Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 43 - Témoignages du 15 mai 2019
OTTAWA, le mercredi 15 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la Défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 11 h 45 pour examiner le projet de loi.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons commencer, mais auparavant, j’aimerais que chacun se présente.
Le sénateur Dagenais : Bonjour, Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Busson : Bonjour. Je suis Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Oh : Bonjour. Victor Oh, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Gold : Bonjour. Marc Gold, du Québec.
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
[Traduction]
La présidente : Gwen Boniface, de l’Ontario.
Chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’étude du projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la Défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Nous avons le privilège d’accueillir aujourd’hui le colonel à la retraite maître Michel Drapeau et maître Joshua Juneau, avocat-notaire, qui constitueront notre premier groupe de témoins.
Maître Drapeau, je vous cède la parole.
Colonel Michel Drapeau (à la retraite), avocat-conseil principal, Cabinet juridique Michel Drapeau, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de l’invitation à venir témoigner aujourd’hui et à participer à votre étude du projet de loi C-77, qui vise à modifier la Loi sur la Défense nationale. Je serai bref.
[Français]
Je sais pertinemment que le projet de loi C-77 a déjà reçu d’appui des deux partis de l’opposition à la Chambre des communes. Je sais aussi que le projet de loi C-77 est en grande partie basé sur le projet de loi C-71, qui a été déposé au cours des derniers mois de la législature précédente.
De plus, je suis conscient du fait qu’aucune opposition aux dispositions principales de ce projet de loi n’a été exprimée jusqu’à maintenant, au contraire.
[Traduction]
Comme certains d’entre vous le savent sans doute, en tant qu’auteur ayant publié de nombreux ouvrages sur le droit militaire canadien depuis 2005 et que professeur de droit militaire à l’Université d’Ottawa depuis 2009, je milite depuis 10 ans sur de nombreuses tribunes, tant nationales qu’internationales, pour qu’on procède aux réformes qui sont au cœur même du projet de loi C-77.
J’aimerais vous parler tout d’abord des audiences sommaires. J’appuie sans la moindre réserve l’abolition du système de procès sommaires prévue dans le projet de loi C-77, un système qui a été décrié par de nombreuses voix, dont la mienne, en raison de son caractère obsolète, injuste et inéquitable. Si le projet de loi C-77 est adopté, la profession militaire joindra d’autres professions au Canada en ayant son propre processus disciplinaire. C’est un élément positif.
[Français]
Ma seule et unique — et forte — objection au modèle proposé est que, en vertu de la modification à l’article 162.7 de la Loi sur la défense nationale, un individu pourrait être sanctionné avec une rétrogradation de rang si on juge qu’il a enfreint le code de discipline militaire.
Selon moi, une telle sanction devrait être réservée à des crimes graves jugés par une cour martiale, et non à une infraction qui est, en principe, un objet mineur, selon le code de discipline militaire. Étant donné la sévérité d’une telle sanction, je pense que la justice naturelle exige la présence de toute une panoplie de droits de procédure, y compris le droit à l’aide d’un avocat.
Deuxièmement, j’appuie également la disposition du projet de loi C-77 qui confère aux victimes davantage de droits et de protections, similaires à ceux qui sont prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes. Cela corrigera enfin une injustice majeure, par laquelle ces victimes sont actuellement exclues de la Charte canadienne des droits des victimes.
[Traduction]
La grave lacune, si je puis dire, que comporte le projet de loi C-77 concernant la Charte canadienne des droits des victimes se trouve au paragraphe 71.16 (1), qui prévoit que l’on confierait la tâche au commandant de l’accusé de nommer un agent de liaison pour aider la victime si elle le demande.
Je trouve que c’est une mauvaise façon de procéder. On se demande si la victime d’une agression sexuelle, par exemple, et en particulier s’il s’agit d’une victime civile, accepterait qu’un membre de l’unité dont fait partie l’accusé soit nommé agent de liaison pour veiller à ses droits en tant que victime.
À mon avis, le ministère de la Défense nationale devrait revoir ce point. Je peux vous donner l’exemple de l’armée américaine qui a opté pour des défenseurs des victimes ayant reçu une formation. Ces défenseurs sont des professionnels de l’armée formés qui sont sur appel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ils offrent des conseils et du soutien émotionnel aux victimes d’agression sexuelle, y compris du soutien pour les aider à obtenir des traitements médicaux. Ils leur fournissent également des renseignements sur leurs droits et les procédures judiciaires. Ces professionnels formés ont suivi un cours de 80 heures sur le harcèlement sexuel et les interventions en cas d’agression sexuelle, et à la fin de ce cours, ils obtiennent une certification comme défenseur des droits des victimes.
Comparons cela à ce que nous avons : un agent de liaison provenant de l’unité de l’accusé qui a, essentiellement, été choisi par son commandant. Il peut s’agir d’un membre de l’infanterie, de l’armée de l’air, de la marine qui n’a aucune formation juridique ou quelconque pour offrir un soutien émotif, juridique ou autre et des conseils à la victime.
Cela étant dit, je peux dire que je suis très conscient que le projet de loi C-77 apporte également un nombre important de changements procéduraux dans le fonctionnement des cours martiales. Je n’ai pas de commentaires à faire au sujet de ces changements dans la loi.
En terminant, à l’exception des deux changements que j’ai proposés un peu plus tôt, j’appuie sans réserve le projet de loi C-77. J’espère sincèrement qu’il recevra la sanction royale avant la dissolution du Parlement. Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.
Joshua Juneau, avocat-notaire, Cabinet juridique Michel Drapeau, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. J’en suis à ma première comparution au Sénat, et c’est un honneur et un privilège de prendre la parole au sujet du projet de loi C-77. Merci de m’avoir invité et de me donner l’occasion de témoigner.
J’aimerais commencer par préciser que je n’ai jamais servi dans l’armée. Je suis un avocat qui pratique le droit administratif et bon nombre de mes clients sont membres de l’armée. J’ai donc appris ainsi à connaître le système de justice militaire que j’ai critiqué à certains moments. Si j’exprime ces critiques, c’est parce que j’ai la ferme conviction que les membres des forces armées et les anciens combattants sont des citoyens canadiens avant tout et qu’ils ne devraient pas être privés d’aucun des droits qu’ils se battent pour protéger.
Au cours des dernières années, j’ai cosigné plusieurs articles critiquant les procès sommaires dans l’armée. Nombre d’idées ne viennent pas de moi mais d’éminents chercheurs, dont mon collègue, maître Drapeau, Mme Anne London-Weinstein, qui vient d’être nommée juge à la Cour supérieure, M. Pascal Lévesque et de nombreux autres.
Dans sa forme actuelle, le système de procès sommaires présente, selon moi, deux problèmes importants.
Premièrement, si un membre est condamné dans le cadre d’un procès sommaire, il peut être emprisonné. Deuxièmement, s’il est condamné, il peut avoir un casier judiciaire. On parle dans ce cas de véritables conséquences pénales, et je reconnais que ce sont les termes qui conviennent.
Cela pose problème, parce qu’il y a peu de mécanismes de protection dans le cadre d’un procès sommaire. Par exemple, l’accusé n’a pas droit à un avocat, il se peut que la preuve repose entièrement sur des ouï-dire, il n’y a pas de transcription de l’audience, et cetera.
Heureusement, le projet de loi C-77 réglera ces deux problèmes, et j’aimerais soulever quatre éléments centraux à ce sujet.
Premièrement, les procès sommaires seront convertis en audiences sommaires. Deuxièmement, les audiences sommaires porteront uniquement sur les manquements d’ordre militaire et non sur les infractions d’ordre militaire, qui seront réservées aux cours martiales. Troisièmement, l’échelle de sanctions pour les audiences sommaires sera différente de l’échelle des peines pour les cours martiales. Et quatrièmement, le terme tribunal militaire disparaîtra.
Ce ne sont pas de simples jeux de mots. Les membres qui font face à des audiences sommaires auront des droits prévus dans la loi. Ils ne risqueront plus d’être détenus ou d’avoir un casier judiciaire. Comme il porte sur les audiences sommaires, le projet de loi C-77 devrait non seulement être adopté et entrer en vigueur le plus tôt possible, mais il devrait aussi être applaudi. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Colonel Drapeau, pouvez-vous nous donner des exemples de nouveaux avantages dont pourraient bénéficier les victimes grâce à ce projet de loi? Croyez-vous que ce sera suffisant pour provoquer des dénonciations chez les membres des forces? En effet, comme on le sait, ces derniers vont souvent hésiter à dénoncer. Enfin, est-ce que ce projet de loi apportera des changements majeurs?
Col. Drapeau : Je ne pense pas que le fait de donner des droits aux victimes leur permettra de dénoncer en plus grand nombre une agression ou quelque chose de semblable. Je ne crois pas que ce soit le but visé. Le but est que ces personnes bénéficient des mêmes droits que tous les autres Canadiens grâce à la Charte canadienne des droits des victimes, qu’ils soient réfugiés, citoyens, résidents ou touristes, en prison ou non. Les seules personnes exclues sont les civils ou les militaires qui comparaissent en qualité de témoins devant un tribunal militaire. Cela n’a absolument aucun sens. Depuis trois ans, ces gens ont été réduits au statut de non-personne et n’ont absolument aucun droit.
Avec les changements proposés au projet de loi C-77, les victimes qui seront poursuivies devant un tribunal militaire bénéficieront des mêmes droits que si elles comparaissaient devant un tribunal civil, notamment le droit à l’information, le droit à une restitution, le droit d’être gardé au courant de ce qui se produit, tout comme le droit de bénéficier d’un appui, aussi minime soit-il.
Ces droits sont maintenant équivalents à ceux des victimes dans le domaine civil. C’est une bonne chose, puisque cela sert à réparer une grande injustice qui existe encore aujourd’hui.
À titre d’avocat, j’ai représenté certaines de ces victimes devant des tribunaux militaires. C’est important, surtout pour les victimes civiles qui ne comprennent absolument rien au système de justice militaire ni à la cour martiale et qui ne connaissent pas leurs droits. Même s’ils n’en ont pas, ils pourraient au moins connaître la procédure qu’il faut utiliser. Ils vont consulter des avocats de droit civil qui, la plupart du temps, ne peuvent pas les aider parce qu’ils n’ont ni l’expertise ni les connaissances requises pour les informer.
Ce projet de loi va corriger le tir et les mettre assurément au même niveau que les autres victimes, ce qui aurait dû être fait lors de l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes en 2015.
Le sénateur Dagenais : Pouvez-vous nous brosser un tableau des cas qui pourront dorénavant être transférés à la cour martiale?
Col. Drapeau : Il n’y aura aucun changement à la cour martiale. La cour martiale a la pleine compétence sur tous les crimes commis par des militaires, qu’ils soient en uniforme ou en devoir et où qu’ils se trouvent dans la société civile, au Canada ou à l’étranger. Si les autorités militaires décident qu’elles ont la compétence nécessaire pour juger ces crimes et si le crime est commis au Canada, à quelques exceptions près — le meurtre, la culpabilité au chef d’accusation d’homicide involontaire et l’enlèvement d’enfant ne sont pas couverts —, le système de justice militaire est tout à fait apte à le faire.
Dans le cas des victimes d’agression sexuelle, j’ai représenté surtout des victimes, des personnes civiles, qui ont été victimes d’une agression commise par un militaire et, dans ces cas, le procès s’est déroulé devant un tribunal militaire. Ces personnes sont doublement désavantagées parce que, en plus d’être des victimes, tout leur est complètement incompréhensible, et elles ne reçoivent aucune information ni aucune aide de la part des autorités militaires.
Le projet de loi C-77 apportera un petit changement en confiant au commandant de l’unité de l’accusé la responsabilité de choisir, au sein de ses effectifs, la personne qui agira en qualité d’agent de liaison envers la victime. C’est pourquoi j’ai fait ce commentaire plus tôt.
