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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 39 - Témoignages du 2 octobre 2018


OTTAWA, le mardi 2 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 32, pour étudier la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications (la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication) pour tenir compte de l’évolution des secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications durant les dernières décennies.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : En juin dernier, le Sénat a autorisé le comité à examiner, en vue d’en faire rapport, la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications, soit la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication. Aujourd’hui, nous poursuivons cette étude spéciale.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, William G. Hutchison, agrégé de recherche, Laboratoire des politiques d’innovation, École Munk des affaires mondiales, Université de Toronto et, de chez Nordicity, Stuart Jack, associé. Je vous remercie, tous les deux, d’être présents à notre réunion.

M. Hutchison commencera, suivi de M. Jack. À vous la parole, monsieur Hutchison.

William G. Hutchison, agrégé de recherche, Laboratoire des politiques d’innovation, École Munk des affaires mondiales, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, monsieur le président et merci aux sénateurs. Bonjour. C’est la première séance à laquelle je participe depuis que j’ai suivi l’affaire du juge Kavanaugh aux États-Unis. J’essaierai de ne pas l’imiter comme l’a fait Saturday Night Live. C’est un véritable plaisir que d’être des vôtres. Merci.

Je m’appelle Bill Hutchison et je suis un ingénieur formé à McGill il y a de nombreuses années. J’ai quelques observations préliminaires à formuler.

J’ai demandé à la greffière : « Est-ce qu’une personne qui compte 60 ans d’expérience a droit à plus de temps pour les observations préliminaires? » Je lui ai posé cette question en vain, car elle ne m’a pas accordé plus de temps. Je ne parlerai pas plus vite non plus, mais je serai à votre disposition pour répondre aux questions.

Voilà 60 ans que j’innove et que j’aide le Canada dans sa transformation numérique. Je crois que je dois me mettre à jour tous les cinq ans, car bien des choses se passent. Aujourd’hui, je me tiens activement au fait des progrès. C’est une chose qu’il faut toujours faire, surtout au fur et à mesure que l’on vieillit, parce que les jeunes pensent qu’ils en savent beaucoup plus que nous. Je participe à trois conseils de recherche à l’Université de Toronto, en tant que président de l’un d’eux et à titre de participant dans le cas des deux autres. Au sein de deux de ces conseils, financés par le CRSNG ou le CRSH, deux organisations de financement nationales, des représentants de 15 universités du Canada se penchent sur les technologies de l’avenir ainsi que sur des enjeux économiques et sociaux.

J’ai une entreprise, et aujourd’hui, je dirige la conception d’une nouvelle communauté à Caledon, en Ontario, qui accueillera environ 15 000 habitants. Nous essayons d’en faire une des plus avancées et des plus « intelligentes » — terme qui signifie bien des choses, mais qui, en général, fait référence à l’utilisation de technologies numériques avancées à des fins sociales et économiques —, un véritable modèle pour le Canada.

J’ai consacré la majeure partie de l’an dernier à travailler avec la Ville de Vaughan, en Ontario, pour diriger un projet d’interaction avec les citoyens en vue de les amener à déterminer ce qu’ils veulent voir dans leur ville intelligente de demain.

Je mentionne ces deux choses, parce que les télécommunications et la disponibilité du contenu constituent la fondation de cette transformation dans nos villes. Plus de 60 p. 100 de la population du Canada vit en milieu urbain, ce qui signifie que ce sont les villes qui contribuent largement au PIB et aux innovations. Pourtant, du point de vue des télécommunications, les collectivités rurales et éloignées du Canada sont extrêmement importantes et, par conséquent, il faut leur accorder beaucoup d’attention.

Je vais décrire un peu quelques-unes des choses que j’ai accomplies au fil des ans. J’ai été président fondateur, fondateur ou cofondateur de 14 initiatives à but non lucratif au Canada, qui s’emploient toutes à contribuer à notre transformation. Il y a 40 ans, j’ai participé à la création de l’Alliance canadienne pour les technologies avancées, la CATA. Justement, ce soir, au Centre national des Arts, nous célébrons la création il y a 25 ans aujourd’hui de CANARIE. CANARIE est l’épine dorsale au Canada, ou la route Transcanadienne, si vous voulez, de toutes nos communications dans les domaines de la recherche et de l’éducation. Ce réseau a été créé il y a 25 ans, parce que le gouvernement, qui finance la majeure partie de la recherche au Canada, en avait assez de payer des tarifs commerciaux pour les communications entre les universités. Il a donc déclaré : « Créons une infrastructure spéciale comme d’autres pays l’ont fait. » CANARIE a maintenant 25 ans.

Le gouvernement fédéral m’a confié pendant trois ans la présidence du comité directeur qui a planifié et créé CANARIE. Certaines des grandes sociétés de communication n’ont pas aimé l’idée. Certaines d’entre elles appuyaient l’Ottawa Citizen. Le jour où nous avons annoncé le nom CANARIE, l’Ottawa Citizen a titré : « Cet oiseau ne volera jamais. » Je ne sais pas vraiment comment vole l’Ottawa Citizen aujourd’hui, mais CANARIE célèbre ses 25 ans. C’est l’un des principaux réseaux haute vitesse à large bande dans le monde. Il appuie aussi des organisations qui représentent le Canada partout dans le monde et il contribue largement à stimuler l’innovation dans les secteurs public et privé.

J’ai participé à deux ou trois autres choses dans le secteur public. J’ai été responsable, comme bien d’autres personnes, du Conseil consultatif national des sciences et de la technologie, créé par le premier ministre Mulroney. J’ai été coprésident fondateur de cet organisme.

Il y a 25 ans environ, j’ai commencé à mettre à profit mon expérience des communications et de l’informatique dans le domaine des villes, parce que je me suis rendu compte que, si les villes ne faisaient rien, il n’y a pas grand-chose qui se produirait. D’autres ordres de gouvernement peuvent assurément créer les cadres et elles ont un rôle important à jouer, mais si les choses ne se font pas dans les villes ou les collectivités — rurales et éloignées —, rien n’arrivera. J’ai donc créé Smart Toronto 1994, m’attirant des remarques de la mairesse Hazel McCallion qui, à cette époque, était la personne la plus âgée à occuper un poste de maire au Canada et probablement au monde. J’ai présenté un exposé aux collectivités avoisinant Toronto au sujet de ce qui se passait et de ce que je faisais à Toronto. J’étais plutôt satisfait de mon discours et, à la fin, j’ai demandé : « Y a-t-il des questions? » Mme McCallion m’a alors dit : « Je n’ai pas de question, monsieur Hutchison, mais j’ai un commentaire à faire. Vous êtes allé à McGill? » Je lui ai répondu : « Oui, madame la mairesse. » Elle m’a dit ensuite : « Je suppose que vous ne comprenez pas le terme “oxymoron” parce que les mots “smart” et Toronto ne vont pas ensemble. » Je n’ai pu que répondre : « Smart Mississauga ne sonne pas bien non plus, mais nous pouvons changer le nom, madame la mairesse, si vous le désirez. »

Je tiens à faire ressortir le fait que vous allez réécrire diverses lois. Celles-ci sont fondamentales pour la transformation de tout le Canada. De fait, il y a sept ans, le Parlement finlandais a déclaré que l’accès à la large bande est un droit de la personne. Il a fait cela afin de forcer les sociétés de téléphonie à fournir des services dans le Nord, ce qu’elles ne voulaient pas faire. J’ai souvent apporté ma contribution un peu partout dans le monde, notamment à Singapour et à Hong Kong.

Une autre chose est aussi pertinente dans mes antécédents. Pendant six ans, j’ai travaillé avec Waterfront Toronto. Cette organisation m’a demandé de faire en sorte qu’elle soit l’une des plus importantes organisations intelligentes dans le monde, parce qu’elle avait le mandat de créer 20 000 emplois. L’histoire des 20 dernières années nous a montré qu’une communauté intelligente crée plus d’emplois et attire plus d’investissements que ses voisins.

Je lui ai bien dit qu’il était essentiel qu’elle se dote de l’infrastructure de communication à large bande la plus avancée, et c’est ce que nous avons mis en place. Nous avons créé ce qui est essentiellement le réseau et l’infrastructure de communication de Waterfront Toronto sans l’aide du gouvernement ou de fonds publics. Même aujourd’hui, pour environ 60 $ par mois, on peut avoir un gigaoctet par seconde, la fibre optique, la même vitesse de téléchargement dans les deux sens, un portail pour la communauté, le WiFi gratuit dans toute la communauté et beaucoup d’autres choses encore. Cela coûterait près de 200 $ ou plus n’importe où ailleurs au Canada. Et on enregistre des profits. Cela vous donne une idée des marges et d’où nous en sommes. Waterfront Toronto maintiendra toujours... Il occupe probablement l’un des sept premiers rangs au chapitre des infrastructures de communication dans le monde.

