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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 35 - Témoignages du 22 mai 2018


OTTAWA, le mardi 22 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, pour étudier les nouvelles questions liées à son mandat et les lettres de mandats ministériels.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd’hui conformément à notre ordre de renvoi général pour étudier la question des déductions fiscales dont bénéficie la publicité étrangère sur Internet.

Je voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants des AMIS de la radiodiffusion canadienne : Daniel Bernhard, directeur général et porte-parole, Ian Morrison, porte-parole, et Peter Miller, consultant et auteur du rapport Colmatons la brèche! La déductibilité de la publicité sur Internet.

Je vous invite à faire vos remarques d’ouverture, après quoi les sénateurs ne manqueront pas de vous poser des questions.

Daniel Bernhard, directeur général et porte-parole, Les AMIS de la radiodiffusion canadienne : Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Daniel Bernhard et je suis directeur exécutif des AMIS de la radiodiffusion canadienne, comme vient de le dire le sénateur Tkachuk. Je suis accompagné de Ian Morrison, le fondateur de notre mouvement, et de Peter Miller, coauteur du rapport Colmatons la brèche!, paru le 24 avril. Vous devriez y avoir accès maintenant.

Un journalisme fort est un garant important de notre démocratie, tandis que nos histoires expriment notre culture et affirment notre souveraineté. Les deux sont gravement menacés par la fuite des revenus publicitaires qui les ont toujours soutenus, au profit des monopoles technologiques américains, à l’aide la politique fiscale canadienne.

Les AMIS de la radiodiffusion est un groupe de surveillance pour le contenu canadien en ondes et en ligne. Nous jouissons de l’appui de 364 000 Canadiens; leurs dons après impôt financent notre travail. Nous ne sommes affiliés à aucun radiodiffuseur ni parti politique.

[Français]

Les médias canadiens sont en chute libre. Le 8 mai, La Presse annonçait qu’elle ne survivrait pas sans subventions et sans dons. La Presse est le plus grand quotidien québécois, avec un marché potentiel de près de 7 millions de personnes. La menace de fermeture de ce journal, qui est publié depuis 134 ans, n’est que le plus récent jalon d’une série de fermetures au sein des médias canadiens.

[Traduction]

Colmatons la brèche! documente l’envergure de la crise de la publicité numérique qui plane sur les médias canadiens.

En 2017, les annonceurs canadiens dépensaient environ 6,2 milliards de dollars en publicité numérique. Quatre-vingts pour cent de ce montant, soit 5 milliards de dollars, est acheminé directement à des entreprises médiatiques étrangères, principalement Google, sa filiale YouTube, et Facebook. Les revenus canadiens de Google sont maintenant supérieurs à ceux de l’ensemble des stations de télévision linéaire canadiennes. Entre-temps, les journaux canadiens, imprimés et numériques, ont perdu plus de 50 p. 100 de leurs revenus publicitaires depuis 2006. Notre recherche prévoit que jusqu’à la moitié des stations de télévision dans les marchés canadiens de petite et moyenne taille pourraient fermer d’ici 2021.

Selon Médias d’info Canada, le Canada a vu disparaître 16 000 emplois journalistiques au cours de la dernière décennie. Beaucoup de Canadiens ignorent que notre gouvernement contribue à cet état d’urgence en n’appliquant pas sa propre politique fiscale de longue date aux annonceurs qui placent des publicités sur Internet, surtout auprès de Google et de Facebook.

Depuis cinq décennies, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, le coût des annonces placées auprès de médias étrangers n’est pas déductible d’impôt. La section 19 donne un avantage financier aux annonceurs qui utilisent des médias canadiens, dont le journalisme est garant de notre démocratie, et dont les histoires enrichissent notre culture. Pourtant, le gouvernement du Canada n’applique pas ces dispositions aux médias transmis par Internet. Une entreprise canadienne ne peut déduire le coût d’une publicité placée dans l’édition papier du New York Times. Toutefois, si cette même annonce est placée auprès de nytimes.com, l’annonceur a droit à la pleine déduction.

Au final, le coût des produits publicitaires vendus par Google, Facebook et d’autres médias numériques étrangers est réduit de 26 p. 100. Conséquemment, les gouvernements canadiens se privent chaque année de 1,3 milliard de dollars en recettes fiscales.

Nous travaillons sur ce dossier depuis 24 mois et, depuis, les principaux bénéficiaires de ces subventions ont fait les manchettes — à l’échelle mondiale — pour leurs modèles d’affaires qui sapent la démocratie.

[Français]

Le fait d’exempter les entreprises technologiques étrangères des dispositions de l’article 19 a des effets dévastateurs sur les médias canadiens. La Presse en est le plus récent exemple, mais des centaines de journaux et de stations de télévision sont à la veille de franchir ou ont déjà franchi le point de non-retour. Ces médias fournissaient des nouvelles et du divertissement à des collectivités telles que Brandon, Kenora et Guelph, qui doivent maintenant s’en passer. Entre-temps, les stations de télévision de villes comme Thunder Bay, Kamloops et Rivière-du-Loup peinent à survivre.

[Traduction]

La conquête des médias canadiens par les grandes entreprises technologiques n’est pas une fatalité. Le gouvernement peut colmater la brèche qui subventionne les principaux concurrents de nos médias. Le gouvernement devrait agir dès maintenant, avant que notre journalisme et nos histoires ne disparaissent davantage. L’allocation de 10 millions de dollars à un fond pour le journalisme communautaire, proposée dans le budget fédéral de 2018, ne constitue qu’un geste symbolique, qui n’affecte ni les symptômes ni les causes de la crise médiatique.

Les grands médias tels que le Globe and Mail pourront peut-être survivre dans ce nouvel environnement, mais ils n’œuvrent pas prioritairement au niveau local. Qui couvrira les délibérations du conseil municipal, les annonces des députés, les cours, les événements locaux, les sports et la justice? Qui fera des reportages sur le harcèlement sexuel à Terre-Neuve ou la fuite de données personnelles en Nouvelle-Écosse? Qui s’occupera des réformes électorales à l’Île-du-Prince-Édouard et tiendra à jour les citoyens du Nouveau-Brunswick sur les plus récents développements au sujet des inondations? Qui parlera des services de santé mentale au Manitoba ? Qui placera des correspondants à Regina, Lethbridge ou Kelowna?

Ce ne sera certainement pas Google et Facebook. Ils sont les principaux bénéficiaires du virage du marché publicitaire, mais ils n’emploient aucun journaliste au Canada. En fait, si Google et Facebook sont si rentables, c’est qu’ils n’ont pas à payer le contenu qui met en valeur leurs publicités. Beaucoup de ce contenu vient de médias crédibles, qui doivent payer leurs journalistes, mais qui ne jouissent plus des revenus publicitaires que leur journalisme attire.

Si nous n’agissons pas tout de suite, il ne restera peut-être personne pour raconter nos histoires — personne pour forcer nos gouvernements à rendre des comptes ou pour promouvoir notre culture sur nos ondes et en ligne. Même si Facebook et Google étaient ultra vertueux, l’urgence d’agir n’en serait pas moins grande. Certains verront peut-être cette crise comme un rejet du marché face à un produit inférieur, mais le lectorat et la confiance ne faiblissent pas. Selon Médias d’info Canada, 88 p. 100 des adultes canadiens lisent les nouvelles, en divers formats, chaque semaine.

Un sondage Nanos que nous avons commandé en 2017 établissait que 84 p. 100 des Canadiens font confiance aux nouvelles canadiennes à la radio, 83 p. 100 font confiance aux journaux, et 80 p. 100 font confiance aux télédiffuseurs. Seulement 17 p. 100 font confiance à Facebook. Le problème ne se situe pas au niveau du lectorat. Le virage numérique porte atteinte à nos médias parce qu’il permet qu’un intermédiaire, tel que Facebook, s’accapare la part du lion des revenus publicitaires sans créer le moindre contenu.

Sénateurs, notre proposition est simple : appliquer l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu à la publicité sur Internet. Si les entreprises canadiennes ne peuvent déduire le coût des publicités placées dans le New York Times, pourquoi traiter nytimes.com différemment? Nous vous demandons d’utiliser votre pouvoir de recommandation pour appeler le gouvernement à agir. Selon des estimations conservatrices évoquées dans notre rapport, colmater la brèche en ce qui a trait à la publicité sur Internet pourrait rapatrier jusqu’à 440 millions de dollars en dépenses publicitaires par année, tout en augmentant les revenus des gouvernements fédéral et provinciaux de 1,3 milliard de dollars.

Le rapport identifie trois façons de colmater la brèche : d’abord, mettre à jour la définition de la radiodiffusion dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour mettre au diapason la Loi sur la radiodiffusion et des énoncés du CRTC sur la radiodiffusion transmise par Internet; modifier la Loi d’interprétation afin de remplacer sa définition désuète de la radiodiffusion par la définition technologiquement neutre de la Loi sur la radiodiffusion, pour uniformiser la définition à travers toutes les lois fédérales; finalement, revoir les dispositions sur la déductibilité de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les appliquer équitablement à tous les médias étrangers, y compris les médias transmis par Internet.

Nous ne demandons pas au gouvernement de dire aux entreprises où placer leurs annonces. Cette proposition abolirait tout simplement la concurrence déloyale en appliquant la loi existante au domaine numérique. Cette approche, basée sur le fonctionnement du marché, évite les écueils des subventions gouvernementales directes au journalisme qui pourraient ouvrir la porte à certains abus pour récompenser une couverture complaisante ou pour pénaliser la dissension.

Colmater la brèche ne mettra pas fin à la domination de Google et Facebook sur le discours public au Canada, du moins pas en soi. Toutefois, cela soutiendra le journalisme canadien crédible dont nous avons plus besoin que jamais auparavant. Cette mesure garantirait aussi que les contribuables canadiens ne subventionnent plus Google, Facebook et leurs modèles d’affaires qui sapent la démocratie avec des milliards de dollars de l’argent des contribuables. Le Canada a besoin de ses propres histoires. Notre démocratie a besoin de journalisme crédible.

