Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 42 - Témoignages du 31 octobre 2018
OTTAWA, le mercredi 31 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46, afin d’étudier la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications (soit la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication), pour tenir compte de l’évolution des secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications durant les dernières décennies.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : En juin dernier, le Sénat a autorisé le comité à examiner, en vue d’en faire rapport, la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications, soit la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication, pour tenir compte de l’évolution des secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications durant les dernières décennies.
Ce soir, nous poursuivons cette étude spéciale. J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, Janet Yale, présidente, et Monique Simard, membre du groupe d’examen.
Merci d’avoir accepté de prendre part à notre réunion. Madame Yale, vous avez la parole.
Janet Yale, présidente, Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications : Ce comité est reconnu pour les analyses approfondies et réfléchies qu’il effectue sur des enjeux essentiels au secteur des communications de notre pays. Nous sommes enchantées d’être ici.
Comme vous le savez, notre groupe d’examen a été nommé en juin 2018 par les ministres d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada et de Patrimoine canadien.
Notre mandat est clair : formuler des recommandations concrètes afin de mettre à jour le cadre législatif régissant nos secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications. Il importe de souligner ce point : notre travail consiste à favoriser un changement législatif. Il s’agit de réviser le cadre et d’aider à mettre en place des conditions pour assurer le succès.
Pour nous guider dans nos efforts, le gouvernement nous a fourni un cadre de référence qui aide à définir et à structurer notre approche. De plus, les membres du groupe d’examen ont établi quatre thèmes auxquels nous porterons une attention particulière. Sur le plan personnel, je prends très au sérieux l’occasion de présider ce groupe d’examen et j’en suis très reconnaissante.
J’ai commencé ma carrière dans les années 1980 au CRTC, dans le domaine des télécommunications. Au cours des années qui ont suivi, j’ai occupé des postes de haute direction à la fois dans le secteur de la radiodiffusion et dans celui des télécommunications, et ce, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. J’ai également travaillé à titre de défenseure des intérêts des consommateurs, ainsi que pour le compte d’organisations créatives et à vocation culturelle dans le secteur sans but lucratif.
Ces enjeux me tiennent à cœur. Le moment est bien choisi pour conduire ce type d’examen, pour la simple raison que l’ensemble du paysage est en train de se transformer devant nos yeux. Le secteur a toujours été caractérisé par le changement, mais nous n’avons jamais vécu de rupture aussi profonde avec des impacts aussi vastes. Si nous ne portons pas notre regard vers l’avenir, nous risquons de nous retrouver loin derrière.
J’ai également hâte de travailler avec mes collègues du groupe d’examen. Le gouvernement a choisi des individus qui possèdent un large éventail d’expertises et d’intérêts. Nous avons des défenseurs des intérêts des consommateurs, des chercheurs du monde universitaire, d’anciens membres d’organismes de réglementation, des créateurs ainsi que des membres avec des expériences dans les secteurs du commerce, du droit et des affaires. Il n’est jamais possible de trouver l’équilibre parfait en termes de représentativité, mais je crois fermement que mes collègues apportent un éventail impressionnant de connaissances ainsi qu’une bonne compréhension de la tâche qui nous attend.
Comme je l’ai déjà mentionné, notre mandat consiste principalement à formuler des recommandations pour favoriser un changement législatif. C’est pourquoi nous avons l’intention d’inciter les intervenants à faire preuve de la plus grande précision possible dans leurs observations — car il ne suffit pas de simplement décrire les défis auxquels nous faisons face. Ces défis sont plutôt bien documentés. Notre objectif véritable est de trouver des solutions. Ainsi, nous privilégions des idées pratiques, techniques et bien circonscrites, qui nous permettront d’identifier la façon dont le changement pourrait être réalisé dans un contexte législatif.
Nous nous intéressons à ce qui fonctionne aujourd’hui — et à ce qui peut fonctionner encore mieux à l’avenir. Étant donné la rapidité de l’évolution de l’environnement actuel, nous devons non seulement réfléchir à la prochaine étape, mais nous devons prendre deux, trois ou quatre longueurs d’avance.
Je suis certaine que ce comité est du même avis. Plusieurs organisations réfléchissent aux enjeux sous un angle spécifique et étroit qui reflète leurs propres intérêts. D’autres ont tendance à se laisser distraire par des enjeux transactionnels à court terme. Toutefois, tous deux — le groupe d’examen et le comité du Sénat — avons la possibilité de penser au-delà de ces limites et de prendre en considération le contexte plus large de ce qui sera nécessaire pour bâtir l’avenir.
Je vais terminer en parlant brièvement de notre processus, avant de céder la parole à ma collègue.
Nous devons produire deux rapports dans un délai d’environ 16 mois. Le premier sera publié le printemps prochain, après que nous aurons eu la possibilité de recueillir les commentaires de différents intervenants, de diverses collectivités et du public. Ce rapport présentera ce que nous avons entendu et, à la suite de notre démarche de consultation, nous soulignerons probablement les points faisant l’objet de consensus ou de différends importants.
Par ailleurs, notre démarche de consultation comprend trois éléments essentiels. Tout d’abord, nous avons lancé un appel ouvert en vue d’obtenir des observations écrites, qui serviront à éclairer nos travaux et à orienter nos perspectives. Nous espérons obtenir une réponse solide de la part des intervenants, du public et de toute autre partie qui s’intéresse à ce secteur. Tous les commentaires reçus seront publiés. Je tiens également à préciser que les membres du groupe d’examen ont eux-mêmes aidé à produire une série de présentations web sur les trois lois en cours d’examen — car, comme nous l’avons mentionné, nous voulons réellement concentrer nos efforts sur les changements potentiels à cet égard.
De plus, nous réalisons présentement un grand nombre de rencontres avec des intervenants — au moins 90 au dernier décompte — et nous ajouterons, sans doute, d’autres rencontres à l’avenir. Nous publierons et mettrons à jour régulièrement une liste de toutes les parties que nous avons rencontrées.
Enfin, nous accorderons une priorité aux voix sous-représentées, y compris celles des groupes autochtones et des minorités de langue officielle. Il s’agit d’ailleurs d’une demande précise du gouvernement, et un membre du comité s’est déjà rendu dans le Nord pour y organiser des réunions et recueillir des commentaires.
Je dois ajouter que ce processus est en constante évolution. Nous augmenterons sans doute le nombre de rencontres et de séances d’information. Nous sommes ouverts à d’autres mécanismes de consultation. Nous sommes en train d’évaluer des mécanismes tels que les webinaires et des activités de sensibilisation en ligne. Bref, nous gardons l’esprit ouvert, car nous n’en sommes qu’au début du processus et nous voulons procéder de la meilleure façon possible.
Le deuxième rapport sera publié avant janvier 2020 et comprendra nos recommandations définitives à l’intention du gouvernement. Pour des raisons évidentes, il est difficile d’émettre des hypothèses aujourd’hui sur la forme que prendront ces conclusions, mais j’aimerais terminer en précisant une chose très simple.
Nous sommes résolus à bien faire les choses. Nous avons tous des perspectives et des expériences différentes. Cependant, notre but commun est de bien faire les choses et nous sommes prêts à travailler fort et à déployer les efforts nécessaires pour atteindre cet objectif.
Avec un peu de chance, ce comité s’occupera peut-être, dans un avenir rapproché, de l’examen de la nouvelle législation émanant de notre travail et du vôtre également. Nous ne pouvons pas contrôler ce résultat. Au bout du compte, il revient au gouvernement de décider de la façon de procéder. Toutefois, nous devons espérer qu’il en sera ainsi.
Merci. Je cède maintenant la parole à ma collègue et membre du groupe d’examen.
[Français]
Monique Simard, membre du panel, Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications : Merci, madame Yale, et merci également au comité et à ses membres de me donner l’occasion de prendre la parole ce soir. C’est vraiment apprécié.
Tout d’abord, je tiens à vous dire pourquoi j’ai accepté de faire partie de ce Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications. Depuis de nombreuses années, j’œuvre dans le milieu culturel, d’abord à titre de productrice de films et de séries documentaires, poste qui m’a permis de travailler avec des centaines d’artistes et d’artisans. Puis, en 2008, j’ai été nommée directrice générale du programme français de l’Office national du film du Canada, l’ONF, où je dirigeais des studios de documentaires, d’animation et de production interactive pour l’ensemble des francophones du Canada. J’ai également tenté, avec des artistes autochtones, de mettre sur pied des programmes de formation. Durant ces années, à travers la production de centaines d’œuvres, j’ai rencontré et travaillé avec des communautés et des artistes francophones partout à travers le pays.
