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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 16 décembre 2020

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm. Je suis sénateur de l’Ontario et je préside ce comité.

Nous allons tenir une réunion hybride du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je tiens à vous remercier d’avance, chers collègues, de votre patience alors que nous continuons de nous adapter à cette nouvelle façon de nous réunir.

[Français]

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils sont priés de garder leur micro fermé en tout temps, à moins que leur nom soit nommé par le président. Pour ceux qui prennent part à cette réunion par l’intermédiaire de Zoom, je vous prie d’utiliser la fonction main levée pour prendre la parole. Pour les autres, je vous demanderais d’indiquer à la greffière que vous souhaitez parler.

[Traduction]

Notre greffière, Mme Gaëtane Lemay, est assise à ma gauche.

Je veux aussi vous rappeler que, lorsque vous parlerez, vous devrez être sur le même canal d’interprétation que la langue dans laquelle vous vous exprimerez. En cas de difficultés techniques, surtout en ce qui concerne l’interprétation, veuillez vous adresser au président ou à la greffière, et nous nous efforcerons de régler le problème.

Je vais maintenant présenter les membres du comité qui participent à cette réunion, à commencer par la sénatrice Ataullahjan. Nous avons aussi le sénateur D. Black, la sénatrice Coyle, le sénateur Dean, la sénatrice M. Deacon, le sénateur Greene, le sénateur Harder, vice-président, le sénateur Ngo, vice-président, et la sénatrice Simons. Je souhaite la bienvenue à toutes et à tous, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.

Ce matin, pendant la première heure ou à peu près, nous entendrons Veronika Stromsikova, directrice du Bureau des stratégies et de la politique à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, qui se joint à nous depuis Prague, et non depuis La Haye. Madame Stromsikova, j’espère avoir bien prononcé votre nom.

Veronika Stromsikova, directrice, Organisation pour l’interdiction des armes chimiques : C’était parfait. Merci, monsieur le président.

Le président : Bienvenue au comité, madame. Je crois que vous souhaitez faire une déclaration au nom du directeur général de l’OIAC, Son Excellence Fernando Arias. Vous avez maintenant la parole et vous pouvez commencer.

Mme Stromsikova : Merci, monsieur le président.

Distingués membres du comité, mesdames et messieurs, je tiens tout d’abord à remercier le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui. Le Canada appuie fermement et depuis longtemps la Convention sur les armes chimiques et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de présenter le travail de l’OIAC à votre distingué comité qui étudie des modifications à la Loi canadienne de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.

En 1997, la convention est entrée en vigueur et l’OIAC a été créée pour en superviser la mise en œuvre. La convention vise à éliminer toute une catégorie d’armes de destruction massive par le biais d’une interdiction absolue et inconditionnelle. Au cours des 23 dernières années, l’OIAC a produit des résultats concrets et significatifs. Avec 193 États parties, le traité couvre 98 % de la population mondiale.

La destruction des armes est un élément central de la convention et le premier de ses quatre piliers. À ce jour, les contrôles effectués ont permis de confirmer que plus de 98 % des stocks d’armes chimiques déclarés ont été éliminés. La destruction sécuritaire et constante se poursuit, et les armes restantes devraient être détruites d’ici 2023.

Le deuxième pilier est la non-prolifération des armes chimiques. À cet égard, le solide régime de vérification de l’OIAC, qui représente plus de 200 inspections industrielles par année, veille à ce que les produits chimiques toxiques visés par la convention ne soient utilisés qu’à des fins pacifiques.

Le troisième pilier, l’assistance et la protection, garantit à chaque État partie une aide sur demande de l’OIAC ou de ses États membres contre l’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes chimiques.

Enfin, le quatrième pilier, celui de la coopération internationale, vise à appuyer les utilisations pacifiques grâce à des programmes de commandite de la recherche sur les produits chimiques, et à soutenir le développement de la capacité de recherche des laboratoires ainsi que la formation spécialisée dans la gestion sécuritaire des produits chimiques.

Chers membres du comité, sachez qu’en reconnaissance des efforts considérables qu’elle a déployés pour éliminer les armes chimiques, l’OIAC a reçu le prix Nobel de la paix en 2013. Cependant, l’incidence de l’utilisation des armes chimiques ces dernières années en Syrie, en Irak, en Malaisie, au Royaume-Uni et, plus récemment, au sein de la Fédération de Russie démontre que nous ne pouvons nous permettre d’être complaisants.

En 2020, l’OIAC a entamé sa septième année de travail dans le dossier de la République arabe syrienne. Pourtant, aujourd’hui, nous demeurons préoccupés à de nombreux titres au sujet des armes chimiques dans ce pays. Premièrement, la déclaration initiale du programme d’armes chimiques de la Syrie, présentée en 2013, demeure incomplète. Une Équipe d’évaluation des déclarations de l’OIAC, ou EED, a été mise sur pied en 2014 pour répondre aux préoccupations de la communauté internationale à cet égard. La déclaration de la Syrie a, depuis, été modifiée 17 fois. Malgré ces modifications, de nombreuses questions sérieuses restent sans réponse. Dans l’ensemble, les renseignements fournis ne permettent pas au secrétariat de combler les lacunes, les incohérences et les écarts relevés dans la déclaration initiale de la Syrie.

Le deuxième sujet de préoccupation concerne les allégations répétées d’utilisation d’armes chimiques sur le territoire de la Syrie. Pour répondre à ces préoccupations, une mission d’information a été lancée en avril 2014. À ce jour, celle-ci a permis de faire enquête sur 77 allégations et de déterminer 18 cas d’utilisation probable ou confirmée d’armes chimiques en Syrie.

En juin 2018, la Conférence des États parties a adopté une décision visant à contrer la menace persistante d’un tel usage. C’est ainsi qu’a été créée l’Équipe d’enquête et d’identification, l’EEI, pour identifier les utilisateurs des armes chimiques en Syrie.

En avril 2020, le secrétariat a publié le premier rapport de l’EEI concernant trois cas. Celui-ci conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des personnes appartenant à l’Armée de l’air syrienne ont utilisé des armes chimiques à Ltamenah à trois reprises en 2017. Il s’agirait de gaz sarin, à deux reprises, et de chlore, une fois.

En juillet, à la suite de la publication du rapport de l’EEI, le Conseil exécutif de l’OIAC a adopté une décision demandant à la République arabe syrienne d’appliquer une série de mesures correctives dans les 90 jours. À ce jour, la République arabe syrienne n’a donné suite à aucune de ces exigences. Il appartient maintenant aux États parties de se pencher davantage sur cette question.

Malheureusement, des armes chimiques ont aussi été utilisées récemment dans d’autres parties du monde. En 2018, une arme chimique a été utilisée à Salisbury et à Amesbury, au Royaume-Uni. Cinq personnes ont été empoisonnées, dont une mortellement. Le secrétariat a dépêché une équipe d’experts à la demande du Royaume-Uni et, grâce à une analyse indépendante des échantillons prélevés à Salisbury et à Amesbury, il a été possible de confirmer les conclusions concernant la formule chimique de l’agent neurotoxique utilisé.

À la suite de ces événements, deux décisions visant à modifier les annexes énumérant les substances chimiques qui relèvent de la convention ont été adoptées lors de la Conférence des États parties, en novembre dernier. C’était la première fois depuis l’entrée en vigueur de la convention que cette liste était modifiée. Cela étant, les États parties ont prouvé qu’ils sont capables d’adapter le traité pour répondre aux nouveaux défis et risques.

Malgré cela, la menace que fait planer l’utilisation des armes chimiques ne diminue pas. Pas plus tard que le 20 août dernier, le monde a appris que le citoyen et activiste politique russe Alexei Navalny avait été empoisonné en Russie. En réponse à une demande de la République fédérale d’Allemagne, une équipe d’experts du secrétariat a prélevé des échantillons biomédicaux sur M. Navalny pour les faire analyser par les laboratoires désignés par l’OIAC. Les résultats de cette analyse ont confirmé que les biomarqueurs dans les échantillons prélevés sur M. Navalny présentaient des caractéristiques structurelles semblables à celles des produits chimiques toxiques ayant été ajoutés à l’annexe des produits chimiques de la convention.