Merci encore une fois de nous avoir invités à comparaître; nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président : J’aimerais d’abord poser une brève question. Les entreprises canadiennes ne font pas de publicité pour obtenir des déductions fiscales; elles font de la publicité pour vendre un produit. Selon vous, pourquoi ont-elles recours à Google plutôt qu’à la chaîne CFQC à Saskatoon, par exemple? Les deux se prêtent à la publicité pour vendre un produit. Il semble que les gens d’affaires décident d’aller ailleurs. Les deux plateformes sont sur un pied d’égalité. Les deux sont déductibles d’impôt.

M. Bernhard : Bon. Il faut prendre en considération quelques éléments. Vous avez raison de dire que les annonceurs cherchent des méthodes rentables de communiquer avec les clients, et les produits que vendent Google, Facebook et d’autres entreprises Internet américaines donnent clairement une certaine valeur aux annonceurs. Dans notre rapport, nous prédisons que de mettre fin à cette échappatoire ne mettra pas fin à la publicité avec les entreprises Internet américaines; nous prévoyons que moins de 10 p. 100 de cet argent serait rapatrié. Il y a un objectif de politique publique plus vaste, et c’est que le journalisme et les histoires ou reportages canadiens sont absolument fondamentaux pour notre démocratie, pour les nouvelles locales, par exemple. Ce déclin des nouvelles locales dans de nombreuses collectivités signifie que les journalistes ne font que répéter mot à mot le communiqué de presse du maire par exemple. Il n’y a aucun représentant à l’hôtel de ville ou au palais de justice. À notre connaissance, tout gouvernement qui fonctionne dans ces conditions peut s’adonner à des malversations et à toutes sortes de ruses dans l’impunité, et ce n’est pas ce que nous voulons.

Ces dispositions, qui existent depuis 50 ans dans le droit canadien, qui, à l’époque, tenaient compte de toutes les options disponibles dans les revues, à la télévision et à la radio, ne sont tout simplement pas appliquées aux nouvelles options qui ont été ajoutées depuis. Par conséquent, l’objectif de politique publique de veiller à ce qu’il y ait du journalisme et des reportages canadiens passe entre les mailles du filet.

Le président : J’ai tendance à être d’accord avec vous. Tous devraient être sur un même pied d’égalité. Je sais que vous craignez que les subventions gouvernementales aux médias risquent de biaiser leur reportage de ce qui se passe au pays, mais cela ne s’applique-t-il pas également à Radio-Canada? La société d’État reçoit énormément d’argent — 1,4 milliard de dollars ou 1,5 milliard de dollars — de la part du gouvernement, tandis que les chaînes CTV et Global ne reçoivent rien. La même logique ne s’applique-t-elle pas? Pourquoi ne demandez-vous pas que nous supprimions Radio-Canada afin de faire en sorte que tous soient sur un même pied d’égalité et qu’il n’y ait pas possibilité d’interférence politique dans les bulletins de nouvelles au Canada?

M. Bernhard : Je pense que le financement de Radio-Canada est de nature différente. Ian voudra peut-être vous en parler, il s’agit d’une allocation considérable qui existe depuis bon nombre d’années déjà. Comme vous savez, pour de nombreuses organisations caritatives qui font demande de subventions auprès du gouvernement, mais aussi pour des fondations, le cycle de financement est typiquement beaucoup plus court, et il n’y a aucune garantie. Quelques fois, on obtient le financement, d’autres fois, on ne l’obtient pas. La nature capricieuse de cette relation fait en sorte que les gens ont tendance à dire ce que leurs bailleurs de fonds voudraient voir se réaliser. Pour ce qui est de Radio-Canada/CBC, l’une des raisons pour lesquelles Les AMIS de la radiodiffusion canadienne préconisent depuis longtemps une plus grande indépendance pour Radio-Canada est pour réduire la probabilité de ce type de sollicitation au sein du diffuseur public. Toutefois, nous estimons que ce dernier, étant donné sa longue existence et le fait que c’est une institution établie qui continuera d’obtenir du financement, en plus d’être gouverné de façon indépendante, est tout à fait différent des sociétés privées qui cherchent à obtenir de l’aide du gouvernement en fonction de la façon dont ils demandent des comptes à ce dernier. Je pense que la fonction est très différente.

Avez-vous quelque chose à rajouter?

Ian Morrison, porte-parole, Les AMIS de la radiodiffusion canadienne : Monsieur le président, la moitié du pays, et la part de Canadiens à qui vous prêtez l’oreille, représente des collectivités de petite et de moyenne taille. Le danger présenté dans le rapport que vous étudiez aujourd’hui, c’est que dans ces collectivités, il se pourrait, si la tendance se maintient, que toute forme de journalisme disparaisse à part ce qui est offert par Radio-Canada. Même les gens qui appuient la radiodiffusion publique, c’est-à-dire les 85 p. 100 des Canadiens en faveur du diffuseur public, ne veulent pas qu’il ait un monopole sur les bulletins de nouvelles.

L’une des choses qui se passeraient, si vous étiez favorable à la mise en œuvre de l’article 19 concernant la publicité numérique étrangère, serait de défendre la diversité des sources de journalisme accessibles aux Canadiens à l’extérieur des grandes villes.

Le sénateur Plett : Le président a posé une des questions que j’allais poser, mais je vais continuer dans la même veine.

Messieurs, comme vous le savez, nous avons mené une étude assez exhaustive sur CBC/Radio-Canada il y a un an ou deux. Je siégeais alors au comité, de même que les sénateurs Dawson et Mercer. Je ne sais pas si les autres y étaient aussi. Je faisais partie du comité lorsque nous avons dirigé cette étude. Et, bien sûr, vous avez témoigné à ce moment-là.

Vous dites que vous voulez que CBC/Radio-Canada jouisse d’une plus grande indépendance. Eh bien, comme le dit le président, un diffuseur public plus indépendant n’obtiendrait pas de subvention. À ce moment-là, il pourrait être indépendant, mais je pense que tant qu’il obtiendra 1,5 milliard de dollars par année, il ne pourra pas réellement dire :  « Nous voulons notre indépendance, mais nous voulons tout de même continuer d’obtenir des fonds. » C’est une observation, et non pas une question.

Voici ma question — et je ne suis qu’un petit plombier du Manitoba, pas un avocat spécialisé en fiscalité ou en comptabilité fiscale — à la page 2 de votre exposé, vous signalez la disparité entre pouvoir déduire le coût de la publicité et obtenir une réduction d’impôt, ce qui coûte au gouvernement canadien 1,3 milliard de dollars en recettes fiscales.

Pouvez-vous m’expliquer cela? Vous me dites : si vous achetez de la publicité dans le New York Times, vous ne pouvez pas déduire les coûts de cette publicité. Cependant, si vous en déduisez le coût, n’est-ce pas le gouvernement qui perd des recettes fiscales?

M. Bernhard : Si vous déduisez le coût d’une publicité, le gouvernement perd des recettes fiscales. C’est de là que vient le chiffre de 1,3 milliard de dollars. Les dispositions actuelles prévoient que, si vous faites de la publicité dans un quotidien, un magazine, un poste de radio ou une chaîne de télévision de l’étranger pour essayer de joindre un public canadien — je suis de Toronto, il ne faut pas m’en vouloir. L’exemple qu’on évoque toujours, c’est celui des entreprises qui font de la publicité dans une chaîne de télévision de Buffalo, par exemple qui, elle-même radiodiffuse au Canada. On agit ainsi parce que cette chaîne de télévision de Buffalo présente de la programmation qui est financée pour le marché américain, qui fait 10 fois la taille du marché canadien. Ils peuvent faire usage de l’attraction créée par des émissions comme celle de Johnny Carson ou The Simpsons ou bien grâce à toute autre émission américaine en vogue. Le tout est ensuite rediffusé au Canada. C’était donc relativement peu coûteux de procéder ainsi. Par conséquent, les radiodiffuseurs canadiens qui présentaient des émissions de nouvelles et de journalisme ou du divertissement au Canada faisaient face à un déclin. C’est pourquoi, il y a 50 ans, ces règles ont été mises en place pour faire en sorte de limiter ou d’éliminer complètement les crédits d’impôt pour ce type de dépenses publicitaires.

Maintenant, ce qui se passe avec Internet, c’est que nous n’appliquons pas le même principe. La loi comprend un principe qui stipule que si vous achetez de la publicité dans le New York Times, mais qu’elle est destinée au Canada, vous ne pouvez pas obtenir de réduction d’impôt. Vous pouvez le faire, mais il y a un obstacle, lequel vise à établir un incitatif pour les médias canadiens afin d’établir un pied d’égalité, le tout étant fondé sur des économies d’échelles. Cependant, ce n’est pas ce qui se produit. Nous permettons à ces publicitaires de demander des crédits d’impôt lorsque l’esprit de la loi existante indique que cela devrait être interdit. Voilà d’où viennent ces 1,3 milliard de dollars. C’est ainsi que le gouvernement perd des recettes. Votre analyse est tout à fait exacte.

Le sénateur Plett : Jusqu’à hier, nous pouvions dire que l’une des plus importantes différences entre Winnipeg et Toronto, c’était que Winnipeg était toujours en lice pour la Coupe Stanley. On ne peut plus le dire aujourd’hui.

Alors que préconisez-vous, que nous permettions aux Canadiens qui font de la publicité dans le New York Times de déduire ces dépenses tandis que ceux qui font de la publicité sur la version électronique nytimes.com ne puissent pas le faire?

M. Bernhard : Je suis en faveur de la deuxième partie de votre énoncé.

Le sénateur Plett : Mais est-ce que cela ne reviendrait pas à faire la même chose? Cela permettrait d’uniformiser les règles du jeu dans tous les cas.

M. Bernhard : On empêche déjà la déduction qui serait faite avec de la publicité dans le New York Times. Il y a dans la loi actuelle le principe que les déductions pour publicité dans les médias étrangers ne sont pas avantageuses pour les politiques publiques canadiennes. Par exemple, si le New York Times s’accaparait toutes les publicités canadiennes, cela pourrait très bien convenir à une entreprise qui se sert de ce journal pour faire de la publicité, mais cela ne conviendrait pas aux Manitobains ou aux autres Canadiens qui comptent sur un journal local pour les informer sur ce qui se passe au Parlement provincial, par exemple. Cet objectif en matière de politique publique fait en sorte qu’il soit plus intéressant et un peu moins coûteux, en toute relativité, d’acheter de la publicité dans les journaux locaux.

