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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 14 mai 2021

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; la teneur des éléments des sections 10 et 31 de la partie 4 du projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures; puis à huis clos pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Dan Christmas (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et aux téléspectateurs qui nous regardent de partout au pays sur sencanada.ca.

Avant de commencer, je tiens à souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur les terres non cédées des Algonquins Anishinaabe. J’ai quelques questions d’ordre administratif à régler. J’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils doivent garder leurs microphones en sourdine en tout temps, à moins que le président ne leur donne nommément la parole. Si des difficultés techniques surviennent, surtout en ce qui concerne l’interprétation, veuillez en faire part au président ou à la greffière, et nous nous efforcerons de régler le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez contacter la DSI en composant le numéro d’assistance technique fourni dans le document de confirmation de la réunion.

Avant de commencer notre discussion, et afin de protéger la confidentialité de nos échanges, je rappelle aux sénateurs, à leur personnel et au personnel de soutien qui participent à cette réunion qu’il leur incombe de veiller à ce que le milieu dans lequel ils se trouvent soit privé et que les conversations tenues dans le cadre de cette réunion ne puissent pas être entendues par des tiers. Les participants doivent se trouver dans un lieu privé et être conscients de leur environnement.

Je m’appelle Dan Christmas. Je suis un des sénateurs de la Nouvelle-Écosse. Je suis Micmac et j’ai le privilège de présider ce comité. J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion de ce matin, soit la sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest, la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Josée Forest-Niesing, de l’Ontario, le sénateur Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard, la sénatrice Nancy J. Hartling du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta, le sénateur Michael L. MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Kim Pate de l’Ontario, le sénateur Dennis Glen Patterson, du Nunavut, la sénatrice Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Scott Tannas, de l’Alberta, et le sénateur Pat Duncan, du Yukon. D’autres sénateurs pourraient se joindre à nous au cours de la journée. Je les mentionnerai au moment où ils se joindront à nous.

Je suis très heureux d’accueillir nos invités de ce matin. Je souhaite la bienvenue à Norman Yakeleya, chef national, Nation dénée; à Abel Bosum, grand chef, Grand Conseil des Cris, accompagné de Paul Joffe, conseiller juridique, GCC (EI)/gouvernement de la Nation crie; et à Naiomi Metallic, professeure adjointe, Chaire du chancelier en droit et politiques autochtones, Faculté de droit Schulich, Université Dalhousie, qui témoigne à titre personnel.

Bienvenue. Le chef Yakeleya, le grand chef Bosum et Mme Metallic feront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes, qui sera suivie d’une période de questions de trois minutes environ par sénateur.

La première question sera posée par le parrain du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question sera posée par le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Les sénateurs désirant poser une question à nos invités devront se servir de la fonction de main levée levée de Zoom pour le signaler à la greffière qui leur fera signe dans le clavardoir de Zoom, en bas de l’écran. Veuillez noter que les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones auront la priorité sur la liste des intervenants. Tout invité ou témoin désireux de faire un suivi par écrit aux questions posées pourra envoyer ses remarques à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’informera par message texte quand il restera 10 secondes aux témoins à l’étape de leur exposé liminaire ou dans le cadre des questions posées par les sénateurs. J’indiquerai avec mes doigts quand il vous restera 10, puis 5 secondes, avant de vous faire signe que votre temps est écoulé.

J’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos invités. J’invite le chef Yakeleya à faire sa déclaration préliminaire.

Norman Yakeleya, chef national, Nation dénée : Merci, sénateur. [mots prononcés dans une langue autochtone] Je viens de remercier mes parents dans ma langue. Il fait très beau dehors, surtout dans les Territoires du Nord-Ouest où il neige en ce moment. Cela me fait dire que dame nature nous rappelle toujours que c’est elle qui dirige ce pays.

Je suis le chef national de la Nation dénée du Denendeh. Le Denendeh fait partie de ce que vous appelez les Territoires du Nord-Ouest. Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de me donner l’occasion de lui parler aujourd’hui de ce projet de loi C-15 très important. Je tiens également à saluer mes compatriotes du Nord, les sénateurs du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, que j’ai tous connus. Je tiens aussi à saluer tous les sénateurs de ce beau pays qu’est le Canada.

Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que la Nation dénée appuie le concept et l’idéal du projet de loi C-15. Nous devons examiner deux amendements essentiels, que j’expliquerai dans un instant.

Tout d’abord, je tiens à préciser que je suis le chef national de la Nation dénée. Je travaille pour 15 000 Dénés du Denendeh, dans les Territoires du Nord-Ouest, qui sont organisés en gouvernements communautaires et régionaux autonomes. Les grands chefs m’ont confié le mandat de parler de questions nationales d’intérêt commun, comme le projet de loi C-15. Nos gouvernements locaux et régionaux parlent également en leur propre nom. Nous avons des gouvernements de bande en vertu de la Loi sur les Indiens qui existent toujours et qui doivent être reconnus dans le projet de loi C-15.

Nous sommes donc les Dénés. Nous appelons notre territoire Denendeh, qui veut dire l’esprit de la terre d’où nous venons ou, plus couramment, la « Terre des gens ». Notre histoire remonte à des milliers d’années et plus encore, selon nos récits ancestraux de tradition orale, elle remonte à la nuit des temps. Au cours des 154 dernières années, nous avons suivi un chemin difficile avec le Canada.

Depuis sa découverte, le Canada suit une feuille de route fondée sur la doctrine de la découverte. C’est la mauvaise feuille de route. De nombreux Dénés sont toujours régis par la Loi sur les Indiens, qui, comme vous le savez, a été conçue pour nous assimiler à une culture qui n’est pas la nôtre.

Nous avons enduré beaucoup d'épreuves et beaucoup appris durant tout ce temps. Nous avons aussi vécu beaucoup de choses en tant que peuple autochtone. Nous avons survécu aux politiques destinées à éteindre nos droits et à nous amener à céder, à nous rendre à concéder nos terres, nos eaux et l’air que nous respirons. Nous ne pouvons pas faire cela.

Dans d’autres parties des Territoires du Nord-Ouest, nous avons été obligés de négocier à répétition des cessions de terre dans la vallée du Mackenzie, à mesure que nous réglions nos revendications territoriales. Notre façon de survivre dans le monde d’aujourd’hui ne correspond pas du tout à ce à quoi aspirent les Autochtones, les Dénés.

Nous savons maintenant, après 154 ans, que le statu quo ne fonctionne pas. Tous les indicateurs économiques et sociaux nous permettent de confirmer cette réalité. Nous savons aussi qu’aucun gouvernement ne peut agir seul de nos jours. La COVID-19 nous a donné l’occasion d’examiner les lacunes de plus près et de façon plus claire. Ce n’est que lorsque le soutien a été accordé aux Canadiens et aux Autochtones que nous avons constaté qu’il y avait d’énormes lacunes à combler à la faveur de la COVID-19.

Honorables sénateurs, ce n’est pas une tâche facile. Pourtant, nous voulons travailler à l’édification du pays avec le Canada. Les institutions gouvernementales d’aujourd’hui sont très enracinées et il est très difficile de les faire évoluer puisqu’elles tiennent au statu quo. La façon coloniale de gouverner peut être bonne pour vous dans le Sud. La DNUDPA est notre façon de mieux reconstruire le Canada. Le Canada est une nation de fédéralisme coopératif, avec des sièges à la table de la Confédération pour les gouvernements provinciaux, fédéral, territoriaux et municipaux. Nous devrions également inclure les gouvernements autochtones à ce stade-ci, et ne plus simplement dire aux peuples autochtones ce qu’ils doivent faire.

Les Dénés sont forts et appuient le projet de loi C-15. C’est notre rêve.

Le président : Je suis désolé, chef. Votre temps est écoulé. J’aimerais maintenant donner la parole au grand chef Able Bosum pour sa déclaration préliminaire.

Abel Bosum, grand chef, Grand Conseil des Cris : [Mots prononcés dans une langue autochtone] Bonjour à tous les sénateurs et à tous les participants. Merci, monsieur le président, et merci au comité de m’avoir invité aujourd’hui à vous faire part de quelques réflexions sur ce projet de loi extrêmement important que vous êtes en train d’étudier.

Comme je l’ai fait auprès du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, je limiterai mes observations sur ce qui est, on peut le dire. la question la plus controversée concernant le projet de loi C-15 et la DNUDPA elle-même : la notion du « consentement libre, préalable et éclairé » ou CLPE.

Vous avez beaucoup entendu parler du « consentement libre, préalable et éclairé » lors des témoignages, y compris des points de vue qui ont tenté de décrire cette notion comme étant tout simplement un veto potentiel aux projets de développement sur les terres autochtones traditionnelles. En raison de ce présumé droit de veto, des témoins vous ont dit que la mise en œuvre de la DNUDPA en droit canadien serait catastrophique pour l’économie canadienne.

L’expérience de notre Nation crie dans le Nord du Québec est une preuve évidente du contraire. En plus de quatre décennies, nous avons progressivement mis en place un certain nombre de processus qui nous permettent de participer directement à la prise de décisions dans le cadre de projets de développement économique proposés sur nos terres traditionnelles. En plus de tenir compte des préoccupations environnementales et sociales soulevées par notre peuple, ces processus favorisent notre participation à de tels projets, y compris en matière de surveillance environnementale, d’établissement d’aires protégées, d’emploi, de formation, de contrats, et d’avantages financiers.

Les processus que nous avons mis en place dans le Nord du Québec portent sur l’engagement général, sur le dialogue, sur des conversations sérieuses. Quand nous sommes à la table, et que nos droits sont reconnus, nous atteignons tous un point de maturité qui nous fait réaliser qu’il y a tellement plus de choses qui nous unissent qu’il y en a qui semblent nous diviser.

Les expériences dont je vous fais part ne sont ni théoriques, ni idéologiques, ni chimériques. Très peu de témoins qui ont émis des réserves au sujet du CLPE parlent d’expériences vécues.

Nos expériences sont le fruit de tous nos efforts pour obtenir la reconnaissance de nos droits, et par la suite, pour traduire ces droits en processus importants qui nous placent directement à la table de décision, avec d’autres, pour les projets à être réalisés sur notre territoire traditionnel.

Ces processus ne visent pas à permettre à un joueur donné de faire des déclarations unilatérales sur le sort d’un projet. En fait, les déclarations unilatérales à l’égard de projets de développement des ressources ont toujours été la norme et elles ont exclu les populations autochtones. Nous devons mettre de côté la perspective coloniale enracinée selon laquelle les peuples autochtones ne peuvent avoir que le droit de dire « oui ». Une inclusion authentique doit être suffisamment solide et active pour permettre une ventilation complète des opinions et préoccupations fondées au sujet des projets, des politiques et des lois qui affectent les peuples autochtones. Ces préoccupations doivent ensuite être intégrées, par le dialogue, dans les décisions finales.

Dans le Nord du Québec, nous avons mis en œuvre notre version du consentement libre, préalable et éclairé, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête pour autant, le climat d’investissement n’a pas été affecté négativement, en fait, il s’est amélioré, et nous continuons de créer des situations « gagnant-gagnant » pour les titulaires de droits et les autres auprès de qui nous devons nous engager. Nous avons amélioré toutes nos relations pertinentes, soit avec les communautés non autochtones, avec l’industrie et avec la province de Québec. C’est précisément parce que nos droits ont été reconnus et que nous sommes reconnus comme des acteurs valables en matière d’économie et de la vie politique dans notre région que nous avons contribué à la coexistence pacifique et à l’harmonie sociale.

Rien n’est plus nuisible au climat d’investissement canadien que le statu quo. En fait, c’est le statu quo qui a créé, et continue de créer, l’incertitude et un contexte d’investissement instable. La question fondamentale dans tous les débats sur le projet de loi C-15 — la DNUDPA et le CPLE — est de savoir si le Canada adoptera une approche honorable pour respecter nos droits de la personne et remédier aux conditions des peuples autochtones, et si cette approche sera fondée sur la pleine « inclusion » des peuples autochtones dans la vie politique et économique du Canada.

Il s’agit de savoir si nous sommes réellement prêts à clore le long et douloureux chapitre de notre histoire collective fondée et pérennisée au moyen de pratiques coloniales dépassées. Honorables sénateurs, voici la vraie question dont vous êtes saisis : le Canada est-il maintenant prêt à reconnaître notre exclusion historique comme relique d’un passé colonial et à prendre la voie de l’inclusion, de l’honneur, de la bonne foi et du respect?

Au final, c’est ce que vise le projet de loi C-15. C’est maintenant l’occasion pour nous tous d’être du bon côté de l’histoire. [mots prononcés dans une langue autochtone] Meegwetch.

Le président : Merci beaucoup, grand chef.

Naiomi Metallic, professeure adjointe, Chaire du chancelier en droit et politiques autochtones, Faculté de droit Schulich, Université Dalhousie : Merci, sénateur Christmas. Bonjour. Je viens du territoire micmac. Je suis avocate et professeure de droit, spécialisée en droit constitutionnel et en droit autochtone. Je vous remercie de me donner l’occasion d’ajouter ma voix à celle des nombreux témoins qui se sont prononcés en faveur du projet de loi C-15.

Plus tôt cette semaine, vous avez entendu Brenda Gunn et Val Napoleon, deux sommités en droit international et autochtone, vous parler de l’importance de ce projet de loi. Il n’y a pas grand-chose à ajouter à leur excellent témoignage. Pour cette raison, je vais m’en tenir à un message très simple.

Techniquement, le projet de loi n’est pas strictement nécessaire du point de vue juridique parce que la déclaration s’applique déjà au droit canadien. Toutefois, le projet de loi est nécessaire pour faciliter une véritable réconciliation, car une grande confusion et beaucoup de malentendus règnent chez les politiciens, les avocats, les juges et le public au sujet de la façon dont les engagements internationaux du Canada influent sur le droit national. Le projet de loi est important parce qu’il facilite une mise en œuvre beaucoup plus claire, organisée et opportune de la déclaration.

La déclaration s’applique déjà au droit canadien de plusieurs façons. L’un des moyens les plus importants est ce qu’on appelle la « présomption de conformité au droit international ». C’est un principe d’interprétation bien établi selon lequel notre droit interne, notre common law, nos lois et la Constitution doivent être interprétés comme étant conformes aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

Quand j’exerçais le droit à temps plein, j’ai fait valoir avec succès que la déclaration était conforme aux principes du droit administratif canadien, en particulier au principe de l’équité procédurale. Le juge s’est inspiré de la déclaration, par application du principe de la conformité au droit international, pour constater que le ministère des Services aux Autochtones du Canada avait effectivement l’obligation de consulter sérieusement les Premières Nations micmaques et Wolastoqey dans les Maritimes au sujet de changements importants et potentiellement nuisibles à la politique d’aide sociale dans les réserves.

Des juges canadiens ont appliqué la déclaration dans d’autres cas pour interpréter la loi. Cependant, il est aussi arrivé que les juges hésitent à appliquer la déclaration, le plus souvent parce qu’ils ne comprenaient pas vraiment en quoi les engagements internationaux en matière de droits de la personne pouvaient influent sur notre droit interne. Ma faculté de droit se fait maintenant un devoir d’enseigner cela aux étudiants en droit, surtout en raison de l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui réclame une éducation obligatoire à ce sujet. En réalité, de nombreuses générations d’avocats et de juges n’ont jamais reçu cette formation, raison pour laquelle l’affirmation dans le projet de loi — voulant que la déclaration s’applique en droit canadien — est si importante sur le plan pratique.

Évidemment, la disposition établissant la nécessité d’un plan d’action pour la mise en œuvre de la déclaration est aussi extrêmement importante, parce que ce travail devrait en grande partie être réalisé par les branches législative et exécutive, le pouvoir judiciaire n’intervenant qu’en dernier recours.

Une partie de la résistance à l’égard du projet de loi est attribuable à des craintes quant à la façon dont il pourrait modifier la loi canadienne. Ma première réponse à cela est que le droit canadien est encore profondément colonial et injuste et qu’il doit donc évoluer pour être meilleur. Je pourrais vous citer toute une liste d’articles et de rapports scientifiques à ce sujet.

Deuxièmement, la déclaration change déjà et continuera de changer la loi canadienne, que le projet de loi soit adopté ou non. Mais cette loi fera en sorte que ces changements se fassent de façon plus structurée, juste et opportune.

Ma dernière réflexion sur cette crainte est que les lois canadiennes changent constamment. Nos tribunaux ont dit que notre Constitution est un arbre vivant, capable de changer à mesure que nos sociétés et nos valeurs évoluent. Des changements importants comme la présence des femmes au Sénat et la reconnaissance du mariage entre conjoints de même sexe sont des exemples d’importantes évolutions de cet arbre vivant. Et vous savez quoi? Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête quand nous avons apporté ces changements. En fait, ils nous ont aidés.

En conclusion, honorables sénateurs, je vous demande d’aller de l’avant. Les projets de loi C-262 et C-15 ont fait l’objet de discussions et d’un examen approfondis. Il est temps d’adopter ce projet de loi. C’est la bonne chose à faire pour la réconciliation et la justice. La déclaration elle-même et le projet de loi font progresser les droits fondamentaux des peuples autochtones. La déclaration est appuyée par les peuples autochtones du monde entier, et ce projet de loi témoigne de l’excellent leadership du Canada en matière de mise en œuvre. Cela nous rendra meilleurs.

Merci. Wela’lioq.

Le président : Merci beaucoup, madame Metallic.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je tiens à remercier le chef Yakeleya, le chef Bosum et Mme Metallic de leurs commentaires percutants. J’ai une question pour le chef Bosum.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi l’affirmation des droits des Autochtones crée un climat favorable à l’investissement? Quand vous avez dit cela, j’ai eu envie d’en savoir plus sur votre expérience et sur le lien entre l’affirmation des droits et l’amélioration du climat d’investissement.

M. Bosum : Nous avons signé notre traité en 1975 avec le Québec et le Canada. C’est vraiment un traité de partenariat. Il nous a fallu un certain temps pour comprendre comment le mettre en œuvre, mais depuis 2002, depuis la signature de l’entente dite de la Paix des Braves, nous avons trouvé la formule qui nous permet de collaborer plus étroitement avec la province de nation à nation et avec les entreprises.

Grâce à l’adoption de différentes politiques dans notre région, décrivant les conditions que nous souhaitions, nous avons pu signer plus d’une centaine d’ententes depuis 1975. Nous avons modifié notre traité 26 fois, et chaque fois, évidemment, nous l’avons amélioré et modernisé. C’est grâce à de meilleures structures de collaboration avec le gouvernement du Québec que nous avons pu améliorer les conditions de vie et l’économie du Nord.

Il y a de nombreuses façons de procéder, et en fait, nous en sommes même au point où nous assumons la planification dans le Nord du Québec. Notre territoire traditionnel s’étend sur 400 000 kilomètres carrés, et l’entente conclue il y a quelques années avec le premier ministre Legault nous a permis de planifier les infrastructures et les aires protégées, de trouver de meilleures façons de travailler ensemble et de créer un meilleur climat pour que tout le monde y gagne.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, chef Bosum.

Le sénateur Patterson : Je suis heureux de vous voir, grand chef Yakeleya. Le temps nous est compté dans ces audiences. Je veux vous donner les trois minutes qui me restent pour que vous nous parliez des modifications essentielles que vous recommanderiez d’apporter à ce projet de loi, s’il vous plaît.

M. Yakeleya : Merci, sénateur Patterson. Je suis également heureux de vous voir. Je vais aller droit au but : nous avons fait beaucoup de chemin entre les signaux de fumée et les réunions sur Zoom.

Les modifications que je recommanderais d’apporter auraient trait à la reconnaissance des gouvernements autochtones. Le projet de loi parle des Autochtones, mais il faut reconnaître les gouvernements autochtones et la compétence de la communauté autochtone. Ce serait la première chose à faire.

Deuxièmement, il faudrait accélérer le règlement des revendications territoriales et des ententes d’autonomie gouvernementale. Comme vous le savez, les Inuvialuit, les Gwich’in et les Dehcho ont participé à la négociation des ententes sur les revendications territoriales et ils sont encore en train de négocier des ententes sur l’autonomie gouvernementale — les Inuvialuit depuis 1984 et les Gwich’in depuis 1982. Il faudrait aussi créer un conseil trilatéral indépendant chargé de dresser un plan d’action et d’en surveiller l’application à l’entrée en vigueur complète de la loi, lorsque les gouvernements autochtones seront à la même table que les gouvernements provinciaux et fédéral pour mettre en œuvre le projet de loi C-15.

Le sénateur Patterson : Merci, grand chef. Lundi, nous avons entendu le témoignage de Jason Madden, avocat au cabinet Pape Salter Teillet, qui représente de nombreux clients autochtones, dont les Tlichos. Il a parlé du travail des Tlichos dans les territoires, à l’Office des terres et des eaux du Wek’èezhìi, comme exemples du CLPE en action.

Estimez-vous que le projet de loi C-15 ne perturbera pas ou n’affaiblira pas les mécanismes en vigueur, comme l’Office des terres et des eaux, qui semble très bien fonctionner dans les Territoires du Nord-Ouest?

M. Yakeleya : Merci, sénateur Patterson. À la lecture du projet de loi C-15, je dirais que c’est la mesure législative idéale pour continuer d’appuyer les Tlichos ou tout autre gouvernement autochtone qui négocie actuellement avec le Canada.

Le président : Je suis désolé, chef. Votre temps est de nouveau écoulé. Je vais donner la parole à la sénatrice Coyle.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins d’aujourd’hui. Leurs témoignages sont très instructifs.

Ma question s’adresse au grand chef Abel Bosum. Je suis très attachée à votre région du monde parce que mon beau-frère, Morley Stewart, est natif de Wemindji, l’une de vos communautés; nous sommes donc en famille.

D’après votre témoignage et d’après ce que nous savons, les dernières décennies ont été incroyablement difficiles pour la Nation crie. C’est peut-être pour cela, ou en dépit de cela que vous avez montré la voie en mettant déjà en œuvre beaucoup des éléments fondamentaux de la DNUDPA dans vos relations et vos prises de position.

Votre nation a développé des relations positives et, comme vous l’avez dit, des relations équilibrées et mutuellement bénéfiques avec les entreprises et avec les collectivités non autochtones de la région. D’après ce que vous avez dit, il semble que ces relations soient fondées sur des processus très efficaces d’examen des projets, grâce à un dialogue et une participation solides. C’est ce que nous escomptons que la DNUDPA et le projet de loi C-15 apportent à d’autres régions du Canada et aux relations avec les Autochtones.

En réponse à la question de la sénatrice LaBoucane-Benson, vous avez dit autre chose que j’aimerais que vous explicitiez. Je suis curieuse de connaître les détails de la planification prospective avec le Québec. Il me semble que cela va bien au-delà du dialogue dynamique projet par projet dont nous avons parlé jusqu’à maintenant. Qu’est-ce que cela vous a permis de faire de manière prospective? Merci.

M. Bosum : Je vous remercie de cette question. Pour mettre les choses en perspective, nous devons évidemment à la fois trouver des solutions pour la mise en œuvre de notre traité et composer avec toutes les politiques fédérales et provinciales en vigueur. Nous avons réagi aux projets de développement pendant toutes ces années. Nous avons réagi à des projets hydroélectriques, à des projets d’exploitation forestière et, évidemment, à des projets d’extraction minière. En ce moment, on s’intéresse beaucoup au lithium pour les batteries, et nous avons cinq projets sur notre territoire. Il faut donc, encore une fois, réagir. Nous avons approché le premier ministre et lui avons suggéré de nous laisser l’initiative de la planification pour pouvoir circonscrire les zones à protéger et ainsi protéger le climat.

Le président : Je suis désolé, grand chef. Votre temps est écoulé. Je donne la parole au sénateur Francis.

Le sénateur Francis : Je vais m’adresser à mon amie micmaque Mme Metallic et à M. Joffe, étant donné que ma question est d’ordre juridique.

Au cours de notre étude préalable du projet de loi C-15, plusieurs témoins ont soulevé la question du respect des droits ancestraux et issus de traités énoncés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon Jason Madden, les tribunaux sont en train d’élaborer un cadre de référence pour l’article 35 en fonction de droits distincts, ce qui a créé des lacunes. Selon lui, la DNUDPA a le potentiel de combler ces vides juridiques.

Êtes-vous d’accord avec cet argument? À votre avis, le projet de loi C-15 pourrait-il préciser davantage les droits ancestraux et issus de traités? Si oui, comment? Madame Metallic, voulez-vous commencer?

Mme Metallic : Je suis tout à fait d’accord avec Jason Madden. L’interprétation de l’article 35, qui est toujours faite dans une optique coloniale, soulève beaucoup de questions. Les affaires qui font foi s’appuient toujours sur la doctrine de la découverte. Dans la DNUDPA, vue comme expression des principes fondamentaux des droits de la personne, l’un des premiers préambules indique que cette doctrine, fondée sur des idéologies racistes, n’est pas conforme à l’esprit de la déclaration.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones fournit le cadre d’un changement de paradigme utile concernant notre conception des relations entre les Autochtones et l’État. Elle énonce de nombreux principes permettant d’y réfléchir, et c’est son principal intérêt.

Par ailleurs, et j’en ai parlé tout à l’heure, le projet de loi mettra l’exécutif et le législatif aux commandes. L’article 35, malheureusement, a souvent permis au gouvernement de s’en remettre aux tribunaux. On peut espérer que cela ouvre la voie, pour de bon, à une œuvre plus proactive par les pouvoirs exécutif et législatif.

Le sénateur Francis : Merci, madame Metallic. Monsieur Joffe?

Paul Joffe, conseiller juridique, GCC (EI) : Merci, monsieur le sénateur. Je suis entièrement d’accord avec Naiomi Metallic et j’aimerais ajouter quelques remarques. Quand il n’y avait que l’article 35, il était interprété comme obligation de consulter. Le projet de loi C-15 prévoit consultation et coopération. Par ailleurs...

Le président : Je suis désolé, monsieur Joffe. Votre temps est écoulé. Je vais donner la parole à la sénatrice Stewart Olsen.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse au grand chef Bosum. À titre personnel, je félicite la Nation crie et vous tous d’avoir soulevé des questions que je n’avais jamais comprises. Je suis vieille, cela remonte aux années 1970. Je vous adresse donc mes félicitations. C’était une entente fantastique — avec la province, pas avec le fédéral.

Hier, nous avons reçu un mémoire de la Première Nation d’Alexander concernant le territoire visé par le Traité no 6. On s’y inquiète des répercussions du projet de loi sur la souveraineté et sur le pouvoir juridictionnel inhérent de la communauté autochtone. Celle-ci a signifié un avis de non-consentement. Si ce projet de loi est adopté, il sera considéré comme une imposition à la communauté d’Alexander et un manquement aux obligations découlant du Traité no 6.

Vous êtes convaincu que nous devons donner suite au projet de loi et ne pas essayer de le modifier, mais d’autres sont tout aussi convaincus du contraire. Que faire de ces points de vue opposés, monsieur?

M. Bosum : Il s’agit de trouver des solutions. Tout traité, tout projet de loi, peut être amélioré grâce au dialogue, à la compréhension de l’objet de ces demandes et à la recherche de mesures d’adaptation.

C’est une question d’inclusion. Nous avons trouvé une façon de mettre en œuvre notre traité grâce au dialogue. Nous avions le cadre, c’est-à-dire le traité, et nous sommes maintenant en mesure d’assumer la responsabilité de la gouvernance et de contrôler notre propre système d'éducation, notre propre système de santé et beaucoup d’éléments de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Il s’agit de créer le cadre proposé par la DNUDPA pour ouvrir le dialogue entre les provinces, les Premières Nations, les entreprises et, évidemment, le gouvernement fédéral.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, chef. Je ne voudrais cependant pas que certains consentements portent plus de poids.. Qu’en pensez-vous?

