Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 19 avril 2021

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), par vidéoconférence, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs); puis pour étudier toute question concernant les peuples autochtones du Canada, tel qu’établi à l’article 12-7(13) du Règlement.

Le sénateur Dan Christmas (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Nous enchaînerons maintenant avec la partie publique de la séance d’aujourd’hui.

J’aimerais souhaiter la bienvenue aux sénateurs et aux téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent depuis le site sencanada.ca. Nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire non cédé du peuple algonquin. Je m’appelle Dan Christmas, je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et j’ai le privilège de présider ce comité.

J’aimerais vous présenter les autres membres du comité qui se joignent à nous cet après-midi : Mary Coyle, sénatrice de la Nouvelle-Écosse; Brian Francis, sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard; Patti LaBoucane-Benson, sénatrice de l’Alberta; Michael MacDonald, sénateur de la Nouvelle-Écosse; Kim Pate, sénatrice de l’Ontario; Dennis Patterson, sénateur du Nunavut; Scott Tannas, sénateur de l’Alberta. D’autres sénateurs pourraient se joindre à la réunion un peu plus tard. Nous vous les présenterons dès qu’ils se connecteront.

Nous avons le privilège, aujourd’hui, d’accueillir les témoins suivants : Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, et Glenn Wheeler, directeur principal de l’audit que nous examinerons cet après-midi.

À l’ordre du jour d’aujourd’hui, nous avons le Rapport du Bureau du vérificateur général du Canada au Parlement du Canada, Accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations — Services aux Autochtones Canada. Mme Hogan nous présentera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, après quoi il y aura une période de questions au cours de laquelle chaque sénateur disposera d’environ trois minutes. Je prie tous les sénateurs qui souhaitent s’inscrire à la liste des intervenants de lever la main virtuellement, et la greffière vous ajoutera à la liste.

Je vous souhaite la bienvenue, madame Hogan et monsieur Wheeler. Merci infiniment d’être ici. Madame Hogan, la parole est à vous.

Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, merci de nous donner l’occasion de discuter de notre récent rapport sur l’accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations. L’accès fiable à une eau potable est essentiel à la santé et au mieux-être, y compris pour les habitants des plus de 600 collectivités des Premières Nations au Canada. Beaucoup de ces collectivités vivent depuis longtemps sans avoir l’assurance que leur eau potable est salubre.

En 2015, le gouvernement fédéral a promis de lever tous les avis à long terme sur la qualité de l’eau potable touchant les réseaux publics dans les réserves des Premières Nations d’ici le 31 mars 2021. Dans l’ensemble, Services aux Autochtones Canada n’a pas fourni l’aide nécessaire pour garantir aux collectivités des Premières Nations un accès continu à une eau potable salubre. De fait, en décembre 2020, le ministre a admis que le ministère n’était pas en voie d’atteindre son objectif du 31 mars.

Nous avons constaté que depuis l’engagement du gouvernement fédéral en 2015, il y avait eu en tout 160 avis à long terme sur la qualité de l’eau potable dans les collectivités des Premières Nations. Au 1er novembre 2020, 60 de ces avis étaient toujours en vigueur dans 41 collectivités des Premières Nations, et près de la moitié l’étaient depuis plus de 10 ans. Nous avons aussi constaté que certains avis à long terme avaient seulement été levés en raison de mesures provisoires, qui ne corrigeaient pas complètement les problèmes sous-jacents. Pour certains de ces réseaux d’alimentation en eau, des solutions à long terme n’étaient pas prévues avant 2025.

[Français]

L’équipe d’audit a aussi constaté que les efforts de Services aux Autochtones Canada avaient été limités par une politique et une formule désuètes pour financer le fonctionnement et l’entretien des réseaux publics d’alimentation en eau. Le ministère n’a pas modifié la formule de financement depuis sa création il y a 30 ans. Tant que la formule ne sera pas mise à jour, il est difficile de savoir si les augmentations récentes du financement suffiront aux besoins des Premières Nations en matière d’infrastructures liées à l’eau.

Le ministère collabore avec les Premières Nations pour fournir à leurs collectivités des mesures de protection de l’eau potable comparables à celles des autres collectivités du Canada. Toutefois, 15 ans après notre première recommandation à ce sujet, nous devons constater qu’il n’y a toujours pas de régime de réglementation en place.

Le gouvernement fédéral souligne l’importance de la réconciliation et du renouvellement d’une relation de nation à nation entre le Canada et les collectivités autochtones. Cette relation est fondée sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones, le respect, la coopération et le partenariat. Services aux Autochtones Canada doit donc collaborer avec les Premières Nations pour trouver et appliquer des solutions à long terme qui donneront à leurs collectivités l’accès à une eau potable salubre. C’est un élément clé de la réconciliation.

Au cours des dernières décennies, plusieurs de mes prédécesseurs se sont inquiétés de l’inefficacité des programmes destinés aux peuples autochtones du Canada. La situation m’inquiète beaucoup également, et, honnêtement, je suis découragée d’avoir à présenter un rapport sur un problème qui existe depuis longtemps et qui n’est toujours pas résolu. L’accès à l’eau potable est un besoin humain fondamental. Je ne peux pas imaginer que quelqu’un soit d’avis que cette situation est acceptable au Canada en 2021.

Monsieur le président, je conclus ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, madame Hogan. Nous vous remercions de ces observations. La liste des intervenants commence à s’allonger.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui, madame Hogan.

Le comité a participé à l’élaboration de la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations de 2013, et je suis consterné de lire dans votre rapport, au paragraphe 3.88, que le ministère parle de créer un nouveau cadre législatif. On parle ici d’un processus fastidieux. Chose certaine, il l’a été pour la loi adoptée en 2013, qui n’est peut-être pas parfaite, mais la perspective de recommencer pour créer un nouveau cadre réglementaire pendant que cette crise perdure dans nos communautés...

