Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 33 - Témoignages du 21 novembre 2018
OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes, se réunit aujourd’hui, à 12 h 2, pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant que nous débutions, je vais demander à mes collègues de bien vouloir se présenter.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
Le sénateur Richards : David Richards, Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La présidente : Je suis la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario.
Nous poursuivons cet après-midi notre étude du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes. Je veux remercier le sénateur Dagenais, président du Sous-comité des anciens combattants, de nous avoir permis d’utiliser cette plage horaire.
Nous recevons aujourd’hui Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui est accompagné de Lara Ives, directrice, Direction des services conseils au gouvernement.
Monsieur Therrien, vous avez la parole, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci, madame la présidente et membres du comité. Je tiens à vous remercier de m’avoir invité à parler du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes. J’estime en général que cette initiative, qui est reliée à la gestion de la frontière, repose sur d’importants objectifs d’intérêt public et que les renseignements personnels en jeu ne sont pas particulièrement sensibles.
Cela dit, la protection de la vie privée exige que les renseignements personnels qui seront recueillis en vertu du programme des entrées et des sorties soient gérés avec prudence, conformément à des ententes et à des procédures adéquates. Cela est vrai, entre autres, de la conservation de l’information et, compte tenu du temps qui m’est accordé, mes propos aujourd’hui porteront principalement sur cette question.
Je comprends pourquoi la Chambre des communes a adopté un amendement visant à imposer des limites raisonnables pour la période de conservation de l’information sur les sorties et les renseignements recueillis par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Lors de ma comparution devant le comité de la Chambre des communes chargé d’étudier ce projet de loi, j’avais parlé de l’obligation pour les institutions de justifier clairement les périodes de conservation de l’information. Les renseignements personnels ne devraient être conservés que le temps nécessaire aux fins prévues par la loi, qu’il s’agisse de la loi de l’agence ou de celles des institutions avec lesquelles l’ASFC partage l’information sur les sorties.
Il semble que l’objectif de l’amendement adopté par la Chambre des communes, soit l’ajout d’un nouvel article 93.1 à la Loi sur les douanes, était de limiter à 15 ans la période de conservation de l’information sur les sorties. Toutefois, le texte adopté ne traduit pas clairement cet objectif, selon moi, et pourrait donner lieu à une interprétation qui nuirait à la protection de la vie privée.
[Traduction]
Le nouvel article 93.1 proposé stipule que l’information sur les sorties recueillie en vertu de la nouvelle loi doit être conservée pendant 15 ans, sous réserve de l’article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette formulation me préoccupe pour deux raisons.
Premièrement, l’article 93.1 proposé fixe, en réalité, une limite minimale et non une limite maximale. Les termes « sont conservés pendant 15 ans » indiquent clairement que les renseignements ne peuvent pas être détruits avant la fin de la période de 15 ans, mais rien dans le texte ne prescrit ce qui doit arriver à la fin de la période. Les renseignements peuvent donc être conservés plus longtemps.
Deuxièmement, il n’est pas clair si l’article 93.1 s’applique uniquement à l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC. Puisque l’amendement vise des renseignements qui ont été « recueillis au titre des articles 92 et 93 » — c’est-à-dire aux fins du programme des sorties —, une interprétation possible serait que la période de conservation de 15 ans continue de s’appliquer à l’information sur les sorties recueillie de cette façon par l’ASFC, même après qu’elle soit communiquée à une autre institution gouvernementale. Cette interprétation pourrait avoir comme effet d’allonger les périodes de conservation dans certains ministères, notamment dans ceux qui ont comme politique de supprimer toute l’information non pertinente immédiatement après sa collecte. Je vous donnerai d’ailleurs un exemple d’une telle situation tout à l’heure.
Des responsables de l’ASFC nous ont informés que ce n’était pas l’interprétation qu’ils adoptaient. D’après leur interprétation, l’article 93.1 ne s’applique qu’à l’ASFC. Selon eux, si l’information sur les sorties est communiquée à une autre institution par l’ASFC, cette institution la recueillera en vertu de ses propres pouvoirs et la période de conservation sera celle s’appliquant à sa collecte.
Si l’interprétation des responsables de l’ASFC est retenue, alors la période de conservation minimale de 15 ans s’appliquerait uniquement à l’agence. Les périodes de conservation prévues dans les autres institutions ne seraient pas touchées par le projet de loi C-21. Certaines périodes pourraient être plus courtes que 15 ans et d’autres plus longues.
