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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 34 - Témoignages du 26 novembre 2018


OTTAWA, le lundi 26 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes, se réunit aujourd’hui, à 13 heures, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je demanderais à mes collègues de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : Gwen Boniface, Ontario.

Nous avons quelques questions d’ordre administratif à régler avant de commencer. Je rappelle à tous les sénateurs que, si voulez proposer des amendements lors de l’étude article par article, elle se tiendra le lundi 3 décembre. Je vous recommande fortement de travailler avec le légiste. Je vous recommande aussi d’en aviser notre greffier, pour qu’il puisse se préparer en conséquence. Toutes ces communications seront confidentielles.

Sur une autre note, comme je l’ai indiqué à notre premier groupe, il est possible qu’il y ait des votes à la Chambre pendant notre réunion d’aujourd’hui. Le cas échéant, nous nous arrêterons, le temps d’aller voter, puis reviendrons une fois le vote terminé pour continuer notre réunion.

Comme vous le savez, la composition du comité a changé avec l’adoption d’une motion au Sénat. Nous souhaitons donc la bienvenue au sénateur Gold, au sénateur Plett et au sénateur Pratte au comité. Je souligne que la composition du sous-comité n’a pas changé aux termes de cette motion, donc il se compose toujours du sénateur Dagenais à la présidence, de la sénatrice Jaffer à la vice-présidence, du sénateur McIntyre, du sénateur Richards et de moi.

Cet après-midi, nous continuons notre étude du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes. Nous entendrons pour commencer deux représentants du Bureau du vérificateur général du Canada. Nous recevons Nicholas Swales, directeur principal, ainsi que Martin Dompierre, directeur principal.

Messieurs, à vous la parole. Nous tiendrons ensuite une période de questions.

[Français]

Martin Dompierre, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Madame la présidente, je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter du projet de loi C-21 portant sur les douanes.

Je m’appelle Martin Dompierre et je suis accompagné de Nicholas Swales. Nous sommes les deux directeurs principaux chargés des deux audits qui portaient sur des sujets dont il est question dans ce projet de loi.

En 2016, nous avons publié un rapport sur le plan d’action Par-delà la frontière et, en 2015, nous avons publié un rapport sur le contrôle des exportations à la frontière.

Nous allons résumer au comité ce que nous avions constaté en ce qui concerne la Loi sur les douanes. Il est important de noter que nos travaux d’audit sur le plan d’action Par-delà la frontière se sont terminés en septembre 2016 et ceux sur le contrôle des exportations, en août 2015. Nous n’avons pas exécuté d’autres travaux sur ces questions depuis.

En décembre 2011, le Canada et les États-Unis ont publié le Plan d’action sur la sécurité du périmètre et la compétitivité économique, mieux connu sous le nom de plan d’action Par-delà la frontière. Le plan d’action comprenait 34 initiatives visant à établir un partenariat à long terme entre les deux pays pour renforcer la sécurité et accélérer la circulation légitime des personnes, des biens et des services à la frontière.

Selon nos estimations, le total des dépenses prévues pour ses initiatives a dépassé 1,1 milliard de dollars, dont environ 585 millions de dollars avaient été déboursés en mars 2016.

L’audit a examiné les progrès réalisés par les ministères et les organismes pour respecter les engagements énoncés dans le plan d’action et obtenir les résultats voulus concernant les avantages attendus. Nous avons aussi examiné comment les progrès réalisés, le rendement et les coûts étaient présentés dans les rapports annuels de Sécurité publique Canada.

Le plan d’action comprenait plusieurs initiatives visant à renforcer la sécurité. Sur les 700 millions de dollars que les ministères et organismes avaient prévu dépenser pour ces initiatives, environ 410 millions de dollars avaient été déboursés en mars 2016. Toutefois, les ministères et organismes ont été confrontés à des défis lors de la mise en œuvre d’un certain nombre d’initiatives, et ils ne pouvaient pas démontrer qu’ils avaient renforcé la sécurité à la frontière canadienne.

Même lorsque les ministères et organismes avaient respecté leurs engagements pour certaines initiatives dans le cadre du plan d’action, ils avaient obtenu des résultats mitigés relativement aux avantages attendus. De plus, ils avaient peu d’indicateurs de rendement pour évaluer les résultats obtenus.

[Traduction]

L’une des initiatives en faveur de la sécurité qui n’a pas été achevée est l’Initiative sur les entrées et les sorties. Cette initiative, dotée d’un budget de 121 millions de dollars, avait pour objectif de permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada de savoir qui entrait au pays et en sortait. Elle devait à l’origine se terminer en juin 2014.

En mars 2016, 53 millions de dollars avaient été déboursés, mais l’initiative ne pouvait pas être mise en œuvre entièrement en vertu de la loi actuelle, qui ne permet pas la collecte, l’utilisation et la diffusion de données sur les citoyens canadiens qui sortent du pays.

Sans une nouvelle autorité juridique, l’Agence des services frontaliers du Canada ne peut pas réaliser d’initiatives et démontrer les bienfaits qu’elle apporte en matière de sécurité. Par exemple, la capacité actuelle de l’agence et des forces d’application de la loi d’identifier les voyageurs qui présentent un risque élevé et de les empêcher de quitter ou tenter de quitter le Canada est limitée.

Nicholas Swales, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Permettez-moi maintenant d’aborder les questions relatives au contrôle des exportations. Les exportations sont essentielles à la vie économique du Canada, mais certaines d’entre elles sont contrôlées dans le but de réaliser une série d’objectifs stratégiques, comme celui de protéger la sécurité de la population canadienne.

Même si plusieurs entités fédérales interviennent dans le contrôle des exportations, l’Agence des services frontaliers du Canada est la dernière ligne de défense du Canada contre l’envoi hors du pays de marchandises qui contreviennent aux lois du Canada en matière d’exportation.

L’audit vise à déterminer si l’agence a l’information, les méthodes et les contrôles nécessaires pour mettre en œuvre ses priorités en matière d’exécution de la loi, prévenir l’exportation de marchandises qui contreviennent aux lois du Canada en matière d’exportation et faciliter le commerce légitime.

Nous avons constaté des lacunes dans l’information, les méthodes et les pouvoirs de l’agence pour ce qui est d’évaluer les risques liés à l’exportation, d’allouer ses ressources et d’atteindre ses priorités. Par conséquent, l’agence a manqué des occasions d’empêcher l’envoi hors du pays de marchandises qui n’étaient pas conformes aux lois de contrôle des exportations du Canada.

Les limites aux pouvoirs de l’agence lui ont posé une difficulté particulière en ce qui a trait à l’examen des envois qui n’étaient pas mentionnés dans une déclaration d’exportation. L’agence ne pouvait pas ouvrir les envois au hasard comme elle pouvait le faire pour les importations ou les exportations mentionnées dans des déclarations. Les représentants de l’agence estimaient que les limites de leur pouvoir d’examen réduisaient leur efficacité à empêcher l’exportation de drogues illégales. L’incapacité d’ouvrir les envois au hasard signifiait également que l’agence ne pouvait pas évaluer le niveau global de conformité des envois non déclarés.

Le projet de loi qui est devant vous aujourd’hui contient des dispositions au sujet des deux contraintes législatives que nous avons soulevées dans nos rapports.

[Français]

Madame la présidente, ainsi se termine notre déclaration d’ouverture. Nous espérons que les constatations de nos audits aideront les membres du comité à effectuer leur examen de ce projet de loi. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins de leur présence. Vous avez parlé des exportations et du contrôle des exportations. Vous avez dit que l’Agence des services frontaliers n’avait peut-être pas tous les outils à sa disposition pour effectuer un meilleur contrôle. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Swales : Notre rapport porte sur plusieurs éléments. Premièrement, l’agence a de la difficulté à analyser toutes les déclarations d’exportation en raison d’un système relativement désuet qui n’est pas conçu pour faire une analyse de risques de ces exportations. Alors, avec le volume et avec un tel système, l’agence n’était pas en mesure de valider que toutes les exportations ne représentaient pas de risques.

Deuxièmement, lorsque certaines exportations devaient être examinées ou représentaient certains risques, elle ne réussissait pas à toutes les vérifier. Environ 20 p. 100 des exportations ciblées n’étaient pas examinées avant leur départ du pays.

Nous avons également constaté qu’à certains endroits, on ne remplaçait pas le personnel qui était en vacances. Alors, ce sont là nos commentaires en ce qui a trait à l’évaluation des risques.

Nous avons aussi parlé de l’impact possible de leurs travaux sur les exportations. Leur façon d’examiner ou d’arrêter les exportations avait comme impact, dans certains cas, des délais assez importants sur les exportations. Nous avons mené un sondage auprès des exportateurs et nous leur avons indiqué que cela pouvait avoir un impact important sur leurs affaires.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Dompierre, j’imagine que vous avez lu le projet de loi C-21. En quoi va-t-il améliorer la situation de l’Agence des services frontaliers du Canada?

M. Dompierre : On fait la vérification du système de données sur les entrées et les sorties. Le programme permet d’utiliser l’information fournie par un pays lorsqu’une personne quitte ce pays. Cette initiative était composée de quatre phases spécifiques, dont deux sont complétées. Les phases 3 et 4 ont dû être interrompues étant donné que la loi ne leur permettait pas de partager l’information personnelle des citoyens canadiens. Dans le rapport, on en a fait état en indiquant que des modifications à la loi seraient nécessaires pour permettre ces échanges d’information entre le Canada et les États-Unis.

Dans le cadre de l’initiative, un désir avait été exprimé d’élargir l’utilisation des données collectées par l’Agence des services frontaliers pour qu’elles soient utilisées par d’autres ministères. On mentionne dans le rapport, entre autres, l’Agence du revenu, Emploi et Développement social Canada et la GRC. Pour que ces ministères puissent utiliser l’information recueillie par l’Agence des services frontaliers, la loi doit être modifiée. De plus, ces ministères devront préparer des évaluations de risques, qui seront transmises au commissaire à la protection de la vie privée aux fins d’évaluation et d’utilisation de ces données.

C’est le constat que nous avons fait au sujet de l’Initiative sur les entrées et les sorties. L’agence a dû interrompre cette initiative, compte tenu des limites de la législation.

Le sénateur Dagenais : Je comprends que le projet de loi vous aidera. On parle d’une amélioration politique. Toutefois, pensez-vous qu’il va améliorer la sécurité des entrées et des sorties au pays?

M. Dompierre : L’initiative avait pour but d’accroître la sécurité à la frontière entre les États-Unis et le Canada. Si l’agence est en mesure d’obtenir l’aval et les modifications nécessaires, elle pourra passer aux prochaines phases pour compléter cette initiative.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup à nos invités de leur présence.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre présentation. Monsieur Dompierre, au paragraphe 10 de votre déclaration d’ouverture, vous mentionnez que, sans une nouvelle autorité juridique, l’Agence des services frontaliers du Canada ne pourra pas mettre en œuvre l’Initiative sur les entrées et les sorties ni démontrer les bienfaits qu’elle apporte en matière de sécurité. Pourriez-vous apporter des précisions sur cette question de nouvelle autorité juridique?

M. Dompierre : Dans un contexte de vérification, comme je l’ai mentionné, on s’est penché sur l’ensemble des phases de cette initiative, en particulier l’une des dernières, afin qu’elle soit mise de l’avant pour ce qui est du partage de l’information colligée sur les entrées et les sorties. Pour ce faire, il fallait apporter des modifications à la loi. L’agence a fait les démarches nécessaires pour apporter ces modifications. La loi que nous étudions aujourd’hui a été modifiée afin de permettre les échanges d’information.

Le sénateur McIntyre : D’un point de vue judiciaire, cette question est donc réglée.

M. Dompierre : Je ne dirais pas qu’elle est réglée. Le projet de loi devra être adopté avant de pouvoir passer aux prochaines étapes. Comme l’indique notre rapport, l’initiative a été interrompue parce qu’il manquait ces éléments juridiques.

Le sénateur McIntyre : La procédure devant les tribunaux a déjà été lancée.

M. Dompierre : Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par le terme « les tribunaux ». C’est le Parlement qui —

Le sénateur McIntyre : Je ne comprends pas moi non plus. Vous dites qu’il manque une nouvelle autorité juridique. Des procédures ont-elles été engagées ou seront-elles engagées devant les tribunaux? C’est tout ce que je veux savoir.

M. Dompierre : Ce n’est pas devant les tribunaux qu’elles doivent être engagées, mais devant le Parlement avec l’adoption d’une nouvelle loi. Peut-être que la terminologie n’est pas exacte lorsqu’on parle d’autorité légale, mais c’est le Parlement qui doit intervenir.

Le sénateur McIntyre : Lorsque vous avez utilisé le mot « juridique », je croyais que vous parliez d’une procédure devant les tribunaux.

M. Dompierre : Non, je m’excuse, ce n’est pas le cas. Dans mon énoncé d’ouverture, on parlait d’autorité légale. J’ai peut-être fait un lapsus en parlant d’autorité légale plutôt dans le contexte du Parlement.