Le 6 octobre, le secrétariat a reçu une demande de la Fédération de Russie portant sur une visite d’assistance technique au sujet du même incident. Depuis, le secrétariat s’est engagé auprès de la Fédération de Russie à résoudre les questions juridiques, techniques et opérationnelles en suspens en vue de permettre qu’une telle visite ait lieu.

Chers membres du comité, nous approchons de la fin de l’élimination des stocks déclarés d’armes chimiques. Cependant, les défis les plus difficiles restent à relever. Dans cette période de post-destruction, nous devons nous concentrer sur la prévention de la réémergence des armes chimiques. Le futur Centre de chimie et de technologie de l’OIAC jouera un rôle important à cet égard. Il nous permettra de nous doter de nouveaux moyens, il contribuera aux efforts de recherche, et il constituera également une plateforme pour la coopération internationale. Il améliorera encore davantage nos capacités en gestion du savoir. Un nouveau laboratoire à la fine pointe de la technologie permettra à notre organisation de disposer des outils et des ressources dont elle a besoin pour s’adapter à l’évolution de la science et de la technologie. Par-dessus tout, le centre jouera un rôle important pour assurer la continuité des activités de l’OIAC. Ce sera d’autant plus nécessaire que le siège de l’OIAC a régulièrement fait l’objet de cyberattaques tout au long de 2020. Le nombre de ces attaques est à la hausse et leur degré de raffinement est considérable.

Malgré les défis posés par la pandémie de COVID-19, le projet de Centre Chemtech a continué de progresser. Les travaux de construction devraient débuter à l’été prochain et se terminer d’ici la fin 2022. Cet ambitieux projet de 33,5 millions d’euros fait l’objet d’un financement extrabudgétaire. Le Canada a généreusement versé 10 millions de dollars canadiens, ou 6,6 millions d’euros, pour financer ce centre.

Affaires mondiales Canada a également contribué au financement d’autres projets importants, comme l’amélioration de la résilience de l’Organisation contre les cyberattaques, dans le cadre de la plateforme de partenariat mondial. Au nom du directeur général, je tiens à remercier le gouvernement du Canada de son appui appréciable et constant à ces projets.

Mesdames et messieurs, la Convention sur les armes chimiques a été signée à une époque très différente de celle dans laquelle nous vivons actuellement. Dans l’environnement de sécurité mondial en évolution, l’organisation a su maintenir son professionnalisme et demeurer fidèle à sa mission. Il incombe à ses 193 États membres de préserver les réalisations de la convention et de maintenir la norme contre l’utilisation d’armes chimiques. Dans cette entreprise, le soutien que nous avons reçu du Canada pour notre organisation revêt une valeur immense.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup de votre exposé, madame Stromsikova. Nous allons maintenant passer aux questions. Je vais d’abord donner la parole à la sénatrice Coyle, qui parraine le projet de loi.

La sénatrice Coyle : Dobryj dyen, madame Stromsikova. C’est merveilleux de vous avoir parmi nous. Merci beaucoup de nous avoir présenté en détail le travail de l’OIAC, à la fois sur le plan historique, en décrivant les quatre piliers, mais aussi en nous rappelant que nous sommes dans un environnement de sécurité mondiale qui évolue rapidement, et c’est ce sur quoi j’aimerais me concentrer avec vous.

J’ai deux questions. Premièrement, vous avez parlé des inspections en Syrie, des résultats des missions d’information là-bas et du délai de conformité, entre autres. La Syrie est un pays signataire. Eh bien, dans un cas comme celui-ci — et peut-être d’autres cas semblables se produiront à l’avenir —, quelles sont les prochaines étapes en situation de non-respect des recommandations issues d’une telle inspection? Merci.

Mme Stromsikova : Merci beaucoup, sénatrice, pour cette question très pertinente. Je ne peux pas trop spéculer sur ce que les États parties à l’OIAC choisiront de faire à partir de là. Je peux en revanche vous parler des possibilités qu’offre la convention et, peut-être aussi plus généralement le système international, en matière d’armes chimiques.

La Convention sur les armes chimiques ne permet pas d’expulser un État membre. La Syrie ne peut être expulsée de l’OIAC pour non-conformité. La Syrie peut, au pire, être privée de son droit de vote à la Conférence des États parties, ce qui signifierait qu’elle ne pourrait plus participer efficacement à la prise de décisions. Les États parties à La Haye étudient actuellement cette possibilité. Quand la Conférence des États parties reprendra ses travaux au printemps 2021, cela fera peut-être partie du projet qu’elle présentera.

De façon plus générale, je dois préciser aux membres du comité que les résultats de nos enquêtes — tant pour ce qui est de la mission d’information que du travail de l’Équipe d’enquête et d’identification — sont transmis en vertu d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies au Mécanisme international, impartial et indépendant, ou MIII, qui siège à Genève et qui est censé recueillir des preuves sur les crimes les plus graves commis pendant le conflit syrien. Il s’agit essentiellement d’une passerelle entre l’OIAC et, je dirais, les mécanismes de reddition de comptes plus généraux des Nations unies. Encore une fois, c’est à ces mécanismes et aux États parties qui les ont créés de demander que d’autres mesures soient prises.

Toutefois, le MIII peut également servir à des enquêtes nationales. Vous avez peut-être entendu dire que l’Allemagne utilise son accord de juridiction universelle pour poursuivre certains responsables syriens au titre d’atrocités commises en Syrie.

Je dirais que c’est ainsi que notre travail sert de base au cadre plus général de reddition de comptes. J’espère avoir répondu à votre question.

La sénatrice Ataullahjan : Bonjour et merci pour votre témoignage de ce matin, bien que ce soit en fait l’après-midi pour vous.

Toujours sur le thème de la Syrie — parce que nous savons que la Syrie a utilisé des armes chimiques pas plus tard qu’en mai 2019 —, savons-nous quel genre de stocks elle possède et quelles sont les capacités de ces stocks?

Mme Stromsikova : C’est le problème du caractère incomplet de la déclaration syrienne. Chaque État partie, au moment d’adhérer à l’OIAC, est tenu aux termes de la convention de déclarer tous ses stocks. Dans le cas de la Syrie, malgré les sept années d’efforts du secrétariat, nous ne pouvons toujours pas affirmer avec certitude que tous les stocks d’armes chimiques déclarés ont été détruits. Un certain nombre d’agents chimiques identifiés dans les échantillons prélevés sur place par l’EED, l’Équipe d’évaluation des déclarations, n’avaient pas été déclarés par la Syrie. Des tonnes d’armes chimiques — pas seulement des armes matérielles, mais des armes strictement chimiques — auraient été utilisées dans des essais, mais aucune documentation ne vient appuyer cette allégation ou cette affirmation de la République arabe syrienne. Des installations de production d’armes chimiques ont été déclarées comme n’ayant jamais été utilisées pour la production d’agents chimiques; pourtant nos échantillons racontent une autre histoire. Encore une fois, il revient aux États parties d’aborder cette question de façon plus directe, compte tenu de toutes les limites que j’ai expliquées relativement à ce que la convention permet réellement de faire en matière de non-conformité.

Cela répond-il à votre question, sénatrice?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

Vous avez parlé de limites. Que pourrait-on faire? Vous croyez le gouvernement de ce pays sur parole quand il affirme avoir détruit les stocks. Quelle est la prochaine étape, surtout en Syrie? Il est très difficile d’entrer en Syrie et d’y effectuer des inspections. Quel serait le prochain niveau?

Mme Stromsikova : Le Secrétariat technique est simplement obligé de poursuivre ses démarches auprès du gouvernement syrien, en déterminant très précisément le type de documents dont nous avons besoin pour être en mesure de régler certains des problèmes en suspens, un par un. Nous avons besoin de ces documents pour nous permettre d’interviewer certaines des personnalités clés qui ont participé au programme d’armes chimiques en Syrie, qui ont mis au point et produit des armes chimiques dans ce pays. Nous attendons toujours.

