Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 42 - Témoignages du 9 mai 2019
OTTAWA, le jeudi 9 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, se réunit aujourd’hui, à 13 h 31, pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : J’aimerais commencer par demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite. Je sais que d’autres se joindront à nous plus tard, parce que d’autres comités siègent également.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Richards : David Richards, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Gold : Marc Gold, Québec.
La présidente : Je m’appelle Gwen Boniface et je représente l’Ontario.
Honorables sénateurs, nous terminons aujourd’hui les témoignages sur le projet de loi C-59 par la comparution de fonctionnaires. Ces derniers ne feront pas de déclaration préliminaire. Ils sont ici simplement pour répondre à toutes nos questions avant que nous passions à l’étude article par article lundi. D’après les témoignages que nous avons entendus, je sais que les sénateurs auront de nombreuses questions à poser pour préciser et peut-être façonner certains amendements. Je vais demander aux sénateurs de commencer par les questions.
Le sénateur Gold : Bienvenue à tous et merci d’être ici. Je crois que je vais commencer par une question très générale pour donner le temps à mes collègues de se remettre en contexte et peut-être puis-je me réserver le droit de faire un deuxième tour.
Le projet de loi C-59 est le fruit d’un long processus de réflexion, non seulement au gouvernement et dans le cadre des consultations, mais aussi, j’en suis sûr, au sein de vos propres organismes. J’inviterais chacun d’entre vous à nous parler de l’importance du projet de loi dans le cadre de votre travail. Je n’essaie pas de diriger la discussion, parce que vous connaissez votre travail mieux que quiconque, mais je pense surtout qu’il serait utile au comité et aux Canadiens qui nous regardent de savoir comment ce projet de loi — s’il y a lieu — vous permet de mieux faire le travail de protection de notre sécurité et de respect de nos droits constitutionnels que nous vous avons demandé de faire sur le terrain.
Donc, sans vous demander de divulguer d’information classifiée — parce que vous ne le feriez jamais —, pourriez-vous simplement nous donner une idée des répercussions de ce projet de loi sur votre travail quotidien en donnant le plus d’exemples pratiques possible.
John Davies, directeur général, Politiques de la sécurité nationale, Sécurité publique Canada : Je vais commencer du point de vue de la Sécurité publique.
Je pense que c’est une vaste question. Lorsque le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, son objectif était clairement de permettre aux Canadiens et aux Canadiennes de renouer avec la sécurité nationale. On craignait que la reddition de comptes ne soit pas suffisante, compte tenu des nouveaux pouvoirs accordés aux organismes. On s’inquiétait du fait que la population ne comprenne peut-être pas les pouvoirs accordés aux organismes de sécurité nationale, la transparence à laquelle ils sont assujettis, et ainsi de suite.
Le projet de loi C-59 est le fruit d’une discussion d’un an avec les Canadiens. Il s’inscrit également dans la foulée de l’ancien projet de loi C-22, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Pour ce qui est de la sécurité publique, à notre avis, le rôle du ministre consiste réellement à rétablir une solide reddition de comptes dans le milieu de la sécurité nationale en général. Ce dernier y parvient par la création de deux nouveaux organismes d’examen et d’un organisme de surveillance. Comme je l’ai dit, il sert de complément au comité de parlementaires qui a été créé.
Je pense que ce genre d’examen par une tierce partie, ce regard objectif sur les organismes et leurs pouvoirs, ces précisions sur leurs pouvoirs et la façon dont ils sont utilisés permettront d’accroître la confidentialité, la sympathie et la confiance. Je pense que ces choses vont de pair. D’ailleurs, en cours de route, nous avons beaucoup appris sur la collaboration avec les Canadiens et son importance pour bâtir la confiance mutuelle dans l’avenir.
De notre point de vue, c’était le principal changement apporté par le projet de loi C-59.
Tricia Geddes, directrice adjointe, Politiques et partenariats, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci. Je vais parler du point de vue du SCRS.
Lorsque nous parlons du projet de loi C-59, nous réfléchissons souvent à certains des changements qui ont eu une grande incidence sur notre organisme. Nous pensons à l’évolution du contexte juridique, au fait que la technologie a beaucoup changé depuis 1984, année où notre loi a été rédigée, et à l’évolution du contexte des menaces. L’un des autres grands changements auxquels nous devons réfléchir — nous y avons certainement beaucoup réfléchi au sein de notre organisme —, ce sont les exigences en matière de reddition de comptes et les attentes des Canadiens quant à la transparence dont nous devons faire preuve dans le cadre de notre travail et dans la façon dont nous sommes gouvernés et tenus responsables de ce travail très important.
Je pense qu’il vaut la peine de souligner que le projet de loi C-59 ne propose pas de nouveaux outils pour notre organisme; il vise plutôt à nous conférer les pouvoirs dont nous avons besoin pour mener à bien nos activités aujourd’hui. Les trois volets sont : le cadre pour les ensembles de données, le cadre de justification et l’assurance que notre mandat de réduction de la menace répond aux attentes des Canadiens pour que, comme vous l’avez dit, nous ayons non seulement les outils pour faire notre travail, mais que nous le fassions d’une manière qui reflète les valeurs des Canadiens. Toutes les dispositions que nous avons présentées dans le projet de loi C-59 sont essentielles à notre capacité de mener des enquêtes, mais il est tout aussi important d’avoir la confiance des Canadiens.
Scott Millar, chef adjoint, Politiques et communications, Centre de la sécurité des télécommunications : Merci. Pour le CST, c’est une période très stimulante. Nous sommes devenus le Centre canadien pour la cybersécurité et nous progressons vers l’actualisation, si le Parlement l’accepte, de notre loi qui a été adoptée en 2001, à une époque où l’environnement en ligne était bien différent. Nous voici rendus en 2019.
C’est le genre de choses dont je pourrais parler pendant une heure, alors je vais essayer d’être bref, mais ce projet de loi nous touche de plusieurs façons.
En 2011, nous sommes devenus un organisme autonome. À l’heure actuelle, nos pouvoirs législatifs sont enfouis bien loin dans la Loi sur la défense nationale et leur structure ne reflète pas vraiment ce statut d’entité autonome. Il y a donc des dispositions d’ordre administratif claires dans la partie 3 du projet de loi qui créent le poste d’administrateur général pour l’organisme, qui énoncent les pouvoirs en matière de ressources humaines, ce genre de choses. De plus, le libellé vient préciser notre loi pour tenir compte encore une fois du monde dans lequel nous vivons en 2019.
Le libellé tient compte des recommandations formulées par les commissaires qui se sont succédé au CST, qui nous ont examinés pendant plus de 20 ans et qui ont demandé des précisions dans le libellé, parce qu’ils nous examinent pour déterminer la légalité de nos activités. Que signifient des termes vagues comme acquérir de l’information? À quel point ce langage est-il passif, actif ou malléable? Le projet de loi est donc plus clair sur le plan juridique, ce qui nous aidera à répondre à l’examen de la légalité de nos activités dans le cadre du nouvel Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, si le projet de loi est adopté.
De plus, nous sommes un organisme du renseignement extérieur et nous ne pouvons pas viser les Canadiens ou qui que ce soit au Canada dans nos activités. Au cours des 70 dernières années, nous avons pris cette mission très au sérieux. Quoi qu’il en soit, nous nous concentrons sur des cibles du renseignement étranger, mais il est possible que nous minions accidentellement l’attente raisonnable de protection de la vie privée.
Il y a des dispositions dans notre loi actuelle et d’autres proposées dans la nouvelle loi pour atténuer certaines de ces préoccupations. Par exemple, la création d’un poste de commissaire au renseignement qui agirait comme un juge à la retraite et qui aurait des pouvoirs judiciaires pour approuver également les autorisations ministérielles. Il s’agit d’autorisations annuelles, et notre collecte de renseignements ne peut se faire qu’en conformité avec ces autorisations. Le fait d’avoir quelqu’un qui peut examiner et confirmer de façon indépendante le caractère raisonnable des décisions du ministre nous place dans une meilleure position en ce qui a trait à l’article 8 de la Charte sur la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Pour ce qui est de la collecte de renseignements étrangers, le fait de nous donner une meilleure assise sur le plan de la Charte et de préciser clairement les pouvoirs que nous avons appuie également l’examen de ces activités.
