? Le but de l’implantation de ces zones de précontrôle est de faciliter les déplacements des voyageurs aux États-Unis, n’est-ce pas?
[Traduction]
M. Paterson : Bien entendu, c’est l’objectif du contrôle. Je compatis énormément avec les Québécois et avec d’autres au pays pour qui il sera plus difficile de se rendre aux États-Unis. Peut-être auront-ils une autorisation préalable s’ils passent par un autre aéroport canadien; peut-être feront-ils l’objet d’un contrôle frontalier dans les aéroports américains.
Le fait que des Canadiens se heurtent à de tels problèmes en raison du statu quo ne justifie pas, de mon point de vue et de celui de l’organisme que je dirige, la création d’un régime pancanadien qui, de prime abord, menace grandement les droits garantis par la Charte canadienne. Si quelque chose ne respecte pas les normes dans une partie du pays, ce n’est pas une raison pour reproduire le modèle fautif dans le reste du pays. Au moment de ratifier l’accord, le Canada aurait dû se battre plus férocement pour préserver ces droits. Et si les États-Unis et le Canada tenaient véritablement à élargir le précontrôle, on aurait pu espérer qu’ils auraient pu en arriver à un résultat différent. Visiblement, ce n’est pas ce qui s’est produit.
J’ai du mal à concevoir qu’on envisage d’enfreindre les droits de Canadiens ailleurs au pays afin d’accélérer les déplacements de certains de leurs compatriotes. C’est une épineuse question d’équilibre à réaliser, j’en conviens, mais c’est notre opinion.
M. McSorley : Nous sommes sensiblement du même avis. Idéalement, il y aurait un processus de précontrôle en place à l’aéroport de Québec et dans d’autres aéroports. Nous pourrions songer à étendre le contrôle aux voyageurs terrestres et maritimes aussi. J’ai déjà voyagé par voie terrestre et je peux vous dire que ce n’est pas plaisant de descendre de l’autobus pour subir un contrôle à la frontière, plutôt que de se soumettre à un précontrôle avant le départ.
Mais, comme M. Paterson le disait, nous croyons que cet accord n’a pas été négocié de la bonne manière. Nous pensons qu’il faudrait en faire plus pour protéger les droits des Canadiens et des autres voyageurs qui font l’objet d’un précontrôle. À l’heure actuelle, c’est un sujet plutôt délicat.
Je sais que l’ambassadeur sera le prochain à témoigner. Peut-être nous parlera-t-il davantage des efforts qui ont été déployés pour discuter de certaines de ces préoccupations au sujet de l’accord et de la difficulté de le renégocier.
Certes, nous reconnaissons que le contexte politique est différent. Par contre, comme l’a dit M. Paterson, nous ne serions pas en mesure d’appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle, puisqu’il modifie le régime sur l’ensemble du territoire.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Je vous remercie beaucoup, messieurs. Ceci conclut notre troisième groupe de témoins. Nous allons maintenant accueillir l’ambassadeur du Canada aux États-Unis. Monsieur l’ambassadeur, bienvenue. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Notre dernière plage de temps vous est entièrement consacrée. Je vous cède la parole sans plus tarder. Ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.
[Traduction]
David MacNaughton, ambassadeur du Canada aux États-Unis, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup de m’avoir invité.
La question du précontrôle est importante pour les collectivités de partout au pays — pour Québec, pour l’aéroport Billy Bishop, pour le train Montréal-New York, de même que, dans l’Ouest, pour le Rocky Mountain Express et diverses collectivités qui pourraient bénéficier d’une augmentation de la navigation de plaisance.
De plus, je crois que cela jette les bases qui permettront d’apporter des modifications en matière de précontrôle du fret, ce qui, selon moi, sera extrêmement important pour rendre notre pays plus concurrentiel et pour accélérer le transport de passagers et de fret.
Écoutez, je préférerais utiliser le temps que je passe avec vous pour répondre à vos questions, observations ou commentaires. L’an dernier, nous avons travaillé très fort pour inciter les Américains à adopter leur loi miroir. Considérant ce qui se passe chez nos voisins à l’heure actuelle, soit l’adoption du budget et de la réforme fiscale, je suis très fier que nous ayons pu obtenir le consentement unanime du Sénat et de la Chambre des représentants à l’égard de ce projet de loi l’an dernier. Quoi qu’il en soit, je suis heureux de répondre à vos questions. Allez-y, je vous prie.