Le secrétariat n’est évidemment pas un organisme d’application de la loi. Il ne peut imposer sa présence dans un pays. La Syrie doit nous permettre d’entrer sur son territoire, ce qu’elle fait, si ce n’est qu’elle ne nous a pas fourni des éléments et des documents nécessaires à l’évaluation de sa déclaration. Les États parties ne peuvent rien faire d’autre que de soulever cette préoccupation auprès du gouvernement syrien, aux différents paliers, plutôt que de simplement le faire au niveau de l’OIAC. Il y a aussi le Conseil de sécurité des Nations unies. Il y a aussi l’Assemblée générale des Nations unies. Il y a tous ces organismes qui peuvent aussi, je crois, examiner le problème et s’y attaquer.

Le sénateur Dean : Merci de vous être jointe à nous aujourd’hui, madame Stromsikova. Tout d’abord, je vous remercie du travail très important que vous accomplissez. Votre témoignage est très instructif pour celles et ceux d’entre nous qui ne connaissent pas bien l’organisation, et nous sommes évidemment heureux d’entendre vos commentaires positifs sur le Canada.

Cent quatre-vingt-treize États sont en conformité, nous l’avons compris. Nous parlons de la Syrie. Quatre n’ont pas ratifié la CAC. Trois de ces pays ne l’ont pas signée. A-t-on des raisons de craindre que l’un ou l’autre de ces quatre États possède des armes prohibées?

Mme Stromsikova : Merci beaucoup. Pour ma part, je ne peux que me fonder sur l’information de source ouverte à laquelle nous avons accès. Celle-ci nous apprend qu’un État signataire, Israël, auquel s’ajoutent l’Égypte, le Soudan du Sud et la Corée du Nord, ne sont pas signataires de la Convention sur les armes chimiques. Ces sources ouvertes nous permettent de croire que, le jour où ces pays ouvriront la porte à des discussions sur les arsenaux dont ils disposent, surtout la Corée du Nord, nous aurons affaire à des stocks relativement massifs. S’ils adhéraient à la convention dans le cadre d’un accord de désarmement plus vaste, le processus de destruction de tous ces stocks représenterait une entreprise énorme pour l’OIAC et pour la communauté internationale. Encore une fois, les sources ouvertes donnent à penser que les stocks sont considérables.

Au secrétariat, nous nous concentrons sur les armes chimiques, car nous en savons de moins en moins au sujet des stocks restants à mesure que les stocks connus diminuent. Nous essayons de conserver notre niveau de compétence en termes de disponibilité opérationnelle afin que, le moment venu, l’OIAC soit prête à contrôler le processus de destruction et à dispenser ses conseils en la matière. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Merci de votre présence. Votre témoignage est très instructif, et nous essayons de tenir compte de ce qu’est votre rôle et, éventuellement, de ce qu’il n’est pas.

Je vais revenir sur les pays que vous avez énumérés. Vous avez dit que les droits et privilèges de la Syrie avaient été suspendus. Je me demande si cela a déjà été fait. Dans l’affirmative, y a-t-il eu un effet sur l’État contrevenant dans le passé, dans d’autres pays?

Mme Stromsikova : C’est une très bonne question. En fait, jamais, en plus de 20 ans d’existence de l’OIAC, nous n’avons connu pareille situation où des États parties ont ne serait-ce qu’envisagé d’adopter de telles mesures. La déclaration de possession n’a soulevé aucun problème dans les autres États, et la vérification de la destruction de leurs stocks n’a jamais posé non plus ce genre de difficulté. Plus encore, jamais dans l’histoire de l’OIAC un organisme international n’a confirmé l’utilisation d’armes chimiques par un État partie à l’OIAC. C’est sans précédent.

La sénatrice M. Deacon : Je pense que nous nous interrogeons tous aussi sur l’application ultime de la loi. D’après vos explications de ce qu’est et de ce que n’est pas votre organisation, nous nous demandons tous comment un pays peut être tenu responsable de ses actes. C’est une question que nous nous posons en permanence.

J’essaie de savoir quel est le rôle de l’OIAC dans la mise en œuvre de la CAC. Est-ce l’OIAC qui dépêche des inspecteurs dans les pays pour y faire des inspections, ou est-ce l’ONU? Cette équipe d’inspecteurs doit-elle aussi contrôler la destruction des produits chimiques et des stocks existants? A-t-elle les coudées franches? Ou s’en remet-on à l’expertise des pays détenteurs pour ce qui est de la destruction et de l’élimination totale du problème?

Mme Stromsikova : Je vous remercie de cette question.

Nous déployons toujours nos propres employés, nos propres inspecteurs et nos propres équipes dans les pays, qu’il s’agisse d’une visite d’assistance technique, comme ce fut le cas en Allemagne pour l’affaire Navalny, ou en Syrie.

Lorsqu’il est question de la destruction des stocks déclarés, chaque pays, chaque État détenteur est en principe tenu de gérer la destruction de ses propres stocks. Cependant, la réalité est souvent légèrement différente. C’est le cas de la Syrie, où la destruction de 1 300 tonnes d’armes chimiques s’est déroulée en mer Méditerranée dans le cadre d’une opération internationale très élaborée. La destruction elle-même a pris place en partie sur le navire américain Cape Ray ancré en Méditerranée. Le reste du stock a été transporté en Allemagne via Gibraltar, jusqu’à un lieu de destruction allemand. Il s’agissait d’un effort de la communauté internationale, mais les inspecteurs de l’OIAC ont été présents en permanence pour prélever des échantillons et, en leur qualité d’acteurs indépendants, pour s’assurer que les stocks officiellement destinés à la destruction correspondaient bien aux agents déclarés.

Fait intéressant, les stocks russes ont également été détruits en Russie et l’opération a été financée en partie par le pays. Il demeure que de nombreux pays, dont le Canada je crois, ont contribué financièrement à cet effort de destruction. Ainsi, la destruction rapide par la Russie de ses propres stocks d’armes chimiques a été effectuée sous la supervision des inspecteurs de l’OIAC, mais grâce à une aide financière considérable de la part d’un certain nombre d’États occidentaux.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.

La sénatrice Ataullahjan : Vous venez de parler de la destruction d’armes. Est-ce que des observateurs internationaux se trouvent sur place, par exemple, quand la Russie dit qu’elle va détruire des armes chimiques?

Mme Stromsikova : Oui. Nos inspecteurs observent continuellement le processus de destruction dans les installations américaines, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et cela malgré la COVID. Nos inspecteurs font une rotation de six semaines pour observer en continu le processus de destruction. Il s’agit donc d’une véritable vérification internationale et indépendante.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup de nous parler depuis Prague.

Mes questions vont davantage porter sur le groupe d’agents neurotoxiques chimiques Novitchok et sur le processus d’inscription des substances par l’OIAC. Si j’ai bien compris, les agents Novitchok existent sous diverses formes depuis l’époque de l’Union soviétique et ils se présentent sous des centaines, voire des milliers, de types, de souches ou de variétés différents. Quel protocole l’OIAC suit-elle à l’étape de l’inscription des substances pour s’assurer que tous les agents potentiels en question soient bien pris en compte?

Mon autre question va peut-être trahir mon ignorance totale du sujet. Les incidents récemment répertoriés concernant ces agents Novitchok concernaient des applications extrêmement précises. Il s’agissait d’assassinats plutôt que d’attaques massives à coup d’armes chimiques comme celles dont nous avons été témoins dans d’autres pays. Savons-nous scientifiquement si les agents Novitchok peuvent être aérosolisés, utilisés comme armes de destruction massive plutôt que de la façon très ciblée dont ils l’ont été jusqu’à maintenant?