Seriez-vous d’accord pour dire que c’est plutôt d’un régime réglementaire que nous avons besoin, parce qu’aucun règlement n’accompagne la loi, cela sans parler de la mise à jour de la politique de fonctionnement et d’entretien et des autres lacunes que vous avez relevées? Ne serait-il pas préférable de favoriser la corédaction d’un règlement plutôt que de tout recommencer à zéro, encore une fois, pour établir une nouvelle loi?

Mme Hogan : Il faut être conscient que tout régime réglementaire repose sur deux choses : la loi et le règlement. Je dirais que c’est le règlement qui prescrit comment s’applique la loi concrètement. C’est dans le règlement que les rôles et les responsabilités sont clairement définis, que les modes de reddition de comptes sont établis et que les mesures d’application et d’autres choses du genre sont décrites. Nous remarquons que la loi est désormais en vigueur, mais qu’il n’y a pas de règlement. C’est pourtant crucial. Cela dit, comme nous le mentionnons dans notre rapport d’audit, beaucoup de collectivités des Premières Nations déplorent la façon dont la loi a été établie à l’origine, parce qu’elles n’ont pas suffisamment été consultées et mises à contribution.

Pour que la loi réponde véritablement à leurs besoins, étant donné que les Premières Nations ont droit à l’autodétermination, elles doivent elles-mêmes se voir dans cette loi.

Les membres des Premières Nations auraient peut-être davantage le sentiment d’avoir été véritablement consultés et mis à contribution s’ils participaient à la rédaction du texte de la loi, pendant qu’on la peaufine et qu’on prépare un règlement. Je reconnais l’unicité de chaque communauté, mais il faut travailler ensemble pour bien faire les choses.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice McCallum : Je tiens à remercier Mme Hogan et M. Wheeler de leur travail.

Il y a des circonstances qui ont une incidence sur la salubrité de l’eau potable qui vont bien au-delà du bon fonctionnement et de l’entretien des réseaux publics d’alimentation en eau sous la responsabilité de Services aux Autochtones Canada. Pour trouver des solutions durables, il est impératif que le gouvernement tienne compte des causes profondes des situations uniques dans lesquelles se trouvent certaines communautés. Il y a de nombreuses communautés au pays dont la qualité de l’eau demeure intimement liée aux centrales hydroélectriques environnantes et aux effets néfastes des fluctuations du niveau d’eau sur la contamination des eaux.

De même, d’autres formes d’extraction des ressources polluent l’eau et en dégradent la qualité. Prenons l’exemple de la Nation crie de Tataskweyak, au Manitoba, dont les cours d’eau sont contaminés par des eaux du Sud du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Ontario, qui aboutissent dans leur réseau hydrographique. Dans le Sud du Manitoba, Winnipeg, Selkirk, Gimli et Thompson ont toutes des sources d’eau autres que ce système hydrographique, mais on s’attend quand même à ce que les gens de Tataskweyak boivent l’eau de cette source contaminée.

Quand ils ont sollicité l’aide du gouvernement fédéral, ils se sont fait envoyer de l’eau embouteillée. J’ai alors demandé s’ils pourraient tirer leur eau potable d’un réservoir souterrain. J’ai pu voir de mes yeux les effets de ces forces destructrices sur les enfants, les plantes, la faune, la flore et l’environnement en général. Les gens de Tataskweyak sont pris entre quatre autorités différentes — le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial, la municipalité de Thompson et la société hydroélectrique —, qui contribuent toutes au problème de salubrité de l’eau.

La centrale hydroélectrique ne relève ni du gouvernement fédéral ni du gouvernement provincial, c’est une entité en soi, si bien que personne n’y fait appliquer la loi, même si l’on ne peut pas vraiment dire non plus qu’elle est respectée au sein des organismes fédéraux.

Avez-vous des recommandations à faire sur la gestion de l’eau dans ce genre de circonstances? Vous n’avez pas évoqué ce genre de situation dans votre rapport. Merci.

Mme Hogan : Je remercie infiniment l’honorable sénatrice de cette question. M. Wheeler voudra peut-être ajouter son grain de sel à la discussion, mais je reconnais que ce n’est pas d’une solution à l’emporte-pièce dont nous avons besoin à long terme. Chaque collectivité a ses propres particularités, et ses besoins doivent être pris en compte, absolument. Les solutions provisoires ne suffisent pas à long terme.

Services aux Autochtones Canada doit aider les collectivités non seulement à se doter de l’infrastructure nécessaire, mais aussi à renforcer leurs capacités, notamment à trouver des opérateurs qualifiés des réseaux d’alimentation en eau pour qu’à long terme, non seulement les réseaux publics dont s’occupe actuellement Services aux Autochtones Canada, mais également les systèmes privés puissent bénéficier de ces connaissances et de ces compétences.

Monsieur Wheeler, voulez-vous ajouter quelque chose?

Glenn Wheeler, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci, madame Hogan.

J’ai quelques éléments à ajouter. La sénatrice souligne à très juste titre à quel point sont interreliés les enjeux auxquels sont confrontées les Premières Nations partout au pays, et la vérificatrice générale en a mentionné un en particulier, celui des compétences, pour solutionner divers problèmes récurrents chez les Premières Nations.

Il importe aussi de prendre du recul et d’avoir de bonnes discussions de haut niveau, comme notre bureau le fait depuis des années déjà, fort de son expérience de 25 années à effectuer des audits de rendement sur la question. Ainsi, nous avions mené le même genre d’exercice en 2011 et observé des lacunes dans un certain nombre de domaines, notamment en matière d’éducation, d’eau et de développement économique. Nous avions alors essayé de cerner les grands problèmes stratégiques ou structurels auxquels il faut s’attaquer pour régler les problèmes que vous mentionnez, sénatrice McCallum.