En 2014, j’ai pris la direction de la SODEC, la Société de développement des entreprises culturelles du Québec, où j’ai dirigé l’ensemble des programmes, dont ceux en cinéma, en musique, en édition de livres ainsi qu’en métiers d’art. Là encore, j’ai rencontré et collaboré avec des centaines d’artistes. De plus, à titre de présidente de la SODEC, j’ai présidé l’APFA, soit l’Association of Provincial Financial Agencies, qui regroupe l’ensemble des organisations provinciales ou territoriales qui s’occupent de culture et de financement de la culture, telles que l’OMDC, en Ontario, BC Film and Music, Yukon Film, et Manitoba Film & Music. L’APFA chapeaute donc l’ensemble de ces organisations. Tout cela m’a permis de comprendre quels étaient les défis de chacune des régions du Canada, du Yukon jusqu’à Terre-Neuve-et-Labrador. Bref, c’est en fréquentant des artistes et des producteurs provenant de tous ces milieux et en constatant les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, qui sont réellement de plus en plus difficiles, que j’ai décidé d’accepter la proposition de faire partie du groupe d’examen.
Je pense que je ne vous apprends rien en vous disant que je crois profondément que la culture et les arts sont nos miroirs, qu’ils reflètent ce que nous sommes, et que nous nous devons de nous donner tous les moyens pour nous assurer que nous pouvons nous exprimer, non seulement librement, mais aussi de façon unique. Nous seuls sommes à même de raconter nos histoires et de les interpréter à notre façon. Quand je dis « raconter nos histoires », je veux dire, bien sûr, composer notre musique, écrire nos chansons, notre dramaturgie, notre poésie, notre littérature et, bien sûr, scénariser nos films et notre télévision pour que nos acteurs et nos musiciens puissent jouer.
À plusieurs égards, nous avons très bien réussi, grâce à une série de mesures et de programmes au fil des ans et des décennies. Nos œuvres sont saluées partout dans le monde, et c’est tout à l’honneur des artistes d’ici.
Voilà pourquoi, à mon avis, il faut continuer. Le soutien public a toujours été important au Canada, et c’est tant mieux puisqu’il nous a permis de nous forger une véritable identité culturelle.
Notre groupe a de nombreuses tâches à accomplir et rencontre plusieurs défis. Nous vivons dans un environnement technologique et économique en perpétuel changement. Tout le monde le dit et le reconnaît, le changement n’aura jamais été aussi important et rapide. Nous vivons dans un monde de « disruption », mot qui est énormément utilisé, autant en anglais qu’en français.
Le rythme du changement est presque étourdissant, mais il ne faut pas perdre le pas, parce que cela va vite et que cela change. De plus, il ne faut pas perdre de vue le cadre de base dans lequel nous devons œuvrer et travailler. Il nous faut bien sûr renouveler ce cadre de base ou, du moins, nous assurer qu’il est solide.
Voilà pourquoi il a été décidé de commencer par la structure législative et les réglementations qui vont, évidemment, en découler.
Nous nous y appliquons dans l’ordre, de façon rigoureuse, orientés vers l’avenir; et l’avenir, ici, n’est pas un vain mot puisque c’est vraiment de notre futur qu’il s’agit. La culture est notre identité et elle demeurera notre identité dans le futur.
Notre groupe a identifié quatre thèmes majeurs. Vous avez sans doute lu notre cadre de référence, qui est assez volumineux et compte une quinzaine de pages et 31 questions. Nous avons travaillé ensemble au cours de l’été, dès les premières semaines, à regrouper tout cela en quatre thèmes.
Le premier thème, c’est la réduction des obstacles à l’accès aux réseaux évolués de télécommunications pour toute la population, parce qu’on sait que tout n’est pas encore accessible à tout le monde au pays.
Deuxièmement, il faut apporter un soutien nécessaire à la création, à la production — il y a des créateurs, mais encore faut-il qu’ils puissent produire — et à la découvrabilité du contenu canadien. On peut produire et créer des choses formidables; encore faut-il que les Canadiens, en premier lieu, sachent que ces œuvres existent et qu’ils puissent aller les voir et les acheter. C’est important.
Ensuite, pour ce qui est de l’amélioration des droits du consommateur-citoyen numérique, je crois qu’on ne peut pas seulement réduire ce dernier à la notion de consommateur, mais qu’on doit ajouter la notion de citoyenneté. Il est difficile d’exercer sa citoyenneté si on n’a pas accès aux moyens de communication numériques d’aujourd’hui.
Enfin, le quatrième thème, qui est aussi important que tous les autres, est le renouvellement du cadre institutionnel qui régit le secteur des communications.
Tous ces thèmes — et je constate ce que vous vous êtes donné pour mission — sont intimement liés. Personnellement, ce mandat me passionne. J’ai rarement eu un mandat aussi stimulant intellectuellement dans ma vie. Je pense que c’est la même chose pour mes collègues qui font partie du groupe d’examen. Nous avons des expertises très différentes, mais elles sont complémentaires. Nous les mettons au service du mandat public qui nous a été confié. Merci beaucoup de m’avoir écoutée.
Le sénateur Dawson : Vous avez toutes les deux évoqué à quelques reprises la diversité au sein de votre groupe.
[Traduction]
Croyez-moi, votre groupe ne peut être plus diversifié que le groupe que nous formons ici. Nous évoluons tous deux dans le même contexte politique, mais avons des feuilles de route très différentes.
Nos groupes se sont formés parallèlement l’un à l’autre. Le comité a lui-même décidé d’étudier cette question. Personne ne nous l’a demandé. Nous estimions qu’il y avait un problème et que nous devions intervenir.
Au même moment, pratiquement le jour même où nous avons fait connaître notre sujet d’étude, nous apprenions que le gouvernement venait d’annoncer la création d’un groupe d’experts sur le même sujet. Tout d’abord, nous comptons bien réaliser cette étude, alors aussi bien apprendre à vivre ensemble. Je suppose que, chemin faisant, vous comme nous discutons tous depuis des semaines de ce sur quoi nous allons nous concentrer. Nous ne voulons pas empiéter sur vos sujets ni répéter les mêmes choses. Nous ne travaillons pas pour vous. Vous ne travaillez pas pour nous. Nous voulons être productifs.
Nous avons besoin d’orientation. Si vous pensez à des choses que vous ne pouvez pas faire, mais que nous pouvons faire, n’hésitez pas à nous orienter sur ces questions.
[Français]
Selon vos propos respectifs, il n’y a pas de « one size fits all » au Canada. Je connais votre passé dans d’autres sphères que celui de la production. La politique canadienne, c’est deux scorpions dans un même bocal. Les lois qu’on cherche à imposer ici ont souvent tendance à être soit pour le Canada anglais, soit pour le Québec francophone, soit pour la francophonie de l’Est et de l’Ouest. On a beau dire que Radio-Canada et CBC sont une compagnie, mais les gens qui ont travaillé dans le domaine savent très bien qu’il y a deux compagnies : une compagnie anglophone, qui est en concurrence avec les Américains et une compagnie québécoise majoritairement franco-canadienne, qui est en concurrence avec différents défis. Nous avons besoin de vos conseils.
[Traduction]
Un des premiers témoins que nous avons entendus a dit qu’il allait vous rencontrer et dîner avec vous. Je lui ai dit que nous aimerions beaucoup que vous comparaissiez devant le comité. Nous aimerions établir avec vous des paramètres qui nous aident à savoir où aller et par où commencer, afin d’éviter le dédoublement des tâches ou la création de conflits.
Notre calendrier est beaucoup plus court que le vôtre. Nous souhaitons régler la question avant les prochaines élections. Nous voulons entendre le gouvernement, les partis et les intervenants. Nous allons donc réagir avant vous, en février.
Nous aimerions savoir ce qui, selon vous, devrait être dit dès le début de notre rapport. Je sais que vous ne menez pas d’action politique, peut-être un peu par le passé. Nous avons besoin d’une orientation qui permettra à nos deux groupes de s’aider mutuellement.
Le président : Nous aimerions que le rapport soit terminé avant la fin juin.
Mme Yale : Je vais commencer, et ma collègue verra ensuite si elle veut ajouter quelque chose.
Premièrement, nous nous réjouissons du fait que vous entrepreniez cette étude vous aussi. Il s’agit de questions très importantes. Je signale d’entrée de jeu que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.
Nous avons également beaucoup à apprendre des organisations qui comparaissent devant vous. Ce sont des occasions formidables. Idéalement, si nous réussissons à produire notre rapport provisoire avant la publication de votre rapport final, vous pourrez réfléchir aux commentaires que nous aurons entendus et aux mémoires que nous aurons reçus en réponse à l’appel de propositions écrites qui sera lancé le 30 novembre. Ces renseignements seront du domaine public. Vous pourrez donc, bien évidemment, en prendre connaissance vous aussi.
Quant à vous donner des conseils précis, je pense qu’il serait présomptueux de ma part de le faire à cette étape. De toute évidence, nous amorçons à peine notre processus. Notre appel à commentaires a été lancé le 25 septembre.
Comme ma collègue l’a indiqué, nous avons passé l’été à réfléchir au mandat qui nous a été confié par le gouvernement et à penser à la meilleure façon d’organiser notre travail et de concevoir notre processus. Les questions énoncées dans le cadre de référence sont celles qui nous ont été posées par le gouvernement, mais c’est à nous d’en décider.
Le processus que nous suivons est assujetti aux deux délais prescrits dans le rapport intitulé Ce que nous avons entendu, soit : un rapport provisoire au printemps 2019 et un rapport final en janvier 2020 au plus tard. Nous fonctionnons en toute indépendance. Comme vous pouvez le voir, notre appel à commentaires a suscité beaucoup de questions et de réactions.