Le sénateur McIntyre : Merci. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous, monsieur l’ambassadeur.
Par le passé, vous avez parlé de l’importance de cet accord pour faciliter le commerce et le tourisme légitimes à la frontière canado-américaine. Comme vous le savez, un projet de loi visant à mettre en œuvre cet accord a été déposé à la Chambre des communes en juin 2016, mais il a ensuite traîné à l’étape de la première lecture pendant neuf mois. Cette situation a-t-elle été frustrante pour vous? Qu’avez-vous fait pour faire avancer ce projet de loi au Canada?
M. MacNaughton : J’ai déjà dit devant le Sénat que j’aimerais que les choses avancent plus rapidement. Quoi qu’il en soit, je respecte le fait que les députés aient le droit et le pouvoir de prendre leur temps pour étudier toutes les facettes d’un dossier, comme je le fais pour vous, au Sénat. Je dois dire que j’exhortais les gens à régler le problème plus rapidement, mais, au final, ils sont élus pour faire leur travail et ils avaient l’impression de le faire correctement.
Le sénateur McIntyre : Si vous me le permettez, j’aimerais vous poser une question complémentaire. Savez-vous si le gouvernement a un plan pour assurer le suivi de ce qui existe afin de profiter des avantages que nous apporte cet accord?
M. MacNaughton : Des discussions se poursuivent entre des représentants des aéroports Jean-Lesage et Billy Bishop pour ce qui est de communiquer avec l’ASFC et les autorités de la protection des frontières et des douanes des États-Unis. Dans le cas de l’aéroport Billy Bishop, je m’attends certes à ce que le précontrôle progresse assez rapidement. Je ne peux vous affirmer avec certitude à quelle étape en sont rendues les discussions avec l’aéroport de Québec, mais je sais qu’il y a eu des discussions entre des gens de Montréal et des représentants des patrouilles frontalières et des douanes pour ce qui est des progrès à accomplir à cet endroit. Je ne sais pas exactement où en sont ces discussions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Votre Excellence, bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Plus tôt, on a entendu des témoignages de l’Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec qui semblent relativement inquiétants sur le plan du respect de cette loi, du respect de la Charte canadienne des droits et libertés.
Ces témoins ont amené plusieurs points qui, je pense, sont discutables. On aurait aimé avoir cette information avant de rencontrer le ministre. Malheureusement, on l’avait déjà rencontré avant d’obtenir l’information.
Je fais référence, entre autres, à la perte du droit de retrait des Canadiens qui existait dans l’ancienne loi, l’absence de recours en cas d’insatisfaction.
Plusieurs critiques ont été formulées aujourd’hui concernant ce projet de loi. L’Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec nous parlent de 17 amendements possibles. Lorsque des avocats chevronnés viennent nous rencontrer et nous disent qu’il faudrait apporter 17 amendements, cela veut dire que ce projet de loi comporte des faiblesses.
J’aimerais vous entendre au sujet, entre autres, de la perte du droit de retrait et de l’absence de recours. Comment peut-on gérer cela?
[Traduction]
M. MacNaughton : Franchement, je ne comprends pas certaines de ces préoccupations. Quand vous décidez de vous rendre aux États-Unis, vous avez le choix. À l’heure actuelle, si je pars de l’aéroport Billy Bishop pour m’envoler vers Washington, D.C., ce qui m’arrive très souvent, quand j’atterris à Dulles, je me trouve en territoire américain et je n’ai donc aucun droit de recours. S’ils décident de me fouiller, ils ont beau jeu puisque je me trouve aux États-Unis; je ne peux m’en sortir qu’une fois qu’ils en auront fini avec moi.
Si nous adoptons le précontrôle, je pourrais subir cette inspection douanière à Toronto, et j’aurais ainsi davantage de droits que dans le scénario antérieur. Autrement dit, je n’ai aucun droit à l’heure actuelle. Quand j’atterris à Dulles, je ne peux rebrousser chemin sans qu’ils m’en empêchent. Si nous adoptons le précontrôle, même si certaines applications sont limitées en vertu du droit canadien, j’ai davantage de droits avec le précontrôle que si je me rends en avion à Washington, D.C., en vertu des règles actuelles.
