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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 18 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui à 18 h 46 pour étudier les questions techniques et réglementaires liées à l’arrivée des véhicules branchés et automatisés.

Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Ce soir, le comité poursuit son étude sur les véhicules branchés et automatisés. J’aimerais souhaiter la bienvenue à notre témoin, Justin Kintz, directeur principal, Politiques et communications (Amériques) pour Uber. Il comparaît par vidéoconférence à partir de Washington.

Monsieur Kintz, nous vous remercions de participer à notre réunion. Je vous invite à livrer votre exposé. Les sénateurs vous poseront ensuite des questions.

Justin Kintz, directeur principal, Politiques et communications (Amériques), Uber : Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier les membres du comité. C’est un grand honneur d’être avec vous ce soir. Je vous suis reconnaissant de me permettre de comparaître à distance à partir de Washington. Je n’ai pas été en mesure de me rendre à Ottawa, mais j’espère me joindre à vous la prochaine fois.

J’ai une grande affinité avec le Canada. En effet, ma grand-mère maternelle vient de Montréal et j’ai encore des cousins un peu partout au pays, de la Colombie-Britannique à l’Île-du-Prince-Édouard en passant par Toronto et Montréal, évidemment. Je suis donc heureux d’avoir l’honneur de comparaître devant un groupe de personnes si éminentes. Je suis impatient de vous parler des véhicules automatisés, car c’est l’un des sujets préférés d’Uber. C’est une technologie très excitante qui permettra de sauver des millions de vies à l’avenir. Uber est très fière de travailler dans ce domaine, car même si nous ne savons pas si notre entreprise définira l’avenir de la technologie de la conduite automatisée, c’est un objectif noble qui permettra de sauver des millions de vies.

Je remercie les membres du comité de prendre le temps de s’informer sur ces enjeux. Manifestement, nous sommes au tout début de ce processus, mais c’est le bon moment d’étudier la question.

Permettez-moi de vous parler d’Uber et de ses travaux relatifs aux véhicules automatisés. Je suis responsable des politiques publiques et des communications pour la région des Amériques, ce qui comprend le Canada. J’ai la chance de travailler avec les membres de notre équipe canadienne, des gens sensationnels qui se réunissent partout au pays, que ce soit à Montréal, à Toronto ou à Vancouver, pour se renseigner adéquatement sur les véhicules automatisés, afin de pouvoir informer les parties intéressées, les fonctionnaires, les responsables de la sécurité et tous les Canadiens qui souhaitent en apprendre davantage sur la technologie de conduite automatisée.

Uber est une entreprise de technologie qui utilise une application de téléphone intelligent pour mettre en contact des clients avec des conducteurs pour combler des besoins de transport privé. Cette technologie nous a permis d’améliorer la mobilité et la qualité de vie de personnes qui vivent dans une ville ou en milieu urbain. Nous avons d’abord lancé notre service dans des milieux urbains très densément peuplés et au cours des six ou sept années suivantes, nous avons étendu nos activités aux régions avoisinantes qui étaient mal desservies par d’autres modes de transport.

Nous observons d’excellents résultats pour des gens qui pensaient ne jamais pouvoir avoir accès à un tel service. Nous sommes à la tête d’un énorme changement de paradigme qui vise à modifier la conception traditionnelle du transport pour l’amener vers un avenir axé sur le transport partagé. Dans le cadre de la vision de l’entreprise, nous tentons de déterminer comment nous pouvons convaincre les gens qu’il n’est plus nécessaire d’utiliser ou de posséder une voiture personnelle, car il est maintenant possible de participer à un modèle de transport partagé.

La conduite automatisée représente une grande partie de cette vision. Nous avons tout d’abord investi à Pittsburgh, en Pennsylvanie, où se trouvent certains des meilleurs roboticiens, ingénieurs en matière d’intelligence artificielle et techniciens en matière de conduite automatisée dans le monde. Nous avons ouvert un centre de R-D là-bas il y a un peu plus de trois ans. Ce centre est connu sous le nom de Groupe des technologies de pointe d’Uber, et nous avons accompli d’énormes progrès dans le domaine de la technologie des voitures et des camions de passagers au cours de ces trois années.

En mai dernier, cette vision s’est propagée vers le Nord, et nous avons ouvert un Groupe des technologies de pointe à Toronto, après avoir établi un partenariat avec Raquel Urtasum, professeure agrégée à l’Université de Toronto. Raquel est l’une des meilleures chercheuses et expertes en apprentissage machine et en intelligence artificielle dans le monde. Elle dirige notre Groupe des technologies de pointe à Toronto — ce groupe est notre premier projet à l’extérieur des États-Unis et il est établi dans le District de la découverte MaRS, l’un des plus grands centres d’innovation dans le monde, comme vous le savez sûrement. Nous sommes heureux de retenir les services de certains des meilleurs talents mondiaux dans le corridor Toronto-Waterloo, et nous sommes très fiers d’avoir établi cette présence à Toronto et au Canada.

Ces investissements sont en grande partie attribuables aux engagements pris par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial d’investir dans l’écosystème d’intelligence artificielle du secteur technologique de Toronto. Nous pensons que nous faisons partie de cette communauté et de cet écosystème. Nous avons pris d’importants engagements financiers qui s’échelonnent sur plusieurs années, à raison de 5 millions de dollars à titre de commanditaire platine de l’Institut Vector de Toronto. Nous sommes fiers de cet investissement et nous souhaitons l’augmenter. Nous sommes fiers des talents que nous attirons à Toronto.

Je tiens à souligner que les efforts que vous avez déployés pendant des années ont été accueillis à bras ouverts par les membres du secteur de la technologie — dont nous faisons partie — et que ces efforts commencent à porter leurs fruits. Je vous encourage vivement à poursuivre ces efforts.

Notre investissement dans la technologie de conduite automatisée a également coïncidé avec notre investissement dans la technologie du transport partagé, ou ce nous appelons uberPOOL, c’est-à-dire une technologie qui sert à regrouper des passagers qui empruntent un trajet similaire pour se rendre à une destination similaire, afin qu’ils puissent partager le prix de la course et faire du covoiturage numérique. Ce projet a fait l’objet de plusieurs tentatives infructueuses ou limitées pendant des décennies. Uber tente maintenant d’utiliser sa technologie dans plus de 40 villes du monde, afin que les gens puissent se rendre à destination par l’entremise d’un service de transport réellement abordable et fiable, en plus de pouvoir profiter d’interactions sociales agréables pendant le trajet. C’est ce qu’offre uberPOOL.

Nous offrons ce service dans des villes comme Toronto, et nous croyons que les villes deviendront moins congestionnées, moins polluées et plus abordables et accessibles pour toutes sortes de communautés lorsqu’on permettra à une telle technologie de prospérer. Nous commençons déjà à observer l’apparition de ces avantages.

La conduite automatisée est le prolongement de ce processus et c’est donc la prochaine étape. Cette technologie procurera de nombreux avantages au Canada dans le domaine de la sécurité routière, et c’est probablement l’élément le plus important de ce projet. Malheureusement, nous savons tous qu’il est dangereux de conduire une voiture de nos jours. Trop souvent, au Canada ou ailleurs dans le monde, les gens ne sont plus conscients des dangers de la route. Nous sommes parvenus à la conclusion que les êtres humains sont de très bons conducteurs — jusqu’à ce qu’ils ne le soient pas. En effet, nous pouvons nous laisser distraire par des messages textes ou une personne peut conduire en état d’ébriété ou avec des facultés affaiblies, ce qui peut causer un accident grave ou mortel.

