Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 3 - Témoignages du 10 mai 2016


OTTAWA, le mardi 10 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier l'élaboration d'une stratégie en vue de faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, le comité poursuit son étude sur l'élaboration d'une stratégie en vue de faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada. Je souhaite la bienvenue à notre témoin, Alex Fergusson, vice-président, Politiques et rendement, de l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Nous allons commencer par écouter son exposé, après quoi les sénateurs pourront poser des questions.

Alex Ferguson, vice-président, Politiques et rendement, Association canadienne des producteurs de pétrole : Merci beaucoup. Merci de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui au nom de l'industrie du pétrole et du gaz naturel d'amont, l'ACPP. C'est un sujet important, nous sommes donc très contents d'être ici et nous espérons pouvoir contribuer utilement à vos délibérations.

Je commencerai en évoquant les dévastations de Fort McMurray dans la province de l'Alberta. Beaucoup d'entre nous ont cela à l'esprit depuis quelque temps et cela va continuer tandis que nous voyons des familles se remettre des ravages occasionnés par l'incendie de Fort McMurray. Cela nous préoccupe énormément et je suis sûr que notre sentiment est partagé dans tout le Canada, alors que nous assistons aux élans de soutien qui affluent de tout le pays pour aider les Canadiens qui sont évacués en ce moment même.

Je ne vais pas faire d'exposé formel, si cela vous convient. J'ai pensé commencer par décrire un peu le contexte actuel, tel que nous le voyons. J'ai constaté que, dans les documents, on me posait quatre questions relativement concrètes, j'ai donc pensé concentrer mes remarques préliminaires sur ces sujets. Je répondrai ensuite à toutes les questions, inquiétudes ou préoccupations que vous voudrez me soumettre et je vous donnerai le point de vue du secteur de l'industrie du pétrole et du gaz naturel d'amont au Canada.

Je soulignerai d'abord la volatilité des cours de nos produits, le pétrole et le gaz naturel — tous les types de pétrole. Nous en avons eu une illustration ces derniers jours avec les conséquences des baisses de production et des fermetures résultant de l'incendie de Fort McMurray. Il y a eu une rapide hausse des prix, puis, une fois qu'on a constaté que les incendies ne se développaient pas aussi rapidement que prévu, les prix sont immédiatement redescendus.

Cela illustre bien la volatilité et les cours auxquels nous sommes confrontés pour ces marchandises. La situation va continuer pendant un bon moment, tandis que les marchés font du bon travail, à notre avis, en s'adaptant à la baisse des cours et à la situation des approvisionnements au niveau mondial.

Je voulais également souligner que nous venons de publier nos prévisions du secteur privé concernant les investissements en capital et les forages pour cette année. On y trouve des remarques intéressantes qui, je crois, sont en rapport avec votre étude. Il y a eu une baisse de 62 p. 100 des investissements en capital dans ce secteur industriel ces deux dernières années. C'est considérable, c'est la plus forte baisse jamais enregistrée sur une période d'un ou deux ans depuis que nous avons commencé à enregistrer les chiffres d'investissement au Canada, dans les années 1940 me semble-t-il. Cela se traduit par une baisse significative de la production.

Par ailleurs, si vous regardez la baisse d'investissement en capital — c'est vraiment ce qui fait tourner notre secteur industriel, je parle ici des montants que nous injectons au Canada et que nous répartissons dans le pays pour poursuivre nos activités — vous constaterez qu'elle est plus élevée que le total de l'investissement en capital du deuxième secteur le plus important au Canada. Nous soulignons cela surtout pour illustrer que les effets sur l'économie canadienne sont significatifs. Vous ne pouvez pas retirer de l'économie vos trois premiers secteurs industriels sans qu'il y ait un impact considérable pour tout le monde au Canada.

Je tiens aussi à souligner un aspect qui se rapporte sans doute plus particulièrement à votre étude. J'ai remarqué, le 26 avril, que l'ONE a indiqué qu'elle avait reçu pour l'instant environ 2 500 candidatures pour participer aux auditions sur le projet Oléoduc Énergie Est, ce qui représente 2 500 personnes qui se sont inscrites jusqu'ici pour dire qu'elles veulent participer aux processus d'auditions au sujet d'un projet d'infrastructure en particulier au Canada.

Je voudrais aussi souligner qu'au cours des deux dernières années, environ 20 p. 100 des Canadiens qui sont employés directement et indirectement dans notre secteur ont perdu leur emploi, soit environ 110 000 Canadiens. C'est un autre chiffre que je voulais indiquer pour donner le contexte.

Je vais parler un peu des quatre questions que j'ai vues dans mes documents et faire quelques commentaires avant de passer rapidement aux questions. La première question figurant dans les documents était : Comment le gouvernement facilite-t-il l'adhésion sociale pour les projets de transport de pétrole brut, en l'occurrence, les pipelines? Je tiens à préciser que des investissements privés ont déjà été réalisés au Canada ou doivent l'être dans le cas de ces projets de pipelines. Il s'agit de : Trans Mountain, pour 6,8 milliards de dollars; de Northern Gateway, pour 7,9 milliards de dollars; et du projet proposé, Énergie Est, pour 15,7 milliards de dollars toujours sous la forme d'investissements en capital privé.

À Ottawa, il y a un projet de SLR qui est prévu ou en cours. Je crois que la deuxième tranche pour le SLR d'Ottawa représente 3 milliards de dollars d'argent PPP. Donc dans ce contexte, il y a des opportunités considérables d'investissements en capital privé pour les Canadiens.

L'une des manières dont le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle important, selon nous, rôle qui nous rassurerait dans l'avenir, se situe au niveau de sa capacité à collaborer et à travailler avec les provinces en essayant de faire en sorte qu'elles aient une position relativement alignée sur la nécessité de se doter de ce type d'infrastructures dans tout le pays. Nous sommes dans une situation où, ces derniers temps, parfois à quelques jours d'écart seulement, nous avions une province disant qu'un pipeline était très important pour elle et pour le pays, tandis que la province voisine affirmait : « Non, pas tant que ça, nous ne sommes pas intéressés par ce projet de pipeline. » Donc, nous pensons que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important pour réunir les provinces et leur faire comprendre que ces projets d'infrastructures de grande ampleur sont nécessaires au Canada.

Quand on s'interroge sur le rôle que le gouvernement devrait jouer et sur les mandats qu'il devrait exécuter — comme au sujet des normes de sécurité et des règles de construction, de maintenance et d'exploitation des pipelines —, on voit que ça ne se limite pas aux pipelines en tant que tels. Je dirais que les voies ferrées sont aussi une partie importante des infrastructures de transport pour notre secteur. Nous voyons donc du bon travail.

Notre secteur a participé à une grande partie de ce travail de collaboration avec le gouvernement fédéral ainsi qu'avec les provinces. Même si nous ne représentons pas le secteur du chemin de fer ou des pipelines, nous voyons que c'est très important pour nous, car c'est notre produit qui est transporté sur ces infrastructures.

