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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 4 - Témoignages du 1er juin 2016


OTTAWA, le mercredi 1er juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, afin d'étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports des côtes Est et Ouest du Canada.

Daniel Charbonneau, greffier du comité : Honorables sénateurs, en ma qualité de greffier de votre comité, j'ai le devoir de vous informer de l'absence inévitable du président et du vice-président. Je dois donc présider à l'élection du président suppléant. Je suis prêt à recevoir les candidatures.

Le sénateur Mercer : Je propose le sénateur Runciman.

M. Charbonneau : Il est proposé par l'honorable sénateur Mercer que l'honorable sénateur Runciman assume la présidence du comité. Plaît-il au comité d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

M. Charbonneau : La motion est adoptée. J'invite le sénateur Runciman à occuper le fauteuil.

Le sénateur Bob Runciman (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Merci de votre confiance. Honorables sénateurs, le comité poursuit ce soir son étude de l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports des côtes Est et Ouest du Canada. Notre témoin ce soir est M. Ken Coates, collaborateur émérite dans les dossiers des Autochtones et du Nord canadien de l'Institut Macdonald-Laurier. M. Coates, bienvenu. Nous apprécions votre comparution ce soir. Je vous laisse la parole.

Ken Coates, collaborateur émérite dans les dossiers des Autochtones et du Nord canadien, Institut Macdonald-Laurier : Merci beaucoup, honorables sénateurs, c'est un honneur pour moi. Dans mon exposé, j'aimerais aborder la façon dont je vois évoluer le contexte de la participation autochtone à l'économie des ressources, en particulier aux secteurs comme celui des pipelines. Il y a beaucoup de couverture médiatique et de discussions à propos des manifestations autochtones contre bien des choses, les pipelines, les mines et ainsi de suite. Il existe un élément crucial du contexte qui, selon moi, est loin d'avoir l'attention qu'il mérite. La participation des Autochtones au secteur des ressources est en fait plutôt considérable.

Il y a beaucoup d'investissements en capitaux qui se préparent. Il y a beaucoup de partenariats, de développement et d'ententes de collaboration. On compte plus de 400 ententes de collaboration dans le seul secteur minier, et encore plus dans le secteur forestier. J'avancerais d'abord qu'il y a effectivement eu des manifestations, et de grandes tensions et controverses, mais que les ressources naturelles représentent en fait la première ligne d'une réconciliation au Canada, alors que les intérêts économiques et commerciaux canadiens convergent par l'intermédiaire des entreprises, des gouvernements et des peuples autochtones d'une façon que bien des gens trouveraient surprenante dans l'ensemble.

L'un des secteurs où cette convergence n'a pas encore abouti est celui des pipelines, ce qui est évidemment le thème de votre étude. Nous devons examiner comment se déroule le débat sur les pipelines avec Énergie Est et les autres. Dans le contexte d'une série de décisions de la Cour suprême du Canada sur les droits des Autochtones, dont vous avez certainement discuté, et de l'adhésion du gouvernement du Canada à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les peuples autochtones ont de très bonnes raisons de se sentir plus en position de force, soit un revirement après de très longues années.

Ils désirent maintenant exercer ce pouvoir, comme le ferait n'importe quel membre de la société, n'importe quelle région, n'importe quel gouvernement. Ils veulent être pris au sérieux. Essentiellement, leur principe au départ est que l'établissement de nouvelles relations de travail avec les peuples autochtones s'impose. Il faut engager des relations avec ces communautés dès le départ. Il ne peut pas s'agir d'une participation qui s'amorce à mi-chemin ou aux trois quarts d'un processus. Il faudrait intégrer des partenariats dans toute la mesure du possible, lesquels ont fait la preuve de leur efficacité. Il faut afficher un engagement clair à ce que les avantages du projet proposé soient partagés de façon équitable avec la région, et avec les peuples autochtones en général.

Une autre chose que nous avons apprise au cours des deux ou trois dernières années, c'est que nous existons dans une économie mondiale des ressources naturelles, et que si nous hésitons, nous ralentissons ou nous interrompons nos projets, les marchés peuvent s'évaporer très rapidement. C'est certainement ce qui s'est produit avec le pétrole brut, et aussi avec le pétrole, le gaz et les minéraux en général.

On m'a transmis une série de questions, et mes réponses pourraient vous intéresser. Commençons peut-être par la façon de procéder pour faciliter l'acceptation sociale du transport du brut. En toute franchise, ce concept d'acceptation sociale, qui est vague, me laisse un peu sceptique. L'acceptation sociale a tendance à signifier que vous n'êtes pas autorisé à poursuivre votre projet si quelqu'un se plaint. L'unanimité est presque impossible, en particulier sur des questions comme les pipelines et la mise en valeur des ressources naturelles. Il y aura toujours des gens qui ont des motifs légitimes et bien fondés de s'opposer à ces projets. De mon point de vue, l'élément d'acceptation sociale découle des élections générales, et notamment de l'élection d'un gouvernement majoritaire et de l'imposition des types appropriés de législation et d'habilitation par l'intermédiaire du Parlement, soit la Chambre des communes et le Sénat.

Nous savons par ailleurs que le public doit avoir confiance dans le caractère robuste et exhaustif de notre processus d'examen. Un gouvernement ne peut pas prendre des décisions sans porter dûment attention aux mécanismes spéciaux nécessaires à la consultation des peuples autochtones. Ces consultations doivent commencer tôt dans le processus, et elles ne peuvent pas être bâclées. Elles doivent être étendues et englober une discussion complète sur une indemnisation appropriée, le cas échéant.

Que doit faire le gouvernement? Je crois que le gouvernement doit établir une norme qui s'appliquera à ses décisions finales sur le degré d'appui nécessaire ou le degré d'opposition acceptable. L'ambiguïté relative à la norme représente le plus important risque concret d'indécision susceptible de causer des problèmes pour la suite des choses. Nous savons que nous pouvons arriver à régler ces enjeux, mais en étant très prudents.

Pour ce qui est de la confiance du public envers le processus d'examen des pipelines, je crois que nous pouvons partir du principe que la plupart des Canadiens ont une confiance relativement élevée à l'endroit des processus nationaux d'examen, en partie parce qu'il ne s'agit pas d'une question au premier plan des préoccupations de la plupart des Canadiens. Les gens qui s'opposent aux pipelines passent beaucoup de temps à réfléchir à la question. Les peuples autochtones dont le territoire sera affecté passent beaucoup de temps à réfléchir à la question. La plupart des Canadiens sont simplement contents que du pétrole et du gaz se rendent à leur domicile et à leur automobile pendant qu'ils vaquent à leurs occupations.