Mme Stromsikova : Merci beaucoup. Je dois dire qu’en ce qui concerne la possibilité d’aérosolisation du Novitchok, il faudrait que je demande à mes conseillers scientifiques. Je me ferai un plaisir de vous répondre par écrit, sénatrice, car je ne suis pas chimiste. Je suis avocate de formation, alors je n’oserais pas spéculer.

Pour ce qui est de l’inscription, votre question est très pertinente en ce qui concerne le Novitchok, mais aussi d’autres armes chimiques, parce que la chimie, comme je l’ai appris depuis que je suis à l’OIAC, est une science très complète qui porte sur une myriade de formules possibles associées aux différentes familles d’agents chimiques. Cela vaut pour la famille Novitchok.

Nous savons donc que les agents neurotoxiques utilisés à Salisbury et à Amesbury appartenaient à la famille habituellement désignée de Novitchok en sources ouvertes, même si cette appellation très répandue n’est pas vraiment un terme scientifique. C’est pourquoi un groupe d’États parties a décidé d’inclure ces agents et les familles en question dans les annexes de la convention, il y a environ un an. C’est pourquoi vous traitez aujourd’hui de cet amendement au projet de loi de mise en œuvre.

Toutefois, il semble que les nouvelles inscriptions ne soient pas encore assez complètes pour saisir, pourrait-on dire, toutes les variantes possibles de l’agent neurotoxique. Nous savons déjà que le produit chimique utilisé dans l’empoisonnement de M. Navalny présente des caractéristiques structurelles semblables, mais les résultats de l’analyse dont nous disposons donnent à penser que cet agent particulier ne figure pas encore à l’annexe de la convention. Il appartient donc entièrement aux États parties de décider si un autre ajout s’impose éventuellement pour englober cette variante. Quant à savoir s’il est même possible d’inclure toutes les variantes des agents de la famille Novitchok, je n’oserais pas me prononcer. Ce que je sais de nos collègues scientifiques à ce sujet, c’est qu’à un moment donné, les variantes chimiques perdent de leur toxicité. Il n’est dès lors plus très logique de les inclure dans les annexes de la convention. Force est de constater, cependant, que ce n’est pas le cas de l’agent qui a presque tué M. Navalny. À l’évidence, ce produit est encore assez toxique pour qu’on envisage de l’inclure.

Le président : Merci beaucoup. En réponse à la première partie de la question de la sénatrice Simons, il serait bien que vous puissiez nous envoyer un mot ou une note de service sur le potentiel d’aérosolisation.

Mme Stromsikova : Ce sera fait.

Le président : Merci.

Le sénateur Harder : Merci, madame Stromsikova, d’être parmi nous aujourd’hui. J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des cyberattaques contre l’organisation. Pourriez-vous nous en dire plus et nous indiquer — ce qui constitue peut-être une question connexe ou une question distincte — dans quelle mesure vous êtes en mesure de surveiller l’utilisation d’armes prohibées, d’armes chimiques par des acteurs non étatiques? Les États parties peuvent-ils faire quelque chose pour aider votre organisation à résister aux cyberattaques et, en fait, à traiter avec des acteurs non étatiques?

Mme Stromsikova : Merci beaucoup. Encore une fois, ce sont des questions très pertinentes.

Je dois dire que le problème des cyberattaques est relativement nouveau pour notre organisation. Nous ne pouvons que spéculer quant à savoir si et en quoi de telles attaques sont liées à une partie du travail effectué par l’OIAC ces dernières années, mais, comme je l’ai dit, nos systèmes de TI ont fait l’objet d’un nombre croissant de cyberattaques de plus en plus sophistiquées.

Il faut dire que notre organisation est relativement petite, et que notre budget l’est tout autant, avec moins de 18 millions d’euros par année, ce qui fait de nous une organisation relativement économique pour les contribuables des États membres. Mais cela a aussi ses inconvénients parce que, contrairement à l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, par exemple, qui est beaucoup plus grande, nous n’avons pas un budget en conséquence qui permet normalement de renforcer la résilience d’une organisation face à ce genre d’attaques. C’est qu’il faut beaucoup investir dans ces choses-là.

Nous essayons de régler le problème en utilisant les ressources humaines et financières limitées que nous pouvons investir à ce chapitre, mais je dois dire que, sans les contributions volontaires des pays, y compris du Canada, nous serions en difficulté. Nous aurions de la difficulté à défendre les données protégées que les États parties nous ont confiées. C’est un sujet préoccupant qui exige des efforts continus de la part du secrétariat, mais nous avons besoin de l’aide supplémentaire des États parties sur ce front.

Pour ce qui est de votre seconde question, au sujet des acteurs non étatiques, je dirais que c’est tout aussi préoccupant pour les États qui utilisent l’arme chimique. Nous avons prouvé que Daech a employé du gaz moutarde de synthèse en Irak. Le Mécanisme d’enquête conjoint des Nations unies en Syrie a prouvé la même chose. Donc, les armes chimiques sont effectivement les armes de destruction massive les moins difficiles à réaliser d’un point de vue technologique. Il est très difficile de produire une arme nucléaire radiologique brute. Dans le cas des armes chimiques, le chlore peut suffire à tuer ou à grièvement blesser des personnes.

Sur ce plan, nous proposons aux États parties de renforcer leur capacité en matière de sécurité chimique. Si leurs stocks de produits chimiques toxiques sont parfaitement comptabilisés, qu’ils surveillent non seulement la production, mais aussi le transport, l’entreposage et l’élimination de ces stocks, et qu’ils ont un système national de sécurité chimique et de garanties à cet égard, il est moins probable que les produits chimiques toxiques — qui sont omniprésents de nos jours — tombent entre de mauvaises mains. Cela suppose toutefois un effort continu qui constitue un élément essentiel du renforcement des capacités que nous offrons aux États parties. Merci.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Vous faites un travail inestimable.

Je vais vous poser deux petites questions. Premièrement, comment êtes-vous financés? Deuxièmement, ce financement est-il suffisant pour le travail qui vous incombe?

Mme Stromsikova : Je vous remercie de cette question. Nous sommes financés par une contribution régulière de 193 États parties. Le calcul se fait exactement comme aux Nations unies. Le pourcentage est calculé de la même façon qu’à l’ONU. Cependant, comme je l’ai dit, notre budget de moins de 80 millions d’euros est insuffisant pour certaines activités, comme celles que nous menons en Syrie. Il ne nous permet pas de renforcer notre résilience face aux cyberattaques. Il ne suffit pas non plus pour financer la construction du Centre Chemtech, qui est importante pour l’avenir de l’organisation. Pour toutes ces raisons, nous continuons de compter sur des contributions volontaires. Le partenariat mondial a été très utile à cet égard, et nous avons établi plusieurs fonds fiduciaires auxquels les États parties peuvent contribuer à titre individuel. Merci.

Le sénateur Greene : Merci.

Le président : Un autre sénateur n’ayant pas posé de question au premier tour aimerait-il le faire maintenant?

Je vais assumer mon rôle de président et poser moi-même une question qui va faire suite à celle du sénateur Harder. J’ai cru comprendre que les inspections de contre-vérification ont lieu chaque fois que l’OIAC effectue des contrôles à la demande d’un État partie à la convention, c’est-à-dire n’importe quand et n’importe où. Qu’arrive-t-il si une organisation de la société civile ou un particulier découvre, par exemple, que des acteurs non étatiques — ce qui nous ramène à la question du sénateur Harder — utilisent ou produisent des agents neurotoxiques? Existe-t-il un mécanisme permettant d’alerter l’OIAC, ou ces organisations de la société civile sont-elles obligées de s’adresser aux États parties à la convention?

Mme Stromsikova : Merci beaucoup, monsieur le président. C’est le deuxième cas qui s’applique. Je ne parlerais pas d’« acteurs non étatiques » parce qu’il me semble qu’il s’agit d’utilisateurs. Toute entité non gouvernementale doit s’adresser à l’OIAC par l’entremise d’un État membre. Il n’est pas nécessaire que ce soit son propre État membre, mais n’importe lequel des 193 États parties. Ce sont, disons, les seules entités légitimes qui peuvent réclamer l’intervention du secrétariat.