Cependant, si, comme nous le craignons, la période de conservation minimale de 15 ans continue de s’appliquer aux renseignements même après leur communication à d’autres institutions, l’article 93.1 aura comme effet d’allonger la période pendant laquelle ces institutions devront conserver les renseignements.
Par exemple, l’information sur les sorties sera communiquée à Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour que ce ministère puisse vérifier l’admissibilité à l’assurance-emploi. À notre connaissance, avant l’amendement, cette information aurait été supprimée immédiatement si elle ne menait pas à l’inadmissibilité à l’assurance-emploi. D’après l’interprétation possible de l’article 93.1 qui nous préoccupe, ce ministère serait tenu de conserver les renseignements pendant 15 ans, puisqu’au départ, ils auraient été « recueillis au titre des articles 92 et 93 ».
Des périodes de conservation inférieures à 15 ans pourraient encore être possibles, même selon cette interprétation de l’article 93.1, si des règlements adoptés en vertu de l’article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoyaient une période de conservation plus courte. La disposition stipule en effet que les renseignements doivent être conservés pendant 15 ans sous réserve de l’article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cependant, il n’existe à notre connaissance aucun plan visant à adopter de tels règlements, comme l’a d’ailleurs confirmé une vérification auprès du Conseil du Trésor à ce sujet.
En conclusion, bien que l’intention de la Chambre semblait être d’imposer une période de conservation maximale en partie dans le but de protéger la vie privée des voyageurs tout en laissant suffisamment de temps aux institutions gouvernementales pour qu’elles réalisent leurs enquêtes, l’amendement pourrait, en fait, affaiblir la protection de la vie privée.
À mon avis, pour favoriser une plus grande certitude juridique, il serait souhaitable de modifier l’article 93.1 afin de préciser qu’il ne s’applique qu’à l’ASFC et qu’il sert à fixer une période maximale.
Quant aux périodes de conservation s’appliquant aux institutions qui reçoivent des renseignements recueillis par l’ASFC, y compris EDSC, elles devraient respecter le principe énoncé au début de mon exposé, à savoir que les renseignements personnels devraient être conservés uniquement le temps nécessaire aux fins particulières prévues par la loi. Si la loi permettait la conservation en fonction d’une échelle variable selon les lois applicables aux institutions récipiendaires, je n’aurais aucune objection.
Merci, madame la présidente. Je répondrai volontiers à vos questions.
La présidente : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Therrien. Si j’ai bien compris, après l’adoption du projet de loi, on connaîtra, de la part du gouvernement, les règles d’utilisation des données qui seront recueillies. Est-ce qu’il ne sera pas un peu tard, si on veut faire une intervention rigoureuse et si des correctifs devaient être apportés à ces collectes des données?
M. Therrien : Dans ma déclaration, j’ai parlé de la période de conservation, alors que vous parlez de l’utilisation que pourraient faire divers ministères de l’information colligée par l’Agence des services frontaliers du Canada.
Le projet de loi C-21 élargit un peu l’utilisation qui pourra être faite de l’information, y compris dans le cadre du Programme d’assurance-emploi, par exemple. Cependant, les fins auxquelles les renseignements pourraient être utilisés sont déjà très larges, et le projet de loi que vous étudiez en ce moment ne les élargit pas beaucoup plus. Je sais qu’il y a certains intervenants qui ont témoigné devant vous et qui sont préoccupés par cette question.
On peut être préoccupé par l’ampleur des utilisations possibles en vertu de la loi actuelle, non modifiée par le projet de loi C-21, mais cela renvoie au statu quo. C’est une partie de la réponse.
L’autre partie de la réponse concerne l’aspect procédural. Le gouvernement nous a dit que l’ASFC s’est engagée à ce que si de nouvelles utilisations étaient faites des renseignements à l’intérieur du cadre de la loi, qui lui donne une certaine marge de manœuvre, l’agence et le gouvernement nous aviseraient pour nous donner l’occasion de faire part de nos commentaires sur ces utilisations, leur « raisonnabilité » et leur proportionnalité dans le cadre des Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, dont l’équivalent anglais est « privacy impact assessments ».
L’agence a été responsable dans le cadre des consultations qu’elle a menées auprès de notre commissariat sur la mise en œuvre du programme des entrées et sorties. Elle s’engage à nous aviser 120 jours, soit quatre mois, avant l’entrée en vigueur de nouveaux programmes et de nouvelles utilisations. Ce mécanisme vise à limiter les risques.