Le sénateur McIntyre : Merci de la précision, monsieur Dompierre.

L’article 2 du projet de loi confère à l’agence de nouveaux pouvoirs de collecte de renseignements. Comme il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire et non d’une obligation, l’agence serait libre de recueillir ou non les renseignements.

Quelle sera l’utilité de l’Initiative sur les entrées et les sorties si la collecte de renseignements n’est pas obligatoire? Pourquoi conférer à l’agence un pouvoir discrétionnaire?

M. Dompierre : À ma connaissance, c’est l’une des pierres angulaires pour permettre à l’agence de faire cette collecte d’information et aller de l’avant avec l’initiative. Je ne crois pas être suffisamment outillé pour répondre à votre question.

Dans le cadre de notre vérification, nous avons examiné les indicateurs de rendement, l’état d’avancement des projets qui s’insèrent dans le plan d’action Par-delà la frontière. Dans notre rapport, nous indiquons que cette initiative a été interrompue parce qu’il manquait des éléments législatifs pour lui permettre d’aller de l’avant.

Je ne pourrais pas vous répondre en ce qui a trait aux avantages. Comme je l’ai mentionné, les avantages sont un renforcement de la sécurité par le partage d’informations avec nos voisins des États-Unis sur les citoyens canadiens qui entrent et qui sortent du pays.

Le sénateur Pratte : Ma question touche aux deux volets, soit les entrées et les sorties des voyageurs et les exportations. Si le projet de loi règle le problème sur le plan juridique et donne à l’agence les pouvoirs nécessaires à la fois pour les sorties et pour les exportations, y a-t-il d’autres problèmes qui ne relèvent pas du fait qu’ils n’avaient pas l’autorité légale et qui ralentiraient l’entrée en vigueur ou l’efficacité de ces mesures?

M. Dompierre : On n’a pas constaté d’autres enjeux autres que celui des éléments qui ont interrompu l’initiative. Selon notre compréhension, les quatre phases étaient en voie d’être terminées. La dernière étape consistait à apporter une modification à la loi pour leur permettre de faire la collecte et le partage des données.

À ma connaissance, lorsqu’on a terminé la vérification, l’agence était en mesure de mettre de l’avant l’initiative une fois les amendements apportés à la loi pour leur permettre de faire la collecte des données.

Le sénateur Pratte : Ont-ils les ressources informatiques et financières pour mettre le tout en place?

M. Dompierre : On a regardé les investissements faits par l’agence et, effectivement, une certaine somme a été dépensée. Il restait d’autres sommes à dépenser en mars 2016. C’est donc un montant de 53 millions de dollars sur un total de 120 millions de dollars. Les outils sont là et le système devrait être instauré une fois les amendements apportés.

Le sénateur Pratte : Pour ce qui est des exportations des biens, à part l’absence d’une autorité légale suffisante, y avait-il d’autres problèmes? Vous mentionnez que même les biens exportés ciblés ne pouvaient pas tous être inspectés pour toutes sortes de raisons, notamment un manque de ressources, et cetera. Une fois, le problème légal réglé, y a-t-il d’autres difficultés du point de vue de la gestion du personnel et sur le plan financier?

M. Swales : Des observations et des recommandations ont été formulées dans notre rapport. Dans le contexte de cette loi, le problème est que sans le pouvoir additionnel inclus dans le projet de loi, ils n’étaient pas en mesure de faire l’analyse des risques nécessaire. Donc, dans un contexte d’un contrôle efficace à la frontière, il faut que ce soit basé sur une bonne compréhension des risques.

La première étape était d’avoir le pouvoir qui leur donnait la possibilité de faire l’analyse des risques et ensuite, d’effectuer cette analyse. Dans certains cas, par exemple, nous avons constaté que leur troisième priorité était l’appui qu’ils donnaient à d’autres agences gouvernementales. Ils ne recensaient pas les informations nécessaires provenant d’autres ministères et ils ne prenaient pas note des travaux qu’ils avaient effectués. Cela est nécessaire pour faire cette analyse des risques. Il y avait des problèmes seulement dans le contexte de l’analyse des risques. Faire les analyses nécessaires sur les exportations ciblées constitue un problème.

Il faut faire une analyse des risques et ensuite examiner les exportations.

Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie d’être ici. J’ai quelques questions à vous poser sur les audits que vous avez réalisés précédemment sur le projet de loi et quelques amendements possibles.

À l’heure actuelle, les services frontaliers ne sont pas tenus de présenter de rapport annuel au Parlement sur l’application générale et l’efficacité du projet de loi dans l’atteinte de ses objectifs. Si je comprends bien votre témoignage, vous estimez que le projet de loi répond en grande partie aux recommandations que vous avez formulées dans des rapports précédents. Par conséquent, il semble logique que nous puissions nous attendre à ce que ce projet de loi crée une plus grande efficacité.

Vous attendez-vous, selon vos rôles particuliers, à ce qu’une exigence de présenter un rapport annuel au Parlement sur l’application et l’efficacité du projet de loi cause des difficultés?

M. Swales : Nous n’avons pas examiné les dispositions concernant les rapports publics sur le contrôle des exportations, mais je pense qu’elles ont été examinées dans une certaine mesure dans le cadre de l’audit sur le plan d’action Par-delà la frontière. Je ne suis pas sûr que nous puissions nous exprimer à ce sujet.

De toute façon, du strict point de vue des exportations, la modification de la loi pour prescrire ce pouvoir ne suffira pas. Nous recommandons aussi la mise en place de pratiques supplémentaires pour améliorer l’efficacité.

La sénatrice McPhedran : Ma deuxième question concerne les règlements pris par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 93(5).

Dans les limites de vos compétences, verriez-vous un problème à ce qu’on évalue les facteurs relatifs à la vie privée des règlements pris par le gouverneur en conseil?

M. Swales : Il y a des règles qui dictent quand et comment l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée se fait. Nous ne les avons pas examinées, mais c’est le Commissariat à la protection de la vie privée qui serait le mieux placé pour vous dire comment l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée devrait s’appliquer dans ce contexte.

La sénatrice McPhedran : Ma question ne portait pas sur le comment. Compte tenu du travail que vous avez effectué pour la préparation de vos rapports précédents, croyez-vous que la prescription d’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée affaiblirait vos recommandations?

M. Dompierre : Je ne crois pas. Il est obligatoire d’évaluer les facteurs relatifs à la vie privée. Comme mon collègue l’a mentionné, nous ne nous sommes pas penchés sur cette question en particulier.

Par exemple, nous affirmons dans notre rapport concernant l’Initiative sur les entrées et les sorties que d’autres ministères étaient intéressés à utiliser les données colligées par l’ASFC. Par conséquent, ils devront évaluer les facteurs relatifs à la vie privée pour montrer comment ils comptent utiliser les données qui leur seront communiquées.

M. Swales : J’ajouterais une autre observation. Du point de vue du contrôle des exportations, en gros, nous affirmons que les règles régissant la façon dont l’ASFC peut traiter les envois exportés diffèrent de celles régissant la façon dont elle traite les envois importés.

Je conviens avec mon collègue qu’il ne nous paraît pas évident qu’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée poserait problème, compte tenu qu’il y a déjà des pouvoirs similaires relatifs aux biens.

La sénatrice McPhedran : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’abord, je veux m’excuser de mon retard, j’avais d’autres obligations ailleurs. Je vous souhaite la bienvenue, messieurs Swales et Dompierre. Je vous remercie de vos présentations même si je n’ai pu qu’en écouter une partie. Par contre, j’ai lu votre mémoire et j’ai quelques questions. Je comprends que l’Agence des services frontaliers du Canada est au cœur de la mission de sécurité du Canada auprès de ses citoyens en contrôlant les entrées et les sorties. Nous avons constaté qu’il y a un problème majeur de contrôle dans l’Ouest canadien pour ce qui est du fentanyl qui est importé de l’Asie.

Dans votre mémoire, au point 13, vous dites ceci :

Nous avons constaté des lacunes dans l’information, les méthodes et les pouvoirs de l’Agence pour ce qui est d’évaluer les risques liés à l’exportation, d’allouer ses ressources et d’atteindre ses priorités. Par conséquent, l’Agence a manqué des occasions d’empêcher l’envoi hors du pays de marchandises qui n’étaient pas conformes aux lois de contrôle des exportations du Canada.

De quel type de marchandises faites-vous allusion?

M. Swales : Pour arriver à cette conclusion, nous avons utilisé deux types d’information. Lorsqu’ils faisaient l’examen des envois, ils trouvaient des cas problèmes. Dans les cas où l’examen n’a pas été fait, il est fort probable qu’il y ait eu des produits qui ne devaient pas être exportés.

Le sénateur Boisvenu : Avez-vous des exemples de produits?

M. Swales : Oui. Nous avons regardé dans les journaux et les rapports d’autres organismes et nous avons constaté que les services frontaliers au Japon et en Australie ont fait des rapports sur des produits qui sont arrivés chez eux et qui n’étaient pas conformes. Ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils soient exportés du Canada. Par exemple, les Australiens ont affirmé qu’il y avait des quantités importantes de drogues illégales qui arrivaient en Australie depuis le Canada.

Le sénateur Boisvenu : Par la poste.

M. Swales : Les produits arrivaient par la poste et par d’autres moyens aussi, notamment à partir de conteneurs. Comme il est illégal d’exporter ces produits et le fait que cet envoi partait du Canada et arrivait en Australie, cela voulait dire qu’un produit qui ne devait pas sortir est sorti. On a aussi examiné l’octroi des permis par le ministère des Affaires mondiales afin d’assurer que certains produits stratégiques puissent quitter le pays de manière conforme. Le ministère donne la permission aux exportateurs de faire des déclarations volontaires après coup lorsqu’ils se rendent compte qu’un produit qu’ils avaient exporté n’était pas conforme. Des déclarations sont parfois faites au ministère des Affaires mondiales. Cela veut dire encore que des produits qui n’étaient pas conformes avaient été exportés.

Le sénateur Boisvenu : Au point no 9 de votre rapport, vous parlez de l’initiative en faveur de la sécurité pour laquelle l’ancien gouvernement conservateur avait prévu un budget de 121 millions de dollars et qui avait pour objectif de permettre à l’agence de savoir ce qui entrait au pays et ce qui en sortait. En 2016, seulement une somme de 53 millions de dollars avait été dépensée. Il semble que l’initiative n’a pas été menée jusqu’à la fin du projet. Nous étudions actuellement au Sénat un projet de loi sur les armes à feu et nous savons qu’une problématique majeure touche l’entrée au pays d’armes illégales qui proviennent — d’après ce qu’on nous dit — surtout des États-Unis.

Étant donné que cette initiative n’est pas complétée, est-ce que cela peut être un facteur lié à l’entrée illégale, notamment des armes à feu ou d’autres produits comme la drogue? C’est encore un fléau dans certaines régions du pays.

M. Dompierre : Je ne pourrais pas vous dire exactement s’il s’agit actuellement d’un fléau ou non. Vous avez mentionné une initiative de 121 millions de dollars dont 53 millions de dollars avaient été dépensés en mars 2016. Aujourd’hui, je ne pourrais pas vous dire exactement les sommes restantes, mais un des obstacles qui a empêché le ministère de poursuivre la mise en œuvre de l’Initiative sur les entrées et les sorties est que la loi ne leur permettait pas de recueillir des données sur la vie privée. Donc, les phases 3 et 4 de l’initiative ont été interrompues en raison des limites fixées dans la législation.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui concerne la partie qui a été touchée, y avait-il un volet qui concernait les armes à feu?

M. Dompierre : Selon l’initiative, ce sont seulement les voyageurs qui traversent les frontières ou qui sont dans les aéroports. Il y avait aussi, dans le cadre du projet, une possibilité d’élargir l’initiative aux voies maritimes et ferroviaires, mais cette portion a été mise en veille et l’accent a été mis principalement sur les frontières avec les Américains et dans les aéroports.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que les sommes d’argent qui demeurent, soit presque deux tiers, ne seront pas dépensées pour améliorer nos connaissances sur les failles du système par rapport aux entrées et aux sorties depuis nos frontières.

M. Dompierre : Je ne pourrais pas statuer sur les sommes restantes. Au moment où l’on terminait notre vérification en mars 2016, c’est le constat qui a été fait par rapport au total des sommes d’argent restantes. J’imagine que, aujourd’hui, en novembre 2018, certaines de ces sommes ont été dépensées, mais nous n’avons pas examiné la situation à nouveau pour savoir où en étaient rendues les dépenses par rapport à cette initiative. Nos travaux se sont terminés en septembre 2016.

Le sénateur Boisvenu : Par rapport aux produits que vous avez identifiés plus tôt, soit les produits que d’autres pays jugent illégaux dans leur propre pays, serait-il possible de faire parvenir au comité la liste de ces produits identifiés par les pays en question?