Nous avons beaucoup de choses à faire. Hier, c’était un grand jour pour l’ALENA... comment s’appelle-t-il? Moi, je l’appelle le Can-Trum-Mex. J’ai mis Trump au milieu, pas au début. Enfin, c’est la version de demain de l’ALENA.

Cet accord est très important pour les exploitants de fermes laitières. Pour revenir aux communications, les machines à traire les vaches ont une intelligence extraordinaire. Il faut 10 gigaoctets par seconde de transmission de données entre une machine à traire et le nuage afin que le fermier puisse faire toutes les analyses qu’il doit faire en ce qui concerne les vaches et le lait. Trouvez-moi une ferme qui a 10 gigaoctets au Canada.

L’ALENA constitue un problème pour les exploitants de fermes laitières. La concurrence sera plus grande, alors les communications seront encore plus importantes pour eux.

C’était, essentiellement, ma déclaration liminaire, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Hutchison.

Stuart Jack, associé, Nordicity : Je m’appelle Stuart Jack. Je suis un associé chez Nordicity, à Ottawa. Je m’occupe des activités de TIC des entreprises de télécommunications. Nous sommes une petite firme de consultants qui se concentre sur la stratégie, ce qui signifie que nous planifions les télécommunications pour des fournisseurs de services, des exploitants, des nouveaux venus ainsi que des responsables de la réglementation et des politiques dans le domaine des télécommunications. Nous avons mené à bien des projets tant aux îles Samoa qu’à Singapour, à Chypre et au Suriname — mais il n’y a pas que des endroits qui commencent par S ou C —, il y également le Danemark et la Communauté européenne.

Nous connaissons assez bien les cadres de réglementation. Oui, le Canada a 30 ans de retard par rapport aux pratiques exemplaires des pays de l’OCDE pour ce qui est d’adopter une loi unique sur les télécommunications.

Je ne m’attarderai pas sur les détails de la législation. D’autres personnes plus compétentes que moi l’ont fait. M. Winseck et M. Geist ont comparu et ont traité de certains de ces aspects.

Je concentrerai mon discours sur des objectifs précis dans le cadre de la législation sur les communications, qui sera améliorée par les cadres de réglementation grâce à l’établissement de bons objectifs pour la nouvelle loi sur les communications. Ainsi, les cadres de réglementation connexes et subséquents pourront fonctionner efficacement et équitablement. Ce sera l’essentiel de mes observations ce matin.

Nous avons très peu de temps pour créer cette nouvelle loi sur les communications. Comme nous l’avons vu, le nouvel accord commercial prévoit la mise sur pied d’un comité des télécommunications. Ce sera un comité tripartite, composé de représentants des trois pays, qui surveillera nos lois sur les télécommunications.

Il est urgent d’adopter une loi unique et de mettre en place les mécanismes de réglementation appropriés. Nous avons probablement 12 à 24 mois pour mettre tout cela sur pied. Sinon, je crois que cela fera partie des dispositions de l’Accord États-Unis—Mexique—Canada, au détriment du Canada.

Il est donc pressant d’avancer non seulement en raison de la nécessité d’assurer l’équité entre les différents intervenants canadiens, mais aussi en raison de l’ouverture imminente de notre marché aux fournisseurs de services de télécommunications américains.

Je parlerai d’abord de l’harmonisation des règles du jeu. Les fournisseurs de services de diffusion de contenu dans le monde, principalement de la Silicon Valley, mais aussi d’ailleurs, ont accès au marché canadien. Ils fournissent des services de diffusion en continu. Ils dominent le marché. Au titre de la Loi sur la concurrence, on pourrait les qualifier d’intervenants dominants sur le marché. Ils ne contribuent rien d’important à l’écosystème canadien de production de contenu. Ils sont, en d’autres termes, des fournisseurs de contenu.

On peut donc se poser la question : si cela marche comme un canard et fait coin-coin comme un canard, pourquoi cela n’est-il pas traité comme un canard au Canada? Les distributeurs de contenu canadiens sont en position de désavantage concurrentiel. Ils sont assujettis à divers mécanismes de contribution fiscale auxquels les fournisseurs de services des États-Unis et d’ailleurs dans le monde ne le sont pas.

Il existe un principe fondamental selon lequel, s’ils occupent une position dominante et qu’ils offrent des services équivalents à ceux des fournisseurs canadiens, mais sur d’autres plateformes, ils devraient être assujettis au même dispositif réglementaire, puisque c’est de la législation actuelle dont nous parlons aujourd’hui.

S’agissant des nouveaux règlements qui seront adoptés, il faut partir du principe que ces fournisseurs opèrent sur le marché canadien et que tous ceux qui opèrent sur le marché canadien devraient être traités de façon non pas égale mais équitable.

Parallèlement à cette recommandation, je vous suggère de prendre la mesure de la situation réelle et de la façon dont la technologie a modifié le marché depuis l’adoption de ces lois, qui remontent aux années 1940, 1950 et 1960. La technologie a radicalement changé le marché. Le marché est mondial. Il faut déterminer quels fournisseurs opèrent sur le marché canadien et, à partir de là, décider que, s’ils offrent des services similaires, ils devraient être assujettis au même cadre général et au même dispositif législatif, dont les objectifs doivent être fixés pour tous les fournisseurs sur une base équitable.

C’est la même chose pour les réseaux 5G, qui vont faire largement appel à toute une nouvelle catégorie de propriétaires d’infrastructures, comme les municipalités et les compagnies d’électricité. En effet, l’utilisation de pico-cellules et de réseaux 5G fera largement appel à ce genre d’infrastructures, surtout dans les zones urbaines mais aussi dans les zones rurales, comme l’a indiqué Bill avec son exemple des vaches laitières.

À l’heure actuelle, ces propriétaires d’infrastructures ne s’occupent guère de l’exploitation de réseaux de télécommunications, mais ils vont s’y intéresser, en devenant copropriétaires ou bailleurs. Ils auront accès à un vaste RPV, c’est la technologie actuelle, mais ils continueront d’exploiter eux-mêmes des portions de ce réseau. Or, d’après ce que j’ai compris, il n’est pas prévu de les inclure dans la nouvelle loi, alors qu’à mon avis, cela devrait être sérieusement envisagé. Toutes les dispositions de la nouvelle loi portant sur les opérateurs de télécommunications devraient inclure toutes les entreprises de télécommunications.

C’est très important. Comme je l’ai dit tout à l’heure à propos de l’AEUMC, il est prévu de permettre aux opérateurs étrangers d’avoir accès à tous les réseaux publics. En théorie, cela signifie qu’à Ottawa, par exemple, des fournisseurs américains comme Verizon auront accès aux installations d’Hydro Ottawa.

C’est dire qu’il est urgent que la nouvelle loi sur les communications inclue les fournisseurs de services et les propriétaires d’infrastructures. Vous devrez vous assurer que vous incluez tous les opérateurs importants et que vous les traitez de façon équitable. L’inclusion et le traitement équitable de tous les opérateurs sont des conditions indispensables au succès de la nouvelle loi sur les communications.

Je recommande donc l’inclusion de tous les opérateurs importants, ainsi que l’application du principe d’équité et du principe d’un taux de rendement équitable. C’est très important pour les titulaires actuels de licences. S’ils sont amenés à faire face à la concurrence des grandes entreprises internationales, ils ont besoin, en matière de taux de rendement, d’un cadre général qui incorpore les principes d’équité et de justice.

S’agissant de l’efficacité réglementaire et des appareils sans fil, c’est dans l’industrie du sans-fil que la demande a le plus augmenté. Et elle continue, à un rythme soutenu. Les appareils sans fil accaparent de plus en plus de bande passante pour des vidéos en continu, des données, et cetera. Il faut donc que le spectre, qui constitue une ressource limitée puisque personne n’en crée de nouveau, soit utilisé de façon efficiente. À l’heure actuelle, c’est ISDE qui en a la responsabilité, au niveau des politiques et des règlements, mais ses pratiques en matière de gestion du spectre remontent à la nuit des temps, c’est-à-dire à l’époque où la première Loi canadienne sur la radiodiffusion a été adoptée, dans les années 1930. Aujourd’hui, les licences à long terme sont signées pour 15 et même 20 ans. C’est un bail exclusif. Il existe même des licences subordonnées, pour des utilisateurs secondaires, mais ça reste à la discrétion du titulaire de licence primaire.