Ce sont des aspects que la conduite automatisée améliorera immédiatement, mais il y a également d’autres avantages sur le plan social, par exemple lorsqu’on améliore la mobilité de membres de la communauté qui ont de la difficulté à se déplacer ou à conduire. Manifestement, l’efficacité accrue de ces véhicules permettra de réduire la congestion sur les routes et la pollution atmosphérique. Dans des villes comme Los Angeles, São Paulo ou Mexico, qui sont aux prises avec des problèmes de mauvaise circulation et de pollution atmosphérique, il est possible d’éliminer la plus grande partie de la circulation en augmentant tout simplement l’efficacité du système. En effet, si nous éliminions de 10 à 15 p. 100 des voitures sur la route, une grande partie des problèmes de circulation disparaîtraient aussi. C’est très important pour nous, et nous espérons y parvenir avec uberPOOL et les véhicules automatisés.

Nous sommes conscients que pendant que nous parlons de sécurité sur les routes et les autoroutes, la sécurité routière représente probablement la plus grande préoccupation de la population lorsqu’il s’agit de la technologie de conduite automatisée pour les voitures et les camions. Les accidents de la route font 1,3 million de morts chaque année à l’échelle mondiale, et presque 94 p. 100 de ces accidents sont causés par l’erreur humaine. C’est un aspect que les véhicules automatisés peuvent améliorer immédiatement. Contrairement aux conducteurs humains, les ordinateurs ne deviennent pas fatigués ou distraits, et leurs capteurs leur donnent une vision à 360 degrés, que ce soit par capteurs infrarouges ou par le LIDAR — le système au laser qui tourne sur le toit des véhicules automatisés —, les sonars et d’autres types de capteurs qui aident à détecter le milieu environnant. Il s’agit certainement d’une grande amélioration comparativement à la vision limitée des humains.

En percevant mieux l’environnement, en calculant plus rapidement différents types de facteurs et en réagissant plus tôt, les voitures automatisées seront en mesure, au bout du compte, de conduire de façon plus sécuritaire que les humains. C’est l’objectif que nous souhaitons atteindre et c’est ce qui motive toutes les entreprises qui souhaitent utiliser des véhicules automatisés. La proposition de valeur consiste à rendre ce service plus sécuritaire qu’un conducteur humain, car dans le cas contraire, il n’y a aucune motivation commerciale. Ainsi, les motivations sont les mêmes pour la population et les responsables de la sécurité qui tentent de déterminer les risques inhérents potentiels et les avantages d’une telle technologie. C’est une bonne chose.

Nous savons que nous sommes au début de ce processus. En effet, nous menons encore des essais sur ces véhicules dans les rues de nombreuses villes américaines. Ces efforts s’étendront éventuellement à l’échelle mondiale. De plus, de nombreuses entreprises et établissements universitaires axés sur l’avancement de la technologie mènent constamment des essais. Nous ne sommes pas encore au point où nous pouvons envisager d’éliminer les conducteurs de l’équation. Cela pourrait prendre de nombreuses années.

Il faudra mener d’importantes conversations sur l’aspect social lorsque les véhicules automatisés seront suffisamment sécuritaires et lorsqu’il faudra déterminer s’ils sont plus sécuritaires que les conducteurs humains et ce que cela signifie pour l’avenir de certains emplois. Ce sont toutes des questions importantes auxquelles les intervenants d’Uber réfléchissent actuellement. Nous aimerions beaucoup participer à des discussions organisées par le Parlement, le Sénat et votre comité sur ces enjeux.

Je vous suis très reconnaissant de m’avoir donné l’occasion de vous offrir un bref résumé de nos travaux. Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

Le vice-président : Nous vous remercions de votre exposé. Nous passons maintenant aux questions.

La sénatrice Griffin : Je vous remercie de votre exposé. J’ai quelques articles, mais je ne sais pas si vous les connaissez. L’un vient d’Ottawa, et celui-ci a été publié sur Twitter, je pense. Il s’intitule « Uber Assist, a ride service for people with disabilities, launches in Ottawa ». Je ne sais pas si vous connaissez cet article. Il s’agit du programme uberASSIST. Pourriez-vous m’en parler un peu plus en détail?

Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons un programme appelé Pat and the Elephant, un parc de petites fourgonnettes qui peuvent transporter des personnes handicapées. Comment cela se compare-t-il?

M. Kintz : Merci, sénatrice Griffin. Je vous suis reconnaissant de votre préoccupation à cet égard. C’est un domaine auquel Uber réfléchit depuis les débuts de l’entreprise. UberASSIST représente un progrès vers le secteur de la technologie du transport partagé adapté. Nous n’avons pas encore atteint nos objectifs à cet égard. Il s’agit essentiellement d’un outil éducatif qui permet de former des conducteurs, afin que les personnes handicapées ou les personnes âgées qui ont besoin d’un peu d’aide pour monter dans un véhicule et ceux qui ont un fauteuil pliable qui se range dans le coffre du véhicule puissent utiliser des services comme Uber pour se rendre à leur destination. Ils peuvent choisir ce service à Ottawa et dans d’autres endroits où nous offrons uberASSIST, car ils pourront faire affaire avec un conducteur qui sait comment ranger un fauteuil roulant de façon appropriée et répondre à leurs besoins.

Il existe également un large éventail d’autres personnes qui ont un handicap et qui ont besoin d’un peu plus d’aide ou d’un appareil spécial comme ceux installés sur les véhicules adaptés pour les fauteuils roulants, c’est-à-dire un plus gros dispositif qui peut recevoir un fauteuil roulant électrique, et cetera. Ce sont des choses sur lesquelles nous nous concentrons en ce moment. En effet, nous nous demandons comment, par l’entremise de notre plateforme numérique, nous pouvons aider les fournisseurs de service — c’est-à-dire les conducteurs — à adapter leurs véhicules de façon économique ou à acheter de nouveaux véhicules adaptés pour les fauteuils roulants, et offrir ensuite ce service dans un endroit où il y a suffisamment de véhicules en ligne à tout moment, que ce soit par l’entremise de notre plateforme ou peut-être en collaboration avec d’autres intervenants de l’industrie, afin qu’une personne qui a besoin d’un véhicule adapté pour les fauteuils roulants puisse presser un bouton et savoir qu’elle sera en mesure d’avoir rapidement accès à un mode de transport fiable.

Aujourd’hui, nous pourrions probablement fournir un service suffisant dans certaines villes et permettre aux gens de se faire conduire d’un endroit à l’autre, mais le système doit se trouver dans un milieu assez densément peuplé et il doit y avoir suffisamment de conducteurs munis des véhicules appropriés, afin que les passagers puissent se rendre à destination et revenir à la maison de la même manière.

Nous collaborons avec de nombreux experts dans ce domaine pour tenter de trouver la meilleure façon de motiver les conducteurs à effectuer ces investissements, et nous tentons de déterminer les meilleurs moyens de collaborer avec les gouvernements pour former des partenariats public-privé en vue de créer, par exemple, un bassin de financement pour encourager les conducteurs à effectuer ces types d’investissements.

Nous réalisons des progrès dans ce domaine dans de nombreuses villes et, sénatrice, je suis heureux de vous communiquer certains de nos résultats, car cela pourrait être une option intéressante dans des endroits comme l’Île-du-Prince-Édouard, mais cet enjeu cause certainement des difficultés aux responsables des transports depuis des décennies. C’est aussi un défi complexe pour Uber, mais maintenant, notre entreprise a la taille, l’envergure et les ressources nécessaires, je crois, pour relever ce défi plus efficacement que jamais auparavant. C’est notre responsabilité à titre de service de technologie et de transport qui est en mesure d’offrir cette capacité. C’est tout simplement ce qu’il convient de faire.

En ce qui concerne votre question sur les véhicules automatisés, je crois que tout cela s’applique également à ce type de véhicule. En effet, nous devrons offrir un service de véhicules automatisés adaptés pour les fauteuils roulants, car les personnes qui profiteront le plus de ce service sont les membres de la communauté des personnes handicapées et les gens qui souffrent d’une déficience visuelle et qui ne peuvent pas prendre le volant. En ce moment, ils doivent demander un transport qui peut prendre jusqu’à deux heures pour arriver à leur porte. Je crois que les véhicules automatisés transformeront la vie de ces personnes.

