Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 21 - Témoignages du 19 mars 2018


OTTAWA, le lundi 19 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui, à 13 h 3, afin de procéder à l’élection d’un second vice-président et d’entreprendre l’examen de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les frontières du Canada.

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, messieurs les témoins, bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Avant de commencer, je vais demander à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Jaffer : Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunwick.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le vice-président : Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, vice-président du comité. J’assurerai la présidence jusqu’à l’arrivée de la sénatrice Boniface, présidente du comité.

Avant de commencer nos travaux, nous allons procéder à l’élection d’un nouveau vice-président ou d’une nouvelle vice-présidente. Sénateur McIntyre, vous avez une proposition?

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Je propose la sénatrice Mobina Jaffer.

[Français]

Le vice-président : Je félicite donc la sénatrice Jaffer, et je lui souhaite un bon retour parmi nous. Nous sommes heureux de vous revoir et de travailler avec vous.

Cet après-midi, nous amorçons l’examen de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les frontières du Canada.

Notre premier groupe de témoins est composé de M. Gil Kerlikowske, ancien commissaire au Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, qui se joint à nous par vidéoconférence à partir de Boston, et de M. John Hudak, directeur adjoint du Center for Effective Public Management, Brookings Institution. Bienvenue à vous deux.

M. Kerlikowske et M. Hudak feront leur déclaration respective, puis ils répondront aux questions des sénateurs. Nous commençons la réunion avec la présentation de M. Hudak.

[Traduction]

John Hudak, directeur adjoint, Center for Effective Public Management, Brookings Institution : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de l’occasion que vous m’offrez de vous parler aujourd’hui. Je m’appelle John Hudak. Je suis agrégé supérieur de recherche en études sur la gouvernance au Brookings Institute, à Washington, D.C. Je suis aussi conseiller principal chez Freedman & Koski, Inc.

Je tiens à remercier le comité de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui sur cette importante question. Au fil de son projet de légalisation de la consommation du cannabis par les adultes à l’échelle du pays, le Canada est confronté à toutes sortes d’enjeux et de préoccupations qui, à certains égards, sont inédits.

Même s’il y a bien d’autres aspects liés à cette question, vu l’intérêt du comité, aujourd’hui, je vais me concentrer sur deux choses qui l’intéressent particulièrement : les enjeux liés à la frontière avec les États-Unis et les relations générales avec les États-Unis. Le deuxième enjeu est lié aux perceptions qu’ont le gouvernement américain et le peuple américain du Canada. Le Canada et les États-Unis ont des relations positives depuis longtemps, notamment en matière de commerce et de coopération. Cependant, certaines personnes au Canada craignent que la légalisation ne nuise à la façon dont le Canada est perçu aux États-Unis et l’étranger. En tant que citoyen américain, je suis moi aussi préoccupé par les perceptions des Canadiens relativement aux États-Unis, vu l’environnement politique actuel de mon pays. Par conséquent, je suis sensible à ces craintes et à leurs conséquences pour les relations entre nos deux pays.

Cependant, pour ce qui est du cannabis, il est peu probable que les Américains réagissent négativement à la légalisation au Canada. À l’échelle nationale, plus de 60 p. 100 des Américains appuient la légalisation du cannabis destiné aux adultes, et un pourcentage encore plus élevé d’Américains estiment que le gouvernement fédéral ne devrait pas empêcher les États de réformer les lois sur le cannabis, s’ils le décident.

En fait, durant la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, M. Trump a dit que la légalisation du cannabis destiné aux adultes relève du droit des États et que le gouvernement fédéral devait respecter leur choix. Et même si le président Trump s’est entouré lui-même d’opposants à la légalisation, le plus connu étant le procureur général Jeff Sessions, le public américain et même le président lui-même semblent indifférents aux opinions politiques de gens comme le procureur général.

Un autre exemple de la stabilité de l’opinion publique et des perceptions de la population vient de l’Uruguay. Après la légalisation du cannabis destiné aux adultes en 2013, les relations positives avec les États-Unis se sont maintenues, et le nombre de touristes américains en Uruguay est lui aussi demeuré stable.

Tout comme la majeure partie des Américains et la plupart des élus ne jugent pas leurs propres États qui légalisent le cannabis, il est peu probable qu’ils jugeront leurs voisins au nord.

Un autre aspect de la question concerne les craintes des douaniers américains quant au détournement du cannabis. On parle du transfert de cannabis canadien légal aux États-Unis. Il s’agit d’une préoccupation bien réelle, et les douaniers réagiront à la légalisation, mais cela n’a rien de nouveau.

Les douaniers américains voient déjà la frontière canadienne tout comme les douaniers canadiens voient la frontière américaine, c’est-à-dire comme étant poreuse et permettant le passage de produits illicites. Étant donné la légalisation au Canada, il y aura un risque accru de transfert de petites quantités de cannabis pour consommation personnelle aux États-Unis. Cependant, les personnes voulant faire la contrebande de grandes quantités de cannabis sont peu susceptibles d’agir de la sorte en raison du statut légal de la substance. En outre le marché légal réglementé ne leur permettra pas de s’approvisionner efficacement pour en faire le trafic.

Les représentants du gouvernement américain ont déjà de l’expérience dans l’application des lois sur le cannabis, que ce soit les responsables aéroportuaires à Denver ou Seattle, les agents des douanes à New York, qui inspectent des passagers et des bagages du dernier vol en provenance d’Amsterdam ou les agents de police qui patrouillent près de la frontière entre le Colorado et le Nebraska. Les responsables américains de l’application de la loi étaient déjà aux aguets concernant le cannabis — la drogue illégale la plus consommée aux États-Unis —, bien avant que la légalisation ne soit sérieusement envisagée dans les discussions sur les politiques publiques.

La meilleure façon pour le Canada de répondre aux préoccupations est de se montrer proactif. Il est important de réaliser des campagnes de sensibilisation dans les dispensaires, sur les routes près des aéroports et des postes frontaliers et directement dans les aéroports. Ces campagnes doivent expliquer quelles sont les lois au Canada et aux États-Unis, quelles sont les sanctions aux États-Unis et dans quelle mesure un verdict de culpabilité peut restreindre les possibilités de retourner au Canada. Par ailleurs, des boîtes d’amnistie placées dans les aéroports ou aux autres points de sortie donneraient une chance supplémentaire à ceux qui passent à la frontière américaine de se conformer aux lois des États-Unis en jetant le cannabis qu’ils ont en leur possession.

Ces mesures ne seront pas infaillibles, mais elles vont aider ceux qui méconnaissent véritablement la loi ou vont motiver les gens à s’y conformer. En déployant tous ces efforts, le Canada montrera aussi aux États-Unis qu’il tient vraiment à prévenir le détournement de cannabis vers le sud. Si vous choisissez d’adopter le projet de loi, le gouvernement du Canada devra continuer de travailler en coopération avec le gouvernement des États-Unis pour échanger sur les pratiques qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas pour prévenir le détournement à la frontière lorsque le cannabis sera légal.

Certaines personnes réussiront à faire passer du cannabis légal à la frontière. C’est déjà le cas, et ce le sera encore une fois le cannabis légalisé. C’est la tâche du comité et du gouvernement d’agir de bonne foi afin de réduire au minimum la quantité de cannabis qui passe la frontière. La prohibition n’élimine pas le détournement, mais la sensibilisation et la coopération permettent de le limiter.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et, mesdames et messieurs les sénateurs, je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Hudak, de votre présentation.

[Traduction]

Monsieur Kerlikowske, vous m’entendez?

Gil Kerlikowske, ancien commissaire, Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, à titre personnel : Je vous entends, oui, effectivement.

Le vice-président : Monsieur Kerlikowske, c’est maintenant à vous de nous présenter votre exposé.

M. Kerlikowske : Merci. On m’a demandé de répondre à des questions au sujet de mon ancien mandat en tant que commissaire du Service des douanes et de la protection des frontières sur la question de la marijuana, mais j’ai aussi été chef de police à Seattle pendant neuf ans.

Selon moi, la possibilité que de grandes quantités de marijuana entrent aux États-Unis en provenance du Canada n’est pas particulièrement préoccupante aujourd’hui et elle ne le sera pas non plus une fois le cannabis légalisé au Canada.

Puisque que 10 États des États-Unis ont légalisé la marijuana et qu’il y a tant de marijuana cultivée à la maison, je crois que les jours de ce qu’on appelait le « B.C. bud » et d’autres produits qui entraient aux États-Unis en grande quantité sont derrière nous.

Je crois que la préoccupation, pour le Canada, sera la suivante : le fait que les gens traversent la frontière dans un véhicule où ils ont laissé, par inadvertance, du cannabis. On peut imaginer certaines situations où, par exemple, des parents sont dans le véhicule, ils ont de la marijuana achetée légalement, mais ils ne veulent pas vraiment le dire à leurs jeunes enfants ou leurs adolescents, et ils l’oublient par inadvertance. Et là, de quelle façon peuvent-ils s’en débarrasser si, en fait, ils ont oublié qu’il y en avait dans le véhicule? De quelle façon peuvent-ils s’en débarrasser avant d’approcher le poste frontalier des États-Unis?

Je crois que la situation contraire pourrait aussi s’appliquer aux adolescents dans un véhicule. Des jeunes âgés de 18 ans, si je ne m’abuse, comme la loi le prévoit, qui ont de la marijuana dans le véhicule, mais qui n’ont pas vraiment le goût de le dire à leurs parents. Et maintenant qu’ils approchent du poste frontalier, ils doivent se débarrasser du cannabis avant d’arriver au poste frontalier.

Par conséquent, je crois que ce qui a été dit dans le témoignage précédent, sur l’importance d’une campagne d’éducation et de communication de cette information et la pose de panneaux d’avertissement sera très important. Mentionnons aussi qu’il y a un système de prédédouanement dans 10 aéroports canadiens, alors on passe les douanes américaines avant même de quitter le Canada. Ces avertissements et cette information seront tout particulièrement importants.

Cela dit, il y a assurément un risque que certaines personnes à qui une telle situation arrive par inadvertance seront détenues ou arrêtées. Nous avons vu, par exemple, en raison du nombre d’armes à feu que les gens peuvent posséder légalement aux États-Unis, qu’un certain nombre d’armes à feu sont confisquées dans nos aéroports chaque année à des gens qui oublient l’arme dans leurs bagages. On ne peut qu’imaginer ce qui se produira avec de petites quantités de marijuana.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Kerlikowske. Je suis tout à fait d’accord avec votre point de vue, étant donné que je suis moi-même un ancien policier.

[Traduction]

Nous appartenons à la même communauté de policiers, et je comprends votre avis et votre situation.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d’être là et de nous aider à étudier le projet de loi. Nous sommes très reconnaissants de la relation que nous avons avec les États-Unis et nous voulons la maintenir pendant encore très longtemps.

Je vais vous expliquer rapidement l’origine de la question que je veux vous poser à tous les deux. D’après ce que j’ai compris, le cannabis est encore illégal à l’échelon fédéral aux États-Unis au titre de la Controlled Substances Act, ce qui signifie que les agents frontaliers américains devront encore interdire d’entrée les voyageurs canadiens qui admettent avoir consommé du cannabis.

Même si les Canadiens se rendent dans des États où le cannabis est légal, si j’ai bien compris, au point d’entrée, qui relève de la compétence fédérale américaine, l’interdiction fédérale s’appliquera, peu importe les exemptions des États. Je viens de Colombie-Britannique, et je sais que, dans le passé, des gens ayant admis avoir consommé du cannabis aux points d’entrée américains se sont vu refuser l’accès. Ces gens doivent ensuite présenter des demandes pour obtenir une exemption, et cela coûte des centaines de dollars chaque fois qu’ils veulent aller aux États-Unis.

Si le projet de loi C-45 légalise la consommation du cannabis au Canada, est-ce que les États-Unis modifieront leurs politiques de manière à protéger les Canadiens, à les empêcher d’être interdits de territoire aux États-Unis pour avoir consommé du cannabis?

C’est une question que je vous pose à tous les deux, et j’aimerais commencer par M. Hudak.

M. Hudak : On ne peut évidemment pas savoir si le gouvernement fédéral aux États-Unis procédera à une telle réforme. Cependant, j’imagine qu’il y aurait beaucoup de pression, vu le nouveau régime de légalisation au Canada, pour qu’on modifie ces politiques de façon à permettre aux Canadiens d’entrer aux États-Unis tout en leur permettant d’être honnêtes lorsqu’ils parlent avec les agents frontaliers américains.

Ce serait une situation extraordinaire si un pays qui compte maintenant des États ayant légalisé le cannabis, lesquels comptent pour environ 20 p. 100 de la population américaine, dit à un pays ami voisin, non, nous n’allons pas réformer nos lois pour refléter la réalité chez vous. En fait, on pourrait comprendre qu’un agent frontalier refuse d’admettre aux États-Unis un Canadien qui est de toute évidence intoxiqué après avoir consommé du cannabis. Je ne crois pas que les représentants canadiens ou américains verront là un problème. Cependant, refuser d’admettre une personne simplement parce qu’elle a avoué avoir consommé du cannabis est une politique très difficile à justifier, selon moi, vu l’environnement politique américain actuel. Bien sûr, cependant, je crois que les pressions de votre ambassade aux États-Unis et les pressions au sein du département d’État des États-Unis, une fois la question du personnel du département d’État réglée, pourraient être très fructueuses.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le commissaire, j’aimerais aussi que vous répondiez à ma question, mais je crois que les Canadiens doivent faire preuve de respect et, jusqu’à ce que cette question soit réglée, s’assurent de ne pas traverser la frontière avec du cannabis et de ne pas en avoir dans leur véhicule. Ce n’est pas ce dont je parle. Je parle d’être franc et d’avouer que oui, j’ai déjà consommé du cannabis. D’après ce que je sais, pour cette simple raison, on peut être interdit de territoire aux États-Unis, et j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Kerlikowske : Pendant les trois années durant lesquelles j’ai dirigé le Service des douanes et de la protection des frontières, qui compte plus de 25 000 agents des douanes et de la protection des frontières, le fait qu’on ait demandé à quelqu’un s’il avait déjà consommé de la marijuana n’est jamais, jamais devenu une préoccupation.

Il y a des problèmes, bien sûr, liés à la toxicomanie. Je parle ici de la dépendance à des drogues comme les opioïdes, l’héroïne et tout le reste, mais l’enjeu de la marijuana n’a jamais été soulevé. Je suis, tout à fait, d’accord avec ce qui vient d’être dit : je doute sérieusement qu’on interdise de territoire un Canadien qui admet avoir déjà fumé ou consommé de la marijuana d’une façon ou d’une autre — à des fins médicales, sous forme de produit comestible ou à des fins récréatives — au titre de la nouvelle loi, particulièrement si vous participez aux sérieuses négociations dont il a été question avec le département d’État et ces membres.

La sénatrice Jaffer : Commissaire, j’ai une autre question. Puisque vous et moi sommes voisins — je suis de Vancouver, et vous, de Seattle — l’une des choses dont les gens que je représente me parlent, c’est la question du profilage, surtout le profilage racial, et cet enjeu. D’après votre grande expérience, est-ce quelque chose qui devrait nous préoccuper ou est-ce que les gens qui me parlent sont tout simplement trop craintifs lorsqu’il est question de profilage racial et de consommation de cannabis, surtout lorsque le projet de loi sera adopté?

M. Kerlikowske : Nos données aux États-Unis sont très claires. On sait qu’un plus grand pourcentage de Blancs consomment de la marijuana. Ils sont en fait plus nombreux à en consommer que les personnes de couleur ou les membres des minorités visibles.

Je ne vois pas de lien entre le profilage racial et le cannabis, mais nous sommes tous les deux au fait des préoccupations et des plaintes qui ont été soulevées dans le passé concernant le profilage racial à la frontière américaine en raison de la couleur de la peau.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Kerlikowske et porte sur le crime organisé. En tant qu’ancien chef de police de Seattle, vous avez sûrement dû faire face au trafic interfrontalier. La contrebande de marijuana est souvent liée à d’autres types de contrebande, soit le tabac ou les armes à feu. On sait que, entre le Canada et les États-Unis, ce trafic est assez important, la preuve étant que la majorité des armes saisies au Canada sont des armes illégales qui proviennent souvent de votre pays.

Quels seront les impacts de la légalisation de la marijuana sur le crime organisé? Un des objectifs du gouvernement libéral est de se débarrasser du crime organisé en légalisant une matière illégale. Le crime organisé maintiendra-t-il ses opérations en matière de trafic de marijuana ou de autre type de contrebande? Il s’agit de trafics qui sont souvent interreliés.

[Traduction]

M. Kerlikowske : Je n’ai pas entendu l’interprétation. Pouvez-vous me poser la question en anglais?

Le sénateur Boisvenu : Je vous parlerai dans votre langue. Je sais que vous avez une longue expérience et vous avez, j’en suis sûr, une expérience au sujet du crime organisé. Nous savons que ceux qui participent à la production et à la distribution illégale de la marijuana sont la plupart du temps impliqués aussi dans d’autres genres de trafic, comme le tabac et les armes à feu.

Puisque le gouvernement veut légaliser la marijuana pour enlever des mains du crime organisé la production et la vente de cette drogue, que pensez-vous de tout ça? Est-ce que le crime organisé restera présent dans les marchés de la marijuana, des armes à feu et du tabac, ou est-ce que le projet de loi permettra d’éliminer le crime organisé?

M. Kerlikowske : Monsieur le sénateur, je ne peux vous parler qu’à la lumière de mes connaissances liées à deux États aux États-Unis, les deux que je connais le plus, soit, bien sûr, le Colorado, et aussi mon État, Washington, où la marijuana a été légalisée. Il a souvent été dit que, en légalisant la marijuana, on pourrait éliminer le marché noir et réduire la participation du crime organisé dans la distribution et la vente de la marijuana.

Je peux vous dire que les chefs de police des grandes villes — par exemple, Denver et Seattle — vous diront que le marché noir existe encore et que, même si les ventes de marijuana grâce aux méthodes légales sont élevées, il reste encore pas mal d’activité sur le marché noir.

Pour ce qui est de savoir si les organisations criminalisées qui participent au trafic des armes à feu et de différents types de drogues, à part le cannabis ou y compris le cannabis... Je ne connais tout simplement pas la situation au Canada.

Le sénateur Boisvenu : J’ai discuté avec une entreprise de transport, et nous savons qu’il y a beaucoup de camions sur la route qui font l’aller-retour entre le Canada et les États-Unis. Ces gens sont un peu en colère au sujet de leurs camionneurs, qui peuvent fumer ou transporter de la marijuana si c’est légal aux États-Unis. Quelle sera l’incidence sur les camionneurs ou cette industrie? Aussi, est-ce qu’il faudra plus de temps pour traverser la frontière? Quel sera l’impact?

M. Kerlikowske : Pour ce qui est de l’incidence sur les entreprises de transport, je ne connais pas une entreprise de transport qui accepte que ses camionneurs, qui conduisent de gros camions, consomment de la marijuana d’une façon ou d’une autre, que ce soit légalement ou à des fins récréatives, ou en transportent, particulièrement si cela ferait en sorte que le camion fera l’objet d’une inspection plus approfondie.

Je crois que nous savons tous les deux que, lorsque quelqu’un est détenu ou qu’on trouve de la drogue, souvent, même s’il n’y a pas d’arrestation, à l’avenir, l’entreprise ou la personne précise qui conduit le véhicule fera l’objet d’un examen plus poussé, ce qui signifie une plus grande perte de temps.

Les propriétaires et les exploitants de ces véhicules de transport devraient être informés par vous, dans le cadre de discussions, et grâce au travail de relations publiques qui accompagnera le tout, qu’ils doivent être extrêmement prudents et qu’ils doivent s’assurer que leurs employés et leur personnel ne consomment pas ou ne transportent pas de la marijuana.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui a trait aux touristes canadiens qui traversent la frontière vers les États-Unis — nous savons qu’il y a beaucoup de Canadiens qui vont aux États-Unis, c’est un si bel endroit —, quelle sera l’incidence pour les citoyens qui traversent la frontière?