Vous pourriez aussi envisager d’autres mécanismes de réglementation. Au lieu d’avoir des baux à long terme ou des contrats d’exclusivité qui permettent aux titulaires de licence primaire de dicter leurs conditions aux titulaires de licence subordonnée, les États-Unis ont mis en place un nouveau régime, sous la tutelle de la FCC. C’est ce qu’on appelle l’attribution dynamique des fréquences, qui identifie les utilisateurs secondaires prioritaires. La sécurité publique arrive en premier, suivie des opérateurs et ensuite des utilisateurs tiers. Ils prennent les fréquences disponibles et ils les attribuent de façon dynamique, d’où le nom du système. Il n’y a donc plus de licence exclusive, c’est selon la demande d’un endroit à l’autre. Un régime a été mis en place pour assurer un accès et une tarification équitables de cette ressource limitée. Après tout, c’est bien au peuple canadien qu’appartiennent les droits de propriété résiduels.

Il existe d’autres régimes. Celui-ci n’est pas nécessairement le seul qu’on puisse envisager, mais étant donné qu’il y a une certaine saturation des infrastructures sans fil et du spectre, il faudra en tenir compte dans la nouvelle loi. Il faudra aussi encourager la mise en place d’un régime réglementaire qui tiendra compte de cette saturation.

Je propose par ailleurs de prendre en compte, surtout dans les régions rurales, la façon dont les fréquences sont actuellement attribuées, sous forme de baux à long terme, de licences exclusives ou de plus vastes territoires de licence. Industrie Canada va jusqu’au niveau 4. La FCC américaine va jusqu’aux niveaux 5 et 6 — c’est presque un code postal — pour permettre aux petits titulaires de licence d’avoir accès à des fréquences de façon sûre et à un coût raisonnable.

De plus, un dispositif législatif approprié devrait tenir compte des besoins spéciaux des fournisseurs de services en régions rurales et des fournisseurs de services de créneaux, pour qu’ils puissent avoir accès à cette ressource limitée. Il devrait aussi peut-être faciliter la mise en place d’un nouveau régime d’attribution des fréquences, dans le cadre d’une nouvelle loi et d’une nouvelle entité de réglementation. On aurait alors un régime plus dynamique, qui tiendrait compte des besoins des clients ruraux, des abonnés et des fournisseurs de services.

Voilà pour l’essentiel de mes remarques. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions, en français ou en anglais.

Le président : Quand on parle des fournisseurs de contenu, je constate que vous avez mentionné Google, Netflix et Facebook, mais pas YouTube. YouTube devrait-il figurer sur la liste?

M. Jack : C’était un exemple, mais oui, bien sûr.

Le président : Vous avez parlé de Netflix, mais il y a des concurrents à Netflix et à Google. Je ne sais pas s’il y a des concurrents à Facebook, sans doute. Pourquoi est-ce un problème, au niveau de la production? Pourquoi pensez-vous que c’est un fournisseur de contenu qui est mieux traité que les autres fournisseurs de contenu?

M. Jack : Je veux parler du manque d’équité du régime de contribution. Lorsqu’ils font de la radiodiffusion — je ne parle pas de passer une vidéo de votre chat sur YouTube —, ils fournissent des services équivalents mais sur une plateforme différente. Je pense que cette équivalence devrait être reconnue et qu’ils devraient être assujettis au même régime. Prenez Bell Canada, Vidéotron ou n’importe quel autre distributeur, ils sont assujettis à un régime de contribution sur leurs plateformes. Or, ces fournisseurs internationaux de services en continu offrent un contenu similaire ou ont le même objectif de capturer le maximum de paires d’yeux, et pourtant, ils ne sont pas assujettis au même régime de contribution ni au même dispositif réglementaire. Ils sont exclus du dispositif réglementaire conformément à l’exclusion de 1998, où l’on dit qu’Internet ne sera probablement jamais assez important pour être réglementé. Il est temps de reconnaître, après 20 ans, qu’Internet est important.

Le président : Mais les fournisseurs canadiens n’exercent-ils pas un monopole, d’une certaine façon? On ne peut pas lancer un nouveau service ou un service de radiodiffusion comme ça. Il faut passer par le processus d’approbation du CRTC. Dans certains cas, la demande est refusée. Pensez-vous qu’il faudrait faciliter l’accès à ces zones? À l’heure actuelle, c’est pratiquement un monopole, autant pour le téléphone que pour la radiodiffusion.

M. Jack : Tout récemment, on a vu qu’à Montréal, par exemple, Vidéotron a fait concurrence à Bell. C’est une saine concurrence au niveau des paires d’yeux à capturer, avec leur radiodiffusion et leur distribution de contenu, leurs EDR. Bien sûr, il faut des capitaux pour le faire, et il y a une intégration verticale, mais il y a aussi la concurrence. Ces secteurs sont réglementés, notamment avec le régime de contribution.

Les services en continu canadiens ne représentent qu’une partie négligeable du marché. Si l’on applique la définition de position dominante qu’a établie le Bureau de la concurrence et qui est une référence, on peut dire que les services en continu occupent une position dominante en ce qui concerne leur capacité de déterminer les conditions d’accès, de fixer les prix et d’accaparer des revenus de publicité, et cetera. Ils dominent le marché et pourtant, ils ne sont pas assujettis au même régime.

Le président : Comment proposez-vous de remédier à cela?

M. Jack : En reconnaissant leur rôle sur le marché canadien dans le nouveau dispositif législatif. Je les assujettirais au même régime de contribution. Le critère, c’est l’« équivalence fonctionnelle ». Si ces fournisseurs de contenu offrent des services similaires à ceux de Bell ou de Vidéotron, ils devraient être assujettis au même régime. Sinon, vous renoncez à une partie du marché, et vous désavantagez les entreprises canadiennes.

Le sénateur Dawson : Vous dites qu’il faut appeler un chat un chat — vous parliez de Netflix tout en évitant de le nommer. Netflix occupe la position dominante mais ne paie pas sa part — certes, ils ont annoncé qu’ils allaient réinvestir 500 millions de dollars, mais ils n’y sont pas obligés. Il semble que ce soit une entente négociée entre l’ancienne ministre du Patrimoine et l’entreprise.

Comment peut-on les réglementer? Je pourrais créer un nouveau Netflix dès demain. Certains ont essayé mais n’ont pas réussi. Devrions-nous subventionner des Canadiens pour les aider à concurrencer Netflix? Ou bien devrions-nous imposer des restrictions à Netflix afin de limiter sa position dominante sur le marché des services en continu?

M. Jack : Les régimes de contribution peuvent varier, mais le fait est qu’ils soutirent des revenus publicitaires au marché canadien. Ils fixent des conditions. Pour les fournisseurs de services Internet, par exemple, jusqu’à 50 p. 100 de leur bande passante est accaparée par Netflix. Cette entreprise occupe une position dominante sur le marché canadien. Certes, elle produit quelques programmes au Canada, mais nous n’avons pas de cadre précis qui nous permette de dire : « Très bien, puisque vous soutirez telle somme du marché canadien, vous êtes un acteur canadien et vous devez être considéré comme tel. » Il s’agit bel et bien d’une entreprise qui fournit des services de détail au Canada. Par conséquent, il faut qu’elle soit assujettie au même régime que les autres fournisseurs de services canadiens.

On peut faire la même chose dans pratiquement tous les autres secteurs. Si vous exploitez une ferme laitière au Canada, vous êtes assujetti à la réglementation agricole canadienne. Là, il s’agit d’une entreprise qui fournit du contenu, un contenu similaire, mais pas toujours. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il y a équivalence fonctionnelle, il faut savoir « appeler un chat un chat » et assujettir cette entreprise au même régime équitable. Peut-être pas tout à fait le même, étant donné qu’il s’agit d’une entreprise internationale et qu’elle peut délocaliser en Irlande ou ailleurs, mais il faut qu’il y ait un régime qui fixe des cibles et qui assure une contribution équitable.