La sénatrice Griffin : Merci. Vous avez manifestement parlé des villes et vous avez précisé que c’est là où se trouve la masse critique de personnes. Comment les services offerts par Uber fonctionnent-ils à la campagne et dans les régions rurales où la population est plus dispersée? Votre entreprise est-elle très active à la campagne ou dans les régions rurales?

M. Kintz : Nous sommes moins actifs, mais nous augmentons nos activités dans ces régions. Je crois qu’il est important d’examiner la façon dont Uber débute dans une région donnée. En effet, au début, nous offrions seulement un service de voitures noires, mais le nombre d’endroits qui ont suffisamment de voitures noires pour qu’il vaille la peine d’exploiter une telle entreprise est limité. C’est seulement le cas dans les grandes villes. Avec la croissance de notre entreprise, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions offrir un service à coût moins élevé, UberX, que nous appelons le conavettage.

Avec le conavettage, vous n’avez pas besoin d’utiliser une voiture de marque Lincoln, et vous n’avez pas besoin d’être un conducteur de voiture noire commerciale pour exercer vos activités dans un endroit donné. Vous pouvez en fait être une personne ordinaire avec une Ford Escape et vous pouvez avoir accès à la plateforme si vous répondez à certains critères tels la vérification des antécédents, l’inspection du véhicule, les exigences relatives aux assurances et d’autres mesures de protection des consommateurs. Ensuite, vous pouvez offrir vos services en ligne et reconduire vos voisins à destination; c’est un moyen de faire un peu d’argent qui offre une certaine souplesse. Et vous pouvez faire cela pendant cinq heures par semaine ou 35 heures par semaine si vous le souhaitez.

Cela nous a fourni beaucoup d’occasions, car nous avons été en mesure de nous rendre compte qu’à mesure que ce système s’élargit, la demande augmente également en périphérie. Nous avons donc d’abord offert ces services dans des régions urbaines densément peuplées, par exemple dans le centre d’affaires d’une ville, et lorsque nous avons vu les gens ouvrir l’application, nous nous sommes rendu compte que la demande augmentait également en périphérie, car les gens connaissaient le service et souhaitaient l’utiliser. Il s’ensuit que la région dans laquelle le service est offert s’élargit; elle part du centre d’affaires pour couvrir l’ensemble de la région métropolitaine et même plus loin, dans certains cas. Aujourd’hui, vous pouvez voir des gens parcourir de longues distances en utilisant UberX. C’est également le cas dans les régions rurales.

Une partie du problème est d’assurer la fiabilité du service à tous les utilisateurs. Si je vis à la campagne et que, dans la soirée, ma conjointe et moi voulons faire une sortie au restaurant, ça ne nous sert pas à grand-chose de ne pas pouvoir en revenir. Il faut pouvoir trouver en tout temps assez de conducteurs en ligne pour assurer la fiabilité du système. Nous n’offrons pas le produit si la fiabilité n’est pas au rendez-vous.

Le plus souvent, il faut un peu de temps pour que la connaissance du service et la demande soient assez grandes, dans telle localité, pour éveiller l’intérêt et obtenir l’adhésion d’un nombre suffisant de conducteurs. Nous rejoignons désormais des secteurs que je n’aurais jamais crus accessibles. Le service n’est peut-être pas disponible tout le temps partout, mais c’est notre vision. C’est notre objectif.

Le sénateur Eggleton : Sénateur de Toronto et ancien maire de la ville, je suis heureux de savoir que vous y êtes installés, particulièrement au centre MaRS. Pouvez-vous nous décrire un peu les activités précises que vous prévoyez d’y accomplir relativement aux véhicules automatisés et connectés?

M. Kintz : Merci pour la question. Pour l’instant, c’est beaucoup de recherche-développement, qui se concentre, du moins dans le cas de notre groupe de technologies de pointe de Toronto, sur les modalités d’application de l’apprentissage, par la machine, des scénarios que les véhicules autonomes devront apprendre.

Par exemple, l’apprenti conducteur de 16 ans, d’après l’expérience du plus grand nombre, n’est pas un excellent conducteur. Il s’en trouve peut-être une poignée qui sont des conducteurs naturels, mais la plupart, à cet âge, sont quelconques. Après avoir parcouru un million de milles, au bout de peut-être 30 ou 40 ans, on devient un assez bon conducteur, qui ne présente de danger pour personne, ce qui explique pourquoi les assureurs tendent à exiger des primes plus élevées des jeunes, beaucoup moins expérimentés.

L’intérêt de la voiture autonome est de ne pas nécessairement avoir besoin de parcourir un million de milles avant de ne plus présenter de risque de mauvaise conduite. En fait, on pourrait en avoir, disons, mille, et chacune acquerrait différentes expériences dans son propre environnement; chacune pourrait détecter quelque chose de neuf chaque jour, comme un nid de poule à tel endroit, un feu de circulation à tel autre ou un sac de papier que le vent pousse sur la chaussée.

On rassemble tous ces apprentissages dans nos centres de données pour les analyser et en tirer des leçons, puis les télécharger tous vers le reste du parc automobile, pour que ces autres milliers de véhicules apprennent instantanément, avec le véhicule qui a repéré le sac de papier, quel est cet objet, comment le percevoir et comment déterminer qu’il ne présente aucun danger ou qu’on doit s’en méfier. À leur prochaine sortie, ils ont tous intégré cet apprentissage. C’est donc une façon incroyable d’apprendre à un rythme exponentiel.

L’apprentissage par la machine est accéléré, parce qu’il peut organiser des simulations, préparer différents scénarios et les rejouer plus rapidement que ne le peut le cerveau humain. Cet apprentissage accéléré des voitures autonomes les rend instantanément plus sûres. Elles absorbent des tonnes de données et c’est la raison pour laquelle il faut beaucoup de données tirées de la réalité pour les réinjecter dans les systèmes et pour qu’ils puissent apprendre plus rapidement. Tous les éléments s’appuient mutuellement, et c’est très important.

Voilà pourquoi Uber et beaucoup de ses concurrents comptent tant trouver de façons pour faire sortir leurs véhicules et accumuler dans la réalité les milles parcourus sur de vraies routes, pour les voitures particulières et les véhicules.

Dans l’intérêt de Toronto, c’est ce que privilégiera notre centre de recherche-développement pendant quelque temps. Quand nous pourrons déployer un parc partagé de véhicules autonomes dans le réseau d’Uber, Toronto, naturellement, sera une destination très attrayante de cette technologie, qui s’intégrera dans le réseau existant d’UberX. Pour le moment, nous ne prévoyons pas que d’autres sites d’essais viendront s’ajouter à ceux, actuels, de Pittsburgh et de Tempe, en Arizona.

C’est en partie parce que, dans le cas de Toronto, les voitures autonomes ressemblent beaucoup aux Californiens: elles détestent la neige. Nous travaillons donc à trouver des moyens de rendre les capteurs optiques des véhicules moins sensibles aux perturbations causées par la neige, la poussière ou la lumière du soleil crépusculaire. Beaucoup d’améliorations restent à faire dans la technologie.

Le sénateur Eggleton : Merci pour ce détail. Votre vision se fonde sur le covoiturage. J’ignore dans quelle mesure vous pouvez en faire avant l’avènement du véhicule automatisé de niveau 5, mais je suppose que vous en faites un peu, actuellement. Mais les véhicules entièrement automatisés devraient entraîner une diminution de la circulation et de la demande de places de stationnement, si c’est un service partagé. Ils peuvent se déplacer beaucoup plus longtemps. Mais cela exige un changement de culture, parce qu’on est habitué à posséder sa propre voiture.