Le problème, si nous instaurons maintenant toute une série d’amendements, c’est que nous devrons revenir à notre point de départ, tout renégocier avec les Américains et faire modifier la loi aux États-Unis.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On donne donc un peu raison aux avocats qui sont venus nous dire que dans ce projet de loi, le Canada perd son autorité, son autonomie sur des territoires canadiens dans les aéroports?
Selon votre raisonnement, si je voyage par avion sans passer par une zone de dédouanement, mais par une zone de contrôle normale, quand j’arrive au Texas ou à New York, par exemple, et que je suis en territoire américain, ils ont tous les pouvoirs. Je comprends cela.
Par extension, on va amener ces pouvoirs dans nos aéroports. Quand on m’enlève le droit de retrait — un droit de retrait dont je ne bénéficie pas — et que je suis au Texas ou à New York, comme je viens de dire, il va s’appliquer en territoire canadien dans nos aéroports. Il y a donc une certaine perte d’autonomie pour le Canada dans ce projet de loi.
[Traduction]
M. MacNaughton : Je dois avouer que je ne comprends pas la logique de cet argument. Premièrement, il existe un droit de retrait de ce processus. Ils pourront vous imposer certaines obligations, mais vous profiterez aussi d’une forme de protection, selon ce que j’ai compris.
En réalité, vous avez décidé de vous rendre aux États-Unis. La seule différence avec le précontrôle, c’est qu’il est désormais beaucoup plus pratique. Je peux prendre l’avion à l’aéroport Billy Bishop ou à l’aéroport de Québec à destination de Reagan ou de LaGuardia, alors que je ne pourrais le faire à l’heure actuelle.
Les questions qu’il faut se poser sont donc les suivantes : voulez-vous que le processus soit plus pratique pour les voyageurs canadiens? Voulez-vous générer une activité économique accrue? Voulez-vous assouplir le processus pour les personnes qui partent de Québec, du centre-ville de Toronto ou de Montréal qui veulent prendre le train, ou voulez-vous leur compliquer la vie? Il n’y a en réalité aucune différence en ce qui concerne leur passage aux douanes. Ils bénéficient d’une protection additionnelle quand ils le font ici au Canada, et le processus est beaucoup plus pratique. Je suis donc sans voix. J’ai de la difficulté à comprendre cet argument.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Monsieur l’ambassadeur, ce que vous dites, c’est que bien que la zone de prédédouanement à l’aéroport Jean-Lesage, à Québec, ou à l’aéroport Billy Bishop, soit en territoire américain, nous sommes quand même sous le parapluie des lois canadiennes, ce qui est peut-être plus avantageux que de s’en aller à New York, par exemple, où il n’y a plus le parapluie des lois canadiennes, où ce sont uniquement les lois américaines qui prévalent. Donc on peut quand même espérer une certaine protection, car si quelqu’un est arrêté dans une zone de prédédouanement pour des motifs raisonnables ou probables, il peut toujours faire appel aux douaniers canadiens qui ne sont pas tellement loin des douanes américaines. On tombe donc quand même sous la protection du parapluie des lois canadiennes. Et je pense que, lorsque le ministre de la Sécurité publique, M. Goodale, a témoigné devant nous, c’est ce qu’il nous a expliqué, disant qu’on était tout de même sous le parapluie des lois canadiennes, ce qui est un avantage.
Avez-vous un commentaire à faire sur ce point, monsieur l’ambassadeur?
[Traduction]
M. MacNaughton : Je suis entièrement d’accord. C’est la situation dans laquelle le précontrôle créerait une certaine forme de protection dont vous ne bénéficieriez certainement pas dans l’autre situation sans le précontrôle.