Pour aller de l'avant, nous devons avoir des critères d'approbation clairement définis. L'un de ces critères est le niveau de risque ou de perturbation que le gouvernement est prêt à accepter. Nous avons besoin d'une explication complète du processus d'examen à mesure qu'il se déroule, et il doit être décrit en termes clairs dès le départ. Je crois que le processus se déroule actuellement dans le milieu technique. Il rejoint mal le grand public, mais le processus décisionnel et la résolution doivent reposer de façon claire et démontrable sur des faits et des preuves scientifiques.

Un aspect auquel nous ne portons pas beaucoup attention est la nécessité d'un effort soutenu de vulgarisation scientifique auprès du public. Les gens doivent avoir la possibilité de suivre ces processus techniques et complexes d'une manière relativement facile à comprendre et d'un accès rapide.

Nous avons aussi besoin de beaucoup mieux comprendre la teneur du risque au Canada. Un pipeline, comme un déplacement en avion ou en automobile ou bien d'autres choses, présente des risques réguliers. Toutes ces choses présentent des risques. Nous devons comprendre comment ces risques sont compensés. De plus, dans le contexte d'un pipeline, nous devons mieux comprendre ce qui arrivera au Canada si nous n'en construisons pas. Quelles seront les répercussions en matière de recettes gouvernementales, de programmes sociaux, et autres conséquences? Nous prenons en fait une décision reposant sur l'équilibre des risques et des avantages, et nous devons en connaître la teneur complète. L'aspect risques d'un pipeline est facile à connaître. Je suis d'avis que le grand public a besoin de savoir à quoi ressemble réellement l'autre volet de l'équation et ce qu'il faut prévoir.

J'ai déjà dit que je crois qu'il nous faut un processus plus robuste de participation des peuples autochtones. J'ai participé comme intervenant et témoin expert à une série de processus du genre. Les communautés estimaient toujours être consultées trop tard dans le processus, et trop superficiellement. On les invite à la dernière minute, sans prévoir de ressources pour aller de l'avant. Il s'agit de grands projets, avec beaucoup de risques et de répercussions. Nous devons avancer avec prudence.

La question du partage des avantages de ces pipelines et d'autres projets de mise en valeur des ressources est cruciale également. Je terminerais peut-être en disant que nous devons garder à l'esprit que depuis 150 ans, les peuples autochtones ont reçu moins que leur juste part des avantages de la mise en valeur des ressources, alors qu'ils ont supporté plus que leur part des coûts et des conséquences environnementales, économiques et sociales de la production de ressources et des activités connexes. Il est clair qu'ils estiment qu'ils méritent pour l'avenir une plus grande part de la prospérité du pays qui découle des ressources, et je le crois aussi.

Au cours des dernières années, les gouvernements ont dit bien clairement percevoir le besoin d'un nouveau partenariat avec les peuples autochtones et leur ouverture à la consultation. L'obligation de consulter et de trouver des accommodements a été instituée, et nous avons entériné la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous devons cependant passer à l'étape suivante. Les gouvernements et les peuples autochtones doivent s'entendre sur des protocoles et des principes clairement définis. Il faut demander aux peuples autochtones ce qu'ils sont prêts à accepter au final, et à partir de quelles conditions ils seraient disposés à laisser passer les pipelines. Nous devons beaucoup mieux formuler et comprendre les enjeux pour arriver concrètement à cette importante ligne de confiance réciproque.

Nous devons nous assurer que le prochain groupe de projets de pipeline aborde les risques et les perturbations, en affirmant clairement que les peuples autochtones ont obtenu, devant les tribunaux canadiens, la Cour suprême du Canada et en droit international par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, un légitime pouvoir juridique et politique. Ils sont déterminés à exercer ce pouvoir, comme il se doit, mais nous devons veiller à ce qu'il signifie quelque chose, et à ce que les gouvernements au Canada, les entreprises au Canada et le grand public canadien comprennent et acceptent ces obligations. Merci beaucoup.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, M. Coates. J'ai une question plutôt simple. En fait, je suis certain qu'elle n'est pas simple du tout. Y a-t-il a une série de questions à poser, disons, des choses à faire avant et pendant nos discussions avec les communautés autochtones pour assurer leur participation et leur soutien envers ces propositions de pipeline dont nous discutons ce soir?

M. Coates : C'est une excellente question. Je suis partisan de ce que j'appelle la coproduction des politiques et la coproduction des procédures. Nous pouvons effectivement dresser une liste de questions qui se posent à l'interne au gouvernement, soit à la Chambre des communes et au Sénat, ou même dans la bureaucratie. Je crois cependant que nous sommes rendus plus loin. Je crois que nous avons atteint le point où nous pouvons nous asseoir avec les peuples autochtones et dresser ensemble cette liste de questions.

Vous avez absolument raison, il faut une liste de questions. Les communautés autochtones doivent également savoir que le grand public a lui aussi besoin d'un objectif final. Les gens me demandent souvent, que veulent les Autochtones? Je leur réponds en partie par une autre question, que veulent les gens du Canada? Nous devons élaborer nos listes de questions ensemble.

Les choses se compliquent aussi du fait que nous avons de nombreux groupes autochtones différents au pays, comme vous le savez bien, d'un océan à l'autre. Il y a des peuples qui s'opposent farouchement aux pipelines, d'autres qui veulent les acheter et les gérer eux-mêmes. Il y a une grande diversité d'opinions, selon l'interlocuteur ou la communauté. Je dirais simplement, produisons la liste des questions à régler ensemble, assoyons les leaders autochtones et les fonctionnaires à une même table. Je crois qu'une partie des questions provient des décisions de la Cour suprême sur l'obligation de consulter et d'accommoder, et aussi de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour revenir à votre question sur la liste, je vais tenter d'y répondre directement. L'enjeu tient en grande partie au processus et aux critères de prise de décisions. Le gouvernement fédéral croit-il, par exemple, que les peuples autochtones ont un droit de veto, le droit d'arrêter un projet? Qu'entend-on par consentement préalable donné en connaissance de cause? Je ne crois pas que ce soit le point de vue du gouvernement fédéral, mais il n'a pas encore exprimé clairement sa position. Ce sont les questions par lesquelles je commencerais. Quels processus appliquerons- nous pour prendre des décisions? Quels seront les critères appliqués par le gouvernement? Quels seront les critères que vous voulez faire valoir auprès des peuples autochtones? Je crois que l'unique façon de procéder est de discuter avec les peuples autochtones pour planifier ce processus ensemble.

Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné dans votre déclaration que leur participation était sollicitée trop tard et trop peu, et quand vous avez résumé votre réponse à ma première question, j'ai noté le mot qui encadre probablement le tout, « respect ». Il doit exister un climat de respect entre les négociateurs et les peuples autochtones, que tous sachent que nous engageons ce processus pour qu'il soit mutuellement avantageux pour les deux parties.

Mais je ne sais pas ce que vous répondriez. Vous avez soulevé la situation de la façon de procéder si un pipeline est approuvé ou accepté par tous sauf un groupe, dont le territoire serait essentiel à la construction d'un pipeline à coût raisonnable. Que conseilleriez-vous au gouvernement? Que dirait le gouvernement? Nous en prenons bonne note, mais nous allons de l'avant?

M. Coates : En premier lieu, je suis entièrement d'accord avec vous sur la question du respect. La donne a changé à cause des pouvoirs que détiennent les gouvernements autochtones. Si nous exprimons ce respect dès le départ, nous sommes sur la bonne voie vers un partenariat authentique. En deuxième lieu, nous devons traiter du droit d'une personne de toujours pouvoir lancer un projet, que ce soit une route ou autre chose. À deux reprises, ma famille a vu sa maison disparaître sous l'eau pour céder la place à un barrage hydroélectrique. Ma famille avait des terres en Colombie-Britannique. À deux reprises, elle a vu sa maison disparaître sous l'eau et a été obligée de vendre les terres. Donc cette question plus vaste me touche un peu plus directement. L'enjeu est plutôt intéressant. La réponse simple est que nous avons des tribunaux qui trancheront. Parfois, nous n'arrivons pas à nous entendre, même après avoir vraiment essayé et en toute bonne foi.

Disons qu'il est question d'un tronçon de pipeline le long duquel vivent 15 Premières Nations, et peut-être aussi une communauté métisse, et vous avez conclu des ententes avec toutes les communautés sauf une. Il est absolument équitable de dire nous avons vraiment fait de notre mieux. Nous ne pouvons pas vous donner plus que ce que nous donnons aux autres, mais le projet est dans l'intérêt national. Si vous en avez l'occasion, et vous l'avez peut-être déjà fait, lisez la décision Tsilhqot'in sur les titres autochtones. On y dit clairement que le gouvernement du Canada a toujours le droit d'aller de l'avant, mais qu'il a l'obligation d'expliquer aux peuples autochtones selon quels principes il ira de l'avant. Le projet ne peut pas consister à construire une route jusqu'à la maison du premier ministre. Ce n'est pas le genre d'argument vraiment convaincant à présenter devant un tribunal.

Face à un projet comme l'un de ces grands pipelines, une source d'important développement économique, de flux de recettes pour les gouvernements de toutes les provinces et d'apports financiers considérables pour des Premières Nations individuelles, avec des emplois à la clé, le gouvernement aurait des arguments parfaitement convaincants en disant qu'en raison de l'intérêt national, défini selon les trois, quatre, cinq critères suivants, nous nous sentons dans l'obligation d'aller de l'avant et nous exercerons nos pouvoirs de gouvernement national pour ce faire. Je suis en fait assez certain que si les arguments sont présentés de façon appropriée, la Cour suprême les accepterait à titre de motif légitime, et la Première Nation aussi.

Le sénateur Black : M. Coates, c'est un plaisir de vous revoir. Merci pour tout le bon travail que vous accomplissez au nom de l'industrie et des groupes autochtones.

J'ai quelques questions pour vous à propos de la situation courante. Pourriez-vous nous dire, selon vous, où nous en sommes dans le projet Trans Mountain, le projet Énergie Est, le projet Gateway et les projets de GNL sur la côte Ouest?

M. Coates : Vous ne demandez pas grand-chose, monsieur.

Le sénateur Black : Très brièvement s'il vous plaît.

M. Coates : Pour ce qui est du projet Trans Mountain, il suscite autant de résistance chez la population non autochtone. Il n'est pas juste de le présenter comme un enjeu seulement autochtone. Trans Mountain a accompli du bon travail avec bon nombre des communautés le long du tracé. Il y a des problèmes particuliers au point d'arrivée à Burnaby, en descendant vers la côte. Beaucoup de progrès a été réalisé dans ce projet. L'opposition est absolument intraitable. Nous savons que les gens s'y opposent très fermement et qu'ils continueront de le faire, au point de bloquer la construction du pipeline. Je crois que c'est le projet qui a les meilleures chances de déboucher relativement rapidement.

Énergie Est est très compliqué. Je ne suis pas certain que toutes les provinces sont acquises, ou toutes les municipalités. Ici également, ce n'est pas un enjeu entièrement autochtone. La difficulté dans ce cas est de convaincre les gens que le projet va dans l'intérêt national, qu'il ne s'agit pas seulement d'intérêts corporatifs. Nous devons pouvoir démontrer qu'il y a de substantielles retombées financières depuis les gisements pétroliers et gaziers de l'Ouest tout le long jusqu'aux raffineries et aux axes de transport. Ce n'est pas évident.

Il ne faut pas oublier cependant qu'à l'autre extrémité, en particulier au Nouveau-Brunswick, les Autochtones attendent depuis longtemps des débouchés économiques. Ils sont parmi les gens les plus pauvres au Canada. Ils veulent participer et être consultés. Ils ne sont pas satisfaits du processus jusqu'à maintenant. Ils seront plus réceptifs que l'on s'imagine. Je ne suis pas certain de la position des gouvernements de l'Ontario et du Québec. Les obstacles ne sont pas entièrement autochtones.

Le projet Northern Gateway est actuellement très problématique. C'est le genre de projet pour lequel on aimerait repartir à zéro, revenir 10 ans en arrière et tout recommencer. Les gens sont très retranchés sur leurs positions. Certaines communautés très favorables aux pipelines et très favorables au GNL sont néanmoins farouchement opposées à Northern Gateway. Une grande partie de cette opposition s'attache au trafic de navires-citernes pour l'expédition à l'étranger et à la vulnérabilité de la côte Ouest. D'ailleurs, ce groupe d'opposants s'estime très justifié par les propos du premier ministre Trudeau avant son élection, alors qu'il mentionnait un moratoire et d'autres mesures du genre. Ce dossier est emberlificoté dans toutes les valeurs chères aux gens de la côte Ouest, à savoir la sécurité et le caractère sacré des plans d'eau par opposition au développement.