Nous avions souligné l’importance non seulement de focaliser sur le problème en tant que tel, mais d’adopter une perspective plus vaste, de ne pas nous concentrer sur un problème, à un moment donné, pour passer au prochain ensuite. Nous avons vu, audit après audit, y compris dans celui sur l’eau potable que nous venons de déposer, à quel point il importe d’améliorer la capacité à long terme pour permettre aux Premières Nations de bien gérer les programmes dont la responsabilité leur est transmise. Nous parlons, audit après audit, d’établir un cadre législatif adéquat pour régir les programmes et services offerts, qu’on parle de l’eau, de l’éducation ou de la santé. Il faut également établir clairement les niveaux de service visés pour que toutes les parties sachent bien à quel niveau de service les résidants autochtones ont droit, si on les compare aux résidants des provinces en général.

Nous parlons toujours, comme nous en parlons dans cet audit, de mécanismes de financement adéquats. C’est une chose que de confier aux Premières Nations la responsabilité d’offrir des programmes et des services, mais encore faut-il que les Premières Nations aient les ressources nécessaires pour acquérir toutes les compétences requises pour s’en acquitter.

Enfin, audit après audit, nous rappelons l’importance de créer des institutions pour aider les Premières Nations à offrir les programmes et les services qu’elles pourraient avoir de la difficulté à déployer seules. Les provinces ont des commissions scolaires et des autorités sanitaires. Il incomberait au gouvernement de veiller à la mise en place d’organisations de haut niveau de ce type pour aider les Premières Nations à s’occuper de problèmes tels que ceux que vous venez de mentionner, sénatrice. Nous l’avons déjà dit, les problèmes que vous mentionnez reviennent constamment dans les audits et les analyses. Il faut vraiment privilégier une perspective globale pour s’attaquer au genre de problèmes que vous soulevez.

Le sénateur Francis : Je vous remercie tous deux de ce rapport. Je l’ai trouvé très détaillé et très juste. En tant qu’ancien chef d’une Première Nation pendant des années, je comprends très bien les problèmes et les frustrations que vivent nos communautés, partout au Canada, sur une chose qui devrait pourtant être un droit fondamental de la personne.

Vous indiquez dans votre rapport que la formule utilisée par Services aux Autochtones Canada afin de calculer le financement octroyé pour le fonctionnement, l’entretien et les infrastructures n’a pas été revue depuis 1987. Vous faites également état de lacunes quant aux salaires offerts aux opérateurs de réseaux d’alimentation en eau. Cet écart salarial contribue aux problèmes de maintien en poste d’opérateurs qualifiés de réseaux d’alimentation en eau. Ne voilà que quelques exemples d’iniquités systémiques qui perdurent et qui nuisent à notre aptitude à bâtir des communautés saines et prospères, au sein desquelles les gens peuvent vivre, croître et apprendre.

L’accès à l’eau est un droit fondamental, mais beaucoup d’Autochtones ne jouissent pas du même accès à l’eau potable que les autres Canadiens qui vivent hors réserve. C’est tout simplement inacceptable, et la situation perdure depuis bien trop longtemps.

Combien nous en coûterait-il pour combler le manque de financement des réseaux d’alimentation en eau des Premières Nations découlant de dizaines d’années de sous-financement et de négligence gouvernement fédéral?

Mme Hogan : J’aimerais pouvoir vous donner un chiffre. Malheureusement, je ne le peux pas, et je ne crois pas que Services aux Autochtones Canada puisse vous en donner un non plus.

Je mentionnerai quelques-uns des éléments à corriger dans la formule de financement actuelle pour brosser un portrait plus complet de la situation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons souligné dans notre audit qu’il est difficile de déterminer si le financement supplémentaire promis en décembre 2020 sera suffisant pour répondre aux besoins des collectivités des Premières Nations.

Comme vous l’avez mentionné, la formule de financement n’a pas été revue depuis sa création, il y a une trentaine d’années. Ce n’est pas tellement une bonne prémisse : il faut revoir ce genre de formule bien plus souvent que tous les 30 ans. Donc, bien que la formule de financement ait été rajustée en fonction de l’inflation, elle ne tient pas compte des coûts réels engagés dernièrement pour la gestion des réseaux d’alimentation en eau. Elle ne tient pas compte non plus des avancées ou des changements technologiques, alors que beaucoup de ces avancées coûtent plus cher que ce que prévoyait la formule de financement à l’origine.

Nous mentionnons également dans notre audit que selon une évaluation annuelle de l’état des réseaux d’alimentation en eau, bon nombre d’entre eux, 43 % pour être exacte, posent un risque élevé ou moyen. Cela indique que ces réseaux vieillissent ou comportent des défaillances sous-jacentes. Si ce n’est pas pris en compte dans le financement injecté dans le réseau, il est fort probable que le financement soit insuffisant.

Il y a beaucoup de petites choses qui doivent être examinées pour brosser un portrait plus juste et plus détaillé des coûts réels de fonctionnement et d’entretien. Il faut aussi tenir compte du fait qu’on a besoin d’opérateurs qualifiés pour que tous ces réseaux fonctionnent bien, qu’ils soient bien entretenus et qu’ils n’engendrent pas de coûts supplémentaires à long terme. Le ministère a beaucoup de choses à évaluer avant de pouvoir avoir une idée claire du financement nécessaire.

La sénatrice Pate : Je remercie nos témoins de ce rapport très important. Madame Hogan, si vous deviez concevoir le cadre réglementaire et le cadre de financement nécessaires pour rectifier le tir, que prendriez-vous en compte et quel type d’entente de financement favoriseriez-vous, en sachant que le cadre actuel date de quelques dizaines d’années?

Mme Hogan : Je demanderai sans hésitation à M. Wheeler de compléter ma réponse. Comme vous avez pu le constater dans sa réponse précédente, il a des dizaines d’années d’expérience de la vérification dans ce domaine. Je suis loin de maîtriser le sujet aussi bien que lui.