Cela dit, vous avez raison de dire que la loi permet une utilisation de ces renseignements à plusieurs fins, dont certaines sont très larges, mais il y a des mécanismes procéduraux pour réduire les risques.
Le sénateur Dagenais : Les citoyens pourront-ils vérifier les informations qui seront collectées et conservées, disons, pendant 15 ans? Est-ce qu’ils pourront dire : « Voici ce qu’ils ont conservé de mes données personnelles. »
M. Therrien : Le projet de loi dont vous êtes saisis parle de la nouvelle collecte d’une demi-douzaine de renseignements personnels, des renseignements relativement non sensibles, qui sont plutôt normaux dans un cadre de gestion de la frontière. Lorsque vous demandez si les citoyens pourront connaître les renseignements colligés par le gouvernement en vertu de ce programme, la réponse devrait être oui. Je vais demander à Mme Ives de nous parler des engagements du gouvernement à cet égard.
Les renseignements sont relativement peu nombreux et peu sensibles. Personnellement, j’irais plus loin que votre affirmation pour dire que le gouvernement devrait faire preuve de transparence dans l’utilisation de ces renseignements. C’est là que la publication des Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée serait très utile pour les citoyens afin qu’ils comprennent à quelles fins ces renseignements seront utilisés par le gouvernement.
Lara Ives, directrice, Direction des services conseils au gouvernement, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : J’aimerais répondre en anglais, si possible.
[Traduction]
En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, chacun peut demander à avoir accès aux données le concernant qui sont détenues par une institution gouvernementale et obtenir qu’elles soient corrigées au besoin. Les renseignements détenus par l’ASFC seraient donc visés par cette disposition, mais ce ne serait pas le cas pour les données en la possession du gouvernement des États-Unis.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Pouvez-vous nous donner des exemples de la quantité d’information qui peut être échangée entre le Canada et les États-Unis? En fin de compte, on traverse le plus souvent la frontière des États-Unis. Comment peut-on faire pour savoir si tout ce qui se partage entre les deux pays est vraiment pertinent?
M. Therrien : Je vais répondre en deux temps. D’abord, je vous rappelle que les renseignements colligés par l’agence et probablement échangés avec les États-Unis dans le cadre du projet de loi que vous examinez représentent une demi-douzaine d’éléments de renseignements relativement non sensibles. Ces données qui permettent d’identifier la personne qui a traversé la frontière pourront être reliées à d’autres renseignements que les deux gouvernements auront potentiellement échangés au sujet de cette personne.
De plus, le projet de loi ne vise pas cela. Rien ne change dans les pratiques intergouvernementales, mais il demeure vrai qu’une quantité importante de renseignements peut être échangée entre les deux gouvernements au sujet de certaines personnes qui présentent un intérêt pour les gouvernements en question. Il y a des ententes de partage de renseignements qui sont importantes dans ce domaine. On a demandé à jouer un rôle dans l’examen de ces ententes. Le gouvernement nous a consultés en ce qui a trait à certaines de ces ententes. La garantie en matière de protection de la vie privée est en partie le rôle que peut jouer le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada en formulant des commentaires lorsque des ententes sont conclues.
Toutefois, on a demandé, dans le cadre de réformes à la Loi sur la protection des renseignements personnels, que cette obligation de nous consulter soit une obligation juridique légale, parce qu’elle n’est pas toujours respectée dans les faits. On pense que cela serait important, mais je crois que l’on déborde du cadre du projet de loi en question.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Merci, monsieur Therrien, pour votre exposé très intéressant.
Nous savons tous à quel point il est essentiel de trouver le juste équilibre entre notre sécurité et le respect de nos droits. De nombreux immigrants m’ont parlé du long processus auquel ils devaient se soumettre pour les vérifications au titre des exigences minimales en matière de résidence. Il faut compter de 5 à 10 ans dans certains cas. Une personne m’a indiqué avoir dû envoyer sept kilos de documents, y compris des factures d’électricité et des relevés bancaires, pour prouver son statut de résident.
Sans données sur les sorties, il est difficile pour les agents d’immigration de déterminer qui peut être admissible aux différents programmes. J’ose espérer que le projet de loi C-21 fera en sorte qu’il sera plus facile pour ces immigrants de démontrer combien de temps ils sont demeurés au Canada pour satisfaire aux critères de résidence.
