Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 36 - Témoignages du 30 mai 2018
OTTAWA, le mercredi 30 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, afin de poursuivre son étude des nouvelles questions liées à son mandat et des lettres de mandats ministériels.
La sénatrice Patricia Bovey (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous souhaite la bienvenue.
Ce soir, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications poursuit son étude sur l’adaptabilité de la publicité sur Internet dans le cadre de son ordre de renvoi général.
[Traduction]
J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, notamment le président-directeur général du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada, Thomas S. Saras, le président et chef de la direction de Magazines Canada, Matthew Holmes; le directeur général de l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC), François Côté; et la directrice générale de l’Association de la presse francophone (APF), Linda Lauzon, qui représente également l’Association des journaux régionaux du Québec, la QCNA, de même que l’APF et l’ARC qui forment le Consortium des médias communautaires de langue officielle, lequel dessert les populations francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada. Mme Lauzon est accompagnée, par vidéoconférence, de Francis Sonier, président de l’Association de la presse francophone. Je vous remercie de participer à notre séance de ce soir. Avant de commencer, je vais demander à mes collègues de se présenter. Je m’appelle Patricia Bovey, et je viens du Manitoba.
Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La vice-présidente : Je vais inviter M. Saras à commencer son exposé. Il sera suivi de Mme Lauzon et de MM. Côté et Holmes. Je crois que vous êtes tous les cinq prêts à répondre aux questions après vos exposés.
Monsieur Saras, la parole est à vous.
Thomas S. Saras, président-directeur général, Médias, Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada : Merci, madame la présidente.
En raison du nombre croissant de nouveaux arrivants et des changements substantiels que connaissent les groupes démographiques canadiens, la langue maternelle de plus de 35 p. 100 de la population canadienne n’est ni l’anglais ni le français. Par conséquent, l’importance que revêt la presse en langues étrangères du Canada s’est accrue. Le rôle du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada consiste à manifester activement un vif intérêt à l’égard de la promotion de l’unité et de l’intégrité territoriale du Canada. En sa qualité de groupe pro-canadien, il poursuivra énergiquement cet objectif au cours des années à venir. La presse ethnique canadienne exerce une fonction unique au sein des médias de masse du Canada.
En général, elle a pour but d’informer les lecteurs dans une langue qu’ils comprennent plus aisément que les langues officielles du pays. Cette presse, qui dessert diverses communautés ethniques du Canada, a rempli son rôle qui va plus loin que la satisfaction des besoins internes des communautés d’immigrants. Depuis plus de 11 décennies, les journaux ethniques relèvent les défis que représentent l’assistance, l’orientation et l’intégration de millions de nouveaux arrivants au Canada en provenance de nombreux territoires.
Ces journaux jouent ce rôle en étant pleinement conscients de la grande responsabilité qu’ils assument à l’égard d’un pays qui a été développé par de nombreuses communautés culturelles et linguistiques.
En plus de fournir des nouvelles à ces gens, la presse ethnique les renseigne sur des problèmes d’établissement et l’aide offerte, et elle contribue aussi à leur présenter nos institutions démocratiques ainsi que le nouveau mode de vie de leur pays d’adoption.
Pour ces citoyens qui, à un moment ou un autre, ont affronté des barrières linguistiques dans un pays où les lois, les traditions et les coutumes étaient différentes des leurs, la presse ethnique joue un rôle de guide, d’interprète, d’enseignant et aussi d’ami intime digne de confiance. Son rôle consiste à présenter aux membres des communautés d’immigrants leur propre environnement d’une façon aussi efficace et indolore que possible pour eux-mêmes et leur collectivité, à les familiariser avec le système socio-économique de leur nouveau pays afin qu’ils deviennent des citoyens à part entière du Canada dès que possible et qu’ils soient disposés et prêts à utiliser leurs talents et leurs capacités pour apporter une contribution, au profit de tous les Canadiens.
Compte tenu de la théorie démocratique classique, la démocratie a toujours été considérée comme un ensemble d’institutions qui favorisaient le développement complet de l’individu à l’échelle nationale et qui dépendaient de ce développement.
Avec l’arrivée d’immigrants après la Seconde Guerre mondiale et même récemment, l’influence et les obligations de la presse ethnique se sont multipliées. Les journaux et les revues ethniques servent maintenant à plus de 7 millions de Canadiens qui ne sont ni anglophones ni francophones. Ils s’ajoutent à ceux qui sont ici depuis au moins une génération, mais qui ont toujours l’habitude de lire les journaux dans leur langue maternelle.
À l’inverse, la presse ethnique s’efforce également de signaler aux nouveaux arrivants l’existence d’influences négatives et de conflits idéologiques qui vont à l’encontre de la démocratie et des traditions canadiennes. Elle le fait dans le but de les aider à devenir de meilleurs Canadiens. Dans le cadre de ce rôle accru, la presse ethnique s’est transformée en un outil important servant à influencer les nouveaux Canadiens qui arrivent quotidiennement dans les ports hospitaliers de notre merveilleuse nation. Dans une certaine mesure, un grand nombre de politiciens en sont bien conscients, mais, malheureusement, ce n’est pas le cas de tous les ordres de gouvernement.
Compte tenu du nombre croissant de nouveaux arrivants et des changements substantiels que connaissent les groupes démographiques canadiens, la langue maternelle de plus de la moitié de la population de Toronto, par exemple, n’est plus ni l’anglais ni le français. L’importance que revêt la presse en langues étrangères au Canada s’est accrue. Ses activités ont changé de façon qualitative.
La presse n’est plus uniquement un support qui permet de diffuser de l’information, mais plutôt un puissant outil qui sert au niveau local. Par le passé, elle a manifesté activement un vif intérêt à l’égard de la promotion de l’unité et de l’intégrité territoriale du Canada et, en sa qualité de groupe pro-canadien, elle poursuivra énergiquement cet objectif dans les années à venir aussi.
Bien que les médias et les communautés ethniques continuent de participer pleinement aux processus d’édification de la nation, il est important de reconnaître que leurs aspirations, leurs rêves et leurs préoccupations ne peuvent différer de ceux de la société et des médias en général. Par conséquent, les membres de la presse ethnique ne peuvent pas faire l’objet d’un statut ou d’un traitement spécial de la part des médias généraux; cela les blesserait s’ils étaient traités comme des citoyens de deuxième ordre ou des quantités négligeables.
Aujourd’hui, la structure sociale et le niveau d’instruction des communautés ethniques sont comparables à ceux des membres des peuples fondateurs de la nation. On peut le remarquer facilement, car un nombre de plus en plus grand de membres des communautés ethniques du Canada cherchent à être élus à tous les niveaux, à chaque élection. De plus, ils apportent des contributions très productives et efficaces dans tous les secteurs canadiens.
Par conséquent, la presse ethnique s’attend à ce que les communautés ethniques et la presse ethnique soient traitées équitablement et acceptées comme des partenaires égales du processus d’édification de la nation. Enfin, il faut que l’on reconnaisse que, tant que l’immigration se poursuivra au Canada, l’importance et l’influence de la presse ethnique deviendront plus grandes.
De nos jours, le Canada traverse une période de changements socio-économiques au sein d’un monde qui devient chaque jour de plus en plus restreint, et il recherche de nouveaux marchés et de nouveaux partenariats. Dans ce contexte, la presse ethnique, et les collectivités ethniques qu’elle dessert pourraient s’avérer être d’importants participants à la croissance économique du Canada en raison de leur capacité de parler toutes les langues de la planète, ainsi que de leurs contacts et de leur savoir à l’échelle mondiale.
La société canadienne ne reconnaît pas entièrement la force des communautés ethniques et de leurs médias. Compte tenu de leur importance interne qui découle des changements démographiques et de l’influence externe que le commerce et les investissements internationaux exercent sur l’économie canadienne, la presse et les médias ont un rôle multidimensionnel à jouer. Le conseil cherche à trouver une place appropriée au sein de la vie sociale, culturelle, politique et économique du Canada.
Le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada est un organisme médiatique non gouvernemental et sans but lucratif qui représente 850 publications membres, imprimées dans environ 110 langues, de même que 150 réalisateurs de radio et de télévision, et producteurs et journalistes de sites web et de télévision.
