LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 25 février 2019
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu, se réunit aujourd’hui à 11 heures pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, la réponse du gouvernement au rapport du ministère des Anciens Combattants intitulé De la vie militaire à la vie civile a été reçue la semaine dernière et transmise à notre comité.
Êtes-vous d’accord pour la communiquer au Sous-comité des anciens combattants?
Des voix : D’accord.
La présidente : Nous avons un plan de travail à jour, mais la traduction n’est pas encore prête. Nous espérons vous la distribuer au cours de cette réunion.
Nous avons également modifié notre horaire pour permettre l’alternance des groupes de témoins, ainsi qu’une pause d’une demi-heure en milieu de séance.
Avant de passer aux témoins, j’aimerais que les sénateurs se présentent.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Richards : Dave Richards, Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.
La présidente : Je m’appelle Gwen Boniface, je suis de l’Ontario et Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec, se joint à nous.
Nous accueillons aujourd’hui un certain nombre de témoins. De Polysesouvient, Heidi Rathjen, coordonnatrice, et Nathalie Provost, porte-parole; de la Société canadienne de pédiatrie, la Dre Natasha Saunders, médecin à l’Hôpital pour enfants; de l’organisation NOT HERE, Wendy Vasquez, porte-parole; et du Centre culturel islamique de Québec, M. Boufeldja Benabdallah, président et cofondateur.
Nous vous souhaitons la bienvenue à tous. Chacun de vous disposera de cinq minutes, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.
[Français]
Nathalie Provost, porte-parole, Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes (Polysesouvient) : Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de m’accueillir et de me donner l’occasion de faire entendre la voix des victimes de la tuerie de Polytechnique.
En décembre 1989, j’ai reçu quatre balles tirées à partir d’un Ruger Mini-14. Il était muni d’un chargeur de 30 balles et avait été acquis légalement. En moins de cinq minutes, six femmes de ma classe étaient mortes, trois autres étaient blessées, aucune n’était indemne. Polytechnique, c’est 14 morts, 13 blessés, des suicides, un nombre incalculable de victimes silencieuses, et une souffrance profonde et longue.
Depuis ce jour, mes collègues étudiants, les professeurs, et les familles des victimes se sont mobilisés en faveur d’un meilleur contrôle des armes. En 30 ans, mon pays a avancé, il a ensuite reculé, voire est retourné dans le passé. Mes enfants, mes amis, et vous aussi, nous sommes tous autant en danger aujourd’hui qu’en 1989. Le permis n’est pas plus difficile à obtenir et à renouveler qu’à l’époque. Le tueur de Polytechnique aurait aussi facilement accès à son permis aujourd’hui. La tuerie de la mosquée de Québec le démontre avec éloquence. Il n’y a aucun suivi des armes non restreintes ni de registre des ventes. Une personne qui souhaite se doter d’un arsenal peut le faire en toute discrétion; aucun mécanisme ne l’en dissuade, rien ne permet aux autorités publiques de savoir à qui et à quoi on a affaire.
Le marché des armes a changé. Le commerce se fait en ligne, les transactions sont beaucoup plus discrètes. Les règles liées à la classification ne sont plus adaptées. Les armes disponibles sur le marché et considérées comme non restreintes possèdent des caractéristiques d’armes d’assaut. Il est possible de se munir légalement d’accessoires qui transforment les caractéristiques de ces armes, par exemple des chargeurs de grande capacité qui sont modifiables pour atteindre leur pleine capacité, qui est illégale, comme l’ont fait Bissonnette, Bain, lors de l’attentat du Metropolis, et Bourque, à Moncton, contre la GRC.
Or, je comprends que certains d’entre vous doutent de la pertinence du projet de loi C-71. Pourtant, ce que propose cette loi vise à améliorer notre sécurité et les contrôles — pas assez, à mon humble avis, mais c’est déjà un pas dans la bonne direction.
Quelle est la valeur de la vie au Canada? Car c’est de cela qu’il est question : la valeur que nous accordons à la vie. N’oublions jamais que la fonction première d’une arme à feu est d’enlever la vie, de tuer. Une arme à feu est un objet extrêmement dangereux. Nous croyons donc qu’il est essentiel de les contrôler. Je ne dis pas qu’il faut les abolir; je comprends que les armes peuvent avoir un usage important, mais j’affirme, et nous l’affirmons depuis 30 ans bientôt, qu’il faut les contrôler. À chaque tragédie, la population demande des contrôles. C’était vrai il y a 30 ans, c’était vrai après l’attaque de la mosquée, c’est vrai après l’attentat de Toronto. La population veut des mesures de contrôle. Soyons sérieux et mettons en œuvre des mesures efficaces.
Je parle de la valeur de la vie, car de nombreux arguments contre le projet de loi portent sur les tracasseries administratives imposées aux honnêtes propriétaires d’armes. Or, je crois que, comme société, nous devons accepter des tracasseries lorsqu’il s’agit de la vie des gens. Ceux qui sont contre le projet de loi, et contre toute forme de contrôle, me demandent souvent de me taire. On mine ma crédibilité, on atteint à ma réputation. On me prête des intentions que je n’ai pas, et tout cela de manière plutôt violente et vulgaire : « Heille, la pas belle de Poly, reviens-en! »; « Poly-pleurniche »; « T’y connais rien, qu’est-ce que tu fais là? »; « Il faut viser les criminels, pas les propriétaires légaux »; « Il y a plus de morts par d’autres moyens, pour d’autres causes »; « C’est juste un petit pourcentage des crimes, voyons! ».
Parfois, j’ai peur et je suis fatiguée. On me dit qu’il faut oublier ce qui dérange, oublier notre histoire, parce que ça fait mal, parce que c’est difficile, parce que c’est dérangeant, parce que c’est lourd. Je crois, mesdames et messieurs les sénateurs, que nous avons le devoir de faire des progrès pour nos enfants. S’il vous plaît, dites-moi que nous n’oublions pas la souffrance, la douleur, l’injustice, toutes ces morts inutiles, toutes ces vies interrompues. Dites-moi que la vie est plus importante que des tracasseries. Merci.
[Traduction]
Heidi Rathjen, coordonnatrice, Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes (Polysesouvient) : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Vous avez sans doute entendu des milliers de propriétaires d’armes à feu se plaindre que le projet de loi C-71 représente un fardeau injuste pour les propriétaires légitimes d’armes à feu. Certains disent même que c’est une agression contre eux. C’est vrai. Le fait d’être obligé de faire un appel téléphonique avant de vendre une arme à feu à quelqu’un ou d’obtenir un bout de papier supplémentaire avant de transporter une arme de poing équivaut à être traité comme un criminel.
Compte tenu de cette opposition vigoureuse et généralisée au projet de loi C-71, j’aimerais profiter de l’occasion pour situer cette mesure dans un contexte plus général.
Dans les années qui ont suivi la tragédie de l’École Polytechnique, des étudiants, des survivantes et de nombreuses familles de victimes se sont réunis et se sont battus pour améliorer nos lois sur le contrôle des armes à feu. Après six années passées à prendre position, nous avons célébré ensemble les victoires remportées en matière de sécurité publique à la faveur de l’adoption des projets de loi C-17 et C-68. En effet, un institut de recherche a estimé à 300 par année, en moyenne, le nombre de vies sauvées par ces réformes.
Vers 2009, la communauté Polytechnique s’est de nouveau regroupée sous la bannière Polysesouvient/PolyRemembers, cette fois pour protéger les gains réalisés, et cela contre un parti politique ouvertement opposé au contrôle des armes à feu. Malheureusement, dès qu’il a été majoritaire, le gouvernement Harper a aboli ou affaibli la plupart des mesures récentes. Le Canada a alors accusé un énorme recul dans le dossier du contrôle des armes à feu.
Résultat : le nombre d’armes à autorisation restreinte a plus que doublé en une douzaine d’années. Pire encore, durant quatre années de suite, le nombre d’homicides, de crimes et de suicides par arme à feu a augmenté.
Nous avions de grands espoirs lorsqu’en 2014, le gouvernement libéral avait promis « de retirer les armes de poing et les armes d’assaut de nos rues » et de réparer une bonne partie des dommages causés par le gouvernement précédent. Malheureusement, le gouvernement a choisi de ne pas maximiser le potentiel de sécurité publique énoncé dans ses promesses électorales.
Il n’a pas du tout restreint les critères pour accéder légalement aux armes de poing et aux armes d’assaut. La GRC continue d’approuver de nouveaux modèles d’armes d’assaut pour le marché canadien. Le règlement sur le marquage des armes importées a encore une fois été retardé. Le gouvernement a choisi d’appliquer la période de grâce de six mois pour les propriétaires d’armes à feu qui ne renouvellent pas leur permis, même s’il n’était pas obligé de le faire. Alors qu’il a débloqué des centaines de millions de dollars pour lutter contre les gangs et les armes à feu, ce que nous appuyons entièrement, le gouvernement n’a pas investi des ressources comparables pour contribuer à améliorer les contrôles et la formation des agents et des magistraux, ni pour mener des recherches sur la place des armes à feu dans les homicides et les suicides. Toutes ces mesures visaient à améliorer la prévention.
La semaine dernière, nous avons appris qu’en plus des compressions imposées par le gouvernement Harper, les laboratoires de lutte contre la criminalité chargés de retracer les armes utilisées, vont subir de nouvelles coupures, ce qui entraînera davantage de délais, l’impossibilité de retracer des armes à feu, et ainsi de suite.
Pour ce qui est des mesures promises, nous considérons que le projet de loi C-71 constitue un strict minimum pour que le gouvernement puisse dire, du moins techniquement, qu’il a respecté certaines, mais pas la majorité de ses promesses. Après avoir fait cinq pas en arrière sous le gouvernement précédent, nous aurions espéré que ce nouveau gouvernement, élu à la majorité sur la base d’un programme de contrôle des armes à feu, nous en aurait fait faire au moins trois ou quatre en avant.
À notre avis, le projet de loi C-71 est un pas en avant et surtout une amélioration par rapport à la situation actuelle. Nous l’appuyons. Nous aimerions, certes, qu’il soit modifié pour être renforcé, mais nous demandons aux sénateurs de faire en sorte qu’il soit adopté avant le congé d’été, après amendement ou pas. Merci.
Dre Natasha Saunders, médecin, Hôpital des enfants malades, Société canadienne de pédiatrie : Merci de m’accueillir aujourd’hui. Je suis pédiatre à l’Hôpital pour enfants malades. Je suis aussi épidémiologiste et chercheuse en services de santé dans le cadre d’un programme qui porte sur les blessures, plus particulièrement par armes à feu, et sur la santé mentale, ainsi que sur les recoupements entre ces deux aspects.
J’ai le privilège d’être ici aujourd’hui pour représenter la Société canadienne de pédiatrie, qui est l’association nationale de plus de 3 300 pédiatres, sous-spécialistes en pédiatrie, stagiaires et autres intervenants qui s’occupent d’enfants et de jeunes de partout au Canada. Notre organisme appuie l’adoption du projet de loi C-71 et reconnaît son importance pour assurer la santé et la sécurité des jeunes et de leur famille au Canada.
On ne dispose pas de beaucoup de données nationales de grande qualité sur les blessures par arme à feu. Toutefois, en Ontario, nous avons analysé les données tirées des dossiers de congé hospitalier et de déclaration de décès en salle d’urgence pour tous les enfants et les jeunes de moins de 24 ans ayant subi des blessures accidentelles ou liées à des voies de fait, entre 2008 et 2012. L’étude en question a été publiée dans la plus importante revue médicale canadienne comportant un comité de lecture, le JAMC, et n’incluait pas les suicides.
Pendant les cinq années qu’a duré l’étude, 1 777 enfants et jeunes ont été blessés ou tués par une arme à feu. C’est une moyenne de 355 enfants ou jeunes par année ou un par jour, et cela pour l’Ontario seulement. Vous pouvez imaginer à quoi ressembleraient les chiffres si nous avions des données nationales. Encore une fois, les suicides n’ont pas été pris en compte.
Environ 75 p. 100 de ces blessures étaient non intentionnelles et sans rapport avec des activités de gangs. Ces victimes n’étaient pas censées être blessées. Quelque 25 p. 100 étaient des cas de voies de fait. Quelque 19 p. 100 des blessés avaient moins de 15 ans. Fait important, seulement 6 p. 100 des personnes qui ont été blessées involontairement sont mortes et 30 p. 100 de celles qui ont été agressées sont décédées.
J’ai vu de nombreux témoins prendre la parole au cours de ces audiences et j’ai lu d’innombrables rapports sur les décès par armes à feu. Les chiffres que je viens de mentionner font ressortir quelque chose de vraiment important. Ils montrent que la mesure couramment utilisée, celle des décès et non des blessures par arme à feu, sous-estime grandement le véritable fardeau de ce problème de santé publique, surtout chez les enfants et les jeunes adultes.
Un autre élément important est que la plupart de ces blessures sont involontaires et évitables. C’est un problème de santé publique.
Nombre de ceux qui appuient la libéralisation de l’accès aux armes à feu considèrent que les blessures causées concernent ceux qui participent à des gangs et à d’autres activités criminelles, mais ces données viennent le contredire. Il ne s’agit pas de violence armée. Des enfants et des jeunes innocents sont accidentellement blessés par des armes à feu. Les enfants et les adolescents n’ont pas l’expérience, le développement cognitif et le contrôle des impulsions nécessaires pour manipuler une arme à feu en toute sécurité et comprendre les conséquences d’une mauvaise utilisation. Et le phénomène peut être amplifié chez les adolescents qui ont des petits camarades, une grande émotivité et des problèmes de consommation de drogue.
Il est établi que les pays disposant de solides lois en matière de prévention de l’accès par les enfants et imposant une responsabilité criminelle aux adultes dont la négligence permet à des enfants d’avoir accès à des armes à feu, ont des taux beaucoup plus faibles de blessures auto-infligées et non intentionnelles causées par des armes à feu que les pays où les lois sur la prévention de l’accès par des enfants sont défaillantes.
Le suicide, maintenant. Eh bien, le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes au Canada. Il est davantage prévalent chez eux que le cancer, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies cardiaques, le diabète et les infections combinés. L’utilisation d’armes à feu est à l’origine de 13 p. 100 des suicides chez les jeunes, et près de 90 p. 100 des jeunes ayant commis l’irréparable souffraient de maladie mentale. Il existe une forte corrélation positive entre la disponibilité d’une arme à feu à la maison et le risque de suicide et d’homicide.
Ainsi, la SCP encourage les pédiatres à recommander fortement le retrait des armes à feu des foyers où des jeunes seraient aux prises avec une maladie mentale ou à risque de l’être.
Il y a ensuite la violence. Les agressions par arme à feu font partie d’un problème complexe qui, en fin de compte, exige la collaboration de plusieurs ministères de tous les ordres de gouvernement. Une seule intervention ou un seul changement législatif ne réglera pas ce problème important, mais il est clair que des restrictions plus strictes sur l’accessibilité et la disponibilité des armes à feu au Canada aideront à réduire le nombre de victimes d’homicide au Canada.
Le projet de loi C-71 est important pour aider à protéger les enfants et les jeunes contre ce problème de santé publique. Prises ensemble, les statistiques sur les blessures par arme à feu et les caractéristiques développementales, comportementales et cognitives des enfants et des jeunes suggèrent que les mesures suivantes doivent être mises en place comme stratégies de prévention des blessures par arme à feu.
Premièrement, les propriétaires légalement autorisés sont incités à entreposer, à transporter et à utiliser leurs armes à feu en toute sécurité afin de prévenir la perte, le vol et l’utilisation inappropriée de ces armes par les jeunes. Cela s’entend de mesures visant à s’assurer que le transfert ou la vente d’une arme à feu ne se fait qu’à une personne titulaire d’un permis. Les exigences en matière de tenue de dossiers par les commerçants et la confirmation de la validité des permis devraient décourager les achats par des prête-noms et le trafic d’armes à feu non restreintes à des personnes non autorisées.
Il va falloir se doter de mesures de restriction et de contrôle en matière de délivrance de permis aux personnes jugées à risque pour les autres et pour elles-mêmes, et étendre la portée des contrôles préalables à l’octroi de permis pour englober tout un foyer et pas uniquement le demandeur, par exemple quand un adolescent souffre de maladie mentale.
Les mesures permettant de modifier la classification pour passer à un usage en milieu agricole doivent être fondées sur la sécurité et non sur l’opinion publique. Pour les enfants et les jeunes, cela comprend les processus permettant de reclasser en bas de la catégorie des armes sans restriction les armes dont les projectiles peuvent percer les yeux ou la peau, soit les armes à air ou à gaz comprimé.
En tant que professionnels de la santé des enfants, les membres de la SCP estiment essentiel d’exprimer leurs préoccupations au sujet des répercussions évitables et tragiques de la violence armée, du suicide et des blessures non intentionnelles, et de se réunir pour trouver des solutions satisfaisantes afin d’endiguer ce problème croissant. Par conséquent, nous sommes tout à fait favorables à l’adoption du projet de loi C-71.
[Français]
Wendy Vasquez, porte-parole, PAS ICI : Bonjour. D’abord, je vous remercie de nous accueillir pour entendre la voix des jeunes dans le cadre d’un enjeu aussi important. Je m’appelle Wendy Vasquez, étudiante en génie informatique à l’Université de Sherbrooke et présidente de l’Association provinciale des étudiants en génie du Québec. Je suis accompagné de mes collègues, Guillaume Lecorps, président de l’Union étudiante du Québec, Bryan Gingras, vice-président aux affaires externes de l’Association étudiante de l’École de la technologie supérieure et Marianne Ny, étudiante à l’Université Carleton.
Nous sommes ici aujourd’hui pour représenter le mouvement étudiant pancanadien, parce que nous ne voulons pas que ce qui arrive aux États-Unis se produise ici au Canada. On représente 19 associations étudiantes à travers le pays, pour un total de plus de 250 000 étudiants et étudiantes partout au Canada. L’objectif principal de notre organisation est de veiller à la sécurité dans les campus. On veut que les universités soient des milieux de vie où on n’a pas à craindre pour sa vie.
Nous sommes favorables au projet de loi C-71. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant. Dans le cadre de ce projet de loi, nous sommes favorables à plusieurs améliorations, entre autres supprimer le délai de cinq ans visant les critères d’admissibilité, l’ajout de nouveaux critères d’admissibilité, le fait que les entreprises conservent des renseignements relatifs aux armes à feu non restreintes, et l’abrogation du pouvoir du gouverneur en conseil afin qu’il ne puisse pas modifier la classification des armes, par exemple, pour éviter qu’une arme prohibée puisse devenir restreinte ou non restreinte, ou qu’une arme restreinte puisse devenir une arme non restreinte.
Cependant, il y a encore des améliorations à apporter. Il faut, notamment, centraliser les données pour que les policiers puissent accomplir leur travail correctement, afin qu’ils puissent accéder facilement aux renseignements dont ils ont besoin pour retracer les armes.
Il y a également des améliorations à apporter quant aux critères d’admissibilité, qui sont discrétionnaires à l’heure actuelle, c’est-à-dire que, dépendamment de la personne qui analyse le dossier, on peut choisir un facteur et déterminer que ce facteur est plus important, ou simplement ne pas en tenir compte dans sa décision. Cela fait en sorte que des personnes qui n’auraient pas dû avoir accès à une arme à feu ont pu en obtenir une légalement. C’était le cas d’Adrian Clavier, qui a reçu des soins psychiatriques pendant 35 ans et qui prenait des médicaments pouvant entraîner des pensées suicidaires. Il a réussi à obtenir une arme légalement et, avec cette même arme, il s’est suicidé.
Notre mouvement représente la jeunesse, mais il faut voir au-delà de cela. On représente également la majorité de la population canadienne qui est favorable à une législation plus sévère des armes à feu. De plus, selon un consensus scientifique, une législation plus sévère contribue à améliorer la sécurité publique des citoyens et des citoyennes. Il ne faut pas céder sous la pression des lobbys pro-armes, car ils représentent une infime partie de la population. Ils défendent leurs propres intérêts, mais il faut veiller à la sécurité de tous les Canadiens et Canadiennes. Les décisions qu’on prend aujourd’hui auront des répercussions sur la société de demain. Ce sont les jeunes qui devront vivre avec les répercussions d’une mauvaise loi. Ce sont les jeunes qui devront vivre avec les impacts d’une société qui n’est pas assez sévère dans son traitement des armes létales, des armes qui sont conçues pour tuer des êtres vivants. Merci.
Boufeldja Benabdallah, président et cofondateur, Centre culturel islamique de Québec : Honorables personnalités, mesdames et messieurs les sénateurs, le 29 janvier 2017, un individu terroriste s’est présenté à la porte de la mosquée de Québec — que vous connaissez tous maintenant — avec un sac dans lequel il avait dissimulé une arme de poing, une arme d’assaut et plusieurs chargeurs bourrés de balles. Tranquillement, il a tiré avec une arme d’assaut sur la première personne qui sortait de la mosquée. Je vais vous citer le film de l’horreur qui doit contribuer à ce que la loi que vous allez mettre en place soit une bonne loi pour notre société.
Le tireur avait 50 balles dans son chargeur. Il a tiré avec son arme d’assaut. La balle s’est enrayée. Son outil de guerre est devenu inutilisable et il l’a jeté, mais ce n’était pas suffisant. Il avait des armes de poing. Il a sorti son arme de poing, et il a tué sur les deux Guinéens, qui étaient à la porte. Ils sont tombés sur la neige. Calmement, le tireur a sorti de son sac cette arme de poing, et il a tiré sur mes deux amis, Mamadou Tanou et Ibrahima Barry. Même s’ils étaient étalés sur la neige, il s’est présenté encore une fois au-dessus de leur tête et il leur a tiré deux autres balles dans la tête, froidement, avec une arme à feu. Cette scène est décrite pour illustrer comment un individu peut avoir des armes en main et circuler en toute impunité de son domicile pour aller tuer de façon préméditée des gens innocents, des citoyens québécois canadiens.
Sommes-nous arrivés dans une société qui banalise la mort? Non, je ne pense pas. Il y a des meurtres, parce que nous n’avons pas le contrôle sur ces outils de mort et, tout simplement, parce que nous n’avons pas interdit ou balisé de façon très sérieuse ces armes de guerre. Que ce soit une arme de poing ou une arme d’assaut, c’est une arme de guerre qui tue. Nous vivons dans un pays pacifique où, normalement, comme l’ont dit la plupart de mes collègues ici, il fait bon vivre. Notre Canada est-il alors en train de glisser pour rejoindre les pays où les armes à feu circulent et circuleront encore comme une denrée consommable?
Nous avons une responsabilité morale de mettre en place tous les moyens techniques, administratifs et légaux pour empêcher que ces armes circulent dans notre société. C’est grâce à des lois qu’on y parviendra. Nous avons une responsabilité morale à l’égard des générations à venir. Les étudiantes de la Polytechnique, les 14 jeunes femmes, avaient l’âge de ces générations quand elles ont été tirées par un fou avec une arme.
C’est pour cela que je viens devant vous, de Québec à ici, bravant le froid et la tempête pour en parler. C’est pour cette raison que j’en parle aussi dans mon milieu, car les gens ont peur des armes. Quand on se présente pour faire la prière, chaque fois que la porte vibre, les gens se retournent. Ils ont peur des armes. Cette peur ne disparaît pas. Elle reste dans le subconscient. Qu’en est-il des enfants?
Il a suffi d’une arme automatique ce 29 janvier pour faucher la vie de six citoyens canadiens dont les noms résonnent encore en nous. Je veux qu’ils résonnent encore en vous. Il s’agit d’Abdelkrim Hassane, d’Aboubaker Thabti, d’Azzeddine Soufiane, de simples commerçants magnifiques; d’Ibrahima Barry, de Khaled BelkacemiI, professeur de grand renom à l’Université Laval, et de Mamadou Tanou, père de quatre enfants en bas âge, qui sont maintenant orphelins. Toutes ces personnes utiles pour leur famille et la société canadienne, des ingénieurs, des financiers, des informaticiens, des professeurs d’université, des commerçants, étaient tout simplement des citoyens qui sont morts sous des balles.
Il s’agit de 6 personnes assassinées violemment à l’aide d’une arme à feu qui ont laissé derrière eux 6 épouses en détresse et 17 enfants, dont la plupart sont maintenant en échec scolaire. Ce n’est pas un échec scolaire parce qu’ils passent trop de temps sur Internet. C’est parce qu’ils ont été complètement bousculés et déséquilibrés. L’adolescente du commerçant vient d’avoir un diagnostic d’un taux de sucre très élevé dans son organisme. Elle est déjà en traitement, et les médecins disent que c’est en raison de la détresse qu’a provoquée le décès de son père. Son père lui avait dit : « Attends-moi, je reviens pour te parler. » Cinq minutes. Cinq minutes ont suffi pour mettre fin à un discours avec elle où il lui parlait de son avenir au Canada. Il est parti du Maroc pour vivre au Canada, pour parler à sa fille de son avenir, de ses cours d’école. Il est parti et il n’est plus revenu. Elle l’attend toujours.
Je veux que vous m’écoutiez, s’il vous plaît, même si je suis long. Le visionnement du film autorisé par le juge à huis clos au palais de justice a été vu par toutes les familles. On y voit des morts, des blessés et des rescapés. Comme dans un film d’Hollywood, on a vu l’assassin qui a tiré avec son arme sur les gens, hommes et enfants. Il y avait quatre enfants dans la salle. À cinq reprises, le tireur a rechargé son arme de dix balles. Il a tiré sur les victimes et il les a achevées quand il est revenu. C’est comme dans un film d’Hollywood où le tireur est perçu comme quelqu’un qui commet un acte glorieux. Le tireur disposait d’une arme pour faire comme ces héros imbéciles dans les films d’Hollywood. Cet assassin a tiré 48 balles en 2 minutes, pas avec une fléchette de corde, mais avec une arme à feu. Il a tiré 48 balles en 2 minutes. Le Canada serait-il devenu Hollywood? Je ne pense pas. Si nous ne voulons pas que le Canada devienne cet Hollywood, travaillons à interdire ces armes ou, du moins, renforçons les lois que vous allez adopter.
Je reconnais qu’il y a déjà un pas de traversé dans ce pays. Nous avons une belle démocratie qui m’a permis aujourd’hui de venir vous parler. Dans d’autres pays, je n’aurais pas le pouvoir ni le droit de parler. Ici, nous avons ce droit, et je suis heureux de me trouver dans un tel pays. C’est pour cela que je veux que ce soit un pays où les armes ne circulent pas et ne tuent pas encore des gens.
Nous avons commencé depuis deux ans à faire de la sensibilisation pour cette cause avec l’organisme Polysesouvient, qui le fait depuis plus de deux décennies. Il y a un danger. Nous avons fait un premier geste, celui de nous opposer au consortium des médias qui voulait créer le film de la tragédie. Le film a été tout enregistré, et le juge l’a diffusé en salle d’audience à huis clos, mais nous avons refusé que les médias l’utilisent pour aller répandre la mort dans le public et que les gens puissent voir comment un tel imbécile peut tuer des gens, car cela peut donner des idées à d’autres qui auraient accès à des armes qui ne sont pas balisées par une loi.
Je ne peux terminer mon témoignage, qui est basé sur ce qui a été concrètement notre destin dans cette mosquée en raison de la possession d’armes à feu, sans vous dire aussi que l’assassin, par le seul fait d’avoir entre les mains cette arme, s’est senti puissant. Les psychologues le disent : parce qu’il avait une arme, même deux, une arme d’assaut, il se sentait puissant. Il avait aussi une arme de poing, et il s’est senti puissant, il s’est senti grisé par cette puissance qu’il avait de terroriser un groupe de citoyens en prière dans un lieu sacré.
Cette puissance, il l’a aussi mise à son service en tirant sept balles, l’une après l’autre, sur celui qui est aujourd’hui coincé dans son fauteuil roulant. Seules sa tête et ses mains peuvent bouger un peu. Il lui a tiré sept balles l’une après l’autre dans son corps. Il n’a pas tiré avec des fléchettes, il a tiré avec une arme de poing, dont une balle est encore logée dans son cou. Il lui a suffi de quelques minutes avec une arme pour faire 6 morts, 5 blessés et 35 personnes complètement dévastées psychologiquement.
Vous savez, j’ai rendu visite aussi aux gens de la tuerie de la synagogue de Pittsburgh, aux États-Unis, là où se trouve Hollywood. J’ai vu aussi leur détresse devant le fait accompli. Eux aussi sont alarmés par la circulation de ces armes de guerre et de mort; 11 morts tués innocemment par un fou. Et ce fou, qu’est-ce qu’il avait? Il avait une arme d’assaut. Quel gâchis! Des morts et des ressources humaines qui auraient pu être mises à contribution pour l’éducation, les affaires sociales, la culture et l’art qui font du bien et qui nous permettent d’avoir un cœur et un bon repos.
Devrions-nous continuer à décrire l’indescriptible après avoir appris, il y a quelques années, l’assassinat des 14 victimes de Polytechnique? Sans compter la tragédie qui a causé la mort d’une jeune collégienne et fait 20 blessés au Collège Dawson, les 7 agents de la GRC, dont 2 blessés, et ainsi de suite, pour ne citer que ces malheureux et tristes événements, y compris l’assassinat d’un jeune policier dans l’exercice de ses fonctions.
[Traduction]
La présidente : Avec tout le respect que je vous dois, puis-je vous demander de conclure, s’il vous plaît?
[Français]
M. Benabdallah : J’ai terminé. C’est la circulation incontrôlée de ces armes à feu meurtrières et guerrières qui est à l’origine des attentats de gens haineux contre leurs concitoyens. Nous voudrions que cette loi qui sera adoptée soit la plus sévère possible afin que ces armes ne circulent pas impunément ou même qu’elles ne puissent exister sur le sol canadien.
Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous allons passer aux questions. Vous avez remarqué qu’il s’agit d’un groupe assez important. Nous nous sommes surtout efforcés d’accommoder les témoins contraints à modifier leur comparution en raison des conditions météorologiques.
Et comme le groupe de témoins suivant ne compte que deux personnes, cela va nous permettre d’accorder un peu plus de temps pour entendre ceux qui sont devant nous. Sur ce, un certain nombre de sénateurs veulent poser des questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Je poserai seulement trois questions. Ma première question s’adresse à Mme Provost.
Madame Provost, les communautés autochtones voudraient être soustraites aux obligations qu’imposent les registres canadien ou québécois du contrôle des armes à feu. Elles invoquent des privilèges liés à leurs territoires et à la chasse. Que pensez-vous de leurs demandes et comment devrions-nous les traiter?
Mme Provost : Je peux comprendre les demandes des communautés autochtones. Toutefois, ces dernières sont aussi soumises à des défis et à des enjeux. Mme Saunders parlait des défis en ce qui a trait aux enfants. Les enfants autochtones font certainement partie des statistiques que nous révélait Mme Saunders.
À court terme, je pense que le projet de loi C-71 peut être admissible, même pour les communautés autochtones. Je crois que le gouvernement du Canada est en mesure de réfléchir avec les communautés autochtones pour trouver des amendements ou des manières de faire afin de répondre à leurs besoins et selon leurs propres circonstances.
Le contrôle des armes à feu doit être une réflexion pancanadienne, et j’inclus les communautés autochtones. Il y a eu d’ailleurs ici des gens des communautés autochtones qui ont parlé des grands défis qui vivent ces communautés. Il y a des communautés qui sont capables de trouver des solutions adaptées à leurs besoins, par exemple, rassembler toutes les armes afin d’empêcher une personne qui vit un épisode de détresse d’y avoir accès. Il faut les écouter, mais je pense que cela ne nous empêche pas d’aller de l’avant avec le projet de loi C-71.
Le sénateur Dagenais : Merci.
Ma deuxième question s’adresse à Mme Rathjen.
Madame Rathjen, ne trouvez-vous pas étrange que l’actuel gouvernement n’ait rien incorporé au projet de loi C-71 pour compenser le fait que la Cour suprême a infirmé la loi imposant une peine minimale obligatoire de trois ans de prison à ceux qui sont pris avec une arme chargée? Êtes-vous en faveur de la peine minimale obligatoire pour ceux qui ne respectent pas la Loi sur les armes à feu?
Mme Rathjen : Si je comprends bien, autant le projet de loi C-17 en 1991 que le projet de loi C-68 en 1995 présentaient une augmentation des pénalités pour les infractions liées aux armes à feu. Les conservateurs ont également augmenté les peines, et je vais me fier à la Cour suprême qui indique que, dans certains cas, c’est allé trop loin. Alors, pour nous, les pénalités sont moins importantes que la prévention, parce que, dans la plupart des cas de tuerie de masse, le tueur se suicide ou meurt à la suite de l’intervention d’un policier, et les pénalités n’ont alors pas beaucoup d’impact.
Je m’en remets donc à la Cour suprême. Encore une fois, ce que nous visons, c’est la prévention. Le fait de punir quelqu’un est reconnu comme n’étant pas efficace pour la prévention, donc nous misons sur les mesures qui empêcheront que des gens qui ne devraient pas avoir accès aux armes à feu y aient accès.
Le sénateur Dagenais : Merci.
Ma dernière question s’adresse à Dre Saunders.
Docteure Saunders, croyez-vous sincèrement que le projet de loi C-71 contient des dispositions susceptibles de lutter efficacement contre les gangs de rue qui sévissent à l’heure actuelle, entre autres, à Toronto? Comment pourrions-nous modifier cette loi afin qu’elle soit plus efficace pour lutter contre le crime organisé, qui n’est pas reconnu pour utiliser des armes qui sont légalement enregistrées?
[Traduction]
Dre Saunders : Je pense que le projet de loi C-71 contient certaines mesures susceptibles d’aider à lutter contre la violence et les crimes liés aux gangs grâce à la tenue des dossiers par les commerçants et à la diminution du risque d’achat par des prête-noms.
Cela va-t-il assez loin? Probablement pas. La Société canadienne de pédiatrie souhaiterait bien sûr que les armes de poing et les armes d’assaut soient interdites pour contribuer à réduire les crimes violents, en particulier chez les jeunes.
Comme je l’ai déjà dit, cependant, je ne pense pas qu’on puisse se contenter de restreindre les armes à feu et légiférer sur les armes à feu. En tant que société, nous devons travailler de concert avec tout un ensemble de ministères comme ceux de l’Éducation, des Services sociaux et de la Sécurité afin de parvenir aux racines de la violence.
Je ne pense pas qu’il y ait une solution en particulier, mais je pense que le projet de loi C-71 renferme des éléments qui pourront aider à réduire les crimes violents.
[Français]
La sénatrice Jaffer : D’abord, madame Provost, je tiens à vous dire que je suis désolée d’apprendre que vous avez souffert de harcèlement. Je suis vraiment désolée de l’entendre.
[Traduction]
Comme je n’ai que très peu de temps pour poser des questions, je n’en poserai que deux.
Je vais commencer par M. Benabdallah. As-salaam-alaikum. J’ai rencontré à Québec les veuves et les mères venues de Guinée. Elles ont le cœur brisé. Le projet de loi C-71 va-t-il assez loin?
Pardonnez-moi de vous poser cette question, mais certains disent que cela n’a rien à voir avec les armes à feu, que cela a à voir avec nos problèmes sociaux et que les armes à feu ne font pas de différence. Puis-je vous demander respectueusement si ce projet de loi ou un projet de loi plus strict aurait fait une différence dans la fusillade à la mosquée de Québec?
[Français]
M. Benabdallah : Bien sûr, cela aurait fait une différence. Cet individu ne se serait pas promené impunément avec des armes dans son véhicule. Ses parents n’auraient pas stocké des armes comme ça sans balises, sans règlements. S’il y avait une loi coercitive, l’individu y penserait deux fois. Il n’aurait tout simplement pas accès à ces armes, sachant qu’elles sont prohibées, interdites, restreintes ou bien balisées.
La loi est faite pour persuader. Voilà pourquoi vous créez des lois et qu’on s’en sert pour se protéger. Cela permet d’éviter que, à l’avenir, il y ait des actes qui nuisent à la société. Je ne connais pas la loi de fond en comble — je laisse cette tâche aux spécialistes qui en connaissent les détails —, mais les lois sont faites pour établir des balises afin que la société soit en équilibre. Cette loi-ci est très importante, compte tenu de l’augmentation des homicides par arme à feu. Ne mélangeons pas les choses; nous traitons bel et bien du secteur des armes à feu. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : J’ai beaucoup de questions complémentaires, mais je dois respecter mes autres collègues.
Je vais poser une petite question à Mme Rathjen. Voici ce que vous avez dit dans un communiqué publié en mars dernier, en votre qualité de porte-parole de la police :
Qu’en est-il du contrôle des inventaires en magasin? Les contrôles proposés sur les ventes sont moins stricts que ceux en place depuis les années 1970, alors que la police n’avait pas besoin d’une autorité judiciaire pour les exercer.
Même aux États-Unis, les vendeurs commerciaux d’armes à feu sont tenus d’enregistrer les ventes d’armes et les autorités ont facilement accès à ces registres.
Je trouve cette déclaration intéressante et j’aimerais que vous la commentiez. Ce projet de loi couvre-t-il les ventes enregistrées? Pas du tout. Les autorités n’y ont pas accès.
Mme Rathjen : Non. C’est ce que nous voulons dire. Nous estimons que le projet de loi ne maximise pas les promesses électorales, dont l’une consistait à rétablir les registres des ventes commerciales.
Ils sont en place depuis les années 1970 et la police avait facilement accès à ces dossiers. Ils pouvaient faire des contrôles de la qualité, examiner les dossiers et en comparer le contenu avec l’inventaire en magasin pour s’assurer qu’il n’y avait pas de détournements illégaux.
De nombreux contrôleurs provinciaux des armes à feu se sont opposés à l’élimination du registre, arguant qu’il faciliterait le détournement des armes vers le marché illégal.
Au lieu de rétablir les registres de ventes qui étaient en place depuis les années 1970, la mesure prévue dans le projet de loi C-71 exige des registres de ventes, mais complique la tâche de la police. Pour y accéder elle doit détenir un mandat de perquisition concernant une arme à feu précise et avoir des doutes raisonnables dans le cadre d’enquêtes précises, tout cela alors même que nous avons tous ces débats sur la provenance des armes à feu dans les crimes et les suicides. Si on ne retrace pas ces armes systématiquement, il sera très difficile de savoir d’où elles viennent pour aider les législateurs à élaborer de meilleures politiques et éviter qu’elles ne tombent entre de mauvaises mains.
C’est l’un des amendements que nous espérons voir apporter au projet de loi dont le Sénat est saisi. Afin de s’assurer que les armes à feu sont vendues à des détenteurs de permis et pas au monde interlope, nous voulons que les policiers aient un droit d’accès leur permettant de faire toutes sortes de choses, et pas seulement une vérification concernant une arme précise trouvée sur les lieux d’un événement. À l’heure actuelle, le libellé de la loi ne permet pas à la police à faire cela.
Le sénateur Pratte : Mes questions s’adressent à la Dre Saunders.
[Français]
Cependant, les autres témoins peuvent également participer à la réponse s’ils le souhaitent.
[Traduction]
Docteure Saunders, dans votre exposé, vous avez dit que si l’on restreignait davantage la circulation d’armes à feu, on réduirait la violence liée aux armes à feu, ce qu’avaient démontré différentes études.
Nous entendrons d’autres témoins cet après-midi, notamment les professeurs Langmann et Mauser, qui disent exactement le contraire. Nous aurons aussi des statistiques et des études qui démontrent que c’est le contraire, que les initiatives de contrôle des armes à feu n’ont pas donné les résultats attendus.
Comment pouvons-nous, en tant que législateurs et non-experts, décider de ce que dit vraiment la science?
Dre Saunders : Si je ne m’abuse, l’étude du Dre Langmann ne portait que sur les homicides commis avec une arme à feu et pas sur les blessures causées par des armes à feu.
En ce qui concerne les enfants et les jeunes, ce qui est mon domaine d’expertise, cela ne représente pas 70 p. 100 des agressions commises avec une arme à feu, alors je pense que l’étude du Dre Langmann ne brosse pas un tableau complet de la situation.
Nous nous tournons vers des pays comme l’Australie et le Japon, où les taux d’homicides sont faibles. Nous devons nous tourner vers d’autres pays parce qu’au Canada, nous n’avons pas correctement mesuré le taux d’homicides. Nous n’avons pas de statistiques. Nous avons besoin de ces données, mais nous ne les avons pas.
Le sénateur Pratte : L’étude que vous avez citée, votre propre étude sur les blessures chez les enfants et les jeunes, a été contestée par les opposants au contrôle des armes à feu. Ils disent, par exemple, que votre définition des enfants et des jeunes est trop large parce qu’elle va jusqu’à l’âge de 24 ans et que bon nombre d’armes, comme les fusils à billes de peinture et ainsi de suite, ne sont pas des armes à feu.
Que répondez-vous à ces commentaires sur votre étude?
Dre Saunders : En tant que pédiatre, je m’occupe de mineurs hospitalisés, jusqu’à l’âge de 18 ans, mais les soins que je dispense ne s’arrêtent pas aux patients de 18 ans. Si votre enfant est tué par une arme à feu à 17 plutôt qu’à 19 ans, est-ce que cela fait une différence?
Le qualificatif de jeune s’applique jusqu’à 24 ans et certains organismes vont jusqu’à 29 ans. En tant que pédiatres, nous avons tout intérêt à veiller à ce que la transition de l’adolescence à jeune adulte se fasse bien.
Pour mon étude, j’englobe des jeunes jusqu’à l’âge de 24 ans parce qu’ils constituent une importante population touchée par cette question.
Le sénateur Pratte : Qu’en est-il du fait que toutes les armes à feu ne sont pas en fait des armes à feu?
Dre Saunders : Vous soulevez quelque chose de très important. Cette étude est fondée sur les dossiers de santé. Les pédiatres ou les fournisseurs de soins de santé ne sont pas experts en balistique. Quand un blessé par balle se présente, on ne sait pas nécessairement de quel type d’arme à feu il s’agit.
Ce sont souvent des blessures graves qui nécessitent une visite à l’urgence ou l’hospitalisation d’un enfant ou d’un jeune.