M. Swales : Oui, je pense que pour ceux qui ont été rapportés publiquement, nous pourrions vous transmettre la source de ces informations.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais poser une dernière question.

Le projet de loi concerne principalement l’échange d’informations auprès des personnes qui traversent les lignes des frontières, mais nous savons qu’il y a aussi des problèmes majeurs par rapport aux produits qui sortent du pays. Je pense, entre autres, à Montréal qui est une plaque tournante du vol des véhicules automobiles et du mouvement de ces véhicules vers d’autres parties du monde.

L’Agence des services frontaliers du Canada travaille beaucoup selon le principe du contrôle aléatoire. Par exemple, si on a 100 000 conteneurs qui entrent au port de Montréal, on va fouiller tant de conteneurs; si tant de personnes entrent à l’aéroport Trudeau, à Montréal, chaque fois que l’on atteint un nombre de 200 personnes, on met une étiquette noire et on fait des vérifications.

Il y a beaucoup d’approches aléatoires en ce qui a trait aux contrôles, aussi bien pour les personnes qui entrent au Canada que pour les marchandises qui entrent au Canada. Avez-vous formulé des commentaires quant à l’efficacité du type de contrôle?

M. Swales : Effectivement, il y avait très peu d’examens aléatoires dans le domaine des exportations, c’est-à-dire que presque la totalité des travaux visait des cibles identifiées de diverses façons. Par exemple, dans le contexte des véhicules automobiles, l’agence avait appris qu’il y avait un problème d’exportation de véhicules automobiles à partir de Montréal. Ils ont alors mis en place une équipe — en tout cas à l’époque où l’on effectuait nos travaux en 2014 — qui ciblait et qui révisait les informations dont ils disposaient. Ils essayaient d’identifier les conteneurs qui avaient une plus grande probabilité de contenir une voiture volée, par exemple. Nos constatations étaient liées aux travaux qu’ils effectuaient et nous obtenions d’assez bons résultats.

Notre inquiétude relativement à l’aspect aléatoire des vérifications, c’était que cela devait être fait de temps en temps pour avoir une bonne compréhension des risques. C’est une chose de comprendre ce qui a fait l’objet d’un problème auparavant et de savoir comment les exportations sont effectuées et quelles sont les compagnies qui, par exemple, ont commis des gestes illégaux par le passé. Cependant, s’il y a de nouveaux cas et que vous n’avez pas les moyens de faire des vérifications aléatoires pour être au fait de la situation, cela signifie que vous n’êtes pas en mesure d’effectuer une mise à jour des analyses et d’améliorer le ciblage. C’était l’inquiétude que nous avions et qui portait sur le sujet de la loi. Sans un changement de leur autorité, ils n’étaient pas vraiment en mesure de faire cette analyse de risques en utilisant les vérifications aléatoires, lesquelles représentent un outil essentiel dans le contexte des exportations qui ne sont pas rapportées, ce qui représente une quantité assez importante.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais obtenir des précisions en ce qui a trait aux phases de l’Initiative sur les entrées et les sorties.

Seules les deux premières phases de l’Initiative sur les entrées et les sorties ont été mises en œuvre. L’échéancier pour la mise en œuvre des deux dernières phases a été repoussé. Je comprends également que le retard dans la mise en œuvre de ces phases est notamment dû à la décision d’étendre l’échange de données sur les entrées et les sorties des voyageurs à d’autres ministères et organismes fédéraux comme la GRC, Emploi et Développement social Canada, l’Agence du revenu du Canada et ainsi de suite. Comme cette décision a soulevé plusieurs inquiétudes, pourriez-vous apporter des précisions à ce sujet?

M. Dompierre : Au début, l’initiative visait à permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada d’effectuer la collecte de données sur les voyageurs qui traversent les frontières afin de déterminer leurs entrées et leurs sorties. Par la même occasion, cela permettait d’identifier les gens à risque de traverser les frontières.

Le désir d’élargir l’utilisation de ces données a été exprimé par les ministères. Pour l’Agence du revenu du Canada, il s’agissait d’identifier les gens qui sortent du pays et qui n’auraient peut-être pas payé leurs impôts. Dans le contexte d’Emploi et Développement social Canada, ces gens profitent peut-être de certaines avantages mais, en principe, ils ne devraient pas quitter le pays . Nous n’avons pas vérifié cela lors de notre enquête, mais ce sont les explications qu’on nous a données durant notre étude. Il y avait un désir d’élargir l’utilisation de ces données pour les ministères que vous avez mentionnés. Aucune autre analyse n’a été effectuée dans le cadre de notre vérification afin de comprendre ce qui incite ces ministères à utiliser ces informations. L’information que je vous ai fournie sur l’utilisation possible de ces données par ces ministères est plus spéculative.

Le sénateur McIntyre : L’information colligée pourrait-elle être partagée avec des gouvernements étrangers ou même avec le secteur privé?

M. Dompierre : Je ne le sais pas. Compte tenu de la sensibilité de l’information recueillie, je ne crois pas qu’elle pourrait être partagée à qui mieux mieux ou avec d’autres organismes ou pays. L’agence établira des limites quant à l’utilisation de ces informations par d’autres ministères et la façon de les exploiter.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Dompierre, je voudrais revenir sur les exportations illégales. Y a-t-il eu des conséquences sur les responsables de ces exportations illégales?

M. Swales : Nous n’avons pas fait un suivi pour ces cas.

[Traduction]

La présidente : Je regarde autour de la table. Sénateurs, avez-vous d’autres questions à poser?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie encore une fois nos invités qui nous donnent l’occasion de discuter d’un dossier fort intéressant et fort important.

Madame la présidente, peut-être que le point no 14 a été couvert durant mon absence. Cela concerne la capacité d’ouvrir des colis au hasard. J’aimerais savoir si la situation s’est améliorée pour ce qui est de la vérification aléatoire des colis ou si c’est toujours aussi ambigu d’un point de vue juridique?

M. Swales : Nous n’avons pas fait de suivi à la suite de notre vérification, mais nous comprenons que le projet de loi qui est devant vous contient les modifications nécessaires à cette pratique. Nous n’avons pas vérifié si les pratiques ont changé. Cependant, tant que l’autorité n’est pas en place, ils ne seront pas en mesure de faire l’examen des exportations non déclarées légalement.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

M. Swales : De façon aléatoire.

[Traduction]

La présidente : Messieurs, au nom du comité, permettez-moi de vous remercier de nous avoir présenté cette information sur vos deux audits récents. Nous vous remercions de votre collaboration et nous vous en remercions infiniment.

Nous accueillerons au cours de la deuxième heure le grand chef Abram Benedict, de même qu’Edward Roundpoint, chef du district de Kawehnoke, qui représentent le Conseil des Mohawks d’Akwesasne.

Abram Benedict, grand chef, Conseil des Mohawks d’Akwesasne : Je vous remercie de nous fournir l’occasion de nous exprimer devant vous aujourd’hui. Je vous salue au nom du Conseil des Mohawks d’Akwesasne et de la communauté d’Akwesasne.

Il s’agit de ma deuxième comparution sur le projet de loi C-21. En octobre 2017, j’ai comparu devant le Comité permanent de la sécurité publique et de la sécurité nationale de la Chambre des communes pour donner une idée aux députés des effets profonds de la Loi sur les douanes sur notre communauté et leur faire part de nos préoccupations sur les modifications proposées.

Aujourd’hui, le chef du district de Kawehnoke, Edward Roundpoint, présentera en partie les mêmes arguments. Nous commencerons notre exposé par quelques observations sur l’emplacement géographique unique d’Akwesasne et décrirons à quel point la frontière et les lois relatives à la frontière nous touchent.

Nous voudrons aussi vous faire part de quelques mesures que nous avons prises pour réduire les effets de la frontière sur notre communauté. Nous parlerons ensuite des principes qui nous guident dans les questions relatives à la frontière, puis nous terminerons par des observations sur les modifications à la Loi sur les douanes.

Edward Roundpoint, chef, district de Kawehnoke, Conseil des Mohawks d’Akwesasne : Je vous remercie de me permettre de vous parler aujourd’hui. C’est la première fois que je comparais devant ce comité du Sénat.

De nos jours, Akwesasne est une terre de frontières. En effet, la frontière internationale entre le Canada et les États-Unis traverse nos terres. La moitié des habitants de la collectivité habite au Canada, dans les provinces du Québec et de l’Ontario, et l’autre moitié habite aux États-Unis, dans l’État de New York.

Le Conseil des Mohawks d’Akwesasne est l’organisme dirigeant du territoire d’Akwesasne en sol canadien. Nous représentons environ 12 500 membres. Nos membres habitent des deux côtés de la frontière internationale dans les districts d’Akwesasne en Ontario, au Québec et dans l’État de New York.

Si l’un de nos membres souhaite se déplacer d’un district à l’autre par voie terrestre, il doit traverser la frontière internationale. Par exemple, la seule route qui relie Kawehnoke, en Ontario, à Kana:takon, au Québec, traverse le pont international entre le Canada et les États-Unis.

Les Mohawks qui se rendent au travail ou à l’école, qui vont à l’église, qui font leurs emplettes ou qui voyagent pour des raisons récréatives, sociales et culturelles doivent traverser la frontière internationale et se présenter aux douanes canadiennes et américaines.

Pour acheter des électroménagers, des matériaux de construction, des automobiles, de la nourriture et d’autres articles personnels au Canada, nos membres doivent souvent passer par les États-Unis avec ces produits et ensuite ré-entrer au Canada.

Il n’est pas inhabituel que nos membres qui assistent à des funérailles traversent la frontière internationale plusieurs fois. En effet, un cortège funèbre peut commencer au domicile de la personne décédée, sur l’île de Cornwall, et traverser le pont international et les douanes américaines pour se rendre à la principale église communautaire située dans le village sur la rive sud du Saint-Laurent.

Après la cérémonie, ces gens peuvent retourner sur l’île de Cornwall pour l’enterrement en passant par les États-Unis. Après l’enterrement, ils peuvent se rendre dans la partie d’Akwesasne qui se trouve dans l’État de New York pour un repas en famille avant de revenir à la maison dans l’un des trois districts canadiens.

Les Mohawks utilisent couramment le point d’entrée de Cornwall, qui est adjacent à Kawehnoke et le point d’entrée de Dundee, qui est adjacent au district de Tsi Snaihne, au Québec.

Cornwall occupe le 10e rang des points d’entrée les plus achalandés du Canada, car environ 2 millions de véhicules le traversent chaque année. Environ 70 p. 100 de ces passages sont des Mohawks qui se déplacent entre les districts d’Akwesasne. Les Mohawks traversent donc 1,4 million de fois les douanes canadiennes pour se déplacer dans la collectivité d’Akwesasne, ce qui revient à plus de 100 déplacements par membre par année. À cela, il faut ajouter les passages au point d’entrée de Dundee, ainsi que les passages aux douanes américaines.

Je suis certain que vous pouvez comprendre que les lois canadiennes sur les personnes et les marchandises qui traversent la frontière peuvent avoir de sérieuses conséquences pour les Mohawks et pour l’ensemble de la collectivité.

Nous reconnaissons que la sécurité frontalière est une question d’importance nationale pour le Canada et les États-Unis. C’est aussi une question d’importance nationale pour notre collectivité. Je tiens à insister sur le fait que la collectivité d’Akwesasne et ses organismes dirigeants partagent les préoccupations du gouvernement du Canada à l’égard de la sécurité nationale et publique.

Cela dit, nous sommes convaincus que le Canada peut mettre en œuvre des politiques frontalières qui tiennent compte des besoins des collectivités autochtones.

Permettez-moi de vous parler d’une autre initiative qui illustre cette situation. Dans les années 1950, on a jugé que la Voie maritime du Saint-Laurent et le projet de centrale thermique revêtaient une importance nationale pour l’économie canadienne. Le projet a été construit dans un temps record et c’est une merveille de génie civil, mais il a également entraîné des effets graves et de longue durée sur les collectivités autochtones, notamment Akwesasne. C’est seulement cette année que nous avons réussi à conclure une entente avec le gouvernement du Canada sur le règlement de nos revendications liées à la voie maritime.

De nombreuses années après la construction de la voie maritime, c’est-à-dire en 1998, le Parlement a adopté la Loi maritime du Canada et a abrogé la loi habilitante de l’Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent. La nouvelle loi contient des dispositions qui, nous l’espérons, aident le gouvernement du Canada et la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent à administrer la voie maritime de façon à tenir compte des nations et des collectivités autochtones.

Tout d’abord, l’article 3 de la Loi maritime du Canada énonce ce qui suit :

Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à l’application de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones.

C’était une façon importante de reconnaître que notre collectivité chevauche le fleuve Saint-Laurent et la voie maritime, et qu’il faut tenir compte des droits de ses habitants.

Deuxièmement, l’article 78 donne à la loi l’objectif de protéger les droits et les intérêts des collectivités voisines de la voie maritime.