La sénatrice Griffin : Monsieur l’ambassadeur, je m’interroge au sujet d’un amendement technique qui permettrait de préciser une situation, un arrangement qui vous paraîtrait acceptable pour le gouvernement des États-Unis. Par exemple, l’International Longshore & Warehouse Union demande que l’article 17 du projet de loi soit amendé par adjonction d’un article qui permettrait aux débardeurs qui détiennent une autorisation de sécurité en vertu du Règlement sur la sûreté du transport maritime aux fins d’exercer leurs fonctions d’avoir accès à la zone de précontrôle. Cet amendement ne modifierait pas nécessairement l’intention législative de l’accord sur le précontrôle, mais il préciserait assurément la situation à savoir quels débardeurs ont accès à l’établissement en limitant cet accès à ceux qui détiennent une autorisation de sécurité délivrée par Transports Canada.
Je verrais cela comme un amendement technique relativement mineur. Cela ne change en rien l’intention. Si un tel amendement n’était pas acceptable pour le gouvernement des États-Unis, pouvez-vous m’expliquer pourquoi?
M. MacNaughton : Je ne peux répondre à cela. S’il s’agit de préciser l’intention, et non de la modifier, il pourrait être possible de discuter avec eux sans modifier le texte législatif. Je ne connais pas assez les détails de votre exemple pour le commenter. Tout ce que je sais, c’est que si nous apportons des modifications substantielles, voire de simples changements, à la loi, nous devrons, selon ce que j’ai compris, revenir devant les Américains, et je trouve qu’il n’est pas particulièrement facile de traiter avec eux dernièrement dans une série de dossiers, comme vous l’avez peut-être vous-même constaté.
Je suis toutefois heureux. Nous avons de bons rapports avec les autorités des douanes et de la protection frontalière, ainsi qu’avec celles du département de la Sécurité intérieure des États-Unis. S’il ne s’agit que de préciser un point, et non de modifier l’intention de façon fondamentale, je serai heureux de discuter avec eux pour déterminer si c’est possible ou non.
La sénatrice Griffin : Je vous remercie.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue, monsieur l’ambassadeur. Je vous remercie et je suis heureuse de vous revoir.
M. MacNaughton : Je suis heureux de vous revoir moi aussi.
La sénatrice McPhedran : Je voudrais modifier un peu ma question en fonction d’une de vos réponses antérieures. Je me permets de le faire puisque j’ai noté avec beaucoup d’intérêt que vous avez vous-même utilisé votre propre situation pour tester les aspects pratiques du processus, pour ainsi dire.
Ainsi, vous êtes l’un de nos diplomates les plus éminents. Vous possédez un passeport diplomatique. Vous êtes un plutôt bel homme blanc d’un certain âge, qui porte un très beau complet. Croyez-vous que l’expérience serait la même pour quelqu’un d’une couleur de peau différente de la vôtre, qui ne possède pas de passeport spécial, qui ne porte peut-être pas un aussi beau complet?
M. MacNaughton : Cela dépend évidemment de nombreux facteurs. Les agents des douanes et des frontières, des deux côtés de la frontière, ont un très grand pouvoir discrétionnaire. Je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’il n’arrive jamais que certains agents prennent des décisions en fonction de l’apparence d’une personne, plutôt que sur la base d’autres facteurs.
Cela dit, cette situation peut se produire dans une zone de précontrôle, comme à l’aéroport Dulles où vous atterrissez. Je ne voulais pas dire que je suis mieux traité; je le suis évidemment en raison de mon passeport diplomatique et d’un tas d’autres choses. Le fait est que, de mon point de vue, je préfère, et de loin, subir le précontrôle avant de me rendre aux États-Unis. Si quelqu’un se demande s’il sera bien traité ou non, il est certes préférable pour lui de passer au précontrôle en territoire canadien plutôt qu’à Boston, Chicago ou Houston.
La sénatrice McPhedran : Je suis d’accord, surtout après avoir lu le préambule suivant :
Attendu que l’exercice d’attributions en vertu des lois des États-Unis au Canada s’effectue sous réserve du droit canadien, notamment de la Charte canadienne des droits et libertés, de la Déclaration canadienne des droits et de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
Je vous demande, monsieur l’ambassadeur, si vous en arrivez à la conclusion que l’article 26.1, qui nous arrive de la Chambre des communes, permet de s’acquitter de cette déclaration très claire tirée du préambule, à savoir ce recours administratif, qui n’est pas un recours judiciaire, qui prend la forme d’un comité du précontrôle. Comment cela permet-il de remplir la promesse inscrite dans le préambule de ce projet de loi?