Je sais que, à la frontière, on nous pose des questions comme : « Avez-vous de la nourriture? Avez-vous de l’argent? Avez-vous des armes à feu? » Et maintenant je me dis, il faudra une autre question : « Avez-vous de la marijuana en votre possession? »

Quelle sera l’incidence sur les citoyens qui traversent la frontière vers les États-Unis? Les délais seront-ils plus longs? Y a-t-il un risque de fouille des véhicules? Quelle sera l’incidence lorsque le Canada légalisera la marijuana?

M. Kerlikowske : S’il faut seulement poser une question de plus au sujet des articles interdits aux États-Unis, tout comme l’ASFC pose des questions aux Américains au sujet des articles interdits au Canada, je ne prévois pas que cela ralentira le processus.

Là où il pourrait y avoir un problème, c’est si le Service des douanes et de la protection des frontières met davantage l’accent sur les équipes de chiens détecteurs de drogue ou ajoute des équipes dans différents points d’entrée, parce qu’il peut toujours y avoir, dans un véhicule, des résidus ou quelque chose qui peut alerter le chien, cela signifie que ce véhicule et ces passagers feront l’objet d’un examen plus poussé.

Cependant, de façon générale, de ce que je vois, actuellement, les changements proposés à la loi canadienne n’augmenteront pas les délais d’attente à nos frontières.

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de vos exposés. J’ai une question pour vous deux.

Premièrement, monsieur Kerlikowske, j’ai cru comprendre que vous étiez le commissaire du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis sous la présidence d’Obama et vous étiez aussi conseiller en matière de politique sur la drogue de l’ancien président.

Maintenant, nous savons qu’il y a eu un changement d’administration aux États-Unis, et ma question est la suivante : quels sont les points de vue de l’administration américaine sur le projet de loi C-45, sur la légalisation de la marijuana? À votre connaissance, est-ce que ces points de vue ont été communiqués au gouvernement canadien?

M. Kerlikowske : Eh bien, ce dossier, lorsque j’étais au service du président Obama, n’était pas vraiment clair et d’actualité au Canada comme il l’est aujourd’hui.

Dans ma recommandation et mes séances d’information à l’intention du président Obama, lorsque les États de Washington et du Colorado ont envisagé de légaliser la marijuana consommée à des fins récréatives, il y a eu une longue discussion avec le procureur général, le vice-président et d’autres intervenants sur le rôle que devaient jouer les États-Unis. Je crois avoir été clair à ce moment-là : puisque la loi fédérale liée à la répression des drogues inclut aussi les lois des États... Par exemple, pour ce qui est de l’immigration, l’immigration est une compétence qui revient purement au gouvernement fédéral des États-Unis, mais pour ce qui est des lois contre la drogue, il y a la Controlled Substances Act, qui prévoit aussi le fait que les États peuvent adopter leurs propres lois. Je crois que cela rendait le dossier un petit peu plus complexe.

Pour ce qui est du Canada, cette question n’a pas vraiment fait l’objet de discussions et, tout particulièrement, la possession de petites quantités de marijuana par des adultes n’a pas fait l’objet de beaucoup de discussions au sein du Service des douanes et de la protection des frontières durant les trois ans où j’ai été commissaire.

Le sénateur McIntyre : Selon vous, que pense l’administration Trump de ce dossier? Pouvez-vous nous faire part de votre point de vue à ce sujet?

M. Kerlikowske : Je peux seulement vous parler de ce que j’ai lu et de ce que contiennent les renseignements publics. Le procureur général a adopté la ligne dure sur une diversité d’enjeux liés à la répression de la marijuana à l’échelon fédéral, des positions très différentes de celles de l’administration précédente sous le sous-procureur général, Jim Cole, et le procureur général, Eric Holder.

J’hésite donc à prédire ce qui pourrait survenir. De plus, n’oubliez pas que le Service des douanes et de la protection des frontières est une organisation distincte au sein du département de la Sécurité intérieure, qui relève de son propre secrétaire, et, bien sûr, du procureur général, et bien sûr, le procureur général et le département de la Justice relèvent d’un autre composant du gouvernement, alors je crois qu’il y aura certaines difficultés à résoudre. Mon collègue pourra peut-être vous en dire un peu plus à ce sujet que moi.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur.

Monsieur Hudak, si j’ai bien compris vous êtes directeur adjoint de la Brookings Institution. Je crois aussi savoir que vous avez beaucoup écrit au sujet de la loi sur la marijuana.

Vous avez dit que les attitudes et les normes au sujet de la marijuana changent, et que, selon vous, une méthode d’« essais et erreurs » dans le cadre de la réforme des lois sur la marijuana est essentielle pour mettre en place une bonne politique publique dans ce dossier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Hudak : Bien sûr. Merci de la question. Ce que nous avons vu aux États-Unis, c’est un ensemble de lois disparates au sujet du cannabis. De façon générale, pour revenir sur le point soulevé par le sénateur, tantôt, le cannabis reste illégal au titre de la loi fédérale, et ce, dans toutes les circonstances. Il n’y a pas de zone grise.

Les États ont été laissés à eux-mêmes pour réformer ce qu’ils considèrent comme une guerre inefficace contre la drogue, une guerre menée depuis environ 100 ans aux États-Unis. Grâce à ce processus, il y a eu des réformes, dans un premier temps pour le cannabis thérapeutique, puis, plus tard, en ce qui concerne le cannabis consommé par les adultes à des fins récréatives.

Dans ce processus, chaque réforme est souvent un peu différente des autres en place et, un peu, différente des réformes précédentes. Et par conséquent, ce qu’on a constaté aux États-Unis, c’est exactement ce que vous avez soulevé dans votre question, un processus d’essais et d’erreurs. Il y a des choses qui ont fonctionné, d’autres pas, et qui ont requis une réforme plus poussée ou de nouveaux règlements.

Dans les États qui ont eu le plus de succès — c’est-à-dire ceux qui ont été en mesure de mettre en place un système sécuritaire et assez efficace qui n’a pas contribué aux types de répercussions sociales, comme des répercussions sur la santé publique et la sécurité publique, de façon aussi massive qu’on aurait pu le craindre initialement —, les États qui ont évité de telles situations ont réussi parce qu’ils ont agi de façon proactive et adaptée aux réalités de leur système.

Il est important de souligner que, comme c’est le cas dans tout domaine de politique publique, la réforme du cannabis en est une où les rédacteurs et les concepteurs ne réussissent pas à bien faire les choses dès le départ. Je devrais plutôt dire qu’ils ne peuvent pas tout réussir du premier coup. Un des éléments du processus, aussi, c’est de comprendre de quelle façon la loi sera appliquée dans l’environnement, tant l’environnement stratégique que l’environnement politique.

Le Canada sera le premier grand pays du monde à légaliser le cannabis. Il y aura assurément certains résultats qui n’ont pas été prévus, mais il reviendra au gouvernement de donner aux ministères la marge de manœuvre nécessaire pour réglementer certains domaines, afin que la loi tienne compte de ces réalités ou de demander au Parlement d’intervenir sans jeter le bébé avec l’eau du bain, mais, plutôt, de corriger de façon chirurgicale ce qui doit l’être, sans toucher aux autres composantes du système qui fonctionnent bien et sont appropriées.

Le sénateur Oh : Je remercie les deux témoins d’être avec nous aujourd’hui.

Ma question s’adresse à vous deux et concerne la limite de 10 000 $ à ne pas dépasser à la frontière. Ici, les ventes de cannabis ont toujours fait l’objet de transactions en espèces, et d’après mes connaissances à Seattle, c’est toujours le cas là-bas également.

Au Canada, il y a aussi la culture à des fins personnelles. Les dispositions sur la culture à des fins personnelles permettent à chaque ménage d’avoir quatre plants de marijuana, et c’est pourquoi l’on peut s’attendre à ce que l’offre de cannabis soit forte, et certains produits se retrouveront aux États-Unis et vice-versa.

Qu’en est-il de la limite de 10 000 $ à la frontière? Éventuellement, celle-ci devra augmenter vu qu’il s’agit principalement de transactions en espèces.

M. Hudak : Je crois que de nombreux éléments stratégiques justifient une augmentation de la limite de 10 000 $; il y a notamment l’inflation et les relations en général, et le cannabis ne devrait pas nécessairement constituer la principale motivation.

Je dirais que, en vertu de la loi canadienne, si vous cultivez quatre plants chez vous, vous demandez probablement beaucoup trop cher pour votre cannabis s’il vous rapporte 10 000 $, ou votre acheteur est très mal informé. Soit vous avez conservé un nombre phénoménal de récoltes de ces quatre plans ou vous cultivez plus que les quatre plants autorisés. Autrement dit, vous n’avez pas à craindre d’atteindre la limite de 10 000 $.

Par conséquent, je ne crois pas que le cannabis exige une refonte de cette partie de la politique.

Le sénateur Oh : Monsieur le commissaire?

M. Kerlikowske : Je ne crois pas qu’il y a une corrélation étroite entre la limite de 10 000 $ et la légalisation de petites quantités de marijuana pour les adultes au Canada.

Le sénateur Oh : Merci.

Le sénateur Dean : J’aimerais revenir, monsieur Hudak, sur vos commentaires concernant ce que nous considérons ici comme un examen prudent de la légalisation potentielle du cannabis et de la réforme des lois connexes.

Le groupe d’experts qui a conseillé le gouvernement quant à son approche a mis l’accent sur l’approche préventive, ainsi que les essais et erreurs, car il est bien difficile de prédire ce qui se passera sans aller de l’avant.

L’approche recommandée consistait notamment à évaluer le plus possible la situation actuelle avant de procéder à toute réforme. Maintenant, Statistique Canada enquête sur la consommation par âge, les types de consommation et le prix du cannabis comparativement aux prix sur le marché illicite. Santé Canada mène ses propres enquêtes. Le gouvernement finance des départements de recherche universitaires pour mesurer et évaluer en temps réel la consommation et les problèmes connexes.

S’agit-il d’indicateurs d’une approche préventive qui seraient appropriés, selon vos recherches et vos travaux? Que pensez-vous de cette préparation?

M. Hudak : Je crois que l’approche du Canada, qui consiste à élaborer des points de repère avant la légalisation, est la meilleure dans le monde, et d’autres pays l’ont également adoptée, ainsi que des États américains. Sur ce point, le gouvernement devrait être très fier de son travail.

Aux États-Unis, un des grands problèmes est de déterminer les répercussions de la légalisation sur la société, la santé publique et la sécurité publique, entre autres. Malheureusement, ces données sont politisées au lieu d’être analysées, et il arrive souvent que l’on compare des pommes à des oranges en raison de la façon dont les données sont recueillies ou même définies après la légalisation. Il est donc essentiel d’établir ces mesures avant la légalisation afin de comprendre les effets du système.

Lorsque les médias ou des représentants d’autres États ou de gouvernements étrangers lui posent des questions à ce sujet, le gouverneur John Hickenlooper, du Colorado, recommande de commencer à recueillir des données maintenant de la façon dont on voudra recueillir les données plus tard afin de mieux comprendre les répercussions. Dans son cas, il parle d’un seul État, mais pour vous, il s’agit du Canada. Je crois que les éléments visés par les données recueillies au Canada sont appropriés.

M. Kerlikowske peut vous dire que, pour un service de police, à titre d’exemple, l’efficacité des opérations policières repose sur l’analyse et la compréhension des données et que, si les représentants de l’État, de la municipalité ou du comté ne recueillent pas de données de manière efficace, le travail des agents d’application de la loi se complique, et c’est la même chose pour les responsables de la santé publique et les autres administrateurs du gouvernement.

Encore une fois, je félicite le Canada pour ce qu’il a réalisé dans ce domaine. Bien sûr, il n’y a rien de parfait. Vous constaterez plus tard que certains besoins doivent faire l’objet d’une collecte de données différente. Pour ce qui est de la préparation, personne n’en a accompli autant que ce gouvernement jusqu’à maintenant.

Le sénateur Richards : Ma question touche les services de police au Colorado, en Oregon et dans les autres États qui ont légalisé le cannabis. Ont-ils davantage de problèmes maintenant avec la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et la combinaison d’alcool et de drogues? Est-ce que cette situation se gère bien ou les problèmes ont-ils augmenté?

Deuxième point, le marché noir a-t-il ralenti dans ces États, ou la situation demeure-t-elle inchangée?

M. Kerlikowske : Je vais vous donner quelques informations. Premièrement, l’État de Washington et le bureau du médecin légiste en chef de l’État ont publié des données très préoccupantes sur les accidents mortels et le nombre de personnes dont la consommation de marijuana a été confirmée au dépistage.

Cela dit, nous disposons d’outils rigoureux pour vérifier le taux d’alcool dans le sang. Par contre, la capacité de repérer les conducteurs sous l’effet de la drogue manque cruellement de recherche et d’outils technologiques. Aucune norme particulière ne permet de confirmer qu’une personne est sous l’effet de la marijuana à un moment donné. Vous pouvez certainement voir qu’une personne a consommé de la marijuana, mais à quel moment? Cela dépend si le test a été effectué avec de la salive ou des médicaments.

Je dirais que cela fait partie des problèmes.

Notre ancien président George H. W. Bush a dit il y a longtemps quelque chose comme : « Rien n’est aussi mauvais qu’il en a l’air, et rien n’est aussi bon qu’il en a l’air. » Il a été question de légalisation, de réduction ou d’élimination du marché noir, comme si nous étions toujours en période de prohibition, mais la conduite sous l’effet des drogues n’a jamais été éliminée.

Laissez-moi revenir à la collecte de données. Je crois que c’est un élément important. Les États du Colorado et de Washington ont mené un sondage auprès des étudiants, et une grande quantité d’information en découle. Dans l’État de Washington, les ventes de marijuana à des fins récréatives et médicales s’élèvent à 4,7 millions de dollars par jour. L’année dernière, dans l’État du Colorado, on a recueilli 200 millions de dollars supplémentaires.

Selon moi, ce qui sera difficile pour le Canada c’est de voir se dessiner des problèmes inquiétants ou préoccupants après avoir recueilli des données avant la légalisation. À ce moment-là, le pays sera-t-il prêt à imposer des mesures plus strictes qui pourraient réduire ces revenus? Peu importe ce que révèlent les données, j’ai de la difficulté à imaginer l’État du Colorado ou de Washington revenir sur ses pas et rejeter les revenus qu’il a générés.

Et qu’en est-il des coûts qui ne sont pas pris en considération? Nous connaissons les chiffres liés à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, mais qu’en est-il des coûts qui ne sont pas pris en considération, comme le nombre supplémentaire de personnes qui téléphonent à une ligne d’aide pour parler de leurs problèmes avec la marijuana ou manifester un besoin de réhabilitation ou de thérapie, par exemple? Il y a beaucoup de coûts supplémentaires qui sont très difficiles à recueillir et à mettre en contexte, comme M. Hudak l’a mentionné.

[Français]

Le vice-président : Si vous me le permettez, avant de passer à la deuxième ronde de questions, j’aimerais moi-même poser deux questions à nos invités.

Monsieur Kerlikowske, le Canada et les États-Unis ont travaillé très fort pour améliorer la fluidité aux frontières, entre autres à l’aide des programmes NEXUS et TSA PreCheck.

Toutefois, pour une raison donnée, quelqu’un peut traverser la frontière avec une carte NEXUS et le chien renifleur peut sentir l’odeur de la marijuana si la personne en a fait l’utilisation deux jours auparavant. Vous êtes policier, alors vous savez que la marijuana sent fort et qu’elle peut rester imprégnée dans les vêtements. Croyez-vous que cela peut affecter les programmes NEXUS et TSA PreCheck de traverser la frontière alors que vous sentez la marijuana? On pourrait aussi vous confisquer votre carte NEXUS.

[Traduction]

M. Kerlikowske : Je crois que le critère s’appliquerait si le chien renifle la marijuana et que l’on procède à une fouille de la personne et de ses bagages. En l’absence de marijuana — et, en fait, les petites quantités de marijuana à des fins récréatives sont légales au Canada —, je ne crois pas qu’il pourrait y avoir des conséquences graves pour la personne, comme voir sa carte NEXUS confisquée ou son précontrôle annulé.

[Français]

Le vice-président : Peut-être pas maintenant, mais lorsque la personne voudra renouveler son adhésion à NEXUS, les gens ne seront-ils pas plus frileux pour renouveler l’adhésion?

[Traduction]

M. Kerlikowske : Encore une fois, je ne crois pas que cela se produirait, car il n’y a eu aucune violation et aucune saisie de marijuana. Par conséquent, il serait difficile d’appliquer cela puisqu’ils étaient détenus pour être fouillés. N’oubliez pas qu’une personne peut faire l’objet d’une inspection secondaire à son arrivée aux États-Unis pour diverses raisons. S’il n’y a aucune violation et que rien n’a été saisi, le simple fait de subir une inspection secondaire ne devrait pas avoir de conséquences graves. C’est du moins mon opinion pour le moment.

[Français]

Le vice-président : Voici ma dernière question.

Les agents des services frontaliers posent parfois beaucoup ou très peu de questions. C’est leur privilège. Librement et légalement, ils pourraient poser une nouvelle question aux Canadiens, à savoir s’ils sont des consommateurs de marijuana. Est-ce que cela pourrait avoir des conséquences?

[Traduction]

M. Kerlikowske : Je crois que c’est une chose que de s’interroger sur la possession : avez-vous quoi que ce soit en votre possession? Nous voulons savoir si vous possédez des armes à feu, des devises, et cetera. Cependant, demander s’ils ont consommé de la marijuana au point où nous en sommes dans nos deux pays? Cela ne constituerait pas une utilisation efficace des ressources très limitées du Service des douanes et de la protection des frontières, et je doute sérieusement que la direction estime qu’il est efficace et utile de demander aux personnes si elles ont consommé de la marijuana.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Kerlikowske, vous avez peut-être répondu à cette question au moment de répondre à celle du sénateur Dagenais, mais je vais la poser quand même.

Récemment, le Canada et les États-Unis ont adopté une loi concernant le précontrôle des biens et des personnes. La loi s’intitule Loi sur le précontrôle (2016) : Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis.

Ma question est la suivante : si nous procédons à la légalisation de la marijuana, quelles seront ses conséquences sur cette loi?

M. Kerlikowske : Je suis désolé, monsieur le sénateur McIntyre. Je ne suis plus en poste depuis plus d’un an, et je ne connais pas cette loi. Je m’en excuse.

Le sénateur Oh : J’aimerais revenir à la question de la consommation, de la conduite et de la sécurité publique. Qu’arrive-t-il si l’on consomme de l’alcool et de la marijuana en même temps? Quelles sont les préoccupations pour la santé publique?

M. Hudak : Le mélange d’alcool et de cannabis est extrêmement dangereux pour un conducteur. Nous savons que la probabilité d’un accident automobile attribuable à la consommation d’une quantité intoxicante d’alcool est importante. Elle est moins élevée dans le cas de la consommation de cannabis, mais elle est toujours plus importante que si le conducteur est sobre.

Lorsqu’une personne mélange le cannabis et l’alcool, les effets sur son comportement ne sont pas aussi prévisibles. Par exemple, une personne qui consomme du cannabis obtiendra des effets similaires chaque fois qu’elle en consomme, avec certaines petites différences, évidemment. Si une personne consomme de l’alcool, son comportement demeure généralement le même, selon son niveau d’intoxication. Les mélanges sont un véritable problème et sont populaires.

Il a été démontré que certains consommateurs remplacent l’alcool par du cannabis, c’est-à-dire ils consomment du cannabis au lieu de l’alcool pour s’intoxiquer. Par contre, les organismes d’exécution de la loi prennent les mélanges d’alcool et de cannabis très au sérieux. Certains se font arrêter pour intoxication aux deux substances. Aux États-Unis, il est beaucoup plus facile de condamner une personne pour conduite sous l’effet de l’alcool que de la conduite sous l’effet du cannabis pour la raison que M. Kerlikowske a mentionnée précédemment : il est très difficile d’associer un niveau de métabolites cannabinoïdes actifs dans le sang à un niveau précis d’intoxication, alors que c’est beaucoup plus facile avec l’alcool. Les organismes d’exécution de la loi devront certainement se préparer à faire face au problème des mélanges.

Le sénateur Oh : Monsieur le commissaire, avez-vous des commentaires?

M. Kerlikowske : Il a tout à fait raison. Le mélange des substances ou même l’utilisation d’une seule d’entre elles jusqu’à l’ivresse a des effets dangereux.