J’aimerais que le Parlement intègre des principes similaires dans les lois liées à la frontière internationale, notamment dans la Loi sur les douanes. Il est vrai que la protection de nos droits autochtones est déjà assurée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Néanmoins, le Parlement a l’occasion d’élaborer d’autres principes pour orienter la législation de l’administration de la frontière de façon à minimiser les effets des frontières sur les nations et les collectivités autochtones qui sont adjacentes à la frontière.

M. Benedict : Il est important de préciser la relation qui existe entre la Loi sur les douanes et les droits autochtones issus de traités. En effet, les droits de passage frontalier dont jouissent les Autochtones soulèvent énormément la controverse. Notre communauté a revendiqué ses droits de passage frontalier devant les tribunaux à plusieurs reprises avec des résultats mitigés, mais cette question n’est toujours pas définitivement réglée.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est penchée sur la question des droits des Indiens non inscrits qui habitent aux États-Unis d’entrer au Canada pour exercer leurs droits autochtones dans une décision rendue le 28 décembre 2017, dans l’affaire Desautel.

Nous suivrons cet appel de près, car la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une autre législation frontalière très importante, confirme seulement le droit des Indiens inscrits d’entrer et de demeurer au Canada.

Cela divise nos membres en deux catégories, à savoir les Indiens inscrits qui ont des droits de passage frontalier prévus dans la loi et les membres non inscrits des Mohawks d’Akwesasne. Nous croyons fermement que tous nos membres ont le droit de se déplacer dans la collectivité d’Akwesasne.

Les Mohawks sont d’avis que leurs droits relatifs à la liberté de circulation sont confirmés par les traités signés avec la Couronne depuis le XVIIe siècle. En effet, les premiers traités que nous avons signés avec les puissances coloniales néerlandaises, françaises et britanniques étaient liés au commerce et à la reconnaissance de notre droit de franchir librement les frontières pour faire du commerce avec les Européens à Albany et à Montréal.

De nos jours, la relation découlant des traités est négligée. Les agents des douanes ont tendance à présumer que lorsque les Mohawks parlent de leurs droits issus de traités de traverser la frontière, ils invoquent le traité de Jay. C’est compréhensible. En effet, l’article 3 du traité de Jay énonce ce qui suit :

Il est convenu qu’il sera libre, dans tous les temps, aux sujets de Sa Majesté et aux citoyens des États-Unis, [...] de naviguer sur tous les lacs, rivières et eaux de ce pays, et d’effectuer tous les transports nécessaires au commerce et trafic, réciproquement de l’un à l’autre.

Il est important de préciser que le traité de Jay n’est pas un traité signé entre la Couronne et les peuples autochtones. Il n’accorde pas de droits de passage frontalier aux Premières Nations. Le traité de Jay confirmait les droits de passage frontalier en reconnaissance de la liberté de circulation dont profitaient les Mohawks et d’autres Premières Nations avant l’imposition de la frontière internationale. Ce point était déjà reconnu dans les traités conclus avec les puissances coloniales pour réglementer le commerce, et surtout dans les traités de la Chaîne d’alliance.

On a passé beaucoup de temps à déterminer si le traité de Jay, à titre de traité international, est exécutoire au Canada. Des membres de la collectivité ont soulevé cette question dans les années 1950 et la Cour suprême du Canada a tranché que ce n’était pas le cas, mais le traité de Jay représente toujours un principe important, à savoir que la frontière internationale entre le Canada et les États-Unis est compatible avec les droits de libre circulation des Premières Nations et avec la protection des droits et des intérêts des collectivités autochtones et non autochtones qui sont adjacentes à la frontière.

Plus récemment, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a expressément reconnu la nécessité de minimiser les effets des frontières internationales sur les peuples autochtones. En effet, l’article 36 énonce qui suit :

Les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de part et d’autre de frontières internationales, ont le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres peuples, notamment les activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux.

Pendant que nous parlons du projet de loi C-21, le Sénat est également saisi du projet de loi C-262, qui a déjà été adopté à la Chambre des communes. Ce projet de loi exigerait que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois du Canada soient conformes à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Si le projet de loi C-262 est adopté au Sénat, il fournira d’autres soutiens aux efforts visant à harmoniser l’administration de la frontière internationale avec les droits et les intérêts de notre peuple.

Le Conseil des Mohawks d’Akwesasne tente toujours de trouver des façons de minimiser les effets de la frontière sur la vie quotidienne des habitants de nos collectivités et il a remporté quelques victoires.

Par exemple, les autobus scolaires amènent plus de 600 élèves aux écoles primaires de trois districts. Les autobus scolaires qui transportent les enfants de l’autre côté du pont de l’île de Cornwall n’ont pas à se présenter aux douanes canadiennes. Ils se rendent directement à l’école.

Les véhicules d’urgence n’ont pas à s’arrêter aux douanes lorsqu’ils répondent à un appel d’urgence. Le centre d’administration de nos services d’ambulance et de police est situé dans l’un des districts du Québec. Lorsque ces unités répondent à une urgence sur l’île de Cornwall, par exemple, elles ne se présentent pas aux douanes de Cornwall.

Les cortèges funèbres n’ont pas à s’arrêter aux points d’entrée. Le Tarif des douanes prévoit également un décret de remise des droits payés ou exigibles sur les marchandises achetées aux États-Unis ou importées au Canada par les habitants d’Akwesasne, par les propriétaires ou les exploitants de magasins communautaires autorisés et par le Conseil des Mohawks d’Akwesasne ou une entité autorisée par ce conseil.

Nous sommes d’avis que le décret de remise représente un tournant dans la relation entre notre collectivité et le gouvernement du Canada.

Cela dit, les règlements liés au passage de marchandises à la frontière internationale interfèrent avec nos pratiques culturelles tel l’échange de jeux, de poissons, de médicaments, de vêtements et de vannerie.

La Loi sur les douanes contient des dispositions qui ciblent notre collectivité. En 2012, le projet de loi C-38, Loi d’exécution du budget a modifié la Loi sur les douanes pour ajouter des dispositions sur des corridors de circulation mixtes, ce qui est essentiellement un terme neutre qui désigne un pont et une autoroute qui relient Kawehnoke à la ville de Cornwall.

À notre connaissance, nous sommes la seule communauté dont les membres doivent se présenter aux douanes même lorsqu’ils ne traversent pas une frontière internationale. Nous croyons que les effets de cette loi sont discriminatoires.

Aujourd’hui, nous examinons le projet de loi C-21 et les modifications à la Loi sur les douanes qui permettraient à l’ASFC de recueillir des renseignements sur des personnes et des marchandises qui sortent du Canada. Il s’agit seulement de l’un des projets de loi qui ont modifié ou qui proposent de modifier la Loi sur les douanes au cours de la présente session du Parlement.

Certaines de ces modifications ont le potentiel d’avoir des effets importants sur notre collectivité. De récentes modifications accordent aux agents des services frontaliers des pouvoirs supplémentaires au point d’entrée de Cornwall et ces pouvoirs sont plus susceptibles d’être utilisés à l’égard des Mohawks en déplacement.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-21 autorisent l’ASFC à obtenir, auprès de sources réglementaires, des renseignements sur les personnes et les marchandises qui quittent le Canada. Cela permettra donc à l’ASFC d’obtenir des renseignements personnels sur nos membres qui ont été recueillis par des agents frontaliers américains.

Étant donné que nos membres traversent cette frontière dans les deux sens chaque jour simplement pour se déplacer entre les différents districts de notre territoire, notre principale préoccupation est liée au fait que les renseignements recueillis pourraient faussement indiquer que nos membres ont quitté le Canada pendant une longue période alors qu’en fait, ils sont seulement passés par les États-Unis pour revenir chez eux au Canada.

Le projet de loi C-21 autorisera l’ASFC à divulguer ces renseignements au ministère de l’Emploi et du Développement social pour appliquer la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Le Conseil des Mohawks d’Akwesasne a conclu un protocole d’entente avec Service Canada, qui vise expressément l’administration de la Loi sur la sécurité de la vieillesse à Akwesasne.

En terminant, je tiens à répéter que nous sommes directement touchés par la protection des frontières et le commerce transfrontières. Nous devons participer à des consultations véritables avec le gouvernement du Canada sur les effets de la Loi sur les douanes et d’autres législations frontalières, sur l’exercice de nos droits, sur l’utilisation des renseignements personnels recueillis auprès de nos membres, sur les restrictions liées aux échanges et au commerce de produits traditionnels et sur l’emplacement du point d’entrée de Cornwall.

La présidente : Merci, messieurs. Nous passons maintenant aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Messieurs, je dois vous dire que je connais très bien votre territoire et votre communauté. De fait, en 1900, il est arrivé un événement malheureux dans votre communauté; à ce moment-là, c’était les services de la Sûreté du Québec, de la Police provinciale de l’Ontario, de la GRC et les New York State Troopers qui assuraient les services de police. J’ai eu le privilège de travailler sur votre territoire pendant environ un an et demi. Je connais la problématique de la frontière sur le territoire d’Akwesasne.

Votre territoire avait été reconnu maintes fois comme un lieu privilégié pour le passage de produits illicites. Sans vouloir brimer vos habitudes, comment est-ce qu’on peut envisager de lutter contre le commerce illégal tout en renforçant la sécurité nationale?

[Traduction]

M. Benedict : Depuis 1990, c’est-à-dire il y a 27 ans, un grand nombre d’autres relations ont été établies entre notre collectivité et tous les organismes d’application de la loi au sein de notre collectivité et dans les environs.

Je ne suis même pas sûr qu’en 1990 nous avions un service de police complet et fonctionnel. Nous avons maintenant un effectif d’environ 45 policiers dans notre propre service de police, tout comme la tribu mohawk de Saint-Regis.

En général, les exigences en matière de déclarations aux douanes qui sont prévues dans la Loi sur les douanes ne s’appliqueraient probablement pas aux marchandises qui passent illégalement par la collectivité, car les gens qui traversent illégalement des marchandises à la frontière ne les déclarent habituellement pas ou ils ne les transportent pas par des moyens traditionnels.

En ce qui concerne l’application de la loi, nous avons continué d’établir des relations avec tous les organismes, y compris tous ceux que vous avez énumérés, ainsi qu’avec certains autres organismes nationaux. Nous sommes aussi préoccupés par tous les produits qui pourraient traverser notre territoire. Nous continuons de collaborer avec nos partenaires pour réduire tous les risques.

Je vous assure que pendant ces 27 ans, les relations se sont renforcées énormément, mais nous sommes également confrontés à certains défis liés à la frontière elle-même. Cela concerne surtout des lois et leur impact.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dites-nous ce qui pourrait être fait, dans le projet de loi C-21, pour rendre la sécurité aux frontières encore plus efficace. Vous l’avez mentionné, vous avez maintenant un corps policier bien organisé, et c’est très bien ainsi, Dieu merci. Qu’est-ce qui pourrait être fait pour être vraiment plus efficace?

[Traduction]

M. Benedict : En ce qui concerne le projet de loi C-21, je ne suis pas certain que les modifications proposées régleront certains des enjeux que vous avez soulignés. Je peux vous dire que nous collaborons étroitement avec plusieurs organismes nationaux qui contribuent à assurer la sécurité à la frontière.

Le projet de loi C-21 est en grande partie un projet de loi sur l’échange de renseignements. Certains des risques existants sont réduits dans d’autres régions et dans d’autres relations avec différents organismes, y compris le service de police mohawk d’Akwesasne et le service de police de la tribu mohawk de Saint-Regis.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au grand chef et à M. Roundpoint. Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue, le sénateur Dagenais.

On sait que le gouvernement libéral s’était engagé, lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2015, à ce qu’il y ait une consultation systématique pour tous les projets de loi qui auraient une incidence sur le vécu des communautés autochtones avant qu’ils ne soient déposés à la Chambre des communes ou au Sénat. Avez-vous été consultés sur le contenu de ce projet de loi?

[Traduction]

M. Benedict : À part la présentation que nous avons donnée en octobre 2017, qui était une invitation, c’est la seule consultation à laquelle nous avons participé sur l’élaboration de ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Une consultation veut dire qu’on est écouté, sinon on ne fait que transmettre de l’information. C’est la différence entre informer et consulter. Informer, c’est dire ce que le projet de loi va contenir; consulter c’est demander à celui qui reçoit l’information s’il y a des choses qui font ou ne font pas son affaire, et ce qu’on peut bonifier dans le projet de loi pour faire en sorte que le projet de loi puisse atteindre les objectifs du gouvernement et ceux de la communauté consultée.

Dans ce cadre-là, avez-vous déposé des recommandations ou des amendements souhaités au projet de loi afin qu’il soit acceptable pour votre communauté?

[Traduction]

M. Benedict : En octobre 2017, nous n’avons proposé aucune modification qui était satisfaisante pour les deux parties concernées.