M. MacNaughton : En réalité, nous avions pour objectif d’inscrire toutes ces formes de protection dans la loi, et les négociations nous ont permis de protéger ces droits. Serait-il possible de renforcer cette protection? Probablement, mais je ne crois pas que nous en serions à cette étape où nous avons conclu un accord visant à faciliter le précontrôle, parce qu’il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous avons amélioré notre situation. Un citoyen canadien, peu importe qu’il porte un complet comme le mien ou sa couleur de peau, a tout intérêt à subir le précontrôle au Canada plutôt qu’aux États-Unis. Une fois qu’il a pris la décision de se rendre aux États-Unis, il est mieux protégé dans une zone de précontrôle qu’à son atterrissage à Houston, au Texas. Est-ce parfait?
La sénatrice McPhedran : Est-ce réel?
M. MacNaughton : Je le crois. C’est assurément plus réel que la solution de rechange. Nous devons prendre nos décisions en pensant que nous avons fait le maximum pour réaliser notre objectif, à savoir accorder la plus grande protection possible aux citoyens canadiens. Cette protection est bien meilleure que celle dont ils bénéficient sur le territoire américain.
Le sénateur Brazeau : Bon après-midi, monsieur l’ambassadeur.
Pour faire suite aux questions de la sénatrice McPhedran, si ce projet de loi vise à assurer une meilleure protection aux Canadiens sur leur territoire, pourquoi le gouvernement canadien est-il à l’abri des poursuites civiles en cas de pépin?
M. MacNaughton : Cette question requiert des connaissances juridiques que je ne possède pas. Ce texte de loi vise à faciliter la vie des voyageurs et à simplifier le commerce, et à faire le maximum raisonnable pour protéger les droits des Canadiens. Comme je l’ai dit, vous avez un choix à faire quand vous vous rendez aux États-Unis. Le fait que le précontrôle vous accorde une certaine protection et certains droits est un avantage qui s’ajoute au côté pratique et aux bienfaits pour le commerce. Sans le précontrôle, la situation des Canadiens qui voyagent aux États-Unis sera-t-elle meilleure? À cela, il faut clairement répondre par la négative.
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie. Je suis d’accord avec vous. De toute évidence, il faut apprécier les bienfaits économiques du précontrôle et son côté pratique pour les voyageurs. Cela dit, il se passe aussi certaines choses avant le précontrôle.
À propos des bienfaits économiques, de nombreux témoins nous ont dit hésiter à appuyer ce projet de loi parce qu’ils ne sont pas sûrs de ses conséquences. Il pourrait accroître les pouvoirs des agents américains à l’endroit des citoyens canadiens.
Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, ne croyez-vous pas que ce projet de loi, dans son libellé actuel, risque d’être trompeur pour ceux qui estiment que leurs droits individuels sont protégés par la Charte et par d’autres lois canadiennes?
M. MacNaughton : Encore une fois, ce texte de loi assure une meilleure protection et une plus grande commodité que la solution de rechange. Nous pouvons comparer ce projet de loi à une situation idéale ou à la solution de rechange. Si gouverner consiste à faire des choix, je peux dire franchement que j’ai l’intime conviction que ce projet de loi sera très avantageux pour les citoyens du Québec et de l’Ontario et, du moins je l’espère, pour ceux de l’Ouest canadien qui optent pour le train, et nous espérons pouvoir ouvrir d’autres zones de précontrôle au fil du temps et en fonction des besoins.
Je ne vois aucune raison pour laquelle un Canadien qui aurait examiné la situation d’un point de vue logique prendrait l’avion du Canada aux États-Unis et choisirait de se soumettre aux exigences douanières des États-Unis plutôt que de subir un précontrôle ici. Je ne conçois aucune raison de faire ce choix délibérément. En fait, ce qui se passe à Québec à l’heure actuelle, et l’une des raisons pour lesquelles les gens de Québec veulent le précontrôle, c’est que les gens de Québec doivent maintenant passer par Montréal pour subir le précontrôle afin de pouvoir se diriger vers d’autres aéroports. Ils font déjà ce choix, et j’estime que ce projet de loi élargira encore leurs possibilités.