Le sénateur Dawson : Cela me ramène à l’entente qui a été conclue avec l’ancienne ministre et au fait que l’entreprise a annoncé qu’elle allait réinvestir 500 millions de dollars sur je ne sais plus combien d’années, cinq ans, je crois. La semaine dernière, nous avons appris qu’elle se rapprochait de cet objectif. Je ne sais pas comment on peut mesurer ce qu’elle réinvestit, et si on peut calculer ce qu’elle aurait réinvesti s’il n’y avait pas eu d’entente avec la ministre. Je ne sais pas non plus si c’est une décision déterminée par le marché ou si c’est parce qu’elle est en train de produire un spectacle à Vancouver grâce au soutien de la collectivité. Pour nos diffuseurs, on peut le calculer, mais nous ne savons pas quelles sommes sont réinvesties dans un contenu canadien plutôt que dans un contenu américain produit au Canada.

M. Jack : La première chose à faire, pour que les choses soient claires, c’est demander à une entreprise qui est établie au Canada et qui fournit des services de détail à des clients canadiens de s’enregistrer comme une entreprise canadienne, de la même façon que Bell Canada doit rendre des comptes sur certaines activités de ses entreprises verticalement intégrées. Netflix produit des émissions et distribue du contenu, elle devrait donc être assujettie à la même reddition de comptes. À partir de là, une fois qu’on a une bonne idée de la nature de ses activités canadiennes, il faut assujettir celles-ci, là où il y a équivalence, à la même reddition de comptes et au même régime de contribution auxquels sont assujettis les acteurs canadiens.

Le sénateur Dawson : Monsieur Hutchison, comment évaluez-vous les résultats du plan que vous avez préparé pour que Toronto soit désignée « collectivité intelligente » — au risque de faire un oxymore? Vous aviez des objectifs. Je sais qu’un appel d’offres est en cours, mais allez-vous bientôt atteindre les objectifs que vous vous étiez fixés quand vous avez préparé ce plan?

M. Hutchison : C’est une très bonne question.

J’y ai travaillé pendant sept ans, mais je suis parti à la fin de 2011 pour m’occuper d’un autre projet à Moscou. Moscou a figuré au palmarès des sept collectivités les plus intelligentes du monde, avant que Poutine commence ses bêtises en Ukraine.

Ce palmarès est un peu subjectif, mais c’est quand même une organisation, un cercle de réflexion de New York qui le dresse depuis 20 ans afin de désigner la collectivité la plus intelligente de l’année. Ils utilisent sept critères, notamment les services Internet à haute vitesse ainsi que des mesures sociales. Ils refont ce travail chaque année avant de désigner un vainqueur. Si vous êtes choisi, c’est peut-être sur des critères un peu subjectifs, mais vous faites concurrence au monde entier.

Grâce au projet Waterfront Toronto, la Ville de Toronto s’est vu décerner il y a deux ans le prix de la Collectivité la plus intelligente du monde, et elle a aussi figuré au palmarès des sept collectivités les plus intelligentes pendant deux ans. Ce n’est qu’une façon de mesurer les choses, mais c’est sans doute la meilleure.

Les critères, ce sont les capacités — le coût, le taux de pénétration et les infrastructures à haut débit. Bell et Rogers sont aussi dans ces bâtiments, comme Waterfront Toronto. Si vous réussissez à atteindre ce niveau-là par rapport au reste du monde, c’est une référence de plus.

L’objectif ultime, c’est d’obtenir les emplois que vous voulez. Bien sûr, nous ne le saurons pas avant 10 ans, parce que c’est un projet à long terme.

J’aimerais toutefois ajouter que la capacité des entreprises de communications américaines d’offrir des services dans des espaces publics est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, je regrette de le dire. C’est une mauvaise nouvelle pour les titulaires de licences canadiens, et il va falloir trouver des façons de les protéger ou de les aider à être plus novateurs pour pouvoir faire face à la concurrence.

Je vais vous donner un exemple. Je vous ai dit que j’avais aidé cette nouvelle collectivité à compter parmi les collectivités les plus intelligentes du monde. Deux autres collectivités qui m’ont particulièrement impressionné sont situées aux États-Unis. San Francisco est en train de réaménager ses anciens chantiers navals, et Austin, au Texas, prépare un autre projet. Si vous regardez la liste des choses que ces villes offrent à leurs citoyens, c’est impressionnant, comme ces petites applications qui aident les gens à rentrer à pied chez eux en toute sécurité, en allumant des caméras de rue tout au long de leur trajet. Ces caméras sont toutes activées par une fibre Google, si bien que c’est Google qui introduit toutes ces nouvelles formes de communication. Il y a neuf ans que l’entreprise a commencé à installer des fibres dans des collectivités aux États-Unis. À mon avis, elle est vraiment en tête du peloton pour ce qui est de l’aménagement des collectivités intelligentes aux États-Unis.

Que pensez-vous que les maires vont commencer à se dire? Que lorsqu’ils vont vouloir des services de communications dans un quartier ou dans un autre, Google va être sur les rangs, et comme elle est à l’origine des plus grandes innovations, que cela va créer de la concurrence. Les maires et leurs collaborateurs vont avoir tendance à dire, parce qu’ils vont faire concurrence à d’autres villes : « Désolés, les gars, mais c’est l’option que nous devons choisir. »

À Waterfront Toronto, il y a eu de l’opposition. Quand ils ont lancé le projet Sidewalk Labs dont vous avez peut-être entendu parler, Google avait fait beaucoup d’autres recherches, et je pense que l’entreprise fait du bon travail au niveau de la collaboration locale.

Je voulais simplement vous dire qu’il y a à la fois des bonnes nouvelles et des mauvaises nouvelles. Je travaille avec ces gens-là pour réaliser ces projets. Je ne suis pas spécialiste de la réglementation, comme Stuart et d’autres, mais il nous faut un cadre général pour que nous puissions vraiment redevenir un chef de file mondial, comme il y a 30 ou 35 ans.

Le sénateur Dawson : Merci.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie de vos déclarations liminaires, que j’ai trouvées très intéressantes.

J’aimerais poser une question au sujet du contenu canadien. Certes, l’AEUMC vient tout juste d’être conclu, mais hier, à CBC, on a parlé du langage utilisé dans cet accord. J’aimerais revenir sur certaines des questions qui ont été abordées, car je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Que va-t-il arriver au contenu numérique canadien, aussi bien audio que vidéo? Le gouvernement canadien va-t-il pouvoir prendre des règlements ou financer des programmes afin d’aider les industries culturelles canadiennes à se développer dans la sphère numérique? Le langage utilisé au sujet du contenu numérique est très fort, qui interdit toute discrimination entre le contenu numérique étranger et le contenu numérique national. Toute mesure favorisant ou encourageant le contenu canadien risquera de déclencher des poursuites de la part de concurrents américains ou mexicains.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet du contenu? Je sais que l’accord vient à peine d’être conclu, mais le financement du contenu canadien est quelque chose d’important pour nos concitoyens.

M. Jack : Je suis d’accord avec vous. Les industries culturelles canadiennes bénéficient encore de l’exclusion, mais on met de plus en plus l’accent sur la concurrence.

Avec ce nouveau comité des télécommunications qui va être créé et étant donné que les principaux acteurs sont presque tous verticalement intégrés, des pressions vont s’exercer sur le contenu. Si vous ne pouvez pas faire de discrimination entre le contenu canadien et le contenu américain… Je suis un ancien employé du CRTC, et je sais que c’est toujours une question d’équilibre. On a toujours utilisé un modèle d’interfinancement qui permet de subventionner le contenu canadien en achetant des droits sur des émissions américaines. Ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, par contre, c’est que la diffusion d’une émission, qui se faisait avant en programmation linéaire, se fait de plus en plus sur des plateformes en continu. Nous devons donc absolument nous assurer que ces plateformes contribuent elles aussi au financement du contenu canadien, non pas par la vente de quotas, comme nous le faisons avec les quotas de distribution de contenu canadien, l’offre globale comme on l’appelle, mais par une contribution à la production réelle.

De plus en plus, comme l’a dit Bill, Google est présent à Boulder, au Colorado, et à Austin, au Texas, entre autres, et ils vont venir ici aussi. Ils vont acheter des infrastructures ou ils vont en louer et devenir un acteur important. Ils sont vraiment de plus en plus présents. Ils en ont les moyens. Donc, avant qu’ils arrivent chez nous et qu’ils demandent à avoir accès aux infrastructures des municipalités, des compagnies d’électricité et des sociétés de radiodiffusion, nous devrions réfléchir au rôle qu’ils vont avoir pour nous assurer qu’ils payent leur part, et aussi à la façon dont les propriétaires actuels d’infrastructures sont traités par les acteurs internationaux. Il faut garantir l’équité au niveau des taux de rendement, afin de tenir compte des risques que représente la construction de ces infrastructures, pour que ce soit équitable des deux côtés.