Le sénateur Dagenais : Merci, colonel Drapeau.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Maître Drapeau et maître Juneau, merci d’être avec nous. Je vais vous demander de réfléchir avec moi non pas tant aux particularités du projet de loi, mais bien à ses répercussions. Ma question comporte deux parties.
Voici d’abord la grande question à laquelle j’aimerais que vous répondiez. Pensez-vous que ce projet de loi, s’il est adopté essentiellement dans sa forme actuelle, aidera de façon significative le chef d’état-major de la défense, le général Vance, dans son opération Honour. Si c’est le cas, j’aimerais que vous nous donniez des exemples précis. Si ce n’est pas le cas, j’aimerais bien savoir ce qui vous amène à le penser.
La deuxième partie de ma question porte encore une fois sur la grande question de l’efficacité de ce que nous essayons d’accomplir ici, soit ce que les Forces armées canadiennes et ses dirigeants et ce que les membres de notre comité au Sénat tentent d’accomplir pour fournir un meilleur soutien aux victimes au sein du système militaire.
Maître Drapeau, vous avez suggéré que l’on examine le cas des défenseurs des victimes dans le système américain, et c’est très intéressant. On remet ainsi fortement en question, je pense, le fait d’avoir un agent de liaison, quelqu’un au sein même de l’organisation qui doit agir dans un rôle qui n’est pas vraiment le sien et qui pourrait encore sentir de la pression dans une organisation très hiérarchique s’il s’oppose trop fermement aux dirigeants. Par exemple, quels seraient les risques implicites pour leur propre carrière et leur avancement? J’aimerais vraiment qu’on discute de cette question.
La première partie de la question est donc de savoir où se situe ce projet de loi par rapport à l’Opération Honour, et la deuxième vise à savoir si le projet de loi procure vraiment aux victimes une représentation efficace, juste et fiable.
Col. Drapeau : Je vais répondre à la première partie de votre question en m’efforçant d’être bref, parce qu’il s’agit d’une question très vaste.
Le projet de loi appuiera-t-il les efforts du chef d’état-major de la Défense et l’Opération Honour? Oui, mais je m’empresse d’ajouter qu’il aidera surtout l’institution et qu’il accroîtra surtout le respect que la société canadienne et les membres des forces armées vouent à cette institution. Un système de justice injuste n’est bon pour personne. Le système actuel de procès sommaires est injuste, car un membre peut être accusé même s’il n’y a pas de règles à l’égard des preuves, les ouï-dire sont acceptés, il n’a pas droit à un avocat, il peut être jeté en prison pour une période prolongée et il peut se retrouver avec un casier judiciaire. C’est exactement le système qui est en place à l’heure actuelle.
Lorsque j’ai commencé à écrire sur le problème et à en parler publiquement, il y avait 1 500 procès sommaires par année. Ce qui veut dire qu’environ un membre sur 50 dans les forces subissait un procès sommaire. Cela n’avait aucun sens. Ce changement accroîtra le respect que l’on voue au système de justice militaire.
Si une victime rapporte un crime, il devrait y avoir enquête et il devrait y avoir des poursuites. Mais le fait d’avoir des poursuites ne veut pas dire qu’il faut mettre au rancart toutes les mesures de protection que tous les Canadiens ont à leur disposition dans le système de justice : le droit à un procès équitable, le droit à un avocat et le droit de porter sa cause en appel — ce que ne permet pas un procès sommaire. On accroîtra sans doute ainsi la confiance et le respect à l’égard du système de justice militaire. À défaut d’autre chose, il apporte une immense valeur ajoutée au système, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
J’aimerais ajouter en passant — et je n’entrerai pas dans les détails — que Me Juneau et moi avons vu un autre type de cas. Nous représentons les victimes de crimes, en particulier dans les cas d’agression sexuelle, mais nous avons aussi vu d’autres victimes qui sont négligées dans le cadre de l’Opération Honour. Il s’agit des personnes qui ont été accusées à tort en raison de peccadilles ou d’une chose aussi banale que d’avoir dit un mot déplacé. Nous pouvons donner des tas d’exemples. Ces victimes doivent faire face à un système de nature punitive dans lequel une personne est presque coupable avant même le début des procédures. Nous avons vu des cas de ce genre.
Si on peut établir un meilleur équilibre et donner à la personne accusée l’assurance qu’elle aura droit à un processus équitable, nous ferons un très grand pas en avant, car les membres des forces armées n’ont pas les mêmes droits que leurs homologues au civil. Il est plus facile pour un jeune punk de subir un procès un lundi matin dans une cour supérieure que pour un soldat éduqué, loyal, discipliné et formé de subir un procès sommaire, car il est coupable avant même le début des procédures et il n’a pas de droit d’appel. Alors oui, le projet de loi aidera.
Il améliorera également l’efficacité, en raison des critiques dont font l’objet les procès sommaires. Ces procès sont passés au fil des ans de 1 500 environ à 400 par année à l’heure actuelle. Moins de gens ont été envoyés en détention. Le message est déjà lancé et il résonnera encore plus fort grâce au projet de loi C-77.
Au sujet de l’agent de liaison, je vois de graves problèmes à ce sujet. C’est un fait bien connu que je représente Mme Raymond qui a été victime d’une agression sexuelle commise par un supérieur militaire à Québec et qui a fait la une du Maclean’s et de L’Actualité. J’ai commencé à la représenter après que les accusations ont été portées. À l’origine, les accusations étaient que l’adjudant s’était conduit de manière préjudiciable au bon ordre et à la discipline, ce qui correspond à une infraction disciplinaire. Après que j’ai commencé à la représenter comme avocat, il a été accusé, plus justement, d’agression sexuelle.
En tant que membre des forces armées à la retraite, elle n’avait aucune connaissance et n’avait jamais mis les pieds dans une cour martiale. En tant que victime, elle se serait donc présentée en cour sans aucune préparation et on lui aurait assigné un membre de l’unité même à laquelle appartient l’accusé. On n’avait aucune idée, aucun devoir de confidentialité à son égard. Tout ce qu’elle aurait confié à la personne avant d’avoir témoigné aurait pu être divulgué à n’importe qui. Cela m’a convaincu à l’époque que la présence d’un avocat était absolument nécessaire, si ce n’était que pour lui faire part des droits, s’il y en a, qu’elle avait, et de la préparer à son témoignage. Les choses n’ont pas changé jusqu’à maintenant, et nous avons représenté quelques autres personnes, mais c’est quelque chose qui doit être fait.
Le projet de loi aurait pu faire un pas de plus, comme le font certaines organisations, et fournir — pas pour tous les crimes, mais les agressions sexuelles en seraient un — un ensemble de mesures. On offre cinq heures de conseils juridiques gratuits, ou quelque chose du genre, aux victimes afin qu’elles puissent recevoir des conseils juridiques appropriés comme c’est leur droit. Nous n’en sommes pas encore là.
Cela étant dit, je continue d’affirmer que le projet de loi C-77 devrait être adopté dans sa forme actuelle sans délai pour accorder aux militaires, à tout le moins, 90 p. 100 des droits auxquels ils ont droit.
M. Juneau : J’ajouterai un élément. Je pense que si le projet de loi C-77 porte sur les droits des victimes, c’est parce que le paragraphe 18(3) de la Charte canadienne des droits des victimes exclut expressément les personnes qui sont victimes d’une infraction d’ordre militaire, et c’est toujours le cas. C’est injuste. On crée ainsi un système à deux vitesses où les victimes d’une infraction au Code de discipline militaire ne sont pas tenues informées dans la même mesure que les membres du grand public.
Comment peut-on régler le problème? Une solution que nous avons prônée par le passé est tout simplement d’abroger le paragraphe 18(3) de la Charte canadienne des droits des victimes. Une autre solution est ce qui est proposé dans le projet de loi C-77.
Selon la lecture que je fais du projet de loi C-77, il permettra aux membres de l’armée, aux personnes qui sont victimes d’un crime au sein de l’armée, d’avoir droit à nombre des mêmes protections qui font déjà partie intégrante de la Charte canadienne des droits des victimes — en leur fournissant de l’information de base et de l’information concernant l’infraction. Pourquoi est-ce nécessaire? Comment cela aidera-t-il l’Opération Honour? Dans notre pratique, nous rencontrons des victimes de crimes et d’infractions d’ordre sexuel, en particulier des membres de l’armée, et une victime dans ces circonstances se sent habituellement dans une position vulnérable. Si elle ne participe pas au processus, bien souvent, le procès peut avoir pour effet de la traumatiser de nouveau. Toute mesure visant à leur offrir des mesures de protection procédurales et à les protéger dans ces circonstances ne peut être qu’un pas en avant pour atteindre les objectifs opérationnels de l’Opération Honour.
[Français]
Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse aux deux témoins et elle porte sur ce que le colonel Drapeau a souligné sur la rétrogradation, qui pourrait être une des peines encourues par une personne qui se soumet à une audience sommaire.
J’aimerais que vous nous expliquiez davantage pourquoi vous considérez que cette sanction n’est pas appropriée et pourquoi elle est particulièrement grave. Peut-être que ceux d’entre nous qui n’ont jamais fait partie des forces armées comprennent mal les manifestations de cette peine.
[Traduction]
J’aimerais aussi que Me Juneau nous fasse part de ses commentaires sur ce point particulier.
[Français]
Col. Drapeau : Une sanction de rétrogradation implique certainement des pertes financières importantes. Il peut y avoir de 3 000 $ à 10 000 $ de différence entre un grade et un autre pour ce qui est de la solde. Cela aura également un impact sur la pension de l’individu, ainsi que sur son prestige et sa réputation. En vertu du projet de loi, c’est un officier qui présidera au procès par voie sommaire. Le grade de cet officier doit être d’au moins un grade supérieur à l’accusé. Cette décision est donc prise par une seule personne.
Dans le cas d’un comité de discipline qui régit un autre ordre professionnel — qu’il s’agisse du Barreau, du Collège des médecins, de l’Ordre des dentistes ou autre —, avant d’en arriver à une rétrogradation, il y a un processus disciplinaire régi par un comité composé de plusieurs personnes. On donne des informations sur les droits procéduraux. Dans notre cas, il s’agit plutôt du supérieur immédiat de l’accusé, qui n’a probablement aucune indépendance vis-à-vis de celui-ci. Ce supérieur va imposer une sanction de rétrogradation du jour au lendemain, avec toutes les conséquences que cela entraîne et en donnant très peu d’information sur les droits procéduraux, à savoir le droit de porter la cause en appel, le droit de demander que l’affaire soit mieux défendue et le droit d’avoir un représentant du milieu juridique lors du procès, chose qui n’existe pas à l’heure actuelle. Je crois que c’est une justice très primaire, très arbitraire. Cela n’est pas nécessaire et cela outrepasse les pouvoirs que l’on devrait accorder à un tribunal disciplinaire dans un tel cadre.
[Traduction]
M. Juneau : Le procès sommaire prévoit déjà ce type de punition, mais depuis que je pratique le droit, je ne l’ai jamais vu utiliser. J’en déduis donc que pour que quelqu’un soit rétrogradé dans le cadre d’un procès sommaire, il faudrait que ce soit pour un problème très grave. Je n’ai jamais eu connaissance que cette punition ait été utilisée.
La question qu’on se pose alors est la suivante : si la conduite était si grave qu’elle nécessite ce type de punition, peut-être que la cause devrait être entendue en cour martiale, où toutes les protections procédurales sont disponibles. Comme elle n’a jamais été utilisée et que je ne l’ai jamais vu invoquer, je n’ai pas de connaissances suffisantes pour parler des circonstances dans lesquelles cela serait approprié ou non.
[Français]
Le sénateur Pratte : Colonel Drapeau, vous n’avez pas d’objection, par ailleurs, à l’une des autres sanctions possibles pour les audiences sommaires, à savoir la diminution de salaire?