M. Bosum : Certaines personnes ont des préoccupations légitimes à cause de ce qu’elles ont vécu. Nous devons apprendre les uns des autres et apprendre à mieux faire les choses. Je ne dis pas que les Cris sont un modèle parfait, mais nous avons effectivement trouvé des moyens.

La sénatrice Stewart Olsen : Très bien. Merci.

Le président : Merci, grand chef.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de leur présence.

Ma question s’adresse d’abord à Mme Metallic, après quoi j’aimerais que les chefs donnent suite.

Comme vous le savez très bien, certains allèguent, et la sénatrice Stewart Olsen y a fait allusion, que les droits protégés et confirmés par le projet de loi C-15 se traduiront par de l’incertitude économique et une diminution des activités commerciales dans certaines communautés. Vous et M. Joffe êtes persuadés du contraire, à savoir que le projet de loi C-15 permettra d’instaurer plus de certitude et de réduire les litiges. Pourriez-vous nous expliquer en quoi selon vous, la déclaration des Nations unies accroît la probabilité, par exemple, que des décisions comme l’arrêt Sparrow soient touchées et que l’arbre vivant se développe de façon plus positive pour tout le monde dans ce pays?

Mme Metallic : Comme je l’ai dit, monsieur le sénateur, cela produira un changement de paradigme propre à favoriser des relations de nation à nation plutôt que en tant que sujet de Sa Majesté, comme c’est le cas dans une bonne partie de notre système juridique actuel.

Cela garantira plus de certitude et entraînera plus de discussions et de réconciliations. En fait, une partie de notre doctrine actuelle fondée sur l’article 35 suscite énormément d’incertitude. L’obligation de consulter et la façon dont elle s’inscrit dans un spectre où le degré de consultation change en fonction de la situation entraînent toujours des désaccords. Depuis l’affaire Haïda, quelque 700 causes ont été l’occasion de débattre de l’obligation de consulter et de la remettre en question. Des universitaires se sont penchés sur la question. Dans un article, l’ancien procureur général de l’Ontario Michael Bryant a déclaré que le consentement créerait beaucoup plus de certitude parce que les gens sauraient à quoi s’en tenir.

Les gens s’interrogent parce qu’ils croient que cela va créer un système binaire. Mais, actuellement le système binaire, c’est la Couronne qui a tous les pouvoirs et les peuples autochtones qui n’ont pas de droit de veto. Le veto appartient à la Couronne, et les gens pensent que le consentement libre, informé et préalable y changera quelque chose. Mais pas du tout. Désormais, les négociations se feront de nation à nation et feront l’objet de discussions, comme l’ont expliqué nos collègues le grand chef Bosum et M. Yakeleya. C’est cela, le changement de paradigme. Il ne s’agira pas d’un système binaire d’exclusion. Ce n’est pas cela. Il s’agit de se parler et de trouver des solutions valables pour tout le monde. Merci.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : J’aimerais revenir sur la notion de consentement libre, informé et préalable. Comme vous le savez, il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet. La binarité dont vient de parler Mme Metallic renvoie au consentement par opposition au droit de veto.

Monsieur Joffe, vous avez fait un commentaire semblable au sujet du terme « consultation » accompagné du terme « collaboration » dans le libellé, et de la consultation fructueuse qui découlerait de la collaboration.

Beaucoup de gens se demandent comment nous allons nous assurer que tous les intéressés soient présents à la table. On parle de négocier de nation à nation, mais on parle aussi de diversité au sein des groupes autochtones. Des gens s’inquiètent également du fait que des organisations ne soient pas en mesure d’engager leur groupe.

Compte tenu de cette diversité — et le grand chef Bosum a parlé des gouvernements autochtones —, comment s’assurer que tous les intéressés soient présents à la table?

M. Bosum : Merci beaucoup de la question. Ce que nous avons conclu avec la province et avec le Canada dans notre traité est un processus que vous trouverez à l’article 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Tous les projets proposés sur notre territoire traditionnel passent par ce processus environnemental. Il existe une structure permettant aux Cris de siéger avec des représentants du Québec, et, quand il est question des eaux, avec des représentants fédéraux.

Un très long processus assujettit les promoteurs à présenter leurs projets. Ils doivent justifier les impacts éventuels, les mesures d’atténuation, et cetera. Ce processus permet aux Cris d’utiliser les terres, de formuler leurs préoccupations et même de proposer des solutions pour améliorer le projet ou réduire son empreinte.

La sénatrice Hartling : Je remercie nos invités de leurs excellents témoignages, surtout qu’ils viennent de différentes régions du Canada. Il est intéressant d’entendre vos différents points de vue. Et il est intéressant de comparer les perspectives des différentes régions et des différents groupes.

Madame Metallic, j’ai bien aimé vos remarques sur la résilience et sur les craintes des gens et sur le fait que, quand les lois changent, le ciel ne nous tombe pas sur la tête, alors que nous nous mettons en mode « Oh mon Dieu, tout va s’écrouler ».

Selon vous, d’où vient la résilience et comment rassembler les gens pour progresser dans la voie de la réconciliation et faire adopter des projets de loi comme le projet de loi C-15? De quoi a-t-on besoin pour faire participer davantage de gens à la discussion sur les droits de la personne? Merci.

Mme Metallic : C’est une bonne question. La peur vient du manque d’information, de l’ignorance de ce qui va se passer. Dans l’ensemble, notre système d’éducation ne nous prépare pas beaucoup à vraiment aborder ces questions.

Nous ne sommes pas très sensibilisés aux droits de la personne. Nous sommes peu informés de la situation des Autochtones. Depuis cinq ans, dans ma faculté de droit, nous nous sommes engagés à prendre vraiment au sérieux les appels à l’action concernant l’éducation de nos étudiants, et je constate que cela transforme profondément leur capacité à réfléchir aux enjeux et à participer. Dans le cadre de mes examens, je lis dissertation après dissertation sur l’injustice de la doctrine de la découverte et sur la nécessité de la remplacer dans notre droit; c’est époustouflant que cela vienne de dizaines d’étudiants. C’est donc possible, et les gens peuvent changer de perspective. Il suffit de leur donner les outils nécessaires.

Nous avons besoin d’un grand effort d’éducation dans divers secteurs, pas seulement aux niveaux primaire et secondaire, mais aussi parmi les professionnels, les députés, les avocats et les juges. Cela jouera un grand rôle dans le changement de paradigme.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup. J’aimerais ajouter que je suis fière de Dalhousie à cause de cela, parce que je vis dans le Canada atlantique, et je vous en remercie.

Connaissez-vous d’autres universités au pays qui font le même genre de choses?

Mme Metallic : Oui, il y en a beaucoup, et certaines enseignent aussi les lois autochtones. Je dirais que la majorité d’entre elles font maintenant de l’éducation fondée sur les principes de vérité et de réconciliation en s’inspirant de l’appel à l’action no 28. C’est merveilleux.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse au chef national déné Yakeleya. À la lumière des amendements que vous recommandez, devrions-nous y donner suite dans un plan d’action national? Selon vous, quel sera le défi ou l’avantage pour le Canada de reconnaître les gouvernements autochtones et d’avoir des titulaires d’autonomie gouvernementale à la table avec les gouvernements fédéral et provinciaux? Enfin, appuieriez-vous le projet de loi sans les amendements?

M. Yakeleya : Merci, sénateur Anderson. Les Dénés souhaiteraient idéalement s’asseoir à la table avec le Canada sur un pied d’égalité. Je trouve que le projet de loi C-15 donne l’occasion de travailler avec les peuples autochtones du Canada en tant que véritables propriétaires fonciers, et que nous allons partager nos terres et notre mode de vie. Nous avons été trop longtemps mis de côté. C’est une occasion à saisir, le concept idéal de type « J'ai un rêve ».

J’appuie le projet de loi et je veux savoir s’il contient des amendements importants. C’est la raison pour laquelle nous en discutons ce matin, pour que le gouvernement du Canada examine où nous pouvons l’améliorer, comme l’article 25 de la Charte des droits reconnaissant les gouvernements autochtones. Lorsque nous nous rendons sur les terres, nous nous réunissons toujours pour parler de la meilleure façon de survivre en tant que peuple. C’est comme si le Canada venait à la table avec les Autochtones pour voir comment nous pouvons vivre ensemble dans un monde dans lequel nos enfants pourront s’épanouir. Merci.

Le président : La parole est maintenant au sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Comme on a répondu à ma question, je vais attendre le prochain groupe de témoins.

Le sénateur Tannas : Ma question s’adresse au grand chef Bosum. Il est certain que le modèle que vous avez bâti au fil des décennies suscite beaucoup d’admiration chez beaucoup de gens, y compris moi-même.

En ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et pour faire suite un peu à la question de la sénatrice Forest-Niesing, j’ai maintenant compris l’idée du consentement. Je pense qu’elle a été expliquée en long et en large. Le ministre nous a également donné l’assurance que, dans deux ans, des travaux seront menés en consultation avec les peuples autochtones pour essayer de préciser davantage la notion de consentement.

L’autre question qui reste en suspens selon moi concerne l’identité des personnes ou des groupes qui peuvent donner leur consentement. Nous avons tous vu ce qui s’est passé avec les Wet’suwet’en dans le dossier de Coastal GasLink, alors que les gouvernements dûment élus, soit 20 d’entre eux, ont signé des ententes, et c’est un groupe de personnes non élues qui a tout bloqué et causé une paralysie à l’échelle nationale.

J’aimerais savoir, grand chef Bosum, comment cette question est perçue au sein de votre propre communauté. A-t-elle suscité des divergences? Selon vous, y a-t-il quoi que ce soit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui devrait nous préoccuper alors que nous passons à la prochaine étape, qui consiste à préciser la question de savoir qui peut vraiment donner son consentement? Compte tenu de votre expérience et de votre succès, cette question doit-elle être clarifiée?

M. Bosum : Une fois qu’un projet est identifié, nous créons des comités au niveau communautaire et nous identifions toutes les familles qui seraient touchées. Comme je l’ai mentionné, nous couvrons une superficie de 400 000 kilomètres carrés, où se trouvent plus de 400 sous-territoires familiaux. Donc, lorsqu’un projet est annoncé, nous savons où il se trouvera et quelles familles seront touchées. Nous créons un processus dans le cadre duquel le promoteur fournit le plus d’information possible, afin que les familles touchées soient bien au courant du projet et de ses répercussions.

Une fois que les familles en ont discuté, le dossier est évidemment transmis aux dirigeants politiques, c’est-à-dire le chef et le conseil de chaque communauté. Enfin, c’est la nation — les 11 chefs de communauté — en entier qui se réunit et prend la décision finale sur l’acceptabilité sociale du projet.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le président : Merci, grand chef. Il nous reste encore quelques minutes. Sénatrice LaBoucane-Benson, avez-vous une question?

La sénatrice LaBoucane-Benson : En fait, je vais céder la parole au sénateur Patterson, car je crois que le chef Yakeleya n’a pas terminé ce qu’il voulait dire.

Le président : Sénateur Patterson, il nous reste encore quelques minutes.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur le président, et merci à ma collègue. Oui, grand chef Yakeleya, nous venons de parler du régime de cogestion dans le Nord et de son bon fonctionnement, et il a été question de la situation des Wet’suwet’en. Je crois que nos processus de cogestion dans le Nord peuvent servir d’exemple à suivre au sud du 60e parallèle.

Dans le cas des Wet’suwet’en, comme l’a dit le sénateur Tannas, un petit groupe de chefs héréditaires non élus a contesté un projet accepté par tous les chefs et conseils élus le long du tracé et approuvé, dans ce cas, par l’organisme de réglementation provincial. Cela a semblé miner les régimes de réglementation et de gouvernance existants.

Compte tenu du bon fonctionnement de l’Office des terres et des eaux du Wek’èezhìi, croyez-vous que le projet de loi C-15 ne perturbera pas, ne minera pas ou n’affaiblira pas les mécanismes qui ont été gagnés lors des négociations des revendications des Tlichos, qui ont été âprement disputées? Êtes-vous d’avis que le projet de loi C-15 n’entravera pas les processus existants négociés par les gens du Nord?

M. Yakeleya : Merci, sénateur Patterson. Je suis d’avis que le projet de loi C-15 appuiera et améliorera la situation. S’il y a des difficultés en ce qui concerne les Tlichos — comme vous le savez, ils se sont battus énergiquement pour leur propre gouvernement —, le projet de loi C-15 pourra renforcer leur autodétermination et leur accorder la place qui leur revient dans la Constitution du Canada. Le projet de loi C-15 est un processus, comme l’indiquent les 46 articles de l’accord, selon lequel ces lois seront conformes aux lois du Canada et feront en sorte que ces mesures seront acceptées par les gouvernements.

Ce qui me chicote dans le projet de loi C-15, c’est qu’il met en évidence les municipalités. C’est là un système de gouvernement colonial. Nous ne reconnaissons pas nos gouvernements des bandes autochtones, et c’est un problème de longue date. Pourquoi énumérons-nous les municipalités qui relèvent déjà des gouvernements provinciaux et territoriaux? Ce ne sont pas des gouvernements que nous avons choisis. Les Tlichos ont leurs propres gouvernements.

Je crois que le projet de loi C-15 les renforcera ou les appuiera dans leur propre autodétermination, sous l’angle de ce que les peuples autochtones veulent faire avec tous les pouvoirs qu’ils ont négociés. Merci.

Le président : Merci, chef.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

Le président : Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je remercie nos témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Je tiens à remercier le chef Yakeleya, le grand chef Bosum, M. Joffe et Mme Metallic.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins de cet après-midi, M. Russ Diabo et Mme Crystal Smith, conseillère en chef de la Nation Haisla. M. Diabo et Mme Smith feront une déclaration préliminaire d’environ six minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs pendant environ trois minutes et demie par sénateur.

La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question sera posée par le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont une question, ils sont priés d’utiliser la fonction de main levée de Zoom pour le signaler à la greffière, et le tout sera confirmé dans la fonction de clavardage Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste des intervenants. Tout suivi écrit aux questions doit être soumis à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité avisera le président — moi-même — par message texte lorsqu’il restera 10 secondes aux observations liminaires des témoins et à la période de questions et réponses des sénateurs. Je vais faire un compte à rebours à 10 secondes, puis à 5 secondes, et je vous aviserai ensuite lorsque le temps sera écoulé.

Je remercie nos témoins. J’invite M. Russ Diabo et Mme Crystal Smith à présenter leur exposé. Tout d’abord, monsieur Diabo.

Russ Diabo, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant votre comité aujourd’hui.

Je suis ici à titre de porte-parole de trois réseaux d’activistes autochtones au sujet du projet de loi C-15, soit Defenders of the Land, Idle No More et Truth Before Reconciliation Network. Le 11 décembre 2020, nos réseaux autochtones ont publié une analyse complète du projet de loi C-15 et ont recommandé aux communautés et aux nations autochtones de rejeter le projet de loi C-15.

Nous sommes d’avis que le projet de loi C-15 concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones doit être examiné et considéré dans le contexte plus large du bilan de sournoiserie et de tromperie du gouvernement Trudeau dans le traitement des communautés et des nations autochtones au cours des six dernières années, en particulier, l’élaboration unilatérale par le gouvernement fédéral d’une définition canadienne de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il s’agit de changements massifs et sans précédent aux politiques, aux lois et à la structure, qui contournent les peuples et les nations autochtones qui sont les véritables titulaires de droits.

Le recours à trois organisations autochtones nationales, à des groupes de traités modernes et à de nombreux conseils de bande, qui participent à des discussions fédérales secrètes de haut en bas dans la hiérarchie — un certain nombre d’entre eux participent déjà aux soi-disant tables de négociation sur l’autodétermination à l’échelle du Canada — sans parler de l’élaboration de lois pendant une pandémie mondiale, alors que la plupart des communautés et des nations autochtones essaient tant bien que mal de protéger leurs familles contre les éclosions de COVID, est un acte scandaleux.

Comment justifiez-vous la tenue d’une consultation à l’égard d’une loi fédérale qui aura des répercussions intergénérationnelles durables pendant une pandémie, alors que de nombreuses communautés et nations autochtones n’ont même pas la capacité d’intervenir ou d’analyser comme il se doit les répercussions sur leurs droits? Beaucoup n’ont même pas accès au WiFi.

En 2016, le Canada a montré à quel point son appui à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est limité, en essayant de la soumettre et de l’assujettir au droit national. La ministre des Affaires autochtones de l’époque, Carolyn Bennett, a déclaré à l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations Unies : « Nous ne visons rien de moins que l’adoption et l’application de la Déclaration, conformément à la Constitution canadienne. »

Le Canada croit que ses obligations constitutionnelles lui permettent de respecter tous les principes de la déclaration, y compris le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Nous considérons les traités modernes et les ententes d’autonomie gouvernementale comme l’expression ultime du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau a élaboré une définition canadienne de la déclaration. Par exemple, en avril 2016, le ministre des Ressources naturelles de l’époque, Jim Carr, a déclaré devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord : « [...] le gouvernement est en voie d’adapter la définition de la Déclaration au contexte canadien. » Il a ajouté : « Le gouvernement s’affaire actuellement à clarifier ces définitions [...] » et « Nous y arriverons en suivant un processus et un régime réglementaires [...] »

En mai 2016, avant que la ministre Bennett ne déclare l’appui mitigé du Canada à la déclaration, la ministre de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, a déclaré à l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies :

Le Canada a besoin d’un plan d’action national, ce que le gouvernement appelle un cadre de réconciliation.

Et nous n’avons pas besoin de réinventer complètement la roue [...] Au Canada, il y a des traités modernes et des exemples d’autonomie gouvernementale — à la fois globale et sectorielle. Il existe des institutions autochtones régionales et nationales qui appuient la reconstruction des nations, par exemple en matière de gestion des terres et d’administration financière.

Par suite de la déclaration de 2016 devant l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies, la ministre de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, a déclaré à l’assemblée des chefs de l’APN de 2016 tenue à Niagara Falls :

[...] l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme étant une loi canadienne est inapplicable et, avec tout le respect que je vous dois, une distraction politique qui nous empêche d’entreprendre le dur labeur nécessaire à sa mise en œuvre.

Elle a ensuite ajouté : « En fin de compte, la Déclaration sera définie dans le cadre constitutionnel de l’article 35. »

Le Canada a exprimé clairement qu’il veut que les lois nationales, dont bon nombre violent les droits des Autochtones, aient préséance sur la déclaration. La Loi fédérale concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le projet de loi C-15, est un tour de passe-passe qui promet d’accroître et d’élargir les droits des Autochtones, mais qui accomplit le contraire. Les principaux articles du projet de loi C-15, en particulier l’article 2, maintiennent l’interprétation en common law des paragraphes 35(1) et 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est fortement fondée sur la doctrine coloniale de la découverte.

L’application de cette doctrine coloniale a entraîné un certain nombre de problèmes, d’interprétations juridiques et de jurisprudence fondés sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui ont des répercussions négatives sur la vie quotidienne des peuples et des nations autochtones du Canada, y compris l’imposition de la souveraineté de la Couronne sur les peuples autochtones; les droits à l’autonomie gouvernementale; le non-respect des lois et des traditions juridiques autochtones; l’établissement que la Couronne détient le titre de propriété sur les terres; le lourd et coûteux fardeau de la preuve imposé aux peuples et aux nations autochtones pour établir leurs droits devant les tribunaux canadiens; le critère raciste et figé dans le temps de l’arrêt Van der Peet pour établir les droits ancestraux; la capacité pour la Couronne d’enfreindre les droits ancestraux en se fondant sur le critère de l’arrêt Sparrow; l’érosion de l’obligation de consulter et d’accommoder qui est réduite à un simple droit procédural assujetti à un examen, fondé sur les principes du droit administratif, de la solidité de la revendication et de l’étendue de l’évaluation des consultations par les gouvernements fédéral et provinciaux.

En assujettissant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones à l’article 35, le gouvernement a supprimé tous les droits que la déclaration visait à reconnaître. En vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales visant les Premières Nations et les peuples autochtones, les peuples autochtones ne sont pas reconnus comme faisant partie des nations autonomes.

Le président : Merci, monsieur Diabo, votre temps est écoulé. J’aimerais donner la parole à Mme Smith pour sa déclaration préliminaire.

Crystal Smith, conseillère en chef, Nation Haisla : [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Je m’appelle Crystal Smith. Je suis la conseillère en chef élue de la Nation Haisla. Je viens de vous saluer dans ma langue.

J’aimerais profiter de l’occasion pour vous remercier de m’accueillir ici aujourd’hui. En ce qui concerne les déclarations qui ont été faites, j’aimerais commencer par dire, au cas où on me couperait la parole, qu’en général, les gens veulent réussir. Lorsque je dis que les gens veulent réussir, je parle en particulier de ma communauté.

Notre vision pour notre nation a toujours visé à ce que les membres de la communauté soient forts et prospères. Pour ce faire, nous devons offrir des possibilités d’indépendance à la communauté et à ses membres. Cela signifie qu’il faut revenir à la reconstruction, à la revitalisation de nos identités culturelles et aux possibilités d’éducation, de capacité et de carrières permanentes.

J’ai eu le privilège de faire partie du dernier groupe de témoins et d’écouter les discussions qui y ont eu lieu. Je ne vais pas répéter quoi que ce soit, mais je suis tout à fait d’accord avec la majorité des témoins qui ont pris la parole. Ce dont je veux parler, c’est de l’impact que le projet de loi aura sur les gens.

Sur notre territoire, nous avons réussi à obtenir le plus important investissement privé de l’histoire du Canada dans le cadre du projet LNG Canada. La différence, c’est que notre nation a une solide expérience en matière de développement industriel. Nous sommes restés sur la touche avec différents promoteurs sur notre territoire et, dans le cadre du projet de LNG Canada, nous avons été des participants actifs.

Nous avons mené ce projet dans le cadre d’un Fonds d’intervention pour le développement, un FID, avec Coastal GasLink. Je participe à ce projet depuis les débuts de la présentation de notre territoire, et j’ai vu de mes propres yeux le succès non seulement de nos membres haisla, mais aussi de notre territoire, de notre région, qui a été en mesure d’offrir des solutions non seulement à notre communauté, mais aussi à tous les types de programmes et de services qui contribuent à améliorer la qualité de vie.

Nous avons pu rétablir nos relations avec les communautés des Premières Nations voisines. J’ai participé à une réunion de LNG Canada il y a quelques jours, où ce groupe nous a donné de l’information au sujet des statistiques sur les possibilités d’emploi, plus précisément pour leur projet sur place. À l’heure actuelle, 270 membres des Premières Nations travaillent sur place. De ces 270 membres, 60 sont des Haisla. Je pense que cela en dit long sur l’importance du fait que, lorsque la réconciliation économique est couronnée de succès, elle atteint les communautés avoisinantes et les aide elles aussi à offrir des possibilités d’indépendance.

La plupart du temps, lorsqu’on me demande de prendre la parole dans le cadre de ces événements, c’est une question de politiques et de mise en œuvre. Je pense que l’on oublie souvent de tenir compte de la population dans cette équation. Par exemple, dans mon premier emploi à la sortie du collège, j’ai travaillé dans une école primaire. Il y avait là une jeune fille qui s’appelait Ashley, et que j’ai vue grandir. J’ai continué à la voir et j’ai maintenu le lien avec elle dans les médias sociaux. Tout récemment, elle a eu une fille du même âge que mon petit-fils. Je constate dans ses messages sur les médias sociaux les difficultés auxquelles elle est confrontée à titre de mère monoparentale. Elle n’a pas fait d’études officielles. Elle n’a pas eu d’emploi.

L’un de nos partenaires — nous avons pu établir un partenariat avec Ledcor grâce au développement économique — a organisé une séance de formation qui a donné à nos membres et à ceux des communautés avoisinantes l’occasion d’acquérir les compétences nécessaires pour occuper un emploi de premier échelon sur un chantier de construction. Ashley était l’une des 12 personnes et la seule femme dans ce groupe. Je l’ai vue réussir et sa participation à un projet a changé sa vie, et non seulement la sienne, mais aussi celle de sa fille.

Être témoin des répercussions de ce projet et des répercussions de notre participation active à ce projet sur les membres de notre communauté et ceux des communautés avoisinantes, c’est — cela me donne la force et m’inspire à continuer de faire ce que nous faisons, et offrir des solutions grâce à la réconciliation économique à nos membres et aux collectivités environnantes.

Je pense que cela conclut ce que j’avais à dire.

Le président : Merci, madame Smith. J’aimerais maintenant passer aux questions. Comme nous n’avons que deux témoins aujourd’hui, nous prolongerons la période de questions et réponses de chaque sénateur pour la porter à 3 minutes et 30 secondes.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Madame Smith, merci beaucoup de ce que vous nous avez dit aujourd’hui. La question que je vous pose est la suivante : en tant que titulaire de droits, pensez-vous que le projet de loi C-15 va éroder les droits de votre communauté?

Mme Smith : Non, je ne pense pas. Comme je le disais dans ma déclaration préliminaire, le développement industriel n’est pas nouveau pour notre nation. Nous sommes restés sur la touche et nous avons vu des promoteurs et d’autres communautés devenir prospères tandis que nous étions laissés de côté et privés d’une participation active.

Je veux commencer par dire que la crainte d’appliquer le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause... Je ne cherche pas à dépeindre LNG Canada comme un projet qui a démarré dans un lit de roses. C’est loin d’être le cas. En fait, j’étais l’adjointe du conseiller en chef lorsque les gens de LNG Canada nous ont été présentés pour la première fois, et je me souviens de m’être fait dire en revenant au travail qu’il n’y aurait pas de communication et que la relation n’avait encore rien de très significatif.

Mais grâce à des efforts acharnés, non seulement de la part de notre nation, mais aussi de la part du promoteur et du gouvernement, nous avons pu rétablir une relation qui offrait une base solide à des discussions difficiles. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu d’autres occasions de dérapage. Mais les deux parties étaient prêtes à s’asseoir ensemble et nous avons pu assumer la responsabilité qui nous incombait, à titre de propriétaires fonciers légitimes de notre territoire, de nous informer sur un projet. Cela a pris de nombreuses années et bien des gens, alors en ce qui concerne tout autre type de... LNG Canada n’est pas le dernier promoteur sur notre territoire. Nous en avons vu passer un grand nombre parce que nous avons comme atouts un superbe port qui ne gèle jamais et des voies maritimes très courtes, alors est-ce que le projet de loi C-15 va éroder nos droits? Non.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Est-ce qu’il me reste du temps, monsieur le président?

Le président : Oui.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Compte tenu de votre expérience de travail avec LNG Canada et du succès que vous avez obtenu, comment conseilleriez-vous au gouvernement de consulter les titulaires de droits à propos de la clarification du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause? Auriez-vous des conseils à donner au gouvernement?

Mme Smith : Excusez-moi, pouvez-vous répéter?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Une des choses à régler éventuellement, dans le plan d’action, sera de clarifier ce qu’on entend par consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, peut-être de le définir ou d’établir des paramètres pour l’appliquer. Donc, lorsque le gouvernement va consulter les titulaires de droits, comment lui conseillez-vous de le faire?

Mme Smith : Je crois qu’un sénateur ou une sénatrice a posé une question sur les personnes à consulter et la façon dont on en décide. C’est la responsabilité des communautés. Mon mandat me vient de ma communauté. C’est par cette démarche de consentement éclairé que les membres...

Le président : Je suis désolé, madame Smith. Le temps est écoulé. Nous devons poursuivre.

Le sénateur Patterson : Monsieur Diabo, j’ai lu votre article dans l’Indigenous Policy Journal au sujet des consultations sur ce projet de loi. Vous avez dit :

Les titulaires de droits autochtones, à savoir les peuples autochtones de tout le pays, ont été exclus de ce processus, comme toujours. Ils n’ont pas été consultés et n’ont pas même vu une ébauche du projet de loi C-15 avant son dépôt, et voici que le gouvernement Trudeau entend le faire adopter à toute vapeur à la Chambre des communes à la reprise des travaux en janvier 2021.