Aujourd’hui, j’en appelle à votre comité pour obtenir trois formes de soutien. Nous souhaitons que le gouvernement nous soutienne en commandant des annonces, les annonces et les avis gouvernementaux que nous recevions de temps en temps au fil des ans. Au cours des quatre dernières années, nos membres n’ont pas reçu un seul message ou une seule annonce du gouvernement du Canada. En ce qui concerne la deuxième forme d’aide, je l’ai également demandée au comité au cours des séances antérieures auxquelles j’ai participé, à savoir le régime de retraite pour les membres de la presse ethnique nationale ou les éditeurs des communautés ethniques et, par régime de retraite, j’entends le RPC. Ces gens travaillent d’arrache-pied 7 jours par semaine et, parfois, 18 ou 20 heures par jour, et, quand ils atteindront l’âge de 65 ans, ils recevront seulement le montant d’aide sociale qu’ils sont en droit de recevoir, parce que les publications ne réalisent pas les recettes nécessaires pour payer les cotisations du RPC. Cette situation est injuste pour ces vaillants Canadiens qui accomplissent un travail réellement difficile.
Enfin, je demanderais au comité d’examiner la possibilité d’imposer une taxe, d’au moins 10 p. 100, sur les annonces étrangères affichées sur des sites web. À ce stade, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada a créé un site web pour médias de masse ayant pour adresse www.nationalethnicpresscouncil.com.
À l’heure actuelle, il existe 200 sites web de la presse ethnique du Canada, publiés dans toutes les langues et destinés à toutes les communautés du pays. Nous nous attendons à ce qu’il y en ait 300 d’ici la fin de l’année en cours et 450 d’ici l’année suivante.
Ces sites web peuvent soutenir et servir tous les Canadiens et répondre à tous leurs besoins. Malheureusement, nous n’avons pas les moyens d’apporter une quelconque aide financière à qui que ce soit.
Il s’ensuit que les sites web étrangers reçoivent les annonces canadiennes, alors que nous ne pouvons pas en recevoir. Par conséquent, cette taxe est très importante, et je vous demande de bien vouloir l’envisager. Merci infiniment.
La vice-présidente : Merci, monsieur Saras. Je vous suis reconnaissant de votre intervention. Nous allons maintenant passer à Mme Lauzon. Si je peux me permettre, nous souhaitons avoir le temps de poser des questions à la fin. Alors, pourrions-nous nous assurer que les exposés soient brefs?
Linda Lauzon, directrice générale, Association de la presse francophone : Je me suis chronométrée. Nous respectons donc le temps qui nous est imparti.
[Français]
Madame la présidente, mesdames et messieurs membres du comité, bonsoir.
Le Consortium des médias communautaires de langues officielles, comme on l’a dit plus tôt, est composé des trois organismes nationaux qui représentent les médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire qui desservent les populations anglophones et francophones en situation minoritaire au Canada.
Depuis l’été 2016, nos trois organismes, les membres du consortium, ne parlent que d’une seule voix. Je suis ici ce soir avec mon collègue, M. François Côté, directeur général, de l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC du Canada), et mon président, à l’écran, M. Francis Sonier, qui est également directeur général du quotidien l’Acadie Nouvelle, au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Nous aurions souhaité qu’un représentant de la QCNA, la troisième partie de notre consortium, puisse nous accompagner aujourd’hui. Malheureusement, on nous a informés qu’il n’y avait pas suffisamment d’espace pour accommoder d’autres intervenants. La prochaine fois, nous aimerions que nos trois organisations soient présentes, car nous avons toujours travaillé en français.
[Français]
Nous sommes attachés à la hanche depuis 2016.
[Traduction]
Veuillez noter que M. Côté interviendra également au nom du consortium et que M. Sonier sera prêt à répondre aux questions.
[Français]
Nous vous invitons à consulter le mémoire qui vous a été transmis cet après-midi au nom de nos trois organismes.
Les médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire constituent une vitrine ouverte sur la vie des communautés et demeurent une pierre angulaire autour de laquelle s’articule le développement des communautés francophones et anglophones minoritaires. Ces médias sont aussi un service essentiel, car ils sont très souvent la seule source d’information dans leur langue, dans leur région, dans leur territoire ou dans leur province.
Ils sont la voix et le reflet des communautés qui sont, la plupart du temps, isolées dans la communauté de langue majoritaire ou en région éloignée ou urbaine. Il s’agit entre autres des communautés francophones de Vancouver ou de Toronto, qui sont isolées dans une région urbaine, ou de celles qui sont situées dans les régions plus au nord du Québec, comme la Gaspésie, l’Abitibi ou plus loin.
Nos médias sont un outil de développement communautaire et de construction identitaire. Les médias sont l’un des indicateurs de vitalité des communautés de langue officielle qui sont utilisés par les instances gouvernementales. Patrimoine canadien utilise nos médias pour savoir comment nos communautés se portent et comment elles vont.
Malgré ce qui précède, les médias communautaires de langue officielle font face à des défis majeurs depuis 10 ans en raison d’une situation qui ne cesse de se détériorer. Plusieurs médias communautaires sont confrontés à des fermetures imminentes. Quatre radios communautaires du Canada fermeront leurs portes au cours des prochains mois si rien n’est fait. Trois journaux du côté de l’Association de la presse francophone (APF) et trois autres du côté de l’Association des journaux régionaux du Québec (QCNA) sont dans la même situation. Donc, il s’agit de fermetures imminentes, soit d’ici trois à quatre mois.
C’est pour cette raison que le consortium, en 2006, a entrepris des démarches politiques afin d’assurer non seulement la survie, mais aussi le développement continu des médias communautaires. Afin de répondre aux nombreux problèmes structuraux auxquels les médias communautaires sont confrontés à l’heure actuelle, le consortium demande au gouvernement fédéral de moderniser la Loi sur les langues officielles afin de prévoir et d’encadrer un rôle à l’égard des médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire.
En plus des problèmes structuraux, les médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire font face à une situation financière très précaire et perdent constamment des revenus. Il s’agit de revenus publicitaires gouvernementaux, mais aussi de revenus publicitaires privés. Je pense qu’il est très important de le souligner au comité.
En ce qui a trait à la déductibilité de la publicité, selon nous, les dépenses consacrées à l’achat de publicités auprès de la plupart des services numériques étrangers de presse ou de radiodiffusion ne devraient plus être déductibles en fonction de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le consortium est d’accord avec le raisonnement de base de l’étude selon laquelle la perte de revenus publicitaires a contribué à la crise médiatique nationale actuelle. Cette crise est vivement ressentie auprès des médias communautaires du consortium, qui doivent consacrer des ressources supplémentaires afin d’assurer le virage numérique.
Nos médias sont très à l’aise avec le virage numérique, mais ils n’ont pas les ressources pour le faire en ce moment. Toutefois, ils ont réellement l’intention d’embarquer dans la foulée.
Le consortium appuie aussi la recommandation de l’étude selon laquelle une nouvelle interprétation de la définition d’un journal ou d’un périodique au terme de la Loi de l’impôt sur le revenu est nécessaire. Selon le consortium, colmater la brèche fiscale permettrait au gouvernement d’adopter des mesures pour maintenir l’accès public aux informations à vocation critique tout en veillant à ne pas empiéter sur l’indépendance des médias d’information.
Enfin, le consortium soutient que le gouvernement fédéral devrait en parallèle freiner son utilisation accrue d’Internet en tant que média publicitaire pour joindre le public au lieu d’outils plus traditionnels tels que les journaux et les radios communautaires. Les défis économiques auxquels les médias communautaires membres du consortium sont confrontés signalent une crise globale des médias locaux au Canada.
Les réductions des effectifs de journalistes sont devenues monnaie courante. La publication francophone de la Saskatchewan, L’Eau vive, n’a plus de journalistes. Elle a dû cesser la publication papier du journal et a tenté d’en publier une version PDF aux deux semaines. À l’Île-du-Prince-Édouard, l’hebdomadaire La Voix acadienne a dû réduire ses effectifs et se concentrer sur des projets externes pour diversifier ses revenus. Au Yukon, le journal L’Aurore boréale a dû abolir le poste de journaliste à temps plein.