Comment opérerez-vous ce changement de culture, celle du propriétaire de sa voiture, pour privilégier la vision du covoiturage qui correspond à vos objectifs?

M. Kintz : C’est vraiment une excellente question.

C’est important non seulement dans l’intérêt de la vision du covoiturage dans l’avenir, mais, également, à court terme, pour l’acceptation de la technologie par le public et pour apprivoiser le public à ce qui, par ailleurs, pourrait être perçu comme effrayant, c’est-à-dire ces véhicules sans conducteur. Que ferons-nous? Il faut y être sensibilisé. On peut en parler à longueur de journée, mais la seule solution est de s’assurer que la qualité se révélera à l’usage — en l’occurrence que le produit fonctionnera de manière fiable, qu’il sera plus sûr et qu’il se montrera meilleur et moins brusque que le conducteur humain. Tant que cette preuve ne sera pas faite, je ne crois pas que le public y fera confiance, ce que j’accepte. Nous nous sentons donc obligés d’assurer l’avènement de la technologie et de la rendre convaincante pour le public.

J’ai pu le constater souvent au début de nos essais publics dans les rues de Pittsburgh où, aujourd’hui, un véhicule d’UberX, c’est-à-dire autonome, peut ramasser un passager. Il se trouve toujours, derrière le volant, un préposé à la sécurité qui interviendra si le système se comporte de manière aberrante, mais ce véhicule autonome qui passe dans la rue ne manque pas de soulever des réactions chez les piétons et les passants sur le trottoir. Depuis son lancement, en août 2016, les comportements ont beaucoup changé. À l’époque, le passager d’un véhicule autonome d’Uber à Pittsburgh pouvait voir les touristes et les habitants de la ville qui circulaient sur le trottoir jeter un regard ébahi dans sa direction, prenant des Snapchat ou d’autres images du véhicule au moyen de leurs téléphones. Aujourd’hui, personne dans cette foule ne se retournerait, tous continueraient de composer frénétiquement leurs textos. Le public est devenu très blasé. Bien sûr, nous devons parler des statistiques concernant les gains potentiels sur le plan de la sécurité, mais la plus grande partie du public ne connaît pas très bien cette technologie. Il faudra du temps pour qu’il l’apprécie vraiment, il faudra des interactions avec elle. Voilà pourquoi nous saisissons l’importance de l’intégrer aujourd’hui dans nos services, là où nous sommes en mesure de le faire, pour faire monter dans une voiture autonome des passagers qui pourront le voir par eux-mêmes.

Le sénateur Eggleton : Je pourrais poser des questions sur la cybersécurité et ce genre de chose, mais je crois que mes collègues s’en chargeront.

Je m’intéresse au projet pilote que vous avez mené à Gainsville, en Floride, auquel ont participé des personnes âgées et un réseau local de soins aux personnes âgées. J’ignore dans quelle mesure les véhicules que vous leur avez fait prendre étaient automatisés ou connectés, mais en avez-vous tiré des leçons utiles pour faire accepter les technologies de ces véhicules par ces personnes?

M. Kintz : C’est une excellente question, et je vous en remercie. J’ai fréquenté l’école de Gainsville. L’endroit est donc très cher à mon cœur. Je pense que nous avons retenu quelques leçons. Principalement, les représentants de l’association américaine des retraités, l’AARP, m’ont poliment rappelé, quand je les ai approchés il y a quelques années pour leur dire que ça pourrait être intéressant, mais aussi pour savoir si assez de personnes âgées ou de retraités utilisaient des téléphones évolués pour leur permettre d’utiliser le service, que cette tranche d’âge était celle qui utilisait le plus ces téléphones. Ils m’ont bien remis à ma place. Notre partenariat avec l’AARP et d’autres organisations proches des personnes âgées et des retraités nous a permis de constater que, peu importe l’endroit dans le monde, cette tranche de la population a un grand besoin de mobilité, gage de liberté et d’indépendance personnelles. Dans de nombreux cas, elle est importante pour la santé, parce qu’elle permet de se rendre aux rendez-vous médicaux, à la pharmacie pour prendre les médicaments sur ordonnance, revenir chez soi, faire les courses et ainsi de suite.

J’en ai fait une affaire personnelle. Mon père a la maladie de Parkinson, et la conduite lui est devenue difficile. J’appelle pour lui aussi souvent que je peux le service Uber. Nous avons appris que beaucoup d’enfants le font pour leurs parents ou que des fournisseurs de soins médicaux le font aussi. Des plaintes se sont fait entendre par le système, par exemple: « je ne peux pas recevoir le service Uber pendant que ma mère est partie en voyage, mais je voudrais pouvoir faire les deux, c’est-à-dire commander quelque chose pour une personne âgée dans le besoin et, en même temps, partir moi-même en voyage ». Nous avons donc développé une technologie à cette fin, c’est-à-dire qui permet d’envoyer une voiture d’Uber chez un être cher. Nous avons aussi créé un portail centralisé comme celui de Gainsville, où des centres ou logements pour retraités peuvent faire venir des véhicules à partir d’un centre de répartition pour les patients ou les résidents pour les rendre libres de leurs mouvements. C’est très important, et cela gagne en popularité.

Nous avons aussi appris qu’un service entre homologues soulevait l’intérêt. Cela m’a aussi été signalé par l’AARP. Nous avons lancé un service semblable dans une communauté du Japon très âgée, où presque toute la population avait au moins 60 ans. Des personnes âgées deviennent ainsi les chauffeurs d’autres personnes âgées. Cela fait beaucoup appel à la confiance. Sur le plan social, on partage beaucoup de points en commun, et on en retire une belle expérience. Ce n’est pas transposable partout, mais c’est un service agréable et intéressant que nous sommes en mesure de fournir au Japon. Voilà nos pistes de réflexion. Vous êtes tombés juste.

La sénatrice Bovey : Merci pour votre exposé. J’ai obtenu la réponse à certaines de mes questions. Je vais donc passer à autre chose, mais, avant, une question encore sur les clients handicapés.

Nous avons rencontré les représentants de plusieurs groupes qui n’ont peut-être pas réfléchi en profondeur à la technologie autant qu’ils le feront à l’avenir et qui ont plutôt vu les difficultés, pourrions-nous dire, qu’elle présente. Je me demande quel travail vous avez fait, individuellement, avec diverses organisations qui ne sont pas seulement constituées d’un parent, ici et là, mais de personnes handicapées, de partout au pays, pour les amener à réfléchir à ce que la technologie pourrait signifier pour elles.

M. Kintz : Pour éviter tout malentendu, voulez-vous dire Uber, le service général, pas seulement les voitures sans conducteur?

La sénatrice Bovey : Je pense aux expériences de covoiturage.

M. Kintz : Excellent.

La sénatrice Bovey : Pas seulement à la crainte des véhicules autonomes, mais à celle de rencontrer des inconnus ou des personnes malintentionnées. Vous avez parlé beaucoup de l’équipement. Il y a aussi la crainte des montants à débourser. Certaines questions soulevées semblaient anodines, mais elles étaient très importantes, si vous savez ce que je veux dire. Je suppose que la crainte de ces personnes de ne pas connaître les autres passagers découle d’un sentiment plus aigu de vulnérabilité que, peut-être, chez les personnes indemnes, ce qui débouche sur la question de la protection des données et de la vie personnelle. Je passe de la petite à la grande dimension du problème.

M. Kintz : D’accord. Merci pour la question. D’abord, il importe que j’admette que nous sommes loin d’avoir des réponses intelligentes sur tous ces aspects. Il nous incombe de nous assurer que nous apportons au moins un peu d’améliorations en cours de route.