Je suis d’accord avec vous lorsque vous dites que les consultations impliquent beaucoup plus que la transmission de renseignements à sens unique ou l’échange de renseignements. Je crois qu’il s’agit d’un effort de collaboration. À part la présentation d’aujourd’hui et celle donnée en octobre 2017, on ne nous a pas consultés sur ce sujet.

La solution aux effets de l’échange de renseignements sur notre collectivité n’est pas simple. En effet, les deux tiers de notre collectivité sont enclavés par les États-Unis, et aucun contrôle n’est effectué au passage de cette frontière. En théorie, une personne peut aller aux États-Unis pendant 10 minutes et revenir dans la partie de la collectivité qui est située au Canada sans être contrôlée à la frontière. Si ce système était mis en œuvre, en théorie, cette personne pourrait être absente pendant des jours, des semaines ou des années.

La solution n’est pas simple. C’est une situation unique. Je ne crois pas que nous devrions être complètement responsables de trouver une solution, car nous n’avons pas élaboré le projet de loi et ses dispositions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Entre 2017 et 2018, vous avez été informé du projet de loi. Qu’avez-vous fait concrètement pour influencer le gouvernement, soit de ne pas aller de l’avant avec le projet de loi ou de le modifier en fonction des attentes de votre communauté?

[Traduction]

M. Benedict : En ce qui concerne le projet de loi C-21, nous avons seulement parlé des conséquences avec des députés fédéraux.

Depuis 2017, nous avons probablement organisé quatre ou cinq colloques et visites dans notre collectivité auxquels plusieurs députés, adjoints du ministre et sous-ministres ont participé.

Je parle des conséquences liées à la frontière. Nous avons décrit les effets de la frontière sur notre collectivité. Ils n’étaient pas expressément liés au projet de loi C-21, mais dès que vous arrivez dans la collectivité, sur le terrain, vous pouvez constater que le projet de loi C-21 a des conséquences importantes sur notre collectivité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En dehors du problème que vous avez mentionné, à savoir si un citoyen de votre communauté traverse les États-Unis, on ne pourra pas déterminer la longueur de son séjour et on pourra même présumer que cela a été plus long que la réalité. Y a-t-il d’autres types de problèmes que le projet de loi crée à l’égard de vos citoyens?

[Traduction]

M. Benedict : Non, pas pour le moment, mais les dispositions relatives aux renseignements sur la durée du séjour aux États-Unis sont un facteur immense pour nous. Akwesasne est la deuxième Première Nation en importance au Canada. C’est la seule collectivité qui subit les effets au quotidien, à cœur de jour, tous les jours, de la présence d’une frontière internationale sur son territoire.

Quand on commencera à recueillir ces renseignements, ce ne sera pas qu’une ou deux personnes qui seront affectées. Ce seront des centaines, voire des milliers de personnes, à cause du nombre de personnes que nous avons à proximité de la frontière.

Je comprends que certains des renseignements recueillis serviront à d’autres programmes fédéraux. Nous avons des gens dont l’assurance-emploi sera touchée. Il y aura également la Sécurité de la vieillesse, et peut-être aussi l’Allocation canadienne pour enfants.

Ce sont tous des programmes fédéraux. Malheureusement, de très nombreux aînés sont sans emploi ou bénéficient de l’assurance-emploi. Bien des gens seront touchés par cette collecte de renseignements.

Est-ce que d’autres dispositions de la loi nous préoccupent? C’est particulièrement la question du moment de la collecte de renseignements et de la façon dont les renseignements sont mis en correspondance. Il n’y a aucune façon de faire cette mise en correspondance dans notre collectivité, à moins que les gens franchissent le poste de Cornwall, mais les deux tiers de notre collectivité n’ont aucun poste à franchir.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si le projet de loi est adopté, sans qu’il y ait davantage de consultations auprès de votre communauté, comptez-vous contester ce texte de loi? Une fois qu’il sera adopté, il aura force de loi. Avez-vous l’intention de contester l’application de cette loi sur votre territoire devant les tribunaux?

[Traduction]

M. Benedict : Dans n’importe quel cas de ce genre, nous essayons manifestement d’éviter les tribunaux. Nous avons une bonne relation de travail avec le gouvernement du Canada à divers niveaux. Notre collectivité cherche toujours à trouver des solutions actives et novatrices, mais s’il le faut, nous pourrions le faire.

Si nous avons un protocole d’entente avec Service Canada, c’est parce que nous avons abouti en cour avec eux. C’est un protocole d’entente négocié touchant précisément les endroits où les gens vivent, depuis combien de temps, pour les besoins des prestations relevant de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On part du principe qu’une partie du projet de loi ne vous satisfait pas du tout, entre autres le contrôle de la transition des gens entre les territoires canadien et américain. Vous n’avez pas l’intention de contester cette loi devant un tribunal quelconque. Comptez-vous déposer une proposition de modification au projet de loi pour faire en sorte que ce volet, la transition des personnes entre les deux pays, soit pris en compte?

[Traduction]

M. Benedict : Nous serions heureux de nous asseoir avec des députés ou sénateurs pour trouver une solution qui pourrait atténuer les difficultés que le projet de loi va créer.

Je n’ai malheureusement pas de solution à proposer. Je ne suis pas l’auteur du projet de loi, et je ne fais pas partie de Sécurité publique Canada ou de l’ASFC. Ces gens ont les capacités et les ressources nécessaires pour trouver des moyens. Je n’ai pas de solution. L’une des choses dont nous avons parlé est peut-être d’exempter les gens d’une région géographique. Le problème, cependant, c’est que nous avons l’Ontario, le Québec et New York. Nous ne pouvons pas procéder en utilisant le code postal, parce que les gens franchissent la frontière et que leur code postal n’est pas nécessairement toujours le même.

Est-ce que je pourrais dire que ce serait les Mohawks d’Akwesasne relevant de la Loi sur les Indiens du Canada? Comme je l’ai dit tout à l’heure dans mon exposé, les Mohawks d’Akwesasne ne sont pas tous inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, ils ne seraient pas admissibles à une certaine exemption. Il n’est pas simple, comme solution, de dire que tous les gens d’Akwesasne sont exemptés, car nous ne saurions pas comment les identifier. La définition d’un Mohawk d’Akwesasne pour le gouvernement du Canada est totalement différente de celle qu’en donnent les gens d’Akwesasne.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’après ce que je comprends, la solution la plus facile pour vous serait que la loi ne s’applique pas à votre territoire.

[Traduction]

M. Benedict : C’est possible, mais il s’agit encore de déterminer comment identifier le secteur. Est-ce géographiquement? Est-ce par code postal? Est-ce au moyen du Registre des Indiens? Ce sont aussi des solutions imparfaites.

La présidente : J’aimerais poser une question complémentaire à celle du sénateur Boisvenu. Je connais très bien votre collectivité. J’y suis allée souvent.

Je veux d’abord souligner le travail de votre service de police. Je l’ai vu devenir progressivement ce qu’il est maintenant, et Dooley en serait très fier.

À la mise en œuvre du projet de loi C-21, est-ce que le comité pourrait faire des observations voulant que cette discussion soit nécessaire? Si j’ai bien compris ce que vous avez dit dans votre exposé, vous êtes très favorable à des mesures de sécurité accrues pour votre collectivité, pour le Canada et pour les États-Unis. La deuxième partie consiste à essayer de garantir la mobilité au sein de votre collectivité, d’un côté à l’autre.

Il serait question, à la mise en œuvre du projet de loi C-21, de réunir l’ASFC et d’autres intervenants du gouvernement avec les Mohawks d’Akwesasne pour garantir que la mise en œuvre est bien comprise. Toutes les solutions novatrices proposées, compte tenu de la situation géographique unique, seraient utiles.

M. Benedict : Nous sommes ouverts à cela, mais il faut que ce soit avec des gens qui peuvent changer les choses. Je vais vous dire pourquoi.

Nous connaissons très bien l’ASFC. Ils font presque partie de notre collectivité. Ils ne font qu’appliquer la loi. Cela signifie qu’ils l’interprètent et qu’ils la présentent. Ils ne peuvent déroger à la loi. Une fois que le projet de loi est adopté, ils ne peuvent malheureusement pas faire grand-chose, en dehors de ce que la loi dit.

Ce serait donc le ministre de la Sécurité publique, des députés ou des membres de ce comité qui seraient en mesure de faire cela. Le plan de mise en œuvre doit être établi avec les personnes compétentes.

Les effets de cela dépasseront de loin le simple suivi de données. Les familles et les aînés seront nombreux à être touchés par cela. La portée sera très vaste, et beaucoup de personnes seront touchées au quotidien.

C’est fait au moyen d’un système. Vous recueillez les renseignements sur la personne qui part et vous faites la comparaison à son retour. Pour les deux tiers de ma collectivité, il pourrait s’agir de mois ou d’années entre les deux. Il n’y a aucun moyen de mettre cela en correspondance. Quand ces renseignements seront transmis à d’autres agences du gouvernement du Canada, ils ne correspondront pas. Cela signifie qu’un monteur de charpentes métalliques, un travailleur de la construction ou un travailleur saisonnier pourrait être coupé, comme pourrait l’être aussi un aîné qui s’adonne à ne pas repasser par les douanes. Les effets seront énormes.

Le sénateur Richards : Qu’est-ce qu’on faisait avant pour cela? Je suis du Nouveau-Brunswick. Si j’allais à Calais, dans le Maine, il faudrait que je passe par les douanes à l’aller, ainsi qu’au retour.

Sur votre territoire, j’imagine que le traitement a été différent pour vous que pour moi, quand je vais au Maine et quand j’en reviens. Est-ce que cela pourrait faire partie de la solution?

M. Benedict : Les deux tiers de la collectivité sont enclavés aux États-Unis. Quand vous y retournez, on reconnaît que notre peuple peut franchir la frontière. Il n’est pas pratique de devoir passer par un poste pour y faire une déclaration, car en théorie, les gens ne vont nulle part. En fait, un système de ce genre serait un échec lamentable.

Nous nous préoccupons aussi des gens qui entrent au pays et qui en sortent. Nous nous préoccupons aussi de la sécurité de notre collectivité. Nous nous préoccupons aussi de l’échange de renseignements et de la valeur que cela apporte. Si nous instaurons un système dans notre collectivité, cela ne fonctionnera pas. Ce sera un désastre.

Les renseignements qui seront transmis auront des incidences financières sur le gouvernement ultérieurement. Si des gens de l’extérieur du pays reçoivent des prestations auxquelles ils n’ont pas droit, il y a probablement une valeur en dollars à cela. Nous sommes une très grosse collectivité, mais tout bien considéré, les quelques dollars épargnés dans notre secteur ne seront rien par rapport aux maux de tête que cela causera.

Le sénateur Richards : Vous êtes bien plus libre de circuler dans votre secteur que moi, si je veux passer du Nouveau-Brunswick au Maine, ou l’inverse. C’est ce que j’essaie de dire.

Est-ce que des concessions sont possibles? Dites-vous qu’il n’y a aucune concession possible avec le projet de loi?

M. Benedict : La seule façon serait d’avoir un moyen de suivre les personnes quand elles reviennent, mais il n’y en a pas.

Sur le plan matériel, le gouvernement du Canada n’a pas de territoire là-bas. Le gouvernement des États-Unis non plus. Et notre collectivité n’est pas intéressée non plus à voir les douanes s’y installer.

En fait, à Cornwall, ce sont à 70 p. 100 des Mohawks qui franchissent la frontière. S’il devait y avoir un poste-frontière là, ce serait à 98 p. 100 des Mohawks.

Le sénateur McIntyre : En juin dernier, le projet de loi C-21 a été adopté à l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes, avec une modification apportée pendant son étude par le Comité permanent de la Chambre des communes sur la sécurité publique et la sécurité nationale.

Comme l’a indiqué la sénatrice Boniface au sujet de la mise en œuvre du projet de loi, vos observations seraient bienvenues. Je suis sûr qu’il serait utile de les ajouter au projet de loi.

La présidente : Grand chef Benedict, chef Roundpoint, c’est tout pour nos questions. Je vous remercie beaucoup d’être venus aujourd’hui et surtout de nous avoir souligné les enjeux très particuliers à votre collectivité. Nous vous savons gré d’avoir fait l’effort de venir.

M. Benedict : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, de nous avoir donné l’occasion de vous parler.

Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de vous offrir de bonnes solutions, car c’est vraiment un problème systémique que nous aurons. Nous ne sommes pas les auteurs de ce projet de loi. Nous ne sommes pas non plus ceux qui ont tracé la frontière internationale qui divise notre collectivité deux fois, entre deux provinces et un État, et entre deux pays.

Vous êtes tous bienvenus en tout temps dans notre collectivité, que ce soit individuellement ou en comité, pour venir voir les incidences de la frontière sur notre collectivité autochtone, la deuxième en importance au Canada en plus d’être le seul endroit où 70 p. 100 des gens qui franchissent la frontière internationale sont des Mohawks.

La présidente : Mesdames et messieurs, pour la suite de notre réunion, nous allons entendre, par vidéoconférence, Rey Koslowski, directeur du programme de maîtrise en affaires internationales au Rockefeller College of Public Affairs and Policy, Université d’Albany.