Col. Drapeau : Il y a une limite là-dessus. De mémoire, la limite est de 18 jours, soit la moitié d’un mois. Je crois qu’il y a nombre d’amendes similaires qui sont imposées à l’heure actuelle. Nos militaires sont bien payés. La limite de 18 jours signifie que la sanction est proportionnelle au salaire de chacun. C’est la plus haute norme. Je n’ai pas de difficulté avec cela. À l’heure actuelle, dans le cadre d’un procès par voie sommaire, un commandant peut donner jusqu’à 30 jours. C’est quand même une diminution de salaire.
Le sénateur Pratte : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Ma question s’adresse aux deux témoins. En mai 2018, un article est paru dans le Globe and Mail qui s’intitulait Does Canada’s bill to protect military victims go far enough? Il était signé par Lindsay Rodman, qui mentionnait que lorsqu’il s’agit de protéger les victimes et de répondre à leurs besoins, le contexte militaire requière probablement plus de protections que le monde civil en offre. Je pense que vous avez fourni une excellente réponse à cela en répondant à la question que la sénatrice McPhedran vous a posée.
J’aimerais creuser un peu plus la question. Y a-t-il d’autres enjeux touchant les droits de la personne que le projet de loi C-77 n’aborde pas?
Col. Drapeau : Non, je pense que le projet de loi C-77 traite de tous les enjeux, mais la seule réserve que j’ai à ce sujet concerne l’agent de liaison. J’aimerais qu’on trouve une autre formule. Je ne suis pas d’accord avec l’article que vous avez cité, à savoir que les victimes de crime, en particulier ceux qui portent l’uniforme, sont mieux protégées. Si je paraphrase ce que vous avez dit, je ne suis pas d’accord. J’ai représenté un certain nombre de victimes qui, par exemple, étaient au Collège royal militaire. Comme il s’agit presque d’un séminaire, ce sont des cadets, et ils sont assujettis non seulement à la discipline, mais à la camaraderie de tous les autres cadets.
Nombreux sont ceux parmi eux qui ne veulent pas déposer de plainte. En fait, certains les retirent. J’ai vu cela se produire, parce qu’ils savent qu’à partir du moment où ils le font, leurs collègues, les autres cadets ou les jeunes filles cadets vont les regarder d’une façon différente et parfois hostile comme s’ils désapprouvaient le fait de mettre au jour quelque chose qui ne devrait pas l’être.
Chez presque toutes les personnes que j’ai représentées, leurs craintes étaient que cela ait des répercussions sur leur carrière. Elles préféraient taire leur indignité d’avoir été l’objet d’une forme quelconque de harcèlement sexuel, de plainte, ou d’agression pour pouvoir continuer à servir afin que leur carrière, leur vie et leur réputation ne tournent pas en un véritable cauchemar. J’ai vu cela se produire trop souvent.
Dans le cas d’un civil, la plupart du temps, si ce n’est pas toujours le cas, le procès va avoir lieu à l’extérieur du lieu de travail. Dans l’armée, si la victime et l’accusé sont tous les deux au Collège royal militaire, la cour martiale se tient au collège même. Les membres du jury font partie du collège, et les cadets ne sont pas seulement invités à y assister, mais ils y sont obligés.
Vous pouvez donc vous imaginer que si vous êtes une victime et qu’on vous demande de comparaître et de témoigner, vous ne savez pas ensuite où regarder quand vous devez vous rendre à la cafétéria pour le dîner ou pour la pause, alors vous préférez ne pas emprunter cette voie. Les victimes que j’ai rencontrées m’ont juré qu’elles ne témoigneront pas pour poursuivre ou faire en sorte qu’on poursuive l’accusé.
Donc, est-ce différent? C’est vraiment le cas, oui.
M. Juneau : À mon avis, madame la sénatrice, la norme n’est pas la perfection ou même l’équivalent. La norme, c’est de voir la justice être rendue. Selon moi, le projet de loi C-77 fait un pas très significatif dans la bonne direction. Pourrait-on en faire davantage? Sans doute, mais la voie empruntée par les forces armées est de s’attaquer aux problèmes dans le cadre de la directive opérationnelle de l’opération Honneur. Je pense que la transformation culturelle est en cours grâce à l’opération Honneur. Je ne peux vous donner de détails, car je ne suis pas à l’interne et je n’ai pas les statistiques, mais selon la perspective que nous en donne notre pratique, on voit qu’il y a une évolution dans les attitudes et le type de cas que nous recevons.
La transformation culturelle que l’on veut atteindre ne peut se produire que grâce à des mesures de prévention, comme l’opération Honneur, et elle donne des résultats.
La sénatrice Griffin : C’est bon d’entendre que l’opération Honneur donne des résultats. Merci.
Le sénateur Oh : Avons-nous une idée du nombre de victimes qui quittent l’armée, démissionnent et n’y retournent jamais parce qu’elles ne pouvaient subir la pression d’une situation de ce genre?
Col. Drapeau : Monsieur le sénateur, nous n’avons pas cette information. Je pense que les statistiques au Canada, et probablement en Amérique du Nord, indiquent qu’au bout du compte seulement environ 25 p. 100 des victimes rapportent le crime, et sur ce nombre, seul un faible pourcentage vont aboutir à une condamnation. Les victimes en sont conscientes et sont conscientes du prix élevé qu’elles doivent payer parce que le système de justice pénale n’est tout simplement pas en mesure de bien s’occuper de ces problèmes et de le faire de façon séparée. Elles se rendent compte qu’en fait, les victimes deviennent des victimes du système.
J’ai déjà mentionné ce qui suit publiquement, parce que je représente Mme Stéphanie Raymond. Si je me souviens bien, elle avait été agressée en 2011 et le procès en cour martiale a eu lieu en 2014. L’affaire doit maintenant être entendue en Cour suprême en 2019. La Cour d’appel de la Cour martiale a ordonné l’an dernier un nouveau procès, alors un nouveau procès aura lieu sans doute en 2020. Cela demande beaucoup à une victime et à un accusé de passer par toutes les étapes de ce processus.
Recommanderiez-vous alors à votre sœur ou à votre nièce de passer par toutes les étapes du système, en particulier si elle veut faire carrière au sein de l’organisation et en sachant que les gens vont la regarder d’une drôle de façon? La réponse est non.
J’ai rencontré des hauts gradés, dont un en particulier qui m’a dit : « J’ai été victime d’une agression sexuelle quand j’étais jeune cadet. C’est arrivé le jour où j’ai obtenu mon diplôme. Je n’ai jamais dénoncé mon agresseur. Et si je l’avais fait, je n’aurais pas le grade que j’ai aujourd’hui et je n’aurais pas fait carrière dans l’armée. » J’en avais les larmes aux yeux juste à l’entendre.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup d’être avec nous. Vous avez dit bien des choses importantes. Ce que j’en retiens, à tout le moins en partie, c’est l’aspect important que revêt l’agent de liaison de la victime et ce que vous estimez qu’il devrait être. Vous avez également dit que vous appuyez le projet de loi tel qu’il est et que vous en souhaitez l’adoption. Nous allons prendre vos préoccupations très au sérieux, au minimum sous forme d’observations, mais demeurer vigilants sur cet aspect. Nous vous remercions de l’avoir porté à notre attention.
Vous avez déclaré au passage qu’un agent de liaison de la victime n’aurait pas de formation, qu’il appartienne ou non à l’unité de la victime.
Si je ne m’abuse, le système actuel d’audiences sommaires prévoit de la formation pour les personnes concernées, leur supérieur et les commandants. Ils reçoivent une formation sur la façon de mener une audience et ainsi de suite. Il me semble que ce devrait être la même chose pour les agents de liaison des victimes, non? À cet effet, je vous réfère au paragraphe 71.16(1) du projet de loi, où il est question de l’agent de liaison de la victime. On y précise qu’un officier ou militaire du rang qui satisfait aux conditions prévues par règlement du gouverneur en conseil peut être nommé agent de liaison. Ne serait-il pas raisonnable de s’attendre à ce que ce règlement comprenne une formation quelconque?
Col. Drapeau : Monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous, et c’est assez flou. Comme je n’ai pas encore vu le règlement en question, il pourrait bien en prévoir une. On pourrait nous faire une belle surprise, qui sait?
Au bout du compte, la valeur de cette mesure ne sera confirmée que par le sentiment de confiance qu’elle inspirera aux victimes. Le libellé dit bien « sur demande ». Est-ce que les victimes, et plus particulièrement les civils, comprendront bien qu’elles doivent s’adresser à un commandant du COMFOSCAN, à Petawawa? Et j’insiste sur cet acronyme, car c’est dans ce jargon que nous nous exprimons. Est-ce que la victime est assez renseignée pour faire des démarches, parler à des commandants et aller de l’avant avec sa dénonciation? Surtout en tant que civil. Et est-ce qu’elle peut avoir confiance tout au long du processus que ses besoins, tant sur les plans psychologique, juridique et médical que du respect de la vie privée, entre autres, seraient pris en charge par quelqu’un qui a reçu une formation? Si cette personne est autorisée par le Barreau ou une autre organisation, il est possible qu’il y ait là un préjugé favorable, puisqu’une telle désignation nécessite déjà une formation professionnelle. Est-ce qu’un militaire détient ces compétences? Peut-être. Il faudra attendre pour voir le règlement.
Je propose que vous demandiez au ministre ou à quelqu’un d’autre si ce règlement sera assez explicite pour comprendre ces compétences, mais aussi assurer un certain sentiment de confiance chez la victime.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup pour ce commentaire. Et vous, maître Juneau, qu’en pensez-vous?
M. Juneau : Je suis tout à fait d’accord. On ne peut que spéculer sur la teneur du règlement. Je peux toutefois vous confirmer que, à l’heure actuelle, le commandant qui supervise un procès par voie sommaire reçoit bien une certaine formation, mais ce serait l’équivalent d’environ une demi-journée de formation juridique, si j’ai bien compris. Je suis d’avis qu’il en faut plus pour être juge, mais les choses sont ce qu’elles sont.
Le sénateur Gold : Vous appuyez tous les deux avec vigueur l’élimination du procès par voie sommaire parce qu’il est injuste et de nature pénale. Mais vous avez déclaré être en faveur de la nature administrative de l’audience envisagée — surtout vous, maître Juneau — parce qu’elle est administrative, qu’il n’y est pas question de dossier criminel, et cetera.
D’autres ont toutefois avancé que, malgré les apparences, cette procédure demeure de nature pénale. Nous pourrions entendre des témoins à cet effet très bientôt. J’ai lu qu’on invoquait, par exemple, le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Martineau et les principes de justice fondamentale, et je me demande si vous avez des commentaires à faire là-dessus.
Col. Drapeau : Monsieur le sénateur, le système est absolument dysfonctionnel. Je le trouve si révoltant que n’importe quoi serait mieux. Le projet de loi C-77 améliore le système, à tout le moins en en retirant l’aspect pénal. Vous n’allez pas en prison...
Le sénateur Gold : Pardonnez-moi, mais pourriez-vous nous aider, autant que faire se peut, à contrer l’argument selon lequel ces changements demeurent essentiellement de nature pénale? La norme visant à prouver un fait hors de tout doute raisonnable est commune dans les procès parce qu’il s’agit de droit pénal et que vous pouvez vous retrouver en prison. Cela dit, en fonctionnant plutôt selon la prépondérance des probabilités, l’audience est de nature administrative, et vous évitez ainsi la prison et le dossier criminel. Des critiques chevronnés disent que cela peut donner cette impression, mais que ce n’est pas nécessairement le cas. Que leur répondriez-vous?
Col. Drapeau : Je ne peux que faire une recommandation qui résumera peut-être essentiellement ma vision des choses. Je le fais à la lumière de mon expérience avec le système britannique. Le système britannique a conservé le procès par voie sommaire actuel, mais — ce qui est tout à fait britannique — a créé une cour d’appel composée de trois membres.