À ce stade-ci, nous n’avons pas eu de réponses qui pourraient vous guider.
Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Simard?
Mme Simard : Non.
[Français]
La sénatrice Gagné : Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. Je salue votre expérience professionnelle, qui vous donne la perspective nécessaire pour entreprendre cet examen. Le Canada s’est doté d’une politique canadienne de radiodiffusion, et je n’ai vu nulle part qu’on voulait se débarrasser de la politique canadienne de radiodiffusion. Je suis contente de constater cela.
J’aimerais poser des questions par rapport à l’auditoire, surtout celui de Radio-Canada. Radio-Canada et CBC font partie de cette politique canadienne de radiodiffusion. Dans le cadre de référence, il y a plusieurs questions et, parmi celles-ci, on en trouve deux que j’aimerais soulever.
La première est la question 13.6, qui se lit comme suit à la page 14 :
De quelle façon CBC/Radio-Canada peut-elle soutenir et protéger le dynamisme des langues officielles et des communautés de langue officielle en situation minoritaire du Canada?
Avant d’entreprendre cet examen, il serait important de comprendre qui est l’auditoire francophone de la Société Radio-Canada, surtout à l’extérieur du Québec. J’aimerais aborder l’aspect des communautés francophones de langue officielle en situation minoritaire. Souvent, on fait référence au fait qu’il y a seulement un million de francophones qui ont le français comme première langue parlée. Je viens du Manitoba et je connais très bien le Canada, mais surtout les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il y a 2,7 millions de Canadiens qui communiquent en français et qui souhaitent avoir un plus grand espace pour vivre en français. Je me suis posé la question suivante : la Société Radio-Canada fournit-elle les ressources et les efforts nécessaires pour rejoindre ce plus grand auditoire qui va au-delà d’un million de francophones dont le français est la première langue parlée?
Mme Simard : Merci de vos questions, madame la sénatrice Gagné. Comme l’a dit ma collègue, Mme Yale, l’examen du rôle d’un diffuseur public fait partie des questions que nous nous sommes posées, dans cet environnement technologique et économique qui a tellement changé dans le monde des communications.
On nous demande aussi de porter une attention particulière aux communautés en situation minoritaire, auxquelles je suis moi-même particulièrement sensible, en particulier en raison de mon expérience comme directrice générale à l’Office national du film, où j’ai rencontré toutes les communautés francophones au Manitoba, aux Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et plusieurs au Nouveau-Brunswick, car nous avions un studio au Nouveau-Brunswick.
C’est une situation que je comprends, et aussi au plan culturel, par rapport à l’importance de Radio-Canada dans ce contexte où nous étions souvent partenaires. On est en mode écoute, et on va entendre les gens nous donner leur opinion sur le rôle que doit jouer ce diffuseur public qu’est Radio-Canada/CBC. CBC a aussi un rôle à jouer, en passant, chez les anglophones du Québec. Il y a aussi cette dimension. Je pense que le fait qu’on ait un diffuseur public n’est pas remis en question, entre nous, mais est-ce qu’il fait bien son travail? Est-ce qu’il pourrait faire mieux? Quelles sont les ressources? Comment le faire?
Bien sûr, c’est extrêmement important et je peux comprendre et vous dire comment il faut bien entendre cela. Je peux vous assurer qu’on est très, très à l’écoute. En ce moment, je ne peux pas vous donner le résultat de nos consultations, parce qu’elles ne sont pas terminées. Il y a des gens qui ont un tas d’idées. La plupart des gens tiennent beaucoup à Radio-Canada/CBC, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Je considère, par rapport à ce que le sénateur Dawson disait, qu’il faut se nourrir les uns les autres dans nos travaux, parce qu’on n’entendra pas nécessairement les mêmes choses, en même temps et au même moment; donc, il faut se nourrir parce qu’on traite des mêmes questions.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins de leur présence. J’ai une question précise pour Mme Yale et, peut-être, une question générale pour vous deux.
Ma question est d’ordre pratique. Madame Yale, vous avez été présidente de l’Association canadienne de télévision par câble. Vous avez réagi à une décision de la Cour suprême de 2003 en faisant remarquer que l’imposition de tarifs pour la pose des câbles de distribution sur des poteaux électriques, sauf pour l’acheminent des services publics à domicile, aurait pour effet de faire augmenter les prix pour les consommateurs.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des résultats des 15 dernières années. Aviez-vous misé juste dans vos prévisions?
Mme Yale : Pour être honnête, je ne travaille plus dans l’industrie depuis 2010, alors mes connaissances sur ce sujet en particulier ne sont pas très à jour. J’aurais du mal à répondre au volet historique de votre question.
Nous sommes assurément conscients du fait que l’accès à l’infrastructure est très important. Cela fait partie de notre cadre de référence. C’est d’ailleurs un sujet qui préoccupe beaucoup d’intervenants du secteur. Surtout maintenant qu’il est question d’introduire la technologie 5G, on se demande ce qui se passera avec l’accès à l’infrastructure, qui relève actuellement de la compétence des différents gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, selon l’élément d’infrastructure concerné.
Je vous remercie de votre question. Nous l’avons très présente à l’esprit. Pour l’instant, nous n’avons pas de point de vue précis à ce sujet.
Le sénateur MacDonald : Cela m’amène à ma prochaine question.
La Canadian Communications Systems Alliance a recommandé au comité que le CRTC soit désigné comme organisme de réglementation pour les dispositifs de fixation des structures de soutien, y compris les poteaux électriques provinciaux.
Êtes-vous d’accord avec la recommandation de l’alliance? Pourquoi? Quelle est votre position à ce sujet?
Mme Yale : Je comprends la recommandation de la Canadian Communications Systems Alliance. Comme je l’ai dit, nous constatons que l’accès à l’infrastructure, tous types confondus, prend de plus en plus d’importance, en particulier au moment où nous commençons à envisager les pressions que la nouvelle technologie exercera sur l’accès à une infrastructure diversifiée. Pas seulement sur l’infrastructure qui est actuellement de compétence provinciale, mais aussi sur l’infrastructure de compétence municipale.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous ratissons large dans les consultations et réunions que nous tenons et c’est aussi pour cela que nous avons lancé un appel à commentaires. Nous espérons recueillir les commentaires de personnes de tous les horizons.
J’insiste sur le fait que notre mandat ne se limite pas à l’étude de la nécessité d’accéder à des structures de soutien dans le cadre de l’évolution de la technologie. Notre mandat, notre raison d’être, est la réforme législative.
Si les gens ont des recommandations précises au sujet de ces structures de soutien, nous aimerions vraiment savoir si cela nécessitera une modification législative. Si oui, quelles seraient ces recommandations précises pour des changements à la loi?
Le sénateur MacDonald : C’est une question générale pour vous deux.
Les responsabilités en matière de radiodiffusion et de télécommunications sont réparties entre quatre autorités compétentes : la ministre du Patrimoine, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, le Bureau de la concurrence et le CRTC.
Si vous deviez restructurer les pouvoirs de ces organisations, quels changements — s’il en est — recommanderiez-vous?
Mme Yale : L’une des demandes précises rattachées à notre mandat est d’examiner la façon dont le cadre institutionnel qui régit les secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications se reflète, à l’heure actuelle, dans les trois lois, soit la Loi sur les radiocommunications, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion.
Nous tenons à nous assurer que les gens nous feront des recommandations sur ce que devraient être la bonne façon de structurer la loi et la bonne façon de répartir les pouvoirs entre le gouvernement, les tribunaux, le CRTC et ainsi de suite.
Nous sommes impatients de recevoir des recommandations très précises sur les points que vous soulevez en ce moment.
Comme je l’ai dit, nous n’en sommes qu’au tout début du processus et nous ne sommes arrivés à aucune conclusion. Cependant, nous avons beaucoup de questions.
Le sénateur MacDonald : Madame Simard, voulez-vous ajouter quelque chose?
[Français]
Mme Simard : Non, je pense que Mme Yale l’a bien dit. On est au début du processus. On a commencé à travailler à la fin du mois de juin pour prendre acte du cadre de référence, qui est large, comme vous le savez, puisque vous vous en êtes donné un assez grand, et de l’organiser. On a commencé les consultations au mois de septembre. Ce que nous faisons vraiment, en ce moment, c’est écouter, entendre, poser des questions, mais on ne peut encore en arriver à des conclusions. Le sujet dont vous parlez est clairement écrit, c’est le cadre institutionnel, il faut le regarder et l’examiner, est-ce que c’est encore le bon? Est-ce le meilleur? Faut-il fusionner ou créer d’autres institutions? C’est à voir. Il n’y a encore eu aucune décision ou même discussion entre nous sur cette question.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Merci de comparaître aujourd’hui et merci de vos exposés. J’ai une question à quatre volets en lien avec vos quatre thèmes. Je la pose maintenant, car je n’aurai peut-être pas d’autre occasion de le faire. J’aimerais savoir ce que vous pensez de chacune d’entre elles, si vous me le permettez, parce que je ne suis pas sûr d’être sur la bonne voie.