Bon nombre des facteurs que j’ai mentionnés jusqu’ici, qui doivent être pris en compte dans la formule de financement et la politique de financement, sont de nature financière, mais toute formule de ce type doit s’assortir d’une certaine souplesse et tenir compte de l’évaluation des risques. Si l’on se donne la peine d’évaluer chaque année l’état des réseaux d’alimentation en eau, leur état doit être pris en compte dans le financement octroyé. Il faut aussi absolument tenir compte des opérateurs de réseaux et renforcer les capacités à long terme au sein même des collectivités. Comme je l’ai déjà mentionné, nous nous sommes penchés sur les réseaux d’alimentation en eau et les réseaux publics, soit des réseaux alimentant cinq maisons ou plus ou encore un bâtiment d’infrastructure publique, mais il y a beaucoup d’autres habitations qui sont alimentées par des puits privés ou des citernes. Les collectivités doivent avoir les compétences et les connaissances nécessaires pour déterminer ce qui contribue à la salubrité de l’eau et comment en préserver la qualité. Je pense qu’il faudrait en tenir compte dans le financement, tout comme dans le régime réglementaire. Il faudrait fixer des normes de service minimales ou des paramètres de base. Sur ce, je demanderais à M. Wheeler de bien vouloir ajouter ce que son expérience lui a enseigné.

M. Wheeler : Quant à savoir comment un régime ou cadre réglementaire devrait être conçu, on pourrait s’inspirer des lois et des règlements en vigueur dans les différentes provinces concernant l’eau potable. On y établit très clairement les rôles et les responsabilités de chacun de telle sorte que l’on sache bien qui est responsable de quoi lorsque des problèmes surviennent en précisant quelles mesures doivent être prises. Si l’on prend l’exemple de l’Ontario, après le drame de Walkerton en 2000, une loi est entrée en vigueur en 2002, et une série de 12 règlements ont été pris en application de cette loi. Dans le cas de l’Ontario, on sait ainsi exactement quoi faire lorsque les choses tournent mal. J’estime donc que c’est un modèle dont devrait s’inspirer le gouvernement fédéral dans les efforts qu’il déploie de concert avec les Premières Nations en vue de la mise en place d’un régime réglementaire pour s’attaquer au problème de l’eau potable dans les réserves.

Si je puis ajouter une chose à ce que disait la vérificatrice générale concernant la formule de financement et la nécessité d’un financement adéquat, ce serait que la production de ce rapport nous a permis de constater le grand nombre d’avis sur la qualité de l’eau potable qui sont émis à court terme. Il y en a une partie qui est rendue nécessaire par des travaux réguliers d’entretien. Nous avons tous déjà trouvé à notre porte un avis de la municipalité nous indiquant de ne pas consommer d’eau ce jour-là parce qu’on procède à des travaux d’entretien. Les travaux de ce genre sont courants, mais lorsqu’on se retrouve avec un grand nombre d’avis à court terme d’une durée pouvant atteindre un ou deux mois, c’est le signe qu’il y a des problèmes plus graves. Au fil des négociations du gouvernement avec les Premières Nations pour l’élaboration d’une nouvelle formule de financement, il convient de prendre conscience de l’importance d’un entretien adéquat de ces systèmes pour éviter qu’ils puissent devenir inutilisables et qu’il y ait encore davantage d’avis à court terme et, malheureusement, à long terme.

Il faut concéder au gouvernement que c’est justement l’approche qu’il a adoptée, mais je ne crois pas que l’on puisse trop insister sur l’importance d’assurer un financement suffisant pour l’entretien adéquat de ces systèmes afin d’éviter les avis à court et à long terme.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Il est formidable que nous puissions recevoir aujourd’hui notre nouvelle vérificatrice générale de même que M. Wheeler, l’auteur principal de ce rapport très détaillé. Vous avez en fait déjà répondu à ma question, mais je vais me permettre d’aller un peu plus en profondeur. Je m’adresse à M. Wheeler.

Vous avez parlé des liens à établir avec les autres infrastructures, aussi bien au sein de la collectivité qu’à proximité dans une mesure suffisante pour qu’un tel lien soit possible, en faisant allusion aussi bien aux actifs à proprement parler qu’à l’expertise nécessaire à leur bon entretien. À la lumière de cet audit et des autres que vous avez réalisés, pourriez-vous nous en dire plus long sur ces interrelations et sur les possibilités de mieux exploiter — dans le sens positif du terme — les possibilités de collaboration et d’interconnexion entre ces différentes infrastructures? Merci.

M. Wheeler : Je crois que vous posez là une question très importante en considérant les choses suivant l’angle qui convient. Cet audit-ci ne nous a pas permis de nous pencher sur cette approche faisant intervenir l’ensemble des infrastructures. Nous nous y sommes intéressés lors d’audits précédents au fil des ans, mais peut-être pas de la manière que vous évoquez.

Dans son travail auprès des Premières Nations, il faut que le gouvernement fédéral ne limite pas sa réflexion aux seules stations de traitement des eaux, par exemple. Il faut aussi qu’il s’intéresse aux usines d’épuration des eaux d’égout. Il doit de se demander où de nouvelles maisons pourront être construites par rapport à l’emplacement de la centrale de traitement des eaux. Il doit réfléchir à la question des routes. Il doit penser à la taille de l’école que l’on s’apprête à construire et à la croissance future de la population. Cela ressort un peu du cadre de cet audit-ci, mais j’estime qu’il est primordial, comme vous l’avez indiqué, de ne pas considérer de façon isolée les différents éléments et enjeux liés aux infrastructures.

Je sais que le ministère essaie d’adopter cette approche dans son travail avec les Premières Nations. Ainsi, on ne réfléchit pas uniquement à ce qui va arriver cette année, mais on prend aussi en considération la croissance de la population et les autres situations que l’avenir pourrait nous réserver. À titre d’exemple, une Première Nation dont l’école remonte à 40 ans ne devrait-elle pas songer à la possibilité d’en construire une nouvelle au cours des années à venir? Le cas échéant, compte tenu de l’emplacement choisi pour la station de traitement des eaux, ne devrait-on pas prévoir celui de l’école en conséquence?

Je répète que cela dépasse le cadre des questions envisagées par cet audit-ci et ceux des dernières années, mais je crois que l’on ne saurait trop insister sur la pertinence d’une telle approche tenant compte de l’ensemble des infrastructures, surtout dans un contexte où les ressources sont limitées. C’est d’autant plus primordial dans des communautés des Premières Nations éloignées qui ont une courte saison de construction et qui, comme le mentionnait la vérificatrice générale, ne disposent pas nécessairement de capacités suffisantes dans la réserve pour adopter une telle approche à long terme plus globale afin de traiter ces enjeux d’une importance cruciale à un niveau supérieur d’intervention.