La Société canadienne de pédiatrie appuie l’idée voulant que les armes à air ou à gaz comprimé soient aussi considérées comme des armes à feu si leurs munitions peuvent transpercer la peau ou crever un œil. À l’heure actuelle, tout ce qui tire un projectile à une vitesse inférieure à moins de 152 mètres par seconde n’est pas considéré comme une arme à feu à moins que ce ne soit dans la commission d’un crime.
Mon fils de sept ans peut aller sur le site de Walmart ou de Canadian Tire et acheter une carabine tirant des projectiles à 151 mètres par seconde. Vous ne voudriez certainement pas vous faire tirer dessus avec une telle arme : elle pourrait vous tuer.
Avant de me présenter ici aujourd’hui, j’ai envoyé un mémoire qui fait état d’une étude sur les enfants et les jeunes en ce qui concerne les voies de fait et les types d’armes à feu utilisées. Il y a eu autant d’agressions par des armes de poing que par des carabines à air comprimé ou à plomb. Nous devons vraiment nous demander si les armes à air ou à gaz comprimé utilisées dans les voies de fait — qui peuvent tuer ou blesser —, ne devraient pas être considérées comme des armes à feu en vertu de la Loi sur les armes à feu du Canada.
Le sénateur Pratte : Ai-je le temps de poser une autre question brève?
La présidente : Très brève alors.
[Français]
Le sénateur Pratte : Madame Rathjen, vous tenez beaucoup à ce que ce soit les experts de la Gendarmerie royale du Canada qui classifient les armes plutôt que le gouverneur en conseil. Pourquoi est-ce important pour vous? Les opposants au régime disent que c’est antidémocratique de laisser ces décisions entre les mains de bureaucrates.
Mme Rathjen : En fait, ce n’est pas la GRC qui décide comment les armes sont classifiées. Elle interprète les critères de la loi fédérale. Ce sont les politiciens qui établissent les critères, et la GRC les applique. Évidemment, c’est parfois complexe et il peut y avoir matière à interprétation, mais ce sont des experts qui tentent de respecter la loi.
Avec le projet de loi C-42, le gouvernement s’est donné le pouvoir de s’opposer aux interprétations de la loi faites par la GRC pour des raisons politiques. C’était le cas avec les Swiss Arms et les CZ858. La GRC n’avait pas décidé de prohiber ces armes, elles l’étaient en vertu de la loi. La loi stipule que si une arme peut être convertie en mode automatique, elle est considérée comme automatique, donc prohibée. L’article de la loi qui sera éliminé par le projet de loi C-71 permettait aux politiques de renverser cette interprétation, toujours pour la rendre plus faible, toujours pour passer du statut de prohibé à celui de restreint ou de non restreint, ou du statut de restreint à non restreint.
En fait, le système de classification est défectueux. C’est au gouvernement de le réparer au moyen d’une loi, à l’aide d’un nouveau système de classification, et la GRC appliquera ces critères et prendra des décisions pour interpréter la loi et l’appliquer.
Le sénateur Pratte : Merci.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Je me limiterai à une question afin de permettre au plus grand nombre de sénateurs possible d’échanger avec nos témoins.
[Français]
À tous les témoins, je vous remercie sincèrement d’être ici ce matin.
[Traduction]
Vous avez tous livré d’excellents témoignages. J’aimerais avoir le temps de poser une question à chacun de vous.
Je veux dire à tous les témoins, mais surtout à vous, M. Benabdallah, que vous nous avez aidés à mieux comprendre le récent massacre. Recevez toutes mes condoléances et soyez assuré que j’apprécie votre présence.
Une grande partie de ce que nos témoins ont dit jusqu’à maintenant a vraiment aidé les sénateurs à se sentir plus concernés et à mieux comprendre ce qui est en jeu pour la société canadienne.
Que diriez-vous, monsieur, aux sénateurs qui siègent à ce comité, et à leurs collègues en général, qui ont fait valoir que le Canada n’a pas besoin de ce projet de loi? Que diriez-vous aux propriétaires d’armes à feu que nous avons entendus, et que nous allons continuer d’entendre qui disent que ce projet de loi n’est pas nécessaire parce que le système fonctionne et qu’il devrait demeurer tel quel?
[Français]
M. Benabdallah : Nous disons à tous les sénateurs, à tous les hommes politiques de prendre leurs responsabilités, maintenant et pour les générations futures, et de ne pas faire de calcul politique, parce qu’il en va de la société. Si la loi est nécessaire pour baliser, pour prévenir, pour guérir et pour corriger, il faut y aller, il faut la mettre en place. Il n’y a pas de pays au monde où il n’y a pas de lois, ce serait utopique. Il faut que les lois existent et, dans le cas des armes, c’est primordial. Si on laisse l’espace aux gens qui ont accès aux armes de façon impunie, sans loi, où allons-nous? Nous ne sommes pas dans un pays version Hollywood. C’est tout ce que j’ai à dire.
Cette responsabilité est le combat de tout un chacun. Si ce n’est pas ici, ce seront les générations futures qui nous jugeront tous. Même nous, de la mosquée, si nous ne nous étions pas levés pour venir témoigner devant vous et épancher nos sentiments... nous n’avons pas besoin d’épancher nos sentiments, mais c’est tellement fort, c’est pour guérir des plaies, et c’est pour favoriser un meilleur avenir pour nos enfants, de toutes confessions. Alors, la responsabilité, s’il vous plaît, prenons-la et allons vers une loi qui soit la plus coercitive possible. Merci.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie sincèrement de votre présence et de votre témoignage. Aux victimes et aux familles touchées de près ou de loin par de terribles tragédies comme celles qui sont survenues à l’École polytechnique, au Collège Dawson et au Centre culturel islamique de Québec, je vous prie de recevoir mon respect et l’expression de ma plus profonde sympathie.
Je comprends qu’après la fusillade du Collège Dawson, qui a eu lieu en 2006, la province de Québec a adopté la Loi Anastasia. Pourriez-vous nous parler un peu de cette loi? À votre connaissance, existe-t-il ce genre de lois dans les autres provinces et, si oui, lesquelles? Selon vous, y aurait-il des échappatoires dans le cadre de la Loi Anastasia et, si oui, quelles sont-elles et comment pourrait-on y remédier?
Mme Rathjen : Cette loi provinciale améliore certains processus, protège les professionnels de la santé et les encourage à rapporter les cas de leurs patients qui font des menaces de mort, ou ce genre de choses, afin que les policiers puissent procéder à des retraits préventifs. Il y a aussi une responsabilité sur le plan des exploitants de club de tir de rapporter des comportements bizarres ou suspects des participants de leur club. Il y a aussi des règles pour les clubs de tir qui sont plus sévères.
Il est certain que la loi est plus efficace lorsqu’une sensibilisation du public est exercée en même temps sur les risques des armes à feu. Il y a certainement des lacunes à ce chapitre, et nous demandons le renforcement des critères de la loi en ce qui a trait à l’obtention des permis. Il faut aussi renforcer l’application de la loi pour que ce soit plus rigoureux. C’est vraiment une question de ressources et d’éducation à ce point-ci.
J’aimerais tout de même souligner les cas comme celui de Thierry LeRoux, le policier qui a été abattu à Val-d’Or en 2016. Le tueur était connu par la police. Il était suicidaire et en traitement. Il a été reconnu coupable d’un incident de violence conjugale. Les policiers savaient tout cela. Pourtant, même après lui avoir enlevé ses armes à feu, la police devait les lui remettre. Pour nous, ça veut dire qu’il y a vraiment une lacune en ce qui concerne l’application, parce qu’il y a beaucoup trop de discrétion. Nous aimerions voir inscrire dans la loi des critères permanents qui mènent à une prohibition automatique, ce qui est plus pertinent et plus solide.
Aux États-Unis, à l’échelle fédérale, c’est plus sévère qu’au Canada. Les gens qui font l’objet d’une ordonnance de non-communication dans les cas de violence conjugale ou de harcèlement, par exemple, ne peuvent pas avoir d’armes à feu. Pourquoi n’en serait-il pas de même au Canada? Il y a eu un cas au Manitoba où une femme avait pris une ordonnance de protection contre un ex-conjoint qui la menaçait, mais qui avait tout de même le droit d’avoir un permis.
Donc, en ce qui a trait à la Loi Anastasia, l’obligation de rapporter les facteurs de risques est importante. Cependant, une fois que ces risques sont connus par les autorités, la loi devrait être plus sévère pour déterminer qui peut ou ne peut pas posséder d’arme à feu. Bien que nous appuyions l’amendement adopté par la Chambre qui ajoute des critères à examiner, la loi ne change en rien la discrétion des préposés aux armes à feu et des tribunaux, qui peuvent encore permettre à des gens qui manifestent des risques extrêmement sérieux de posséder des armes à feu. Il y a donc lieu de renforcer ces critères.
Le sénateur Gold : J’ajoute ma voix et mon nom à ceux de mes collègues, et j’offre mes condoléances à vous, à vos collègues et à votre communauté pour la douleur que vous avez subie à cause de ces meurtres.
Ma question s’adresse à Mmes Rathjen et Provost, mais j’invite les autres invités à y répondre.
Votre organisation a fait remarquer à maintes reprises que la loi était décevante et qu’elle n’allait pas assez loin. Vous vous souviendrez tout de même qu’on a présenté des mesures importantes. J’aimerais en savoir un peu plus sur ce que vous considérez comme étant des mesures essentielles, dans le projet de loi C-71, pour améliorer la sécurité publique.
Permettez-moi également de vous inviter à commenter un aspect en particulier, soit celui des autorisations de transport. Nous avons entendu des témoins nous dire que ce n’est que de la paperasserie inutile. Que répondez-vous à cette affirmation?
Mme Rathjen : Parmi les mesures importantes, par exemple, il y a l’obligation de vérifier la validité du permis de la personne à qui on vend des armes à feu. Il nous semble tout à fait ridicule de ne pas exiger cette vérification d’entrée de jeu. C’est quelque chose qui existait depuis longtemps. Sous le registre, on devait vérifier le permis automatiquement. Or, actuellement, on peut vendre une arme à quelqu’un pourvu qu’on n’ait pas de raison de croire que cette personne ne possède pas de permis. On n’a même pas besoin de prendre note du nom de la personne à qui on vend une arme ni de quoi que ce soit. Au moment de la vente, il suffit d’avoir une présomption raisonnable. C’est une échappatoire énorme qui permet la vente illégale d’armes à feu. D’abord, les armes non restreintes ne sont pas enregistrées, on ne peut pas les associer au propriétaire légal ni les retracer. D’autre part, il est très difficile pour les autorités de déterminer ce qu’il y a dans l’esprit d’une personne à un moment spécifique. Cette mesure nous semble donc extrêmement importante.
L’autre mesure concerne les registres de vente. Bien que nous aimerions que cette mesure soit renforcée, elle constitue un pas important dans la bonne direction afin de documenter les ventes effectuées par les commerçants. Nous comprenons que la plupart le font de toute façon. Toutefois, il faudrait que tout le monde le fasse, car souvent les lois ne sont conçues que pour les cas exceptionnels.
Pour ce qui est des autorisations de transport, les mesures sont très décevantes. Les libéraux ont promis d’annuler les modifications prévues au projet de loi C-42, qui éliminaient les autorisations de transport visant les armes restreintes. Or, le projet de loi C-71 impose des permis spécifiques, mais seulement dans 4 p. 100 des cas de transport. Se rendre à un club de tir ou à un champ de tir représente la grande majorité des raisons pour lesquelles on transporte une arme de poing, et on n’a pas besoin d’une autorisation pour ce faire. De plus, on peut se trouver à la maison ou à n’importe quel club de tir dans sa province, même si on n’en est pas membre, sans enfreindre la loi, pourvu qu’on se trouve entre son domicile et le club de tir. Il est donc très difficile de ne pas se conformer à la loi dans ces cas.
L’autorisation de transport est une chose importante. Les armes restreintes doivent être contrôlées pour déterminer qui peut les détenir; comment, où et quand on peut les utiliser; et où on peut les transporter. Quand on contrôle le transport de ces armes, on minimise la possibilité de les utiliser de façon impulsive avec les incidents qui s’ensuivent. On a vu le 13 février, à Hamilton, un cas de rage au volant où une bagarre a éclaté parce que quelqu’un conduisait de façon agressive. On connaît ce type d’incidents. La personne est sortie de son auto avec une arme à feu et a tiré sur l’autre individu. Un autre cas est survenu au Manitoba, peu avant Noël, où un homme qui se trouvait dans un bar a été impliqué dans une altercation. Il est devenu agressif et est sorti du bar. Il avait une arme dans son auto, il l’a utilisée pour tirer sur des véhicules qui passaient et a tué une jeune femme. Pourquoi cet homme était-il en possession de son arme à feu alors qu’il sortait dans un bar? Le contrôle du transport fait partie des mesures permettant de limiter la circulation des armes restreintes et de minimiser ainsi les chances qu’on les utilise de façon impulsive à mauvais escient.
Le sénateur Gold : Je n’ai pas d’autres questions.
Le sénateur Boisvenu : Je serai bref, étant donné l’heure.
Merci à nos invités et témoins. Monsieur Benabdallah, je réitère mes condoléances, comme mes collègues et consœurs. Votre deuil se poursuit sans doute encore. Je crois que c’est tout le Québec et le Canada en entier qui compatissent avec vous.
On sait que la GRC connaît des problèmes importants en ce qui a trait aux délais liés à la vérification des dossiers de violence conjugale ou de santé mentale. En Colombie-Britannique, en 2017, on constatait du retard dans 2 000 dossiers. Un article paru récemment dans l’actualité dénonçait le même problème partout au Canada. Il existe également des problèmes de retards au sein du système de soins de santé lorsqu’il s’agit de transmettre de l’information médicale rapidement aux corps policiers. Cette information est difficile à obtenir et glisse souvent dans les failles.
Pouvez-vous me confirmer qu’Alexandre Bissonnette, le tireur qui a fait irruption dans votre mosquée, a demandé un permis à la Sûreté du Québec sans toutefois déclarer ses antécédents psychiatriques, ce qui a fait en sorte que les policiers n’aient pas pu faire de vérification et qu’il obtienne son permis?
M. Benabdallah : Exactement. Il ne les a pas déclarés; or, les policiers avaient l’obligation de vérifier.
Le sénateur Boisvenu : Dans la demande de permis, vous devez déclarer vos antécédents. Toutefois, si vous n’en avez pas, je ne crois pas qu’il y ait d’obligation.
Revenons au cas Bissonnette. Seriez-vous d’accord à ce qu’on modifie le projet de loi pour faire en sorte que, lorsque quelqu’un demande un permis pour une arme à possession restreinte, les vérifications qui sont effectuées par le corps policier, que ce soit la Sûreté du Québec ou la GRC, s’appliquent à l’ensemble des individus qui habitent dans le même immeuble où demeure la personne qui demande le permis? La modification viserait à élargir la vérification des antécédents, surtout psychiatriques.
M. Benabdallah : Nous trouvons l’idée d’élargir le cadre intéressante. Ainsi, il n’y aurait pas que l’individu qui serait ciblé. Il ne faut pas que cet élargissement dilue l’action. Il faut que les choses se fassent de façon précise et sérieuse pour resserrer le cadre et non déresponsabiliser le principal concerné.
Le sénateur Boisvenu : Docteure Saunders, les propos parus dans l’actualité au mois de novembre prétendent que le système médical a de la difficulté à répondre, dans un délai raisonnable, aux demandes d’information de la part des corps policiers au sujet des antécédents, particulièrement en matière de santé mentale. À l’heure actuelle, les vérifications se font sur cinq ans. Toutefois, le projet de loi prévoit que les vérifications s’étendent à la vie complète du demandeur de permis. Si on élargit les vérifications médicales des antécédents de la personne, comment le système médical fera-t-il pour répondre adéquatement aux demandes des policiers? Ce projet de loi va-t-il faire en sorte que vous serez plus aptes à rendre l’information disponible aux policiers?
[Traduction]
Dre Saunders : Je ne peux pas vraiment parler des arriérés du point de vue des fournisseurs de soins de santé ni de ce qui se passe du côté de la police. Ce n’est pas parce qu’il y a un retard ou un arriéré qu’on ne doit pas le faire. Cela ne revient pas à dire que ces personnes ne doivent pas être vérifiées.
Je ne m’explique pas un tel arriéré. Si, en tant que fournisseur de soins de santé, j’ai un patient atteint d’un trouble épileptique et que je m’inquiète de sa sécurité au volant, je remplis un formulaire, je le signale au ministère des Transports et son permis sera suspendu jusqu’à ce qu’on juge qu’il ne présente plus un danger sur la route. L’arriéré n’est pas énorme. Il y a une infrastructure en place sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour envisager cela dans le cas des armes à feu.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous donne un exemple. On a vu un cas, au Lac-Saint-Jean, où on a déclaré qu’une personne avait des problèmes de violence conjugale. Au moment où les policiers ont reçu l’information, il était trop tard pour intervenir et la conjointe a été assassinée.
Comment ce projet de loi va-t-il faire en sorte que nous soyons plus efficaces en ce qui a trait à la transmission rapide de l’information aux corps policiers afin qu’ils puissent intervenir rapidement pour saisir les armes à feu ou le permis? En quoi ce projet de loi permettra-t-il aux deux systèmes d’être plus efficaces?
[Traduction]
Dre Saunders : Je ne pense pas que ce projet de loi traite de la rapidité et de la mise en œuvre. Il porte sur l’identification des personnes à risque, mais il ne traite pas de la meilleure façon de régler le problème des arriérés.
Il faut bien sûr se demander s’il faudra plus de ressources et de financement pour composer avec l’augmentation du nombre de vérifications des antécédents effectuées par la police et l’application de la loi en cas de retrait ou de suspension d’un permis d’arme à feu. C’est peut-être un investissement que nous devons faire.
Le projet de loi ne traite pas précisément de ce genre de mise en œuvre, mais il n’en rend pas moins importante la nécessité d’identifier les personnes ayant une maladie mentale ou risquant d’être victimes de violence familiale.
Le sénateur Kutcher : Je pense que tous les témoins nous ont clairement aidés à retenir deux choses de votre témoignage. Tout d’abord, vous nous avez rappelé que nous ne pouvons pas oublier le visage humain de toute cette question. Deuxièmement, vous nous avez dit que le projet de loi C-71 est une approche administrative relativement limitée qui peut nous aider à assurer une surveillance raisonnable des armes à feu dans la société canadienne. Cela ne règle toutefois pas tous les problèmes et toutes les préoccupations.
J’ai deux questions. La première s’adresse à la Dre Saunders, puis à n’importe qui d’autre qui voudra aussi y répondre. Vous êtes dans une position unique en tant que médecin pour pouvoir interpréter des données scientifiques en faisant intervenir votre expérience clinique face à la froide réalité.
Vous nous avez parlé d’un concept intéressant de blessures par armes à feu qui va au-delà du suicide et de l’homicide. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons pour lesquelles il est important que nous examinions cette question, tant du point de vue de la santé publique que du point de vue des personnes et des familles?
Dre Saunders : Le milieu des pédiatres souffre des mêmes maux que la population adulte en général en ce qui concerne les armes à feu. Comme je l’ai dit, les blessures non intentionnelles constituent un problème majeur.
Les enfants n’ont pas la capacité cognitive nécessaire ou ne parviennent pas à contrôler leurs impulsions comme il se doit pour manier une arme à feu en toute sécurité. Les parents ne rangent pas toujours leurs armes à feu en toute sécurité. Nos enquêtes nous révèlent que dans la moitié environ des foyers avec enfants, les armes à feu ne sont pas entreposées en toute sécurité à la maison. Une loi permet en partie de rappeler la règle et en partie de disposer d’un moyen juridique pour contribuer à faire respecter la loi.
Par exemple, et sans trop entrer dans les détails, j’ai un patient de neuf ans qui s’occupe de son frère de sept ans à la maison. Quand j’ai su qu’il y avait dans la maison une arme à feu chargée et sans verrou de détente, j’ai appelé les Services de protection de l’enfance. Mon interlocuteur m’a alors dit : « Mais, c’est seulement un .22. Ce n’est pas grave. On en a tous ici. » J’ai répondu : « C’est un enfant de neuf ans, sans surveillance, en contact avec une arme à feu, et je m’inquiète de sa sécurité. » Mais voilà, les comportements vis-à-vis des armes à feu et de la sécurité des enfants sont normalisés, il ne m’est pas possible de réclamer le retrait de l’arme, de dire que l’enfant est essentiellement victime de négligence et que ce n’est pas sécuritaire. J’ai très peu de moyens pour faire retirer cette arme à feu de cette maison. Dans ma pratique clinique, c’est quelque chose que je rencontre tous les jours.
Dans un autre cas, un jeune de 17 ans de ma clinique était suicidaire. Il avait en fait des idées suicidaires passives. Il n’avait pas de plan précis, mais était déprimé et voulait mettre fin à ses jours. Son père avait une arme à feu à la maison. Je lui ai recommandé de retirer cette arme de la maison, du moins jusqu’à ce que la dépression de son fils soit contrôlée.
Le père m’a alors dit : « Vous savez, ça va! Il va bien. Il ne fera rien. Il n’a pas l’intention d’utiliser une arme à feu. » Un mois plus tard, son fils était mort.
Vous ne pouvez pas me dire que ce n’est pas un problème qu’on ne voit pas tous les jours.
Le sénateur Kutcher : Cela rejoint à l’évidence les études de David Brent, de Pittsburgh, sur la mort infantile.
La présidente : Nous n’avons plus de temps et, en fait, nous l’avons dépassé.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à tous pour vos témoignages très sentis.
Mes questions s’adressent aux porte-parole de l’organisme Polysesouvient.
Nous savons qu’il a davantage d’hommes qui possèdent des armes à feu que de femmes. Les statistiques de 2016 indiquent que 600 femmes, comparativement à 100 hommes, ont été victimes de violence conjugale ou de violence entre partenaires intimes commise avec des armes à feu.
Ma question porte sur la vérification des antécédents, soit les critères d’admissibilité qui figurent dans la loi. De votre point de vue, ces critères sont-ils suffisants? Qu’est-ce que vous voyez changer? Devrait-on consulter la conjointe et lui parler au lieu d’exiger une signature, ceci afin d’éviter cette violence conjugale armée?
Mme Rathjen : Merci pour cette question. Dans le cadre de ce débat, je crois qu’il est extrêmement important de rappeler qu’il y a des victimes d’homicide par arme à feu lié à la violence conjugale. Malheureusement, on entend surtout des opposants parler seulement de gangs de criminels, et ainsi de suite, comme si d’abord les tueries dont nous parlons ont toutes été perpétrées par des propriétaires légaux d’arme à feu, donc avec des armes légales. Cependant, il y a toute la question du suicide et de la violence conjugale qui semble être écartée du débat par les opposants au projet de loi.
En ce qui a trait aux améliorations possibles concernant les critères, si, par exemple, quelqu’un fait l’objet d’une ordonnance de protection, l’amendement proposé par la Chambre a déterminé que les préposés aux armes à feu, ceux qui délivrent les permis, doivent tenir compte du fait que quelqu’un fait l’objet d’une telle ordonnance. Cependant, aux États-Unis, c’est automatique; quelqu’un qui fait l’objet d’une ordonnance pour harcèlement criminel ne peut pas détenir une arme à feu. Je trouve que c’est la chose la plus simple et la plus logique. Pourquoi ne pas l’avoir inscrite de manière obligatoire dans la loi?
En ce qui touche la consultation du conjoint ou de la conjointe, de l’ex-conjoint, de l’ex-conjointe, c’est malheureusement discrétionnaire. Les provinces ou les corps policiers qui appliquent la loi peuvent décider d’appeler les références ou non, et décider d’appeler ou non l’ex-conjointe. À l’heure actuelle, c’est une question de ressources ou de priorité politique. Il faut pousser les provinces afin que ces appels deviennent systématiques.
L’une de nos recommandations est liée à celle d’un juge au Manitoba dans l’affaire Runke; Mme Runke a été abattue par son ex-conjoint qui faisait l’objet d’une ordonnance, mais celui-ci pouvait tout de même légalement être propriétaire d’une arme à feu. Nous recommandons donc que ce genre de consultation soit obligatoire.
On parle de possession d’objets extrêmement dangereux. Pour nous, il serait normal que les policiers soient obligés de faire un minimum d’enquête sur la personne, au lieu de se fier à la bonne foi de la personne qui demande une arme à feu pour qu’elle indique si oui ou non elle avait des antécédents violents ou des troubles de santé mentale, comme Alexandre Bissonnette qui n’avait pas coché la case indiquant qu’il avait des troubles de santé mentale, ce qui était pourtant le cas. Malheureusement, la Sûreté du Québec n’effectue pas à l’heure actuelle de vérification auprès de ceux qui disent ne pas avoir eu de troubles de santé mentale. Cela n’a pas de sens. Il y a beaucoup d’amélioration à apporter. Cela aurait pu être incorporé dans la loi, mais, malheureusement, selon nous, le projet de loi ne va pas assez loin en ce sens.
En même temps, nous allons continuer à faire pression sur les provinces pour qu’il y ait des processus beaucoup plus rigoureux. C’est vraiment une question de priorité, et les priorités sont souvent liées aux ressources. Certes, le ministre Goodale promet 325 millions de dollars pour lutter contre les gangs de rue. C’est une mesure qu’on appuie et que tout le monde appuie. Toutefois, les autres parties non criminelles, qui représentent environ la moitié des personnes tuées par balles au Canada et qui n’ont rien à voir avec les gangs de rue, ne semblent pas être considérées comme étant une priorité. Il n’y a pas de sommet sur les décès, les suicides évitables et les meurtres familiaux. Il y a des besoins criants de ressources pour alimenter le processus et appuyer des procédures plus rigoureuses.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je dois conclure là-dessus. Je tiens à remercier sincèrement nos témoins de s’être déplacés et d’avoir témoigné. C’est très important pour le travail que nous faisons dans le cadre de l’étude du projet de loi C-71.
Nous souhaitons la bienvenue au sénateur Plett. Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons Dave Partanen, porte-parole du Silverdale Gun Club, et Marty Kerluck, propriétaire de Toronto Firearm Safety Services.
Pour la gouverne des sénateurs, David, qui figurait sur notre liste, n’a pas pu venir en raison du mauvais temps. Je sais cependant que ces témoins vont nous influencer tout au long de la journée.
Bienvenue au comité sénatorial.
Dave Partanen, porte-parole, Silverdale Gun Club : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité à vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-71.
Je me présente ici en tant que propriétaire d’armes à feu respectueux des lois, représentant mon club, nos 3 000 membres et ce que je crois être un pourcentage important de propriétaires d’armes à feu du pays qui sont préoccupés par certaines des mesures contenues dans le projet de loi C-71.
Je tiens d’abord à saluer toutes les victimes de crimes violents et, surtout dans le cadre de cette tribune, les victimes de violence liée aux armes à feu et les personnes touchées. Je vous prie de ne jamais penser que nous sommes insensibles aux horreurs que vous avez subies. Ce sont des expériences que personne ne devrait jamais avoir à vivre, et nous sommes tous en deuil avec vous.
Malgré ce que peuvent croire les gens qui ne sont pas au fait de la complexité des enjeux, nous souhaitons tous la même chose. Bien que nos approches et nos points de vue puissent différer, s’agissant du désir d’infléchir la violence et d’avoir des collectivités sécuritaires, nous partageons tous le même objectif, peu importe la démarche empruntée. Nous ne sommes pas l’ennemi.
Au Silverdale Gun Club, des personnes travaillant pour des services policiers, pour des ministères fédéraux, pour l’armée et pour des services de gardiennage, ainsi que des participants à des cours ou à des compétitions, font régulièrement partie des quelque 25 000 usagers de nos installations chaque année. Nos membres viennent de tous les horizons et sont toujours prêts à aider quand un des nôtres est dans le besoin.
Avec l’aide de notre communauté élargie, nous avons versé 225 000 $ en dons au cours des 10 dernières années à un organisme de bienfaisance dont la mission est de réaliser les souhaits d’une vie d’enfants atteints de maladies graves. Nous ne sommes pas de mauvaises personnes.
Au cours des réunions de votre comité, on vous a présenté et on vous présentera encore des études, des analyses statistiques et des opinions émotives peut-être justifiées. Cependant, je laisserai le soin à certains de mes estimés collègues, dont l’expertise dans ces domaines dépasse de loin la mienne, de les commenter en détail et de parler de leur pertinence en contexte ainsi que de la validité de la méthodologie suivie. Toutefois, je vais commenter quelques points de façon un peu plus familière.
J’ai passé toute ma carrière professionnelle en génie informatique et en développement de logiciels, et je sais qu’un défaut de système, que ce soit sur le plan de la conception ou sur celui de la mise en œuvre, doit être repéré au niveau de la convergence des problèmes constatés si l’on veut parvenir à le corriger. Toute manipulation brutale du résultat d’une fonction particulière réduit non seulement la capacité et l’efficacité de la solution à s’appliquer en général, mais expose tout l’environnement à une escalade d’incidents secondaires imprévus.
Le débat sur les armes à feu n’est pas différent. Nous devons avoir des discussions honnêtes pour cerner les causes profondes et les aborder en tenant compte de toutes les forces en jeu, d’une façon pratique et juste. Toutefois, on risque fort de ne jamais avoir de conversations honnêtes si l’on fait fi de la différence entre les propriétaires légitimes d’armes à feu et ceux qui possèdent illégalement des armes servant à des fins illégales, et que le grand public est amené à confondre les deux cas de figure.
Nous avons déjà entendu des témoignages de particuliers et de groupes qui préconisent la confiscation des biens personnels de centaines de milliers de Canadiens n’ayant jamais rien fait de mal, au motif qu’il est temps de recadrer le débat sur les armes à feu au Canada et d’examiner les blessures et les décès par armes à feu dans une optique de santé publique.
Nous ne sommes pas nécessairement en désaccord avec cela. Toutefois, ce n’est qu’une facette. Dans beaucoup trop de cas, lorsque toutes les observations externes raisonnables donnent à penser que les tireurs de masse sont motivés par la misogynie, le sectarisme, le racisme ou une idéologie extrémiste, nous avons tendance à trop rapidement invoquer les problèmes de santé mentale. Peut-être que l’optique que l’on se propose d’adopter en santé publique pourrait rester braquée sur cet aspect pendant un certain temps, pendant que l’on fait le tour de la myriade de facteurs qui influent sur les trajectoires comportementales ascendantes de ceux qui sont prêts à recourir à ces actes odieux.
Vendredi dernier, à Toronto, un groupe de victimes et de familles des personnes touchées par la fusillade de Danforth se sont rassemblés pour exprimer leur appui à une interdiction fédérale de la possession par des particuliers d’armes de poing et de fusils d’assaut, ce terme étant souvent abusivement employé. Encore une fois, aucun d’entre nous ne conteste l’horreur que cet homme a infligée à la collectivité ni l’onde de choc qu’il a provoquée à travers le pays.
Mais qu’en est-il de l’enquête? Pourquoi certains des faits les plus troublants de cette affaire beaucoup plus vaste n’ont-ils été mentionnés que brièvement avant d’être complètement évacués du dialogue public? Cela ne me semble pas très honnête.
Nous avons également entendu l’appel lancé aux décideurs pour qu’ils fassent preuve de courage et prennent des mesures tranchées afin de protéger la sécurité des Canadiens. Encore une fois, nous ne sommes pas en désaccord avec cette position en soi. Le courage, cependant, doit être tempéré par une sagesse inspirée par les connaissances recueillies à la faveur d’un examen approfondi de tous les faits par les experts en la matière, et pas nécessairement par les groupes qui crient le plus fort pour que leurs demandes — par ailleurs bien intentionnées, mais souvent malavisées — soient entendues. Le courage sans intégrité et sans honnêteté n’a aucun sens et est probablement contre-productif.
Nous sommes tellement bombardés de motions adoptées à la Chambre des communes en vue de renforcer la conformité sociale que nous ne devons pas laisser notre ignorance déboucher sur des perceptions stéréotypées et du sectarisme, et pour que nous ne jugions pas toute une partie de la population en fonction d’actes horribles commis par une personne. Si nous voulons faire la vérité, nous devons faire preuve de la même courtoisie et du même respect envers les propriétaires légitimes d’armes à feu. Nous ne sommes pas le problème, mais nous voulons faire partie de la solution.
Notre résistance à l’égard de ce projet de loi et de toute interdiction proposée tient au fait qu’il contient très peu, pour ne pas dire rien, pour régler les problèmes sous-jacents. Il n’y a rien de courageux ni de potentiellement efficace.
Je sais que mon temps de parole tire à sa fin, mais je serai heureux d’aborder certaines de nos préoccupations particulières au sujet du projet de loi pendant la période des questions.
Marty Kerluck, propriétaire, Toronto Firearm Safety Services : Je viens de Toronto et je suis ancien administrateur et membre actuel du Toronto revolver Club, fondé en 1905. Nous n’avons connu aucun accident depuis notre création.
Je sur tireur sur cible à mon club, mais je suis également membre du Centre de tir Gagnon, à Oshawa. J’ai aussi été désigné par le contrôleur des armes à feu de l’Ontario comme instructeur et examinateur du Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu. Je donne régulièrement des cours dans la région de Toronto et d’Oshawa.
Je veux vous brosser un tableau de ce qu’une personne doit accomplir avant d’obtenir son permis d’arme à feu, bien avant de pouvoir se joindre à un club de tir ou même d’acheter une arme. Les Canadiens doivent d’abord suivre et réussir le Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu de la GRC, condition préalable à toute demande de permis. La formation est donnée par un examinateur certifié. Elle consiste en un minimum de 12 heures de cours magistraux et d’exercices de manipulation de carabines, de fusils de chasse et d’armes de poing neutralisés. Il est suivi d’un examen écrit et pratique dont la note de passage est d’au moins 80 p. 100.
Le cours a pour principal objet d’enseigner la sécurité sous tous ses aspects. Les élèves doivent apprendre à s’assurer que l’arme à feu est sécuritaire et déchargée en permanence, quand elle n’est pas utilisée. Ils doivent apprendre les procédures de manipulation sécuritaire. Ils apprennent les responsabilités légales en matière de transport et d’entreposage sécuritaires afin de s’assurer qu’ils comprennent pleinement leurs responsabilités légales et morales en tant que propriétaires d’armes à feu, 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 365 jours par année.
Une fois que le stagiaire a réussi le cours, il peut remplir la demande de permis de possession et d’acquisition. Cela comprend une référence au conjoint qui doit attester qu’il est d’accord avec le fait que son partenaire possède une arme à feu. Les deux seront également interrogés par la GRC au cours de ce processus.
Le demandeur sera également tenu d’indiquer si, au cours des cinq dernières années, il a fait l’objet d’une infraction criminelle, s’il a importé ou fait le trafic de substances contrôlées, s’il a utilisé à mauvais escient une arme à feu ou s’il a déjà été signalé à la police ou aux services sociaux pour violence ou tentative de violence.
Une fois que la personne détient son permis et que toutes les vérifications ont été effectuées, celle-ci fait l’objet d’un suivi régulier par le Centre d’information de la police canadienne ou dans la base de données du CIPC. Toute infraction qui pourrait poser un risque pour la sécurité publique serait immédiatement signalée et traitée.
Une fois qu’elle a son permis, la personne pourra vouloir aller au champ de tir. Permettez-moi de parler rapidement de ce processus. Pour cela, elle devra suivre un autre cours obligatoire sur la sécurité au niveau du club. Il s’agit d’un cours abrégé, mais qui doit amener le postulant à faire la preuve des connaissances qu’il a acquises lors du cours de sécurité suivi au début, en maniement sécuritaire des armes à feu. Il devra ensuite se conformer aux règles de sécurité strictes propres aux champs de tir, comme les commandements de cessez-le-feu et le transport légal des armes à feu à destination et en provenance du champ de tir, qui est très important.
Le club lui-même est tenu de consigner chaque visite de membre. En Ontario, le contrôleur des armes à feu doit aussi inspecter régulièrement le club pour s’assurer qu’il est légalement autorisé à exercer ses activités. Aucun accident ne peut se produire. C’est pourquoi une formation aussi rigoureuse en matière de sécurité et une surveillance constante par un agent de sécurité au champ de tir du club sont nécessaires.
Les personnes nouvellement formées doivent également passer une période de probation complète, où elles tirent sous la supervision directe de membres certifiés jusqu’à ce qu’elles aient fait la preuve de leur capacité à utiliser une arme à feu en toute sécurité pour être acceptées comme membres du club. C’est tout un processus qui vise à faire en sorte que notre sport soit sécuritaire et exempt d’accidents.
Quelle est la composition démographique des membres d’un club de tir? Les membres sont un échantillon représentatif de différentes professions, religions, nationalités et races et ils appartiennent à différents groupes d’âge. Le tir sportif échappe aux préjugés sexistes. De plus, c’est une activité fantastique pour les personnes handicapées. Au tir sur cible, la personne physiquement apte n’a aucun avantage supplémentaire par rapport au tireur n’ayant qu’une main ou étant en fauteuil roulant. Les Canadiens apprécient les divers sports de tir offerts par les clubs. Certains veulent simplement passer du temps en famille en exerçant un sport dont nous profitons depuis des siècles au Canada.
Les Canadiens sont également représentés à de nombreux niveaux lors des compétitions de tir olympique, où je suis fier de dire que nous excellons sur la scène mondiale.
Le projet de loi C-71 a été présenté sans que les avantages qu’il pourrait apporter n’aient été prouvés, sans que son besoin n’ait été établi et sans aucune estimation des coûts. Il vise simplement à rassurer les électeurs alors que l’utilisation illégale d’armes à feu est déjà contrôlée. Le projet de loi C-71 alourdit les formalités administratives pour un citoyen titulaire d’un permis, qui est contrôlé, formé, légitime et respectueux des lois. Il n’empêchera pas l’utilisation illégale d’armes à feu pour commettre des crimes. Le projet de loi C-71 ne fera rien pour mettre fin à l’augmentation de la violence des gangs qui afflige ma ville, Toronto, et de nombreuses autres villes canadiennes.
Les criminels qui utilisent des armes illégales ne possèdent pas de permis d’armes à feu valide. Ils ne peuvent pas acheter légalement des munitions ou des armes à feu. Les armes à feu sont déjà illégales. Les rendre plus illégales ne contribuera pas à mettre fin à la violence armée perpétrée par des gens qui ne se soucient pas de la vie humaine ou de l’ordre public.
Les propriétaires d’armes à feu légales sont les citoyens les plus contrôlés de la société canadienne. Ils sont injustement dénigrés et associés à ceux qui utilisent des armes à feu illégales pour commettre des crimes.
Je crois comprendre que le gouvernement actuel veut montrer qu’il fait quelque chose pour mettre fin à la violence armée, mais ce projet de loi ne fait que punir les citoyens respectueux des lois, les citoyens les plus contrôlés, formés et surveillés, comme je l’ai dit.
Les préoccupations de tous les propriétaires d’armes à feu légales et des personnes qui ne possèdent pas d’armes à feu ne sont pas prises en compte. Il s’agit de lutter contre la violence au moyen de programmes et de mesures de soutien en santé mentale afin d’aider les collectivités à risque où il y a de la violence armée. En négligeant ces problèmes importants, on ne s’attaque pas aux causes profondes de la violence armée. J’espère vraiment qu’il y aura un plan B, car le problème de la violence armée continuera de s’aggraver si ce projet de loi boiteux est adopté.
La sénatrice Jaffer : J’ai beaucoup appris de vos exposés.
Je vais commencer par vous, monsieur Kerluck. Comme je ne connais pas aussi bien que vous les détails entourant la possession d’armes à feu, j’ai trouvé intéressante votre dernière phrase lorsque vous avez dit que ce projet de loi punirait les propriétaires d’armes à feu.
Je vois plutôt des vérifications administratives des antécédents, des autorisations de transport, la classification des armes par la police, la façon dont les armes à feu sont classées et dont les dossiers sont tenus à jour. Je ne vois pas là de punition pour les propriétaires d’armes à feu.
J’aimerais que vous m’expliquiez.
M. Kerluck : Les armes légales doivent être achetées légalement par une personne autorisée et titulaire d’un permis. Il y a des éléments clés du projet de loi C-71 dont je n’ai pas parlé dans mon exposé, compte tenu des contraintes de temps. Je comprends votre question.
L’un de ces éléments clés est l’article 12, la catégorie des armes prohibées. Au Canada, nous avons trois catégories d’armes à feu : sans restriction, à autorisation restreinte et prohibées. Le projet de loi vise à ajouter deux nouvelles armes à feu à la catégorie des armes prohibées visée à l’article 12.
J’appelle cela un trou béant, qui existe pour confisquer les biens légaux de particuliers sans raison valable. La seule façon de vendre ensuite ce genre de biens consiste à le vendre à une personne détenant un permis de la même catégorie. Lorsque vous décédez, l’arme va à la police et elle est détruite. C’est une façon tout à fait contraire aux valeurs canadiennes de confisquer des biens personnels.
Je possède actuellement une carabine Swiss Arms, dont je suis propriétaire depuis 10 ans. C’est un fusil d’une technologie merveilleuse pour le tir à la cible. Pourquoi, après 10 ans, la carabine a-t-elle soudainement été jugée plus dangereuse que lorsque je l’ai achetée? Ce n’est pas une arme qui sert à commettre un crime.
Les propriétaires d’armes à feu légales au Canada n’utilisent pas leurs armes pour commettre des meurtres. Nous n’utilisons pas nos armes pour tirer sur des personnes, mais bien sur des cibles. Je ne comprends pas pourquoi certains fusils doivent soudainement être contrôlés plus que d’autres.
La sénatrice Jaffer : Peut-être pourrais-je préciser que j’avais cru comprendre que ces armes seraient accompagnées de droits acquis, de sorte que vous pourriez toujours en demeurer propriétaire. Ce que vous dites, c’est que vous ne pouvez la vendre qu’à quelqu’un d’autre qui bénéficie de droits acquis. Est-ce bien là le problème?
M. Kerluck : C’est exact. Vous restreignez le bassin d’acheteurs pour mon bien, qui est évalué à près de 5 000 $ canadiens, à un très petit groupe de personnes.