La société civile participe aux réunions sur les politiques [Difficultés techniques]. Ses représentants assistent à la Conférence des États parties et font des déclarations, mais ils ne peuvent pas demander au secrétariat de prendre des mesures. Ce n’est pas possible aux termes de la convention. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer au deuxième tour.

La sénatrice Coyle : Vous avez déjà répondu à quelques-unes de mes questions, mais j’en ai une dernière.

Un de mes collègues a dit que nous avions affaire à une catégorie d’armes de destruction massive, les autres catégories étant les armes biologiques, nucléaires et autres. J’aimerais savoir si les divers organismes qui travaillent sur les armes de destruction massive collaborent entre eux, comme l’OIAC et d’autres qui s’occupent d’armes biologiques ou nucléaires. Pouvez-vous me répondre à ce sujet? Merci.

Mme Stromsikova : Merci. C’est vrai... on nous pose d’ailleurs souvent cette question, mais tout dépend des caractéristiques des armes de destruction massive dont on parle et de la taille relative des organisations qui s’en occupent.

L’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, mène essentiellement ses affaires de son côté et se concentre sur le nucléaire et le radiologique, qui est un domaine en soi avec ses spécificités. L’échange de renseignements est régulier, notamment par le truchement de nos chefs de cabinet qui se parlent régulièrement. Nous nous rendons mutuellement visite à différentes occasions. Mais je dois dire que nous ne menons pas de projets conjoints.

Nous collaborons très étroitement dans le cas des armes chimiques et biologiques. Cependant, aucune organisation ni aucun autre mécanisme d’application n’existe en vertu de la Convention sur les armes biologiques. Je crois que trois personnes à Genève forment ce qu’on appelle l’Unité d’appui à la mise en œuvre. C’est tout ce qui existe au titre de la Convention sur les armes biologiques. Il n’y a pas de mécanismes de vérification, pas de possibilité de procéder à des inspections, pas de possibilité d’aider les États à renforcer leurs capacités.

D’un autre côté, nous travaillons sur des agents qui sont considérés comme des armes biologiques et comme des armes chimiques. Les biotoxines comme le ricin ou la saxitoxine relèvent à la fois de la Convention sur l’interdiction des armes biologiques et de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Nous essayons donc de maintenir un contact régulier entre nous et de suivre l’évolution des choses dans le cas de la BWC, mais nous essayons aussi de renforcer nos propres capacités pour nous attaquer aux biotoxines.

Personnellement, je pense que c’est un des risques ou une des menaces qui nous guettent dans l’avenir. L’an dernier, en Allemagne, un complot d’attaque au ricin organisé par un acteur non étatique a été déjoué. Il y a des acteurs non étatiques, pas seulement dans les pays en développement, mais aussi en Europe, qui cherchent à employer ces armes chimiques ou biologiques. Sur ce front, nous essayons également de compenser nos lacunes dans le dossier des armes biologiques en renforçant notre capacité, nos compétences sur le terrain. Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. C’est très utile, surtout par rapport à ce que vous avez dit dans vos remarques liminaires au vu de l’évolution très rapide de la sécurité mondiale. Je vous remercie de nous avoir renseignés à ce sujet. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie mes collègues qui ont posé une partie de ma question, dont la sénatrice Coyle juste à l’instant. Nous en avions aussi un peu parlé lundi.

J’essaie de comprendre un peu mieux le processus que vous suivez pour déterminer les substances à interdire. Vous avez parlé de l’agrandissement et de la construction d’installations de recherche. Est-ce souvent en réaction à l’utilisation d’armes chimiques dans un cas semblable à celui du Novitchok, ou est-ce plus proactif, c’est-à-dire compte tenu de votre cycle d’approbation des substances à interdire? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Mme Stromsikova : L’initiative visant à augmenter les listes de produits chimiques réglementés relève des États parties. En fait, ils ont pris une telle initiative pour la première fois après les empoisonnements de Salisbury et d’Amesbury. Les États parties ont tendance à être relativement prudents quand il s’agit d’augmenter les annexes. Il peut y avoir des raisons pratiques, comme nous l’avons vu. Il est en fait compliqué de définir l’étendue de la famille qu’on veut inclure. Et puis, une telle démarche a des répercussions sur les États parties, en ce sens qu’il en découle une augmentation du nombre d’installations inspectées. Ceci explique peut-être la prudence réticente des États parties qui semblent être plutôt sur la réserve face à l’idée d’allonger la liste des annexes.

Votre question, sénatrice, me permet en fait de mettre en exergue un élément important de la Convention sur les armes chimiques, à savoir que tout produit chimique toxique devient une arme chimique et doit être considéré comme tel dès lors qu’il est utilisé pour porter atteinte à des personnes ou à des animaux. Il s’agit du critère de destination générale qui fait partie des définitions de la convention. Peu importe que le produit chimique figure ou pas dans les annexes et que nous l’appelions ou pas arme chimique. Le chlore utilisé en Syrie était une arme chimique, bien que le chlore n’apparaisse pas dans les annexes de la convention. La seule différence en vertu de cette annexe pour les États parties réside dans le fait qu’ils peuvent être inspectés s’ils produisent une quantité déterminée de ces produits chimiques inscrits. Ils doivent aussi les déclarer, mais autrement, l’interdiction d’utilisation est absolue et elle concerne tous les produits chimiques toxiques. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice Simons : J’ai une question au sujet de la structure et de la fonction des laboratoires de l’OIAC. Je suppose que ceux-ci ont pour mission principale d’enquêter, de dresser des listes et d’examiner la nature des agents, mais font-ils des recherches sur des traitements ou des antidotes? Coordonnent-ils leurs travaux avec ceux de chercheurs extérieurs à l’OIAC? Dans quelle mesure cherchent-ils à nous protéger contre des agents connus, comme le gaz sarin et les agents Novitchok?

Mme Stromsikova : Je vais d’abord devoir faire la distinction entre le réseau de laboratoires désignés de l’OIAC et notre propre laboratoire de l’OIAC. À l’heure actuelle, le laboratoire relativement modeste de l’OIAC fait essentiellement office de point de coordination et de liaison pour le réseau international de laboratoires professionnels qui se sont engagés à effectuer les analyses dont nous avons besoin.

Quand nous recevons un échantillon, de Syrie ou d’ailleurs, nous ne l’analysons pas nous-mêmes à La Haye, au laboratoire de l’OIAC. Nous l’envoyons à au moins deux des laboratoires désignés. Ces échantillons sont anonymes. Les laboratoires effectuent l’analyse, puis envoient les résultats à notre laboratoire de l’OIAC qui produit ensuite un rapport en conséquence. Il s’agit d’assurer l’indépendance de l’analyse, mais il faut savoir que les laboratoires désignés ont dû se soumettre à une procédure rigoureuse pour obtenir le titre très exigeant de « laboratoire désigné ». Ce sont des établissements de tout premier plan en matière d’analyse.

Par ailleurs, ces laboratoires poursuivent leurs travaux réguliers et ne travaillent pas exclusivement pour l’OIAC, loin s’en faut. Ils ne nous transmettent pas les résultats de leurs recherches sur les armes chimiques, s’ils en font. Ils agissent alors pour leur compte.

Nous sommes conscients que cela pouvait manquer à notre action et que nous allions devoir faire quelque chose à ce sujet. C’est pour cette raison que nous avons lancé le projet de Centre Chemtech. À l’avenir, ce centre devrait être en mesure de faire ses propres recherches et analyses, peut-être aussi avec l’aide d’éminents scientifiques et chimistes qui viendront à La Haye pour travailler avec nous à la recherche sur les mesures médicales et les mesures de protection contre les armes chimiques. C’est ce que nous réserve l’avenir, une fois que le Centre Chemtech sera prêt, espérons-le, à la fin de 2022. Merci.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : Nous sommes arrivés à la fin de la période des questions. Madame Stromsikova, je tiens à vous remercier de votre témoignage. Vous avez six heures d’avance sur nous tandis que notre prochain témoin, qui est en Colombie-Britannique, en a trois en moins. Mais c’est ainsi, je suppose, que les choses se passent quand on est présent à l’échelle mondiale. Merci de votre exposé exhaustif et de vos réponses particulièrement pertinentes et intéressantes à nos questions. Nous vous souhaitons bonne chance à Prague, qui est une belle ville, surtout en cette période de l’année. Merci beaucoup.