Sur le seul plan de l’accessibilité, je pense que beaucoup de groupes nous considèrent comme offrant une occasion intéressante, vu la taille que nous avons atteinte et les ressources si nombreuses à notre disposition. Nous nous faisons dire: « Vous avez mis au point un service intéressant, fantastique pour beaucoup de clientèles différentes, mais qu’en est-il de nous? Nous en parlons depuis des décennies. Vous voici. C’est l’occasion. Celle que nous attendions, et, pourtant, vous ne prenez pas au sérieux les besoins de notre communauté. »

Je dirais que, sur les premières années d’Uber au moins, ils ont absolument raison. Nous n’avons pas fait grand cas des gains que nous pourrions faire en servant ces communautés, parce que nous étions tellement obnubilés par la croissance si rapide du service, à l’échelle mondiale, que nous ne nous sommes pas arrêtés à évaluer comment nous pourrions affiner la technologie et l’amener à un point qui la rendrait utile aux communautés qui ne font simplement pas partie de la population générale des utilisateurs de l’application.

Leurs critiques ont fait mouche. Dans de nombreux cas, dès que nous nous sommes arrêtés pour les écouter, nous avons commencé à en apprendre beaucoup. Je pense qu’il ne nous était pas encore venu à l’esprit de nous arrêter pour écouter et dialoguer. Nous le faisons maintenant, depuis quelques années. Nous apprenons beaucoup sur la façon d’améliorer ces choses.

On nous a notamment avertis que les personnes handicapées ne forment pas un groupe homogène. Bien sûr, les véhicules accessibles en fauteuil roulant constituent la principale difficulté pour le transport, mais, finalement, nous avons pu vraiment apporter des correctifs rapides à l’application qui aide vraiment les malvoyants, passagers bien sûr, et c’est une actualisation du logiciel que beaucoup de fournisseurs de logiciels utilisent pour permettre à l’application de réagir vocalement.

Pour les malentendants, passagers comme conducteurs, nous avons vraiment hérité d’un projet stimulant d’actualisation de l’application pour permettre aux conducteurs sourds ou malentendants de communiquer convenablement avec les passagers. Elle crée un système de communication bilatérale qui avertit le passager — dès qu’on vous fait la demande, si vous êtes un client fréquent d’Uber, vous risquez d’être tombée dessus: « Attention, votre chauffeur est malentendant. Nous vous demandons donc de bien vouloir communiquer avec lui grâce à cette interface, pour qu’il connaisse votre identité et votre destination », ce genre de choses. L’application a multiplié les possibilités de revenus pour des conducteurs qui, sinon, auraient été professionnellement limités. Pour beaucoup de passagers malentendants, quel soulagement pour beaucoup d’entre eux de pouvoir nouer avec le fournisseur du service un contact qui aurait été difficile s’il n’avait pas connu leur situation. C’est vraiment excitant pour nous. Cela a donné lieu à des anecdotes extraordinaires.

Pour réagir à ce que vous disiez sur la protection de la vie privée des gens, nous cherchons à établir des partenariats avec les organismes de transport médical, les hôpitaux pour anciens combattants et les autres types d’hôpitaux et de fournisseurs de services médicaux. Je vous parlerai un instant du système américain, parce que nous discutons beaucoup avec les gens de la division fédérale de la santé et des services sociaux et des divisions d’État pour nous assurer que nous arriverons à protéger la vie privée des patients, sous toutes ses formes, tout en leur offrant des services de transport médical non urgents. Nous croyons que nos services pourraient permettre d’économiser énormément et de gagner en efficacité dans un système qui fait bien piètre figure à ces deux égards depuis très longtemps. La partie délicate, c’est le respect des droits des patients.

Je serais ravi de demander à notre équipe de la santé de faire un suivi avec vous, sénatrice, si vous souhaitez en apprendre davantage à ce sujet, parce que je n’ai pas une tonne de détails à vous fournir en ce moment même, mais je tiens à rassurer le comité, qui doit savoir que nous réfléchissons beaucoup à ces questions, parce que nous les entendons aussi de la bouche des consommateurs. C’est ce que les chauffeurs comme les passagers souhaitent, donc nous sommes résolus à trouver des solutions.

La sénatrice Bovey : Je pense que la protection des données est fondamentale, et c’est aussi le lien avec la cybersécurité, dont a fait mention mon collègue sénateur il y a une minute. Je ne sais pas si vous êtes prêt à vous aventurer dans le champ des questions sur la cybersécurité.

M. Kintz : Tout à fait. C’est un enjeu pertinent, qui revient fréquemment, surtout lorsqu’il est question de véhicules automatisés. Je vais essayer de mettre l’accent sur cette question.

La cybersécurité n’est pas un enjeu unique aux véhicules automatisés ni aux sociétés informatiques. En fait, je crois qu’il y a en ce moment plus d’un milliard de véhicules sur les routes qui sont des automobiles ordinaires vulnérables, puisqu’on commence à les munir individuellement de fonctions logicielles avancées. Nous voyons poindre toutes sortes d’atteintes à la sécurité des systèmes, donc je serais porté à dire au comité que le problème le plus urgent en ce moment est sans doute celui de la vulnérabilité des automobiles déjà sur les routes du point de vue de la cybersécurité, et il ne s’agit pas de véhicules automatisés ni de voitures spéciales. C’est à prendre en considération. En fait, les chercheurs tristement célèbres pour avoir réussi à pirater une Jeep à distance il y a quelques années ont été embauchés pour diriger notre équipe de défense en matière de cybersécurité au sein du groupe des technologies avancées. Ils nous ont aidés à munir nos véhicules automatisés de mécanismes de protection en matière de cybersécurité que j’estime très avancés. Les membres du comité doivent savoir que les véhicules automatisés sont localisés, de sorte qu’on nous demande souvent ce qui arriverait si un pirate russe s’emparait de toute une flotte de véhicules, parce que ce pourrait être une menace à la sécurité nationale. Certains craignent qu’un pirate pousse une voiture en bas d’un pont. Je suppose que rien n’est impossible, mais cela me semble un peu exagéré puisque pour l’instant, on ne peut prendre les commandes que d’un véhicule à la fois.

De même, il faut souligner que les entreprises actives dans le secteur des véhicules automatisés embauchent des professionnels de pointe en programmation logicielle. La cybersécurité est toujours un peu un jeu du chat et de la souris, et c’est d’autant plus vrai pour une société qui conçoit des logiciels, un constructeur automobile ou un gouvernement. Il faut toujours assurer une défense solide ayant un pas d’avance sur les malfaiteurs. Dans ce cas-ci, pour les véhicules automatisés, nous sommes persuadés d’avoir recruté les esprits les plus fins au monde en matière de cybersécurité.

Nous déployons fréquemment des programmes de recherche de bogues, où nous invitons les pirates à essayer de faire ployer notre défense pour savoir quelles sont nos vulnérabilités, donc nous prenons la chose très au sérieux. À ce jour, c’est vraiment la norme de l’industrie. Je pense qu’il n’y a personne qui puisse sincèrement venir dire au comité: « Nous sommes parfaitement invulnérables. » Il n’y a aucune société informatique ni organisation qui le soit dans le monde, mais nous prenons la chose très au sérieux.

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur Kintz. Comme vous venez de Montréal, que penseriez-vous de pratiquer un peu votre français ce soir?

M. Kintz : Cela n’ira pas bien.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais continuer dans la même veine que mon collègue, le sénateur Eggleton, au sujet de votre centre de Toronto. Ce sera donc un centre de recherche, comme vous le disiez.

Ma première question est liée aux infrastructures canadiennes. On sait que ce type de véhicule nécessitera une infrastructure particulière. Je crois que vous êtes à même de constater ce qui se fait dans d’autres États, dans d’autres provinces. Comment compareriez-vous les infrastructures canadiennes à celles d’autres États en ce qui a trait à l’avancement ou à l’état de préparation pour accueillir cette technologie?