Quelles mesures devrait-on prendre pour assurer la protection de la vie privée? Qui aura accès aux données obtenues? Dans quelles situations les données recueillies seront-elles supprimées? Qu’en est-il des immigrants possédant la double citoyenneté? Ils sont nombreux au Canada.
M. Therrien : Vous posez différentes questions de principe mais, si j’ai bien compris, vous vous intéressez tout particulièrement à l’utilisation des données sur les entrées et les sorties par les autorités de l’immigration pour vérifier si les conditions de résidence sont respectées et si un individu pourrait avoir accès à la citoyenneté.
Du point de vue des principes, est-ce que tout cela se tient? Est-il raisonnable pour le gouvernement de recueillir des données au sujet des sorties afin de pouvoir mieux déterminer si un individu réside ou non au Canada? S’il s’agit d’un critère permettant d’établir son statut de résident pour lui donner éventuellement accès à la citoyenneté, je pense qu’il faut répondre qu’il est effectivement raisonnable de le faire. Il pourrait ainsi devenir superflu pour les autorités de l’immigration de recueillir toutes sortes de renseignements secondaires comme les factures de téléphone et d’électricité pour prouver que quelqu’un réside bel et bien au Canada. À mes yeux, c’est un exemple qui illustre bien que ce projet de loi est une mesure en principe tout à fait logique.
Il faut ensuite se demander comment les différents ministères du gouvernement gèrent les renseignements en question. Pendant combien de temps sont-ils conservés? Qui en assure la protection? Ce sont toutes d’excellentes questions. J’estime que la question de la conservation est particulièrement importante. Pendant combien de temps l’information doit-elle être conservée?
La Chambre a adopté un amendement qui, selon moi, visait à limiter la période de conservation à 15 ans, ce qui serait suffisant pour les fins que vous avez décrites. Malheureusement, je ne crois pas que l’objectif visé ait été atteint, ce qui m’a incité à recommander que l’on apporte des éclaircissements à la loi.
J’espère avoir répondu à vos questions.
Le sénateur Oh : Pensez-vous qu’une période de 10 ans serait suffisante? Pourrait-on prolonger cette période à 15 ans si l’on a des doutes au sujet d’une personne?
M. Therrien : Je vais prendre quelques instants pour préciser ma réponse, car différents ministères sont en cause.
Les données sur les sorties sont recueillies par l’ASFC qui les communique ensuite à un certain nombre de ministères aux fins de leurs programmes respectifs. Chacun de ces ministères peut avoir besoin de conserver l’information pendant une période plus ou moins longue.
Les autorités de l’immigration doivent conserver ces données uniquement pendant le temps nécessaire pour déterminer notamment si les exigences de résidence sont remplies ou si la citoyenneté peut être octroyée. Dans cette optique, une période de 15 ans est sans doute trop longue car, sauf erreur de ma part, une personne est seulement tenue d’avoir résidé au Canada pendant trois des cinq dernières années. Une période de conservation de 15 ans me semble donc trop longue dans ce cas particulier.
Cependant, les données recueillies par l’ASFC sont aussi communiquées par exemple à la GRC pour les besoins de ses enquêtes criminelles dont certaines, lorsqu’il y a meurtre par exemple, peuvent exiger beaucoup de temps. Dans le cas de la GRC, la conservation pendant 15 ans n’est peut-être pas suffisante.
Il est difficile d’établir la durée de la période de conservation, car il devait y en avoir une pour l’ASFC, mais il faudrait qu’elle soit assortie de règles claires quant à la durée de cette période de conservation pour les institutions qui reçoivent les données. Ces dernières peuvent être très nombreuses et avoir des besoins variés. Pour l’immigration, la période pourrait être plus courte; pour la GRC, elle serait sans doute plus longue.
Le sénateur Oh : Nous échangeons des données avec les États-Unis. Est-ce que les données des autorités américaines de l’immigration sur les entrées et les sorties se retrouvent dans le même réseau informatique que les nôtres?
M. Therrien : Je pense qu’il s’agit de réseaux différents, bien qu’il y ait certains échanges d’information entre les deux pays. Je ne crois pas que l’on utilise le même système.
Le sénateur Oh : Merci.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Merci d’être venu répondre à nos questions, monsieur Therrien, et d’avoir apporté des précisions en ce qui concerne la période de conservation de l’information en vertu de l’article 93.1.