Sur le plan de la cybersécurité, il vaut la peine de souligner que, depuis octobre dernier, nous sommes devenus le Centre canadien pour la cybersécurité et que nous sommes non seulement responsable de la sécurité des systèmes du gouvernement du Canada, mais, de façon plus générale, de celle du Canada. C’est pour reconnaître que nous bloquons jusqu’à un milliard de cybertentatives malveillantes par jour. À la suite de l’examen cybernétique du ministre Goodale, les Canadiens ont manifesté un intérêt pour qu’il y ait une seule voix et une seule source fiable de conseils, de directives et de services.
La loi continue de refléter le rôle que nous avons à cet égard, mais elle renferme également une disposition qui permettrait au ministre de désigner quelque chose comme un système d’importance à l’extérieur des systèmes du gouvernement du Canada. Je pense ici aux infrastructures essentielles. Cette disposition va au-delà des conseils généraux, des directives et des services pour nous permettre d’offrir un soutien ciblé aux propriétaires de ces infrastructures essentielles. Ce genre de soutien ne leur serait offert que s’ils sont désignés et que s’ils l’ont demandé. Le CST assure une présence, mais les propriétaires de réseau peuvent demander de l’aide. Évidemment, c’est le genre de choses qui peuvent renforcer notre rôle de centre pour la cybersécurité.
En raison de nos capacités en ligne sophistiquées, une autre partie de notre mandat est appuyée par la Loi sur la défense nationale, par les organismes fédéraux d’application de la loi, comme mes amis du SCRS et de la GRC ici. Encore une fois, nous sommes devenus indépendants du ministère de la Défense nationale en 2011. Pour cette raison, il est difficile de fournir un soutien à la défense. L’ajout de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes à notre mandat d’aide nous permettra de les appuyer à leur demande. Comme c’est le cas pour la GRC et le SCRS, le soutien offert relèverait de leur commandement et de leur contrôle et de leurs pouvoirs légaux.
Les gens me regardent parfois d’un air amusé quand je parle des Forces armées canadiennes. Ils me disent : « N’avez-vous pas travaillé avec elles pendant longtemps? » Nous travaillons avec elles depuis la Seconde Guerre mondiale; nous leur fournissons des renseignements étrangers dans le cadre de leurs opérations militaires à l’étranger. Toutefois, dans le cadre de la politique Protection, Sécurité et Engagement annoncée par le ministre de la Défense nationale, les Forces armées canadiennes vont maintenant au-delà de la terre, de l’air et de la mer et vont vers l’espace et le cyberespace. Lorsqu’elles envisagent de participer à des cyberopérations dans le cadre de leurs opérations militaires approuvées par le gouvernement, au lieu de dédoubler des capacités qui existent au CST, comme les superordinateurs et les opérateurs en ligne, elles pourraient exploiter nos capacités sous leur commandement et leur contrôle.
Un mandat relatif aux cyberopérations est également ajouté. Il y a deux volets. Le premier consiste à se défendre contre les cybermenaces étrangères ciblant les infrastructures canadiennes; l’autre est de tirer parti de nos capacités en ligne pour intercepter d’autres types de menaces. Pensons aux enlèvements, aux menaces à la démocratie, et cetera. Je peux évidemment expliquer comment ces autorisations fonctionneraient, les interdictions et le reste.
Essentiellement, ces mesures permettraient de boucler la boucle dans les cas où les militaires font quelque chose dans un contexte militaire et où la GRC et le SCRS peuvent intercepter les menaces dans le cadre de leur mandat et de leur contexte national. Le gouvernement du Canada pourrait ainsi utiliser le CST pour intercepter d’autres types de menaces par des moyens en ligne. Que nos services soient utilisés dans le cadre du mandat d’autres organismes ou dans le cadre de notre propre mandat, le Canada pourrait ainsi rattraper son retard par rapport à ses partenaires partout dans le monde et aussi à ses adversaires qui utilisent ce genre d’opérations tous les jours.
En ce qui concerne le mandat d’examen, nous faisons l’objet d’un examen depuis plus de 21 ans. Nous avons mis en œuvre 100 p. 100 des recommandations concernant la protection des renseignements personnels et plus de 93 p. 100 des autres. Si nous n’avons pas pu les mettre en œuvre, c’est en raison d’événements technologiques et autres.
Nous avons tiré avantage de ces examens. Nous avons adapté les choses au fil des ans. De toute évidence, nous sommes habitués à un examen. De plus ce processus est maintenu par la création de l’OSSNR, qui jouera ce rôle d’application de la loi.
Désolé, c’était une réponse un peu longue, mais il y a beaucoup d’éléments qui touchent le CST.
Doug Breithaupt, directeur et avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci. Du point de vue de Justice Canada, dans les parties 7 et 8 du projet de loi, nous faisons certainement notre part pour appuyer l’initiative du gouvernement visant à protéger la sécurité et les droits, à améliorer la reddition de comptes et la transparence, et à respecter les engagements pris à l’égard de ce projet de loi. Ce projet de loi prend appui sur de vastes consultations menées partout au pays.
Prenons quelques éléments des parties 7 et 8. On s’est efforcé de réviser l’infraction consistant à préconiser ou fomenter la perpétration d’infractions de terrorisme en général afin de préciser qu’il s’agit d’une incitation à commettre cette infraction et d’apporter les changements correspondants à la définition de « propagande terroriste ».
D’importants changements ont été apportés pour la protection des témoins, notamment en permettant aux juges d’ordonner le recours à des mesures d’aide au témoignage, des interdictions de publication ou d’autres mesures de protection des témoins dans le cadre de procédures contre un accusé. Nous nous sommes ensuite interrogés sur l’engagement assorti de conditions et les procédures relatives à l’engagement de ne pas troubler l’ordre public. Les malfaiteurs sont-ils arrêtés? La pratique semble incohérente à l’échelle du pays. Les propositions du projet de loi C-59 permettraient expressément que ces mesures de protection des témoins soient appliquées dans le cadre d’une audience pour engagement assorti de conditions ou engagement de ne pas troubler l’ordre public.
De même, en ce qui concerne le système de justice pénale pour les adolescents, la question a été de savoir si les mesures de protection des jeunes qui s’appliquent dans les procès criminels s’appliquent également aux procédures d’engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’engagement assorti de conditions. Le projet de loi prévoit expressément que ces protections s’appliquent à ces procédures.
De plus, aucune période d’accès n’était prévue pour les dossiers liés aux ordonnances d’engagement en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, mais le projet de loi le prévoit. Il n’y avait aucune disposition prévoyant l’accès aux dossiers des jeunes aux fins de l’application du Décret sur les passeports canadiens, mais le projet le prévoit. Tous ces efforts visent à apporter des précisions et peut-être à combler des lacunes et, essentiellement, à contribuer à l’initiative du gouvernement. Merci.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous d’être ici aujourd’hui et de répondre à nos questions. Nous avons déjà entendu plusieurs témoins, alors mes questions seront brèves et viseront principalement à demander des précisions.
Dans certains pays, à l’exclusion du Canada, le rôle du bureau du conseiller à la sécurité nationale ou du directeur du renseignement national est établi par la loi. Au Canada, le bureau du conseiller à la sécurité nationale a été créé en 2004 et, depuis, son rôle s’est élargi pour inclure le renseignement.
Lors de la rédaction de ce projet de loi, a-t-on envisagé d’inscrire la définition du bureau du conseiller à la sécurité nationale et au renseignement dans la loi?
M. Davies : Je pense que la réponse est non. Il n’y a pas eu de discussion approfondie à ce sujet, si je me souviens bien. Revenons au document de consultation, qui est assez exhaustif. Il s’inscrivait dans l’éventail des enjeux auxquels doit faire face la communauté de la sécurité nationale et de l’approche canadienne à l’égard de la sécurité nationale.
On a discuté dans une certaine mesure de la gouvernance, des moyens dont dispose le gouvernement pour faire face aux menaces, des opérations, des programmes et ainsi de suite. Si je me souviens bien, il n’y a pas eu de discussion approfondie sur la façon de légiférer ou de définir davantage le rôle du conseiller à la sécurité nationale et au renseignement.
Le sénateur McIntyre : Merci de votre réponse.
En quoi le projet de loi C-59 contribuerait-il à protéger les élections fédérales générales de 2019 contre l’ingérence étrangère?