La sénatrice Jaffer : Je comprends. Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une question qui s’adresse à chacun de nos invités. Monsieur Partanen, serait-il possible d’adopter le projet de loi C-71 tout en appuyant les revendications des groupes qui représentent les victimes? En outre,pourrait-on proposer des amendements qui seraient de nature à vous satisfaire? Si oui, quels amendements pourrait-on proposer?
[Traduction]
M. Partanen : Je suppose que cela dépend de la distinction que l’on fait entre répondre à leurs exigences et répondre à nos exigences. Si leur objectif consiste à mettre fin aux décès par arme à feu, et mon commentaire ne se veut pas désinvolte, pourquoi ne pas tout simplement rendre le meurtre illégal?
Les gens qui tirent sur d’autres personnes ne se soucient pas des lois qui existent actuellement. Comme le groupe de témoins précédent l’a dit, il nous faut comme société s’attaquer au problème de la violence. On ne peut pas se contenter d’un examen des symptômes en disant que si telle personne a tiré sur telle autre personne, c’est parce qu’elle a une arme à feu, et qu’il faut donc interdire à tous de posséder des armes à feu.
Si les coups de couteau sont plus fréquents que les décès par arme à feu, les bagarres et tout le reste, pourquoi donc mettre l’accent sur les armes à feu? Les gens trouvent souvent que nous semblons sur la défensive au sujet de nos armes à feu. Nous le sommes parce que, comme M. Kerluck l’a mentionné, nous y consacrons beaucoup d’argent. C’est un passe-temps que nous aimons et qui nous passionne. Nous n’enfreignons aucune loi.
Y a-t-il des mesures que nous pouvons prendre? Peut-être, mais le projet de loi C-71 ne va pas du tout dans la bonne direction à cet égard.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Kerluck, vous avez parlé des conditions qu’il faut respecter pour obtenir un permis. Comment se fait-il qu’on débatte d’un nouveau projet de loi sur le contrôle des armes alors que les conditions pour obtenir un permis d’arme à feu sont nombreuses? Comment expliquez-vous le fait qu’on étudie un projet de loi alors que de nombreuses conditions existent pour obtenir un permis d’arme à feu?
[Traduction]
M. Kerluck : Je vous remercie de votre question. Il y a de nombreuses conditions à respecter pour obtenir un permis. J’aimerais avoir plus de temps pour passer en revue le formulaire de demande au complet.
L’une des conditions les plus importantes pour moi est la vérification des antécédents du conjoint. Nos prédécesseurs ont parlé ce matin de la violence commise par des hommes, surtout des propriétaires d’armes à feu, à l’égard de leurs partenaires féminins, un drame horrible. La vérification des antécédents du conjoint est une exigence essentielle.
À de nombreux endroits dans le formulaire, on demande si le propriétaire a été toxicomane, s’il a vendu des drogues ou s’il a déjà commis des crimes, en incluant les gens avec qui il cohabite.
C’est un très bon formulaire de demande tel qu’il est conçu. Il devrait y avoir des vérifications, si c’est bien fait, pour qu’une personne soit signalée et qu’on lui refuse son permis. Je ne parlerai pas de la capacité de la GRC de gérer le Programme canadien des armes à feu, mais je trouve toujours déplorable que le programme ne permette pas d’intercepter des gens qui auraient dû être avisés légalement et arrêtés en premier lieu.
Il est extrêmement important de comprendre la base de données du CIPC. Je vis à Toronto, où il y a malheureusement un fort risque d’incidents de rage au volant. Si je suis impliqué dans une agression ou une dispute dont je suis responsable, cet incident sera signalé dans les 24 heures dans la base de données du CIPC, et il ne fait aucun doute qu’on devrait alors me refuser immédiatement la possession et la propriété d’armes à feu.
Si les programmes d’armes à feu de la GRC et les bases de données de la police sont gérés comme ils sont censés l’être, les incidents dangereux devraient être signalés.
La sénatrice McPhedran : Monsieur Partanen, cela fait partie d’un processus dans le cadre duquel nous faisons de notre mieux pour prendre des décisions fondées sur des données probantes. Je vais mettre les choses en contexte. Les données fournies par Statistique Canada montrent qu’au cours des cinq dernières années, le taux d’homicides par arme à feu chez les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis est passé de trois à huit fois celui des propriétaires d’armes à feu sans permis.
Autrement dit, alors que les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis représentaient environ 5,8 p. 100 de la population canadienne en 2017, l’année la plus récente pour laquelle nous disposons de données, ils comptent pour environ 12,8 p. 100 ou près de 13 p. 100 des homicides commis avec une arme à feu au pays.
Cela ne tient pas compte des suicides même si, selon Statistique Canada, 77 p. 100 de tous les décès causés par des armes à feu ont été auto-infligés en 2016.
Comme vous représentez le Silverdale Gun Club, le 31 août 2018, selon votre page Facebook, votre club a partagé une photo du drapeau canadien avec une affiche anti-projet de loi C-71 à la place de la feuille d’érable. Cette photo était accompagnée du texte suivant :
Songez à vous procurer le lance-pierre le plus cool que vous puissiez trouver. Les libéraux n’abandonneront pas tant que vous ne serez pas complètement désarmés! Trudeau essaie d’interdire toutes les armes de poing, et ce n’est que le début. Ils cibleront ensuite les carabines semi-automatiques. Exprimez votre opinion de toutes les façons possibles. Pour commencer, visitez le site OneClearVoice.ca ou communiquez avec votre député local. Profitez du poids du nombre, et ne laissez pas ces gens prendre ce qui vous appartient!
Le 4 septembre, vous avez partagé sur YouTube un message comparant Justin Trudeau à Hitler, même si des publications très sérieuses ont démontré qu’Hitler n’avait en fait jamais désarmé ses citoyens.
Qu’est-ce qui vous fait donc penser, dans ce projet de loi, qu’il s’agit d’un premier pas vers le désarmement civil? Comment vérifiez-vous les faits que vous communiquez à vos membres?
M. Partanen : Je répondrai d’abord à la deuxième question. Malheureusement, je ne suis responsable de ni l’une ni l’autre de ces publications, je ne peux donc pas parler des motivations de leurs auteurs.
Le fait que le projet de loi C-71 donne à la GRC le pouvoir de classer à peu près toutes les armes dans la catégorie des armes prohibées, et d’enregistrer toutes les armes à feu détenues légalement par chaque personne au pays, permet de croire que puisque le gouvernement saura quelles armes sont détenues par tous les citoyens, s’il décide d’éliminer complètement les armes à feu, il saura où aller pour le faire.
Dans l’état actuel des choses, les parlementaires ont le pouvoir de passer outre à ces décisions en fonction des opinions exprimées dans leurs circonscriptions. Étant donné que le projet de loi C-71 supprime ce pouvoir, il est difficile de ne pas en arriver à cette conclusion au moment où vous envisagez tous ces scénarios.
La sénatrice McPhedran : Monsieur Kerluck, en prévision de votre exposé de ce matin, vous avez demandé sur Twitter qui payait pour que la passionaria de l’interdiction des armes et l’autre puissent assister à l’audience du Sénat? Vous avez parlé de l’hôtel, du transport, des repas et avez dit payer votre déplacement en voiture et coucher à l’hôtel dimanche soir pour assister à l’audience du Sénat lundi sur le projet de loi C-71, à vos propres frais, et que vous en étiez fier.
Pourriez-vous nous confirmer, monsieur Kerluck, que vous savez que tous les témoins devant le comité ont la possibilité de se faire rembourser leurs dépenses? Vous avez ajouté sur Twitter que nous n’avons jamais de réponse à savoir en quoi le projet de loi C-71 sera la solution à tous les maux, et que vous alliez certainement soulever cette question lundi prochain.
Monsieur Kerluck, pourriez-vous nous dire, s’il vous plaît, quelle est la solution à tous les maux?
M. Kerluck : Premièrement, la solution à tous les maux consiste à s’occuper des maladies mentales de manière à éviter les problèmes liés aux armes à feu. Le tireur de la rue Danforth n’aurait jamais dû avoir une arme à feu. Il n’avait pas le droit d’avoir une arme à feu légalement. Il avait une maladie mentale. Il y avait de la toxicomanie dans sa famille. Il n’aurait jamais réussi les vérifications du programme des armes à feu de la GRC.
Pour répondre à la question précédente, je n’avais pas compris, au moment de publier ce gazouillis, qu’il était possible d’être remboursé pour un témoignage devant le comité.
Il me semble étrange de voir des groupes anti-armes à feu dépenser ce qui, je suppose, représente une somme assez importante dans leur campagne de relations publiques. Je suis un simple citoyen. Je dirige ma propre entreprise, comme instructeur de sécurité en maniement des armes à feu. Mon principal objectif dans mon travail consiste à m’assurer que ceux qui veulent des armes à feu comprennent leurs responsabilités en matière d’entreposage, de transport, et d’exposition et qu’ils comprennent l’obligation morale associée à la propriété d’une arme.
Encore une fois, je ne suis parrainé par personne; je suis ici en mon propre nom. Vendredi, à Toronto, au Danforth Music Hall, les personnes touchées par cet incident terriblement violent ont eu l’occasion de parler au nom des victimes. Je me demande si quelqu’un dans les coulisses paie pour cela. Ce n’est pas une grande préoccupation pour moi, mais je ne comprends pas.
Encore une fois, pour revenir à mon gazouillis, ce n’est que plus tard, lorsque j’ai reçu un document de révision, que j’ai constaté qu’il était possible d’être indemnisé pour cette visite, mais je ne crois pas que je vais demander ce remboursement.
La sénatrice McPhedran : Juste une dernière petite question. Êtes-vous financé ou êtes-vous associé d’une façon ou d’une autre à la National Rifle Association des États-Unis?
M. Kerluck : Non, madame. Je suis un citoyen canadien. Je ne suis financé par personne. Je suis une personne tout à fait indépendante. Je ne représente aucun lobby. Je ne représente que les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois au Canada.
La sénatrice McPhedran : Monsieur Partanen, êtes-vous financé ou affilié d’une façon ou d’une autre à la National Rifle Association des États-Unis?
M. Partanen : Non, madame. Tout d’abord, la NRA, de par son propre mandat, n’est pas autorisée à exercer des activités au Canada. Je ne reçois aucun financement de qui que ce soit. Tout ce que je fais dans le milieu des armes à feu est entièrement bénévole. Je finance moi-même ce que je fais.
Le sénateur Gold : Au cœur de vos exposés se trouve la distinction que vous faites entre les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois et les criminels qui, convenons-en, se fichent totalement des lois. Nous comprenons tous que la grande majorité des Canadiens et des propriétaires canadiens d’armes à feu respectent la loi.
Je tiens à dire que nous avons certainement entendu d’autres témoins soulever une question que j’ai évoquée à l’étape de la deuxième lecture. Il y a une autre catégorie de Canadiens respectueux des lois et non criminels. Certains d’entre eux peuvent souffrir de maladie mentale. D’autres vivent tout simplement un stress, soit dans leur famille, dans leur vie ou ailleurs. Dans des moments de stress, ils pourraient perdre le contrôle de leur capacité d’agir de façon rationnelle et raisonnable et, sur une impulsion, utiliser une arme à feu légale en croyant à tort qu’elle réglera le problème qui les accable à ce moment-là.
Statistique Canada nous a parlé du nombre croissant de décès par arme à feu, à l’exclusion des armes de poing. Ce problème est particulièrement prononcé dans les régions rurales du Canada. J’ai déjà vécu à Toronto, mais plus maintenant.
Des médecins et des cliniciens nous ont parlé des accidents chez les enfants, que nous déplorons tous. Je suis certain que vous partagez nos préoccupations. Nous avons entendu parler de violence entre partenaires intimes, et ainsi de suite.
Qu’y a-t-il de mal à ces dispositions relativement modestes du projet de loi C-71 qui viendraient compléter les règles actuelles sur la vérification des antécédents ou qui maintiendraient certaines des règles existantes sur la façon d’entreposer des armes à feu légales?
C’est une question qui s’adresse à vous deux, mais j’aimerais vous donner l’occasion, monsieur Kerluck, de commenter certains des gazouillis dont vous n’êtes pas l’auteur, mais que vous avez partagés, et qui me semblent prôner des opinions plutôt extrêmes. Je les ai notés quelque part, mais si je paraphrase, il y est question de cesser de se préoccuper de l’entreposage des armes à feu et de s’assurer plutôt de vivre en sécurité avec des armes à feu, parce que c’est le contrôle des armes qui fait des victimes.
Êtes-vous contre l’élimination des règlements sur l’entreposage que l’on se targue de bafouer, plutôt que de les observer, selon les membres du groupe de témoins précédent? Les armes à feu sauvent-elles des vies? Dites-nous ce qui, dans le projet de loi C-71, mérite selon vous d’être préservé ou si nous devrions plutôt l’éliminer complètement.
J’ai de la difficulté à me faire une idée de votre position.
M. Kerluck : Premièrement, vous citez mal les gazouillis. Je n’ai jamais partagé ce genre de choses. Je prêche l’entreposage des armes à feu dans mes cours sur la sécurité des armes à feu. J’ai donné des cours le week-end dernier, samedi et dimanche. Celui du samedi portait sur les armes à feu sans restriction, et celui du dimanche sur les armes à autorisation restreinte.
Vers la fin de chaque journée, je me concentre fortement sur la disposition concernant les obligations morales et légales d’entreposage, de transport et d’exposition en toute sécurité. Personnellement, je m’assure que les gens comprennent non seulement qu’ils doivent entreposer leurs armes à feu dans les limites permises par la loi, mais qu’ils doivent aller au-delà de ce qu’exige la loi.
Je parle aussi de l’obligation morale, si des amis ou des membres de la famille boivent, risquent de perdre leur emploi ou leur conjoint, de surveiller la situation parce que la chose la plus sûre à faire consiste à ranger son arme en toute sécurité.
Le sénateur Gold : Le temps presse. Je suis heureux de vous entendre parler ainsi. Vous désavouez donc la personne qui a publié le gazouillis dont je parlais.
M. Kerluck : Tout à fait. C’est ce que je défends.
Le sénateur Gold : Bien. Qu’en est-il de la distinction nette que vous faites entre les criminels et les citoyens respectueux des lois? Compte tenu des données de Statistique Canada et des services d’urgence de nos hôpitaux de Toronto et d’ailleurs, beaucoup trop de blessures et de décès sont causés par des citoyens respectueux des lois qui se servent d’armes à feu ou qui en font un mauvais usage.
Pourquoi le projet de loi C-71 ne représente-t-il pas un pas dans la bonne direction en vue de réduire ces incidents?
M. Kerluck : Je mettrais l’accent sur les problèmes de santé mentale. Quelqu’un pourrait utiliser une arme à feu, s’il veut blesser quelqu’un d’autre, ou un véhicule, comme nous l’avons malheureusement vu, ou un couteau, ou autre chose comme un bâton de baseball. Cela n’a pas d’importance. Tout objet en sa possession, s’il est mal utilisé, peut faire du mal à une autre personne.
À mon avis, le projet de loi C-71 ne permet pas d’aider ceux qui ont des problèmes de santé mentale et qui utiliseront tous les outils disponibles pour faire du mal à une autre personne. À ce moment-là ces personnes n’ont aucune considération pour la vie humaine ou pour la loi et l’ordre. Je ne vois pas cela dans le projet de loi.
J’aimerais aborder rapidement la question de la vérification des antécédents que vous avez soulevée. À l’heure actuelle, la GRC est tenue de faire une vérification de vos antécédents lorsque vous présentez une demande de permis d’armes à feu. Avant de devenir instructeur de sécurité dans le maniement des armes à feu, j’étais dans le monde du logiciel d’entreprise, un logiciel de très haut niveau. J’interviewais des candidats potentiels, des développeurs et des consultants, pour ce produit de haut niveau, provenant de régions du monde où nous n’aurions jamais pu vérifier leurs études ou confirmer qu’ils étaient allés à une certaine université, leurs notes et leurs antécédents professionnels.
Si nous voulons élargir la portée des vérifications des antécédents, ce à quoi je ne m’oppose pas personnellement, je m’inquiète un peu de la façon dont nous l’appliquerons aux Néo-Canadiens. Beaucoup de gens d’autres pays assistent à mes cours. Dans mon emploi antérieur, j’ai eu beaucoup de difficulté à faire valider leurs dossiers d’emploi et l’identité des employeurs pour qui ils avaient travaillé. Je considère que ces vérifications sont très difficiles à effectuer. Je ne vois tout simplement pas comment cela pourrait se faire, si je ne pouvais pas le faire à de simples fins d’emploi.
Je ne suis pas contre la vérification des antécédents. C’est simplement la capacité physique de les exécuter avec précision et de savoir que les données sont exactes qui me préoccupe.
Le sénateur Gold : Vous appuieriez donc les dispositions du projet de loi C-71 qui élargissent les exigences pour inclure la maladie mentale et la violence afin de déterminer si une personne devrait obtenir un permis en toute légalité.
M. Kerluck : C’est ce qui se passe actuellement lorsque vous remplissez votre demande de permis canadien d’armes à feu.
Le sénateur McIntyre : Comme vous le savez, une période d’amnistie est proposée afin de donner aux propriétaires le temps de se conformer aux exigences relatives aux droits acquis et de ne pas être exposés à une responsabilité au criminel.
D’après ce que je comprends, le gouverneur en conseil aurait le pouvoir d’accorder des droits acquis, mais pas de les réduire dans les cas futurs, au besoin.
Êtes-vous satisfait de la période d’amnistie qui, si j’ai bien compris, a été déclarée jusqu’en 2021? Êtes-vous satisfait du processus de protection des droits acquis que le projet de loi C-71 mettra en place pour les propriétaires des armes à feu touchées?
M. Partanen : Sur papier, cela semble très bien, mais quand on examine les détails de la mise en œuvre des droits acquis et de la période d’amnistie, on se rend compte que les autorisations de transport doivent maintenant être accordées de façon individuelle.
Si je veux apporter au champ de tir mon arme à feu, qui est maintenant prohibée, dans un champ de tir qui est autorisé ou interdit, d’après ce que je comprends, on demande aux contrôleurs des armes à feu des provinces et des territoires de ne pas autoriser leur transport. Essentiellement, même si vous êtes autorisé en loi à posséder cette arme, vous ne pouvez l’utiliser nulle part. Non, je ne suis pas satisfait du résultat.
M. Kerluck : J’ai mentionné en réponse à une question précédente que j’ai possédé une de ces armes à feu en toute sécurité pendant 10 ans. On m’a donné la permission de l’acheter et de la posséder à l’époque. Ce n’était pas une arme à feu dangereuse pour qui que ce soit. Elle a été utilisée pour faire des trous dans le papier d’une cible.
Je ne comprends pas comment, en 10 ans, elle est devenue une arme à feu plus dangereuse. Il y a aussi des restrictions. Encore une fois, ce n’est pas un simple inconvénient. J’ai fait un investissement important dans ce bien. À mon avis, il n’est pas négligeable que je ne puisse maintenant le vendre qu’à un très petit groupe de personnes, qui ne voudront peut-être même pas l’acheter. À mon décès qui, je l’espère, n’est pas pour demain, ce bien sera perdu, car mon enfant ne pourra pas en hériter. Cela m’inquiète, et c’est contraire aux valeurs canadiennes.
Je connais des gens qui possèdent actuellement des armes à feu entièrement automatiques qui sont prohibées. Ils avaient légalement le droit d’en être propriétaires à une certaine époque, avant qu’elles soient classées dans leur catégorie actuelle. L’une de ces personnes a une collection assez importante. C’est une personne très digne de confiance. Ses armes iront à la fonderie ou dans un musée après son décès. Il ne peut même pas les léguer à son fils, qui se trouve à faire partie des Forces canadiennes.
Les droits acquis et l’interdiction sont des formes déguisées de confiscation. Je ne vois pas d’autre façon de répondre à cette question.
Le sénateur Pratte : Premièrement, j’aimerais préciser que le projet de loi C-71 n’aura pas pour effet de confisquer les biens de centaines de milliers de Canadiens, comme vous l’avez dit, monsieur Partanen. Ce n’est pas vrai, et le projet de loi n’interdit pas les armes à feu. C’est un autre débat. Il est question d’interdire les armes de poing et les armes d’assaut, mais cela ne fait pas partie du projet de loi C-71.
Monsieur Kerluck, vous avez dit que l’interdiction des armes à feu et la protection des droits acquis ne sont pas des valeurs canadiennes. Seriez-vous d’accord pour dire qu’au cours des 30 dernières années, les gouvernements, peu importe leur allégeance, ont interdit certaines armes à feu que les gens possédaient légalement, et que le système qu’ils ont utilisé pour interdire et permettre aux propriétaires de conserver l’arme à feu était fondé sur des droits acquis?
Cela a toujours été la façon canadienne de faire les choses. Que vous soyez d’accord ou non, le gouvernement l’a fait à de nombreuses reprises par le passé, n’est-ce pas?
M. Kerluck : Oui, et les armes à feu accompagnées de droits acquis ne peuvent pas être redistribuées à d’autres personnes, sauf pour cette même catégorie. Lorsque ces personnes décèdent et que cette génération de propriétaires vieillit, ces armes sont détruites. Je ne vois pas en quoi ce n’est pas un moyen de confisquer et de détruire les armes à feu.
Le sénateur Pratte : Ce que je veux dire, c’est que vous avez dit que cela n’était pas conforme aux valeurs canadiennes de procéder ainsi, mais que cela a plutôt été fait très souvent par des gouvernements de toutes les allégeances politiques.
M. Kerluck : Je ne suis pas d’accord avec cela.
Le sénateur Pratte : Vous n’êtes pas d’accord avec les droits acquis, mais c’est mieux qu’une simple confiscation, n’est-ce pas? Avec les droits acquis, vous pouvez demeurer propriétaire de votre arme à feu et l’utiliser dans un champ de tir approuvé.
M. Kerluck : C’est exact.
Le sénateur Plett : L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre à ma première question. En vertu du projet de loi C-71, le vendeur d’une arme à feu sans restriction devra demander la permission de procéder au transfert et obtenir un numéro de référence. Cette demande pourra être faite sur un site web ou par téléphone. Le projet de loi exige que le vendeur fournisse les numéros de permis de possession et d’acquisition du vendeur et de l’acheteur. Si le transfert est approuvé, le vendeur recevra un numéro de référence valide pendant une période limitée pour effectuer le transfert.
Le parrain du projet de loi C-71 a dit à maintes reprises qu’il ne s’agissait pas d’un registre des armes à feu. Êtes-vous d’accord pour dire que les exigences dont je viens de parler créent un registre des personnes qui transfèrent ou envisagent de transférer des armes à feu sans restriction et qu’il s’agit essentiellement d’un registre décentralisé des armes d’épaule?
M. Partanen : Oui, c’est exactement ce dont il s’agit. Il manque une pièce du casse-tête pour en faire un registre complet, et c’est le numéro de série.
M. Kerluck : Il s’agit ni plus ni moins d’une collecte de données et d’un registre, purement et simplement.
Ce qui me préoccupe le plus, c’est ce que l’on fera de ces données à long terme. Au cours des cinq dernières années, nous avons vu de nombreux cas où des données n’ont pas été transmises à la bonne personne, et je m’en inquiète.
Comme tous les propriétaires d’armes à feu, j’ai de lourdes obligations en loi de veiller à ce que mes armes soient entreposées en toute sécurité. Je crains que l’information puisse faire l’objet d’une fuite à un moment donné. J’aurais peur que la mauvaise personne connaisse maintenant mon adresse, ce que je possède et ce que j’ai dans ma collection. Cela me fait très peur. C’est un registre des armes à feu.
Le sénateur Plett : Monsieur Partanen, on peut probablement répondre en un mot à deux de mes questions, alors je vais les poser rapidement.
Des armes à autorisation restreinte, comme les pistolets par exemple, sont-elles utilisées dans vos champs de tir?
M. Partanen : Oui.
Le sénateur Plett : Combien de membres compte votre club de tir et combien de personnes utilisent votre champ de tir au cours d’une semaine ou d’une fin de semaine? Avez-vous des chiffres?
M. Partanen : Nous comptons environ 3 000 membres. J’ai un chiffre annualisé, c’est-à-dire environ 25 000 personnes qui franchissent nos portes chaque année.
Si on fait le calcul, cela fait presque 500 personnes par semaine. On peut donc dire que cela touche beaucoup de gens.
Le sénateur Plett : Quelles seraient les répercussions sur vos membres et sur votre club de tir des dispositions plus restrictives concernant les autorisations de transport prévues dans le projet de loi C-71?
M. Partanen : Ce sont les autorisations de transport qui nous préoccupent le plus. Compte tenu de l’arriéré qui existe maintenant en ce qui concerne les vérifications de permis et les autorisations de transport à long terme, je crains, si jamais j’ai envie d’aller faire du tir avec mes amis un mercredi après-midi, par exemple, que je devrai appeler le contrôleur des armes à feu, obtenir l’autorisation de transport, et devoir attendre jusqu’au samedi avant de pouvoir m’exercer.
Si l’arriéré dépasse la date prévue, comme les non-membres doivent payer des frais d’entrée de 20 $ pour couvrir l’assurance et ce genre de choses, cela a une incidence directe sur notre modèle de revenu. C’est un aspect de la question. Au bout du compte, tous ces gens viennent régulièrement, qu’ils soient membres ou non. Nous savons qui ils sont. Le contrôleur des armes à feu sait qui ils sont. De notre point de vue, cela ne présente aucun avantage.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. L’alourdissement de la bureaucratie que va entraîner le projet de loi m’inquiète. Les corps policiers ont déjà des retards énormes dans la vérification des antécédents en matière de maladie psychiatrique. C’est le cas au Yukon et en Colombie-Britannique, qui accusent un retard de près de 2 000 dossiers. Donc, je n’ose pas imaginer les retards qu’entraînerait la validation pendant la vie durant. On a qu’à songer à la piètre disponibilité des services psychiatriques au Québec. Il faut compter de 1 an à 18 mois pour obtenir un rendez-vous si on a des problèmes psychiatriques. J’ai du mal à m’imaginer les corps policiers être obligés de valider.
Lorsque j’écoute le témoignage du maire de Toronto, je me demande si on s’attaque au vrai problème. Il faut être conscient que ce n’est pas à cause des chasseurs que le gouvernement a créé ce projet de loi, mais bien parce que dans les grands centres urbains du Canada, notamment à Toronto, il y a eu une recrudescence phénoménale de l’utilisation des armes de poing, des gangs de rue et des homicides causés par ces gens et d’autres petits criminels. Selon le maire, le problème découle du fait que ces gens-là retrouvent leur liberté trop rapidement et sortent de prison avec des conditions minimales.
Il faudrait intervenir sur le commerce illégal, la contrebande d’armes, dont la majorité provient des États-Unis. Les gangs de rue et les petits criminels ont de plus en plus accès à ces armes — c’est d’ailleurs ce qu’un groupe de témoins nous a dit — et ils retournent trop rapidement dans leur milieu. Donc, on ne s’attaque pas au vrai problème. Ce projet de loi ne créera-t-il pas un faux sentiment de sécurité dans des villes comme Toronto, Vancouver et Edmonton, où il y a eu une recrudescence des crimes violents? Est-ce qu’on ne va pas créer un faux sentiment de sécurité en disant qu’on vient de régler le problème?
[Traduction]
M. Partanen : C’est exactement ce qui va arriver. Comme M. Kerluck l’a dit plus tôt, c’est un projet de loi conçu pour rassurer la population. Les gens veulent des solutions. Si vous parlez à la grande majorité des Canadiens et si vous leur demandez quels sont les règlements actuels concernant la possession d’armes à feu légales au pays, ils n’en ont aucune idée. Ils voient la photo d’un club de tir sur un site web et ils pensent que c’est illégal. Il faut leur expliquer, comme l’a fait M. Kerluck, ce qu’il faut faire pour obtenir un permis, acheter une arme à feu et la transporter jusqu’à un endroit où on peut l’utiliser. À ce moment seulement, la lumière se fait.
Tant qu’ils n’entendent pas cela, ils n’ont aucune idée de la véritable situation. Ils pensent que toutes les armes de poing au Canada sont déjà illégales à moins d’avoir un permis. Lorsqu’ils entendent parler aux nouvelles de tous ces actes horribles et qu’ils entendent dire que leur gouvernement prépare un projet de loi, peu leur importe les détails de la mise en œuvre de ces projets de loi. Ils sont rassurés et ils pensent que c’est une mesure formidable, alors ils applaudissent.
Ce n’est qu’après analyse que l’on constate toute une série de lacunes dans le projet de loi. Comme dans les scénarios que vous avez décrits, les criminels ne se soucient pas des lois actuelles. Ils obtiendront leurs armes des États-Unis et par d’autres voies.
Au cours des trois dernières années, et même avant les élections, les libéraux nous ont dit que 327 millions de dollars étaient affectés à la lutte contre les armes à feu provenant illégalement des États-Unis et des gangs.
Quelle partie de cet argent a été déboursée? Je crois comprendre que c’est très peu, voire pas du tout.
M. Kerluck : Je suis entièrement d’accord avec M. Partanen. Je suis un vérificateur d’armes à feu autorisé par la GRC. Cela m’autorise à examiner une arme à feu et, en utilisant le tableau de référence, à en déterminer la catégorie et la nature.
Quand je vois dans des reportages que des armes à feu ont été confisquées à des gangsters, je constate que ce ne sont pas de vieilles armes prohibées. Ce sont des armes de fabrication moderne qui sont prohibées. Quiconque connaît le moindrement les armes à feu peut rapidement voir cela à la longueur du canon.
Ces armes doivent obligatoirement provenir des États-Unis. Ce ne sont pas des armes à feu qui peuvent être importées légalement. Vous ne pouvez pas importer des armes à feu prohibées. Ce n’est pas possible. Elles n’ont jamais appartenu aux services de police, qui seraient les seuls à pouvoir détenir des armes à feu prohibées.
D’où venaient ces armes? Du plus grand magasin d’armes à feu, au sud de la frontière. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour mettre fin au trafic illégal d’armes à feu au Canada. Cela ne fait aucun doute.
Je le constate chaque fois qu’une arme à feu est confisquée à Toronto. D’où cette arme provient-elle? C’est une arme de poing semi-automatique moderne. Ce n’est pas une arme provenant d’une collection conservée dans le coffre-fort d’un homme d’âge mûr. Je peux le constater d’après l’âge de l’arme. D’où viennent-elles?
Le sénateur Oh : Le projet de loi C-71 ne va pas assez loin dans la lutte contre les criminels, les vrais coupables. Il punit plutôt les propriétaires d’armes à feu légales. J’ai grandi en faisant du tir au pigeon d’argile. L’un de mes frères était le représentant de Singapour aux Jeux olympiques de Montréal en 1976. Je connais bien le tir à la cible.
Ma question s’adresse à vous deux. Pensez-vous que ce projet de loi devrait punir davantage les coupables, les tueurs et les propriétaires d’armes à feu illégales, au lieu d’insister sur le tir sportif?
Les médecins peuvent recommander le retrait d’un permis de conduire. Ne pourraient-ils pas également signaler une maladie mentale aux autorités légales pour que soit confisquée une arme à feu? J’aimerais que les peines soient beaucoup plus lourdes et que l’on fasse davantage de prévention.
M. Partanen : Je suis d’accord avec vous là-dessus. Il y a un débat sur l’efficacité des peines et tout le reste. Comme je ne suis pas un expert, je ne veux pas me prononcer là-dessus. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il faut mettre davantage l’accent sur les conséquences et la prévention de ces actes.
Je constate un problème avec la vérification des antécédents à vie. Cette préoccupation a été soulevée à plusieurs reprises. J’ai presque 50 ans. En fait, c’est mon anniversaire aujourd’hui.
Des voix : Joyeux anniversaire.
M. Partanen : J’ai peut-être commis une erreur stupide à l’âge de 18 ans, mais je n’ai jamais eu de démêlés avec la justice depuis. Il s’agissait peut-être d’une accusation de voies de fait ou autre chose, mais ce n’est pas mon cas. Ce n’est qu’un exemple. Si je fais une erreur stupide quand je suis jeune, cela va-t-il affecter ma capacité de posséder et d’utiliser des armes à feu? C’est une préoccupation.
Le groupe de témoins précédent a mentionné qu’un certain niveau de pouvoir discrétionnaire n’était pas bien défini dans les lignes directrices visant à déterminer un bon candidat pour la délivrance d’un permis d’armes à feu.
Une autre préoccupation dont j’entends beaucoup parler est celle des militaires, des policiers ou autres. L’incidence du TSPT et d’autres incidents liés au stress est extrêmement élevée au sein de ces groupes. S’ils osent demander de l’aide, ils craignent de perdre leurs armes à feu et leurs permis.
Avec le projet de loi C-71, il faut prendre du recul pour examiner les vrais problèmes et s’y attaquer, plutôt qu’aux gens qui sont des cibles faciles, sans vouloir faire un mauvais jeu de mots.
M. Kerluck : Je suis d’accord avec cette affirmation. Je ne suis pas un agent des forces de l’ordre, mais parlant au nom des propriétaires d’armes à feu légales dans les clubs auxquels j’appartiens et étant un ancien directeur du Toronto Revolver Club, il est très troublant de voir des personnes accusées de faire partie de gangs violents qui semblent échapper à une incarcération ou à une punition réelle, ou assez longue.
Les propriétaires d’armes à feu légales veulent que ces gens soient punis. Il est frustrant de voir que ce n’est pas souvent le cas. Nous sommes assujettis à des obligations strictes en ce qui concerne nos propres règles de transport et d’entreposage pour l’utilisation à domicile et le transport vers le champ de tir.
Près de l’endroit où j’habite, dans l’Est de Toronto, à l’angle des rues Woodbine et Queen, un dimanche, il y a quelques mois, des gangs violents se sont affrontés et des coups de feu ont été tirés sans égard pour les passants. Les responsables de cette fusillade doivent être punis au plus haut niveau de la loi.
Vous m’avez entendu dire tout au long de mon témoignage aujourd’hui qu’il faut faire quelque chose pour mettre fin au mépris affiché pour la vie humaine et la primauté du droit. Ces personnes ont des armes à feu illégales. Peu leur importe où ils tirent, qui ils tirent ou qui ils tuent.
L’an dernier, à Toronto, des innocents ont été tués dans des salles de quilles. C’est triste de voir cela. Nous devons alourdir les peines. Je ne parle pas d’une super prison comme il en existe aux États-Unis, mais il faut faire quelque chose pour freiner cette augmentation de la violence.
Comme vous l’avez dit, sénateur Oh, un membre de votre famille est tireur sur cible et vous comprenez ce qu’il fait et son sport. Un des problèmes du projet de loi C-71 que je n’arrive pas à comprendre concerne les autorisations de transport. L’on veut changer les règles pour ceux qui doivent traverser la frontière pour un concours de tir ou pour aller chez l’armurier.
À l’heure actuelle, si vous possédez une arme à feu à autorisation restreinte, votre permis est assorti de six conditions. Deux de ces six conditions ont une incidence sur le fait de se rendre non pas aux États-Unis, mais à la frontière si l’on a été invité à participer à un concours, ce qui est très courant pour les tireurs sur cible.
L’une des dispositions à retirer du projet de loi C-71 concerne la possibilité de s’adresser à un armurier titulaire d’un permis. Je n’arrive pas à comprendre comment cela influera sur la violence des gangs dans ma ville, à Toronto. Je vais m’arrêter ici. Je ne vois tout simplement pas comment cela va changer.
Le sénateur Richards : J’aurais préféré que nous n’ayons pas à discuter de ce sujet, car nous savons tous que la violence conjugale, le viol et le meurtre sont horribles. Je ne suis pas certain que cette loi permette de réaliser les objectifs visés.
J’aimerais avoir une réponse très rapide. Je connais mon sujet. J’ai écrit un livre d’essais sur le meurtre qui sortira à l’automne. J’ai traité de cette question pendant la plus grande partie de ma vie, mais il semble qu’au moins une partie de ce projet de loi vise à profiler un groupe de personnes pour des crimes qui n’ont pas encore été commis par des personnes qui ne peuvent être contrôlées par une loi gouvernementale.
J’aimerais savoir ce que vous en pensez. L’objectif me semble irréalisable. L’un ou l’autre d’entre vous pourrait répondre à cette question.
M. Kerluck : À la fin de mon exposé, j’ai indiqué qu’il devrait y avoir plus de programmes pour les personnes atteintes de maladies mentales, la cause première de la violence armée, y compris la capacité que nous avons déjà en ce qui concerne la vérification des antécédents du conjoint. N’oubliez pas qu’il y a déjà une vérification des antécédents du conjoint dans le cadre du programme de permis. La GRC est censée interroger le conjoint pour s’assurer qu’il accepte que son partenaire possède une arme à feu.
Dans le Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu, nous rappelons qu’un conjoint doit appeler immédiatement la police ou le contrôleur des armes à feu s’il craint des gestes de violence armée de la part de son partenaire. Les personnes ne doivent pas hésiter à appeler pour éviter des gestes de violence armée potentielle.
Je ne vois rien dans le projet de loi qui traite de la violence conjugale, de la maladie mentale ou de l’utilisation d’armes à feu illégales par des gangsters.
Le sénateur Kutcher : Merci d’avoir souligné l’importance de s’attaquer efficacement à la violence armée et de ne pas stigmatiser les propriétaires d’armes à feu légales.
Tout d’abord, monsieur Kerluck, est-ce que la formation sur la sécurité du maniement des armes à feu réduit sensiblement le taux de suicide par arme à feu et, le cas échéant, dans quelle mesure?
Deuxièmement, monsieur Partanen, comme d’autres sénateurs l’ont demandé, que proposez-vous pour améliorer le projet de loi, ou suggérez-vous simplement de ne pas l’adopter?
M. Kerluck : Je n’ai pas de chiffres pour ce qui est de savoir si le Programme canadien des armes à feu permet de prévenir des suicides. Honnêtement, je ne le sais pas.
Je peux vous dire que cet aspect fait partie du cours que j’ai suivi à la GRC. Au cas où vous ne le sauriez pas, je n’élabore pas mon propre cours. Il s’agit d’un cours fédéral élaboré par la GRC. Nous nous attaquons aux causes de la violence armée. Nous parlons de l’obligation morale pour les gens, comme je l’ai dit, d’être conscient des problèmes à la maison avec des amis, des parents, des beaux-frères, des frères, des sœurs et des belles-sœurs. Si quelqu’un souffre ou a un problème personnel, assurez-vous que les armes à feu sont gardées sous clé et que les munitions sont séparées, et que la clé est bien cachée.
Nous avons la responsabilité légale et morale de prévenir les suicides. Je ne peux pas dire si les chiffres diminuent grâce au cours, mais je peux dire que nous en parlons. C’est un aspect très important pour moi lorsque je donne mon cours.
M. Partanen : Voici une affirmation qui va peut-être renverser les témoins du groupe précédent, car je conviens avec eux qu’il faut une approche du problème qui rassemble toute la société et tous les ordres de gouvernement. Comme je l’ai déjà dit, on ne saurait mettre l’accent sur un certain outil qui peut être disponible ou pas pour faire une certaine chose.
Vous entendrez cet après-midi des statistiques sur les pendaisons et diverses autres formes de suicide. Celui qui n’a pas accès à une arme à feu et veut se suicider prendra un autre moyen.
Devons-nous adopter le projet de loi C-71 tel quel? Je ne le crois pas. Il nous faut revenir à la planche à dessin, à la case départ, et comprendre qu’il ne s’agit pas en soi d’un problème d’armes à feu. C’est un problème de dégénérescence morale et sociale, et nous devons tenir compte de ces facteurs. Si nous pouvons légiférer à cet égard, allons-y.
Le sénateur Pratte : Monsieur Partanen, vous avez dit tout à l’heure que le propriétaire devrait appeler la GRC ou le CAF pour obtenir une autorisation de transport avant d’aller à la salle de tir. Je tiens à préciser que le projet de loi C-71 maintient l’autorisation automatique pour les salles de tir. Ce point est donc déjà réglé.
M. Partanen : Effectivement. Je me suis mal exprimé.
La présidente : Messieurs Partanen et Kerluck, je ne sais pas trop si vous avez eu du mal sur la route, mais certains témoins ont de la difficulté à se déplacer. Merci de votre présence et de votre témoignage, et merci plus particulièrement à M. Partanen, à qui nous souhaitons un bon anniversaire.
Je dirai aux auditeurs et à tous les sénateurs que nous essayons de répartir notre temps le mieux possible. Nous avons réorganisé les témoignages pour nous adapter aux disponibilités des témoins ce matin. Le mauvais temps gêne les déplacements. Je vous demande un peu de patience.
Nous accueillons maintenant M. Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide, et la Dre Barbara Kane, psychiatre, de la Coalition pour le contrôle des armes à feu.
Dre Barbara Kane, psychiatre, Coalition pour le contrôle des armes à feu : Merci de l’occasion qui m’est offerte d’exposer mon point de vue sur le projet de loi C-71 à titre de médecin en santé mentale.
J’exerce la médecine psychiatrique à Prince George, en Colombie-Britannique, depuis 1990. Il importe de comprendre que les préjudices causés par les armes à feu ou la violence armée ne sont pas un phénomène exclusif aux grandes villes et qu’ils ne sont pas liés uniquement aux gangs et aux armes à feu. Les zones rurales sont, proportionnellement à leur population, plus touchées par la violence armée que les centres urbains.
Je suis favorable aux modifications qui visent à rétablir les dispositions de 1977 obligeant les marchands d’armes à s’assurer que les acheteurs ont bien un permis valide et à tenir des registres de leurs ventes. La police de Vancouver est d’accord pour qu’on leur impose cette responsabilité et elle signale que les policiers confisquent de plus en plus de carabines et de fusils de chasse volés.
Il faut respecter les droits des Autochtones en matière de chasse, mais il faut comprendre que les suicides, les accidents et les homicides par arme à feu sont nombreux chez eux. Ce sont là des blessures et des décès qu’il serait possible d’éviter.
Les dispositions de contrôle sont essentielles si nous voulons garder les armes à feu hors de la portée de ceux qui ne doivent pas en avoir. En étendant la vérification du casier judiciaire et les autres vérifications à la vie entière de la personne au lieu de les limiter aux cinq dernières années, on assurerait un contrôle plus rigoureux de ceux qui veulent posséder et utiliser des armes capables de causer la mort.