Le sénateur Plett : Ce que vous dites est exact, mais je crois fermement que les réseaux sont en grande partie leur propre ennemi. J’habite au sud-ouest du Manitoba. Nous avons un journal qui s’appelle The Carillon, mais maintenant, il y a aussi une organisation qui s’appelle Steinbach Online, qui fait essentiellement la même chose que le Carillon, sauf qu’elle le fait en ligne, de sorte que c’est en ligne que j’obtiens mes nouvelles.

C’est donc le pire ennemi du Carillon. Cela n’a rien à voir avec les déductions d’impôt, mais tout simplement le fait que la population obtient tout ce dont elle a besoin en ligne, et cela crée une paresse en matière de journalisme. Si vous venez à la tribune du Sénat cet après-midi, vous ne verrez aucun représentant des médias en face de vous parce qu’ils sont tous assis dans leurs bureaux et nous écoutent à distance avant de publier leurs reportages en ligne. Je lis les nouvelles sur National Newswatch, je n’achète plus de journaux.

Je ne pense pas qu’en imposant plus de règles, nous allons régler ces problèmes. C’est le public qui exprime une préférence, et le gouvernement ne devrait pas intervenir. Ce n’était pas une question, mais j’aimerais savoir ce que vous pensez de mon observation.

M. Bernhard : D’abord, il ne s’agit pas de créer d’autres règlements. Il s’agit d’appliquer les règles en vigueur à toutes les formes de média.

Deuxièmement, j’aimerais signaler que La Presse, dans sa dernière tentative pour survivre, était un chef de file à l’échelle mondiale après avoir choisi de ne publier que des produits numériques. Son lectorat n’a jamais été aussi nombreux, peu importe les publications, même en format numérique. Le problème, c’est qu’ils n’arrivent pas à générer autant d’argent grâce aux publicités en format numérique en raison des nombreuses sentinelles et intermédiaires qui s’accaparent une énorme partie des profits. Sauf votre respect, j’estime que les lois actuelles permettent l’établissement de règles équitables. Le problème n’est pas que les gens se tournent vers le numérique, nous pensons plutôt que le transfert des revenus provenant de la publicité est à la source du problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’abord, j’ai un premier commentaire à faire. En voulant taxer quelque chose alors qu’il a décidé de ne pas taxer Netflix, le gouvernement crée peut-être une contradiction ici. Je suis citoyen du Québec, j’ai suivi l’évolution informatique de La Presse, et ce que les spécialistes affirment aujourd’hui, c’est que La Presse a mal géré son virage numérique, entre autres avec La Presse+, d’une part.

D’autre part, ce qu’on dit au Québec, c’est que les entreprises ont un retard immense par rapport aux Américains face à l’informatisation et aux médias sociaux. Nous fonctionnons encore selon le mode conventionnel. Ce que vous nous dites aujourd’hui, c’est qu’il faudrait taxer davantage, alors que l’une des responsabilités — vous me direz si vous êtes d’accord ou pas — appartient d’abord à ces entreprises qui ont pris un retard immense dans l’informatisation et la modernisation de leurs moyens de communiquer. On dit qu’au Québec, il y a quelques années à peine, seulement 5 ou 10 p. 100 des entreprises commerçaient en ligne.

Je suis très préoccupé par l’idée qu’il faille taxer davantage pour régler des problèmes que les entreprises n’ont pas gérés elles-mêmes. Votre approche m’inquiète. Quand vous dites que La Presse demande une subvention, il faut rappeler que cette entreprise appartient à la Power Corporation, qui est immense sur le plan financier. Pourquoi l’État viendrait-il soutenir des entreprises qui sont très à l’aise financièrement? J’essaie de comprendre votre entreprise qui affirme que c’est encore à l’État de s’occuper de cela, alors que la responsabilité appartient davantage aux entreprises.

M. Bernhard : Nous sommes d’accord avec l’idée que la subvention directe du journalisme par l’État, ce n’est pas l’idéal. Nous parlons d’une solution structurelle comprenant non seulement les médias traditionnels, mais aussi les nouveaux participants au marché numérique, par exemple les publications. La subvention directe, c’est très dangereux, comme vous l’avez dit.

La demande de dons de La Presse nous inquiète aussi.

Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter sur ce point?

M. Morrison : Si vous regardez la publication Colmatons la brèche!, à la page 9, vous verrez ce qui est arrivé au cours des 10 dernières années en ce qui a trait au soutien financier accordé à la publicité au Canada. Vous allez voir qu’en d’autres termes, la quantité d’annonces dans les publications comme La Presse et le Globe and Mail a diminué de moitié par rapport au montant qui était disponible en 2006, par exemple. Vous allez voir qu’il y a une tendance, et c’est la même chose pour la télévision et la radio. Or, ce changement important quant à la quantité de publicités qui sont affichées sur Internet se chiffrait à 1 000 p. 100.

Le sénateur Boisvenu : Mais si vous taxez les entreprises canadiennes qui font de la publicité sur Internet, alors que des entreprises étrangères ne le font pas...

M. Bernhard : Non, cette mesure s’appliquerait seulement aux publicités affichées à l’aide des compagnies Internet étrangères.

Le sénateur Boisvenu : Par exemple, taxeriez-vous une compagnie canadienne qui ferait de la publicité sur un site Internet américain?

M. Bernhard : Oui, c’est cela. Cela cible les entreprises canadiennes.

Le sénateur Boisvenu : Cependant, puisque l’entreprise américaine qui fait aussi de la publicité chez elle n’est pas taxée, n’allez-vous pas créer un déséquilibre quant à la compétitivité?

M. Morrison : Il y a un déséquilibre. Je vais l’expliquer dans ma première langue.

[Traduction]

L’équilibre n’est pas atteint.

[Français]

Ainsi, 6,2 milliards de dollars sont dirigés vers Internet, dont 5 milliards sortent du Canada. Ce sont 5 milliards de dollars qui sortent du Canada, soit le tiers de l’ensemble du budget consacré à la publicité au Canada. Ce que nous proposons aujourd’hui, c’est d’empêcher que ces 5 milliards de dollars soient soustraits du montant que les compagnies doivent payer.

Le sénateur Boisvenu : Cependant, comment avoir une politique cohérente si, d’un côté, vous demandez au gouvernement de taxer la publicité à l’extérieur du pays et que de l’autre, le même gouvernement ne taxe pas Netflix, qui vend un produit au Canada?

M. Bernhard : Nous parlons du même principe. Nous avons des règles et un système réglementaire. Le gouvernement a choisi d’exempter quelques compagnies étrangères de notre réglementation. Nous parlons de l’application égale des lois qui existaient, et il y a les exemples d’autres entreprises que vous avez mentionnées, comme Netflix, qui existent hors du système, qui peuvent être incorporées et réglementées comme toutes les autres compagnies.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Je vous remercie, messieurs, d’être ici. Pendant que je lisais votre exposé, j’ai eu le sentiment que les Canadiens seraient étonnés d’apprendre que leur gouvernement laisse passer la chance de percevoir 1,3 milliard de dollars en impôt sur le revenu chaque année. Je suis certain qu’ils ne se sont pas rendu compte que le gouvernement ratait cette occasion lorsqu’ils préparaient leurs déclarations de revenus.

Toutefois, je pense que l’un des problèmes que nous avons ici est que nous devons simplifier la réponse. Nous devons dire ce que nous devons faire. Faut-il modifier la loi ou faut-il appliquer la loi existante?

Je vois une lettre écrite par l’ARC dans laquelle elle nie — je suis un peu étonné que l’ARC soit parvenue à cette interprétation car, selon moi, si c’est annoncé, c’est de la publicité, peu importe que ce soit fait de façon numérique ou imprimée.

Je ne veux pas compliquer les choses, mais y aurait-il une façon simple pour le gouvernement de changer la façon dont les déductions d’impôt sont permises au fur et à mesure que la technologie évolue? La réalité d’aujourd’hui ne sera pas celle dans cinq ans. Tout change si rapidement. Si nous apportons une solution aujourd’hui, il nous faudra recommencer dans cinq ans si nous ne prévoyons pas un moyen par lequel le gouvernement pourra rectifier le tir plus tard. Ce moyen devrait faire l’objet d’une forme de surveillance. Existe-il un moyen pour le gouvernement de corriger la situation, aujourd’hui et à l’avenir, lorsque la technologie et le marché changeront?

M. Bernhard : Je demanderai à mon collègue, Peter, de vous donner des précisions. Pour ce qui est de votre proposition générale, à savoir si un cadre simple pourrait être utile, je vais tenter de vous en fournir un. Nous demandons simplement que la loi actuelle s’applique à toutes les publicités, peu importe le médium. Il ne s’agit pas seulement d’Internet. Il s’agit du principe selon lequel la publicité étrangère devrait être traitée de la même façon par notre loi, peu importe le médium employé. Peter peut vous expliquer quelques gestes précis qui permettraient d’atteindre cet objectif.

Peter Miller, consultant et auteur, Les AMIS de la radiodiffusion canadienne : Comme Daniel l’a dit dans ses observations liminaires, et comme nous l’énonçons dans notre document, trois approches permettront d’y arriver. Les deux premières portent sur la définition de la radiodiffusion et le recours à une technologie neutre comprise dans la Loi sur la radiodiffusion de 1991 et sur l’interprétation du CRTC.

Pour revenir à ce que vous disiez, en tant qu’auteurs de l’étude, nous avons été étonnés d’apprendre que l’ARC se fie à la définition de la Loi d’interprétation datant de 1968, plutôt qu’à la dernière définition énoncée de la Loi sur la radiodiffusion de 1991 — définition neutre sur le plan technologique et qui a résisté à l’épreuve du temps.

Bien que cette approche puisse sembler facile, elle laisse énormément de liberté dans l’interprétation. Une publicité dans Google correspond-elle à de la radiodiffusion? Dans notre document, nous expliquons pourquoi nous croyons que ce pourrait être le cas, mais il s’agit d’une question d’interprétation.