M. Millar : Je vais répondre. Évidemment, les mesures de protection et de préparation de la sécurité du Canada en vue des prochaines élections générales nécessitent un travail d’équipe au sein du gouvernement. Je ne peux pas nommer toutes les choses que fait le gouvernement, mais je peux parler de certains éléments précis qui concernent le CST.
Comme vous l’avez peut-être entendu, nous avons annoncé récemment que le CST est à la tête d’une équipe d’évaluation et de collecte du renseignement de toute source, le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements, qui comprend des représentants du SCRS, d’Affaires mondiales et de la GRC. Je dirais qu’en préservant et en confirmant la portée des activités auxquelles nous pouvons participer pour le renseignement étranger, nous continuerons de préserver et de renforcer notre capacité de fournir des renseignements étrangers sur les menaces étrangères possibles visant les élections.
Nous travaillons actuellement en étroite collaboration avec Élections Canada dans le domaine de la cyberdéfense. Nous conseillons les partis politiques et diffusons de l’information, comme notre récente mise à jour sur les menaces qui pèsent sur les processus démocratiques, ainsi que d’autres types d’information sur la façon dont les parlementaires et les Canadiens peuvent assurer leur sécurité.
Pour ce qui est de désigner des systèmes d’importance en plus des systèmes normaux du gouvernement du Canada, nous pouvons offrir de la cyberassistance pour des types de services ciblés dans le contexte d’une élection, ou de tout autre aspect qui pourrait être lié à l’élection, à la demande d’un propriétaire de réseau. Encore une fois, il s’agit d’un pouvoir qui est prévu et qui doit être invoqué.
L’autre élément concerne les cyberopérations. Si nous observons un auteur étranger de menaces, nous en faisons rapport et nous nous défendons contre lui. Cependant, pour ce même auteur étranger de menaces pour lequel nous pourrions intervenir dans l’administration du système, il serait possible d’exploiter nos capacités pour interférer avec le lancement de son attaque ou de son opération. Je pense que ce sont là les principaux points que je souhaite aborder.
Mme Geddes : Puis-je ajouter quelque chose? Le SCRS participe avec le CST à ce groupe de travail qui a été mis sur pied pour protéger les prochaines élections générales.
Comme le directeur l’a souligné lors de nombreuses comparutions récemment, y compris dans des discours très publics, nous sommes très préoccupés par l’ingérence étrangère. C’est un sujet qui monopolise de plus en plus notre temps dans un monde où, je pense, les efforts de lutte contre les menaces ont surtout été orientés vers le terrorisme pendant de nombreuses années. C’est certainement une question qui nous préoccupe beaucoup. Les dispositions du projet de loi C-59 visant à établir officiellement notre pouvoir législatif dans certains domaines et à affirmer l’intention du gouvernement en ce qui concerne la réduction des menaces, tous ces outils seraient à notre disposition et seront examinés lors des prochaines élections afin de protéger les institutions démocratiques.
Le sénateur Richards : Monsieur Millar, je crois que vous avez mentionné qu’il y a un million de cybertentatives par jour? Avez-vous dit un million?
M. Millar : Un milliard.
Le sénateur Richards : Un milliard?
M. Millar : Un milliard contre les systèmes du gouvernement du Canada seulement. Nous utilisons donc nos renseignements étrangers et ceux de nos partenaires pour assurer une défense dynamique contre ces menaces. De toute évidence, ce ne sont pas des personnes qui le font; nous avons des machines qui bloquent dynamiquement ce genre de choses. Toutefois, ces menaces touchent autant la détection des vulnérabilités des systèmes que les attaques.
Le sénateur Richards : Les infrastructures attaquées sont-elles publiques et privées?
M. Millar : À l’heure actuelle, nous n’avons que des capteurs sur les systèmes du gouvernement du Canada, alors ce sont ces systèmes que nous examinons en ce moment.
Le sénateur Richards : Je sais que vous êtes à la fine pointe de la technologie, mais...
M. Millar : Je crois l’avoir dit trois fois.
Le sénateur Richards : Dans quelle mesure la défense canadienne est-elle à la fine pointe par rapport à celle d’autres pays, comme les États-Unis ou Israël?
M. Millar : Bien sûr. J’hésite toujours un peu à faire des comparaisons avec nos alliés à cet égard. Je pense qu’ils prennent tous la cybersécurité au sérieux et qu’ils prennent eux-mêmes des mesures nationales pour assurer leur cybersécurité, comme le font notamment l’Australie et le Royaume-Uni.
Je pense que nous tirons profit de notre structure fédérale, notamment grâce à la façon dont nous avons organisé nos TI. Je pense au regroupement de Services partagés Canada, c’est-à-dire au regroupement des portes d’entrée, des réseaux et des centres de données. Il est beaucoup plus facile pour nous de placer nos capteurs dans ces systèmes pour protéger les renseignements des contribuables et nos renseignements personnels qui pourraient être conservés dans différents systèmes. Nous nous sentons à la fine pointe en raison des outils de TI que nous avons pour bloquer ces menaces. Encore une fois, nous profitons du travail et de l’échange de pratiques exemplaires avec nos alliés, mais je pense que nous tirons aussi profit de la façon dont nos TI sont organisées.
Le sénateur Richards : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Davies. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez fixé à cinq ans la révision des dispositions de cette loi, alors que, lorsque le projet de loi C-51 a été étudié, le parti de l’opposition à l’époque, qui est au pouvoir aujourd’hui, suggérait l’introduction d’une notion de révision après trois ans? Est-ce qu’il serait acceptable de proposer un amendement pour raccourcir cette période de cinq ans?
[Traduction]
M. Davies : Merci de votre question. Ce n’est évidemment pas à moi de décider de l’acceptabilité. À l’époque où le projet de loi C-59 a été rédigé, l’intention était de le synchroniser avec un examen du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Un examen était prévu. Je pense que nous nous sommes trompés quand nous avons prédit les dates de la sanction royale, mais l’idée était de ne pas surcharger le système en essayant de faire tous les examens en un an. Cela ne tient pas la route, nous le savons.
La seule chose que je dirais à ce sujet, c’est que le fait de comprimer les dates d’examen réduit le temps dont on dispose pour mettre en œuvre une vaste gamme de pouvoirs. Je pense que c’est une loi en 10 ou 11 parties. Il y a beaucoup d’ajustements opérationnels à faire. Il faudra beaucoup de temps pour mettre sur pied ces nouvelles institutions, pour former les gens et ainsi de suite. Si le délai pour stabiliser la situation est plus court, les examens pourraient ne pas donner les résultats escomptés. C’est probablement tout ce que je peux dire à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Millar. J’aimerais vous entendre sur le travail que vous pourrez faire en cybersurveillance que vous êtes incapable de réaliser aujourd’hui. Le cas échéant, comment se dérouleront les surveillances, selon vous, dans le cadre des enquêtes à l’étranger? Quelle est l’ampleur de vos effectifs pour réaliser ces enquêtes à l’étranger?
M. Millar : Merci de votre question. Puis-je répondre en anglais?
Le sénateur Dagenais : Certainement.
[Traduction]
M. Millar : Je répète, nous sommes un organisme qui collecte des renseignements étrangers depuis 70 ans. Quant à savoir si le projet de loi accroît notre capacité de recueillir ce genre de renseignement, je ne dirais pas que oui. Je dirais qu’il confirme dans des mesures législatives les techniques que nous pourrions utiliser pour le faire. Il nous permettrait aussi de nous assurer que nous ciblions toujours les organismes et les personnes à l’étranger qui correspondent aux priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement qui sont établies chaque année par le gouvernement du Canada. Conformément à la loi, nous devons respecter ces priorités en matière de renseignement. Je ne crois pas que la portée devrait changer.
Pour ce qui est des niveaux de dotation, je ne surveille pas tout le temps ces choses-là, mais la dernière fois que nous avons compté, nous étions environ 2 500 employés au CST. Nous ne faisons pas un calcul plus détaillé, parce que nous hésitons à divulguer nos capacités à ceux qui pourraient être des auteurs de menaces à l’étranger. Simplement pour dire que nous avons une force solide et éclectique de gens pour faire ces choses, des ingénieurs en informatique, des mathématiciens, et ainsi de suite.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Breithaupt. Je pense que vous êtes la meilleure personne pour nous expliquer une situation qui a été soulevée à quelques reprises. Il paraît qu’en Australie, il y a eu une soixantaine d’accusations criminelles qui ont été portées en matière de terrorisme, alors qu’ici, au Canada, il n’y en a eu aucune. Comment pouvez-vous nous expliquer cette situation?