Le sénateur Brazeau : Je me fais ici l’avocat du diable, mais cela revient à dire que nous devons accepter ce projet de loi dans sa forme actuelle, ou alors risquer de repartir à zéro et de devoir le renégocier, c’est bien cela?
M. MacNaughton : C’est exact.
Le sénateur Harder : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur. J’ai quelques questions à vous poser.
Premièrement, le précontrôle n’est pas nouveau. Sa pratique est établie. Vous êtes notre ambassadeur depuis maintenant environ 18 mois. Avez-vous eu connaissance de plaintes de la part de Canadiens ayant utilisé les installations de précontrôle déjà en place?
M. MacNaughton : Non, aucune.
Le sénateur Harder : C’est bien, parce que je crois que nous pouvons nous appuyer sur une certaine tradition et sur un système déjà en place. Je retiens de votre témoignage que ce projet de loi consiste essentiellement à élargir les mesures de protection qui existent à l’heure actuelle.
Deuxièmement, pour faire suite aux questions du sénateur Brazeau, si le Parlement devait modifier cet accord, quels seraient selon vous les perspectives et les délais à prévoir au Congrès américain s’il acceptait de le renégocier?
M. MacNaughton : Si nous devions tout renégocier, je m’attendrais à ce qu’ils nous demandent de revenir dans quelques années. Je ne crois pas qu’ils seraient prêts à renégocier l’accord pour l’instant.
Le sénateur Harder : Ma dernière question concerne la possibilité de précontrôle des marchandises, soit la possibilité sous-entendue dans le texte de loi qui nous est soumis, et qui recèle de grands avantages pour les Canadiens, surtout en cette période de resserrement des mesures aux frontières. Pourriez-vous nous dire comment, si ce projet de loi devait être adopté et entrer en vigueur, vous vous y prendriez avec vos homologues américains pour assurer l’entrée en vigueur la plus rapide du précontrôle des marchandises.
M. MacNaughton : Il existe fort heureusement des technologies relativement nouvelles qui permettent d’assurer le précontrôle du fret de manière très sûre, d’accélérer le processus aux frontières et de réduire le risque. Nous pouvons réaliser notre objectif, à savoir faciliter le commerce des deux côtés de la frontière, et les Américains pensent la même chose dans une certaine mesure, sans compromettre la sécurité et en l’améliorant au contraire.
J’ai été mis au courant de différentes technologies. Une partie du problème du précontrôle des marchandises à 100 milles de la frontière réside dans le fait qu’un camionneur pourrait ensuite rouler pendant 50 milles, et charger d’autres marchandises sans que nous puissions exercer le moindre contrôle.
En fait, il existe déjà des technologies, et certaines d’entre elles sont canadiennes, qui permettent d’enregistrer le déplacement des marchandises, l’ouverture des portes, les changements de température, et ainsi de suite. Les autorités des douanes et les patrouilles frontalières auraient accès à cette technologie et elles le sauraient si le moindre changement était apporté au chargement. Il serait donc possible d’assurer la sûreté d’un chargement à 100 milles de la frontière et profiter ensuite d’une voie rapide qui mènerait au nouveau pont Gordie Howe. Les possibilités sont nombreuses. Nous en discutons en fait beaucoup avec les Américains et nous consultons à ce sujet des entreprises canadiennes et américaines qui sont très enthousiastes devant cette possibilité.
Le sénateur Harder : Je vous remercie.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur l’élargissement des droits et l’amélioration des mesures de protection dont a parlé le sénateur Harder. Je reviendrais à l’article 26.1. Il renvoie à l’article 22 au sujet des pouvoirs de fouille à nu, de l’évacuation intestinale sous supervision, de l’examen des cavités corporelles et de la nature du retrait.
Ma question portera toutefois sur ce que l’on pourrait considérer comme une expérience très personnelle pour moi. Je partage certains aspects de votre privilège, à la différence que je suis une femme et que l’on me trouve habituellement plutôt acrimonieuse et forte en gueule.
Ce que je vais vous raconter m’est réellement arrivé. Il y a de cela quelques années, j’étais en Afghanistan avec nos forces armées. Il y avait dans mon passeport une estampille de l’Afghanistan sans aucune explication de ma présence dans ce pays. Comme je travaille beaucoup auprès d’organismes de femmes afghanes et du Conseil canadien des femmes musulmanes, une simple recherche sur Google risque fort de révéler ce genre d’affiliation.