Plusieurs autres témoins nous ont fait part d’un sentiment semblable. L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador disait dans un mémoire qu’elle se sentait obligée d’accepter ce projet de loi. Idle No More, Defenders of the Land ou d’autres réseaux populaires ont dénoncé publiquement ce projet de loi comme étant « profondément vicié » et ont déclaré sans équivoque qu’il fallait le rejeter.

Mais on nous dit que ce projet de loi vaut mieux que rien du tout et que nous ne devrions pas user de nos pouvoirs d’amendement pour faire droit aux préoccupations soulevées, parce que, comme la sénatrice LaBoucane-Benson vient de le dire, nous devrions avoir confiance que tout sera aplani à l’étape de l’élaboration du plan d’action.

Quel est votre avis à ce sujet? Devrions-nous simplement le laisser passer tel quel ou devrions-nous essayer de répondre aux préoccupations que vous et d’autres intervenants avez soulevées? Merci.

M. Diabo : Si le projet de loi C-15 devient une loi fédérale, nous recommanderons aux communautés et aux nations autochtones de s’organiser pour y résister et exercer leur droit souverain d’autodétermination sur le terrain, de contester la compétence et l’autorité de l’État canadien et de ses gouvernements constitutifs, des entreprises d’extraction de ressources ou des sociétés d’État qui exercent leurs activités sur des terres autochtones, sans le consentement préalable des peuples concernés, donné librement et en connaissance de cause.

Pour répondre à votre question, vous avez entendu le témoin précédent dire que, techniquement, ce projet de loi n’est pas nécessaire parce que la déclaration des Nations unies s’applique déjà au Canada comme une norme internationale.

Pour ce qui est de la consultation ou de la participation des peuples autochtones, le Canada s’en est occupé, du moins à ce qu’il dit. Des fonctionnaires, même le ministre Lametti ou quelqu’un d’autre, ont dit qu’ils avaient parlé à des groupes clés, qu’ils ont identifiés comme étant les trois organisations autochtones nationales et les groupes qui ont signé les traités modernes. Il y en a d’autres, mais ce sont ceux-là qu’ils ont identifiés. C’est avec eux qu’ils ont vraiment discuté.

Or, même les tribunaux canadiens affirment que les titulaires de droits sont les gens sur le terrain. Ce sont eux qui détiennent le titre ancestral ou les droits issus de traités sur les terres, les territoires et les ressources. Ils ont été court-circuités.

Je vais vous donner un exemple. Lorsque la Constitution était flambant neuve en 1982-1983, il y a eu un comité parlementaire spécial multipartite sur l’autonomie gouvernementale des Indiens. Ce comité a parcouru le pays et a tenu des audiences dans toutes les régions, où les gens ont pu présenter des mémoires sur leur idée de l’autonomie gouvernementale et le fait de se libérer de la Loi sur les Indiens. Le gouvernement fédéral et le Parlement auraient pu faire quelque chose de semblable au sujet de la déclaration des Nations unies.

Je pense qu’ils doivent retirer ce projet de loi et retourner parler aux gens sur le terrain.

Le président : Merci, monsieur Diabo.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci, chers collègues, d’avoir bien voulu modifier légèrement l’ordre de passage à cause de mon horaire serré d’aujourd’hui.

Je remercie nos témoins, et vous en particulier, madame Smith. Votre témoignage était extrêmement touchant; vous apportez une dimension humaine à tout cela. Il est si facile de s’enliser dans la légalité et les subtilités techniques. Quand vous parlez de l’incidence sur des gens et sur des vies — pas seulement dans le présent mais aussi dans l’avenir, pour les enfants en particulier —, cela remet les choses en perspective. Je vous en remercie.

J’aimerais que vous poursuiviez ce que vous aviez commencé à dire au sujet du mandat que vous demandez à votre communauté pour qu’elle puisse prendre part aux discussions prévues après la mise en œuvre de ce projet de loi, s’il est adopté.

Ensuite, j’aimerais entendre M. Diabo, surtout. Je comprends que vous croyiez avoir été ignoré dans les consultations jusqu’à maintenant, mais que ferez-vous si ce projet de loi était adopté pour être certain de ne pas l’être à nouveau et de pouvoir, au moment opportun, prendre une part active et fructueuse aux discussions?

Mme Smith : Merci de me permettre d’en dire plus à ce sujet.

Je sais qu’il a été question des Wet’suwet’en plus tôt dans la conversation; il s’est produit la même chose chez nous. Il n’y a même pas 10 ans, il y a eu des différends entre nos chefs héréditaires et nos dirigeants élus qui ont fini devant le tribunal et qui ont causé une fracture dévastatrice dans notre communauté, au point où des familles ne se parlaient plus.

J’ai eu l’impression que nos membres en avaient assez de cette division. Ils en avaient assez des conséquences comme celles-là qui touchent les liens familiaux; nos communautés sont si petites que les familles sont au cœur de nos vies. Nos membres en avaient juste assez, alors ils ont décidé de se prendre en main. Ils ont choisi qui allait les représenter. C’était essentiellement le corps élu qui devait les représenter.

Maintenant, il est acquis chez nous que les titulaires de droits actifs, les détenteurs de titres et les négociateurs sont nos représentants élus.

M. Diabo : Pour répondre à la question, nous avons des défenseurs des terres et des protecteurs de l’eau dans nos réseaux. Ils sont actifs sur le terrain actuellement dans plusieurs régions du pays, dont la Colombie-Britannique, l’Ontario et les provinces de l’Atlantique.

Il faut regarder l’article 18 de la déclaration des Nations unies. Vous avez mis l’accent sur l’article 19, qui parle de changer les politiques et la loi avec le concours des représentants, mais l’article 18 dit que les peuples autochtones ont le droit de prendre des décisions en passant par leurs propres procédures et institutions. Les bandes et les conseils de bande ne sont pas des institutions autochtones. Ce sont des créatures coloniales, et quant à nos réseaux, nous avons accès aux médias sociaux...

Le président : Je suis désolé, monsieur Diabo, mais le temps est à nouveau écoulé.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à la conseillère en chef Smith.

Selon votre expérience, quels avantages y a-t-il à intégrer les façons d’être et les façons de faire des Autochtones dans les pratiques commerciales, surtout dans le contexte de l’exploitation, de la gestion et de la conservation des ressources naturelles?

Mme Smith : Je vous suis très reconnaissante de poser cette question, parce qu’en qualité de dirigeants élus, nous avons absolument à cœur de protéger nos territoires, alors je vous en remercie.

Au cours de nos négociations, nous avons tenu à être partie prenante dans toute demande de permis présentée par LNG Canada. Par exemple, nous organisons et nous menons de bout en bout des discussions avec le promoteur où non seulement interviennent nos membres de la Nation Haisla qui ont reçu une formation technique en environnement et en aménagement des terres, mais où notre culture entre aussi en ligne de compte.

Sur notre territoire, il y a un élément essentiel de notre culture et de notre alimentation traditionnelle, l’eulakane, qui a été décimé par le développement industriel. Nous avons exercé des pressions sur le gouvernement fédéral, de concert avec le promoteur, pour que figure dans nos déclarations toute l’importance que revêt l’eulakane dans notre culture. C’est ainsi que nous avons pu faire des études et élaborer des programmes que nous appliquons actuellement pour reconstituer les stocks d’eulakane sur notre territoire.

C’est un exemple de la façon dont nous parvenons à préserver notre culture, en allant jusqu’à influencer le calendrier de certains travaux. Nous avons des ententes selon lesquelles il y a des périodes à respecter pendant la saison de frai de l’eulakane, qui ne faisaient pas partie des priorités du MPO, et que nous faisons respecter maintenant pour ne plus compromettre cette ressource importante pour notre communauté.

Le sénateur Francis : Merci.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à Mme Smith. Au printemps 2019, je me suis rendu dans le nord de l’Alberta et de la Colombie-Britannique avec le comité de l’énergie et le comité des transports pour discuter des répercussions des projets de loi C-48 et C-69. J’ai rencontré beaucoup de gens des Premières Nations qui étaient frustrés par les obstacles à leur développement économique. Alors je vous pose la même question qui a été posée au groupe précédent. Votre communauté, la Nation Haisla, figure parmi les 20 conseils de bande élus qui ont signé une entente sur les répercussions et les avantages du projet de pipeline Coastal GasLink. Le pays s’est ressenti des perturbations causées par les chefs héréditaires des Wet’suwet’en. Lors d’une séance d’information technique à l’intention de tous les sénateurs, la sous-ministre adjointe de la Justice Laurie Sargent a expliqué que « les droits des Autochtones ne sont pas absolus », et qu’il fallait ménager de l’espace pour les droits des autres, comme pour d’autres besoins sociaux pressants.

Pensez-vous avoir besoin de renégocier ou de modifier des ententes ou des processus auxquels la Nation Haisla a adhéré? Merci.

Mme Smith : Est-ce que je pense que nous avons besoin d’une nouvelle entente avec Coastal GasLink? Est-ce bien la question?

Le sénateur MacDonald : Croyez-vous avoir besoin de renégocier ou de modifier des ententes ou des processus auxquels la Nation Haisla a adhéré, afin de protéger le développement économique que vous essayez de mettre en marche dans votre propre cour?

Mme Smith : Je dois dire que c’est un succès. Je veux dire, le projet est... Je ne vois pas pourquoi...

Le sénateur MacDonald : Craignez-vous qu’on entrave de quelque façon les progrès que vous tentez de réaliser, ou qu’on fasse dérailler vos plans?

Mme Smith : Il m’arrive de ne pas bien dormir la nuit, quand je pense à ce projet et que je m’inquiète de ne pas avoir le mandat de la communauté, bien sûr. Et je tiens à dire ceci à propos de l’étiquette coloniale qu’on accole aux dirigeants élus. Je ne brigue pas les suffrages pour faire quelque mal que ce soit à mon peuple aujourd’hui, aux générations futures ou à notre environnement. Les dirigeants élus sur le territoire le long du pipeline Coastal GasLink, en particulier dans les territoires des Wet’suwet’en, sont de bons amis et j’ai cultivé une excellente relation avec eux au fil des ans grâce à ce projet.

Je tiens à dire, en leur nom, qu’ils ne convoitent pas des sièges pour nuire à notre peuple. Cela fait beaucoup trop longtemps qu’ils travaillent, comme de nombreux conseillers en chef et conseillers avant eux, pour nous amener là où nous sommes aujourd’hui. Il y a tellement d’autres occasions économiques qui nous ont échappé parce que nous n’avions pas notre siège légitime à la table. Maintenant que nous avons le droit de siéger à la table à titre de dirigeants élus, que l’exploitation de nos ressources nous procure des revenus et des emplois, nous apportons des solutions sur le terrain que nous n’avons jamais vues auparavant.

Est-ce que j’ai des préoccupations au sujet de ce projet? Bien sûr. Ce qu’il faut dire cependant, c’est qu’on voit que c'est une réussite aujourd’hui dans nos communautés.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : Monsieur Diabo, votre exposé m’amène à m’interroger sur la qualité du processus de consultation. Vous avez dit :

Il y a une bonne raison à la précipitation du gouvernement. Il ne veut pas donner aux Autochtones — à l’exception du petit noyau de dirigeants qui reçoivent des fonds fédéraux — le temps d’examiner en détail ce projet de loi profondément vicié.

Je remarque aussi que, bien que le gouvernement ait pris la peine de le souligner, il continue de participer au processus législatif, ce qui va à l’encontre de l’élément « préalable » dans le principe du consentement libre et éclairé.

Si c’était là le processus de consultation pour la rédaction du projet de loi, prévoyez-vous qu’il en sera de même pour la formulation du plan d’action, et pensez-vous qu’il soit possible d’avoir une discussion pleine et entière avec tous les titulaires de droits dans un délai de deux ans?

M. Diabo : Nous avons certainement les outils de communication et les méthodes pour le faire. Pour ceux qui ont accès au WiFi, il est possible de se réunir sur Zoom, comme le fait actuellement le gouvernement pour consulter les dirigeants à travers le pays.

L’Assemblée des Premières Nations n’est pas un organe représentatif, je suis sûr que d’autres chefs vous l’ont dit déjà. J’ai travaillé à l’Assemblée des Premières Nations sous la direction de trois chefs nationaux et je connais bien la charte : c’est une organisation de chefs et non pas une organisation du peuple. Voilà le problème. Elle s’appuie sur le régime institué par la Loi sur les Indiens, de sorte que tous les conseils de bande auxquels vous parlez, les chefs auxquels vous parlez, sont certes élus, mais ils ne portent pas vraiment le message que nous entendons par nos antennes chez les gens de la base, les opinions du peuple sur ce qui se passe, par exemple, avec ce projet de loi et d’autres choses.

La négociation du plan d’action doit se faire en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, mais ce que nous voyons depuis six ans, c’est une démarche opaque menée de haut en bas avec les organisations autochtones nationales, les groupes qui ont signé les traités modernes et différents conseils de bande réunis à différentes tables fédérales. Ce sont des pourparlers secrets. Les gens ne savent même pas de quoi on parle à ces tables de reconnaissance et d’autodétermination qu’on trouve partout au pays. On investit 100 millions de dollars dans ces discussions, pourtant les gens ne savent pas de quoi il en retourne jusqu’à ce que des ententes surviennent sur lesquelles on leur demande de se prononcer par voie de référendum.

Je prédis qu’il y aura beaucoup de résistance si ce projet de loi est adopté parce qu’ils n’accepteront pas un plan d’action négocié par des représentants qui ne leur parlent pas. Même les tribunaux ont dit que les droits appartiennent aux gens sur le terrain, pas aux organes de lobbying militant comme l’Assemblée des Premières Nations ou les organismes régionaux qui en font partie.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur, ce serait bien dommage pour ce projet de loi. Merci.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à Mme Smith et à M. Diabo. Si ce projet de loi est adopté, comment feriez-vous, à part les protestations dont vous avez parlé, pour amener à la table toutes les parties qui devraient prendre part au processus décisionnel? Quelles seraient vos recommandations?

M. Diabo : Ce que je préconise, c’est l’élaboration de plans d’autodétermination à partir de la base.

De la façon dont le système fonctionne actuellement, l’obligation de consulter, que ce projet de loi va enchâsser dans la loi, repose sur la solidité des dossiers de revendication. Les gouvernements, surtout provinciaux, mais le fédéral aussi, consultent les communautés sur des projets ou des activités menés sur des terres ancestrales, et les communautés sont censées avoir l’information nécessaire pour répondre. Bon nombre d’entre elles ne disposent pas de l’information culturelle et historique nécessaire pour prouver la solidité de leur revendication, par exemple, l’existence du titre ou des droits ancestraux.

Toutes les communications que le gouvernement reçoit — les courriels, les lettres et la correspondance — sont évaluées en fonction de leur contribution à la solidité de la revendication. Si l’évaluation est faible, alors on se contente de donner avis que le projet ou l’activité va de l’avant. Si l’évaluation tend à corroborer l’existence d’un droit éventuel, alors il faut analyser le degré de consultation qu’exige la solidité de la revendication.

Toutes les bandes du pays sont confrontées à ce problème. La plupart obtiennent du financement des provinces pour répondre à ces demandes de consultation pour des projets dans leurs territoires, mais les fonds sont insuffisants. Elles ont besoin de ressources humaines et financières pour élaborer des plans — et pas seulement des plans réactifs comme vous l’avez dit, mais des plans prospectifs sur le mot qu’elles auront à dire. Les provinces ne sont même pas visées par ce projet de loi. Auront-elles une voix dans la planification que font les gouvernements régionaux dans les provinces, qui aliènent des terres des communautés autochtones? C’est ce qui se passe en Colombie-Britannique et partout au pays.

Le projet de loi C-15 et le plan d’action, d’après ce que je peux voir, seront fondés sur les politiques existantes, car c’est ainsi que les choses se passent depuis six ans aux tables de négociation. Je ne vois aucun changement.

La sénatrice Pate : Merci.

Mme Smith : Je pense que c’est à chaque communauté de décider comment faire partie d’un collectif populaire. Tout au long de ces discussions où les diverses nations ont la responsabilité de faire progresser les leurs, je constate trop souvent, qu’il s’agisse de maintenir le statu quo ou d’adopter de nouvelles lois et politiques, que cela ne fait rien pour aider les gens du peuple, un point c’est tout. Pour progresser, il faut que l’effort soit collectif. Je crois que c’est la responsabilité non seulement des dirigeants élus, mais aussi des chefs héréditaires.

Le président : Je crains que votre temps soit écoulé, chef Smith.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos deux témoins.

Monsieur Diabo, il est manifeste que vous vous méfiez du gouvernement, et nous savons que d’autres partagent cette méfiance, pour diverses raisons.

Vous avez dit que, s’il est adopté, le projet de loi C-15 sera utilisé par le gouvernement du Canada pour renforcer le statu quo, ce qui est très problématique.

Le gouvernement a maintenant déclaré son intention de faire le contraire. D’autres témoins croient en effet que le projet de loi C-15 fera le contraire que renforcer le statu quo, qu’il changera les choses pour le mieux.

Si le projet de loi C-15 est adopté et que le gouvernement respecte les dispositions qui y sont énoncées, croyez-vous que le statu quo sera maintenu? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? J’aimerais poser la même question à la conseillère en chef Smith au sujet de ce que sera, selon elle, le résultat si le projet de loi C-15 est mis en œuvre.

M. Diabo : Je vous remercie de la question.

Oui, je pense que le statu quo va demeurer. Ce n’est pas la première fois que je traite de cette question. J’ai été le coordonnateur de l’Assemblée des Premières Nations pour les modifications à la Loi sur les Indiens en 1996-1997, sous un gouvernement libéral précédent. Nous avions estimé que ce projet de loi était régressif parce qu’il imposait davantage de normes et de contrôles nationaux aux bandes et aux conseils de bande.

Une fois que nous leur avions expliqué, les chefs l’ont rejeté. Nous avions fait campagne contre ce projet de loi, que le ministre de l’époque, Ron Irwin, parrainait sous le premier ministre Jean Chrétien. En fin de compte, ils ont dit que ce serait facultatif. Au départ, ce n’était pas facultatif, mais on a fini par l’appeler projet de loi C-79, Loi sur la modification facultative de l’application de la Loi sur les Indiens. D’après notre expérience, lorsque Ottawa dit que quelque chose sera facultatif, il n’y a en fait qu’une seule option possible, car c’est Ottawa qui contrôle le financement.

Il faut comprendre que cette nouvelle politique financière est liée aux 10 principes institués en 2017 — unilatéralement, sans consultation —, dont la dissolution du ministère des Affaires indiennes et la création de deux nouveaux ministères autochtones, sans consultation. Le gouvernement n’a même pas consulté ses partenaires, l’Assemblée des Premières Nations et d’autres, et il en a fait l’aveu publiquement.

Le gouvernement a maintenant adopté la définition « instances dirigeantes autochtones », qu’il utilise pour désigner invariablement un conseil, un gouvernement ou un organisme mandaté conformément aux droits visés dans l’article 35. Par « conseil », on entend un conseil de bande; et par « gouvernement », un gouvernement autochtone, [Difficultés techniques] mais seulement si on signe un accord d’autonomie gouvernementale ou un traité moderne. Autrement, on n’est pas reconnu par le fédéral. Il ne reconnaît pas les bandes régies par la Loi sur les Indiens comme des entités autonomes parce que c’est à la discrétion du ministère et du ministre.

La ministre Bennett l’a dit, tout comme l’ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould. Inutile de réinventer la roue. Il y a les traités modernes, les ententes sur l’autonomie gouvernementale et les institutions financières et territoriales nationales, qu’on appelle des institutions autochtones, mais elles sont nommées par le gouverneur en conseil et doivent rendre des comptes au gouvernement fédéral. Ce ne sont pas nos institutions, mais on utilise ces institutions nationales pour promouvoir l’assimilation dans les systèmes fonciers et fiscaux du Canada. Entretemps, on ne s’occupe pas, par exemple, de l’article 26, sur la restauration des terres, des territoires et des ressources. Les politiques du Canada en matière de revendications territoriales vont à l’encontre de cette norme. On n’en a pas parlé, pas plus que de l’article 28, qui dit que si l’on ne rétablit pas les terres, les territoires et les ressources, il devrait y avoir restitution.

Le président : Je suis désolé, monsieur Diabo. Le temps est de nouveau écoulé.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à M. Diabo. Dans votre article intitulé « Countering the Trudeau Government’s Plan to Domesticate UNDRIP, FPIC & Hijack Indigenous Self-Determination », daté du 25 octobre 2018, vous dites dans votre conclusion :

Tout ce processus de « nation à nation » est une fausse « réconciliation » et nos peuples ont été délibérément induits en erreur et contournés pendant trois ans dans cette approche secrète de haut en bas du gouvernement Trudeau qui utilise l’Assemblée des Premières Nations, certains chefs, dirigeants et organisations de chefs.

Votre position découle-t-elle d’une méfiance historique à l’égard du système colonial canadien d’assimilation, de colonisation et de dépossession des peuples autochtones, ainsi que d’une croyance selon laquelle certains groupes et chefs autochtones sont cooptés, pour avoir été favorisés dans un système colonial? Croyez-vous que le gouvernement canadien a à cœur les intérêts des peuples autochtones? Si ce projet de loi est adopté, croyez-vous que les peuples ou les groupes autochtones devraient pouvoir renoncer à ce projet de loi? À défaut du projet de loi C-15, y a-t-il d’autres mesures législatives ou processus que vous proposeriez, et à quoi cela ressemblerait-il?

M. Diabo : J’ai plusieurs décennies d’expérience dans les rapports avec le gouvernement fédéral et ses stratégies de cooptation. Il faut d’abord comprendre qu’en raison de l’application des politiques du Canada depuis les années 1980 en matière de revendications territoriales et d’autonomie gouvernementale, certaines Premières Nations ont défini leurs droits en vertu de l’article 35 au moyen d’ententes d’autonomie gouvernementale et de traités modernes, mais beaucoup ne l’ont pas fait. Il y a des questions non résolues concernant les titres ancestraux et les traités, et c’est la raison pour laquelle des groupes ayant des traités historiques ont envoyé des mémoires ou ont comparu devant le comité de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi.

Je vais vous donner un exemple : la politique sur le droit inhérent du gouvernement fédéral. En 1993, le Parti libéral fédéral a déclaré qu’il reconnaîtrait le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale comme un droit ancestral existant en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Mais ce que le gouvernement de Jean Chrétien a fait en 1995, c’est imposer unilatéralement une politique d’autonomie gouvernementale autochtone, sans consultation, même s’il a prétendu le contraire, tout comme l’a fait le gouvernement Trudeau.

On a adopté l’expression « droit inhérent à l’autonomie gouvernementale » à l’issue des conférences constitutionnelles des années 1980. Le gouvernement l’a reprise et lui a donné une définition politique unilatérale.

Le gouvernement de Justin Trudeau a fait de même avec « réconciliation », « de nation à nation », « décolonisation » et « autodétermination ». Il définit unilatéralement ce qu’il reconnaîtra sur le plan politique fédéral comme étant l’autodétermination ou l’autonomie gouvernementale. Il aime bien la phrase « Nous reconnaissons le droit inhérent à l’autodétermination, y compris à l’autonomie gouvernementale, comme un droit existant en vertu de l’article 35 de la Constitution », mais lorsqu’on creuse, on voit que c’est une question politique qui sert d’assise aux tables de concertation et aux ententes qui ont été conclues partout au pays. C’est en effet la politique-cadre, la politique d’autonomie gouvernementale prévue à l’article 35, que la bureaucratie fédérale et le Cabinet fédéral évoquent pour autoriser des négociations ou discussions.

Le sénateur Tannas : Chef Smith, vous m’avez entendu dans le dernier groupe de témoins parler des responsables et plus précisément de Coastal GasLink.

Comme le gouvernement s’est engagé à clarifier la question du consentement, je remarque que la déclaration des Nations unies mentionne que les principes de la démocratie sont importants et vitaux. Les élus sont les représentants démocratiques de la communauté. Lorsque nous en arrivons aux définitions et que nous essayons d’obtenir des éclaircissements, appuyez-vous quelque chose qui renvoie à des représentants démocratiquement élus de votre collectivité?

Mme Smith : Je peux parler uniquement du point de vue de la Nation Haisla parce que je n’ai pas la réponse pour d’autres peuples.

Quant à nous, nous en avons certainement subi les contrecoups. Je pense que c’est la responsabilité de chaque communauté qui n’y est pas encore, de prendre cette initiative, de travailler collectivement à l’amélioration locale. C’est loin d’être idéal pour les communautés comme les Wet’suwet’en. Comme je l’ai dit, nous en avons fait l’expérience. Ce n’est pas une très bonne position, et je sympathise honnêtement avec elles.

Le sénateur Tannas : On pourrait dire à juste titre que c’est le travail difficile qui devra être accompli au niveau communautaire dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et ce sera un élément important.

Est-ce que vous, votre collectivité et ceux qui vous ont précédés avez observé au fil des ans que les promoteurs s’occupent de perfectionner les compétences appropriées?

Il est difficile de mener un projet à bien. Ce devrait être difficile; il y a beaucoup en jeu. Constatez-vous qu’il y a des entreprises et des promoteurs qui font vraiment leur travail et qui changent leur façon de penser et de faire des affaires pour réussir?

Il faut que ce soit difficile, mais pas impossible, et je crois que c’est ce qui inquiète les gens. Qu’en pensez-vous?

Mme Smith : Je constate certainement une transformation du processus de réflexion. Je siège à notre table de leadership depuis près de 15 ans maintenant et j’ai rencontré des promoteurs très intéressants — disons — par rapport à ceux d’aujourd’hui.

Cela ne veut pas dire qu’ils le sont tous, mais j’aimerais mentionner que nous avons ici sur notre territoire l’aluminerie Rio Tinto, qui est en activité depuis une cinquantaine ou soixantaine d’années. Je sais que ce n’est pas important parce qu’il s’agit d’une société qui est déjà en activité, mais un promoteur comme Rio Tinto, abstraction faite de toute la controverse que la société a générée à l’échelle mondiale, est en train de réfléchir aux moyens d’établir des relations, et nous établissons une relation plus étroite avec ces sociétés, là où elles ont une incidence sur nos gens par le biais de l’emploi et des contrats. La situation s’améliore donc.

Le président : Merci, chef.

La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins d’être parmi nous aujourd’hui.

Premièrement, monsieur Diabo, j’entends clairement parler de méfiance. Je tiens à le souligner.

Ma question s’adresse à la chef Smith. Je tiens à vous remercier, chef, d’avoir soulevé la question et d’avoir exploré avec nous la réconciliation économique et de nous avoir parlé de l’exemple de la mère célibataire. C’est quelque chose qui me tient à cœur. Dans mon ancien poste, j’ai beaucoup travaillé auprès de mères célibataires. J’aimerais en dire davantage à ce sujet.

En pensant à l’avenir, si nous avions le projet de loi C-15, quelles seraient, selon vous, les répercussions sur les femmes et les filles dans les collectivités partout au Canada en ce qui concerne des choses comme la violence faite aux femmes ou d’autres problèmes sociaux? Avez-vous eu des discussions ou avez-vous des réflexions à ce sujet?

Mme Smith : Oui, absolument. Cette question s’inscrit dans le tout. Encore une fois, prendre une décision qui aidera les communautés des Premières Nations à progresser est une bonne chose. Rien n’est jamais parfait. Nous devons constamment chercher à résoudre tous les problèmes qui se présentent.

Coastal GasLink et LNG Canada ont certainement créé de nouveaux secteurs d’intérêt dans notre collectivité. Ce que nous avons été en mesure de faire pour régler les problèmes sociaux à l’échelon local, c’est de nous associer à toute entité qui offre des programmes et des services dont nous ne pouvons pas nous occuper à l’interne.