Rey Koslowski, directeur du programme de maîtrise en affaires internationales, Rockefeller College of Public Affairs and Policy, Université d’Albany, à titre personnel : Madame la présidente, honorables sénateurs, merci de m’avoir invité à témoigner devant votre comité. C’est pour moi un grand honneur. Je regrette de ne pas pouvoir être là en personne.

Je suis un fils de réfugiés, et j’enseigne les relations internationales à l’Université d’Albany. Je fais de la recherche et j’écris sur la migration internationale depuis près de 30 ans.

J’imagine que j’ai été invité parce que votre personnel a trouvé quelques-unes de mes publications, notamment Real Challenges for Virtual Borders: the Implementation of US-VISIT, ainsi que peut-être Smart Borders, Virtual Borders or No Borders: Homeland Security Choices for the United States and Canada, deux ouvrages qui ont été publiés en 2005.

En plus de mes recherches sur le terrain aux points d’entrée situés au sud de San Diego et à Detroit, j’ai fait une recherche dans le cadre de laquelle j’ai visité des postes frontaliers et réalisé des entrevues avec des agents de sécurité à la frontière, au Canada, au cours de l’été 2005. J’ai traversé le pays et visité des points d’entrée, de St. Stephen au Nouveau-Brunswick à Surrey en Colombie-Britannique. En 2006, j’ai réalisé des recherches semblables dans huit États membres de l’Union européenne, à Singapour, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Je dois admettre pour commencer que le but de mes recherches a beaucoup changé au cours de la dernière décennie. Même si j’ai entrepris, il y a quelques années, de me pencher de plus près sur les dispositions de l’accord Par-delà la frontière visant le partage des données sur les entrées et sorties, je n’ai pas suivi tous les derniers développements liés à la mise en œuvre du système d’entrée-sortie et aux dispositions connexes de l’accord Par-delà la frontière.

J’ai bien réfléchi à la façon dont ma déclaration liminaire pourrait vous être le plus utile. Après avoir lu le projet de loi C-21 et regardé les réunions antérieures de votre comité, je peux vous donner un peu de contexte pour motiver ce projet de loi et vous faire part de conséquences possibles qui n’ont peut-être pas été pleinement envisagées.

Je vais premièrement parler des raisons pour lesquelles n’importe quel pays voudrait se doter d’un système d’information sur les entrées et les sorties, et je vais traiter plus précisément du système américain.

Deuxièmement, je vais vous expliquer comment le partage des données d’entrée du Canada avec les États-Unis résout un problème majeur de mise en œuvre du système américain.

Troisièmement, je vais vous expliquer comment l’adoption du projet de loi C-21 et la création d’un système canadien d’information sur les entrées et les sorties peuvent contribuer aux efforts déployés à l’échelle mondiale pour mieux assurer la sécurité des déplacements internationaux.

Pour commencer, un système automatisé d’entrée-sortie peut être un outil très puissant pour l’identification des voyageurs et des migrants temporaires qui ont prolongé leur séjour au-delà de la date permise par leur visa, comme le démontre clairement l’expérience de l’Australie. Les agents frontaliers australiens recueillent des données d’entrée-sortie depuis 1981. Grâce aux améliorations apportées à la collecte de données, notamment les lecteurs de passeports automatisés à l’entrée et à la sortie, les inspecteurs australiens inscrivent électroniquement toutes les personnes qui entrent en Australie. Les inspecteurs saisissent de la même façon les données du passeport de toute personne qui part. Le système associe les dossiers de sortie avec les dossiers d’entrée correspondants.

Quand j’étais en Australie en 2006, les autorités de l’immigration ont déterminé qu’au cours de l’année précédente, 47 500 personnes avaient prolongé leur séjour au-delà de la date permise par leur visa, et que le groupe le plus important, 4 940 de ces personnes, était celui des Américains.

On dit que le système d’entrée-sortie des États-Unis a été adopté comme mesure de sécurité dans le sillage des attaques du 11 septembre 2001, mais en réalité, c’est dans des mesures législatives remontant à 1996 qu’il a été prévu pour la première fois. L’Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act, une loi portant sur la réforme de l’immigration illégale et sur la responsabilité des immigrants, exigeait la création d’un système automatisé de contrôle des entrées et des sorties qui :

[...] servirait à créer un dossier pour chaque étranger quittant les États-Unis et à faire correspondre le dossier de départ avec le dossier de l’arrivée de l’étranger aux États-Unis.

Le Congrès a inclus cette disposition dans une grande mesure parce que les agents d’immigration ayant comparu devant le Congrès ne pouvaient pas dire le nombre de personnes entrées légalement aux États-Unis, mais ayant prolongé leur séjour au-delà de la date permise par leur visa. À ce moment-là, on avait estimé qu’il y avait 6 millions de migrants non autorisés aux États-Unis et que 30 à 40 p. 100 avaient prolongé leur séjour au-delà de la date permise par leur visa.

Le nouveau système d’entrée-sortie devait être prêt et en vigueur pour la fin de 1998. Le Congrès a repoussé l’échéance de la mise en œuvre de cette loi en octobre 1998, après le lobbying de groupes d’entreprises américaines, d’États et de localités situées en bordure du Canada et du Mexique. La Data Management Improvement Act de 2000, une loi sur l’amélioration de la gestion des données, est venue modifier la loi sur l’immigration de 1996 et imposer le développement d’un système d’entrée-sortie à tous les points d’entrée pour la fin de 2005.

Après les attaques du 11 septembre 2001, on a adopté l’Enhanced Border Security and Visa Entry Reform Act de 2002, une loi sur des mesures de réforme concernant le renforcement de la sécurité frontalière et les visas d’entrées, laquelle loi exigeait l’installation d’équipement permettant la collecte de données biométriques. Puis, l’Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act de 2004, visant la réforme du renseignement et la prévention du terrorisme, a exigé l’accélération de la mise en œuvre complète du système et de la collecte de données biométriques à la sortie pour toutes les personnes tenues de fournir des données biométriques à l’entrée. Il y a 14 ans de cela, et cette loi n’a toujours pas été mise en œuvre, essentiellement par manque de données de sortie.

Il a été relativement facile de mettre en œuvre un système d’entrée-sortie en Australie, car contrairement aux États-Unis et au Canada, l’Australie n’a aucune frontière terrestre.

Pour faire la collecte de données de sortie, il faut des contrôles de sortie existants, une infrastructure de contrôle à la frontière, des guérites, des voies et du personnel pour tout faire fonctionner. Les données d’entrée du Canada ont permis au Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis de faire correspondre ces données de sortie aux dossiers d’entrée. Cela permet au gouvernement américain de faire un pas de plus vers le respect des lois adoptées par le Congrès en 2000 et en 2004. Étant donné que cela se fait sans qu’il soit nécessaire de payer des milliards de dollars pour des contrôles de sortie comparables aux contrôles d’entrée, en tant que contribuable américain, je vous remercie.

En ce qui concerne la question de la coopération internationale, le Canada, les États-Unis, l’Australie et les pays membres de l’Union européenne mènent les efforts de coopération internationale afin de veiller à la sécurité des déplacements internationaux tout en maintenant le flux de voyageurs. Dans les années 1980, le Canada, les États-Unis et l’Australie ont été les premiers à adopter des documents de voyage lisibles par machine, c’est-à-dire des passeports comportant des champs lisibles par machine. Les trois pays ont ensuite installé à leurs points d’entrée des lecteurs pouvant servir à la lecture de ces passeports.

Vingt ans plus tard, les États membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, ont accepté de délivrer des documents lisibles par machine comportant des données biométriques sur des puces d’identification par radiofréquence, ou puces IRF. Plus récemment, en réponse au nombre croissant d’Européens, de Nord-Américains et d’autres étrangers se rendant en Syrie pour participer à la guerre civile, le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté unanimement, en septembre 2014, pour l’adoption de la Résolution 2178 qui, entre autres, réaffirme que tous les États membres doivent empêcher la circulation de terroristes grâce à des contrôles efficaces aux frontières et à l’amélioration de la sécurité des documents de voyage; encourage les États membres à mettre en place des procédures de contrôle des voyageurs et d’évaluation des risques reposant sur des observations factuelles telles que la collecte et l’analyse de données relatives aux voyages; et invite les États membres à exiger des compagnies aériennes qu’elles communiquent à l’avance des informations sur les passagers.

Comme le ministre Goodale l’a souligné dans son témoignage du 5 novembre, grâce au projet de loi C-21, le gouvernement du Canada augmentera sa capacité « à empêcher les Canadiens radicalisés de voyager à l’étranger pour intégrer des groupes terroristes ».

Dans deux semaines, l’Assemblée générale des Nations Unies est censée adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui comporte des engagements relatifs au précontrôle des personnes qui arrivent, aux rapports préalables devant être produits par les transporteurs de passagers, à l’inscription des citoyens et à la transmission des données biométriques.

Durant la période précédent les élections de mi-mandat, le président Trump a soulevé la politique symbolique de l’immigration et a décidé de retirer les États-Unis du Pacte mondial pour les migrations, ce qui a amené la Hongrie, l’Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, Israël et l’Australie à faire de même. Ironiquement, ce geste peut nuire aux efforts internationaux en vue d’améliorer les voyages internationaux sécurisés. Cela donne aussi l’occasion au Canada de jouer un rôle de chef de file dans le système des voyages internationaux.

Sur ce, je vais terminer ma déclaration liminaire. S’il y a des questions auxquelles je ne peux pas répondre, je me ferai un plaisir de faire des recherches supplémentaires et de vous fournir les renseignements à une date ultérieure.

La présidente : Nous allons commencer les questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au Sénat, et merci de votre témoignage. D’abord, selon vos connaissances, ce projet de loi va augmenter la quantité d’informations transmises aux Américains sur les voyageurs canadiens. À votre avis, quel usage font les Américains de toute cette information qui leur est envoyée?

[Traduction]

M. Koslowski : D’après ce que je comprends, cette mesure législative porte sur les renseignements sur les entrées que les États-Unis colligent et qui seront envoyés aux représentants canadiens. Je ne pense pas que cela a autant d’importance que ce qui a déjà été fait, soit la communication des données sur les entrées par le Canada aux États-Unis.

Il peut y avoir des renseignements additionnels au fil du temps selon lesquels les déclarations de voyage sont utilisées par d’autres organismes. Essentiellement, d’après ce que je comprends, cela permet aux deux pays de faire correspondre les sorties avec les données sur les entrées.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On sait que la législation sur la protection des renseignements personnels aux États-Unis est très différente de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada.

Entre autres, on peut penser aux informations contenues dans les téléphones cellulaires. Aujourd’hui, les appareils cellulaires sont pratiquement des ordinateurs portables dans lesquels on retrouve beaucoup d’informations personnelles. Compte tenu du fait que la loi américaine sur la protection des renseignements personnels diverge de la loi canadienne et que les deux pays s’engagent à échanger des informations sur les voyageurs de part et d’autre, ne risque-t-il pas d’y avoir plus de contestations judiciaires de la part des Canadiens, étant donné qu’ils sont mieux protégés par la loi canadienne que la loi américaine?

[Traduction]

M. Koslowski : Eh bien, je ne sais vraiment pas comment les tribunaux canadiens se prononceraient sur certaines de ces questions. Je suis désolé, mais je n’ai pas les connaissances nécessaires pour répondre à cette question.

Je peux dire que c’est le cas avec ou sans le projet de loi C-21, mais pour quiconque entre aux États-Unis, les autorités frontalières ont les outils électroniques voulus pour fouiller dans les appareils que les gens peuvent emporter dans leur valise, notamment. Je pense que c’est ce à quoi vous faites référence.

En ce qui concerne les téléphones intelligents, comme vous l’avez mentionné, ce sont comme de petits ordinateurs. Bien franchement, le plus important, c’est la mesure dans laquelle Apple collige des renseignements sur le iPhone, la localisation du iPhone, la collecte par Google et Facebook de quantités phénoménales de renseignements, et la vente de données personnelles.

C’est probablement la plus grande menace à la vie privée. Nous devons garder à l’esprit que les autorités de la communauté du renseignement ont souvent des budgets pour acheter ces données personnelles. Puisque le gouvernement ne collige pas ces données et n’a pas le pouvoir légal de le faire, souvent, le secteur privé recueille ces données et les gouvernements les achètent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ces informations personnelles pourraient-elles se rendre jusqu’au Director of National Intelligence?

[Traduction]

M. Koslowski : Lorsque vous parlez de renseignements, faites-vous allusion aux renseignements qui seraient colligés par l’entremise du projet de loi?

Le sénateur Boisvenu : Oui, le type de renseignements que le Canada fournirait à l’organisme des États-Unis. Est-ce que ce type de renseignements pourrait s’appliquer au Director of National Intelligence ?