Le GNL est plus prometteur. J'ai toujours eu la plus grande admiration pour la créativité, l'intelligence et les capacités des Nisga'a. Vous le savez peut-être, ils ont demandé d'acheter un grand bloc de terres à l'extrémité ouest de leurs territoires en vue de collaborer avec d'autres Premières Nations pour éventuellement accueillir une usine de GNL. Il y a plusieurs sites possibles pour le GNL, dont celui de la Première Nation Haisla à Kitimat. Je crois que les projets de GNL sont motivés par les forces du marché, ou des gens en Chine, en Malaisie et en Inde qui désirent acheter le GNL que nous voulons produire. Les projets de GNL reposent sur les forces du marché, mais je ne suis pas certain qu'ils iront de l'avant. Trans Mountain est plus facile, Énergie Est est possible et Northern Gateway affronte de réelles difficultés.

Le sénateur Black : Relativement à ce nouveau comité nommé il y a une couple de semaines par le gouvernement du Canada afin de mener une étude plus approfondie sur les émissions de GES et de consulter les groupes autochtones, notamment, pourriez-vous nous donner votre avis sur la nature et le ton des discussions que vous prévoyez entre ce comité et les groupes autochtones?

M. Coates : Deux personnes siégeant à ce comité ont de très solides réputations pour leur travail avec les Autochtones, et sont très respectées par eux. Les conversations seront pour la plus grande part très franches. Certains interviendront dans ces conversations pour avancer des arguments que nous avons déjà entendus. Je ne sais pas vraiment combien de nouveaux arguments nous entendrons. Nous suivons ces conversations depuis un bon bout de temps déjà. L'enjeu pour ce comité ne sera pas de trouver un consensus, car il n'y a pas de consensus possible. Du côté autochtone, il y a des gens aux deux extrêmes de cette question particulière. Il s'agit plutôt de savoir si tous les points de vue autochtones ont été entendus. L'entreprise responsable et les gouvernements ont-ils examiné toutes les options imaginables? Si une Première Nation s'oppose, y a-t-il un tracé qui traverserait le territoire d'une autre Première Nation qui l'autoriserait? La décision finale se résumera à établir si le processus de consultation était suffisamment robuste et si l'on a tenu compte de tous les besoins des groupes en cours de route.

Ma seule préoccupation, c'est que le comité supplémentaire se trouve en situation de deuxième ou troisième essai, alors bottons le ballon pour voir ce qui arrive. Vous savez, nous avons déjà eu des conversations relativement animées et tous les gens ont eu l'occasion d'intervenir. Nous allons entendre une répétition de bon nombre de ces arguments, mais ils seront entendus par un comité de trois personnes éminentes habiles à trouver un terrain d'entente, et nous devrons trouver un compromis.

Le sénateur Eggleton : Vous avez dit dans votre déclaration que les communautés autochtones ont besoin d'obtenir une meilleure part des ressources. Pouvez-vous donner des exemples précis de cas où vous estimez que cette formule a bien fonctionné, ou avez-vous un modèle particulier à suggérer? Nous parlons beaucoup du gouvernement, des autorités de réglementations et de l'ONE, mais je parle des entreprises, du secteur privé. Que leur faut-il pour traiter cette question d'un meilleur partage des ressources, qui, j'en déduis de vos commentaires, est d'une importance cruciale, sans être le fond de la question, mais néanmoins d'une importance cruciale?

M. Coates : J'aimerais aborder la question dans une autre optique. Une communauté autochtone se penche sur un projet de pipeline qui traversera son territoire ancestral, en interrompant la chasse et la pêche, et qui pourrait causer des déversements de pétrole. Ces possibilités l'inquiètent, mais en plus, elle ne tire rien du projet. Rien de substantiel ne leur reviendrait. Pourquoi accepter? Qu'est-ce qui l'inciterait à dire : « C'est bien, allez de l'avant. Nous allons assumer tous les risques et quelqu'un d'autre pourra avoir les avantages. » C'est une vérité bien simple. Dans son célèbre rapport, Thomas Berger disait que l'emplacement est une ressource naturelle. Je crois qu'un pipeline est l'illustration parfaite de ce principe. Leur emplacement est leur ressource naturelle. Si vous désirez traverser leur territoire, vous devrez payer. C'est cela le commerce, le capitalisme, et cela fonctionne aussi bien pour eux que pour les autres. Y a-t-il de bons exemples? Absolument.

Tout d'abord, nous verrons beaucoup plus de participation autochtone à l'investissement. Des peuples autochtones posséderont une part de ces pipelines, peut-être assez importante pour siéger au comité de gestion et au conseil d'administration. Lorsque les forces du marché ont fini par avoir raison du projet de pipeline de la vallée du Mackenzie, ce dernier aurait appartenu à 30 p. 100 aux Autochtones, ce qui en aurait fait l'un des plus importants investissements autochtones de l'histoire, au Canada comme dans le monde.

En fait, l'un des projets de GNL prévoyait un pipeline à propriété entièrement autochtone. Même Enbridge offrait aux peuples autochtones le long du tracé une participation de 10 p. 100 à la propriété. Donc l'élément propriété est en place. Le partage des revenus de ressources a vraiment aidé. Comme en Colombie-Britannique ou dans le secteur minier du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, lorsqu'un projet de ressources prévoit un partage direct des bénéfices avec les communautés, il y a beaucoup plus de réceptivité à la réalisation du projet. Ce n'est pas le cas pour nous en Saskatchewan, ce qui a créé quelques casse-têtes vraiment intéressants.

Je crois que l'autre élément se rattache aux ententes de collaboration, lorsque les entreprises approchent les peuples autochtones pour solliciter le droit de travailler sur leur territoire, qu'il s'agisse d'une mine ou d'un pipeline. Ces ententes de collaboration comportent habituellement trois volets.

Tout d'abord, l'indemnisation des communautés. Les gens regardent l'entente et se disent, 10 ou 20 millions de dollars, c'est beaucoup d'argent.

Ensuite, la formation et les emplois. L'entreprise dit : « Nous aurons besoin de gens pour la construction et la maintenance de ce pipeline, nous allons former 50 personnes de votre communauté pour faire une partie de ce travail. » Ce volet est vraiment important.