Premièrement, quand vous parlez de réduire les barrières qui limitent l’accès aux télécommunications de pointe, parlez-vous de la structure du marché? De la concurrence fondée sur les installations? Pensez-vous à la concentration dans le secteur, à la possibilité qu’il y ait de nouveaux joueurs? Qu’entendez-vous exactement par là, si je peux me permettre?
Deuxièmement, pour ce qui est de fournir le soutien nécessaire à la création et à la production de contenu, faites-vous allusion aux fournisseurs de programmation par contournement? Parlez-vous de Netflix? De contribution au secteur? Êtes-vous préoccupées par l’équité des règles du jeu? Est-ce à cela que vous pensez?
Troisièmement, en ce qui a trait à l’amélioration des droits des consommateurs de services numériques, parlez-vous de neutralité du réseau? Je sais que vous devez vous pencher sur le sujet. J’ai posé la question au président du CRTC hier. La neutralité du réseau est une question préoccupante. Je suis peut-être à côté de la plaque, mais cela me préoccupe. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Quatrièmement, dans sa dernière question, le sénateur MacDonald abordait indirectement la question du renouvellement du cadre institutionnel. Je remonte loin en arrière. Je me souviens d’un temps où le ministère des Communications avait un ministre responsable des deux secteurs.
Je me souviens aussi de l’époque où nous n’étions pas aussi divisés sur la radiodiffusion et les télécommunications. Je n’ai pas besoin de vous parler de convergence et de ce qui se passe dans le secteur.
Pour moi, la réforme institutionnelle ne vise pas uniquement les lois que vous avez mentionnées. Cela concerne aussi la façon dont le gouvernement s’est organisé dans le contexte actuel. Ma question est la suivante : peut-être devrions-nous revenir au ministère des Communications?
Mme Yale : Je vais commencer.
Le président : Essayons de partir d’ici avant 21 heures.
Mme Yale : Vous me faites peur.
Le président : Je plaisante. Nous pourrions rester plus longtemps.
Mme Yale : Je dirai tout d’abord que, s’il s’agit d’un examen commun, c’est qu’il y a de bonnes raisons, étant donné l’interaction entre de nombreux enjeux. Vous y avez vous-mêmes fait allusion en posant vos questions comme vous l’avez fait.
Pour faciliter les choses, nous avons essayé de regrouper les 15 pages du mandat et la bonne trentaine de questions que nous avons reçues autour de thèmes de façon à guider la structure des mémoires.
Prenons le premier thème : au bout du compte, nous voulons créer un plan pour l’avenir d’un secteur des communications qui soit de calibre mondial. C’est énoncé explicitement dans notre mandat et cela traduit vraiment l’essence de notre ambitieux objectif de créer un cadre législatif qui permet l’épanouissement d’un secteur des communications de calibre mondial.
Quant à l’infrastructure, nous réfléchissons aux moyens de faire en sorte que les services à large bande soient accessibles pour tous les Canadiens. Indépendamment de l’endroit où ils vivent, qu’ils aient ou non des problèmes d’accessibilité et quelle que soit leur langue, ils devraient avoir la capacité de se connecter et de communiquer entre eux pour participer à l’économie numérique.
Nous reconnaissons également qu’il faut une structure de marché rentable pour qu’il soit intéressant d’investir dans l’infrastructure nécessaire pour que les consommateurs aient accès à la large bande à un prix abordable.
Comment pouvons-nous équilibrer tout cela? Voilà certaines des questions à l’étude. Au bout du compte, nous savons que la question de l’infrastructure des télécommunications ne se limite pas à l’offre de l’accès à la large bande à un prix abordable.
Nous savons que l’infrastructure des télécommunications est aussi un véritable moteur de croissance économique, surtout quand on pense aux perturbations qui se produisent dans de nombreux secteurs de l’économie, y compris celui de l’énergie, que vous connaissez bien.
Nous devons réfléchir à tous les moyens que le Canada peut utiliser pour devenir un chef de file mondial en matière d’infrastructure de classe mondiale, tout en reconnaissant que les consommateurs recherchent l’accès généralisé aux services à des vitesses acceptables et à un prix abordable.
Voilà pour la première partie. Je vais laisser Monique Simard répondre à la deuxième partie.
[Français]
Mme Simard : J’ajouterais que l’accessibilité aux nouvelles technologies, c’est l’accessibilité de pouvoir exercer ses droits de citoyen, sa citoyenneté. Si, aujourd’hui, on n’a pas accès à une technologie moderne et sophistiquée, on ne peut exercer ses droits citoyens.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, qui concerne le contenu, c’est-à-dire la création, la production, la découvrabilité et la promotion du contenu canadien, c’est évident qu’il est au cœur de notre mandat. Pourquoi? Parce qu’il est évident que le numérique a complètement bouleversé le contenu. Aujourd’hui, on peut avoir accès quand on veut, où on veut, sur la plateforme qu’on veut, payante ou non, à n’importe quel contenu. Cela fragilise de bien des façons le contenu canadien, qui est pourtant essentiel à notre identité collective. Donc, c’est une question extrêmement importante.
Lorsqu’on parle de « fragiliser le contenu canadien », il est fragilisé par l’accessibilité à d’autres contenus qui nous arrivent d’ailleurs par différentes entreprises, plateformes, et cetera. Nous allons examiner toute la question des opérateurs étrangers et de leurs activités au Canada. Je ne peux pas vous dire quelles seront nos conclusions, parce que c’est évidemment un sujet dont vous entendez parler tous les jours, dans les journaux et à la radio. Tout le monde en parle, pas seulement au Canada, mais aussi à travers le monde. J’imagine que vous avez au Sénat vos propres groupes de recherche qui vont vous alimenter, parce que ces mêmes questions sont posées à peu près partout sur la planète. Évidemment, nous allons nous en saisir, nous allons écouter, nous allons délibérer, et ensuite, comme vous allez le faire aussi, nous allons faire des recommandations à cet effet. On ne peut pas se mettre la tête dans le sable comme une autruche. C’est une réalité incontournable par rapport au mandat que nous avons.
[Traduction]
Mme Yale : Si vous me le permettez, j’aborderai vos derniers points. Vous avez parlé du consommateur de services numériques et de la neutralité du réseau. Cette neutralité est certainement l’un des enjeux.
Lorsque nous pensons aux consommateurs ou citoyens numériques, les questions de protection des consommateurs nous préoccupent beaucoup. Nous voulons veiller à ce qu’ils disposent de suffisamment de garanties en matière de technologie numérique pour protéger leur sûreté, leur sécurité et leur vie privée. Compte tenu de la prolifération des nouvelles technologies, il faudra peut-être améliorer ou modifier certaines des mesures de protection prévues dans les lois. Nous nous attaquons à de nombreux enjeux de consommation et de citoyenneté.
Enfin, en ce qui concerne votre réflexion sur le bon vieux temps du ministère des Communications, je dirai que nous attendons de voir ce qui sera proposé comme réforme institutionnelle, y compris les changements dans la répartition des responsabilités entre le gouvernement et le CRTC, ou même au sein du gouvernement lui-même. Nous avons hâte de voir si cette recommandation fera partie de l’appel d’observations du 30 novembre ou dans le cadre de vos consultations.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, madame Simard. Je suis toujours surpris quand vous parlez des consommateurs. Ce gouvernement a pris trois ans avant de faire cette étude et elle sera disponible dans un an et demi, donc cela aura pris cinq ans en tout. Cela m’étonne qu’on prenne autant de temps pour répondre aux besoins des consommateurs, parce que c’est un problème criant depuis une décennie. C’est un problème criant au niveau des communautés francophones à travers le Canada, au niveau des consommateurs comme tels, au niveau des coûts et au niveau de l’accessibilité. Combien de groupes de consommateurs avez-vous dans votre organisation qui siègent au comité?
[Traduction]
Mme Yale : Pour ce qui est du comité lui-même, j’ai défendu les intérêts des consommateurs pendant de nombreuses années, et un autre des membres de notre groupe est très engagé à cet égard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je parle des groupes de consommateurs constitués. Il y en a à peu près 200 à travers le Canada, donc combien de représentants de ces groupes sont membres à part entière de votre groupe?
[Traduction]
Mme Yale : À ma connaissance, aucun organisme de défense des consommateurs n’est représenté dans le groupe. Comme vous le savez, je n’ai pas eu mon mot à dire en tant que présidente du groupe.
Pour rejoindre les consommateurs, nous avons de nombreuses rencontres avec des groupes de consommateurs, des groupes qui s’intéressent à l’accessibilité et des groupes qui représentent les minorités de langue officielle partout au Canada. Nous avons fait un important travail d’information auprès de tous ceux qui s’occupent de ces questions, tant dans les télécommunications que dans le secteur culturel.
Nous nous faisons un point d’honneur de tendre la main à ces groupes dans toutes nos réunions.
[Français]
Mme Simard : C’est-à-dire qu’il n’y a pas de groupes représentés dans notre panel; il n’y a personne qui représente un groupe. Je pense que c’est important de le souligner. Il n’y a personne qui représente...