Le président : Y a-t-il d’autres questions au premier tour? S’il n’y en a pas, nous allons maintenant débuter le second tour.

Le sénateur Patterson : Merci pour ce rapport qui traite en fait, selon mon interprétation, de promesses non tenues. J’ai une question concernant les avis à long terme.

En novembre 2020, 62,5 % des avis à long terme avaient été levés. Comme il y en avait 160 en 2015, il en restait 60. Selon votre rapport, le ministère aurait indiqué que 32 de ces 60 avis à long terme encore en vigueur seraient levés avant le 31 mars 2021. On prévoyait que ce serait le cas pour les 28 autres avant septembre 2021.

Pouvez-vous nous dire si le ministère a respecté son échéancier du 31 mars 2021 pour la levée de ces 32 avis à long terme? À mes yeux, cela nous donnerait une bonne idée des chances que l’échéancier de septembre 2021 soit respecté.

Mme Hogan : Je peux vous parler de certains éléments que nous avons notés dans le rapport, puis M. Wheeler pourra peut-être vous fournir des données plus à jour. Nous avons justement discuté hier soir et ce matin des mises à jour que nous pourrions vous présenter pour vous donner une meilleure idée de la situation, mais je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de progrès à ce chapitre.

En rédigeant notre rapport et en confirmant nos constats auprès du ministère, nous en sommes arrivés rapidement à la conclusion que Services aux Autochtones Canada n’allait pas pouvoir respecter ses engagements en date du 31 mars. C’est d’ailleurs ce que nous a confirmé le ministre en décembre 2020, comme je l’ai mentionné dans mes observations préliminaires et comme nous l’avons également indiqué dans le rapport.

Les 32 avis dont il était question dans le paragraphe que vous avez cité n’ont pas été levés avant le 31 mars. Je crois que ce fut le cas de quelques-uns de ces avis seulement, mais on est loin des 32 visés.

En décembre 2020, le ministre a pris d’autres engagements en espérant pouvoir régler bon nombre de ces dossiers pendant la présente année civile, mais je ne crois pas qu’un nombre important d’avis ont pu être levés jusqu’à maintenant.

Il se peut que M. Wheeler ait des chiffres plus récents à vous fournir, mais il ne fait aucun doute que l’engagement du 31 mars n’a pas été respecté.

M. Wheeler : Monsieur le président, les seuls renseignements récents à notre disposition sont ceux que nous avons pu obtenir sur le site Web du ministère. On y indique qu’en date du 9 avril, 106 avis à long terme sur la qualité de l’eau potable avaient pu être levés. C’est six de plus qu’au moment où nous avons terminé notre audit.

Comme la vérificatrice générale vient de vous l’indiquer, lorsque le ministre a fait son annonce en décembre pour parler du financement additionnel et reconnaître également que tous les avis ne pourraient pas être levés avant mars, il s’est engagé à régler le dossier des avis restants le plus rapidement possible, mais n’a fixé aucune échéance précise à cette fin.

Le sénateur Patterson : Merci pour ces réponses, monsieur Wheeler et madame Hogan. Votre bureau a déterminé que 100 avis à long terme avaient pu être levés grâce à des mesures provisoires, ce qui laisse planer le risque, étant donné qu’il s’agit de mesures provisoires, que de nouveaux incidents se produisent. Même si un montant de 1,79 milliard de dollars a été dépensé entre le début de l’exercice 2016-2017 et le 30 novembre 2020, 43 % des réseaux d’alimentation en eau des communautés des Premières Nations continuent de poser un risque de moyen à élevé d’avoir des défaillances.

Croyez-vous que l’investissement de 1,5 milliard de dollars promis dans l’énoncé économique de l’automne aura un effet véritablement significatif?

Mme Hogan : Je vais d’abord vous parler des solutions provisoires. Dans certaines sections de notre rapport, nous soulignons le fait que pour les 60 avis à long terme sur la qualité de l’eau potable encore en vigueur, il y avait dans certains cas des solutions à long terme possibles, mais seulement des solutions provisoires dans d’autres situations. Certaines des solutions à long terme prévues ne pourront pas être mises en place avant 2024-2025. Ce n’est donc pas pour demain. Les mesures provisoires permettent seulement de régler le problème de façon temporaire en reportant à plus tard une solution permanente s’attaquant à ses causes profondes.

Comme nous l’avons indiqué précédemment en répondant à une question au sujet du financement, il est difficile de déterminer si les fonds supplémentaires promis seront suffisants pour répondre aux besoins des Premières Nations. Nous estimons qu’il convient de régler les enjeux touchant la formule de financement et les politiques en la matière pour pouvoir cerner avec précision les besoins quant aux frais de fonctionnement et d’entretien à assumer. Sans cela, je ne crois pas que l’on puisse obtenir un tableau juste des besoins à combler pour régler le problème des avis à long terme.

J’insiste sur le fait qu’il faut s’attaquer aux causes profondes de la problématique pour éliminer également les avis à court terme. Plusieurs de ces avis récurrents peuvent être en vigueur pendant près d’une année complète, et certains réseaux sont visés par des avis à court terme plusieurs fois par année. Ce n’est guère mieux qu’un avis à long terme sur la qualité de l’eau potable. Il en résulte également une perte de confiance envers le système d’alimentation en eau et la nécessité de trouver une solution à long terme pour garantir un accès durable à l’eau potable.

Le sénateur Francis : Madame Hogan et monsieur Wheeler, il serait bon que vous puissiez en dire plus long à notre comité sur les difficultés éprouvées par les Premières Nations qui doivent composer avec les frais de fonctionnement et d’entretien non couverts par le financement obtenu du ministère en nous parlant des répercussions sur les systèmes d’alimentation en eau, les projets et les autres services offerts dans les réserves.