En ce qui concerne les femmes, nous avons un protocole d’entente avec Tamitik Status of Women à Kitimat qui fournit ces services dans la région. Non seulement avons-nous le protocole d’entente, mais nous finançons aussi des postes au sein de l’entité.

Il s’agit d’un petit exemple des problèmes sociaux que nous cherchons à régler pour améliorer la qualité de vie de nos membres, mais c’est très vaste. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous avons établi des relations avec les Premières Nations voisines. Je copréside une organisation appelée Northern First Nations Alliance, où nous travaillons directement avec d’autres Premières Nations pour régler les problèmes sociaux sur divers fronts : itinérance, santé mentale, culture, jeunes et aînés.

Nous travaillons ensemble. Un excellent exemple de réussite est que nous avons appuyé une initiative en matière de logement avec la Première Nation de Kitselas qui sera réellement utile dans chacune de nos localités. Nous avons pu nous inspirer de Kitkatla, une collectivité de Prince Rupert, et imiter sa stratégie en matière de logement.

Elle porte sur tous les domaines, et il est absolument impératif de pouvoir établir ces relations avec d’autres communautés autochtones afin de régler ces problèmes sociaux sur le terrain. Nous vivons tous dans la même région, avec les mêmes problèmes sociaux.

Comme dirigeants élus, il est merveilleux de pouvoir participer aux plans exhaustifs qui se font sur le plan communautaire. Nous restons à l’écoute et constatons ce qui est important pour nos membres, pour ensuite appliquer les commentaires dans les régions où habitent nos gens.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de votre travail acharné et de votre collaboration. C’est très important.

Mme Smith : Je vous remercie de la question.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins, Russ Diabo et la conseillère en chef Crystal Smith, d’être venus nous rencontrer aujourd’hui.

Je souhaite la bienvenue au prochain groupe d’invités, soit Hillory Tenute, directrice générale, Échanges Racines Canadiennes; Matthew Norris, président, Urban Native Youth Association. Nous accueillons également Arthur Noskey, grand chef; Jim Badger, chef, Première Nation de Sucker Creek; et Margo Auger, agente administrative en chef, tous trois en représentation des Premières Nations de l’Alberta signataires du Traité no 8.

Mme Tenute et M. Norris feront une déclaration préliminaire d’environ six minutes et le grand chef Noskey et le chef Badger partageront leur temps de parole de six minutes. Il y aura ensuite une séance de questions et réponses pour les sénateurs, qui sera de trois minutes pour chacun.

La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, et la deuxième, par le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont des questions, veuillez le signaler à la greffière. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste des intervenants. Tout suivi écrit aux questions doit être soumis à la greffière du comité au plus tard le 31 mai 2021.

Le personnel du comité m’avisera lorsqu’il restera 10 secondes pour le temps de parole. Je vais faire un décompte visuel de 10 secondes avec mes deux mains, et une fois que nous serons à zéro, je vous ferai savoir que le temps est écoulé.

J’invite nos témoins à faire leur déclaration préliminaire. Madame Hillory Tenute, vous pouvez commencer.

Hillory Tenute, directrice générale, Échanges Racines Canadiennes : [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour, sénateurs et membres du comité. Je m’appelle Hillory Tenute. Je suis fière d’être Anishinaabekwe et originaire de la Première Nation des Chippewas de Nawash, sur le territoire non cédé de Neyaashiinigmiing, en Ontario, qui fait partie du territoire de la nation ojibway de Saugeen.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de directrice générale d'Échanges Racines Canadiennes, à partir du territoire algonquin non cédé, ici, à Ottawa. J’utilise des pronoms personnels féminins, au singulier et au pluriel.

Je vous remercie de m’avoir invité et de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je me sens très privilégiée et très humble à la fois. Je ne serais pas ici aujourd’hui sans l’appui de mon équipe, Kim Wakeford et Megan Lewis, et surtout sans la permission des jeunes au nom desquels je vais vous parler. Les mots que je vous adresse aujourd’hui ne sont pas les miens. Ils sont le fruit de la sagesse et de l’intelligence des jeunes Autochtones que notre organisme a la chance de côtoyer lors d’échanges sur des questions liées au projet de loi C-15.

Échanges Racines Canadiennes est un organisme sans but lucratif dirigé par des jeunes Autochtones. Nous croyons qu’une vision d’un pays réconcilié n’est possible que par l’action et l’impact collectifs. À ce titre, notre mission est d’offrir aux jeunes Autochtones des voies vers l’autodétermination et la résilience afin de faire progresser la réconciliation au cours de leur vie. Nous croyons que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est une autre voie vers la réconciliation dans ce que nous appelons maintenant le Canada.

Depuis la présentation du projet de loi, le gouvernement fédéral a consulté 450 personnes pour connaître leur point de vue. Notre organisme a été invité à participer à l’une de ces séances. C’est à la suite d’une séance en novembre que nous nous sommes aperçus qu’il fallait en faire davantage pour mobiliser les jeunes Autochtones et veiller à ce qu’on leur fournisse les outils appropriés pour les aider à prendre des décisions stratégiques éclairées à l’égard des questions qui les touchent. Je vais résumer les résultats ici, en vous rappelant que vous trouverez des renseignements plus détaillés dans notre mémoire.

Les jeunes à qui nous avons parlé étaient clairs. La mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme cadre de réconciliation du Canada, maintenant et à l’avenir, ne tiendra pas compte de leurs besoins et des besoins de leurs communautés, à moins que ce ne soit fait de façon positive, réciproque et décolonisée. Autrement dit, il faudra faire preuve d’un engagement substantiel, accessible, significatif et continu; habiliter les collectivités à mettre en œuvre la déclaration à leur façon; et fournir des jalons clairs et des rapports d’étape sur les progrès déterminés par les titulaires de droits directement touchés par la déclaration. Les jeunes Autochtones du pays comprennent l’importance et les répercussions de cette vision, y compris les complexités juridiques que la déclaration aura sur les droits collectifs et individuels des peuples autochtones. Les jeunes à qui nous avons parlé ont été clairs : ces conversations doivent inclure des réformes systémiques tangibles qui s’attaquent au racisme institutionnalisé, tout en visant la récupération des terres et de la souveraineté — conformément au mouvement #landback.

Dans notre mémoire au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, nous avons recommandé les cinq lignes directrices suivantes. Premièrement, créer un espace pour que les jeunes Autochtones, qui sont souvent exclus des conversations et des décisions stratégiques qui les touchent de plus près, puissent y jouer un rôle directeur — si cela nous concerne, c’est à nous de décider. Deuxièmement, donner aux communautés les moyens de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme elles l’entendent. Troisièmement, sensibiliser les non-Autochtones à la déclaration et aux droits des Autochtones. Quatrièmement, permettre aux collectivités de déterminer leurs propres indicateurs clés de la réussite de la mise en œuvre de la déclaration. Cinquièmement, assurer l’accessibilité et la transparence de chaque étape de la mise en œuvre, y compris le processus de documentation. Nous vous exhortons à accorder la priorité à ces recommandations dans le cadre de votre étude du projet de loi et de tout autre amendement connexe.

Une des diverses séances de mobilisation que nous avons tenues était un marathon de programmation sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ainsi, le mois dernier, cinq équipes de jeunes Autochtones ont travaillé ensemble pour formuler des recommandations stratégiques pour une mise en œuvre réfléchie. Les solutions proposées étaient vastes, novatrices, transformatrices et reflétaient la diversité du groupe. Leurs idées et leurs besoins pourraient être regroupés dans les domaines de la responsabilisation et de la surveillance, du renforcement des capacités communautaires, de la prise de décisions et de la gouvernance.

Tous les jeunes ont recommandé une sorte de surveillance indépendante de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et la constitution d’un conseil consultatif national expressément pour conseiller les législateurs et les tenir responsables du respect des principes qui y sont décrits. Quant au renforcement des capacités communautaires, les jeunes ont convenu que la mise en œuvre de la déclaration doit se faire de manière à habiliter les communautés en priorité, mais [Difficultés techniques] les ressources et les fonds nécessaires pour le faire à leur façon. Enfin, leurs recommandations portant sur la prise de décisions et la gouvernance s’articulaient autour des valeurs, en insistant sur l’autodétermination et la souveraineté. Les jeunes voient la déclaration des Nations unies comme un outil permettant aux peuples autochtones un meilleur accès aux processus décisionnels. La mise en œuvre de la déclaration doit élargir les voies que les peuples autochtones peuvent emprunter vers cette table de décision ou créer des voies là où elles n’existent pas déjà.

Dans tout le travail que nous faisons, nous visons à maintenir la force, la résilience et l’excellence des jeunes Autochtones qui ont participé aux discussions sur le projet de loi C-15. Leurs points de vue, leurs besoins et leurs espoirs pour les sept prochaines générations ne peuvent que renforcer la fonction de la déclaration des Nations unies dans l’État colonisateur que nous appelons le Canada.

À cette fin, nous demandons au gouvernement fédéral de créer un espace pour permettre aux jeunes de participer à part entière aux discussions, voire de les diriger. Il faudra toute une génération pour décortiquer les obstacles systémiques que ce système colonial a mis en place. Au moment où nous commençons à semer les graines de la réconciliation, il est impératif que ces jeunes leaders soient assis à la table, car façonner l’avenir de ce pays fera partie de leur legs, surtout en ce qui concerne la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Comme preuve de votre engagement envers le projet de réconciliation, nous vous exhortons à tenir compte des priorités des jeunes Autochtones, que j’ai décrites ici et dans notre mémoire écrit. Meegwetch pour avoir offert un espace aux jeunes Autochtones aujourd’hui.

Le président : J’invite M. Norris à faire sa déclaration préliminaire.

Matthew Norris, président, Urban Native Youth Association : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Matthew Norris. Mes pronoms personnels sont « il » et « lui ». Je suis Cri des bois et membre de la Première Nation de Lac La Ronge, qui est signataire du Traité no 6 dans le nord de la Saskatchewan. J’habite et je travaille actuellement sur les territoires ancestraux non cédés des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, dans la ville de Vancouver. Je m’adresse à vous aujourd’hui pour vous parler en faveur du projet de loi C-15 à titre de président de l’Urban Native Youth Association, ou UNYA.

Notre association est l’un des plus grands organismes sans but lucratif autochtones urbains de la Colombie-Britannique. Depuis sa création en 1988, elle vise à offrir des perspectives significatives aux jeunes Autochtones en milieu urbain. L'UNYA s’efforce de soutenir les jeunes Autochtones en offrant un éventail diversifié de services de défense des droits, ainsi que des services de prévention et de soutien pour répondre à leurs besoins immédiats et à long terme.

En guise d’introduction, j’ai une vaste expérience de travail et de défense de la reconnaissance et de la mise en œuvre des droits des Autochtones. J’ai une maîtrise en sciences politiques avec spécialisation en droits des Autochtones, et je suis actuellement à mi-chemin d’un doctorat portant sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En 2018 et 2019, j’ai eu le privilège de me présenter à l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones en qualité de représentant des peuples autochtones, où j’ai parlé des questions relatives aux droits fonciers, à la protection de l’environnement et à la protection des femmes et des jeunes autochtones.

Je suis conseiller politique auprès de la conseillère municipale Boyle de Vancouver et j’ai fait partie de l’équipe de rédaction de la motion historique du conseil municipal de Vancouver visant à amorcer le processus de mise en œuvre de la déclaration des Nations unies dans un contexte municipal. De plus, avant de faire un doctorat, j’ai été analyste des politiques pour l’Union of British Columbia Indian Chiefs pendant plus de quatre ans.

C’est grâce à cette expérience que je peux célébrer de tout cœur ce projet de loi, qui représente un pas important vers la réconciliation de l’héritage colonial de ce pays. J’applaudis le travail considérable qui a été accompli jusqu’ici pour la défense des droits, et j’ai hâte de voir le travail qui reste à faire.

Bref, j’aimerais faire valoir les quatre points suivants :

Primo, nous devons tirer des leçons de notre expérience avec le projet de loi C-262, qui est mort au Feuilleton à la suite de retards stratégiques et d’une obstruction systématique au Sénat. Les peuples autochtones, et en particulier les jeunes, tombent entre les mailles de notre filet de sécurité sociale tous les jours et les trous n’ont jamais été aussi évidents que pendant la pandémie de la COVID-19. Ces vies perdues ne témoignent pas seulement d’un legs colonial traumatisant qui continue d’avoir une incidence sur l’expérience vécue par les jeunes Autochtones et leur famille, mais représentent aussi un potentiel perdu que ces jeunes auraient pu contribuer à l’amélioration de notre pays et de notre planète. On ne saurait sous-estimer ces pertes. Aussi, le lancement du processus de mise en œuvre des droits des peuples autochtones, tel qu’il est énoncé dans les principes et les normes de la déclaration des Nations unies, doit être considéré comme une question des plus urgentes.

Secundo, j’ai entendu bon nombre des préoccupations des membres de ma famille, de mes amis et de mes collègues autochtones au sujet du projet de loi, de dispositions précises, de l’absence de dispositions, ainsi que de divers amendements proposés en vue de l’améliorer. Je tiens à vous rappeler que le projet de loi n’est pas une fin en soi, mais le début d’un long processus visant à rebâtir une relation entre l’État canadien et les peuples autochtones, une relation légitime fondée sur le consentement, l’égalité et la réciprocité, ce qui a toujours été refusé aux peuples autochtones. Compte tenu de cela, nous ne saurions retarder l’adoption de ce projet de loi avec de nombreux amendements qui risqueraient de faire traîner, voire tuer, cette tentative de rebâtir notre relation.

Tertio, compte tenu de la récente motion du conseil municipal de Vancouver et de la récente loi de la Colombie-Britannique, d’autres administrations vont de l’avant avec la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies dans le cadre de leur mandat correspondant. Je crains que le retard dans la mise en œuvre fédérale ne nuise indûment au bon travail qui se fait déjà ailleurs au pays.

Quarto, une partie du plan d’action doit prévoir un espace permettant aux peuples autochtones de déterminer leurs propres relations et processus entre eux. La colonisation a eu un impact profond, divisant les nations, les communautés et les familles en déplaçant physiquement et culturellement nos membres les plus vulnérables de leurs territoires et de leurs peuples. Il faut donner à nos communautés le temps, les ressources et l’espace nécessaires pour rétablir les relations entre nous également. Ce travail doit être mené en collaboration et en partenariat avec les peuples autochtones. Il doit aussi faire de la place au travail entre les peuples autochtones.

Les Autochtones, en particulier nos jeunes, continuent de passer à travers les mailles de notre société. Les Autochtones continuent d’être marginalisés et opprimés en raison d’un large éventail d’éléments socioéconomiques, que ce soit la santé, l’accès à l’eau, l’éducation, la criminalité, la violence, la toxicomanie, la pauvreté, et cetera. Nos collectivités possèdent les connaissances et l’expertise nécessaires pour surmonter ces problèmes. Nous avons simplement besoin de pouvoirs et de ressources pour apporter ce changement.

L’autonomisation des Autochtones ou la reconnaissance et la mise en œuvre de nos droits à l’autodétermination, à l’autonomie gouvernementale, au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et à la participation, commes énoncés dans la déclaration des Nations unies, est la façon dont nous faisons ce travail. De plus, la reconnaissance de ces droits offre un grand potentiel non seulement pour l’amélioration des peuples autochtones, mais aussi pour celle de notre société collective. La reconnaissance de nos droits peut ouvrir la voie à des politiques et à des gestes qui tiennent compte des changements climatiques afin d’accroître la légitimité démocratique, à des processus clairs de délivrance de permis et d’approbation, à une réduction des dépenses judiciaires, et cetera.

Ce projet de loi n’est pas une fin en soi, c’est un engagement à l’égard d’un processus continu. Le droit des peuples autochtones à l’autodétermination n’est pas une case à cocher, mais plutôt un engagement de la part de ce gouvernement et des gouvernements futurs à l’égard d’un processus et d’une relation réciproques. Ce projet de loi offre une occasion importante d’établir des relations solides et durables entre les nations, les communautés autochtones et les Canadiens ordinaires. Plus nous retardons l’adoption du projet de loi, plus nous perdons de vies à cause de la crise des opioïdes, plus des Autochtones sans abri doivent dormir à l’extérieur pendant des nuits; en somme, ce sera encore une autre génération de jeunes qui grandiront dans un pays qui ne les reflète pas ou qui n’accorde pas la priorité à leur bien-être.

Ce projet de loi représente une approche appropriée, responsable et adaptée à la mise en œuvre. Nous sommes tous là pour rester et nous devons concevoir des systèmes gouvernementaux qui tiennent compte de cela.

Je vous remercie de m’avoir invité à vous faire part de mes réflexions.

Le président : Merci.

Arthur Noskey, grand chef, Premières Nations de l’Alberta signataires du Traité no 8 : Bonjour, honorables sénateurs. Nos communautés sont cries, dénées et chipewyanes. Notre mandat est de protéger, de promouvoir, de donner vie, de mettre en œuvre et de maintenir l’esprit et l’intention véritables du Traité no 8, tant que le soleil brillera, que l’herbe poussera, que les eaux couleront et jusqu’à ce que Yidah soit renversé. Notre vision, c’est que notre territoire, notre peuple, nos façons de faire et l’esprit et l’intention véritables du Traité no 8 soient respectés et honorés.

Vous savez que les chefs de l’Alberta ont adopté une résolution s’opposant au projet de loi C-15. Les Premières Nations signataires du Traité no 8 de l’Alberta ont participé à cette résolution. Je vous réitère notre position aujourd’hui. Les Premières Nations signataires du Traité no 8 de l’Alberta n’appuient pas le projet de loi C-15 et aucun amendement au projet de loi ne changera cela. Nous ne sommes pas d’accord avec ce projet de loi.

Je tiens à préciser que nous ne sommes pas contre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous nous opposons à l’approche actuellement proposée par le Canada pour la mise en œuvre de la déclaration au moyen du projet de loi C-15. Notre opposition au projet de loi C-15 ne veut pas dire que nous nous opposons à la déclaration.

En 1970, les dirigeants de l’Indian Association of Alberta ont présenté leur réponse au Livre blanc de 1969, dans le document intitulé Citizens Plus, aussi connu sous le nom de Livre rouge, qui commence par cette déclaration :

Pour nous qui sommes Indiens visés par un traité, il n’y a rien de plus important que nos traités, nos terres et le bien-être de notre génération future.

C’est l’essence de notre position aujourd’hui. Notre traité, le Traité no 8, a été conclu pour la première fois le 21 juin 1899. Voilà plus de 120 ans que nous attendons que le Canada agisse honorablement. Il est extrêmement frustrant de voir qu’on semble vouloir nous faire attendre tout un autre siècle encore.

Le premier ministre Trudeau continue d’affirmer qu’aucune relation n’est plus importante pour lui que celle qu’il entretient avec les peuples autochtones. Je dirai sans ambages que lorsque nous avons entendu cela pour la première fois, nous étions optimistes, mais il est manifeste qu’il songe plutôt à sa relation avec les organisations autochtones. Le Canada a adopté une approche soi-disant fondée sur la distinction, dans le cadre de laquelle il collabore avec les organisations autochtones nationales et élabore conjointement des ententes, des approches et des lois pour les Premières Nations, c’est-à-dire pour l’Assemblée des Premières Nations. Ce n’est pas la bonne approche, et les résultats laissent à désirer, car on ne respecte pas vraiment la relation de nation à nation. Nous l’avons vu avec l’élaboration et l’adoption subséquentes des projets de loi C-91 et C-92, et maintenant du projet de loi C-15.

L’Assemblée des Premières Nations est un groupe de pression et ne devrait pas prétendre parler au nom de toutes les Premières Nations. Elle ne représente pas les Premières Nations signataires du Traité no 8 de l’Alberta, et ne saurait parler en leur nom, car elles se représentent elles-mêmes en tout temps.

Jim Badger, chef, Première Nation de Sucker Creek, Premières Nations signataires du Traité no 8 de l’Alberta : Merci, grand chef Noskey.

[mots exprimés dans une langue autochtone]

Bonjour, sénateurs. Je suis le grand chef et ambassadeur des relations internationales pour les nations souveraines du Traité no 8.

Au cours des exposés qu’ils vous ont présentés plus tôt cette semaine, les ministres Bennett et Lametti ont tous deux dit du bien de la collaboration avec les peuples autochtones. En fait, la ministre Bennett a évoqué le dicton « rien sur nous, sans nous ». Il est difficile de ne pas se mettre en colère face à l’exclusion continue de nos communautés. Ces mots ne veulent rien dire. Cette approche nous montre que le Canada est paresseux et qu’il manque de sincérité. Aujourd’hui, la Couronne continue de mettre en œuvre le traité unilatéralement en contrôlant et en exploitant nos ressources du Traité no 8. Nous subissons des difficultés économiques et sociales découlant des effets de générations de colonisation et de dépossession, tandis que la Couronne, le ministère et les Canadiens non autochtones profitent de l’exploitation des ressources visées dans le traité, qui justifie leur exploitation continue des terres autochtones.

Le projet de loi C-15 ne fait que promettre tout un autre siècle de non-respect des promesses et des responsabilités découlant de notre traité et de la relation scellée par traité. Nous nous demandons pourquoi le Canada se soucie seulement de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il y a quelque chose qui ne va pas. La conversation que nous devons avoir porte sur la mise en œuvre de l’esprit et de l’intention véritables de notre relation scellée par traité.

La mise en œuvre de l’esprit et de l’intention véritables du traité permettrait de concrétiser nos droits de la personne, notre droit de vivre selon le mode de vie cri, déné et chipewyan sur nos territoires, mais il me semble à moi et à d’autres, qu’avec la réconciliation, la plupart des Canadiens préfèrent le récit de la réconciliation nationale au récit de la réalité inconfortable de la trahison et des promesses non tenues.

Le Canada veut retarder cela, peut-être en espérant que les 100 prochaines années mettront fin à ces façons de faire. Le Canada parle des droits de la personne. Il est absurde que les Premières Nations continuent de recevoir des avis recommandant l’ébullition de l’eau. Ma collectivité a intenté une poursuite contre le Canada en vertu de la Loi sur les ressources en eau du Canada. À ce jour, il n’y a pas de plan d’action national à la suite de l’enquête nationale et, en admettant que cela se fasse, la promesse de mettre fin aux avis d’ébullition de l’eau ne sera pas tenue.

Le président : Je suis désolé, chef Badger, mais votre temps est écoulé. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à Mme Tenute. Vous avez demandé au gouvernement d’utiliser une méthodologie décolonisée pour la consultation. Pourriez-vous élaborer et expliquer ce que vous entendez par méthodologie décolonisée?

Mme Tenute : Absolument, meegwetch. Lorsque nous avons parlé aux jeunes, beaucoup d’entre nous avons demandé de revenir à ces conversations sur la base locale; d’où venons-nous et qui nous sommes comme peuple. J’ai trouvé que cette approche de la décolonisation présuppose ces autres conversations sur le respect des relations et les façons dont nous, les peuples autochtones, voyons le monde. L'élargissement de cette conversation découle de la façon dont les jeunes se sont sentis pendant les séances de mobilisation auxquelles ils ont été invités, et bon nombre d’entre eux ont eu l’impression que c’était précipité et qu’ils n’étaient pas assez renseignés pour participer. Notre organisation a donc pris la liberté de les préparer.

Bon nombre d’entre eux ont eu l’impression que c’était un peu précipité. Nous sommes très reconnaissants d’être là et nous le sommes toujours. Nous avons simplement eu l’impression qu’il fallait accorder plus d’attention à nos origines et veiller à ce que la mise en œuvre de la déclaration soit adoptée pour refléter les divers besoins des communautés autochtones et les motifs qui les sous-tendent. J’espère que c’est clair.

La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est excellent. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Souvent, lorsque mes collègues ou moi-même posons une question au sujet du consentement d’une partie par rapport au consentement de tous, c’est dans le contexte de l’industrie, mais ce n’est pas ce que nous voulons dire. Nous parlons du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le contexte des modifications législatives et d’un large éventail de questions de politique sociale et culturelle, comme le précise l’article 19.

Grand chef Noskey, je vous remercie de votre exposé convaincant. Vous avez critiqué le processus de consultation du gouvernement sur le projet de loi C-15 et en particulier le rôle de premier plan que l’Assemblée des Premières Nations a joué dans le processus de consultation sur ce projet de loi. Dans une entrevue accordée à la chaîne APTN le 20 avril, vous avez dit :

L’Assemblée des Premières Nations ne parle pas au nom du Traité no 8 et je crois qu’elle n’est pas au diapason de la manière dont beaucoup de nos gens comprennent nos relations souveraines.

Marlene Poitras, chef régionale de l’Assemblée pour l’Alberta, a fait écho de ces propos.

Dans le résumé des engagements que nous a fourni le ministère de la Justice du Canada, on énumère le Traité no 8 pour la région de l’Alberta. Avez-vous eu l’impression que ces séances de mobilisation étaient complètes et bien dotées en ressources, et avez-vous exprimé vos préoccupations au sujet du fait que l’Assemblée des Premières Nations a outrepassé ses pouvoirs en négociant en votre nom pendant ces séances? Merci.

M. Noskey : Merci, sénateur Patterson. Je vais supposer que cette question s’adresse à Carolyn Bennett, ministre des Relations Couronne-Autochtones. De ce point de vue, quand le gouvernement nous a parlé du projet de loi C-15 et des articles qui s’appliquent aux membres des Premières Nations, j’ai interrompu la ministre Bennett et je lui ai posé cette question : « Madame la ministre, nous, les signataires du Traité no 8, constituons une nation souveraine. Nous sommes un peuple souverain qui a signé le traité. Avez-vous déjà appelé la Reine d’Angleterre pour lui dire qu’il s’agissait de vos droits en vertu de cet article comme gouvernement? »

C’est ce que nous disons comme nations souveraines ayant signé le traité. C’est nous qui l’avons conclu; notre peuple, pour ce territoire, pour l’ensemble du Traité no 8.

Alors pourquoi permettrions-nous à quelqu’un d’autre de parler en notre nom de la réappropriation ou de la réconciliation, de la mise en œuvre du traité? Le processus colonisé tire ses lois et ses règlements de la doctrine de la découverte selon lequel nous ne sommes pas des humains à part entière.

Tout le monde semble oublier la Proclamation royale de 1763 et la déclaration selon laquelle ces terres appartenaient à ces Indiens et qu’il fallait donc conclure un traité avec eux. Nos ancêtres détenaient l’histoire orale de ce que visait le traité. Plus nous nous engageons dans ce processus, plus nous nous rendons compte de notre souveraineté comme peuple.

Donc, sénateur — en raison de cette souveraineté, devant les premiers tribunaux, notre histoire orale a été exclue comme témoignage essentiel. C’est pourquoi nous disons que personne ne parle en notre nom. Aucune autre organisation.

Les générations à venir se rendront compte de qui elles sont comme nations du traité no 8 et de leur souveraineté.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à Mme Tenute et à M. Norris.

De nombreux témoins ont fait état de scepticisme et de méfiance à l’égard du gouvernement du Canada, ce que je peux comprendre comme Micmac. Si le projet de loi est adopté d’ici l’été, quelles recommandations concrètes feriez-vous au gouvernement du Canada pour veiller à ce que la conception et la mise en œuvre contribuent à renverser, au moins en partie, la relation et les structures coloniales qui ont eu une incidence sur des générations d’Autochtones?

J’aimerais aussi savoir, selon vous, quelle serait l’incidence de la non-adoption du projet de loi sur les efforts nationaux de réconciliation et en quoi cela exacerberait la dynamique de scepticisme et de méfiance qui prévaut chez certains jeunes Autochtones?

Mme Tenute : Je vais laisser mon collègue commencer.