M. Koslowski : Tout dossier d’entrées et de sorties établirait si une personne était aux États-Unis, par exemple. Ces renseignements sont aussi communiqués par le Canada avec les États-Unis maintenant. En ce qui concerne les personnes qui quittent le pays, ces renseignements permettraient de connaître la durée du séjour et si la personne est encore au pays.

Si la communauté du renseignement ou le FBI a une raison de vouloir savoir si une personne est encore aux États-Unis, ces données seraient utilisées.

Nous devons nous rappeler que la raison pour laquelle un système de données sur les entrées et les sorties a été mis en œuvre après les attentats du 11 septembre était en partie attribuable au fait que les auteurs des attentats avaient prolongé leur séjour au-delà de la date permise par leur visa. Très peu de renseignements ont été communiqués à propos d’un grand nombre de pirates de l’air qui auraient pu être utilisés pour mieux comprendre et peut-être interrompre leurs déplacements.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’après vous, existe-t-il ailleurs dans le monde deux pays qui ont une si grande proximité en termes d’échange d’informations comme le Canada et les États-Unis? Une fois que ce projet de loi sera adopté, il y aura une grande proximité entre les deux pays. Existe-t-il dans le monde un modèle de pays entre lesquels il y a un échange aussi intensif d’informations sur les individus?

[Traduction]

M. Koslowski : Les États membres de l’Union européenne échangent beaucoup de données et des renseignements à la frontière. Pour ce qui est du niveau global d’échanges de données, il est très élevé entre les États-Unis et le Canada, y compris les données sur l’application des lois.

Dans le cadre des discussions précédentes sur l’utilisation et l’échange de données, d’après ce que je comprends, les autorités canadiennes d’application de la loi ont accès aux bases de données fédérales américaines qui renferment les casiers judiciaires du NCIC, par exemple. Il y a un vaste échange de données.

J’ai un point que je veux soulever sur les entrées et les sorties pour comparer mon expérience lorsque je traverse la frontière entre les États-Unis et le Canada et celle lorsque j’ai traversé la frontière entre l’Allemagne et la Pologne en 2006. C’était avant que la Pologne fasse partie de la Convention de Schengen. Lorsque j’ai traversé la frontière entre l’Allemagne et la Pologne, j’ai remis mon passeport à l’inspecteur allemand. Il a saisi les données de mon passeport dans son système. L’inspecteur polonais était juste à côté de lui, il lui a remis le passeport pour qu’il enregistre l’entrée. C’est ainsi que j’ai quitté l’Allemagne pour aller en Pologne. L’inspecteur polonais m’a ensuite redonné mon passeport.

C’était à l’époque un effort pour essayer d’utiliser et de partager les infrastructures de sécurité frontalière au Canada et de mener des inspections au Canada au pont qui relie Buffalo et Fort Erie. Cet effort n’a servi à rien car il n’y a pas eu d’entente.

C’était au début à propos des armes à feu, puis une question de savoir si les citoyens canadiens pouvaient faire demi-tour. Bien franchement, on aurait pu croire possible cette relation entre les États-Unis et le Canada, compte tenu des relations pacifiques de longue date à cette frontière, comparativement à ce qui s’est passé entre l’Allemagne et la Pologne. Il m’est venu à l’esprit que les grands-parents des deux inspecteurs se sont peut-être affrontés durant la Seconde Guerre mondiale; or, ces inspecteurs coopéraient.

Il y a des pays qui coopèrent énormément et qui pourraient servir de modèles pour les États-Unis et le Canada en ce qui concerne leur coopération à la frontière.

Le sénateur McIntyre : Ma première question est complémentaire à celle soulevée par le sénateur Boisvenu.

Y a-t-il des limites sur la portée de l’échange de renseignements sur les entrées et les sorties par le Service des douanes et de la protection des frontières au sein du gouvernement des États-Unis? Ces données seraient-elles communiquées à l’IRS, par exemple? Quelles sont les restrictions relatives à la protection de la vie privée en vertu de la loi américaine?

M. Koslowski : Permettez-moi de vous expliquer la situation ainsi. Il serait probablement important que vous preniez ma réponse avec un grain de sel car je ne connais pas les détails concernant la loi relative à la protection de la vie privée.

Par exemple, l’échange de données avec l’IRS est vaste en ce qui concerne les données sur le commerce car les importateurs et les diverses entreprises déclarent des biens et leurs reçus, etc. Une chose s’est produite. Les douanes n’ont pas échangé des données avec l’IRS, en partie parce que cela réduirait probablement le type d’échange de renseignements avec la communauté commerciale. Je sais que ce n’est pas courant. Si une poursuite judiciaire était intentée pour obliger la communication de ces données, etc., ce serait une autre question sur laquelle je ne peux pas me pencher.

Là encore, en ce qui concerne les données sur les entrées et les sorties des gens qui traversent la frontière, la majeure partie de ces renseignements ne seraient pas communiqués à moins qu’il y ait une raison en lien avec l’application de la loi ou la lutte contre le terrorisme.

Je répète que je ne suis pas certain des procédures pour ce type d’échange de renseignements entre organismes, pour être honnête. C’est peut-être un sujet sur lequel vous devriez vous pencher et pour lequel on devrait utiliser les mécanismes de coopération canado-américaine dans le cadre de l’accord Par-delà la frontière. Je suis certain que les fonctionnaires qui travaillent dans ce secteur pourraient vous donner une réponse beaucoup plus satisfaisante.

Le sénateur McIntyre : Il y a environ sept ans, le Canada et les États-Unis ont publié un plan d’action pour établir un partenariat entre eux. Le plan d’action établit des priorités conjointes pour les deux pays et a été créé à partir de l’approche axée sur la protection du périmètre pour assurer la sécurité et la compétitivité économique.

Étant donné que le plan d’action n’était pas un traité international, il n’a créé aucun droit et aucune obligation. J’aimerais connaître votre opinion là-dessus, s’il vous plaît.

M. Koslowski : Premièrement, nous devons faire attention avec l’approche axée sur la sécurité du périmètre, comme vous le dites. C’est l’un des points que je critique à propos de l’élaboration de l’accord et de son titre. Souvent, nous parlons du périmètre nord-américain. Parfois, il y a l’idée selon laquelle les actions pourraient donner lieu à une situation semblable à celle qui est survenue en Europe avec la Convention de Schengen, et les contrôles frontaliers entre le Canada et les États-Unis pourraient être levés. Je ne crois pas que ce soit un scénario probable.

Si ce n’est pas le cas et si les données sur les sorties sont colligées, il est important que les États-Unis augmentent les investissements dans les infrastructures frontalières. Il en va de même pour l’application des lois commerciales. La coopération entre les États-Unis et le Canada est essentiellement un moyen d’éviter tous les coûts associés à l’investissement dans ce type d’infrastructures frontalières.

En ce qui concerne la nature de ces ententes, elles sont visées par le cadre que nous, dans notre jargon, appelons les relations transgouvernementales entre les organismes de deux pays ou plus, dans ce cas-ci l’ASFC et le département de la Sécurité intérieure, par opposition aux relations entre des ministères des Affaires étrangères. Comme vous l’avez mentionné, ce n’est pas un traité international.

En ce qui concerne les conséquences pour les droits de la personne en vertu de ce cadre, tous ces droits doivent être énoncés dans la loi de mise en œuvre, et c’est l’étape où vous êtes rendus en ce moment.

La sénatrice Griffin : Pensez-vous que l’utilisation de données biométriques sera monnaie courante à l’avenir, surtout en ce qui concerne les postes frontaliers?

M. Koslowski : Oui. Dans mon article, si cela vous intéresse, j’ai notamment fait valoir qu’il est probable que l’on voie la mise en œuvre d’un système d’information sur les entrées et les sorties, anciennement appelé le programme US-VISIT, principalement en raison des difficultés politiques qui découlent de la collecte de données sur les sorties et de données biométriques aux frontières terrestres américaines, de même qu’aux aéroports.

Grâce à la technologie, il est beaucoup plus facile de recueillir des données biométriques, et je pense que la société est une partie du problème. Je ne suis pas du tout à l’aise avec l’idée que les jeunes donnent leurs données biométriques à leur lieu de travail. Ils ont un accès biométrique à leur iPhone et à leur ordinateur portatif. Ils ne pensent pas comme moi en ce qui concerne la sécurité des données biométriques. On accepte de plus en plus les données biométriques pour des raisons de commodité.

Nous voyons cette situation plus clairement en Australie, où des efforts sont déployés pour utiliser la reconnaissance faciale pour que les voyageurs n’aient à interagir avec personne. Ils pourraient s’enregistrer pour leur vol et se rendre aux contrôles frontaliers où l’on procéderait à une reconnaissance faciale. C’est la nouvelle réalité, pour ainsi dire, de la reconnaissance faciale et de son utilisation dans le secteur de la sécurité frontalière.

La sénatrice Griffin : C’est très intéressant. Je ne suis pas à l’aise avec cette idée non plus.

Ma deuxième question porte sur les documents de voyage lisibles à la machine. Avez-vous dit que cela pourrait empêcher des radicaux d’aller à l’étranger pour rejoindre des forces amies?

M. Koslowski : Oui, ce n’est que la collecte de données sur les sorties. Je vais utiliser les États-Unis comme exemple. Si je ne m’abuse, il y a quelques années, un rapport a révélé qu’il y a aux alentours de 400 combattants étrangers provenant des États-Unis. Souvent, ils sont allés en vacances en Turquie et ne sont jamais revenus car ils sont plutôt allés en Syrie.

C’est la capacité de surveiller ces sorties et de savoir si les gens ont quitté le pays et s’ils sont revenus de leur voyage, et cetera, qui permet à la communauté du renseignement de suivre les déplacements des terroristes potentiels et de lutter contre le terrorisme.

Il est très important de garder à l’esprit qu’avec le passeport lisible à la machine, il faut une zone de lecture automatique. L’idée a été lancée à la fin des années 1970 lorsque nous avions des avions géants où 500 personnes atterrissaient en même temps et nous avions du mal à gérer ce volume aux points d’entrée. Un passeport lisible à la machine était principalement conçu pour faciliter les déplacements aux points d’entrée afin de traiter l’arrivée de nombreux voyageurs.

C’est un projet pour lequel les États-Unis, le Canada et l’Australie ont été des pionniers, puis les États membres de l’OACI sont allés plus loin.

La puce biométrique est devenue la norme en 2014. Essentiellement, l’image biométrique est placée sur la puce, si bien que les inspecteurs comparent les données biographiques et la photographie numérique sur la puce avec celles sur le passeport. Cela réduit la possibilité de fraudes relatives aux passeports, lorsque la substitution de photos était l’un des problèmes.

Dans la mesure où ces passeports sont plus sécuritaires, ils empêchent les terroristes de voyager à l’étranger.

La sénatrice McPhedran : Lorsque le ministre Goodale était devant nous, il a beaucoup insisté sur le fait que les données sur les sorties doivent être recueillis à la page 2 du passeport canadien. Il nous a également assuré qu’aucune autre donnée que ces renseignements ne serait colligée, ce qui semble très simple et inoffensif.

Cependant, des témoins ont fait savoir que l’échange parmi ou entre des organismes de ces données à la page 2 peut devenir très révélateur. On se préoccupe à plusieurs égards d’efforts pour s’emparer subrepticement de renseignements, et on sait le type de coopération dans les interactions quotidiennes qui peut être utile pour remplir les fonctions des différents organismes.

Ma question porte sur l’idée, qui n’est pas dans le projet de loi pour l’instant, d’obliger l’agence des services frontaliers à présenter un rapport annuel au Parlement sur la mise en œuvre et l’efficacité de cette mesure législative.

De plus, puisque de nombreuses mesures ne figurent pas dans le projet de loi et qu’elles seront réglées dans le cadre de règlements qui seront pris par ce que nous appelons le gouverneur en conseil, des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée doivent s’appliquer aux règlements pour veiller à ce que notre agent du Parlement, notre commissaire à la protection de la vie privée, participe au processus.

Ce sont deux amendements possibles qui sont proposés. Ce sont des mesures de protection, en quelque sorte. Je me demande si vous pouvez les commenter.

M. Koslowski : Je suis réticent à me prononcer sur ce que le Parlement canadien et les décideurs dans d’autres pays que le mien devraient faire ou pas.

Cependant, en tant que chercheur, j’aimerais qu’il y ait un rapport annuel. Il serait très utile d’avoir ces renseignements pour les étudier car il est souvent difficile pour nous de savoir ce qui se passe.

Nous devons nous rappeler que des rapports sur la mise en œuvre du programme US-VISIT étaient prévus. L’administration Bush et l’administration Obama ne sont tout simplement pas allés de l’avant avec ces rapports, puisqu’ils avaient peu de comptes à rendre sur la mise en œuvre. Si vous vous engagez dans cette voie, espérons que vos administrations respecteront davantage l’exigence de produire ces rapports.