Mme Stromsikova : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous les membres du comité pour ces excellentes questions. Ce fut un plaisir d’être parmi vous, quoique à distance. Je sais que j’ai un devoir à vous remettre plus tard par écrit. Merci.

Le président : Merci et au revoir.

Chers collègues, nous allons faire ce qui s’appelle une « transition en douceur ». Je l’ai massacrée la dernière fois, mais je suis prêt à bien faire cette fois-ci. Nous allons passer à la prochaine partie de notre séance.

[Français]

Chers collègues, pour la seconde partie de notre réunion, nous accueillons M. Walter Dorn, professeur titulaire au Collège militaire royal du Canada.

[Traduction]

Monsieur Dorn, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être parmi nous. Vous n’êtes pas à Kingston, mais quelque part en Colombie-Britannique, ce qui est très bien aussi. Nous vous sommes reconnaissants de la souplesse dont vous avez fait preuve pour témoigner devant nous. Nous disposons d’une trentaine de minutes pour entendre votre exposé et vous poser des questions. Sans plus tarder, nous vous écoutons.

[Français]

Walter Dorn, professeur titulaire, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de me permettre de comparaître devant vous sur un sujet aussi important que l’interdiction des armes chimiques. Les moyens de contrôle des armes de destruction massive nous concernent tous. De plus, historiquement, le Canada a apporté une grande contribution à ces moyens de contrôle, une contribution tant gouvernementale que non gouvernementale.

[Traduction]

Je suis heureux de vous parler d’une contribution précoce de la société civile canadienne à la Convention sur les armes chimiques et à ses exigences législatives. L’idée d’ajouter une exigence en droit pénal a été proposée pour la première fois par un groupe d’avocats canadiens et par un étudiant idéaliste en chimie, moi-même, à la fin des années 1980. Notre groupe Markland, dirigé par le regretté Douglas Scott, c.r., a étudié les mécanismes de vérification et de conformité des traités antérieurs sur le contrôle des armements, et nous avons cherché à trouver de meilleures façons d’appliquer le droit international. Nous avons suggéré aux États participants à la Conférence du désarmement de modifier le libellé de la convention pour contraindre les pays à se doter de lois pénales nationales contraignantes pour les fonctionnaires et pour les citoyens, et de décréter que le non-respect de ces lois constitue une violation du droit national. Cette proposition a été incluse dans la version quasi définitive du texte évolutif de la Convention sur les armes chimiques. Le président, l’ambassadeur d’Allemagne Von Wagner, a pris soin de nous montrer en quoi nos idées avaient été intégrées, ce qui revient à dire qu’en recommandant l’inclusion d’une exigence législative précise, la société civile canadienne a joué un rôle dans l’élaboration du traité.

Les parlements aussi ont joué un rôle sans précédent dans l’élaboration du traité, non seulement pour ce qui est de la ratification de la législation pénale, mais aussi en ce qui concerne les dispositions relatives à la vérification et à la conformité. En 1993, je travaillais au contrôle des armes chimiques pour Parliamentarians for Global Action, ou PGA, organisation à laquelle je vous encourage tous d’adhérer. À Paris, en 1993, j’ai organisé pour PGA un symposium parlementaire à l’Assemblée législative française, coprésidé par feu l’honorable Warren Allmand, député de Notre-Dame-de-Grâce, qui m’avait également précédé à la présidence du Mouvement fédéraliste mondial (Canada). C’est sous sa gouverne, à Paris, que nous avons adopté une déclaration parlementaire sur la mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques et que nous avons participé aux cérémonies de signature du traité dans l’édifice de l’UNESCO.

Tandis que je sillonnais les couloirs de l’édifice de l’UNESCO, j’ai entendu la chef de la Section des traités des Nations unies qui m’appelait au loin. Elle voulait attirer mon attention sur le poids extrême du traité, avec ses presque 200 pages en anglais multipliées par les six langues officielles de l’ONU et son impression sur papier épais. Je l’ai donc aidée à transporter le traité, contenant toutes les signatures des ministres des Affaires étrangères et des plénipotentiaires, jusqu’au taxi qui l’attendait pour son voyage jusqu’à New York. Je dis à la blague à mes étudiants que c’est en portant le traité que j’ai ressenti le véritable poids du droit international. C’était vrai sur le plan juridique et physique, parce que le traité a innové sur le plan des affaires internationales et de la mise en œuvre des traités.

À l’époque où le Parlement canadien étudiait la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques en 1995, j’ai témoigné sur le projet de loi devant un comité dont faisait partie l’honorable Bill Graham. J’étais satisfait des dispositions sur la gestion des produits chimiques inscrits à l’annexe et je le suis toujours. La disposition législative prévoyant que la convention puisse être modifiée et que celle-ci aurait préséance sur la version originale de 1993 était un modèle de législation internationale. Elle a renforcé l’engagement du Canada à l’égard du traité et des processus internationaux. Les dispositions de la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques étaient alors satisfaisantes et elles le sont encore.

Toutefois, je comprends la volonté du gouvernement de simplifier le projet de loi. Comme l’annexe de la loi ne contient que des extraits de la convention de 1993, il est logique de ne faire référence qu’à la dernière version du traité, y compris l’annexe sur les produits chimiques qui a été récemment modifiée. Cependant, les Canadiens auront maintenant beaucoup plus de choses à lire dans la volumineuse Convention sur les armes chimiques que simplement les extraits de l’annexe de la loi que vous envisagerez d’abroger. Bien que les avantages devant découler des amendements soient modestes, ils en valent quand même la peine. Je suis heureux que le Parlement et vous-mêmes, mesdames et messieurs les représentants du Sénat, examiniez la question.

Gardons-nous de penser que la non-conformité internationale ne vise que certains États étrangers — ou certaines parties non étatiques — comme la Russie ou la Syrie, car nous avons commis une violation de la convention ici, au Canada. Ma collègue représentante de Science et paix auprès des Nations unies, Mme Danielle Stodilka, m’a rappelé que, pas plus tard que cet automne, une résidente canadienne, Pascale Ferrier, a été arrêtée par les autorités américaines pour avoir expédié du Canada des lettres contenant du ricin. Ce produit, qui peut être fabriqué à partir de fèves de ricin, figure à l’annexe 1 de la Convention sur les armes chimiques. C’est le numéro 8 de l’annexe 1 du projet de loi que vous envisagez de modifier aujourd’hui. Quatre nouvelles catégories de produits chimiques ont été ajoutées juste après le ricin. Il est fort probable que les autorités canadiennes aient commis une violation de la convention, non loin de Montréal, et que celle-ci soit passée inaperçue.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que même les scientifiques nord-américains de la défense peuvent enfreindre les lois sur le contrôle des armements. Je pense au constat de violation de la Convention sur les armes biologiques et à toxines dressé contre Bruce Ivins, ce scientifique américain spécialisé dans les maladies infectieuses qui travaillait à Fort Detrick, au Maryland. Le FBI avait allégué que l’anthrax utilisé lors de l’attaque d’octobre 2001 provenait d’un des flacons de M. Ivins. Celui-ci s’est suicidé après avoir appris que le FBI allait l’inculper. Rappelons que les lettres, postées un mois après le 11 septembre, étaient en fait un coup monté contre des extrémistes islamiques et avaient causé la mort de cinq personnes. Le FBI soutient avoir cherché à obtenir plus de fonds et d’attention pour la recherche sur l’anthrax aux États-Unis. À mon avis, les preuves contre le scientifique sont accablantes.