La sénatrice Bovey : Vous avez parlé des régions rurales et des régions éloignées et de l’importance d’y accéder. Je suppose que vous incluez les régions du Nord et de l’Arctique.

Monsieur Hutchison, vous avez dit que le Canada a besoin d’investir 60 millions de dollars en immobilisations pour devenir un chef de file des infrastructures de télécommunications. Quel rôle la Banque de l’infrastructure du Canada pourrait-elle jouer dans le financement des infrastructures de communication qu’il faudra alors construire dans les régions rurales et les régions nordiques?

M. Hutchison : Je vous remercie, sénatrice. Chaque fois que je veux citer ce chiffre de 60 milliards de dollars, j’essaie de dire avant que nous dépensons plus de 200 milliards de dollars en soins de santé au Canada, d’après toutes les études que j’ai lues, et que cela ne couvre que l’ensemble des services de santé. En investissant ces 60 milliards de dollars, on pourrait en économiser au bas mot 15 p. 100 chaque année, soit à peu près 15 milliards de dollars par an, si bien que, en 4 ou 5 ans, on aurait complètement amorti cet investissement.

Cependant, si vous dites à quelqu’un que cela va coûter 60 milliards de dollars, il va vous dire qu’il est prêt à investir 500 millions. Le problème c’est que tout va très vite, et qu’avec 500 millions de dollars, on ne va pas loin, même si c’est toujours bon à prendre, c’est bien évident.

L’autre problème qui se pose dans les régions rurales et les régions éloignées, c’est que pour la planification, le gouvernement va se baser sur ce qu’il a entendu, à savoir que la moyenne, dans ces régions, est de 10 gigabits. Je peux vous dire que beaucoup de gens se sont noyés dans une rivière de deux pieds de profondeur en moyenne, tout simplement parce qu’il y a des trous. Toutes sortes de trous.

Par conséquent, dans les régions rurales et dans les régions éloignées, partout nous devons investir de l’argent. Lorsque l’électricité a été inventée, il a fallu longtemps avant que les régions rurales en profitent, et c’est malheureux. Les autres pays le font. L’Australie a pris le taureau par les cornes, il y a eu des hauts et des bas, mais cela avance. Elle a mis 40 milliards de dollars de côté pour créer un réseau national.

Je voulais dire aussi que, surtout dans les régions rurales, il y a beaucoup d’innovation et de création de petites entreprises. Vous avez peut-être vu les statistiques qui sont sorties récemment là-dessus, à savoir que, l’an dernier, Toronto a créé davantage d’emplois dans les nouvelles technologies que la Silicon Valley et New York confondues. Il y a beaucoup d’innovation qui se fait actuellement. Même Google est intéressé à nouer des partenariats avec ces nouvelles entreprises ou même à les racheter.

Dans les régions rurales, il va falloir prévoir, dans la réglementation ou dans une politique nationale, la création de ces nouveaux centres de connectivité de façon à ce que les petits fournisseurs de services Internet soient traités sur un pied d’égalité, même face aux géants du secteur. Les petits fournisseurs sont innovateurs, et ils vont vouloir participer. Ça sera donc une façon d’encourager l’innovation et d’aider les régions rurales.

Pour les régions éloignées, il y a de bonnes choses qui commencent à se faire, mais nous allons devoir y investir de plus en plus d’argent. Nous commençons déjà à encourager l’utilisation de drones pour offrir des soins de santé et pour livrer des colis dans le Nord, car en été, les routes ne sont plus enneigées et il faut faire les choses différemment. Les télécommunications, c’est important, et nous avons besoin de réseaux 5G.

Je sors un peu du sujet, mais c’est pertinent. Premièrement, on a appris hier qu’à Monaco, ils ont raccordé toute la ville au 5G. Ils l’ont prouvé en faisant voler des drones que les gens suivaient à l’aide de casques de réalité virtuelle. Vous avez besoin du 5G pour cela.

Supposons que nous utilisions la technologie d’aujourd’hui pour la communication entre les voitures. Si une voiture autonome roule à 60 km à l’heure et qu’elle détecte que le type devant elle va s’arrêter, le temps que le signal parvienne à la voiture suivante et aux freins, la voiture aura progressé de quatre pieds avant même de commencer à s’arrêter. Avec le 5G, la voiture n’aura progressé que de deux pouces. C’est toute la différence entre la vitesse et ce que nous appelons la latence. Donc, comme l’a dit Stuart, il faut aller de l’avant avec le 5G. Ça va permettre de créer toutes sortes de nouvelles structures dans les villes qui le veulent, les services publics locaux, et cetera. Il faut vraiment le faire.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci de vos présentations. Ma préoccupation majeure concerne le financement et l’accès au contenu canadien à l’intérieur de ces mécanismes de modification de la loi.

Ma première question s’adresse à vous, monsieur Jack, et concerne l’actuelle Loi sur la radiodiffusion. Les diffuseurs doivent injecter différents fonds qui aident le développement de contenu canadien. Depuis le constat de la diminution des revenus publicitaires et de l’ampleur des revenus publicitaires de nouvelles entreprises qui ne sont pas assujetties à cette obligation, quel moyen le Canada devrait-il prendre, à votre avis, pour assurer le financement de ces fonds qui aident à soutenir le développement de contenu canadien?

M. Jack : C’est la reconnaissance et la contribution de ces joueurs internationaux qui, même s’ils sont situés à l’extérieur, effectuent des opérations ici, au Canada. Netflix en est un exemple type, tout comme YouTube, Google, et cetera. Même si ce sont tous des joueurs internationaux, ils reçoivent des sommes importantes du Canada. On les reconnaît. Si ce sont des commerces canadiens qui reportent leurs rapports financiers annuels au CRTC ou à la nouvelle agence de réglementation, ils fournissent des services équivalents, mais sur d’autres plateformes. Ils fournissent aussi leurs états de compte annuels afin que l’on puisse voir quels sont les revenus provenant de sources canadiennes, et de là, il serait possible d’imposer des régimes qui ont une équivalence quant à la contribution, que ce soit au Fonds des médias du Canada ou à d’autres fonds disponibles.

Le sénateur Cormier : Dans le même sens, une des interrogations que j’ai, depuis le début de cette étude, est de savoir si nous devons combiner la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. J’avais compris, au départ, que la Loi sur la radiodiffusion est axée sur le contenu, et que la Loi sur les télécommunications est axée sur le contenant et les services. On a entendu des positions diverses au sujet des entreprises comme Bell, par exemple, qui offrent maintenant tous les services, les services de diffuseur, les fournisseurs de services de mobilité, les plateformes numériques. À votre avis, faudrait-il réunir les deux lois?

M. Jack : Les compagnies sont intégrées de façon verticale. Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, on remarque de plus en plus cette intégration. Le contenu est essentiel et l’état de compte de ces grandes sociétés...

Les Européens, sous l’Office de l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) — BEREC en anglais — ont toujours ces ICT Distribution and Electronic Services Act par rapport à la Culture and Content Act. Ce morceau du casse-tête que l’on appelle « contenu » est essentiel au bon fonctionnement et à la viabilité de ces compagnies. Force est de constater qu’inévitablement, si l’on sépare les deux pièces de législation, on aura des recoupements et cela sera trop compliqué. Je suggère un seul cadre de loi avec les mêmes joueurs et des contributions équitables de la part de ceux-ci, que ce soit au Canada ou à l’étranger.

[Traduction]

Le président : Voulez-vous dire que quelqu’un qui diffuse à l’extérieur du Canada devrait être assujetti à la loi?

M. Jack : C’est au niveau de l’équivalence fonctionnelle que je fais une distinction : si l’opérateur fournit un service en continu similaire à notre contenu linéaire qui, lui, est réglementé et offert par des acteurs canadiens — un contenu similaire à celui de Netflix, de YouTube, de Google ou Dieu sait quoi —, il devrait être assujetti à la même réglementation, par souci d’équité.

Le président : Qu’est-ce qui empêche les Canadiens ou les entreprises canadiennes d’utiliser YouTube? Jordan Peterson réussit très bien sur YouTube et c’est un contenu canadien.

M. Jack : Voulez-vous parler des fournisseurs de contenu individuels sur la plateforme américaine ou faites-vous référence aux entreprises qui fournissent des services rivaux à YouTube ou à Netflix?

Le président : Je demande simplement pourquoi YouTube devrait être visé par ces dispositions. Nous devrions peut-être supprimer toute la réglementation et cesser de vouloir subventionner le contenu canadien.