Cette période devrait se limiter à l’Agence des services frontaliers du Canada. Est-ce exact?
M. Therrien : Cela ferait en sorte que la période ne soit pas trop longue pour d’autres ministères, effectivement.
Le sénateur McIntyre : Cela dit, en vertu du projet de loi, des informations seront communiquées à d’autres agences gouvernementales au Canada, par exemple, à Emploi et Développement social Canada, à l’Agence du revenu du Canada et à la GRC. Selon vous, le projet de loi soulève-t-il des préoccupations sur la manière dont l’information serait communiquée à des gouvernements étrangers?
M. Therrien : Le projet de loi, encore une fois, permet la collecte de quelques renseignements par le gouvernement. Dans l’ensemble, c’est relativement minime, mais une fois que ces renseignements seront colligés, différentes ententes de partage de renseignements pré-existantes entreront en jeu. Est-ce que le projet de loi protège suffisamment la vie privée dans le cadre d’échanges de renseignements avec des pays étrangers? Le projet de loi n’empiète pas sur la situation, sauf en ajoutant quelques éléments d’information qui seront colligés et potentiellement partagés avec d’autres ordres de gouvernement. Cela ne veut pas dire que la situation est idéale, mais elle ne change pas en termes matériels quant au type d’échange de renseignements qui se fera avec des gouvernements étrangers.
Est-ce que la loi protège suffisamment la vie privée dans le cadre de ces échanges avec les gouvernements étrangers? Dans l’état actuel des choses, on ne nous consulte pas toujours. De temps en temps, on nous consulte sur les ententes entre le Canada et les États-Unis pour le partage de renseignements. En fait, dans le cadre des entrées et sorties, nous avons reçu récemment une correspondance de l’Agence des services frontaliers avec des modifications proposées à une entente entre le Canada et les États-Unis. On est en train d’étudier cette question. C’est une façon de réduire les risques.
Le sénateur McIntyre : Je poursuis dans la même foulée. L’information colligée pourrait-elle être partagée avec le secteur privé dans certains contextes? Si oui, dans quels contextes?
M. Therrien : Il n’y a rien dans la Loi sur les douanes, à ma connaissance, qui permettrait un tel échange avec le secteur privé.
Le sénateur McIntyre : Si j’ai bien compris, vous êtes satisfait en ce qui concerne la communication de l’information à d’autres agences gouvernementales du Canada.
M. Therrien : Je dis que cette communication, en principe, est logique. Elle permet de mieux gérer des programmes gouvernementaux administrés par d’autres agences qui appliquent des politiques d’intérêt public importantes. Est-ce que le projet de loi, dans son principe même, est justifié? Ma réponse est oui. Ensuite, il y a des modalités importantes de gestion des renseignements personnels en matière de protection de la vie privée. C’est là que nous avons certains commentaires à faire. Pour ce qui est du principe même de la collecte de ces renseignements et de l’échange avec d’autres ministères à des fins de programmes, je n’y vois pas de problème particulier.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Therrien et madame Ives. Je sais qu’un projet de loi n’est jamais quelque chose de simple, mais celui-ci vise seulement à permettre au Canada d’obtenir des données sur tous ceux qui quittent le pays via les postes frontaliers ou les aéroports.
M. Therrien : Ou les frontières terrestres, oui.
La sénatrice Coyle : Oui, les postes frontaliers terrestres ou les aéroports. Les États-Unis détiennent déjà ces renseignements. On nous permet maintenant d’y accéder aussi bien pour les données de sortie des points de passage frontaliers que pour les listes de passagers des vols outre-mer qui sont transmises à l’ASFC et à d’autres instances.
M. Therrien : C’est, en effet, comme cela que les choses devraient se passer dans la pratique.
La sénatrice Coyle : C’est, essentiellement, l’objectif visé par ce projet de loi.
Vous nous avez indiqué aujourd’hui, comme vous l’aviez déjà fait précédemment, que vous êtes pas mal convaincu que cette initiative de gestion des frontières va nous permettre d’atteindre d’importants objectifs liés à nos politiques publiques en précisant que les renseignements personnels en question ne sont pas de nature particulièrement délicate. Je crois que vous souscrivez à l’esprit de l’amendement proposé et approuvé par la Chambre, lequel visait, croyons-nous, à prévoir une période maximale de 15 ans pour la conservation de ces renseignements par l’ASFC. Vous nous avez souligné que la formulation de cet amendement est toutefois problématique, car elle pourrait plutôt avoir pour effet d’imposer une période minimale. C’est la préoccupation que vous avez portée à notre attention. Je veux seulement m’assurer que nous tenons correctement compte de ce que vous nous avez dit pour pouvoir y donner suite. Est-ce que mon résumé est fidèle jusqu’à maintenant?