L’individu qui passe par ce système peut maintenant faire appel, même s’il n’a pas les protections procédurales qu’il devrait avoir. Cette audience sommaire pourrait comprendre quelque chose de semblable. Actuellement, il s’agit d’un groupe d’examen nommé par le chef d’état-major, et vous n’avez pas plus de garantie de son indépendance ni de son respect de la loi. Ce pourrait être une possibilité. Il pourrait y avoir une procédure d’appel, ce qui pourrait être vu comme coûteux. Si vous faites bien votre travail à la base, la décision ne sera pas systématiquement portée en appel. De cette façon, vous pouvez à tout le moins corriger la perception que c’est, dans les faits, quasi criminel.
Le sénateur Gold : Je vais conclure là-dessus. Je voudrais savoir, maître Juneau, si vous croyez que cela demeure de nature pénale, comme certains peuvent l’avancer. Je voudrais simplement vous entendre officiellement sur la question.
Col. Drapeau : Je ne crois pas, non. Ce n’est pas de nature pénale.
M. Juneau : Une fois les véritables conséquences pénales éliminées, je crois que vous retirez la tare habituellement associée à la criminalité. Est-ce que c’est parfait? Est-ce que l’on pourrait faire mieux? C’est possible, mais les changements se font souvent à petites doses.
Le sénateur Gold : Merci.
Le sénateur Richards : On a pour ainsi dire répondu à ma question, parce que j’allais demander à quel point un crime devait être grave pour qu’il y ait rétrogradation. Me Juneau a déclaré que, selon lui, ce serait jugé dans le cadre d’un procès en cour martiale plutôt qu’un procès par voie sommaire.
Ensuite, je voulais parler des délais d’audience de la cour martiale. Colonel, votre réponse laissait entendre qu’ils sont extrêmement longs. Il faut énormément de temps pour obtenir un jugement. C’est une tare en soi si l’accusé n’est pas coupable, non? S’il est coupable, là, c’est autre chose. C’est une tare et presque une rétrogradation en soi, même si la personne est innocente. Pourriez-vous nous donner votre opinion là-dessus, s’il vous plaît?
Col. Drapeau : C’est une tare. Ce dont la majorité des gens ne sont pas conscients, c’est qu’il s’agit d’un système qui date du Moyen Âge. Imaginez un déploiement à l’étranger. Quand il se produisait un incident, le commandant nommait un avocat de la Couronne et un avocat de la défense, puis le procès avait lieu dans le secteur de l’unité, à des centaines de kilomètres de la maison mère. Nous fonctionnons encore de cette façon. La cour martiale se déroule là où est l’unité de l’accusé. Parfois, la victime s’y trouve aussi.
Donc, tout le long du processus, la victime peut croiser l’accusé. Il est évident que les avis prennent forme et sont consolidés. Puis le procès finit par avoir lieu, et si la victime est une femme et qu’elle est appelée à témoigner, elle doit le faire devant ses collègues de travail. Puis le lendemain, elle retourne travailler. C’est un environnement particulier. Est-ce que cela doit se dérouler ainsi? Non. Je le précise parce que le délai amplifie les conséquences et l’incidence, puisque l’accusé est à proximité de la victime, et le procès a lieu parce que nous avons toujours procédé de la même façon. Mais cela n’a pas à être le cas.
Tous les cas de cour martiale pourraient être jugés à Gatineau. On y trouve une cour martiale tout à fait correcte. Le procès pourrait s’y dérouler, et on éliminerait ainsi la tare dont vous héritez automatiquement pour avoir servi dans la même unité que l’accusé au moment de l’agression. Le délai ne fait qu’aggraver la situation.
Le sénateur Richards : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je veux d’abord m’excuser de mon retard auprès des témoins et de mes collègues. J’avais d’autres obligations urgentes à régler. C’est toujours un plaisir de vous revoir, colonel Drapeau et monsieur Juneau.
À titre de critique de ce projet de loi, je peux vous dire que je tiens d’abord à féliciter les forces armées de se doter d’un tel mécanisme pour protéger les victimes. Je regrette qu’on n’ait pas appelé ce mécanisme une charte des droits des victimes plutôt qu’une déclaration, ce qui m’apparaît comme un message symbolique solide par rapport aux victimes. On verra ce qui se passera avec les amendements au projet de loi.
Il y a deux éléments sur lesquels j’aimerais vous entendre, colonel Drapeau, surtout à cause de votre grande expérience dans les forces armées, qui est quelque chose qui me frappe chaque fois que nous nous rencontrons.
Le premier élément est le droit à l’information. Cette charte est basée en partie sur la Charte des droits des victimes, que le gouvernement conservateur a adoptée en 2015 et sur laquelle j’ai travaillé activement. Un des droits inclus dans cette charte est le droit à l’information. Vous me direz si vous êtes d’accord avec moi : ce que je reconnais comme point faible quant au droit à l’information, c’est sa valeur non proactive. Dans les forces armées, il y a une structure pyramidale. Le lien de commandement est très fort et les victimes sont souvent intimidées par le grade, qui est une chose qu’on ne retrouve pas au civil. Au civil, on est simplement intimidé par l’agresseur tandis que, dans les forces armées, on peut également être intimidé par son rang. Quand on voit que les victimes devront elles-mêmes faire reconnaître ce droit, est-ce qu’on ne devrait pas, dans cette déclaration, inclure un article qui dirait fermement que le droit à l’information est une obligation de l’employeur d’informer les victimes de manière proactive, plutôt que d’obliger ces dernières à trouver elles-mêmes cette information?
Col. Drapeau : Sénateur Boisvenu, vous avez lu dans mes pensées. C’est tout à fait vrai. Les forces armées reconnaissent avec beaucoup de difficulté, par exemple, le droit à la représentation par un avocat. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on doive mener un combat parce qu’on représente un client et qu’on veut que la communication soit faite avec nous. C’est toujours un problème.
Si on a de la difficulté à obtenir de l’information à titre d’avocat, imaginez comment cela se passe pour la victime, qu’elle soit civile ou militaire avec un grade inférieur, qui exige — et c’est son droit — qu’on lui donne de l’information sur les progrès de l’enquête policière, sur la raison pour laquelle le procès n’a pas commencé ou sur la publication des chefs d’accusation, ce qui ne se fait pas comme au civil. Tant que la date n’est pas choisie et annoncée à la cour martiale, les chefs d’accusation ne sont pas publiés.
Il y a quelques années, un médecin a été accusé d’agression sexuelle contre un autre médecin. Il a fallu presque un an et demi avant que son identité et les chefs d’accusation soient révélés. Tant et aussi longtemps que la victime n’a pas retenu nos services, elle n’a reçu aucune information. Elle a passé un an sans recevoir aucune information de la part de personne.
Le sénateur Boisvenu : Ultimement, c’est quelque chose qui doit être amélioré dans la déclaration.
Col. Drapeau : Tout à fait, et c’est pourquoi le droit de la victime à l’information ne doit pas être vide de sens. Il faut qu’il y ait une obligation correspondante. Il faut que le ministère de la Défense respecte le droit à la représentation légale et fournisse de l’information en temps opportun. Ce sera difficile, je crois.
[Traduction]
M. Juneau : L’inclusion d’un énoncé stipulant que le droit à l’information devrait être assuré de façon proactive par la chaîne de commandement est une excellente idée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci.
J’ai une dernière question qui porte sur un problème fondamental dans la Charte. Dans les forces armées, il y a environ 60 000 militaires et 25 000 civils. Ces civils vont consacrer leur vie au monde militaire. La Charte ne reconnaît pas un droit égal entre les victimes militaires et les victimes civiles. Si vous êtes une victime militaire, vous serez pris en charge par les forces armées, mais si vous êtes une victime civile, en ce qui a trait aux services psychologiques aux victimes, vous devez vous adresser à votre province. Il s’agit d’un autre cheminement. Ce droit inégal dans l’application de la Charte ne crée-t-il pas deux catégories de victimes dans les forces armées?
Col. Drapeau : Je crois qu’il y a un croisement entre les lois. Je ne suis pas un expert de ce sujet. Dans la Charte canadienne des droits des victimes, on dit que celle-ci ne s’applique pas aux infractions qui sont des infractions d’ordre militaire. Il y aurait peut-être lieu de changer cet article. Le projet de loi C-77 dit qu’une victime, sans l’identifier comme étant militaire ou civile, si je ne m’abuse, aura droit à ce genre de services.
Le sénateur Boisvenu : J’ai posé la question aux représentants du ministère lorsqu’ils sont venus à mon bureau. Ils m’ont dit que, lorsqu’une personne civile est reconnue comme une victime et qu’elle veut obtenir de l’aide psychothérapeutique, elle doit s’adresser à sa province d’origine. Si ce n’est pas le cas, il faut que ce soit clairement mentionné dans la Charte qu’elle s’applique également aux militaires et aux civils.
Col. Drapeau : Je ne peux pas vous répondre là-dessus, mais je peux vous dire que si votre conclusion est basée sur des faits, à ce moment-là cela ne fonctionne pas. On ne devrait pas exiger un surplus de travail, d’émotions et de frais à une victime. Une victime est une victime; qu’elle porte un uniforme ou pas n’a rien à voir. Au contraire, une victime civile qui doit comparaître devant un tribunal militaire a besoin de plus d’aide, d’accompagnement et de compréhension.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
Le sénateur Gold : J’aimerais avoir une précision. Le sénateur Boisvenu a soulevé un enjeu important, si c’est vraiment un enjeu. Lorsque je lis la définition du terme « victime » dans le projet de loi, il est clair que le colonel Drapeau avait raison de dire que cette définition ne fait aucune distinction entre le statut civil ou militaire de la victime. Tous ceux et celles qui sont victimes d’une infraction d’ordre militaire ont droit à toute la gamme de services prévus dans le projet de loi.
[Traduction]
Je ne crois pas qu’il y ait d’inégalité.
[Français]
Col. Drapeau : Une réponse plus appropriée serait que, à l’heure actuelle, cette loi n’est pas encore en vigueur, et que la Charte canadienne des droits des victimes qui est en vigueur les exclut. Cela expliquerait peut-être la réponse que les victimes ont reçue.
Le sénateur Boisvenu : Non, la Charte des droits des victimes inclut les civils, peu importe où ils se trouvent.
Col. Drapeau : Non, la Charte canadienne des droits des victimes exclut les victimes...
Le sénateur Boisvenu : Militaires?
Col. Drapeau : Non, elle exclut n’importe quelle victime dont le crime est jugé par un tribunal militaire.
Le sénateur Boisvenu : Mais le crime pourrait être jugé par un tribunal civil.
Col. Drapeau : Oui, bien sûr, mais plusieurs victimes...
Le sénateur Boisvenu : C’est encore plus complexe.
Col. Drapeau : Mme Raymond est une de ces victimes. Le procès de l’accusé dans cette affaire a eu lieu devant une cour martiale.
Le sénateur Boisvenu : Si jamais les forces armées reviennent témoigner devant le comité, ce serait important de préciser cet élément, parce que c’est un point majeur. Merci, colonel Drapeau.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Maître Drapeau, je souhaite d’abord vous remercier pour votre service. J’ai été très impressionnée par votre discours et votre défense des victimes, mais aussi par la passion avec laquelle vous nous avez parlé des personnes qui servent ce pays et du respect que nous leur devons, ce qui dénote le magnifique équilibre que vous semblez être capable de maintenir.
Après l’avoir lu, je pense que ce projet de loi s’éloigne d’une approche plus radicale au profit d’un système qui semble être axé sur une approche corrective en matière de discipline au sein des forces armées.
Étant donné que ces personnes, qu’il s’agisse des victimes ou des accusés, sont pour la plupart encore actives au sein des forces armées — à l’exception d’un renvoi, bien sûr —, ai-je raison d’affirmer que l’approche privilégiée dans le projet de loi C-77 est davantage corrective qu’avant? Le cas échéant, croyez-vous que ce projet de loi est un progrès, en ce sens qu’il vous permet de réhabiliter les personnes visées? Est-ce que cet aspect est bâclé?