[Traduction]
M. Breithaupt : Merci de votre question. Ce n’est pas à moi de donner mon opinion. Les décisions concernant les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de terrorisme sont prises par des policiers et des procureurs indépendants au cas par cas. Les procureurs tiennent compte de la loi, des preuves disponibles, de la possibilité raisonnable d’une condamnation et de l’intérêt public. Il y a un ensemble robuste d’outils et d’infractions dans le Code criminel. C’est essentiellement tout ce que je peux dire. Il incombe aux autorités chargées des enquêtes et des poursuites de porter les affaires devant les tribunaux.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s’adresse à Mme Geddes. L’un des éléments qui inquiètent les Canadiens, c’est le partage des renseignements avec les pays alliés, par exemple les États-Unis. Qu’est-ce que le projet de loi C-59 permet d’encadrer? Cela signifie-t-il qu’il y aura davantage d’échanges ou moins d’échanges à l’avenir? Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de renseignements qui sont échangés quotidiennement avec nos alliés?
Mme Geddes : Merci de votre question.
[Traduction]
Encore une fois, pour reprendre ce que mon collègue a dit, le fait de fournir des renseignements précis sur la quantité de renseignements que nous communiquons à nos alliés chaque jour compromettrait la sécurité nationale, alors je n’entrerai pas dans les détails. Cependant, je comprends le but de votre question. Vous souhaitez savoir si ces mesures vont augmenter, diminuer ou avoir une incidence sur l’échange d’information.
Je ne parle pas ici des alliés, mais, bien sûr, vous remarquerez que des directives sur l’échange de renseignements avec des partenaires étrangers sont incluses dans ce projet de loi. Le SCRS prend très au sérieux l’échange de renseignements avec des partenaires étrangers. Il le voit à la fois comme une obligation — parce que si nous avons des renseignements qui pourraient être utiles à l’un de nos alliés, ou à qui que ce soit d’ailleurs, il est important que nous réfléchissions soigneusement à la façon dont nous pourrions échanger de l’information pour prévenir ou contrer les menaces — et à la fois comme un devoir et une obligation d’être consciencieux et réfléchis quant à la gestion de cette information.
Nous avons un processus rigoureux au sein de notre organisme pour gérer toute considération entourant les mauvais traitements, par exemple. Nous prenons nos obligations à cet égard très au sérieux. L’intention du gouvernement dans ce projet de loi est de préciser comment nous allons nous gérer dans ce domaine, mais elle reflète assurément la pratique actuelle au SCRS.
Pour ce qui est de l’échange de renseignements avec des alliés comme les États-Unis et ainsi de suite, les États-Unis partagent évidemment une frontière avec nous. Il est important de reconnaître les menaces qui pèsent sur le Canada et sur les États-Unis. Nous avons l’obligation de veiller à ce qu’il y ait une sensibilisation à ces menaces des deux côtés de la frontière.
Encore une fois, c’est un aspect que nous gérons très soigneusement entre notre organisation et nos homologues du Sud. Nous faisons cela en étroite collaboration avec la GRC, qui échange également des renseignements solides avec les États-Unis, mais encore une fois, c’est tout à fait approprié. Notre première obligation est envers le Canada et les Canadiens, et envers notre sécurité nationale.
Le sénateur Oh : Par simple curiosité, il y a le cas de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, où le type faisait de la propagande — ou du counseling, peu importe — sur Internet, sur Facebook, pendant un certain temps, pendant deux ans. Pourquoi cela n’a-t-il pas été détecté, et pourquoi a-t-on permis que ce massacre se produise? À quel point sommes-nous bons? Quelqu’un pourrait partir des États-Unis et entrer au Canada. Avons-nous la capacité de déceler ce genre de chose?
Mme Geddes : C’est une question complexe que vous posez. Je sais que le directeur était ici récemment et qu’il a parlé de nos préoccupations au sujet de la menace, dans ces cas-ci, de l’extrémisme de droite. Nous sommes évidemment préoccupés par tout type d’extrémisme violent. C’est un événement troublant qui nous a beaucoup préoccupés.
Je sais que le directeur a dit, comme d’autres, qu’il nous incombe à tous, dans le milieu de la sécurité nationale, d’examiner de près la nature de cette menace et de déterminer si nous disposons des outils et des processus qui s’imposent pour gérer cette menace dans la mesure du possible.
C’est une préoccupation importante que nous examinons attentivement. Encore une fois, mon collègue de la GRC pourrait vous en dire un peu plus à ce sujet. La GRC se penche sur la question lorsqu’il est question de criminalité.
Pour le SCRS, notre mandat est défini par ce qui constitue une menace à la sécurité nationale? Ce que vous décrivez relève certes de ce mandat. Lorsque des gens préconisent la violence, c’est le genre de choses que nous examinons, comme définies dans notre loi. Je dirais que c’est un domaine dans lequel nous, au Canada, avons pris note des événements qui se sont produits ici et à l’étranger, et c’est un domaine qui nous préoccupe.
J’ajouterais, puisque nous sommes ici pour parler du projet de loi C-59, que certains éléments de ce projet de loi — et je dirais en particulier notre capacité d’utiliser l’analyse des données, mais aussi notre capacité de mettre en place ce régime de justification et ainsi de suite — sont des outils importants pour notre organisation afin de nous assurer que nous apportons la contribution la plus significative possible à ce que vous avez décrit, à juste titre, comme des menaces importantes au Canada et dans le monde.
La sénatrice Busson : Mes questions s’adressent surtout à Mme Geddes et à M. Millar. J’aimerais faire un bref commentaire, puis poser une question.
Vous et vos organisations — et les Canadiens en général — luttez sans relâche pour faire face à la menace qui pèse sur les Canadiens et pour trouver un équilibre entre le droit à la vie privée et le droit à la sécurité de la personne et à la sécurité dans notre propre pays. Quand on ne parvient pas à un juste équilibre, on peut s’attendre au pire. Je paraphrase pour évoquer le risque que nous courons et la vie quotidienne que vous menez.
Pourriez-vous nous parler des changements qui pourraient être apportés à l’évaluation des menaces et à la gestion des risques si ce projet de loi n’était pas adopté? Pourriez-vous nous dire comment cela pourrait faire avancer les choses?
M. Millar : Il y a aussi beaucoup de choses dans cette question. Nous verrons comment nous allons procéder, et je pourrai faire un suivi pour le reste.
Je pense que le risque lié à la menace relève un peu plus du SCRS pour ce qui est de la gestion du risque au gouvernement du Canada. Pour ce qui est de l’évaluation de la menace et des risques liés à l’adoption du projet de loi dans le cadre de notre travail, je dirais que le rôle du commissaire au renseignement dans nos autorisations ministérielles nous place — et nous place très nécessairement — sur une meilleure base au regard de la Charte pour ce qui est de la collecte de renseignements étrangers. Je ne saurais trop insister sur l’importance de cet aspect, parce que les autorisations ministérielles sont les pouvoirs par lesquels nous recueillons tous nos renseignements.
Il importe d’avoir le bon équilibre, mais aussi d’avoir quelqu’un chez nous qui peut agir de façon quasi judiciaire lorsque nous recueillons des données en fonction des priorités en matière de renseignement à l’extérieur du Canada et ainsi de suite, et il serait difficile d’imaginer tout autre type de régime à cet égard.
Je pourrais vous lire la façon dont la loi est structurée, si vous le souhaitez, pour nous remettre en contexte en ce qui concerne les droits et libertés des Canadiens dans le cadre de nos activités. L’autre chose que je dirais, c’est que, du point de vue des auteurs de menaces étrangers, le gouvernement du Canada s’est joint à ses partenaires aux vues similaires pour dénoncer les auteurs étrangers de cybermenaces provenant de pays comme la Corée du Nord, la Chine et la Russie, qui obtiennent des résultats problématiques, qu’il s’agisse de processus démocratiques ou de ciblage d’entreprises, et il serait très important de pouvoir aussi participer à des cyberopérations avec des partenaires aux vues similaires pour contrer ce genre de choses, et nous aurons besoin des pouvoirs prévus dans le projet de loi pour le faire.