Le sénateur Boisvenu : Madame Simard, les consommateurs sont insatisfaits au niveau de la câblodistribution et de la téléphonie à cause des monopoles. Des études au niveau de la télécommunication, il y en a eu quelques-unes. Si on veut réaliser quelque chose qui va vraiment correspondre aux besoins et aux attentes des consommateurs, il me semble que le gouvernement aurait dû nommer un ou deux groupes de consommateurs pour qu’ils puissent parler au nom des consommateurs.
[Traduction]
Mme Yale : Je comprends votre argument. C’est une question que vous devriez poser au gouvernement puisque, de toute évidence, nous n’avons pas participé à la sélection des membres du groupe.
La seule réponse que je puisse vous donner, c’est qu’on nous a demandé, à chacun d’entre nous, si nous étions prêts à servir et à formuler les meilleures recommandations possible pour une réforme législative qui puisse concilier les divers enjeux qui nous occupent, y compris les droits du consommateur numérique.
Comme je le disais en réponse au sénateur Wetston, nous sommes très préoccupés par la sûreté, la sécurité et la protection de la vie privée des consommateurs, vu les perturbations occasionnées par les changements technologiques.
Le président : Dans le même ordre d’idées, combien de membres le groupe compte-t-il? D’où viennent-ils?
Mme Yale : Le groupe compte sept membres.
Le président : Deux sont ici.
Mme Yale : Un autre membre est présent dans la salle, Marina Pavlović, qui est basée à Ottawa. Elle travaille dans le domaine universitaire. Elle est professeure et étudie les questions de protection des consommateurs et de technologie numérique et elle siège au conseil d’administration de l’organisation qui s’occupe des questions de consommation dans le domaine des télécommunications.
Peter Grant, que vous connaissez peut-être, est avocat spécialisé en radiodiffusion. Il a amorcé sa carrière au CRTC et il a participé à la rédaction de la version actuelle de la Loi sur la radiodiffusion.
Le président : D’où vient-il?
Mme Yale : Sauf erreur, Peter Grant est originaire de Toronto ou de Kapuskasing.
Le président : Je n’ai pas besoin de connaître leur lieu d’origine, mais l’endroit où ils habitent maintenant.
Mme Yale : Il habite à Toronto. Hank Intven, un avocat spécialisé en télécommunications, a participé à la rédaction de la Loi sur les télécommunications actuellement en vigueur et a dirigé le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications. Il vit actuellement à Victoria.
Le président : Il n’est pas originaire de cet endroit, n’est-ce pas?
Mme Yale : Il est originaire du sud-ouest de l’Ontario.
Je suis née à Montréal et je vis maintenant à Ottawa.
Monique Simard vient de Montréal.
Pierre Trudel est basé à Montréal. Je suppose qu’il est originaire de cette ville.
Monica Song est avocate spécialisée en télécommunications, et elle travaille à Ottawa.
Ai-je oublié quelqu’un?
Mme Simard : Non.
Le président : Il n’y a personne des Maritimes, du Nord ou de l’Ouest, en somme.
Mme Yale : C’est exact.
Le président : Intéressant. Je voulais savoir, pour faire suite aux interventions du sénateur Boisvenu puisque c’est à cela qu’il voulait en venir.
La sénatrice Galvez : Le sujet est passionnant. Nous en parlons de plus en plus. Je suis complètement étrangère à ce domaine, alors j’essaie de structurer mes réflexions.
La plupart des choses que vous avez dites toutes les deux sont de la musique à mes oreilles. Il est vrai que mon collègue, le sénateur Wetston, a énuméré beaucoup de problèmes. Nous avons aussi entendu beaucoup d’autorités qui étaient censées faire des choses par le passé, au lieu de laisser la situation se dégrader au point où elle en est rendue, selon le sénateur Boisvenu.
Par exemple, beaucoup de témoins ont comparu pour faire des reproches au CRTC parce qu’il n’a pas fait ceci ou cela.
Je crois comprendre que vous avez décrit la méthode ou l’approche qui vous permettra de remplir votre mandat. Madame Simard, vous avez décrit les objectifs thématiques sur lesquels vous voulez orienter vos recommandations.
C’est un peu comme évaluer un projet de loi et recevoir beaucoup de gens : des témoins, des lobbyistes et divers groupes. Pensez-vous que vous allez faire vos recommandations sans tenir compte des facteurs économiques et techniques, comme mon collègue l’a expliqué?
Pensez-vous avoir carte blanche, au bout du compte, pour dire qu’il faut scinder le CRTC ou certains des projets de loi actuels?
Mme Yale : Si vous voulez savoir dans quelle mesure nous sommes indépendants, je vous dirai que le gouvernement nous a confié un mandat. Il nous a dit clairement que nous sommes complètement indépendants dans la démarche que nous entreprenons et les recommandations que nous formulons.
La sénatrice Galvez : Tiendra-t-on compte de facteurs économiques?
Mme Yale : Bien sûr. Nous comprenons certainement que nous devons réfléchir à tous les facteurs nécessaires pour créer, comme je l’ai dit, un secteur des communications dynamique. Il faut tenir compte d’un grand nombre de facteurs, à commencer par les éléments nécessaires pour avoir une infrastructure de calibre mondial. Évidemment, il s’agit de construire une infrastructure économiquement abordable et d’assurer le financement de la création, de la production et de la découvrabilité du contenu canadien.
Si je comprends bien votre question, le modèle économique dans lequel nous pouvons agir est présent implicitement dans bon nombre des enjeux auxquels nous devons nous intéresser.
La sénatrice Galvez : Oui. Vous avez dit vouloir créer un cadre législatif pour les communications de l’avenir, mais nous entendons dire que le domaine des communications évolue rapidement.
Que signifie pour vous cette notion d’avenir? Quand allez-vous être obligés de tout revoir?
[Français]
Mme Simard : Je pense que c’est le même défi qui se pose pour votre propre comité, c’est-à-dire que, quand on pense à réfléchir dans ce domaine, il y a deux choses que les gens nous disent : rapidité des changements et changements complets. Les paradigmes changent complètement.
Si on doit faire des recommandations, il faut être capable de les concevoir dans ce contexte avec la flexibilité nécessaire. C’est probablement un thème que vous avez souvent entendu de la part des gens qui sont venus vous parler : il faut être flexible, on ne peut plus rien faire passer dans des cases rigides. Il faut arrêter de penser en vase clos parce que tout se touche et se connecte aujourd’hui. Donc, on n’aura pas le choix non plus d’aborder cela dans ces termes.
Quand je dis qu’on veut proposer, je veux dire qu’on nous donne le mandat de proposer. Ce que l’on proposera, on ne le sait pas encore. On n’a aucune prétention à cet égard pour le moment. On entend les gens, on écoute. La description des problèmes commence à être assez vaste et détaillée. Les solutions pour l’avenir sont encore à travailler. Alors, c’est un peu dans cet esprit-là qu’on le voit.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Merci aux membres du groupe. J’ai quelques questions à vous poser sur le fait que vous avez commencé à recevoir des mémoires le 1er septembre.
Mme Yale : Non. Nous avons lancé un appel le 25 septembre, et la date limite pour la présentation des mémoires a été fixée au 30 novembre.
Le sénateur Manning : Vous avez dit dans votre exposé que vous aviez tenu environ 90 réunions avec des intervenants. Combien de mémoires avez-vous reçus jusqu’à maintenant?
Mme Yale : Aucun. À moins que quelqu’un ne décide de devancer largement la date limite, ce à quoi nous ne nous attendons pas vraiment. Nous prévoyons une avalanche de mémoires, je dirais, à la fin de novembre.
Le sénateur Manning : C’était ma prochaine question, alors vous y avez aussi répondu.
Vous avez peut-être déjà répondu à cette question, mais, dans le cadre de votre mandat, tenez-vous compte du coût de la concurrence qui ouvre des possibilités pour les Canadiens? Je vis dans une petite collectivité de pêcheurs de Terre-Neuve-et-Labrador. Tenez-vous compte des coûts des télécommunications dans différentes régions, surtout dans les régions éloignées, par rapport aux coûts observés dans les centres urbains? Cela fait-il partie de votre mandat?
Mme Yale : Tout à fait. L’une des choses qui nous sont explicitement demandées, c’est de nous assurer que les Canadiens, peu importe où ils vivent, ont accès à une infrastructure à large bande à un prix abordable.
Cela fait partie intégrante de ce que nous devons étudier dans toutes les régions du Canada, y compris les collectivités des Premières Nations dans le Grand Nord.
Le sénateur Manning : Au cours des réunions que vous avez tenues avec des d’intervenants jusqu’à maintenant et puisque vous n’avez pas encore reçu de mémoires, cet aspect a-t-il été abordé pendant les échanges? Pouvez-vous nous en dire davantage sur les préoccupations soulevées?
Mme Yale : Très bien.
Le sénateur Manning : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les préoccupations soulevées?
Mme Yale : Personne ne sera étonné d’apprendre que nous rencontrons des groupes de consommateurs partout où nous allons. Le caractère abordable des prix est très important pour les consommateurs, ainsi que l’accès à une véritable infrastructure à large bande à haute vitesse.