M. Therrien : Oui.
La sénatrice Coyle : Voici donc ma première question. Si nous partons du principe que la période de conservation de 15 ans doit être considérée comme un minimum, est-ce que cette période est trop longue pour l’ASFC? Vous avez indiqué qu’elle n’était pas nécessairement assez longue pour certaines agences du gouvernement du Canada auxquelles ces données sont communiquées, comme la GRC. Ce n’est peut-être pas suffisamment long pour la GRC, mais je me demande ce qu’il en est de l’ASFC elle-même. Qu’est-ce qui justifie une période de conservation de 15 ans? Croyez-vous qu’une telle période soit raisonnable compte tenu des besoins de l’ASFC?
Je vous laisse répondre à cette première question et j’en aurai une autre par la suite.
M. Therrien : Je dois vous dire qu’il n’est pas facile de répondre à cette question parce que les besoins de l’ASFC ne se limitent pas aux seules utilisations que l’agence peut faire de ces données. Celles-ci peuvent également servir à d’autres ministères. Les données sont recueillies au nom de ces ministères, si bien qu’il est difficile de dissocier les besoins de ces différents ministères de ceux de l’ASFC.
Cela dit, il n’y a pas vraiment de bonne ou de mauvaise réponse à cette question. En principe, j’estime que la période prévue pour l’ASFC devrait être assez longue pour permettre à l’agence d’appuyer les autres ministères dans la mise en œuvre de leurs programmes respectifs, comme celui de la résidence pour les autorités de l’immigration, par exemple. Elle doit également être assez longue pour que l’on puisse détecter des habitudes de déplacement pouvant aider les services de sécurité et de police à déterminer quelle personne devrait être surveillée aux fins de l’application de la loi ou de la sécurité nationale.
Quelle période de conservation devrait suffire? Je crois qu’il y a eu une discussion à ce sujet entre les membres du comité concerné à la Chambre des communes, dont certains ont l’expérience des services policiers, et que l’on envisageait alors une période de 10 ou 15 ans. D’autres ont suggéré des périodes beaucoup plus longues, ce qui ne serait pas raisonnable à mon sens.
Je ne suis pas un expert en enquêtes policières, mais je dirais que nous nous situons dans une fourchette acceptable lorsqu’il est question d’une période de 10 à 15 ans. Du point de vue de la protection des renseignements personnels, je pencherais davantage du côté de 10 ans, mais la période doit être suffisamment longue pour déceler les comportements suspects de certains voyageurs.
La sénatrice Coyle : Voilà qui est très intéressant. Nous savons donc à quoi nous en tenir quant à la période maximale de 15 ans pour la conservation des données par l’ASFC.
Croyez-vous que d’autres amendements sont nécessaires? Vous parliez de la protection de l’information dans le contexte de la période de conservation pour les autres agences et ministères du gouvernement. Croyez-vous qu’un amendement devrait être apporté à la loi à cette fin, ou pensez-vous qu’il y a d’autres mécanismes que nous pourrions utiliser pour nous assurer que les mesures de protection nécessaires sont en place dans ces ministères et agences?
M. Therrien : Pour ce qui est des autres ministères, je ne crois pas qu’il soit possible de s’en tenir à une seule période de conservation. C’est d’ailleurs ce que j’indiquais dans mon exposé. En principe, chaque institution, chaque ministère devrait être autorisé à conserver les renseignements seulement pendant le temps nécessaire à l’accomplissement de son mandat et à l’atteinte de ses objectifs. Je pense que c’est le principe que nous devrions mettre en application. Il en résulterait des périodes de conservation de durée variable en fonction des besoins des différents ministères.
Si vous songez à apporter des modifications à ce projet de loi, je crois qu’il serait utile d’y ajouter une disposition officialisant l’application généralisée de ce principe, auquel cas les différentes durées de conservation seraient adaptées en conséquence.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup de votre présence aujourd’hui et de l’exposé que vous nous avez présenté. J’espère que ma question ne vous semblera pas trop répétitive, car vous y avez déjà répondu d’une certaine manière lorsque mes collègues vous ont interrogés un peu dans le même sens.