J’ai des patients qui ne peuvent se procurer des armes à feu au moins en partie parce que leur état mental ne me permet pas d’appuyer leur demande de permis d’acquisition. Comme psychiatre, je peux affirmer que, chez des personnes atteintes de maladies mentales graves, la gravité de leur état peut mettre plus de cinq ans à se dissiper.
Il est évident que le fait de restreindre l’accès aux armes à feu réduit le nombre de suicides, de blessures accidentelles et d’homicides. J’attire votre attention sur deux études qui le montrent.
Les forces de défense d’Israël enrôlent tous les jeunes de 18 à 20 ans dans ce pays. Environ 90 p. 100 de tous les suicides dans ces forces de défense sont commis au moyen d’armes à feu. Entre 2003 et 2005, il y a eu en moyenne 28 suicides par année, dont 26 avec des armes à feu. Beaucoup de soldats prenaient avec eux leurs armes pendant leurs congés de week-end.
En 2006, la politique a changé, empêchant les soldats de prendre leurs armes avec eux en week-end. Le taux de suicide a diminué de 40 p. 100 par année, passant d’une moyenne de 28 par année à 16. La majeure partie de ce recul du taux de suicide est attribuable à la diminution du nombre de suicides par arme à feu en week-end. Fait à noter, le taux de suicide en semaine n’a pas bougé, et il n’y a pas eu d’augmentation correspondante des suicides commis par d’autres moyens.
Au Canada, nous savons que les blessures et les morts attribuables à la violence armée sont passées de 8,4 pour 100 000 en 1979 à 2,3 pour 100 000 en 2003 à la faveur du renforcement des lois sur les armes à feu pendant cette période. Le suicide a tendance à être un acte impulsif, surtout chez les jeunes. Les tentatives de suicide par arme à feu entraînent la mort 90 p. 100 du temps. D’autres méthodes, comme les surdoses, sont mortelles dans environ 10 p. 100 des cas.
Au cours de ma carrière, j’ai vu des centaines de personnes qui ont tenté de se suicider par une surdose, en s’infligeant des coups de couteau, en se taillant les veines ou même en se pendant, et la grande majorité d’entre elles étaient contentes d’avoir survécu à leur tentative. Toutefois, ceux qui tentent de se suicider avec une arme à feu sont soit morts, 90 p. 100 du temps, soit défigurés et handicapés.
Les répercussions des suicides par arme à feu sur les familles, les amis et les collectivités sont profondes et dévastatrices. Permettez-moi de rappeler une situation récente, bien que les détails soient un peu maquillés. On m’a demandé de voir une femme dont le mari s’était tué par balle à la maison. Elle l’a trouvé mort en rentrant chez elle. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et elle est submergée par le chagrin, la culpabilité et la colère. Ses jeunes enfants ne se souviendront pas de leur père. Non seulement ils l’ont perdu, mais, pour l’instant, ils ont aussi en grande partie perdu leur mère, qui est dépassée par ces circonstances tragiques.
Cet acte irrémédiable a détruit toute une famille, et tous les survivants risquent d’avoir des problèmes de santé mentale au cours de leur vie. Cela aurait pu être évité.
Je vous exhorte à tenir compte des vies qui seront sauvées grâce au projet de loi C-71. Il n’est pas parfait, mais c’est un moyen d’améliorer la santé et le bien-être des Canadiens. Merci.
[Français]
Jérôme Gaudreault, directeur général, Association québécoise de prévention du suicide : Mes salutations à tous les membres du comité. Merci de m’avoir invité à vous entretenir du contrôle des armes à feu dans la perspective de la prévention du suicide.
Je représente l’Association québécoise de prévention du suicide. Nous sommes une organisation de 30 ans qui a pour mission de développer la prévention du suicide par tous les moyens possibles au Québec. D’une part, notre mission consiste à sensibiliser la population et les élus aux enjeux de la prévention du suicide et, d’autre part, à inciter les élus à prendre des décisions et à faire des choix qui vont améliorer la prévention.
On propose également des programmes de formation destinés aux citoyens, aux intervenants et aux professionnels de la santé pour les aider à repérer les personnes vulnérables au suicide, à les accompagner et à réduire leurs idées suicidaires. On travaille à mobiliser la population pour faire en sorte que dans toutes les collectivités du Québec on organise des activités de prévention de suicide pour veiller à ce que des gens soient davantage mobilisés en faveur de cette cause.
Tout d’abord, nous avons fait connaître à plusieurs reprises notre position en faveur du contrôle des armes à feu. Le projet de loi C-71 représente un pas dans la bonne direction, mais nous croyons que certains aspects devraient être renforcés. Des études démontrent que l’ensemble des mesures de contrôle des armes à feu ont un effet sur la diminution des taux de suicide.
Il est possible de réduire le nombre de suicides. On l’a dit. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la réduction de l’accès aux moyens de s’enlever la vie, dont l’arme à feu, est l’une des mesures les plus efficaces pour réduire les taux de suicide. Pourquoi le contrôle de l’accès aux moyens est-il efficace? Tout d’abord, parce que la personne suicidaire n’est pas formellement décidée à s’enlever la vie. Elle est ambivalente face à la mort jusqu’à la toute dernière minute, et je dirais jusqu’à la toute dernière seconde. Dans 50 p. 100 des cas de suicides, moins de 10 minutes se sont écoulées entre le début de la situation de détresse suicidaire et le passage à l’acte. Lorsqu’un individu vulnérable dispose d’un accès facile et immédiat à un moyen meurtrier, le risque de suicide est nettement plus élevé. Un intervenant a dit plus tôt que si une personne ne prend pas son arme à feu, elle utilisera un autre moyen, ce qui est complètement faux. Plus le moyen est éloigné de la personne suicidaire, plus on dispose de temps pour apporter une aide directe à cette personne.
L’arme à feu est un moyen extrêmement meurtrier qui n’offre que très rarement de deuxième chance à la personne suicidaire. L’arme donne peu de temps à l’entourage pour effectuer une intervention efficace qui lui permettrait de lui sauver la vie. Alors les mesures liées au contrôle des armes, comme l’enregistrement, sont importantes, car elles facilitent le travail des policiers et des intervenants quand on sait qu’une personne pense au suicide.
Selon des analyses statistiques, 80 p. 100 des décès par arme à feu sont des suicides, au Québec comme partout au Canada. Les risques de suicide sont cinq fois plus élevés dans les maisons où l’on retrouve des armes à feu. Une partie importante des suicides par arme à feu est commise avec une arme dont la personne en détresse n’est pas la propriétaire. On sait aussi que les pays qui ont un contrôle plus serré des armes présentent un taux de suicide inférieur aux pays qui n’en ont pas. C’est la même chose aux États-Unis où les taux de suicide par arme à feu sont extrêmement élevés par rapport à ailleurs dans le monde. On est en mesure d’établir des comparaisons d’un État à l’autre, soit que les États qui appliquent des mesures de contrôle plus sévères ont des taux de suicide par arme à feu plus bas que les autres États.
Selon l’Institut national de santé publique du Québec, entre 1998 et 2011, années où le registre canadien était en vigueur, le nombre de suicides par arme à feu au Québec a diminué de 53 p. 100, sans indice de substitution vers un autre moyen.
Nous appuyons la mise en œuvre du projet de loi C-71. Cependant, nous croyons qu’il pourrait faire l’objet des amendements suivants : restaurer les permis de transport d’armes restreintes afin qu’ils précisent des lieux spécifiques où la présence d’une arme est autorisée; inclure dans leur établissement des contrôles de la vente d’armes non restreintes le signalement aux autorités de ventes privées et assurer que les données seront conservées indéfiniment; faciliter l’accès pour les autorités policières aux données sur les ventes d’armes; resserrer davantage les critères d’admissibilité et renforcer le processus de dépistage des candidats pour l’obtention, le renouvellement et le maintien du permis de possession.
En conclusion, la baisse importante des taux de suicide au Québec entre 2000 et 2008 s’explique par l’effet combiné d’une multitude de mesures, y compris le contrôle accru des armes à feu. Des centaines de Québécois qui ont pensé au suicide sont encore en vie aujourd’hui et sont heureux de l’être parce que, dans un moment de désespoir, ils n’ont pas eu accès à ce moyen pour commettre ce geste irréparable. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Nous allons passer aux questions des sénateurs. Je vous invite à abréger l’entrée en matière pour passer rapidement à la question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Gaudreault, j’ai écouté très attentivement votre présentation. Je suis un ancien policier. Donc, j’ai traité beaucoup de cas de suicide commis par pendaison, par arme à feu, et cetera. L’un de mes collègues de travail s’est même enlevé la vie avec son arme de service.
Cela dit, les armes étaient toutes enregistrées. Donc, en quoi ce projet de loi, qui vise l’enregistrement des armes de poing ou des armes d’épaule, permettra-t-il de réduire les suicides? Les gens se suicident avec une arme qui est déjà enregistrée.
M. Gaudreault : Il faudrait examiner cette question sous deux angles. D’une part, des procédures assez exigeantes pour l’obtention d’un permis de possession d’armes à feu sensibilisent le propriétaire au fait que la possession d’armes à feu est accompagnée d’importantes responsabilités. Je crois que cela peut aider à encourager les propriétaires à mieux entreposer leurs armes pour leur propre sécurité et celle de leurs proches. D’autre part, l’enregistrement des armes contribue à améliorer leur traçabilité. Lorsqu’on intervient auprès d’une personne en détresse, si on sait qu’elle possède des armes à feu et combien elle en possède, cela aura un impact sur le travail des intervenants et des policiers. À mon avis, ce sont des renseignements qui sont essentiels et auxquels on doit avoir accès.
Le sénateur Dagenais : Docteure Kane, comment devrions-nous aborder l’opposition des communautés autochtones à tout contrôle législatif des armes à feu? En tant que médecin, pouvez-vous nous expliquer leur position?
[Traduction]
Dre Kane : Je ne suis pas sûre de pouvoir expliquer leur position. Dans le Nord, j’ai été beaucoup en contact avec des collectivités autochtones. Il me semble juste de dire qu’elles cherchent à se préserver de l’influence des collectivités non autochtones sur toute la ligne et elles peuvent résister à certaines idées.
Un facteur très compliqué est probablement l’information sur les armes à feu dans ces collectivités, sur ce qu’on peut faire pour prévenir les problèmes. Un autre facteur très important, non seulement chez les Autochtones, mais aussi chez tout le monde, c’est le rôle de l’alcool dans les morts par arme à feu. Chose certaine, j’ai constaté que l’alcool est très souvent un facteur présent dans toutes sortes de tentatives de suicide.
Il n’y a pas de solution simple. Il faut vraiment mobiliser ces collectivités, et il se peut qu’on doive les sensibiliser à l’impact des armes à feu chez elles.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Gaudreault, vous avez dit que vous étiez ouvert à des changements dans le cadre de ce projet de loi pour atténuer l’impact sur les chasseurs et les membres de clubs de tir. Pouvez-vous nous donner des exemples de modifications qu’on pourrait apporter à ce projet de loi?
M. Gaudreault : Je ne pense pas avoir déclaré que j’étais ouvert à des changements pour faciliter la situation des propriétaires d’armes. Cependant, on pourrait probablement élargir la liste des conditions en ce qui concerne l’interdiction de posséder des armes à feu. On pourrait, entre autres, vérifier les antécédents en matière de santé mentale et élargir le cercle des gens qui sont consultés lorsqu’on mène une enquête dans le cadre d’une demande de permis d’arme à feu. Ainsi, on pourrait s’assurer que les personnes qui reçoivent leur permis seront en mesure d’utiliser leurs armes de la bonne façon.
Le sénateur Dagenais : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux de vos exposés.
Docteure Kane, Prince George, en Colombie-Britannique, c’est très loin d’Ottawa. De nombreux Britanno-Colombiens ont téléphoné à mon bureau pour me dire que le contrôle des armes à feu concerne au fond les relations hommes-femmes. Certains ont même dit que les femmes rurales et les agricultrices qui sont victimes de violence à la maison décrivent un cycle d’intimidation avec des armes à feu. Vous avez beaucoup d’expérience relativement à ce problème, comme vous l’avez déjà dit dans vos observations.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont le projet de loi contribuera à prévenir la violence familiale? Peut-il le faire?
Dre Kane : Il aidera à prévenir la violence au foyer. Lorsqu’il s’agit d’enlever une arme à feu à quelqu’un, la police aura la tâche plus facile si au moins elle sait que la personne en cause a peut-être ou a effectivement une arme, ce qu’elle a du mal à savoir en ce moment. Parfois, en pareilles circonstances, l’un des problèmes est que la police ne sait pas qui a une arme, puisqu’il n’y a pas de registre. Il lui est donc beaucoup plus difficile d’aller fouiller la maison. Il serait utile d’avoir au moins un peu plus d’information grâce aux registres des marchands d’armes à feu et de parler aux conjoints à l’étape du contrôle.
Cela se fait déjà beaucoup, mais la situation n’est pas facile. Beaucoup de femmes ne disent même pas qu’il leur déplaît que leur mari, leur compagnon ou qui que ce soit d’autre ait une arme à feu. Elles ont peur de le dire. Le projet de loi ne réglera pas tout.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Gaudreault, sur votre site web, on dit que le nombre de suicides par arme à feu a diminué de 53 p. 100 au Québec entre 1995 et 2011. Il semble également que les pays où le contrôle des armes à feu est plus strict ont un taux de suicide inférieur à celui des pays où il l’est moins. Investir dans la santé mentale ne remplacera pas l’enregistrement des armes à feu. Les deux sont nécessaires pour prévenir les suicides.
Je voudrais que vous abordiez la question sous l’angle de l’égalité entre les sexes. Comment les femmes peuvent-elles bénéficier d’un meilleur contrôle des armes à feu, surtout en ce qui concerne la violence conjugale?
[Français]
M. Gaudreault : Si je peux vous donner une réponse en matière de prévention du suicide, je crois qu’on peut dire que les décès des suites d’un suicide par arme à feu sont l’affaire des hommes. En fait, en moyenne, chaque année au Québec, il y a 120 décès par arme à feu qui sont des suicides, dont 4 ou 5 sont commis par des femmes. C’est une problématique qui touche majoritairement les armes. Cependant, sachant que le tiers des personnes qui décèdent, qui se suicident par arme à feu ne sont pas propriétaires de l’arme — généralement, les armes à feu sont la propriété des hommes —, il est nécessaire de mettre en place de meilleures mesures pour assurer la protection et l’entreposage sécuritaire des armes à feu, de façon à protéger les gens qui vivent dans un environnement où se trouvent des armes à feu.
Donc, le fait de faciliter l’enregistrement des armes, de savoir où elles se trouvent et comment elles peuvent être retracées, et de savoir comment elles circulent entre les propriétaires assure une meilleure sécurité du public.
La sénatrice Jaffer : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : J’ai deux questions à poser, une à chacun des témoins.
Docteure Kane, vous avez dit dans votre exposé que la violence armée n’était pas l’apanage des grandes villes ou des gangs, mais qu’elle existait aussi dans les régions rurales où vous travaillez. Pourriez-vous nous brosser un tableau du problème dans les régions rurales, par opposition aux grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal?
Dre Kane : Les armes à feu y sont un peu plus répandues. Il y en a dans les fermes, et il y a aussi beaucoup de chasseurs. Il y a donc aussi beaucoup d’accidents. Ces accidents causés par des armes à feu sont tragiques.
J’ai du mal à vous répondre, car je n’habite pas dans une grande ville, mais je ne crois pas que, à proportion de la population, les problèmes y soient aussi fréquents qu’à Prince George, où il n’est pas rare que les gens aient des armes à feu pour la chasse. La chasse est beaucoup pratiquée dans notre région, et il y a donc plus d’accidents avec des armes à feu.
Malheureusement, nous avons aussi des problèmes parce que des gens n’entreposent pas leurs armes en toute sécurité. Il m’est arrivé de devoir menacer les parents d’adolescents qui me disaient savoir qu’il y avait une arme à feu chez eux et savoir comment mettre la main dessus. J’ai dû dire aux parents de mettre leurs armes en sécurité ou de les sortir de la maison, faute de quoi j’allais appeler la police. Je ne mets pas tout de suite la police dans le coup.
Nous avons des taux de suicide avec arme à feu plus élevés. Voilà quels sont les problèmes.
[Français]
Le sénateur Pratte : Monsieur Gaudreault, vous avez insisté dans votre présentation pour dire que si on empêche une personne suicidaire de se procurer une arme à feu, elle va trouver un autre moyen de le faire. Je sais que des recherches vont dans les deux directions. Qu’est-ce qui vous convainc qu’un meilleur contrôle des armes à feu prévient les suicides par armes à feu et que celles-ci ne sont pas remplacées par d’autres moyens?
M. Gaudreault : Comme je le disais, compte tenu de son caractère létal, l’arme à feu ne donne pas la possibilité à la personne de changer d’avis. Selon les données, pour chaque décès par suicide, entre 25 et 30 personnes font une tentative de suicide. C’est énorme. Si autant de personnes font une tentative, mais n’arrivent pas au terme de leur tentative, ce n’est pas parce qu’elles sont incapables de s’enlever la vie; c’est parce qu’elles changent d’avis en cours de tentative de suicide. Donc, le fait de donner plus de temps à la personne lui permet de se resaisir, de changer d’avis et de demander de l’aide, ce qui permet à quelqu’un d’arriver entre-temps pour appeler des secours. L’arme à feu ne permet pas ça.
Selon les statistiques, il y a eu une baisse de 53 p. 100 des décès par suicide commis avec une arme à feu entre 1995 et 2011. Cette donnée est couplée avec le fait que, pendant la même période, les décès par suicide par d’autres moyens ont baissé de 11 p. 100 seulement. Cela veut dire deux choses. D’une part, il n’y a pas eu de transfert de moyen parce que, normalement, les taux de décès par d’autres moyens auraient dû augmenter. D’autre part, on ne peut pas non plus simplement dire que, en raison de certains facteurs socioéconomiques, comme le fait que la situation des Québécois en général va mieux, il y a moins de décès par suicide, parce que la baisse des décès par arme à feu a été cinq fois plus rapide et cinq fois plus importante que par tout autre moyen.
C’est pourquoi, à notre avis, il est important d’imposer davantage de restrictions à l’acquisition et à la possession d’armes à feu.
Le sénateur Pratte : Merci.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. J’ai deux questions à poser qui portent sur l’admissibilité à un permis et sur la vérification des antécédents, comme le propose le projet de loi C-71.
Premièrement, pour déterminer l’admissibilité d’un demandeur à détenir un permis d’armes à feu, conformément à l’article 5 de la Loi sur les armes à feu, nous reconnaissons que le juge ou le contrôleur des armes à feu est tenu, entre autres, de déterminer si le demandeur :
[...] a été traité, notamment dans unhôpital, un institut pour malades mentaux ou une clinique psychiatrique, pour une maladie mentale caractérisée par la menace, la tentative oul’usage de violence contre lui-même ou autrui;
À votre avis, le juge ou le contrôleur des armes à feu seraient-ils tenus, d’après ce libellé, de tenir compte des tentatives de suicide?
Dre Kane : Ils seraient probablement obligés d’en tenir compte, mais cela ne signifie pas qu’il y aurait automatiquement une restriction. C’est du moins ce que j’ai constaté.
Je suis certaine d’avoir vu des gens qui ont tenté de se suicider et qui n’ont pas récupéré leurs armes à feu, y compris des agents de police qui ont besoin de leurs armes pour le travail.
C’est certainement quelque chose qui devrait être envisagé. Il y a beaucoup de circonstances différentes.
[Français]
M. Gaudreault : Je suis assez d’accord, en effet. Il faut considérer le passé de la personne. Si, effectivement, la personne a un historique de tentatives de suicide, il faut aller creuser pour déterminer si la personne s’est remise. Parce qu’on se remet. Comme Mme Kane le disait tout à l’heure, la majorité des gens qui ont fait une tentative de suicide et qui n’ont pas mis fin à leurs jours sont heureux d’être en vie aujourd’hui. Il ne faudrait pas discriminer et retirer des droits à des gens qui se sont rétablis et qui pourraient tout à fait posséder une arme à feu et bien l’utiliser à l’avenir.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question fait suite à ma première et vise simplement à obtenir des précisions. Le nouvel alinéa 5(2)c) de la Loi sur les armes à feu a été modifié par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes afin d’exiger que le juge ou le contrôleur des armes à feu tienne compte de l’élément suivant :
L’historique de son comportement atteste la menace,la tentative ou l’usage de violence ou...
Et voici les mots clés :
[...] le comportementmenaçant contre lui-même ou autrui.
Faudrait-il modifier la Loi sur les armes à feu pour tenir compte des préjudices auto-infligés, ou les tentatives de suicide seraient-elles visées par le nouvel alinéa 5(2)c) de la Loi sur les armes à feu modifié par le comité de la Chambre?
Dre Kane : Ma mémoire n’est pas mauvaise, mais peut-être pas assez bonne pour me souvenir de tout cela. Vous avez parlé de menaces à l’endroit d’une personne, alors je présume que cela pourrait aussi inclure la personne en question elle-même. Je serais donc porté à penser qu’il est inutile d’apporter un amendement pour cette raison.
Le sénateur McIntyre : Les mots clés que la Chambre des communes a insérés étaient « comportement menaçant ». Ces mots ont été ajoutés au projet de loi C-71.
Comment définir un « comportement menaçant », pour peu qu’il faille le définir?
Dre Kane : Cela donne beaucoup de pouvoir discrétionnaire au juge ou au contrôleur des armes à feu. Je ne suis pas juriste, mais il me semble que cela leur donnerait une latitude suffisante pour que nous n’ayons pas à ajouter quoi que ce soit sur le suicide.
Le sénateur McIntyre : Vous ne pensez pas qu’il faille modifier la Loi sur les armes à feu, n’est-ce pas?
Dre Kane : Non.
[Français]
M. Gaudreault : On pourrait peut-être exiger une vérification indépendante auprès d’un professionnel de la santé lorsqu’un demandeur a un antécédent de maladie mentale ou de tentative de suicide, afin de vérifier s’il s’est rétabli et est en mesure de posséder des armes à feu aujourd’hui.
Le sénateur Gold : Il y a une expression en français, et un équivalent en anglais, qui dit que « le mieux est l’ennemi du bien ».
[Traduction]
Nous avons entendu des témoins dire que le projet de loi ne vise tout simplement pas le bon problème. On nous dit parfois que le vrai problème, c’est la violence des gangs et les armes de poing dans les villes. Plus récemment, on nous a dit qu’il y a en fait un problème social de maladie mentale.
Qu’en pensez-vous, tous les deux? Le projet de loi C-71 est quand même un pas dans la bonne direction?
Dre Kane : Je ne pense pas qu’il y ait un seul problème. Le vrai problème n’est pas l’un ou l’autre, car il s’agit de vrais problèmes d’un côté comme de l’autre. Quant à savoir si nous devrions aller de l’avant, Arthur Ashe, un célèbre joueur de tennis dont certains d’entre vous se souviennent peut-être, et que je ne suis pas sûre de citer correctement, a dit quelque chose de très utile :
Commencez là où vous vous trouvez. Utilisez ce que vous avez. Faites ce que vous pouvez.
Nous devrions aller de l’avant. Nous avons ce projet de loi. Nous devrions simplement l’adopter et passer à autre chose. Voilà où j’en suis.
[Français]
M. Gaudreault : En ce qui concerne la Loi sur les armes à feu, je n’aime pas beaucoup entendre les opposants dire que le problème n’est pas lié aux propriétaires d’armes, qu’il faut s’attaquer au vrai problème, qu’il ne faut pas investir dans les vérifications et les registres, mais plutôt en santé mentale. Bien sûr, il faut investir en santé mentale. Si on soutient davantage le secteur de la santé et le secteur communautaire qui offrent de l’aide aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale et qui ont des idées suicidaires, cela contribuera à prévenir davantage de suicides. Cependant, il serait faux de croire que le fait d’investir seulement dans le domaine de la santé mentale permettra de régler le problème. La prévention du suicide comprend une foule de mesures qui, ensemble, auront un impact général.
On peut faire un parallèle avec la sécurité routière. Au Québec, au début des années 1980, on comptait 1 050 décès par suicide et 1 500 décès sur la route. On s’est alors dit que les décès sur la route posaient un problème de santé majeur et qu’on allait faire tout ce qui est possible pour les prévenir. On a donc renforcé la sécurité sur les routes, augmenté la surveillance, resserré les lois relatives à la consommation d’alcool et rendu le port de la ceinture de sécurité obligatoire. On a réglementé la façon d’attacher les enfants dans le véhicule. On a réparé les sections d’autoroute dangereuses. Bref, on a agi sur plusieurs fronts. On a aussi augmenté la sensibilisation. On doit faire de même pour la prévention du suicide.
Aujourd’hui, au Québec, on compte encore 1 050 personnes par année qui se suicident. Toutefois, on compte maintenant 300 décès liés aux accidents de la route. On a réduit de 75 p. 100 les décès sur la route, parce qu’on s’est dit que c’était un problème de santé majeur et on a agi pour faire en sorte qu’il n’y ait plus de décès sur la route. Ça a été un succès important. On doit appliquer le même modèle à la prévention du suicide, ce qui inclut le contrôle des armes à feu.
Le sénateur Boisvenu : Docteure Kane, j’aimerais aborder le volet des contrôles médicaux. On sait que, dans le cas d’Alexandre Bissonnette, qui est le tueur de la mosquée de Québec, même si le système prévoyait des contrôles médicaux sur les antécédents psychiatriques, on a échoué. Les policiers n’ont pas fait de contrôle, parce que la personne a déclaré qu’elle n’avait pas d’antécédents médicaux. Maintenant, on va élargir ces contrôles à la vie entière de celui qui souhaite devenir propriétaire d’une arme à feu.
Lorsque vous recevez, de la part d’un corps policier, une demande d’information sur les antécédents médicaux d’un patient, dans quels délais répondez-vous à cette demande en ce moment?
[Traduction]
Dre Kane : C’est une question difficile, mais l’important, dans les cas dont je me suis occupée, c’est qu’au moment où je réponds, les personnes en cause n’ont pas d’arme à feu. Elles n’ont pas de permis. Je dirais que nous péchons par excès pour assurer la sécurité.
Habituellement, si je veux refuser, je n’écris pas. C’est ainsi que les choses sont organisées.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Disons que vous recevez ce matin une demande d’un corps policier de votre municipalité qui veut savoir si une personne a des antécédents psychiatriques. Dans quels délais, aujourd’hui, répondrez-vous à cette demande? Dans votre province, on compte 2 000 dossiers qui accusent un retard à répondre aux questions de la GRC sur les antécédents psychiatriques de personnes qui font une demande de permis ou qui ont présenté un problème. Dans quels délais, aujourd’hui, pouvez-vous répondre aux corps policiers que cette personne a des antécédents psychiatriques et qu’on doit lui retirer ses armes?
[Traduction]
Dre Kane : Cela ne fonctionne pas vraiment de cette façon. Par exemple, si on me demande mon avis au sujet de la santé mentale d’une personne et de son arme à feu, je ne suis pas tenue de répondre si je ne suis pas d’accord pour qu’elle ait une arme. J’ai des patients qui ont été privés de leurs armes, et il leur a fallu plusieurs années avant que leur état de santé ne s’améliore.
Après plusieurs années, j’écris pour dire, au sujet de telle personne, que, à mon avis, elle est prête, désormais. Jusqu’à ce moment-là, je ne réponds pas. J’ignore si les choses se passent différemment dans d’autres provinces, mais c’est ainsi que m’y prends, en général.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : La situation m’inquiète encore plus. Ce que ce projet de loi ne doit pas faire, c’est donner une impression de sécurité. Vous me dites que je ne suis pas obligé de répondre, ce qui veut dire que des corps policiers pourraient adresser une demande à un psychiatre et ne jamais obtenir de réponse.
[Traduction]
Dre Kane : Je n’ai pas reçu de demande d’organisations policières. Je n’ai reçu que des demandes de préposés aux armes à feu. Nous ne recevons habituellement pas de demandes de la police. Cela sortirait de l’ordinaire.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Aujourd’hui, le fait qu’on élargisse les antécédents à la vie entière d’un patient fera en sorte que vous n’aurez plus à chercher dans les cinq dernières années. Vous devrez effectuer des vérifications sur toute la vie du demandeur, qui aurait peut-être été traité par deux ou trois psychiatres. Comment l’information pourra-t-elle arriver rapidement aux corps policiers? Sinon, on laisse des gens vulnérables en possession d’armes à feu, ce qui peut mener à des incidents, parce que l’appareil bureaucratique aura tardé à répondre adéquatement aux corps policiers. On est devant un problème que ce projet de loi ne résoudra pas.
[Traduction]
Dre Kane : D’après mon expérience, lorsque je reçois une demande de la police, celle-ci a généralement déjà enlevé les armes à feu à la personne. Ce qui se passe, plutôt, c’est que, lorsque c’est possible, je peux aider la personne à les récupérer. Je sais que ce n’est pas toujours le cas, mais, en général, il semble que la police privilégie la sécurité. Elle retire les armes à feu d’abord et demande une opinion ensuite.
Je ne pense pas que cela puisse donner un faux sentiment de sécurité, mais il y aura probablement des moments où les gens passeront entre les mailles du filet, ce qui est déjà arrivé par le passé.
La sénatrice McPhedran : Je voudrais poursuivre dans le même sens que le sénateur Boisvenu et vous demander à tous les deux un peu plus de précisions, si vous le voulez bien.
Nous avons entendu des témoins. À ce que je sache, aucun d’entre eux n’était spécialiste en santé mentale, mais ils se sont opposés à ce que la vérification des antécédents s’étende à toute la vie d’un demandeur de permis.
Selon votre expérience, la disposition du projet de loi C-71 pourrait-elle sauver des vies? Selon vous, au-delà du minimum actuel de cinq ans pour la vérification des antécédents, quels facteurs peuvent faire en sorte qu’une personne présente des risques?
Dre Kane : Certaines maladies mentales peuvent être épisodiques. Des patients peuvent souffrir de terribles maladies mentales pendant des mois, voire des années, puis se rétablir et aller très bien pendant 10 ans, après quoi la maladie frappe de nouveau. Telle est la nature de certaines maladies mentales.
Cela sauvera des vies si la vérification porte sur la vie entière, du moins en ce qui concerne les maladies mentales.
M. Gaudreault : Pourriez-vous répéter votre question, s’il vous plaît?
La sénatrice McPhedran : Selon votre expérience, la disposition du projet de loi C-71 concernant la vérification des antécédents sur une période plus longue pourrait-elle sauver des vies?
Selon vous, quels facteurs, au-delà de l’actuelle vérification des antécédents sur cinq ans, peuvent faire en sorte qu’une personne présente des risques?
[Français]
M. Gaudreault : Effectivement, retourner en arrière et étendre la période de vérification peut aider à dresser un portrait un peu plus large de l’historique de santé mentale d’une personne. Une personne peut souffrir d’un trouble de santé mentale, se rétablir et avoir un autre épisode 5 ans, 10 ans ou 15 ans plus tard. C’est documenté. À ce moment-là, le fait d’étendre la période permet d’avoir une meilleure connaissance de l’historique de vie d’une personne. Maintenant, on sait qu’il est tout à fait possible de se rétablir pour la vie. Ainsi, il est important qu’une évaluation indépendante soit faite par un professionnel de la santé qui sera en mesure de déterminer si la personne est prête à posséder à nouveau ou pour la première fois des armes à feu.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Merci aux témoins. Il ne doit y avoir personne autour de cette table, ni même parmi les témoins déjà entendus, qui puisse soutenir que le suicide n’est pas l’une des choses les plus dévastatrices et les plus horribles qui soient. Pour ma part, il y a eu sept suicides au cours de ma vie parmi les membres de ma famille et mes amis : trois personnes se sont pendues, deux se sont jetées devant un train, une s’est suicidée en prenant des médicaments et une dernière a utilisé une arme à feu. C’est peut-être un cas unique, mais une seule personne sur sept s’est suicidée par arme à feu.
Y avait-il des problèmes mentaux plus ou moins graves chez chacune de ces personnes? On ne se tue pas s’il n’y en a pas. Soit dit en passant, quatre de ces personnes étaient des hommes et trois des femmes.
Vous nous avez livré vos opinions de façon convaincante, mais je n’ai pas entendu de statistiques ni de faits. Même en réponse à la question que la sénatrice McPhedran vient de poser à la Dre Kane, j’ai entendu une simple opinion.
Le projet de loi à l’étude aujourd’hui ne rétablit pas officiellement le registre des armes à feu, mais comme les témoins qui vous ont précédé l’ont reconnu, il n’y a qu’une seule chose qui manque pour avoir un registre des armes à feu, et c’est le numéro de série. C’est une sorte de registre.
L’efficacité des registres des armes à feu comme moyen de faire baisser les taux d’homicide et de suicide a été remise en question par un témoin entendu la semaine dernière, Solomon Friedman. Il a fait remarquer qu’un tribunal avait conclu dans l’affaire Barbra Schlifer Clinic qu’il n’y avait aucune preuve que le registre des armes d’épaule ait jamais été efficace pour abaisser les taux d’homicide ou de suicide.
Quelles preuves avez-vous, l’un ou l’autre, que ce registre serait efficace? Quelles statistiques avez-vous qui en confirmeraient l’efficacité? En ce qui concerne la vérification des antécédents ou l’autorisation d’acquérir des armes à feu pour les personnes atteintes de maladie mentale, docteure Kane, cela existe déjà. Personne n’est contre.
Abstraction faite des simples opinions personnelles, avez-vous des statistiques à produire?
M. Gaudreault : Je vous ai donné des statistiques, et je vais les répéter. Entre 1998 et 2011, période où il existait un registre au Canada, les suicides par arme à feu ont diminué de 53 p. 100 au Québec. Nous sommes passés d’à peu près 250 suicides à environ 120. Entretemps, la diminution des taux de suicide par d’autres moyens n’a été que de 11 p. 100.
Cela révèle deux choses. Premièrement, il n’y a eu aucun déplacement vers d’autres moyens de suicide. Si les gens ont cessé de recourir aux armes pour utiliser d’autres moyens... Mais il se trouve que les autres taux ont aussi diminué.
Deuxièmement, on ne peut pas dire que le fléchissement des taux s’explique par une situation sociale ou économique meilleure. Moins de gens se sont suicidés; il y a une différence de un à cinq entre la diminution du nombre de morts par arme à feu et celle du nombre de morts données par d’autres moyens. Pour moi, il est important de tenir compte de l’impact des restrictions imposées aux armes à feu.
Dre Kane : Depuis une semaine ou deux, ou peu importe la durée de cette période, vous entendez beaucoup de statistiques qui montrent des réductions et des augmentations du taux de suicide en fonction de la teneur des lois. Comme je ne suis pas spécialiste des statistiques, je ne vais pas me lancer dans les chiffres.
Vous avez parlé du registre et affirmé que le projet de loi aurait pour effet de créer un registre de facto. Je ne suis pas d’accord. S’il y en avait un, la police pourrait téléphoner pour demander s’il y a des armes à feu dans telle ou telle maison. De temps en temps, mais pas souvent, nous essayons de retirer leurs armes à feu à certains. Si nous ne savons pas s’ils en ont, nous ne pouvons pas le faire.
Les policiers ne pourront pas faire cette vérification au moyen de ce que prévoit le projet de loi C-71. Ce n’est pas un registre. Certaines personnes peuvent avoir l’impression que c’est le cas, mais c’est différent. Je ne pense pas que ce soit l’équivalent.
Le sénateur Plett : Le ministère de la Justice a fait remarquer qu’au Canada, les comparaisons entre provinces des niveaux de possession d’armes à feu et des taux globaux de suicide ne font ressortir aucune corrélation entre les niveaux de possession d’armes à feu et les taux régionaux de suicide. De plus, le taux de suicide par arme à feu au Canada a diminué sans qu’une réduction semblable du taux de possession d’armes à feu soit avérée.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de la baisse des taux. Je ne sais pas au juste pendant quelles années le recul s’est produit. Avant la mise en place du registre, pendant qu’il existait ou après son abolition? Y a-t-il eu une augmentation depuis l’abolition du registre? Avez-vous les chiffres avant, pendant et après?
M. Gaudreault : Tous les chiffres que je vous ai donnés proviennent de l’Institut de la santé publique du Québec, qui est chargé d’établir les données sur le suicide dans la province.
En 1998, les suicides au Québec ont atteint un sommet : 1 600 morts. En 2008, soit 9 ans plus tard, il y avait eu une baisse assez régulière du nombre de suicides, qui s’établissait à 1 100. Il y a eu une diminution pendant toutes ces années, et pas juste avant ou après. Le fléchissement a été assez constant.
Le sénateur Plett : Et le taux a augmenté depuis 2008.
M. Gaudreault : Non, il est resté le même.
Le sénateur Kutcher : Mes deux questions s’adressent à la Dre Kane. Vous êtes psychiatre, et je suppose que vous pratiquez une médecine qui repose sur des faits probants. Nous avons entendu des opinions divergentes au sujet des données d’études diverses qui montrent des choses différentes.
Premièrement, lorsque se présente une situation semblable dans votre pratique médicale, que cherchez-vous à faire pour résoudre les dilemmes? Quelles analyses médicales, quels examens critiques de la littérature, par exemple, nous aideraient à considérer nous-mêmes ces techniques?
Deuxièmement, vous avez parlé de l’étude des forces de défense israéliennes. Je crois me souvenir, si peu fidèle soit ma mémoire, qu’il s’agissait d’une étude longitudinale quasi expérimentale qui a porté sur environ 1,2 million de personnes. Elle a mis en évidence une diminution de quelque 50 p. 100 des taux de suicide sans aucune substitution des moyens utilisés, une fois les armes contrôlées.
Quelle est la solidité de ce type d’étude, si on la compare à l’analyse diachronique des données statistiques administratives?
Dre Kane : J’essaie de m’appuyer sur des données probantes. Des études portant sur 1,2 million de personnes sont convaincantes. L’information que vous avez obtenue de Statistique Canada, si j’ai bien compris, porte sur l’ensemble de la population du Canada. Nous essayons d’utiliser ce genre d’information le plus possible. Il faut l’appliquer à des situations particulières.
Je ne sais pas trop si je réponds à votre question, mais c’est de cette façon que j’essaie de travailler.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de vos témoignages. Monsieur Gaudreault, c’est une question qui s’adresse à vous et qui n’est pas facile. Comment resserrer les critères d’admissibilité afin de prévenir le suicide d’autres membres de la famille qui ont des tendances suicidaires? Vous avez parlé de celui qui achète l’arme, mais comment faire? Je pose la question, parce que Michèle Audette, commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes autochtones, est venue à Ottawa et nous a dit qu’il faut non seulement vérifier les antécédents des personnes qui possèdent l’arme, mais qu’il faut également consulter toutes les personnes qui vivent dans la maison. Étant donné qu’il y a surpopulation au sein des communautés autochtones et que les maisons sont pleines, le processus est long, mais il est aussi nécessaire pour aider à prévenir les suicides. En tant qu’expert de ces questions au sein d’un groupe d’aide, comment faudrait-il resserrer les critères? Parce que ça me semble difficile.
M. Gaudreault : Effectivement, c’est extrêmement difficile. C’est une question très difficile. En ce qui a trait à l’entourage de la personne, vous avez tout à fait raison : une personne peut demander un permis de possession et passer tous les tests, mais cela ne nous garantit pas que les gens dans l’entourage de cette personne sont en sécurité. Le propriétaire de l’arme a la responsabilité de tenir compte de la santé mentale des gens de son entourage et d’éviter l’achat ou l’ajout d’armes à feu, et de s’assurer, en tout temps — peu importe l’état de santé des gens de son entourage —, de prévoir une sécurité à toute épreuve pour empêcher l’accès aux armes à feu lorsqu’elles ne sont pas utilisées. Il faut donc travailler avec les communautés.
D’autre part, il faut donner la latitude nécessaire aux corps policiers pour qu’ils puissent intervenir le plus rapidement possible lorsqu’il y a un risque lié à la présence d’une arme à feu, que ce soit pour le propriétaire ou l’entourage. Heureusement, dans la très grande majorité des cas, lorsqu’une personne suicidaire est en contact avec un intervenant, la première question à se poser est à savoir s’il y a des armes à feu dans son entourage. S’il y en a, on invitera la personne à retirer ses armes de manière sécuritaire. La majorité du temps, les gens acceptent de collaborer de plein gré et de retirer leurs armes. Par contre, lorsqu’il y a des risques, il faut être en mesure de les dénoncer et d’intervenir le plus rapidement possible.
[Traduction]
La présidente : Le sénateur Boisvenu voudrait obtenir une précision.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai une question pour M. Gaudreault qui fait suite à celle de mon collègue. Lorsqu’on a travaillé sur l’abolition du registre des armes à feu en 2013, si ma mémoire est bonne, on avait des statistiques sur deux points de référence : 1979 et 1995. On sait qu’en 1979, le gouvernement a mis en place des moyens de contrôle de l’acquisition des armes à feu. De 1995 à 2010, le registre des armes à feu était en fonction. La réduction du taux d’homicides et de suicides entre 1979 et 1995 était de l’ordre de 40 p. 100. Entre 1995 et 2010, le taux de réduction était de 35 p. 100. Il s’agit de l’une des statistiques qui ont été les plus utilisées pour montrer à ceux qui militent en faveur d’un contrôle accru — je suis en faveur d’un certain contrôle des armes à feu — qu’il est difficile de faire un lien entre la décroissance des homicides et des suicides en raison de la présence ou non d’un registre d’armes à feu. Il est presque impossible de le faire de façon scientifique.
Avez-vous des données quant à deux périodes de référence, soit celle que vous citez, entre 1995 et 2010, comparativement à une autre période où il n’y avait pas de registre? Pouvez-vous nous fournir des données quant au fait qu’il n’y a pas de corrélation entre les deux?
M. Gaudreault : Quant à la corrélation entre les deux, il faudrait faire la validation, mais je me ferai un plaisir de vous transmettre les données qui ont été colligées par l’Institut national de santé publique, qui est chargé d’évaluer ces données.