[Traduction]

M. Kintz : Merci, sénateur. C’est une très bonne question, que les gouvernements du monde entier posent à notre industrie et qu’ils se posent eux-mêmes.

Premièrement, je crois que l’infrastructure au Canada est bien adaptée pour accueillir des projets pilotes, un déploiement, puis la prolifération de ce type de véhicules. Je pense que pour ceux qui auraient envie de construire une infrastructure intelligente étendue, de prochaine génération, ma réponse risque d’être un peu décevante, parce que nous travaillons très fort de notre côté pour veiller à ce que la technologie fonctionne. J’ai déjà mentionné qu’elle n’est pas fantastique dans la neige. Nous voudrions la rendre excellente dans tous les types de conditions météorologiques et d’infrastructures, notamment sur les mauvaises routes, sur les ponts et dans toutes sortes d’environnements difficiles. Nous voulons atteindre ce niveau de compétence technologique pour assurer un voyage sécuritaire aux passagers, quelles que soient les circonstances.

Cependant, il y a d’autres intérêts en jeu. Il arrive que les constructeurs automobiles ou ceux qui souhaitent se tailler une place dans le marché des véhicules automatisés s’intéressent davantage aux communications entre véhicules ou aux communications entre les véhicules et l’infrastructure. Je serais porté à dire que les véhicules automatisés sont le plus efficace quand la base est solide, c’est-à-dire quand les routes sont bien pavées, que les panneaux d’indication sont clairs et visibles, que les feux de circulation fonctionnent bien et sont synchronisés et que les lignes qui séparent les voies sont bien peintes.

Nos camions automatisés fonctionnent un peu différemment de nos voitures automatisées, en ce sens qu’ils ne sont pas vraiment conçus pour rouler dans des environnements urbains complexes comme les voitures. Les camions automatisés sont conçus pour parcourir des kilomètres et des kilomètres d’autoroute en ligne droite, et la technologie se fonde sur les lignes peintes au sol, qui deviennent comme des pare-chocs virtuels pour que les camions restent dans la bonne voie. C’est un peu comme quand on utilise la Tesla aujourd’hui en mode pilote automatique: elle utilise les lignes qui séparent les voies pour rester dans la bonne voie.

Quand ces lignes commencent à s’estomper, le système perd en fiabilité et cesse de fonctionner adéquatement. Ce sont à ces éléments de base que nous nous intéressons en ce moment. Les autres types d’investissements qu’on peut faire, dans les feux de circulation intelligents et la signalisation routière, coûtent très cher en dépenses d’infrastructures pour un pays. Cela dit, c’est une avenue intéressante, qui rendrait tout l’écosystème plus sécuritaire, donc je ne voudrais pas vous dissuader de la prendre. Il pourrait être utile de construire certaines choses pour aider tout le monde et rendre l’écosystème plus sécuritaire, donc nous l’encourageons. Ce n’est pas une chose dont nous avons besoin pour l’instant, compte tenu de nos objectifs, mais d’autres fabricants de ce type de technologie pourraient souhaiter en bénéficier.

Enfin, je vous dirais que toute l’infrastructure indiquant la présence de travaux de construction ou la tenue de grands événements, ainsi que les relations avec les services policiers ou les services de transport locaux sont de la plus grande importance, parce que si les voitures automatisées peuvent connaître la cartographie d’un territoire, savoir où se trouvent les panneaux de signalisation et les feux de circulation et capter les déplacements des autres voitures, elles ne peuvent pas nécessairement déterminer si des travaux de construction ont commencé la veille quelque part. Cela peut changer la dynamique et la façon dont le système perçoit le monde. C’est la raison pour laquelle cette relation est si importante. Quel que soit l’ordre de gouvernement qui réglementera les véhicules automatisés, que ce soit le gouvernement fédéral, les provinces ou les municipalités, il sera important que les entreprises aient d’excellentes relations avec le gouvernement local pour établir ce dialogue en temps réel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On remarque que le développement technologique de la voiture intelligente se fait à plusieurs endroits sur la planète et en Amérique du Nord, et qu’il y a donc beaucoup de chercheurs et de fabricants. Est-ce que toutes ces technologies se feront concurrence ou est-ce qu’elles seront complémentaires? En outre, est-ce que cela représente un défi pour les infrastructures qui devront accueillir ces technologies selon qu’elles seront communes ou disparates?

[Traduction]

M. Kintz : Nous croyons que le partage est l’avenir le plus probable de ce type de technologie. Je pense que les constructeurs automobiles — et je ne veux pas parler en leur nom — diraient eux aussi que l’autopartage est le modèle de l’avenir pour l’automobile. Pour le camionnage, le modèle du parc de véhicules fait déjà école, donc c’est une transition plus naturelle.

Il y a beaucoup de constructeurs automobiles qui estiment peu probable d’en venir à concevoir des produits de consommation qui feraient tout de manière automatisée, où que la personne souhaite se rendre. Il est peu probable que les véhicules automatisés parviennent à ce stade. Il est très long et ardu de bien cartographier une zone pour que les véhicules automatisés puissent bien percevoir leur environnement. Prenez Google Maps ou les autres technologies de localisation de la circulation: il faut que toutes les rues et les panneaux d’arrêt soient bien indiqués, bien localisés, que les noms des routes soient exacts, et ce, au mètre près. Or, pour les véhicules automatisés, on a besoin d’une cartographie précise au centimètre près, parce qu’un mètre peut faire la différence entre le fait de suivre la circulation ou de changer de voie pour s’insérer rapidement entre deux voitures qui roulent, ce qui peut être dangereux. La correspondance géographique doit donc être précise, et il faut passer beaucoup de temps à réviser les cartes encore et encore.

D’autres choses peuvent survenir aussi. Avec le printemps peut pousser un arbuste juste devant un panneau d’arrêt. Il est donc très important que la correspondance géographique soit précise pour que le véhicule sache qu’il y a un panneau d’arrêt à tel endroit et que ses capteurs le perçoivent. Il me semble peu probable qu’on arrive à une telle correspondance géographique, à tout le moins tant que la technologie ne nous permettra pas de cartographier le territoire rapidement et efficacement. Il est peu probable qu’on arrive à mettre au point un véhicule automatisé de niveau 5 qui pourrait aller n’importe où, tout faire seul, sans aucune forme de commande de l’opérateur.

Il est beaucoup plus probable et il serait sans doute plus efficace pour les réseaux de transport du monde que nous nous dotions de flottes de véhicules automatisés partagés accessibles 24 heures sur 24, qui prendraient des passagers en covoiturage, comme avec uberPOOL, une formule qui permet de prendre deux, trois ou quatre passagers dans le même véhicule en même temps.

Il serait possible de concevoir des véhicules plus attrayants si l’on n’avait pas à les doter d’un volant, de pédales et à respecter d’autres normes de sécurité des véhicules automobiles. Il pourrait y avoir des sièges face à face, les passagers pourraient converser entre eux, jouer aux échecs, regarder la télévision et utiliser des systèmes de divertissement à l’intérieur de véhicules. Il y a bien des choses qu’on pourrait faire si l’on n’avait pas à se soucier du tout des commandes de conduite.

On verra les constructeurs automobiles commencer à produire ce genre de véhicules. Il pourrait y avoir toutes sortes de produits de consommation destinés à l’autopartage, différents lecteurs MP3 créant diverses ambiances. Par exemple, un véhicule pourrait ne diffuser que des nouvelles et un autre, des dessins animés pour enfants; un autre pourrait diffuser des événements sportifs, et l’on pourrait choisir. Il n’y a donc pas de limite à ce qu’on peut faire quand on pense à l’avenir, mais il faut voir la tendance, qui pointe vers le modèle du parc automobile.