Une très bonne chose pour les organismes américains chargés de l’exécution de la loi est que le gouvernement fédéral du Canada dispose d’experts extrêmement compétents dans des positions de leadership. Je pense en particulier à mes anciens collègues, Bill Blair, chef du service de police de Toronto, et Gwen Boniface, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario. Les organismes américains d’exécution de la loi ont énormément de respect — autant au niveau personnel que professionnel — pour ces deux personnes. C’est pourquoi c’est une excellente chose qu’ils participent de si près au processus, avec leurs connaissances et leur expertise. Cela nous aidera à naviguer dans ces eaux un peu troubles.

Le sénateur Richards : J’ai une petite observation à faire. Quand j’étais jeune pendant les années 1960 et 1970, l’alcool et le cannabis n’étaient jamais pris séparément, honnêtement. C’était pour ainsi dire des substances qui venaient ensemble. Le véritable problème de la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool ou par la drogue tient à cela. Je ne sais pas comment on peut vérifier cela, mais je me suis dit que je devais le mentionner.

M. Kerlikowske : Sénateur Richards, j’ai aussi grandi à la même époque, et le niveau de THC qu’il y avait dans le cannabis dans ce temps-là était beaucoup moins élevé que celui du cannabis cultivé de nos jours. Comme on le dit aux États-Unis, on est loin du cannabis de nos grands-parents. C’est une substance active très puissante.

M. Hudak : Je comprends ce que vous dites, et vous avez tout à fait raison de dire que les gens mélangent les substances. Pour certaines personnes, l’alcool et le cannabis vont de pair.

Si on compare la situation actuelle à ce qui se passait dans les années 1960 et 1970 par rapport au cannabis, la différence est que l’industrie du cannabis d’aujourd’hui est beaucoup plus organisée. Ce n’est pas seulement quelque chose qu’on trouve dans une soirée ou qu’un ami vous donne. L’industrie du cannabis veut créer toute une expérience autour de cette substance. C’est dans son intérêt que vous consommiez du cannabis et non d’autres substances. L’industrie déploie énormément d’efforts pour inciter les gens à consommer du cannabis au lieu de l’alcool. L’industrie du cannabis veut commercialiser ce genre d’expérience, et elle a pris des mesures pour que les gens consomment seulement cette substance et pour que leur expérience quand ils en consomment ne varie pas. Le mélange avec de l’alcool va contre les efforts de l’industrie et peut même y nuire. Même si ce n’est pas vrai pour tous, évidemment, il y a des consommateurs qui réagissent à ce genre de choses.

[Français]

Le vice-président : Monsieur Hudak, en complément à ce que vous venez de dire, on sait que, pour certains consommateurs, la marijuana est la porte d’entrée vers des drogues plus dures.

Avez-vous eu accès à des données, dans les États américains où la consommation de la marijuana est légale, qui nous permettraient de constater une augmentation de consommateurs de drogues plus fortes?

[Traduction]

M. Hudak : Il y a bien évidemment un lien. Les gens qui consomment des drogues dures ont souvent déjà consommé du cannabis, à un moment ou à un autre de leur vie. Cependant, la plupart des consommateurs de cannabis n’ont jamais pris de drogues dures. Si on prend les taux de consommation rapportés aux États-Unis pour le cannabis en comparaison des drogues dures, on voit que ceux-ci sont très différents. Nous pouvons donc conclure que la théorie selon laquelle le cannabis est une drogue d’introduction qui fait que la personne qui en consomme est incitée chimiquement à prendre des drogues plus dures — à cause de l’accoutumance ou d’un autre processus du genre — est fausse.

Cependant, nous savons également que cet effet de passerelle existe habituellement à cause de la personne qui vend le cannabis. Pour le trafiquant de drogue moyen, il n’y a pas beaucoup de profit à faire avec ce produit. D’autres substances sont beaucoup plus rentables. Le trafiquant de drogue a donc intérêt à inciter une personne qui consomme du cannabis à essayer l’héroïne ou de la métamphétamine ou d’autres drogues du genre. Il n’y a rien de chimique ou de biologique dans le cannabis qui rend une personne prédisposée à consommer des drogues dures. Le fait que la grande majorité des consommateurs de cannabis ne prennent jamais de drogues dures en est la preuve.

Une fois que le marché sera légalisé et qu’il y aura des dispensaires ou des magasins de cannabis — du cannabis et rien d’autre —, l’effet de passerelle sera largement éliminé puisque c’est le trafiquant de drogue qui a avantage à ce que le consommateur commence à prendre des drogues dures.

[Français]

Le vice-président : Messieurs Kerlikowske et Hudak, je vous remercie de vos témoignages, qui seront très utiles dans le cadre de la légalisation de la marijuana au Canada.

Nous accueillons maintenant Len Saunders, avocat à The Immigration Law Firm.

[Traduction]

Maître Saunders, bienvenue à notre comité. Je tiens pour acquis que vous avez un exposé à nous présenter. Vous pouvez y aller, et ensuite les sénateurs auront des questions pour vous. Merci beaucoup.

Len Saunders, avocat, The Immigration Law Firm, à titre personnel : Merci, monsieur le sénateur. Je vais commencer par vous parler rapidement de mon parcours professionnel, de moi, de mon travail, et de la raison pour laquelle je crois que mon témoignage ici aujourd’hui sera utile pour les Canadiens une fois que le cannabis sera légalisé au Canada.

À dire vrai, je suis moi-même Canadien, même si je pratique le droit de l’immigration aux États-Unis. Je suis avocat agréé depuis presque 20 ans maintenant. Je travaille depuis 15 ans au point d’entrée de Blaine, dans le Nord de l’État de Washington, juste au sud de Vancouver. À mes débuts il y a 15 ans, juste après le 11 septembre, il m’arrivait de voir peut-être un ou deux cas par année où une personne se voyait refuser l’accès aux États-Unis parce qu’elle avait admis avoir déjà fumé du cannabis.

Le cannabis a été légalisé dans l’État de Washington il y a environ cinq ans. Washington a été l’un des premiers États, avec le Colorado, à légaliser cette substance. Jusqu’à tout récemment, il s’agissait du seul État voisin du Canada où le cannabis était légal.

La frontière américaine se trouve trois immeubles au nord de mon bureau, et j’ai commencé à voir de plus en plus de cas où les personnes admettaient avoir consommé du cannabis. Nous sommes passés d’un ou deux cas par année à probablement un ou deux cas par mois : les gens m’appellent pour me dire, essentiellement, qu’à un moment ou à un autre alors qu’ils essayaient de franchir la frontière vers les États-Unis, le douanier leur a demandé s’ils avaient déjà consommé du cannabis récemment ou dans le passé, même si cela fait 40 ans.

Maintenant, une ou deux fois par semaine, des gens m’appellent pour me dire : « On vient de me refuser l’accès aux États-Unis. » La plupart de ces personnes ne viennent pas aux États-Unis pour acheter du cannabis, même si c’est légal dans l’État de Washington. Ils viennent y passer leurs vacances ou pour un voyage d’affaires. De mon côté, les affaires sont prospères, mais je me dis que ce n’est pas une bonne chose, parce que je devrais être en train d’aider les gens à immigrer aux États-Unis et à obtenir un permis de travail. Au lieu de cela, les gens doivent dépenser des milliers de dollars parce qu’ils ont naïvement répondu qu’ils avaient consommé du cannabis à l’une des questions qu’on leur posait au point d’entrée… Et il ne s’agit généralement pas de questions courtes.

Les Canadiens doivent alors subir une inspection secondaire. En résumé, on leur lit une série de questions que le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a peaufinées au fil des années pour faire admettre à la personne interrogée qu’elle comprend que le cannabis est illégal aux États-Unis et au Canada. Donc, l’endroit où la substance a été consommée n’a pas d’importance. On renvoie ensuite ces gens chez eux au Canada et ils sont interdits de territoire à vie. Ces personnes ne pourront plus jamais aller aux États-Unis.

J’avais bon espoir que l’administration Obama légalise le cannabis dans tout le pays, comme ce qui va apparemment se passer au Canada. Avec la nouvelle administration Trump, je doute que le cannabis soit légalisé à l’échelle fédérale aux États-Unis dans un avenir proche.

Les gens me demandent : « Pourquoi est-ce que les agents me posent ces questions? Pourquoi refusent-ils l’entrée aux Canadiens? » Ils ne font que leur travail. Leur devoir est de faire appliquer les lois fédérales en matière d’immigration, et, à l’échelon fédéral, le cannabis est illégal aux États-Unis.

La plupart des Canadiens qui arrivent par voiture à Blaine, où je travaille, peuvent voir deux ou trois boutiques de cannabis avec des affiches disant : « Bienvenue aux Canadiens. » Elles acceptent l’argent canadien. Je crois que 90 p. 100 des clients qui fréquentent la boutique de cannabis locale, située à deux immeubles au sud de la frontière, viennent du Canada.

Les Canadiens achètent souvent du cannabis aux États-Unis. D’après ce que j’en sais, ce genre de questions devient de plus en plus fréquente à la frontière, vu la légalisation prochaine de la substance au Canada. Les agents du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis vont poser de plus en plus souvent ces questions, parce qu’ils savent que c’est maintenant légal au Canada.

J’ai lu des statistiques selon lesquelles 40 p. 100 des Canadiens disent qu’ils vont acheter du cannabis une fois que ce sera légal au Canada. Cela veut dire que 40 p. 100 des Canadiens, techniquement, pourraient être interdits de territoire aux États-Unis.

Trump a dit qu’il voulait construire un mur le long de la frontière sud des États-Unis, et maintenant, je crois qu’il va y avoir un mur à la frontière nord pour les Canadiens à cause du cannabis. Adam m’a demandé s’il devenait de plus en plus difficile de passer la frontière. Si les Canadiens répondent honnêtement qu’ils ont déjà consommé du cannabis, il pourrait aussi bien y avoir un mur de briques à la frontière nord.

J’ai été cité, entre autres par les médias sur la côte Ouest — CTV News, Radio-Canada et Global News —, parce que cela a cours depuis des années. Sur la côte Est, les médias s’en sont rendu compte il y a un an, et ils ont été très étonnés d’apprendre que l’on pouvait être interdit de territoire à vie simplement parce qu’on avait admis avoir déjà consommé du cannabis.

C’est pourquoi je veux sensibiliser les Canadiens. Souvent, on me demande : « Qu’est-ce qu’une personne dans cette situation devrait faire? Devrait-elle mentir au douanier? » En tant qu’avocat, je ne peux pas conseiller à quelqu’un de mentir. Ce que je peux dire, c’est que les gens ne sont pas tenus de répondre à cette question.

Si vous avez déjà été accusé ou déclaré coupable dans le passé au Canada d’avoir consommé du cannabis, alors vous devez répondre oui. Si vous avez du cannabis sur vous et que le douanier vous pose la question, vous devez répondre oui. Cependant, si vous consommez du cannabis ou achetez du cannabis à des fins récréatives au Canada, vous n’êtes pas tenu de répondre à la question.

Cependant, vous allez devoir subir un interrogatoire. On va vous dire que si vous ne dites pas la vérité, vous allez devoir subir un test de dépistage de drogue, mais ce n’est pas quelque chose que les douaniers sont habilités à faire. On va vous dire que vous allez devoir passer le test du détecteur de mensonges, mais cela ne leur est pas permis non plus. On va vous dire que vous allez rester en détention indéfiniment et que vous allez même peut-être être arrêtés parce que vous refusez de dire la vérité. Ils ne peuvent pas faire ça non plus. Selon moi, c’est de l’intimidation, les gens finissent par craquer et passer aux aveux. C’est comme ça qu’ils deviennent des clients à vie.

Un excellent exemple que je pourrais donner — et j’ai demandé sa permission pour raconter son histoire — c’est celui de Ross Rebagliati. Je suis sûr que tout le monde ici présent sait de qui il s’agit. J’ai reçu un appel de Ross il y a plus d’un an. J’approche de la cinquantaine, alors je l’ai vu gagner sa médaille d’or il y a 20 ans à Nagano. Il m’a appelé pour me dire qu’il avait besoin d’une dispense. Je lui ai répondu : « Ross, vous n’avez jamais été reconnu coupable de possession de cannabis. » Il m’a dit que, peu de temps après les Jeux olympiques, il avait admis pendant son passage au Jay Leno Show qu’il avait déjà fumé du cannabis.

En conséquence, Ross a eu besoin d’une dispense pour les 20 dernières années. Cela lui coûte 585 $ américains, près de 1 000 $ canadiens. Voilà ce qu’il faut pour faire approuver une dispense. Après avoir payé près de 600 $ américains, il obtient sa dispense, qui est valable pour cinq ans.

La plupart des Canadiens qui doivent obtenir une dispense parce qu’ils ont admis avoir consommé du cannabis en auront une qui expire après un an, deux ans, peut-être trois ans ou cinq ans. Ross a obtenu une dispense de cinq ans parce que ce qu’il a fait remonte à 20 ans.

Ross est un exemple parfait de quelqu’un qui est pris dans ce système. Il va devoir obtenir une dispense pour le restant de ses jours parce qu’il a admis avoir consommé du cannabis pendant son passage au Jay Leno Show. Et ça, ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Je traite probablement entre 200 et 250 demandes de dispense par année pour des Canadiens, actuellement. Et ça, ce n’est que moi à Blaine. Je suis un avocat exerçant seul. Je ne fais pas partie d’un gros cabinet d’avocats. Si vous prenez tous les avocats du pays, aux États-Unis ou au Canada qui sont spécialisés en immigration aux États-Unis, il doit y avoir des milliers de Canadiens dans cette situation. Donc, ce qui me préoccupe avec la légalisation, ce sont les conséquences à la frontière.

Voici un autre exemple. Une personne a présenté une demande de visa E1. Les visas E1 servent de négociateurs de traités. Vous vendez vos biens ou vos services. Un citoyen canadien qui vend ses services de consultation à l’industrie de la marijuana aux États-Unis s’est non seulement vu refuser son visa, son visa pour investisseur, mais il a été jugé interdit de territoire à vie comme personne qui aide et encourage l’industrie des drogues illégales.

Donc, tout Canadien qui veut participer, au Canada ou aux États-Unis, à l’industrie de la marijuana se verra imposer, encore une fois, une interdiction à vie. C’est le département d’État des États-Unis qui l’impose. Donc, nous avons des exemples pour le SDPF à la frontière, le département de la Sécurité intérieure. La même loi, le gouvernement fédéral.

Je serais ravi de répondre à vos questions.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Saunders. Nous vous remercions de votre présentation. La première question sera posée par la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie d’être ici, maître Saunders. Je suis avec attention ce que vous faites. Nous sommes aussi voisins de votre cabinet d’avocats à Blaine.

Ce que vous dites est très différent de ce que notre secrétaire parlementaire dit. Dans votre exposé, vous en avez parlé un peu : pour de nombreuses personnes, la difficulté tient au fait d’être honnête. Vous voulez être honnête avec les autorités.

Votre avis par rapport à la question de savoir si l’on doit divulguer la consommation de cannabis diffère grandement de celui de notre secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique. Contrairement au secrétaire parlementaire, vous estimez que la divulgation de la consommation passée de marijuana au point d’entrée est dangereuse et pourrait vous valoir une interdiction à vie.

Vous avez fourni des exemples. Bien sûr, si vous venez de fumer de la marijuana, c’est différent. Si je vous ai bien compris, la consommation récente à des fins récréatives n’a pas à être mentionnée. Vous avez aussi dit que si des agents des États-Unis posent des questions à des Canadiens au sujet de leur consommation passée de marijuana, ceux-ci ne sont pas obligés d’y répondre.

Un Canadien subirait-il des conséquences pour avoir retiré sa demande d’entrée au point d’entrée s’il refuse de répondre?

M. Saunders : La pire chose qui puisse arriver, si vous ne répondez pas à la question, c’est qu’on vous refuse l’entrée. Je dis à mes clients qu’ils pourraient réessayer le lendemain, une semaine ou un mois plus tard. Les probabilités sont qu’ils vont probablement tomber sur un agent différent qui ne posera pas la même question.

Ce que la plupart des gens doivent comprendre, c’est que ce ne sont pas tous les agents qui posent la question. C’est discrétionnaire. Mais si on vous pose la question, j’ai toujours dit à mes clients : « Vous n’êtes pas tenu de dire “oui”. Ce n’est pas une question à laquelle vous devez répondre à un point d’entrée. »

Vous ne mentez pas si vous ne dites rien. Si vous avez fait l’objet d’une accusation ou d’une condamnation pour une infraction, oui. Si on vous trouve en possession de marijuana, oui. Mais si c’est juste une question posée au hasard, je dis aux clients que la pire chose qui puisse arriver, c’est simplement qu’on leur refuse l’entrée.

La sénatrice Jaffer : Des personnes sont venues me voir et m’ont dit qu’elles souhaitaient annuler leur départ et retourner le lendemain à un autre poste frontalier. Comme vous le savez, de ma province, la Colombie-Britannique, vous pouvez traverser la frontière en direction de Washington à un certain nombre d’endroits. Mais parfois, c’est noté dans l’ordinateur, et les personnes ne peuvent plus retourner.

M. Saunders : Lorsqu’on vous refuse l’entrée, ce qui se produit habituellement, c’est qu’on inscrit dans votre profil un « avis de surveillance de marijuana ». Le SDPF va afficher sur votre profil un avis de surveillance. Il est très probable que, si vous allez au même point d’entrée ou à un point d’entrée différent, on vous enverra à l’intérieur. Mais la plupart des agents ne posent pas cette question et la plupart d’entre eux ne vont pas donner suite à une deuxième entrée. Certains le font.

La sénatrice Jaffer : J’ai tant de questions à poser. Je vais poser tout de suite une question de plus sur le précontrôle. Vous avez parlé d’aller à la frontière. Qu’arrive-t-il si on vous pose ces questions durant le précontrôle?

M. Saunders : La nouvelle loi qui confère plus de pouvoirs aux Américains au moment du précontrôle me préoccupe, en réalité. La raison, c’est que c’est un terrain glissant qui confère aux Américains de plus en plus de droits au Canada. Cela permet aux Américains d’interroger des personnes indéfiniment. Cela leur permet de transporter des armes dans des aéroports. Cela permet aux Américains d’accorder des renvois accélérés — des interdictions de cinq ans — ce qu’ils ne peuvent pas faire maintenant. J’ai inversé la situation et j’ai demandé si les agents canadiens seraient autorisés à faire cela aux États-Unis. Je ne crois pas que ce serait jamais possible.

En ce moment, ce que je dis aux clients, c’est que s’ils se trouvent au contrôle douanier préalable et qu’ils rencontrent des problèmes, un agent de la GRC se trouve tout près, juste à côté du poste d’inspection secondaire. À tout moment, vous pouvez retirer votre demande et dire : « Je veux parler à cet agent de la GRC », et vous pouvez partir. Si cela se produit à la frontière, vous ne pouvez pas partir. Ils vous diront que vous pouvez retirer votre demande d’entrée; ce n’est pas exact. Ils vont vous retenir, mais pas indéfiniment, jusqu’à ce qu’ils vous fassent avouer ce qu’ils veulent. En ce moment, au moment du contrôle douanier préalable, les pouvoirs ne sont pas aussi nombreux.

La sénatrice Jaffer : Lorsqu’on a abordé ici le projet de loi sur le précontrôle, j’y étais vraiment opposée. Malheureusement, je ne pouvais pas imaginer le voir adopté. J’étais contre parce que, dans le projet de loi, on dit que l’agent de la GRC pourrait ne pas se trouver dans ce coin.

M. Saunders : Je suis d’accord avec vous.

La sénatrice Jaffer : De plus, si l’agent de la GRC n’est pas disponible, les autorités américaines peuvent poursuivre l’interrogatoire.

M. Saunders : Tout à fait.

La sénatrice Jaffer : Ce que vous dites est donc très rassurant.

M. Saunders : Mais c’est trop tard. Comme mon bureau est très proche de Vancouver, je prends l’avion non pas à Seattle, mais bien à Vancouver. Mon bureau se trouve à 20 minutes de l’aéroport de Vancouver, même s’il est aux États-Unis. Chaque fois que je passe par le contrôle douanier préalable, je suis rassuré de savoir qu’un agent de la GRC se trouve là, pour mes clients dans l’avenir. J’aime ça.