Col. Drapeau : Est-ce que l’approche est plus corrective? Je ne le crois pas. Je ne voudrais pas sous-entendre qu’elle l’est moins, mais je ne crois pas qu’elle le soit davantage. Elle est beaucoup plus juste, plus respectueuse et plus en accord avec les normes de la société civile qui devraient être la loi du pays pour tous. Le projet de loi témoigne un plus grand respect à nos soldats qui sont de bons citoyens canadiens à la base, et qui méritent, entre autres, la même protection procédurale que le reste de la population, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Il élimine une partie du caractère arbitraire présent jusqu’ici au sein du droit militaire, où un procès par voie sommaire est essentiellement une confirmation de la culpabilité. C’est de cette façon qu’il est perçu. Le projet de loi va, dans une grande mesure, éliminer une partie de ces excès et certains abus, en plus de prévenir la prononciation d’un jugement pénal, la création d’un dossier criminel et un emprisonnement sans procédure régulière, tous des points qui sont respectés par n’importe quel tribunal canadien.
Ce texte de loi fera passer le ministère de la Défense des XVe et XVIe siècles au XXIe siècle. Ce sera difficile à prendre pour bien des partisans de la ligne dure, parce que c’est plus facile à gérer. Quelqu’un est accusé et, trois jours plus tard, il passe devant l’officier d’instruction et vous êtes certain qu’il sera reconnu coupable, en plus de savoir quelle sanction il recevra.
Les choses vont changer. Si vous pouvez trouver un équilibre, vous aurez un meilleur soldat. Je m’attends à ce qu’un soldat soit intelligent, discipliné, loyal et dévoué à son travail. Je respecte ce qu’il est, et je dois respecter ses droits si je veux qu’il respecte mon autorité. C’est comme cela que ce devrait être.
Le projet de loi nous permet d’avancer. C’est un monde à part. Ce n’est pas le paradis, mais nous quittons assurément le Moyen Âge pour arriver au XXe siècle. Reste maintenant à passer au XXIe siècle; ce sera la prochaine étape.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Colonel Drapeau, c’est toujours un grand plaisir de vous revoir. Je m’excuse de mon léger retard.
J’ai deux questions à vous poser. La première est dans la même veine que celle du sénateur Boisvenu, soit l’information fournie aux victimes.
Je constate que le projet de loi ne reconnaît pas le droit des victimes d’une infraction d’ordre militaire à recevoir de l’information sur l’exécution de la peine, notamment la date de mise en liberté sous condition purgée dans un pénitencier fédéral ou une prison provinciale. Selon vous, qu’est-ce qui justifie cette disposition?
Col. Drapeau : Je n’ai absolument aucune raison à vous donner pour justifier cette omission. Selon moi, l’information devrait être fournie à la victime. Si nous devons quelque chose à la victime, c’est d’être le plus transparent possible sans contrevenir aux droits de l’accusé au sens de la justice. Sinon, cette personne a tout à fait le droit de recevoir de l’information. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas le cas.
Le sénateur McIntyre : Deuxièmement, selon vous, quelle sera l’incidence de l’entrée en vigueur du projet de loi C-77 sur l’opération Honneur? Qu’adviendra-t-il de cette opération si le projet de loi n’est pas adopté? Comment le projet de loi permet-il de remédier au problème rapporté par les victimes et souligné dans le rapport qui a suivi l’examen externe?
Col. Drapeau : Je peux vous dire que le premier impact est celui de la reconnaissance, soit que le Parlement, qui est suprême, s’intéresse à la chose militaire. C’est énorme, et cette décision vient par l’intermédiaire du législateur, qui a décidé de mettre au rancart les procès par voie sommaire et tous les abus procéduraux pour offrir quelque chose qui est nettement préférable. Je tiens à remercier les deux Chambres.
Ce changement n’a pas été apporté par la chaîne de commandement. Il a été apporté par ceux qui ont le devoir d’exercer un contrôle civil sur la chaîne de commandement et de s’assurer que tous nos garçons, nos filles, nos neveux, nos nièces qui servent au sein des forces armées obtiennent un traitement égal dans notre système de justice canadien, ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement. Alors, chapeau! Ce changement sera le bienvenu.
J’aimerais apporter une précision. L’opération Honneur, ce n’est pas l’opération du chef d’état-major de la Défense.
Le chef d’état-major de la Défense est responsable de mener les activités liées à la défense. Il n’est ni juge en chef et ni grand responsable de la justice. L’opération Honneur existait bien avant qu’on en parle de cette façon.
Le Code criminel punit sévèrement les agressions et les actes répréhensibles entre personnes. C’est le rôle du système de justice militaire. Il ne faut pas penser que, parce que le chef d’état-major de la Défense a mis en place l’opération Honneur, une personne est automatiquement reconnue coupable dès qu’une plainte est déposée contre elle et qu’on lui infligera automatiquement une sanction. Le système de justice militaire devrait fonctionner indépendamment de la chaîne de commandement. Il y a une distinction à faire entre les deux. Actuellement, les deux systèmes fonctionnent à l’unisson. Des plaintes de toutes sortes sont déposées. Dans certains cas, une personne peut être salie et soumise à des enquêtes pour des peccadilles qui n’ont rien à voir avec le système de justice ou la notion liée au fait d’être « criminellement responsable ».
Il faut rétablir un équilibre. Le pendule a trop penché d’un côté sous le régime de l’opération Honneur. Certes, cette opération a apporté beaucoup de changements, mais elle a créé des victimes dans son sillon.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup. Permettez-moi d’exprimer notre gratitude aux témoins d’aujourd’hui. C’était une excellente façon d’entamer notre étude du projet de loi C-77. Merci sincèrement à vous deux de vous être déplacés.
Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous recevons aujourd’hui Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel du Barreau du Québec, qui se joint à nous par vidéoconférence. Bienvenue. Aussi présente, Heidi Illingworth, du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels.
[Français]
Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel, Barreau du Québec : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Le Barreau du Québec vous remercie de l’avoir convié aujourd’hui à échanger avec vous sur le projet de loi C-77. Je suis président du Comité consultatif en droit criminel et j’ai été avocat militaire pendant 15 ans. De plus, je détiens un doctorat en droit militaire.
Le Barreau du Québec soutient l’intention du législateur qui a mené au dépôt de ce projet de loi. La justice militaire doit refléter davantage les droits des victimes, tout en s’assurant que le traitement des infractions jugées mineures soit le plus efficace et le plus équitable possible. Nous accueillons favorablement plusieurs modifications apportées par le projet de loi dans le but d’assurer un meilleur soutien aux victimes. Nous saluons notamment l’intégration de la Charte canadienne des droits des victimes dans la loi, de même que la création du rôle d’agent de liaison de la victime et l’octroi de nouveaux pouvoirs aux juges militaires afin de faciliter le témoignage des victimes et des témoins.
Dans le mémoire présenté dans le cadre de notre comparution, vous retrouverez des recommandations visant à bonifier plusieurs des mesures proposées par le législateur afin de mieux protéger les victimes. Certains éléments du projet de loi nous semblent problématiques et nous allons nous concentrer ici sur la réforme des procès par voie sommaire.
Le législateur approche la justice militaire vis-à-vis du droit disciplinaire professionnel par opposition au droit pénal. Ce changement de paradigme pourrait avoir des bienfaits, comme la réduction de la stigmatisation du militaire, et des conséquences pénales, tout en rendant plus efficace le processus menant à un procès.
Néanmoins, à notre avis, cette réforme telle qu’elle est présentée est susceptible de compromettre les droits des militaires de manière disproportionnée. En effet, on abroge la peine relative à la détention.
Le projet de loi supprime la possibilité pour un commandant d’imposer une peine de détention. Dans un contexte militaire, il s’agit d’une sanction qui vise à réhabiliter le militaire et à lui redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré. À notre avis, sans détention, il sera plus difficile de traiter les inconduites sérieuses commises dans des théâtres d’opérations. On peut penser notamment à des cas de harcèlement sexuel contre une autre militaire ou contre une civile.
Il est plus complexe de tenir une cour martiale à l’étranger parce qu’il faut faire venir les parties du Canada, alors que ceux qui participent au procès par voie sommaire sont déjà sur place. Un système de procès sommaire qui inclut une peine de détention est plus susceptible, particulièrement dans un théâtre d’opérations, de dissuader un harceleur potentiel ou de le sanctionner fermement et rapidement relativement au code d’inconduite. Ce n’est pas la détention qui est problématique en soi, mais plutôt la défense des droits des militaires qui y font face.
L’abaissement de la norme relativement aux éléments de preuve pour établir un équilibre quant aux probabilités semble cohérent par rapport à la volonté de dépénaliser le processus. Toutefois, malgré ce changement dans l’établissement du fardeau de la preuve, les militaires continueront d’être exposés à des conséquences sérieuses, comme la rétrogradation, la privation des indemnités et de leur solde, ou le fait d’être consigné aux quartiers ou aux navires, une peine du système de justice militaire actuel qui s’apparente à un emprisonnement à purger dans la collectivité par la justice civile pour une période d’au plus 21 jours.
Si ces peines sont maintenues, la norme visant à prouver, hors de tout doute raisonnable, tout fait aggravant devrait être conservée. À tout le moins, le projet de loi pourrait opter pour l’établissement du fardeau d’une preuve claire et convaincante.
Le projet de loi contient des expressions non définies. Les expressions « manquements d’ordre militaire » et « sanctions mineures » sont définies ultérieurement par règlement. Cela soulève des inquiétudes en ce qui a trait à la transparence du droit. Ces notions devraient être précisées devant les parlementaires, d’autant plus que, selon les exceptions prévues conformément à la Loi sur les textes réglementaires, la réglementation militaire n’a pas à être prépubliée dans la Gazette du Canada.
En ce qui concerne la protection procédurale pour les militaires, même en se rapprochant d’un modèle de droit administratif, le projet de loi néglige d’offrir des protections minimales d’équité procédurale. Les commandants seront toujours responsables de déterminer si les militaires ont commis des manquements et d’imposer des sanctions.
En réduisant certains aspects relativement aux procédures pénales au sein du système actuel, le projet de loi rend moins nécessaire le fait d’avoir un décideur indépendant, au sens de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il reste que, comparativement au régime disciplinaire applicable aux policiers de la Sûreté du Québec, de la Police provinciale de l’Ontario ou de la Gendarmerie royale du Canada, les décideurs militaires ont moins d’indépendance.
Le projet de loi élimine la possibilité d’opter pour un procès devant la cour martiale, dans la mesure où les militaires sont toujours exposés à des conséquences sérieuses. Il est souhaitable de maintenir ce droit d’option.
Aussi, le projet de loi ne traite pas de la représentation pour les personnes qui font face à des allégations de manquements d’ordre militaire. Pour l’instant, seuls les avocats du Directeur du service d’avocats de la défense, qui est une sorte d’aide juridique militaire, sont autorisés à donner des conseils de nature générale. Cela ne comprend pas la faculté de donner des avis juridiques complets basés sur l’analyse de la preuve au dossier ou de représenter les militaires, contrairement à ce qui est prévu pour les policiers de la GRC, de la Police provinciale de l’Ontario ou de la Sûreté du Québec.
Les services juridiques offerts aux militaires devraient être accrus, à tout le moins pour prodiguer des avis juridiques complets. Les audiences sommaires devraient être enregistrées dans la mesure du possible, et les décisions devraient être motivées par écrit. Dans la mesure où les militaires peuvent subir des conséquences négatives sérieuses sur leur carrière, comme la rétrogradation, l’équité procédurale commanderait motiver les décisions par écrit.
D’ailleurs, le projet de loi est silencieux quant à la possibilité de faire une révision sur demande ou d’office des décisions auxquelles on en arrive dans les audiences sommaires telles qu’elles existent aujourd’hui. Le projet de loi devrait prévoir un droit d’appel des décisions des audiences sommaires qui interviendraient après le processus de révision.