Si le projet de loi est adopté, le monde dans lequel nous vivons, où le Centre canadien pour la cybersécurité est en mesure de soutenir les infrastructures essentielles, pourrait évidemment bénéficier d’un soutien plus ciblé et plus précis. Je ne suis pas ici pour défendre le projet de loi; j’essaie de l’expliquer.
La sénatrice Busson : C’est pourquoi j’ai formulé ainsi ma question. Merci beaucoup.
Mme Geddes : J’ai quelques observations à faire. C’est une question très importante. Vous avez raison de souligner l’équilibre et le stress de ce travail auquel nos employés sont confrontés tous les jours alors que nous devons nous montrer dignes de la confiance que les Canadiens placent en nous pour faire face à la menace.
Je vais diviser le projet de loi en trois parties. Le projet de loi renferme des dispositions très importantes pour notre organisation. Vous avez examiné le régime de justification, qui nous autoriserait à commettre des actes ou des missions qui seraient autrement illégaux. Ce sont des activités très simples qu’un service de renseignement doit pouvoir mener. Il s’agit de pouvoir payer une source, de pouvoir donner cet argent à une cible. C’est le genre de situations dans lesquelles nous aimerions pouvoir recueillir ces renseignements.
Comme il est essentiel que nous ayons un pouvoir législatif explicite pour pouvoir mener ce genre d’activités, il est très important que le projet de loi C-59 soit adopté.
L’analyse des données, comme Scott l’a souligné et comme vous l’avez fait également, et la gestion de l’équilibre des obligations en matière de protection des renseignements personnels sont essentielles au succès du service. Il y a quelques années, nous avons pris conscience du fait que, pour ce qui est des renseignements non liés à la menace, nous avions besoin d’un régime comme celui-ci pour pouvoir gérer ce type de renseignements. Il s’agit de renseignements qui ne sont pas directement liés à une menace, mais qui sont essentiels pour nous permettre de faire notre analyse et de cerner des tendances ou des activités très précises, et qu’il serait difficile de cerner au cas par cas. Il s’agit d’une disposition très importante de ce projet de loi qui fournira ces protections très importantes prévues dans la Charte pour nous aider à protéger la vie privée des Canadiens.
Pour ce qui est de la réduction de la menace, les dispositions de ce projet de loi ont fait l’objet de très importantes modifications qui, encore une fois, garantissent le respect de la Charte. Nous demandons à la magistrature de prendre les mesures qui s’imposent dans notre contexte. Le libellé est très important pour assurer notre succès dans ce domaine. Chaque élément de ce projet de loi nous confère un pouvoir beaucoup plus direct, clair et explicite qui, à mon avis, sera très important pour toutes nos activités.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
M. Millar : Les témoins ont-ils droit à des réponses complémentaires?
La présidente : Allez-y. C’est pour cela que vous êtes ici.
M. Millar : J’aimerais simplement ajouter deux éléments importants. J’ai fait allusion à l’un d’eux tout à l’heure, en répondant à la question du sénateur Gold, mais l’examen du CST concernant la légalité demeurera difficile pour les commissaires qui se succéderont au CST si le projet de loi n’est pas adopté, parce que leurs prédécesseurs ont fait remarquer qu’il est difficile de l’établir en raison de la lourdeur de la loi qui ne tient pas compte du contexte technologique complexe et en rapide évolution dans lequel nous évoluons.
J’aimerais aussi dire, en ce qui concerne l’aide aux Forces armées canadiennes, que nous cherchons vraiment à tirer parti de nos capacités pour mener des cyberopérations dans le contexte militaire. Or, nous ne pourrons pas le faire sans l’adoption de ce projet de loi.
Le sénateur McIntyre : J’ai deux petites questions. Le contexte de la sécurité a-t-il changé depuis le dépôt du projet de loi C-59?
Mme Geddes : Bien sûr. Je pense que j’ai abordé deux ou trois points. En réponse à la question de monsieur le sénateur Oh, je sais que l’extrémisme de droite et l’extrémisme violent nous préoccupent beaucoup et que nous avons fait des efforts importants pour les examiner.
De plus, si nous décrivons le terrorisme comme une menace très importante pour la sécurité publique et nationale, nous sommes également très préoccupés par l’espionnage et l’ingérence étrangère. Cela n’a peut-être pas tellement changé depuis que le projet de loi a été présenté, mais au cours des dernières années, c’est une tendance, dans ce contexte de la menace qui existe, face à laquelle le service doit bien se positionner pour être en mesure de la contrer.
Le sénateur McIntyre : Comme nous le savons, au cours des 40 dernières années, il y a eu au moins quatre commissions d’enquête sur la sécurité nationale du Canada — McDonald, O’Connor, Iacobucci et Major.
Dans quelle mesure et comment le projet de loi C-59 intègre-t-il les recommandations de ces commissions d’enquête?
M. Davies : Il est difficile de répondre à cette question historique. Si l’on regarde l’ancien projet de loi C-51, qui est devenu le projet de loi C-59, on constate que le projet de loi C-51 a été élaboré en grande partie à partir des résultats de l’enquête sur l’affaire Air India et a incorporé les recommandations d’autres commissions d’enquête. Lorsque vous examinez des éléments comme l’amélioration de notre liste d’interdiction de vol, l’amélioration de l’échange de renseignements au sein du gouvernement fédéral, la protection des témoins, pour beaucoup de ces choses, on peut remonter au plan d’action de l’époque en ce qui concerne Air India. Donc, on peut effectivement affirmer que bon nombre des recommandations de ces commissions et des idées qui étaient sensées dans un contexte de participation se sont retrouvées dans le projet de loi C-51 et ont ensuite été reprises dans le projet de loi C-59.
Le sénateur McIntyre : Nous avons droit à une petite leçon d’histoire aujourd’hui. Merci de votre réponse.
Le sénateur Gold : Nous avons beaucoup entendu dire que le projet de loi C-59 améliore votre capacité d’assurer la sécurité des Canadiens. Je ne répéterai pas tout ce que vous avez dit, mais je crois comprendre que c’est, en général, la position des services de renseignement.
Je veux me concentrer sur les droits et la protection de la vie privée et vous demander de commenter certains témoignages présentés autour de cette table dans le cadre de nos audiences. Il y a deux questions importantes.
Ma première question s’adresse au CST et concerne le rôle du commissaire au renseignement. Vous avez très bien décrit l’importance constitutionnelle de faire participer le commissaire au renseignement au processus de collecte de renseignements étrangers. Toutefois, le commissaire au renseignement ne participe pas à l’examen des autorisations ministérielles dans le cadre du nouveau mandat qui vous est confié en matière de cybersécurité dans le projet de loi C-59. Certains témoins ont laissé entendre que cela devrait être le cas.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la recommandation voulant que le commissaire au renseignement participe à la surveillance des autorisations ministérielles au titre des cyberopérations défensives et actives?
M. Millar : Avec plaisir. Les textes législatifs ne sont pas faciles à lire et ils ne reflètent certes pas toujours le fonctionnement d’un programme. Malgré le fait qu’il existe des types distincts d’autorisations ministérielles, dont certaines concernent le commissaire au renseignement et d’autres concernent la ministre des Affaires étrangères, les renseignements que nous utilisons à l’appui de nos cyberopérations ne pourraient être obtenus qu’en vertu de ces autorisations également approuvées par le commissaire au renseignement.
Donc, le commissaire au renseignement participe activement à ce que nous ferions dans le cadre de ces cyberopérations parce que nous ne pouvons donner suite à l’information que nous avons recueillie que lorsqu’il l’approuve. Les autorisations de cyberopérations étrangères interdisent l’acquisition de renseignements. Je ne vais pas vous lire l’énoncé concernant la Charte, mais le poste de commissaire au renseignement a été créé pour donner suite à l’article 8 de la Charte.
Je vais peut-être lire quelques passages de l’énoncé concernant la Charte. Je l’aime tellement. Il y a d’autres droits et libertés qui en découlent. Je pense que selon l’idée générale qui s’en dégage, si une opération touche un droit ou une liberté, le commissaire au renseignement doit l’autoriser, à défaut de quoi ce droit ou cette liberté ne n’est pas pris en compte.
Dans l’énoncé, on précise ce qui suit :
[...] autorisant les cyberopérations actives ne feraient intervenir par définition aucun droit ou liberté protégé par la Charte. Cependant, certaines des activités qui seraient autorisées en vertu de ce régime pourraient potentiellement mettre en jeu des droits et libertés.