M. Jack : Cela se ferait au détriment du contenu canadien et de notre capacité à faire connaître nos caractéristiques culturelles uniques.

Le président : Est-ce vraiment ce qui se produirait? Les Canadiens sont-ils incapables de faire face à la concurrence ou est-ce qu’ils ne sont pas suffisamment intelligents pour soutenir la concurrence dans l’économie nord-américaine?

M. Jack : Je ne formulerais pas la situation de cette façon. Je parlerais plutôt de fournir aux Canadiens des services ayant des caractéristiques équivalentes. Ce sont essentiellement des agglomérateurs de contenu qui offrent leurs services dans le monde entier, mais lorsqu’ils fournissent des services de diffusion en continu équivalents à nos programmes linéaires, j’estime que la partie de ces activités qui représente l’équivalent fonctionnel des services fournis par les distributeurs canadiens devrait être traitée de façon équitable.

Le président : Il faudrait alors faire la même chose au Canada, n’est-ce pas? En effet, au Canada, nous subventionnons certains distributeurs, mais pas d’autres. Nous devrions unifier les règles au Canada pour que tous les fournisseurs canadiens aient l’accès dont ils ont besoin, d’après vous, à l’échelle mondiale. Autrement dit, CBC/Radio-Canada est subventionné et aucun autre distributeur ne l’est. Nous devrions peut-être supprimer cela pour que nous ayons au Canada les mêmes règles qui devraient s’appliquer également, d’après vous, aux fournisseurs américains ou aux fournisseurs européens.

M. Jack : Sénateur, mes commentaires portaient uniquement sur les EDR, les distributeurs et les producteurs de contenu.

La sénatrice Gagné : Monsieur Hutchison, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre recherche et pour tout le travail que vous avez fait avec CANARIE, parce que toutes les universités et tous les centres de recherche ont bien évidemment profité de ce projet. Félicitations.

Vous avez déclaré qu’il était très important que les petites entreprises, les municipalités et les villes participent à ce qui se fait dans le domaine des télécommunications. Je me demande comment le gouvernement fédéral devrait encourager le développement de l’infrastructure à large bande au Canada, si c’est le choix qui est fait. Devrait-il s’en occuper et comment le ferait-il?

M. Hutchison : C’est une excellente question qui prolonge la question posée par l’autre sénateur, à laquelle je n’ai pas fourni une réponse complète.

Permettez-moi de revenir à CANARIE. Nous sommes réunis et nous n’allons pas pouvoir supprimer la faim dans le monde, mais ce sont là de très bonnes questions. Ce sont des choses importantes et il est très utile de parler des questions d’orientation, mais cela prend du temps.

Le projet CANARIE a été créé parce que nous avions des réseaux de recherche régionaux. Le gouvernement fédéral finance la recherche universitaire, pour le dire en deux mots, et il assume tous les frais reliés aux communications. La question était donc double. Mes services ont été retenus en 1990 et ce projet a finalement duré trois ans; il s’agissait de constituer un comité directeur capable de répondre à cette question : que devrait faire le Canada pour être un chef de file mondial en matière de réseautage de gigabits d’ici 2000, dans 10 ans? Pourrions-nous examiner ce modèle d’infrastructure de recherche universitaire?

J’ai donc réuni 25 de mes amis les plus proches pour commencer les discussions et les amis que j’ai au sein du gouvernement fédéral m’ont immédiatement expliqué : « C’est un programme fédéral. Si vous avez besoin de 25 personnes, il vous en faut 25 de chaque province. » Je me suis donc retrouvé avec un comité directeur composé de 250 personnes, que nous avons divisé. J’ai alors créé un comité exécutif.

Il a fallu tenir des discussions, avoir des débats et tout le reste pendant trois ans, mais je peux dire que nous avons réussi à proposer un plan; c’était un modèle d’affaires. À l’époque, il n’y avait que deux entreprises nationales de communication, Bell et Unitel, qui est devenue AT&T et ensuite Rogers. Ces entreprises refusaient de se parler si ce n’est qu’elles se critiquaient pendant les audiences de l’organisme de réglementation. En fin de compte, j’ai réussi à faire travailler ensemble ces deux entreprises, avec Nordicity et d’autres, et à élaborer un plan d’affaires de 1 milliard de dollars sur sept ans, dont 900 millions étaient fournis en services et en nature par le secteur privé et 100 millions venaient du gouvernement fédéral.

Je veux simplement dire que nous avons réussi ce projet et que nous avons proposé une idée pour la gouvernance, un plan d’affaires et que nous avons ensuite retenu les services de bons administrateurs de sorte que ce projet fonctionne très bien depuis 25 ans. Je pense que c’est la seule façon de résoudre les autres problèmes que vous mentionnez, sénateur, pour ce qui est du Nord. Je dis toujours : « Pourquoi ne pas essayer de le faire pour la santé? » Il serait presque impossible de dire : « Pourquoi ne pas le faire pour le Canada? » Ce serait l’idéal. L’Australie l’a fait, mais c’est encore loin d’être une réalité pour le moment.

Nous pourrions prendre un de ces deux grands problèmes, le Nord ou la santé — ce sont deux problèmes d’ampleur très différente, mais ils sont extrêmement importants — et dire : « Faisons un peu comme pour CANARIE et commençons par organiser une véritable consultation. » Je dis que le projet CANARIE a donné des résultats, mais ce n’est pas parce qu’il a retenu mes services, mais parce qu’ils ont retenu les services de quelqu’un comme moi, qui avait une formation commerciale et la capacité de faire travailler les gens ensemble. Cela n’a pas été confié au gouvernement ni à la fonction publique, parce que les responsables auraient dit qu’ils voulaient présider cette chose, faire avancer leur carrière et répartir les gens dans différentes salles pour qu’ils se parlent.

C’était les universités et les secteurs privé et public. La gouvernance de CANARIE provenait pour moitié du secteur privé, et pour moitié du monde universitaire; de plus, étant donné que personne ne faisait confiance à personne, il y en avait un de plus d’un côté. Il y avait donc un équilibre. Le membre supplémentaire alternait chaque année entre le secteur privé et les universités. Cela fait 25 ans que cela dure et ils ne se font toujours pas confiance, mais ils n’ont pas modifié la structure.

Je pense que c’est ce genre de chose qu’il faut faire. Ce n’est pas une commission royale, mais il y avait le fait que le gouvernement fédéral offrait des fonds et il est toujours surprenant de constater que les gens sont prêts à discuter lorsque vous leur offrez ce genre de chose. C’est ce qu’a montré le défi « Villes intelligentes ».

Je crois que ce serait une façon de s’attaquer à ces deux problèmes. Je pense que cela pourrait se faire. Il faut qu’il y ait beaucoup de discussions et au départ personne ne fait confiance à personne, mais cela est possible. Je crois que c’est une façon de régler tout cela. Cela va coûter de l’argent, mais l’on pourrait utiliser petit à petit ce montant de 60 milliards de dollars. Je ne proposerais pas un tel montant au départ. Il faut parler du but que nous nous donnons. Comment allons-nous résoudre la question des communications dans le Nord, ou celle que posent les villes et tout le reste?

Pour ce qui est des villes, je crois que le défi « Villes intelligentes » est une excellente chose. J’étais président fondateur et j’ai aidé à créer i-Canada, ce qui s’est fait il y a sept ans. C’est une association nationale, une sorte de consortium. Si vous visitez maintenant ce site web, vous constaterez qu’il n’est pas très bon parce qu’il n’est pas utilisé et parce que nous avons créé maintenant i-Valley en Nouvelle-Écosse pour faire bouger les communautés rurales. Il y a dans la vallée de l’Annapolis 10 communautés rurales où les gens ont investi, tout comme le gouvernement fédéral. Nous espérons que ces collectivités vont devenir la première région intelligente à obtenir un certificat correspondant à la norme ISO mondiale, et ainsi régler les problèmes des petites collectivités rurales.

Nous avons fait i-Canada parce qu’il y a sept ans, je travaillais au Royaume-Uni et aux États-Unis et ils ont imaginé le défi « Villes intelligentes ». Les villes établissent un budget chaque année et les conseillers n’aiment pas augmenter les impôts alors ils disent à leur personnel : « Établissez le budget de l’année prochaine avec une augmentation de 1 p. 100 ». Eh bien, comment peut-on constituer un fonds pour la transformation ou quelque chose du genre lorsque le budget n’est augmenté que de 1 p. 100?