Au Québec, le Bulletin d’Aylmer et The West Quebec Post ont dû réduire de 30 p. 100 leurs effectifs au cours des deux dernières années. The Chronicle Herald, le plus ancien journal communautaire, fondé en 1874, ne compte plus qu’un seul employé, et le journal de la Gaspésie existe presque exclusivement grâce à des bénévoles.
En ce qui concerne les radios communautaires, plus de 60 p. 100 d’entre elles n’ont pas les ressources nécessaires pour respecter les exigences de leur licence du CRTC.
François Côté, directeur général, Alliance des radios communautaires du Canada : Les quatre radios de la Nouvelle-Écosse sont sur le point de fermer. Les radios communautaires de Terre-Neuve ne peuvent compter que sur une poignée de bénévoles, et plusieurs radios communautaires de l’Ouest du pays sont dans la même situation.
En raison de leur isolement, soit géographique ou en milieu urbain, au sein des communautés de langue majoritaire, les médias communautaires de langue officielle sont moins susceptibles d’attirer des acheteurs de publicité, car les marchés qu’ils desservent et leur circulation sont souvent trop restreints. Conséquemment, leur capacité à générer des revenus autonomes et à diversifier leurs sources de revenus est compromise par la saturation du marché qu’ils desservent.
La transition à l’ère numérique est nécessaire, mais ardue et complexe, ce qui accentue l’état précaire des médias communautaires membres de notre consortium. Confronté à des problèmes de baisse de recettes, à des coûts considérables et à des cultures pesantes, tout en tentant désespérément de faire des incursions dans le numérique, le groupe des médias établis a réduit le soin qu’il consacrait à la recherche et à la collecte d’information originale pour privilégier le traitement d’information déjà existante.
Il s’agit d’un problème grave, car les médias communautaires sont un pilier incontournable de notre société. En plus d’être les gardiens de notre démocratie, les médias communautaires membres du consortium jouent un rôle essentiel dans le développement de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire.
L’avenir du français et de l’anglais dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada dépend largement de l’accès à des médias communautaires de qualité. À la fin, les grands perdants sont les Canadiens et les Canadiennes vivant dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les francophones hors Québec et les anglophones du Québec.
Le consortium est d’accord avec les propos du groupe des AMIS de la radiodiffusion canadienne, selon lesquels le gouvernement doit participer aux solutions. Selon ce groupe, la crise médiatique n’est pas causée par le rejet d’un produit inférieur de la part du marché . En effet, le lectorat des membres de l’APF et la confiance du public ne faiblissent pas. Le taux de lectorat mensuel des journaux communautaires varie entre 47 p. 100 et 54 p. 100 selon les régions canadiennes. On souligne trois facteurs d’incitation à la lecture d’un journal communautaire : l’accès aux nouvelles locales, le contenu en général et le fait qu’il soit, dans certaines régions, le seul journal francophone. De plus, plus de 300 000 personnes écoutent les stations de radio qui font partie de l’Alliance des radios communautaires du Canada, et le taux d’écoute demeure stable.
Tel que l’a énoncé la commissaire aux langues officielles par intérim dans son rapport final d’enquête, déposé en juin 2017, à la suite de plaintes liées à la baisse draconienne des placements publicitaires gouvernementaux destinés aux médias :
Aucune donnée soumise durant l’enquête ni aucun des documents consultés n’ont pu confirmer l’opinion selon laquelle les journaux et les radios de langue officielle minoritaire n’ont plus leur place au sein de ces communautés ou ne servent plus à soutenir ou à contribuer à leur construction identitaire.
Quoiqu’il soit difficile d’estimer à quel point colmater la brèche fiscale pourrait rapatrier des fonds vers les médias communautaires membres du consortium, le consortium est d’avis que cela pourrait bel et bien servir à soutenir les médias en difficulté, selon les statistiques présentées dans l’étude.
Selon le consortium, l’application non systémique de l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas raisonnable. Plus particulièrement, le consortium tient à insister sur le point de l’étude selon lequel une nouvelle interprétation de la définition d’un journal ou d’un périodique au terme de la Loi de l’impôt sur le revenu est nécessaire afin de refléter la réalité actuelle.
Au sein d’un mouvement déclenché par La Presse+, les médias communautaires traversent une période de mutation technologique. Ils ont des sites web, et plusieurs exploitent les formats papier et numérique en même temps. Le phénomène du virage numérique est en plein essor, et la distinction entre les médias physiques et numériques de l’ARC ne reflète plus la réalité des médias communautaires membres de notre consortium.
Une réponse à l’étude présente l’occasion parfaite pour le consortium de réitérer l’importance que revêtent les placements publicitaires gouvernementaux pour la pérennité des médias de nos communautés. Quoiqu’elle soit seulement indirectement liée aux recommandations de l’étude, la publicité fédérale reste un sujet central des médias communautaires membres du consortium et demeure au cœur de ses activités. Les revenus des médias communautaires membres du consortium ont chuté considérablement en raison d’une diminution des revenus publicitaires provenant des ministères et des agences du gouvernement fédéral.
À titre indicatif, les placements publicitaires du gouvernement dans les médias de langue officielle sont passés de 1 938 876 $ en 2006-2007 à 422 269 $ en 2014-2015. En 2015, des plaintes liées à la baisse draconienne des placements publicitaires gouvernementaux destinés aux médias ont été déposées au Commissariat des langues officielles du Canada. Le rapport final d’enquête de la commissaire aux langues officielles par intérim a été déposé en juin 2017 et inclut les conclusions suivantes :
Il ressort de l’enquête que les institutions fédérales ont, effectivement, de plus en plus tendance à se servir d’Internet pour leurs publicités et que ce média est favorisé depuis au moins dix ans, non pas parce qu’une directive a été publiée à ce sujet, non pas parce que la Politique de communication de 2006 les y oblige, mais parce qu’Internet est devenu un incontournable en cette ère de communication électronique. [...] Ce faisant, on observe également en contrepartie une diminution constante et généralisée des revenus publicitaires des journaux et des radios à travers le pays, comme c’est le cas pour les journaux et les radios communautaires des CLOSM.
En bref, le consortium appuie ces recommandations et soutient qu’en plus de colmater la brèche fiscale, les instances gouvernementales devraient songer à faire un investissement stratégique dans les médias communautaires en situation minoritaire afin de reconnaître leur caractère unique et les besoins des communautés de langue officielle dans leur ensemble. Concrètement, comme solution à court terme, le consortium recommande que le gouvernement fédéral :
1) Dédie 5 % des publicités gouvernementales aux médias communautaires en situation minoritaire. Il y a en ce moment plus de 2 millions de francophones et d’anglophones en situation minoritaire au Canada, ce qui équivaut à 5,5 p. 100 de la population du Canada. Le consortium revendique une enveloppe publicitaire permanente de 2 millions de dollars — ce qui est l’équivalent d’environ 5 p. 100 de l’enveloppe publicitaire de Services publics et Approvisionnement Canada, qui est d’environ 40 millions de dollars.
2) Fasse un investissement stratégique, par l’entremise des organismes nationaux représentant les médias communautaires en situation minoritaire, dans des projets spéciaux structurants de diffusion dans les médias communautaires qui permettront de réinjecter des fonds d’urgence directement dans tous les médias communautaires.
3) Explore la possibilité de créer un crédit d’impôt remboursable pour la production d’information d’actualité quotidienne tel que recommandé aux pages 28 et 29 du rapport rédigé par MCE Conseils.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup. Je vais maintenant demander à M. Holmes de faire son exposé, puis nous passerons aux séries de questions.
Matthew Holmes, président et chef de la direction, Magazines Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs, c’est avec plaisir que je me joins à vous ce soir. Je suis président et chef de la direction de Magazines Canada, l’association nationale qui représente la majorité des magazines à contenu canadien appartenant à des Canadiens. Les périodiques des membres francophones, anglophones, autochtones et ethniques, couvrent un vaste éventail d’intérêts, de métiers et de communautés à l’échelle nationale.