Mais c'est le troisième volet qui est le plus important, c'est-à-dire l'approvisionnement. Les entreprises de ressources arrivent et disent : « Pourvu que vous respectiez les critères de prix et de qualité, vous aurez un accès préférentiel aux travaux de nos projets. Vous ne le saviez peut-être pas, mais en Saskatchewan, vous avez beaucoup plus de chances de démarrer une entreprise si vous êtes autochtone que si vous ne l'êtes pas. Le développement d'entreprises autochtones a explosé. Il y a 250 sociétés de développement économique autochtones au pays, certaines avec un actif de plus d'un milliard de dollars, et beaucoup avec un actif de centaines de millions de dollars, des montants qu'elles réinvestissent dans leurs collectivités.

Que l'on s'intéresse aux Inuvialuits d'Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, à Onion Lake, une réserve pétrolière et gazière, à Lac La Ronge dans le nord de la Saskatchewan ou à bien d'autres endroits un peu partout au pays, ces communautés voient des avantages tangibles à s'impliquer dans le secteur des ressources, et ils transforment ces avantages en emplois et en débouchés économiques à long terme.

La bonne nouvelle, c'est que dans d'autres secteurs, dont la foresterie est l'un des meilleurs exemples, croyez-le ou non, nous avons vu des entreprises prendre de l'expansion, des emplois se créer, des débouchés être exploités, avec des communautés plus saines et plus durables qu'auparavant. Si un projet de pipeline est exécuté correctement, la préoccupation vient du fait que la période de construction est très courte, le pipeline traverse la communauté relativement rapidement. Existe-t-il des avantages à long terme qui permettraient aux Autochtones de se percevoir comme des partenaires véritables de ces projets? Lorsque c'était le cas, le rendement était bon.

Le sénateur Eggleton : Ce sont d'excellents exemples, mais vous avez mentionné le besoin d'un meilleur partage des recettes des ressources, je suppose donc qu'il y a encore beaucoup de promoteurs de pipelines qui n'agissent pas ainsi.

M. Coates : La situation évolue beaucoup si l'on songe aux meilleurs exemples. Il y a des entreprises comme Cameco, une grande compagnie d'uranium présente dans le nord de la Saskatchewan, qui conclut d'excellentes ententes de collaboration. Comme vous le savez probablement, l'entente avec la Première Nation English River représentait 600 millions de dollars sur dix ans, un bénéfice très substantiel. Nous avons beaucoup d'exemples, comme la présence sur sept générations d'une entreprise pétrolière et gazière dans le nord-ouest de l'Alberta.

Nous avons beaucoup d'entreprises qui se portent bien, et les autres en tirent des leçons. Vous suivez cette évolution depuis un certain temps. Retournez 15 ou 20 ans en arrière, nous ne voyions pas souvent d'entente comme celle des Inuits du Labrador pour le projet de la baie de Voisey. Ce sont des occasions de créer des emplois, de créer des entreprises et de se donner un avenir comme nous n'en avons jamais vu auparavant.

Il n'y a pas tant d'entreprises qui résistent. Il est intéressant de voir arriver dans des endroits comme le Yukon et le nord de la Colombie-Britannique beaucoup d'entreprises chinoises, entre autres. L'une des premières choses qu'elles font, c'est d'embaucher de bons négociateurs d'expérience dans le secteur des ressources, pour les aider à travailler avec les communautés autochtones, parce qu'elles savent maintenant ce qu'elles peuvent obtenir. Les communautés savent à quoi elles peuvent raisonnablement s'attendre, et si une entreprise ne veut pas collaborer, elle n'ira pas très loin.

Mais si vous désirez un autre exemple positif, demandez à votre moteur de recherche de trouver les annonces de Trans Mountain sur la conclusion d'une autre entente avec une autre Première Nation le long du tracé du pipeline. C'est une entreprise qui envoie ses cadres supérieurs, et non un pion subalterne, pour négocier avec le chef sur ce qu'il faudrait faire concrètement et le genre de partenariat que l'on peut conclure. En toute franchise, la lenteur des processus me déçoit parfois, mais à l'échelle mondiale, le Canada est en fait un chef de file dans ce genre de relations.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup.

La sénatrice Unger : Le Canada est un chef de file mondial pour les discussions, mais nous semblons tirer de l'arrière pour ce qui est d'agir.

Je m'interroge sur les pipelines qu'il pourrait encore rester à construire. Je m'interroge aussi à propos de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle énonce plusieurs droits collectifs, dont évidemment le consentement préalable donné librement en connaissance de cause. Selon vous, comment le gouvernement fédéral devrait-il intégrer les principes de la Déclaration au processus d'examen des pipelines, s'il décide de les intégrer, et quel serait l'impact sur les délais des examens de pipeline dans un tel cas?

M. Coates : Merci de ces questions judicieuses.

En fait, le Canada se débrouille assez bien pour ce qui est d'agir. Oublions les pipelines pour un instant. Si l'on pense par exemple aux secteurs forestier et minier, et même aux projets hydroélectriques, il y a plusieurs installations hydroélectriques en voie de réalisation avec la pleine participation des Autochtones, je crois que nous faisons des progrès. Il ne s'agit pas de projets de type Site C; ce sont des initiatives du type centrale au fil de l'eau. Nous apprenons de l'expérience et nous arrivons mieux à faire progresser ces dossiers.

Vous avez mentionné explicitement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DDPA. C'est un sujet entouré d'une grande incertitude. Le premier ministre, en campagne et immédiatement après les élections, a déclaré que le gouvernement fédéral mettrait en œuvre la Déclaration, tout comme la première ministre de l'Alberta. Le problème, c'est que personne ne sait exactement ce que représente la mise en œuvre. Vous pouvez intégrer la DDPA à votre constitution, mais ce n'est pas une issue probable au Canada. Vous pouvez la mettre en œuvre en adoptant une loi disant qu'à compter de maintenant, la Déclaration est un document directeur qui devrait influencer l'ensemble des lois et règlements.

Mais quiconque étudie le moindrement la DDPA réalise qu'il s'agit d'un document très compliqué qui comporte une énorme quantité d'incertitudes. Ce qu'il nous faut donc concrètement, et relativement rapidement de la part du gouvernement, c'est une déclaration nationale de ce que signifie ce document pour le Canada, de préférence par un processus de collaboration avec les peuples autochtones que j'ai décrit précédemment, pour ne pas leur imposer une position.