Dès que le gouvernement fédéral annonce : « Voici un prix de 50 millions de dollars », il se produit deux choses. Tout le monde se réunit. Nous avons finalement reçu 200 demandes. Le gouvernement précédent n’était même pas capable d’épeler les mots « Villes intelligentes », et encore moins de faire quoi que ce soit. De sorte qu’avec i-Canada, même si j’ai créé un conseil composé de gouverneurs; il fallait être maire ou PDG pour être membre du conseil. Ils sont toujours là. Les maires d’Edmonton, de Surrey et d’Halifax, de toute la région, ont fait du lobbying pour obtenir tout cela. Je crois qu’en lançant une initiative de ce genre, il y a des choses qui se passeraient dans les villes.

Le gouvernement fédéral peut camoufler un peu les choses en disant : « Nous ne nous occupons pas de la question des larges bandes, mais nous vous donnerons de l’argent si vous devenez une ville intelligente. » C’est la première chose qu’ils vont faire de sorte que oui, c’est une façon de faire les choses.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour vos présentations très éclairantes et à la fois intéressantes et préoccupantes. Au moment où le gouvernement fédéral investit des milliards de dollars dans les infrastructures conventionnelles, ponts, chaussées et routes, on a l’impression qu’il y en a peu en matière de technologies et d’infrastructures d’avenir. Il ne s’en fait qu’à l’occasion dans des régions où il y a un peu de pression, où on va installer une tour.

Où se situe le Canada par rapport aux autres pays? Est-il le dernier de classe? Le Canada est-il dans les premiers? Quel rang occupe le Canada par rapport à cette avancée technologique?

M. Jack : Je vais vous répondre que c’est 50/10, downstream, upstream. Il n’y a rien de mal à cela. C’est compétitif et c’est exactement ce dont ont besoin les communautés partout au pays. Par rapport aux pays de l’OCDE, le Canada n’a pas de politiques qui structurent cet objectif. L’objectif des 50 mégabits par seconde a été créé par le CRTC, qui maintient le 50/10 comme un objectif, une norme. Donc, c’est plutôt inusité qu’une agence de réglementation établisse les politiques et ISDE suit ces politiques. Habituellement, les pays européens ont des politiques avec des tranches bien établies. Par exemple, ils sont à 10/2 et ils passeront à 25/2 une autre année avec tel investissement. C’est une politique qui encadre le tout. Il s’agit d’un fonds permanent. Ce ne sont pas les programmes Connexion avec les collectivités canadiennes et Brancher pour innover, qui sont établis et qui disparaissent dans deux ans. C’est une politique permanente avec des fonds permanents pour atteindre des objectifs. Ces fonds sont établis par leur ministère des communications respectif.

Le sénateur Boisvenu : Le Canada accuse un retard par rapport à d’autres pays. Est-ce lié à un manque de compétition? La technologie en matière de communication est contenue dans trois ou quatre compagnies. On n’a pas beaucoup de petits fournisseurs. Est-ce en raison d’un manque de compétition qu’il y a peu d’innovations ou qu’il y a un manque d’investissement de la part des gouvernements?

M. Jack : Des réseaux de télécommunication au Canada sont aussi bons, sinon meilleurs que dans d’autres pays du point de vue de la fiabilité, et cetera. On parlait de latence tantôt avec M. Hutchison en ce qui concerne Bell, Rogers, Telus, et tous les bureaux nationaux, Eastlink et Vidéotron.

Le sénateur Boisvenu : Donc, c’est un problème d’investissement?

M. Jack : Non, je ne dirais pas cela. Kilomètre pour kilomètre, surtout dans les zones rurales où l’infrastructure est en place, cela coûte 40 p. 100 de plus au Canada qu’aux États-Unis.

Le sénateur Boisvenu : À cause du manque de compétition ou de règlements?

M. Jack : Non, à cause de la densité de la population. Les coûts d’établissement et de fonctionnement du réseau sont plus élevés au Canada. Malgré cela, on a des réseaux qui sont égaux aux meilleurs dans le monde. Le coût des services aux abonnés reflète en partie ces coûts.

Le sénateur Boisvenu : La densité.

M. Jack : Dans le modèle canadien, le gouvernement ne fournit pas ces réseaux ni les services. On subventionne les joueurs. En ce qui a trait aux fonds, il faut ouvrir l’accès aux fonds pour l’ensemble des joueurs qui peuvent offrir ces services.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Hutchison, vous avez dit qu’on avait beaucoup de retard au niveau du 5G. Vous avez parlé de la voiture autonome. L’an dernier, on a mené une étude à ce sujet et on a vu que le Canada accusait un certain retard dans le développement de ces technologies. Selon les grands spécialistes, la voiture autonome est à nos portes. Donc, on aurait des voitures autonomes, mais on ne disposerait pas du support technologique pour les utiliser sur une base régulière. Est-ce exact?

M. Hutchison : Merci de votre question, sénateur.

[Traduction]

Permettez-moi de revenir également à la première partie de votre question et je reviendrai ensuite sur cet aspect.

J’ai un point de vue différent de celui de mon ami. J’ai commencé à travailler pour Bell. En fait j’ai même travaillé pour Ontario Northland Communications dans le Nord.

Le fait est que nous avons créé progressivement, comme l’ont fait les États-Unis, un environnement de communications composé de duopoles et de monopoles réglementés. C’est un fait. Nous avons souvent essayé d’ouvrir ce marché et nous continuons à essayer.

Le fait est que si vous lisez les études indépendantes qui parlent de nous — et je reviendrai à la question de la densité démographique parce qu’elle est importante — nous nous situons selon diverses mesures, au 20e rang dans le monde. Nous étions auparavant au 30e rang environ. Nous ne sommes pas dans le premier tiers selon les mesures nationales qu’effectue l’OCDE, Harvard ou d’autres organisations.

Il est vrai que les mesures retenues posent quelques problèmes : coût, pénétration et performance, c’est-à-dire, largeur de bande.

J’ai beaucoup travaillé au Kazakhstan. Le Kazakhstan est encore moins peuplé que nous. La densité démographique est très faible en Australie, mais ce pays ne s’est pas avoué vaincu.

Vous avez tout à fait raison de dire que nous dépensons beaucoup d’argent pour les routes, les ponts et tout le reste. Pour la plupart des gens — et bien évidemment, pour les politiciens également, parce que ce sont des citoyens —, si l’on parle d’« infrastructure », on ne pense pas à la large bande. Les gens pensent aux routes et aux ponts parce que nous sommes habitués à penser de cette façon. Nous disposons d’un certain montant par kilomètre et tout le reste et nous avons d’assez bonnes routes.

Si vous dites à quelqu’un que vous avez besoin de 60 milliards de dollars pour les larges bandes, et que vous leur disiez que vous aviez besoin de 60 milliards de dollars pour les routes et les ponts — je ne sais pas ce que nous dépensons exactement, mais cela ne serait pas un problème — les gens ne pensent pas à ces deux choses dans les mêmes termes.

Quant à la densité et tout le reste, il est évident que les coûts par personne augmentent lorsqu’il s’agit des régions rurales. Je ne crois pas toutefois que cela justifie toutes ces zones mortes que l’on trouve dans les secteurs ruraux. Je ne parle pas du nord-ouest ou d’ailleurs, je parle de Caledon et d’Ottawa. Vous pouvez aller dans ces régions rurales et vous trouverez des zones non couvertes.

Il y a des gens à Toronto qui n’ont pas Internet. Ce sont en général des personnes pauvres et des parents qui ne peuvent pas se le payer. Les enfants doivent aller chez le voisin faire leurs devoirs parce que l’école exige qu’ils le fassent sur un ordinateur ou ils se rendent chez Tim Horton. N’est-il pas humiliant que ces enfants soient obligés d’admettre qu’ils n’ont pas l’argent nécessaire?

Je pense qu’il y a deux aspects. Le premier est l’aspect social, qui consiste à faire comprendre à la population que cet aspect est très important du point de vue du développement économique et social. Il faut ensuite ajouter un certain nombre de zéros.

Il faut que tout le monde collabore. Il ne s’agit pas de critiquer Bell et Rogers. Ces entreprises ont fait des investissements considérables. Elles font énormément de choses pour la société. Il y en a même qui diraient qu’elles utilisent les revenus qui proviennent des utilisateurs pour financer la santé mentale et le reste. C’est très bien. Je ne vais pas aller dans les détails. C’est une bonne chose.