C’est une chose d’avoir accès à Internet. C’en est une autre chose que d’avoir une bande assez large et des vitesses suffisantes pour participer vraiment à l’économie numérique.
Que faudra-t-il pour s’assurer que les consommateurs de toutes les régions du Canada sont vraiment en mesure de participer, d’avoir accès à tous les services offerts dans les grands centres urbains grâce la vitesse des liaisons Internet?
[Français]
Mme Simard : Je crois qu’il est important de vous dire qu’on discute aussi avec de plus petits opérateurs qui font l’installation et qui sont souvent très impliqués dans les régions plus éloignées, moins accessibles, à plus faible densité. Ils ont une connaissance très précise des problèmes d’accessibilité pour les gens qui vivent dans des régions à faible densité.
Quand on parle de région éloignée, tout dépend de quoi on est éloigné. Je dirais plutôt des régions à faible densité. Voilà le problème qui se pose dans les télécommunications. On parle de densité et de faible densité. Évidemment, on reste très à l’écoute. Comme je le disais précédemment, et je sais que mes collègues partagent ce point de vue, c’est une question de droits des citoyens.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je m’inquiète de la discussion sur les régions peu peuplées ou éloignées. Là où j’habite, à Terre-Neuve-et-Labrador, nous n’avons aucun service de téléphonie cellulaire. Lorsque j’ai grandi là-bas, comme je l’ai déjà dit, la seule chaîne de télévision que nous avions était CBC. C’était notre fenêtre sur le monde. Aujourd’hui, quand j’allume ma télévision, j’ai des chaînes d’un peu partout.
Madame Simard, vous avez dit que le rythme du changement était étourdissant. Cela ne fait aucun doute. À essayer de suivre l’évolution de la technologie, on attrape le vertige.
Comment votre groupe compte-t-il répondre aux préoccupations liées au maintien de l’identité culturelle et à la préservation de l’histoire du Canada et de Terre-Neuve-et-Labrador?
Dans ma situation, comparativement à ce que vous pouvez choisir avec votre télécommande sur des chaînes de partout dans le monde, je n’ai rien vu du tout, car je suis limitée à l’émission Land and Sea de CBC à Terre-Neuve. Je préfère regarder Land and Sea, mais beaucoup d’autres téléspectateurs pourraient vouloir regarder autre chose. Comment pouvons-nous préserver cela?
[Français]
Mme Simard : Un de nos plus grands défis est de renforcer notre contenu, notre production canadienne, et de la faire découvrir. On emploie de nouveaux termes dans le domaine des télécommunications, comme « disruption » et « découvrabilité ». La « découvrabilité » consiste justement à trouver les moyens et les stratégies pour faire en sorte que les Canadiens et les familles — comme vous, qui êtes du Labrador, ou ceux qui vivent ailleurs — puissent découvrir, connaître, apprécier et faire leurs propres choix. Il ne s’agit pas de fermer le pays à toute exposition à du contenu extérieur. Il s’agit de positionner, de manière privilégiée, notre contenu et nos histoires.
Je suis une ancienne productrice. J’ai travaillé à Terre-Neuve et dans toutes les régions du pays. La façon dont vous écrivez les scénarios de vos histoires dans chaque partie du pays sera différente, parce qu’elles contiennent leur identité propre. Il y a une identité nationale et une identité régionale. Il est important de les préserver. Notre travail est de faire en sorte que cela ne soit pas dilué dans tout ce qui est produit, dans la quantité d’offres. Il faut faire ressortir notre offre de l’océan d’offres actuelles. C’est un gros défi, mais c’est aussi notre mandat.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je vous souhaite bonne chance.
Mme Simard : Merci.
La sénatrice Simons : Jusqu’à il y a trois semaines, j’étais journaliste. Je remplace un collègue ce soir.
Madame Simard, vous avez parlé de perturbations et de changements de paradigme. Le rythme des changements technologiques est tel que ce que nous avons réglementé au Canada jusqu’à maintenant, c’est la radio et la télévision.
Inutile de vous le dire, personne de moins de 30 ans ne regarde la télévision. Plus ils sont jeunes, moins ils achètent des téléviseurs. Ils reçoivent toute l’information en ligne. Des radiodiffuseurs comme Global, CBC et CTV l’ont tous reconnu. À Edmonton, d’où je viens, Global et CTV ont considérablement réaménagé leurs ressources les retirant de leurs salles de presse pour les consacrer au Web. CBC/Radio-Canada a fait la même chose. Dans 15 ans, je ne suis pas sûre qu’il y aura de la télévision.
Même chose pour la radio. C’est la radio par satellite et les balados. Tout cela est en dehors du champ de réglementation du CRTC, notamment en ce qui concerne le contenu.
Quant au mandat de votre groupe, je suis curieux de savoir s’il vous donne la latitude voulue pour étudier tout ce qui se passe. En radiodiffusion, le réseau se contracte. Y aura-t-il encore des radiodiffuseurs dans 20 ans?
Mme Yale : Si on nous a demandé d’étudier la question, c’est précisément à cause du phénomène dont vous vous inquiétez, c’est-à-dire les modalités d’accès au contenu.
Il ne s’agit pas seulement de ce que nous appelons des services par contournement. Les consommateurs, en particulier les jeunes consommateurs, comme vous le savez, veulent de plus en plus accéder à leur contenu audiovisuel, à leur musique, à leurs divertissements et à leurs informations en ligne sur de nombreux appareils, et ce, en tout temps et en tout lieu.
Comment veiller à ce que cela fasse partie du système au moment où nous cherchons à définir ce que cela veut dire, avoir un système de communication pour l’avenir? Nous devons trouver comment en assurer la pertinence et la pérennité.
Comme vous le dites, les modèles d’affaires changent et s’adaptent. De nombreux radiodiffuseurs et télédiffuseurs ont déplacé leurs ressources en prévision des moyens qu’ils devront prendre pour survivre et prospérer à l’avenir. Cela remet en question le modèle réglementaire classique. Notre mandat est d’essayer de trouver ce que devrait être le nouveau modèle.
La sénatrice Simons : Y a-t-il place pour la réglementation du contenu dans ce nouveau paradigme? Je ne sais pas comment diable on pourrait proposer de réglementer ce qui se trouve sur Internet. Ou bien faut-il plutôt un modèle de financement plutôt qu’un modèle de réglementation?
[Français]
Mme Simard : On a assisté aujourd’hui à une conférence annuelle sur les communications internationales. Pour le sujet de cet après-midi, il y avait des Français, des Américains, une personne de Taïwan et une autre de l’Europe. La question posée était la suivante : est-ce qu’on peut réglementer Internet? C’est la question qui se pose partout dans le monde en ce moment. Jusqu’à maintenant, il y a eu un laisser-aller. On s’est dit que l’Internet était ouvert. Depuis 2008, avec le téléphone mobile, lorsqu’on a vu le changement se déplacer vers les réseaux sociaux, on s’est demandé si l’on devait réglementer ou pas. C’est une bonne question, et elle nous est renvoyée d’une certaine façon.
Vous êtes journaliste. Les journaux, les médias écrits... Il faut parler de médias aujourd’hui. On ne peut plus penser à un journal en format papier, une télévision, une radio. Tout cela est en train de se contaminer. Vous allez sur un site web. À Montréal, La Presse n’existe plus en format papier. Si on vous avait dit cela il y a cinq ans, vous auriez dit que c’était impossible. Il y a La Presse+, qui comprend des textes, mais aussi des vidéos et du contenu audio. On a des médias hybrides, qui sont très appréciables et de bonne qualité. Le problème est le déplacement des revenus publicitaires.
La sénatrice Simons : Exactement.
Mme Simard : Tous les médias traditionnels vivaient de modèles d’affaires de publicité qui, aujourd’hui, se sont déplacés ailleurs. Je suis certaine que vous allez beaucoup en discuter. Les chiffres sont là. Nous devons tenir compte de cela aussi.
Le vocabulaire change, comme je l’ai dit plus tôt : disruption et découvrabilité. En même temps, les termes mêmes des médias vont changer à cause de la technologie. Est-ce que « broadcasting » est encore un terme? Nous avons une loi qui traite de cela, mais est-ce le bon terme? Nous ne le savons pas, mais notre devoir est de se poser la question, comme j’imagine que vous allez aussi vous la poser.
On est à un moment de changements plus profonds, particulièrement par rapport à l’information. C’est un souci de citoyenneté et de démocratie que nous devons tous partager. Il faut aussi tenir compte de l’aspect des ruptures générationnelles, d’habitudes et d’usage. Les habitudes d’un jeune de 18 ans aujourd’hui seront-elles les mêmes lorsqu’il aura 30 ans? Il faut tenir compte de cela.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Mon père a encore besoin de son guide télé, alors que ma fille ne sait même pas ce que c’est. Dans votre mandat, faut-il trouver un équilibre entre la protection et le soutien de ce que le passé nous a légué et les nouveaux médias?
Vous avez parlé de la découvrabilité. Devrait-on mettre moins l’accent sur la réglementation et davantage sur le soutien des nouvelles plateformes médiatiques afin que les nouveaux auditoires puissent découvrir ce contenu?