Nous proposons une approche qui consisterait à directement modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour qu’il soit clair que les médias Internet étrangers ne puissent plus profiter d’une déduction d’impôt.

Nous ne sommes pas rédacteurs législatifs. Nous voulions formuler des propositions sans aller plus loin. Il ne s’agit pas de changements difficiles à apporter, ni d’une refonte de la loi. Une des propositions vise simplement à renvoyer la définition de « radiodiffusion » dans la Loi de l’impôt sur le revenu à celle de la Loi de la radiodiffusion. L’autre proposition exigerait des changements à la Loi de l’impôt sur le revenu pour indiquer que les médias étrangers ne sont plus exemptés de la déduction d’impôt.

Le sénateur Mercer : Au final, voici la question pour les politiciens : qu’en coûtera-t-il aux consommateurs, c’est-à-dire aux électeurs. S’il y a un coût pour le consommateur, si l’abonnement à Netflix coûte plus cher, l’utilisation d’Internet coûtera-t-elle plus cher par rapport à aujourd’hui? Si c’est le cas, il s’agit d’un facteur dissuasif du point de vue politique, même si ces mesures peuvent entraîner 1,3 milliard de dollars de perception d’impôt supplémentaire. Le coût politique pourrait être supérieur.

M. Bernhard : Je répondrai à votre question avec une autre : combien cela coûte-t-il aux consommateurs et aux contribuables lorsque l’argent dépensé sans surveillance par un maire va à toutes sortes de gens et d’entreprises avec qui il a des liens.

Le rôle des médias, d’une certaine façon, est de réduire les coûts pour le consommateur en s’assurant que le gouvernement explique la façon dont il dépense l’argent et qu’il prend des décisions. La possibilité que le trésor public soit exploité à cause d’un manque de surveillance coûte beaucoup plus cher aux consommateurs que l’application de nos règles pour la publicité.

Le sénateur Mercer : Je suis d’accord avec vous. Les coûts de ne pas avoir des médias indépendants et énergiques sont beaucoup plus grands que les conséquences politiques en matière d’augmentation de taxes. J’appuie vraiment cette approche.

Je suis aussi la victime des mauvaises nouvelles provenant du Canada atlantique. Tout est centralisé. Comme je le dis aux autres, et avec tout le respect que je dois à mes amis du Nouveau-Brunswick, les problèmes de circulation au centre-ville de Fredericton ne m’intéressent pas. Ce sujet occupe une partie des nouvelles que je regarde à la télévision à cause de la consolidation des médias. J’entends des gens à la grandeur du pays se plaindre de la même chose. C’est frustrant pour le consommateur lorsque les nouvelles locales ne sont pas locales.

M. Miller : Monsieur le sénateur, vous soulevez une question importante. On ne parle pas de taxes à la consommation. La différence entre cette mesure et la taxe sur Netflix, c’est que le consommateur ne verra pas d’effet direct. Voilà le premier point. Deuxièmement, si on comprend les médias et les publicitaires, les entreprises consacrent certains montants d’argent à la publicité. Elles le prévoient dans leur budget; c’est utilisé pour les marchés et la publicité. Les entreprises ne vont pas accroître leur budget; elles le dépenseront différemment. Troisièmement, comme nous le mentionnons dans le rapport, il est fort possible que dans une certaine mesure, les Google et Facebook ajusteront leur prix. Leurs marges sont énormes. Elles ont des marges d’exploitation au Canada dans les 60 p. 100. Ces entreprises pourraient facilement baisser leurs taux si elles croyaient que c’était la bonne chose à faire du point de vue concurrentiel. Quatrièmement, il y a beaucoup de choix pour la publicité. Dans l’assiette publicitaire canadienne, si on tient compte des panneaux d’affichage et de diverses autres choses, la composante étrangère représente environ un tiers. Dans l’assiette publicitaire canadienne, aussi importante que la composante étrangère soit, elle ne représente qu’un tiers de l’ensemble. Le marché s’ajusterait. Ce que nous, les auteurs, avons aimé à propos de cette mesure, c’est que bien qu’on ne pouvait pas totalement prévoir ce qui se passerait, on savait que d’un côté, on pouvait estimer de façon conservatrice qu’environ 10 p. 100 passeraient aux médias canadiens ou iraient dans les coffres du gouvernement. D’une manière ou d’une autre, c’est gagnant sur toute la ligne. Du point de vue politique, je dirais que c’est beaucoup plus facile à faire parce qu’il n’y a pas de conséquence directe pour le consommateur.

Le sénateur Mercer : Vous devez présenter ces recommandations d’une façon qui ne rende pas les politiciens nerveux et pour qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas d’un coût transféré au consommateur sur sa facture de Netflix. Il ne verrait pas refléter là l’effet que le gouvernement percevra ces 1,3 milliard de dollars.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bienvenue et merci de votre présentation ce matin.

Je suis Franco-Manitobaine et j’ai fait carrière en éducation et en développement communautaire. Il est clair que, pour assurer l’épanouissement d’une communauté, il faut qu’elle puisse se lire, se voir et aussi s’écouter.

Il y a deux jours, l’hebdomadaire La Liberté, au Manitoba, a célébré ses 105 ans d’existence. Il publie une version imprimée, mais il a fait un virage numérique avec peine et misère. Je tenais aussi à mentionner que, pour ce qui est des communautés à l’extérieur du Québec, il est évident que des organisations comme Radio-Canada et les journaux locaux sont extrêmement importants pour leur développement.

Dans votre rapport, vous dites qu’en 2017, jusqu’à 5 milliards de dollars de dépenses publicitaires ne seraient plus déductibles. Cela représente un gain potentiel du point de vue des impôts corporatifs payables de 1,3 milliard de dollars. Où vont ces 5 milliards? Est-ce que la majorité de ces sommes d’argent sont partagées entre Facebook, YouTube et Google? Est-ce que de petits sites web réussissent à bénéficier de cet argent? Qu’est-ce que cela représente au juste?

M. Bernhard : Google et YouTube, qui font partie de la même compagnie, et Facebook en prennent la grande majorité, soit les deux tiers. Les autres petits sites en reçoivent chacun un petit morceau, un petit pourcentage. Les bénéficiaires principaux de cette subvention sont Google, Facebook et les grandes compagnies de technologie américaines.

La sénatrice Gagné : D’accord.

J’ai une question qui n’est peut-être pas liée aux modifications législatives proposées. Quel est le montant que dépense le gouvernement fédéral pour acheter des publicités en ligne et quel pourcentage de ces dépenses est dirigé vers Google, Facebook et YouTube?

M. Bernhard : Je ne suis pas au courant des dépenses spécifiques.

M. Morrison : On dit que le gouvernement fédéral aime beaucoup se servir des grandes compagnies numériques pour diffuser ses annonces.

La sénatrice Gagné : On n’a pas nécessairement de statistiques sur cet aspect. Est-ce qu’on devrait aussi examiner les pratiques du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux publicités en ligne?

Le gouvernement fédéral achète beaucoup de plages publicitaires et est l’un des plus grands diffuseurs d’annonces du pays. Il ne participe pas à l’impôt corporatif, bien sûr, mais c’est une chose qu’il peut contrôler, soit la destination des publicités. Il a des responsabilités concurrentes quant à l’obligation d’appuyer nos médias et le journalisme au Canada et à l’obligation de communiquer des messages importants au public canadien.

M. Bernhard : Je n’oserais pas proposer que le gouvernement change toutes les publicités pour choisir des diffuseurs canadiens, mais c’est un aspect qu’il peut modifier, par exemple pour augmenter la portion qui est dirigée vers le journalisme canadien.

La sénatrice Gagné : Merci.

[Traduction]

Le président : Pourquoi est-ce qu’ils ne le font pas maintenant? Ils ne payent pas de taxes.

M. Bernhard : C’est une bonne question. Comme je le disais plus tôt, il y a un conflit entre la volonté du gouvernement de rejoindre la population et d’appuyer les médias canadiens. Nous ne croyons pas que le gouvernement devrait utiliser son budget de publicité pour subventionner ce secteur. Nous reconnaissons qu’il s’agit d’objectifs qui entrent en conflit.

Comme nous l’avons dit à propos des entreprises, nous sommes conscients que les produits vendus par Google et Facebook, par exemple, sont utiles pour les publicitaires. C’est pourquoi nous ne proposons pas que ces produits soient interdits, ciblés, taxés de façon punitive ou quoi que ce soit de cette nature. Nous ne prévoyons pas non plus que l’élimination de cette échappatoire mette fin à la publicité sur Google et Facebook. Au contraire. Nous croyons que moins de 10 p. 100 de l’argent sera rapatrié suite à cette mesure; le reste continuera d’être utilisé là-bas.

Nous ne remettons pas en question l’efficacité de ces produits pour les entreprises et les publicitaires, y compris le gouvernement. Nous disons que nos lois ont depuis longtemps reconnu que c’était un objectif en matière de politique publique de surveiller le gouvernement et de faire en sorte que l’expérience canadienne soit présente dans les petits et moyens marchés. Comme nous le voyons avec La Presse, même dans certains plus grands marchés, les publications luttent pour leur survie.

Il s’agit de trouver un bon équilibre entre ces objectifs. Les économies d’échelle et la différence entre les économies d’échelle dans les médias canadiens et américains existent depuis longtemps. Ce n’est pas un nouveau problème. Le problème est que nous n’avons pas intégré ce nouveau facteur dans le marché des médias. L’écart dont on parle ne devrait pas exister, et la conversation à ce sujet est en partie difficile parce que nous faisons du rattrapage avec une réglementation dont le libellé est trop précis et qu’il n’a pas été modifié depuis des années.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Je comprends votre point de vue et les besoins du métier. J’aimerais poursuivre dans la même veine que ma collègue, la sénatrice Gagné.

Dans vos propres mots, vous avez indiqué l’imprévisibilité du financement dans le secteur sans but lucratif. J’ai moi-même mené une carrière dans les arts, et je peux vous dire que j’ai connu des décennies d’imprévisibilité.