Mais un consentement qui est préalable et qui est donné en connaissance de cause, s'agit-il en fait d'un droit de veto? Beaucoup de gens impliqués dans le processus disent que ce n'est pas le cas, mais beaucoup d'Autochtones croient que oui. Sans vouloir critiquer, le premier ministre a déclaré que le gouvernement fédéral examine et que les communautés décident. Si c'est le cas, il est question d'un projet de plusieurs millions de dollars avec un impact économique à long terme pour le Canada, qui pourrait se trouver soumis au contrôle d'une communauté de peut-être moins de 500 personnes. Est-ce que c'est dans l'intérêt national? Est-ce que c'est approprié, est-ce que c'est vraiment la façon dont nous voulons procéder?

Je crois qu'il y a moyen de trouver un terrain d'entente. Si vous écoutez attentivement le chef national Perry Bellegarde, et je crois que vous le faites, il ne cesse de répéter que sa mission première est de combler l'écart entre la population canadienne qui occupe la sixième place au monde pour ce qui est de la qualité de vie, et les Premières Nations qui sont en 64e place. Le chef Bellegarde, que j'ai connu en Saskatchewan, a répété maintes et maintes fois que la façon d'y arriver est par un développement bien géré. Nous devons être des propriétaires. Nous devons être des gens d'affaires. Nous devons être des employés.

Les communautés autochtones savent qu'elles doivent s'impliquer dans la mise en valeur des ressources. Elles n'ont pas d'autre choix. Donc la question à régler pour la DDPA, c'est de tenter d'en arriver à définir de façon mutuellement acceptable où se situe cette Déclaration dans le cadre juridique. Vous vous interrogez sur le processus d'enquête. Pour les peuples autochtones, c'est déjà intégré au processus. C'est leur référence, il faut qu'il y ait un consentement librement donné, il faut qu'il soit préalable et qu'il soit donné en connaissance de cause. C'est leur référence, c'est donc la référence, point. Est-ce que le consentement se traduit par un droit de veto?

En deuxième lieu, en quoi consiste le consentement? Vient-il du conseil de bande élu? D'une réunion communautaire, avec un vote et une majorité de 50 p. 100 plus un, ou faudrait-il 60 p. 100? Il reste beaucoup de questions du genre à régler, qui régissent en grande partie les délais. Pouvons-nous éclaircir rapidement la situation de la DDPA? Pouvons-nous ensuite nous assurer d'appliquer concrètement cette exigence de façon appropriée?

Je ne crois pas que la majorité des peuples autochtones soient d'avis qu'ils détiennent un droit de veto complet sur n'importe quel projet de ressources au Canada, mais je puis vous assurer que c'est effectivement le cas pour certains leaders autochtones de certaines communautés.

Il nous faut donc utiliser nos pouvoirs de réconciliation et de coproduction de politiques et de références pour régler concrètement cette question, et très rapidement.

Le président suppléant : Vous avez parlé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA) et je me demandais ce que vous en pensiez. Selon vous, comment le gouvernement interprète-t-il cette déclaration et de quelle manière cela aura-t-il une incidence sur les discussions entourant la mise en œuvre des projets énergétiques.

M. Coates : Je vais commencer en vous disant que j'étais l'un de ceux qui croyaient qu'il était fort peu probable que les Nations Unies adoptent ce document. Je pensais qu'il était à la fois trop vague et trop exhaustif.

Les quatre pays qui s'y opposaient — les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l'Australie — ont attendu trois ans après l'adoption initiale de la Déclaration avant de l'entériner en première instance. Ils ont résisté à son adoption parce qu'ils estimaient que la Déclaration portait atteinte à la législation existante.

Quant aux représentants du Canada — tant ceux du gouvernement antérieur que du gouvernement précédent — ils estimaient que la DDPA pouvait éventuellement compromettre nos traités modernes et certaines décisions de notre Cour suprême, et ils ne voulaient pas que cela se produise.

Pour ma part, je faisais partie de ceux qui croyaient que le contenu de la Déclaration était beaucoup trop général. Les gens ont ensuite dit qu'il s'agissait d'un document énonçant des aspirations et que « finalement il se contentait d'affirmer que nous voulons un monde meilleur et que nous voulons que les peuples autochtones aspirent à un partenariat intégral et à la pleine égalité. Nous sommes à l'aise avec cette idée. » C'est pourquoi je crois que le gouvernement conservateur précédent a décidé de l'adopter en se disant : « D'accord, pourvu que nous acceptions le fait que c'est un document d'aspirations. » Maintenant, on l'aborde d'un point de vue technique, et on commence à l'examiner de façon approfondie.

Permettez-moi de délaisser la question des pipelines pour un moment. Si vous lisez les articles de la déclaration, ceux qui portent sur la langue font état d'une norme qui sera pratiquement impossible à respecter pour le Canada, du fait que ces articles introduisent la notion que les langues autochtones devraient survivre, que les peuples devraient avoir le droit de recevoir l'enseignement dans leur langue autochtone, et cela même si ces peuples ne vivent plus dans leurs territoires traditionnels.

Il y a 60 langues autochtones au pays. Seulement cinq de ces langues devraient subsister jusqu'en 2050. Les autres risquent de s'éteindre sous nos yeux, pour être bien franc.

Si nous voulions atteindre ces objectifs, cela coûterait des milliards de dollars, comme cela est indiqué dans la DDPA. Est-ce que cela signifie que nous allons procéder ainsi? Je ne crois pas. Le premier budget indique clairement que le gouvernement n'envisage pas d'aller dans ce sens.

Je crois que la DDPA va toujours demeurer une sorte de code moral. Elle va nous servir de guide et nous amener à penser : « Faisons-nous de notre mieux pour appuyer la culture, la langue, les traditions et la situation socioéconomique des peuples autochtones? »

Cette approche est utilisée dans de nombreux domaines et la DDPA, utilisée comme code moral, exercerait une influence très puissante. C'est l'un des aspects pour lequel nous attendons une affirmation claire du gouvernement, et de préférence avec l'appui des peuples autochtones, sur ce que cela signifie vraiment. En l'absence d'une telle affirmation, essentiellement nous allons encore nous en remettre au système judiciaire, dans le cadre duquel les communautés autochtones soutiendront que la DDPA leur accorde certains pouvoirs, et nous retiendrons notre souffle pendant quelques années en attendant de voir ce que les tribunaux auront à dire.

Les tribunaux pourraient bien soutenir que la DDPA fait partie de la législation canadienne si l'on se fonde sur ce que les gouvernements ont affirmé. Je ne crois pas qu'ils sont prêts à le faire, mais nous devons obtenir une réponse et des éclaircissements à cet égard. Il faut que cela soit fait de manière non partisane dans le sens où le gouvernement ne peut y arriver seulement par lui-même et où les peuples autochtones ne peuvent y parvenir seulement par eux-mêmes.