C’est également le modèle qui nous permettra le plus de gagner en efficacité et d’en tirer des avantages sociaux. On pourra alors vraiment parler de diminution du nombre de places de stationnement, de la congestion, de la pollution atmosphérique et de tous les autres maux des grandes villes du monde, aujourd’hui. Ce ne sera pas seulement agréable, ce sera nécessaire. Quand on observe la tendance à l’urbanisation dans les grandes villes du monde, on voit que certaines commencent à atteindre le point de bascule, qu’elles deviennent presque invivables à cause d’un niveau de pollution ou de congestion intolérable.

Je travaille fréquemment à Mexico, à Rio et à São Paulo, où l’on peut mettre de trois à quatre heures pour parcourir 20 ou 30 kilomètres. C’est insoutenable, et c’est un problème que nous voulons tous travailler à corriger.

Le sénateur Mercer : Merci de votre exposé, monsieur Kintz.

J’aimerais vous sortir de la ville quelques instants pour vous transporter sur l’autoroute, avec des camions, dans un train routier ou ce qu’on appellera je ne sais trop comment, mais une série de camions qui avance sous peu de supervision.

Cet outil nécessitera un bon entretien des lignes, des panneaux routiers et des autoroutes pour être sécuritaire, et c’est probablement la plus grande occasion à saisir que je vois. Au Canada, il y aura d’ici 2020 pénurie de plus de 33 000 conducteurs de grands routiers, et dans un pays aussi vaste que le nôtre, les conducteurs de grands routiers occupent une place importante, or il nous en manquera 33 000.

Ce serait donc une solution possible à notre problème.

Mais je pose la question suivante : qu’en pensent les Teamsters?

M. Kintz : Merci, sénateur Mercer, de soulever l’un des enjeux les plus controversés liés à cette technologie. Les Teamsters ont déjà commencé à se faire entendre à ce sujet à Washington. Le Congrès américain étudie un projet de loi qui établirait les premières règles régissant les routes aux États-Unis, à l’échelle fédérale, pour les véhicules automatisés.

Les élus ont essayé d’y inclure les camions automatisés, mais le syndicat des Teamsters et d’autres groupes s’y sont opposés. Je dirais que votre analyse est parfaitement juste, c’est-à-dire qu’il y a actuellement pénurie de camionneurs. La technologie, telle qu’elle existe aujourd’hui, s’apparente davantage à la fonction de pilote automatique dans un avion; elle améliore la sécurité des camionneurs sur la route, parce que comme les automobilistes, ils affichent un taux très élevé d’accidents mortels. En fait, le nombre d’accidents impliquant des camions est démesurément élevé par rapport à ceux impliquant des automobiles, et les véhicules lourds présentent un danger pour tous les autres usagers de la route.

L’automatisation des camions permettrait donc à un camionneur de s’éloigner du volant, de se reposer un peu dans la cabine, peut-être même de dormir un peu, de remplir des documents, d’appeler à la maison, de faire tout ce qu’il doit faire. Puis, quand le camion parviendrait à destination, la technologie lui céderait le relais à partir de la bretelle d’accès, et le chauffeur conduirait le véhicule jusqu’au quai de chargement. À ce stade, il faudrait certainement une intervention humaine pour placer le camion au quai de chargement en toute sécurité et assurer le déchargement.

C’est, selon notre analyse, la meilleure proposition de valeur pour l’industrie du camionnage. On s’assurerait d’un transport plus sûr sur l’autoroute grâce à la technologie, qui serait également très commode.

En revanche, il serait extrêmement complexe d’essayer d’assurer le déplacement de la bretelle d’accès jusqu’au quai de chargement, puis le déchargement lui-même, si bien que nous supposons qu’un conducteur ou un assistant quelconque devra intervenir un moment donné. Je pense que les représentants des syndicats diront ce qu’ils ont à dire à ce sujet, tant aux États-Unis qu’au Canada ou ailleurs, mais qu’ils ne vous parleront pas des avantages énormes que cette technologie présente pour la sécurité des camionneurs.

Ce n’est pas une profession très saine. Les camionneurs souffrent souvent. Outre les dangers liés à la sécurité routière, ils s’exposent à toutes sortes de problèmes de santé à force de passer autant de temps sur la route, derrière le volant. Cette technologie pourrait les aider à se reposer davantage.

De même, si l’on combine la conduite automatisée avec notre autre produit, qu’on appelle Uber Freight et qui se veut essentiellement un service numérique de courtage mettant en lien les fournisseurs avec les conducteurs et permettant à ces derniers de trouver des chargements qu’ils peuvent ramener chez eux ou quelque part à un endroit qui leur convient, on se rend compte que ce pourrait être une façon pour les camionneurs de faire plus d’argent, plus efficacement, puisqu’ils n’auraient plus à rouler à vide sur le chemin du retour. Ils auraient ainsi plus de temps à passer avec leur famille et pourraient passer moins d’heures sur la route.

J’y vois beaucoup d’avantages potentiels pour les chauffeurs. Nous interagissons fréquemment avec les associations de camionnage et les groupes de chauffeurs qui voient déjà les avantages d’Uber Freight depuis que nous l’avons lancé au Texas et dans certaines régions de la Californie. Nous sommes ravis de l’arrimage entre ces deux systèmes, soit la technologie de conduite automatisée avec le courtage d’Uber Freight.

Le sénateur Mercer : J’aimerais revenir à une chose que vous avez dite. Vous avez parlé de la neige. Il neige parfois, pas seulement au Canada, mais dans de grandes parties des États-Unis aussi. Pour que cette technologie puisse vraiment fonctionner, particulièrement en camionnage, il vous faudra résoudre le problème de la neige. J’ai traversé les montagnes Blue Ridge, il y a quelques années, et quand j’ai pris l’autoroute tôt le matin, on voyait qu’il avait neigé pendant la nuit. Ce n’était pas beaucoup de neige pour moi, mais c’était assez de neige pour causer des problèmes à tous les autres. Je trouvais que tout le monde conduisait bien lentement, jusqu’à ce que je monte une côte. Ce n’est pas qu’ils conduisaient lentement, mais qu’ils dérapaient. Je continuais d’avancer parce que je savais ce que je faisais, alors que les autres ne savaient pas quoi faire. La plupart des véhicules que je croisais étaient de gros camions de transport. Ils n’étaient pas prêts à affronter une si faible quantité de neige.

Comment pourrez-vous mettre cette technologie en place dans les endroits où il ne neige pas très souvent? Je me rendais jusqu’en Caroline du Nord, où il y a très peu de neige, en passant par la Virginie-Occidentale, où il neige un peu en général, puis soudainement, on passait d’un type de conditions à l’autre. On conduit tranquillement dans une région où il n’y a pas de neige, puis soudainement, sans qu’on s’y attende, en cette ère de changement climatique où les conditions météorologiques sont parfois étranges, il faut affronter de la neige. On ne peut pas mettre sur les routes des véhicules non adaptés aux conditions météorologiques changeantes.

M. Kintz : Vous avez tout à fait raison, sénateur. La bonne nouvelle, c’est que la technologie évolue rapidement. En fait, cela dépend surtout des avancées rapides de la technologie des capteurs, pour que les caméras à haute définition utilisées puissent détecter des choses comme les tempêtes de poussière, la neige et une faible visibilité. On assiste à des avancées exponentielles de cette technologie à très faible coût. C’est presque cliché de le dire, mais ce n’est qu’une question de temps pour que la technologie évolue. On ne parle probablement que de quelques années. On ne parle même pas de décennies.

La plupart de nos concurrents ont commencé à réaliser des tests en Californie, et nous avons nous-mêmes commencé à en faire à Phoenix, en Arizona, mais également dans nos installations de R-D de Pittsburgh. Pittsburgh connaît bien la neige, les intempéries, les mauvaises conditions routières. En fait, nos ingénieurs ont décidé de faire notre premier déploiement là-bas, parce qu’ils voulaient tester les capteurs et les logiciels dans ce genre de conditions. En fait, je pense qu’aucune autre ville des États-Unis ne compte autant de ponts que Pittsburgh, et les ponts posent également beaucoup de difficulté aux capteurs.