Si je ne m’abuse, il y a eu des discussions dans le cadre de séances précédentes à propos d’évaluations des facteurs relatifs à la vie privée. De façon générale, ce sont des moyens très importants pour les parlementaires et les membres du public de comprendre les systèmes qui sont utilisés et les données qui sont recueillies. C’est une autre façon où j’ai pu découvrir les systèmes qui sont utilisés et les renseignements qui sont colligés. Parfois, c’est la seule façon, outre les rapports du Bureau de la responsabilité gouvernementale et du Bureau de l’inspecteur général.

Les exigences pour que le vérificateur général et d’autres organismes semblables aient des occasions d’en apprendre plus sur les systèmes et sur leur mise en œuvre seraient, du point de vue des citoyens canadiens, très bien accueillies.

La sénatrice McPhedran : En guise de question complémentaire, à la lumière de l’exemple que vous nous avez donné de l’intégration européenne de l’Allemagne à la Pologne, qui est un secteur sur lequel vous faites des recherches, pourriez-vous parler de ce que vous savez d’autres pays, pas nécessairement le Canada et les États-Unis, où il y a eu des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée ou des préoccupations?

De plus, pourriez-vous aborder le concept de reddition de comptes en tant que moyen de rendre des comptes à la population et au Parlement que vous avez vu dans d’autres pays?

M. Koslowski : Aux États-Unis, nous n’avons pas les mêmes genres de mesures de protection de la vie privée que celles qui existent en Europe, où les lois de protection des données sont bien plus solides.

On a donc, une fois de plus, soulevé la question de l’existence et de la mise en œuvre des lois et de la reddition de comptes, mesures auxquelles s’ajoutent diverses normes en matière de protection de la vie privée.

Nous pouvons comparer les normes des États-Unis avec celles de l’Allemagne, où la protection de la vie privée est excellente. Quand les gens déménagent dans ce pays, ils s’empressent d’aviser la police pour lui donner leur nouvelle adresse. Il existe à cet égard un registre de la population. Un grand éventail de renseignements gouvernementaux sont recueillis dans le but d’instaurer une culture de transmission de données, alors qu’aux États-Unis il n’y a pas de cartes d’identité. Les gens prouvent leur identité au moyen de leur permis de conduire ou, dans certains cas, de leur passeport.

L’institutionnalisation de certaines formes de transmission de données au gouvernement suscite un grand scepticisme. Pourtant, la culture de transmission de renseignements au secteur privé y est telle que les gens fournissent des quantités considérables de données. En fait, les organisations d’exécution de la loi utilisent Facebook et Ancestry.com pour mener des enquêtes criminelles.

Le contexte a énormément changé. Plus les organismes gouvernementaux, les parlements et le Congrès demandent de renseignements, plus la reddition de comptes est utile, car elle améliore la transparence.

La sénatrice McPhedran : Je dois m’assurer de bien comprendre la réponse. Vous nous avez fourni une description intéressante, mais aurais-je raison de conclure que vous ne connaissez pas de pays européen ayant des mesures de protection relativement à la collecte de renseignements?

M. Koslowski : Non, non. La situation est légèrement différente maintenant, parce que l’Union européenne, avec toutes les mesures prises aux frontières, est en train d’instaurer un système biométrique d’entrée et de sortie. Ce sera intéressant. Je ne sais pas où les choses en sont rendues actuellement, mais quand je me suis intéressé à la question il y a quelques années, il était impossible d’avoir un tel système. Par exemple, je suis entré en Allemagne en voiture à mon retour, et les données d’entrée étaient comparées à celles figurant dans la base de données nationale du Système d’information Schengen, et c’est tout. C’est ainsi que l’on procédait. Les données d’entrées n’étaient plus utilisées ou conservées.

D’autres pays ne conservaient pas ces données quand on entrait dans l’espace Schengen. Or, pour instaurer un système d’entrée et de sortie, il faut disposer du dossier contenant les données d’entrée pour comparer ces dernières aux données de sortie.

D’après ce que je comprends maintenant, on procédera à l’échelle européenne. Une directive européenne exigera que les États membres conservent toutes les données pour une durée suffisante pour que le système d’entrée et de sortie fonctionne.

C’est une combinaison d’éléments. Il existe, chez les États membres, des règles quant à la protection des données. De telles règles s’appliquent aussi à l’ensemble de l’Europe. Le défi consiste à harmoniser les pratiques entre les États membres de l’Union européenne. Les nouveaux États membres ont des durées de conservation plus longues, alors que ce n’est habituellement pas le cas des États membres de longue date.

La sénatrice McPhedran : Votre réponse portait sur la conservation, alors que ma question concernait la protection des renseignements personnels conservés.

Je préciserai donc ma question : connaissez-vous des pays européens, individuellement ou collectivement, où la conservation des renseignements fait l’objet de mesures de protection de la vie privée et/ou d’évaluation de l’impact?

M. Koslowski : D’après ce que je comprends, oui, c’est très courant dans les États membres de l’Union européenne. J’en sais un peu plus à propos de l’Allemagne qu’au sujet d’autres pays. En fait, il existe des normes importantes à ce sujet. Certaines règles régissant l’utilisation des données recueillies ont posé un problème, dans le cas des données des dossiers de passagers, par exemple.

Les États-Unis et l’Union européenne ont conclu des ententes au sujet de l’échange de données venant des dossiers de passagers. De longues négociations ont été nécessaires pour que les pays en arrivent à s’entendre sur l’utilisation des données, les périodes de conservation et d’autres points.

La sénatrice McPhedran : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Nous avons reçu il y a quelques minutes des témoins qui représentaient la communauté autochtone d’Akwesasne. Ils ont soulevé le problème majeur de la circulation des personnes sur le territoire du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. Cela leur pose un grand défi lorsqu’il s’agit de déterminer la durée du séjour dans l’un ou l’autre des territoires.

Donc, leur grande crainte est que ce projet de loi pénaliserait des gens ou pourrait mal estimer la durée d’un séjour aux États-Unis.

Je présente l’hypothèse d’une négociation entre le gouvernement canadien et les communautés autochtones pour exclure une partie ou la totalité de leur communauté dans ce projet de loi. L’application de cette loi poserait-elle problème aux Américains? Est-ce que les Américains reconnaîtraient la négociation de cette exclusion que le Canada ferait pour une partie de la communauté ou de la communauté au complet? Y aurait-il une reconnaissance des conclusions d’une telle entente?

[Traduction]

M. Koslowski : C’est une question difficile. Je ne suis vraiment pas certain, mais je pourrais peut-être revenir à l’objectif du projet de loi, qui concerne essentiellement la réception, par le Canada, de données d’entrée qui lui sont renvoyées par les États-Unis. Quand les gens entrent aux États-Unis en passant par un poste frontalier officiel, les données sont envoyées au Canada, qui les utilise pour élaborer son propre système d’entrée et de sortie.

Si les données sont incomplètes, il sera probablement problématique d’exclure certaines personnes, comme n’importe quelle autre base de données deviendrait problématique. Cela peut entraîner une kyrielle de problèmes, comme les faux positifs et d’autres erreurs.

Malheureusement, je n’ai pu écouter tous les témoignages à l’avance. Selon ce que je comprends au chapitre des entrées et des sorties, il y aura aussi un problème dans le domaine de la navigation commerciale et quand des gens des Mille-Îles et d’autres endroits circuleront sur les Grands Lacs. Je crois comprendre que les propriétaires de bateaux vérifient ou appellent pour résoudre la question des douanes. C’est peut-être une manière de veiller à ce que les données de sortie soient enregistrées correctement, même si les gens ne passent pas par le même point d’entrée.

Ce n’est qu’une hypothèse quant à la manière dont on pourrait procéder.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que, malgré une entente avec les Américains pour ce qui est de l’application de cette loi, une entente particulière entre le Canada et ses communautés autochtones n’engagerait pas les Américains.

[Traduction]

M. Koslowski : Ici encore, d’après ce que je comprends de ce projet de loi, il concerne la réception de données en provenance des États-Unis et leur utilisation par le Canada. Je ne connais vraiment pas les répercussions de la mesure sur les États-Unis.

Pour les États-Unis, le principal problème consiste à recevoir tous les renseignements d’entrée sur toutes les personnes qui sont entrées au Canada pour les comparer aux données de sortie. À ce que je comprends, les deux pays s’échangent des données, même si elles ne sont peut-être pas complètes en ce qui concerne les citoyens canadiens. Il s’échange énormément de renseignements sur les voyageurs, les visiteurs, les immigrants et les étrangers aux États-Unis.

C’est là une des principales questions, mais à ce que je sache, les choses fonctionnent jusqu’à maintenant. Le projet de loi permettrait au Canada d’obtenir des données plus exhaustives grâce auxquelles il pourrait instaurer un système d’entrée et de sortie lui permettant de vérifier si les gens qui ont reçu un visa de visiteur ont quitté le pays ou s’ils ont dépassé la durée prévue de leur séjour.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, je vous remercie de votre présence aujourd’hui. On sait que, lorsqu’on échange beaucoup d’informations personnelles sur des individus, le ministère ou le gouvernement qui possède cette information travaille de façon très aléatoire pour pointer du doigt les gens les plus à risque. Dans le cas d’un échange d’informations de cette nature, aussi précises que de l’information personnelle, y a-t-il un danger que les Américains adoptent une approche de profilage pour identifier des gens plus à risque?

[Traduction]

M. Koslowski : Quand vous parlez de personnes à risque, faites-vous référence précisément à celles qui pourraient poser un risque au chapitre de la sécurité ou à celles qui risquent d’enfreindre les règles en matière d’immigration?

La question a surgi quand il a été envisagé de combiner les données pour constituer un dossier d’entrée et de sortie permettant de connaître la durée du séjour. Si ces informations étaient combinées à d’autres renseignements, cela rendrait ces derniers plus utiles aux fins d’application de la loi ou de lutte au terrorisme. Cependant, tout dépendrait des personnes concernées et des dossiers de renseignements qui pourraient déjà exister.

Les agents procèdent en cherchant les noms dans diverses bases de données pour voir s’ils s’y trouvent ou s’ils peuvent repérer d’autres données d’identification pouvant donner lieu à une enquête sur les déplacements antérieurs de l’intéressé, ce qui leur permettrait notamment de savoir s’il est entré au pays ou en est sorti.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous poser une question à laquelle il sera difficile de répondre. C’est une question d’actualité. Ce projet de loi va permettre au Canada et aux États-Unis d’avoir une meilleure intégration de leurs structures d’information pour ce qui est de leurs bases de données sur les renseignements personnels. Depuis les trois ou quatre dernières années, beaucoup d’immigrants entrent au pays illégalement. Lorsque ces personnes entrent au Canada, elles sont identifiées. Certaines informations qui les concernent appartiennent aux Américains, des informations que nos douaniers vont chercher.

Est-ce que ce projet de loi facilitera l’identification d’immigrants illégaux qui pourraient entrer au Canada? Il y en a eu environ 30 000 ou 40 000 au cours des dernières années, et c’est beaucoup. Est-ce que cet échange d’information permettra d’identifier plus rapidement des personnes à haut risque de commettre un acte criminel ou terroriste, et qui entreraient de façon illégale? Est-ce que cela nous permettra d’identifier davantage ces personnes relativement à leur passé américain?

[Traduction]

M. Koslowski : Ici encore, si le Canada commence à utiliser les informations de sortie tirées des listes de passagers des transporteurs aériens et les données que l’United States Customs and Border Protection recueille à la frontière terrestre, et si on peut déterminer qu’un voyageur donné a dépassé la date de son visa lorsqu’il se présente devant les autorités canadiennes, on peut alors déterminer si cette personne devrait être autorisée à entrer au pays.

Voilà pourquoi un système d’entrée et de sortie constitue un outil qui permet de réduire la migration illégale et non autorisée. En disposant de ces informations, on peut les combiner au processus d’autorisation de voyage électronique. Ainsi, la personne concernée pourrait ne même pas pouvoir emprunter un moyen de transport pour entrer au pays.

Je ne pense toutefois pas que l’échange de renseignements nous aidera beaucoup à juguler l’afflux de personnes entrant au pays entre les postes frontaliers. Vous avez vu de nombreuses personnes traverser la frontière à partir de mon État de New York, notamment parce que les États-Unis ont mis fin temporairement à la protection des ressortissants d’Haïti, des pays d’Amérique centrale et d’autres pays.

Le fait d’avoir des données sur l’entrée et la sortie ne nous aidera probablement pas à cet égard, sauf, évidemment, si les gens ont déjà un dossier indiquant qu’ils sont entrés légalement au pays, mais ne sont pas partis une fois écoulée la période de séjour autorisée.

La présidente : Monsieur Koslowski, merci beaucoup de nous avoir aussi généreusement fait bénéficier de votre temps. C’est ici que prennent fin les questions des membres du comité. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir fait part de votre opinion.

M. Koslowski : Je dois dire que cela m’a incité à réexaminer le sujet, et je suis impatient d’en apprendre davantage.

La présidente : Merci, et passez une excellente journée.

(La séance est levée.)

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