De manière plus générale, nous examinons quelles possibilités s'offrent au gouvernement fédéral pour continuer à sensibiliser le public sur l'importance, d'abord du développement des ressources naturelles canadiennes pour l'économie d'aujourd'hui et de demain, mais aussi sur l'importance et la valeur qu'il y a à placer nos produits sur les bons marchés, au bon moment et ce n'est pas qu'une proposition à court terme pour un projet unique, c'est un travail d'ensemble pour s'assurer que les gens comprennent que nos ressources naturelles doivent atteindre les bons marchés, pour en tirer le plus de valeur pour tous les Canadiens.

La deuxième question, très rapidement, visait à recueillir mes réflexions sur la manière d'améliorer la confiance du public sur le processus d'examen des pipelines. J'ai été un peu désarçonné et j'ai été tenté de répondre par une question : y a-t-il un déficit de confiance du public relativement au processus d'examen des pipelines? Lorsque nous avons examiné cette question, nous n'avons pas bien compris l'ampleur du problème ni sa nature. Si nous ne parvenons pas à clairement définir de quoi il s'agit, nous sommes inquiets quant à la validité des solutions que nous pourrions mettre en œuvre pour améliorer un processus dont nous ne comprenons pas bien le problème.

De notre point de vue, nous voulons être très prudents et mesurés, car nous avons beaucoup de projets qui ont été bâtis dans le cadre du processus existant. Nous ne voudrions pas que ces projets soient désormais considérés comme ayant été pensés et mis en œuvre de façon négligente, tandis que nous envisageons de nouveaux projets. Nous sommes assez bien placés en matière de confiance du public, nous nous assurons que, tandis que notre société grandit et que nos attentes changent au fil du temps, nous prenons cela en compte dans nos processus réglementaires. Nous ne voulons certainement pas créer ou instiller un manque de confiance dans les projets qui ont été récemment approuvés alors que nous avançons. Il doit donc y avoir une bonne compréhension. Assurons-nous de régler le problème, pas juste quelques symptômes. Nous pensons que c'est un bon point de départ pour tout processus d'examen de l'initiative de modernisation de l'ONE qu'a annoncé ce gouvernement.

En tant qu'ancien chargé de la réglementation pour ce secteur, je me demande si l'enjeu est de savoir si c'est le processus d'examen ou le résultat de ce processus d'examen qui constitue le problème. C'est une chose sur laquelle nous achoppons quand nous regardons nos interactions avec les collectivités dans lesquelles nous travaillons. Nous ne savons pas si modifier le processus d'examen, qui pourrait à terme conduire à l'approbation d'un projet, satisfera tout le monde. Je crois que c'est peu probable.

On dénombre trois types d'activités dans nos sociétés. Celles qui sont totalement prohibées et pour lesquelles on ne peut pas obtenir de permis. Nous ne croyons pas que la mise en valeur du pétrole et du gaz ou des ressources naturelles s'inscrive dans cette catégorie. Ce ne sont pas des activités prohibées.

Il y a des activités que l'on peut entreprendre sans aucune supervision ni permis, et ces activités ne figurent pas dans les règlements ni dans les lois, en tout cas pas au Canada. Dans d'autres pays, des lois peuvent indiquer ce que les citoyens peuvent faire sans réglementation, et il est alors clair que ces activités n'ont pas besoin d'être réglementées et qu'elles ne sont pas interdites.

Il y a un grand nombre d'activités que l'on peut faire, mais sous certaines conditions ou en vertu d'une réglementation.

Nous pensons que notre activité et le transport vers nos marchés constituent une industrie bien réglementée. Nous y voyons toujours des possibilités d'amélioration. Je crois que le gouvernement fédéral a pour mission de garantir qu'il n'y ait pas de confusion entre les activités qui sont réglementées au point qu'elles deviennent prohibées de fait. Je crois que c'est le point d'équilibre que nous voulons voir clairement alors que nous améliorons ou modifions nos systèmes réglementaires au Canada. Nous ne voulons pas qu'il y ait de confusion pour nous ni pour les investisseurs. Nous ne voulons certainement pas déconcerter le public en lui faisant penser que les activités réglementées peuvent être interdites.

Un bon exemple de cela, juste pour être bien clair, c'est la différence qu'il y a entre un moratoire concernant une activité et l'interdiction pure et simple de conduire cette activité. La clarté sur ce que recouvrent ces deux expressions devient très importante pour le public et pour la communauté des investisseurs.

La troisième question portait sur la manière de faciliter la participation des peuples autochtones aux décisions liées au transport du pétrole brut. D'abord, considérez que ce n'est pas un problème uniquement pour le pétrole brut. De quelle façon générale incluons-nous les peuples autochtones dans les décisions liées à toutes les activités dans notre société, notre économie et notre culture? Il me semble que c'est une question plus vaste et qu'il faudrait la résoudre. Nous pensons que le rôle clé du gouvernement fédéral à ce sujet passe par un engagement sur les efforts de réconciliation qui doivent être entrepris et réalisés dans tout le Canada avec nos peuples autochtones. Nous voyons un mouvement positif sur ce sujet, nous sommes donc très confiants. Pour votre information, notre secteur vient, il y a moins de deux semaines, d'émettre une déclaration de politique au nom de 100 p. 100 de nos membres affirmant que nous soutenons pleinement l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la loi canadienne et de la constitution. Donc, de notre point de vue, c'est le point de départ d'un dialogue continu qui doit avoir lieu au Canada pour progresser sur la réconciliation et pour faire des peuples autochtones une part cruciale de notre économie, de notre société et de notre culture au Canada et pour que nous continuions à grandir. Nous pensons que c'est l'un des aspects majeurs dans notre cheminement pour nous assurer que nos produits aient accès aux bons marchés en tout temps.

Je veux dire que le gouvernement fédéral a un rôle très important dans ce domaine. Notre secteur est très optimiste grâce, si je peux l'exprimer par un seul chiffre, aux 8,4 milliards de dollars dans le budget fédéral de cette année qui sont consacrés à soutenir les peuples autochtones dans tout le Canada. Nous pensons que c'est un excellent point de départ et nous espérons que cela aura un effet positif pour améliorer la situation des peuples autochtones au Canada.

La dernière question concerne les éléments clés d'une stratégie nationale. Comme je viens de le dire, la réconciliation avec les peuples autochtones et leur implication est importante selon nous. La collaboration interprovinciale et le rôle qu'y joue le gouvernement fédéral sont importants. Ces pipelines doivent traverser toutes ces frontières provinciales. S'il n'y a pas un alignement sur les valeurs et s'il n'y a pas un effort fait là-dessus, alors cela sera très difficile pour nous.