Nous nous sommes dit que si nous voulions apprendre rapidement, il fallait tester nos capteurs dans ce que les ingénieurs appellent une piste extrême pour les véhicules automatisés, soit à Pittsburgh, où il y a des ponts, de la neige et parfois une infrastructure routière obsolète.

Le sénateur Mercer : Il y a aussi beaucoup de dénivelé à Pittsburgh.

M. Kintz : Tout à fait. Il m’est déjà arrivé de sortir malgré des accumulations de neige. J’ai reçu une délégation des Émirats arabes unis à Pittsburgh l’hiver dernier. Nous sommes allés faire un petit tour. Je croyais que la neige s’accumulerait sur les capteurs et je me demandais comment cela se passerait. Les gens des Émirats arabes unis ne se préoccupent certainement pas beaucoup de la neige, donc j’espérais que les choses se passent bien, et elles se sont très bien passées. On constate une amélioration constante de l’adaptation aux conditions météorologiques. Il ne nous faudra encore que quelques années avant que les capteurs puissent s’adapter à presque toutes les conditions météorologiques.

J’aimerais ajouter une dernière chose à ce sujet. Il y a aussi des avantages incroyables quant aux choses qu’on ne peut pas voir en tant que conducteur, comme un cerf qui traverse la route au beau milieu de la nuit. Vous et moi le verrons dès qu’il sera devant nos phares. En fait, il est parfois même dangereusement trop tard, tant pour le cerf que pour nous-mêmes. Or, les systèmes de détection et télémétrie par ondes lumineuses LIDAR qui sont fixés aux voitures autonomes pourraient repérer le cerf à 100 mètres en pleine nuit et réagir en toute sécurité sans que vous ne remarquiez de coup ni de freinage brusque. Il y a toutes sortes d’avantages intéressants, auxquels nous ne pouvons même pas songer aujourd’hui, qui reposent sur notre expérience humaine.

La sénatrice Bovey : J’ai une question pour ce tour-ci. Comme vous le savez, nous sommes un comité du Sénat du Canada, et une partie de notre travail consiste à faire des recommandations au gouvernement fédéral en matière de lois et de règlements. J’aimerais connaître votre avis sur les types de règlements que nous devrions envisager au fédéral, puisque les permis de conduire et les réseaux routiers relèvent des provinces et des municipalités. J’aimerais connaître vos pensées sur le plan réglementaire.

M. Kintz : Merci, sénatrice. Cette question m’est fréquemment posée par des gouvernements du monde entier et des États-Unis, aux instances fédérales, étatiques et locales. Je pense qu’il est important d’étudier la question, comme vous le faites ce soir, car cette technologie est tout au début de son cycle de vie. Vous aurez amplement le temps d’adopter des règles de route réfléchies, et je pense qu’une étude approfondie est certainement justifiée et conseillée, étant donné que la technologie évoluera très rapidement et très souvent. Je crains donc que toutes règles exhaustives adoptées aujourd’hui soient terriblement désuètes après un an. Dans certains cas, ces règles pourraient même avoir un effet dissuasif sur la technologie, ce qui retarderait ses effets bénéfiques sur la sécurité pendant des années, voire une décennie.

Ce que nous avons constaté dans des endroits comme le Congrès américain, par exemple, c’est que les dirigeants cherchent en ce moment à étendre la portée des dérogations aux Federal Motor Vehicle Safety Standards pour les constructeurs automobiles, afin que ceux-ci puissent commencer à expérimenter des véhicules qui n’ont pas forcément de conducteur derrière le volant. Ce sont les voitures dont j’ai parlé, qui pourraient être des centres de divertissement ou des centres sociaux dont les sièges sont positionnés face à face. C’est une chose que les fabricants veulent commencer à faire, et le gouvernement fédéral prend des mesures à cet égard.

Un grand nombre d’États américains ont commencé à aborder les préoccupations en matière de responsabilité automobile qui sont soulevées par l’industrie de l’assurance et les avocats plaidants. Cette discussion en évolution est probablement reprise chaque année par ces groupes, qui essaient de comprendre ce que la technologie pourrait signifier pour l’assurance automobile personnelle et commerciale. Ils essaient de prendre de l’avance dans le secteur. C’est peut-être logique pour les Américains de s’y préparer et d’adapter les lois en conséquence.

Pour ce qui est des autres lois qui sont élaborées en ce moment, que ce soit aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Singapour, à Dubaï ou ailleurs, les gens examinent la question de très près, mais ils ont peut-être un peu de mal à déterminer le niveau idéal de sécurité. Quel est le degré de sécurité d’un conducteur par rapport à une voiture autonome? Je n’ai pas encore la réponse. Nous prévoyons contribuer à cette discussion en soumettant nos constatations et données sur la sécurité.

Vous avez vu que notre concurrent Waymo a publié il y a quelques jours son propre rapport sur la sécurité — le premier de ce genre —, qui expose certaines de ses conclusions. J’espère que d’autres joueurs de l’industrie lui emboîteront le pas. Je pense que nous pourrions tous apprendre beaucoup de choses. Je pense que l’avantage serait de très courte durée pour toute entreprise ou organisation travaillant sur cette technologie qui tenterait vraiment de se cacher du gouvernement, car nous pouvons tous apprendre des progrès de chacun sur le plan de la sécurité.

Cela dit, il y a également des données concurrentielles, exclusives, délicates et précieuses que nous, les sociétés, cherchons à protéger, de sorte qu’il faut maintenir un équilibre délicat. Mais pour l’instant, nous sommes tout à fait disposés à collaborer avec une instance gouvernementale qui souhaiterait réfléchir aux règles de la route. Heureusement, nous avons amplement le temps de nous assurer que ces règles sont établies correctement, de façon à favoriser l’adoption de la technologie et à atteindre un niveau de sécurité sans nuire au développement.

Je voudrais conclure avec une dernière réflexion. Si des normes sont établies dès maintenant, j’encourage les décideurs à se concentrer sur les exigences matérielles; c’est essentiel. Il peut s’agir du véhicule lui-même — une industrie déjà réglementée et qui a déjà été étudiée attentivement — ou peut-être des normes entourant l’optique, comme la distance de lecture des lasers LIDAR, à savoir 100 ou 120 mètres, et la nécessité de fixer des normes à ce chapitre. Les caméras devraient-elles être capables de percevoir une définition donnée? C’est le genre de questions qu’il faut se poser pour que toute l’industrie puisse s’y adapter.

Je vous préviens qu’il serait probablement prématuré d’imposer des restrictions sur le développement de logiciels qui sont mis à jour plusieurs fois par jour. Nous aurons probablement des milliers de versions avant d’en arriver à un service à la clientèle à échelle réduite. Cela nuirait énormément à la technologie si un organisme gouvernemental ou une tierce partie devait approuver en cours de route l’évolution du logiciel. C’est ma seule mise en garde.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.

Le vice-président : Monsieur Kintz, au nom du Sénat du Canada, j’aimerais vous remercier de votre témoignage d’aujourd’hui. Nous vous remercions infiniment d’avoir pris le temps de nous parler.

(La séance se poursuit à huis clos.)

[Traduction]

Le vice-président : Sénateurs, est-il convenu que la demande de budget pour l’étude spéciale sur les questions techniques et réglementaires liées à l’arrivée des véhicules branchés et automatisés pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018, qui s’élève à 47 145 $, soit approuvée en vue d’être soumise au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Merci de votre patience, sénateurs. À notre prochaine réunion de mardi prochain, nous entendrons les représentants de la Central North American Trade Corridor Association.

(La séance est levée.)

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