M. Norris : Je vous remercie de la question.

Pour ce qui est du scepticisme, qui est à mon avis légitime et compréhensible, étant donné la longue histoire coloniale des peuples autochtones avec l’État canadien, il y a des principes et des normes clés qui doivent être reconnus dans le plan d’action après l’adoption du projet de loi, dont une grande partie est intégrée aux principes et aux normes des articles donnés de la déclaration des Nations unies elle-même, en particulier les articles 3 et 4 concernant le droit à l’autodétermination, l’article 18 concernant le droit de participer à la prise de décisions et l’article 22, qui reconnaît l’attention particulière à accorder aux droits et aux besoins spéciaux des anciens, des jeunes, des femmes et des personnes handicapées autochtones, ainsi que l’article 23 dans l’élaboration des priorités.

À la lumière de ces articles, je vous conseillerais de ne pas être trop prescriptif dans l’élaboration d’un plan d’action et de veiller à ce que tout plan d’action ou travail de suivi découlant du projet de loi soit réalisé en collaboration, en coopération et en partenariat complets avec les peuples autochtones.

Cela dit, il y a beaucoup de travail à faire pour permettre aux peuples autochtones d’élaborer leurs propres façons de collaborer avec le gouvernement pour élaborer leurs propres systèmes de gouvernance. Certaines nations et certaines collectivités ne sont peut-être pas aussi prêtes que d’autres. Des principes de responsabilisation, de transparence et de ressources appropriées seront donc essentiels, de même que des échéanciers appropriés, qui devraient tous être déterminés en partenariat avec les peuples autochtones à la table.

Mme Tenute : J’abonde dans le même sens. Pour revenir à ce que nous disions plus tôt, l’un des éléments fondamentaux est de revenir à cette philosophie de penser en fonction des sept générations, en ce sens que ce sont les jeunes qui dirigeront ces conversations, et il est essentiel qu’ils soient au premier plan et à la table maintenant.

En ce qui concerne l’appel à l’action 57.

Le président : Je suis désolé, madame Tenute, mais votre temps est écoulé.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse au chef Badger. Tout d’abord, j’aimerais remercier les organisations de jeunes d’avoir présenté une explication claire et convaincante de leur position sur ce projet de loi. C’est rafraîchissant à entendre.

Grand chef Noskey et chef Badger, vous avez tous les deux exprimé mes réserves au sujet du projet de loi, à savoir que la consultation n’a pas été menée auprès des bonnes personnes, ou il serait peut-être préférable de dire qu’elle n’a pas été suffisamment inclusive.

Chef Badger, vous avez parlé des besoins des gens de notre collectivité et de l’importance d’investir afin de faciliter la formation et les possibilités. Vous avez parlé de la nécessité d’avoir des gens qui travaillent pour satisfaire aux besoins fondamentaux et veiller à ce que les gens aient des possibilités.

Le grand chef Noskey a dit que la question que nous nous posons est la suivante : s’agit-il encore une fois d’une loi de répression qui sera interprétée par une partie comme pouvant, encore une fois, la restreindre et la réprimer?

Pensez-vous qu’une loi exhaustive devrait être adoptée pour tenter de clarifier la façon dont ces termes ou points litigieux devraient être interprétés? Est-ce que cela servirait les intérêts de votre nation ou de n’importe quelle autre nation? Ou pensez-vous que ce sera un retard inutile?

M. Badger : Je vous remercie de votre question. Nous n’avons jamais tenu de consultations adéquates sur le projet de loi C-15. C’est l’APN qui a été consultée, pas nous. Par conséquent, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous croyons que le projet de loi C-15 est dans l’intérêt exclusif du Canada, tout en faisant sa propre interprétation de la déclaration et de son application au Canada.

Nous savons déjà, sénateur, que c’était conditionnel. Normes minimales de cette déclaration — le Canada a voté contre les normes minimales. Et pourtant, on s’attend à ce que nous tombions et disions : « Oh, nous vous aimons. » Vraiment?

Voilà pourquoi je suis si contrarié quand vous parlez aux mauvaises personnes. L’APN n’a pas de droits issus de traités. Le Canada n’est qu’un État. Nous le disons depuis des années. Je suis chef depuis de nombreuses années, depuis 1983. J’ai pris ma retraite à quelques reprises, mais on m’a toujours rappelé. Nous sommes toujours dans la même situation qu’en 1982, lorsque vous parliez de la Constitution.

Je me souviens que j’étais dans la même pièce que le premier ministre Trudeau père lorsqu’il parlait.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vais vous interrompre, chef Badger, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps. Merci beaucoup. Ce fut un plaisir d’entendre vos deux exposés. Je pense qu’il est important d’entendre tous les points de vue. Merci, messieurs.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse au chef Noskey, mais je dois mentionner ceci d’abord. Le chef Badger me l’a rappelé; en 1983, je travaillais pour John Buchanan et j’assistais à cette réunion à Ottawa. Vous m’avez rappelé un vieux souvenir.

Chef Noskey, j’ai une question pour vous. Chaque fois que des détenteurs de droits soulèvent des objections à l’égard de ce projet de loi, on dit au comité que les amendements à cette étape-ci ne sont pas les bienvenus, et on nous assure que le plan d’action réglera tout. À cet égard, je peux vous dire, comme il a été dit à d’autres témoins, que lorsque ce projet de loi a été expliqué à l’opposition officielle, on nous a dit que, de l’avis des fonctionnaires, le projet de loi C-15 ne lie la Couronne qu’à l’élaboration d’un plan d’action, et que, bien que les ministres aient parlé vaguement de travailler à l’atteinte d’un consensus avec qui que ce soit autour de la table, le consentement des peuples autochtones n’est pas nécessaire pour mettre la touche finale à ce plan d’action.

Croyez-vous que le gouvernement sera en mesure de consulter adéquatement tous les détenteurs de droits sur ces questions complexes dans un délai de deux ans? Selon vous, quel sera le résultat lorsque les attentes accrues liées à ce projet de loi et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne seront pas satisfaites? Merci.

M. Noskey : Merci, sénateur. Je vais répondre de cette façon encore une fois. Des consultations adéquates auraient eu lieu si le Canada avait collaboré avec les signataires du traité de la Couronne souveraine et impériale. Il s’agit des traités 1 à 11. Cela englobe probablement 65 % du Canada. En ce qui concerne la souveraineté, encore une fois, c’est la raison pour laquelle nous remettons en question le manque de consultation et de confiance dans le cas du projet de loi C-15. C’est le fait que nous nous référons au projet de loi C-92.

Le Canada a un État sur le territoire des Premières Nations, comme promis dans le traité. Le droit à l’éducation introduit dans le système a non seulement dénaturé Dieu et le christianisme, mais aussi fondamentalement plagié, fragmenté nos collectivités, nos familles, notre structure, notre patrimoine.

De plus, en raison du manque de financement pour les lois concernant le transfert des ressources naturelles, cet instrument est essentiellement illégal, encore une fois. Nous avons un traité international qui, je le répète, est essentiellement avantageux pour les autres. Maintenant, jusqu’à ce jour, nous parlons du projet de loi C-92, loi sur l’aide à l’enfance. Essentiellement, les provinces doivent approuver ce processus. Alors, honorables sénateurs, pourquoi, comme nation souveraine capable de conclure des traités, sommes-nous relégués à un niveau inférieur à celui des municipalités? Je voulais simplement faire ce commentaire. Merci.

Le président : Merci, grand chef.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos témoins. Je suis d’accord avec la sénatrice Stewart Olsen. Il est très important pour nous d’entendre toutes vos voix et tous vos points de vue dans le cadre de notre étude de cet important projet de loi.

Ma question s’adresse à Mme Tenute et à M. Norris. Nous vous remercions de votre appui au projet de loi C-15. Merci de nous rappeler l’importance de faire participer les jeunes à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et du projet de loi C-15.

Selon vous, quelles seront les répercussions de l’adoption du projet de loi C-15, en particulier sur les jeunes Autochtones du Canada? Quelles seraient les conséquences pour ces jeunes si ce projet de loi n’était pas adopté? Merci.

Mme Tenute : Meegwetch. Tout au long de nos séances de consultation, les jeunes nous ont montré qu’au Canada, ils ont des idées claires, concrètes et fondamentales sur ce à quoi ressemblent le respect et la réconciliation dans ce projet de loi, surtout en ce qui concerne la mise en œuvre dans les collectivités. Il doit être dirigé par la collectivité et adapté à cette dernière, et on ne peut pas précipiter les choses. Je crois savoir que le plan d’action à cet égard progresse, ou qu’il le fera. Cela dit, il faudra vraiment un peu plus de temps [Difficultés techniques].

Le président : Madame Tenute, vous étiez en train de répondre à une question. Veuillez poursuivre votre réponse.

Mme Tenute : En ce qui concerne les répercussions, si le projet de loi C-15 est adopté, il doit être assez souple pour répondre aux besoins distincts des collectivités. Au cours de la plupart de nos séances de mobilisation, les jeunes Autochtones ont clairement exprimé l’espoir qu’il s’agisse d’une voie vers la réconciliation au pays.

Dans la crainte qu’il n’aille pas de l’avant, il y a la crainte évidente de devoir recommencer à zéro. Pour beaucoup de gens, nous avons compris qu’il y a une histoire dans ce pays où les Autochtones se disent : « Quoi que nous fassions, nous aurons toujours tort. » Pour la plus grande partie de notre mobilisation, beaucoup estimaient qu’une mise en œuvre comme celle-ci donnerait un peu plus d’espoir.

M. Norris : Nos jeunes ont clairement dit, du moins d’après notre expérience, que le statu quo ne marche pas. Les jeunes Autochtones sont au cœur de la crise de l’itinérance, de la crise des opioïdes, des taux de suicide, de la pauvreté, et cetera. Si le projet de loi est adopté, nous irons de l’avant avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il permettra aux communautés autochtones d’élaborer des programmes de formation et d’études adaptés à la culture, des solutions de rechange au maintien de l’ordre et des politiques sur les soins familiaux, qui répondront mieux aux besoins des jeunes là où ils en sont.

Ils peuvent faire mieux que les programmes publics généraux qui offrent des programmes et des services adaptés à la culture.

Le président : Merci, monsieur Norris.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci à tous les témoins. Il est assurément très intéressant d’entendre le point de vue des jeunes qui est tout simplement imprégné d’espoir et d’optimisme. Cela traduit une bonne partie des témoignages que nous avons entendus jusqu’à maintenant au sujet de l’importance de ce projet de loi comme première étape vers la réconciliation et du nombre d’appels pour son adoption.

Je vais poser ma question au chef Noskey et au chef Badger. Je comprends votre position et je vous remercie de nous en avoir fait part.

Si vous ne reconnaissez pas l’APN comme une autorité qui peut négocier en votre nom et que revendiquez certes votre droit de participer de nation à nation et d’être à la table pour contribuer aux décisions qui vous toucheront, peut-être serez-vous d’accord avec moi pour dire que ce projet de loi, comme première étape importante, crée l’occasion que vous pourriez saisir pour vous assurer, à titre de membre de la population autochtone diversifiée, d’avoir un siège à la table et de pouvoir, soit à côté de l’APN, soit à sa place, vous assurer d'être consultés et de collaborer pour fournir le consentement requis lorsque des questions vous touchent et touchent votre territoire?

M. Noskey : Merci, sénatrice. Je vais tenter de répondre.

Cela dit, je crois que le gouvernement, l’État du Canada, devrait consulter les représentants, les grands chefs des traités 1 à 11. Je crois que c’est le bon processus qui mène à la réconciliation.

Je dirai, en ce qui concerne nos jeunes — merci aux jeunes qui sont ici pour présenter un exposé — et les générations à venir, qu’en vertu des articles du Traité no 8, les deux premières promesses concernant le partage de cette terre avec les étrangers étaient l’éducation. Donc, pour nous, l’éducation comme droit issu de traité signifie que chaque fois que nos jeunes veulent s’engager dans une carrière à un moment donné, c’est au prix de leur formation, de leur éducation. C’est ainsi que nous comprenons ce que nos ancêtres ont conclu en vertu du traité. Jusqu’à maintenant, sous le régime de l’État, il s’agit tout simplement d’un programme qui sape et qui crée tous ces dilemmes chez les jeunes des Premières Nations. Merci.

Le président : Merci, grand chef.

La sénatrice Pate : Pour faire suite à la question de la sénatrice Forest-Niesing et à celles d’autres sénateurs, compte tenu des préoccupations que vous avez soulevées au sujet du manque de consultation ou de la consultation de l’APN, quel processus recommanderiez-vous, grand chef? J’aimerais aussi connaître le point de vue des jeunes; la meilleure façon de mobiliser les jeunes Autochtones en milieu urbain à mesure que nous progressons. Merci.

M. Noskey : Merci, madame la sénatrice. Nous nous sommes engagés auprès des ministres fédéraux, des ministres autochtones, en disant que la consultation, et essentiellement un processus ou une relation dans le cadre de la réconciliation, doit se faire avec les signataires du traité de la Couronne impériale, en l’occurrence le Traité no 8. Nous ne pouvons parler qu’au nom du Traité no 8.

Nous avons des conseils de jeunes et des comités de jeunes comme organisations du Traité no 8. Je dis cela, mais c’est à cause de la loi, du processus de réglementation et des politiques de programme que le gouvernement a traité les signataires souverains en vertu du traité comme inférieurs aux municipalités. C’est la raison pour laquelle nos jeunes et nos aînés sont là où ils en sont aujourd’hui. En ce qui concerne le processus des pensionnats, le manque de financement pour leur éducation et aussi l’itinérance au niveau de la nation, essentiellement en vertu du traité, nos aînés ont accepté de la toile pour des tentes comme processus, ce qui serait l’équivalent de logements aujourd’hui au XXIe siècle. Donc, à cause du manque de logements, à cause de gestionnaires de la pauvreté, c’est essentiellement la raison pour laquelle le Canada choisit d’engager des organisations à l’extérieur du peuple souverain qui a conclu un traité. Il y a donc une façon de se réconcilier, et c’est le processus avec les signataires du traité, qui sont les nations souveraines, en l’occurrence le Traité no 8. Merci.

La sénatrice Pate : Monsieur Norris, madame Tenute, voulez-vous parler de la façon de mobiliser les jeunes?

M. Norris : Il y a de toute évidence une lacune dans la prestation de services et le financement des ressources pour les groupes et organisations autochtones en milieu urbain, en particulier les organisations autochtones en milieu urbain qui desservent les Autochtones séparés de leurs territoires d’origine et de leurs collectivités d’origine, en grande partie en raison du colonialisme. Cela s’accompagne d’une certaine crainte qu’ils soient exclus du processus.

Je reviens à ma déclaration initiale selon laquelle tout effort de mise en œuvre doit permettre aux peuples autochtones de s’organiser entre eux sur la façon dont ils veulent régler ces lacunes.

Le président : Merci, monsieur Norris.

La sénatrice Hartling : Merci, chef Noskey et chef Badger, de nous avoir rappelé l’histoire et la façon dont les choses se sont déroulées, et de nous avoir fourni d’excellents renseignements. Comme on l’a déjà dit, il est important pour nous d’obtenir beaucoup de renseignements et de points de vue différents.

Je tiens également à vous remercier, madame Tenute et monsieur Norris, de vos renseignements sur les jeunes. Comme on l’a déjà dit, il est très important que les jeunes puissent se faire entendre.

J’aimerais creuser un peu plus ce sujet. Vous avez mentionné certains des problèmes que les jeunes ont vécus. Pourriez-vous approfondir un peu cette question? J’essaie aussi de voir si c’est uniforme à l’échelle du pays. Je pense que ce que vous avez dit, c’est que cela a donné de l’espoir aux jeunes de participer, mais avons-nous mobilisé les jeunes partout au pays? Les problèmes sont-ils les mêmes partout au Canada pour les jeunes? Merci.

Mme Tenute : Il n’y a pas d’approche monolithique des jeunes. Dans le travail que nous avons accompli à Échanges Racines Canadiennes, notre échantillon était plus restreint que dans certaines grandes consultations qui ont eu lieu.

En ce qui concerne les enjeux ou ce que j’appelle les réalités que vivent les jeunes Autochtones, je m’abstiendrai d’utiliser une quelconque description qui dirait que nous parlons pour tous les jeunes Autochtones, ce qui n’est pas le cas. Encore une fois, ce n’était qu’un petit échantillon.

L’un des plus grands problèmes que nous avons constatés concernait la confiance et la nécessité de responsabiliser les individus au moment de la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies, afin de les obliger à rendre des comptes, dans le sens des principes énoncés dans la déclaration.

Pour revenir à ce qui a été dit plus tôt, cela concerne le besoin d’accessibilité et d’éducation en ces matières. La plupart du temps, la tendance est que ces jeunes Autochtones sont invités à ces tables et ne sont pas bien consultés pour pouvoir y participer et prendre des décisions éclairées. Il s’agit donc vraiment de créer un espace d’accessibilité.

M. Norris : J’appuie ce qui a été dit précédemment.

Selon moi, la mise en œuvre du plan doit favoriser la participation des jeunes à la table. Lors des consultations, les collectivités autochtones ont souvent eu une capacité limitée d’amener des délégués à ces tables. Souvent, le choix de faire venir un jeune est difficile. Il pourrait donc être avantageux de trouver l’espace et les ressources pour faire participer les jeunes à ces processus.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse au grand chef Arthur Noskey. Dans un article de journal du 20 avril 2021, vous avez dit que la loi allait faire plus de mal que de tort. Pourriez-vous vous expliquer?

En outre, historiquement, les lois canadiennes ont servi à nuire, à entraver et à coloniser, plutôt qu’à aider les peuples autochtones. Pourtant, on utilise aujourd’hui le même processus au nom de la réconciliation. Est-il normal que le gouvernement canadien demande aux peuples autochtones de lui faire confiance, malgré ses rapports passés avec eux? Aimeriez-vous voir une autre loi ou un autre processus pour remettre en confiance les peuples autochtones? Les titulaires de droits ou de traités devraient-ils pouvoir se soustraire à ce projet de loi?

M. Noskey : Je crois que oui. En tant que dirigeants, nous avons toujours reconnu notre relation souveraine avec la Couronne impériale. Nous ne sommes pas en train de rompre cette relation. Nous sommes en voie de réaliser la réconciliation, essentiellement de la voir mise en œuvre telle que nos aînés l’ont comprise.

C’est ce que doit viser la consultation. Nous avons aujourd’hui la technologie qui nous évite d’avoir à voyager par les cours d’eau ou à cheval. Avez Zoom, nous avons la technologie pour communiquer avec les représentants du gouvernement et mener un processus de consultation. Par contre, on ne semble pas prêt à engager la consultation.

J’ai parlé plus tôt du projet de loi C-92, la loi sur le bien-être des enfants autochtones. Maintenant, il faut aligner leur loi sur la loi provinciale.

Jusqu’ici, il y a un directeur en vertu de la loi sur la protection de l’enfance de la province qui procède encore à l'adoption des enfants, qui retire encore les enfants de la prise en charge, qui les soustrait à la garde du foyer parental. Cela dit, le problème des jeunes persistera jusqu’à la fin de l’adolescence. Il n’y a pas de solution. C’est pourquoi nous voulons être à la table, en tant que signataires de traités souverains, pour prendre part aux discussions sur l’éducation, la santé, nos jeunes, nos règlements et nos lois, essentiellement dans le cadre de la réconciliation, pour mettre fin à cette atrocité. Il n’y a que des solutions de fortune encore à ce jour, et nous n’en voulons plus. Voilà ce que nous disons. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Le sénateur Cotter : Merci aux témoins. Chacune de ces séances est une expérience d’apprentissage pour moi, une expérience que j’apprécie beaucoup.

Ma question découle principalement de celle de la sénatrice Stewart Olsen, mais elle en diffère un tant soit peu.

Je pense que la position des Premières Nations signataires du Traité no 8 — et de certaines autres Premières Nations signataires d’un traité au sein de la Confédération — a été une préoccupation au sujet de la nature coloniale de la prise de décisions concernant les droits des peuples autochtones. Je pense qu’il est juste de dire que, peu importe la suite des choses, à un moment donné, ce sont les tribunaux qui auront à donner une réponse raisonnée à tout cela. J’ai bien l’impression que cette approche, qui débouchera, au bout du compte, sur une décision de la Cour suprême du Canada, fait partie de ce cadre colonial.

Je voudrais savoir si j’exagère vos préoccupations. Si je n’exagère rien, auriez-vous d’autres mécanismes à proposer pour en finir avec ce différend? Ma question s’adresse principalement au grand chef Noskey ou au grand chef Badger. Merci.

M. Noskey : Je vais dire ce que j’ai à dire, puis je passerai la parole au grand chef Badger.

Cela dit, j’aurais une question à poser. Je vais répondre à votre question par une question. Comme Canada, intentez-vous des poursuites contre la Couronne impériale? Les provinces intentent-elles des poursuites contre la Couronne impériale en tant que Canada, ou en tant qu’États du Canada et qu’Alberta? Je ne crois pas. Alors pourquoi devrions-nous nous engager dans un processus, alors que nous avions un traité, une entente? Même si la nôtre était orale, je crois qu’il est grand temps de concrétiser la vérité et la réconciliation avec les traités numérotés.

M. Badger : J’ai maintes fois réfléchi à cette question. Il nous faut peut-être un tribunal mondial pour avoir la bonne réponse à cette question sur les traités.

De plus, pour le sénateur MacDonald, au sujet des réunions sur la Constitution, je me rappelle qu’à l’époque l’APN ne nous donnait même pas un siège pour présenter notre position souveraine. C’était, quoi? 1982? Et nous en sommes toujours au même point, encore et toujours.

Le président : Merci, grand chef.

Au deuxième tour maintenant, sénatrice LaBoucane-Benson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse au grand chef Noskey. Je suis heureuse de vous revoir.

Pensez-vous qu’il est possible de préserver la relation découlant des traités et de travailler à leur mise en œuvre de bonne foi tout en harmonisant les lois du Canada avec les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Ces deux processus peuvent-ils être menés en parallèle?

M. Noskey : Je ne crois pas. Je crois qu’il faut bien comprendre les traités. Le Traité no 8, comme je l’ai dit, a 121 ans. Essentiellement, le peuple colonisé comprend ce traité dans une optique coloniale. Fidèles à leur mentalité coloniale, les gouvernements se sont depuis déclarés propriétaires de la terre. Ils affirment leurs propriétés de la terre.

Toutefois, en vertu du traité et selon l’histoire orale de notre peuple, la terre était à partager avec les nouveaux arrivants. Il s’agissait des avantages qu’il y avait à conclure un traité entre deux nations souveraines. Ce sont les accords conclus par traité, qui comprenaient l’éducation, les soins de santé, les vaches et les charrues, la toile pour les tentes, qui en constituaient essentiellement des avantages.

J’ajouterai ceci. Le traité prévoit une exemption fiscale. Le Traité no 8 accorde une exemption fiscale. On pense que les Premières Nations ne paient pas d’impôts. Nous croyons savoir que la Couronne impériale n’en paie pas non plus. Telle est la mentalité souveraine, la compréhension de la souveraineté. Tous les peuples avec qui nous partageons nos terres sont ceux qui contribuent à ce traité, mais le Canada a limité tout cela à un programme par habitant et a même diminué les chiffres.

Nous disons que la réconciliation doit se faire moyennant la mise en place de cette compréhension, dans la mesure où cette législation est vue dans cette perspective, et non pas par les colonisés en général.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. Je suppose que ma question portait sur toutes les nations sans traité. Nous avons beaucoup de chance ici en Alberta. Nous avons les traités 6, 7 et 8, et nous avons cet accord qui revêt une si grande importance. Je suis de votre avis. Nous sommes tous des peuples visés par des traités. Qu’en est-il des nations sans traité; où commencent-elles?

M. Noskey : Je crois, encore une fois, que c’est un processus qui demande des consultations avec les Premières Nations. Nous sommes un peuple signataire de traité.

Le système d’inscription des Autochtones au Canada finit par nous faire perdre notre statut ou entraîne une multiplication des traités. Où est la justice dans tout cela? D’où, encore une fois, la consultation avec les nations.

Le président : Merci, grand chef. Le temps réservé à ce groupe de témoins est écoulé. Je tiens à remercier nos témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui; merci, madame Tenute, monsieur Norris, grand chef Noskey, grand chef Badger et madame Auger.

Avec notre prochain groupe de témoins, nous accueillons Ken Kyikavichik, grand chef du Conseil tribal des Gwich’in; Ross Montour, et Me Francis Walsh, respectivement chef conseiller juridique du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke; Matthew Peigan, chef de la Première Nation Pasqua ; et David Monias, chef de la nation Pimicikamak Okimowin.

Bienvenue à tous. Les observations préliminaires, d’environ six minutes, seront suivies de questions des sénateurs, qui disposeront d’environ trois minutes chacun. La première question sera posée par la sénatrice LaBoucane-Benson, qui parraine le projet de loi, et la deuxième, par le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi, le sénateur Patterson.

Les sénateurs qui auraient une question sont priés de signaler leur intention à la greffière en levant la main sur leur écran. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité. On voudra bien remettre tout suivi écrit aux questions à la greffière, pour le 30 mai 2021 au plus tard.

Le personnel me préviendra par message texte 10 secondes avant la fin des remarques préliminaires des témoins, ainsi que des questions et réponses. Je ferai un compte à rebours visuel de 10 secondes avec mes deux mains, et vous indiquerai que votre temps est écoulé lorsque ce sera le cas.

J’invite le grand chef Kyikavichik à commencer sa déclaration préliminaire.

Ken Kyikavichik, grand chef, Conseil tribal des Gwich’in : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. J’ai été élu en septembre dernier seulement, et je suis là pour vous parler au nom des plus des 3 500 participants à l'Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in que nous avons conclue avec le Canada en 1992.

C’est un honneur pour moi de m’adresser à vous au sujet de ce projet de loi marquant de l’histoire du Canada. Pour nous, Gwich’in, certains des principes fondamentaux de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la déclaration des Nations unies, en bref, sont : premièrement, la reconnaissance et l’affirmation; deuxièmement, les principes de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, le CPLCC; troisièmement, le droit à la conservation et à la protection de l’environnement; et quatrièmement, l’amélioration des conditions économiques et sociales.

Premièrement, en ce qui concerne la reconnaissance et l’affirmation, je m’en voudrais de ne pas citer le Traité no 11 dans les Territoires du Nord-Ouest. Le 2 juillet 1921, à Fort McPherson, le Traité no 11 a été signé par mon arrière-grand-père, le chef Johnny Kyikavichik, qui était notable lors de la signature, avec d’autres dirigeants gwich’in tetlit, comme le chef Julius Salu et les notables Abraham Francis et Andrew Kunnizzi. Les Gwich’in étaient aussi représentés lors de la signature du Traité no 11 par les dirigeants des Gwichya Gwich’in, soit le chef Paul Niditchie et Fabien Lalou, deux jours plus tôt, le 26 juillet 1921.

Ce sera bientôt le centenaire de la signature du Traité no 11, un document intégral entre nos nations respectives, qui forme la base de notre traité moderne. Les articles 4 et 37, plus particulièrement, constituent le fondement de notre relation.

Nous sommes heureux de poursuivre nos discussions avec le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest dans le cadre des efforts que nous faisons pour développer notre gouvernement gwich’in. Ces pourparlers se poursuivent depuis plus de 24 ans, et nous espérons être en mesure, dans les années à venir, de donner suite aux engagements pris aux articles 3 et 4 pour notre peuple gwich’in des Territoires du Nord-Ouest.

En second lieu, les articles 19, 26 et 32 portent sur l’obligation de soumettre à la consultation tout développement au sein de la région d’établissement dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon et de le faire approuver par notre peuple et nos collectivités gwich’in. Pour être clair, nous nous attendons que le CPLCC ne constitue pas un droit de veto, mais plutôt une prise de décisions partagée sur tous les développements dans notre région.