Force est de conclure de tout cela que le monde ne doit pas baisser la garde. Qu’il s’agisse de lettres contenant du ricin ou de l’anthrax, nous ne sommes pas invulnérables.

Et puis, des leçons plus générales s’imposent. La Convention sur les armes chimiques représente le traité de mise en œuvre le plus progressiste de tous les régimes de contrôle des armements. Il est assorti d’un robuste mécanisme de mise en œuvre. La Convention sur les armes biologiques et à toxines doit être renforcée, y compris pour ce qui est de ses mécanismes d’application. Il faut l’assortir d’un protocole de contrôle, du moins pour renforcer la confiance.

De plus, le Canada devrait se déclarer favorable à l’interdiction de toutes les catégories d’armes de destruction massive, interdiction qui devrait relever d’un contrôle international strict et efficace. Le Canada est partie à des traités qui interdisent deux des trois catégories d’armes de destruction massive : les armes chimiques et les armes biologiques. Il devrait signer le traité interdisant la troisième catégorie d’armes nucléaires. Celui-ci entrera en vigueur le mois prochain, mais malheureusement sans l’appui du Canada.

Enfin, nous avons des enseignements à tirer dans notre monde touché par la COVID. Nous devrions envisager de donner à l’Organisation mondiale de la Santé les pouvoirs que possède l’OIAC en vertu de la CAC, soit celui de conduire des inspections en tout temps, sans qu’il soit possible de les refuser, dans le cadre d’un processus de gestion de l’accès.

Je me ferai un plaisir de discuter de ces aspects ainsi que des modifications législatives, si vous le désirez. Je peux aussi parler des agents antiémeutes qui, à ce que je vois, intéressent le comité. Je suis à votre disposition, monsieur le président.

Le président : Merci pour votre exposé, monsieur Dorn. Nous prenons acte de votre rôle dans l’élaboration de ce traité. J’ai trouvé vos antécédents et votre participation personnelle intéressants. La sénatrice Coyle pilote ce projet de loi.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup pour tout ce que vous avez dit et de votre rôle de premier plan dans l’élaboration de cette convention, monsieur Dorn.

Merci d’avoir parlé du regretté Warren Allmand, qui était un ami et un ancien de l’université dont j’aperçois les bâtiments depuis ma fenêtre, ici, à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. Je vous en suis très reconnaissante.

J’ai deux questions. Vous avez parlé des différentes façons de s’y prendre, mais avez commencé par énumérer les meilleures façons d’appliquer les lois internationales. Pour l’heure, nous parlons de la Convention sur les armes chimiques. Nous avons vu les difficultés qu’éprouvent les pays signataires de la convention à se conformer à ce texte ou même à donner efficacement suite aux inspections, aux rapports d’inspection. Ma première question va porter sur les meilleures façons d’appliquer cette convention ou d’autres lois internationales.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais poser ma deuxième question maintenant pour gagner du temps. Vous avez parlé des autres armes de destruction massive et des armes biologiques et nucléaires et du fait que le Canada n’a pas signé le traité sur les armes nucléaires. J’aimerais savoir pourquoi nous ne l’avons pas fait et pourquoi nous devrions le faire. Merci.

M. Dorn : Je vous remercie de cette question. Ce sont de très bons points.

Il est très important de créer des mécanismes internationaux pour faire respecter le droit international, ce qui fait malheureusement défaut dans notre monde actuel. Or, ces mécanismes sont plus importants que jamais dans l’histoire, notamment sous la forme de traités comme la Convention sur les armes chimiques, mais nous devons chercher à faire davantage.

Une solution consiste à exercer des pressions sur des pays comme la Syrie. Vous avez entendu dire que la Syrie pourrait perdre son vote à la Conférence des États parties à la Convention sur les armes chimiques, mais il faudrait disposer d’autres mécanismes, de réponses automatiques aux violations confirmées. Une cour internationale devrait pouvoir entendre de tels cas. Si la Cour pénale internationale de La Haye pouvait entendre des causes portant sur les quatre catégories répertoriées, dont le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, alors nous pourrions avoir un régime de reddition de comptes individuelle pour traduire des individus devant cette cour. Je pense que nous devons renforcer ce mécanisme. Le Canada fait de l’excellent travail pour appuyer la CPI, notamment en présidant le comité qui est en train de choisir le prochain procureur général. L’OIAC suit de près. Nous pouvons faire plus pour appuyer l’OIAC. Nous pourrions mettre sur pied un laboratoire désigné, ce que nous n’avons pas encore fait, auquel l’OIAC pourrait envoyer des échantillons.

En droit international de façon générale, et dans la plupart des traités, la disposition finale d’application de la CAC est soumise au Conseil de sécurité de l’ONU, où les cinq membres permanents ont un droit de veto. L’un des principaux enjeux en droit international consiste maintenant à trouver des moyens de contourner l’usage abusif du veto.

Selon moi, c’est surtout parce qu’il souhaite se ranger au côté des membres de l’OTAN dont il est membre — surtout des États-Unis et des autres États dotés de l’arme nucléaire, comme la France et le Royaume-Uni, pour qui l’arme nucléaire est la « garantie suprême » de la paix — que le Canada n’a pas signé le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, et qu’il s’y est même opposé. Or, à mes yeux, les armes nucléaires sont en fait l’arme ultime de destruction de l’humanité. La seule façon de les rendre plus sûres est de les éliminer complètement, comme le prévoit par ailleurs la Convention sur les armes chimiques. J’espère que nous pourrons un jour avoir une convention du même genre sur les armes nucléaires. Pour l’heure, nous ne disposons que d’un traité d’interdiction, qui entrera en vigueur en janvier, quand suffisamment d’États y auront adhéré. J’espère que le Canada parviendra à amener davantage de pays de l’OTAN à être plus positifs à l’égard du Traité visant l’interdiction des armes nucléaires et que nous pourrons trouver des façons de signer ce traité.

Le président : Merci, monsieur Dorn. Nous n’allons pas parler en termes de possibilité au sujet du traité interdisant les armes nucléaires. Ce n’est plus une possibilité, puisque celui-ci existe déjà, bien que le Canada n’ait pas exprimé cette position lors de la réunion dont vous avez parlé. Je vous remercie toutefois de vos commentaires.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez parlé de produits chimiques antiémeutes. Cela m’intéresse. Nous avons constaté que ces produits chimiques peuvent être utilisés par la police. Je dis que la police les « utilise » et je pourrais aussi dire qu’elle en « abuse ». Qu’en pensez-vous? Certains produits chimiques sont parfois utilisés par des Canadiens.

M. Dorn : La Convention sur les armes chimiques renferme une disposition selon laquelle les agents antiémeutes, les AAE, ne doivent pas être utilisés comme méthode de guerre. L’interdiction est très claire, et je pense qu’elle est pleinement justifiée. Il n’est pas fait mention des cas d’utilisation possible; cela étant, l’emploi d’agents antiémeutes est autorisé au Canada pour faire respecter la loi. Les règles régissant l’utilisation des AAE par la police sont régies par des lois différentes. Nous devons veiller à ce que ces armes non létales — dans certains cas, ces armes peuvent être létales, mais c’est rare — ne fassent pas l’objet d’emploi abusif.

Je tiens à souligner qu’elles peuvent aussi trouver des applications importantes dans les opérations de maintien de la paix, autre domaine dans lequel je me spécialise. Elles deviennent importantes quand les Casques bleus sur le terrain constatent des atrocités, mais qu’ils ne veulent pas utiliser leurs armes à feu ou leur force meurtrière. Il importe alors qu’ils disposent d’une gamme d’options, dont le gaz lacrymogène CS. Les agents antiémeutes jouent un rôle dans les opérations de maintien de la paix, et ils ont été utilisés à ce titre, y compris dans les missions de police de l’ONU. Nous devrions simplement chercher à adopter de meilleures politiques et de meilleurs règlements pour encadrer leur utilisation, mais il n’y a pas lieu de les interdire parce qu’ils conservent leur utilité dans notre société et dans notre monde.