[Traduction]
La présidente : Docteure Kane et monsieur Gaudreault, nous vous remercions beaucoup d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. Vos témoignages ont été extrêmement utiles.
Honorables sénateurs, nous distribuons le plan de travail mis à jour. Je rappelle qu’il reste confidentiel jusqu’à ce que les discussions aient lieu, et nous allons suspendre la séance pour la reprendre à 14 h 45.
La sénatrice McPhedran : Madame la présidente, si vous me le permettez, je tiens à préciser, avant que les témoins ne partent, que le sénateur Plett a posé une question au sujet de leurs opinions qu’il a qualifiées de « personnelles ». Il importe de signaler que vous êtes ici aujourd’hui en raison de vos compétences professionnelles. J’espère que vous n’interpréterez pas cette question comme une façon de dénigrer vos compétences. Nous étions ici pour entendre votre avis de spécialistes. Merci.
La présidente : Nous accueillons maintenant le groupe de témoins suivant. De l’Université Simon Fraser, nous recevons le professeur émérite Gary Mauser; de l’Université McMaster, le Dr Caillin Langmann, professeur adjoint de médecine clinique; de l’Université Fraser Valley, par vidéoconférence, Irwin M. Cohen, directeur du Centre de la sécurité publique et recherche en justice criminelle.
Irwin M. Cohen, directeur, Centre de la sécurité publique et recherche en justice criminelle, Université Fraser Valley, à titre personnel : Mon travail a porté principalement sur l’examen des recherches universitaires sur les diverses stratégies, processus et lois qui ont été mis à l’essai au Canada et à l’étranger pour réduire le nombre d’armes à feu illégales en circulation et les retirer, notamment aux délinquants.
De nombreux pays ont des lois sur les armes à feu qui limitent les catégories de personnes qui peuvent posséder des armes à feu et les types d’armes qu’elles peuvent avoir. Cela se fonde sur un principe théorique simple : les armes à feu sont dangereuses et contribuent au taux croissant de violence mortelle dans une collectivité donnée. On part du principe qu’en imposant des restrictions aux armes à feu, en particulier pour les personnes jugées plus à risque de recourir à la violence, comme celles qui font partie de gangs ou participent au crime organisé, il est probable que la violence criminelle avec arme à feu diminuera.
Par exemple, de nombreux pays interdisent la possession d’armes à feu aux mineurs, aux personnes reconnues coupables d’un crime ou à celles qui ont reçu un diagnostic de maladie mentale. De plus, beaucoup de pays limitent les types d’armes à feu qu’on peut posséder. Il y a par exemple des restrictions sur les armes à feu entièrement automatiques, les armes de poing, des types particuliers de munitions et la capacité des chargeurs.
En comparant le système canadien à celui d’autres pays occidentaux, des chercheurs ont conclu que le Canada a adopté comme point de vue que la liberté de la personne est la plus grande lorsque la collectivité est sûre, alors que d’autres pays ont mis l’accent sur le droit de la personne de posséder une arme à feu plutôt que sur la sécurité de la collectivité.
La mise en œuvre du projet de loi C-68, en 1995, a révélé que de nombreux Canadiens changeaient déjà d’avis au sujet des armes à feu, devenant moins tolérants à l’égard de la présence d’armes à feu dans les foyers et plus préoccupés par les préjudices que les armes à feu pouvaient causer aux personnes, à leur famille et à leur collectivité.
Aux États-Unis, par exemple, la réglementation des armes à feu relève en grande partie de chaque État ou administration locale. Chaque État peut adopter une approche propre à l’égard de la possession d’armes à feu ou du port d’arme en public. Il n’y a pas de restrictions fédérales, comme celles qu’on voit dans d’autres pays, sur les armes semi-automatiques, les armes de poing, les chargeurs de grande capacité, ou la possession d’armes à feu par les mineurs. Même après des fusillades de masse très médiatisées et lorsqu’il existe un fort appui du public pour des modifications législatives, peu de choses changent dans les lois fédérales.
Aux États-Unis, une partie de la difficulté réside dans le droit constitutionnel de posséder des armes à feu, qui n’existe pas au Canada. Conséquence des différences culturelles, de la perception des armes à feu dans la société et des politiques de contrôle des armes à feu, la proportion des ménages qui ont au moins une arme à feu est moins importante au Canada qu’aux États-Unis.
La Grande-Bretagne est reconnue pour avoir certaines des lois sur le contrôle des armes à feu les plus restrictives au monde. Les simples citoyens ne peuvent posséder la plupart des types de carabines et de fusils de chasse semi-automatiques, et seuls les agents de police, les membres des forces armées ou les personnes ayant obtenu la permission écrite du secrétaire de l’Intérieur peuvent légalement posséder une arme de poing. Il est probable que la très faible utilisation d’armes à feu à des fins criminelles est en grande partie attribuable à ces lois restrictives.
Les lois restrictives sur les armes à feu en Grande-Bretagne ont été adoptées en réaction à l’augmentation du taux de criminalité et à un certain nombre de tueries très médiatisées à la fin des années 1980 et 1990. Jusque-là, la possession d’armes à feu en Grande-Bretagne était assez libre. Après l’adoption de lois beaucoup plus strictes sur le contrôle des armes à feu entre 1997 et 2010, il n’y a pas eu d’autres fusillades de masse en Grande-Bretagne.
De même, l’Australie a connu trois changements législatifs importants qui ont continuellement poussé le pays vers des lois plus restrictives sur les armes à feu à la suite d’une série de fusillades de masse. Le National Firearms Agreement de l’Australie a été mis en œuvre en 1996. Il comprend une interdiction de possession en public de toutes les carabines semi-automatiques à chargement automatique et d’autres types d’armes. Il interdit également l’importation de pièces ou de chargeurs pour des armes à feu de qualité militaire ou pour la revente, le transfert de propriété ou la fabrication d’armes à feu de qualité militaire.
Le système australien exige un permis d’acquisition pour toutes les armes à feu, ainsi qu’une période d’attente obligatoire de 28 jours. Les ventes sont l’apanage exclusif des marchands d’armes à feu titulaires d’un permis et le régime exige qu’ils consignent les renseignements sur les ventes, registre qui peut être inspecté par la police en tout temps. De plus, le régime limite la quantité de munitions qu’un marchand peut vendre ou acheter en même temps et ne permet la vente que de munitions correspondant à l’arme à feu pour laquelle l’acheteur détient un permis.
Des chercheurs ont étudié les lois canadiennes et leur effet sur les homicides au Canada et constaté que les modifications législatives apportées en 1995 pour rendre obligatoire l’enregistrement de toutes les armes à feu ont probablement eu peu d’effet sur les taux d’homicides. Ils ont conclu en effet que, au Canada, la vaste majorité des homicides par arme à feu étaient commis avec des armes illégales. Les criminels sont beaucoup plus susceptibles d’acheter et d’échanger des armes à feu et de les emprunter à d’autres et à des personnes qu’ils connaissent bien. Il est probable que les modifications législatives qui alourdissent les formalités à remplir pour se procurer une arme à feu légalement ont moins d’effet sur la capacité d’un délinquant de se procurer une arme à feu.
Si on compare les tendances générales simples aux États-Unis et au Canada, on peut dire que les lois canadiennes sur les armes à feu ont probablement réduit au moins en partie le taux des crimes violents, étant donné qu’elles restreignent l’accès aux armes à feu.
D’autres recherches menées au Canada donnent également à penser que les lois canadiennes sur les armes à feu ont fait diminuer le nombre de meurtres, notamment de femmes, liés à la violence familiale. Quant au suicide, les chances de réussite d’une tentative de suicide sont bien plus grandes lorsqu’une arme à feu est utilisée. Presque toutes les tentatives de suicide à l’aide d’une arme à feu entraînent la mort de la personne, alors que ce n’est le cas que pour une faible fraction des tentatives de suicide par surdose.
Les recherches ont toujours conclu qu’il y avait un risque accru de suicide réussi lorsqu’une arme à feu était présente à la maison. Elles ont également montré à maintes reprises qu’il y a un lien entre le narcotrafic, les gangs et les homicides par arme à feu au Canada. Bien que la violence des gangs puisse être sporadique, des recherches ont révélé qu’une proportion croissante de la violence liée aux gangs est le fait de jeunes à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine.
Quant à l’origine des armes à feu, on redoute souvent au Canada que la majorité des armes obtenues illégalement n’entrent illégalement en provenance des États-Unis. Des recherches étayent ce point de vue.
Selon plusieurs études menées dans différentes régions du Canada, la proportion des armes à feu illégales saisies qui proviennent des États-Unis varie entre 34 et 84 p. 100. En ce moment, il semble qu’il y ait moins d’armes à feu saisies qui viennent des États-Unis que ce n’était le cas au cours des années précédentes.
Je termine. L’une des conclusions des recherches qui sont assez constantes est la corrélation entre le nombre des armes à feu et celui des morts par arme à feu. Plus il y a d’armes à feu, plus il y a d’homicides et de suicides. Certaines mesures législatives et un certain nombre d’initiatives se sont révélées prometteuses au Canada. Des recherches aux niveaux national et international ont montré que les lois qui limitent le type d’armes à feu qu’on peut acquérir, imposent des restrictions aux catégories de personnes qui peuvent s’en procurer légalement, notamment celles qui ont des problèmes de santé mentale, et exigent des vérifications approfondies des antécédents ont réduit le nombre de cas de violence et de suicide avec arme à feu.
Bien que le taux de violence liée aux armes à feu au Canada soit relativement faible, les recherches donnent à penser qu’il est essentiel, si nous voulons lutter contre la criminalité et la violence avec arme à feu, de continuer à élaborer et à mettre en œuvre des lois efficaces et exécutoires, à sensibiliser la population à la sécurité en matière d’armes à feu, et à soutenir des stratégies d’application de la loi contre les délinquants et les membres de gangs qui portent des armes à feu, les prête-noms et les importateurs et vendeurs d’armes à feu illégales.
Dr Caillin Langmann, assistant professeur de médecine clinique, Université McMaster, à titre personnel : Le contrôle des armes à feu n’a pas permis de réduire le nombre d’homicides commis à l’aide d’une arme à feu, ni le nombre total de suicides au Canada. En 2012, j’ai publié une étude de référence sur les lois sur les armes à feu au Canada et les homicides. Elle a montré que les vérifications des antécédents, les autorisations de transport et les registres d’armes à feu n’avaient en rien fait diminuer le nombre d’homicides en général et d’homicides entre conjoints commis avec des armes à feu.
À l’époque, certains ont été choqués par ces conclusions, mais la réalité est qu’elles ne contredisaient pas la plupart des travaux déjà publiés. J’ai apporté une partie de ces travaux pour vous les présenter publiquement.
Passons brièvement en revue certaines de ces autres études et voyons comment elles concordent avec les résultats de mes propres travaux. Commençons par le récent méta-examen que la plupart des organisations, au comité, désignent par le titre suivant : « What Do We Know About the Association Between Firearm Legislation and Firearm-Related Injuries? »
Je cite directement cet article :
Les études transversales évaluant le lien entre les vérifications des antécédents et les périodes d’attente et les morts par arme à feu donnent des résultats variables.
Un grand nombre d’études n’ont trouvé aucune association entre les vérifications des antécédents et les homicides commis à l’aide d’une arme à feu : Kleck et Patterson; Sumner et collaborateurs, 2008; Lott et Mustard, 1997; McDowall et collaborateurs, 1995; Ludwig et Cook, 2000; Hahn et collaborateurs, 2003; Wintemute, 2018.
Mon étude a également montré qu’on ne pouvait attribuer aucun effet aux lois visant les armes à feu à autorisation restreinte, comme les armes de poing et certaines armes à feu semi-automatiques et entièrement automatiques au Canada, dans les années 1980, 1990 et 2000. Parmi les études citées dans le même examen de 2016, Koper et Roth, 2001, et Guis, 2014, ont également conclu que l’interdiction des armes d’assaut aux États-Unis n’avait eu aucun effet bénéfique.
Les professeurs Blaise et Gagné ont publié récemment à Montréal, en 2011, une étude qui se limite aux premières étapes des régimes de permis d’armes à feu. Elle concorde avec mon évaluation et ses auteurs disent que le nombre d’homicides commis à l’aide d’armes à feu à autorisation restreinte ou prohibées n’avait pas été influencé par l’adoption de ces lois.
Revenons sur le méta-examen et ce qu’il a dit au sujet du Canada. Les conclusions de Leenaars et Lester, 1999, de Mauser et Holmes, 1992, et de McPhedran et Mauser, 2013, concordent avec celles de mes études.
L’Australie est depuis longtemps citée comme modèle de contrôle des armes à feu. C’est un pays dont les frontières sont contrôlées, où il y a des vérifications universelles des antécédents et des lois sur les armes à feu dans tout le pays. Fait intéressant, les recherches publiées en Australie vont également dans le même sens que mes études. Les lois sur les armes à feu ne sont pas associées à une diminution des homicides commis avec une arme à feu. L’une des études australiennes les plus récentes et le plus fréquemment citées, Chapman et collaborateurs, 2006, ne fait ressortir aucun lien statistiquement significatif entre les lois australiennes sur les armes à feu et le nombre des homicides commis avec une arme à feu.
Lee et Suardi, 2008; Baker et McPhedran, 2007; et Gilmore et coll., plus récemment, en octobre 2018, donnent les mêmes résultats.
Passons maintenant au suicide par arme à feu. Au Canada, les suicides par arme à feu sont en baisse constante depuis les années 1980, tandis que les suicides par d’autres moyens enregistrent une augmentation lente et constante. Mon analyse récente de ces données n’a révélé aucune variation statistiquement significative dans ce recul à la suite de l’adoption de la loi dans les années 1990. Il y a eu une légère baisse du nombre de suicides par arme à feu, correspondant à une hausse similaire du nombre d’autres types de suicide. Utilisant une autre méthode, appelée « différence dans les différences », pour analyser ces données, j’en arrive au même constat.
Il y a actuellement une augmentation lente et constante du nombre de permis d’armes à feu dans la population générale. Puisqu’ils augmentent, nous devrions voir le taux de suicide par arme à feu augmenter également. L’analyse de régression de ces données montre également l’absence de corrélation. En dernier lieu, les provinces où les propriétaires d’armes à feu titulaires de permis sont plus nombreux devraient avoir un taux de suicide plus élevé. Or, l’analyse de la possession d’armes à feu par province montre que le taux de suicide par arme à feu n’est pas plus élevé dans ces provinces qu’ailleurs. Une corrélation notable a été observée avec le nombre d’Autochtones dans les réserves, ce qui laisse supposer qu’il y a là un problème.
Y a-t-il des exemples comparables dans la littérature? On y trouve certaines indications d’un lien entre le renforcement des lois sur les armes à feu et une diminution du nombre de suicides par arme à feu. Mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, Hemenway, dans un article de 2013, ne dégage aucun lien entre la législation sur les armes à feu, les taux de possession et les suicides par arme à feu.
Il reste à savoir si les gens y substituent d’autres moyens de suicide, comme la pendaison, avec le résultat que le taux global de suicides demeurerait inchangé. Selon certaines études, la pendaison est un moyen de suicide aussi efficace que les armes à feu. Ker, 2004, a étudié la situation dans les réserves autochtones canadiennes par rapport à la législation sur les armes à feu dans les années 1990 et n’a constaté aucune variation globale significative du taux de suicide, la baisse du suicide par arme à feu s’accompagnant d’une hausse parallèle du suicide par pendaison.
Chengdu, 2005, a montré que, dans les années 1990, le taux de suicide par arme à feu chez les jeunes hommes avait chuté de 40 p. 100, mais qu’il était accompagné d’une augmentation de 40 p. 100 du taux de suicide par pendaison. G. Vidal, 2009, étudiant la situation en Australie, a constaté un phénomène similaire de substitution. Plus récemment, Gilmore et collaborateurs, 2018, n’ont pu établir une corrélation entre le suicide et la législation sur les armes à feu.
Les méthodes qui se sont révélées les plus efficaces pour réduire les homicides commis avec une arme à feu consistent à cibler le volet demande de la prévalence des armes à feu dans les activités criminelles. Comme l’a montré Statistique Canada, un pourcentage important des homicides commis avec une arme à feu sont attribuables aux gangs. La fluctuation récente de ce taux concerne principalement Toronto, en Ontario.
Operation Ceasefire, lancée à Boston en 1995 en réponse à un accroissement de la violence chez les jeunes, consistait à diminuer la demande d’armes en ciblant expressément les gangs au moyen d’avertissements et d’interventions légales et à travailler avec les groupes communautaires et les travailleurs sociaux pour réduire l’adhésion des jeunes aux gangs.
L’autre volet de cette opération visait à diminuer la fourniture d’armes par des interventions légales afin de réduire le trafic et la disponibilité des armes.
Braga et collaborateurs, 2001, ont examiné les deux volets d’Operation Ceasefire et ont conclu qu’une action visant la demande était efficace, mais qu’une action visant l’offre, c’est-à-dire le ciblage du trafic d’armes, était inefficace.
La présidente : Puis-je vous demander de conclure, s’il vous plaît?
Dr Langmann : Pour réduire la violence qui existe actuellement au Canada, les données indiquent qu’il faut réduire la participation des jeunes aux gangs et à leurs activités, non seulement par des interventions légales, mais aussi en dissuadant les jeunes d’adhérer aux gangs au moment où ils envisagent de le faire.
Un rapport de recherche de Sécurité publique Canada, fondé sur des données provenant d’un certain nombre de programmes mis en œuvre au Canada pour réduire la participation aux gangs, a fait ressortir des effets bénéfiques de l’ordre de 50 p. 100 sur le plan de la participation.
Gary Mauser, professeur émérite, Université Simon Fraser, à titre personnel : Tout d’abord, je tiens à m’excuser. Je suis sourd comme un pot. J’ai de la difficulté avec ce dispositif bilingue. Il fonctionne en français, mais pas tellement bien en anglais.
J’espère que les tableaux dont j’ai demandé la distribution vous seront remis.
Dans mes 30 années de carrière universitaire, j’ai beaucoup publié en criminologie et en sciences politiques.
À mon avis, le projet de loi C-71 est une machine à la Rube Goldberg qui repose, sans preuve aucune, sur l’hypothèse que la prolifération des règlements réduira la violence criminelle. Le gouvernement exprime ses inquiétudes, mais il ne produit aucune preuve concrète pour les justifier.
Le projet de loi C-71 met l’accent, de façon myope, sur les crimes commis avec une arme à feu, alors que les armes à feu sont utilisées dans moins de 1 p. 100 des crimes violents. Le problème, c’est la violence criminelle, pas les armes à feu. Autant de meurtres sont commis au moyen de couteaux qu’avec des armes à feu.
Pire encore, en assimilant les propriétaires d’armes à feu ou les détenteurs de permis de possession aux criminels, le projet de loi C-71 passe complètement à côté de la cible. Au moins un million de Canadiens possèdent une arme à feu sans s’être conformés à la moindre exigence légale. Ce sont ces gens-là que vous devriez cibler. Je demande au Sénat d’exercer son devoir de second regard serein.
Le projet de loi C-71 n’améliorera pas la sécurité publique. Ce n’est pas un petit pas. Il s’agit en fait d’une menace pour la sécurité publique parce qu’il détourne des ressources publiques limitées.
Quelle est l’ampleur de la menace que représentent les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis? Au Canada, les orignaux tuent plus de gens chaque année que les propriétaires d’armes à feu enregistrées et titulaires de permis. Ils ne sont pas enregistrés ni titulaires de permis.
La violence criminelle des gangs s’est accrue depuis que le ministre Goodale a tiré son numéro magique en 2013, alors que la violence de la part des titulaires de permis de possession et d’acquisition d’arme à feu n’a pas augmenté.
Les personnes qui meurent chaque année à la suite d’erreurs médicales dans nos hôpitaux sont au moins 10 fois plus nombreuses que celles que les titulaires de PPA sont accusés d’avoir tuées. La pire tuerie au Canada a été commise au moyen d’essence et non à l’aide d’une arme à feu. Même là où les armes à feu sont abondantes et facilement accessibles, la pendaison demeure le moyen préféré de se suicider.
Voici un graphique qui montre la situation dans l’ensemble du pays. Comme vous pouvez le voir, si vous l’avez en main, la fréquence de la pendaison est en hausse et celle du recours aux armes à feu est en baisse. C’est à la pendaison qui vous devez vous attaquer. La plupart des suicidologues vous diront que le problème, c’est la santé mentale et le suicide, et non l’accès aux armes à feu. Les gens en santé ne sont pas suicidaires. Les gens dans cette salle ne risquent pas de se suicider par quelque moyen que ce soit.
Le projet de loi C-71 méconnaît également la contribution extrêmement positive des titulaires de PPA au Canada. Si l’on jugeait les voitures, les téléphones cellulaires, le sexe, le mariage et les coupes de cheveux uniquement en fonction de leurs conséquences déplorables, on en viendrait à penser que tous sont dangereux et néfastes. Il est irrationnel de se borner aux inconvénients de quoi que ce soit.
Rien n’indique que les titulaires de PPA soient une source importante des armes à feu utilisées pour commettre des crimes. Rien n’indique que les autorisations de transport d’armes à feu à autorisation restreinte donnent lieu à des abus importants. En moyenne, le nombre de titulaires de PPA accusés d’homicide est si faible que Statistique Canada s’inquiète de leur fiabilité.
Chaque année depuis 20 ans, entre 13 et 20 des 2 millions de titulaires de PPA sont soupçonnés ou accusés d’homicide. Il va sans dire que tous les suspects ne sont pas accusés et que tous les accusés ne sont pas condamnés.
Comme le sénateur Pratte l’a fait valoir, la grande majorité des homicides commis avec des armes à feu le sont par des propriétaires illégaux d’armes à feu. Aucune étude valable sur le plan méthodologique n’a réussi à démontrer qu’une législation plus contraignante sur les armes à feu, ou même leur interdiction, a réduit le taux des homicides en général ou des homicides conjugaux. Mes deux collègues l’ont d’ailleurs déjà signalé.
À titre d’exemple, le gouvernement canadien a interdit en 1995 plus de la moitié de toutes les armes de poing légalement enregistrées. Non seulement ces armes de prédilection des meurtriers sont restées en circulation, mais les meurtres commis par les gangs ont augmenté. De toute évidence, l’interdiction des armes à feu ne semble pas s’avérer d’une grande utilité.
Depuis plus de 30 ans, la possession légale d’armes à feu au Canada a augmenté, mais les taux d’homicides ont diminué. Le projet de loi C-71 repose sur une supposition erronée, à savoir que les criminels se procurent leurs armes auprès de sources nationales légitimes.
Le gouvernement prétend que la source des armes à feu utilisées pour commettre des crimes a changé. C’est faux. La seule chose qui a changé, c’est la définition des armes à feu qui servent dans la perpétration de crimes. Au plus fort du registre des armes d’épaule, les données de Statistique Canada montraient que seulement 4 p. 100 des armes à feu utilisées pour commettre un homicide auraient pu être volées ou obtenues par achat illégal.
Le gouvernement ne peut pas fournir de preuves convaincantes à l’appui de ses préoccupations au sujet des problèmes entourant les autorisations de transport d’armes à autorisation restreinte. Une demande d’accès à l’information a permis d’apprendre que plus d’un million d’autorisations de transport avaient été délivrées et que 0,05 p. 100 d’entre elles, soit moins de la moitié d’un point de pourcentage, avaient donné lieu à des abus. Pour corriger cette situation, avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle loi, ou plutôt d’une meilleure gestion? L’exigence d’autorisations de transport supplémentaires entraînerait un gaspillage de ressources politiques limitées.
Les vérifications internes montrent qu’il y a un important arriéré dans le traitement des données pour la police. Cet arriéré empêche les juges et les contrôleurs des armes à feu d’avoir accès en temps opportun à des renseignements essentiels. En alourdissant la paperasserie, le projet de loi C-71 mettra en danger la sécurité publique.
Le projet de loi C-71 n’est pas un petit pas dans la bonne direction; c’est un grand recul.
La présidente : Puis-je vous demander de conclure?
M. Mauser : En résumé, le projet de loi C-71 est foncièrement défectueux. Les propriétaires d’armes à feu sont une ressource de sécurité publique et non une menace. Le branle-bas bureaucratique détourne les maigres ressources policières des programmes plus efficaces de lutte contre les criminels violents. L’alourdissement de la bureaucratie fédérale, déjà pléthorique, chargée du contrôle des armes à feu ne réglera pas le vrai problème auquel sont confrontés les jeunes dans les quartiers où sévissent les gangs ou les femmes qui se trouvent dans une relation de violence.
Je demande respectueusement au Sénat de rejeter le projet de loi C-71 et de procéder à un second examen objectif, comme il le fait ordinairement si bien. Merci de votre attention.
La sénatrice Jaffer : J’ai trouvé tous vos exposés très intéressants.
Monsieur Mauser, si je vous ai bien compris, vous avez dit que la possession d’armes à feu était une ressource. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par là?
M. Mauser : Vous intéressez-vous aux maigres ressources de la police?
La sénatrice Jaffer : Vous avez dit que la possession d’armes à feu était une ressource de sécurité publique.
M. Mauser : Je ne sais pas trop pourquoi ça ne fonctionne pas.
Tout d’abord, les chasseurs jouent le principal rôle dans la gestion de la faune au Canada. La plupart des propriétaires d’armes à feu au Canada sont des chasseurs et la chasse est un outil de gestion efficace de la faune. Les animaux, comme vous le savez, ne pratiquent pas la contraception, et c’est la chasse qui est donc le seul outil pouvant servir à contrôler les surpopulations. On pourrait embaucher des bureaucrates pour cela, mais ce serait coûteux. Les chasseurs paient le gouvernement pour abattre des animaux et contrôler des populations.
N’oublions pas toute l’industrie agricole qui nourrit les villes. Nous avons besoin de céréales, de moutons, de bœufs et de toutes sortes d’autres produits qui sont cultivés ou élevés dans les régions rurales du Canada. Les prédateurs ne manquent pas à l’appel, et ce sont les chasseurs qui permettent d’en contrôler le nombre.
La chasse et la possession d’armes à feu sont un moyen de responsabilisation des enfants. Elles contribuent au resserrement des liens familiaux. La chasse et le tir sont des sports auxquels les femmes peuvent s’adonner, tout comme les hommes, et y participer sur un pied d’égalité dans toutes les compétitions. Dans les disciplines de tir, notre équipe olympique est composée entièrement de femmes. C’est tout à l’honneur du Canada.
Il est certain que la possession d’armes à feu est une ressource précieuse, et nous devrions la considérer comme telle.
La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour M. Cohen. Je vois que vous avez été l’un des principaux rédacteurs du chapitre intitulé « Intimate Partner Violence in Canada » dans l’ouvrage Domestic Violence in International Context. Dans ce chapitre, il est dit que les taux de violence conjugale dont sont victimes les femmes autochtones sont considérablement plus élevés au Canada.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Quelles ont été vos constatations? Sur quoi étaient-elles fondées?
M. Cohen : Nous nous sommes basés sur les données fournies par la GRC sur la violence familiale ou la violence conjugale. Nous avons retenu une gamme de variables, liées à la taille de la collectivité, pouvant contribuer à la violence familiale ou interpersonnelle et une gamme de variables permettant de comparer, sur un même territoire, les localités où la violence familiale constituait un problème grave et celles où elle ne l’était pas. Nous avons ensuite examiné les données démographiques et les caractéristiques des victimes et des délinquants, en particulier celles portant sur l’âge, le sexe et l’origine ethnique.
Sur lequel de ces éléments votre question porte-t-elle précisément?
La sénatrice Jaffer : Selon votre étude, la violence faite aux femmes autochtones était beaucoup plus élevée au Canada, et j’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Pourquoi pensez-vous qu’elle était plus élevée au Canada?
M. Cohen : Les données utilisées dans notre étude laissaient simplement supposer que, chez les Autochtones, les taux de violence familiale par habitant étaient plus élevés que chez les non-Autochtones. La colonisation, la continuation de la violence intergénérationnelle, les répercussions de la vie en pensionnat sur la continuité et l’intégrité de la famille pourraient expliquer ce phénomène. L’alcool et la drogue jouent un rôle. De toute évidence, l’isolement des collectivités est un facteur, tout comme la santé mentale.
Nous avons constaté que les taux étaient plus élevés dans les collectivités autochtones. Je ne sais pas si vous suggérez ou cherchez un rapport avec les armes à feu. Je ne me souviens pas que notre étude ait abordé cette question.
La sénatrice Jaffer : Je dois donc comprendre que votre étude ne portait pas sur les armes à feu. Est-ce exact?
M. Cohen : C’est exact, oui.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Mauser. Quand je vous écoute, je perçois que l’actuel gouvernement semble davantage répondre à un lobby très actif contre les armes à feu plutôt que de mettre de l’avant de vraies solutions pour contrer la violence criminelle. D’ailleurs, il y a plusieurs années, un gouvernement de même allégeance politique avait mis en place un registre des armes à feu qui s’est avéré coûteux et inefficace. Ce registre avait créé de faux sentiments de sécurité chez les policiers et avait coûté 2,5 milliards de dollars. Aujourd’hui, on semble revenir à la même solution. On fait des interdictions sur papier sans être capable de les appliquer. Trouvez-vous qu’on mélange la politique et la sécurité et qu’on ne fait pas de différence entre les deux?
[Traduction]
M. Mauser : L’un des plus grands désavantages des audiences en comité comme celle-ci, c’est qu’on peut toujours trouver 2, 3 ou 16 experts qui ne sont pas d’accord entre eux, qui y vont d’affirmations catégoriques, bien que tout à fait contradictoires.
Un comité comme le vôtre a du mal à évaluer la méthodologie qui sous-tend les recherches que citent les experts. Il y a beaucoup de recherches bâclées. Les protagonistes adorent accumuler les affirmations qui leur sont favorables et n’appliquent pas les méthodes scientifiques appropriées.
Pour ma part, je me suis lancé dans ce dossier du contrôle des armes à feu en faisant des recherches, ce qui m’a fait découvrir à quel point les études bâclées pullulent.
La première question que vous devez vous poser est la suivante : comment les gens arrivent-ils à savoir ce qu’ils prétendent savoir? Il est très difficile pour une personne qui n’est pas un scientifique de le savoir.
Il y a deux règles. La science n’est pas une technologie fantaisiste. La science consiste à mettre en suspens ses convictions jusqu’à ce que les hypothèses soient vérifiées. La plupart des études médicales et de santé publique dont vous êtes saisis ne sont pas fondées sur cette approche scientifique. C’est pourtant le fondement de la science. Procéder à un test sophistiqué, publier une belle étude, la distribuer à ses amis en disant « Regardez comme c’est cool », cela n’est pas de la science.
La plupart des gens sont en quête de moyens de renforcer leurs opinions et leurs convictions. C’est pourquoi il est important de les mettre en suspens. J’espère que cela répond à votre question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Cohen. Vous avez dit que le Canada est l’un des pays les plus restrictifs en ce qui concerne les armes à feu. Cependant, quand on regarde ce qui s’est passé à Toronto, on ne peut pas dire que c’est une loi qui changera la façon de régler le problème des groupes criminels. Personnellement, je ne vois rien dans le projet de loi C-71 qui serait de nature à modifier l’utilisation des armes à feu par les criminels. Ces derniers achètent souvent leurs armes sur le marché noir. D’ailleurs, les policiers ne les retrouvent jamais, pour ainsi dire. Récemment, plusieurs meurtres commis étaient liés à la mafia de Montréal, et je peux vous affirmer que les policiers n’ont jamais retrouvé les armes. Avez-vous des recommandations à nous faire afin d’améliorer ce projet de loi?
[Traduction]
M. Cohen : Sauf votre respect, je dois vous dire que je suis d’accord avec mes deux collègues qui ont fait des exposés après moi, en ceci que les problèmes, pour l’essentiel, sont liés aux armes à feu utilisées pour commettre des crimes et pas nécessairement aux armes entre les mains des gens qui ont légalement le droit de les posséder.
Vous pouvez renforcer la loi en établissant des délais plus serrés pour ce qui est du dépistage des armes à feu et des règles visant l’importation des armes à feu et le transport illégal d’armes à feu entre les acheteurs bidon et les membres de gang qui se les procurent illégalement. Voilà la voie à suivre.
Je suis d’accord pour dire que le fait d’imposer des restrictions plus sévères sur la façon dont les gens peuvent obtenir légalement des armes à feu ne fera pas grand-chose, sinon rien, pour enrayer la violence des gangs qui sévissent en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique.
Un certain nombre de programmes, de campagnes de sensibilisation du public et de stratégies policières proactives pourraient aider à réduire la capacité des membres de gang ou des criminels d’obtenir et d’utiliser des armes à feu. J’encourage les efforts en ce sens.
La sénatrice McPhedran : J’ai deux questions pour vous deux. Premièrement, vos recherches ont-elles été financées par des sources américaines, notamment par la National Rifle Association?
M. Mauser : Presque toutes mes recherches sont financées par le gouvernement canadien. Une de mes études a été financée par le consulat canadien des États-Unis, et c’est une source américaine en ce sens. Aucune de mes recherches n’est financée par la NRA.
La sénatrice McPhedran : Aucune de vos recherches?
M. Mauser : Aucune.
Dr Langmann : Aucune de mes recherches n’a été financée par une organisation d’armes à feu. Je ne suis pas non plus membre, ni partisan, d’une telle organisation. Je ne suis pas en conflit d’intérêts.
Mes recherches ne sont pas du tout en contradiction avec ce qui est publié et actuellement disponible. J’ai présenté au Sénat un certain nombre de documents qui valident mon mémoire et confirment ses conclusions.
Le problème de la plupart des gens, lorsqu’ils consultent la littérature, c’est qu’ils ne lisent que l’abrégé des articles, mais non les données qu’ils contiennent. Les données qui figurent dans cette étude sont très claires. Même les études citées par bon nombre de témoins qui m’ont précédé ici indiquent très clairement que la législation sur les armes à feu ne se traduit pas par une diminution des homicides commis avec des armes à feu, ni par une diminution globale des suicides.
La sénatrice McPhedran : Je pense que vous pourrez probablement tous deux répondre à ma prochaine question par un simple oui ou non, mais permettez-moi d’abord quelques citations tirées de publications de Statistique Canada.
Dans L’homicide au Canada, 2017, Statistique Canada dit :
Le taux d’homicides perpétrés au moyen d’une arme à feu dans les régions rurales du Canada était de 16 % supérieur au taux enregistré dans les régions urbaines [...]
Puis, dans Les armes à feu et les crimes violents au Canada, 2016, Statistique Canada dit :
Le nombre de crimes liés aux armes à feu a augmenté au cours des dernières années, tandis que le nombre d’autres types de crimes a diminué. En 2016, environ 7 100 victimes de crimes violents impliquant la présence d’une arme à feu ont été dénombrées. Cela se traduit par un taux de 25 victimes de crimes violents liés aux armes à feu pour 100 000 Canadiens, un taux de 33 % supérieur à celui enregistré en 2013 [...]
Messieurs, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Statistique Canada. Est-ce que Statistique Canada se trompe? Oui ou non?
La présidente : Avant de poursuivre, sénatrice McPhedran, voulez-vous entendre la réponse des deux seuls témoins ici présents, ou voulez-vous que le témoin qui comparaît par vidéoconférence réponde également?
La sénatrice McPhedran : Toutes mes excuses. Oui, s’il vous plaît.
Dr Langmann : Sauf votre respect, je dirai que répondre par oui ou par un non n’est guère instructif. Je donne rarement de telles réponses à mes étudiants, ni n’admets qu’ils me les donnent. Accordez-moi, je vous en prie, un petit instant pour vous expliquer pourquoi.
Pour expliquer en partie l’augmentation des homicides dans les régions rurales, nous devons nous pencher sur la situation dans les réserves autochtones, qui, statistiquement, comptent pour une part appréciable des homicides au Canada. Ce n’est pas ce que nous faisons. Nous n’avons pas les données voulues.
J’ai tenté d’obtenir beaucoup de ces données auprès de Statistique Canada, mais j’ai eu de la difficulté du fait que certains chiffres étaient relativement bas, au point de compromettre la confidentialité, notamment dans le cas des homicides entre conjoints. J’étais intéressé à étudier les données portant sur les régions rurales en particulier.
Quant au taux plus élevé, soit de 16 p. 100 supérieur, dans les régions rurales, les statistiques ne sont pas toutes une bonne source d’information du fait que certaines sont tributaires de la façon dont elles sont recueillies et validées. À cet égard, certaines des statistiques les plus fiables sont celles qui se rapportent aux infractions suivantes : décharger une arme à feu avec une intention particulière, utiliser une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction et braquer une arme à feu. La police utilise ces libellés constamment. Ils figurent dans le texte de loi depuis 1988.
Si vous vous reportez à l’une des figures que j’ai donnée dans le document complémentaire, vous verrez que, après regroupement des données de l’ensemble du Canada, ce taux n’a pas varié ou augmenté.
M. Mauser : Permettez-moi de compléter brièvement ce que mon collègue vient de dire. À l’échelle nationale, la population autochtone représente environ 5 p. 100 de la population canadienne. Dans les grands centres urbains, elle compte pour environ 2 p. 100 de la population. Dans les régions rurales du Canada, elle varie de 13 à 17 p. 100 selon la région.
Selon le rapport de 2017 de Statistique Canada, les hommes autochtones représentent, corrigez-moi si je me trompe, 50 p. 100 des accusés et 37 p. 100 des victimes. Ces chiffres sont énormes si la population ne représente que 5 p. 100 de la population totale.
Les armes à feu sont réglementées de façon totalement différente sur les réserves qu’en dehors des réserves. Si vous parlez aux policiers de Vancouver ou de Toronto, il est évident que le nombre d’Autochtones en milieu urbain à Vancouver qui sont responsables de la criminalité est disproportionné.
Les armes à feu ne sont pas le problème; la cause est les problèmes sociaux. Presque toutes les Premières Nations sont bien administrées et ont de bons citoyens. Certaines ne le sont pas, et c’est là notre problème.
M. Cohen : Je suis d’accord avec mes deux collègues. Statistique Canada recueille des données de certaines façons. Dans bien des cas, en ce qui concerne les armes à feu, les données viennent de la police. Il y a différentes façons d’interpréter, de recueillir et de déterminer les données à inclure.
Je ne dirais pas nécessairement que les données de Statistique Canada sont erronées ou inexactes. Je dirais qu’elles sont peut-être incomplètes. Comme mes deux autres collègues l’ont dit, il y a des façons d’interpréter, d’inclure et d’exclure des données.
Je suis d’accord pour dire que les problèmes sociaux contribuent davantage à ces problèmes de criminalité que les armes à feu.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Mauser, partons de l’hypothèse que le projet de loi C-71 est adopté, la GRC, et non le gouverneur en conseil, serait le seul organisme habilité à classer ou à reclasser les armes à feu.
La GRC est-elle la seule entité au Canada qui possède une expertise technique en matière d’armes à feu, ou y a-t-il d’autres experts techniques? Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. Mauser : Non, certainement pas. Il y a beaucoup d’experts techniques au Canada qui ont la même expertise que la GRC. C’est un volet des merveilleuses traditions britanniques et françaises : l’application de la loi est séparée de l’élaboration de la loi. Il semble excessivement irresponsable que les policiers soient les créateurs ainsi que les responsables de l’application de ces règlements.
Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question porte sur les autorisations automatiques de transport en cas de cession. Nous reconnaissons tous que le projet de loi C-71 imposerait des règles strictes concernant le transport des armes à feu à autorisation restreinte et des armes à feu prohibées et éliminerait les autorisations automatiques de transport d’une résidence à un endroit autre qu’un club de tir ou un champ de tir agréé.
Propose-t-on des changements parce que des personnes transportaient leurs armes à feu sur de longues distances dans leur province d’origine? Sinon, quelles sont les raisons qui expliquent les changements proposés?
M. Mauser : En réponse à des demandes d’accès à l’information, la GRC et la police de l’Ontario ont signalé que moins de 1 p. 100 des autorisations de transports d’armes à feu à autorisation restreinte entraînaient des problèmes, qu’ils soient d’ordre criminel ou administratif.
Il s’agit d’un problème microscopique et, par conséquent, je ne vois pas en quoi le fait d’alourdir le fardeau administratif des services du CAF pour résoudre ce problème aide. La police de l’Ontario a signalé qu’il lui en coûtait 1 million de dollars par année pour revenir à l’ancien système.
Dr Langmann : J’ai également examiné la question des autorisations de transport d’armes à feu à autorisation restreinte dans cette loi et son incidence sur les homicides et la violence par armes à feu. Dans notre mémoire, nous avons également étudié la décharge d’une arme à feu avec intention. Avec la mise en œuvre des autorisations de transport d’armes à feu à autorisation restreinte dans les années 1930 et les changements qui y ont été apportés dans les années 1990, l’incidence de la violence et des homicides n’a pas changé.
Par la suite, nous avons présenté les demandes d’accès à l’information dont M. Mauser a parlé.
Le sénateur Kutcher : Avant de poser mes deux questions, je veux m’assurer d’avoir bien compris, monsieur Mauser. Je crois que vous avez dit avoir comparé les effets secondaires des torts causés par les coupes de cheveux à ceux causés par les armes à feu.
Plus tôt aujourd’hui, nous avons entendu des représentants de Poly se souvient et des gens qui étaient présents lors des fusillades à la mosquée de Québec. J’espère que vous n’avez pas déduit que les préjudices causés par les coupes de cheveux sont les mêmes que ceux causés par les armes à feu.
J’ai deux questions.
La sénatrice McPhedran : Est-ce que c’est drôle? Il rit.
M. Mauser : Est-ce que c’était une question?
Le sénateur Kutcher : Je ne trouve pas que c’est amusant.
M. Mauser : Je vous demande : est-ce que c’était une question?
Le sénateur Kutcher : Ce n’était pas une question. C’était une déclaration.
Docteur Langmann, il est intéressant de mentionner que, selon un examen critique récent de Stroebe dans lequel on peut voir des points de vue très différents des vôtres, un examen très bien fait au moyen des niveaux Cochrane.