Mme Yale : Oui.
La sénatrice Simons : C’était facile.
Mme Yale : Comme ma collègue l’a expliqué, les limites des définitions sont floues entre diverses formes qui étaient bien distinctes par le passé.
Lorsque nous réfléchirons à la façon appropriée de structurer le régime réglementaire, nous devrons tenir compte du fait que les vieux journaux n’existeront peut-être pas, mais nous voudrons préserver l’expression locale, quelle que soit la forme qu’elle prend sur un média qui la transmet.
La sénatrice Simons : Nous ne voulons pas non plus que le CRTC réglemente La Presse sur le iPad.
Mme Yale : Le problème, c’est que le contenu est maintenant imprimé, à la radio, à la télévision classique et dans l’audiovisuel. Quelle est la bonne façon d’aborder ces questions d’un point de vue culturel canadien pour assurer le contenu canadien : création, production et découvrabilité? C’est la question fondamentale.
Si votre groupe a été mis sur pied, c’est notamment pour cerner les moyens de faire en sorte qu’il y ait un système de radiodiffusion canadien dynamique, mais j’utilise le terme « radiodiffusion » au sens large pour désigner le système dans son ensemble.
La sénatrice Simons : Dans un monde où la diffusion ciblée prend de plus en plus de place.
Le sénateur Wetston : Je sais que vous allez couvrir un vaste territoire, mais, comme vous pouvez l’imaginer, je m’inquiète un peu du pouvoir du marché. Je reste inquiet surtout en ce qui concerne les énormes sociétés internationales qui ont une puissance commerciale aussi considérable que celle du groupe FANG. Vous en avez entendu parler, bien sûr.
Mme Yale : En effet.
Le sénateur Wetston : Serez-vous en mesure d’accorder un peu d’attention à cette question, qui pourrait avoir une incidence sur certains des enjeux que vous étudierez dans le cadre de votre examen.
Mme Yale : Il ne fait aucun doute que le « Fang Gang », comme on l’appelle, nous préoccupe beaucoup lorsqu’il s’agit de questions de culture canadienne et de l’accès à du contenu audiovisuel en dehors de l’actuel système réglementé.
Vous avez posé une question légèrement différente : quels sont les problèmes de défaillance du marché associés à leur émergence dans le contexte des acteurs traditionnels?
Comme Monique Simard l’a dit, nous savons qu’ils accaparent une part énorme des recettes publicitaires qui auraient été disponibles auparavant pour soutenir le secteur culturel canadien. Nous observons une certaine évolution vers de plus en plus de modèles d’abonnement pour remplacer les revenus publicitaires qui existaient par le passé.
Les solutions du marché comme les modèles d’abonnement sont-elles d’autres façons de s’adapter au changement? Sont-elles suffisantes pour que nous ayons un secteur des communications solide, dynamique et de calibre mondial, ou d’autres formes d’intervention seraient-elles nécessaires dans le cadre législatif pour aborder ces enjeux, entre autres?
Le président : Madame Simard, vous avez parlé des changements considérables qui sont en train de se produire. Cela ne signifie-t-il pas que la demande d’émissions et de contenu créatif augmentera?
Ces plateformes n’ont-elles pas besoin de contenu à diffuser? N’est-ce pas une bonne chose? N’est-ce pas excellent pour l’économie canadienne?
[Français]
Mme Simard : Je vais vous dire que c’est l’âge d’or du contenu en ce moment. Récemment, il y avait le Marché international de contenus tv & digitaux (MIPTV), et il n’y a jamais eu autant de demande pour la production de contenu. On est habitué à penser à la télévision, au cinéma et à la radio. Cela n’existe plus. Ce qui existe, c’est la demande pour du bon contenu.
Alors oui, la réponse à votre question est qu’il y a beaucoup de plateformes qui ont besoin d’être nourries par du bon contenu. On a ici des créateurs extraordinaires : des scénaristes, des directeurs photo, des acteurs, des musiciens. Le défi, c’est de s’organiser afin de soutenir cette production pour alimenter les différentes plateformes, ici et à l’étranger. On sait maintenant qu’il faut pouvoir se projeter à l’étranger. On ne peut plus fonctionner dans un marché fermé.
Le meilleur exemple est le Québec, qui est reconnu pour le succès de ses cotes d’écoute des productions québécoises. Même au Québec, on ne peut plus penser que le marché est fermé et qu’on peut se satisfaire de cela. Le défi est donc de continuer d’être excellent et ambitieux quant au contenu, et il faut que ce contenu puisse être connu des Canadiens, qui le paient en partie ou en totalité. C’est une question qui se pose partout. Il faut être les meilleurs dans notre propre pays, mais aussi au plan international.
[Traduction]
Le président : La question n’est-elle pas de savoir si les consommateurs regardent? La question de la création ne me paraît pas tellement primordiale. Il faut surtout savoir si les spectateurs seront au rendez-vous. S’il existe un public, les créateurs seront à l’œuvre.
Vous ne regardez pas par le bon bout de la lorgnette. On peut créer tout le contenu qu’on veut, mais s’il est diffusé à la télévision ou sur une plateforme que personne ne regarde, à quoi bon? À quoi bon tout cela?
Mme Yale : Permettez-moi deux réflexions. Pour commencer, comme Mme Simard l’a dit, la demande de contenu est extraordinaire, étant donné toutes ces plateformes, et l’industrie est très engagée dans la production de contenu en ce moment.
Premièrement, il s’agit pour nous de veiller à ce que le contenu créé et produit au Canada reflète la culture canadienne, qu’il ne soit pas déraciné, qu’il constitue un récit canadien qui traduit des aspirations culturelles.
Deuxièmement, il y a la découvrabilité. Lorsqu’il y a autant de choix, comment pouvons-nous faire en sorte que les Canadiens qui veulent voir du contenu culturel canadien puissent le trouver?
À l’heure actuelle, si vous êtes abonné à Netflix, Netflix vous offre du contenu en fonction de vos préférences de visionnement. Chaque membre de la famille a son propre profil Netflix. Je vois que tout le monde hoche la tête. Ensuite, Netflix utilise son algorithme pour décider du contenu à vous proposer.
C’est peut-être intéressant, mais si, en tant que Canadien, je souhaite que l’algorithme tienne compte d’une préférence pour les produits canadiens, comment cela se passe-t-il à l’heure actuelle? Il est très difficile de veiller à ce que l’excellent contenu canadien à l’écran me soit transmis de façon que, lorsque je parcours les diverses possibilités, je dise : « Tiens, je vais regarder cela; on dirait que c’est intéressant. »
Quand vous vous dites que vous allez simplement regarder ce qui passe, il est vrai qu’il y a un choix énorme et croissant. Dans le cadre de notre mandat, nous devons réfléchir aux moyens de rendre le contenu canadien découvrable, et c’est loin d’être facile.
Le président : Vous savez comment cela fonctionne. Si je regarde un document historique canadien plus d’une fois, cela est interprété comme l’une de mes préférences. Je vais découvrir un type d’émission, et tout le contenu canadien me sera proposé. C’est ce contenu que je regarderai parce que c’est ce que j’aime, et ce serait formidable.
Mme Yale : Ce serait formidable.
Le président : Cela ne m’induit pas en erreur. Cela ne m’amène que là où je veux aller.
Mme Yale : À supposer que vous sachiez que ce contenu existe.
Le président : Cela pourrait être un autre problème.
Mme Yale : Voilà justement.
Le président : J’ai un certain âge et cela me rend fou. Néanmoins, j’ai déjà entendu cela lorsque la télévision est arrivée. On parlait de la fin de l’industrie cinématographique et de la fin de la radio parce que la télévision allait tout envahir. Tout le monde devrait consulter un livre d’histoire pour se faire une idée des discussions qui avaient cours à l’époque.
Savez-vous quoi? L’industrie du cinéma a su réagir. Elle a opéré une mutation et, tout à coup, les gens sont retournés au cinéma.
La radio survit très bien au Canada. J’aime la radio canadienne. Je l’écoute constamment. Autrefois, lorsque je me rendais en voiture en Alberta et que je n’arrivais plus à capter le 650 de Saskatoon, je devais chercher une autre station. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de chercher. Je choisis Sirius et j’écoute ce que je veux.
Ce n’est pas que je n’écoutais pas la radio chez moi. C’était seulement lorsque j’étais à l’extérieur. Et j’ai trouvé ce moyen d’écouter la radio.
La question est bien plus vaste. Nous compliquons les choses. À mon avis, c’est le marché qui décidera.
Mme Yale : Le sénateur Wetston a posé la même question : le marché va-t-il déterminer l’avenir par l’évolution de ses structures et l’arrivée de nouveaux modèles d’affaires?
Chose certaine, dans notre démarche et à la lumière des mémoires que nous recevons, nous devons être ouverts à l’idée que les forces du marché peuvent régler les problèmes. Si nous pensons qu’elles le peuvent, il nous faudra voir ce qu’il y a lieu de modifier dans les lois pour que cela soit possible, car, à l’heure actuelle, la réglementation est plutôt contraignante.