Nous avons rapidement évoqué la confiance du public. C'est un aspect très important en règle générale, qu'il s'agisse de considérations environnementales ou de communication, de prise de conscience et de participation au processus; nous pensons que c'est important. La seule chose sur laquelle je suis en désaccord avec vous, c'est que, d'après nous, une stratégie nationale ne consiste pas simplement à faire approuver quelques pipelines. Il faut une vision à plus long terme, plus vaste, il faut une feuille de route. De quelles institutions avons-nous besoin, par exemple, pour garantir que nous avons la possibilité de placer nos ressources naturelles sur les bons marchés, au bon moment, aux meilleurs prix pour le Canada?

Je vais arrêter là et répondre à vos questions.

Le président : Voilà un aperçu solide. Merci beaucoup.

Le sénateur Doyle : Merci, monsieur Ferguson. C'était un exposé très intéressant.

Vous avez fait référence, au début de vos remarques préliminaires, à l'industrie pétrolière d'amont. S'il n'y avait pas de nouvelles constructions de pipelines, quelles en seraient selon vous les conséquences pour cette industrie?

M. Ferguson : Aujourd'hui, si vous regardez les baisses de production auxquelles nous avons assisté et qui résultent de la chute des cours, nous avons vu une baisse significative de notre activité conventionnelle hors sables bitumineux. Donc, actuellement, il n'y a pas de tension sur les pipelines de ce point de vue. Mais pour les sables bitumineux, nous avons assisté et nous continuerons à voir pendant un certain temps une augmentation continue de la production. À l'heure actuelle, nous sommes limités sur le volume global parce que nous transportons encore beaucoup de produits par le rail, ce qui fonctionne, mais ce n'est certainement pas la solution optimale du point de vue de l'économie.

Je crois que la chose la plus importante à court terme est de déterminer à quels marchés nous avons accès pour nos produits et quels pipelines nous utilisons. Pour le court à moyen terme, c'est un problème bien plus critique pour nous. Nous avons une situation d'offre excédentaire sur le marché nord-américain. En ce qui concerne l'écart entre les prix nord-américains, les prix internationaux et les prix du Brent par rapport au WTI, cet écart s'est beaucoup réduit, mais la valeur de base du produit a baissé également. Donc ce différentiel, bien qu'il se soit considérablement réduit, est beaucoup plus important aujourd'hui qu'il ne l'était quand le pétrole était à 90 dollars, c'est une opportunité beaucoup plus importante pour nous.

Et puis, si vous prenez les perspectives à long terme pour la demande mondiale de pétrole, il n'est pas surprenant de constater que les marchés mondiaux sont très efficaces pour ce produit, beaucoup plus efficace que les réunions de l'OPEP et que les discussions sur les prix et les contraintes d'approvisionnement. Les cours réduits du pétrole, si vous regardez les ventes très dynamiques et l'accroissement de la consommation de carburant en Amérique du Nord sous l'effet de la basse des prix, provoquent une hausse significative des prix à plus long terme, y compris à l'échelle internationale. Je crois que, la semaine dernière ou la semaine précédente, l'Inde a annoncé un progrès significatif des prévisions en matière de demande pour son marché intérieur. Ce sont des débouchés potentiels pour le Canada. Pour nous, pour le moyen à long terme, et avoir accès à ces marchés est d'une importance vitale.

Cependant, aujourd'hui, aussitôt que les prix vont rebondir, nous aurons d'intéressantes perspectives de croissance dans notre secteur et dans l'économie, ce qui sera essentiel pour les pipelines.

Le sénateur Doyle : Dans vos documents, vous mentionnez l'inversion de la ligne 9B et le prolongement de la ligne 9 d'Enbridge, et le fait que le pétrole brut s'écoule désormais entre Ontario et Montréal. Le maire de Montréal n'est pas très convaincu par le projet Énergie Est. Qu'en est-il du projet Enbridge? A-t-il bénéficié d'une adhésion sociale? Est-ce que la ville de Montréal était contre? Est-ce que ce projet desservait Montréal, par exemple?

M. Ferguson : L'inquiétude est loin d'équivaloir celle concernant Énergie Est. Cela s'est sans doute résumé à quelques éléments. Je ne connais pas les détails de ce projet, mais d'après ce que nous avons pu voir, je crois que c'est en partie centré sur des influences politiques autour du grand projet Énergie Est par opposition à des projets d'Enbridge de plus petite taille. C'est probablement lié aussi à un certain nombre d'éléments particuliers du projet dont je ne serais pas en mesure de parler.

La sénatrice Unger : Merci beaucoup, monsieur Ferguson. C'était très intéressant. Votre exposé était très bien expliqué, j'en prends acte et je me réjouis que cela figure dans le dossier.

Dans le sillage de cet horrible incendie à Fort McMurray, que pensez-vous des nombreux militants et autres qui s'opposent à l'industrie pétrolière en général et aux pipelines en particulier.

M. Ferguson : C'est une question très intéressante. Je pense que nous n'y avons pas encore vraiment réfléchi. Je crois que nous sommes encore en train de nous remettre du choc, de toutes ces familles déplacées et nous nous concentrons sur la façon de remettre les gens au travail, de ramener la ville et ses habitants à une situation de vie normale en quelque sorte.

Parmi les commentaires que l'on entend, il y a ceux des gens très mal informés qui parlent du rôle du changement climatique dans cet incendie, par exemple. Une partie de cela est régulièrement battue en brèche, mais il y a toujours une composante de la population qui croit à tort qu'un feu de forêt en particulier résulte du changement climatique et non de conditions sous-jacentes plus larges. Oui, les modèles évoluent au fil du temps en gros et les risques d'incendie de ce type augmentent, mais on ne peut certainement pas tirer des conclusions hâtives.

Je ne crois pas qu'on a établi beaucoup de liens entre les militants et les opposants aux projets de pipelines ainsi qu'à tous les projets de développement pétroliers, gaziers et de ressources en général, et cet incendie. Nous ne voyons pas de raison d'établir un lien. Pour l'heure nous sommes totalement centrés sur le fait de ramener les familles à un certain niveau de sécurité et de confort.

La sénatrice Unger : Merci. Dans quelle mesure les entreprises qui adhèrent à votre association ont-elles réussi à créer des partenariats avec les peuples autochtones? Je sais qu'il y a eu des réussites en Colombie-Britannique, mais j'aimerais avoir votre avis.

M. Ferguson : J'ai également travaillé dans d'autres parties du Canada. Je viens du secteur forestier au départ. Selon moi, le secteur pétrolier et gazier canadien a réussi d'une manière éclatante à former des partenariats entre les entreprises et les communautés autochtones dans les zones où nous travaillons, partout au Canada. J'ai travaillé à l'international et je n'ai pas vu la qualité d'engagement et de dévouement que l'on peut observer ici dans ce secteur lorsqu'il s'agit de bâtir ces partenariats, tant du côté des entreprises que du côté des collectivités.