Nous n’avons aucun contrôle véritable quant à la période pendant laquelle les États-Unis conserveront ces données s’ils estiment pertinent de le faire, n’est-ce pas? Ne vont-ils pas les garder aussi longtemps qu’ils le jugent bon sans qu’il n’y ait de limite de 10 ou de 15 ans?
M. Therrien : C’est exact.
Le sénateur Richards : À notre époque, il y a déjà tellement d’information qui est recueillie à notre sujet que nous n’avons aucune idée de la quantité de renseignements nous concernant que détiennent de toute manière ces ministères ou ces organisations. C’est un simple commentaire en passant.
Vous avez parlé d’une période de 15 ans. Est-ce qu’elle pourrait être plus longue pour certains individus et plus courte pour d’autres? S’il était déterminé en application de ce projet de loi qu’un individu est véritablement une personne d’intérêt, est-ce que les renseignements le concernant pourraient être conservés pendant plus longtemps que 15 ans? Est-ce que cette période pourrait être plus courte pour quelqu’un ne posant pas de risque particulier?
M. Therrien : J’hésite, car cela nous ramène à la question de l’interprétation de l’article 93.1. Je pense qu’il est fort probable qu’un tribunal considérerait que cet article s’applique non seulement à l’ASFC, mais aussi aux autres ministères. Le cas échéant, je ne crois pas que 15 ans soit la période qui convienne pour bon nombre des ministères qui auront accès à ces données. Nous avons communiqué avec les responsables de l’ASFC qui nous ont dit considérer que l’article 93.1 s’applique uniquement à leur agence.
Vous êtes on ne peut mieux placé en tant que membre d’un comité pour améliorer la loi dans toute la mesure du possible, mais vous intervenez plutôt tard dans le processus. Vous pourriez donc confirmer l’interprétation que les fonctionnaires gouvernementaux font de l’article 93.1 en leur demandant s’ils considèrent que cette disposition s’applique uniquement à l’ASFC. Vous pourriez ainsi mieux définir les paramètres du débat. Si vous penchez en faveur de l’interprétation fournie par le gouvernement, vous n’auriez plus à vous préoccuper autant des périodes de conservation fixées pour les autres ministères étant donné que le projet de loi C-21 n’aurait aucun effet à ce niveau et que les règles actuelles continueraient de s’appliquer. Je réitère toutefois qu’il serait utile d’ajouter une disposition établissant comme principe général que la période de conservation ne devrait pas dépasser le temps nécessaire pour atteindre les objectifs visés.
Y a-t-il un aspect dont je n’ai pas traité?
Le sénateur Richards : Non. Je ne suis pas encore sûr de bien comprendre, mais vous avez fait le tour de la question. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Therrien et madame Ives, je tiens à m’excuser de mon retard, c’était bien involontaire de ma part.
Ma première question s’adresse à M. Therrien. L’habitude que vous avez de vous pencher régulièrement sur la teneur des projets de loi que nous étudions est quelque chose que nous apprécions. D’abord, avez-vous été consulté quant à la rédaction du projet de loi C-21?
M. Therrien : À ma connaissance, nous n’avons pas été consultés sur la formulation du projet de loi. Le gouvernement nous a consultés très fréquemment sur les différentes phases de mise en œuvre du programme de contrôle de la frontière avec les États-Unis, Par-delà la frontière, qui comportait plusieurs étapes. Les ministères nous ont aussi consultés de très près sur la mise en œuvre des dispositions. Cependant, au départ, nous n’avons pas été consultés sur la formulation du projet de loi.
Le sénateur Boisvenu : Lors de cette consultation, avez-vous émis des commentaires ou des propositions de modification du projet de loi, dans son ensemble ou de façon plus spécifique?
M. Therrien : Pour ce qui est du projet de loi C-21, non. À mon souvenir, nous n’avons pas émis de commentaires sur le principe, pas même sur la question de la conservation, parce que, à cette époque, l’amendement à l’article 93.1 n’existait pas, et nous étions relativement satisfaits des règles préexistantes où, essentiellement, chaque ministère est régi par les périodes de conservation qui lui sont propres. Nous étions relativement satisfaits des dispositions.