[Français]

Le vice-président : Monsieur Saunders, comme vous l’avez dit, la marijuana sera produite par des compagnies qui, bien entendu, emploient des centaines ou des milliers de personnes. Si je comprends bien, ces travailleurs pourraient avoir de la difficulté à traverser les douanes, pour leurs vacances, par exemple, parce qu’ils travaillent pour un producteur de marijuana.

Ce qui m’inquiète, ce sont les programmes de fluidité aux frontières, entre autres NEXUS. Les participants à de tels programmes passent par les douanes canadiennes et américaines, et souvent, même s’ils reçoivent l’autorisation du Canada en tant que « voyageurs dignes de confiance », cette autorisation leur sera refusée aux États-Unis. Ce sont des situations qui se produisent souvent.

Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet?

[Traduction]

M. Saunders : Selon la séance de la dernière heure avec l’ancien commissaire du SDPF, permettez-moi d’abord de parler de NEXUS et de la marijuana. Si vous avouez avoir fumé de la marijuana, vous allez perdre votre carte NEXUS à vie. Si on trouve que vous sentez la marijuana, vous perdrez votre carte NEXUS à vie. Si vous avouez en avoir fumé, vous la perdrez à vie. Cela comprend tout ce qui est lié à la marijuana ou au travail dans l’industrie. Lorsqu’il a parlé du fait qu’ils ont d’autres questions qui les occupent, c’était mon commentaire, et c’est ce qu’ils devraient faire. Mais ce qui se passe en réalité, c’est que, si une personne est impliquée de quelque façon que ce soit avec la marijuana ou si l’on sent de la marijuana dans sa voiture ou sur sa personne, du coup, elle perdra sa carte NEXUS, et il n’y aura aucune façon de la récupérer.

En ce qui concerne les gens qui travaillent dans l’industrie, mon inquiétude concerne les Canadiens qui investissent dans l’industrie de la marijuana aux États-Unis ou qui approvisionnent des serres ou des terres qu’ils ont achetées. J’ai dit à des gens qu’ils ne pouvaient pas faire cela, parce que c’est illégal au pays. Au Canada, lorsque cela sera légalisé, j’ai l’impression que quiconque est mêlé à cette industrie se verra refuser l’entrée aux États-Unis.

Je suis membre de ce qu’on appelle l’American Immigration Lawyers Association et je m’investis énormément dans l’État de Washington et les sections canadiennes. Le point d’entrée de Blaine est le plus grand point d’entrée à l’ouest de Detroit, et il vient au troisième rang pour ce qui est de l’achalandage sur la frontière du nord. C’est un grand point d’entrée. Nous nous sommes réunis là-bas avec environ 20 agents d’immigration et avocats, et j’ai soulevé la question suivante à la toute fin de la réunion : lorsque la marijuana sera légalisée au Canada, allez-vous tout de même appliquer les lois fédérales auprès des personnes qui participent à cette industrie? Et ils ont dit oui.

Des gens qui veulent investir dans l’industrie ou ont investi au Canada me posent souvent ces questions. Je leur dis qu’ils s’exposent à un refus possible d’entrée si cette question leur est posée. Que faites-vous dans la vie? Dans quel genre d’entreprise allez-vous investir ici ou tiendrez-vous des rencontres avec des producteurs? Tout ce qui est lié à la marijuana aux points d’entrée est fatal.

Le sénateur McIntyre : Merci, maître Saunders, de votre exposé. Comme vous l’avez mentionné, vous être un avocat spécialisé en droit de l’immigration qui exerce des activités dans l’État de Washington. Vous avez représenté des Canadiens arrêtés ou qui se sont vu refuser l’entrée aux États-Unis pour possession de marijuana ou pour avoir avoué en avoir consommé. Par conséquent, vous êtes bien placé pour répondre à certaines de nos questions.

Vous en avez peut-être déjà parlé, mais même si le cannabis est légal pour des fins médicales ou récréatives dans certains États des États-Unis, il demeure illégal, comme vous l’avez indiqué, en vertu de la législation fédérale américaine. Le cannabis est légal dans un certain nombre d’États des États-Unis, comme l’Alaska et Washington, qui ont des frontières terrestres avec le Canada.

Je m’intéresse à la situation touchant les frontières terrestres. À votre avis, les Américains de ces États seraient-ils autorisés à traverser la frontière canadienne avec du cannabis acheté légalement aux États-Unis? J’aimerais que vous vous en teniez à la situation des frontières terrestres.

M. Saunders : Les Américains peuvent-ils traverser la frontière régulièrement?

Le sénateur McIntyre : Oui.

M. Saunders : Je suis aussi citoyen américain; même si je suis né au Canada, j’ai acquis la nationalité américaine. Je pourrais acheter de la marijuana dans l’État de Washington et l’apporter au Canada une fois qu’elle sera légalisée ici, sans qu’il y ait de répercussions. Si je devais la rapporter dans l’État de Washington, où c’est légal, on me la confisquerait. On me la confisquerait, mais puisque ce n’est pas illégal dans l’État de Washington, on la détruirait simplement, à moins qu’il y ait plus de 30 grammes de marijuana. S’il y avait plus de 30 grammes, je ferais l’objet de poursuites fédérales. Le Colorado n’est pas un État frontalier, et techniquement, vous ne pouvez transporter de la marijuana d’un État à l’autre, mais je présume que des gens le font.

C’est intéressant, parce que notre détaillant local de marijuana à Blaine croit que lorsque la marijuana sera légalisée au Canada, cela ne va pas ralentir ses affaires; il estime que ça va l’occuper davantage; il croit que, tout comme l’essence, le lait, le fromage et les œufs, ce sera moins cher de l’acheter aux États-Unis. Il s’attend donc à ce que de nombreux Canadiens aillent vers le Sud, l’achètent puis la rapportent légalement au Canada.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais clarifier quelque chose avec vous : supposons que la marijuana est légalisée au Canada; à votre avis, comment cela va-t-il fonctionner avec les frontières terrestres américaines et le Canada? Pensez-vous qu’il n’y aura aucun problème au moment du précontrôle, par exemple?

M. Saunders : Non, les choses seront pires.

Le sénateur McIntyre : Les choses seront pires?

M. Saunders : Je pense que ce sera bien pire. Je pense que les Américains vont poser ces questions encore plus souvent, parce qu’ils savent que vous pouvez en acheter légalement au Canada. Et l’exemple a été donné dans le dernier groupe de témoins. Que se passe-t-il si quelqu’un l’oublie par accident dans sa voiture et qu’on la découvre?

Disons que je vis à Vancouver et qu’un de mes enfants l’achète légalement. Il est au début de la vingtaine et la laisse dans son véhicule ou bien un ami emprunte votre voiture. Si on la découvre dans votre voiture qui arrive aux États-Unis, tout ce qu’il faut, c’est une raison de croire. Vous n’avez pas besoin de faire un aveu pour être jugé interdit de territoire aux États-Unis. La raison de croire que vous vous livrez à des activités illégales liées à des drogues est tout ce qu’il faut. Je suis sûr que beaucoup de Canadiens en auront dans leur véhicule, parce qu’ils ne se rendront pas à pied jusqu’au magasin local de marijuana. Ils vont la laisser sur le siège arrière ou dans le compartiment à gants, et si on la trouve aux points d’entrée, cela va créer des interdictions à vie, tout juste comme si vous aviez fait un aveu.

Malheureusement, la légalisation de la marijuana au Canada aura des conséquences pour les Canadiens qui vont aux États-Unis.

Le sénateur McIntyre : À votre avis, les États-Unis vont-ils continuer à interdire l’entrée aux Canadiens qui admettent avoir fumé de la marijuana ou avoir de la marijuana en leur possession, même si le cannabis devient légal au Canada?

M. Saunders : Absolument certain à 100 p. 100.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous nous éclairez sur des impacts insoupçonnés, surtout en ce qui concerne les jeunes qui ont souvent des comportements insouciants.

Ma première question est d’ordre général. Selon votre expérience avec des jeunes qui ont éprouvé des problèmes avec les douanes américaines, en légalisant la marijuana, le gouvernement canadien a-t-il sous-estimé son impact sur sa population et sur les touristes qui traversent la frontière américaine?

[Traduction]

M. Saunders : Absolument. Et c’est ce qui me préoccupe. Vous avez parlé des jeunes. En général, la personne qui, selon moi, se verra refuser l’entrée, ce n’est pas un homme d’affaires qui porte un complet et une cravate. C’est un jeune Canadien dans la vingtaine, qui se rend, en général, pour assister à un concert à Seattle ou qui prend la route pour le plaisir avec ses amis. J’en vois tous les jours. Je reçois des appels de jeunes Canadiens qui me disent : « Les agents des frontières américaines m’ont intimidé. Je pensais que si je disais la vérité, il ne m’arriverait rien de mal. »

Je crois que le nombre de ces cas va augmenter de façon marquée lorsque la marijuana sera légale au Canada, étant donné que, à parler franchement, je n’ai vu personne faire de mise en garde à ce sujet. J’étais en Inde pour affaires, en septembre. Même si je vis aux États-Unis, je suis de très près les actualités canadiennes. Pendant une émission d’information d’Ottawa, un dimanche matin, on a demandé à Ralph Goodale ou peut-être à son attaché de presse ce que devra répondre un Canadien qui se présente à un point d’entrée et se fait demander s’il a déjà consommé de la marijuana, quand la marijuana sera devenue légale. Il a dit qu’il faut dire la vérité. Il ne se passera rien, mais l’entrée lui sera refusée.

J’étais en Inde et j’ai téléphoné aux médias pour leur dire : « Vous allez devoir faire un suivi. Il n’a pas dit toute la vérité. Oui, ce voyageur se verra refuser l’entrée aux États-Unis, mais il se verra aussi imposer une interdiction à vie. Il y a des répercussions financières, aussi. »

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans le projet de loi actuel, il y a un article qui « m’a jeté à terre ». C’est une expression francophone, je m’en excuse. Nous allons permettre à des jeunes de 12 à 17 ans de posséder 5 grammes de marijuana sèche ou 25 grammes de marijuana fraîche. Nous savons que les jeunes voyagent souvent avec leurs parents pendant l’été, soit pour aller à Old Orchard ou au bord des plages. Ces jeunes peuvent avoir un joint ou deux avec eux par insouciance. La loi canadienne le leur permettra.

Quel sera l’impact sur les parents qui traversent la ligne américaine lorsque les douaniers américains s’apercevront que leur jeune mineur a en sa possession de la marijuana alors qu’ils n’étaient même pas au courant? Au Canada, ce sera légal d’avoir une certaine quantité de marijuana.

[Traduction]

M. Saunders : Si vous êtes mineur, aux fins de l’immigration — c’est-à-dire si vous avez moins de 18 ans —, et que vous reconnaissez avoir déjà consommé de la marijuana ou si les agents en trouvent en votre possession, vous ne ferez pas l’objet d’une interdiction à vie. Aux fins de l’immigration, il faut être adulte. Pour une personne de moins de 18 ans, il n’y a aucune conséquence à long terme. Mais les parents pourraient se voir demander d’où venait l’argent. L’argent venait des parents. Donc, aujourd’hui, aux fins de l’immigration, les parents aident et encouragent les gens qui achètent des drogues illégales.

Il n’est pas difficile de faire le lien entre la personne mineure et ses parents pour en tirer ces conclusions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, cela peut avoir des répercussions sur les parents?

[Traduction]

M. Saunders : Absolument.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Selon un sondage, réalisé au Canada, je crois, 40 p. 100 des gens admettent consommer de la marijuana? Est-ce exact?

[Traduction]

M. Saunders : Non. J’ai lu quelque part, il y a à peu près un an, que, quand la marijuana deviendra légale au Canada, environ 40 p. 100 des Canadiens en achèteront. J’ai lu ça il y a à peu près un an. Selon moi, cela pourrait signifier que 40 p. 100 des Canadiens seraient considérés comme interdits de territoire aux États-Unis.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, par rapport à la situation actuelle où on estime qu’il y a 30 p. 100 des jeunes de 18 à 35 ans qui en consomment, c’est une augmentation théorique de 25 p. 100. C’est une augmentation assez importante.

[Traduction]

M. Saunders : Je crois, mais je n’irais pas jusqu’à l’affirmer.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’il aurait été préférable, plutôt que de légaliser la marijuana, de la décriminaliser et regarder les effets à moyen terme pour ensuite envisager une légalisation?

[Traduction]

M. Saunders : Personnellement, et je vis dans l’État de Washington, où la vente de marijuana est légale depuis cinq ou six ans, je crois, honnêtement, que le gouvernement canadien a bien fait les choses en décidant d’imposer la légalisation. C’est ce que les Américains auraient dû faire.

Ce qui me préoccupe, c’est qu’il n’y a pas de campagne de sensibilisation ou d’information du public concernant les conséquences de la légalisation de la marijuana pour les Canadiens qui veulent aller aux États-Unis.

Je ne critique pas le gouvernement canadien. Selon ce que j’en sais, il a fait ce qu’il convenait de faire. Il a pris les bonnes mesures en choisissant d’agir à l’échelle nationale. Ce n’est pas ainsi que ça se passe aux États-Unis, où c’est un véritable pêle-mêle : dans un État, c’est légal, dans un autre, ça ne l’est pas, mais, au bout du compte, le gouvernement fédéral est contre.

Je m’occupe encore beaucoup des dispenses temporaires d’interdiction. Dans la plupart des cas, elles concernent des personnes qui ont un casier judiciaire. C’est-à-dire des personnes qui ont été, il y a longtemps, condamnées pour possession de marijuana, même pour de petites quantités. Je crois que la décriminalisation est une bonne idée. Une personne qui s’est fait arrêter il y a 30 ans pour possession d’une petite quantité de marijuana devait payer l’amende de 585 $ et les honoraires d’un avocat, si elle en voulait un; cela n’avait aucun sens.

Il est permis d’espérer que, quand la possession sera décriminalisée et que la consommation de marijuana à des fins récréatives sera légale, ces problèmes ne se présenteront plus, à la frontière, sauf si vous avouez en avoir consommé.

[Français]

Le vice-président : Vous dites que le gouvernement a fait du bon travail dans sa préparation en ce qui concerne la légalisation. Par contre, en ne vous souciant pas de ce qui se passera aux frontières canadienne et américaine qui s’étendent sur une longue distance, croyez-vous qu’il aurait été préférable de prendre le temps d’étudier les impacts de la légalisation?

Vous nous dites que la légalisation est peut-être correcte, mais on n’avons pas assez accordé d’attention aux impacts, entre autres sur le passage aux frontières. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Saunders : C’est pour cette raison que j’ai essayé de sensibiliser le public en m’adressant aux émissions d’information et en racontant ces anecdotes aux journalistes. L’histoire de Ross Rebagliati a fait les manchettes. Celle de Jessica Goldstein aussi, comme celles de Matthew Harvey et d’Alan Ranta. J’en connais d’innombrables exemples. Mes clients m’ont autorisé à raconter leur histoire devant les médias parce qu’ils ne veulent pas que d’autres Canadiens se retrouvent dans la même situation. J’ai des centaines, voire des milliers de clients qui ne veulent pas que leur nom soit rendu public parce que la situation les gêne. Ils sont gênés de ce qui leur est arrivé au point d’entrée.

Cela ne concerne pas seulement des jeunes qui font de la planche à neige; cela concerne également des gens plus âgés. Il est arrivé récemment à une Canadienne, qui fait de la planche à neige, de vouloir se rendre à sa résidence d’hiver en Arizona, en automne; elle a dû admettre qu’elle avait déjà fumé de la marijuana en 1982. En quoi est-ce utile de le savoir? On lui a refusé l’entrée. Elle était tellement en colère qu’elle a vendu sa maison. Elle a déclaré qu’elle n’allait plus contribuer à l’économie des États-Unis. Bien des gens disent la même chose.

Mais il ne faut pas oublier que, dans les faits, les gens doivent faire des voyages d’agrément aux États-Unis, par exemple pour aller à Disneyland avec leur famille. Ils doivent se rendre assister à un mariage, des choses comme cela. C’est intéressant : je vois des Canadiens qui se voient refuser l’entrée aux États-Unis, mais je vois aussi beaucoup d’Américains qui se voient refuser l’entrée au Canada. C’est que mon bureau est situé très près de la frontière, et je reçois tous les jours un ou deux Américains qui se sont vu refuser l’entrée au Canada, en général à cause d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies. Ils se présentent à mon bureau et sont fâchés que le gouvernement canadien leur refuse l’entrée. Mais je leur demande : qu’est-ce qui est le pire? Refuser l’entrée aux États-Unis à une personne qui admet avoir consommé de la marijuana ou refuser l’entrée au Canada à une personne qui a conduit en état d’ébriété? Le deuxième cas est bien pire. Le gouvernement canadien a bien compris les questions touchant l’admissibilité, mais pas les Américains.

Je ne crois pas que le commissaire qui a fait un témoignage, plus tôt, voit ce qui se passe aux premières lignes. Je suis aux premières lignes. Je suis là tous les jours. Je traverse la frontière plusieurs fois dans les deux sens, pour voir des clients au Canada, pour déposer des demandes de dispense temporaire à la frontière. Je suis le premier à voir comment les politiques fonctionnent dans la réalité. Elles ne sont pas favorables aux Canadiens, pour le moment. Peu importe ce que les Américains vous diront, je ne suis pas d’accord.

La sénatrice McPhedran : Bienvenue, maître Saunders. C’est un plaisir de vous recevoir. Je dois avouer que j’aurais bien aimé que vous soyez présent lorsque nous avons étudié le projet de loi C-23, la Loi sur le précontrôle, en 2016. L’étude a été menée rondement par notre comité et par le Sénat, et la plupart des intervenants, y compris les témoins clés que nous avons convoqués, ont surtout parlé de la commodité qu’elle offrait aux gens d’affaires, ceux en veston-cravate, et pour les Canadiens qui ont la chance de pouvoir prendre des vacances ou d’avoir une maison là où il fait chaud.

Je suis convaincue que ces gens-là profitent maintenant de toute cette commodité, mais j’aimerais revenir sur les questions posées par la sénatrice Jaffer et examiner un peu plus sérieusement, avec vous, les liens entre l’adoption du projet de loi C-23 et le projet de loi C-45. Je vous demande d’être patient; ma question comprend deux ou trois parties.

J’aimerais vous rappeler qu’il s’agit des répercussions du projet de loi C-23 par lequel les législateurs canadiens privent les Canadiens de certains des droits que leur confère la Charte. C’est ce que le projet de loi C-23 a fait. Vous en avez parlé, mais j’aimerais en parler un peu plus longuement étant donné les répercussions du projet de loi C-23 et celles du projet de loi C-45 sur les jeunes Canadiens, en particulier. Cela m’inquiète beaucoup. Je crois que cela déclenchera une avalanche en privant de nombreux jeunes Canadiens de débouchés, et cela, pour toujours.

Nous ne parlons pas seulement, quand il s’agit du précontrôle, du fait qu’il ne sera plus possible de repartir. C’est vrai. Il est vrai également qu’un agent des frontières américain peut soumettre un Canadien à une fouille à nu, en sol canadien, même si l’agent frontalier canadien juge que cela n’est pas nécessaire.

Les mesures de protection que vous avez décrites et avec lesquelles vous travaillez depuis toutes ces années ont disparu.

M. Saunders : Jusqu’à tout récemment, quand je craignais qu’une personne voulant entrer aux États-Unis à partir de la vallée du bas Fraser, à Vancouver, puisse avoir des problèmes, je lui disais d’aller à l’aéroport parce que je savais qu’elle pouvait toujours, de cette façon, se soustraire à un interrogatoire. Les gens me disaient : « Mais on est en sol américain, là-bas. » Je répondais que ce n’était pas vrai. On est au Canada, on est en sol canadien. Ces agents ne portent pas d’arme et ils n’ont que des pouvoirs limités, selon les lois américaines sur l’immigration, parce qu’ils se trouvent au Canada.

Ça ne sera plus possible désormais. C’est ça qui me préoccupe.

La sénatrice McPhedran : Permettez-moi de vous demander si vous n’êtes pas un peu plus occupé, dans votre pratique, par les problèmes de racialisation.

M. Saunders : Qu’entendez-vous par « racialisation »?

La sénatrice McPhedran : Je parle des gens qui essaient d’entrer aux États-Unis et qui, visiblement ou d’une autre façon, ne vous ressemblent pas.