Troisièmement, pour nous, Gwich’in, la protection de la terre, de l’eau, de l’air et des ressources, comme la harde de caribous de la Porcupine, n’est pas négociable. Les efforts que nous avons déployés ces 30 dernières années pour protéger les aires de mise bas de la harde de caribous de la Porcupine en Alaska nous ont galvanisés.

Nous ne sommes pas contre le développement, mais certains projets de développement comportent un risque environnemental énorme. L’exploitation pétrolière et gazière dans la plaine côtière du Refuge faunique national de l'Arctique en Alaska est l’un de ces projets à haut risque. Nous reconnaissons qu’il s’agit également d’un enjeu international pour le Canada, et nous sommes heureux de l’appui retentissant que nous avons eu du gouvernement fédéral et des institutions financières pour nos efforts de protection de cette aire sacrée.

Troisièmement, comme bien d’autres collectivités inuites et des Premières Nations dans les régions éloignées et du Nord, notre collectivité gwich’in souffre malheureusement de problèmes d’infrastructure critiques liés au logement, à l’eau potable et à l’accès à des matériaux de construction acceptables, comme les agrégats et le bois d’œuvre. Le logement, par exemple, est le principal problème d’infrastructure dans nos collectivités, suivi de près par le manque de soutien technique et d’ingénierie acceptable pour construire les maisons et les collectivités dont nous avons besoin.

En conclusion, il est malheureux qu’il ait fallu près de 14 ans au Canada pour adopter la déclaration élaborée en 2007, qui est désormais reconnue universellement comme norme internationale à suivre par les gouvernements souverains. C’est peut-être un signe de la nécessité de mettre en œuvre les articles 1 et 2, qui traitent de la jouissance de tous les droits de la personne et de la protection des peuples autochtones contre la discrimination.

J’ai honte de dire que notre pays, le Canada, a beaucoup de chemin à parcourir pour éliminer la discrimination des peuples autochtones dans ses institutions, en particulier dans les domaines de la justice, des services à l’enfance et à la famille, de l’aide sociale, des services correctionnels et du développement économique.

Au début du mois, nous avons déposé une demande introductive d’instance contre le ministère de la Justice du Canada pour la façon dont il a traité l’affaire du regretté Edward « Eddie » Snowshoe, un Gwich’in de 24 ans mort en confinement solitaire à l’établissement d’Edmonton, en Alberta, en août 2010. Pendant plus de 160 jours, le jeune Eddie s’est trouvé en isolement, où il a fini par se pendre, malgré des signaux d’alarme répétés qui auraient dû indiquer au personnel correctionnel que son suicide était imminent et que sa santé mentale était à risque. Pour cela, nous réclamons des excuses et une indemnisation au Canada.

Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres de la façon dont la multitude de pandémies, le système canadien des pensionnats et l’élimination de nos modes de vie traditionnels — par la relocalisation d’un peuple fier et indépendant dans les collectivités municipales — ont entraîné la perte d’un trop grand nombre de nos Gwich’in tout en érodant notre culture, notre langue, notre économie et nos valeurs.

Honorables sénateurs, la déclaration des Nations unies n’est qu’un document. L’adoption du projet de loi C-15 serait un grand pas en avant, et je remercie le gouvernement et les ministres de cette mesure. Cependant, le succès se mesurera dans sa mise en œuvre. Le véritable test de la durabilité sera le changement d’approche de la politique requise du gouvernement canadien. Si nous maintenons une bureaucratie qui ne comprend rien à la déclaration des Nations unies, nous ne serons pas plus avancés.

Je vous remercie du temps et de l’occasion que vous m’avez donnés pour témoigner aujourd’hui.

Le président : Merci, grand chef. Au tour du chef Montour.

Ross Montour, chef, Conseil des Mohawk de Kahnawàke : Merci de nous écouter. Je m’appelle Ross Montour, et suis ratsénhaienhs élu du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke, le CMK.

Le CMK n’appuie pas le projet de loi C-15 dans sa forme actuelle. Il faut encore des amendements essentiels pour le rendre acceptable. La position du CMK s’aligne sur la position énoncée dans la motion de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, APNQL, adoptée à l’unanimité le 26 février 2021. Le projet de loi C-15 ne met pas en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA.

Au cours d’une séance de consultation le 29 octobre, les représentants du Canada ont reconnu que la proposition législative ne met pas en œuvre la DNUDPA dans le droit canadien. C’est inquiétant parce qu’il y a incompatibilité entre les droits prescrits par la DNUDPA et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Certes, nous avons entendu des témoins vous exprimer toute leur confiance dans les récentes décisions de la Cour suprême, mais nos vues sont beaucoup plus nuancées et critiques. Les victoires remportées devant la cour comportent souvent de sérieuses limitations ou mises en garde. Malgré une certaine forme de reconnaissance des droits et des titres ancestraux, il y a eu relativement peu de changements sur le terrain. Très peu de traités et d’accords modernes ont été conclus, les traités continuent d’être violés, les disparités socioéconomiques persistent, le développement des terres autochtones se poursuit presque sans relâche et notre peuple souffre encore de façon disproportionnée de violence et de discrimination.

Le CMK attribue une part de la responsabilité aux fondements problématiques établis par les tribunaux dans leur interprétation de l’article 35. Comme l’ont expliqué les juristes autochtones, l’interprétation de common law de l’article 35 s'appuie sur : la doctrine de la découverte, y compris l’imposition de la souveraineté de la Couronne sur les peuples autochtones, notamment les droits à l’autonomie gouvernementale; le non-respect des lois et des traditions juridiques autochtones; la reconnaissance du fait que la Couronne a le titre de propriété ultime sur la terre; le fardeau de la preuve imposé aux Autochtones pour faire reconnaître leurs droits; et le test raciste et figé dans le temps de Van der Peet.

Pour le CMK, la promesse de la DNUDPA consiste notamment à veiller à ce que l’interprétation de l’article 35 en common law évolue dans le sens des normes internationales minimales relatives aux droits de la personne contenues de la DNUDPA, y compris une répudiation claire et contraignante de la doctrine de la découverte.

Toutefois, nous craignons que l’effet combiné de l’absence de libellé clair pour assurer l’application de la DNUDPA aux lois du Canada, et le libellé du paragraphe 2(2) du projet de loi C-15, puissent être interprétés comme la confirmation des interprétations problématiques actuelles de l’article 35, plutôt que comme une dérogation à ces interprétations.

Nous insistons donc sur les trois amendements suivants au projet de loi C-15 : il faut modifier le paragraphe 2(2). On devrait tirer le libellé de l’article 45 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones plutôt que d’utiliser le libellé normalisé de non-dérogation utilisé dans les lois fédérales nationales. Une disposition doit être ajoutée au corps de la loi qui stipule que les dispositions législatives au Canada, y compris l’article 35, doivent être interprétées en conformité avec les droits et principes énoncés dans la déclaration. Enfin, il faut ajouter dans le corps de la loi une disposition qui confirme le rejet de l’application de la doctrine de la découverte dans le droit canadien. On a tenté de répondre à nos préoccupations en améliorant le préambule du projet de loi. Cependant, il est problématique que les dispositions d’application de la loi ne reflètent pas la portée du préambule ambitieux.

Le Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke a entendu des partisans du projet de loi contester cette préoccupation en soutenant que les préambules jouent un rôle important dans l’interprétation. Cependant, nous réfutons cette affirmation et nous croyons que les commentaires du professeur Roach sont pertinents dans le contexte du projet de loi C-15 lorsqu’il parle de préambules expansifs qui sont :

[...] un moyen de faire une promotion exagérée d’un projet de loi qui suscitera rapidement la déception et le cynisme ou une tentative d’obtenir un consensus à un niveau d’abstraction tellement élevé qu’il s’effritera rapidement lorsque viendra le moment d’appliquer la loi.

Nous voulons prendre un moment pour répondre aux préoccupations au sujet du consentement libre, préalable et éclairé. Il ne s’agit pas d’une notion nouvelle, et le fait de s’y opposer est discriminatoire. Conformément à la relation découlant du traité à deux rangs, la compétence des Mohawks continue de s’appliquer indépendamment et parallèlement à celle de la Couronne. Les deux rangs sont deux rangs de perles violettes séparées par trois rangées de perles blanches. Le blanc symbolise la rivière de la vie ou la terre que nous partageons tous aujourd’hui. Les deux rangs violets symbolisent les Haudenosaunee et les Européens voyageant côte à côte, sans jamais interférer avec le voyage de l’autre. Les traités des Haudenosaunee avec la Couronne, y compris le Traité de Niagara et la proclamation royale correspondante, étaient fondés sur ces principes et la tradition juridique des Haudenosaunee.

Nos traités sont une illustration historique du consentement libre, préalable et éclairé. Bien que la Couronne ne respecte pas les obligations en découlant, la notion de consentement libre, préalable et éclairé n’est ni nouvelle ni radicale. Il ne faut pas non plus penser que les redoutés vetos ne font pas déjà partie du paysage juridique moderne. Par exemple, la loi québécoise donne aux municipalités un droit de veto sur l’exploitation minière sur leur territoire. Il est discriminatoire de prétendre que les gouvernements autochtones sont incapables d’exercer les pouvoirs que les législateurs accordent aux municipalités.

Nous voulons également donner suite aux préoccupations exprimées par de nombreux participants qui ne veulent pas rater cette occasion d’adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est le Canada qui doit assumer le fardeau de l’urgence d’agir découlant de son inaction à l’égard de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce ne sont pas les peuples autochtones qui devraient faire des compromis ou accepter une loi de mise en œuvre comportant des lacunes en raison de l’urgence de la situation. Le Sénat devrait recommander les améliorations suggérées par le Conseil des Mohawks, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et d’autres témoins qui ont comparu devant le comité, et le Canada devrait assumer le fardeau de l’adoption rapide d’un projet de loi modifié efficace. [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, chef. Je souhaite la bienvenue au chef Peigan pour sa déclaration préliminaire.

Matthew Peigan, chef, Première Nation Pasqua : Merci, monsieur le président, et bonjour à chacun d’entre vous. Je suis heureux d’avoir l’occasion de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Je m’adresse aux honorables membres du comité à partir du territoire de ma nation, c’est-à-dire la Première Nation Pasqua, le territoire visé par le Traité no 4, conclu par le chef Paskwa et des représentants de la Couronne, le 15 septembre 1874.

Avant de commencer, je tiens à préciser que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne remplace pas les traités sacrés conclus entre les nations autochtones et les représentants de la Couronne. Les obligations sacrées de la Couronne, les obligations découlant de traités conclus devant le Créateur, ne peuvent jamais être supprimées ou éteintes.

L’article 37 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones le réaffirme. « Les peuples autochtones ont droit à ce que les traités [...] soient reconnus et effectivement appliqués [...] » et aucune disposition de cette déclaration ne peut être interprétée de manière à diminuer ou à nier nos droits.

En septembre 2007, les Nations unies ont adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que nous citons souvent en utilisant son acronyme DNUDPA. Depuis, de nombreuses nations, personnes et groupes autochtones ont demandé à tous les partis politiques fédéraux et au Sénat d’adopter et de reconnaître ce document d’une importance cruciale qui a été élaboré par les Nations unies.

Les aînés de la Première Nation Pasqua nous ont toujours inculqué que nos traités sont internationaux et qu’ils relèvent des Nations unies. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est une déclaration de ces États-nations, qui réaffirme les droits que nous avons toujours eus et que nous possédons depuis des temps immémoriaux.

Dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, il a été demandé que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour mettre en œuvre la déclaration. Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada dit ceci :

Voilà pourquoi la Commission croit que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est le cadre approprié sur lequel devrait reposer la réconciliation dans un pays bien ancré dans le XXIe siècle comme l’est le Canada.

C’est ce qu’on peut lire à la page 210 du résumé du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Pour ce qui est du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, il mentionne l’article 3, l’article 4, le droit à l’autodétermination de nos peuples.

Depuis 2007, des nations demandent au gouvernement de reconnaître la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le gouvernement l’a reconnue et il est en train de l’intégrer aux lois canadiennes. Permettez-moi d’être clair, toutefois, cela ne remplace pas les traités.

Je tiens également à féliciter M. Romeo Saganash d’avoir attiré l’attention sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en présentant son projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-262. Malheureusement, monsieur le président et honorables membres du comité, c’est à cette étape que son projet de loi a échoué.

Il y a maintenant près de 14 ans que nous avons entendu parler pour la première fois de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, soit en 2007. C’est à ce moment-là qu’elle a été reconnue et appuyée par les Nations unies. Il est enfin temps que tous les partis politiques fédéraux et le Sénat acceptent cette mesure législative cruciale, une mesure législative qui harmonisera la loi canadienne avec les articles énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, sans déterminer ou définir les traités. Il s’agit d’une loi qui permettra d’établir des ponts et des partenariats avec les peuples autochtones et d’assurer la réconciliation.

Encore une fois, le projet de loi obligera le gouvernement fédéral à examiner les lois et les politiques fédérales avec les Premières Nations pour s’assurer qu’elles sont conformes aux normes minimales en matière de droits de la personne de la déclaration. De plus, le projet de loi C-15 exige que le Canada travaille avec les Premières Nations, les nations autochtones, pour élaborer un plan d’action en vue de sa mise en œuvre.

Cela signifie que le Canada sera tenu, en vertu de sa propre loi, d’appuyer les priorités des Premières Nations, d’appuyer nos droits inhérents et issus de traités et de mettre fin aux approches stratégiques d’extinction, de déni ou de report. Cette démarche est essentielle pour améliorer le bien-être de nos citoyens et de nos nations.

Le Canada s’est engagé, aux étapes de la première et de la deuxième lectures, à modifier des aspects très importants du projet de loi, soit la doctrine de la découverte, la terra nullius et le racisme systémique. Je demande au Sénat de ne pas répéter l’histoire. J’exhorte le Sénat et le comité à adopter le projet de loi dans sa forme actuelle. Cette occasion unique est en train de nous échapper, et nous devons agir honorablement de manière à permettre aux nations autochtones de tracer la voie à suivre pour déterminer leur avenir.

C’est maintenant que nous devons agir.

J’aimerais maintenant remercier l’honorable Sénat de m’avoir donné le temps de m’adresser à vous aujourd’hui. Meegwetch.

Le président : Merci, chef Peigan. Nous allons maintenant entendre le chef Monias pour sa déclaration préliminaire.

David Monias, chef, Pimicikamak Okimowin : [Mots prononcés dans une langue autochtone].

Cela signifie merci dans ma langue. Bonjour, Tansi. Je suis David Monias, chef de la nation souveraine de Pimicikamak, aussi connue sous le nom de bande indienne de Cross Lake. Nous avons conclu le Traité no 5 et nous adhérons aussi au traité moderne de la Convention sur l’inondation des terres du Nord.

Il est également de ma responsabilité et de mon devoir de Pimicikamak de protéger les terres et les eaux, ainsi que les droits autochtones, les droits issus de traités et les droits de la personne des citoyens de la Première Nation Pimicikamak. C’est à ce titre que je suis heureux de faire part de nos commentaires au comité au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

La Première Nation Pimicikamak a appuyé la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au cours de son élaboration et lors de sa présentation à l’Assemblée générale des Nations unies, le 12 septembre 2007. Elle a travaillé activement aux côtés des Premières Nations au Canada et à l’étranger pour exhorter le Canada à appuyer sans réserve la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce que le Canada a fini par faire, le 10 mai 2016. La Première Nation Pimicikamak affirme que les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sont conformes à l’exercice de sa souveraineté et de son autorité. La modification du projet de loi C-15 pour rendre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones exécutoire au Canada est une étape importante vers la réconciliation. La modification du projet de loi C-15 pour rendre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones applicable au Canada ouvrira une nouvelle voie vers la reconnaissance pratique, l’affirmation et la protection des droits de la Première Nation Pimicikamak.

La Première Nation Pimicikamak est affiliée à Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc., MKO, et je siège au Conseil exécutif des chefs. Nous avons participé activement à l’élaboration de la position de MKO sur le projet de loi C-15. Je vais maintenant revenir sur certains éléments du mémoire présenté au comité par le grand chef.

De nombreux citoyens de la Première Nation Pimicikamak se demandent si la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est applicable au Canada. La réponse est non. De nombreux citoyens de la Première Nation Pimicikamak se demandent également si le projet de loi C-15 rendra la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones exécutoire au Canada. La réponse est non. Les citoyens de la Première Nation Pimicikamak veulent savoir si le projet de loi C-15 peut être modifié pour rendre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones exécutoire au Canada, et la réponse est oui.

Tout comme le MKO, la Première Nation Pimicikamak propose des amendements au projet de loi C-15 pour rendre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones exécutoire au Canada. Dans le cadre des travaux du comité, on a demandé aux témoins si le projet de loi C-15, sans autres amendements, est mieux que rien. La réponse est non. Comme je l’ai expliqué dans mon exposé sur le thème de l’application de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada, qui a été présenté le 25 mars 2021 aux participants au webinaire sur le projet de loi C-15 organisé par l’Assemblée des chefs du Manitoba :

L’objectif au centre de l’application des principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones au Canada est de modifier en profondeur le paradigme juridique et constitutionnel [...]

[...] en demandant aux sociétés minières, forestières et énergétiques de poursuivre le Canada devant les tribunaux au sujet des mesures prises par le gouvernement pour reconnaître, affirmer et protéger les droits des Autochtones.

[...] au lieu du paradigme actuel et historique selon lequel les Premières Nations traînent sans cesse le Canada devant les tribunaux pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour reconnaître, affirmer et protéger les droits des Autochtones [...]

Je demande au comité de réfléchir attentivement à ce changement de paradigme essentiel dans la relation entre la Couronne et les Premières Nations qui résultera de l’acceptation des amendements de la Première Nation Pimicikamak au projet de loi C-15. Ce changement est nécessaire parce que le Canada a constamment omis de prendre les décisions administratives permettant de faire respecter en pratique les droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui sont maintenus par les tribunaux.

Imaginez que les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones soient intégrés dans toutes les lois et tous les règlements fédéraux. Peu importe si les dispositions de ces lois ont ou non été modifiées pour tenir compte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, imaginez que tous les fonctionnaires, dans leurs décisions administratives, soient obligés par la loi à tenir compte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à prendre des mesures pour reconnaître, affirmer et protéger ces droits. Nous demandons au comité de recommander que les amendements suivants soient apportés au projet de loi C-15, dans le but de rendre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones exécutoire au Canada.

Numéro 1 : Que le projet de loi C-15 soit modifié pour inclure une disposition d’affirmation exécutoire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme modification corrélative à la Loi d’interprétation fédérale :

Chaque loi, règlement, mesure ou décision d’un ordre de gouvernement doit être interprété et administré conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et aucune loi, aucun règlement, aucune mesure ou aucune décision d’un ordre de gouvernement ne doit être interprété ou administré de manière à abroger cette déclaration ou à y déroger.

Numéro 2 : Que le projet de loi C-15 soit modifié ainsi à l’alinéa 4a) :

La présente loi a pour objet : a) de confirmer que la déclaration constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne et l’expression des principes contraignants du droit international conventionnel et du droit international coutumier et qu’elle s’applique au droit canadien, tant comme source d’interprétation que de droit.

Numéro 3 : Modifier l’article 2 du projet de loi C-15 en remplaçant l’actuelle disposition de non-dérogation par le libellé de la modification corrélative proposée à la Loi d’interprétation :

La présente loi doit être interprétée et administrée comme protégeant les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et non comme abrogeant ces droits ou y dérogeant.

Numéro 4...

Le président : Grand chef, votre temps est écoulé. J’aimerais ouvrir la période des questions en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci à tous les dirigeants et chefs présents ici aujourd’hui. Ma question s’adresse au chef Peigan. Certains chefs de nations visées par des traités craignent que ce projet de loi ne porte atteinte aux droits issus de traités des nations signataires, mais vous nous avez présenté un point de vue différent. Comment en êtes-vous arrivés à la conclusion que les traités sont distincts du projet de loi C-15, qu’ils ne seront pas touchés et qu’ils seront respectés?

M. Peigan : Je vous remercie de votre question, sénatrice LaBoucane-Benson. Pour évaluer le projet de loi C-15 — selon ce que je constate —, il faut adopter une approche parallèle. Dans mes observations, j’ai mentionné que le Canada réaffirme sa position et le fait de façon indirecte, car lorsqu’on prend tous les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, tous ceux qui sont incorporés dans le projet de loi C-15, tous les articles des traités — pas seulement le Traité no 4, mais tous les traités numérotés — et tous les autres traités au Canada, toutes ces perspectives, et qu’on les met côte à côte, il est possible de tracer une ligne pour relier chaque article à chaque traité. Il ne s’agit cependant pas d’interpréter le traité. Il ne s’agit que d’une réaffirmation par le Canada que ces droits existent. Le traité est une entité distincte.

Les traités ont été conclus par des États-nations et seuls les États-nations peuvent conclure des traités — les Premières Nations, nos nations. La nation Pasqua fait partie de la nation Saulteaux. Notre chef a conclu un traité en tant que nation. Les provinces ne peuvent pas conclure de traités. Les villes, les villages et les hameaux ne peuvent pas conclure de traités. Seules les nations peuvent le faire, d’où la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il ne s’agit pas d’une réinterprétation du traité. Cette déclaration n’a rien à voir avec les traités. Nos traités existeront, et même dans le document, il est dit que nos traités évolueront selon la doctrine de l’arbre vivant.

Merci.

Le président : Merci, chef Peigan.

Le sénateur Patterson : Merci de vos exposés. Chef Monias, lors de leur comparution devant le comité, le 7 mai, les représentants de MKO ont cité votre exposé, qui décrivait clairement les lacunes du projet de loi C-15. Après avoir lu votre mémoire au Comité des affaires autochtones et du Nord à la Chambre, j’ai précisément demandé, pendant ma séance d’information comme porte-parole, si ce projet de loi lierait la Couronne à toute action, et les fonctionnaires m’ont répondu que non, que ce projet de loi ne fait que créer l’obligation pour le gouvernement de rédiger un plan d’action en collaboration avec les peuples autochtones.

Puis, le ministre, M. Lametti, nous a dit que le « dernier mot » reviendrait aux lois fédérales et provinciales dans un certain nombre de cas, comme vous l’avez souligné, je crois. Les fonctionnaires nous ont dit que la Constitution continue d’être la « base ». J’aimerais vous demander si vous êtes d’accord avec ces déclarations du ministre et de ses fonctionnaires. Est-ce que ces déclarations semblent concorder avec les informations ou les représentations qui vous ont été faites relativement à ce projet de loi? Merci.

M. Monias : J’ai déjà fait l’expérience des bonnes intentions de nombreux gouvernements à l’égard de la Première Nation Pimicikamak et de notre peuple. Je ne tiens plus rien pour acquis en ce qui concerne ce qu’on nous promet ou ce qu’on nous demande. Cela doit avoir une véritable valeur. Cela doit avoir un sens. Les gouvernements nous ont promis bien des choses dans le passé, mais nous n’avons pas vu ces promesses se concrétiser. Les traités en font partie. Dans le Traité no 5, nous avions de nombreuses promesses, mais l’esprit et l’intention de ce traité n’ont pas été respectés. Nous n’avons pas vu de loi de mise en œuvre complète de l’article 35, et c’est aux tribunaux qu’il revient de l’interpréter.

Pour nous, en l’absence d’une mise en œuvre, de changements et d’amendements significatifs à ce projet de loi, ce n’est pas suffisant. Il faut que toutes les lois et tous les règlements, toutes les décisions prises par n’importe quel ordre de gouvernement, soient interprétés et administrés de manière à protéger les droits issus de traités des peuples autochtones du Canada. C’est pourquoi nous disons qu’en tant qu’Autochtones nous reconnaissons la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; nous voulons l’affirmer parce que nous sommes nous-mêmes des nations souveraines. Si le Canada veut mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour régir les comportements et les mots qui seront adoptés pour traiter avec les Premières Nations, je dirais que nous devons apporter des amendements à ces choses avant de croire qui que ce soit sur parole. J’ai besoin de voir cela dans la loi. Merci.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse au chef Montour. En 2016, l’ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould affirmait, ce qui suit :

Les approches très simplistes, comme l’adoption de la déclaration des Nations Unies comme loi canadienne, sont inapplicables et, je le dis respectueusement, sont une distraction politique qui retarde le lancement des travaux difficiles que requiert sa mise en œuvre [...]

Les fonctionnaires du ministère de la Justice m’ont dit, lors de ma séance d’information comme porte-parole sur le projet de loi C-15, qu’il ne liera pas la Couronne et que la seule obligation que crée ce projet de loi est d’élaborer un plan d’action. On a dit au comité que, bien que l’objectif soit d’obtenir un consensus, le ministre de la Justice a défini la consultation comme le fait d’entendre les points de vue et de les prendre en compte, ceux-ci ayant parfois une incidence, mais pas tout le temps.

L’Assemblée des Premières Nations et divers universitaires ont clairement recommandé de ne pas aller de l’avant avec des amendements. Est-ce l’une de ces fois où les gens qui s’opposent au projet de loi ou qui ont des préoccupations ne peuvent avoir aucune incidence? Comme porte-parole des ayants droit, ce que vous êtes, j’aimerais connaître votre avis. Devrions-nous écouter les préoccupations qui ont été soulevées et essayer d’améliorer le projet de loi au moyen d’amendements, ou devrions-nous passer outre aux préoccupations pour accélérer les choses, comme beaucoup d’autres nous l’ont demandé? Merci.

M. Montour : Je vous remercie de votre question, sénateur. Permettez-moi de commencer en disant que je savais que ces déclarations avaient été faites lorsque Jody Wilson-Raybould était ministre de la Justice, et je dirais que cela a été exprimé du point de vue de la Constitution canadienne dans son application aux peuples autochtones du Canada. Je tiens également à souligner que le Canada était au départ l’un des États membres qui s’opposaient à l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ces objections et ces préoccupations ont abouti à l’article 46.

Nous avons écouté et entendu tous les commentaires qui ont été faits sur la nécessité d’aller de l’avant avec ce projet de loi, sans amendements, et ainsi de suite. Nous examinerons un plan d’action. Vous l’avez dit vous-même; cela n’offre rien d’autre qu’un engagement à l’égard d’un processus particulier entrepris par le gouvernement du Canada avec certains groupes pour élaborer quelque chose qui ressemble à un plan de travail. Mais cela ne signifie pas vraiment la mise en œuvre de la déclaration de droit des Nations unies. Les fonctionnaires du gouvernement nous ont eux aussi dit la même chose. C’est une préoccupation.

Il faut insister, d’autant plus que ma nation réside dans la province de Québec, qui se considère elle-même comme un État. Elle ne reconnaît pas notre droit souverain et inhérent à l’autonomie gouvernementale, ce qui est problématique. C’est l’une des raisons qui ont présidé à l’adoption de la position de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait pas accepter le projet de loi dans sa forme actuelle sans modifier le paragraphe 2(2) et sans rejeter la doctrine.

Le sénateur MacDonald : Merci, chef.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse au chef Montour et, s’il reste du temps, au chef Monias également.

Nous savons que les peuples autochtones du Canada ne sont pas tous pareils. Nous avons des perspectives et des ambitions uniques. Tout comme le reste de la population au Canada, les peuples autochtones utilisent des modèles démocratiques de prise de décisions pour essayer d’atteindre un consensus. Cependant, nous ne sommes pas toujours d’accord sur les politiques et sur d’autres questions, et on ne devrait pas s’attendre à ce que ce soit le cas.

En tant que Micmac et chef élu pendant près de deux décennies, je trouve très préoccupant que les critiques continuent de soutenir que l’absence d’entente ou, pour reprendre leurs mots, de consentement entre les peuples autochtones distincts et diversifiés du Canada justifie le rejet du projet de loi C-15. Je crains que certaines de vos préoccupations légitimes ne soient invoquées pour justifier cet argument, alors je veux vous donner l’occasion de clarifier votre position.