Le mandat de votre comité, à savoir les transports et les communications, m’intrigue. Ce qui me frappe, c’est que la majeure partie de l’édification de notre nation est attribuable aux infrastructures de transport ou aux communications, souvent les deux à la fois. En fait, en 1970, dans son rapport phare sur les médias, le sénateur Keith Davey a déclaré que « Sur le plan de la survivance culturelle, [les magazines] pourraient éventuellement se révéler tout aussi importants que les chemins de fer, les lignes aériennes, les réseaux de radiodiffusion ou les ligues nationales de hockey; il leur est possible de soutenir, bien que d’une façon différente de celle des autres genres d’organes d’information, le sentiment d’identité dans l’esprit des Canadiens. Mais les magazines canadiens ont des difficultés. »
Je considère que votre discussion concernant une politique sur la taxe numérique est très importante et opportune.
Au Canada, on retrouve près de 2 700 magazines qui contribuent à créer des communautés de lecteurs. Ces communautés peuvent être géographiques ou linguistiques, elles peuvent aider à définir un groupe au moyen d’identités, de croyances ou de modes de vie communs, ou elles peuvent servir une catégorie de métiers ou de professions ou une classe créative. Les magazines peuvent fournir des renseignements d’affaires essentiels, des nouvelles, un journalisme narratif, ou ils peuvent fournir de l’information, du divertissement et de l’inspiration. Il y a un magazine pour tous les citoyens, partout au Canada.
Les magazines canadiens sont publiés dans 34 langues et dans tous les territoires et provinces du pays. Les périodiques d’intérêt général axés sur les éditoriaux représentent 51 p. 100 de tous les magazines, suivi des magazines d’affaires et des magazines professionnels, y compris des périodiques agricoles qui totalisent 39 p. 100 des magazines. Les périodiques ethniques et les périodiques d’arts et de culture représentent chacun 5 p. 100 du total.
Les marques de magazines joignent plus de trois quarts des Canadiens de tout âge, toute plateforme et tout événement confondus — format imprimé, numérique et mobile, médias sociaux, vidéos, webinaires, événements en direct, même virtuels.
Malheureusement, au cours des dernières années, les conditions économiques sous-jacentes à la vente de magazines d’intérêt général, en particulier au Canada, se sont effondrées. Les dépenses publicitaires au Canada sont passées de la publicité imprimée aux plateformes numériques. Par la suite, la publicité numérique a été transférée à l’étranger, principalement auprès de distributeurs de contenus numériques établis aux États-Unis. Entre 2007 et 2017, les recettes publicitaires ont diminué de moitié, passant de 732 à 390 millions de dollars. Ce déclin s’est accéléré d’un tiers au cours des quatre dernières années. Je dirais même que je minimise les chiffres, qui ont probablement diminué davantage.
Maintenant que vous avez une idée de notre industrie, permettez-moi d’aborder de nouveau la question de l’infrastructure qui contribue à l’appuyer. Dès le début de nos chemins de fer nationaux, à l’époque où les gares étaient également des stations de radio qui ont finalement entraîné la formation de notre radiodiffuseur national, notre capacité de communiquer avec nos concitoyens a été établie grâce à l’infrastructure et à une politique culturelle proactive. Le soutien que le Canada apporte au secteur des magazines est plus ancien que le pays lui-même; il précède la Confédération. Comme les chemins de fer, le programme original de subventions postales était conçu pour veiller à ce que les Canadiens des quatre du pays aient accès les uns aux autres par l’intermédiaire de renseignements et d’histoires qui nous unissent.
Le principal soutien permanent apporté aux magazines est le Fonds du Canada pour les périodiques, un programme qui est essentiel à notre industrie. Le Fonds du Canada pour les périodiques est également étayé par la Loi sur les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de 1999, qui limite l’espace que les éditeurs étrangers peuvent vendre à des annonceurs canadiens dans une édition canadienne à tirage dédoublé, ainsi que par le paragraphe 19.01(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Toutefois, comme vous le savez, ces dispositions n’ont jamais été appliquées à des formats numériques qui, pour la plupart, n’existaient pas au moment où la mesure législative a été rédigée.
Comme mes collègues l’ont signalé, les annonceurs privés et notre propre gouvernement continuent de consacrer des sommes d’argent record à l’achat de publicités numériques étrangères. Facebook et Google touchent plus de 70 p. 100 des recettes totales générées par la publicité en ligne, et ils empochent 90 p. 100 de chaque dollar dépensé dans ce secteur. Cet argent quitte le pays sans être taxé et appuie les groupeurs de contenu étrangers qui ne créent pas d’emplois au Canada ni de contenu local. De plus, cet argent n’apporte plus une source de revenus à nos médias et créateurs culturels nationaux.
Je remarque que, dans les deux principales recommandations du rapport intitulé Le miroir éclaté publié par le Forum des politiques publiques en janvier 2017, on demande aux décideurs d’améliorer l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu afin qu’il s’applique au contenu numérique, qu’il mette les différentes plateformes sur un même pied d’égalité et qu’il incite les annonceurs à acheter des publicités dans les médias canadiens. De plus, le gouvernement devrait appliquer la TPS et la TVH aux recettes générées par la publicité numérique et les abonnements à des services numériques afin de supprimer un désavantage fiscal imposé aux entreprises canadiennes par rapport à leurs concurrents étrangers.
L’étude plus récente que les Amis de la radiodiffusion a présentée au comité pour éliminer l’échappatoire repose principalement sur le postulat voulant que la publicité achetée sur des médias étrangers en ligne qui agissent à titre de services de diffusion et d’information ne devrait plus être considérée comme une dépense déductible en vertu de l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Magazines Canada appuie ces deux positions. De fait, vos propres collègues de la Chambre des communes en sont arrivés aux mêmes conclusions au cours de la présente session.
Les membres du comité sauront que le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a publié son rapport sur les bouleversements en juin 2017.
Dans ce rapport, le comité recommande de modifier les articles 19, 19.01 et 19.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour que les annonceurs et les plateformes de contenu étrangers soient assujettis aux mêmes obligations fiscales que les entreprises canadiennes.
Dernièrement, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes a recommandé, dans son rapport sur le commerce électronique publié en avril 2018, que le gouvernement s’assure que le régime fiscal soit équitable en veillant à ce que les ventes en ligne soient taxées dans les provinces où les produits sont consommés et où les activités liées aux revenus ont lieu. Il devrait en outre appliquer la taxe de vente sur les produits et services vendus ici par des vendeurs étrangers.
Nombre de pays ont commencé à éliminer les congés fiscaux pour les entreprises numériques étrangères; c’est notamment le cas de l’Union européenne, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, de l’Afrique du Sud, de la Corée du Sud, du Japon, d’Israël et de bien d’autres. Confrontés à un monde numérique sans frontière, la plupart de ces pays ont décidé d’imposer la taxe à l’endroit où vit le consommateur plutôt qu’à l’emplacement où se trouve le siège social de l’entreprise. De façon générale, les grandes sociétés faisant affaire dans ces pays se sont conformées à ces mesures.
Je ne comprends absolument pas pourquoi le Canada ne peut pas commencer à s’attaquer à ce problème afin d’établir des conditions égales pour tous, d’assurer l’équité fiscale et, ici encore, de faire en sorte que les infrastructures de notre pays appuient les industries de la culture et des communications qui contribuent à nous unir.
Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Je voudrais vous remercier tous de vos exposés, qui contenaient des renseignements utiles et certainement convaincants à bien des égards.
Je sais que M. Sonier est ici pour aider à répondre aux questions posées au consortium. Commençons donc à poser des questions.
[Français]
La sénatrice Gagné : Ma question s’adresse à M. Sonier. Avant de commencer, je tenais à vous remercier de vos présentations.
M. Sonier, dans votre mémoire, vous recommandez que le gouvernement accorde 5 p. 100 des publicités gouvernementales aux médias communautaires en situation minoritaire. Le calcul est basé sur le fait qu’il y a 2 millions de francophones et d’anglophones en situation minoritaire. Ces données proviennent de statistiques de 2011 de Statistique Canada et représentent environ 5,5 p. 100 de la population du Canada.