M. Saunders : Je ne vois pas beaucoup de ce type de clients. Mais je vois bien qu’il y a du profilage, à cause de la marijuana, ce profilage-là. Dans ma pratique, honnêtement, je ne vois pas de profilage racial à la frontière. Je suis heureux de pouvoir le dire.

Il ne faut pas oublier qu’un bon nombre d’agents sont eux-mêmes des immigrants, tout comme moi, et appartiennent également à une minorité visible. Ils ont embauché un grand nombre d’agents sikhs, surtout à Vancouver ou, du moins, dans le Nord de l’État de Washington, et aussi des agents musulmans et chinois, qui peuvent communiquer dans leur langue.

Je ne vois pas beaucoup de profilage. Je vois par contre que les techniques et les pouvoirs dont ils peuvent se servir à la frontière sont maintenant exercés en sol canadien, et ça m’inquiète.

La sénatrice McPhedran : La dernière partie de ma question concerne la partie 2 du projet de loi C-45. Il s’agit des dispositions sur les contraventions qui peuvent être infligées pour la possession de petites quantités de cannabis. Les dispositions se trouvent dans la partie 2 du projet de loi C-45.

Est-ce que vous êtes inquiet de la possibilité qu’une personne qui a reçu une contravention pour possession d’une petite quantité de cannabis ait de la difficulté à entrer aux États-Unis?

M. Saunders : Comme je le disais plus tôt, les personnes de moins de 18 ans ne pourront pas être interdites de territoire pour possession de marijuana ou parce qu’elles ont reconnu en consommer. La seule raison pour laquelle une personne mineure pourrait se voir refuser l’entrée aux États-Unis, c’est si elle a été condamnée pour trafic. Disons qu’elle a vendu de la marijuana à quelqu’un lorsqu’elle était mineure, à l’école secondaire, et qu’elle a été reconnue coupable de trafic. C’est un acte délictueux avec circonstances aggravantes. C’est un motif d’interdiction de territoire.

Mais il n’est pas nécessaire d’être un agent pour voir cette information dans le système, étant donné qu’un Canadien qui obtient son pardon ou qui se fait arrêter, peu importe à quel moment, aura un numéro dans le fichier des empreintes digitales. Ça restera toujours dans le système. De nouvelles informations sont constamment accessibles puisque, je le répète, les Américains ont accès aux bases de données du Canada. Ça ne prend pas grand-chose pour qu’un agent dise : « Vous étiez âgé de 16 ans et vous avez reçu une contravention pour possession de marijuana. » Aujourd’hui, la personne est âgée de 19 ou 20 ans. L’agent peut lui demander si elle en consomme toujours. Il n’y a ensuite qu’un pas à faire, si elle répond par l’affirmative, pour lui infliger ensuite une interdiction à vie.

La sénatrice McPhedran : Que la marijuana soit légalisée ou non, en vertu du projet de loi C-45, resterez-vous préoccupé, comme vous l’avez dit déjà, par les problèmes d’interdiction de territoire et les interrogatoires qui se font actuellement et par les autres problèmes que vous observez aujourd’hui? La légalisation ne va pas effacer ces problèmes, mais est-ce que nous vous avons bien compris? Vous dites qu’en fait, elle va plutôt empirer et de beaucoup la situation?

M. Saunders : Je n’ai pas pu obtenir de réponse directe d’un agent des frontières — un simple agent ou un responsable, personne — à la question de savoir si une personne qui achète de la marijuana ou qui en consomme, lorsque la marijuana sera légale, sera considérée comme interdite de territoire aux États-Unis. C’est seulement il y a deux semaines que j’ai obtenu une réponse de deux agents principaux du point d’entrée de Blaine; ils m’ont dit qu’à leur avis, la personne serait jugée interdite de territoire. C’est la première fois que j’obtenais une réponse directe à cette question. Et cela doit bien faire quatre ou cinq ans que je la pose.

Le sénateur Dean : Si je comprends bien, maître Saunders, cela fait plusieurs années que le problème se pose, le problème des répercussions de ce que les gens disent à la frontière, et il a tendance à prendre de plus en plus d’importance.

Il est évident que les réformes potentielles touchant le cannabis au Canada n’ont pas abordé cette question, mais cela pourrait exacerber ce que nous vivons à la frontière. Je crois que ce que vous voulez dire, c’est qu’il faut que nous donnions aux Canadiens qui traversent la frontière des conseils plus éclairés sur la nature de l’expérience frontalière et sur les répercussions des réponses qu’ils vont fournir à certaines questions.

Ensuite, je vous ai bien compris lorsque vous avez dit que, de manière générale, vous estimez que le gouvernement du Canada a pris la bonne voie dans sa réforme et dans sa loi sur le cannabis. J’imagine que c’est parce que les méfaits supplémentaires que cela entraînera certainement, en plus des problèmes dont vous nous avez parlé, doivent être évalués par rapport à ce que nous savons des méfaits de la consommation du cannabis au pays, les répercussions de la criminalisation — vous êtes certainement au courant — et les nombreux problèmes liés à l’immense marché illicite.

En ce qui concerne le risque relatif, cela nous ramène à la question de la sénatrice McPhedran, je crois. Je retiens de votre témoignage que vous estimez que le gouvernement a pris la bonne orientation stratégique en légalisant et en réglementant de façon stricte le marché du cannabis au Canada, mais que nous devons absolument être davantage sensibilisés et, à coup sûr, que nous devons communiquer beaucoup plus efficacement avec les Canadiens qui s’apprêtent à franchir la frontière pour les mettre au courant de leurs droits et de leurs responsabilités et du fait qu’ils peuvent demander l’aide des agents de la GRC.

Ai-je bien résumé votre pensée?

M. Saunders : Exactement. Selon mon expérience, et je vis dans un État où la marijuana est légalisée depuis cinq ans… Il n’y a pas eu de grande épidémie de toxicomanie, et tout ça, dans la société. On peut en acheter à deux coins de rue de mon bureau.

Ce que j’aimerais, c’est que le gouvernement canadien fasse une ou deux choses : je voudrais qu’il dise aux Canadiens qu’ils pourraient avoir de graves problèmes s’ils cherchent à entrer aux États-Unis une fois que la marijuana sera légale. Il doit également demander une réponse franche au gouvernement américain quant à ce que ce dernier prévoit faire, parce qu’il ne donne aujourd’hui que des réponses vagues à cette question. Il dit par exemple qu’il est en train d’étudier la question ou qu’il a pris une mesure ou une autre.

Les agents américains posent ces questions, et ils imposent des interdictions à vie.

Le commissaire qui a témoigné plus tôt, je ne crois pas qu’il avait compris. Il a par exemple parlé de la carte NEXUS en disant qu’on n’allait pas la perdre. J’aimerais bien que ça se passe comme ça. J’ai reçu au fil des ans des appels de centaines de personnes qui venaient de se faire retirer leur carte tout simplement parce qu’un chien avait senti l’odeur de la marijuana dans leur voiture. C’est tout ce que ça prend.

J’aimerais beaucoup que le gouvernement américain vous donne une réponse franche. Je ne sais pas qui pourrait vous en donner une, mais il faudrait une réponse franche. Si un citoyen canadien qui admet avoir fumé de la marijuana se présente à la frontière, que feront les Américains? Parce que le citoyen canadien viole les lois américaines sur l’immigration.

Le sénateur Dean : Merci.

Le sénateur Oh : J’aimerais revenir rapidement sur une question qui a déjà été posée. Est-ce qu’un représentant officiel des États-Unis ou du Congrès a déjà mis en garde le Canada quant à son projet de légaliser la marijuana?

M. Saunders : Mis en garde qui?

Le sénateur Oh : Est-ce qu’un représentant officiel des États-Unis ou du Congrès a déjà mis en garde le gouvernement canadien quant aux répercussions de la légalisation de la marijuana?

M. Saunders : Il y a environ six mois, je sais qu’une coalition de sénateurs du Parti démocrate et de membres du Congrès ont envoyé une lettre à Jeff Sessions pour le mettre en garde à propos de ce qui se passerait si les États-Unis refusaient l’entrée aux étrangers — non pas seulement les Canadiens, tous les étrangers — qui reconnaissent avoir fumé de la marijuana.

J’ai déjà vu la situation se produire, et il ne s’agit pas des seuls Canadiens. Cela peut arriver à un citoyen allemand qui veut entrer aux États-Unis. Disons que vous prenez l’avion pour le Colorado et qu’ils vous posent ces questions. Donc, les sénateurs ou les membres du Congrès ont posé la question au procureur général, mais je crois qu’aucune mesure n’a été prise.

Les gens ne se rendent pas compte parce qu’ils ne se trouvent pas aux premières lignes. Je suis aux premières lignes. Je vois ça arriver tous les jours. Quand j’annonce à quelqu’un qu’il est interdit de territoire pour la vie, sa réaction est la suivante : « Mais c’est légal dans l’État de Washington, et ça va être légal au Canada. » Le problème, c’est cette mince ligne qui sépare l’État et la province; ça va aussi se produire dans l’Est du Canada, à Niagara Falls, à Buffalo et à Detroit. L’effet boule de neige que j’ai observé sur la côte Ouest va se reproduire ici, je vous le garantis.

Le sénateur Oh : Pensez-vous que, pour notre gouvernement, l’absence complète de grands programmes d’éducation publique sur le passage de la frontière constitue un enjeu important qui touche, comme vous le dites, des citoyens canadiens de toutes les tranches d’âge?

M. Saunders : Absolument. Cela concerne tout le monde, les gens d’affaires qui investissent dans le secteur et le quidam qui achète de la marijuana à des fins récréatives.

Permettez-moi de vous donner un exemple, celui du premier ministre Trudeau. Il est interdit de territoire. Il a reconnu avoir fumé de la marijuana lorsqu’il était député. Comment se fait-il qu’il puisse voyager aux États-Unis? J’ai posé la question à quelques agents. C’est parce qu’il a un passeport diplomatique. Dès qu’il ne sera plus premier ministre et qu’il ne disposera plus d’un passeport diplomatique, il sera interdit de territoire aux États-Unis. C’est un bel exemple.

Le sénateur Oh : Nous pouvons aller plus loin encore : un Canadien qui voyage en Indonésie, en Malaisie ou dans certains pays de l’Asie du Sud-Est risque d’être pendu pour des infractions comme celle-là, comme pour la marijuana.

M. Saunders : Mais ici et dans bien des États, c’est un produit légal. C’est pourquoi il y a des gens qui trouvent ironique que cela leur vaille une interdiction à vie.

Le sénateur Oh : Quand vous voyagez à l’étranger, les citoyens canadiens, les jeunes…

M. Saunders : Ça ne se passe pas ainsi au Canada ou dans de nombreux autres États. Voilà le problème. Les gens ont ce faux sentiment de sécurité, et quand ils traversent la frontière, ils disent aux agents qu’ils ont déjà consommé de la marijuana. Voilà le problème.

Le sénateur Oh : Je parlais des gens qui vont outre-mer.

M. Saunders : Je comprends.

Le sénateur Oh : Vous vous rendez en Indonésie. L’an dernier, six Australiens ont été pendus parce qu’ils faisaient du trafic de drogue.

M. Saunders : Mais il ne s’agit pas ici de trafiquants de drogue. Il s’agit de gens qui vont acheter de la marijuana à des fins récréatives, tout à fait légalement, au Canada et qui vont après cela faire l’objet d’une interdiction à vie. Voilà ma préoccupation.

C’est intéressant; bon nombre de mes clients qui demandent une dispense temporaire d’interdiction ont un casier judiciaire et peuvent voyager n’importe où ailleurs dans le monde, car les autres pays n’ont pas accès au CIPC. Les Américains ont accès au CIPC, et les Canadiens, au FBI, il y a un échange d’information. Et c’est intéressant aussi de se dire que toutes les ententes transfrontalières actuellement négociées rendent les déplacements plus difficiles, étant donné que les Américains peuvent savoir si un Canadien s’est fait condamner pour une infraction liée à la marijuana en 1975. C’est parce que, je le répète, le Canada l’a permis.

Le sénateur Oh : Une bonne partie du pays l’ignore. Ce n’est pas parce que le produit est légal au Canada qu’il est permis de le consommer ailleurs.

[Français]

Le vice-président : Je m’excuse, sénateur Oh, mais je vais être obligé de vous arrêter. Je crois que le sénateur Richards a une question à poser ainsi que quatre autres sénateurs. Je demanderais que vos questions et réponses soient courtes. Je m’excuse, sénateur Oh, mais il ne reste que cinq minutes.

[Traduction]

Le sénateur Richards : J’aimerais faire un commentaire. Je ne porte pas de veston-cravate quand je me rends aux États-Unis et je n’y possède aucune propriété; cependant, je préférerais et de loin me présenter au précontrôle à Toronto plutôt qu’à Newark, au New Jersey, surtout si je risquais d’y avoir des problèmes.

Quelle solution suggéreriez-vous? Vous décrivez une situation horrible qui pourrait toucher en particulier les jeunes. J’ai l’impression que nous faisons les choses un peu n’importe comment, et la marijuana sera légale dans deux ou trois mois. Je connais beaucoup de jeunes du niveau collégial qui fument pour se détendre, et ils habitent à des centaines de kilomètres de la frontière. Avez-vous d’autres recommandations à faire, outre mettre les gens en garde ou en parler aux membres du Congrès américain?

Si c’est aussi désastreux que ça, ce sera vraiment un problème, n’est-ce pas?

M. Saunders : Je suis d’accord avec vous. Et c’est pour cette raison que je me suis adressé si souvent — une dizaine de fois — aux médias d’information ces cinq dernières années pour mettre les gens en garde : ça pourrait vous arriver à vous. J’ai l’impression d’être le seul à faire ça.

Je ne devrais pas faire ces mises en garde. Je devrais plutôt espérer travailler davantage, mais j’essaie d’aider mes amis du Canada à s’en tirer, en leur disant : je sais bien que, si vous avez un casier judiciaire vous avez besoin d’une dispense, mais c’est ridicule d’interdire à vie l’entrée à quelqu’un qui a reconnu avoir déjà fumé de la marijuana.

C’est une question d’éducation publique, mais le gouvernement du Canada doit prendre contact avec le gouvernement américain pour obtenir une réponse franche sur la question.

Le sénateur Richards : Qu’en est-il des gens des Pays-Bas? Le produit est légal là-bas depuis une génération. Ont-ils de la difficulté à voyager aux États-Unis? Y a-t-il des statistiques à ce sujet?

M. Saunders : Je n’ai jamais eu à traiter un dossier comme celui-là; je m’occupe surtout des Canadiens.

Le sénateur Richards : Merci.

La sénatrice Jaffer : Selon ce que vous dites, il est évident que notre gouvernement devrait également mener une vaste campagne de sensibilisation pour expliquer aux Canadiens à quoi ils devraient s’attendre. Vous êtes d’accord avec ça, n’est-ce pas?

M. Saunders : Oui.

La sénatrice Jaffer : Il faudrait aussi qu’il travaille avec les États-Unis, ce qui pourrait être plus difficile.

La sénatrice McPhedran vous a déjà posé la question, mais ce n’est un secret pour personne : quand il s’agit du cannabis, les organismes américains d’exécution de la loi ciblent de manière disproportionnée les gens de couleur. Selon l’organisme American Civil Rights Union, les Noirs sont près de quatre fois plus souvent arrêtés pour possession de marijuana que les Blancs, même s’ils en consomment proportionnellement autant; c’est un témoin précédent qu’il l’a dit. Je n’essaie pas d’opposer les Blancs et les Noirs; un témoin précédent a dit que les Blancs fumaient davantage que les Noirs, mais que les Noirs étaient plus souvent arrêtés.

Je sais que vous avez répondu, plus tôt qu’il n’y avait pas selon ce que vous observez de profilage racial. Mais c’est peut-être à cause du lieu où est situé votre bureau.

M. Saunders : Je n’observe pas de profilage racial à la frontière, pas à ce chapitre-là, et j’y suis très sensible. Je suis Canadien de naissance, mais ma mère est originaire de l’Inde et mon père, de Trinidad, dans les Antilles britanniques. Je suis très sensible à la question du profilage. Je ne vois aucun profilage racial à la frontière quand un voyageur reconnaît avoir déjà fumé de la marijuana.

La sénatrice Jaffer : À part la sensibilisation et la communication avec les États-Unis, lorsque vous réfléchissez à vos questions, si vous pensez à d’autres mesures que le gouvernement canadien devrait prendre avant que le projet de loi entre en vigueur, nous vous serions reconnaissants d’en faire part au greffier.

M. Saunders : Ce sont là les deux principaux problèmes.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice McPhedran : Je voulais lire officiellement une déclaration faite par le ministre Goodale, le 19 septembre 2017, devant le Comité permanent de la santé :

[…] parlons du cannabis à la frontière. Évidemment, il est actuellement illégal d’entrer au Canada avec du cannabis ou d’en sortir. Il est illégal de franchir la frontière dans un sens ou dans l’autre. Cette situation ne changerait pas en vertu du projet de loi C-45. Les agents frontaliers procèdent déjà à un examen des personnes et des biens qui entrent au pays, afin de prévenir la contrebande, y compris celle de cannabis.

Je voulais préciser qu’il s’agit d’une citation du ministre Goodale et simplement inviter les témoins à y réagir.

M. Saunders : J’ai peut-être tort à ce sujet, car je ne suis pas expert en droit canadien, mais, selon mon interprétation de mes lectures, on peut en rapporter une certaine quantité au Canada, comme si on achetait du lait, du pain ou quoi que ce soit. Je me trompe peut-être, mais c’est ce que j’avais cru comprendre : qu’on pouvait rapporter de la marijuana au Canada.

Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur la rigueur des examens. Actuellement, une loi est en vigueur concernant le précontrôle des personnes et des biens au Canada et aux États-Unis. Nous savons que les voyageurs et/ou les frets font l’objet d’un contrôle rigoureux de la part des agents en poste à la frontière.

Voici ma question : si le Canada légalise le cannabis, donnerait-on aux agents en poste à la frontière américaine la directive d’examiner les voyageurs et/ou le fret canadiens de plus près qu’ils ne le font maintenant?

M. Saunders : J’imagine que oui.

Le sénateur McIntyre : Procéderait-on à un examen moins poussé si le Canada ne légalisait pas la marijuana?

M. Saunders : Oui.

[Français]

Le vice-président : Nous sommes arrivés à la fin de notre deuxième ronde de questions. Monsieur Saunders, nous vous remercions des informations que vous nous avez transmises. J’imagine que vous aurez beaucoup de travail au cours des années à venir. Je vous remercie de votre présentation.

Avec la permission de la présidente du comité, la sénatrice Boniface, je vais continuer de présider la séance du comité.

Nous allons procéder avec le troisième groupe de témoins que je vous présente à l’instant : Peter Hill, vice-président associé, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada, Kevin Thompson, directeur général, Direction générale de la stratégie pour l’Amérique du Nord, Affaires mondiales Canada, et Jamie Solesme, surintendante, Opérations criminelles, Gendarmerie royale du Canada.

Madame et messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Monsieur Hill, vous avez une présentation à nous faire. Nous allons ensuite procéder à une période de questions. Nous vous écoutons.

[Traduction]

Peter Hill, vice-président associé, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous les membres du comité.

Je suis ravi d’être là et de faciliter votre examen du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois — la Loi sur le cannabis —, en ce qui concerne les frontières du Canada.

[Français]

Comme vous le savez, l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC voit à l’application de plus de 90 lois et règlements aux points d’entrée pour d’autres ministères fédéraux, ainsi que pour les provinces et les territoires.

L’agence aide Santé Canada à appliquer des lois et des règlements de Santé Canada qui visent les voyageurs, les moyens de transport, le fret et certains produits contrôlés, interdits, dangereux ou réglementés en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[Traduction]

Cette loi établit le cadre législatif qui régit la possession, l’importation, l’exportation, la production, l’assemblage, la distribution, la vente, le transport, la fourniture, l’envoi et la livraison de substances désignées et de précurseurs qui peuvent être utilisés dans la fabrication de drogues illicites. Toutes ces activités sont interdites, sauf si elles sont autorisées en vertu de la réglementation ou si elles font l’objet d’une exemption. Les divers règlements d’application de la loi définissent les circonstances où les activités légitimes associées à des substances désignées et à des précurseurs sont permises.