Autrement, nous allons simplement être noyés dans un enchevêtrement de malentendus et d'attentes conflictuelles. Pour ce qui est du projet de pipeline en lui-même, cela pourrait en retarder la réalisation de manière importante.

Le président suppléant : Si l'on examine certains de vos documents écrits, l'une des choses que vous avez recommandées dans le passé, c'est que le gouvernement doit éviter d'établir des politiques ou de faire des déclarations contribuant à l'incertitude. Dans quelle mesure l'annonce du gouvernement relative aux changements au régime de réglementation tomberait dans cette catégorie — c'est-à-dire la préoccupation que vous avez mentionnée — parce qu'il me semble que les incertitudes dont nous parlons — les émissions de gaz à effet de serre et les autres parties de ce régime de réglementation — n'ont pas encore été identifiées pour le moment. Je suppose que cela entre en contradiction avec votre opinion en ce qui concerne le fait d'éviter d'établir des politiques ou de faire des déclarations contribuant à l'incertitude.

M. Coates : Tout à fait. Nous devons être très prudents.

Je suis convaincu qu'en tant que membres du Sénat, vous êtes encore plus conscients de la situation que moi-même, mais l'économie mondiale basée sur les ressources s'appuie sur un équilibre délicat. L'argent franchit de grandes distances. Il peut partir d'ici pour aller au Kazakhstan et se déplacer du Kazakhstan à la Norvège en un rien de temps.

La force du Canada a reposé sur la clarté de nos environnements réglementaires et légaux. Nous pourrions croire qu'il s'agit d'un problème étant donné le grand nombre d'affaires mettant en cause des Autochtones devant les tribunaux. Cependant, les institutions au Canada sont très résilientes et très fortes. Lorsque des aspects importants comportent des incertitudes, nous ébranlons un peu cette résilience et cette solidité qui constituent une partie tellement importante de notre environnement réglementaire.

Nous devons éclaircir ces choses rapidement. Nous ne pouvons les laisser en suspens. Il est rare que nous exprimions beaucoup de sympathie pour les sociétés qui valent des milliards — elles défendent elles-mêmes leurs intérêts —, mais nous demandons parfois aux sociétés d'investir des milliards de dollars en efforts simplement pour obtenir des autorisations pour un projet. Nous avons vu ce genre de situation avec le pipeline Keystone et le projet Northern Gateway. Il en va de même pour d'autres projets.

À un certain moment, nous risquons de pousser un peu trop fort. Et soudainement, nous deviendrons un lieu beaucoup moins attrayant pour les investissements, pour le développement des ressources et pour les activités génératrices de productivité qui ont fait du Canada l'un des pays les plus riches sur la planète.

Je suis fortement en faveur de la clarté et de la simplicité de la réglementation. Nous pouvons établir ces règles clairement, rapidement et précisément, et ensuite continuer d'aller de l'avant. Si nous continuons à laisser planer l'indécision, que ce soit de compétence provinciale, fédérale ou territoriale, nous allons seulement accroître l'incertitude et retarder les choses davantage.

Le président suppléant : Vous avez parlé d'une plus grande réceptivité des Autochtones au Nouveau-Brunswick dans l'une de vos réponses. Je pense que c'est à cela que vous faisiez référence.

Je me demande sur quoi vous fondez votre opinion, car nous avons entendu des témoins un peu plus tôt qui ont mentionné que c'est là que nous allions rentrer dans un mur et que nous ne pourrions aller au-delà du Nouveau- Brunswick en raison de la résistance des groupes autochtones au Nouveau-Brunswick. Vous semblez avoir une perspective beaucoup plus optimiste là-dessus et je me demande sur quoi vous vous fondez.

M. Coates : D'une part, je suis une personne de nature optimiste, mais d'autre part, pendant deux ans j'ai joué en quelque sorte un rôle de conseiller en consultation auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick sur les enjeux autochtones. J'ai eu de bons échanges avec les Autochtones de cette région.

Le Nouveau-Brunswick est l'un des endroits qui a été marqué par l'histoire et pas nécessairement dans le sens de la résolution des problèmes. Les Autochtones disposent d'un traité de paix et d'amitié qui remonte au 18ième siècle. Ils n'ont pas ni traité historique ni traité du 19ième siècle. Ils n'ont pas de traité moderne. Les collectivités sont très petites, très isolées et très pauvres. Si on compare le Nouveau-Brunswick aux autres provinces, le Nouveau-Brunswick n'est pas une province très riche non plus. On se trouve donc dans une situation où les conditions sont réunies pour donner lieu à des malentendus, à de l'envie, à des conflits, enfin à ce genre de choses.

Pendant que j'étais au Nouveau-Brunswick, j'ai été vraiment impressionné par la volonté des peuples autochtones d'affirmer leurs positions avec fermeté et clarté. Ils avaient des attentes élevées. Le gouvernement à cette époque était un peu plus ouvert au développement des ressources. Le gouvernement actuel a prolongé son moratoire sur la fracturation hydraulique et l'exploitation du gaz de schiste. Le gouvernement antérieur était en faveur de cette exploitation et menait des pourparlers avec les Premières Nations relativement à un genre de stratégie de développement des ressources très agressive.

Les enjeux entourant l'engagement des Premières Nations au Nouveau-Brunswick sont complexes. Il ne s'agit pas d'enjeux qui peuvent se régler en l'espace de cinq minutes et ils vont au-delà de la question des pipelines. De nombreux enjeux sont liés à la participation des Autochtones, notamment à l'économie et au financement des services, entre autres.

J'espère que j'ai raison, mais je crois qu'il faudra que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial aient la volonté de travailler avec circonspection auprès des Premières Nations.

Je peux vous dire que comparativement à la Colombie-Britannique, où les Autochtones ont connu l'expérience des processus modernes de négociation des revendications territoriales pendant au moins 20 ans, de même que l'expérience des accords visant les répercussions et des avantages et divers types de dispositions, les Premières Nations du Nouveau- Brunswick ont été marginalisées sur le plan politique pendant une très longue période. Si nous pouvons les mobiliser du point de vue politique, je crois qu'ils deviendront plus réceptifs.

Le président suppléant : J'espère que vous avez raison. Le souvenir le plus récent que j'ai relativement aux Autochtones dans cette province, c'est que des voitures-patrouille de police avaient été incendiées. Je crois que cet incident était rattaché à l'exploitation des gaz de schiste au Nouveau-Brunswick, mais, de toute façon, il n'y avait peut- être pas eu assez de consultation à cet égard.