À titre de commentaire, je qualifie votre demande de très modeste, compte tenu du fait que le marché potentiel de la presse écrite et des radios communautaires est beaucoup plus élevé et que plusieurs francophiles consommeront également une part du contenu. Lorsqu’on ajoute les personnes qui ont une connaissance de la langue, je pense que l’histoire est tout autre. Par exemple, pour ce qui est du français au Canada, hors Québec, le nombre augmente d’environ 50 p. 100 quand on ajoute ces personnes. Alors, pourquoi limite-t-on la demande seulement à 5 p. 100 dans votre recommandation?
Francis Sonier, président, Association de la presse francophone : Bien entendu, 5 p. 100, cela peut paraître modeste, mais il faut comprendre que c’est une mesure à très court terme. Au cours des 12 dernières années, ce montant a été perdu en matière de publicité dans les médias communautaires. C’est certainement un minimum, et c’est une mesure à très court terme. Ce n’est pas la seule mesure également, car il faut davantage de publicité.
Le deuxième point qu’on propose aujourd’hui, ce sont des projets spéciaux, des projets structurants, comme des cahiers spéciaux, par exemple, sur le droit de vote des femmes ou le 100e anniversaire de la Ligue nationale de hockey. Ce sont des projets qui permettent au gouvernement fédéral d’octroyer des fonds, de faire connaître des phénomènes ou des périodes de l’histoire qui sont importants pour les Canadiens. Ces projets servent aussi à informer les gens et à leur permettre de se servir des médias communautaires en place qui ont une présence et une crédibilité au sein des communautés. Donc, c’est un deuxième élément qui permet une augmentation des revenus, et non seulement de 5 p. 100, mais en sus des 5 p. 100.
La sénatrice Gagné : Dans votre mémoire, au paragraphe 14, le consortium soutient que le gouvernement fédéral devrait en parallèle freiner son utilisation accrue d’Internet en tant que média publicitaire pour joindre le public, ce qu’il fait au détriment d’outils plus traditionnels, tels les journaux et les radios communautaires.
Hier, les fonctionnaires de Patrimoine canadien ont témoigné, ici même, devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, et ils ont précisé que le gouvernement avait recours à des publicités web sur Facebook, entre autres, afin d’obtenir un bon retour sur son investissement en matière de dépenses publicitaires. Que répondez-vous à cela?
M. Sonier : J’ai de la difficulté à comprendre qu’on choisisse absolument des médias sociaux pour faire de la publicité. Plusieurs journaux ont des sites d’information très populaires où on ne voit pas cette publicité fédérale. Pourtant, ce sont des journaux, des sites web, peu importe la plateforme, qui rejoignent les communautés. Un dernier sondage de Totum Research en février mentionnait que 9 Canadiens sur 10 lisaient un journal ou le contenu d’un journal, peu importe la plateforme. On parle de 60 p. 100 des journaux uniquement, mais si on rajoute toutes les autres plateformes numériques qui sont liées à ces journaux, qui ont une crédibilité et une présence dans les communautés, on parle de 9 Canadiens sur 10.
On peut donc croire que les médias sociaux sont très efficaces, mais les journaux et les sites de nouvelles des journaux sont extrêmement puissants, tout comme les radios communautaires et les sites de ces radios. Je veux bien croire qu’Internet est important, mais on n’investit pas aux bons endroits si on s’en remet à Internet, d’autant plus qu’on n’investit pas au Canada; on investit ailleurs, dans des entreprises qui ne paient aucun impôt au Canada. C’est problématique.
M. Côté : J’aimerais ajouter quelque chose à ce qu’a dit mon confrère. Marc S. Pritchard, le directeur de marketing de Procter & Gamble, a dit cette semaine qu’une grande partie de la publicité digitale est investie en pure perte. L’entreprise entend donc diriger 50 p. 100 de ses investissements sur le numérique pour les diriger vers les médias plus traditionnels comme la radio, les journaux et la télévision.
Sur Internet, vous pourrez lire des articles incroyables sur la fraude en matière de publicité et sur les clics, et cetera. On parle de milliards de dollars de fraude. Alors, je pense qu’à un moment donné il faudra se mettre à jour, à savoir ce qui se passe réellement sur Internet avec la publicité, parce que le retour ne le justifie pas. Si les grands PDG des grandes entreprises le disent, j’imagine que cela doit être vrai.
Le sénateur Cormier : C’est à mon tour de vous remercier, d’une part, de vos présentations, mais aussi pour le travail que vous faites. L’importance des médias locaux et de proximité n’est plus à défendre. Tous les arguments que vous avez apportés, nous y adhérons.
J’essaie de mieux comprendre cette transition entre les formats imprimés et le format numérique. Vous disiez que vous n’étiez pas contre le numérique, que vous vous orientiez vers cela et que vous aviez un manque de ressources pour y arriver. J’aimerais mieux comprendre la question du revenu publicitaire dans ce contexte. En d’autres mots, est-ce que les types de publicité que vous seriez susceptibles d’inscrire dans des formats numériques seraient différents du format papier? Évidemment, je comprends que les revenus publicitaires qui sont déficients de la part du gouvernement enfreignent votre développement, mais comment les revenus publicitaires pourraient-ils favoriser cette transformation vers le numérique? Et quels seraient les impacts sur le type de publicité numérique?
C’est ma première question. Libre à vous, monsieur Sonier ou madame Lauzon, de répondre.
Mme Lauzon : Je pense qu’il est clair qu’il n’y a pas d’équivalence en ce moment. Lorsqu’on parle d’une publicité numérique, dans un journal ou ailleurs, c’est très différent. D’abord, le prix est beaucoup plus bas et le retour sur l’investissement est beaucoup plus bas. M. Sonier pourrait probablement vous en donner le ratio. Nous travaillons là-dessus en ce moment avec Patrimoine canadien et avec le Fonds des médias du Canada, pour faire avancer un projet numérique qui permettrait d’avoir un agrégateur dont feraient partie tous nos journaux. Cela favoriserait la circulation qui est demandée, non seulement par le gouvernement du Canada, mais aussi par les grandes compagnies nationales, les Telus et les Ford de ce monde.
Alors, l’Association de la presse francophone et la QCNA travaillent en partenariat dans ce dossier, mais le modèle d’affaires de ces plateformes est complètement différent de la façon dont on vend les choses, et cetera. On s’est aperçu que, bien qu’on puisse vendre de la publicité numérique... J’ai deux exemples importants. Le premier exemple est celui d’un client qui nous est arrivé. On est le partenaire médiatique d’un grand partenaire national, et on produit une campagne importante, comme les Rendez-vous de la Francophonie. À titre de partenaire médiatique, on fait l’insertion, l’encartage du journal, les papiers, et on a fait également les analyses auprès des annonceurs. Or, Air Canada ne veut pas avoir de publicité numérique, ne veut pas que le cahier devienne numérique, et veut que les gens aient dans leurs mains un cahier qui contient une publicité d’Air Canada. VIA Rail y apparaît aussi, et cetera.
Il faut donc trouver un modèle hybride qui va nous permettre de faire cette transition sur les 10 ou 15 prochaines années. Un exemple typique que je donne toujours, c’est Le Voyageur de Sudbury, qui compte 18 000 abonnés; si, demain, ces abonnés se tournent vers le numérique, Le Voyageur ferme ses portes. Il perd environ 80 p. 100 de ses abonnés. Voilà ce qui est important en ce moment.
Le sénateur Cormier : Est-ce qu’il perd ses abonnés parce que ceux-ci préfèrent le format papier au format numérique?
Mme Lauzon : Exactement. Tout cela pour dire qu’il faut trouver un modèle hybride qui nous permettra de développer un plan d’affaires transitoire qui va nous amener à trouver des modèles au rythme de chaque communauté, parce qu’il n’y a pas un seul modèle qui répond aux besoins de toutes les communautés; c’est différent au Nouveau-Brunswick, c’est différent au Yukon, c’est différent au Québec. Donc, la publicité et le modèle d’affaires liés au plan d’affaires publicitaire doivent changer complètement, que ce soit la publicité du gouvernement ou de la publicité privée. Il n’y a pas de réponse toute faite à ce sujet.