[...] la nature de chaque possible effet sur les droits et libertés garantis par la Charte serait limitée par l’interdiction des activités qui pourraient entraîner, sciemment ou par suite de négligence criminelle, la mort ou le préjudice corporel, ou qui constitueraient une tentative d’obstruer ou de pervertir la justice et la démocratie, ou de les empêcher de suivre leur cours, dans un pays [...]
De plus, aucune activité visant des Canadiens ou des personnes au Canada ne pourrait être autorisée; seules les activités visant des étrangers et l’IMI qui ne sont pas situés au Canada pourraient être autorisées.
[...] la Charte pourrait également obliger le ministre à tenir compte des valeurs pertinentes de la Charte lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire d’émettre une autorisation.
À l’instar des autres autorisations, le ministre devra avoir des motifs raisonnables de croire en ce qui concerne les facteurs ci-après pouvant atténuer les possibles répercussions sur les droits : que toute activité qu’il autorise est raisonnable et proportionnelle à la lumière de sa nature et de son objectif [...] que « l’objectif de la cyberopération ne peut pas être raisonnablement atteint d’une autre manière »; et qu’aucun renseignement ne serait acquis par l’entremise d’activités qui ne seraient pas par ailleurs autorisées par une autorisation de renseignement étranger, de cybersécurité ou d’urgence [...]
Encore une fois, cela concerne le commissaire au renseignement. Je dirais que le commissaire au renseignement est visé à l’article 8.
Le sénateur Gold : Merci. Je crois que M. Forcese a dit dans son témoignage que les interdictions rendent impossible l’exercice de certains droits garantis par la Charte.
Ma prochaine question s’adresse au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), et concerne les ensembles de données. Je pense que vous avez expliqué, et je n’ai pas besoin de plus d’explications, pourquoi vous avez besoin d’avoir accès aux données pour faire votre travail et pour suivre nos alliés et nos adversaires, mais cela soulève des préoccupations en matière de protection de la vie privée. Pourriez-vous nous expliquer, sans nécessairement nous donner tous les détails, le processus prévu dans le projet de loi C-59 pour structurer la collecte, la conservation et l’utilisation des données au nom de tous les Canadiens. Pendant que vous y êtes, peut-être pourriez-vous commencer par nous dire de quel genre de données il s’agit? Parlons-nous d’annuaires téléphoniques ou de listes de passeports?
Mme Geddes : Nous vous avons fourni à l’avance une copie de notre cadre proposé pour les ensembles de données. Nous vous avons fourni un diagramme. Ne le confondez pas avec celui du CST.
Le sénateur Gold : Il m’aurait été utile de l’avoir en main pendant que vous parliez.
Mme Geddes : Oui, ce serait peut-être utile. Cela m’a certainement aidé, parce que c’est une mesure législative assez complexe. Son libellé était assez extraordinaire. Il nous a fallu passer beaucoup de temps avec nos collègues du ministère de la Justice qui travaillent aux questions de protection de la vie privée et de droit constitutionnel. Ils ont passé beaucoup de temps avec nous à étudier les divers processus que nous pouvions utiliser pour assurer notre entière conformité à la Charte.
Nous l’avons divisé en fonction du processus par lequel nous recueillons, conservons, interrogeons et exploitons ces ensembles de données, et de ce que nous faisons des résultats de ces interrogations et de ces utilisations. La collecte paraît vaste ici, mais elle se fait rapidement dès le départ. Nous avons 90 jours à partir de la collecte pour déterminer s’il s’agit de données que nous aimerions pouvoir demander de conserver. Nous commençons d’abord par les examiner et décider dans quelles catégories ces ensembles de données s’inscrivent : canadiennes, étrangères ou accessibles au public. Je serai heureuse de vous expliquer plus en détail le sens de l’expression « accessible au public », car je sais qu’on en a beaucoup parlé ici.
À ce moment-là, nous devons déterminer si ces données relèvent ou non de nos mandats. Nous pourrions obtenir des ensembles de données en tout temps. Nous ne cherchons pas à obtenir des données que nous n’utilisons pas. J’ai beaucoup parlé avec les responsables des données de notre organisation, et ils ne sont pas ravis d’avoir de grandes quantités de données. Ce n’est pas vraiment utile pour une enquête. Les données doivent être axées sur ce dont nous avons besoin pour nous acquitter de notre mandat.
Une fois que nous avons déterminé la pertinence, nous pouvons aller de l’avant avec le régime qui est exposé ici dans la catégorie de la conservation des ensembles de données, et où il est expliqué, s’il s’agit d’un ensemble de données canadiennes, qu’il faut s’adresser à la Cour fédérale. C’est une disposition vraiment très importante.
Les principales considérations en matière de protection de la vie privée concernent les données canadiennes. Notre travail consiste à nous adresser à la Cour fédérale pour la persuader qu’il s’agit d’un ensemble de données qui est vraiment important pour nos enquêtes. Pour ce qui est des ensembles de données comportant principalement des informations étrangères, comme il est précisé dans le projet de loi, ce serait le ministre ou son délégué qui déterminerait s’ils sont susceptibles de nous aider dans nos enquêtes, et le commissaire au renseignement qui examinerait cette décision. Ce sont des éléments importants.
Permettez-moi de vous expliquer le reste du processus, et je reviendrai plus tard à l’expression « accessible au public ». Je pense qu’il est important de nous attarder un peu sur cette question.
Lorsque nous en arrivons au point où nous utilisons l’information que nous avons conservée, les ensembles de données canadiennes ou étrangères, ces données sont conservées séparément, et il est aussi important de le préciser. Elles ne sont pas versées dans nos bases de données de l’ensemble de l’organisation, où chaque employé pourrait les consulter. Elles sont séparées. Des employés sont désignés pour faire ce genre d’interrogations et d’utilisations. Il s’agit d’une autre disposition importante concernant la protection de la vie privée.
Ensuite, on détermine si les résultats de cette interrogation ou de cette utilisation sont jugés strictement nécessaires, comme le précisent actuellement nos lois. Nous avons créé un précurseur à l’article 12 de notre loi qui nous permet de conserver des renseignements strictement nécessaires. Tout cela vise à garantir que nous appliquons des mesures de protection de la vie privée tout au long du processus. Il est important de noter que les résultats de l’exploitation de l’interrogation ne sont intégrés aux fonds d’enquête qu’à ce moment.
Ce n’est pas dans votre diagramme, mais il y a des dispositions très précises sur la façon dont l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l’OSSNR pourra examiner ce processus. Il y a un nouvel élément dans le projet de loi qui permettra à l’OSSNR de signaler toute lacune, omission ou illégalité à la Cour fédérale.
Il a fallu beaucoup d’efforts pour intégrer cela à la satisfaction de nos avocats spécialisés dans l’application de la Charte. Il s’agit d’un cadre complexe. Nous nous sommes beaucoup inspirés de nos collègues du Royaume-Uni quant à la façon dont ils ont relevé un défi très semblable. Nous sommes convaincus d’avoir établi un cadre qui fonctionnera.
Pour revenir à l’expression « accessible au public », je préférerais m’y attarder immédiatement plutôt que d’attendre les questions, parce que je veux être claire. Certains ont dit que nous avons déjà utilisé des annuaires téléphoniques pour obtenir des renseignements « accessibles au public », et ils ont raison. On pourrait aussi parler d’une liste de diplomates en poste ici, au Canada. Ces listes se trouvent sur des sites web, probablement du ministère des Affaires étrangères, que n’importe quel Canadien peut consulter.
Nous avons jugé important d’être clairs dans la loi et de dire aux gens que nous voulions que nos enquêteurs aient accès à ces outils de recherche très fondamentaux. Lorsque nous essayons de savoir où une personne vit — une de nos cibles, par exemple, si nous avons un numéro de téléphone, mais pas d’adresse —, ce sont des informations de base auxquelles nous aimons permettre à nos enquêteurs d’avoir accès.
Nous avons établi des normes plus élevées que celles auxquelles un Canadien serait assujetti pour examiner la même information. Il y a des exigences en matière de tenue de dossiers concernant les interrogations et les utilisations. Il y a des vérifications internes à ce sujet. Les rapports produits doivent être envoyés au nouveau CSARS, donc à l’OSSNR, pour l’aider à examiner la façon dont nous utilisons ces ensembles de données. Si l’OSSNR croit que l’un ou l’autre de ces ensembles de données n’est pas conforme à la loi, il doit le signaler à la Cour fédérale. Il y a là beaucoup d’obligations, même en ce qui concerne les ensembles de données accessibles au public que nous aimerions pouvoir conserver.