Actuellement, en vertu de l’article 99 de la Loi sur les douanes, l’Agence des services frontaliers du Canada a le pouvoir d’inspecter des marchandises importées au Canada, tandis que l’article 95 oblige les exportateurs à déclarer les marchandises qui quittent le pays, sous réserve de certaines exceptions. Le projet de loi C-45 mettrait en œuvre un cadre rigoureux pour le contrôle de l’importation et de l’exportation de cannabis, plus particulièrement aux termes des paragraphes 11(1) et 11(2) de la Loi sur le cannabis.

Au titre des articles 11, 12 et 13 de la Loi sur les douanes, les voyageurs sont tenus de se présenter à un agent, de répondre véridiquement aux questions qu’il leur pose et de déclarer les marchandises en leur possession à leur arrivée au Canada. Qu’il ait été déclaré ou pas, le cannabis peut être retenu en application de l’article 101 de la Loi sur les douanes. S’il n’est pas déclaré, il peut être saisi conformément au paragraphe 110(1). Dans tous les cas, l’ASFC avise la GRC et/ou le service de police local, qui prendra possession de ce cannabis au nom de Santé Canada et l’éliminera.

Sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui régit l’admissibilité des ressortissants étrangers et des résidents permanents au Canada, l’ASFC peut refuser l’entrée aux personnes qui tentent d’introduire des marchandises en contrebande au pays. En outre, les agents des services frontaliers ont le pouvoir d’arrêter les personnes qui tentent de franchir la frontière avec des drogues illicites. Aucun de ces pouvoirs ne changerait sous le régime de la nouvelle Loi sur le cannabis.

En résumé, le projet de loi maintient le cadre de contrôle en vigueur associé à l’interdiction du mouvement transfrontalier de cannabis et transfère les dispositions relatives au cannabis de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances vers la Loi sur le cannabis proposée. L’Agence des services frontaliers du Canada continuera d’examiner les voyageurs, les expéditions par la poste ou par messagerie et les expéditions commerciales afin de déceler la présence de cannabis. On continuera de prendre des mesures d’exécution de la loi lorsque des incidents de non-conformité seront détectés.

L’ASFC est un partenaire important dans la stratégie du gouvernement du Canada qui vise à protéger la santé et la sécurité publiques et à réprimer l’activité criminelle relative au cannabis. Elle recevra environ 40 millions de dollars sur cinq ans aux fins de la mise en application du projet de loi C-45. Ce financement lui permettra de prendre les mesures particulières suivantes : investir dans la capacité de traitement en première ligne à la frontière grâce à l’ajout de personnel; créer des outils de sensibilisation et installer des affiches dans les bureaux d’entrée afin d’informer les voyageurs du maintien de l’interdiction visant le déplacement transfrontalier de cannabis; moderniser les capacités d’établissement de rapport et d’analyse du système de TI de l’ASFC concernant les effets de la légalisation du cannabis sur la gamme des opérations, des modes et des secteurs d’activités administrés par l’ASFC; et, enfin, renforcer la capacité de l’agence d’analyser les substances saisies.

Monsieur le président, l’ASFC reste déterminée à exécuter avec vigilance les dispositions législatives applicables concernant le cannabis, tout en maintenant la libre circulation des voyageurs et des marchandises légitimes. En tant que partie intégrante du portefeuille de la Sécurité publique, l’agence continuera de travailler en étroite collaboration avec la Gendarmerie royale du Canada et avec les services de police locaux afin de faire respecter les lois régissant le déplacement transfrontalier du cannabis.

[Français]

Je serais maintenant ravi, tout comme mes collègues, de répondre à vos questions.

Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Hill, de votre présentation. Nous allons maintenant commencer la période des questions. Je donne la parole à la vice-présidente, la sénatrice Mobina Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci, sénateurs, et merci à nos témoins de leur participation aujourd’hui.

[Traduction]

Je veux vous remercier tous d’assurer la sécurité de notre pays. Le travail que vous faites est très important.

Monsieur Hill, je ne suis pas certaine si vous étiez là, plus tôt, pour écouter les autres témoins. Un Canadien s’est fait poser une question à la frontière. Vous avez abordé de façon très complète ce que vous allez faire au Canada, mais de nombreux Canadiens vont vers le sud. Dans ma province, nous allons aux États-Unis pour acheter du lait. Il y a beaucoup d’allées et venues entre les États-Unis et chez nous.

Si on vous demande si vous avez fumé du cannabis il y a 10 ans et que vous répondez honnêtement par l’affirmative, on pourrait vous refuser l’accès à vie aux États-Unis. Notre témoin nous a dit que le premier ministre Trudeau — quand son mandat sera terminé — se verra également refuser l’accès parce qu’il a admis avoir fumé du cannabis lorsqu’il était député.

Que faites-vous? Comment travaillez-vous avec les États-Unis? Je ne veux pas parler d’une personne sur qui vous avez trouvé du cannabis ou qui vient tout juste d’en fumer et qui en a dans sa voiture; je parle plutôt d’une personne qui en a fumé il y a 10 ans et qui l’admet honnêtement. Que faites-vous pour protéger les Canadiens?

M. Hill : Merci, madame la sénatrice. Le Canada et les États-Unis et, plus particulièrement, l’Agence des services frontaliers du Canada collaborent depuis longtemps avec le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Cette collaboration se poursuit. Par exemple, nous avons établi un groupe de travail composé de hauts dirigeants et d’experts en la matière, et nous nous concentrons sur le fait de nous assurer que nous échangeons des renseignements. Plus particulièrement, le groupe de travail examinera les activités de communication et de sensibilisation. Nous étudierons des situations opérationnelles hypothétiques avec nos homologues américains, des situations qui concernent les voyageurs, les processus commerciaux, l’exécution de la loi en matière d’immigration, ce qui se passe entre les bureaux d’entrée, le traitement de la marijuana ou du cannabis à des fins médicales et les activités qui sont menées à l’étape du précontrôle. Nous nous pencherons également sur la façon dont les lois influent sur nos programmes pour les voyageurs dignes de confiance, en particulier NEXUS et nos programmes des expéditions rapides et sécuritaires et d’inscription des chauffeurs du secteur commercial.

Tout au long des discussions que nous avons tenues à ce jour, rien n’a indiqué que notre partenaire américain modifiera sa position. Il souhaite vraiment comprendre la nouvelle loi canadienne, les exigences, les conséquences et les répercussions associées au défaut de se conformer.

En résumé, rien ne semble indiquer que les États-Unis modifieront leur position à la frontière en ce qui a trait à leur détermination de l’admissibilité des personnes et des marchandises.

La sénatrice Jaffer : Madame la surintendante, je suis très préoccupée au sujet de la loi récemment adoptée, la Loi sur le précontrôle, soit le projet de loi C-23. Sous le régime de ce projet de loi, les voyageurs doivent répondre véridiquement à toute question qui est posée par le contrôleur. Cela signifie que les Canadiens devront répondre la vérité au sujet de leur consommation de cannabis, malgré le fait qu’ils ne sont pas tenus de dévoiler cette information aux bureaux d’entrée normaux.

Quel rôle envisagez-vous pour vous-même et pour la GRC quand le cannabis sera légal ici, puis qu’au précontrôle, les Canadiens devront répondre quand on leur demandera s’ils ont fumé du cannabis il y a 5 ou 10 ans et qu’ensuite, ils se verront refuser l’accès aux États-Unis? Ma grande question concerne le fait que la GRC pourrait ne même pas y être, car, d’après mon interprétation du projet de loi C-23, il arrivera qu’aucun de vos agents ne soit même présent à ces entrevues. Qu’estimez-vous être votre rôle sous le régime de ce projet de loi?

Jamie Solesme, surintendante, Opérations criminelles de la Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Je pense que mon collègue, M. Peter Hill, serait peut-être mieux placé pour répondre à cette question.

La sénatrice Jaffer : D’accord.

M. Hill : L’Agence des services frontaliers du Canada est responsable de l’application des lois qui régissent les divers ministères et organismes aux bureaux d’entrée, alors nous prévoyons continuer à faire notre travail au quotidien, comme nous le faisons aujourd’hui. Tous les jours, nos agents des services frontaliers à tous les bureaux d’entrée détectent des cas de non-conformité et saisissent des articles de contrebande, y compris du cannabis — généralement en petite quantité —, et nous envisageons une posture opérationnelle très semblable pour l’avenir.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Hill, je pense que je ne me fais pas bien comprendre et je commence à être un peu agacée, car vous ne répondez pas à ma question. La meilleure chose à faire consiste à demander au greffier de vous envoyer les transcriptions des témoignages qui ont été présentés plus tôt. Dès qu’ils seront disponibles, je vais lui demander de vous les envoyer. Veuillez les étudier. Nous devons régler le cas de ce projet de loi. Veuillez nous donner une réponse complète. Je crois que votre travail consiste également à protéger les Canadiens, mais vous n’avez pas répondu à ma question. Je ne vais pas m’y attarder, car le président va m’interrompre.

J’ai une question à vous poser, monsieur Thompson. Quelles mesures le gouvernement prendra-t-il pour s’assurer que les Canadiens auront le droit de ne pas divulguer leur consommation antérieure de cannabis lorsqu’ils seront soumis à un précontrôle? Plus particulièrement, le gouvernement a-t-il l’intention de veiller à ce que les voyageurs qui ne divulguent pas leur consommation de cannabis passée ne soient pas accusés de résister volontairement à un contrôleur ou d’entraver son travail, accusation qui pourrait se solder par une peine d’incarcération de deux ans?

Kevin Thompson, directeur général, Direction générale de la Stratégie pour l’Amérique du Nord, Affaires mondiales Canada : Pour l’instant, ce que je peux dire, c’est que, comme l’a indiqué M. Hill, nous travaillons en étroite collaboration avec les divers acteurs de l’administration américaine afin de cerner certains des domaines de risque et de prévoir certaines des situations qui pourraient se produire quand le projet de loi sera mis en œuvre; s’il l’est. Alors, nous entretenons un dialogue solide avec une diversité de départements et d’organisations du gouvernement américain. Il s’agit certainement de l’un des problèmes qui ont été soulevés, et, comme l’a mentionné M. Hill, pour l’instant, l’administration n’a pas affirmé qu’elle allait modifier fondamentalement son approche pour ce qui est de régler ces problèmes à la frontière.

Nous continuons de travailler en très étroite collaboration avec l’administration américaine, et nous continuerons d’examiner exactement ces types de situations.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Thompson, merci de la réponse, mais vous n’avez pas répondu à ma question. Vous dites seulement que le dialogue se poursuit.

Vous voulez que nous adoptions le projet de loi. Votre gouvernement veut que le projet de loi soit adopté. Vous êtes ici au nom d’Affaires mondiales Canada, vous dites que vous dialoguez. Notre mission est de protéger les Canadiens qui ont consommé du cannabis par le passé. Ils croient que c’est légal dans notre pays, donc ils se rendent à la frontière, et puisque c’est légal ici, ils en fument. Puis, ils traversent la frontière et risquent de se voir interdire l’accès pour toujours. Que faites-vous pour informer les Canadiens de ce qui pourrait leur arriver à la frontière?

M. Thompson : Comme je l’ai mentionné, nous continuons de dialoguer avec l’administration américaine afin de cerner les scénarios potentiels qui pourraient soulever des problèmes à la frontière. C’est l’une des questions dont nous avons discuté avec les Américains, et nous continuerons d’essayer d’étoffer davantage cette question particulière.

J’ajouterais simplement que chaque pays a le droit d’établir ses propres exigences en matière d’entrée. Lorsqu’ils entrent dans un autre pays, les Canadiens doivent se conformer aux exigences locales imposées par le pays étranger. Nous allons donc mettre en place un plan de communication pour nous assurer que les Canadiens qui se rendent aux États-Unis restent sensibilisés au fait que les lois concernant l’exportation et l’importation de cannabis ne changeront pas après l’adoption du projet de loi. Les Canadiens vont demeurer conscients que traverser la frontière en possession de cannabis continuera d’être interdit en vertu de la loi.

[Français]

Le vice-président : Vous dites que vous tenez des réunions d’experts avec vos homologues américains, et que l’affaire semble quand même assez simple. Je crois que la sénatrice Jaffer voulait savoir ce que vous aviez appris en ce qui a trait à ce qu’ils vont appliquer eux-mêmes. M. Thompson a dit que chaque pays a le droit d’appliquer les dispositions qu’ils souhaitent. Les Canadiens ont besoin de connaître la vérité. C’est beau de parler pour parler, mais il faudrait être capable de savoir ce qui va se passer, car cela ne me paraît pas clair. À titre d’exemple, bon nombre de Canadiens utilisent la carte NEXUS pour voyager entre les États-Unis et le Canada parce que le passage est très fluide. Ils pourront dire qu’ils ont déjà fumé de la marijuana et on les laissera passer. Puis, viendra le temps de renouveler la carte NEXUS. Vous savez que les deux pays mènent des enquêtes de façon différente. Le Canada fera une enquête et il n’y aura pas de problème. Cependant, les Américains refuseront de renouveler la carte NEXUS. De nombreux Canadiens voyagent avec cette carte et perdront ce privilège, parce qu’ils auront dit lors d’un passage précédent qu’ils ont fumé de la marijuana. Les Américains appliquent les lois qu’ils veulent et ils sont beaucoup plus sévères quand vient le temps de renouveler le programme TSA PreCheck. J’ai eu des exemples concrets où l’on me l’a dit d’ailleurs.

La sénatrice Jaffer trouve vos réponses nébuleuses. C’est bien beau de mettre un projet de loi en application, mais les Canadiens doivent être au courant des conséquences. L’adoption d’un projet de loi m’apparaît assez simple, mais il faut informer les Canadiens de ce qui se passera après l’application du projet de loi. Il sera très important de travailler en étroite collaboration, et je n’en doute pas.

Nos voisins du Sud sont assez sévères. Certains Canadiens pourraient perdre des droits. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Hill : Merci, monsieur le président. Comme vous l’avez mentionné, le programme NEXUS — qui est vraiment notre programme phare pour les voyageurs dignes de confiance — est un programme binational que nous gérons en partenariat avec le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Chaque pays effectue une évaluation du risque que posent les demandeurs ainsi qu’une évaluation continue et approfondie du risque lié à la participation au programme afin d’en assurer l’intégrité et de faciliter les déplacements de nos voyageurs les plus dignes de confiance et les plus fréquents.

Je fais de mon mieux pour expliquer notre collaboration avec les partenaires américains, d’où l’importance du groupe de travail. Nous en sommes à l’étape des discussions avec nos collègues américains pour nous assurer qu’ils comprennent pleinement l’intention et les dispositions du projet de loi proposé. Je pense qu’ils comprennent tout à fait les détails de la nouvelle législation et les évaluent pour ensuite être capables de déterminer l’approche à adopter pour juger de l’admissibilité des personnes et des marchandises qui entrent aux États-Unis. Ce que je peux vous dire, c’est que, selon les discussions tenues à ce jour, rien n’indique que les États-Unis prévoient modifier leur position.

Monsieur le président, comme vous le savez, dans le cadre du projet de loi et de ses efforts visant à maintenir l’interdiction absolue d’importer du cannabis au pays, l’Agence des services frontaliers du Canada introduira une question obligatoire à l’intention des voyageurs qui arrivent au Canada. La question sera la suivante : « Apportez-vous du cannabis ou toute marchandise contenant du cannabis au Canada? » Nous poserons la question dans le cadre de nos pratiques courantes à la ligne d’inspection primaire.

Nous n’avons aucune indication selon laquelle les États-Unis planifient adopter une mesure semblable. Tout indique qu’ils vont poursuivre leurs pratiques actuelles.

Comme vous l’avez mentionné, les États-Unis ont une politique de tolérance zéro à l’égard de l’importation de cannabis, au même titre que le Canada. Nous appliquons également une tolérance zéro à l’égard de l’importation ou de l’exportation de cannabis, et le cadre que nous proposons de mettre en place maintiendra cette interdiction absolue. Bien sûr, il y aura des exceptions, à savoir si un ministre délivre un permis pour le passage de cannabis à la frontière à des fins scientifiques ou médicales ou pour une raison concernant le chanvre industriel. Ce sont les trois seules exceptions. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être venu. Je voulais en savoir plus quant à l’expérience que vous avez acquise dans la situation inverse à la frontière entre l’État de Washington et la Colombie-Britannique. Je reconnais que, du point de vue fédéral, ce n’est pas légal à Washington, mais à l’échelle de l’État, ce l’est certainement. Y a-t-il quoi que ce soit d’utile que nous pourrions apprendre de cette expérience, ou serait-il juste de dire que, par exemple, les activités se poursuivent de manière habituelle malgré les différences entre les deux côtés de la frontière?

Monsieur Hill, je crois que vous voulez insister sur l’importation et l’exportation. Par conséquent, je suis curieuse de savoir s’il y a eu ou non des rajustements lorsque Washington a pris la décision de légaliser le cannabis.

M. Hill : Madame la sénatrice, je serais heureux de fournir une réponse complète à votre question. J’ai bien peur de ne pas avoir les antécédents opérationnels nécessaires pour répondre adéquatement à cette question. Je me ferais un plaisir de fournir plus de renseignements. Toutefois, nous avons étudié l’histoire. L’agence est bien au courant que certains États ont légalisé la marijuana; pourtant, les activités liées à la marijuana demeurent illégales à l’échelle fédérale.

Nous tirons donc des leçons des États-Unis et de leur expérience par l’entremise de notre groupe de travail. Cet échange d’information nous est utile pour mieux comprendre les tendances. Par exemple, que se passe-t-il quand on modifie la législation dans un État qui est adjacent à la frontière? Nous avons donc l’intention, dans le cadre de cette collaboration, d’en apprendre le plus possible sur l’expérience des États-Unis.

La sénatrice Boniface : Cela nous intéresserait. Nous pourrions en savoir un peu plus quant à la façon dont les discussions se sont déroulées dans le passé.

Le sénateur McIntyre : Ma question est complémentaire à celle qu’a soulevée la sénatrice Jaffer. C’était une excellente et intéressante question. Essentiellement, cela concerne l’incidence de la légalisation relative à la marijuana sur le commerce transfrontalier.

Je pense que M. Thompson peut répondre à la question. Je m’intéresse aux discussions qu’a eues notre ambassade à Washington avec l’administration au Congrès au sujet du projet de loi C-45. Quelles discussions y a-t-il eu précisément et quelle a été la réponse? Les responsables américains ou les représentants du Congrès ont-ils mis en garde le Canada relativement à son projet de légalisation de la marijuana? Ce sont les réponses que nous voulons entendre.

M. Thompson : Merci, monsieur le sénateur. Je ne suis pas au courant de toutes les occasions ou de toutes les discussions qu’il y a eu entre les responsables à notre ambassade et les responsables du gouvernement américain. Chose certaine, ici, à Ottawa, nous avons rencontré les représentants de l’ambassade américaine à deux occasions. En plus de l'ASFC et du groupe de travail qui réunit l’Agence des services frontaliers du Canada et le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, auquel M. Hill faisait référence, nous entretenons aussi un dialogue régulier avec l’ambassade américaine ici, à Ottawa.

Chose certaine, une série de questions ont été soulevées par les responsables américains. Nous avons passé beaucoup de temps à expliquer les objectifs du projet de loi à l’ambassade américaine et à chercher à obtenir des renseignements de sa part quant aux pratiques adoptées dans les neuf États américains où la marijuana à des fins récréatives a été légalisée.

J’aimerais signaler que, sur les 11 États qui partagent une frontière terrestre avec le Canada, quatre ont maintenant légalisé la marijuana à des fins récréatives. Ce n’est pas un enjeu qui touche le Sud uniquement; c’est un enjeu auquel font face les deux pays.

Si on dresse la liste de tous les États américains qui ont légalisé la marijuana à des fins d’utilisation médicale, on compte maintenant plus ou moins 29 États. En fait, 10 des 11 États qui partagent une frontière terrestre avec le Canada ont légalisé la marijuana soit à des fins récréatives, soit à des fins médicales.

Le sénateur McIntyre : Je crois comprendre qu’il y a eu des discussions. Les responsables américains ou les représentants du Congrès ont-ils mis en garde le Canada relativement à son projet de légalisation de la marijuana? C’est ce que nous voulons savoir. Y a-t-il eu une réponse quelconque de la part de l’administration Trump, par exemple?