Le sénateur Cormier : Dans le budget fédéral de 2018, le gouvernement a annoncé un programme de 50 millions de dollars sur cinq ans pour appuyer le journalisme local. Lors de l’annonce du Plan d’action pour les langues officielles, on a su qu’il y avait 10 millions de dollars sur cinq ans, dont 5 millions pour des emplois étudiants prévus au sein de médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire. Vous faites, depuis plusieurs années, une demande d’urgence en vue d’assurer cette transition. Ce financement répond-il à vos demandes?
Mme Lauzon : Non. Cela ne répond pas à nos demandes.
Commençons par les 50 millions annoncés dans le budget pour appuyer les nouvelles locales. Tout d’abord, personne n’aura accès à ces sommes avant le prochain exercice financier. La façon dont ce sera distribué n’a pas encore été déterminée. On est en négociation avec Patrimoine canadien pour essayer d’obtenir une enveloppe dédiée. Rien n’est décidé pour le moment. Est-ce qu’on va mettre la main sur ces sommes? On ne le sait pas encore, mais on y travaille.
Dans le Plan d’action pour les langues officielles, une somme de 10 millions a été versée dans un fonds stratégique. Ce ne sont pas des fonds d’urgence. La ministre a été claire à ce sujet, ce sont des fonds pour développer la capacité des médias. C’est la même chose pour les fonds destinés à Jeunesse Canada au travail, pour les stagiaires. Ce sont des fonds pour aider à développer les capacités qui permettront la transition vers un nouveau modèle d’affaires.
Cela dit, si on n’est pas stable en ce moment, si on n’a pas de fondation, comment peut-on faire du développement des capacités? Oui, on travaille encore avec le Comité permanent sur les langues officielles de la Chambre des communes, et le dossier est très actif, afin de recevoir un fonds d’urgence pour stabiliser le secteur et pour utiliser de la façon la plus efficace possible les 10 millions de dollars, les 4,5 millions et, peut-être, éventuellement, une portion des 50 millions de dollars afin de bâtir notre réseau et notre milieu et, aussi, afin d’éviter de se retrouver à la même place dans cinq ans.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Ma première question s’adresse à un groupe et les suivantes, à tous les groupes.
Ma première question concerne le consortium. À la page 3, au point numéro 14, vous demandez au gouvernement fédéral d’envisager de freiner son utilisation d’Internet en tant que média publicitaire pour joindre le public. Voilà qui me rend perplexe, car ne devrait-il pas avoir la responsabilité de communiquer avec la population en recourant aux médias qui retiennent déjà leur attention?
[Français]
M. Côté : Vous avez raison, le gouvernement a aussi le devoir d’atteindre tous les Canadiens et toutes les Canadiennes. Les gens qui sont à Gravelbourg, en Saskatchewan, sont encore au 56 K, ils n’ont pas Internet haute vitesse. Même dans l’Est ontarien, c’est encore le cas, il n’y a pas de haute vitesse. Au Yukon et dans les Territoire du Nord-Ouest, il coûte une fortune pour avoir accès à Internet et aux données. Ces gens dépendent de nous, les médias des communautés, pour les informer.
Si le gouvernement met tous ses œufs dans le même panier, à un moment donné, ce n’est pas tous les Canadiens qu’il atteint, ce n’est qu’une partie des Canadiens, et la majorité de ces Canadiens se retrouvent dans les grands centres et non dans les régions éloignées.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Dans votre document, dites-vous qu’il utilise trop la publicité sur Internet?
[Français]
M. Côté : Oui, c’est ce que l’on dit.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : C’est trop.
M. Côté : C’est trop. Une partie de l’argent dépensé à cette fin devrait être investie dans les médias traditionnels plutôt que sur Internet.
La sénatrice Griffin : Il pourrait investir davantage dans les deux modes de communication.
M. Côté : En effet.
La sénatrice Griffin : Les questions que j’ai pour tous les groupes portent sur le Cadre stratégique du Canada créatif annoncé en septembre dernier, lequel vise à fournir une vision et une approche nouvelles à l’égard des industries créatives et à faire croître l’économie créative. J’aimerais savoir deux choses. Tout d’abord, avez-vous été consultés quand ce cadre stratégique a été élaboré? De plus, considérez-vous qu’il appuiera les médias d’information locaux du pays? Nous pourrions commencer de ce côté-ci et faire le tour.
M. Holmes : Je vous remercie de nous poser ces questions. Nous avons certainement été consultés et nous avons participé tout au long au processus. J’ai assisté au discours au cours duquel la ministre a procédé au premier dévoilement du cadre.
Nous accordons notre faveur et notre soutien au Cadre stratégique du Canada créatif. La ministre Joly a essentiellement annoncé que le Fonds du Canada pour les périodiques — lequel, comme je l’ai souligné, revêt une importance capitale pour notre industrie — demeurera le principal moyen par lequel le gouvernement du Canada offrira son soutien aux magazines et aux journaux communautaires. J’admets que le journalisme civique et les médias d’information sont aux prises avec un bien plus gros problème, particulièrement à l’échelle locale. Je ne suis pas certain qu’une enveloppe ayant le niveau de financement actuel suffira à le résoudre. Ce qui me plaît avec le cadre stratégique, toutefois, c’est que le gouvernement adopte une approche stratégique globale à l’égard du secteur culturel. C’est ce qui faisant défaut avant.
Au cours des trois dernières années, j’ai comparu devant de nombreux comités de la Chambre et du Sénat afin de traiter des politiques en matière de publicité et de taxation des services numériques du gouvernement, et de ses investissements dans les services d’information et les médias. Chaque ministère ou groupe responsable d’un élément peut affirmer que ce qu’il accomplit ne résoudra pas le problème et que le fait qu’il apporte un changement ne réglera rien. Personne ne pourra résoudre le problème en ne s’occupant que d’une petite pièce du casse-tête. La question est complexe, et c’est pourquoi il faut adopter une approche stratégique.
Nous appuyons le début de la démarche, mais pensons que des années de travail nous attendent.
M. Saras : Je pense que la somme de 10 millions de dollars annoncée par le gouvernement est un boni unique. Tout dépendra du mécanisme au moyen duquel les fonds seront distribués. Nous sommes tous très différents, qu’il s’agisse des magazines grand public, des journaux communautaires, des magazines et des journaux du Québec ou, du milieu, de la presse ethnique. Par exemple, les membres de la presse ethnique n’ont reçu que 2 des 57 millions de dollars que comprenait l’enveloppe de Patrimoine canadien. J’apprends aujourd’hui que ce sera mieux cette année, mais vous devez comprendre qu’il est injuste d’accorder à peine 2 millions de dollars à 850 publications alors que l’enveloppe en contient 57 millions.
Je continuerai de m’interroger jusqu’à ce que je sache de quelle manière le gouvernement décidera de distribuer les fonds.
La sénatrice Griffin : Merci.
Je pose de nouveau les deux mêmes questions au consortium : avez-vous été consultés à propos du cadre stratégique, et considérez-vous qu’il appuiera les médias d’information locaux au pays?
Mme Lauzon : Oui, nous avons été consultés par l’entremise de la Fédération culturelle canadienne-française.
[Français]
C’est l’organisme national qui s’occupe de ce dossier du côté de la francophonie.
Cela dit, oui, nous étions présents lors de l’annonce, avec la ministre. Nous avons accueilli cette mesure très favorablement. Notre déception est liée au fait qu’un tas de mesures comme celle-là sont annoncées, mais qu’elles ne font pas partie d’un plan global. C’est ce qui nous préoccupe. On regarde un dossier, on agit seul sur une question ou une autre, on travaille en silos. Puis, on essaie de composer avec le tout et de se faire un plan d’action qui va nous permettre d’arriver à nos fins. Il faut beaucoup de temps pour accéder à ces fonds et il y a plusieurs paramètres. De plus, c’est très onéreux pour nos petits médias.
J’abonde dans le même sens que mon collègue des radios ethniques. Pour une petite station de radio ou pour un petit journal communautaire, faire une demande de subvention dans le cadre de ces programmes est un exercice complexe.
Alors, oui, c’est une bonne nouvelle, mais il faudrait une approche consolidée de tous les programmes qui existent, y compris Un Canada créatif.