D’après mon expérience, c’est la presse locale, sous forme écrite ou autre, qui a permis de présenter nos artistes ou nos organisations artistiques au public local en permettant une mobilisation si importante.

Vous avez aussi indiqué que durant la dernière décennie, nous avons perdu 16 000 journalistes. Si je ne m’abuse, bon nombre de nos journalistes chevronnés ont, en réalité, fait leurs débuts dans des journaux et des médias locaux. Dans le cadre de mes recherches, j’ai découvert que le nombre de personnes qui fait des études en journalisme est à la baisse. Je suis rentrée du Royaume-Uni hier soir et, au vu des préoccupations que j’ai exprimées relativement à la qualité du journalisme, je dois vous dire que certains de ces arguments ont été énoncés là-bas également, bien que la qualité du journalisme y soit certainement très élevée.

D’abord, comment peut-on s’assurer, en fermant cette échappatoire, que les sommes vont effectivement renforcer le journalisme et encourager les jeunes journalistes à se lancer dans l’arène et vont leur donner la possibilité de se développer comme ce fut le cas pour notre génération?

Deuxièmement, je suis d’accord avec le fait que vous cherchiez essentiellement à mettre à jour la définition de radiodiffusion.

Dans la définition que vous proposez, êtes-vous certains de prendre en compte les changements technologiques qui se produiront dans le domaine au cours de la prochaine décennie? La définition doit être axée sur l’avenir et ne doit pas simplement se borner à déclarer ceci : « Gardons ce qui était utilisé en 1991 et laissons tomber ce qui était là en 1968? »

Je m’inquiète pour l’avenir. Je veux m’assurer que nos citoyens ont accès aux nouvelles. Effectivement, nous avons nos propres expériences, et je suis d’accord pour dire qu’un journalisme crédible est essentiel à la démocratie.

M. Miller : Nous reconnaissons qu’il y a divers intérêts concurrents qui doivent être abordés de façon équilibrée, voilà pourquoi dans le document par exemple, nous faisons référence à la façon dont, en 1996, le gouvernement a refusé les déductions pour divertissement et a modifié le taux de déduction à 50 p. 100. Pour nous, les auteurs, il s’agissait d’un précédent intéressant sur la façon dont un gouvernement veut amener un changement de comportement. Cela n’a pas empêché les gens d’encourir des dépenses en divertissement, mais cela a changé dans une certaine mesure leur comportement tout en permettant au gouvernement d’accroître ses recettes générales.

Le fait d’actualiser la définition de radiodiffusion est sans conteste la chose la plus simple à réaliser, car ce changement ne porterait que sur un seul mot. Or, ce n’est pas nécessairement idéal, car nous savons entre autres choses que le gouvernement du Canada a décidé de mener un examen de la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications. Nous ne savons pas où cet examen nous mènera.

Voilà pourquoi nous avons également proposé l’option de faire en sorte que la Loi sur l’impôt sur le revenu prévoit un refus explicite des déductions pour les services Internet étrangers. Nous n’avons pas rédigé de libellé, mais nous estimons que cela ne serait pas difficile à rédiger. Du point de vue technologique, il s’agirait d’une mesure neutre parce qu’on ne définit pas le type de service visé. On indiquerait que s’il s’agit d’un service Internet établi à l’étranger et détenu par des intérêts étrangers, ce service ne peut mener à une déduction fiscale.

M. Bernhard : Pour ce qui est de l’autre question qui portait sur la façon de s’assurer que l’argent demeure au Canada, je crois que la projection que nous faisons est assez conservatrice. J’aimerais établir une comparaison par rapport aux 400 à 450 millions de dollars que nous prévoyons garder au Canada ou rapatrier. Cela correspond à moins de 10 p. 100 du montant total dépensé en publicité numérique à l’étranger. Il s’agit donc d’une estimation très conservatrice. Comparons ces chiffres aux 10 millions de dollars par année que le gouvernement fédéral propose de dépenser dans un fonds pour le journalisme communautaire.

Et même si nous nous trompions de 50 ou 70 p. 100 — et je ne pense pas que nous nous trompions à ce point — il s’agirait quand même de sommes beaucoup plus importantes que celles que le gouvernement peut et veut consentir.

N’oublions pas également que les entreprises pourront décider si elles veulent payer la taxe ou non, et la grande majorité préférera faire passer leur publicité au Canada. Ainsi, le gouvernement éviterait le dilemme éthique de savoir à quoi est destinée la subvention.

Il n’y a pas de garantie; nous ne savons pas ce que feront les grandes entreprises de publicité américaines en réaction à cette mesure. Nous ne pouvons pas prédire la réaction du marché. Voilà pourquoi c’est une réponse axée sur le marché. Elle ne fait qu’établir un précédent qui s’appliquera à tous les médias et qui n’exclura personne du simple fait que vous regardez la télé sur YouTube plutôt que par l’entremise de votre forfait de câble. Pourquoi les services devraient-ils être traités différemment? Après tout, l’on regarde les mêmes programmes sur les mêmes dispositifs. Ici, l’on parle d’un traitement égal au sens de la loi.

M. Morrison : Je souhaite revenir sur la question de la sénatrice Bovey. Je souhaite la reformuler pour m’assurer que j’ai bien compris. Imaginez que le Toronto Star, ou La Liberté, ou toute autre publication, commençait à percevoir plus de revenus de publicité. Y a-t-il une garantie qu’une partie de ces revenus supplémentaires serait employée pour embaucher de jeunes journalistes? Bien sûr que non, pourtant, il faut leur faire confiance. Après tout, ils sont affamés, ils mettent du personnel à pied. Ils le font parce qu’ils n’ont plus d’argent. Si une certaine partie de ce nouvel argent, dans ce cas quelque 400 millions de dollars, était répartie au travers de cet écosystème de publicité au Canada, et que d’ici deux ans, l’on commençait à récolter les fruits des actions que prend le gouvernement aujourd’hui pour colmater la brèche, je pense qu’une bonne partie de cet argent sera dépensée en ressources journalistiques, expertes et humaines. Je pense que nous pourrions renverser la vapeur.

M. Bernhard : Le journalisme est effectivement leur principale source de revenu; tout particulièrement, les chantiers d’enquête. Comme je l’ai déjà dit, la circulation bat tous les records. Le seul problème, c’est qu’il n’arrive pas à monnayer cette circulation, car l’argent des publicités est récupéré par des intermédiaires. Les publications canadiennes ont déjà prouvé qu’elles souhaitent investir dans le journalisme. Ils ont d’ailleurs un bilan à cet effet. De plus, c’est dans leur propre intérêt financier. Encore faut-il qu’ils soient traités sur un pied d’égalité par la loi.

La sénatrice Bovey : Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ne couvrent plus les mêmes reportages qu’avant. Si les données de l’électorat sont à la hausse, je crois que la diversité d’opinions et de sujets traités est à la baisse. C’est ça qui m’inquiète.

M. Bernhard : Oui.

Le président : En tant que conservateur, je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. C’est un sujet aussi important qu’intéressant. L’un des secteurs qui a été le plus perturbé par les nouveaux médias est le secteur du journalisme et de la presse écrite. Je suis d’accord avec certains de mes collègues pour dire que la presse porte une partie de sa responsabilité, puisque les bonnes nouvelles sont les mauvaises nouvelles. Les scandales et les paparazzis sont vendeurs, et donc ils en font beaucoup, mais au prix de leur propre réputation.

Je crois que l’on mélange deux choses, ici. Le problème — et certains seront d’accord avec moi tandis que d’autres non — c’est que nous mettons la publicité et le contenu dans le même panier. La publicité cherche à vendre des biens et services ou tout ce que vous voudrez. Ensuite, on prend le contenu et on le présente au même niveau que la publicité, alors qu’il s’agit de contenu local, de contenu important, de contenu dans lequel on tient responsables les maires et les politiciens. Or, on les traite comme s’il s’agissait d’une seule et même chose, ce qui n’est absolument pas le cas.

Pour moi, c’est très clair. Ces trois propositions sont très simples, directes, et claires. Nous devrions absolument les appuyer. Je crois que nous ne voyons pas encore tout l’effet qu’auront ces propositions, c’est-à-dire de créer du contenu de qualité, local et important. C’est ma première question.

Ma deuxième question est la suivante : comment se fait-il que les personnes, qui produisent ce contenu ne soient pas payées pour leur contenu? Comment ce contenu peut-il être vendu par les médias sans que ceux-ci ne payent les journalistes qui se sont déplacés et ont mené ces entrevues? Comment se fait-il que ces journalistes ne soient pas payés pour leur travail?

M. Bernhard : L’idée selon laquelle le marché ne fait que réagir au contenu qu’il n’aime pas est tout à fait discutable. Comme je le disais, les tirages sont très solides. Médias d’info Canada indique des chiffres de tirage très robustes. D’autre part, ce que j’aime de la solution proposée, c’est que lorsque cette brèche sera colmatée, les entreprises qui souhaitent dépenser une plus grande partie de leur budget de publicité au Canada pourront le faire, sans que quiconque leur dise comment le faire. Nous ne sommes pas en train de les obliger à dépenser leur budget de publicité auprès de tel ou tel journal ou sur tel ou tel site web. Ils pourront dépenser leur argent comme bon leur semble, y compris sur des sites web qui n’existent pas encore. Cela laisse de la place aux nouvelles entreprises. L’argent circulera; il pourrait être acheminé vers de nouveaux joueurs. Ce serait une très bonne chose. Nous ne prenons pas position sur les publications qu’il devrait appuyer. C’est ma première observation.

Ma deuxième est la suivante : l’on arrivera à monnayer ces publicités. Google et Facebook sont en fait des entreprises de publicité. Comme le fondateur de Facebook, M. Zuckerberg, l’a dit aux sénateurs des États-Unis : « Nous vendons de la publicité. » Ils ne font ni plus ni moins que vendre des pubs. Certaines personnes s’enrichissent grâce aux publicités Internet qui entourent ce contenu précis. Et figurez-vous que les gens qui s’enrichissent ne sont pas ceux qui produisent ce contenu. Bref, les publicitaires s’enrichissent aux dépens des créateurs de contenu, et nous sommes en train de le leur permettre. Certes, cela fait partie de la dynamique de ce modèle d’affaires, dans une certaine mesure, mais c’est également une dynamique que notre politique fiscale canadienne encourage et favorise.