Si nous pensons que les forces du marché ne peuvent pas suffire ou qu’il aura des défaillances, notamment à propos de la découvrabilité du contenu canadien, il faudra voir quels moyens et quelles ressources il faut prévoir dans les lois. Je songe aussi bien aux mesures incitatives visant à favoriser la création, la production et la découvrabilité du contenu qu’aux mécanismes d’application, car il faut à la fois des encouragements et des sanctions pour que, en cas de dérogation, nous puissions faire respecter les obligations prévues dans les lois.
Nous sommes très conscients du fait qu’il faut tenir compte d’un avenir en constante mutation. Le dispositif législatif doit être suffisamment souple, pas trop rigide, comme vous l’avez fait remarquer. Si l’évolution du marché permet de régler le problème, ce sera l’une des conclusions que nous pourrions tirer.
Comme je l’ai dit, nous n’en sommes qu’au tout début de notre démarche. Les questions sont légion, mais nous n’avons pas de réponses.
La sénatrice Gagné : J’ai une question complémentaire à propos des marchés. S’il s’agit d’ouvrir notre marché, autant renoncer au contenu canadien, car tous les produits américains nous envahiront probablement.
C’est certainement une possibilité, mais je ne suis pas certaine que ce soit ce que nous voulons faire. Pour ma part, ce n’est pas ce que je souhaite. C’est peut-être là l’essentiel de ce que je veux dire.
Étant issue d’une communauté de langue officielle minoritaire, il me semble important que je me reconnaisse dans le contenu. C’est une question d’équilibre. Ce que j’entends, c’est qu’il faut faire des concessions.
Mme Yale : Notre mandat est certainement d’assurer l’expression culturelle canadienne.
La sénatrice Gagné : Exactement.
Le président : L’émission Saturday Night Live, sur les ondes de NBC, est-elle canadienne?
Mme Yale : Parce que des Canadiens y participent, vous voulez dire?
Le président : Non, parce qu’un Canadien l’a produite, l’a développée et en a fait l’une des meilleures émissions humoristiques de fin de soirée à la télévision. Des tas d’humoristes canadiens ont participé à cette émission qui est devenue très célèbre à Hollywood, on fait à Hollywood des films qui ont été présentés au Canada.
Qu’est-ce que le contenu canadien? N’est-ce pas du contenu canadien, tous ces gens que nous avons perdus au profit des États-Unis et qui ont fait des films et des émissions de télévision? Il y en a beaucoup.
[Français]
Mme Simard : Ce sont des émissions formidables, mais une chose très importante n’a pas été mentionnée, et c’est la propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle, c’est ce qui rapporte de l’argent à un pays. Donc, Saturday Night Live, une émission que j’apprécie autant que vous et qui me fait bien rire, ne rapporte pas un sou aux Canadiens. Certains Canadiens y travaillent, bien sûr, mais la propriété intellectuelle de la production culturelle est extrêmement importante. C’est un peu le nerf de la guerre en ce moment, un peu partout sur la planète : à qui vont les revenus d’une production qui a du succès?
Je vais vous donner un exemple dans le domaine du jeu vidéo. Le Canada est un pays très performant dans l’industrie du jeu vidéo, particulièrement au Québec. À Montréal, Ubisoft emploie des milliers de gens, ainsi qu’à Vancouver, entre autres. Ils inventent des jeux extraordinaires qui gagnent énormément d’argent partout sur la planète. Assassin’s Creed a été imaginé par un jeune Québécois; pas un sou ne revient au Canada. Tout va en France. La propriété intellectuelle est française.
Donc, quand on pense au contenu, il s’agit non seulement de ce qui est là, mais aussi à quel pays le contenu appartient et doit revenir. Nos formidables acteurs, nos scénaristes qui vont travailler à New York, à Hollywood, ont fréquenté nos écoles publiques canadiennes, nos écoles de théâtre canadiennes. On les a bien formés, et c’est merveilleux. Cependant, de notre côté, nous devons penser à un mandat national qui reflète notre identité.
Pour répondre à la question de la sénatrice Galvez et du sénateur Wetston, il est évident que les paramètres économiques sont aussi au cœur de nos réflexions. Il est impossible de réfléchir à ces sujets sans penser à l’économie. La propriété intellectuelle, c’est de l’argent.
[Traduction]
Le président : La sénatrice Simons a une question à poser, puis, je poserai à la fin une question sur le droit d’auteur, à laquelle vous pourrez réfléchir. Cela nous concerne tous.
La sénatrice Simons : Je voudrais revenir sur toute la question de la découvrabilité.
J’ai vu pour la première fois la pièce Kim’s Convenience au théâtre, à Edmonton. La pièce a été présentée en tournée. Puis, elle est devenue une émission de télévision, et je me suis dit que c’était une véritable émission de télévision de la CBC.
Un jour, j’ai regardé un épisode dans un avion, et j’ai trouvé que c’était plutôt adorable. Je ne regarde pas la télévision classique, mais l’émission est apparue dans mon Netflix. Au départ, j’ai cru qu’elle était proposée uniquement dans le Netflix canadien, puis j’ai entendu tous mes amis américains dire que c’était une émission formidable.
J’ai trouvé cela fascinant parce que ce n’était pas une émission qu’un Canadien aurait pu vendre à un radiodiffuseur américain. Toutefois, sur un marché à créneaux comme Netflix, c’est devenu un succès énorme, non pas parce qu’il est dépouillé de toute identité canadienne, mais parce que c’est l’émission la plus extraordinairement canadienne et la plus torontoise possible.
J’ai pensé à Kim’s Convenience, à Alias Grace, qui est aussi un succès sur Netflix; la nouvelle version de Anne... la maison aux pignons verts, qui remporte un succès international sur Netflix. Il y a aussi, d’Edmonton, A User’s Guide to Cheating Death, avec Timothy Caulfield, de l’Université de l’Alberta.
Dans tous ces cas, des émissions intrinsèquement canadiennes de haute qualité s’imposent sur des marchés internationaux, en Australie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, comme jamais auparavant.
Cela nous montre-t-il que le marché n’est pas la solution magique pour tout et que, si nous investissons dans le contenu canadien, nous n’avons peut-être pas tant besoin de le réglementer, mais plutôt de le promouvoir, de le rendre accessible et de le présenter aux téléspectateurs comme jamais il ne l’a été auparavant?
[Français]
Mme Simard : Je pourrais répondre de deux façons. Il est vrai que des choses formidables sont produites et vendues ensuite à Netflix, et la propriété intellectuelle reste au Canada. C’est important et c’est très différent. Par contre, il peut y avoir des productions qui sont entreprises par Netflix au Canada, et dont la propriété intellectuelle appartient à Netflix. Il existe donc différents modèles économiques.
Cependant, ce que l’on doit viser, c’est deux choses : d’abord, garder la propriété intellectuelle le plus possible au Canada, parce que c’est rentable, et, en même temps, avoir l’ambition de vendre nos productions internationalement.
Vous devez certainement regarder des séries policières scandinaves, suédoises ou norvégiennes. Ce sont de très gros succès, dont la propriété intellectuelle reste en Scandinavie. Étant donné que ces séries sont de très grande qualité, elles font le tour du monde. Le défi qui se présente à nous, c’est à la fois créer et soutenir des productions extraordinaires.
Parfois, comme vous l’avez dit, les séries portent sur des sujets qui, selon vous, ne sont pas intéressants, mais ce n’est pas le cas. Une bonne histoire, c’est une bonne histoire. Ce sont toujours de bonnes histoires et, quand elles sont bien faites, elles deviennent universelles, et quand on dit qu’elles sont universelles, c’est qu’elles peuvent se vendre partout sur la planète. Toutefois, il faut des fonds pour la promotion et le démarchage. Je vous parle à titre d’ancienne productrice, car c’est un domaine que je connais bien. Je vous dis que, quand je regarde des pays de taille et de population comparables, avec des complexités linguistiques semblables aux nôtres, je sais que c’est possible de le faire.
Je déborde peut-être de mon mandat, mais je parle avec passion parce que je l’ai fait et parce que je sais que c’est possible. Tout cela exige un système assez sophistiqué, et le Canada a un système sophistiqué depuis des décennies. En 1930, quand le Canada a créé CBC/Radio-Canada, c’était un choix qui était basé sur des valeurs. Au fil des décennies, beaucoup d’institutions ont été créées, comme l’ONF.
Monsieur le président, bien sûr, le monde change et parfois nous avons des visions apocalyptiques du changement, mais il faut être capable de bien mesurer le changement pour y faire face. C’est votre travail, et c’est aussi le nôtre.
[Traduction]
Le président : Nous pourrions voir là une occasion à saisir, et non un problème.
Merci beaucoup.
[Français]
Mme Simard : Merci beaucoup. Merci de nous avoir écoutées.
[Traduction]
Mme Yale : Merci.
Le président : Notre séance a été plutôt une discussion, et j’ai l’impression que cela a plu à tout le monde. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre travail.
Mme Simard : Pareillement.
Le président : Nous allons suivre les travaux les uns des autres et peut-être en tirer des enseignements. J’espère que nous aurons terminé en juin et que vous aurez terminé à temps, en 2020.
(La séance est levée.)