M. Côté : Monsieur Holmes a résumé la situation parfaitement. Je suis d’accord avec ce qu’il a dit.
Un Canada créatif est un processus qui va prendre du temps à mettre en place. Or, nous vous parlons de l’urgence de la situation, en ce moment, pour les médias au pays.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Merci à tous de témoigner. Nos bureaux disposent d’un budget pour l’achat de périodiques et de journaux. Je ne suis pas abonné à des journaux nationaux ou des publications de cette nature. J’achète toutefois les hebdomadaires locaux de la Nouvelle-Écosse, que j’aime beaucoup, car il s’y trouve toutes sortes d’informations. Comme je ne regarde plus les nouvelles nationales, rien d’étonnant à ce que je n’achète pas de journal national. Je trouve très libérateur de ne pas regarder les nouvelles nationales.
J’ai une question pour vous tous.
Je commencerai par vous, monsieur Saras. Vous dites qu’il existe 850 publications ethniques. Ce chiffre inclut-il des journaux anglophones et francophones canadiens?
M. Saras : Non. Il n’inclut que les publications rédigées dans une troisième langue. Certaines d’entre elles sont toutefois imprimées en anglais ou en français. Parmi nos membres, par exemple, l’Express de Toronto nous appartient, mais c’est un journal francophone.
Si vous me le permettez, je vous donnerai l’exemple du Sri Lanka Reporter, qui est censé s’adresser aux immigrants sri-lankais, mais qui est écrit en anglais.
Quelques publications sont donc rédigées en anglais ou en français, mais 95 p. 100 des périodiques sont publiés dans une autre langue, certains comprenant quatre ou cinq pages en anglais destinées à la deuxième génération d’immigrants.
Le sénateur MacDonald : Je veux interroger M. Côté et Mme Lauzon à propos des hebdomadaires francophones et anglophones. En connaissez-vous le nombre?
Mme Lauzon : Voulez-vous parler du nombre total de journaux de langue officielle?
Le sénateur MacDonald : Oui.
Mme Lauzon : Il y a en a 95 actuellement. Ce n’est pas beaucoup.
M. Côté : Ce chiffre inclut la radio.
Mme Lauzon : Cela inclut la radio. Pour vous donner la répartition, si ma mémoire est bonne, le Québec compte 37 journaux communautaires anglophones, alors qu’il existe 24 journaux francophones à l’extérieur de la province…
M. Côté : Vingt-huit.
Mme Lauzon : … qui sont membres de l’alliance, mais il y en a d’autres.
M. Côté : Deux autres vont y adhérer.
Mme Lauzon : Oui, en effet.
Le sénateur MacDonald : Je crois ardemment aux journaux communautaires parce qu’ils évitent de recevoir de l’information homogénéisée. Ils publient des nouvelles qui concernent vraiment les communautés, ce que je considère comme bénéfique.
Vous avez souligné l’absence de plan global. Je pense que c’est un des gros problèmes : tout est fait à la pièce et sert à acheter de l’espace publicitaire à des fins politiques pour six mois. Nous sommes tous coupables à cet égard.
Je pense que nous devrions tenter d’encourager le gouvernement ou les décideurs à adopter une approche applicable partout. La dernière chose que l’on veut, c’est un fonds à propos duquel un groupe de politiciens et de bureaucrates choisissent les gagnants et les perdants. Je ne veux pas que des journaux soient soumis à pareil traitement, car ce serait injustement concurrentiel et prédateur.
J’aime l’idée d’éliminer potentiellement les congés fiscaux des entreprises numériques étrangères. C’est le genre de solutions que nous devrions envisager, selon moi.
En ce qui concerne une approche qui conviendrait à tous les journaux au lieu du simple versement de subventions, pourrait-on mettre en place une solution globale qui servirait vos intérêts en général? Je pense à l’élimination de l’incitatif fiscal dont bénéficient les entreprises numériques étrangères. Existe-t-il d’autres solutions, outre les mesures que nous pourrions appliquer?
Mme Lauzon : Nos membres sont très diversifiés; ils sont semblables et pourtant si différents. Je ne pense pas qu’un modèle pourrait convenir à tous actuellement, si c’est ce que vous voulez savoir.
Si les fonctionnaires de Patrimoine canadien m’entendaient, ils diraient « Encore cette rengaine », mais sachez que nous travaillons à un plan d’action harmonisé avec tous les ministères concernés. Dans le mémoire que nous avons déposé en 2016 dans le cadre des consultations sur les langues officielles, nous avons parlé de Revenu Canada, d’Industrie Canada et des ministères qui pourraient être concernés.
Nous demandons au gouvernement — et dans notre cas, à Patrimoine canadien, qui est responsable de la Loi sur les langues officielles — de réunir les parties prenantes à la même table afin d’établir un plan et d’attribuer un rôle à chacun afin de faire en sorte que cela fonctionne. Nous avons proposé à Patrimoine canadien de se servir de nous comme modèle dans le cadre d’un projet pilote pour qu’on puisse le proposer aux divers secteurs et mobiliser tous les ministères concernés.
À l’heure actuelle, les ministères travaillent séparément et doivent traiter chaque secteur différemment. Il y a des manières de le faire et — fait très intéressant dont nous parlons beaucoup aux politiciens — avec des fonds qui existent déjà, pas de l’argent nouveau. C’est ce qui est formidable à cet égard. Si le consortium formulait une recommandation, il proposerait de se réunir avec lui pour voir ce qu’on peut faire en travaillant à un plan harmonisé faisant intervenir un grand nombre de ministères concernés avec les fonds déjà existants. Nous avons d’excellentes idées. Je suis certaine que les ministères seraient enchantés de les entendre.
M. Saras : Je veux ajouter qu’il existe une autre différence : celle entre les prix que les médias grand public et les médias ethniques demandent. La page publiée dans le Toronto Star au prix de 45 000 à 50 000 $ coûtera 500 $ dans une publication ethnique. Ainsi, si on analyse la situation pour voir quelles sommes accorder, nous nous retrouverons toujours bons derniers. Il nous est impossible de faire concurrence aux autres publications.
À l’heure actuelle, bien entendu, nous collaborons avec Patrimoine canadien, qui fait de son mieux pour améliorer la situation. Il comprend. Pour nous, le problème vient de Travaux publics Canada, qui gère les publicités du gouvernement. Ses fonctionnaires ignorent la nature exacte de l’industrie, car nous quatre représentons une industrie. Mon secteur, son secteur et leur propre secteur constituons l’industrie canadienne de l’impression. Nous ne pouvons même pas communiquer avec les fonctionnaires pour leur expliquer la situation. Aucune règle ne régit la manière dont les publicités sont publiées et distribuées.
M. Holmes : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, je dirais que non seulement il n’existe pas de règle actuellement, mais il y a une politique d’optimisation des dépenses qui fait en sorte qu’on privilégie le volume maximal. À l’instar de bien des annonceurs, les fonctionnaires aiment les chiffres qu’ils obtiennent. Pour ce qui est de savoir si 90 p. 100 de ces chiffres sont faux, c’est une autre histoire. J’ai ici un exemple parfait. Entre nos membres, les relations interentreprises et commerciales sont très solides et fort dynamiques dans le secteur. À l’heure actuelle, le marché international et les règles commerciales étant, au mieux, mouvants en raison du chaos total et de l’incertitude soulevés par le Brexit et l’ALENA, nos médias d’affaires jouent plus que jamais un rôle crucial en recueillant et en diffusant, en temps opportun, l’information dont les entreprises et les gens ont besoin pour prendre des décisions d’achat et d’affaires dans l’industrie.
Lorsque le conflit du bois d’œuvre a malheureusement ressurgi récemment, le gouvernement a annoncé qu’il offrirait, pour un temps limité, un train de mesures d’aide aux usines en difficulté. J’ai appelé certains de nos membres qui s’occupent essentiellement de la question, puisqu’ils publient les seuls périodiques portant précisément sur l’industrie du sciage du bois, pour leur demander si Travaux publics avait communiqué avec eux pour publier des annonces afin de fournir de l’information à leurs lecteurs au sujet de ce train de mesures très importants parce que, disons-le franchement, ce n’est pas par Facebook qu’on diffusera le message. Ils m’ont répondu par la négative.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Tout d’abord, bienvenue à vous tous et merci du travail que vous faites.