La sénatrice Galvez : Le sénateur Boisvenu a dit que nos journaux ne semblent pas évoluer assez rapidement. Nous accusons un retard. En Chine, il n’y a pas de Facebook. Les Chinois ont leur propre application. Ils n’ont pas Amazon. Ils ont leur propre site. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose?

M. Morrison : Le directeur général m’a regardé. Je présume qu’il veut que je dise quelque chose. Je vais répondre. La Chine est l’exception, pas le Canada. La Chine est un régime totalitaire qui a la mainmise sur les médias. Il n’y a pas de radiodiffuseurs publics. Il n’y a que des radiodiffuseurs d’État. Toutefois, comme vous avez pu le voir grâce à la couverture médiatique des erreurs de Facebook depuis quelques mois, le phénomène se répand sur chaque continent de la planète. C’est un phénomène international. La Chine et d’autres régimes totalitaires — comme la Corée du Nord, j’en suis certain — ne permettent pas la présence de ces entités étrangères. Nous avons été, depuis fort longtemps, un pays très ouvert en ce qui a trait à l’arrivée des médias étrangers. Les statistiques publiées dans ce livre démontrent que la publicité est le plus grand mécanisme de financement des médias. En seulement 12 ans, la fuite de nos revenus publicitaires à l’extérieur du pays est passée de 5 p. 100 à 35 p. 100. C’est là le cœur du problème.

La sénatrice Galvez : Je comprends. J’ai utilisé l’exemple de la Chine, car je voulais illustrer que nous sommes ici, et que les Chinois sont là. En Europe, ils sont au même point que nous.

M. Morrison : Les Européens sont très… Daniel, racontez votre anecdote. Vous y étiez.

M. Bernhard : J’y étais. Il est clair que les Européens sont beaucoup plus progressistes que nous en ce qui a trait à des enjeux comme la protection des données. Ils s’assurent également que le contenu local est disponible par l’entremise des services de diffusion en continu, comme Netflix. Ce qu’ils font ressemble à nos règlements sur le contenu canadien. Ils sont clairement plus progressistes que nous. Je crois que le principe que vous tentez d’expliquer est le suivant : pourquoi nous préoccupons-nous tant de la protection des revenus de ces entreprises au lieu de tenter de défendre une solution de rechange canadienne? Cette loi, l’article 19, a toujours existé pour tenter de créer un incitatif matériel pour la multiplication des solutions de rechange canadiennes et leur survie. Pendant 50 ans, cette disposition a connu beaucoup de succès dans le domaine des médias canadiens.

De façon générale, c’est un peu comme la façon dont nous traitons notre secteur de la technologie. Essayons-nous simplement d’inviter des entreprises multinationales étrangères à établir des succursales ici? Voulons-nous que notre propre secteur de la technologie profite de ces revenus? À l’heure actuelle, nous donnons 1,3 milliard de dollars en exemptions fiscales à Google et à Facebook, les plus grands concurrents de notre secteur de la technologie, car nous refusons de désigner leurs publicités comme des publicités aux termes de notre loi. L’intention de votre question est très valide. Je vous remercie de nous l’avoir posée.

Le sénateur Dawson : Cela ne me dérange pas de vous aider à colmater les brèches, mais la vue d’ensemble est plus globale, en ce sens qu’il y a d’autres enjeux. J’espère que nous étudierons, plus tard cette année, la vue d’ensemble, mais peut-être nous serait-il possible de vous aider. Nous faisons déjà la distinction entre les régions rurales et les régions urbaines au Canada. À Montréal, Toronto et Vancouver, il y a beaucoup de concurrence entre les nouveaux médias. Si vous êtes le maire de l’une de ces villes, ces médias vous surveillent.

Lorsqu’on examine la question de façon globale, il faut faire une grande distinction entre les régions urbaines et les régions rurales. Ensuite, il y a le Québec. Au Québec, nous produisons 80 p. 100 de ce que nous regardons à la télévision. Les 30 émissions les plus regardées au Québec sont toutes produites au Québec. C’est peut-être une exception. Au Canada anglais, à l’exception de Big Brother Canada, qui est une mauvaise copie de la version américaine de Big Brother, de CTV News et de Hockey Night in Canada, émission qui était auparavant très regardée, mais qui est maintenant délaissée, la situation est toute autre. Je n’ai rien vu dans le rapport qui traite de cette distinction. Oui, il s’agit d’une protection artificielle en raison de la langue, mais elle est là. Nous consommons nos produits parce que nos produits nous ressemblent.

[Français]

Nos produits canadiens, nos produits québécois, on ne les consomme pas seulement parce qu’on n’est pas capable de s’exprimer en anglais. La série télévisée Le temps d’une paix est une émission dans laquelle on peut se reconnaître. Si on regarde l’ensemble de la situation, en réglant les échappatoires, on améliorera notre image.

[Traduction]

Je ne veux pas que nous soyons laissés pour compte parce que nous ne sommes pas la plus grande menace. La Presse qui demande maintenant la charité est un plus gros problème. Je crois que ce journal se transforme en organisme sans but lucratif et je crois qu’il n’a pas fait de profit depuis plusieurs années. La Presse n’a pas besoin de se transformer en organisme sans but lucratif étant donné qu’elle était de toute évidence subventionnée par la famille Desmarais. Je ne voudrais pas découvrir que le gouvernement subventionne ce journal à moins que l’indépendance de ce dernier ne soit parfaitement claire. C’est la même chose avec de petits journaux à Sherbrooke, à Québec et au Lac-Saint-Jean. La famille Desmarais a arrêté de financer ces journaux, et ils sont maintenant admissibles à des subventions du gouvernement du Québec.

C’est une distinction que je ne vois pas dans la proposition. Comprenez-moi bien, ce n’est pas parce que je ne suis pas d’accord avec votre rapport Colmatons la brèche! Il faut aborder le problème de façon globale. Le reste suivra plus tard. Toutefois, j’aimerais connaître votre opinion sur le cas distinctif du Québec.

M. Miller : Comme vous le savez, la consommation des médias américains au Québec est nettement inférieure qu’elle l’est dans le reste du Canada. Cela dit, quoique nous n’ayons pas examiné la question en détail, nous avons cru comprendre que la publicité de Facebook et de Google accapare néanmoins une portion substantielle du marché de la publicité au Québec, mais cette portion n’est pas aussi importante qu’au Canada anglais. C’est un avantage pour les médias francophones.

Vous soulevez un argument valide. Faut-il examiner d’autres aspects? Absolument. En tant qu’auteurs, nous ne laissons pas entendre qu’il s’agit de l’unique solution possible. Nous pensons simplement que c’est une solution à laquelle on n’a pas porté beaucoup d’attention et nous voulions la mettre en évidence, car nous pensons qu’il s’agit d’une solution facile.

En ce qui a trait aux distinctions dont vous parlez, la bonne nouvelle est, comme vous le savez, que, à certains égards, la radiodiffusion au Québec n’a pas été aussi touchée par Internet que celle au Canada anglais. La situation est toutefois en train de changer. Les médias RNC et d’autres petits joueurs du marché québécois examinent la viabilité de leurs stations. C’est un problème plus large, je l’admets.

M. Bernhard : Lors du lancement de notre rapport, le 24 avril, Colette Brin est venue parler de la situation au Québec. Elle a déclaré que plus de 70 journaux au Québec avaient fermé leurs portes ces dernières années et que cette tendance se maintenait. La situation ne touche pas seulement les journaux anglophones et francophones. J’ai récemment rencontré à Toronto un groupe de professionnels des médias de langue ourdou, langue parlée au Pakistan. Ils m’expliquaient que des banques canadiennes, par exemple, s’annonçaient sur Google afin de joindre les locuteurs de la langue ourdou et que ces publicités aboutissaient sur des sites web du Pakistan que des gens consultent lorsqu’ils veulent obtenir des nouvelles de leur pays d’origine. Il existe un solide secteur des médias locaux en ourdou, mais aussi en anglais, sur les enjeux touchant le Pakistan. Par exemple, une personne sur quatre dans la région du Grand Toronto est d’origine sud-asiatique. Ces sites web font fi de la division linguistique et nuisent à la croissance des nouveaux joueurs sur le marché canadien.

Le sénateur Dawson : Je suis certainement d’accord pour une taxe sur Netflix, mais seulement si les sommes ainsi prélevées sont consacrées à des productions canadiennes afin d’encourager les producteurs canadiens. Ce sont les gens qui paieront la taxe, pas Netflix. Je veux que cet argent serve à appuyer la production.

M. Bernhard : Soyons clairs : cet enjeu est apparenté à la question de Netflix, mais n’est pas identique. Netflix ne serait pas du tout touché si cette brèche était colmatée. Ce serait plutôt Google, Facebook et le placement d’annonces qui seraient touchés. Si on s’assure que les règles existantes qui s’appliquent, par exemple, aux radiodiffuseurs s’appliquent également aux radiodiffuseurs sur Internet, comme Netflix, on respecterait le principe de l’application égale. Toutefois, ce dont nous parlons ici n’aurait aucune répercussion sur les taxes payées par les consommateurs de Netflix ou Netflix lui-même.

M. Morrison : Une différence que nous surveillons dans les médias francophones et anglophones au Canada ou, plus précisément au Québec, est la forte concentration de la propriété des médias audiovisuels. Cette concentration se répercute sur bien des choses. Il n’y a pas beaucoup de médias où l’on peut placer une annonce. Par exemple, si CBC n’acceptait plus la publicité, cela créerait un quasi-monopole.

Mon deuxième commentaire porte sur un haut fonctionnaire du bureau de M. Morneau, dont je ne donnerai pas le nom. Je discutais avec lui il y a quelques mois. Il a émis l’hypothèse que si nous avions ces 700 ou 800 millions de dollars de revenus en plus, les 40 p. 100 supplémentaires seraient répartis entre les provinces, bien entendu. Vraisemblablement, on voudrait consacrer cette somme au renforcement culturel. Je ne donne pas son nom parce que je ne pense pas que c’est l’opinion générale du ministère des Finances. Si cela devait arriver, si le gouvernement canadien avait de nouvelles recettes dans lesquelles il pourrait puiser pour renforcer ce dont vous parlez, ce serait une bonne politique publique.