M. Thompson : L’administration Trump est représentée ici, à Ottawa, par l’ambassade américaine. Nous avons discuté avec cette dernière des sujets de préoccupation possibles. Je ne qualifierais pas leurs commentaires à notre égard comme une mise en garde contre la légalisation de la marijuana. L’ambassade souhaite mieux comprendre le cadre législatif au Canada. Elle veut mieux comprendre les similitudes qu’il y a entre ce que nous proposons ici et ce que de nombreux États aux États-Unis ont proposé. Elle veut mieux comprendre l’incidence sur le commerce transfrontalier, et la façon dont nous allons nous assurer que les Américains et les Canadiens ne franchissent pas la frontière avec du cannabis par inadvertance. Elle veut avoir la garantie que le Canada maintiendra son engagement à travailler avec les États-Unis dans une variété de tribunes différentes du point de vue de l’application de la loi afin de concentrer les ressources sur les réseaux criminels. Ce sont les aspects que nous avons abordés.

Je ne qualifierais pas les questions qu’elle a soulevées de mise en garde relativement à la légalisation au Canada.

Le sénateur McIntyre : Existe-t-il un document écrit par les États-Unis à l’intention du Canada?

M. Thompson : Pas que je sache.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Hill, existe-t-il un document écrit?

M. Hill : Encore une fois, je n’ai pas vu de document écrit par les États-Unis mettant en garde le Canada.

Le sénateur McIntyre : Y a-t-il quoi que ce soit par écrit de la part de la GRC?

Mme Solesme : Non, monsieur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je suis de plus en plus persuadé qu’il faudrait inviter le ministre Goodale, parce que certaines questions ne relèvent pas de l’administration, ce qui me laisse vraiment songeur. Il s’agit d’une légalisation avec pratiquement aucune préparation. Les policiers nous disent qu’ils ne sont pas prêts, les municipalités non plus, et on s’aperçoit que M. Goodale n’est pas prêt. Je pourrais vous poser des dizaines de questions, mais mes préoccupations sont de nature politique. L’administration n’est pas responsable de discuter avec les Américains pour avoir une position politique. On peut ramener deux bouteilles de vin des États-Unis, on peut ramener deux cartons de cigarettes, et les gens croient qu’ils pourront ramener deux joints de marijuana. On est à quelques mois de la légalisation et aucune campagne d’information n’a été lancée. Je suis conscient que ce n’est pas votre responsabilité. C’est la responsabilité du ministre. On nous dit que le gouvernement est en discussion avec les Américains. Ce ne sont pas des discussions qu’il faut tenir. Il faut prendre position. Celui qui devrait être assis ici c’est M. Goodale. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Ma question est la suivante : qu’a fait l’ASFC à ce jour pour sensibiliser les Canadiens pour faire en sorte qu’ils soient conscientisés à leur manque de connaissances en matière de passage à la frontière? Y a-t-il eu de la sensibilisation du public à cet égard?

M. Hill : Merci, monsieur le sénateur. Oui, l’agence a pris des mesures pour expliquer clairement aux voyageurs que l’interdiction existante d’importation et d’exportation de cannabis est maintenue, et que ces activités constituent une infraction criminelle en vertu du projet de loi proposé. Nous avons pris des mesures par l’entremise de notre site web, et en tant que partenaires du gouvernement du Canada dans le cadre des efforts visant à élaborer et à mettre en place une stratégie de communication plus vigoureuse.

En plus de cette stratégie, nous enverrons des messages clairs quant aux dispositions de la loi et aux conséquences en cas de non-conformité. L’agence prévoit installer de la signalisation aux points d’entrée. Grâce au financement prévu dans le budget, nous pourrons mettre des panneaux de signalisation dans 75 p. 100 de nos principaux points d’entrée cet été. Nous disposons également du financement nécessaire pour installer de la signalisation dans tous nos points d’entrée prioritaires pour le printemps 2019.

Ces panneaux visent réellement à faire en sorte que les voyageurs comprennent et qu’ils ne se retrouvent pas en situation de non-conformité par inadvertance en vertu de la nouvelle loi.

Nous travaillons avec nos homologues d’Affaires mondiales Canada pour nous assurer que les avis aux voyageurs sont clairs et à jour. Nous travaillons avec nos partenaires de Santé Canada également pour nous assurer que les produits qui peuvent franchir la frontière à des fins d’utilisation médicale ou à des fins scientifiques soient clairement indiqués.

Ces mesures sont élaborées et mises en œuvre de façon progressive, conformément aux discussions et à l’évolution du projet de loi proposé.

Le sénateur Oh : Des gens de l’industrie de la location de voitures m’ont dit que, si une personne loue une voiture et fume de la marijuana à l’intérieur de celle-ci, il n’est pas possible de se débarrasser de l’odeur. Cela prend du temps. Que se passera-t-il si une personne loue une voiture, franchit la frontière et que le chien renifle l’odeur? Que se passe-t-il dans ce cas-là?

M. Hill : Dans le cas de ce scénario, ainsi que de nombreux autres scénarios envisageables, il faudra déterminer de la façon habituelle si une personne est admissible ou non. Dans le cas d’une personne arrivant au Canada, une question obligatoire lui sera posée. Si la personne déclare qu’elle veut entrer au Canada avec du cannabis, elle sera automatiquement renvoyée en vue d’un examen secondaire, et d’autres questions lui seront posées, son moyen de transport sera examiné. S’il s’avère que la personne transporte une petite ou une grande quantité de cannabis, les mesures prises seront proportionnelles à la situation.

Je peux aussi dire que, en ce qui concerne le renforcement du régime, l’ASFC travaille à l’élaboration d’un régime de sanctions pécuniaires administratives. À l’heure actuelle, nous détenons l’autorité réglementaire de saisir le cannabis, mais dans l’avenir, encore une fois notre budget prévoit du financement qui nous permettra de mettre sur pied un autre régime réglementaire qui prévoit des pénalités pouvant aller jusqu’à un million de dollars pour des questions non criminelles. Ces pénalités administratives à l’égard des scénarios de nature non criminelle permettraient de faire en sorte que l’application de la loi soit efficace et rationalisée et que les scénarios comme celui que vous avez mentionné à propos de la location de voiture soient abordés.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Hill, j’ai été frappée par la façon dont vous avez décrit le niveau élevé de confiance à l’égard des voyageurs dignes de confiance qui sont membres de NEXUS. Je dois vous poser une question. J’ai réalisé ma propre enquête, dans tous les aéroports, à titre de détentrice de longue date de la carte NEXUS. Je me suis retrouvée derrière une personne qui détenait une carte NEXUS, et le reste de son équipe sportive est passé par la voie réservée NEXUS. J’étais derrière une personne détentrice de la carte NEXUS, et tout le reste de sa famille est passé par la voie réservée NEXUS.

Je ne comprends pas comment cela peut être une politique dans tous les aéroports. Puis, pour être certaine d’avoir bien vu, je demande aux agents : « Ai-je vu ce que je viens de voir? Est-ce ce qu’on vous dit de faire ici? »

Récemment, ma carte a été renouvelée, et elle était assortie d’un avis qui expliquait les choses à faire et à ne pas faire, et je n’ai rien vu qui disait que c’était la façon de maintenir une surveillance très étroite. En fait, ce que j’ai vu, c’est un énoncé très clair disant que seuls les détenteurs de la carte NEXUS peuvent prendre la voie réservée NEXUS.

Ce n’est pas du tout ce qui se passe dans notre pays, et cela est lié à notre tentative d’établir et de maintenir une surveillance très étroite alors que nous sommes sur le point de voir de nombreux défis se poser pour le système à la suite de l’adoption du projet de loi C-45. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Hill : Je répondrai avec plaisir. Je confirme que c’est bien la politique. À ma connaissance, la pratique veut que les détenteurs de carte NEXUS aient des privilèges NEXUS et que ceux qui n’ont pas la carte NEXUS n’ont pas de privilèges NEXUS. Cette pratique s’étend aux membres de la famille de cette personne de même qu’aux personnes dans un véhicule ou dans un autobus.

Toute personne qui peut bénéficier du programme des voyageurs dignes de confiance, qu’on appelle NEXUS, doit détenir une carte NEXUS.

La sénatrice McPhedran : Puis-je vous demander de suivre la filière hiérarchique jusqu’aux personnes responsables de l’aéroport d’Ottawa et de l’aéroport de Winnipeg et de les sensibiliser à cette politique, vu les deux exemples très récents que j’ai relatés. J’ai précisément demandé aux agents s’il s’agissait, en effet, de la politique, et on m’a répondu que c’était le cas. Le détenteur d’une carte peut faire passer d’autres personnes par la voie réservée NEXUS.

M. Hill : Madame la sénatrice, je vais transmettre vos commentaires.

La sénatrice McPhedran : Et je vous saurais gré d’en informer le comité.

M. Hill : Oui.

La sénatrice McPhedran : Merci.

Le sénateur Richards : Merci d’être ici. Je vous remercie pour votre service. Je suis sérieux.

D’une certaine manière, je vais donner suite aux propos de la sénatrice Jaffer. Lorsque le projet de loi C-45 a été déposé, je n’étais pas sénateur. J’étais plutôt ambivalent à ce sujet. Je me suis dit que ce n’était pas un gros problème, étant donné le grand nombre de jeunes et d’adultes qui en consomment de façon récréative.

Puis, je suis arrivé au Sénat. Plus j’écoute, plus cela me semble être un problème. À l’heure actuelle, je suis entre deux chaises à propos de tout cela.

Mais ce qui me dérange vraiment, c’est la capacité des États-Unis à refuser l’entrée à des jeunes qui disent avoir peut-être fumé un joint, ou du moins l’idée que cela n’a pas été rectifié ici au Canada. On n’est pas vraiment sûr de ce qu’ils feraient ou ne feraient pas.

Quelqu’un de l’administration s’est-il penché sur ce qui arrive aux Néerlandais qui viennent ici? La légalisation de la marijuana est en vigueur aux Pays-Bas depuis plus d’une génération. Je me demande s’ils ont constaté les problèmes qui ont été abordés ici aujourd’hui. Chose certaine, il y avait de terribles prédictions quant à ce qui pourrait arriver à nos jeunes ou à nos amis qui sont allés aux États-Unis et qui ont eu des problèmes liés à la marijuana, on craignait qu’ils ne soient pas autorisés à revenir au pays ou peu importe. Je n’ai pas vu d’études sur la situation des Néerlandais, je ne suis donc pas certain si cela a déjà été fait ou si la question a déjà été examinée.

Je me demande s’il s’agit d’un vrai scénario quant à ce qui arrivera à des jeunes qui ont peut-être fumé trop de joints à une fête, qui dépassent les limites et qui essaient d’entrer aux États-Unis.

Avez-vous parlé à l’administration des États-Unis à ce sujet? Ma question s’adresse à vous trois.

M. Thompson : Cela a certainement été un sujet de discussion lors de nos conversations avec l’ambassade des États-Unis. Ses réponses concordaient avec ce que M. Hill a dit, c’est-à-dire que, pour le moment, rien n’indique que le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis va changer sa pratique actuelle.

Je pense que je dois récapituler les faits. À partir du 1er juillet, 10 États des États-Unis auront légalisé la marijuana à des fins récréatives. Environ un Américain sur cinq aura donc légalement accès à de la marijuana à des fins récréatives. Je crois que cela s’inscrit dans le cadre d’un contexte élargi.

Lors de nos discussions, nous nous sommes concentrés notamment sur la façon de nous assurer que les Canadiens qui entrent aux États-Unis ou les Américains qui viennent au Canada ne transportent pas de cannabis, que ce soit par inadvertance ou intentionnellement, c’est le principal enjeu.

Puis, il y a bien sûr les autres questions liées à l’application de la loi, qui concernent les gens qui ont l’intention d’importer au Canada ou d’exporter du Canada du cannabis à des fins de trafic. Il existe une solide collaboration entre nos organismes d’application de la loi et les États-Unis pour repérer de telles activités et enquêter sur elles.

En somme, cette question a été abordée avec les États-Unis, et rien n’indique pour le moment qu’ils ont l’intention de changer leur opinion.

[Français]

Le vice-président : Monsieur Hill, comme vous le savez sûrement, les Canadiens ont développé une relation très privilégiée avec les États-Unis, assez pour que plusieurs Canadiens — les « snowbirds » — devenus propriétaires aux États-Unis, y voyagent régulièrement. Je dirais même que les États-Unis sont devenus un pays d’adoption à temps partiel. C’est plus qu’un pays que les gens vont visiter. Ils vont y demeurer quatre, cinq ou six mois. Et je crois que ces gens reçoivent beaucoup de visiteurs canadiens.

Je ne suis pas inquiet pour les Américains qui viennent au Canada, mais si les lois ne sont pas claires, je suis plutôt inquiet pour les Canadiens qui voyagent aux États-Unis, et qui se font refuser parce qu’ils dégagent une odeur de marijuana ou se trouvent en possession de marijuana.

Nous savons que notre gouvernement est pressé de faire adopter cette loi, et si tout va comme prévu, ce sera dans quelques mois. Je crois qu’il est très important pour les Canadiens d’obtenir des réponses claires sur les possibilités d’être refusé à la frontière. Imaginez que vous êtes propriétaire d’une résidence d’une valeur de 200 000 ou 300 000 dollars aux États-Unis et que l’on vous dit, demain matin, que vous ne pouvez entrer aux États-Unis. Vous pourrez vendre votre propriété sans problème, mais je ne crois pas que c’est ce que les Canadiens veulent entendre.

Comme l’a mentionné la sénatrice McPhedran, je pense que nous sommes placés devant une situation d’urgence, soit celle d’être interdit de visite à vie ou de perdre un avantage lié à la carte NEXUS.

Je veux bien parler du Danemark, de la Norvège, de l’Angleterre et de la France, mais notre relation avec ces pays n’est pas la même qu’avec nos voisins du Sud. Nous y allons comme si nous nous rendions à la maison. Nous parlons ici de milliers de Canadiens et non d’exceptions. Je crois qu’il est urgent de recevoir des réponses très claires.

Le sénateur Boisvenu mentionnait qu’il serait bien d’inviter le ministre Goodale. Je comprends que vous êtes des administrateurs, mais il reste que lorsque nous traversons les frontières, c’est avec vous que nous faisons affaire, et avec les douaniers américains.

C’était un commentaire que je voulais faire avant de passer à la deuxième ronde de questions.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je n’ai pas eu de réponses de votre part à ma première question concernant la protection des Canadiens. Nous allons légaliser la consommation de cannabis ici, mais nous ne disons pas aux Canadiens que, s’ils traversent la frontière, ils auront des problèmes. Monsieur Hill, vous avez dit que, d’ici 2019, vous ferez ceci, et que d’ici 2019, vous ferez cela, mais ce sera légal avant cela. Je ne crois pas que vous puissiez répondre à la question. Nous allons devoir demander au ministre de venir y répondre.

J’ai une question technique à vous poser. En vertu de la loi fédérale américaine, le fait de travailler avec les responsables américains faisant la culture de marijuana constitue une infraction fédérale de trafic de drogue — c’est ce que je comprends —, peu importe si l’État l’autorise ou non. Cela pourrait attirer beaucoup d’ennuis aux entrepreneurs canadiens qui souhaitent collaborer avec ces responsables. Même si les activités des Canadiens ne supposent pas en elles-mêmes la manipulation de marijuana, les Canadiens pourraient avoir des problèmes simplement parce que les responsables auxquels ils sont associés sont techniquement liés au trafic de drogue.

Il est raisonnable de croire que, une fois le projet de loi C-45 adopté, les Canadiens pourraient se faire prendre par cette subtilité. Au mieux, ils seront bannis à vie des États-Unis. Au pire, ces personnes pourraient être accusées d’infractions de trafic de drogue en vertu d’une loi fédérale.

Notre gouvernement a-t-il l’intention de travailler avec les États-Unis pour créer un cadre qui protégera les Canadiens de ces lois dont la portée est très vaste?

M. Hill : Merci, madame la sénatrice. J’aimerais tenter d’expliquer la stratégie de communication qu’on élabore et qu’on met en œuvre. En ce qui a trait à votre question, ce sera clair, si ce ne l’est pas déjà, pour les Canadiens qui souhaitent faire entrer du cannabis aux États-Unis, qu’il s’agit d’une infraction criminelle. Ainsi, les entrepreneurs canadiens qui vont investir et travailler dans l’industrie du cannabis au Canada comprendront le cadre juridique national mis en place, et ils comprendront aussi les répercussions en ce qui concerne le passage de cannabis ou de produits de cannabis à la frontière. Il leur sera clairement indiqué que cela continuera d’être interdit par le droit pénal. Faire entrer une quelconque quantité de cannabis aux États-Unis continue d’être une grave infraction criminelle, à moins qu’il s’agisse d’une exception clairement prévue par la loi.

Nous ferons donc notre possible pour nous assurer que les Canadiens le comprennent et qu’ils ne se retrouvent pas dans une situation fâcheuse par inadvertance ou ignorance. C’est notre engagement. C’est notre objectif. Nous travaillons en partenariat avec Transports Canada, Santé Canada, Affaires mondiales Canada, la GRC et le portefeuille de la Sécurité publique pour nous assurer que la communication est faite de manière exhaustive et en temps opportun, de sorte que l’information soit disponible avant l’entrée en vigueur de la loi. C’est le travail que nous faisons.

La sénatrice Jaffer : Je vous en suis très reconnaissante, et ce que vous dites me donne une certaine satisfaction, mais vous ne me dites pas ce que vous allez faire. Je comprends que vous organiserez une campagne. Je comprends que vous en parlerez aux citoyens, mais quand? On nous presse d’adopter ce projet de loi dès maintenant. À quel moment allez-vous parler de tout cela aux Canadiens? Quel est votre plan exactement?

M. Hill : Nous communiquons déjà l’information aux Canadiens à l’aide d’avis aux voyageurs que publie Affaires mondiales Canada sur son site web, par exemple. Nous communiquons déjà avec les Canadiens au moyen du site web de l’Agence des services frontaliers du Canada et de nos interactions avec les intervenants, l’industrie et le secteur sans but lucratif. Nous communiquons donc déjà avec nos intervenants et nos partenaires, et vous verrez sous peu une campagne de communication beaucoup plus visible, avant l’entrée en vigueur du projet de loi, s’il obtient la sanction royale.

La sénatrice Boniface : J’aimerais soulever une question quant aux efforts de sensibilisation. Je ne sais pas à qui s’adressera la sensibilisation, mais, monsieur Hill, vous avez parlé, entre autres, des associations de camionnage, des organisations qui exercent leurs activités des deux côtés de la frontière. L’un des problèmes soulevés par un de nos collègues est le suivant : imaginez-vous transporter un produit qui peut entrer légalement dans le pays ou revenir légalement au Canada; cependant, à un certain moment dans le passé, le camion a transporté de la marijuana, par exemple, parce que c’était légal de le faire, mais vous craignez maintenant qu’il reste des résidus ou des odeurs, un peu comme le mentionnait le sénateur Oh.

Je me demande si vous abordez ce genre de questions dans le cadre de vos activités de sensibilisation et de vos discussions avec les associations de camionnage et les principales organisations qui font de l’exportation et de l’importation, et si tel est le cas, quel type de rétroaction obtenez-vous? Je pense que le comité veut s’assurer de deux aspects prioritaires : que les gens puissent continuer de traverser la frontière un peu comme ils le font à l’heure actuelle et que les échanges et le commerce continuent de ne pas être touchés négativement par le projet de loi. Je me demande si vous pouvez nous aider sur le plan commercial des choses.

M. Hill : Merci, madame la sénatrice. L’un des principaux objectifs de l’Agence des services frontaliers du Canada consiste bien sûr à assurer et à maintenir une gestion ordonnée de la frontière. Il s’agit clairement d’un objectif que nous nous engageons à respecter en ce qui a trait au projet de loi proposé. Nous disposons d’un certain nombre de tribunes permanentes que nous utilisons pour inviter nos partenaires commerciaux à prendre part aux discussions stratégiques quant à l’avenir de la gestion de la frontière et à discuter des obstacles, des barrières et des problèmes opérationnels quotidiens. C’est dans ces tribunes que nous abordons ce genre de problèmes pour nous assurer que l’industrie non seulement est au courant des exigences émanant de la nouvelle loi, mais peut aussi en fait avoir la possibilité, à tout le moins, d’influer sur cette législation, d’avoir une emprise sur le genre de procédures et de protocoles qui sont mis en place, afin de s’assurer que les chaînes d’approvisionnement sont protégées et gérées de manière adéquate.