J’ai l’impression de vivre le Jour de la marmotte. Nous venons de terminer une étude sur les voitures autonomes. Nous vous entendons parler, et nous avons l’impression de voir dans le domaine des voitures autonomes la même chose que dans le domaine des médias. Le gouvernement n’est pas prêt, les actions du gouvernement sont éparpillées et ce sont les petits joueurs qui vont disparaître au détriment des grands joueurs internationaux.
Je regardais le lobbying qui se fait à Ottawa. Google a eu 291 contacts avec le gouvernement. Jamais une petite entreprise ou une petite association ne pourrait se le permettre.
On est au cœur d’une révolution telle qu’on n’en a pas vécu depuis Gutenberg, et cela s’est vraiment accéléré au cours des 10 dernières années. Ce que je constate, c’est qu’il n’y a pas de vision globale concernant la taxation, les subventions aux organismes du milieu, la distinction entre petits et grands; tout est une espèce de pizza et on ne sait pas qui va aller piger dedans.
Je compatis avec vous. Il est vrai que, dans les régions, surtout dans les régions éloignées, l’influence qu’on peut avoir est très mince comparativement aux grands joueurs internationaux, parce que tout se fait maintenant sur Internet, sur les médias sociaux, et on se demande quel est l’avenir des petits médias régionaux. Je me frappe la poitrine, et je me dis que je suis coupable trois fois, parce que j’utilise beaucoup plus les médias sociaux maintenant, tant pour mes activités professionnelles que personnelles.
Quand j’écoute M. Saras nous dire qu’il représente 800 médias et que le gouvernement n’a jamais fait affaire avec lui, c’est presque scandaleux. Les ethnies sont chez vous. On doit s’adresser non seulement aux groupes majoritaires, mais aussi aux petits groupes.
Je n’ai pas de question, mais je pense que nous avons tout un travail devant nous, comme comité. J’espère que le fait de vous avoir écouté nous permettra de formuler des recommandations sensées qui feront en sorte que le gouvernement prenne l’orientation que vous souhaitez. Je pense que ce défi a un horizon de 25 ans. J’espère qu’on vous amènera des pistes de solution pour que vous puissiez survivre dans vos régions, humainement et convenablement.
M. Côté : Je voudrais ajouter un petit commentaire à ce que vous venez de dire. Vous avez parlé d’un déclin depuis 10 ans. Il y a 10 ans, le budget de publicité du gouvernement fédéral était de 120 millions de dollars. Cette année, il est de moins de 40 millions de dollars. Vous voyez donc où le déclin s’est produit. Depuis 10 ans, c’est ce qui s’est passé.
[Traduction]
M. Saras : Je représente les nouveaux Canadiens. En ma qualité d’immigrant qui a suivi une formation d’avocat dans mon pays natal et ayant été journaliste pendant 53 ans au Canada, je peux dire qu’il y a assez d’argent pour aider l’industrie. Cette dernière traverse actuellement une période difficile, tant au Québec que dans le reste du Canada. Je pense que le gouvernement a la capacité et le pouvoir de trouver une solution qui aidera l’industrie et tout le monde. Je voudrais aussi profiter de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour demander aux frères et aux sœurs du Québec de se joindre à nous au sein d’une organisation nationale. Je ne comprends pas pourquoi il existerait une organisation de Québécois et une autre organisation pour le reste du Canada. Je suis désolé : je ne veux pas donner une impression négative, mais c’est aussi un problème. Il y a des immigrants qui publient au Québec, comme il y en a qui publient dans le reste du Canada. Je suis convaincu qu’ensemble, nous ferons plus de gains pour l’industrie et pour le pays et sur tous les plans. Merci beaucoup de votre attention.
La vice-présidente : Merci.
Le sénateur Mercer : J’ai l’impression que toute l’industrie, pas seulement l’industrie ethnique, mais aussi l’industrie grand public, est en grande difficulté, et nous sommes confrontés à ce problème. Assiste-t-on à un regroupement des ressources dans le domaine de l’impression?
L’impression est une étape onéreuse du processus. Il me semble que certains médias grand public ayant survécu, comme le quotidien de ma ville natale de Halifax, ne réussissent pas à s’en sortir grâce à ce qu’ils vendent dans leurs pages. Ce qui leur permet de poursuivre leurs activités, c’est l’impression de publicités, de circulaires et de divers dépliants.
Les journaux sont une facette de la question : ils font de l’argent en imprimant autre chose. Ils se sont regroupés, acquérant presque toutes les autres imprimeries de la province. Les journaux ethniques ont-ils fait de même? J’admets que le pays est vaste et on ne peut regrouper toutes les publications. J’ai vécu huit ans dans l’ouest de Toronto, où on trouvait un foisonnement de journaux ethniques français, polonais, ukrainiens, lettons et estoniens. Je me souviens de tous ces journaux. Ont-ils regroupé leurs activités?
M. Saras : À l’heure actuelle, Toronto compte 287 publications dans 46 langues, dont certaines s’impriment en une nuit.
Le sénateur Mercer : Dans combien d’imprimeries?
M. Saras : Il en existe une vingtaine. Les Vietnamiens, les Coréens et les Hongrois ont leur propre imprimerie. Nous répartissons le travail entre les imprimeries en fonction du meilleur prix. Pour répondre à votre question, jamais les Sri-Lankais et les Tamouls ne décideront de publier ensemble une publication.
Le sénateur Mercer : J’admets que certains problèmes que les gens avaient dans leur ancien pays nuisent à la collaboration dans le nouveau pays. J’ai pu le constater, ayant vécu et travaillé à Toronto pendant huit ans.
L’autre problème dont nous n’avons pas parlé, c’est celui de la manière dont les médias ethniques sont exploités par les gouvernements, avec un « s » à ce dernier mot. Par exemple, l’an prochain, en 2019, je pense qu’on peut s’attendre à ce qu’ils dépensent davantage dans les médias ethniques en raison des élections. Je parle du gouvernement, ayant déjà dirigé un parti politique. J’avais dépensé plus dans les médias ethniques au cours d’une année électorale, et c’est naturel. Le gouvernement tend à accroître ses dépenses au cours des années électorales, et il faut trouver un moyen de répartir ces dépenses également.
Avez-vous été en mesure d’évaluer, au moyen de sondages ou de stratégies de marketing, la réaction aux publicités diffusées dans vos médias? S’il se vend des publicités, c’est parce qu’elles fonctionnent. Avez-vous pu évaluer les résultats des publicités du gouvernement?
M. Saras : À ce que je sache, sénateur, les bureaucrates de chaque communauté choisissent une publication qu’ils appuient, en fonction de critères que personne ne connaît. Les autres publications restent le ventre vide et se plaignent maintenant que le gouvernement les ignore et ne leur porte pas attention.
Nous réclamons sans cesse l’instauration de règles pour savoir comment la publicité sera distribuée. En outre, des agences privées extérieures à l’industrie communiquent avec nos membres pour leur proposer de leur trouver d’autres annonceurs s’ils leur donnent 30 p. 100 du prix obtenu pour la publication d’une publicité. Croyez-le ou non, à titre d’indépendant, je ne reçois jamais de publicités, alors que mon voisin, parce qu’il est associé à une agence, obtient toutes les publicités, mais doit remettre 30 p. 100 des recettes publicitaires à l’agence. Il lui remettra donc 300 $ pour une publicité de 1 000 $. C’est un mystère. Comment se fait-il que certains n’aient rien alors que d’autres obtiennent des publicités?
Certaines choses doivent changer et le gouvernement doit agir.
La vice-présidente : Je voudrais remercier nos invités de tout cœur. J’aime la passion et le savoir que vous nous avez communiqués ce soir, lesquels nous sont fort utiles dans le cadre de nos délibérations. Les temps sont difficiles, et les questions que nous examinons sont complexes. Vous avez fait la lumière sur bien des aspects. Je voudrais vous remercier tous.
Honorables sénateurs, notre prochaine rencontre aura lieu mardi matin. Nous recevrons alors Médias d’Info Canada, l’Association nationale des radios étudiantes et communautaires, et l’Alliance des producteurs francophones du Canada.
Sur ce, je vous dis bonsoir.
(La séance est levée.)