Je crois que, pour nous, le défi tient au fait que la plupart de ces relations, de ces excellentes relations, existent là où nous sommes présents, mais bien évidemment, tandis que nous cherchons maintenant à construire ces infrastructures en dehors de ces zones, nous avons affaire à des collectivités, autochtones ou non, qui ne nous connaissent pas. Ce n'est pas nous, c'est un projet de pipeline. Les gens des pipelines font, je crois, du très bon travail pour bâtir des relations avec les collectivités qu'ils prévoient de traverser, mais encore une fois, c'est notre produit qui est transporté dans ces pipelines et les gens ne nous connaissent pas, car nous ne sommes normalement pas présents dans ces endroits, que ce soit dans le Nord de l'Ontario ou bien sûr dans d'autres parties du pays.

Dans le Nord de la Colombie-Britannique, pas le Nord-Est, mais le Nord-Ouest, on ne nous connaît pas. Alors les gens posent des questions et, franchement, nous ne pouvons pas nous appuyer sur le genre de relations de longue date, comme celles que nous avons établies avec les collectivités où nous menons ou avons mené nos activités. Cela prend tout simplement du temps et aussi une certaine confiance découlant de notre simple présence. Nous serons toujours là. Nous serons là pour le Canada. Et le gouvernement fédéral a clairement un rôle important à jouer pour nous aider à établir des ponts et pour faire en sorte que ces collectivités comprennent l'importance de ces infrastructures et des avantages indirects et directs que celles-ci peuvent en retirer, lorsque c'est possible.

La sénatrice Unger : Je suis très fière du bilan de l'Alberta. Je sais que beaucoup de membres des Premières Nations travaillent dans les sables bitumineux. Les chiffres sont impressionnants, vous êtes certainement plus à même que moi d'en parler.

M. Ferguson : On m'a récemment posé des questions sur ce thème, par exemple, combien d'ingénieurs autochtones votre secteur emploie-t-il? Ma réponse est simple : tous. Tous. Nous continuerons de le faire et nous en cherchons davantage. Nous sommes ravis de soutenir le développement d'un plus grand nombre d'Autochtones dans tous les aspects de nos affaires. Je pense que vous constaterez cela chez chacun de nos opérateurs, en Alberta, en Colombie- Britannique, en Saskatchewan ou dans le Canada atlantique. Partout où nous sommes, c'est un engagement fort, et nous serons toujours là.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Ferguson.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de votre présence ce matin. Vous avez comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles en février et mars dernier. Dans votre exposé, vous indiquiez que les raffineries du Québec dépendent beaucoup du pétrole importé et qu'elles doivent payer une prime à l'importation. C'est la première fois que j'entends cela. Quelle est cette prime et de quelle grandeur est-elle par rapport au coût net du litre d'essence?

[Traduction]

M. Ferguson : Merci pour votre question. De notre point de vue, il y a deux façons de voir les choses. Ils ne payent pas forcément une prime sur le pétrole. Dans certains cas, cela sera un mélange de pétrole différent, mais je crois qu'il nous faut comprendre que les raffineries doivent examiner la possibilité d'utiliser des bruts lourds en plus des bruts plus légers que nous avons dans l'Ouest du Canada.

Je ne connais pas les particularités des opérations de raffinage au Québec et dans le Canada atlantique. Il s'agit plus de considérer les sommes dépensées pour acheter un produit à l'étranger et de mettre cela en perspective avec le fait qu'il existe un produit fabriqué au Canada, qui apporte une valeur ici et qui peut être acheté ici.

Le plus important, je crois — et nous le savons grâce à nos archives de transport —, c'est que des produits de l'Alberta sont transportés par l'infrastructure de pipelines vers le sud des États-Unis. Une partie de ces molécules sont alors mises sur des bateaux et remontent vers le Canada par l'océan. Le Canada ne profite pas des coûts de transport, c'est quelqu'un d'autre qui empoche ces montants.

Nous voyons cela comme une occasion à exploiter. Il faut comparer cela aux investissements qui seront peut-être nécessaires dans les raffineries pour les rendre plus adaptées ou capables d'accepter les types de produits qui viennent de l'Ouest du Canada. Il faut tout calculer. Des investissements sont requis, c'est clair. Mais ce qui est sans doute plus important, généralement parlant, c'est de fabriquer un produit canadien qui profite aux Canadiens. Il n'est pas utilisé comme il pourrait l'être.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous parlez donc davantage de retombées économiques, dans le fond.

Je voudrais vous amener à un autre sujet. On a parlé, plus tôt, de la réticence du Québec à voir cet oléoduc traverser la province. Le dernier organisme qui s'y est opposé — et non le moindre —, c'est l'Union des producteurs agricoles du Québec, qui est un syndicat très militant et très puissant.

On prévoit que 75 p. 100 de l'oléoduc passera sur des territoires agricoles. On parle de plus en plus, au Québec, d'une redevance possible sur le transport de la matière. Les producteurs agricoles bénéficient actuellement d'une prime à la construction de l'oléoduc; ils recevront une indemnisation qui variera en fonction de la longueur de l'oléoduc qui passera sur leurs terres. Cependant, le gouvernement du Québec prétend qu'il n'y a pas de retombées économiques à recevoir pour le pétrole qui passe sur notre territoire pour transiter vers d'autres provinces. De plus, on parle d'une redevance sur la quantité de pétrole qui est transporté.

Est-ce un sujet dont vous discutez au sein de votre association ou par l'intermédiaire des producteurs pétroliers, ou même avec les promoteurs du projet Oléoduc Énergie Est?

[Traduction]

M. Ferguson : Très bonne question, merci beaucoup. C'est très important pour nous. Je veux dire clairement que la relation que nous avons avec les exploitants de pipelines n'est pas différente de celle que nous avons avec exploitants des réseaux ferroviaires ou autres, nous sommes distincts, car ils nous font payer l'utilisation de leur infrastructure. Dans le cadre de la législation canadienne sur la concurrence, il est très important que nous restions à part.

Il est clair que nous militons pour que nos produits atteignent les marchés. Il faut que nous soyons assez prudents, parce que si nous défendons des projets si coûteux que nous ne sommes plus en mesure de payer le transport de nos produits par leur intermédiaire, cela devient un véritable défi pour nous. Donc nous cherchons l'efficacité, des coûts d'infrastructures appropriés pour ces pipelines, parce que c'est la base du prix que nous payons pour l'utilisation de ces infrastructures pour le transport de nos produits.

J'ai un petit peu entendu parler de la redevance. Je suis désolé, je ne connais pas la position précise des promoteurs du pipeline à ce sujet. En gros, voici comment nous voyons les choses, si nous pouvons transporter nos produits d'une façon qui soit économique, efficace et à des coûts raisonnables, alors la manière dont cet argent est distribué relève surtout du gouvernement et des promoteurs du projet en particulier.