Mme Hogan : Je vais tenter une réponse, et M. Wheeler pourra peut-être ajouter quelque chose.

D’après notre audit, la formule de financement établie au départ prévoyait le paiement de 80 % des frais de fonctionnement et d’entretien des réseaux publics d’alimentation en eau, les 20 % restants devant être générés par les communautés des Premières Nations via la tarification des usagers.

Étant donné que la formule de financement est désuète, n’ayant pas suivi le rythme de l’évolution des percées technologiques et des coûts réels, bon nombre des réseaux d’alimentation en eau ne bénéficient même pas en fait de ces 80 % de financement. Si l’on ajoute à cela les difficultés éprouvées par les Premières Nations pour trouver les 20 % qui manquent, on se retrouve avec un nombre considérable de réseaux dont l’entretien laisse grandement à désirer. Dans un tel scénario, on risque de devoir composer avec un réseau nécessitant des réparations majeures, plutôt que de simples travaux d’entretien. Il en ressort une augmentation des coûts à long terme.

Je ne saurais trop insister sur l’importance de l’accès à des opérateurs locaux. J’estime vraiment essentiel de pouvoir attirer et maintenir en poste des opérateurs compétents et accrédités. Bon nombre de nos audits dans les communautés des Premières Nations nous ont permis de constater que le manque de logement et la difficulté à intégrer les nouveaux venus au sein de la communauté ont toujours compliqué le recours à des travailleurs essentiels, que ce soit dans le secteur de la santé, en santé mentale ou pour l’opération des systèmes de traitement des eaux. Ce sont là des défis fondamentaux que bon nombre de communautés des Premières Nations doivent parvenir à relever. Il n’y a pas seulement un manque du point de vue financier, car il est peut-être plus important encore de pouvoir compter sur l’expertise voulue.

Monsieur Wheeler, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Wheeler : Monsieur le président, j’ajouterais seulement à ce que vient de dire la vérificatrice générale que nous avons pu observer une situation où, compte tenu de leur incapacité à trouver le 20 % restant année après année, des Premières Nations devaient gérer leur réseau de traitement des eaux avec pour ainsi dire 80 % du financement nécessaire, si bien qu’elles étaient nombreuses à voir leur réseau se détériorer de plus en plus au fil des ans.

Je crois qu’il convient de souligner les décisions prises par le gouvernement dans ce contexte. Comme nous l’avons mentionné dans notre rapport, le gouvernement s’est engagé dans l’Énoncé économique de l’automne de 2020 à financer à hauteur de 100 % le fonctionnement des systèmes de traitement des eaux. Il ne sera donc plus nécessaire pour les Premières Nations de trouver les 20 % qui manquent, mais, comme l’indiquait la vérificatrice générale, cela montre bien que la formule de financement actuelle est inadéquate. Si l’on peut apporter les correctifs nécessaires et assurer un financement à 100 %, il faut espérer que l’on verra dorénavant de moins en moins de ces avis à court et à long terme sur la qualité de l’eau potable une fois que les différentes stations de traitement pourront fonctionner à plein régime.

La sénatrice Pate : Merci pour vos observations. Je trouve formidable de voir le gouvernement actuel manifester la volonté politique nécessaire pour s’attaquer à ces problèmes en utilisant des moyens qui n’ont pas nécessairement été déployés au cours des dernières décennies. Un peu comme nous avons pu le constater pour la mise en place des mesures de soutien requises depuis le début de la pandémie, une telle volonté politique peut permettre de faire avancer rapidement les choses et de produire d’excellents résultats. Il y a cependant encore bien des gens qui sont laissés pour compte, aussi bien du point de vue économique que dans la perspective de ces avis sur la qualité de l’eau potable dont nous parlons aujourd’hui.

Je serais curieuse de savoir une chose. S’il existait effectivement une telle volonté politique, combien de temps faudrait-il pour mettre en œuvre un plan afin de donner suite aux recommandations que vous avez formulées, surtout pour ce qui est des enjeux les plus cruciaux?

Mme Hogan : Je ne sais si j’ai la boule de cristal me permettant de vous répondre à ce sujet. Nous avons pu constater que certains des plans à long terme actuellement en place doivent être entièrement mis en application d’ici 2024 ou 2025. Je parle ici d’une solution non pas pour tous les réseaux qui ont fait l’objet d’avis à long terme sur la qualité de l’eau potable, mais simplement pour une partie d’entre eux. On recherche donc assurément une solution à long terme pour apporter les correctifs nécessaires. On ne devrait pas prendre trop de temps pour élaborer un plan à cet effet, mais cet effort doit s’appuyer, comme nous l’avons déjà indiqué, sur une bonne collaboration avec les communautés des Premières Nations.

Il n’existe pas de solution unique. Les besoins peuvent varier d’une communauté à l’autre. Les raisons pour lesquelles l’eau n’est pas potable ne sont pas nécessairement les mêmes partout. Les solutions mises en place doivent être adaptées à la réalité de chaque communauté des Premières Nations concernée. Si l’on tient compte également de facteurs comme l’éloignement de certaines communautés et la brièveté de la saison de construction, il est vraiment essentiel de mettre en place un plan bien adapté et de s’efforcer de s’y conformer pour pouvoir atteindre ces objectifs à long terme.

M. Wheeler a une grande expertise de ces questions et beaucoup plus d’expérience que je peux en avoir. J’aimerais donc beaucoup que vous puissiez entendre son point de vue à ce sujet.