Quand je lis ce projet de loi, je vois très clairement dans le préambule que cette loi représente la mise en œuvre d’un accord déjà conclu, non pas par l’intermédiaire d’un processus législatif, mais d’un processus exécutif. Il constitue toutefois la mise en œuvre de cet accord.
L’un des aspects de ce que je considère ici comme un compromis, et j’aimerais savoir s’il en a été tenu compte, c’est qu’à l’heure actuelle, si un contrôleur américain qui se trouve dans la zone de précontrôle au Canada — disons hypothétiquement que cela s’est véritablement produit — me fait sortir de la file étant donné que j’ai une estampille de l’Afghanistan dans mon passeport, et disons que ce contrôleur me trouve acrimonieuse et forte en gueule et décide qu’il a de bonnes raisons de me fouiller.
À l’heure actuelle, seul un contrôleur canadien peut décider ou non de me fouiller à nu. En vertu de la nouvelle loi, ce choix revient aux Américains, et il n’y a absolument rien que je puisse y faire.
Pour moi, cela n’a rien d’une amélioration de mes droits, ni d’une protection accrue. C’est même plutôt le contraire. Je demande donc s’il y a eu des discussions à ce sujet.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Madame la sénatrice, quelle est la question?
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Y a-t-il eu des discussions au sujet de cette restriction des droits?
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Je m’excuse. Votre question?
La sénatrice McPhedran : La question?
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Oui. Quelle est votre question?
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : En a-t-il été question?
[Français]
Voilà ma question.
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : D’accord.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : A-t-il été question de ce genre de situation dans laquelle les droits sont restreints?
M. MacNaughton : Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne vous trouve pas forte en gueule, mais plutôt déterminée et éloquente. J’ai moi-même quatre filles et j’ai toujours veillé à ce qu’elles fassent preuve de détermination et d’éloquence.
Je n’ai pas la réponse à votre question. Nous avons voulu nous assurer que les Canadiens bénéficient de droits accrus au précontrôle.
Dans le cas précis dont vous parlez, je ne peux vous répondre à savoir si ce projet de loi donne aux Américains plus de pouvoirs qu’ils en ont à l’heure actuelle. Il me manque des informations pour vous répondre. Je peux toutefois répondre à la question suivante : les Canadiens ont-ils plus de droits dans les zones de précontrôle que s’ils atterrissent directement aux États-Unis? À cela, je peux clairement répondre par l’affirmative sans hésitation.
La sénatrice McPhedran : Ma question concernait une situation différente, mais néanmoins tout aussi importante.
M. MacNaughton : Je n’ai pas la réponse à votre question.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Aucun autre sénateur ne désire poser de questions? Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, de vous être déplacé pour venir témoigner.
Je comprends très bien que le fait de voyager aux États-Unis implique que nous devions passer un contrôle, peu importe la douane que l’on emprunte pour aller vers les États-Unis. Ma suggestion serait d’avoir des zones de précontrôle canadiennes en sol américain. Vous pourriez peut-être négocier cette suggestion avec les Américains. Je vous suggérerais fortement l’aéroport Fort Myers. Je vous dirai pourquoi plus tard.
Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur, de votre témoignage. Bon retour à Washington.
[Traduction]
M. MacNaughton : Merci beaucoup. Je trouve que c’est une bonne idée, et je crois aussi que nous devrions établir des douanes canadiennes en territoire américain.
J’avoue être un peu biaisé dans ce dossier puisque j’habite en plein cœur du centre-ville de Toronto, à 10 minutes de l’aéroport Billy Bishop. Mon seul problème, si je prends l’avion à Billy Bishop, c’est que je dois atterrir à Dulles, et le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il serait beaucoup plus simple pour moi de subir le précontrôle douanier à Toronto et d’atterrir à Reagan. Je me trouve donc en situation de conflit d’intérêts dans ce dossier.
Je retiens assurément votre suggestion concernant Fort Myers.
[Français]
Le vice-président (le sénateur Dagenais) : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur. Merci, honorables sénateurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)