Il est très difficile de dire, comme la définition du CST précise très clairement les cas où il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, que le mandat du CST est très différent de celui du SCRS. Tous nos efforts visent à protéger le Canada et les intérêts canadiens.
J’ai lu le témoignage de M. Therrien, qui était ici récemment. L’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée est très fluide et flexible, même à son avis. C’est le genre de choses que nous faisons tout le temps au service. Il y a de nombreuses raisons opérationnelles pour lesquelles nous devons constamment l’examiner, la réviser, la mettre à jour — nous ne sommes pas seuls, puisque nous avons l’aide de nos collègues du ministère de la Justice — pour nous assurer de bien comprendre où se situe cette attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Cette attente change tout le temps, et je n’ai pas besoin de dire aux avocats ici présents que la jurisprudence évolue constamment.
Nous essayons donc de favoriser une intégration relativement souple des ensembles de données accessibles au public, mais nous sommes tout de même très conscients du fait qu’il peut y avoir des attentes raisonnables en matière de protection de la vie privée relativement à certains renseignements accessibles au public, et nous devrons bien doser nos efforts.
J’ai déjà fait une déclaration pour dire qu’il y a des cas — des ensembles de données piratés ou volés, par exemple — où nous avons déjà reconnu qu’il existe des attentes beaucoup plus élevées en matière de protection de la vie privée associées à ces ensembles de données. Nous avons déjà stipulé que nous ne considérerions pas que ces ensembles sont accessibles au public et que nous ferions plutôt appel à la Cour fédérale afin de pouvoir conserver ces ensembles de données. Encore une fois, nos adversaires, pour revenir à ce que vous disiez, auraient accès aux mêmes renseignements parce qu’ils auraient été affichés sur Internet, et nous voudrions nous assurer d’avoir accès aux mêmes renseignements, mais nous le ferons selon des normes plus élevées.
Je conclurai en disant que tout cela est encore une fois une question de confiance. Si l’OSSNR n’est pas à l’aise avec la façon dont nous gérons notre régime d’ensembles de données, cela aura des répercussions importantes sur nos opérations et l’office rendra ses préoccupations publiques. Ce n’est pas une situation que nous envisageons. Nous cherchons à gérer le tout de façon très responsable dès le départ. Nous sommes conscients de ces considérations. Cela rejoint ce que madame la sénatrice Busson a dit plus tôt au sujet des défis que nous devons relever quotidiennement et de la nécessité de nous assurer que nous sommes conscients de ces problèmes. C’est ce qu’on attend de nous.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup.
Le sénateur Richards : Merci encore. Je me demande si la liste des personnes interdites de vol vient des Américains, que ce soit United ou autre, et si la liste pour le Canada vient d’une liste américaine. Je pense aux enfants interdits de vol, parce que, très temporairement, mon fils s’est trouvé sur la liste. Il n’y est plus, Dieu merci, mais j’étais mort d’inquiétude parce qu’il revenait de LaGuardia la semaine dernière et je me demandais.
Comment surmonter un tel problème si la liste d’exclusion vient d’un autre pays ou d’autres compagnies aériennes? Et s’il y a des gens sur la liste qui ne devraient pas vraiment y figurer, comme un enfant de 13 ans, comme mon enfant? Avez-vous une réponse à cela?
M. Davies : Je peux vous expliquer un peu comment on établit la liste canadienne des personnes interdites de vol, si cela peut vous aider.
Le sénateur Richards : C’est très bien.
M. Davies : Tous les 90 jours environ, les organismes compétents se réunissent pour discuter de la liste des personnes interdites de vol : qui est sur la liste, qui devrait y être et qui devrait en être retiré. Pour proposer l’ajout d’une personne, il faut présenter un mémoire, des renseignements à charge qui satisfont au critère des motifs raisonnables de soupçonner que la personne voyagera à des fins terroristes ou qu’elle constitue une menace pour le transport et la sécurité.
Le mémoire est très complet, soigneusement épluché. Tout le monde veut s’assurer que les contacts, les capacités et les intentions de l’individu sont bien documentés. On suppose qu’il pourrait y avoir un recours judiciaire en aval, alors on l’analyse à fond. Je peux parler plus en détail de la façon dont on modifie le processus et ainsi de suite, mais à ce stade de la discussion, on prépare une synthèse pour un décideur qui est délégué par le ministre. Dans ce cas, mon patron, le sous-ministre adjoint de la Direction générale de la sécurité nationale et de la sécurité publique signe la liste tous les 90 jours.
Il y a une procédure pour vérifier tous les noms sur la liste tous les 90 jours. On procède à tous les changements nécessaires. On biffe des noms, on en ajoute. Le projet de loi C-59 apporte un certain nombre de changements aux modalités de recours. Si vous êtes « refusé à bord », si vous êtes alerté que vous êtes sur la liste canadienne, le processus de recours est modifié. Les modalités de recours sont tout à fait transparentes. Si vous n’êtes pas satisfait de la décision, vous pouvez la porter en appel devant la Cour fédérale. Tout est prévu par la loi. À bien des égards, il s’agit d’un processus assez complet et robuste.
Je ne sais pas si vous avez des questions sur d’autres éléments.
Le sénateur Richards : Eh bien, vous avez partiellement répondu, mais le fait est que l’on a parlé à des gens qui étaient ici la semaine dernière, et qu’il y a encore des enfants de 8 ans sur la liste des personnes interdites de vol. L’opacité risque de s’installer et je me demandais s’il y avait moyen d’y remédier.
M. Davies : Il n’y a pas d’enfants de 8 ans sur la liste d’interdiction de vol, mais je ne veux pas que l’on m’accuse de faire de la sémantique juridique. Ce qui se passe, c’est que, parfois, quelqu’un a le même nom que quelqu’un qui figure vraiment sur la liste.
Le sénateur Richards : C’est ce que je dis.
M. Davies : On a affaire ici à une fausse correspondance positive qui peut se produire et empêcher momentanément quelqu’un d’imprimer une carte d’embarquement. L’intéressé peut être mis de côté au comptoir. Je reconnais tout à fait qu’il y a stigmatisation lorsqu’une famille est mise de côté et qu’elle ne sait pas ce qui se passe.
Le projet de loi C-59 établit les pouvoirs nécessaires pour régler ce problème. Il permettra de passer d’une approche réglementée, où c’est aux transporteurs d’assurer eux-mêmes le bon fonctionnement du système, avec les inefficacités qui s’ensuivent, à une approche où le contrôle des personnes incombe au gouvernement. Les manifestes de vol arriveront au gouvernement, presque en temps réel. Le système de recours mis en place à l’étape de l’examen des noms permettra d’attribuer à chacun un identifiant unique. Si vous pensez qu’un membre de la famille est étiqueté, vous pourrez obtenir un numéro. Le système exclura la personne de la liste au moment de la confection du manifeste de vol. Tout se fera de façon automatique et jusqu’à trois jours avant le vol. Chacun pourra ainsi imprimer sa carte d’embarquement à la maison.
Les pouvoirs prévus dans le projet de loi C-59 nous permettent d’ores et déjà de travailler à la réglementation nécessaire dans la perspective de l’octroi de la sanction royale.
Le sénateur Richards : D’accord. Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Geddes. Plus tôt, madame Geddes, j’ai posé des questions à M. Breithaupt concernant les accusations. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas répondre à ma question sur les mises en accusation en matière de terrorisme au Canada et que, malgré toutes les enquêtes effectuées, il n’y en avait aucune. Depuis tout à l’heure, vous parlez des enquêtes menées sur des activités de terrorisme. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’accusation? Est-ce parce que vos enquêtes sont insuffisantes? Est-ce parce qu’elles ne sont pas assez étoffées? Est-ce parce qu’on ne veut pas procéder à ce genre d’accusations, selon les processus du bureau du procureur général? Il doit sûrement y avoir une raison. Vous faites des enquêtes, mais il n’y a jamais d’accusation.
Mme Geddes : Merci de votre question.
[Traduction]
Je pourrais demander à mon collègue de la GRC de se joindre à nous, mais je répondrai volontiers à la partie de cette question qui relève de ma compétence.