Je vais être franc avec vous. Nous sommes préoccupés par le coût de ces projets parce que nous finissons par les payer sous forme de supplément sur le coût du transport de nos produits. Tout ce qui a un impact négatif sur l'économie de notre activité nous préoccupe, alors nous regardons cela de près. Mais pour ce qui est de la pertinence du fait que les propriétaires de terres perçoivent des bénéfices ou une contrepartie parce que des pipelines traversent leur propriété — ou, soyons honnêtes, passent un peu sur leur propriété — cela relève d'une négociation entre le gouvernement, les propriétaires terriens et les promoteurs des projets. Nous nous contentons de regarder cela sous l'angle de l'efficacité économique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le pétrole transite actuellement soit par voie terrestre, par voie maritime, par chemin de fer ou par pipeline. Les municipalités ont beaucoup de réticences; on l'a vu par rapport à Montréal et dans ce qui s'est passé à Lac-Mégantic. Ce sont les municipalités qui courent le risque de voir transiter cette quantité phénoménale de matière sur leur territoire, mais elles retirent très peu de bénéfices du transport de la matière comme telle.

Ne serait-il pas une avenue envisageable de mettre sur pied une stratégie de redevances afin de calmer le jeu et de favoriser l'adhésion des municipalités à l'idée de la construction d'oléoducs, et surtout, pour faire en sorte de réduire davantage l'usage de chemins de fer ou de camions pour le transport de cette marchandise?

[Traduction]

M. Ferguson : Oui, je suis tout à fait d'accord. Je crois que le rôle des gouvernements est d'examiner les opportunités crées par ce type de projets et par la manière dont nous faisons de la croissance économique, en règle générale, mais aussi de regarder les spécificités du projet, pour le bénéfice de tous les Canadiens.

Il y a de nombreuses manières de faire cela. Par exemple, je vais prendre les sables bitumineux canadiens à l'heure actuelle qui représentent le gros des produits devant être transportés. Évidemment, il y a 191 entreprises au Québec qui fournissent des biens et des services pour soutenir les entreprises qui exploitent les sables bitumineux. Il y a 191 entreprises différentes qui bénéficient de l'exploitation des sables bitumineux au Québec. Celles que j'aime prendre en exemple sont les trois à l'île du Prince-Édouard qui bénéficient des sables bitumineux canadiens.

Si vous regardez les choses dans leur ensemble, c'est une industrie canadienne, même si le développement de la ressource se fait généralement dans un secteur particulier. Je crois qu'il est important de comprendre cela. La manière dont cela s'intègre dans un ensemble fait que tout le monde bénéficie du fait que nos ressources atteignent les bons marchés.

Je reconnais qu'un des éléments sur la base d'un projet en particulier pourrait consister à regarder comment les propriétaires fonciers bénéficient de ce projet et en limitent les risques et l'impact sur leurs opérations agricoles, ce qui est très important.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Surtout pour les municipalités, parce que, à l'heure actuelle, les municipalités sont l'élément clé dans la stratégie de la construction de l'oléoduc au Québec et dans d'autres provinces. Donc, si les municipalités adhéraient à ce projet, je pense que cela calmerait beaucoup le jeu.

On connaît les problématiques financières des municipalités. Il est évident que s'il y avait un avantage financier à la construction de l'oléoduc, il existerait au Canada une harmonie beaucoup plus grande que celle qu'on connaît actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur Ferguson, pour votre exposé très utile de ce matin. Avant que je ne pose quelques questions sur votre exposé, je voulais rebondir sur les commentaires que vous avez faits au sujet du terrible incendie de Fort McMurray et vous dire, au nom de mes collègues, à vous et à vos membres, à quel point les Canadiens ont été impressionnés par la façon dont vos membres, les principales compagnies pétrolières et gazières de ce pays, ont géré la situation. Elles ont protégé leurs intérêts, mais surtout, elles ont protégé leur personnel. Je crois que c'est très important que vous leur disiez que les Canadiens partagent ce point de vue.

Je voudrais ajouter, si vous le permettez, que 30 000 familles ont été déplacées à Edmonton, 5 000 à Calgary et 3 000 à Lac La Biche, comme nous le savons tous. Ce comité doit savoir, monsieur le président, que notre témoin a volontairement accueilli une famille de Fort McMurray —une famille qu'il ne connaissait pas — et que c'est ce genre d'exemple que nous avons vu dans tout l'Alberta ces derniers jours, des gens qui ont ouvert leurs portes à des familles qui se trouvaient dans une situation très difficile.

Alors, merci, remerciez les Albertains et les Canadiens, remerciez les sociétés énergétiques. Merci de transmettre ce message.

M. Ferguson : Je le ferai. Merci beaucoup.

Le sénateur Black : Au sujet de votre exposé, je voudrais une réponse précise. Imaginons que je vous rencontre dans une rue de Vancouver. Je suis quelqu'un de très occupé, alors je n'ai pas beaucoup de temps. Je vous demanderais : « Quelles seraient les conséquences pour le Canada si l'on ne construisait pas de pipelines? ».

M. Ferguson : Notre économie ne se développera pas.

Le sénateur Black : Merci beaucoup.

Voici ma prochaine question : les gens se demandent souvent si au Canada, le cadre réglementaire et le cadre de sécurité qui régissent les oléoducs et l'industrie énergétique en général sont adéquats, ou non.

Seriez-vous en mesure de nous citer — si vous ne le pouvez pas, tant pis — des données comparatives sur l'efficacité du Canada en matière de prudence réglementaire et de sécurité par rapport aux autres pays du monde? Comment le Canada se classe-t-il?

M. Ferguson : Je vais essayer de vous répondre brièvement. Il y a environ un an et demi, nous avons commandé une étude comparant le système albertain de réglementation des sables bitumineux en particulier — notre projet portait sur les sables bitumineux — à celui de tous les autres pays, notamment en matière d'équité, de transparence, d'efficacité — un bon nombre de facteurs. Je pourrais en remettre une copie au comité.

Sur tous ces aspects, quand on en fait la synthèse — et cette étude était effectuée par un cabinet d'experts-conseils international indépendant qui a des bureaux dans le monde entier, donc elle est très sérieuse —, tous les aspects de notre système de réglementation examinés se sont classés au premier, au deuxième ou au troisième rang.

Au lieu de nous fier à ces résultats, nous nous sommes demandé si puisque nous nous classons au premier, au deuxième ou au troisième rang, à quel point serait-il nécessaire d'améliorer notre système? Peut-être que les autres pays devraient améliorer les leurs. Je peux vous assurer, ayant travaillé dans de nombreux autres pays, même dans certains que l'on considère comme étant bien plus avancés que le nôtre dans le domaine de la protection de l'environnement, que les normes que j'observe au Canada sont de première classe, qu'elles surpassent celles de tous les autres pays. Et je vous affirme cela même à titre d'ancien régulateur. Nos normes, nos attentes et notre rendement dépassent de loin ceux de presque tous les pays que je pourrais nommer.

Le sénateur Eggleton : Je voudrais reprendre notre conversation au sujet de Fort McMurray. Je crois que nous avons tous été soulagés hier d'apprendre que 90 p. 100 des structures de la ville tiennent encore debout. Il faudra probablement bien du temps — avec la perturbation de la vie quotidienne et celle de votre entreprise aussi à cause de vos employés qui en ont subi les répercussions. Mais au moins on a pu épargner une bonne partie de la ville.