Bref, compte tenu des divers éléments que nous avons mentionnés et qui nous semblent problématiques relativement à cette réforme des procès par voie sommaire, nous recommandons de reporter cette dernière dans le but de la bonifier.
Nous espérons que notre présentation a contribué à votre réflexion. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions. Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup.
Madame Illingworth, la parole est à vous.
Heidi Illingworth, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs, de m’avoir invitée. C’est pour moi un honneur de me présenter devant vous pour discuter du projet de loi C-77.
[Français]
Le projet de loi C-77 est très important pour les victimes d’actes criminels.
[Traduction]
J’ai accédé au poste d’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels en octobre 2018. Mon bureau est un organisme indépendant au sein du ministère de la Justice. Nous travaillons avec les victimes et examinons leurs plaintes. Nous formulons également des recommandations aux ministres et aux ministères fédéraux pour veiller à ce que les victimes soient traitées de façon juste et respectueuse à l’échelle de l’appareil gouvernemental et au sein du système de justice pénale.
En tant qu’ombudsman, je suis persuadée que toutes les victimes d’actes criminels — y compris celles qui servent au sein des Forces armées canadiennes —, ainsi que les autres victimes d’infractions d’ordre militaire, devraient bénéficier de droits reconnus par la loi, soit leurs droits d’obtenir des renseignements, de participer, d’être protégées et d’obtenir un dédommagement.
Mon bureau continue de réclamer qu’on mette fin à la disparité entre les droits accordés aux victimes d’actes criminels au sein du système judiciaire de la société civile et ceux accordés au sein du système judiciaire de l’armée.
Plusieurs dispositions du projet de loi C-77 sont bénéfiques pour les victimes. Elles sont fondées sur les efforts déployés pour soutenir les victimes d’inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes, comme ceux de l’opération Honour, du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle et de l’Équipe d’intervention sur l’inconduite sexuelle. Je crains toutefois que le projet de loi présente les mêmes failles que la Charte canadienne des droits des victimes, notamment qu’il n’est pas obligatoire d’informer les victimes de leurs droits et, plus important encore, qu’il n’est pas obligatoire de respecter leurs droits.
J’estime également que le projet de loi devrait être modifié dans quatre domaines. Premièrement, il faut renforcer et clarifier le rôle de l’agent de liaison de la victime, pour que les victimes soient informées de manière proactive de leur droit d’en nommer un. Deuxièmement, il faut mettre en œuvre un programme de formation destiné à toutes les personnes qui participent à l’administration du système de justice militaire. Troisièmement, il faut prévoir un mécanisme d’appel en cas de violation ou de déni des droits des victimes. Quatrièmement, il faut exiger un examen de l’avancement de la mise en œuvre de la loi.
J’estime que le projet de loi devrait être modifié de façon à exiger que les responsables du système de justice militaire informent proactivement les victimes dès le départ du rôle de l’agent de liaison de la victime et de leur droit de demander sa nomination. De plus, le rôle de cet agent devrait être élargi pour exiger que celui-ci explique également à la victime les droits dont elle dispose dans le cadre du système de justice militaire, y compris le droit de faire appel à un mécanisme d’examen des plaintes et de savoir comment gérer cette plainte.
En outre, j’estime que l’agent de liaison de la victime devrait être responsable de communiquer des renseignements à la victime pour qu’elle puisse exercer ses autres droits généraux d’accès à l’information, dont le droit à l’information sur son rôle au sein du système de justice militaire et sur les soutiens dont elle peut bénéficier.
En ce qui concerne le programme de formation, je recommande de modifier le projet de loi de façon à intégrer une exigence de formation obligatoire pour le personnel de la justice militaire dans la déclaration des droits des victimes.
Le programme de formation serait exigé pour les fonctionnaires chargés de l’administration de la justice militaire, comme les policiers militaires, les procureurs, les avocats, les juges et les agents de liaison de la victime, qui sont susceptibles de rencontrer des victimes. Le programme devrait permettre de faire en sorte que les fonctionnaires soient au fait de leurs obligations aux termes de la loi et reçoivent une formation générale et spécialisée sur les victimes, y compris sur les traumatismes et la violence.
Le projet de loi C-77 devrait être modifié de façon à inclure un mécanisme d’appel concernant toute décision ou ordonnance fondée sur la violation ou la négation d’un droit conféré par la section. Dans le projet de loi, on devrait aussi désigner un organisme de surveillance chargé d’examiner les appels relatifs à la violation des droits des victimes. L’organisme de surveillance devrait avoir le pouvoir d’exiger des renseignements et de recommander des mesures de redressement relativement aux plaintes portées en appel.
Pour ce qui est de l’examen de l’avancement de la mise en œuvre du projet de loi, il est important que les Forces armées canadiennes surveillent la façon dont les droits des victimes sont respectés en pratique et en fassent rapport. Le système de justice militaire doit assumer la responsabilité des droits qu’il a pour mandat d’assurer en vertu de cette déclaration des droits des victimes.
J’aimerais formuler trois dernières remarques.
Étant donné que tous les fonctionnaires chargés de l’administration de la justice militaire relèvent du gouvernement fédéral, il devrait être plus facile de promouvoir la sensibilisation aux droits des victimes et de diffuser une approche réellement axée sur les victimes dans la culture, la politique et la pratique des Forces armées canadiennes que dans le système de justice civile .
J’estime qu’il est nécessaire d’établir des lignes directrices relativement à cette loi pour clarifier les rôles et les responsabilités découlant de la déclaration, afin que le personnel de la justice militaire soit pleinement conscient de ses obligations envers les victimes.
Enfin, pour que la mise en œuvre soit réellement réussie, je pense qu’il faut offrir un soutien continu, complet et solide, comme des conseils juridiques gratuits destinés aux victimes à toutes les étapes du système de justice militaire, et un mécanisme visant à aider les victimes à percevoir tout dédommagement non payé.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci.
La présidente : Merci, madame Illingworth.
Chers collègues, nous allons passer à la période des questions. Je vous rappelle qu’elle durera environ 40 minutes, et sept sénateurs souhaitent déjà poser des questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. J’ai quelques questions pour M. Lévesque. Monsieur Lévesque, vous avez attiré mon attention lorsque vous avez parlé des façons de faire à la Sûreté du Québec. J’ai été membre de la SQ pendant 39 ans et je les connais bien.
Avez-vous des comparaisons à faire quant au traitement des victimes et des normes relativement à la preuve dans d’autres pays? Cela pourrait nous éclairer par rapport aux recommandations que vous nous avez faites.
M. Lévesque : Je n’ai pas d’exemples pour d’autres pays. Je pourrais vérifier avec mon service de recherche et vous répondre sur les normes de preuve en matière de droits des victimes. Est-ce que j’ai bien compris votre question?
Le sénateur Dagenais : Tout à fait. Pour continuer sur le même sujet, malgré les manquements que vous avez soulevés, croyez-vous que ce projet de loi pourrait être adopté, compte tenu des avancées qu’il comporte, pourvu qu’on ajoute des recommandations au gouvernement afin qu’il révise certains points que vous avez soulevés dans votre présentation?
M. Lévesque : Vous semblez suggérer une clause crépusculaire. À tout prendre, si vous décidez qu’on peut adopter une partie du projet de loi et qu’une autre partie mériterait d’être testée sur le terrain, il serait avisé d’avoir une clause crépusculaire, surtout qu’il y a des juridictions qui ont adopté d’autres approches. Au Canada, nous tentons de dépénaliser, mais d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Irlande et la Nouvelle-Zélande, ont tenté de déjudiciariser ce processus pénal. C’est une approche qu’on aurait pu privilégier, mais nous avons choisi l’approche de la dépénalisation. Lorsqu’on le fait en ce qui a trait au droit disciplinaire professionnel, il faut voir ce que les policiers font, afin d’avoir une meilleure base de comparaison.
L’automne prochain, un groupe d’experts va se réunir à l’Université Yale, et j’en ferai partie. Nous allons nous pencher sur la question des principes de base que l’on doit observer lorsqu’on fait des procès par voie sommaire dans le domaine de la justice militaire.
Je vous dirais que c’est un peu comme un tableau de contrôle. Si on continue d’opter pour des sanctions pénales, on doit augmenter les protections. Par contre, si on opte pour des sanctions disciplinaires, cela peut avoir des conséquences sérieuses sur la carrière de quelqu’un. Il y a des protections qui ne sont pas au même niveau que pour les procédures pénales, mais il faut les conserver.
Ici, nous avons conservé le fardeau de la preuve du système civil disciplinaire, soit l’équilibre des sanctions par rapport aux probabilités, mais il y a quand même de graves conséquences. Nous avons éliminé une partie des conséquences réelles, comme la détention et le dossier criminel, mais il semble y avoir encore des éléments flous en ce qui a trait à la protection des militaires. C’est ce que nous craignons au Barreau du Québec. Nous craignons que l’on jette le bébé avec l’eau du bain.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Lévesque.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : On a, en fait, déjà répondu à ma question, merci.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos exposés. Ma question s’adresse à Mme Illingworth.
Dans votre exposé, vous avez parlé des agents de liaison de la victime. Comme nous le savons, le projet de loi prévoit la désignation, à la demande de la victime, de pareil agent. D’après ce que j’ai compris en lisant le projet de loi, cet agent aiderait la victime en lui expliquant les procédures liées aux enquêtes, aux accusations et aux condamnations, et en obtenant les renseignements que la victime demande et auxquels elle a droit.
Dans quelle mesure l’affectation d’un agent de liaison avec les victimes suffirait-elle pour aider la victime à se retrouver dans le système de justice militaire?
Mme Illingworth : Nous appuyons certainement le recours aux agents de liaison de la victime. Nous pensons qu’ils sont utiles, mais le problème est qu’une victime doit savoir qu’elle peut en faire la demande ou en faire nommer un. Cela pose problème. J’estime qu’on devrait automatiquement en assigner un aux victimes.
J’ai entendu les exposés des deux derniers témoins, et je m’inquiète également du fait que la personne nommée puisse provenir de l’unité de la personne accusée.
Je pensais initialement que ce poste serait créé par le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, et que son titulaire serait une personne formée, peut-être un travailleur social ayant reçu une formation sur les services de soutien aux victimes. Je pense que c’est très problématique. Nous devons bien réfléchir à qui l’on attribuera les rôles d’agent de liaison de la victime.
Mes principaux objectifs seraient de m’assurer que nous offrons une formation rigoureuse et de haut niveau aux agents de liaison de la victime, et que ces dernières ne proviennent pas de l’unité de l’accusé. Ce service devrait également être fourni automatiquement aux victimes, car selon la situation, elles pourraient être des civils et ne pas nécessairement comprendre les procédures de la justice militaire.
Le sénateur McIntyre : Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il est de la plus haute importance de renforcer et de clarifier le rôle de l’agent de liaison de la victime dans cette partie du projet de loi.
Cela étant dit, à votre avis, dans quelle mesure les agents de liaison seraient-ils capables de fournir des conseils juridiques aux victimes qu’ils sont chargés d’aider? Il faudrait pratiquement qu’ils aient une formation en droit.
Mme Illingworth : Oui. Je ne pense pas que le rôle de l’agent de liaison de la victime tel qu’il est actuellement décrit soit de donner des conseils juridiques. Je suis d’accord avec les deux autres témoins. Dans le mémoire que nous vous avons transmis ce matin, nous avons mentionné ce qui se passe aux États-Unis. Ils offrent désormais des conseils juridiques aux victimes, surtout dans les cas d’agression sexuelle. Nous serions également très favorables à cette mesure, soit au fait d’offrir un accès distinct à des conseils et à une représentation juridiques.
J’aimerais souligner qu’aux États-Unis, on permet aux victimes de déposer un rapport à diffusion restreinte, ce qui signifie qu’elles peuvent divulguer le crime de façon confidentielle à des personnes désignées, comme le personnel de soutien aux victimes, notamment un agent de liaison de la victime, ou à un fournisseur de soins de santé, sans déclencher une enquête officielle, un avis au commandement ou un rapport à diffusion non restreinte, auquel cas le commandant intervient dans la réponse au rapport présenté.