Êtes-vous d’accord pour dire que ce projet de loi doit faire l’unanimité parmi les peuples autochtones, même si on n’exige pas le même genre de chose de l’ensemble des Canadiens? Autrement dit, laissez-vous entendre d’une façon ou d’une autre qu’une bande ou une nation, y compris la vôtre, devrait pouvoir opposer son veto à ce projet de loi, même si de nombreux autres peuples, communautés, gouvernements et dirigeants autochtones de partout au Canada l’appuient sans équivoque?

M. Montour : Je vous remercie de votre question, sénateur Francis. Tout d’abord, il est essentiel de souligner que le Conseil des Mohawks et l’APNQL ne sont pas opposés à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le droit canadien, mais notre position et notre point de vue sont que cette mise en œuvre doit être réelle.

La façon dont nous exprimons nos préoccupations et ce que nous disons être des amendements nécessaires pour que nous donnions notre appui ne se traduisent pas nécessairement par la non-adoption de ce projet de loi. Nous sommes partie prenante et nous avons une voix. L’une de nos préoccupations dès le départ était que lorsque l’APN est venue nous consulter sur une base régionale — et j’ai été très actif au niveau de l’APNQL —, elle nous a présenté un avant-projet de loi assez bien rédigé. Aucun des chefs n’a vraiment été beaucoup consulté. C’est le Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke qui a effectué un examen critique de ce que nous considérions comme les lacunes du projet de loi. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, il est bon que des éléments soient énoncés dans le préambule, mais il vaut beaucoup mieux qu’ils figurent dans le texte de la loi. Je veux parler du rejet de la doctrine de la découverte. J’ai déjà mentionné qu’il s’agit du paragraphe 2(2).

À notre avis, la relation doit être correcte. Il ne s’agit pas de considérer la déclaration des Nations unies sous l’angle de l’article 35. Il faut renverser la vapeur. C’est notre position, avec tout le respect que je vous dois. Nous comprenons que les peuples autochtones du Canada ne s’entendent pas tous là-dessus.

La sénatrice Forest-Niesing : Je vous suis vraiment reconnaissante d’être venus témoigner devant nous, et je comprends certainement que tous ne sont pas d’accord sur l’importance d’adopter ce projet de loi. Nous avons entendu des témoignages passionnés en faveur de son adoption par des gens qui soutiennent qu’il devrait être amendé, mais qui préfèrent qu’il soit adopté avec des amendements à venir.

Pour citer un humoriste que j’adore, John Pinette : « La salade n’est pas un repas, c’est la promesse d’un repas. » Je dis cela parce que je considère la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme une salade. Je vois le repas auquel nous sommes invités comme étant le plan d’action et les consultations qui auront lieu à l’avenir.

Ma question s’adresse à ceux d’entre vous qui préféreraient que le projet de loi ne soit pas adopté sans les amendements que vous préconisez. Je me demande si vous seriez d’accord avec moi pour dire que le plan d’action est un outil ou un mécanisme évolutif, grâce auquel vos préoccupations particulières pourront être soulevées et réglées si le projet de loi est adopté.

M. Montour : Je vais céder la parole à mon collègue, Francis Walsh.

Francis Walsh, conseiller juridique, Conseil des Mohawks de Kahnawà:keJe vous remercie de la question. Je vous invite à consulter le mémoire que nous avons présenté au comité, parce qu’on y retrouve un lien vers un article où il est question de l’utilisation de plans d’action nationaux pour mettre en œuvre des normes internationales en matière de droits de la personne. La conclusion de cet article était que les plans d’action nationaux pris séparément ont tendance à ne pas être un outil suffisant pour mettre en œuvre les normes internationales en matière de droits de la personne et que les exigences juridiques contraignantes — soit par un traité exécutoire, soit par une législation nationale — doivent obligatoirement s’accompagner de plans d’action nationaux. Voilà donc notre position à ce sujet. Nous notons également que le gouvernement peut commencer à travailler à un plan d’action national, même si le projet de loi n’est pas adopté immédiatement.

M. Montour : Si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais ajouter quelque chose. Le fait est que vous utilisez l’analogie, avec tout le respect que je vous dois, de la salade avant le repas. Depuis des générations, nous mangeons de la salade et le temps est venu que nous mangions de la viande. Niawenhkó:wa.

La sénatrice Coyle : Je remercie sincèrement tous nos témoins. Vous nous aidez vraiment, même si la décision est très difficile lorsque l’on entend des témoignages contradictoires. Je comprends que tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde.

Ma question s’adresse au grand chef Ken Kyikavichik, du Conseil tribal des Gwich’in. Merci d’être avec nous, chef. Nous comprenons que si cette loi est adoptée, ce sera le début, et non la fin, de ce processus multigénérationnel visant à faire en sorte que nos lois, politiques et pratiques fédérales, non seulement respectent, mais idéalement surpassent les normes en matière de droits de la personne pour les peuples autochtones du Canada.

Étant donné que ce projet de loi pourrait devenir loi avant l’été, pourriez-vous nous dire quelles mesures seront nécessaires, selon vous, pour veiller à ce que le processus d’élaboration et de mise en œuvre du plan d’action dans le délai de deux ans soit solide et clair? J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

M. Kyikavichik : Máhsi pour la question, madame la sénatrice. En fin de compte, ce que nous demandons, c’est de contribuer aux solutions pratiques dont nos collectivités ont besoin en ce moment. Ce que nous constatons en tant que peuple gwich’in et pour toutes les autres nations autochtones dans le Nord, c’est que lorsqu’il s’agit de dispositions comme celles de la déclaration des Nations unies, il y a beaucoup de débats. Comme le disent certains de nos aînés, on parle trop. Nous devons passer à l’action et faire en sorte que les choses commencent à bouger.

Nous sommes prêts à aider le gouvernement fédéral. Comme vous le savez peut-être, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest envisage l’adoption de dispositions semblables. Nous représentons la majorité des Autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest. Il n’est donc que juste que nous travaillions en collaboration avec les gouvernements du Canada et des Territoires du Nord-Ouest pour ce qui est de l’adoption de ce que j’ai qualifié plus tôt de projet de loi historique, parce qu’un concept de partenariat, qui a été soulevé plus tôt, est ce que nous recherchons — avoir ce partenariat avec les gouvernements du Canada et des Territoires du Nord-Ouest pour exécuter les engagements qui avaient été envisagés à l’origine dans le Traité no 11, puis définis plus en détail dans notre Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in.

Ce que nous cherchons à obtenir, c’est l’occasion de contribuer à ce plan de mise en œuvre. Cela devient problématique lorsque nous n’avons pas voix au chapitre et qu’on nous demande simplement comment cette déclaration sera mise en œuvre à l’échelle de notre collectivité.

La sénatrice Coyle : J’aimerais poursuivre dans la même veine. Qu’est-ce qui vous donnerait l’assurance que vous pourrez contribuer comme vous le demandez?

M. Kyikavichik : Une représentation au sein d’un groupe de travail.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de leur importante contribution.

Ma question s’adresse au chef Montour. Comme vous le savez, le comité a entendu des juristes dire que les juges n’ont pas l’obligation d’utiliser la déclaration des Nations unies comme outil d’interprétation et source de droit, mais il y a une question d’éducation, notamment celle du pouvoir judiciaire — que le projet de loi C-15 pourrait améliorer. À plusieurs reprises, les tribunaux ont hésité à utiliser la déclaration des Nations unies, même comme outil d’interprétation, parce que même si le Canada l’a appuyée, elle n’a pas encore été adoptée au pays.

Je comprends que vous ayez des préoccupations au sujet des forces du projet de loi qui pourraient être utilisées par le pouvoir judiciaire, voyez-vous une valeur dans la codification nationale de la déclaration des Nations unies proposée dans le projet de loi C-15?

M. Montour : En fait, je vais laisser M. Walsh répondre à cette question.

M. Walsh : Je vous remercie de votre question. Je pense que nous sommes d’accord pour dire que le projet de loi aurait pu être ou était une occasion de préciser avec certitude que le pouvoir judiciaire devrait tenir compte de la déclaration lorsqu’il se prononce sur des affaires relatives aux droits des Autochtones, mais le projet de loi ne le fait pas. Un exemple clé est la différence de libellé entre le préambule et l’alinéa 4a) du projet de loi.

Le préambule dit qu’il y a lieu de confirmer que la déclaration est une source d’interprétation du droit canadien. J’aurais préféré que l’on mentionne les lois du Canada. Mais le texte de la loi emploie un libellé encore plus faible, à savoir que la déclaration est un instrument qui s’applique au droit canadien. Cela ne renvoie en fait à aucune norme juridique ou principe d’interprétation connu, de sorte que le libellé est trop vague pour être utile. C’est pourquoi nous remettons en question les améliorations demandées à cet égard.

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose à cela, chef Montour?

M. Montour : Non, je pense que Francis a bien résumé la question.

Je dirais, monsieur, que la mauvaise approche consiste à adapter un instrument international à la constitution d’un État. Ce n’est pas un instrument national. Pour qu’elle s’applique ici, d’une façon que je juge vitale, il faut qu’elle ait un effet sur le droit canadien.

Encore une fois, la doctrine de la découverte et toutes les choses qui en ressortent, en ce qui concerne l’article 35, parlent d’elles-mêmes sur le plan historique. C’est dans la jurisprudence. Merci.

Le président : Merci, chef.

La sénatrice Anderson : Máhsi . Ma question s’adresse au grand chef Kyikavichik. Vous avez fait allusion au fait que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a déclaré son intention de devenir la deuxième administration au Canada à mettre en œuvre la déclaration.

Comment se déroule le processus de mise en œuvre jusqu’à maintenant? Dans quelle mesure participez-vous? Y a-t-il des leçons apprises qui pourraient nous être utiles dans le contexte fédéral?

M. Kyikavichik : Máhsi, sénatrice Anderson. Je suis heureux de vous revoir. J’espère que vous allez bien.

Pour ce qui est de la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, malheureusement, leur calendrier a été directement touché par la pandémie de COVID-19. Notre participation la plus récente remonte à avril, avec d’autres signataires de traités modernes. J’ai eu une réunion avec la première ministre Caroline Cochrane et des membres de son Cabinet à ce sujet, entre autres, et je me suis engagé à aller de l’avant directement avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest dans le cadre d’un modèle de groupe de travail.

Nous craignons que ce projet de loi soit adopté sans qu’on ait vraiment réfléchi à sa mise en œuvre avant qu’il ne soit adopté au niveau territorial. Nous voulons nous assurer, comme je l’ai dit plus tôt, que ce que nous avons est quelque chose de pratique et que nous pouvons aller de l’avant, quelque chose qui résistera au changement de gouvernement à long terme pour les Gwich’in.

C’était la première question. Y en avait-il un autre, sénatrice Anderson?

La sénatrice Anderson : [Difficultés techniques] au niveau fédéral du même projet de loi?

M. Kyikavichik : Désolé, le son a coupé, madame Anderson.

La sénatrice Anderson : Y a-t-il des leçons à transmettre au gouvernement fédéral [Difficultés techniques] au sujet du même projet de loi?

M. Kyikavichik : Je crois que je viens de le mentionner en demandant que des représentants fassent partie du groupe de travail. Toutefois, j’aimerais une approche semblable à celle de la Colombie-Britannique avant l’adoption du projet de loi et qu’on fasse participer les Premières Nations et les groupes autochtones de toute la province. Je sais qu’il y a diverses interprétations de la façon dont cela s’est terminé pour la province, mais il y a eu un processus de consultation avec les organisations membres des Premières Nations et des Métis en Colombie-Britannique. Nous aimerions qu’il en soit de même, afin de pouvoir présenter le point de vue de notre collectivité sur la façon dont l’adoption de cette importante mesure législative entraînera une modification de la politique qui nous semble nécessaire.

La sénatrice Anderson : Máhsi.

Le président : Merci, chef. J’aimerais commencer le deuxième tour avec la sénatrice LaBoucane-Benson, suivie du sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, monsieur le président. Je vais céder mon temps de parole au porte-parole pour le projet de loi.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie beaucoup, sénatrice.

J’aimerais mentionner à mes collègues du comité, en réponse au commentaire du sénateur Francis, que les critiques concernant le projet de loi — et celles concernant probablement la confusion qui entoure le manque de clarté au sujet du consentement, les personnes chargées de le donner et le fait que l’absence de consentement par certaines parties peut être ignorée — servent à justifier le rejet du projet de loi. Je tiens à préciser que je n’ai pas dit un mot sur le rejet du projet de loi. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’on ne puisse pas l’améliorer.

J’aimerais apporter une précision avec le chef Montour et le chef Monias — et je ne veux pas mettre de mots dans la bouche de personne. Clairement, sans les amendements réfléchis que vous avez proposés, appuieriez-vous ce projet de loi sans les amendements que vous avez proposés? Merci.

M. Montour : J’aimerais donner au chef Monias l’occasion de prendre la parole en premier, puis j’interviendrai.

M. Monias : Je n’ai pas entendu la question. Elle ne m’était pas adressée au départ.

Le sénateur Patterson : Sans les amendements réfléchis que vous avez proposés, appuieriez-vous ce projet de loi?

M. Monias : Comme je l’ai déjà dit, en l’absence de véritables amendements, il est difficile d’appuyer un projet de loi qui... c’est votre projet de loi. C’est le projet de loi du gouvernement. Nous avons nos propres lois, nos traités, nos droits inhérents et nos compétences, et nous suivons nos propres règles, mais ce projet de loi est, pour le gouvernement, un projet de loi d’action qui régira son comportement et ses actions à l’égard de notre peuple. Nous avons vu par le passé que nous n’avions pas vraiment de bonnes raisons de le faire, et sans les amendements que j’ai mentionnés, il nous serait difficile d’appuyer le projet de loi.

Nous avons déclaré que cette loi ne devrait jamais être interprétée comme défendant les droits des peuples autochtones. Elle doit être interprétée comme l’administration des droits des peuples autochtones. C’est ce que je veux. Je veux que le gouvernement reconnaisse ces droits. Je veux que le gouvernement nous reconnaisse en tant que gouvernements et qu’il se comporte en conséquence. Il doit saisir cette occasion.

La dernière fois que nous avons eu cela, c’était en 1982, avec l’article 5. Le gouvernement doit maintenant proposer une loi de mise en œuvre pour nous aider à obtenir les droits inscrits à l’article 35, tout en veillant à ce que nos droits inhérents, nos droits d’exploitation, nos droits issus de traités et nos droits de la personne soient protégés.

C’est la même chose pour nos droits internationaux en tant que peuples autochtones. Nous voulons nous assurer que la DNUDPA est applicable au Canada. C’est ce que nous ne cessons de répéter. Si elle ne peut pas être appliquée pour régir la façon dont votre peuple traite les Autochtones, il est difficile d’appuyer le projet de loi. Voilà ce que j’ai à dire.

Je ne suis pas contre ce que vous essayez de faire. Je pense que c’est admirable. C’est un bon début, mais nous devons aller plus loin. De nombreuses provinces se sont présentées à la table où le premier ministre et les ministres ont déclaré qu’ils allaient faire certaines choses avec notre nation, mais ils n’ont pas donné suite à cette promesse à cause de la bureaucratie qui les en empêche. Nous voulons que les lois les obligent à faire ce qu’on leur dit de faire, c’est-à-dire protéger nos droits, mais aussi établir de bonnes relations de travail avec notre peuple tout en respectant nos droits autochtones.

Je n’essaie pas d’opposer mon veto à quoi que ce soit. Pas du tout. J’essaie de dire que c’est la bonne chose à faire. Si vous voulez bien faire les choses, aussi bien aller jusqu’au bout. Ne faites pas la moitié du chemin. Merci.

Le président : Merci. Chef Montour?

M. Montour : Merci. Avant de commencer, sénateur Patterson, je vous offre mes condoléances, encore une fois, pour la perte de votre ami.

Le sénateur Patterson : Merci.

M. Montour : Vous posez une question importante, qui a déjà été posée et à laquelle on a répondu, dois-je dire, en ce qui concerne la position du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke et mon travail avec l’APNQL, certaines des Premières Nations du Québec et du Labrador. Nous avons écouté un certain nombre de personnes qui ont travaillé à la rédaction du projet de loi, et j’ai écouté quelques-unes d’entre elles parler devant le comité. Trop souvent, en ce qui concerne nos préoccupations légitimes au sujet des lacunes perçues dans le projet de loi — nous en avons cité deux très importantes ici aujourd’hui —, on veut nous faire croire que nous ne comprenons tout simplement pas.

Écoutez, vous voyez ce document? C’est ma copie personnelle de la déclaration des Nations unies. Je suis passionnément en faveur de ce document, et seulement en faveur d’un projet de loi qui commencera à le refléter fidèlement. Je ne vois pas cela dans le projet de loi C-15 dans sa forme actuelle.

Le président : Merci, chef. Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je remercie nos témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Je tiens à remercier le grand chef Kyikavichik, le chef Montour, M. Walsh, le chef Peigan et le chef Monias.

Nous commencerons notre étude préalable du projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures. Aujourd’hui, nous examinerons plus précisément les sections 10 et 31 de la partie 4 du projet de loi.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Garima Dwivedi, directrice générale, Résolutions et partenariats, Leanne Walsh, directrice, Politique fiscale et préparation à l’investissement, et Jeffrey Clark, conseiller juridique.

Nos témoins de Services aux Autochtones Canada sont Christopher Duschenes, directeur général, Direction générale de l’élaboration des politiques économiques, Terres et développement économique; Yves Denoncourt, directeur, Direction des opérations de la gouvernance, Terres et développement économique; et Karl Jacques, avocat-conseil, Opérations et programmes (SJM), Services juridiques de RCAANC/SAC.

De l’Administration financière des Premières nations, nous accueillons Ernie Daniels, président-directeur général, et Steve Berna, chef de l’exploitation.

De la Première Nation Acho Dene Koe, nous accueillons Gene Hope, chef, et Me Madeleine Mackenzie, avocate, Power Law.

Mme Dwivedi, M. Duschenes, M. Daniels et, je l’espère, le chef Hope et Me Mackenzie, qui partageront leur temps de parole, feront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes, suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs d’environ trois minutes par sénateur.

Si des sénateurs ont une question, ils doivent utiliser la fonction « lever la main » de Zoom afin de signaler leur intention à la greffière. Ce sera pris en compte dans le clavardage de Zoom.

Veuillez noter que les membres du comité APPA auront la priorité pour poser des questions. Toute réponse écrite aux questions doit être soumise à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’informera, en tant que président, par message texte, lorsqu’il restera 10 secondes de temps de parole pour les déclarations liminaires des témoins et les questions des sénateurs. Je ferai un compte à rebours de 10 secondes avec les doigts de mes deux mains. Et lorsque j’aurai atteint zéro, je vous signalerai que le temps alloué est écoulé.

Je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Dwivedi, qui va commencer sa déclaration préliminaire.

Garima Dwivedi, directrice générale, Résolutions et partenariats, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Merci beaucoup. Bonjour, monsieur le président. Je suis accompagnée aujourd’hui de mes collègues Leanne Walsh et Jeffrey Clark.

Je me joins à vous depuis le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinaabe.

J’ai le plaisir d’être ici aujourd’hui pour vous parler de la modification proposée à la Loi sur la gestion financière des premières nations qui, si elle est adoptée, élargirait les types de revenus que les Premières Nations peuvent utiliser pour financer des emprunts auprès de l’Administration financière des premières nations, ou AFPN.

Depuis 2006, la Loi sur la gestion financière des premières nations a permis aux Premières Nations d’exercer volontairement leur compétence sur des questions financières comme la gestion financière, l’impôt foncier et la production locale de revenus.

La loi donne également aux Premières Nations l’accès à du financement à long terme à des taux préférentiels grâce à l’émission d’obligations sur les marchés financiers, ce qui leur permet de tirer parti de leurs propres sources de revenus pour accéder à des capitaux pour l’infrastructure et pour le développement économique. Cela leur a permis de lever plus de 1,3 milliard de dollars.

La Loi sur la gestion financière des premières nations est administrée sous la direction des Premières Nations, et plus de 300 Premières Nations au Canada bénéficient des services financiers offerts par les trois institutions dirigées par les Premières Nations du régime, soit l’Administration financière des Premières nations, le Conseil de gestion financière des Premières Nations et la Commission de la fiscalité des Premières nations.

Je crois savoir que vous entendrez aujourd’hui M. Ernie Daniels, président-directeur général de l’Administration financière des Premières nations, et M. Steve Berna, administrateur en chef des opérations.

Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada travaille de façon continue avec ces trois principales institutions des Premières Nations partenaires afin d’améliorer continuellement la loi. Ces institutions collaborent aussi beaucoup avec les Premières Nations signataires qui ont adhéré à la Loi sur la gestion financière des premières nations.

L’amendement proposé est une modification que les institutions de la Loi sur la gestion financière des premières nations et leurs membres réclament depuis un certain temps déjà. À l’heure actuelle, les Premières Nations ne peuvent pas utiliser la taxe sur les produits et services des Premières Nations ou la taxe de vente des Premières Nations comme source de revenus pour les emprunts mis en commun qui sont faits par l’entremise de l’Administration financière des Premières nations, parce que l’article 67 de la Loi sur la gestion des finances publiques interdit la cession des dettes de la Couronne. On a considéré que le fait d’emprunter des revenus de la taxe sur les produits et services des Premières Nations et de la taxe de vente des Premières Nations constituerait probablement une cession de créances sur Sa Majesté. L’amendement proposé éliminerait cet obstacle.

Le libellé de cette nouvelle disposition, y compris le paragraphe indiquant qu’elle n’est pas contraignante pour la Couronne, est conforme aux dispositions semblables d’autres lois fédérales qui prévoient des exceptions à l’article 67 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Si cet amendement est adopté, le règlement connexe sur le financement garanti par d’autres recettes sera également modifié. Ce changement proposé éliminerait l’obstacle auquel les Premières Nations sont confrontées et leur permettrait d’utiliser, si elles le souhaitent, la taxe sur les produits et services des Premières Nations ou la taxe de vente des Premières Nations comme source de revenus pour obtenir un financement à long terme par l’entremise de l’Administration financière des Premières nations. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Dwivedi. Je vais demander à M. Duschenes de faire sa déclaration préliminaire.

Christopher Duschenes, directeur général, Direction de l’élaboration des politiques économiques, Terres et développement économique, Services aux Autochtones Canada : Bonjour. C’est pour moi un plaisir de me joindre à vous. Comme Mme Dwivedi l’a dit, je parle également du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine. Je suis accompagné de M. Yves Denoncourt, directeur intérimaire des opérations de gouvernance, et de Me Karl Jacques, avocat-conseil, Opérations et programmes, Services juridiques.

Nous sommes heureux d’avoir l’occasion d’expliquer la mesure visant à valider rétroactivement le Règlement concernant l’annulation ou le report d’élections au sein de Premières Nations (prévention des maladies), qui a été inclus dans la loi d’exécution du budget, et de répondre à vos questions.

En mars 2020, au début de la pandémie de COVID, de nombreux conseils de bande régis par la Loi sur les Indiens et la Loi sur les élections au sein de premières nations ont été confrontés à un dilemme : soit tenir des élections dans leur communauté pendant la pandémie, malgré les conseils judicieux des experts en santé publique pour éviter les rassemblements et les interactions sociales qui pourraient contribuer à la propagation de la COVID-19, ou attendre que leur mandat expire et laisser leurs communautés sans leadership, créant ainsi une lacune de gouvernance.

Ni la Loi sur les Indiens ni la Loi sur les élections au sein de premières nations n’ont de dispositions permettant aux chefs et aux conseillers de prolonger leur mandat. En réponse aux préoccupations de santé publique des Premières Nations au sujet de la pandémie, le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre des Services aux Autochtones, a pris le Règlement concernant l’annulation ou le report d’élections au sein de Premières Nations (prévention des maladies), qui est entré en vigueur le 8 avril 2020. Le règlement permet à tous les chefs et conseils des Premières Nations, y compris les chefs des bandes qui tiennent des élections en vertu d’un code électoral coutumier, de prolonger jusqu’à six mois la durée des mandats des chefs et des conseillers élus qui arrivent à échéance, et il permet une deuxième prolongation d’une durée maximum de six mois.

La décision de reporter une élection relève des chefs et des conseils et doit être prise par la Première Nation au moyen d’une résolution du conseil de la bande présentée au ministre des Services aux Autochtones.

Le règlement a été adopté avec une disposition prévoyant son abrogation le 8 avril 2021. Le 1er avril 2021, la Cour fédérale a conclu que l’article 4 du règlement, qui permet expressément aux chefs et aux conseillers des bandes de tenir des élections en vertu de leur propre code électoral coutumier de prolonger leur mandat, était ultra vires et invalide.

Comme le président l’a mentionné plus tôt, le gouvernement du Canada interjette appel de la décision du tribunal. En date du 8 avril 2021, le règlement a été prolongé pour une période de six mois, avec une disposition prévoyant son abrogation le 8 octobre 2021.

La section 31 de la loi d’exécution du budget vise à valider rétroactivement le règlement afin de s’assurer que les mesures prises par les conseils pendant la période de report étaient et demeurent valides. Les mesures de report donneront un fondement juridique au règlement et remédieront à la décision rendue le 1er avril 2021 par la Cour d’appel fédérale d’invalider l’article 4.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Duschenes.

J’invite M. Daniels à faire sa déclaration préliminaire.

Ernie Daniels, président-directeur général, Administration financière des Premières nations : Bonjour. Je vous appelle de la Première Nation de Westbank, ici dans la belle vallée de l’Okanagan, avec mon collègue Steve Berna.

Au nom de l’Administration financière des Premières nations, je tiens à remercier les membres du comité de me donner l’occasion de parler du projet de loi C-30. Comme vous le savez, l’Administration financière des Premières nations, ou AFPN, est une société indépendante, sans but lucratif, dirigée par les Premières Nations. Elle donne aux Premières Nations un accès à des capitaux en mettant en commun leur pouvoir d’emprunt et en émettant sur les marchés financiers des obligations qui sont garanties par leurs propres sources de revenus. Elle prête ensuite les capitaux générés par ces débentures aux mêmes Premières Nations à des taux inférieurs et avec des modalités de remboursement plus longues que ce qu’elles pourraient obtenir par l’entremise des banques.

L’AFPN agit à titre d’organisme central d’emprunt pour les 121 Premières Nations qui ont satisfait aux normes strictes de gestion financière et de comptabilité exigées en vertu de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations pour pouvoir devenir membres emprunteurs. Les revenus des emprunteurs garantissent les débentures et leur permettent d’assurer le service des prêts reçus de l’AFPN. Afin d’assurer une gestion prudente et de rehausser la confiance des investisseurs, l’AFPN fait preuve d’une diligence raisonnable très approfondie avant qu’une Première Nation puisse devenir un membre emprunteur et procède à des examens internes annuels de sa solidité financière et de ses résultats.

À ce jour, l’AFPN a recueilli près de 1,5 milliard de dollars au nom des membres des Premières Nations, et nous prévoyons dépasser le seuil de 2 milliards de dollars cette année.

Pour mettre les choses en contexte, cependant, on estime que l’écart en matière d’infrastructure entre les Premières Nations et les autres collectivités du Canada est d’au moins 30 milliards de dollars. Autrement dit, il faudrait un investissement immédiat de 30 milliards de dollars pour que l’infrastructure des Premières Nations atteigne le niveau moyen dont jouissent les autres collectivités.