M. Wheeler : La vérificatrice générale a très bien expliqué les choses. Il y a seulement un élément que je souhaiterais peut-être ajouter. C’est une chose de lever un avis à court ou à long terme sur la qualité de l’eau potable parce que l’on construit une nouvelle station de traitement ou que l’on procède aux réparations requises, mais le principal défi dans une perspective à plus long terme consiste pour notre pays à s’assurer que les Premières Nations disposent des capacités nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des installations en place. À titre d’exemple, il faut pouvoir compter, comme nous le soulignons dans notre rapport, sur des opérateurs de réseau d’alimentation en eau qui sont bien rémunérés et possèdent les accréditations requises à cette fin. Il faut également des gens capables de les remplacer. C’est une situation qu’il convient de suivre en permanence. Il peut y avoir deux opérateurs dans une réserve. Si l’un d’eux prend sa retraite, il n’en reste soudainement qu’un seul. Comment le gouvernement fédéral va-t-il aider la Première Nation en question à s’assurer les services d’une autre personne capable d’appuyer l’opérateur dans ses fonctions de telle sorte que l’on compte sur une capacité suffisante pour garantir le bon fonctionnement de la station de traitement des eaux?

Il y a aussi toute la question du fonctionnement et de l’entretien. Il est bien que l’on puisse lever un avis, mais il faut pouvoir faire le nécessaire aux fins du bon fonctionnement des installations et de leur entretien pour éviter que de nouveaux avis soient émis. Il faut adopter une perspective à long terme et déployer des efforts considérables.

Je peux vous donner un très bon exemple. En 2015, nous avons présenté au Parlement un audit sur l’établissement de l’autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Nous avons étudié la mise sur pied de cette autorité. Nous avons examiné les mesures prises à cette fin par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Les démarches ont pris 10 ans. À partir du moment où les Premières Nations ont décidé qu’elles voulaient le transfert d’une partie du contrôle, il a fallu 10 années de travail acharné avant d’ouvrir cette autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique, un jour d’avril en 2014. C’est la preuve qu’en dépit des bonnes intentions, un suivi est nécessaire. C’est ce qu’on voit dans le rapport sur l’eau et dans beaucoup d’autres audits et études que nous avons faits dans ce domaine.

Le président : Merci encore.

La sénatrice McCallum : Dans le rapport de vérification, le Bureau du vérificateur général du Canada a conclu que le ministère n’avait aucun régime réglementaire en place pour assurer un accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations. Le rapport fait remarquer que d’ici à ce qu’il y en ait un, les collectivités des Premières Nations ne jouiront pas à cet égard de protections comparables à celles des autres collectivités au Canada où l’accès à une eau potable est réglementé.

Si la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le projet de loi C-15, est adoptée, pensez-vous qu’elle jouera un rôle important dans la façon dont l’accès à une eau potable salubre est géré? Se traduira-t-elle par un certain soutien ou plus de soutien aux Premières Nations pour faire avancer ce dossier? Merci.

Mme Hogan : Malheureusement, je ne suis pas certaine de connaître tous les détails sur cette mesure législative. Ce que je peux vous dire sur un bon régime réglementaire à un palier supérieur, c’est qu’il faut sans aucun doute établir des niveaux de service minimaux, comme vous l’avez mentionné. Les niveaux doivent être comparables à ceux des collectivités hors réserve. Nous devons savoir exactement ce qui constitue de l’eau potable salubre.

Il faut aussi énoncer clairement les rôles et les responsabilités dans la loi afin que tous les partis sachent à quoi s’en tenir. Il faut savoir qui est responsable de l’entretien, de l’exploitation et de la résolution des problèmes, afin que les bonnes personnes prennent les mesures nécessaires pour rectifier la situation.

Tant que le cadre réglementaire tient compte de ces aspects, il devrait être complet. Mais ce n’est pas juste une mise en scène. Ce que nous avons constaté pendant l’audit, c’est qu’une loi est en vigueur depuis plusieurs années. Des règlements sont nécessaires à la mise en œuvre quotidienne de mesures applicables pour chaque personne touchée. Je dirais que c’est ce qu’il y a de concret dans la structure nécessaire à un accès à une eau potable salubre dans les collectivités.

Le président : Merci, madame Hogan.

Le sénateur Patterson : Nous sommes vraiment reconnaissants d’avoir cette occasion de rencontrer la vérificatrice générale et M. Wheeler pour parler de ce dossier important.

M. Wheeler a parlé de l’importance de la formation et du renforcement des capacités. J’aimerais vous questionner à ce sujet puisque votre rapport indique qu’environ 26 % des réseaux publics d’alimentation en eau dans les réserves des Premières Nations n’avaient pas d’opérateur entièrement formé et entraîné. Plus de la moitié n’avait pas d’opérateur de remplacement entièrement formé et agréé.

En 2013, nous avons entendu parler du Programme de formation itinérante de Services aux autochtones Canada. Pouvez-vous nous présenter vos observations sur ce problème et ce programme? Quelle partie des avis de faire bouillir l’eau était attribuable à l’absence d’opérateur agréé? Avez-vous des commentaires sur l’efficacité du Programme de formation itinérante pour renforcer cette capacité?

Mme Hogan : Comme le temps est compté, et pour vous donner la réponse la plus complète, je vais demander à M. Wheeler d’en parler; il pourrait répondre à toutes vos questions.

Mais les chiffres tirés de notre vérification des systèmes que vous avez donnés à propos du manque d’opérateurs, y compris des opérations de remplacement, formés et agréés sont exacts. L’absence d’opérateur formé peut mener à l’émission d’un avis d’ébullition de l’eau dans un réseau, ce qui est triste lorsque l’avis est à long terme. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de renforcer les capacités. Comme je l’ai mentionné plus tôt, ce n’est pas juste pour les systèmes publics; c’est aussi pour se servir des connaissances et des compétences en vue d’aider les systèmes privés.

Monsieur Wheeler, je vais vous demander d’en dire davantage à ce sujet.

M. Wheeler : Malheureusement, nous n’avons pas analysé les avis d’ébullition à long terme du point de vue de la présence ou non d’un opérateur au traitement de l’eau dans les collectivités des Premières Nations. Nous n’avons pas recueilli autant de détails. De plus, dans cet audit, nous n’avons pas évalué le niveau de succès des initiatives de renforcement des capacités que le ministère met en œuvre avec des Premières Nations dans le cadre de programmes comme le Programme de formation itinérante. Nous avons toutefois souligné la valeur de ces programmes dans d’autres audits.