Ensuite est arrivé l’article 93.1, qui n’atteint peut-être pas l’objectif souhaité par les rédacteurs. Dans les faits, nous avions indiqué qu’il serait souhaitable que le pouvoir réglementaire soit resserré. C’est une chose que nous avons qualifiée de souhaitable et que nous avons demandée lors de l’étude du projet de loi par la Chambre des communes. Toutefois, selon nous, ce n’est pas absolument nécessaire.
Le sénateur Boisvenu : Ma dernière question concerne un pouvoir qu’ont les douaniers, soit celui de fouiller les téléphones cellulaires. On sait qu’aujourd’hui nos cellulaires sont nos ordinateurs portables, que ce soit en raison de leur puissance ou de leur interrelation avec nos autres appareils.
Le fait que les douaniers aient un tel pouvoir vous préoccupe-t-il, ou est-ce un élément auquel vous donnez votre aval dans le cadre de ce projet de loi?
M. Therrien : La fouille des appareils électroniques est une excellente question. Comme vous le savez, lorsque les Canadiens entrent au pays, ils sont assujettis à la fouille de leurs biens, y compris leurs appareils électroniques. J’ai fait valoir le fait qu’il serait très souhaitable que la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada — qui va au-delà de la loi et qui oblige l’agence à avoir des motifs avant de procéder à la fouille des appareils électroniques — soit relevée au niveau d’une règle juridique en ce qui a trait à l’admission des gens au Canada.
Lorsque quelqu’un quitte le Canada, certains pouvoirs additionnels sont prévus par le projet de loi, comme le pouvoir de poser des questions à la personne qui quitte le pays. Il pourrait y avoir un examen des téléphones à la sortie. Toutefois, le projet de loi ne prévoit aucun motif juridique permettant de procéder à la fouille des téléphones. De la même façon, je dirais qu’il serait très souhaitable que le projet de loi soit modifié afin de faire de l’exigence de motif une règle juridique. Voilà pour le volet des principes.
Cela dit, la fouille d’appareils électroniques à la sortie risque d’être fort exceptionnelle. Donc, voici la façon dont, selon nous, le projet de loi devrait être mis en œuvre. Quand un Canadien quitte le pays pour se rendre aux États-Unis, la fouille du téléphone se ferait généralement par l’agent américain, qui est assujetti à la loi américaine sur laquelle nous avons très peu de contrôle. D’après ce qu’on nous explique à l’agence ou ailleurs au gouvernement, de façon exceptionnelle, le contrôle à la sortie pourrait se faire par un fonctionnaire canadien, essentiellement lorsqu’il y a des soupçons au sujet de l’individu en question. Dans un tel contexte, la question que vous posez est plus pertinente, mais de façon générale, dans un contexte de sortie, la fouille du téléphone ou d’un autre appareil électronique se fera, dans la grande majorité des cas, par un fonctionnaire américain, en vertu d’une loi sur laquelle le droit canadien a peu d’emprise.
Le sénateur Boisvenu : Si je comprends bien, il faudrait modifier le projet de loi en précisant que, dans le cas d’un retour au Canada, la fouille d’un appareil électronique ne peut se faire que s’il existe un motif raisonnable de le faire.
M. Therrien : Je dirais qu’il faudrait le faire dans les deux cas, et à l’entrée et à la sortie, parce que le principe devrait être le même. J’exprime une réserve à la fin de mon intervention pour dire qu’en pratique, à la sortie, cela devrait être très rare, bien que le principe demeure le même.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Merci. Si je puis me le permettre à titre de présidente, j’aimerais seulement obtenir une précision concernant l’article 93.1 .
Vous dites que nous pourrions obtenir une confirmation des représentants du gouvernement quant à leur interprétation de cet article ou encore y apporter un amendement. Je dirais que, compte tenu de la durée de vie de ces mesures législatives, l’amendement m’apparaît une avenue plus appropriée qu’une simple confirmation. Ai-je raison de penser ainsi?
M. Therrien : Tout à fait.
La présidente : Merci.
Je crois qu’il n’y a plus de questions de la part des sénateurs. Il n’y a plus personne sur notre liste. Je profite donc de l’occasion pour vous remercier de votre comparution devant notre comité. Il est toujours intéressant d’examiner les choses du point de vue de la protection de la vie privée, surtout pour un projet de loi comme celui-ci.
Merci beaucoup, monsieur Therrien et madame Ives.
(La séance est levée.)