Le président : Pourquoi serait-ce une bonne politique publique? Nous parlons maintenant de mettre les sommes perçues dans un fonds que le gouvernement distribuerait? À qui?

M. Bernhard : Je pense que ce que veut dire Ian, c’est que ces sommes permettraient au gouvernement de poursuivre divers objectifs connexes, et non qu’elles iraient dans un fonds qui serait distribué; il permettrait plutôt, par exemple, d’accroître la bande passante dans les petites collectivités rurales, pour aider la population à consommer les médias, ou pour appuyer des gens qui font des études de journalisme.

Le président : Ou pour réduire le déficit.

M. Bernhard : Ou pour réduire le déficit.

Le président : Ce serait un bon point de départ.

M. Bernhard : Il y a diverses possibilités.

Le sénateur Manning : Je souhaite la bienvenue à nos invités. C’est une discussion intéressante, sans aucun doute. J’ai constaté, depuis une dizaine d’années, un changement quelque peu troublant au sein des médias du pays, particulièrement dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. En passant, quand j’étais jeune, nous n’avions qu’une chaîne, CBC, dans une petite collectivité rurale, et à bien des égards, c’était notre fenêtre ouverte sur le monde. Certains de mes collègues ne seraient peut-être pas d’accord là-dessus.

SaltWire Network participe à un projet à Terre-Neuve-et-Labrador actuellement et, d’après ce que je comprends, partout dans les provinces de l’Atlantique. Pour ceux qui ne le savent pas, SaltWire Network possède 27 nouveaux journaux, y compris à Terre-Neuve-et-Labrador. C’est la plus importante entreprise médiatique privée du pays.

Le PDG, Mark Lever, a déclaré qu’il était temps de renouer avec les collectivités où se trouvent ses médias. J’espère que le projet Open Up, qui consiste en gros à discuter avec les gens, sera fructueux. Ils ont eu une rencontre la semaine dernière, à laquelle une centaine de personnes ont participé, pour parler des divers modèles pour offrir des services médiatiques. Le contenu local est une grande préoccupation. Nous en perdons de plus en plus. Nous sommes très informés sur « l’ailleurs », et peu sur nous-mêmes.

Ma question porte sur le gain fiscal potentiel de 1,3 milliard de dollars — je ne comprends pas, peut-être que quelqu’un d’autre comprend mieux; pourquoi ne voudrait-on pas l’avoir, et qui y fait obstacle, ou encore où y a-t-il des obstacles qui empêchent que cela se fasse?

M. Bernhard : C’est une bonne question. Je pense que il y a des gens, sur le plan politique, comme je le disais tout à l’heure, qui craignent peut-être quelque chose qui ressemble à une notation des impôts.

Je sais que le gouvernement actuel a connu des difficultés, au début de son mandat, relativement à des propositions de modification du traitement fiscal des petites entreprises. C’est à mon avis un sujet de préoccupation.

Aussi, je pense, 40 p. 100 des sommes recueillies seraient versées aux provinces. Nous en avons avisé les premiers ministres par lettre. Ils ne participent pas forcément à la discussion fédérale, alors que cela représente une vaste proportion du revenu disponible.

C’est un enjeu complexe. Souvent, tout au long de notre histoire, le Canada était reconnu comme un pays distinct, si bien qu’il ne peut pas tout simplement souscrire entièrement à tout ce qui vient des États-Unis. Notre pays n’a tout simplement pas la même envergure qu’eux.

Des règlements, comme l’article 19, ont réussi à établir l’équilibre, et les entreprises ont pu prospérer selon ces règles pendant de très nombreuses années.

Maintenant que nous avons pris du retard, nous avons désormais cet écart de prix et nous envisageons de le réduire. Cela, à mon avis, complique les choses sur le plan politique, mais cela ne signifie pas que nous devrions tout simplement préserver cette disparité.

Je ne suis pas sûr de tout à fait répondre à votre question. Je ne peux pas entrer dans la tête du ministre des Finances, bien que j’aimerais beaucoup pouvoir y aller et murmurer ces recommandations. Je pense que certains de ces facteurs peuvent constituer des obstacles à leur adoption.

M. Morrison : Sénateur, le comité pourrait demander aux porte-parole appropriés des ministères fédéraux de justifier leur inaction, car nous n’avons pas pu en obtenir une satisfaisante.

Le président : Vous devriez parler avec M. Morrison, puisqu’il semble avoir un contact direct avec un haut fonctionnaire du bureau de M. Morneau.

M. Bernhard : Je lui parle plusieurs fois par jour.

Le président : Il ne vous a rien dit jusqu’à maintenant.

Allez-y, sénateur Manning. Je vous fais mes excuses.

Le sénateur Manning : Soixante pour cent de 1,3 milliard de dollars, c’est quand même une somme énorme.

M. Bernhard : Pour le gouvernement fédéral.

Le sénateur Manning : Avez-vous décelé de la résistance, dans vos discussions? Qui est contre cette idée? Vous êtes ici à défendre cette perspective. Est-ce que d’autres tentent de convaincre le gouvernement du contraire? C’est ce que j’essaie de déterminer.

Il y a généralement deux versions dans toute histoire. Dans ce cas, il pourrait bien y en avoir 10. J’essaie seulement de voir d’où vient l’opposition, ou si c’est tout simplement que les gens y voient une nouvelle taxe? Ou y a-t-il quelqu’un, à ce que vous sachiez, qui s’y oppose?

M. Miller : Sénateur, je peux faire deux observations.

Bien qu’il s’agisse d’une politique fiscale, elle s’inscrit dans le prisme de la politique culturelle. C’est l’un de ces dossiers qui n’ont pas, pour ainsi dire, un seul domicile. Bien que le ministère des Finances et l’ARC soient responsables de l’administration, en principe, c’est Patrimoine Canada qui porterait le dossier puisqu’il s’agit de politique culturelle.

En ce moment, du point de vue de l’élaboration des politiques, il est passé entre les mailles du filet. Pour une raison que j’ignore, à ce que nous sachions, le gouvernement n’a pas étudié cette question.

Pour ce qui est de l’opposition, elle viendra principalement des Google et des Facebook de ce monde. Absolument. Ils s’y opposeront. Je suis sûr qu’ils l’ont déjà fait, d’ailleurs.

Deuxièmement, ce serait les publicitaires, soit par l’intermédiaire de groupes de gens d’affaires, comme le Conseil canadien des affaires, ou des groupes de publicitaires qui s’y opposeraient parce qu’ils y verraient une perte de revenu.

M. Bernhard : Je dirais aussi que cette opposition a des motifs d’ordre politique. Le comité de l’éthique de la Chambre a tenté récemment de déterminer la nature des rapports, par exemple, entre Google, Facebook et le gouvernement, et s’il y a obstacle à la réglementation pouvant être attribué à des relations personnelles.

L’année dernière, Google a été en tête de liste des lobbyistes, plus que les compagnies pharmaceutiques, les groupes de défense et les grandes entreprises agroalimentaires. En chiffres de dépenses, Google était en tête. Il y a beaucoup de petite politique, et je pense qu’il importe de ne pas l’oublier dans cette discussion.

Le sénateur Manning : Je vous remercie.

Le sénateur MacDonald : Depuis 25 ans, la croissance de la publicité numérique ne s’est pas limitée au Canada. C’est un phénomène universel.

Cela m’intrigue. J’essaie de garder l’esprit ouvert. Je suppose que d’autres pays connaissent la même situation.

Y a-t-il d’autres pays qui ont mis en place des mesures pour réduire le pourcentage de publicité placé sur Internet admissible à une déduction d’impôt et, le cas échéant, quels ont été les résultats? S’il y a d’autres pays, pourriez-vous les nommer?

M. Miller : Je ne connais pas d’autres pays ayant adopté ces mesures. Comme vous le savez, le Canada a toujours été assez unique dans sa défense et son soutien proactif du contenu canadien et du secteur des médias canadiens.

Nous soulevons cette question non pas en raison d’un précédent international, mais bien en raison du précédent canadien. Il s’agit d’une suite logique par rapport à ce que nous avons fait dans les années 1950 et 1960.

M. Bernhard : Pour renchérir sur ce que vient d’affirmer Peter, nous ne proposons pas une nouvelle disposition. Nous proposons simplement d’appliquer une disposition qui existe depuis des années et de la traiter de façon équitable. Voilà la première étape.

D’autres pays ont agi pour éliminer les avantages indus qui permettent aux compagnies médiatiques d’accroître leurs profits.

En Allemagne, par exemple, Facebook — et tous les réseaux de médias sociaux ayant plus de deux millions d’utilisateurs dans le pays — est tenu responsable de tous les messages manifestement haineux publiés sur sa plateforme. L’entreprise ne peut simplement affirmer : « Cela n’a rien à voir avec nous, ce n’était pas notre choix. »

De plus, la réglementation entourant la protection des données force ces entreprises à vous dire les raisons pour lesquelles on vous montre une publicité en particulier. Ce n’est qu’un exemple. En gros, on exige de ces entreprises qu’elles expliquent le rôle d’édition et de programmation de contenu afin qu’elles puissent être tenues responsables de leurs décisions.

D’autres pays du monde développé reconnaissent que ces entreprises ne sont pas aussi différentes des éditeurs qu’elles le clament. Ces dernières agissent comme des éditeurs et c’est pourquoi d’autres pays ont décidé de les assujettir au système réglementaire.

En réalité, le Canada est loin derrière certains de ses pairs sur cette question. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et d’autres cherchent à créer une parité entre toutes les formes de médias. En ce sens, le Canada se rapprocherait de ses pairs.

M. Morrison : Pour revenir à l’essentiel de votre question, sénateur, à notre connaissance, aucun autre pays ne dispose d’un équivalent à l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

En d’autres mots, l’article 19 fut adopté en raison de notre proximité unique au marché américain et du déluge de contenu journalistique américain dans le marché canadien il y a 50 ou 60 ans.