On peut y lire qu’à quelques rares exceptions près, les études ont révélé un lien entre la possession d’armes à feu et les suicides et les homicides par armes à feu. De plus, il est prouvé que les armes à feu ne servent pas simplement à remplacer d’autres moyens de tuer, mais qu’elles augmentent les taux globaux de suicide et d’homicide.
Il y a des exceptions. Pourquoi pensez-vous que Stroebe, qui a examiné la littérature mondiale aux niveaux individuel, macro et national, a un point de vue si différent de vous?
Dr Langmann : Nombre études sont classées en deux catégories. Certaines sont transversales et d’autres sont chronologiques.
Kleck a examiné ces études et la méthodologie sur laquelle elles se basent. Les études de séries chronologiques sont intrinsèquement meilleures que les études transversales. Des études transversales comparent deux États entre eux pour une même législature, principalement aux États-Unis.
Le problème avec ces études touche divers aspects. Il y a différents facteurs dans chaque État qui contribuent à la fois aux homicides et aux suicides qui ne peuvent pas être mesurés facilement et qu’on ne peut pas déduire. Par conséquent, les meilleures études sont celles qui portent sur l’analyse des séries chronologiques. Vous prenez la période de temps qui précède la loi, puis vous adoptez la loi ou l’intervention et vous étudiez la période de temps qui suit.
Beaucoup de ces études ont été menées en Australie et au Canada. M. Mauser et moi-même en avons fait; plusieurs études ont été réalisées en Australie. Elles sont de meilleure qualité. Dans ces pays, il n’y a pas de sources extérieures qui traversent les frontières aussi facilement qu’aux États-Unis où il y a manifestement des différences sur le plan législatif. De plus, on peut facilement regarder ce qui s’est passé avant et ce qui s’est passé par la suite.
Quand on lit toutes ces études, même celles qui sont citées comme Chapman, on constate qu’il n’y a pas de diminution associée aux homicides commis à l’aide d’une arme à feu.
Le sénateur Kutcher : Il y a des études qui sont plus faibles et d’autres qui sont meilleures.
Dr Langmann : Gary Kleck et moi-même avons présenté ce document.
Le sénateur Kutcher : Je vous en remercie. À votre avis, des études quasi expérimentales seraient de toute évidence meilleures que des études menées à partir de bases de données locales. Elles résistent mieux à un examen critique.
Dr Langmann : Vous pourriez avoir un problème de validité.
Le sénateur Kutcher : Elles résistent beaucoup mieux aux examens critiques. Pourriez-vous nous expliquer l’étude qu’ont faite les forces de défense israéliennes sur 1,2 million de soldats, une possibilité d’étude longitudinale quasi expérimentale de cohortes, laquelle montre une diminution de 57 p. 100 du taux de suicide et aucune substitution pour un autre type de décès à la suite du contrôle des armes à feu?
Pourriez-vous nous aider avec une étude beaucoup plus robuste, bien meilleure qu’une étude d’analyse temporelle et bien meilleure qu’une analyse de régression binomiale? Qu’en pensez-vous?
Dr Langmann : Pourquoi diriez-vous que c’est mieux que la régression binomiale?
Le sénateur Kutcher : Je m’attendais à ce que vous disiez cela. Pourriez-vous répondre à ma question concernant l’étude des forces de défense israéliennes?
Dr Langmann : Je n’ai pas cette étude sous les yeux.
Le sénateur Kutcher : Vous êtes l’expert, et vous n’avez pas cette étude sous les yeux.
M. Mauser : Vous pourriez peut-être lui poser une question.
Le sénateur Kutcher : Je pose des questions très précises.
La présidente : Pouvons-nous simplement permettre au témoin de répondre à la question?
Dr Langmann : Je vous dirais qu’il s’agit d’une petite cohorte de personnes. Ce sont des militaires. Ils ont des antécédents tout à fait différents d’un grand nombre de personnes au Canada et en Australie qui ne sont pas obligées de s’enrôler dans les forces armées et qui n’en subissent pas les conséquences.
Les lois australiennes et canadiennes sont bonnes pour les études. Lorsqu’on les regroupe et les analyse, on ne voit pas de changement dans le taux global de suicide. Il y a un changement dans le taux de suicide par arme à feu lorsqu’on réduit la fréquence des armes à feu. Dans l’ensemble, le taux de suicide ne change pas.
Les gens utilisent d’autres méthodes, et c’est là le problème. La plupart de ces études le démontrent.
Le sénateur Plett : J’ai une question pour chacun de nos témoins et je vais essayer d’être bref.
Docteur Langmann, le sénateur Pratte a fait des allégations selon lesquelles les propriétaires d’armes à feu appartiennent à un groupe démographique plus dangereux que la population générale du Canada. Le sénateur affirme que les propriétaires de permis représentent 7 p. 100 de la population adulte du Canada, mais qu’ils comptent pour au moins 12 p. 100 des homicides commis avec une arme à feu chaque année.
Je crois que la sénatrice McPhedran a peut-être mentionné ces mêmes chiffres dans une question qu’elle a posée à un groupe de témoins précédent.
Je crois savoir que vous avez fait des travaux dans ce domaine. Je me demande si vous pourriez expliquer au comité si cette allégation est inexacte et trompeuse et, dans l’affirmative, pourquoi?
Dr Langmann : Avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas que c’est ce que le sénateur Pratte m’a dit précisément.
Le sénateur Plett : Je n’ai pas laissé entendre qu’il vous l’avait dit. J’ai dit qu’il l’avait dit.
Dr Langmann : Je ne peux pas répondre à cette question. Je peux dire qu’il m’a montré des données et qu’il m’a posé des questions sur le nombre et le pourcentage de propriétaires légitimes d’armes à feu qui ont commis des homicides. Au départ, il m’a demandé comment ces chiffres se comparent au reste du Canada. J’ai répondu que, pour faire cette comparaison, il faut examiner les hommes au Canada qui ne possèdent pas d’armes à feu, qui n’ont pas de permis et qui sont âgés de plus de 18 ans.
Dans l’ensemble de la population canadienne, qui comprend les enfants et les femmes, 90 p. 100 des propriétaires d’armes à feu sont des hommes. En général, les femmes ne possèdent pas d’armes à feu. En général, elles commettent aussi moins d’homicides.
Si on veut faire une comparaison, il faut prendre les mêmes cohortes et les comparer aux propriétaires d’armes à feu. Lorsqu’on fait cette comparaison et qu’on tient compte du pourcentage d’hommes dans la société, ainsi que de ceux qui ont plus de 18 ans, on constate que les Canadiens propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis sont moins susceptibles de commettre des homicides avec une arme à feu que les Canadiens qui n’ont pas de permis.
Le sénateur Plett : Je m’excuse auprès de la présidente, mais mon préambule sera un peu long. Ces commentaires ont été faits par un témoin ici la semaine dernière, et je pense que vous devriez avoir l’occasion d’y répondre.
Nous avons entendu le témoignage de Mme Wendy Cukier qui a parlé de votre travail. Je la cite :
L’une des études qu’il a effectuées portait sur le fait de s’armer pour se protéger. L’étude initiale a été financée par la National Firearms Association et est bien connue. Son étude comprenait un sondage — encore une fois, mené auprès d’un échantillon de Canadiens — qui posait la question suivante : est-ce qu’un membre de votre ménage ou vous-même avez utilisé une arme à feu au cours des cinq dernières années dans le but de vous protéger? Le cas échéant, était-ce contre une personne ou un animal?
Il a pris le pourcentage de personnes qui avaient répondu par l’affirmative et a extrapolé en fonction de la population du Canada pour conclure qu’un très grand nombre de Canadiens avaient utilisé une arme à feu pour se protéger.
Puis elle a dit :
David Hemenway, de la Harvard School of Public Health, a répondu à cette étude en la comparant à une autre qui avait été effectuée, et dont les résultats étaient très semblables, dans le cadre de laquelle on avait demandé à des Américains s’ils avaient déjà vu un OVNI et s’ils avaient été enlevés par un extraterrestre. Vous pouvez regarder les données; je serais ravie de les envoyer au Sénat. Il a fait valoir que M. Mauser utilisait exactement la même méthodologie et que, si on l’appliquait à l’étude concernant les apparitions d’OVNI, on conclurait qu’une proportion très importante d’Américains ont été enlevés par des extraterrestres. À mon avis, certaines des recherches qu’il a effectuées comportent des lacunes réelles.
Je suppose que vous n’êtes peut-être pas d’accord avec sa conclusion, mais a-t-elle bien décrit votre recherche?
M. Mauser : Non, elle ne l’a pas fait. La première question que l’on devrait examiner dans les sondages, lorsqu’on pose des questions sur les comportements très peu fréquents, c’est qu’il peut y avoir et qu’il y a souvent de faux positifs et de faux négatifs. La clé pour pouvoir mener des recherches exactes n’est pas de fonder une conclusion sur une seule question, comme l’affirme Mme Cukier.
Si vous regardez l’étude elle-même, ainsi que les autres études du professeur Kleck, une vingtaine d’études distinctes comportaient de 15 à 17 questions servant à évaluer la valeur des réponses des gens.
À tout le moins, l’utilisation d’une arme à feu à des fins de protection est un acte moralement controversé. C’est très problématique. C’est peut-être un acte illégal.
La personne à l’autre bout du fil ne sait pas à qui elle parle. Dans une telle situation, il serait tout à fait raisonnable de penser qu’il est plus probable que le répondant nie un événement réel qu’il crée volontairement un événement positif.
La recherche en question a été publiée par Gary Kleck dans son livre primé, Targeting Guns. Le professeur Kleck et moi avons travaillé ensemble à cette recherche et elle est très bien vue. Le commentaire sarcastique du professeur Hemenway est effectivement drôle, mais c’est une hypothèse unilatérale, ce qui n’est pas une bonne façon d’évaluer la recherche.
Le sénateur Plett : Monsieur Cohen, en raison du manque général de recherche contemporaine, il est extrêmement difficile d’évaluer l’utilité et l’efficacité des politiques et des programmes d’intervention actuels. De plus, en raison du manque de données empiriques fiables sur les armes à feu et la violence, y compris les suicides, il est pratiquement impossible d’entreprendre une analyse comparative ou d’élaborer des réponses plus efficaces. En somme, les données actuelles ne sont généralement pas concluantes et présentent tout un éventail de défis et de limites méthodologiques.
Ce sont vos paroles, monsieur Cohen. Pourriez-vous nous dire comment il se fait que certaines personnes soient tellement convaincues qu’il suffit de renforcer le contrôle des armes à feu lorsqu’il n’est même pas clair si les politiques actuelles fonctionnent?
M. Cohen : Comme on l’a mentionné à plusieurs reprises aujourd’hui, il y a des données concurrentes des deux côtés. Il est difficile de trouver des recherches qui sont à la fois rigoureuses sur le plan méthodologique et qui peuvent aborder des questions plus vastes. La plupart des études effectuées comportent diverses limites méthodologiques.
Lorsque vous comparez la recherche effectuée au Canada à celle effectuée au Royaume-Uni ou aux États-Unis, il y a de nombreuses différences entre les pays qui rendent la comparaison simple entre deux variables très difficile.
Comme on l’a souligné aujourd’hui, une grande partie de la recherche, particulièrement en ce qui concerne le Canada, remonte à une décennie ou encore plus loin. Je dirais respectueusement qu’il faut faire beaucoup plus de recherches, tant à l’étape préliminaire qu’à l’étape de l’évaluation des processus, des programmes et des lois, avant de pouvoir affirmer qualitativement, quantitativement et définitivement que telle chose fonctionne et que telle autre ne fonctionne pas.
Comme en témoignent clairement les discussions de cet après-midi, il y a de la recherche d’un côté et il y a de la recherche concurrente de l’autre. Certains diront qu’une recherche est plus solide qu’une autre. Prenons par exemple la recherche récente de RAND Corporation, dans laquelle on essaie de faire une méta-analyse de toutes les recherches publiées et de déterminer ce qui constitue une méthodologie rigoureuse.
Ils ont une norme rigoureuse pour déterminer ce qui est considéré comme une méthodologie solide. En somme, quelques études répondent à leurs normes et les conclusions de bon nombre d’études ne sont pas concluantes.
Le sénateur Pratte : Docteur Langmann, dans le mémoire que vous avez présenté au comité de la sécurité publique de la Chambre des communes, vous expliquez, comme vous nous l’avez expliqué, que d’après vos recherches, la plupart des initiatives ou des lois en matière de contrôle des armes à feu n’ont pas donné les résultats escomptés.
Vous dites dans votre mémoire que la classification des armes à feu ne présente aucun avantage sur le plan de la sécurité publique et qu’elle devrait être abandonnée.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Selon votre recherche, est-ce que cela veut dire qu’on devrait se débarrasser de tout le système de classification et que toutes les armes à feu seraient sans restriction?
Dr Langmann : Toutes les armes à feu sont dangereuses dans différents contextes. Je l’admets volontiers. Beaucoup d’armes à feu ont changé de classe dans les années 1990, et mes recherches n’ont révélé aucun changement statistiquement significatif.
Je ne suis pas le seul, parce que Blaise et coll. de Montréal ont montré la même chose dans leur document que j’ai soumis. Il y a un certain nombre d’études aux États-Unis puisque certains États ont restreint l’utilisation de ces armes. De plus, une interdiction des armes d’assaut a été imposée aux États-Unis, ce qui n’a entraîné aucun changement dans les homicides commis avec une arme à feu.
Si vous prenez le nombre d’homicides commis avec un fusil aux États-Unis, vous verrez que leur nombre est assez négligeable comparativement au nombre d’homicides commis avec une arme de poing.
Le sénateur Pratte : Nous ne parlons pas des États-Unis. Nous ne parlons pas non plus d’une interdiction.
Dr Langmann : Je suis d’accord, mais les gens ont parlé d’Israël, de l’Australie et d’autres pays. Au Canada, aucun avantage n’a été prouvé. Le coût est élevé. Cela donne lieu à un certain nombre de débats comme celui que nous avons ici.
Il serait plus judicieux de diriger ces fonds vers les gens qui ont besoin d’aide dès maintenant : les jeunes à risque. D’après les recherches menées par le gouvernement lui-même sur les programmes pour les jeunes qui font appel à la thérapie cognitivo-comportementale et à d’autres méthodes, il est évident que les mesures pour réduire la participation des jeunes aux gangs de rue fonctionnent. Elles réduisent de 50 p. 100 le nombre de leurs membres. Elles sont durables. Elles améliorent des vies. Elles auraient certainement une incidence sur les homicides au Canada, parce que c’est là que nous constatons une augmentation du nombre d’homicides commis.
Le sénateur Pratte : Le gouvernement investit beaucoup d’argent dans la prévention chez les jeunes, par exemple. Je veux m’assurer de bien comprendre. Vous dites que votre recherche a prouvé que la classification des armes à feu ne fonctionne pas, mais vous allez plus loin en disant qu’il faudrait y mettre fin. Si je comprends bien, toutes les armes à feu seraient sans restriction, n’est-ce pas?
Les armes de poing, les armes d’assaut, les armes automatiques et toutes les armes prohibées deviendraient simplement sans restriction, puisque vos recherches ont montré que les classes ne fonctionnent pas, n’est-ce pas?
Dr Langmann : Exact.
Le sénateur Pratte : Vous affirmiez également dans votre mémoire à la Chambre des communes que :
... les questions portant sur le suicide, la dépression et les problèmes émotionnels, le divorce, la séparation, la perte d’emploi et la faillite doivent être supprimées conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Dites-vous que le gouvernement ne devrait pas faire enquête sur les problèmes de santé mentale ou les tentatives de suicide antérieures d’une personne avant de lui délivrer un permis d’arme à feu?
Dr Langmann : Je ne suis pas le seul à le dire. C’est précisément ce que dit le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. En 2001, il a entrepris une étude sur ces questions précises, lesquelles se trouvent actuellement dans le formulaire de demande du programme des armes à feu et portent sur le suicide et les tentatives de suicide ainsi que la toxicomanie.
En examinant les preuves, les responsables ont constaté qu’il n’y avait aucun avantage à recueillir ces données. En fait, il y avait un risque sur le plan de la confidentialité et, par conséquent, il n’était pas nécessaire de les recueillir.
Je suis urgentologue. Je vois des patients déprimés tous les jours. La plupart du temps, je dois conformément à la Loi sur la santé mentale inscrire une personne sur un formulaire et la garder jusqu’à ce qu’un psychiatre l’ait vu. La grande majorité de ces formulaires sont annulés après que la personne a été vue.
Il est extrêmement difficile de prédire qui va se suicider. Il n’y a pas d’algorithmes que nous pouvons appliquer en médecine pour le prédire. Nos études sont médiocres. Nous n’avons même pas une bonne idée des facteurs de risque, ce qui semble un peu étrange.
Le sénateur Pratte : Avec ce que vous proposez, le gouvernement délivrerait des permis d’armes à feu sans même poser de questions sur la santé mentale ou les tentatives de suicide antérieures.
Dr Langmann : Voici le problème : vous aurez un taux élevé de faux positifs avec cette collecte de données, surtout si vous commencez à recueillir le nombre de personnes qui ont été inscrites sur les formulaires conformément à la Loi sur la santé mentale.
Il y aurait un grand nombre de Canadiens à qui il serait interdit, peut-être, d’avoir des armes à feu et qui ne se suicideraient jamais.
Le sénateur Pratte : Selon vos données, quelle partie du régime de contrôle des armes à feu devrait être conservée et quelle partie devrait tout simplement être démantelée?
Dr Langmann : Avoir une liste de personnes qui ne devraient pas avoir le droit de posséder des armes à feu pourrait avoir certains avantages. À l’heure actuelle, les tribunaux le font en plaçant les gens sous ordonnance judiciaire pour interdire à ces derniers de posséder des armes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Docteure Langman, je comprends parfaitement bien le point de vue des personnes qui défendent le projet de loi actuel parce qu’elles ont été victimes d’actes de violence inouïs. Je pense que le fait de défendre une telle cause donne un sens à leur lutte. Je les comprends, parce que j’ai moi-même traversé des épreuves douloureuses. Lorsqu’on défend une cause, on est convaincu d’une chose, mais on perd un peu la notion d’objectivité. C’est d’ailleurs sur ce point que j’aimerais attirer votre attention.
Des gens disent que la mise en place d’un registre des armes à feu au Canada en 1995 a permis de sauver 300 vies de 1995 à 2010. Au fond, ils prennent une référence stricte à partir du registre, mais ils oublient de comparer cette période à une période antérieure où, souvent, le nombre de décès, soit par suicide ou par homicide, est plus bas. Donc, j’ai de la difficulté avec les gens qui affirment que le registre a permis de sauver de nombreuses vies. Les citoyens ont l’impression qu’au lendemain de l’adoption du projet de loi C-71, notamment à Toronto, ils seront en sécurité au centre-ville. Je suis convaincu que des citoyens y croient.
J’aimerais vous ramener au centre du débat, soit de 1979 jusqu’à 2010, et à l’évolution qu’on a connue quant à la réduction du nombre d’homicides. Selon vous, y a-t-il un lien avec la mise en place ou non d’un registre d’armes à feu?
[Traduction]
Dr Langmann : Je comprends le point de vue de ces gens. Je vois de la violence tous les jours. Si vous voulez concevoir une politique publique, vous devez tenir compte des dépenses et des conséquences que celle-ci peut avoir sur d’autres personnes qui en subiront les conséquences imprévues.
J’en ai parlé un peu lorsque j’ai mentionné les gens qui ne pourront plus participer aux sports de tir ou à la chasse en raison de leurs antécédents en santé mentale et la quantité énorme de renseignements confidentiels que nous recueillons sur les gens.
Comme médecin, je crains qu’un jour, je ne sois obligé de dévoiler les dossiers de mes patients. Cela me fait un peu peur. Je ne veux pas me retrouver dans une situation où un patient qui vient me voir a peur de moi, parce que je pourrais lui enlever des biens qui lui appartiennent.
Je sympathise entièrement avec les gens qui ont été victimes de violence ou avec les membres de leur famille. Je ne pense pas que ce soit amusant du tout.
Certaines interventions nécessaires sont obscurcies par beaucoup de distractions. J’ai passé en revue certaines de ces interventions nécessaires. Nous devons commencer à accorder plus d’attention à la santé mentale. À l’heure actuelle, il me faut de trois à six mois pour renvoyer un patient à un psychiatre.
Quand quelqu’un vient me voir et me dit qu’il a besoin d’aide maintenant, qu’il s’écroule et qu’il meurt à l’intérieur, je dois lui dire qu’il lui faudra trois mois pour voir quelqu’un et obtenir de l’aide. J’aggrave le problème. Le patient devient encore plus agité.
Nous investissons beaucoup d’argent dans le Programme canadien des armes à feu. Selon certaines projections, ce serait 53 millions de dollars par année. Je ne peux qu’imaginer ce que mon hôpital pourrait faire avec un million de dollars de plus pour aider les gens ou certains enfants à risque qui se présentent aux urgences.
Ces gens ont été victimes de la violence des gangs. Ils ont été agressés. Ils n’ont nulle part où aller. Ils n’ont pas vraiment de famille pour s’occuper d’eux. Ils ne peuvent aller vers aucun programme pour changer leur façon de penser et recanaliser leur attention et leur énergie vers quelque chose de positif dans leur vie. Nous devons nous pencher sur ces mesures, et nous n’avons pas tout cet argent à dépenser.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai également une autre crainte quant au nombre de personnes qui sont en attente d’obtenir une autorisation. Au Yukon, environ 2 000 personnes sont en attente d’une décision de la part d’un corps policier ou du système de santé. Dans tout le Canada, il pourrait y avoir près de 10 000 dossiers en retard. Les gens attendent d’obtenir une réponse d’un médecin ou d’un corps policier. Les gens attendent cinq, six ou même sept ans avant d’obtenir une réponse. Quelles sont les chances qu’ils décident de s’acheter une arme illégale? Dans le cas des gens en attente d’une réponse qui souhaitent acquérir une arme strictement pour chasser ou à titre créatif, selon vous, quelles pourraient être les conséquences?
[Traduction]
Dr Langmann : Je pense que les conséquences pour ces personnes sont probablement négligeables sur le plan des homicides ou des suicides. Ces personnes sont généralement respectueuses des lois, attendent et ne s’adonnent plus à leurs activités.
Comme nous l’avons déjà dit, le programme est déjà au maximum de sa capacité. Je ne crois pas qu’on examine la plupart des demandes. Il y a des gens qui passent entre les mailles du filet, et nous avons constaté des problèmes à cet égard.
Si l’on augmente encore de cinq ans ou plus les vérifications des antécédents, la charge du programme sera trop lourde et ses coûts augmenteront. Nous ne savons vraiment pas quel sera le coût.
Comme je l’ai déjà dit, il y aura beaucoup de faux positifs. Les détenteurs qui ont leur permis d’armes à feu depuis cinq ans devront présenter une nouvelle demande. On retournera 10 ou 15 ans en arrière, alors que ces gens étaient peut-être dans l’armée et qu’ils avaient des problèmes de stress post-traumatique ou quelque chose du genre. Ils ne pourront plus pratiquer leur sport. Ils devront aussi me demander d’approuver leur demande de permis d’arme à feu.
C’est un problème pour certains médecins parce que cette situation nous expose aussi à des risques. Je n’ai pas de bon moyen pour juger si quelqu’un est compétent pour posséder une arme à feu. Il y a des gens pour qui il est évident qu’ils ne devraient pas en avoir, mais pour la plupart, c’est difficile de le déterminer. Nous ne pouvons pas utiliser d’algorithmes, de facteurs de risque ou de projections.
La plupart des médecins qui prennent ce risque disent : « Je ne veux pas vraiment prendre ce risque. Si je donne mon approbation et que cet homme fait quelque chose de stupide ou se tue, la famille va me poursuivre et intenter des actions en justice. Il vaut mieux que je ne signe pas. »
J’ai travaillé à plusieurs reprises avec le contrôleur des armes à feu à Hamilton avec des patients qui avaient une maladie mentale. Ce contrôleur des armes à feu est assez bon pour faire la différence et résoudre certains des problèmes, mais ce n’est pas un fardeau facile.
Je suis prêt à travailler avec eux, mais il y a peut-être des médecins qui ne le sont pas. C’est une décision sérieuse à remettre entre les mains d’un médecin.
Le sénateur Richards : Je serai bref. Je suis allé en Australie à deux reprises. J’adore ce pays. Les gens ressemblent beaucoup aux Canadiens. Nous nous entendons assez bien.
L’Australie a été présentée comme un modèle efficace d’interdiction des armes à feu, mais quelle est la corrélation entre les lois australiennes sur les armes à feu et le nombre de meurtres? Les lois ont-elles permis de réduire le nombre de meurtres ou d’homicides?
Dr Langmann : Comme je l’ai déjà dit, il y a un certain nombre d’études en Australie. Dans une étude récente menée en 2018 en Australie, Gilmore a utilisé la différence dans la modélisation des différences pour la période antérieure et postérieure aux lois. L’étude n’a révélé aucune diminution statistiquement significative du nombre d’homicides commis avec une arme à feu et du nombre de suicides en général.
La plupart des autres études montrent la même chose que Lee et Suardi, Baker et McPhedran et Cleveland. J’ai soumis ces études au Sénat.
Récemment, il y a eu deux fusillades de masse de plus de cinq personnes. Il y a eu un certain nombre d’homicides de masse en Australie. La plupart sont des incendies criminels où 20 personnes ont été tuées et un autre où environ 11 personnes sont mortes. Il y a aussi eu une attaque avec une fourgonnette en Australie. Ces homicides de masse sont très difficiles à prévoir et à prévenir. Je ne pense pas que les données probantes en Australie montrent qu’il y a des avantages.
Peu importe ce que disent les médias, il faut lire ces rapports. En les lisant, vous verrez qu’ils montrent clairement ces données.
M. Cohen : Avant les changements législatifs apportés en 1996, selon de bonnes recherches, il y a eu 13 fusillades de masse en 18 ans en Australie et il n’y a pas eu de fusillades de masse dans les 20 années qui ont suivi les changements législatifs. C’est différent des autres tueries de masse dont on vient de parler.
Je ne connais pas les détails du taux d’homicides à proprement parler. En ce qui concerne les fusillades de masse, les chercheurs ont mis en évidence ce qu’ont démontré les lois restrictives, du moins dans la recherche corrélative. Ils ont établi un lien avec leur efficacité étant donné qu’il n’y a pas eu de fusillades de masse.
Dr Langmann : En Australie, la Loi sur les armes à feu a rendu illégales un certain nombre d’armes à feu. Seulement deux des fusillades de masse en Australie ont été perpétrées avec des armes à feu qui ont été déclarées illégales. Le reste des fusillades de masse ont été perpétrées avec des armes à feu qui sont encore disponibles.
La présidente : Au nom du comité, permettez-moi de remercier le Dr Langmann, le professeur Mauser et le directeur Cohen. Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes, le temps de changer de groupe de témoins.
[Français]
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Nous allons poursuivre la séance avec notre prochain groupe de témoins. Nous avons le plaisir de recevoir, de la Canadian Sporting Arms and Ammunition Association, M. Wes Winkel, président, ainsi que Mme de Groot, directrice, de même que M. Adam Caruana, directeur de Firearms Outlet Canada, et M. Matthew Hipwell, de Wolverine Supplies. Nous allons commencer avec la présentation de M. Winkel.
[Traduction]
Alison de Groot, directrice, Association de l’industrie canadienne des munitions et armes de sport : Merci, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, chers collègues. L’Association de l’industrie canadienne des munitions et armes de sport représente des propriétaires d’entreprises dans le secteur des armes de sport, dont des fabricants, des importateurs, des distributeurs, des grossistes, des vendeurs et des armuriers. La majorité de nos membres sont des propriétaires de petites entreprises, le segment qui est le moteur de l’économie canadienne. La plupart de nos entreprises membres sont situées dans des collectivités rurales et non urbaines, des collectivités du Nord et des communautés autochtones.
De l’avis de nos propriétaires d’entreprise, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui est mal conçu, motivé par des considérations idéologiques et ne tient pas compte des répercussions importantes qu’il aura sur les 4 500 entreprises autorisées d’armes à feu au Canada ou les 25 000 employés qui travaillent dans ces entreprises locales.
Le gouvernement a l’intention d’imposer une mesure législative mal rédigée et mal conçue à notre industrie au Canada simplement pour dire qu’il a adopté un projet de loi. Le gouvernement a déclaré que cette mesure législative vise à renforcer la sécurité publique, à régler le problème croissant de la violence des gangs et à réduire le nombre de transactions illégales d’armes à feu.
En tant qu’industrie, nous ne voyons aucune disposition qui nous permette d’atteindre ces objectifs. Nous sommes tout aussi motivés à mettre fin aux transactions illégales d’armes à feu au Canada. Les transactions illégales d’armes à feu ne profitent pas à nos propriétaires d’entreprise.
Avec ce projet de loi, le gouvernement impose de nouvelles exigences à l’industrie — lesquelles ne font que transférer le fardeau de la traçabilité à nos propriétaires d’entreprise — pour éviter d’être considéré comme le créateur d’un nouveau registre des armes d’épaule et ne tient pas compte des répercussions sur nos entreprises. Parmi ces répercussions, citons notamment l’assurance, la responsabilité légale, la conformité, la sécurité au travail et la gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Au cours de nos discussions avec le gouvernement et le ministère, notre association a offert à maintes reprises son expertise pour aider à rédiger le projet de loi et à le rendre moins néfaste pour les membres de notre industrie. Jusqu’à maintenant, le gouvernement n’a pas donné suite à nos offres, même s’il a accepté notre invitation à tenir des tables rondes et des groupes de travail sur de nombreuses questions techniques associées au projet de loi.
Malgré notre opposition au projet de loi, nous sommes ici aujourd’hui pour vous présenter nos exigences qui sont très pratiques en ce qui concerne ce projet de loi. Le président de notre conseil, Wes Winkel, va vous les présenter. Merci.
Wes Winkel, président, Association de l’industrie canadienne des munitions et armes de sport : Je suis également le propriétaire et exploitant d’Ellwood Epps Sporting Goods à Orillia, en Ontario. Je suis dans les affaires depuis plus de 20 ans, et j’ai défendu les sports de tir et la chasse toute ma vie. Je suis ici aujourd’hui en tant que propriétaire d’une petite entreprise et membre très inquiet de l’industrie des armes à feu. J’ai été témoin des montagnes russes de changements législatifs au cours de mes quelque 20 années dans les affaires.
Comme les entreprises canadiennes concernées ne participent pas à l’élaboration du projet de loi, ces initiatives n’atteignent souvent pas leurs objectifs. Sans certains changements, le projet de loi C-71 s’inscrira également dans cette catégorie.
Les changements que nous demandons sont les suivants :
L’association demande à être consultée et à participer directement à la conception et à la mise en œuvre de la réglementation qui régira ses entreprises membres. En tant qu’experts de la fabrication, de l’importation et de l’exportation, de la distribution et de la vente au détail d’armes à feu, l’association peut offrir au gouvernement une expertise technique sur les aspects qui touchent la sécurité publique et l’incidence économique des mesures réglementaires et législatives du projet de loi.
L’association demande au ministre de la Sécurité publique de mettre en œuvre des lignes directrices pour structurer le processus de classement de la GRC pour les nouveaux produits qui arrivent sur le marché canadien et pour les produits pour lesquels un nouveau classement est envisagé.
L’association recommande que le ministre crée un processus d’appel pour les décisions prises par la GRC conformément à ce cadre. L’association est prête à collaborer avec le cabinet du ministre pour rédiger un cadre qui prévoit un délai maximum pour que la GRC approuve les nouveaux produits et un processus d’avis qui informera l’industrie quand un produit pourrait être reclassé, avec un délai minimal pour apporter les changements à la fabrication, à l’importation et à la distribution au détail des produits.
L’association recommande que le projet de loi C-71 soit assorti d’un financement adéquat pour le Centre des armes à feu Canada et les bureaux provinciaux du contrôleur des armes à feu dans chaque province pour que les exigences des entreprises et les services fournis par ces bureaux soient respectés et que les engagements prévus dans la loi soient respectés.
L’association recommande au ministre d’investir dans la formation, la technologie et le personnel nécessaires pour l’exécution du projet de loi C-71 et pour éviter les interruptions pour les propriétaires d’entreprises d’armes de sport.
L’association recommande de maintenir les privilèges d’autorisation automatique de transport à destination et en provenance de l’entreprise autorisée. Il ne devrait y avoir aucun obstacle pour qu’un propriétaire d’arme à feu puisse entretenir son arme à feu de façon appropriée, ce qui est dans l’intérêt de la sécurité publique. Les conséquences possibles du retrait des autorisations automatiques de transport pour les entreprises d’armes à feu titulaires d’un permis sont dévastatrices.
Enfin, l’association recommande que le ministre de la Sécurité publique nomme un représentant de notre organisme au Comité consultatif sur les armes à feu du gouvernement pour représenter les propriétaires de petites entreprises de l’industrie des armes de sport. L’association apportera une expertise technique et économique dans les dossiers liés aux armes à feu. Merci.
Adam Caruana, directeur, Firearms Outlet Canada : Dans le cadre de mes fonctions actuelles de directeur général de Firearms Outlet Canada, je supervise les activités quotidiennes de l’entreprise et de ses 15 employés. Il y a trois ans, Firearms Outlet Canada n’employait que quatre personnes, dont moi-même.
Je suis ici aujourd’hui pour exprimer mes préoccupations au sujet du projet de loi C-71, de l’incidence qu’il aura sur une industrie dynamique et du fardeau financier qu’il impose aux entreprises en raison de son efficacité à réduire les crimes commis avec une arme à feu au Canada. Je suis également ici pour exhorter le gouvernement à respecter les garanties qu’il a données quant à l’adoption de lois fondées sur des données probantes.
Toute mesure législative qui dissuade, décourage et empêche les participants individuels à un sport ou à un loisir sanctionné par la loi aura une grande incidence sur les entreprises qui œuvrent dans ce secteur. Les modifications proposées ne visent qu’un segment de la population, soit une majorité écrasante de personnes qui sont assujetties à un processus d’autorisation de haut niveau, qui sont respectueuses des lois et qui accordent la priorité à la sécurité et à la responsabilité dans la possession légitime d’une arme à feu. Elles ne proposent aucune mesure législative pour les personnes qui commettent la majorité des crimes commis avec des armes à feu au Canada.
Lors du Sommet sur la violence liée aux armes à feu et aux gangs, tenu à Ottawa en mars 2018 et organisé par le ministre de la Sécurité publique, il a été révélé que les crimes commis avec des armes à feu au Canada représentaient moins de la moitié de 1 p. 100 de l’ensemble des crimes déclarés par la police.
Ce qui n’a pas été présenté avec exactitude jusqu’à maintenant, c’est le pourcentage de ces crimes qui a été commis avec des armes à feu achetées au pays, ou le nombre de ces crimes qui a été commis par des personnes détenant un permis d’armes à feu valide.
En examinant le projet de loi C-71 sans cette information, et plus particulièrement sa proposition d’éliminer toutes les conditions, sauf une, pour les autorisations de transport, je ne peux que douter de son efficacité globale pour la réduction des crimes commis avec des armes à feu. En éliminant les conditions de transport, le gouvernement revient une fois de plus à un programme inefficace et coûteux.
Ce processus n’a pas démontré d’avantages mesurables par rapport à la loi actuelle pour ce qui est de prévenir les crimes commis avec une arme à feu. À l’inverse, la législation actuelle sur les autorisations de transport d’armes à feu à autorisation restreinte n’a démontré aucun risque mesurable pour la sécurité publique, et aucune augmentation des cas de personnes autorisées qui auraient transporté illégalement leur arme à feu n’a été signalée.
Cet amendement aura pour effet de dissuader les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis de demander des services et des conseils à notre entreprise et à toutes les autres. Il surchargera un système gouvernemental déjà redondant et dépensera l’argent des contribuables sans retombées positives mesurables. Rien ne prouve qu’il faille légiférer davantage le transport des armes à feu, puisque les propriétaires d’armes à feu continuent de montrer qu’ils respectent les sanctions juridiques qui régissent notre sport et qu’ils continueront de le faire.
De plus, le projet de loi C-71 pose un problème beaucoup plus épineux pour les entreprises, une menace à la sécurité des titulaires de permis et un gaspillage des ressources qui pourraient autrement être investies dans la prévention des crimes violents dans leur ensemble. Ce projet transfère aux entreprises la main-d’œuvre, la responsabilité de l’entretien et le coût d’un système déjà défaillant. Ce système, qui est essentiellement un registre des armes d’épaule, a déjà été jugé par le gouvernement comme étant trop coûteux, trop inefficace et trop peu utile pour les enquêteurs criminels.
Le projet de loi C-71 exige de recueillir, de tenir à jour et d’archiver l’information sur les ventes d’armes à feu sans restriction, mais n’indique pas de façon claire comment consigner ou protéger les renseignements extrêmement délicats, ce qui ne fera que poser un risque supplémentaire pour la sécurité des entreprises et de leurs clients. Il entraînera également une augmentation du temps de traitement et des coûts pour tout le monde.
Ces fonds pourraient être investis dans l’embauche de nouveaux employés et dans le développement des entreprises. Ce projet limite l’utilisation de ces données pour l’application de la loi puisqu’il décentralise le stockage des renseignements recueillis.
Plus précisément, ce que nous avons observé, c’est que la majorité des crimes commis avec des armes à feu sont commis avec des armes de poing, lesquelles sont dans la classe des armes à autorisation restreinte et sont strictement contrôlées. De plus, la majorité de ces armes de poing sont obtenues illégalement à l’extérieur du Canada, contrairement à ce qui a été indiqué. Par conséquent, si la majorité des crimes sont commis avec des armes à feu à autorisation restreinte et que la plupart de ces armes à feu proviennent de l’extérieur du Canada, quelle sera l’incidence de la collecte de renseignement sur les ventes d’armes à feu sans restriction sur la prévention de ces crimes?
Avant de me lancer dans cette industrie, j’ai travaillé pendant six ans pour le Conseil scolaire du district de Toronto à titre d’adjoint à l’éducation et d’enseignant suppléant, travaillant principalement auprès de populations particulières. J’ai été témoin du besoin criant de financement pour les ressources, les programmes sociaux et alimentaires, le personnel et les possibilités d’intervention précoce.
J’exhorte vivement le comité à proposer des amendements précis au projet de loi C-71 concernant les changements proposés aux autorisations de transport et l’obligation pour les entreprises de conserver des renseignements confidentiels qui ne feront rien pour atteindre l’objectif qu’il propose.
Je vous implore de ne pas affecter des fonds indispensables à des mesures législatives inefficaces, alors que les statistiques démontrent clairement que l’antidote à la criminalité se trouve dans les investissements consacrés aux programmes qui aident les gens à réussir. Merci.
Matthew Hipwell, Wolverine Supplies : Wolverine Supplies est une entreprise de vente au détail et en gros qui entame sa 30e année d’activité dans l’Ouest canadien. Nous sommes situés dans le sud-ouest du Manitoba. Notre entreprise est passée de deux personnes et d’un rêve à plus de 24 personnes. Elle fait maintenant une transition à la prochaine génération. Notre clientèle est située d’un bout à l’autre du Canada.
Les armes à feu font partie de ma vie depuis ma jeunesse, qu’il s’agisse de leur utilisation récréative, du contrôle de la vermine, de la chasse ou de la participation aux Jeux d’hiver du Canada. Mon engagement auprès de Wolverine Supplies a commencé sur une base occasionnelle, car j’ai travaillé comme agent de la GRC pendant 17 ans. J’ai quitté la GRC à l’été 2017 pour me joindre de façon permanente à Wolverine Supplies.
Au cours de ma carrière de policier, je suis passé du service général aux enquêtes antidrogues, en passant par l’instruction à temps plein sur les armes à feu et le recours à la force. J’ai été membre du groupe tactique d’intervention et d’assaut et tireur d’élite pendant huit de ces années.
Cette expérience m’a permis de bien comprendre comment une loi bien formulée peut améliorer la sécurité publique au Canada. Le projet de loi C-71 n’améliore pas la sécurité des Canadiens en mettant fin à l’utilisation illégale d’une arme à feu ou aux activités criminelles impliquant l’utilisation d’une arme à feu.
Le projet de loi C-71 nuira à mon entreprise et à de nombreuses autres entreprises semblables au Canada, ainsi qu’au personnel de toutes nos entreprises.
J’appuie les recommandations de l’Association de l’industrie canadienne des munitions et des armes de sport et les suggestions qu’elle a faites aujourd’hui, étant donné qu’un trop grand nombre d’éléments sont passés sous silence ou flous dans ce projet de loi. Merci.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur la définition et la classification des armes à feu. Les définitions utilisées pour classifier les armes à feu sont-elles claires et précises, ou prêtent-elles plus à l’interprétation et à l’opinion?
Je suppose qu’un examen de la définition permettrait à la GRC d’être mieux équipée pour faire le travail de classification.
M. Hipwell : Votre question comporte deux volets. La première partie portait sur la définition des armes à feu et la deuxième sur la classification des armes à feu. Est-ce exact?
Le sénateur McIntyre : Il s’agissait davantage de la définition.
M. Hipwell : Je crois comprendre que les définitions sont assez claires. C’est la classification qui pose problème. On définit les paramètres des types d’armes à feu en question.
Nous avons dit au comité permanent que la classification des armes à feu était ouverte à une discussion sur les enjeux commerciaux. Aucun processus d’appel n’a été mis en place. Il s’agit d’une incohérence généralisée. Les définitions ont été acceptées à un moment donné, mais pas à un autre, et vice versa.
Je ne vous ai pas donné de réponse claire, mais il y a beaucoup de travail à faire sur la façon dont les armes sont classées et sur la façon dont ces classifications doivent être appuyées.
Le sénateur McIntyre : Quant à la classification, en supposant que le projet de loi C-71 sera adopté, la GRC serait la seule autorité habilitée à classifier ou à reclasser les armes à feu, et non le gouverneur en conseil. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Est-ce que des spécialistes en matière d’armes à feu, autres que la GRC, pourraient faire ce travail?