Des programmes comme le Programme de formation itinérante peuvent avoir un objectif d’expertise d’une collectivité à l’autre pour aider à former les opérateurs au travail et à favoriser l’obtention de leur agrément. Dans des audits précédents, nous avons observé la valeur du programme, ce qui montre l’importance de faire ce travail difficile — le renforcement des capacités — pour que les Premières Nations puissent bien gérer leurs usines de traitement des eaux afin de pouvoir bien gérer leurs usines d’épuration.

Plus il y aura de programmes de formation et de renforcement des capacités de ce genre en place, mieux ce sera.

Cela renvoie aussi à une question dont nous avons parlé dans d’autres audits, à savoir qu’il est parfois important, surtout dans les régions rurales et éloignées, que des organisations comme les conseils tribaux assument des responsabilités pour accroître la formation, que ce soit auprès des opérateurs au traitement de l’eau ou d’autres travailleurs, car le rendement est meilleur lorsqu’on peut former un plus grand nombre de personnes en même temps plutôt qu’une personne à la fois dans une Première Nation.

Mais pour résumer, nous n’avons pas évalué l’efficacité du programme dans des audits précédents; nous avons souligné l’effet qu’il peut avoir sur le renforcement des capacités.

Le président : Nous avons le temps de poser une autre question.

La sénatrice Pate : Monsieur Wheeler, j’aimerais reprendre où vous vous êtes arrêté lorsque j’ai posé des questions sur les problèmes de mise en œuvre. Je vous suis reconnaissante d’avoir indiqué, par exemple, le temps qu’il a fallu pour mettre sur pied les systèmes de santé alors qu’il y avait non seulement une volonté, mais aussi un désir de le faire, et que tout le monde s’est rassemblé pour se pencher là-dessus.

L’un des problèmes qu’on a signalés à un certain nombre d’entre nous à différents moments est celui de la constitutionnalisation — à quel point les problèmes deviennent de plus en plus difficiles lorsqu’on les néglige. Il me semble que c’est un des problèmes que l’audit met en lumière. De plus, il y a aussi l’interdépendance avec d’autres systèmes, qu’il s’agisse de l’effet sur le logement, l’éducation et ainsi de suite.

Je me demande s’il y a d’autres domaines dont votre rapport ne parle pas nécessairement, mais qui devraient être portés à l’attention du comité selon vous. Chose certaine, j’entends des membres des collectivités des Premières Nations, des aînés et des dirigeants dire que l’interdépendance est un élément essentiel. À défaut de se pencher sur ces problèmes, la constitutionnalisation de la marginalisation et de l’oppression coloniale se poursuit.

M. Wheeler : Je vais céder la parole à la vérificatrice générale pour qu’elle donne une réponse définitive, mais je peux faire quelques petites observations.

Les audits que notre bureau effectue depuis plus de 25 ans sur les problèmes des Premières Nations sont utiles. S’il y a une lacune, chaque audit a tendance à examiner un seul aspect du tout, comme l’éducation, le logement ou l’approvisionnement en eau. Cette réalité nous a amenés à faire de façon intermittente ces rétrospectives de haut niveau qui tentent de cerner certains des problèmes qui touchent différents programmes.

Vous pourriez avancer qu’il revient au gouvernement, aux autres intervenants et aux partenaires de se concentrer non seulement sur des problèmes précis, mais aussi sur des problèmes plus généraux, si possible. Lorsque nous parlons de choses comme l’importance du fondement législatif pour le programme, de la suffisance du financement ou, pour la énième fois pendant cette réunion, de l’importance de la capacité, c’est peut-être une façon pour le gouvernement et les Premières Nations d’aborder certains de ces problèmes plus constitutionnalisés, comme vous l’avez dit.

Je ne sais pas; peut-être que la vérificatrice générale peut ajouter quelques observations connexes, sur les limites des audits, et sur la manière dont nous tentons de contourner ces problèmes.

Mme Hogan : Si nous ne manquions pas de temps ni de ressources, il serait formidable de faire cet audit transversal, sans aucun doute. Si nous faisions ce genre d’audit, il y aurait une petite crainte par rapport au point de départ; la tâche pourrait paraître si grande qu’on ne saurait pas par où commencer.

Il faut donc s’attaquer à un problème donné, mais on ne peut pas le faire en vase clos et oublier le reste. Un aspect important lié à ce dossier serait sans aucun doute la santé, c’est-à-dire les conséquences de l’absence d’un accès régulier à de l’eau potable salubre, que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquis. Il y a des conséquences sur la santé, ce qui met ensuite à rude épreuve la collectivité et le système de santé. Il sera peut-être impossible pour quelqu’un d’être un membre actif et productif de sa collectivité ou de la société à cause de problèmes de santé.

Il y a un vaste problème générationnel. Si nous tentons de nous attaquer à tout en même temps, nous n’aurions pas le temps de nous attaquer à quoi que ce soit.

Il faut donc scinder le tout en parties gérables, mais lorsqu’on pense ensuite à la solution à long terme, il faut penser à cette interdépendance avec tout le reste.

Nous ne pouvons certainement pas oublier les conséquences de chacune de nos actions sur l’environnement.

Il faut tenir compte de toutes ces petites choses. Nous ne pouvons pas procéder en vase clos, mais nous devons vraiment penser à la solution en adoptant un point de vue plus général sans perdre de vue le fait que nous devons nous attaquer aux principaux problèmes. C’est pour cette raison que nous tentons de séparer nos audits sur une question, de signaler une préoccupation très importante. Nous nous attendons à ce que les législateurs et le gouvernement réfléchissent davantage lorsqu’ils parviendront à cette solution et à ce qu’ils ne se contentent pas de s’attaquer à la petite partie du casse-tête sur laquelle nous nous sommes penchés.

Le président : Sur ce, je remercie la vérificatrice générale du Canada, Mme Karen Hogan, et M. Glenn Wheeler, directeur principal du rapport sur l’accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations. Je vous remercie pour votre rapport et votre témoignage. Nous vous sommes reconnaissants de votre travail.

(La séance est levée.)

Haut de page