Je pense que les États-Unis ont très bien compris les besoins des victimes et sont passés au niveau supérieur en leur offrant non seulement du soutien, mais aussi des conseils juridiques.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Monsieur Lévesque, je vous remercie de votre présentation. Plus tôt, vous avez fait référence au droit d’appel. En vertu du projet de loi, la violation d’un droit prévu par la déclaration des droits des victimes ne confère pas en soi le droit d’en appeler d’une décision ou d’une ordonnance.
Selon vous, quelles seraient les incidences des dispositions proposées sur les victimes?
M. Lévesque : Je ne me suis pas penché sur la question mais, si ce n’est pas prévu dans la disposition, il faut se demander quels recours pourrait avoir une victime. En fait, je spécule.
Il faudrait à ce moment-là que la victime se tourne vers l’extérieur. Si elle a un intérêt dans la cause, elle devrait se tourner vers l’extérieur. On parle ici de procès tenus auprès d’instances fédérales. Alors, que lui reste-t-il? Il lui reste l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales pour obtenir une révision judiciaire. Le contrôle judiciaire est très ténu. Je ne me suis pas penché sur la question, mais si aucun droit d’appel n’est prévu, une victime ne pourrait pas en appeler de la décision d’une instance sommaire.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. Au Canada, depuis environ 30 ans, nous avons la mauvaise habitude, lorsqu’on évoque les droits des victimes, de parler d’une déclaration des droits des victimes. C’est une expression qui a toujours été considérée par les victimes comme une forme de banalisation de leurs droits. Nous avons une Charte des droits et libertés, qui fait en sorte que les gens qui s’engagent dans un processus judiciaire peuvent invoquer cette Charte pour revendiquer leurs droits. Lorsqu’on a adopté la Charte des droits des victimes au Canada en 2015, on a dû travailler fort au ministère de la Justice pour employer l’expression « Charte des droits », qui a une portée symbolique beaucoup plus grande qu’une déclaration des droits.
Selon votre expérience, est-ce que la notion de « charte » a une portée différente pour ce qui est des victimes?
[Traduction]
Mme Illingworth : Oui, je suis d’accord avec vous pour dire qu’au Canada, la Charte canadienne des droits des victimes est en réalité un énoncé de principes sur la façon dont les victimes devraient être traitées, mais qu’elle ne prévoit aucun droit exécutoire devant un tribunal. Cela pose de gros problèmes. Il s’agit de quelque chose dont les victimes me parlaient constamment dans mon travail précédent, et aujourd’hui au sein de ce bureau. Elles veulent pouvoir faire valoir les droits qui leur sont conférés par la loi, et elles ne peuvent actuellement pas le faire en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Lévesque, ma question est toute simple. Lorsqu’on lit le projet de loi et qu’on fait référence au droit, on voit toujours l’expression « sur demande », « sur demande », « sur demande ». Selon vous, ce mot est-il superflu dans ce projet de loi et êtes-vous d’avis qu’un droit ne peut pas être « sur demande », mais que c’est quelque chose qui est absolu en soi ?
M. Lévesque : Votre question est légitime. On peut voir une contradiction dans le fait d’avoir dans la même phrase les termes « droit » et « sur demande ». Lorsqu’on a examiné le projet de loi au Barreau du Québec, nous avons voulu nous ménager et faire preuve d’une certaine flexibilité, parce que les droits des victimes, dans la réalité, sont probablement plus complexes que dans des théâtres d’opérations. Les audiences sommaires peuvent toucher des sujets sensibles en matière de sécurité nationale. C’est comme cela que nous l’avons compris. Cela fera-t-il en sorte d’édulcorer le droit?
Vous soulevez un point qui montre que c’est là où nous devons être vigilants dans la pratique. D’ailleurs, je crois que nous l’avons mentionné dans notre mémoire. Si nous gardons cette formulation, il faut absolument voir dans la pratique de quelle façon les droits des victimes, quand on fait référence aux termes « sur demande », viennent moduler l’exercice de ce droit.
C’est dans le mécanisme d’application que l’on verra dans les faits si toute charte — qu’on l’appelle charte ou déclaration — est mise en œuvre. Est-ce qu’il y a des mécanismes de mise en œuvre? La question de l’expression « sur demande » est fort légitime, mais est-ce qu’on invoque des motifs, dans les façons de faire, pour ne pas accorder des droits aux victimes? C’est la pratique qui nous le dira, monsieur le sénateur.
Le sénateur Boisvenu : Il y a aussi le droit à la protection, qui est à la base de la sécurité des victimes. La période entre la dénonciation et le procès peut être très longue et, dans bien des cas, les gestes d’intimidation de la part des accusés feront en sorte que les victimes abandonneront leur plainte.
Dans le projet de loi, on peut lire ceci : « Toute victime a le droit à ce que sa sécurité soit prise en considération [...] ». Au fond, cela signifie qu’on laisse aux forces armées le soin de considérer si on a conféré ou non une protection aux victimes. Pourtant, cela devrait être un droit fondamental et obligatoire.
Je comprends que ce sont les tribunaux qui donneront leur interprétation de la Charte, comme ils l’ont fait avec la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.
Ce sont les tribunaux qui ont défini la portée de la Charte. C’est une question de terminologie. Si une victime estime qu’elle n’a pas été protégée et que l’armée lui répond que cela a été pris en considération, mais qu’elle ne pouvait pas assurer sa sécurité pour telle ou telle raison... À mon avis, cette Charte est fondamentale sur le plan des principes. Elle est la bienvenue, mais elle a été rédigée comme si les forces armées entraient sur la pointe des pieds pour reconnaître les droits des victimes. Croyez-vous que mes observations sont logiques?
M. Lévesque : Je ne veux pas vous donner un avis juridique à ce sujet. Les gens des forces armées ou du ministère pourraient peut-être répondre à votre question. L’expression « tenu en considération » par rapport à « soit assuré » comporte une différence sur le plan sémantique. Si le projet de loi est adopté tel quel, de quelle façon sera-t-il considéré dans la pratique? Quelles politiques seront adoptées? Ce sont des questions que vous devriez leur poser. Au Barreau du Québec, si vous nous posez la question, on vous répondra que « soit assuré » est plus clair que « tenu en considération ». Toutefois, dans la pratique, peut-être leurs politiques feront-elles en sorte que ce sera l’équivalent de « soit assuré ».
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Mes questions s’adressent à nos deux témoins. Merci à vous deux d’avoir pris le temps d’être présents aujourd’hui.
J’ai un aveu à vous faire : je suis réellement furieuse. Je viens tout juste de commencer à me concentrer sur le projet de loi C-77, et j’ai été dupée par l’ajout d’une nouvelle section à la Loi sur la défense nationale, intitulée « Déclaration des droits des victimes ». J’estime que ce n’est vrai que si nous comprenons qu’une déclaration n’est en fait qu’un texte. Oui, ce texte contient des mots. Cela ne signifie absolument pas que l’on respecte les droits des victimes.
Je tiens à remercier les sénateurs McIntyre et Boisvenu pour leurs commentaires et leurs observations judicieuses. Étant donné que je n’ai que peu de temps, j’aimerais poser deux questions particulières.
Je ne pense pas avoir entendu l’un de vous parler du fait que la victime d’une infraction d’ordre militaire commise à l’étranger n’est essentiellement pas couverte et n’est pas autorisée à exercer les soi-disant droits énoncés —je ne vais même pas utiliser le mot « droits » parce que ce n’est pas ce qui est assuré — dans la déclaration, que le procès ait lieu au Canada ou ailleurs. J’aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires à ce sujet et je me demande pourquoi cela n’a pas été signalé.
La seconde partie de ma question concerne le fait que les victimes présumées, les plaignants, ne peuvent pas être parties à cette procédure. D’autres personnes ont parlé de la fonction d’agent de liaison de la victime, qui, selon moi, est en grande partie une imposture et a été mise en place pour nuire aux victimes de façon véritablement efficace. Laissez-moi toutefois limiter mes questions aux personnes qui sont victimes d’une infraction commise à l’étranger.
[Français]
M. Lévesque : Je vous remercie de la question. Il est évident que, pour une infraction commise à l’étranger, il faudrait adopter la même philosophie. Par exemple, le traitement serait le même pour une victime qui serait une employée civile qui vient des Forces canadiennes ou une civile qui vient du pays où sont basées les Forces canadiennes. Il faudrait suivre la logique selon laquelle c’est une victime au même titre que n’importe quelle autre.
En fait, c’est très important, car le droit des conflits armés ou le droit international humanitaire oblige les Forces canadiennes ou n’importe quelle autre force militaire à garder la discipline essentiellement pour protéger les populations civiles qui, entre autres choses, pourraient interagir avec les forces. Si on suit cette logique, il faudrait élargir la définition du terme « victime » le plus possible pour qu’il inclue les personnes qui sont à l’étranger.
Dans notre mémoire, nous avons mentionné que, en ce qui a trait aux manquements aux audiences sommaires, il peut aussi y avoir des victimes. Elles aussi devraient être couvertes par la loi. J’ai utilisé l’exemple du harcèlement : c’est une inconduite à caractère sexuel ou une violence à caractère sexuel qui n’est pas une agression sexuelle, mais qui pourrait être traitée par audience sommaire sur le plan du harcèlement. Cela pourrait impliquer, par exemple, un militaire avec une civile du pays où sont basées les Forces canadiennes. Cette personne est donc une victime. Il faudrait donc que la définition soit assez large pour couvrir cette personne également.
[Traduction]
Mme Illingworth : Je suis absolument d’accord avec l’autre témoin. Je n’ai pas compris, d’après ce que j’en ai lu, que les victimes qui servent à l’étranger ne seraient pas visées par le projet de loi C-77. Je présume donc qu’elles pourraient se prévaloir des droits prévus, comme toute autre victime touchée par une infraction d’ordre militaire.
Pour ce qui est de devenir partie aux procédures, il en est de même dans le système civil de justice pénale. À l’heure actuelle, nous ne permettons pas aux victimes d’acquérir ce statut, la situation est donc malheureusement la même. La loi est dont essentiellement semblable ici dans le contexte militaire.
J’estime que cela nécessiterait un énorme changement culturel au sein du système de justice civile et pénale, mais je pense qu’il en résulterait une meilleure reconnaissance du fait que les victimes doivent avoir des droits. Des crimes sont commis contre elles. Il s’agit d’une violation de leur corps, de leur intégrité personnelle et de leur sécurité, et elles doivent être en mesure de parler de ce qui leur est arrivé et des infractions qui ont été commises contre elles.
J’aimerais que le Canada prenne des mesures pour que les victimes puissent bénéficier d’une représentation juridique et exprimer leurs problèmes et leurs besoins devant les tribunaux, mais nous n’en sommes pas encore là.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais maintenant parler de la façon dont est décrit l’agent de liaison de la victime dans ce projet de loi. J’aimerais beaucoup que vous me parliez tous les deux de la différence entre le fait d’avoir droit à un avocat, de disposer des ressources nécessaires pour retenir les services d’un avocat de façon à être représenté tout au long d’un processus qui change la vie de toutes les parties concernées, des plaignants et des répondants.
Cet agent de liaison de la victime est... Encore une fois, je pense qu’il s’agit d’une duperie. Cela ne fonctionnera pas si nous voulons vraiment que les victimes soient adéquatement représentées dans le cadre de ce processus. Je donne simplement mon avis. Vous pouvez ne pas être d’accord avec moi, mais laissez-moi vous poser une question : voyez-vous une façon de renforcer la description de l’agent de liaison de la victime qui figure actuellement dans ce projet de loi?