Mme de Groot : Ce qui nous préoccupe, c’est que le projet de loi C-71 transfère la réglementation de notre industrie à la GRC. Celle-ci devient notre organisme de réglementation des produits, comme on fait pour les industries pharmaceutique et alimentaire.
Dans ces industries, les organismes de réglementation ont des lignes directrices structurées en vertu desquelles ils doivent fonctionner et composer avec l’industrie qu’ils réglementent. Dans ce cas-ci, la GRC a carte blanche sur nos produits, sans aucune formule pour nous permettre de participer.
Je vais vous donner un exemple. Nous avons des distributeurs qui vont à l’étranger pour assister à des salons commerciaux. Ils identifient un nouveau produit qu’ils aimeraient mettre sur le marché canadien. Ils signent une entente de distribution exclusive pour le marché canadien. Ils obtiennent toute l’information et un échantillon du produit. Ils les soumettent à la GRC, qui n’a aucune ligne directrice en vertu de laquelle elle doit fournir ce service à l’industrie. Il faut parfois deux ans pour classer un produit.
Entre-temps, l’accord de distribution d’un distributeur est expiré. On a investi deux ans pour essayer de commercialiser le produit sur le marché canadien. Six semaines après l’expiration de l’entente de distribution, la GRC l’approuve et un concurrent l’obtient. Cela s’applique aux nouveaux produits.
Nous suggérons, comme c’est le cas pour d’autres organismes de réglementation de l’industrie, qu’il y ait un cadre structuré pour ce processus de classification. Si l’industrie fournit ces neuf choses à la GRC, celle-ci a 90 jours pour classifier un nouveau produit. Cela nous permet de gérer la chaîne d’approvisionnement, les ententes de distribution et la commercialisation de nos produits au Canada.
Nous avons connu un certain nombre de changements de classification au cours des 18 à 24 derniers mois. Je vais utiliser les chargeurs d’armes à feu de type 10/22 comme exemple. Sans discuter du bien-fondé du changement de classification, aucun avis n’a été donné à l’industrie au sujet de ce changement. Nous en avons pris connaissance, à titre de propriétaires d’entreprises, quand l’ASFC a saisi un chargement à la frontière. Lorsque l’ASFC saisit un produit, on doit payer des frais d’entreposage sécurisé exorbitants, ce que notre importateur a dû faire.
Nous nous sommes retrouvés au Canada avec des dizaines de milliers de dollars de stocks non vendus par des petits détaillants. Ces produits sont maintenant des stocks invendables que nous ne sommes pas autorisés à renvoyer au fabricant.
Si nous confions la classification à la GRC, nous demandons au gouvernement d’exiger qu’elle élabore un cadre structuré pour ce processus, tant pour les nouveaux produits que pour les produits actuellement sur le marché. Nous demandons également que l’industrie ait la possibilité de s’occuper de sa chaîne d’approvisionnement quant aux produits reclassés ou qui font l’objet de changements de classification.
Le sénateur McIntyre : J’ai une dernière question concernant la classification. Je pense que le dépôt du rapport est crucial, surtout lorsque la classification d’une arme à feu passe de sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée ou l’inverse.
Est-il possible d’obtenir un rapport d’expertise complet de la GRC sur la conversion des armes à feu?
M. Winkel : Pour ce qui est des changements de classification, nous n’avons pas reçu de rapport d’expertise complet. N’oubliez pas que ces reclassifications n’ont entraîné aucun changement de paramètres ou de lois dans le domaine juridique. Pourtant, la GRC a unilatéralement changé d’idée, ce qui a touché un grand nombre de produits de l’industrie.
Il est très frustrant que la GRC ait classé ces armes à feu au départ. Elle a ensuite admis avoir fait une classification erronée, avant de la renverser et de la modifier, ce qui a eu pour effet de forcer l’industrie à payer des pénalités de plusieurs milliers de dollars.
Ce qui nous préoccupe, c’est que de nombreuses erreurs ont été commises dans le passé et que nous en prévoyons beaucoup d’autres à l’avenir.
Mme de Groot : J’ai un dernier point à soulever au sujet d’un processus équitable de réglementation d’une industrie. Nous voulons retirer la politique du processus d’appel, ce qui est l’intention du projet de loi, si j’ai bien compris, et ne pas avoir de préséance politique sur la décision de la GRC. Étant donné la chaîne d’approvisionnement de 6 à 18 mois, du fabricant au détaillant au Canada, notre industrie veut avoir au moins une occasion d’interjeter appel d’une décision de la GRC.
À mon avis, tous les autres organismes de réglementation de l’industrie prévoient un processus d’appel. À l’heure actuelle, nous n’avons pas la capacité, en tant qu’industrie, de dire : « Hé, vous avez fait une erreur; nous voulons que cela soit corrigé. » À part le recours au tribunal pénal, nous n’avons aucun moyen d’en appeler d’une décision de la GRC.
La sénatrice McPhedran : Ma première question s’adresse à M. Winkel, à M. Hipwell et à quiconque exploite une entreprise de vente d’armes à feu. Tenez-vous des registres de vos ventes?
M. Winkel : Oui, nous tenons des registres des ventes aux fins de la garantie et du suivi.
La sénatrice McPhedran : Quels renseignements figurent dans ces dossiers?
M. Winkel : La tenue des dossiers varie d’une entreprise à l’autre. Dans notre cas, nous enregistrons le nom, l’adresse, le permis d’arme à feu et les numéros de téléphone, seulement avec la permission du client. Nous devons toujours demander la permission avant de le faire.
La sénatrice McPhedran : Qu’est-ce que le projet de loi C-71 changera pour vous sur le plan des dossiers?
M. Winkel : Beaucoup de choses. Premièrement, il nous incombe maintenant de conserver ces documents pendant une période extrêmement longue. De plus, nous devons maintenant fournir automatiquement la preuve que nous avons vérifié le permis d’arme à feu et enregistré un numéro de série. Dorénavant, le numéro de série devra être enregistré dans le cadre du processus d’approbation, ce que nous ne faisons pas actuellement.
La sénatrice McPhedran : Monsieur, est-ce déraisonnable, à votre avis?
M. Winkel : Oui. La raison pour laquelle nous estimons que c’est déraisonnable, c’est que cela impose un lourd fardeau de tenue de dossiers aux entreprises qui ne sont pas bien formées pour les tenir.
M. Hipwell : Je suis d’accord avec cela. Nous devons tenir des dossiers pendant une période extrêmement longue. Aucune ligne directrice ne guide la tenue de ces registres. Quel format ces documents sont-ils censés avoir? Comment doit-on les entreposer?
Nous avons des problèmes de protection de la vie privée. Il y aura des renseignements personnels là-dedans en raison de l’emplacement du point de vente. Qui réglemente les informations conservées? Comment sont-elles conservées?
Nous ne pouvons même pas fournir à nos assureurs de l’information sur les lignes directrices à ce sujet afin de nous assurer d’avoir une assurance appropriée couvrant cet aspect de l’entreprise et les renseignements personnels des gens.
La sénatrice McPhedran : Vous gardez tous les deux des dossiers. Considérez-vous que les dossiers que vous tenez actuellement sont raisonnables?
M. Hipwell : Oui.
M. Winkel : Oui.
Mme de Groot : Dans notre sondage auprès des propriétaires d’entreprise, nous avons constaté que les consommateurs n’étaient pas satisfaits de cette situation. La conservation de dossiers ne préoccupe pas nos propriétaires d’entreprise en ce sens que nous l’avons déjà fait. C’était notre pratique avant le registre des armes d’épaule.
Notre préoccupation porte sur le moment où nous nous adressons au personnel du ministre. Nous devons savoir à quoi ressemble la conformité. Cela nous ramène à notre demande de participer à la rédaction des règlements qui appuieront ce projet de loi. La conformité doit être vérifiable pour que nos assureurs puissent évaluer les risques liés à notre assurance-vie privée et pour que nous puissions prouver aux inspecteurs de permis d’entreprise du bureau du contrôleur des armes à feu que nous sommes conformes.
Lorsque nous avons parlé aux responsables des politiques du ministre, nous leur avons demandé : « Pouvez-vous nous dire à quoi ressemble la conformité d’un détaillant en vertu du projet de loi C-71? » Nous voulions aussi former nos entreprises et les préparer à cette loi. Ils nous ont dit : « Nous pensions qu’ils le feraient tout simplement. » Ce n’est pas suffisant pour faire fonctionner notre industrie.
Ce que nous demandons aujourd’hui au Sénat, c’est qu’il recommande que l’association de l’industrie participe à l’élaboration du cadre réglementaire de ce projet de loi. Cela nous permettrait de veiller à ce que nos entreprises puissent s’y conformer, qu’elles respectent la loi, tout en permettant aux assureurs de faire une évaluation des risques.
La sénatrice McPhedran : Si je comprends bien votre réponse, on conserve déjà les dossiers. Je présume que vous êtes au courant de cela. Non seulement en ce qui concerne la demande de consultation, mais avez-vous une proposition concernant la tenue de dossiers qui serait uniforme, raisonnable, et en mesure d’assurer la conformité?
Mme de Groot : Nous serions prêts à en discuter avec le personnel du ministre. Pour répondre à la première partie de la question, cela dépend du propriétaire de l’entreprise. Par exemple, Whitewood Outdoor Pet Supplies and Bakery Cafe, en Saskatchewan, est un magasin qui compte deux personnes qui vendent des armes à feu dans une très petite collectivité. Ces dossiers sont probablement tous en format papier. Même l’idée d’obtenir un numéro de vérification en ligne sera difficile, ce que nous aborderons plus tard dans la conversation sur le financement pour Miramichi.
Cela dépend de l’entreprise. Une entreprise très sophistiquée conserve une partie des dossiers pour le service de garantie, le marketing auprès de la clientèle et la fidélisation. Cela dépend vraiment de la taille et de l’ampleur. Nous aurons besoin d’un cadre réglementaire qui tienne compte du décalage entre ces deux entreprises, c’est-à-dire une entreprise qui fonctionne sur papier et une autre qui fonctionne sur un système de point de vente sophistiqué. Pour ce faire, nous devons comprendre ce que nous devons entreposer, comment il faut l’entreposer, quel serait le délai de réponse d’un propriétaire d’entreprise en fonction d’une ordonnance de production, et ce que le propriétaire d’entreprise doit faire pour pouvoir dire à l’inspecteur de permis d’entreprise qui lui rend visite : « Je respecte la loi. » Nous devons savoir à quoi cela ressemble.
Je ne crois pas qu’une seule réponse suffise. L’industrie est assez vaste.
La sénatrice Griffin : Vous avez dit qu’il faut un cadre structuré pour traiter des produits ou des armes à feu que la GRC classifie ou reclasse. Cela entraîne d’énormes pertes pour les détaillants, alors vous avez mentionné un processus d’appel comme étant une des possibilités pouvant régler ce problème.
Selon vous, quelles autres mesures d’atténuation seraient nécessaires pour que les détaillants ne soient pas exclus?
Mme de Groot : Un calendrier structuré qui tient compte des nouveaux produits et qui protège nos distributeurs. Les distributeurs sont ceux qui importent 90 p. 100 des produits disponibles au Canada. On parle d’une période de 6 à 18 mois entre la fabrication et la vente au détail au Canada.
Pour nos distributeurs, le principal enjeu est de mettre de nouveaux produits sur le marché en temps opportun. Cela est lié aux accords de distribution qu’ils signent lorsqu’ils trouvent un nouveau produit qu’ils aimeraient mettre sur le marché canadien. Il nous a fallu jusqu’à 2,5 ans pour classer des produits, et ils ne sont plus nouveaux et, à ce moment-là, l’accord de distribution pour le Canada a expiré. Ils durent habituellement 18 mois.
Pour ce qui est de la vente au détail et de l’échéancier de la fabrication au détail, il est important que l’industrie soit avisée même lorsque la GRC évalue un produit. Cela permet aux commerçants d’évaluer les risques et demander : « Est-ce que je veux commander plus de marchandise ou attendre et voir comment iront les choses? »
À l’heure actuelle, parfois, nous prenons connaissance d’un changement lorsqu’un chargement est saisi à la frontière. Des milliers de dollars de ces produits sont déjà au pays et nous n’avons pas la possibilité de les retirer de notre chaîne d’approvisionnement.
Nous revendiquons un délai minimal pour que l’industrie soit avisée et autorisée à s’occuper de la chaîne d’approvisionnement au pays, et qu’il y ait un délai maximal pour que la GRC communique avec nous quant à l’importation de nouveaux produits.
Nous croyons comprendre que cela fonctionnera, pourvu que le distributeur fournisse à la GRC ce dont elle a besoin pour classifier un produit, mais notre industrie n’a jamais reçu cette liste. Nous suggérons que la GRC nous donne une liste de neuf ou dix critères pour classer les produits qui entrent au Canada. Si le distributeur les fournit, à partir de ce moment-là, la GRC a 90 jours.
Il s’agit d’une industrie qui fonctionne dans le même système de gestion de la chaîne d’approvisionnement que n’importe quelle autre industrie. Nous devons être en mesure de réagir.
La sénatrice Griffin : La raison pour laquelle je pose la question, en partie, c’est que souvent, lorsqu’une industrie est incommodée par de nouveaux règlements, de nouvelles politiques ou des changements de politiques, elle cherche souvent à obtenir une indemnisation pour l’aider à atténuer ses pertes. Je ne vous entends pas dire cela.
Mme de Groot : Nous aimerions beaucoup savoir où présenter une telle demande.
La sénatrice Griffin : J’aimerais avoir plus de détails sur l’AT, l’autorisation de transport. J’envisage de transporter une arme à feu chez un armurier pour entretien. Il me semble que ce serait très souhaitable d’encourager cela plutôt que de le décourager avec un plus grand volume de paperasse.
Lundi dernier, nous avons entendu un témoin qui travaillait avec des tireurs olympiques. Il a cité le cas d’une personne qui, tout à coup, un vendredi, s’est rendu compte que son arme à feu avait besoin d’être réparée. Si le concours a lieu le dimanche et que nous sommes un vendredi, il lui sera impossible de faire réparer son arme.
Vous êtes-vous heurté à ce genre de situation? À quoi cela sert-il, concrètement, de décourager les gens d’aller chez un armurier?
M. Winkel : En ce qui concerne l’exigence relative à l’autorisation de transport, nous ne voyons pas du tout son utilité. Pour commencer, il n’y a pas de fardeau de la preuve à cet égard. À notre avis, il est ridicule de demander à un propriétaire titulaire d’un permis d’obtenir une autorisation de transport pour apporter son arme à feu à une entreprise titulaire d’un permis aux fins de réparations.
Cela semble être une question de sécurité publique. Ces gens vont tirer des armes à feu lors de concours. Si l’arme à feu a besoin d’entretien, on devrait pouvoir la transporter chez une entreprise titulaire d’un permis.
Nous en avons un excellent exemple aujourd’hui. Le Bureau du contrôleur des armes à feu d’Orillia est fermé aujourd’hui en raison du mauvais temps. Pourtant, il y aura des tournois d’armes à feu demain soir.
Ces obstacles entrent en jeu tous les jours. Nous ne pensons pas que l’autorisation de transport devrait être exigée des propriétaires d’entreprises titulaires d’un permis.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Hipwelll, je vais me baser sur votre expérience en tant que policier pour nous aider à démystifier des affirmations qu’on a entendues ici aujourd’hui. J’ai cru comprendre que vous avez affirmé que le projet de loi C-71 n’était d’aucune utilité, ou était plus ou moins utile. Comment interprétez-vous les allégations selon lesquelles l’enregistrement des armes par la GRC contribuera à réduire le nombre de crimes?
[Traduction]
M. Hipwell : Non, je ne crois pas que l’enregistrement des armes à feu réduira la criminalité. Les criminels n’enregistrent pas leurs armes. Ce point a été soulevé à de nombreuses occasions au cours des dernières années.
Le projet de loi C-71 met l’accent sur les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. Je ne vois rien qui porte sur l’élément criminel ou sur l’utilisation criminelle des armes à feu. Nous devons nous concentrer sur les criminels et non sur les citoyens respectueux des lois.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On a souvent entendu dire aujourd’hui que le projet de loi C-71 permettra de lutter contre les gangs de rue qui utilisent des armes de poing. On sait très bien que lorsque les gangs de rue, la mafia et les bandes de motards criminalisées commettent des meurtres à l’aide d’une arme de poing, ce sont des armes qui ne sont pas enregistrées. Donc, lorsqu’on affirme que le projet de loi C-71 empêchera les gangs de rue de commettre des meurtres dans les rues de Toronto, ce texte de loi n’y changera absolument rien.
[Traduction]
M. Hipwell : Il est fort probable que le projet de loi C-71 ne changera rien, car il ne contient aucune mesure portant précisément sur l’utilisation des armes à feu par les gangs et les criminels. Je suis d’accord avec cette dernière affirmation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Hipwelll.
Le sénateur Pratte : D’abord, j’aimerais apporter une petite précision à la suite des questions de mon collègue, le sénateur Dagenais. Le projet de loi C-71 n’introduit pas l’enregistrement des armes à feu par la GRC. C’est même inscrit dans le projet de loi, et je cite :
(4) Il est entendu que la présente loi ne permet ni n’exige l’enregistrement des armes à feu sans restriction.
[Traduction]
Je tiens à remercier l’Association de l’industrie canadienne des munitions et des armes de sport d’avoir présenté des suggestions pragmatiques et concrètes. Le comité peut recommander certaines de ces idées, notamment les normes de service de la GRC. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons légiférer, mais nous pouvons certainement suggérer au gouvernement et à la GRC de le faire. La recommandation d’inclure l’industrie dans la rédaction du règlement est une très bonne idée. Le comité n’aurait aucune hésitation à la proposer au gouvernement.
Je veux revenir sur les registres. On a mentionné qu’il y aurait des renseignements personnels et privés dans ces registres. Je comprends peut-être mal le projet de loi, mais celui-ci dit que les renseignements devant être notés dans ces registres sont le numéro de référence attribué par le directeur, la date à laquelle le numéro de référence a été attribué, le numéro de permis du cessionnaire et la marque, le modèle et le type de l’arme à feu.
Il n’y a là aucun renseignement personnel. Nul n’est tenu de conserver le nom, l’adresse ni quoi que ce soit. Certes, les entreprises ont le choix. Celles qui le font déjà pourraient continuer à le faire. On ne fait que maintenir une pratique. Toutefois, rien dans le projet de loi n’oblige une entreprise à consigner des renseignements personnels liés à une arme à feu. À moins qu’il y ait quelque chose dans le projet de loi que je ne vois pas. Est-ce le cas?
M. Winkel : Oui. Encore une fois, il est question du cadre réglementaire d’un projet de loi. Nous avons actuellement un système qui nous oblige à enregistrer les armes à feu à autorisation restreinte. Nous devons transférer le droit de propriété de ces armes. Lorsque nous allons sur le site web du gouvernement du Canada pour enregistrer cette information, nous devons consigner les renseignements des acheteurs afin de les intégrer au site web du gouvernement du Canada.
Une fois que ce système sera inclus dans le cadre réglementaire, nous sommes convaincus que les entreprises devront encore consigner ces renseignements afin de les intégrer au site web. Nous devons avoir un moyen d’obtenir ce numéro d’autorisation. Certains renseignements doivent être consignés. De toute évidence, nous avons besoin du numéro de permis enregistré et des renseignements personnels pour obtenir ce numéro d’autorisation.
Mme de Groot : Nous croyons comprendre que le cabinet du ministre a l’intention d’utiliser la plateforme en ligne à accès restreint existante pour faciliter la vérification des numéros. Cette plateforme est fixe, et il faut un nom et une adresse.
Le sénateur Pratte : C’est intéressant. Nous allons devoir étudier cette partie. La loi n’exige aucun nom ni aucune adresse. Il pourrait y avoir du travail à faire sur le plan de la réglementation. J’espère qu’on vous consultera et que vous participerez à la rédaction du règlement. Mais la loi n’exige pas de renseignements personnels.
Mme de Groot : C’est exactement ce qui motive notre demande de participation à l’établissement du cadre réglementaire. Les bureaucrates présument qu’ils peuvent utiliser le système actuel.
Cela m’amène à soulever d’autres inquiétudes que nous avons au sujet de la budgétisation avec ce projet de loi. Nous croyons savoir qu’une recommandation royale est jointe au projet de loi en ce qui concerne le financement de Miramichi et de ses systèmes en ligne. Cependant, nous ne voyons aucune annexe portant sur le financement des tâches supplémentaires qui incomberont aux bureaux provinciaux des CAF.
Nous savons que le bureau du CAF de l’Ontario ne suffit pas à la tâche. À un certain moment cet été, il accusait un retard dans ses demandes de transfert provenant des entreprises : 4 500 demandes étaient en attente de traitement. Si les bureaux des CAF provinciaux doivent assumer la responsabilité additionnelle des vérifications des antécédents à vie et des évaluations de la santé mentale, nous craignons qu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour fournir aux entreprises les services dont elles ont besoin sur une base quotidienne et horaire.
De plus, nous croyons comprendre que la recommandation royale concernant Miramichi vise l’amélioration de son système en ligne. Comme je l’ai mentionné, nous avons des entreprises qui n’utilisent pas Internet. Certaines se trouvent en région éloignée et n’ont pas accès à un service Internet fiable. Nous demandons que Miramichi dispose également de ressources budgétaires pour faire en sorte que son service téléphonique soit accessible pendant les heures d’ouverture des commerces de détail de tout le Canada. Le service ne peut pas être offert uniquement au moyen d’une plateforme en ligne.
Ce sont des questions que nous pouvons aborder avec le gouvernement si nous sommes consultés au moment de l’élaboration du cadre réglementaire.
Le sénateur Pratte : Brièvement, au sujet des autorisations de transport, je crois que M. Caruana ou M. Winkel a dit que le retrait des autorisations automatiques de transport aurait des effets dévastateurs sur vos entreprises. Je suis curieux de savoir comment vous voyez cela, car cette autorisation automatique de transport est assez récente, non? Je pense qu’elle remonte à 2015, si je ne m’abuse.
Auparavant, il fallait une AT pour aller quelque part avec une arme à feu à autorisation restreinte. Le nouveau régime a changé cela avec les autorisations automatiques de transport pour certaines destinations. Nous revenons maintenant à ce qui se faisait avant 2015, mais les autorisations automatiques de transport continueront d’être émises avec le permis pour les champs de tir, qui représente au moins 90 p. 100 de l’utilisation.
Je peux comprendre que quelqu’un ne soit pas d’accord avec ce que propose le projet de loi C-71 en ce qui concerne les autorisations de transport, mais je ne comprends pas comment ces changements, qui nous ramèneront en partie à la situation d’avant 2015, auront des effets dévastateurs sur vos entreprises.
M. Caruana : Dans ces discussions, et avec un sujet aussi polarisant que les armes à feu, je pense que les gens oublient les aspects sociaux et sportifs de notre industrie, que c’est un hobby. Nous aimons penser que notre boutique est un espace communautaire où les membres de notre communauté peuvent venir échanger des connaissances et de l’information sur des produits, sur des événements à venir et particulièrement sur les mesures législatives.
Pour parler à un employé du bureau du CAF de l’Ontario, le temps d’attente est en moyenne de 35 à 45 minutes, et ça, c’est si vous réussissez à avoir la ligne. De façon générale, vous devez laisser un message dans une boîte vocale. La personne peut vous rappeler ou non, ou peut vous répondre dans un délai d’un jour ou deux.
Je crois que c’est M. Hipwell qui a dit que si vous devez vous rendre au magasin le vendredi soir, le samedi ou le dimanche, vous n’avez pas la possibilité de transporter votre arme à feu. Pour une industrie axée non seulement sur le matériel et sur les armes à feu, mais également sur les produits, les services et les accessoires complémentaires, la possibilité que les clients ne puissent pas se rendre sur place pour demander des conseils aura des répercussions profondes sur notre activité commerciale. C’est là que nous allons chercher nos marges les plus importantes.
Mme de Groot : Vous avez parlé d’environ 80 p. 100. Je ne suis pas certaine si vous vouliez dire que 80 p. 100 des entreprises sont des champs de tir. Ce n’est pas exact.
Le sénateur Pratte : Non, non. Plus de 90 p. 100 des besoins de transport sont pour se rendre à un champ de tir. C’est ce que je voulais dire.
Le sénateur Plett : Avant de poser mes questions, si vous me le permettez, j’aimerais avoir un peu d’information sur chacune de vos entreprises. Je compatis avec de M. Hipwell qui nous a dit que son entreprise est située dans le sud-est du Manitoba.
M. Hipwell : Sud-ouest du Manitoba.
Le sénateur Plett : Ouf! Je me sens mieux, car moi je suis du sud-est du Manitoba.
Votre entreprise offre-t-elle un éventail complet de produits, pas nécessairement un magasin d’articles de sport qui vend de l’équipement de hockey, mais des fournitures de camping, de chasse et de pêche? Vendez-vous tout ça?
M. Hipwell : Wolverine Supplies est un magasin offrant une gamme complète d’articles de chasse et de plein air. Nous sommes principalement un magasin d’armes à feu, de matériel optique, de munitions et un peu d’archerie. Notre section d’archerie est davantage destinée à notre clientèle locale. Nous vendons des produits au détail et nous sommes également un distributeur, ce qui ajoute une autre difficulté à l’interne comme entreprise. Nous distribuons et vendons des produits d’un océan à l’autre. Les armes à feu, les munitions et le matériel optique sont les principaux produits de notre entreprise.
M. Winkel : Nous avons un magasin de détail d’armes à feu qui emploie 32 personnes. Notre entreprise offre une gamme complète d’articles de plein air, proposant tous les accessoires nécessaires pour la chasse, la pêche, le tir et le camping. Nous avons également une boutique d’armes à feu de type traditionnel où nous conseillons régulièrement à nos clients d’apporter leurs armes à feu. Nous acceptons les armes à feu que les gens apportent au magasin.
M. Caruana : Contrairement à M. Winkel et à M. Hipwell, notre magasin est tout récent. Nous n’exerçons nos activités que depuis quatre ans. Nous avons commencé avec 1 500 pieds carrés d’espace de vente au détail et, récemment, nous avons emménagé dans des locaux de 15 000 pieds carrés. Nous planifions ouvrir un champ de tir intérieur. Nos activités se limitent à l’industrie des armes à feu, soit les armes à feu, les munitions et les accessoires.
Le sénateur Plett : Espérons que le projet de loi C-71 n’entraînera pas la fermeture de vos entreprises.
Nous avons parlé du fait que la GRC a un pouvoir discrétionnaire absolu sur les armes à feu reclassées. Un témoin nous a dit aujourd’hui qu’il possédait une arme d’une valeur de 5 000 $ et qu’il aurait des droits acquis, mais qu’il ne pourrait pas la léguer à son fils si elle était reclassée.
Je me suis mis à penser à cela. C’est une personne avec une arme à feu. Quelle incidence cela aura-t-il pour vos magasins? Avez-vous des armes à feu qui pourraient, du jour au lendemain, être reclassées? Le cas échéant, qu’arrivera-t-il aux stocks? Cet homme a une arme à feu valant 5 000 $. Un magasin peut avoir pour un quart de million de dollars d’armes à feu, je ne sais pas exactement. Serez-vous indemnisé pour ces stocks?
M. Winkel : Pas du tout. Quand il y a eu un important reclassement des armes à feu, de la catégorie « à autorisation restreinte » à la catégorie « prohibée » en fonction de la longueur des canons et du calibre, nous avions plus de 500 armes à feu dans cette catégorie. La dévaluation totale des stocks a été estimée à l’époque à 38 000 $.
Le sénateur Plett : Vous pourriez tous les trois avoir à faire face à une telle situation. Ce serait désastreux pour vos activités.
M. Caruana : Surtout à cause des armes à feu que nous privilégions. L’arme à feu dont vous parlez fait partie de la famille des carabines suisses. Nous en possédons maintenant un très grand nombre. Si ces armes devenaient prohibées, nous resterions coincés avec elles, incapables de les vendre, elles n’auraient plus aucune valeur. Sans un système permettant de les vendre à des titulaires de permis en règle, elles n’auraient plus aucune valeur marchande.
Le sénateur Plett : Que devrez-vous faire avec ces armes si elles sont prohibées et que vous ne pouvez pas les vendre?
M. Hipwell : Nous devrons les neutraliser. Essentiellement, l’arme à feu est transformée en décoration. Il faut procéder par étape. L’arme à feu est coupée, soudée, on retire des pièces et on les met en sûreté. Il y a plusieurs étapes à suivre, puis on atteste qu’il s’agit d’une arme à feu désactivée. Ces armes à feu sont vendues sans aucun document parce que c’est comme posséder une œuvre d’art de luxe. Mais comme elles ne sont plus fonctionnelles, leur valeur est moindre. Lorsqu’on prend un produit parfaitement fonctionnel et qu’on le transforme en un produit non fonctionnel, celui-ci perd de sa valeur.
Il n’y a pas de mécanisme d’indemnisation. Je crois savoir que la question de l’indemnisation a été soulevée par le passé, mais qu’elle n’a jamais abouti. Avec les changements proposés, cela pourrait arriver du jour au lendemain à beaucoup d’autres types d’armes à feu. D’un seul trait de plume, elles perdraient toute valeur, et les particuliers et les entreprises perdraient beaucoup d’argent.
Le sénateur Plett : Je présume que tous les criminels remettraient leurs armes déclassées et prohibées.
M. Hipwell : Apparemment. C’est ce qu’on nous dit.
Le sénateur Plett : Le ministre Goodale veut que les détaillants vérifient que les acheteurs d’armes à feu sans restriction ont un permis d’armes à feu valide avant de leur vendre une arme à feu, malgré le fait que l’achat d’une arme à feu sans permis constitue déjà une infraction au Code criminel. Le vendeur doit n’avoir aucun motif de croire que l’acheteur n’a pas de permis. Selon le témoignage du ministre Goodale à la Chambre des communes, les vendeurs, bien souvent, font quand même la vérification, mais ils ne sont pas tenus de le faire.
À votre avis, arrive-t-il souvent qu’une personne essaie d’acheter une arme d’épaule sans permis? Et êtes-vous au courant d’un cas où une personne sans permis a réussi à acheter une arme d’épaule?
M. Hipwell : Chez nous, vous ne sortirez pas du magasin avec une arme à feu sans être titulaire d’un PPA valide. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, cela remonte à l’époque où j’étais policier.
M. Caruana : Il est important de comprendre dans votre question que la présence d’un permis d’armes à feu valide ou la production d’un permis d’arme à feu est en soi une preuve de sa validité. Lorsqu’une personne enfreint la loi, la deuxième chose dont on s’occupe après l’incident initial, c’est de retirer les permis de cette personne pour qu’elle ne puisse pas les produire sur demande.
Il s’agit d’une relation de confiance entre les détaillants ou l’industrie et les forces de l’ordre. Si la GRC et le secteur de l’application des lois font preuve de diligence raisonnable, une personne qui n’est pas autorisée par la loi à posséder un permis d’arme à feu ne pourra pas en produire un. Pour ma part, les seules personnes qui ont tenté de le faire étaient des passants qui sont entrés dans le magasin et qui n’étaient pas au courant de la réglementation canadienne relative aux armes à feu ou à la possession de celles-ci. Leur question était sincère : « Que faut-il faire pour posséder une arme à feu? »
Non, je n’ai jamais vu qui que ce soit acheter une arme à feu ou recevoir une arme à feu ou des munitions sans produire un permis d’armes à feu valide.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie beaucoup d’avoir contextualisé les répercussions potentielles du projet de loi sur les petites entreprises et de nous avoir offert votre aide dans le cadre des discussions sur les cadres réglementaires.
Y a-t-il consensus entre vous quatre sur ce qui serait la principale suggestion d’une ou de deux idées pour améliorer le projet de loi lui-même plutôt que les autres éléments?
Mme de Groot : Je suppose que cela dépend si vous êtes d’accord avec le principe sous-jacent du projet de loi. Si le principe sous-jacent et l’objectif déclaré du projet de loi sont de mettre fin aux transactions illégales d’armes à feu au Canada, je pense que le projet de loi n’est pas du tout efficace. Je suis à peu près certaine que tous les membres de l’industrie des armes à feu s’entendent pour dire que le projet de loi ne répond pas à l’objectif déclaré.
Je ne suis pas sûre qu’il y ait quoi que ce soit que nous puissions suggérer pour l’améliorer. Les suggestions que nous présentons aujourd’hui sont pour le bien de notre industrie si elle doit être assujettie à ce projet de loi. Mais je pense que tout le monde s’entend pour dire qu’il ne propose rien pour atteindre l’objectif déclaré.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai une question d’information, et une autre un peu plus insolite. En juin dernier, le dirigeant de l’entreprise Perfection Métal, de Montréal, a reçu une sentence de sept ans de prison pour avoir fabriqué des pièces prohibées pour armes à feu. Une soixantaine d’armes ont été découvertes par les policiers lors de la perquisition, mais également sur des scènes de meurtres commandés par le crime organisé. Il semblerait qu’il y ait de plus en plus de production d’armes illégales au Canada. Le projet de loi C-71 vise-t-il ce type de problème?
[Traduction]
M. Caruana : En ce qui a trait à la dernière partie de votre déclaration, lorsque vous avez dit qu’il semble y avoir une augmentation de la fabrication illégale au Canada, je dois signifier mon désaccord, ou je vous demanderais d’où vient cette information.
Quant à votre question au sujet de cette entreprise qui fabrique des pièces illégales, toute industrie ou association professionnelle aurait du mal à présenter un dossier impeccable. Le fait que les personnes aient été appréhendées et qu’elles soient passées dans le système de justice est la preuve que le système fonctionne vraiment.
Pour répondre précisément à cette question, il est extrêmement rare qu’une entreprise professionnelle agisse à l’encontre de la loi ou de ce que nous essayons de faire aujourd’hui avec notre industrie, les forces de l’ordre et les lois actuelles. Le fait que ces personnes ont été appréhendées montre qu’il est efficace pour lutter contre la fabrication d’armes à feu illégales.
Mme de Groot : J’ignore si Perfection Métal avait un permis d’armes à feu, alors je ne sais pas si elle faisait partie de notre association.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : L’industrie en question produit de façon légale des armes pour les jeux de « paintball », et il semblerait que cette personne ait utilisé les mêmes équipements pour produire des pièces pour armes à feu. Les policiers rapportent qu’ils retrouvent, plus particulièrement sur des scènes d’homicides, des armes produites illégalement. Cela se produit régulièrement. Donc, j’aimerais savoir si le projet de loi C-71 vise ce type de problèmes.
[Traduction]
M. Winkel : Bref, pour répondre à votre question, je ne crois pas que le projet de loi C-71 réglera ce problème. Je n’ai vu aucune disposition du projet de loi C-71 qui exige une vérification des antécédents criminels ou la tenue d’un registre de pièces destinées aux armes à balles de peinture. J’ai peut-être mal lu le projet de loi, mais je n’ai pas vu où il en était question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pour terminer, je vous réfère à une décision de juin ou juillet 2018 rendue par un juge de Seattle. Dans cette décision, on interdit au gouvernement américain de permettre à une entreprise de vendre des guides pour imprimantes 3D. Le gouvernement alléguait que la fabrication d’armes à l’aide d’imprimantes est de plus en plus accessible grâce aux nouvelles technologies. Le projet de loi C-71 légifère-t-il sur ces nouvelles technologies qui pourraient permettre à un individu, seul, chez lui, en les jumelant avec d’autres pièces qu’on retrouve sur le marché, de produire des armes illégales?
L’idée est peut-être un peu ésotérique, mais aux États-Unis, il apparaît que la législation est déjà confrontée à des décisions ou à des interdictions de diffuser des livres d’instruction pour produire ces armes.
[Traduction]
Mme de Groot : Pour pouvoir fabriquer des armes à feu au Canada, il faut avoir un permis pour fabriquer des armes à feu au Canada. Quiconque produit des armes à feu sans permis d’entreprise le fait illégalement.
M. Hipwell : Rien dans le projet de loi C-71 ne répond à vos questions ou à vos préoccupations. Il n’y a rien du tout concernant la fabrication ou l’impression tridimensionnelle d’armes à feu. Même si c’était un exemple américain, il n’y a rien à ce sujet du côté canadien.
M. Winkel : Oui, surtout si cette personne produisait du soufre pour des criminels. Il est tout à fait déraisonnable de supposer que quelqu’un qui a de telles intentions soumettrait ses plans à la GRC à des fins de classement.
Le sénateur Richards : J’ai trois petites questions à poser à la suite de cette discussion. N’importe qui peut y répondre.
Dans quelle mesure le classement de la GRC deviendra-t-il arbitraire en ce qui concerne les fusils de chasse et les armes d’épaule? Dans quelle mesure le projet de loi C-71 pourrait-il mener à des litiges en raison des renseignements que vous devez conserver?
Vous avez dit que 90 p. 100 de vos stocks sont importés. Qui fabrique des fusils de chasse au Canada si 90 p. 100 des armes sont importées? Pourriez-vous nous fournir cette information?
M. Hipwell : Cherchez-vous des fusils de chasse fabriqués au Canada?
Le sénateur Richards : Oui.
M. Hipwell : Savage Arms est un fabricant.
Mme de Groot : Un.
Le sénateur Richards : Pour tout vous dire, j’ai six fusils, et aucun d’entre eux n’est canadien.
Mme de Groot : Pour revenir à la question du sénateur Boisvenu au sujet de l’effet sur les stocks, nous ne sommes pas régis seulement par le droit canadien, mais par la loi du ministère Homeland Security des États-Unis.
Comme je l’ai dit, 90 p. 100 des armes à feu au Canada sont importées d’autres pays. De ce nombre, 80 p. 100 nous viennent des États-Unis. Le Homeland Security Act nous interdit de réexporter des armes à feu que le Canada a importées des États-Unis. Lorsqu’il nous reste au Canada des stocks dont la plus grande partie vient des États-Unis, nous ne sommes pas autorisés à les renvoyer à la personne qui nous les a vendus. Nous en sommes propriétaires. Ces armes ne quittent plus notre pays. Cette interdiction ne nous vient pas d’une loi canadienne, mais du Homeland Security Act.
Le sénateur Richards : J’ai demandé à quel point la classification de la GRC est devenue arbitraire ou risque de le devenir.
M. Winkel : Le problème de la classification arbitraire vient du fait que les lois rédigées antérieurement au Canada pour classifier les armes à feu ont ouvert la porte à une classification arbitraire en utilisant le mot « variante ».
Malheureusement, ce terme invite des examens minutieux. Ce qui nous préoccupe, c’est qu’au fil des ans, la GRC a très souvent utilisé le terme « variante » en effectuant une classification inappropriée. Nous ne voudrions pas qu’il revienne une fois que la GRC aura la capacité unilatérale de classifier les armes à feu.
Le sénateur Richards : Comment le projet de loi C-71 risque-t-il d’entraîner des litiges sur des renseignements que vous devez conserver dans vos dossiers? Quelqu’un a parlé de litiges. Je pensais qu’ils découleraient probablement de cela, mais peut-être que quelqu’un pourrait répondre à cette question.
Mme de Groot : Dès que nous avons pris connaissance du libellé du projet de loi C-71, nous sommes souvent allés en discuter avec des représentants de nos compagnies d’assurance et avec nos conseillers juridiques. Nous avons des préoccupations au sujet de l’atteinte à la vie privée et de la sauvegarde des données. Si l’on violait la confidentialité de ces données, quelle responsabilité les détaillants qui les sauvegardent porteraient-ils?
Je parle des petits détaillants qui n’ont pas de systèmes perfectionnés et qui gardent peut-être des copies papier. Nous avions le même problème quand l’industrie tenait des registres officiels. Ces registres ont causé quelques incidents dans l’industrie. Même aujourd’hui, les registres sur les munitions indiquent, comme une feuille de route, où se trouvent les armes à feu et les munitions dans les maisons privées. Notre industrie de l’assurance refuse d’ajouter une protection contre les atteintes à la vie privée à nos polices commerciales de détail.
Le sénateur Dean : Merci pour vos présentations et vos réponses à nos questions. Elles nous sont très utiles. Je ne siège pas à ce comité, mais je trouve ces séances extrêmement utiles.
Comme bien d’autres de mes collègues sénateurs, je possède des armes à feu et je les utilise. Je suis un utilisateur inscrit. Je vous dirai avec plaisir que l’une d’elles a été fabriquée au Canada. Je suis aussi convaincu que la grande majorité des Canadiens qui utilisent des armes à feu pendant leurs heures de loisir sont de fiers citoyens qui respectent les lois.
Je voudrais aussi souligner que je tends à être d’accord pour que l’on délègue les classifications à la GRC, parce qu’elles sont liées à son pouvoir de réglementer d’autres utilisations néfastes des armes. Celle que je connais le mieux est celle qui nuit à la santé et à la sécurité dans les milieux de travail.
Je conviens tout à fait qu’il est important de faire preuve de transparence et d’inclusion. Nous apprenons tous que la communauté des armes à feu est un peu à l’écart, et c’est le moins qu’on puisse dire. Il faut que les communautés réglementées comprennent aussi les avantages de la réglementation.
Je suis content que nous ayons des détaillants parmi nos témoins. Quelle est la proportion d’armes d’épaule par rapport à celle des armes de poing? Dans quelle mesure cette proportion a-t-elle changé au cours de ces 10 à 15 dernières années?
M. Caruana : Notre magasin est relativement nouveau, comme je vous l’ai dit, et il dépend des intérêts des partenaires fondateurs. Nous tenons probablement la plus vaste sélection d’armes de poing et de fusils de sport considérés modernes, les AR-15. Nous vendons principalement les armes de poing et les AR-15 sur ces plateformes.
En discutant avec un collègue du Québec, j’ai appris que, depuis que le registre des armes d’épaule a été rétabli, les ventes d’armes d’épaule ont presque complètement disparu. Le registre a incité les gens à acheter des armes à autorisation restreinte comme des armes de poing, des RA et d’autres armes de ce genre. Toutefois, nous n’avons pas constaté d’augmentation de l’utilisation. Ces armes ne se trouvent pas sur les lieux d’un crime et ne sont pas utilisées pour commettre des crimes.