La sénatrice Simons : Merci, monsieur Dorn. Je suis jalouse en ce moment. Je gèle dans mon grenier à l’étage, et je regarde votre feu de foyer derrière vous qui semble très chaleureux.

Il me semble qu’une grande partie de notre paradigme juridique en matière d’armes chimiques découle du fait que nous avons été témoins d’attaques de masse. Tel a été le cas dans des pays comme l’Irak qui, sous Saddam Hussein, a pourtant nié avoir utilisé des armes chimiques. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. C’est la même chose dans le cas des agents Novitchok qui sont d’actualité, mais il s’agit d’attaques très intimes, personnelles et ciblées. Il semble beaucoup plus difficile d’élaborer un règlement traitant de cette question que de l’utilisation massive d’une arme chimique qui laisse énormément de preuves sur le terrain. Comment mettre en place un régime législatif qui nous permettrait de lutter contre une utilisation aussi pointue et ciblée des armes chimiques?

M. Dorn : C’est une bonne question. La loi prévoit des mécanismes pour traiter des violations. En fait, le projet de loi que vous examinez actuellement est très important à cet égard parce qu’il établit que toute utilisation d’une arme chimique constitue une infraction à la loi canadienne. Il existe d’autres lois canadiennes qui peuvent s’appliquer aux armes chimiques parce qu’elles peuvent être dangereuses, mortelles et meurtrières.

Il nous faut cependant des mécanismes qui soient meilleurs encore. L’affaire Navalny illustre bien les capacités de la chimie moderne. À l’aide d’outils analytiques comme la spectrométrie de masse, réalisée par un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse, la CG/MS et d’autres outils, il est possible de se faire une bonne idée des produits chimiques utilisés. Dans le cas d’Alexei Navalny, des scientifiques allemands ont envoyé leurs échantillons à des laboratoires en France et en Suède qui ont confirmé — et l’OIAC a joué un rôle à cet égard — que des agents Novitchok ont été utilisés pour empoisonner Alexei Navalny. C’était très important. Les outils médico-légaux sont maintenant très bons et ce réseau international est nécessaire au renforcement de la crédibilité. Je demande ici au Canada de contribuer à ce réseau qui a besoin de laboratoires; il y en a actuellement plus de 20 dans le monde.

Dans certains cas bien précis — comme dans celui de la lettre contenant du ricin, envoyée par la poste de la région de Montréal au Texas et à la Maison-Blanche — il faudrait que nos services postaux appliquent des mécanismes de détection et, bien sûr, que la population soit sensibilisée au risque que présentent certains types de courriers susceptibles de contenir ces substances très toxiques.

J’aimerais que le droit international soit élargi afin qu’il soit possible de mieux cibler les particuliers. Nous devrions aussi demander aux membres de la Douma russe, vos homologues parlementaires, quelles dispositions pénales existent déjà dans leur pays, parce que le traité exige qu’ils adoptent de telles dispositions. Quelles sanctions ont-ils imposées? Qu’ont fait leurs organismes nationaux d’application de la loi? C’est de cette façon qu’il est possible d’exercer des pressions sur des individus à l’intérieur de pays étrangers.

La sénatrice Simons : Merci.

Le président : Merci, monsieur Dorn. Je veux revenir sur la question de la sénatrice Simons. Vous avez parlé de détection de produits. Notre équipe vous a googlé et a découvert que vous avez défendu une thèse de doctorat sur la détection des produits chimiques. Je suppose que c’était il y a un certain temps déjà. La détection des produits chimiques a-t-elle suffisamment évolué pour permettre une véritable détection des agents neurotoxiques? Vous avez laissé entendre qu’il faudrait peut-être plus d’argent pour cela, mais avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Dorn : D’énormes progrès ont été réalisés depuis mes études supérieures, à l’époque où la Finlande était un chef de file avec son programme VERIFIN. Le Canada, lui, était un chef de file dans les technologies de vérification. Des scientifiques ont participé à la négociation de la Convention sur les armes chimiques. Les technologies se sont améliorées. Les capteurs utilisés sont moins encombrants. Les appareils de surveillance des agents chimiques sont désormais plus portables. Nous pouvons aller beaucoup plus loin qu’à l’époque. Reste à équiper ceux qui sont sur le terrain — comme les travailleurs humanitaires en Syrie — de moniteurs d’agents chimiques qui leur permettront de mieux se protéger et de pouvoir contribuer à la collecte de preuves pour alimenter les mécanismes judiciaires grâce auxquels le monde finira par tenir la Syrie responsable.

La sénatrice M. Deacon : Je vous écoute et je pense à tout cela par-delà le rapport. Je m’interroge sur ce qui est arrivé durant toutes ces décennies que vous avez passées dans ce domaine, de l’époque où vous étiez — avec tout le respect que je vous dois — ce petit gars timide qui finissait son secondaire, jusqu’à notre conversation d’aujourd’hui. Je pense à ces trois concepts que sont : « la rigueur, l’application de la loi et la collaboration véritable ». J’y pense tandis que nous sommes sur le point de conclure. Vous avez parlé de la Cour pénale et de la façon dont nous pourrions mieux utiliser ce mécanisme. Vous avez parlé d’autres éléments de reddition de comptes. Songez-vous à autre chose, au vu de votre parcours et de ce que nous devons faire, qui pourrait amplifier ces trois éléments que sont la rigueur, l’application de la loi et la collaboration?

M. Dorn : Sur le plan pratique, l’OIAC est sous-financée et manque de ressources. Notre contribution est excellente, sous la forme d’actions volontaires en plus de nos cotisations.

Quand les Nations unies ont commencé à faire des inspections conjointement avec l’OIAC en Syrie, le sous-secrétaire général a proposé que je sois inspecteur en Syrie, mais l’ONU était très mal équipée pour faire ce genre de travail. Son rôle en la matière est défini dans le Protocole de Genève de 1925 et dans les résolutions 37/98D et 42/37C de l’Assemblée générale. L’ONU est particulièrement sous-financée et sous-dotée, même pour l’application du Mécanisme d’enquête conjoint, comme elle l’a fait en Syrie. Il est étonnant que nous ne puissions pas en faire plus. Il avait été proposé que je suive une formation par l’intermédiaire des Forces canadiennes, mais cela a finalement été refusé par crainte que quelque chose se produise sur le terrain et que l’organisme soit tenu pour responsable. Nous devons faire davantage pour renforcer l’ONU. Cette organisation est maintenant aux prises avec une crise de liquidités. Sa direction du désarmement manque de ressources.

À plus long terme, nous devons créer un droit international exécutoire au niveau individuel. La Cour pénale internationale représente un grand progrès dans ce sens, puisqu’elle élargit sa compétence et renforce ses capacités en matière d’enquêtes qu’elle a transformées en mécanismes d’application d’un domaine de plus en plus vaste du droit international.

La sénatrice M. Deacon : Merci. J’ai hâte d’en apprendre davantage au sujet des mécanismes d’application.

Le président : Merci, monsieur Dorn, de vous être joint à nous aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de votre témoignage. Prenez soin de vous et au revoir.

M. Dorn : Merci, monsieur le président.

Le président : Chers collègues, nous allons passer à notre deuxième transition en douceur de la journée. Si vous êtes d’accord, nous allons passer à l’étude article par article du projet de loi S-2.

Des voix : D’accord.

[Français]

Le président : Est-il convenu, honorables sénateurs, de procéder à l’étude article par article du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques?

Des voix : D’accord.

Le président : La motion est adoptée.

Êtes-vous d’accord pour suspendre l’adoption du titre?

Des voix : D’accord.

Le président : La motion est adoptée.

[Traduction]

L’article 1 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : L’article 2 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Êtes-vous d’accord pour que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D’accord.

Le président : Merci. Nous avons terminé.

(La séance est levée.)

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