Je voudrais vous poser une question sur les coûts de production des sables bitumineux. Ces sables produisent plus de la moitié — 58 p. 100, d'après ce que j'ai lu — du volume total de pétrole produit au Canada. Hier, le prix du pétrole était d'environ 44 $ le baril et aujourd'hui il est descendu à 43 $. J'ai toujours cru comprendre qu'il faudrait plus du double de ce prix pour que les sables bitumineux soient rentables à long terme — pour qu'on puisse les considérer comme une solution viable à long terme.

Qu'en pensez-vous?

M. Ferguson : Il me semble que le double de ce prix serait extrêmement élevé. C'est impossible à prévoir. Les projets de sables bitumineux et les types de production sont beaucoup trop différents les uns des autres. On a consacré beaucoup d'efforts ainsi que des millions et des milliards de dollars pour trouver des moyens d'optimiser cette production et de la rendre plus efficiente; ces améliorations protègent l'environnement en rendant l'utilisation énergétique plus efficiente, mais elles coûteraient très cher à n'importe quel secteur, et à celui-ci en particulier.

Nous avons certains projets qui, j'en suis certain, sont très viables de 45 $ à 50 $. Certains autres nécessiteront des prix beaucoup plus élevés. Cela dépend beaucoup de la phase du cycle de vie dans laquelle ils se trouvent. Cela dépend aussi de leur étendue et de la qualité des réservoirs. Cela dépend de tellement de facteurs. Il faudrait examiner chaque projet séparément.

Le sénateur Eggleton : Un plus grand nombre des projets situés dans de nouvelles régions sont plus coûteux?

M. Ferguson : Oui, certains de nos nouveaux drainages par gravité au moyen de vapeur, ou DGMV. Mais nous en tirons des leçons et nous découvrons certaines efficiences.

Vous voyez que des projets ont été annulés à mi-chemin. La croissance de la production est due aux projets qui sont déjà en cours; ce sont des investissements à long terme. Alors la production continuera à augmenter tant que ces projets s'achèveront et commenceront à produire.

Nous nous préoccupons plus de ce qui se produira à moyen et à plus long terme si les prix ne remontent pas et si nous n'atteignons pas les efficiences de la technologie et de l'innovation qui pourraient assurer la rentabilité de ces projets.

Le sénateur Eggleton : Mais en général, 44 $ n'est pas un prix très favorable à l'extraction du pétrole des sables bitumineux.

M. Ferguson : Pas à long terme, non.

Le sénateur Eggleton : Non, pas à long terme.

Ma deuxième question a trait aux oléoducs. On entend constamment dire qu'il faut des oléoducs pour amener le produit à la mer — on entend par cela vers les marchés internationaux ou à la consommation. Et pourtant, d'après ce que l'on m'a dit, à l'heure actuelle 97 p. 100 de nos exportations vont aux États-Unis.

M. Ferguson : Oui.

Le sénateur Eggleton : Alors quelle analyse a-t-on effectuée sur la viabilité des marchés étrangers? Où se trouvent-ils?

Quand j'étais ministre des Affaires étrangères il y a bien longtemps, on parlait beaucoup du gaz naturel liquéfié, le GNL. C'était tout un combat juste d'en parler sans même chercher y parvenir. Alors quels débouchés pensez-vous voir dans les marchés étrangers?

M. Ferguson : Depuis deux semaines environ, on pense que la demande mondiale de pétrole atteindra 100 millions de barils par jour. Elle est à 96 millions de barils à l'heure actuelle. La baisse des prix a encouragé plusieurs pays. Par exemple l'Inde, la semaine dernière, a annoncé que sa demande de pétrole avait atteint un volume record.

Le sénateur Eggleton : S'agit-il de pétrole classique?

M. Ferguson : Et aussi de pétrole lourd. Suivant le volume de l'offre, les raffineries prendront ce qu'elles pourront sur une base économique.

La demande mondiale de pétrole continue d'augmenter, et cela se poursuivra assez longtemps. Le déséquilibre de notre offre à l'heure actuelle n'est pas dû à l'OPEP, au Moyen-Orient, à la Chine ou à ces nations, mais aux États-Unis, au Canada et peut-être à une ou deux nations de l'Amérique du Sud. Comme 97 p. 100 de notre demande est retenue en Amérique du Nord, nous n'en retirons pas les avantages que nous devrions. Nous faisons affaire dans un marché restreint — sur une sorte d'île, si vous voulez. Il est vraiment important que nous sortions de cette île.

Les États-Unis seront toujours pour nous un partenaire important. Mais ils représentent aussi un concurrent de taille dans le domaine de l'investissement; des sommes énormes s'en vont vers le sud. Nous avons besoin de réduire ce 97 p. 100, comme nous le dites, à un pourcentage qui nous rapportera une bonne valeur.

Le sénateur Eggleton : Le commerce avec les États-Unis a toujours causé un problème. Presque tous nos produits s'en vont de ce côté.

Ma dernière question porte sur les peuples autochtones. Vous appuyez la déclaration de l'ONU, et le gouvernement a annoncé lui aussi qu'il allait l'appuyer. J'ai cependant l'impression que cela va donner plus de force aux peuples autochtones; il va être d'autant plus important de renforcer nos relations avec eux. Je comprends ce que vous avez dit sur les relations de votre association, mais cela ne convient pas toujours aux entreprises de construction d'oléoducs. Je comprends que ces mandats sont distincts — vous nous l'avez expliqué —, mais votre produit se déplace dans ces oléoducs, donc vous avez intérêt à vous ranger de leur côté.

Vous dites qu'ils ne vous connaissent pas. Ne serait-il pas temps qu'ils apprennent à vous connaître? Ne serait-il pas temps pour vous de vous engager? S'ils deviennent plus forts dans le cadre de ces négociations, il serait peut-être temps de traiter non pas avec les gens qui construisent les oléoducs, mais avec ceux qui y transportent leur produit.

M. Ferguson : Vous avez tout à fait raison. À mon avis, notre appui pour la mise en œuvre de la DDPA devrait déclencher ces vastes conversations. Je vous dirais que nous en avons aussi discuté. Nous avons collaboré avec les entreprises de construction d'oléoducs à la mise en œuvre de tous ces projets, nous les avons appuyées en consultant en même temps les communautés situées le long des corridors de ces oléoducs. Nous les avons ainsi soutenues en leur fournissant des conseils.

La situation nous encourage. Nous sommes convaincus que le fait que le gouvernement fédéral et les provinces se concentrent sur ces enjeux nous offre une bonne occasion de tirer avantage de ces relations et que nos efforts vont porter des fruits.