Il faut néanmoins régler ce problème. Les marchés continuent de s’ouvrir. Il y a aux États-Unis une entreprise qui veut nous intimider. Elle va continuer de faire ce qu’elle peut, et qui sait comment les choses vont évoluer? Nous devons donc être encore plus compétitifs. Il a fallu 60 ans à l’industrie de la haute technologie pour en arriver à un point où Toronto crée davantage d’emplois que la Silicon Valley et que San Francisco. Cela prend beaucoup de temps.

C’est pourquoi je propose de réunir les gens qu’il faut pour lancer un projet du genre CANARIE. Ce n’est pas que je veuille critiquer les gens en place, tout le monde doit participer aux discussions. Ils doivent dire : « Nous sommes tous des Canadiens et il faut régler ce problème. »

La sénatrice Griffin : Je voulais poser d’excellentes questions, mais elles ont déjà été posées et vous y avez déjà répondu. Mes questions touchaient principalement les régions rurales et le coût des services, parce que je viens de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous payons très cher notre service Internet.

M. Hutchison : Effectivement.

La sénatrice Griffin : On a déjà dit pourquoi. Je vais donc m’arrêter là.

La sénatrice Galvez : J’ai une question qui s’adresse à M. Hutchison et à M. Jack. Elle n’est pas classique, parce que le sujet est complexe et qu’il ne touche pas un domaine que je connais. Je veux toutefois comprendre.

J’aime bien les villes intelligentes. Je suis une maniaque d’informatique et j’aime bien la technologie. Cela facilite beaucoup de choses dans la vie et atténue les différences sociales. Néanmoins, Dublin est une ville intelligente. Nous voulons que Toronto et Montréal deviennent des villes intelligentes. Vous avez parlé d’Austin, au Texas. Ce sont des villes qui sont situées à proximité de l’eau.

Selon des études récentes, le changement climatique va entraîner de nombreuses inondations et l’infrastructure d’Internet est vulnérable — ce sont des câbles et des fibres optiques. On pense qu’au cours des 10 prochaines années, il y aura des milliers de kilomètres de câbles qui ne pourront être utilisés à cause des inondations. Cela s’est déjà produit à New York et à Houston.

Allons-nous préférer les satellites pour le WiFi? Quelqu’un a-t-il réfléchi au danger d’investir 60 milliards de dollars de plus dans l’infrastructure que nous prévoyons construire?

M. Hutchison : C’est une excellente question. On utilise toutes sortes de noms pour les villes de demain et cela trouble également le marché. Il y a une vingtaine de définitions de ce qu’est une ville intelligente; collectivité intelligente, durable et résiliente, ce sont des mots qui apparaissent maintenant.

En Hollande, il n’y a pas eu de problème avec les inondations. C’est un pays dont la plus grande partie est située en dessous du niveau de la mer et il a réussi à gérer et à contrôler les inondations. Ce pays a fait des choses incroyables et les villes situées sur la côte devront faire la même chose. À long terme, la plupart de ces problèmes peuvent être résolus de façon satisfaisante. À court terme, il y aura toujours des problèmes. Les gens devront comprendre que, lorsque vous placez — cela ne concerne pas la fibre optique, parce qu’il y a beaucoup de fibres dans la mer, mais c’est une matière imperméable. Il faudra tout rendre imperméable.

Waterfront Toronto n’a pas été autorisé à lancer un projet de logements près de Don Valley, au bord du lac, tant qu’il n’aura pas dépensé 100 millions de dollars à construire ce qui est essentiellement des digues. Ce sont des digues améliorées, qui ressemblent à des parcs. Ils sont en train de dépenser 1 milliard de dollars sur les terrains portuaires pour faire la même chose, à savoir déplacer les rivières et tout le reste. Il faut que les gens en soient conscients.

Même les ondes radio et le WiFi utilisent des tours et elles arrivent ensuite dans des petites boîtes électriques connectées à la fibre. Tous ces problèmes peuvent être réglés, mais il faut y réfléchir et agir. Je crois que maintenant les gens vont y penser avec tous ces problèmes.

La sénatrice Galvez : Qui va leur dire d’y réfléchir, quel ordre de gouvernement?

M. Hutchison : Il y aura une combinaison de tous les ordres de gouvernement, fédéral, provincial et municipal, qui vont réfléchir à ces choses — même les sociétés d’assurance. Après l’inondation de la rivière Bow à Calgary, les compagnies d’assurance ont commencé à dire : « Un instant. Nous n’allons pas vous rembourser votre maison. C’est un problème municipal. Ils n’auraient jamais dû vous laisser construire dans cette zone, parce qu’ils savaient que c’est une zone inondable. » Les gens ont cherché des coupables, mais ils vont tous devoir collaborer.

[Français]

La sénatrice Galvez : Monsieur Jack, je ne comprends pas. La relation entre les développeurs, les distributeurs et les diffuseurs de contenu est très complexe. Vous avez proposé qu’une seule loi couvre tous ces aspects, mais on a entendu d’autres témoins qui disent que le contenu est une chose et le moyen de transmission en est une autre. Effectivement, l’expertise et les besoins techniques et culturels sont très différents. Si je comprends bien, le contenu dépend de la région, de la culture. C’est très local. Le véhicule de transmission du contenu, c’est de la technologie et de l’ingénierie. Ce sont deux choses complètement différentes. Je me demande si une loi peut vraiment couvrir tout cela. Vaudrait-il mieux avoir une séparation au niveau de la législation?

M. Jack : Comme j’ai passé une partie de ma carrière au conseil, je n’ai pas d’avis ferme. D’un point de vue commercial, si le contenu canadien audiovisuel est impliqué dans le plan d’affaires des compagnies verticalement intégrées telles Vidéotron, Rogers, Bell et Shaw, toutes ces grandes compagnies qui accaparent 98 p. 100 du marché, comment peut-on soutirer la partie du contenu de l’ensemble de leurs activités en communication?

Sur le plan commercial, c’est presque impossible. Cela n’empêche pas d’avoir une législation sur le contenu commercial qui inclurait toutes les formes, que ce soit le théâtre, le secteur audiovisuel ou autre, mais pour capter les compagnies intégrées de façon verticale, il faut reconnaître que le contenu est imbriqué dans leurs activités. C’est quasiment impossible de soutirer et de réglementer cela de façon différente.

[Traduction]

Le président : Monsieur Hutchison, pourriez-vous également faire un commentaire sur cette question?

M. Hutchison : C’est intéressant. Lorsqu’il s’agit d’agir, je dirais que je suis un néophyte. Je viens du secteur privé, j’ai tendance à faire partie des gens qui disent : « Posons le problème et voyons comment nous pouvons le régler », parce que nous sommes assez innovateurs. Mes amis du secteur culturel m’en voudront beaucoup, mais, comme le dirait M. Jack, il est parfois difficile de faire ce genre de distinction. Des gens plus intelligents que moi pourraient peut-être vous dire comment il est possible de mesurer certaines activités de contenu.

Lorsque je suis sur le terrain et que j’essaie de créer une nouvelle collectivité et que, dans ce cas particulier, Bell et Rogers ne veulent pas faire ce que la DP leur demande, c’est un tiers qui souhaite le faire. Ces sociétés ont des licences de diffusion, mais même dans ce cas, elles vont créer du contenu. La plus grande partie sera locale, mais elles vont être obligées de créer du contenu. Il y a peut-être une partie de ce contenu qui intéressera d’autres collectivités et même peut-être le pays tout entier, mais elles vont être obligées de le faire pour créer des collectivités intelligentes. C’est une question très complexe.

La sénatrice Galvez : Supposons que nous ayons une loi générale sur les communications, mais nous avons vu tellement de projets de loi qui contiennent deux ou trois parties. Pourrions-nous en avoir une, mais alors où se situeraient les deux autres aspects.

M. Hutchison : Je crois que c’est ce que dit Stuart, il faut placer tout ceci dans une loi, mais certaines parties concernent la fibre optique ainsi que les structures et d’autres, les questions culturelles.

Lorsque j’écoute les DC — même si je fais partie du secteur privé — je dirais que tout le monde doit avoir les mêmes droits. Il y a des choses qui forment le tissu national avec lesquelles il serait difficile de vendre de la publicité. Il est évident que ces genres de problèmes se posent.

Le président : Merci pour vos exposés. Nous avons eu une discussion intéressante.

Nous allons suspendre la séance pendant un instant pour prendre congé de nos invités et les remercier d’être venus en personne. Nous allons ensuite siéger cinq minutes à huis clos pour approuver la liste des autres témoins et parler de l’organisation de nos travaux.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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