Vous avez parlé des retombées économiques et nous avons entendu les témoignages d'un grand nombre de représentants de l'industrie et d'autres secteurs durant cette étude. Nous avons reçu un témoin de l'industrie qui a fait état de quelques exemples précis au lieu de parler des enjeux de plus grande envergure en ce qui a trait aux retombées nationales. Ce dernier s'est attardé à décrire des cas spécifiques et à décrire la manière dont ces retombées pouvaient aider les collectivités ou les provinces.

Il a été question des deux usines alimentées au GNL et de la perte de la moitié d'une année de production à Algoma Steel à Sault Ste. Marie, Ontario. Comme vous le savez, cette compagnie vit des moments très difficiles et le gouvernement de l'Ontario examine la possibilité d'apporter une aide financière pour renflouer cette compagnie sidérurgique pour une deuxième ou troisième fois. J'ai demandé aux représentants s'ils étaient déjà allés à Sault Ste. Marie et s'ils avaient livré ce message à cette communauté ou au député qui était un ministre du cabinet libéral au gouvernement provincial. Les représentants ont aussi parlé des quelque 100 entreprises ou plus au Québec qui bénéficient de l'industrie de l'énergie. Ce genre de messages ne se rend tout simplement pas. Je me demande quels sont vos liens avec l'industrie.

J'ai encouragé leurs représentants à s'entendre et à travailler de concert pour diffuser ce genre de messages, non seulement selon une perspective à grande échelle en retombées globales de milliards de dollars, mais aussi selon ce que cela représentera vraiment pour leur région du Canada. Il faut qu'ils sachent ce que cela va représenter au chapitre des emplois pour leurs enfants et leurs petits-enfants et que leurs arénas vont continuer d'être entretenus et qu'ils soient informés de toutes ces retombées à l'échelle de leur collectivité. Ce genre de messages terre à terre et percutants doivent être diffusés largement à davantage de Canadiens afin qu'ils sachent quelles répercussions l'industrie peut et devrait avoir. J'ignore si vous avez un rôle à jouer à cet égard, mais si c'est le cas, j'aimerais certainement connaître vos idées là-dessus.

M. Coates : Eh bien, j'espère que j'ai un rôle à jouer. Je m'adresse souvent à divers groupes de l'industrie et aux groupes autochtones sur ces sujets. Au Canada, nous nous méprenons sur les retombées nationales pouvant découler des projets d'exploitation pétrolière et gazière et de construction de pipelines. Nous croyons qu'il s'agit d'entreprises uniquement profitables pour l'Alberta et la Saskatchewan.

J'ai vécu en Ontario pendant six ans. J'ai été le doyen de la faculté des arts de l'Université de Waterloo. J'ai toujours ressenti de la frustration lorsque j'entendais les commentaires négatifs à propos de l'Alberta et de Fort McMurray. À cette époque, je connaissais les chiffres par cœur et je demandais à ces gens combien de dizaines de milliers d'emplois en Ontario étaient liés directement aux activités des sables bitumineux et combien d'emplois directs au Québec étaient liés à ces entreprises. Notre économie est beaucoup plus interreliée que les gens le pensent. Que vous parliez de lever des fonds pour les mines inscrites à la TSX ou de compagnies d'ingénierie du Québec qui ont de gros contrats liés à ces projets, il faut se rendre compte que les emplois sont intégrés dans un vaste réseau allant de la côte Est à la côte Ouest.

Le président suppléant : M. Coates, je suis désolé de vous interrompre. Comment communiquez-vous ces messages? Nous avons déjà entendu ces messages et nous continuons de les entendre. Cependant, les Canadiens qui entendent ces messages tous les jours ne savent toujours pas de quelle manière cela va avoir des répercussions sur leurs vies et la vie de leurs enfants. Ma question portait sur ce point précis.

M. Coates : Je suppose que je ne fais pas assez bien mon travail. Nous devons prendre cette tâche très au sérieux. Une partie du problème repose sur le fait que l'enjeu de l'industrie pétrolière et gazière et des pipelines a été fortement politisé de sorte que nous n'avons pu avoir de discussions ouvertes et franches à l'échelle nationale. Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut parler de ces aspects.

Le président suppléant : Merci.

Est-ce que des membres du comité souhaitent poser d'autres questions?

Et bien monsieur, merci beaucoup. Cette séance a beaucoup contribué à l'étude du comité en fournissant des renseignements fort utiles et nous vous remercions d'être venu ce soir pour nous donner votre point de vue. Merci

M. Coates : Je vous remercie de m'avoir invité à cette séance.

Le sénateur Black : Je voudrais soulever un point découlant de la réunion que nous avons tenue avec M. Emerson hier. J'aimerais proposer que le comité envisage d'envoyer une lettre au ministre des Transports pour lui dire que nous avons entendu le témoignage de M. Emerson et que nous avons pris note de certaines de ses recommandations. Je mentionnerais surtout deux ou trois choses. Il a parlé du fait que l'Office des transports du Canada devrait avoir plus de pouvoir. Nous pourrions nous concentrer sur deux ou trois points et lui demander de faire du rapport une priorité.

Le président suppléant : Devrions-nous demander à notre analyste de rédiger une ébauche?

Le sénateur Black : L'analyste ou le greffier, si le comité l'estime utile. Je ne veux pas que les idées émises hier soient perdues.

Le sénateur Mercer : C'est une bonne idée de rédiger une ébauche et nous pourrons en discuter lors de notre prochaine réunion. Cette ébauche devrait être transmise au comité de direction également.

Le président suppléant : Très bien, nous la ferons d'abord parvenir au comité de direction avant qu'elle revienne au comité. D'accord.

Le sénateur Black : Pour vous aider à cet égard, parce que c'est moi qui lui ai posé cette question, je lui ai demandé quelles sont ses priorités et s'il pouvait faire seulement deux ou trois choses. La première chose dont il a parlé a porté sur les modifications à l'OTC. Il a indiqué qu'il a les mains liées, c'est-à-dire qu'il réagit aux plaintes, mais il ne peut faire autre chose que d'en faire le suivi.

Le sénateur Greene : Il faudrait se pencher aussi sur le mandat.

Le président suppléant : Vous n'avez rien d'autre à ajouter avant que nous levions la séance? À titre informatif, mardi, nous entendrons les propos des représentants de Transports Canada et de Ressources naturelles Canada. Mercredi, nous nous réunirons avec l'Assemblée des Premières Nations.

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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