[Français]
M. Lévesque : Ce point a été souligné dans notre mémoire. Le problème est peut-être lié à la formation de ces agents de liaison aux victimes. Il faut s’assurer qu’ils soient très bien formés. Dans les provinces, des professionnels sont chargés d’accompagner des victimes. Cela existe depuis plusieurs années. Ce travail demande un certain doigté. Il faut être capable de savoir à quelle étape en est la victime.
Une personne qui fait ce travail seulement à temps perdu, comme emploi secondaire ou au cas par cas pourrait, même avec les meilleures intentions du monde, se tromper quand elle accompagne les victimes. De plus, si cette personne vient d’une unité militaire, il pourrait aussi y avoir un problème de perception par rapport à son indépendance. Même si elle veut vraiment aider la victime, la victime elle-même pourrait se demander si cette personne peut vraiment lui donner un coup de main.
Il y a peut-être des pistes de solution, soit de créer un métier d’accompagnant aux victimes en soi ou de placer ces agents de liaison sous la direction des services de soins de santé des Forces armées canadiennes, afin qu’ils soient professionnellement formés. Il pourrait s’agir d’employés civils du ministère de la Défense nationale, afin qu’on ait un système qui ressemble beaucoup aux centres d’aide aux victimes des provinces.
[Traduction]
Mme Illingworth : Je suis d’accord avec ces commentaires. Je pense que le rôle de l’agent de liaison de la victime est très important. Il est primordial d’avoir des services de soutien, mais la fonction de cet agent n’est pas nécessairement la même que celle de la personne qui prodiguerait des conseils juridiques. Je pense qu’il est possible d’avoir les deux. J’estime que c’est important, compte tenu de ce que cela implique d’être représenté et de bénéficier de conseils — et, à titre d’ombudsman, je me préoccupe des personnes victimes d’actes criminels. Tant dans le système civil de justice pénale que dans le système militaire, il y a des personnes qui agissent différemment. Dans les causes civiles, c’est la Couronne, mais les procureurs ne représentent pas nécessairement la victime et leurs intérêts pourraient être différents.
Je pense qu’il est possible d’assigner un agent de liaison aux victimes. Je crois qu’il faut faire très attention à l’origine de cette personne. Elle ne devrait pas être issue de l’unité de l’accusé. Les mesures que prend maintenant le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle dans le contexte des Forces armées canadiennes sont excellentes. Il y a des civils et des conseillers juridiques qui travaillent chacun de leur côté. Ils œuvrent tous au sein des forces armées, mais ils offrent un soutien indépendant aux victimes, à qui ils donnent des renseignements et des ressources. Je pense que nous pouvons en faire autant avec ces agents de liaison de la victime, mais qu’il est possible de renforcer la position de la victime et de rehausser le soutien qui lui est offert en prodiguant aussi des conseils juridiques, et ce, gratuitement. Il faut que cela fasse partie intégrante du système.
Si nous voulons éradiquer l’inconduite sexuelle et ce type de comportement au sein des forces canadiennes, nous devons nous assurer d’offrir ces soutiens aux personnes qui en ont besoin.
La sénatrice McPhedran : C’est une question à laquelle vous pouvez répondre par oui ou par non. Selon vous deux, compte tenu de ce que vous avez recommandé pour que ce système soit plus significatif et juste avec un agent de liaison de la victime, peut-on y arriver sans modifier ce projet de loi ou doit-on y apporter un amendement?
[Français]
M. Lévesque : Le Barreau du Québec recommande qu’on examine plus attentivement cette question.
[Traduction]
Mme Illingworth : Vous devez vraiment clarifier le rôle dans cette mesure législative et vous assurer que ce service est offert proactivement. Comme je l’ai dit plus tôt, les personnes très traumatisées après un acte de violence ne connaissent pas leurs droits et ne savent pas qu’elles peuvent demander ce service de soutien. Il faut l’offrir et faire en sorte que les fonctionnaires qui travaillent dans le système soient responsables de l’offrir.
La sénatrice McPhedran : Il faut y apporter un amendement?
Mme Illingworth : Oui.
Le sénateur Gold : Merci à nos témoins. Vos contributions ont été très utiles. Je vais terminer par une question qui vous est adressée à tous les deux, mais j’aimerais d’abord vous donner un bref préambule.
Madame Illingworth, je crois savoir que la déclaration des droits des victimes équivaut, à toutes fins utiles, à la Charte canadienne des droits des victimes; les deux reflètent ses points forts et ses lacunes.
À la lumière de votre témoignage, je crois comprendre que vous êtes favorable à son introduction, mais que vous avez proposé des modifications. Nous vous remercions pour vos commentaires à cet égard.
[Français]
Monsieur Lévesque, je comprends qu’il y a des aspects du projet de loi que vous appuyez, surtout en ce qui concerne les droits des victimes, mais, en même temps, pour ce qui est audiences sommaires, vous avez des réserves.
[Traduction]
Dans le groupe précédent, nous avons entendu le colonel Drapeau, et aussi son collègue, dire qu’il estimait que la procédure actuelle d’audiences sommaires est —, et ce, depuis un certain temps — fondamentalement injuste et que, selon les statistiques, environ 90 p. 100 des causes entendues dans le système de justice militaire se font sous cette forme. Il a fait valoir plutôt vigoureusement que le projet de loi C-77 est un pas dans la bonne direction et qu’il devrait être adopté avant l’ajournement du présent Parlement.
Ma question pour vous deux est la suivante : selon vous, quelle serait l’incidence, soit sur les victimes soit sur les personnes accusées dans le contexte du système de justice militaire, si, pour une raison quelconque, ce projet de loi n’était pas adopté avant l’ajournement du Parlement et que la loi demeurait inchangée?
[Français]
M. Lévesque : Pour les personnes qui sont accusées, elles vont continuer avec le système actuel.
Je suis en partie d’accord avec le constat du colonel Drapeau, c’est-à-dire que le système actuel comporte des lacunes et doit être modifié. La route que le gouvernement a décidé d’emprunter est celle de la dépénalisation, mais il n’y est pas allé à fond. Il y a encore des flous. Il y a un dicton qui dit que le mieux est l’ennemi du bien. Madame la présidente me comprend, car elle a travaillé à la Commission du droit du Canada. Avant d’aller trop vite, donnons-nous le temps de vérifier ce que les autres ont fait. Je me répète, mais nous croyons que la voie de la judiciarisation de l’appel relativement aux procès par voie sommaire en vue d’assurer une plus grande protection des droits des militaires serait préférable. Si le projet de loi n’est pas adopté, c’est un pis aller pour les militaires, car cela voudra dire qu’ils sont encore dans la même situation. Si on adopte le projet de loi, on risque de dire qu’on a baissé les normes relatives à la preuve. Pourtant, il n’y a pas plus d’enregistrements ou d’appels, et des gens pourraient être rétrogradés, ce qui a de graves conséquences, même après une audience sommaire. Du point de vue administratif, on peut recommander leur libération en se référant à des normes moins élevées. Si les accusés ne sont pas nécessairement représentés en cour, on risque peut-être de produire des effets pervers insoupçonnés. Je le dis avec le plus grand respect pour le colonel Drapeau, qui a une grande expérience. Si on va trop vite, on pourrait s’en mordre des doigts en ce qui a trait aux droits des militaires. Il faut faire très attention lorsqu’on parle des droits des militaires; non seulement ce ne sont pas des gens qui peuvent faire la grève, comme les autres, mais ils ne peuvent pas réclamer de changement aux politiques et aux lois actuelles. Cela leur est interdit. Tout récemment, lorsqu’on a salué le départ de Ghislain Maltais, il a dit que le rôle du Sénat était de protéger les minorités; dans ce cas-ci, il y en a une, soit les militaires qui sont accusés. C’est pour cette raison que nous vous suggérons de faire preuve de sagesse.
[Traduction]
Mme Illingworth : J’aimerais profiter de l’occasion pour vous encourager à adopter cette mesure législative. Il est clair qu’elle est vraiment importante. Il est crucial que nous rehaussions les droits dans le système de justice militaire au même niveau que ceux qui sont accordés dans le système civil de justice. Je vous demanderais d’envisager d’y apporter certaines modifications, notamment pour clarifier et renforcer le rôle de l’agent de liaison de la victime et veiller à ce que les victimes soient proactivement informées de leur droit de demander que pareil agent soit nommé. Je vous encourage à examiner certaines des autres recommandations que j’ai formulées dans mes remarques liminaires pour renforcer le projet de loi au chapitre des droits des victimes. Je vous conseille vivement de l’adopter, oui.
Le sénateur Gold : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les détails font la perfection, mais la perfection n’est pas un détail. Cela dit, là où j’ai un problème par rapport à la portée de la Charte, c’est lorsqu’on examine les quatre piliers, soit le droit à la protection, le droit à l’information, le droit à la participation et le droit à l’indemnisation.
On minimise, en quelque sorte, la portée de chacun de ces droits. Par exemple, pour le droit à la sécurité, on parle de « prise en considération »; lorsqu’on parle du droit à une indemnisation, on dit « que ce soit envisagé »; lorsqu’on parle du droit à la participation, on parle de « prise en considération »; enfin, lorsqu’on parle du droit à l’information, on voit l’expression « sur demande ». On est venu atténuer ces droits avec des termes très précis, mais qui laissent aux forces armées une marge suffisante pour qu’elles en définissent la portée. Cela m’apparaît risqué, parce que, effectivement, tout cela peut être aléatoire; cela dépend où l’on se situe au sein des forces armées, que ce soit dans l’armée de terre, dans l’armée de l’air ou ailleurs. On laisse aux gestionnaires une certaine discrétion, alors que le droit devrait être écrit noir sur blanc, sans qu’il soit sujet à l’interprétation.
Quel est votre point de vue?
M. Lévesque : Cela nous a également interpellés. Il n’y a pas deux types de victimes. Remarquez qu’il y a peut-être une raison légitime à tout cela. Les gens du ministère de la Défense nationale et des forces armées vont peut-être vous le dire. Si on décide d’aller de l’avant avec ce projet de loi, votre point de vue et ceux des sénateurs Dagenais et Gold pourraient justifier l’inclusion d’une clause de révision ou une proposition de clause crépusculaire. Nous sommes d’avis que vous vous êtes un peu ménagés. À moins de faire directement un amendement qui dirait clairement, sans éliminer la discrétion qui est laissée... Cela pourrait être avisé, à ce moment-là, d’avoir une clause crépusculaire pour vérifier, dans la pratique, ce qui arrive aux victimes. Dans la pratique, qu’est-ce qui arrive aux accusés militaires? Dans la pratique, comment les commandants se comportent-ils? Se sentent-ils vraiment indépendants lorsqu’ils décident d’un verdict lors des audiences sommaires? Actuellement, on est un peu dans le flou et plusieurs choses seront précisées par réglementation. En ce qui a trait à la prévisibilité du droit, cela peut être inquiétant pour le barreau. C’est comme s’il fallait faire confiance à la pratique et, à cet égard, on pourrait demander aux organismes responsables d’être un peu plus clairs, ou au moins de se responsabiliser, et réclamer qu’ils rendent des comptes un moment donné.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup; c’était très intéressant.
[Traduction]
Mme Illingworth : J’aimerais simplement revenir à la question du sénateur Boisvenu. Je dirais que vous pourriez clarifier les rôles du personnel militaire et du personnel du système judiciaire, et préciser qui doit fournir quel type de renseignements à quel moment, comme le type de questions de sécurité qui peuvent être prises en compte.
C’est vraiment ce qui manque à la Charte canadienne des droits des victimes. Elle est très vague. La responsabilité de définir un rôle précis à jouer, la nature des renseignements à fournir ou le niveau de protection à offrir n’est attribuée à aucune personne en particulier. C’est quelque chose que vous pourriez faire dans un règlement. Ce projet de loi a clarifié ces rôles et assigné des rôles précis au personnel de la justice militaire.
La présidente : Je tiens simplement à vous rappeler, chers collègues, que le 27 mai, notre comité se réunira à 11 heures.
(La séance est levée.)