Le sénateur Runciman : Merci, monsieur Ferguson. Je vous remercie d'être venu. Ma question est quelque peu liée à ce dont parlait le sénateur Eggleton, les activités de votre association. Vous avez dit que vous collaborez avec les gouvernements provinciaux. Nous avons parlé il y a un certain temps de projets à valeur ajoutée. Vous avez mentionné, par exemple, 191 entreprises au Québec. J'ai remarqué que dans l'une de vos présentations vous aviez dit que deux usines de GNL réduiraient de moitié la production de la société Algoma Steel à Sault Ste. Marie en Ontario — et je le répète, le gouvernement provincial essaie de déterminer s'il faudrait renflouer une fois de plus cette société ou risquer les répercussions économiques dont souffrirait la ville en perdant cette entreprise.

Je me demande si ces messages passent bien. Je ne crois pas vraiment que la première ministre Wynne ait modifié sa position parce qu'au début, quand nous parlions d'oléoduc, on nous critiquait. Nous savons ce qui se passe dans un nombre important de municipalités du Québec. Je suppose que je relie ces faits à l'efficacité de votre message. Quelle partie de son budget votre association affecte-t-elle à la communication et aux relations publiques?

M. Ferguson : Ce n'est pas mon domaine d'expertise à l'association, mais nous avons une bonne équipe responsable de ces activités. Notre association fonctionne de manière à attirer des activités particulières d'entreprises, puis à y collaborer et à les coordonner. Au cours des deux ou trois ans que j'ai passés à l'association, j'ai vu les membres donner des millions de dollars pour sensibiliser les gens partout au Canada sur notre secteur. Nous suivons de nombreuses façons différentes de le faire.

Par exemple, j'aime beaucoup parler de l'Alliance pour l'innovation dans les sables bitumineux du Canada, l'AISBC, qui réunit de nombreuses sociétés d'extraction du pétrole des sables bitumineux pour collaborer et échanger des idées d'innovation technologique. L'AISBC a lancé un processus qu'elle appelle XPRIZE et qui a souvent changé de nom au cours des années. Le tout premier de ces processus ne s'appelait pas XPRIZE; il avait un autre nom — nous savons qu'il a financé le vol de Lindbergh à travers l'Atlantique.

Le sénateur Runciman : J'ai lu la transcription de certains autres de vos témoignages, alors je connais ces initiatives. Tout au long de cette étude, je me suis efforcé de transmettre un message à différents témoins. Vous dites que le Canada réglemente et gère le développement du carbone mieux que toute autre nation au monde.

M. Ferguson : C'est tout à fait vrai.

Le sénateur Runciman : Les investisseurs de l'étranger placent des millions de dollars chez nous. Certains organismes, des groupes autochtones et autres n'approuveront jamais cela, et nous le savons. Mais transmettez-vous votre message avec efficacité? En lisant vos notes sur la société Algoma Steel, par exemple, je sais que la situation préoccupe profondément le Nord de l'Ontario.

J'ai parlé de l'industrie et de réunir tous les éléments de l'industrie. J'ai mentionné le combat sur le libre-échange auquel nous avons assisté il y a des années; j'ai aussi mentionné les activités coordonnées et la reconnaissance des médias sociaux. Tous ces éléments s'offrent à vous aujourd'hui; vous pourriez attirer le soutien des jeunes des universités et des collèges en leur expliquant la réalité non seulement des avantages économiques, mais celle des impacts environnementaux. Je crois que l'industrie devrait améliorer sa promotion de ces enjeux de cette manière.

Nous parlons d'approbation sociale. Eh bien, comment l'obtenir? À mon avis, vous devriez faire comprendre à un nombre toujours plus élevé de Canadiens les impacts environnementaux et économiques et ce que cela apportera à leur avenir et à celui de leurs enfants et de leurs petits-enfants. J'espère que le fait que je souligne ce message à presque chaque témoin que nous entendons les incitera à se réunir pour coordonner une activité de plus grande envergure à l'échelle de l'industrie, et non pas en s'occupant d'un élément à la fois.

M. Ferguson : Je vous remercie d'avoir fait cette observation. Je vous dirai que nous faisons énormément d'efforts dans ce domaine. Mes observations sur la société Algoma Steel proviennent d'une activité de communication que nous avons menée récemment avec l'association de l'acier au Canada. Nous nous réunissons régulièrement avec ses représentants pour discuter de collaboration. Ils m'ont mis au courant de ce fait le jour avant que je fasse cette observation. Je trouvais que c'était une occasion extraordinaire de transmettre notre message.

Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une activité à court terme. Il nous faudra beaucoup de temps pour faire vraiment comprendre aux Canadiens les avantages que notre secteur et d'autres secteurs de ressources naturelles leur apportent.

Le sénateur Runciman : Il faut que ces messages fondamentaux soient mieux compris et mieux transmis. Il ne faut pas se contenter de les présenter à un comité sénatorial ou parlementaire. Il faut qu'ils sachent comment faire cette promotion.

M. Ferguson : Vous avez raison.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Ferguson, je suis content de vous revoir. Voici une question à laquelle je songe depuis assez longtemps, mais je ne l'ai jamais posée. Puisque vous êtes avec nous ici, je vais vous la poser. Le projet d'oléoduc Énergie Est constitue l'un des éléments physiques principaux de la société TransCanada. Nous allons le convertir de gazoduc à oléoduc d'abord pour le pétrole, puis pour le pétrole lourd. Je sais que le marché du gaz naturel change, et je sais que ce gazoduc transporte de moins en moins de gaz naturel depuis plusieurs années. Comment allons-nous amener le gaz de l'Alberta vers les marchés? Sans accès, qu'arrivera-t-il à ce gaz? Je comprends qu'il soutiendra moins bien la concurrence en arrivant vers l'est, mais l'Alberta demeure une grande productrice de gaz naturel. Je sais qu'un programme va convertir la combustion du charbon en combustion de gaz naturel, mais il va falloir des dizaines d'années pour le faire.

Entretemps, si cet oléoduc est approuvé — et j'espère qu'il le sera — que ferons-nous de ce gaz? Comment l'amènerons-nous vers les marchés?

M. Ferguson : Je vous dirai franchement que nous débattons beaucoup de cette question à l'interne. Nous examinons le problème de ne pas pouvoir acheminer notre gaz naturel de l'ouest vers l'est du Canada principalement par gazoduc. Nous avons une ressource très importante juste au sud de là où nous sommes, Marcellus, et cette ressource cherche un foyer si l'on peut dire, et nous allons peut-être perdre des débouchés à cause du manque d'accès et des contraintes liées au gazoduc. Alors que faire, face aux forces concurrentielles d'un vaste approvisionnement très important qui se trouve juste au sud de chez nous? Quelle occasion saisir pour notre gaz naturel? Nous voudrions certainement y voir de nombreuses occasions. Maintenant nous allons devoir soutenir cette concurrence et ce sera difficile dans l'Est du Canada, mais nous voulons être sûrs que cela représente encore une option viable pour nous. Tels sont les débats qui font rage chez nous à l'interne.