Notre volume de vente est assez élevé. Nous vendons probablement près de 100 armes par semaine, mais ce n’est qu’une estimation assez vague. Nous vendons principalement des armes à feu à autorisation restreinte, voilà.
Le sénateur Dean : Alors je vais reposer ma question à ceux d’entre vous qui font des affaires depuis un peu plus longtemps : quelle est la proportion d’armes d’épaule par rapport à celle des armes de poing? Dans quelle mesure a-t-elle changé au cours de ces 10 à 15 dernières années?
M. Winkel : Dans notre secteur, la proportion s’est nettement accrue en faveur des armes de poing. Les ventes d’armes de poing ont augmenté depuis quelques années. Je dirais que chez nous, la proportion est de 55 p. 100 d’armes d’épaule contre 45 p. 100 d’armes de poing. Ces pourcentages se rapprochent chaque année un peu plus depuis la création de notre association.
Au fil des ans, les sports de plein air ont connu une légère baisse, tant du côté de la chasse que de la pêche, mais nous avons constaté une augmentation assez importante des sports de tir. Croyez-le ou non, bien des jeunes ne vont plus dehors. Nous constatons une plus grande croissance des sports de tir, surtout à l’intérieur.
M. Hipwell : Nous sommes dans la vente au détail et nous avons observé une tendance semblable. Nous avons constaté une augmentation du nombre d’armes à feu à autorisation restreinte. Je parle d’armes à feu à autorisation restreinte, parce que cette catégorie inclut les fusils. Je dirais que nous sommes passés à 50 p. 100 ou peut-être entre 60 et 40 p. 100. Je n’ai pas les chiffres exacts sous les yeux, mais dans la vente au détail, c’est la hausse que nous avons constatée.
La proportion entre les carabines de chasse traditionnelles, les fusils de chasse et les armes d’épaule sans restriction est à peu près égale, par opposition à celles qu’achètent les tireurs à la cible et les collectionneurs. Nous constatons une augmentation dans ce marché-là. Ces acheteurs ont un permis de possession et d’acquisition ordinaire ou pour une arme à feu à autorisation restreinte ainsi qu’une autorisation de transport. Ils transportent leurs armes à feu dans des champs de tir approuvés à des fins récréatives et compétitives.
Mme de Groot : Je peux parler un peu de l’ensemble de l’industrie. Nous avons récemment mené un sondage aux fins de cette conversation et de notre consultation avec le ministre Bill Blair. Quelque 54 p. 100 de nos propriétaires d’entreprise disent que leurs activités commerciales dépendent plus du tir sportif que des sports de chasse.
Il existe 25 organismes de tir de compétition actifs dans le monde, dont cinq sont très actifs ici au Canada. Je sais que l’International Practical Shooting Confederation of Canada est probablement l’un des plus importants. En Nouvelle-Écosse seulement, cette confédération compte 5 000 membres. Il en est de même pour les autres organismes du pays. Le tir sportif est assurément le moteur de notre industrie.
Le sénateur Dean : Je connais des gens qui pratiquent le tir sportif. Je comprends quelque peu le plaisir et la satisfaction personnelle qu’ils peuvent en retirer.
Si, en examinant les preuves ou les données, le gouvernement reconnaissait ce virage vers des armes à feu à autorisation plus restreinte et potentiellement dangereuses, il voudrait peut-être jeter un regard neuf sur son système de réglementation.
Parlons des torts. Vous vendez des armes; j’ai visité quelques-uns de vos magasins et je sais que vous prenez cela très au sérieux. J’ai dû attendre et revenir quelques jours plus tard pour que mon permis de possession et d’acquisition soit vérifié; ce sont les retards dont vous parlez. On ne m’a pas remis d’arme par simple vote de confiance. On ne m’a pas laissé prendre le fusil en attendant les résultats de la vérification.
Les statistiques sont renversantes. On a compté 7 700 crimes violents en 2017, autant en milieu urbain qu’ailleurs. On enregistre 600 suicides et 582 actes de violence conjugale commis avec une arme à feu chaque année. Compte tenu de ces chiffres, j’aimerais connaître votre point de vue sur les propositions relatives à la vérification des antécédents.
Le régime réglementaire actuel ne vous demande pas de prendre des décisions sur l’admissibilité des gens. Vous regardez leur permis. Je sais que vous faites preuve de jugement. Nous savons bien que vous ne vendrez pas une arme à un acheteur en état d’ébriété.
Compte tenu de ces chiffres, le projet de loi étendrait la vérification des antécédents. J’ai déjà travaillé dans le domaine de la réglementation et en constatant ces statistiques sur les torts que causent les armes à feu, il me semble que la vérification des antécédents est très importante. Il faudra définir consciencieusement ces vérifications. Avez-vous une opinion à ce sujet?
La présidente : Pourrions-nous permettre qu’on réponde à la question? Nous avons un autre groupe de témoins.
Le sénateur Dean : Appuyez-vous les vérifications des antécédents et les propositions contenues dans ce projet de loi? Quelle est votre réaction face à ces propositions?
Mme de Groot : Nos propriétaires d’entreprise comptent sur les organismes responsables de l’approbation des titulaires de permis, qui devraient effectuer consciencieusement leur travail, recevoir un financement adéquat et une bonne formation et disposer de ressources suffisantes. Pour la sécurité de nos magasins et de nos employés, nous les propriétaires comptons sur ces organismes, car nous voulons être sûrs que les acheteurs titulaires de permis sont des clients valides.
Nous ne sommes pas experts en santé mentale, en travail social ou en violence familiale. Nous menons diverses initiatives pour sensibiliser les détaillants à des indicateurs comme l’achat de paille. C’est un domaine dans lequel nous pouvons apporter une contribution, mais la vérification des antécédents n’est pas notre domaine d’expertise.
Le sénateur Dean : Ce n’est pas votre responsabilité. Je me demandais ce que vous pensez des changements proposés aux vérifications des antécédents qu’effectueront ceux qui en sont responsables.
La présidente : Ce sera la dernière réponse de ce groupe de témoins. Si vous ne pouvez pas répondre à cette question, ne vous gênez pas pour le dire.
M. Hipwell : Je ne sais pas bien comment répondre, parce que c’est surtout une question d’opinion. Je ne pense pas que notre opinion sur les vérifications des antécédents et sur leur validité soit très probante. Tout dépend de l’objectif de la vérification, de la façon dont elle est effectuée et de la personne qui s’en charge.
M. Winkel : Du point de vue des affaires, comme l’a dit Adam Caruana, si la vérification des antécédents ne s’effectue pas rapidement, nous ne vendrons plus rien.
La présidente : Je vous remercie beaucoup d’être venus. Je sais que les sénateurs ont trouvé cette discussion très intéressante. Nous remercions particulièrement ceux d’entre vous qui ont dû se déplacer sur de mauvaises routes, comme ceux qui viennent du Sud de l’Ontario.
Nous allons entendre le prochain groupe de témoins. Je vous remercie de votre patience. La journée a été longue, mais nous avons hâte de vous entendre.
Nous accueillons donc Jooyoung Lee, professeur associé desociologie à l’Université de Toronto et, par vidéoconférence, Brian Mishara, professeur au Département depsychologie de l’Université du Québec àMontréal.
Brian Mishara, professeur, département de psychologie, Université du Québec à Montréal (par vidéoconférence) : Je vous entends très bien. Je suis très enroué cette semaine. J’espère que vous m’entendez aussi.
La présidente : Pourriez-vous attendre un instant? Nos interprètes ne vous entendent pas bien.
Pourriez-vous parler plus près du micro pour que nous vous entendions mieux?
M. Mishara : C’est un de ces micros bizarres qui ressemblent à des tortues, mais je vais m’en rapprocher un peu. Est-ce que vous m’entendez mieux?
La présidente : Monsieur Mishara, je crois que nous allons devoir vous entendre un autre jour, parce que les interprètes ne comprennent pas ce que vous dites, car vous êtes très enroué.
M. Mishara : Je ne peux rien faire de plus. J’ai tout essayé avec les micros.
La présidente : Je tiens à vous remercier beaucoup de faire tant d’efforts. Malheureusement, sans interprétation, notre compte rendu ne sera pas exact. Nous communiquerons avec vous pour fixer une autre date de comparution.
Monsieur Lee, vous serez notre seul témoin. À vous la parole.
Jooyoung Lee, professeur associé de sociologie, Université de Toronto, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à vous faire part de mes idées sur le projet de loi C-71. J’ai passé les 14 dernières années de ma carrière à étudier la violence armée dans des endroits comme le Centre-Sud de Los Angeles, Philadelphie et maintenant Toronto. J’ai passé du temps dans des hôpitaux avec des victimes et leurs familles. Ce travail m’a aussi amené dans des marchés clandestins de médicaments d’ordonnance où des survivants cherchaient à soulager leurs douleurs. J’ai aussi dû visiter des monuments commémoratifs avec les familles et les amis des défunts.
Quand je me suis installé au Canada, il y a sept ans, je n’en revenais pas de voir à quel point le système canadien de contrôle des armes à feu est meilleur que celui des États-Unis. J’ai été frappé par le fait que les gens qui veulent acheter des armes à feu doivent obtenir un permis, suivre un cours de formation sur la sécurité et qu’ici, la possession et l’acquisition de bon nombre des armes à feu les plus populaires aux États-Unis sont à autorisation restreinte ou sont même prohibées.
Le Canada prend de bonnes mesures de contrôle des armes à feu. Toutefois, on ne peut pas élaborer de politiques efficaces en se basant sur le fait que les mesures de contrôle sont meilleures au Canada qu’aux États-Unis. En regardant au-delà des États-Unis, on constate que le Canada se classe actuellement parmi les cinq premiers des 22 pays de l’OCDE qui enregistrent les taux de décès par armes à feu les plus élevés. Cela comprend les homicides et les suicides commis avec des armes à feu.
En 2017, la police a déclaré 660 victimes d’homicide au Canada et de ce nombre, 266, soit 40 p. 100, ont été tuées par une arme à feu. Cela n’inclut pas les suicides commis avec une arme à feu, qui représentent les trois quarts des décès par arme à feu au Canada. Ces chiffres ne tiennent pas compte non plus des nombreuses personnes qui se font tirer dessus et qui survivent, en grande partie grâce aux progrès croissants de la traumatologie.
Si je comprends bien, le projet de loi C-71 contribuerait à réduire le nombre annuel de décès et de blessures causés par des armes à feu au Canada en renforçant deux domaines de la loi actuelle sur les armes à feu. Premièrement, il devrait renforcer le système de vérification des antécédents. En lisant le projet de loi, j’ai été frappé par le fait qu’au Canada, cette vérification ne porte que sur les cinq dernières années de la vie des acheteurs. Cette disposition n’accorde qu’une importance arbitraire à la période de cinq ans qui précède l’achat d’une arme à feu.
Un fondement de la sociologie souligne que pour bien comprendre le parcours d’une vie et le caractère d’une personne, le chercheur doit effectuer de multiples observations au fil du temps. Il détecte ainsi des tendances et des comportements qui ne ressortent pas aussi clairement lorsqu’on limite les observations à un intervalle plus court.
La criminologie et la recherche en santé documentent aussi solidement le fait que les comportements violents et les problèmes de santé mentale ne se manifestent pas en petits groupes pratiques d’intervalles de cinq ans. Certains de ces problèmes durent une vie entière. Par conséquent, les contrôleurs des armes à feu devraient avoir accès à cette information pour décider si une personne est apte à posséder une arme à feu.
On ne peut pas décrire les antécédents et le caractère d’une personne en l’observant pendant cinq ans seulement. Cela ne répondrait pas aux normes méthodologiques de la recherche sur les parcours de vie en sociologie. Il est crucial de connaître les antécédents de la vie entière d’une personne pour savoir qui elle est vraiment.
Le projet de loi C-71 renforce la surveillance des organismes d’application de la loi sur la circulation informelle et illicite des armes à feu entre des personnes en exigeant une vérification des permis des deux personnes avant d’autoriser le transfert. À mon avis, nous avons là un problème de taille. En effet, les chercheurs de domaines très divers ont déjà documenté la façon dont les armes à feu circulent en réalité. Contrairement aux films hollywoodiens où l’on voit les criminels recevoir des armes de réseaux complexes de trafic d’armes à feu, beaucoup plus de gens reçoivent leurs armes à feu de membres de leur famille, d’amis ou de membres de réseaux sociaux.
Daniel Webster, éminent chercheur sur la politique des armes à feu à l’Université John Hopkins, et ses collègues ont très bien résumé cela dans un article revu par des pairs et publié en 2001 dans la revue Injury Prevention, et je cite :
Les criminels et les jeunes délinquants ont tendance à se procurer des armes à feu en menant des transactions privées avec des gens qu’ils connaissent et, dans une moindre mesure, en les volant. Bien que ces transactions soient difficiles à réglementer directement, les lois qui restreignent la possession légale d’armes à feu et leur transfert en exigeant des permis et l’enregistrement de ces armes pourraient assécher quelque peu ces sources illicites.
En exigeant une vérification pour les transferts, on contribuera aussi à limiter la circulation illicite des armes à feu non restreintes qui servent à commettre des crimes violents au Canada.
En fin de compte, la plupart des spécialistes en sciences sociales affirment qu’il n’existe pas de solution unique pour mettre fin à la violence armée. Toutefois, ils soutiennent généralement que la réduction de la violence armée sera plus viable si l’on s’y attaque sous plusieurs fronts.
Le resserrement des lois sur le contrôle des armes à feu est le principal de ces fronts. Jumelé au changement des conditions qui poussent les jeunes vulnérables vers des gangs, vers le trafic de drogues et vers d’autres activités à risque, il parviendra à réduire les taux de violence et de meurtre.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Lee, vous avez mentionné que le Canada est un des pays où la réglementation des armes à feu est excellente. Cependant, vous ajoutez ensuite qu’un des buts du projet de loi C-71, qui est de déterminer la classification des armes à feu — et non de les enregistrer, mais la différence n’est pas tellement grande —, permettra de contrer l’augmentation de la violence armée, et surtout de la violence parmi les gangs de rue.
Vous savez, tout comme moi, que les gangs de rue n’enregistrent pas leurs armes à feu. Ce sont des armes obtenues sur le marché noir, par la contrebande qui nous vient souvent des États-Unis; nous en connaissons tous le point d’entrée, je n’ai pas besoin de le nommer. Cela dit, pensez-vous que l’interdiction ou la détermination de la classification des armes de poing, au Canada, aura un impact, aussi faible soit-il, sur la disponibilité des armes à Toronto?
Nos témoins ont souvent tendance à comparer le Canada à l’Australie, au Royaume-Uni, au Danemark ou à la Norvège. Même si ces pays sont très beaux, ils sont plutôt éloignés d’ici. Il y a une chose qu’on ne doit pas oublier, c’est que le Canada partage une frontière très, très perméable avec les États-Unis. Ne serait-il pas plutôt logique de dire que le crime organisé, à cause de notre frontière avec les États-Unis, sera toujours en mesure de faire passer des armes le long de nos frontières? En fait, n’est-ce pas ce qu’il fait actuellement? Est-ce que le projet de loi C-71 va réduire le marché noir entre le Canada et les États-Unis? Va-t-il empêcher le trafic des armes de poing?
Je crois plutôt que le projet de loi C-71 va nuire aux gens honnêtes qui s’adonnent à la chasse ou au tir à la cible, qui en font un sport. Je ne suis pas certain que le projet de loi C-71 permettra de contrer le phénomène des gangs de rue qui utilisent des armes de poing. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
M. Lee : Je dois dire que nous n’avons pas la traduction de la deuxième partie, mais j’en ai compris l’essentiel.
Mon commentaire sur le fait qu’une réglementation des armes à feu est une bonne chose pour le Canada s’appuie sur cette impression que les États-Unis sont une sorte de point de repère. Je suis un expatrié américain et je peux dire que, relativement parlant, le Canada s’en tire mieux à l’égard de tous les indicateurs qui ont de l’importance quand on parle de violence armée et d’une réglementation raisonnable des armes à feu.
La statistique qui me saute vraiment aux yeux est que le Canada ne se porte pas mieux que bien d’autres pays riches et industrialisés du monde. Les spécialistes des sciences sociales s’entendent généralement pour dire qu’il y a une corrélation entre le type de réglementation contrôlant la circulation des armes à feu parmi les gens et les directives sur qui peut ou ne peut pas acheter d’armes à feu. Ce type de réglementation a une incidence sur des choses comme les taux de suicide, les taux de crimes violents, dont des choses comme les homicides et les blessures non létales, et la multiplication de différents types de crimes n’étant même pas associés à des blessures physiques. On parle de vols à main armée commis avec une arme à feu. On parle de violence familiale, où une personne a une arme à feu et l’utilise pour en intimider une autre. On parle de toutes sortes de crimes liés à la possession d’une arme à feu.
Le projet de loi C-71 prévoit des mesures modestes pour améliorer le système de vérification des antécédents. Il prévoit également des mesures pour réglementer le transfert d’armes à feu entre des personnes. Il y a encore quelque 220 personnes au Canada chaque année qui sont victimes d’homicides avec armes à feu et environ 600 qui se suicident avec des armes à feu. Il y a encore du travail à faire. L’un des mérites du projet de loi C-71 est de tenter de contrôler la circulation des armes à feu à cet égard.
Concernant le deuxième point relatif aux armes à feu qui viennent tout juste d’arriver des États-Unis, c’est une hypothèse que l’on fait depuis de nombreuses années. Il y a des preuves qui donnent à penser au fil des ans que les armes à feu saisies relativement à des crimes ayant fait l’objet d’un suivi proviennent des États-Unis.
Le problème, c’est que nous n’avons pas de base de données solide pour savoir d’où viennent toutes ces armes. Tout cela est laissé à la discrétion de la police locale, qui collabore ensuite avec des organismes comme l’ATF et soumet les armes saisies à ce genre de suivi des armes à feu. Nous n’avons pas suffisamment de données pour dire que tout vient des États-Unis ou du Canada.
J’ai été frappé par les chiffres recensés dans des rapports récents de la police de Toronto et d’autres services de police, selon lesquels un pourcentage plus élevé des armes à feu saisies et faisant l’objet d’un suivi sont maintenant des armes locales en provenance du Canada. On croit souvent que ces armes viennent des États-Unis. C’est vrai, tout comme votre remarque sur le fait que le Canada est géographiquement et contextuellement très différent de beaucoup d’autres pays de l’OCDE. Le partage d’une frontière avec un pays qui est le plus gros consommateur d’armes au monde est un dilemme sans équivalent. Les rapports des polices locales indiquant qu’on trouve de plus en plus d’armes à feu en provenance du Canada donnent à penser que les choses sont peut-être en train de changer.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Mais vous admettrez, tout comme moi que, souvent, lorsque des crimes sont commis au moyen d’une arme de poing, entre autres par les gangs de rue, les bandes de motards criminalisées ou la mafia, les policiers ne retrouvent pas les armes en cause. N’essayez pas de résoudre un meurtre qui a été commis par des bandes criminalisées avec une arme de poing. Il est difficile de faire des statistiques quand on ne retrouve pas l’arme.
Cela dit, mise à part la vérification des antécédents qui sera faite sur plus de cinq ans, quels sont, selon vous, les éléments du projet de loi C-71 qui vont nous aider à réduire les taux de crimes commis?
[Traduction]
M. Lee : C’est un peu ce à quoi je faisais allusion à la fin de mon exposé. Les chercheurs qui s’intéressent à la violence liée aux armes à feu s’entendent généralement pour dire qu’un levier stratégique ne permettra pas de réduire cette violence comme par magie.
En général, les gens qui étudient cela systématiquement estiment que les lois sur le contrôle des armes à feu font partie de la solution. L’élimination de la pauvreté dans les quartiers les plus défavorisés fait aussi partie de la solution. Offrir des services de santé publique aux jeunes susceptibles de participer à des mesures de représailles violentes est aussi une solution.
Il y a bien des moyens de régler le problème, mais ce qui arrive très fréquemment dans ces conversations publiques sur le problème de la violence armée, c’est qu’on croit qu’il y a une seule solution. Ce n’est tout simplement pas vrai. Le contrôle des armes à feu est l’un des nombreux leviers qui contribueront à réduire la violence liée aux armes à feu.
La sénatrice McPhedran : Selon la traduction d’une déclaration que vous auriez faite dans La Presse l’été dernier, partout où il y a un marché légal permettant aux civils d’avoir accès à des armes à main, il y a possibilité que ces armes achetées légalement tombent entre les mains de gens qui veulent les utiliser pour faire un carnage.
Selon vous, est-ce que cette question est directement abordée dans le projet de loi C-71? Les titulaires de permis ont l’obligation de s’assurer qu’ils transfèrent leurs armes à feu à quelqu’un qui détient un permis, et ils ont aussi l’obligation d’aviser les autorités de ce transfert. Est-ce que cela fait partie de l’approche que vous recommandez?
M. Lee : Oui. C’est un peu le non-dit de l’histoire. Chaque fois qu’il y a un commerce légitime d’armes à feu, il y a aussi un commerce illicite. En lisant cette partie du projet de loi, il m’a semblé qu’il s’agissait d’un mécanisme qui faciliterait le travail des policiers. Il permettrait de mieux surveiller la circulation des armes à feu.
L’un des aspects les plus difficiles du contrôle des armes à feu, c’est que, une fois qu’une personne a franchi les étapes prévues pour obtenir un permis de possession et d’acquisition et qu’elle a fait l’objet d’une vérification des antécédents pour obtenir une arme à feu, une fois que cette arme est accordée, on se retrouve essentiellement à compter sur la parole donnée.
La grande majorité des titulaires de permis de possession et d’acquisition, les gens qui possèdent des armes à feu au Canada, sont des gens respectueux des lois et qui sont très soucieux des critères de transfert d’armes à feu et des pratiques de transport et ainsi de suite, mais il y en a d’autres qui ne le sont pas. Cette partie du projet de loi prévoit une fonction de surveillance pour les organismes d’application de la loi afin de faciliter le suivi des armes à feu sans restriction.
La sénatrice McPhedran : À ce sujet, j’ai eu, aujourd’hui, une discussion d’information avec une représentante de ce secteur. En réponse à ma question, elle a admis que, s’agissant du projet de loi C-71, les critères imposés aux vendeurs d’armes à feu n’étaient pas plus exigeants que ceux qui s’appliquent déjà aux vendeurs d’automobiles.
Qu’en pensez-vous et estimez-vous que l’éventualité d’être poursuivi pour avoir transféré illégalement des armes à feu serait un instrument raisonnable et pratique dans le cadre de l’approche que vous recommandez?
M. Lee : Il ne devrait pas être plus facile d’obtenir une arme à feu sans formalités et de la transférer que d’obtenir une voiture. Quand on a une politique qui suppose que des gens obtiennent un permis valide et qu’ils fassent la preuve qu’ils satisfont toujours aux exigences du permis et que celui-ci est déclaré, on crée une piste documentaire qui permet aux organismes d’application de la loi de suivre plus facilement la circulation de ces armes. C’est ce que j’ai retiré de cette partie du projet de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Professeur Lee, bienvenue au comité. Vous avez affirmé, il y a quelques secondes, que le projet de loi C-71 allait améliorer le système de vérification des antécédents.
L’automne dernier — en novembre, je crois —, La Presse Canadienne a eu accès à un rapport interne de la GRC qui disait être inquiète des retards significatifs dans la vérification des antécédents. Je vois cela comme une espèce de contradiction avec ce que vous dites lorsque vous affirmez que le projet de loi C-71 va améliorer la vérification des antécédents. J’aimerais comprendre comment vous pouvez tirer cette conclusion aujourd’hui.
[Traduction]
M. Lee : Puis-je demander une précision? Est-ce qu’il y a des délais applicables à l’approbation et au refus des vérifications des antécédents?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : C’est peut-être à vous de préciser votre affirmation. Vous dites que ce projet de loi va améliorer le système de vérification des antécédents. Cependant, l’automne dernier, la GRC a déclaré qu’il y avait un problème important dans la vérification des antécédents. On avait aussi comme information qu’en Colombie-Britannique, tout près de 2 000 dossiers sont en retard dans la vérification des antécédents.
J’essaie de comprendre ce qu’il y a dans le projet de loi C-71 qui fera en sorte que, du jour au lendemain, par miracle, on réglera tout le problème des retards.
[Traduction]
M. Lee : Je ne suis pas certain que cela réglerait le problème de l’arriéré. Il me semble qu’il s’agit d’un problème d’infrastructure concernant le financement et les ressources dont dispose la GRC pour vérifier les antécédents.
Je voulais dire que quand vous avez plus de données, vous pouvez prendre une décision plus éclairée sur la probabilité qu’une personne commette une infraction et sur ses antécédents en matière de santé mentale. Cette période de cinq ans est arbitraire. Nous sommes au courant des comportements violents et des problèmes de santé mentale.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Mais votre affirmation serait exacte si les corps policiers avaient un contrôle sur l’évaluation des antécédents des patients dans le système de soins de santé. Or, un policier qui envoie une demande à un psychiatre afin d’obtenir une information sur les antécédents d’un demandeur n’a aucun contrôle sur la vitesse à laquelle le système de santé répondra. En quoi le projet de loi C-71 donnera-t-il plus de pouvoir au policier pour exiger du système de soins de santé qu’il réponde à sa demande?
[Traduction]
M. Lee : Je ne suis pas certain que cela réglerait le problème que vous avez soulevé au sujet du délai de traitement des vérifications des antécédents.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : C’est vous qui avez affirmé que le projet de loi C-71 améliorera le système de vérification des antécédents; ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous qui l’avez affirmé.
Je dis qu’en ce moment, on note des retards très importants, et que le corps policier n’a pas de contrôle sur le système de soins de santé ou, du moins, sur les services psychiatriques. Donc, si on augmente le nombre de ces contrôles — parce que les vérifications ne se feront plus que sur cinq ans, mais sur la vie entière maintenant —, je me demande comment le système pourra répondre aux retards qu’on observe actuellement.
[Traduction]
M. Lee : Comme je le disais, la question du renforcement des vérifications des antécédents n’a rien à voir avec la rapidité de ces vérifications. Il s’agirait de donner plus de pouvoir aux gens qui déterminent si une personne passe ou non en soulignant une série d’observations. C’est à ce stade que, à mon avis, le projet de loi C-71 faciliterait le contrôle de la circulation des armes à feu au point de vente.
D’après ce que je comprends, à l’heure actuelle, les gens doivent présenter des antécédents de cinq ans avant d’acheter une arme à feu. On suppose qu’il est possible de généraliser ce laps de temps à la biographie de la personne et de prédire avec une certaine certitude la probabilité qu’elle commette une infraction ou utilise l’arme à feu à des fins malveillantes.
À titre de spécialiste des sciences sociales, j’estime que cela ne répond pas aux normes méthodologiques de la recherche sur les antécédents de vie honorable, selon lesquelles il faut avoir le plus d’observations possible sur toute la vie d’une personne avant de pouvoir prendre ce genre de décision ou avant de pouvoir dire qu’il s’agit d’une personne qui utilisera cette arme de façon responsable ou non. Il s’agit de fournir plus de données à la GRC quand elle prend ce genre de décision.
Je ne suis pas sûr de ce que cela signifierait concrètement du point de vue de l’arriéré dont vous parlez, mais, quand je parlais de renforcer le système de vérification des antécédents, je parlais précisément du fait que la GRC aurait plus de données pour évaluer l’aptitude d’une personne à posséder une arme à feu.
Le sénateur Pratte : Monsieur Lee, vous avez dit tout à l’heure que les experts de la violence armée estiment pour la plupart qu’il n’y a pas de solution miracle, mais de nombreux éléments de solution. Vous avez également dit qu’on s’entend généralement pour dire que les lois sur le contrôle des armes à feu ont une incidence sur les taux de suicide, les taux d’homicide, et cetera.
Plus tôt aujourd’hui, d’autres chercheurs ont dit exactement le contraire. Ils ont dit qu’on s’entend généralement pour estimer qu’il n’y a pas de lien entre le nombre d’armes à feu en circulation, les crimes commis avec des armes à feu et la violence armée. Ils ont également dit que rien, dans les recherches effectuées, notamment par la Dre Langmann et le professeur Mauser, ne permet d’affirmer que les lois sur le contrôle des armes à feu sont efficaces et ils estiment que ces lois n’ont aucun effet sur les taux d’homicide et de suicide.
Est-ce que vous lisez des rapports ou revues différents?
M. Lee : Peut-être. Concernant, d’abord, les armes à feu en circulation et la corrélation avec la violence, si on examine la situation aux États-Unis, qui font partie des pays riches industrialisés, on constate qu’il s’agit d’un cas particulier parmi les pays riches du point de vue de la consommation et de la circulation d’armes à feu. C’est aussi une exception parmi les pays riches du point de vue des crimes commis avec des armes à feu en général. Si c’était cela l’argument, je ne sais pas vraiment à quoi il renvoie.
Concernant, ensuite, le fait que les lois sur le contrôle des armes à feu ne seraient pas efficaces, il faudrait que j’examine le genre d’études auxquelles on renvoie pour pouvoir me prononcer. Un certain nombre de chercheurs ayant travaillé dans les domaines de la médecine, de la santé publique, de la sociologie et de la criminologie disent exactement le contraire. Je ne sais pas exactement à quelles études ils renvoyaient.
Le sénateur Pratte : Vous avez également dit que des vérifications des antécédents plus longues ou plus approfondies étaient nécessaires et utiles. Selon les opposants au contrôle des armes à feu, il s’agit de mesures qui ne s’attaquent pas au « vrai problème » des armes à feu, des gangs ou des criminels. À leur avis, ce projet de loi ne fait que harceler les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. Qu’en pensez-vous?
M. Lee : Pour moi, l’expression « vrai problème » est, elle aussi, problématique. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, il s’agit d’une question qui comporte de multiples facettes. Quand on dit qu’il y a un « vrai problème », on présume que, si on s’attaque simplement à cette autre chose, le problème de la violence armée disparaîtra en quelque sorte.
Les travaux sur lesquels je m’appuie, que j’ai cités et que j’ai lus donnent à penser que le contrôle des armes à feu fait partie de la vraie solution, en plus d’un certain nombre d’autres types de leviers politiques qui changeraient les situations qui incitent les jeunes à risque, par exemple, à se lier à des gangs.
L’une des études sur lesquelles je me suis appuyé est un article de Julian Santaella-Tenorio publié en 2016 dans Epidemiologic Reviews. On y fait une comparaison à l’échelle mondiale des lois sur le contrôle des armes à feu et on y constate une importante corrélation avec la réduction de la violence liée aux armes à feu. Un certain nombre d’autres études ont le même point de vue d’ensemble. On y compare et analyse les tendances dans différents pays pour en tirer cette conclusion.
Je ne sais pas de quelles études ils s’inspirent, mais il y en a qui vont dans le sens contraire.
Le sénateur Kutcher : Nous sommes très sensibles, monsieur Lee, à votre approche réfléchie.
Il peut y avoir confusion entre des résultats de recherche contradictoires, c’est certain, et je crois que le sénateur Pratte en a circonscrit quelques-uns. Dans l’ensemble, une grande partie de la recherche consiste en des études épidémiologiques de corrélation, des analyses chronologiques et des analyses binomiales.
Plus récemment, nous avons commencé à voir des études de cohortes prospectives quasi expérimentales, comme dans les études IDF. Quelle est votre opinion professionnelle sur la qualité de ce dernier groupe d’études par rapport aux travaux antérieurs?
M. Lee : Dans certains cercles de la communauté scientifique en général, elles sont jugées plus valables et plus solides parce qu’on peut isoler les variables qui sont testées ou manipulées. On peut alors dire avec beaucoup de certitude que, si on fait ceci, on obtient tel résultat.
Je viens aussi d’une tradition qui ne croit pas non plus que le schéma expérimental soit le Saint-Graal de la science. On passe à côté de pas mal de choses quand on examine la situation seulement sous cet angle.
À titre de chercheur qualitatif, j’ai passé beaucoup de temps avec des gens sur le terrain, dans les collectivités. Ces études expérimentales ne tiennent pas compte de la violence armée, des blessures et de la dépendance découlant des blessures. Les études qui comptent le plus dépendent de la personne à qui vous parlez.
Le sénateur Kutcher : Merci d’avoir soulevé la question de l’aspect qualitatif. Je pense que c’est la première fois que quelqu’un soulève cette question. Je conviens avec vous qu’il s’agit d’un élément d’une importance fondamentale. Les méthodes de recherche mixtes nous donnent une meilleure idée de ce que nous examinons.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la recherche qualitative à ce sujet précis?
M. Lee : Une bonne partie du travail que j’ai fait portait sur ce qui se passe dans une fusillade. On dit que les fusillades sont de la violence de gang, surtout dans les collectivités marginalisées. Un certain nombre d’études contestent ce genre de perspective. On présume très souvent que, si une personne est affiliée à un gang, si des membres de sa famille appartiennent à un gang ou si la police l’a profilée comme membre de gang, elle se livre nécessairement à des actes de violence à la demande du gang. Beaucoup de fusillades dans les quartiers urbains pauvres sont considérées comme de la violence de gang.
Je peux vous donner un exemple. Un des répondants à l’une de mes études m’a dit à l’hôpital qu’il était membre d’un gang. Il m’a dit que la personne qui lui avait tiré dessus était aussi membre d’un gang, mais que le différend n’avait rien à voir avec leurs appartenances respectives et tout à voir avec un triangle amoureux. Le type qui lui a tiré dessus était le frère cadet d’une femme qu’il trompait. C’est un conflit interpersonnel qui s’est envenimé du fait que ces personnes avaient accès à des armes à feu.
Les nuances et les tenants et aboutissants des fusillades sont perdus quand on ne s’intéresse qu’aux études à schéma expérimental ou même aux études quantitatives fondées sur des données administratives officielles. On n’a pas accès à l’arrière-plan quand on aborde ce phénomène depuis sa tour d’ivoire, et c’est ce que je reproche à beaucoup de mes collègues.
Nous perdons de vue le sens de la violence armée quand on n’aborde pas la question depuis la base et qu’on ne voit pas les effets à long terme sur la santé. Quand on parle de violence armée, le genre d’indicateur Saint-Graal est l’homicide, mais l’homicide n’est que la pointe de l’iceberg. De nos jours, beaucoup plus de gens survivent aux fusillades qu’ils n’en meurent. Les gens qui sont exposés à la violence armée, ne serait-ce que passivement parce qu’ils en entendent parler, sont aussi traumatisés et souffrent de divers types d’effets sur la santé qui compromettent leurs relations avec les autres et nuisent à leur capacité de bien réussir à l’école ou au travail. Les effets de la violence armée ne se limitent pas aux personnes qui se font tuer.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de cette perspective humaniste. C’est une perspective importante qui n’avait pas encore été soulignée.
Selon votre interprétation du projet de loi, y a-t-il quoi que ce soit, selon vous, qui constituerait un lourd fardeau pour les propriétaires ou les vendeurs d’armes à feu?
M. Lee : Je serais enclin à vous demander ce que vous entendez par « lourd fardeau ».
Le sénateur Kutcher : Ce ne sont pas mes mots.
M. Lee : Je suppose que cela dépend de la façon dont on comprend l’expression « lourd fardeau ». Je crois que les mécanismes prévus dans le projet de loi C-71 imposeraient un travail supplémentaire aux propriétaires légitimes d’armes à feu. Je ne sais pas si c’est grave ou non. Si quelque 200 personnes sont tuées chaque année et que beaucoup d’autres sont blessées, il n’est peut-être pas si grave de demander aux gens de vérifier leur permis lorsqu’ils transfèrent une arme à feu, si cela signifie qu’un parent n’aura pas à enterrer son enfant ou si cela signifie qu’une personne n’aura pas à vivre avec une poche de colostomie pour le reste de sa vie après avoir subi une blessure par balle.
Ces mesures sont très coûteuses. Tout le monde paie les soins de santé à long terme procurés aux blessés qui viennent en très grande majorité de quartiers et de collectivités défavorisés.
Il y a des responsabilités supplémentaires et des choses que les gens auraient à faire, mais je suppose que cela dépend vraiment de ce que vous entendez par un lourd fardeau.
Le sénateur Richards : Quand j’aborde ce genre de question législative, je pense parfois à l’exclamation de Tolstoï, qui disait que tout le monde pense à changer le monde, mais que personne n’est prêt à changer soi-même.
Je suis d’accord avec vous. J’aimerais que la violence cesse. J’aimerais que tout cela soit considérablement réduit. Depuis l’époque de mes 15 ans, on dit la même chose. Les statistiques et les critères concernant la pauvreté, le chômage et le racisme sont les mêmes. Nous avons eu un taux de succès très limité dans tout cela.
Je ne sais pas trop comment le projet de loi C-71 va améliorer le contexte général alors qu’il y a encore de la pauvreté, du désespoir, du sectarisme, de la violence à l’égard des femmes et de la haine. Je ne pense pas que ce projet de loi puisse s’attaquer aux causes systémiques.
Je ne suis pas le seul à le dire. Un ancien chef de gang, qui était ici il y a trois semaines, a dit à peu près la même chose. S’attaquer au problème au moyen d’une loi sur les armes à feu ne fonctionnera pas vraiment si l’on ne se penche pas sur les idées inhérentes aux actes de violence. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais apporter une précision avant que vous répondiez. Le fait est qu’aucun des chefs de gang qui sont venus nous parler n’a rejeté le projet de loi C-71. Ils ont tous appuyé l’adoption du projet de loi.
Le sénateur Richards : Oui, mais il a dit ce que je viens de dire. C’est vraiment ce qu’il a dit.
La sénatrice McPhedran : Pas comme vous l’avez dit.
La présidente : Il y a désaccord sur ce qui a été dit.
Monsieur Lee, voulez-vous répondre à la question?
M. Lee : Il est effectivement important de s’attaquer aux causes profondes. Ces choses dépassent peut-être la portée du projet de loi, mais, d’après ce que j’ai lu, le projet de loi fait ressortir deux choses distinctes qui facilitent l’utilisation épisodique d’armes à feu à des fins violentes.
Il y a d’abord la personne qui peut faire l’objet d’une vérification des antécédents. Son dossier ne déclenche pas de signal d’alarme parce que cela ne s’est pas produit au cours des cinq années précédant l’achat d’une arme à feu. Il y a ensuite ce marché informel où des armes à feu peuvent circuler. Si une personne peut transférer une arme à feu à quelqu’un dont le permis n’a pas été vérifié, celui-ci fera ce qu’il veut de cette arme.
L’une des statistiques intéressantes que j’ai découvertes en faisant des lectures, c’est que, selon Statistique Canada, le nombre d’armes volées ou signalées à la police a augmenté de 2009 à 2016. C’est un autre mécanisme par lequel les gens obtiennent des armes à feu lorsqu’ils veulent les utiliser pour commettre un crime.
Je ne pense pas que le projet de loi s’attaque aux causes profondes. Je pense qu’il est problématique que des gens disent que le projet de loi ne s’attaque pas aux véritables causes de la violence liée aux armes à feu, parce que les chercheurs du secteur de la santé s’entendent pour dire qu’il y a de nombreux leviers politiques susceptibles de faciliter la lutte contre la violence liée aux armes à feu, l’un d’eux étant le resserrement des lois sur le contrôle des armes à feu. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas aussi s’attaquer aux causes profondes comme la pauvreté, le racisme et d’autres problèmes qui touchent les jeunes à risque.
Quand on dit cela, on essaie de réduire le problème à une cause unique, alors que c’est une question très compliquée.
Le sénateur Richards : Je conviens que c’est une question très complexe, monsieur. J’ai connu 11 victimes de meurtre, et 9 ont été tuées sans usage d’une arme à feu. Je peux nommer chacune d’entre elles. C’est en effet une question très complexe.
Je ne suis ni cynique ni facétieux. J’aimerais connaître votre opinion là-dessus, c’est tout. Je sais bien, comme le dit un vieux dicton stupide, que ce ne sont pas les armes à feu qui tuent, mais que ce sont les gens. Cela dit, il y a quelque chose de tout à fait vrai à cet égard dans notre réseau social.
M. Lee : Oui. L’une des conclusions que j’ai tirées de mes recherches, c’est que la présence d’armes à feu dans des situations conflictuelles, c’est-à-dire des relations où des gens se disputent au fil du temps et qu’ils ont des conflits au fil du temps, aggrave ces conflits et augmente les risques. Il y a beaucoup de bonnes études sur la façon dont l’accès aux armes à feu peut amener les gens à commettre des actes de violence qu’ils n’auraient peut-être pas commis, simplement à cause de la conception d’une arme à feu. C’est un outil très efficace pour tuer.
Dans un certain nombre d’études menées au fil du temps en criminologie, des gens ont parlé de la façon dont ils étaient submergés par la rage sur le moment. Ils ont utilisé l’arme et l’ont regretté tout de suite après. Cette violence n’est possible que parce qu’il y a accès à des armes à feu dans la vie quotidienne.
Le sénateur Richards : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas d’accord pour dire que seules les armes à feu peuvent causer cela ou qu’une personne en colère ne peut pas utiliser autre chose.
J’aimerais ajouter quelque chose. J’ai accès à des armes à feu et je ne songerais jamais à les utiliser, peu importe ma colère.
La présidente : Sénateur Richards, avez-vous une question à poser?
Le sénateur Richards : Non. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Madame la présidente, je fais un rappel au Règlement. La sénatrice McPhedran est intervenue à quelques reprises pendant une période de questions. Je pense que la parole était au sénateur Richards, et il faut respecter cela. Elle ne peut pas intervenir à tout bout de champ chaque fois que quelqu’un dit le contraire de ce qu’elle pense. C’était un échange entre le sénateur Richards, qui avait la parole, et M. Lee. Alors, il faudrait peut-être respecter cela.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci, madame la présidente. Mon intervention concernait le fait que le témoin a été induit en erreur.
Le sénateur Richards : En quoi ai-je induit le témoin en erreur?
La présidente : Peut-être pourrions-nous avoir cette discussion hors ligne.
Monsieur Lee, merci beaucoup. Je sais que tous les sénateurs vous sont reconnaissants d’avoir fait ce voyage, et votre contribution a été importante.
Je demanderais à tous les sénateurs et aux membres du comité de rester pour une séance à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)