Or, vous pourriez sans doute demander à la Bibliothèque du Parlement d’étudier davantage l’approche d’autres pays en la matière.

Le sénateur MacDonald : Puis-je poser une autre question?

Le président : Oui.

Le sénateur Manning : Selon moi, nous constatons une baisse des publicités dans les publications et une hausse des publicités en ligne parce que les personnes souhaitant afficher leurs produits choisissent le numérique pour accroître leur part de marché.

Si nous éliminons les déductions d’impôt et empêchons l’évitement fiscal, ne va-t-on pas simplement faire en sorte qu’il coûte plus cher aux Canadiens d’acheter de la publicité et rendre du même coup les entreprises canadiennes moins compétitives?

M. Bernhard : C’est une excellente question.

En fait, c’est difficile à prédire.

Comme je l’ai dit plus tôt, il est impossible de savoir si les grandes entreprises de publicité étrangères comme Google et Facebook ne réduiront pas le prix des publicités pour compenser cette nouvelle réalité. Comme Peter vous l’a dit, leurs marges de profit au Canada surpassent les 60 p. 100. Elles pourraient donc se permettre de le faire. Les entreprises pourraient toujours acheter de la publicité et faire de la publicité en ligne, mais elles devraient faire affaire avec des publications canadiennes pour profiter de la pleine déduction.

Je suis certain que vous lisez tous vos journaux municipaux, provinciaux et régionaux. Vous êtes ici ce matin, donc vous n’avez sans doute pas reçu une version papier de ces journaux. Vous les avez consultés en ligne et c’est excellent. Les publicités achetées auprès de ces publications sous forme numérique continueraient de jouir de la pleine déduction. Ce serait donc avantageux, somme toute, pour les entreprises canadiennes de faire affaire avec ce genre de publication.

À l’heure actuelle, le fait que la loi ne s’applique pas à cette technologie crée une différence de prix artificielle. Nous cherchons à éliminer cette différence et à nous rattraper par rapport aux autres en rendant la publicité en ligne sur les publications canadiennes plus avantageuses. Ainsi, ce choix permettra de rejoindre le public canadien qui, comme vous et moi, lit déjà ces publications dans leur format numérique. En ce moment, les publications canadiennes n’arrivent tout simplement pas à percevoir l’argent de ces publicités en raison des intermédiaires.

Le président : Aidez-moi à comprendre. Google est un moteur de recherche dont les gens se servent pour accéder à NBC, CBS, Fox, New York Times et le National Post. D’où proviennent les nouvelles de Google? Ne proviennent-elles pas d’autres organes de presse?

M. Bernhard : Vous voulez dire d’où provient le contenu de...

Le président : D’où provient le contenu qui se retrouve dans Google news?

M. Bernhard : Le fil d’actualité de Google, par exemple? Les nouvelles proviennent d’organes de presse comme le Globe and Mail.

Le président : Est-ce que Google doit payer ces nouvelles?

M. Bernhard : Non.

Le président : Est-ce que le Globe and Mail permet à Google d’utiliser son matériel et ses diffusions protégées par le droit d’auteur en échange de frais publicitaires?

M. Bernhard : Il existe du contenu gratuit disponible partout sur Internet. Les journaux ont presque toujours été quasiment gratuits. Le prix d’abonnement aux journaux ou même le prix d’un seul exemplaire couvrait à peine le coût de distribution. Les revenus publicitaires ont toujours représenté de loin la partie la plus importante des revenus pour les publications. Le modèle de contenu gratuit financé par la publicité existe depuis très très longtemps.

Comme vous l’avez mentionné, les intermédiaires sont aujourd’hui en mesure de faciliter l’accès vers le contenu et donc d’accaparer la majorité des revenus publicitaires. Ces intermédiaires agissent comme point d’entrée principal sans pour autant ajouter une valeur publique puisqu’ils n’ont pas eux-mêmes à créer de contenu.

Par le passé, lorsqu’on lisait le Toronto Star, La Presse ou n’importe quel autre journal, on ne payait pas vraiment pour le faire. Pour l’éditeur, les recettes ne provenaient pas vraiment de ce que l’on payait, mais plutôt de ce que l’on consultait. Facebook et Google fonctionnent de la même façon à l’exception près que ces éditeurs payaient les articles journalistiques que l’on lisait, en rémunérant directement les journalistes.

Maintenant il existe un intermédiaire qui n’est pas tenu de payer quoi que ce soit, mais qui retire tous les avantages, car c’est celui qui regroupe le contenu. Si on veut qu’une société qui crée de la valeur sur le marché soit rémunérée en conséquence, ce qui est normalement la façon dont fonctionne l’offre et la demande, il nous faut nous inquiéter vivement du fait qu’il existe un tiers qui profite gratuitement de la situation, qui crée une certaine valeur et qui doit être rémunéré en conséquence, mais qui obtient une part beaucoup trop importante de rémunération au détriment de ce qu’ont produit d’autres intervenants. C’est de cela qu’il s’agit.

Le président : Facebook fonctionne de la même façon, n’est-ce pas?

M. Bernhard : Oui.

Le président : Facebook obtient du contenu gratuit et vend ensuite de la publicité pour ce contenu gratuit. Cela peut paraître presque illégal. Les auteurs de ces publications ne devraient-ils pas avoir recours aux tribunaux pour protéger leur contenu?

M. Bernhard : Peter pourrait avoir quelque chose à ajouter.

Le président : Si je suis Rex Murphy, que je suis l’auteur d’un article et que Facebook vend cet article pour obtenir de la publicité, ne s’agit-il pas là d’une violation du droit d’auteur? Ne s’agit-il pas là d’un problème civil d’une certaine manière? Je tente de comprendre les choses.

M. Miller : C’est une très bonne question. Le droit d’auteur découle de la loi. D’après la façon dont est structuré le droit d’auteur, si vous composez une chanson et que quelqu’un la diffuse ou la reproduit, le droit d’auteur prévoit qu’une redevance soit versée à la maison de disques et à l’artiste, mais cela n’est pas le cas pour les médias imprimés. C’est la façon dont nous l’avons conçue.

Vous avez le droit d’imposer une restriction d’accès payante pour empêcher quelqu’un d’y avoir accès. Comme vous le savez, il est possible d’avoir accès gratuitement à certains articles du Globe and Mail, mais pour d’autres, il faut être abonné. C’est quelque chose que l’on peut faire. Une fois qu’on donne accès à ce contenu gratuitement, il est impossible d’obtenir quelque rémunération que ce soit et, techniquement, c’est parce que les publicités du moteur de recherche ne figurent pas dans le contenu. Il permet au public d’y avoir accès.

Le président : C’est comme une station de radio qui diffuse de la musique. Les artistes et les maisons de disque disent : « Vous devez nous rémunérer, sinon vous ne pourrez pas diffuser cette musique. »

M. Bernhard : Les relations de pouvoir qui existent entre les Tragically Hip ou Arcade Fire et une station de radio communautaire sont plus équilibrées que les relations de pouvoir entre Le Devoir ou un journal de Lloydminster et Facebook.

La station de radio locale ne peut survivre sans diffuser les chansons les plus populaires du moment, car c’est ce que souhaite son auditoire. Facebook pourrait très bien s’en sortir sans journal local comme le StarPhoenix de Saskatoon, par exemple. Le déséquilibre des pouvoirs est énorme. Ces intervenants constituent dans les faits un monopole, ce qui est différent de la dynamique entre les sociétés qui interagissent avec une station de radio commerciale, pour reprendre votre exemple.

Notre politique a pour effet de renforcer cette situation de monopole, car nous avons mis en place des règles destinées à tenter de compenser ces différences d’économie d’échelle, règles qui ne sont pas appliquées lorsque la différence d’économie d’échelle est bien plus importante.

Je pense que vous avez parfaitement raison. C’est que les sociétés elles-mêmes ne sont pas en mesure de se défendre et de demander leurs dus. Le marché à lui seul est si déséquilibré en faveur d’un ou de deux intervenants que les fournisseurs de contenu indépendants, plus particulièrement de petite taille, comme le StarPhoenix, ne sont pas en mesure d’y parvenir.

C’est la raison pour laquelle nous parlons d’une solution structurelle qui ne consiste pas à dire : « Arrêtez de faire de la publicité sur Facebook. » Cela revient simplement à dire : « Traitons ces publicités comme toutes les autres, car nous reconnaissons que cela permet d’atteindre des objectifs de politiques publiques », comme le fait d’assurer l’existence du StarPhoenix. Cela change la dynamique en faisant en sorte qu’un annonceur de Saskatoon puisse dire : « Si je veux entrer en contact avec mon auditoire, peut-être que je devrais diffuser ma publicité dans le StarPhoenix plutôt que sous forme de publicité Google, qui apparaîtra on ne sait où, car le prix est maintenant beaucoup plus comparable, et ma publicité peut avoir le même effet. » Ce dont nous parlons consiste à permettre aux intervenants de jouer sur un pied d’égalité, car à l’heure actuelle, le pouvoir de négociation n’existe tout simplement pas.

Le président : C’est quelque chose que j’aimerais explorer davantage.

M. Morrison : Vous avez eu recours à une métaphore d’ordre criminel il y a quelques instants. Une autre métaphore que l’on peut employer, d’ordre biologique cette fois, est celle du parasite. C’est exactement de cela qu’il s’agit.

Le président : Je pense que c’est exactement ce dont il s’agit. Vous avez, d’un côté, les auteurs qui créent des nouvelles et les publient dans des journaux qui leur versent leur salaire et, de l’autre, des gens qui prennent ces nouvelles dans le but de s’en servir pour inciter le public à utiliser Facebook afin de pouvoir vendre des publicités. Je pense que c’est une politique terrible. Peut-être que c’est quelque chose que nous pouvons explorer davantage.

Merci beaucoup sénateurs et sénatrices. Ce fut une séance fructueuse. Nous ferons un suivi demain afin de finaliser notre liste de témoins futurs dans le cadre de cette étude. Ce ne sera pas une séance très longue. Je suis certain que vous en serez tous ravis. Ce fut une discussion fort intéressante. Il me tarde de voir là où cela va nous mener.

(La séance est levée.)

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