C’est la nature des discussions actuellement menées par l’Agence des services frontaliers du Canada et ses partenaires. Nous continuerons de nous assurer que ces partenaires de l’écosystème relatif à la circulation de marchandises et de personnes ont l’occasion d’exprimer leurs préoccupations auxquelles nous devrons donc ensuite répondre.

Le régime de prohibition proposé est très important pour les personnes et les organisations. S’il s’agit d’une grande quantité, alors c’est une prohibition criminelle, et cela signifierait qu’une personne ou une organisation serait coupable d’un acte criminel et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans sous le régime de la loi. Pour les petites quantités qui sont transportées, il s’agirait d’une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, et la personne serait passible d’une amende et/ou de six mois d’emprisonnement.

Nous discutons de ce type de détail avec nos intervenants afin qu’ils comprennent vraiment les conséquences et puissent planifier et apporter les ajustements appropriés à leurs pratiques et à leurs procédures afin que nous puissions tous ensemble faire notre possible pour contrôler efficacement la frontière sans nuire inutilement à la circulation transfrontalière de personnes et de marchandises légitimes.

Madame la sénatrice, j’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Boniface : Oui. Je vais faire une supposition. Dites-moi si vous pouvez répondre à ma question. Je suppose que lorsque vous échangez avec vos collègues de l’autre côté de la frontière, c’est exactement le degré de détail des discussions que vous tenez maintenant. Vous avez dit, à un moment donné, que vous examiniez divers scénarios. Comme j’ai un peu d’expérience dans ce domaine, j’imagine que ces scénarios comprennent tous les imprévus qui pourraient se produire et la façon de s’en occuper. Est-ce exact?

M. Hill : C’est tout à fait exact. Je peux vous assurer que les scénarios dont nous discutons sont très détaillés et sont délibérément conçus de façon minutieuse, ce qui nous permet de nous assurer autant que possible qu’il n’y a aucun malentendu sur ce qui est prévu et les conséquences et les répercussions; alors oui.

La sénatrice Boniface : Ces répercussions et ces décisions sont propres à chaque administration. Le Canada peut adopter certaines positions, et les États-Unis peuvent en adopter d’autres. Je crois que ce sont les résultats et les effets secondaires qui nous préoccupent. Merci de votre réponse.

Le sénateur McIntyre : Ma question s’adresse aux représentants de la GRC et de l’ASFC.

Au chapitre du crime organisé, il y a des liens entre le trafic de drogue transfrontalier et d’autres types de trafic, y compris celui du tabac et des armes à feu, par exemple. Selon vous, quel effet aura le projet de loi C-45 sur les activités du crime organisé à cet égard?

Mme Solesme : Merci de votre question. Pour ce qui est du projet de loi C-45 et de son effet sur la frontière, il sera minime. Lorsque nous luttons contre le crime organisé le long de la frontière, nous tenons compte de toutes les activités illicites. Cela ferait donc partie de la situation à laquelle nous ferions face. Comprendre et appliquer ces lois deviendraient la condition sine qua non d’une enquête plus vaste.

Lorsque nous mentionnons le crime organisé, nous parlons de grandes organisations complexes qui chercheront par tous les moyens à infiltrer des voies légales ou à contourner la loi. Mais en traduisant les auteurs en justice, on tiendra compte, dans le cadre de l’enquête, de toutes les infractions commises.

Le sénateur McIntyre : Mon autre question porte sur les temps d’attente. À votre avis, quel effet potentiel le projet de loi C-45 aurait-il sur les temps d’attente, particulièrement aux postes frontaliers où la circulation est dense, comme celui de Detroit-Windsor?

M. Hill : Monsieur le sénateur, je serais heureux d’ajouter un peu d’information supplémentaire à votre première question.

Le sénateur McIntyre : Oui.

M. Hill : Du point de vue législatif, en ce qui concerne le mandat de l’ASFC et la loi sur le cannabis proposée, il y a très peu de changements à l’exception d’une chose qu’il faut souligner. En vertu de la nouvelle loi, l’agence aura le pouvoir de saisir le cannabis. Ce pouvoir s’ajoutera à ses pouvoirs actuels de saisir l’alcool, le tabac, les marchandises de contrebande, et cetera. Ce pouvoir sera donc précisé clairement dans la loi, et la formulation proposée est « ne sont restitués […] que ». Alors on saisit le cannabis et on ne le restitue que s’il a été saisi par erreur, comme c’est le cas aujourd’hui pour l’alcool et le tabac.

Pour ce qui est du crime organisé — et je suis d’accord avec mon collègue de la GRC —, du point de vue de l’ASFC, nous constatons, jour après jour ou année après année, que les groupes du crime organisé changent de stratégie, selon ce que font les organismes d’application de la loi. Ils peuvent faire preuve de beaucoup de souplesse dans la façon dont ils réagissent à certaines mesures supplémentaires prises pour renforcer nos activités d’application de la loi. On pourrait donc s’attendre à des changements similaires. L’agence, en partenariat avec les organismes d’application de la loi à l’échelon fédéral, se prépare en prévision de ces types de changements qui font vraiment partie de ses activités. Voilà comment nous fonctionnons. Nous examinons l’avenir en partie au moyen de modèles et d’analyses de transactions, d’interceptions et de mesures d’application de la loi passées.

Je tiens à dire que nous examinons l’avenir afin d’être prêts à répondre aux changements touchant les activités du crime organisé concernant le mandat de l’ASFC.

Le sénateur McIntyre : Ma question s’adresse au représentant d’Affaires mondiales.

Monsieur Thompson, dans quelle mesure êtes-vous inquiet, au moment où le Canada essaie de conclure une entente favorable sur l’ALENA avec les États-Unis, que le projet de loi C-45 puisse soulever des préoccupations au sud de la frontière concernant la frontière Canada-États-Unis?

M. Thompson : Je crois que les deux questions sont très différentes. La question de la légalisation du cannabis au Canada n’a pas été, à ma connaissance, soulevée dans le contexte des négociations de l’ALENA. On n’en a pas discuté sur le plan technique ni, à ce que je sache, sur le plan politique. Alors, aujourd’hui, la question n’a pas fait l’objet de discussions dans ce contexte, et nous ne nous attendons pas à ce qu’on en discute vraiment.

Le sénateur McIntyre : La légalisation de la marijuana soulèvera sûrement certaines préoccupations chez nos voisins du Sud concernant la frontière Canada-États-Unis. Je ne peux pas voir cela autrement. Elle devra soulever des préoccupations.

M. Thompson : Eh bien, je crois que la façon de s’occuper de ces préoccupations, c’est de faire ce que nous avons fait jusqu’à maintenant : tenir des discussions actives avec les États-Unis, travailler avec des scénarios précis — que ce soit l’ASFC ou le CBP — ou tenir des discussions que nous avons avec l’ambassade américaine et entretenir un dialogue avec les organismes pertinents de l’administration américaine pour tenter de cerner précisément les scénarios et les préoccupations.

Au risque de nous répéter, nous avons dit très clairement aux États-Unis que la prohibition existante concernant le déplacement transfrontalier du cannabis demeurera en place. Nous prendrons des mesures pour sensibiliser les Canadiens et les Américains qui veulent venir ici au fait que la prohibition est toujours là. C’est une préoccupation pour les Américains; ils veulent s’assurer qu’il n’y aura pas d’augmentation du déplacement transfrontalier de cannabis. Je crois que notre réponse est que la prohibition demeure un élément essentiel du projet de loi C-45, et nous allons adopter une stratégie de communication, afin de nous assurer que les Canadiens et les Américains savent que c’est encore vrai aujourd’hui.

Le sénateur McIntyre : Alors ne craignez-vous pas que la circulation transfrontalière fluide des marchandises soit touchée par les réactions américaines à la légalisation de la marijuana?

M. Thompson : Je pense qu’il peut y avoir une période de transition à court terme, comme pour tout changement qui entre en vigueur. Mais, encore une fois, je soulignerais le contexte global : le 1er juillet, quatre États qui partagent une frontière avec le Canada — l’État de Washington, le Vermont, l’Alaska et le Maine — auront légalisé la consommation récréative de marijuana. En outre, six autres États auront légalisé la marijuana à des fins thérapeutiques. Cette question n’est pas nouvelle. Il y aura peut-être des périodes d’ajustement à court terme au cours desquelles on devra s’assurer que les Canadiens connaissent très bien les conséquences des changements, mais il faut tenir compte du contexte global. La question de la légalisation de la marijuana est un enjeu aux États-Unis depuis un bon moment.

[Français]

Le vice-président : J’aimerais ajouter un élément à la question du sénateur McIntyre qui a fait allusion à l’ALENA. Tout est dans la perception. Lorsqu’on regarde ce qui est arrivé avec le bois d’œuvre, l’ALENA, la gestion de l’offre, l’aluminium, je me demande si dans les discussions que nous avons eues avec les Américains les questions des Canadiens n’ont pas été assez claires ou tout simplement qu’ils ne veulent pas nous répondre. C’est ma perception. Je le constate dans plusieurs dossiers.

Comme l’a mentionné le sénateur McIntyre, le projet de loi C-45 s’ajoute aux autres discussions que nous devons avoir avec nos voisins américains.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour le surintendant et M. Hill, et j’ai également une question pour M. Thompson.

Je vais commencer par ma question pour vous, monsieur Thompson, qui est similaire à celles qu’on a posées sur la conformité avec le droit américain et canadien. J’aimerais vous poser une question sur une non-conformité potentielle du Canada avec un certain nombre de traités conclus avec des organismes internationaux, en particulier la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention de 1971 sur les substances psychotropes et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Je dois présumer que des discussions sont en cours et que leur nature est similaire à ce qu’a décrit la sénatrice Boniface. Pourriez-vous faire une mise à jour à cet égard, s’il vous plaît, et nous dire si une résolution a été adoptée?

M. Thompson : Certainement. Je vous signale d’entrée de jeu que le sous-ministre adjoint, Sécurité internationale et Affaires politiques, Mark Gwozdecky, témoignera devant le Comité des affaires étrangères et du commerce international le 21 mars, justement pour aborder les questions touchant les obligations internationales du Canada.

Le Canada adopte un cadre réglementaire strict pour aborder une série de défis en matière de santé et de sécurité publiques ici au Canada. L’approche est très cohérente avec les grands objectifs des conventions sur les drogues que vous avez mentionnées, à savoir protéger la santé et le bien-être des membres de notre société. Le Canada s’engage toujours à coopérer à l’échelle internationale en vue de lutter contre le trafic de drogue et de faire la promotion de solutions axées sur les données probantes afin d’atténuer essentiellement les dommages de la toxicomanie. Nous sommes déterminés à continuer de travailler au sein des diverses organisations internationales dont nous sommes membres, mais nous constatons que les objectifs de la loi, qui visent à dissuader les jeunes de consommer du cannabis et de réduire la participation à une activité criminelle dans le commerce du cannabis, sont cohérents avec les grands objectifs de ces conventions sur les drogues.

La sénatrice McPhedran : Si vous me le permettez, je vais préciser ma question; elle était plus précise que votre réponse, aussi intéressante soit-elle. Ma question est la suivante : serons-nous non conformes après l’adoption du projet de loi C-45, et les discussions dont vous avez parlé ont-elles donné lieu à une entente avec des organisations internationales selon laquelle notre non-conformité sera considérée comme acceptable? Allons-nous continuer de ne pas être conformes après l’adoption du projet de loi C-45?

M. Thompson : En tant que directeur général de la Stratégie pour l’Amérique du Nord, je crois que je préférerais laisser mon collègue qui témoignera devant le comité des affaires étrangères et du commerce international répondre à cette question. Ce que je peux vous dire, c’est que nous collaborons activement avec la commission internationale sur les narcotiques. Nous expliquons les objectifs du projet de loi et soulignons le fait qu’il est très cohérent avec les grands objectifs de la convention.

Je crois comprendre — comme je ne suis pas personnellement touché par ces enjeux — que la commission et nos partenaires internationaux sont très intéressés par l’approche que nous avons adoptée, particulièrement du point de vue de la mesure dans laquelle elle permettra d’atteindre les objectifs, qui sont de réduire l’accès des jeunes au cannabis et d’éliminer les activités criminelles. On s’y intéresse d’assez près, et nous continuons de tenir des discussions constructives avec non seulement nos partenaires internationaux, mais également la commission internationale sur les narcotiques.

Au-delà de cela, je préférerais laisser répondre le sous-ministre adjoint, qui témoignera devant le Comité des affaires étrangères et du commerce international.

La sénatrice McPhedran : Comme la communication entre les comités n’est pas nécessairement parfaite, monsieur le président, pourrais-je demander qu’on pose la question à la personne d’Affaires mondiales la mieux placée pour y répondre et qu’on transmette sa réponse au comité?

[Français]

Le vice-président : Il faudrait peut-être poser la question à la présidente.

La sénatrice McPhedran : Oui, merci.

[Traduction]

J’ai une question pour le surintendant, s’il vous plaît. Je veux mieux comprendre l’effet combiné des projets de loi C-23 et C-45 sur le rôle que joue la GRC dans certaines situations à la frontière. Lorsque des Canadiens — et, comme nous l’anticipons, souvent de jeunes Canadiens — sont détenus à la frontière, qu’a-t-on déterminé à ce stade en examinant les scénarios concernant l’effet combiné du projet de loi C-23, qui est entré en vigueur, et le projet de loi C-45? Comment cela changera-t-il le rôle de la GRC dans de telles situations, le cas échéant?

Mme Solesme : La GRC est responsable de patrouiller les territoires se trouvant entre les bureaux d’entrée, alors toute activité qui s’y déroule et qui est illégale… J’essaie de…

La sénatrice McPhedran : Je crois savoir que vous n’étiez pas ici plus tôt pour entendre, par exemple, l’avocat des États-Unis spécialisé en immigration. Il a parlé du rôle de l’agent de la GRC, qui est essentiellement sur place au cas où un Canadien se retrouve dans une situation difficile avec un garde-frontière américain au moment de traverser la frontière. Ce dont il n’a pas parlé, c’est l’effet du projet de loi C-23.

A-t-on retiré le rôle de la GRC de ces scénarios? Comme les décisions d’un garde-frontière américain peuvent l’emporter sur celles des autorités canadiennes à ce stade, s’il veut détenir la personne, lui faire une fouille à nu ou peu importe, ses décisions auront préséance sur celles des responsables canadiens sur place. Est-ce que cela touche — et j’imagine, particulièrement, limite — la participation de la GRC comme nous la connaissons?

Mme Solesme : Je suis désolée, parce que je ne connais pas bien cet aspect, alors je préférerais préparer une réponse et vous la transmettre plus tard.

La sénatrice McPhedran : Excellent. Merci.

Monsieur Hill, M. Hudak, de la Brookings Institution, nous a dit qu’on devrait tenir compte de diverses façons dont des Canadiens se sont retrouvés par inadvertance à la frontière alors qu’ils avaient peut-être en leur possession ce qui serait considéré comme des quantités légales de marijuana en vertu du projet de loi C-45. Envisage-t-on un certain nombre de mesures afin de mieux protéger les Canadiens? Par exemple, il pourrait s’agir des boîtes d’amnistie qu’on a mentionnées, si on envisage cette solution, ou toute autre mesure afin d’améliorer une situation où plusieurs Canadiens risqueront de se retrouver dans une position très fâcheuse lorsqu’ils tenteront de traverser la frontière.

M. Hill : Pourriez-vous préciser ce qu’est une boîte d’amnistie?

La sénatrice McPhedran : Je crois comprendre — et M. Hudak n’a pas fourni beaucoup de détails — qu’il s’agit d’une possibilité pour un Canadien de remettre ce qu’il peut transporter — ce qu’il a peut-être oublié — et de le placer dans l’équivalent d’une boîte sécurisée ou dans un endroit où il n’est plus en sa possession.

M. Hill : Et il s’agit d’un Canadien qui essaie d’entrer aux États-Unis?

La sénatrice McPhedran : Oui.

M. Hill : D’accord. Je crains de ne pas pouvoir décrire ce que les États-Unis planifient à cet égard. Je n’ai connaissance d’aucun projet à ce sujet, selon mes discussions et les sujets qui ont été abordés jusqu’à maintenant au sein du groupe de travail de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Service des douanes et de la protection des frontières que j’ai mentionné cet après-midi.

Je peux vous dire que, du point de vue du Canada, nous n’envisageons pas de mettre en place une boîte d’amnistie pour les voyageurs qui arrivent au Canada et qui auraient par inadvertance une petite quantité en leur possession. À l’arrivée au Canada, toute quantité non déclarée serait saisie et ne serait pas restituée.

La sénatrice McPhedran : Ma question concernait, je crois, la situation inverse. Je vous demande de vous concentrer sur les Canadiens et la protection des Canadiens qui se retrouvent à la frontière alors que s’ils se trouvaient à l’extérieur de la zone du poste frontalier — à 20 pieds —, ils auraient en leur possession une quantité de marijuana tout à fait légale pour des Canadiens au Canada.

A-t-on discuté de ces types de scénarios où, de bonne foi, par inadvertance, une personne avait en sa possession quelque chose qui aurait été parfaitement légal 20 pieds plus loin du côté du Canada, mais où cela entraînera des conséquences néfastes énormes pour cette personne, peut-être toute sa vie? Que faisons-nous? Y pensez-vous? Tenons-nous des discussions sur la façon de respecter ce qui deviendra une loi canadienne si on adopte le projet de loi C-45 et sur les diverses situations où des Canadiens se retrouveront dans une position fâcheuse à la frontière, ce qui aura des conséquences néfastes très importantes à long terme?

[Français]

Le vice-président : Monsieur Hill, je vais vous demander une réponse rapide, car il ne reste que cinq minutes et je vois deux sénateurs qui veulent prendre la parole. Je demanderais donc des réponses rapides et des questions courtes, s’il vous plaît.

[Traduction]

M. Hill : Oui. Les pratiques et la posture actuelles pour l’application de la loi et la détermination de l’admissibilité ou de l’inadmissibilité du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis resteront les mêmes, selon ce que nous croyons comprendre. Nous discutons de notre projet de loi afin que les responsables comprennent bien ce qu’il en est. Les États-Unis ne nous ont pas encore présenté de changement dans la façon dont ils mènent leurs activités. Nous tenons absolument à savoir s’il y aura un changement. Je crois qu’ils communiqueront cette information si, en fait, il y en a un, mais j’émettrais des hypothèses si je l’affirmais et je préférerais ne pas le faire.

Je peux vous dire que les États-Unis souhaitent actuellement vraiment comprendre notre projet de loi et se concentrer sur celui-ci.

La sénatrice Jaffer : J’ai une petite question pour le surintendant. Je crois que vous ne comprenez pas tout à fait le fonctionnement du projet de loi C-23. Un témoin précédent, M. Saunders, a parlé d’un agent de la GRC toujours présent lorsque les gens subissent au précontrôle du côté des États-Unis. Je veux savoir si cette pratique sera maintenue après l’adoption du projet de loi C-23.

Une chose qui m’embête vraiment à propos du projet de loi C-23, c’est le fait qu’il peut y avoir des fouilles à nu et des interrogatoires de Canadiens sans la présence d’agents de la GRC. J’aimerais savoir si vous savez maintenant si cela se produira souvent et la raison pour laquelle cela se produira.

Mme Solesme : Encore une fois au cours du précontrôle?

La sénatrice Jaffer : Si vous pouviez également nous répondre là-dessus. Merci beaucoup.

Mme Solesme : Très bien.

[Français]

Le vice-président : Nous en sommes à la fin de la séance du comité. J’aimerais ajouter à ce que disait la sénatrice Jaffer. Il y a des policiers de la GRC en fonction aux États-Unis. J’imagine qu’il y a une politique similaire.

J’aimerais remercier nos témoins de leur participation. Sachez que vos témoignages seront utiles à notre étude du projet de loi C-45. Au nom de mes collègues, je réitère l’urgence d’avoir des réponses claires pour l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes. Je vous remercie beaucoup de vos témoignages et présentations.

(La séance est levée.)

Haut de page