Les enquêtes terroristes sont des enquêtes complexes. Je préfère ne pas parler de savoir s’il y a des accusations ou s’il devrait y en avoir davantage. C’est une question très compliquée qui échappe certainement à mon mandat.
Je peux vous dire que l’on mène en permanence des discussions et des examens opérationnels avec nos collègues de la GRC pour nous assurer que nous menons une enquête de sécurité nationale aussi efficace que possible et que nous leur fournissons les meilleurs renseignements possibles pour leur permettre de faire leur travail. C’est une tache permanente pour nous.
Nous sommes très fiers de nos enquêtes en matière de sécurité nationale dans ce domaine. Je pense que nous sommes très bons dans notre travail. Vous devriez probablement poser la question à la GRC ou, comme je l’ai dit, au Service des poursuites pénales du Canada, pour ma part, j’y ai répondu aussi complètement que possible.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vais vous soumettre humblement un cas. J’ai été policier à la Sûreté du Québec pendant 39 ans. J’ai effectué beaucoup d’enquêtes, et je peux vous dire que s’il n’y avait jamais eu d’accusations, j’aurais été découragé. Si on fait enquête, c’est pour procéder à des arrestations. Je comprends que le directeur des poursuites pénales doit examiner les dossiers, mais je ne peux pas croire qu’il n’y ait jamais d’accusations. Je comprends que tout le monde fait un bon travail, mais je vous avoue que je trouve assez surprenant le fait qu’il n’y ait pas d’accusation.
[Traduction]
M. Breithaupt : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de poursuivre cette conversation. Nous avons parlé des modalités de mise en accusation et des poursuites. Les dernières statistiques dont nous disposons datent du 11 décembre 2018, date à laquelle 55 personnes avaient été accusées d’infractions terroristes au Canada depuis 2001. Ce n’est pas un cas où il n’y a pas eu d’accusations ou de poursuites. On trouve des statistiques, je crois, dans le rapport sur la menace publique.
M. Davies : Excusez-moi, monsieur, nous n’avons pas le rapport sur la menace publique avec nous, mais on peut le déposer. Tous ces chiffres figurent dans le rapport sur la menace publique que le gouvernement publie chaque année.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ce n’est pas parce que je veux insister. Nous avons même vu un cas hier où il n’y a pas eu d’accusation. Je ne veux surtout pas en parler, mais je trouve cela assez extraordinaire. Vous me dites qu’il y a des mises en accusation, mais il n’y a pas d’accusations. Que faut-il en déduire?
[Traduction]
M. Davies : Vous aurez relevé, je l’espère, qu’il y a eu des mises en accusation, comme M. Breithaupt l’a dit. On peut vous fournir ces chiffres. Malheureusement, je n’ai pas ces détails avec moi.
M. Breithaupt : Et en ce qui concerne les 27 condamnations enregistrées à ce jour.
Le sénateur Gold : La question qu’a posée mon collègue est importante, je pense. Pourriez-vous commenter certains des témoignages que nous avons entendus à ce sujet? Notre loi comporte de nombreuses infractions de terrorisme. La plupart sont, pour ainsi dire, de nature préventive et se rapportent à l’activité avant la bombe, si l’on peut dire. Elles exigent, dans certains cas, que l’intention soit prouvée, mais le plus souvent, elles sont vraiment axées sur l’activité. Néanmoins, c’est compliqué.
Après coup, à Dieu ne plaise, il y a eu un acte, mais, à côté des infractions de terrorisme, on a aussi le Code criminel ordinaire. Il ressort des témoignages et de la documentation qu’il est beaucoup plus facile pour les procureurs de porter des accusations en vertu, disons, des dispositions relatives aux voies de fait, aux méfaits ou à l’homicide, même dans le cadre d’une activité terroriste. C’est plus facile d’obtenir une condamnation.
Les statistiques ne donnent pas toujours une image complète de la situation en raison des choix faits en matière de poursuites. Il est plus difficile de condamner pour une infraction de terrorisme parce qu’il faut établir l’intention dans de nombreux cas, alors que si des dommages ont été causés, malheureusement, il est plus facile d’intenter des poursuites en vertu des dispositions normales.
Est-ce une description fidèle de la dynamique à l’œuvre en coulisses?
M. Breithaupt : Je peux dire que, oui, les infractions de terrorisme et le chapitre sur le terrorisme ont un objectif principalement préventif. Il vise surtout à permettre aux organismes d’application de la loi d’intervenir et d’accuser une personne d’une infraction terroriste avant que l’attaque terroriste n’ait lieu. Il est vrai qu’ils sont tenus d’anticiper et que les forces de l’ordre doivent décider du moment de l’intervention.
Il y a d’autres infractions de terrorisme, par exemple, la perpétration d’un acte criminel au nom d’un groupe terroriste, au profit d’un groupe terroriste ou en association avec lui, qui n’ont pas nécessairement un caractère aussi préventif.
Le sénateur Gold : J’attendais de vos commentaires, si vous en avez, qu’ils m’aident à comprendre si même dans un cas comme celui-là, il serait plus facile d’intenter des poursuites pour la seule commission de l’infraction. Il peut y avoir des circonstances aggravantes dans la détermination de la peine, mais il y a moins à prouver si vous pouvez établir l’actus reus réel, les éléments de l’infraction, plutôt que d’avoir à plaquer là-dessus « aux fins d’une activité terroriste ».
M. Breithaupt : C’est à la police et aux procureurs indépendants de décider. En particulier, le procureur décide, compte tenu de la loi et des éléments de preuve disponibles, de la probabilité raisonnable d’une condamnation, de l’intérêt public, de l’infraction à appliquer dans une affaire donnée. Il peut décider d’accuser la personne de meurtre, par exemple, plutôt que de meurtre au profit d’un groupe terroriste.
Ces options lui sont ouvertes. Le procureur peut décider, parmi la gamme d’infractions, laquelle est la plus appropriée, compte tenu des particularités de l’affaire, de la disponibilité de la preuve et des autres motifs que j’ai mentionnés.
Le sénateur Gold : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une question complémentaire. J’écoutais mon collègue, le sénateur Gold. Avec tout le respect que je lui dois, j’avais l’impression qu’on s’éloignait du projet de loi C-59 et qu’on assistait à une plaidoirie entre le témoin et le sénateur. Je ne doute pas de l’excellent travail des services de sécurité nationale. Cependant, je suis fort surpris que, avec tout le travail d’enquête qui a été accompli, il y ait eu des accusations, mais que personne n’ait été reconnu coupable. Je vous avoue que cela m’apparaît inquiétant. Je tenais à vous le mentionner. Je ne voulais pas amorcer une plaidoirie sur la façon de faire une mise en accusation. Je sais comment cela doit se faire.
Je trouve tout de même inquiétant que l’Australie ait porté 60 accusations. Je concède qu’il y ait peut-être un plus grand nombre d’actes terroristes en Australie, mais je ne peux pas croire qu’au Canada, il n’y ait pas eu une seule mise en accusation. Cela dit, je ne veux pas en faire un débat ou une plaidoirie. Je sais qu’il y a beaucoup d’avocats autour de la table. C’est tout simplement un commentaire que je voulais formuler.
[Traduction]
M. Davies : On m’a donné quelques chiffres de plus. Depuis 2013, 12 personnes ont été inculpées et trois condamnées, deux engagements de ne pas troubler l’ordre public pour terrorisme ont été imposés, quatre mandats en cours, deux personnes sont en attente de jugement et dans un cas, les accusations ont été retirées. Pour ce qui est de votre question sur les condamnations, il y a eu trois condamnations depuis 2013.
M. Breithaupt : Comme nous l’avons indiqué précédemment, il y a eu 27 condamnations en date du 11 décembre 2018.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Au moins, on en a trouvé quelques-uns.
[Traduction]
La présidente : Ne voyant pas d’autres questions, permettez-moi, au nom du comité, d’exprimer mes remerciements aux fonctionnaires pour leur présence.
Je rappelle à tous les sénateurs qui auraient des amendements à proposer de bien vouloir consulter le greffier de justice et les partager avec notre greffier pour qu’il puisse bien se préparer.
Mesdames et messieurs les sénateurs, l’étude article par article aura lieu lundi à 13 heures et nous commencerons l’étude du projet de loi C-77 à 11 h 45, mercredi.
(La séance est levée.)