D'un autre côté, nous voyons de meilleures occasions pour notre GNL sur la côte Ouest. Il est évidemment un peu décevant que la construction et la mise en opération de ces oléoducs soient si lentes, mais à long terme c'est probablement la meilleure occasion pour nous. Les conversions du gaz naturel en Alberta nous rendent un peu plus optimistes. Nous pensons pouvoir en faire accélérer quelques-unes. Nous espérons que le gouvernement continuera à hâter certaines de ces conversions afin que nous puissions ouvrir un marché pour notre produit un peu plus près de chez nous, où nous pourrions le vendre à un assez bon prix.

Toutes ces choses nous préoccupent. Je ne veux jamais suggérer que nos producteurs de gaz naturel ne font pas face à plus, ou moins, de restrictions à l'accès vers l'est du Canada. C'est pourquoi nous surveillons la situation de très près pour eux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai une question complémentaire. Monsieur Ferguson, vous avez dit qu'il y aurait des difficultés pour l'Est du Canada au chapitre de l'acheminement du gaz naturel. Est-ce lié à la transformation du pipeline de gaz au mazout? Je ne comprends pas pourquoi il y aurait des difficultés.

[Traduction]

M. Ferguson : Je vais préciser. L'acheminement du gaz naturel de l'ouest à l'est du Canada ne se heurte pas seulement à un problème de capacité. Si nous convertissons les gazoducs en oléoducs, le problème sera lié aux endroits où passera l'oléoduc. Il y a bien des voies d'accès, mais cela nous préoccupe, et nous surveillons la situation de près. Cela n'a rien à voir avec l'utilisation finale du gaz naturel. Il s'agit plutôt de la capacité d'acheminement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que la transformation du pipeline actuel aura un impact sur la capacité d'acheminer le gaz naturel vers le Québec, entre autres?

[Traduction]

M. Ferguson : Aucun indice ne nous le laisse croire pour le moment, mais nous surveillons la situation. Dans le cadre des audiences sur le projet Énergie Est, je crois que la société Enbridge vient d'indiquer qu'elle surveille aussi la situation. Donc Enbridge surveille la situation pour le marché et les oléoducs et pour le reste de son exploitation; nous la surveillons pour saisir des débouchés généraux et un accès aux marchés.

Nous ne voyons pas de problème grave pour le moment, mais en observant l'intérêt croissant du Sud qui cherche des marchés pour le gaz de Marcellus, nous voulons nous tenir bien au courant de l'évolution de la situation et nous préparer à saisir des occasions de protéger autant que possible la production canadienne.

Le sénateur Eggleton : C'est un enjeu très important. Comme je vous l'ai dit, je crois que nous devrions inviter des représentants de l'industrie du gaz naturel à nous parler, parce que nous devons aussi comprendre les incidences que l'accès au pipeline aura sur le marché.

Je voudrais vous poser une question sur la controverse que crée la fracturation. Je ne sais pas si certaines de vos industries la pratiquent, mais on ne cesse de nous dire, du moins du côté américain, que cette méthode cause des tremblements de terre. Que pouvez-vous nous dire à ce propos?

M. Ferguson : Je dois vous avouer que j'ai utilisé cette méthode. J'ai travaillé dans ce domaine dans de nombreuses régions, et selon moi, les préoccupations sont légitimes. Ce processus industriel comporte des risques, comme tout processus industriel. Il est fortement réglementé au Canada et dans d'autres pays. La technologie est très solide, mais en fin de compte, cette méthode comporte des risques.

Il a été prouvé que dans certaines régions, cette méthode est liée à l'activité séismique, à des tremblements de terre. Dans la plupart des cas, on observe de très faibles glissements le long des failles. La plus grande préoccupation n'est pas liée à la fracturation hydraulique effectuée pour stimuler la production, mais à bien des endroits, on s'inquiète de l'injection de déchets liquides dans des puits profonds lorsque le recyclage cesse d'être viable. Si l'on ne planifie pas adéquatement cette injection en évaluant les liens entre ces puits et les caractéristiques hydrogéologiques — glissements, fissures, failles —, on risque de déclencher une activité séismique.

Du point de vue de la production, on court le risque de créer de la pression dans un puits dans le cadre d'un projet de fracturation hydraulique pour stimuler la production, et cette pression hydraulique pourrait se propager dans d'autres puits avoisinants qui n'auraient pas été abandonnés ou bouchés adéquatement et qui y sont peut-être reliés par une faille naturelle. Ces risques existent toujours.

L'Alberta est bien plus avancée que d'autres régions dans le domaine de la planification et de la gestion de ces risques. Nous en avons été témoins. Je crois que la Colombie-Britannique a aussi adopté d'excellents règlements et renforcé la surveillance des activités de fracturation qui risquent de déclencher une activité séismique. Oui, cette méthode pose des risques, mais je crois que si cela vous préoccupe, vous trouverez de nombreux experts prêts à vous convaincre en quelques mots que ces risques sont bien gérés.

Le sénateur Eggleton : Si je comprends bien, une grande part de ce risque est liée à la méthode d'élimination de l'eau. Par exemple, le système utilisé en Oklahoma ces dernières années semble avoir causé plusieurs tremblements de terre à cause de l'injection de l'eau à un certain niveau. C'est cela? Utilisons-nous ce système chez nous? Nous n'utilisons pas ce type de système ici?

M. Ferguson : Non, nous l'utilisons ici également. Toute la différence réside dans la planification et dans l'histoire de la région. En Oklahoma, on a pendant très, très longtemps abandonné des puits de manière inadéquate et l'on a peut- être, ou pas, fixé des règlements exigeant de vérifier où se trouvent certains de ces puits.

Alors quand vous appliquez de la pression hydraulique dans un puits à la suite de la fracturation, cette eau doit trouver une sortie quelque part. S'il existe une voie facile vers une autre faille, elle s'y acheminera tout naturellement. C'est la loi de la nature.

Au Canada, nous avons un régime de réglementation bien plus solide et nous surveillons depuis beaucoup plus longtemps ces activités pour comprendre ce qui s'est passé; la planification des activités à chaque endroit est meilleure; le processus de délivrance des autorisations liées à la profondeur et à la fracturation et la surveillance sont beaucoup plus strictes, je crois.

Le président : Monsieur Ferguson, nous tenons à vous remercier d'être venu nous présenter ces observations. Comme vous l'avez constaté, les membres du comité ont participé très activement.

Je remercie Kevin d'avoir assumé le rôle de greffier aujourd'hui. Mais je tiens à indiquer aux membres du comité directeur — la sénatrice Unger, le sénateur MacDonald — que nous allons rencontrer Dan pour discuter des séances futures.

Demain soir nous entendrons Bruce Campbell, collaborateur émérite de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et Theresa McClenaghan, directrice exécutive et avocate de l'Association canadienne du droit de l'environnement. De plus, l'honorable vice-président dirigera la séance de demain. Merci beaucoup.

(Le comité s'ajourne.)

Haut de page