Il est également important de noter que, comme les sources de revenus que les Premières Nations peuvent utiliser pour recueillir des fonds par l’entremise de l’AFPN sont limitées par la loi et la réglementation, nous constatons que les Premières Nations ont presque atteint leur plafond d’emprunt. Cela signifie que, sans changement de politique ou d’approche de la part du Canada, ces communautés devront compter sur le modèle traditionnel de financement au fur et à mesure utilisé pour les infrastructures des Premières Nations, ce qui signifie qu’elles seront encore plus en retard par rapport aux autres collectivités canadiennes.

Le budget fédéral présenté le 19 avril contenait un certain nombre d’engagements généraux et annonçait l’octroi de nouveaux fonds relativement à l’infrastructure des Premières Nations et des autres communautés autochtones. Ce qui est particulièrement intéressant, et c’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, c’est que le budget annonçait l’intention du gouvernement de modifier les lois et les règlements afin d’élargir les types de revenus que les Premières Nations peuvent utiliser pour garantir des emprunts auprès de l’Administration financière des Premières nations, plus précisément, pour inclure les recettes de la taxe sur les produits et services des Premières Nations et de la taxe de vente des Premières Nations.

Pour les Premières Nations qui ont des ententes avec le Canada concernant la TPS ou la taxe de vente des Premières Nations, cela signifierait une augmentation du plafond de leurs emprunts par l’entremise de l’AFPN. Bien que nous n’ayons pas de chiffres exacts à vous donner, cela permettrait à l’AFPN de lever des fonds sur les marchés financiers qui pourraient être utilisés pour financer des projets d’infrastructure et de développement économique dont on a grand besoin aujourd’hui.

La section 10 du projet de loi C-30 vise à mettre en œuvre l’engagement pris dans le budget à l’égard de la TPS et de la taxe de vente des Premières Nations. Je ne lirai pas l’article pertinent, mais il s’agit de l’article 193 du projet de loi C-30.

L’AFPN est très en faveur de cette mesure. En effet, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les fonctionnaires du ministère des Finances pour élaborer le libellé du projet de loi C-30. Nous apprécions beaucoup la réponse positive du ministère à nos recommandations, ses efforts de collaboration avec nous et l’inclusion de cette mesure dans le budget et le projet de loi C-30.

Le libellé actuel est assez souple pour permettre l’inclusion future d’autres types de revenus. Le budget propose de donner plus de latitude aux Premières Nations pour mettre en œuvre des taxes sur leurs propres terres pour des biens comme le carburant, l’alcool, le tabac et le cannabis. Si les Premières Nations le font, il est logique que ces revenus soient également admissibles pour l’obtention du financement de l’AFPN.

Dans notre mémoire, nous soulignons la nécessité de mettre à jour le règlement sur le financement garanti par d’autres recettes afin d’assurer la cohérence entre ce règlement et le nouveau libellé de la loi. Nous sommes certains que les fonctionnaires du ministère des Finances ont déjà pris cela en considération. Nous le mentionnons simplement pour nous en assurer.

L’AFPN appuie ce que le gouvernement essaie d’accomplir avec cette mesure. Il s’agit d’une reconnaissance positive du fait que, lorsqu’elles disposent des outils appropriés, les Premières Nations sont habilitées à élaborer et à mettre en œuvre leurs propres solutions aux défis auxquels elles font face.

L’annonce, dans le budget, de nouveaux fonds importants pour les infrastructures autochtones est également bienvenue. Toutefois, aussi importants que puissent paraître les chiffres, ils s’échelonnent sur plusieurs années, et nous craignons qu’en utilisant une approche traditionnelle de financement au fur et à mesure, l’engagement financier du gouvernement fédéral n’ait pas un impact aussi important que celui qu’on pourrait obtenir par d’autres approches.

Pour catalyser et accélérer le développement des infrastructures, l’AFPN a proposé un système de monétisation dans le cadre duquel les futurs fonds fédéraux pour les infrastructures — qu’il s’agisse de fonds existants ou d’un nouveau volet dédié — seraient engagés de façon à permettre à l’AFPN de lever la valeur actualisée nette sur les marchés financiers et de mettre beaucoup plus de fonds à la disposition des communautés à court terme.

Nous avons remis aux membres du comité une note d’information sur la monétisation, et j’ai déjà eu le plaisir de rencontrer certains d’entre vous.

Bien qu’elle dépasse la portée du projet de loi C-30, et qu’elle n’ait pas été mentionnée dans le budget lui-même, la titrisation de nouvelles sources de revenus est en soi une forme de monétisation, quoiqu’à une échelle plus petite qu’idéale. L’AFPN serait heureuse d’avoir l’occasion d’avoir des discussions approfondies avec les membres du comité au sujet de la monétisation afin que nous puissions cerner et examiner les risques et les objections possibles, et peut-être travailler à un projet pilote démontrant l’impact qu’une nouvelle approche du gouvernement fédéral pourrait avoir. Merci.

Le président : Merci, monsieur Daniels.

Honorables sénateurs, malheureusement, le chef Gene Hope n’est pas en mesure de communiquer avec nous en raison de problèmes techniques, mais nous avons la chance d’avoir parmi nous Me Madelaine Mackenzie, avocate chez Power Law, qui parlera au nom de la Première Nation Acho Dene Koe.

Maître Mackenzie, veuillez faire votre déclaration préliminaire.

Me Madelaine Mackenzie, avocate, Power Law, Première Nation Acho Dene Koe : Bonjour, honorables sénateurs, et merci de m’accueillir aujourd’hui. Je me joins à vous depuis le territoire de la nation Squamish pour parler de la section 31 du projet de loi C-30.

La Première Nation Acho Dene Koe représente les descendants des Dénés de Fort Liard. La communauté est située à Fort Liard, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Les élections d’Acho Dene Koe ont toujours été régies par la coutume. Acho Dene Koe devait élire son chef et son conseil en juin 2020. Après que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a déclaré l’état d’urgence en raison de la COVID-19, en mars 2020, le gouvernement fédéral a communiqué avec Acho Dene Koe au sujet du Règlement concernant l’annulation ou le report d’élections au sein de Premières Nations. Acho Dene Koe a été informée par le gouvernement fédéral que le Canada reconnaissait les risques pour la santé publique associés à la tenue d’élections pendant une pandémie et recommandait de ne pas tenir d’élections.

Le chef et le conseil s’inquiétaient à l’idée de tenir des élections pendant la pandémie. Fort Liard est une communauté éloignée, et les services de santé y sont limités. Par exemple, il n’y a pas de médecin permanent dans la communauté. De nombreuses familles vivent également avec plusieurs générations dans un même logement.

Le chef et le conseil craignaient qu’une éclosion dans la communauté ne se propage rapidement et ne touche de nombreuses personnes, notamment les aînés. En avril 2020, le chef et le conseil ont examiné les possibilités de reporter les prochaines élections afin de protéger la sécurité de leur communauté. Rien dans le code électoral coutumier ne permet au chef et au conseil de reporter des élections en raison d’une urgence sanitaire. Il y a eu par le passé des cas où le chef et le conseil ont différé des élections dans des circonstances exceptionnelles, et le chef et le conseil croyaient qu’une pratique coutumière non écrite semblait appuyer le report des élections. Toutefois, le chef et le conseil étaient également d’avis que le règlement leur permettait de reporter les élections si la coutume ne suffisait pas.

En septembre 2020, on s’inquiétait encore de la tenue d’élections pendant la pandémie de COVID-19, et le chef et le conseil ont reporté les élections une deuxième fois. Par la suite, un membre de la communauté a introduit un recours devant la Cour fédérale en alléguant qu’ils n’avaient pas le pouvoir de reporter les élections.

J’aimerais vous tracer le contexte juridique. Il y a essentiellement trois types de Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens, soit celles qui tiennent des élections en vertu de la Loi sur les Indiens, celles qui ont déjà tenu leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens, mais qui sont revenues à un processus coutumier, et celles dont les élections ont toujours été régies par la coutume. Pour les Premières Nations des deux dernières catégories, la Loi sur les Indiens ne s’applique pas à leurs élections. Comme je l’ai mentionné, la Première Nation Acho Dene Koe entre dans cette troisième catégorie. Ses élections n’ont jamais été régies par la Loi sur les Indiens.

Dans le but de permettre aux Premières Nations d’empêcher la propagation de la COVID-19 dans leurs communautés, le règlement créé en avril dernier en vertu de l’alinéa 73(1)f) de la Loi sur les Indiens visait à permettre aux Premières Nations de reporter des élections sans risquer de créer une lacune en matière de gouvernance. Cependant, dans la décision qu’elle a rendue le 1er avril dernier, la Cour fédérale a conclu que le règlement ne relevait pas de la Loi sur les Indiens dans la mesure où il s’appliquait aux Premières Nations qui tenaient des élections selon la coutume.

Le simple fait que la Loi sur les Indiens ne régit pas les élections coutumières est au cœur de l’analyse de la cour. Elle reconnaît le droit coutumier électoral, mais les Premières Nations sont habilitées à adopter ces lois ou à les respecter en vertu de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

Je signale que notre analyse de la disposition qui figure dans la section 31 du projet de loi C-30 est préliminaire. Toutefois, à première vue, cette disposition ne semble pas répondre aux questions soulevées dans la récente décision de la Cour fédérale. Plus précisément, elle ne semble pas s’appuyer sur autre chose que le règlement pour réglementer les élections coutumières des Premières Nations.

Acho Dene Koe se réjouit que le Parlement reconnaisse que tous les gouvernements, y compris les gouvernements autochtones, devraient avoir la souplesse nécessaire pour répondre à la pandémie de COVID-19 afin de protéger la sécurité de leurs collectivités. Les collectivités des Premières Nations font, effectivement, face à des risques accrus associés à la COVID-19.

Le litige concernant le règlement a créé beaucoup d’incertitude dans la communauté Acho Dene Koe. Il y avait un risque que le chef et le conseil soient destitués rétroactivement, ce qui aurait pu annuler toutes les mesures qu’ils avaient prises au cours de cette période d’un an. Bien que la Cour fédérale n’ait finalement pas accordé ce recours, d’autres Premières Nations qui se sont fondées sur le règlement ou qui s’appuieront sur le règlement pourraient faire face à des contestations semblables.

Acho Dene Koe a également engagé des frais juridiques importants pour justifier sa décision de reporter les élections, y compris pour défendre la validité du règlement.

Il est important que la disposition du projet de loi C-30 permette aux Premières Nations qui tiennent des élections selon la coutume de reporter des élections en raison de la COVID-19 afin d’éviter ces mêmes incertitudes. Acho Dene Koe exhorte les membres du comité sénatorial à veiller à ce que le mécanisme adopté pour protéger les communautés des Premières Nations tienne compte de la décision de la Cour fédérale.

En particulier, il est important de veiller à ce que le mécanisme adopté prenne en considération la diversité des régimes électoraux des Premières Nations et tienne compte du fait que de nombreuses Premières Nations, comme Acho Dene Koe, procèdent à leurs élections selon la coutume, sans ingérence du gouvernement fédéral. Ces Premières Nations devraient avoir des assises aussi solides pour protéger la sécurité de la communauté que les Premières Nations relevant de la Loi sur les Indiens. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je voudrais maintenant que nous passions aux questions.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos témoins. Nous sommes heureux de vous revoir, monsieur Daniels. J’ai une question pour vous. Je comprends que vous êtes en faveur de cet aspect du projet de loi.

Pourriez-vous décrire aux membres de notre comité les répercussions réelles de cet élargissement sur les communautés des Premières Nations? Nous avons eu un aperçu de la vue d’ensemble, alors peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’ensemble de la situation et le potentiel, et nous donner quelques exemples de ce que les communautés attendent actuellement de financer, de ce qu’elles n’ont pas pu faire en raison d’un manque de ressources. Pourriez-vous nous fournir davantage de détails? Merci.

M. Daniels : Je vous remercie de cette question. Comme vous le savez, les Premières Nations n’ont pas eu la possibilité de tirer parti des revenus générés par la taxe sur les produits et services lorsqu’elles ont conclu des ententes avec Finances Canada.

Je vais vous donner l’exemple d’une Première Nation avec laquelle nous avons fait affaire, il y a quelques années, en Colombie-Britannique. Elle construisait un centre multiplexe qui offrait différents services communautaires, dont un bureau de bande, un centre récréatif et un centre de santé. Elle a pu utiliser une partie de ses revenus pour financer la construction. Elle aurait aimé utiliser ses recettes de la taxe sur les produits et services, mais elle n’a pas été autorisée à le faire. Au lieu de cela, elle a dû recourir à des sources de financement traditionnelles qui ne lui ont pas permis d’obtenir le montant d’argent dont elle avait besoin. Il lui a été assez difficile de mener à bien son projet, dans les délais voulus.

Nous savons qu’il y a actuellement 60 Premières Nations au Canada qui ont conclu des ententes relatives à la taxe sur les produits et services avec Finances Canada. Cela pourrait entraîner une augmentation de la demande. Ce sera positif parce que, comme je l’ai mentionné, nos communautés ont un déficit d’infrastructure assez important et il faudra plus que ce type de revenu pour combler l’écart, avec les autres sources de revenus dont nous avons besoin.

Nous avons remarqué que la plupart des Premières Nations qui empruntent auprès de nous font trois ou quatre choses.

La première consiste à construire des infrastructures. Elles ont besoin d’infrastructures. Des communautés ont même construit leurs propres écoles. Elles ne pouvaient pas attendre le financement prévu par les mécanismes actuels.

D’autres Premières Nations investissent dans le développement économique afin de générer des revenus supplémentaires qui leur permettent de payer pour d’autres services au sein de la communauté.

D’autres Premières Nations choisissent d’acheter des terres, d’élargir leur assise territoriale, pour pouvoir se lancer dans le développement économique, et construire des logements et d’autres choses dont elles ont besoin.

Je vais céder la parole à mon collègue, Steve Berna, pour qu’il complète ma réponse.

Steve Berna, directeur des opérations, Administration financière des Premières nations : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

J’ai examiné quelques chiffres, et je vais vous donner deux exemples. Il y a d’abord la communauté dont M. Daniels a parlé, qui est une communauté urbaine. Le deuxième exemple est une communauté en dehors d’une zone urbaine, mais située quand même le long d’une autoroute, de sorte qu’il y a de la circulation. Elle n’est pas isolée.

La loi sur l’AFPN nous permet d’accorder des prêts jusqu’à 30 ans. Comme chacun d’entre vous s’est probablement servi de son chèque de paie pour obtenir des prêts-autos ou des prêts hypothécaires, la Loi d’exécution du budget permettra de tirer parti de ces nouvelles sources de revenus pour obtenir des prêts sur une période allant jusqu’à 30 ans. Cela signifie que chaque dollar gagné par les communautés des Premières Nations au titre de la TPS ou de la taxe de vente sera multiplié par 18.

La communauté dont M. Daniels a parlé a perçu 1,731 million de dollars en TPS. Cela lui aurait permis d’obtenir un prêt de 30 millions de dollars, si elle en avait eu la possibilité, pour répondre à ses priorités très concrètes. Nous n’avons pas pu le faire pendant un certain nombre d’années, mais nous pourrions le faire aujourd’hui.

La deuxième communauté, qui se trouve à l’extérieur d’une région urbaine, a des recettes beaucoup moins importantes. La TPS lui rapporte 137 000 $. Comme elle n’est pas dans une région urbaine, il y a moins d’acheteurs. Ce montant lui donnerait droit à un prêt de 2,466 millions de dollars. Lorsque les communautés ont des priorités, chaque dollar compte, et le fait de pouvoir multiplier par 18 toute nouvelle source de revenus est important et aura une incidence importante sur leurs priorités à l’avenir.

C’est très bien accueilli. Il est à espérer que de nouvelles sources de revenus seront créées. Vous pouvez voir les conséquences d’un financement avec l’argent disponible. Cela retarde les choses. Emprunter 18 fois vos revenus, c’est rattraper le temps perdu. Merci.

Le sénateur Tannas : Ma question s’adresse à M. Daniels. D’après ce que je comprends, cela tient compte de la TPS, de la taxe de vente et de l’impôt foncier, n’est-ce pas?

M. Daniels : Oui, c’est exact. L’impôt foncier est déjà prévu dans la loi actuelle.

Le sénateur Tannas : Y a-t-il autre chose qui, selon vous, pourrait être inclus dans le libellé qui est ici? Je vais peut-être m’arrêter là. Y a-t-il autre chose, actuellement ou que vous pouvez imaginer, à part la taxe de vente et la TPS?

M. Daniels : Oui. Nous croyons que tout financement d’infrastructure pourrait être utilisé à l’avenir. Cela veut dire que l’argent doit être disponible pendant un certain nombre d’années, comme dans le cas d’une hypothèque sur une maison. Nous croyons que le libellé est suffisamment souple pour permettre ce type de revenu. Il pourrait s’agir d’une source existante ou d’une nouvelle source. À l’heure actuelle, je crois que le budget d’infrastructure de Services aux Autochtones Canada est d’un peu plus de 2 milliards de dollars. En multipliant une partie de cette somme par 18, on fera beaucoup. Avec un milliard de dollars, par exemple, nous pouvons générer 18 milliards de dollars, ce qui comblera l’écart que nous devons combler. C’est, je pense, ce que nous devons faire.

Le sénateur Tannas : Cela signifie-t-il que vous obtiendriez une assurance équivalente du gouvernement? Si je comprends bien ce que vous dites, si une communauté obtient un engagement de 1 million de dollars cette année pour des dépenses en capital — pour le logement, peu importe —, l’année où vous émettez l’obligation, vous direz : « Nous avons obtenu un million cette année. Supposons que nous recevrons un million l’an prochain, l’année d’après, et au cours des 30 prochaines années. »

D’après ce que j’ai appris lors d’autres réunions concernant les Autochtones auxquelles j’ai assisté au fil des ans, l’un des principaux problèmes était qu’il n’était pas possible d’obtenir des accords financiers stables à long terme. Est-ce que cela a changé?

M. Daniels : Non, cela n’a pas changé. Je me souviens vous avoir parlé il y a quelques années, et cela n’a pas changé.

Le sénateur Tannas : Le programme a été un succès, cela ne fait aucun doute, mais introduisons-nous un nouveau niveau de risque pour les communautés si elles disent : « Eh bien, comme j’ai obtenu un million cette année, je peux emprunter 18 millions de dollars cette année, mais je n’ai aucune garantie que j’aurai un million l’an prochain, ou l’année d’après, pendant 30 ans »? Y a-t-il un élément de risque qui vous préoccupe ou ai-je mal compris quelque chose?

M. Daniels : Il y a certainement un élément de risque si le financement ne dépasse pas un an. C’est ce que nous appelons le système de financement au fur et à mesure.

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Daniels : De toute évidence, cela ne fonctionne pas, sinon nous n’aurions pas un si grand déficit d’infrastructure.

Le sénateur Tannas : Exactement.

M. Daniels : Il faut un mécanisme ou un engagement pour assurer un flux de 1 million de dollars pour les prochaines années, pendant plus de 10 ans, pour que cela en vaille la peine. C’est ce que nous recherchons. En fait, nous sommes en train de voir si nous pouvons lancer un projet pilote pour mettre à l’essai les processus et leur fonctionnement.

Je vais demander à M. Berna de vous en dire plus, parce que nous avons eu des discussions avec un certain nombre de ministères au cours des dernières années.

M. Berna : Sénateur, il n’y a rien de mal à financer les projets au fur et à mesure si l’argent dans votre tirelire croît au rythme de l’inflation ou plus rapidement. Le problème survient lorsque le coût des projets commence à dépasser le montant que vous mettez chaque année dans votre tirelire, et c’est ce qui se passe. Tout le monde a vu ce qui s’est passé avec le prix des maisons. C’est la même chose pour les coûts de construction; ils augmentent.

Nous avons présenté un plan en quatre parties. Dans la partie 1, les Premières Nations soumettraient au Canada leurs priorités communautaires. Dans la partie 2, le Canada examinerait ces priorités et déterminerait lesquelles s’inscrivent dans le mandat du gouvernement en matière de financement. Dans la partie 3, l’AFPN empruntera de l’argent sur les marchés financiers pour financer ces projets, et notre coût actuel est d’environ un dixième de 1 % supérieur à celui de la province de l’Ontario, de sorte que les taux sont très concurrentiels. Dans la partie 4, le Canada, les Premières Nations et l’AFPN concluent une entente selon laquelle le Canada financera les frais de service de prêt pour une période déterminée.

Le sénateur Tannas : Excellent. D’accord. Cela répond à ma question. Mais vous dites espérer lancer un projet pilote. Cela permettrait de faire face à la réalité, n’est-ce pas? D’après ce que je comprends, vous n’avez pas ce projet en ce moment, mais vous créez l’environnement en prévision et dans l’espoir que nous obtiendrons enfin le genre de financement annuel à long terme qui permettrait un effet de levier. Il y a un peu de perspectives d’avenir, en plus des promesses que vous ne pouviez pas faire auparavant, n’est-ce pas?

M. Daniels : C’est juste. C’est exact.

M. Berna : L’un des principaux avantages est que l’AFPN n’est pas régie par une loi fédérale, mais par le droit des contrats avec les membres des Premières Nations qui y adhèrent volontairement. Ce droit contractuel comporte des obligations en matière d’entretien, de sorte que la durée de vie utile d’un actif demeurera la même pendant toute sa durée de vie utile prévue. Cela signifie que le Canada financera l’actif maintenant, mais ne le remplacera pas tant que sa durée de vie utile ne sera pas terminée, et je pense que cela convient à toutes les parties.

Le sénateur Tannas : Oui. Merci beaucoup, messieurs.

Le président : Merci beaucoup. Je souhaite la bienvenue au chef Gene Hope de la Première Nation Acho Dene Koe. Merci de vous joindre à nous.

Le sénateur Patterson : J’ai le plus grand respect pour l’AFPN et je suis très heureux de vous revoir devant notre comité.

Par le passé, nous avons appuyé les amendements que vous avez recommandés pour renforcer vos pouvoirs, et je m’attends à ce que nous le fassions de nouveau. C’est vraiment impressionnant que vous ayez certifié 121 Premières Nations pour respecter vos normes comptables rigoureuses, mais j’ai quelques questions concernant l’avenir.

Vous avez répondu à une question sur les progrès relatifs à la loi et sur la modification de la loi pour permettre la monétisation de sources stables de revenus des gouvernements. Les taxes de vente, l’impôt foncier et les revenus des Premières Nations ne sont qu’une des sources de revenus dont il est question aujourd’hui, et vous avez dit que vous aimeriez demander à notre comité d’appuyer cela. J’imagine que ce ne sera pas difficile. Nous en discutons avec vous depuis quelques années. Recevez-vous une oreille attentive de la part des fonctionnaires et du ministre?

J’aurai une autre brève question complémentaire. Merci.

M. Daniels : C’est vraiment un plaisir de vous parler à nouveau, sénateur Patterson.

Nous recevons une oreille attentive. Nous avons entendu dire que c’était appuyé à tous les niveaux, mais on nous répond toujours qu’il n’y a pas de source de financement. La volonté est là, mais on a besoin de moyens pour la concrétiser. Le moyen, c’est cette source de financement.

Le sénateur Patterson : Cela m’amène à ma prochaine question. Vous avez mentionné le Fonds d’infrastructure aux communautés autochtones qui figure dans le budget de 2021 et qui représente des milliards de dollars, bien que répartis sur plusieurs années, comme vous l’avez dit. J’essaie de savoir comment ce fonds fonctionnera. Comment présentez-vous une demande? Quels sont les critères? Je n’obtiens pas de réponses claires, pas plus que les communautés autochtones, si j’ai bien compris.

Voici une nouvelle source de financement. Pensez-vous que le Fonds d’infrastructure aux communautés autochtones annoncé dans le budget pourrait être mis à la disposition des Premières Nations certifiées, par l’entremise de l’AFPN, afin de tirer parti de ces fonds pour emprunter encore plus d’argent? Est-ce que c’est une source possible pour réduire l’énorme déficit d’infrastructure que vous avez décrit?

M. Daniels : Comme vous, je ne connais pas beaucoup de détails sur la façon dont le financement sera déployé, mais pour que notre modèle fonctionne, le modèle proposé pour monétiser les crédits annuels, si vous voulez, nous devons le faire sur une plus longue période que ce qui est prévu dans le budget. Cela ne fonctionnera pas si c’est moins de cinq ans. Ce serait très difficile. Tout est possible sur une période de cinq ans, mais je suis comptable, tout comme M. Berna, et nous essayons d’économiser de l’argent à long terme pour le Canada, d’en tirer parti sur une période prolongée d’au moins 20 à 30 ans. Nous pensons que c’est ce qui serait approprié compte tenu de la façon habituelle dont les infrastructures sont financées par les autres ordres de gouvernement avec le secteur privé.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. Bonne chance. Je suis d’accord avec vous sur ce point.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins. Ma question s’adresse au gouvernement. Dans la foulée de la COVID-19, les défis sociaux et économiques auxquels font face les communautés autochtones dans les réserves et hors réserve nécessitent une attention législative, ce qui, je crois, fait partie de ce que le projet de loi C-30 tente de régler. Je suis curieuse de savoir comment ces modifications à la LGFPN aideront à éradiquer la pauvreté et les problèmes sociaux dans les communautés autochtones et, plus précisément, comment le projet de loi C-30 peut servir d’instrument pour combler les écarts socioéconomiques qui touchent les Premières Nations et les peuples autochtones dans tous les contextes, et si d’autres textes législatifs et amendements sont envisagés.

Mme Dwivedi : Merci beaucoup, sénatrice. En ce qui concerne la question que vous avez posée au sujet des répercussions de la COVID sur les défis socioéconomiques, la partie de la section 10 qui porte sur l’accès des Premières Nations à la TPS et à la taxe de vente comme sources de revenus pour leurs immobilisations, cela aura une incidence sur le développement économique.

Pour ce qui est des exemples donnés par M. Daniels et M. Berna, c’est la même chose pour les impacts sociaux.

Il y a d’autres éléments dans le projet de loi, mais je ne peux pas parler de tous les autres.

La sénatrice Pate : Y a-t-il d’autres commentaires? Peut-être quelqu’un de l’extérieur du gouvernement?

Leanne Walsh, directrice, Politique fiscale et préparation à l’investissement, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Je pourrais ajouter quelque chose à ce que Mme Dwivedi a dit. Nous travaillons continuellement avec les institutions financières pour mettre à jour la Loi sur la gestion financière des premières nations et les règlements connexes, de sorte qu’il pourrait y avoir d’autres progrès. Nous espérons que ce sera dans un proche avenir, mais ce travail est en cours, afin d’éliminer continuellement les obstacles et de permettre aux Premières Nations de tirer parti d’autres sources de revenus.

M. Daniels : À l’heure actuelle, avec l’investissement que l’AFPN a fait dans les Premières Nations pour faire un certain nombre de choses, on estime qu’il y a eu une création de plus de 15 000 emplois s, ce qui est assez important, et l’impact sur l’économie est d’au moins 3 milliards de dollars. Chaque fois que nous ajoutons une nouvelle source de revenus, cela a un effet positif sur l’économie canadienne, à notre avis. Les emplois créés et les répercussions sur l’économie sont vraiment nécessaires en ce moment.

À l’heure actuelle, il y a un certain nombre de projets prêts à démarrer dans les Premières Nations qui sont des membres emprunteurs. C’est estimé à 1 milliard de dollars. Nous avons entrepris ce travail. C’est comme un incitatif; s’il y en a un, des projets sont prêts à démarrer. Cela signifie plus de création d’emplois et plus de répercussions sur l’économie — maintenant, immédiatement, au moment où nous en avons le plus besoin. Merci.

Le sénateur Tannas : Monsieur Daniels et monsieur Berna, peut-être pourriez-vous le confirmer, mais j’aimerais revenir à l’idée des accords pluriannuels de financement des immobilisations du gouvernement et d’en multiplier les effets. Pour que les gens comprennent bien, si l’accord de financement pluriannuel est pour construire des maisons, alors l’effet de levier serait utilisé pour construire des maisons, et non pour investir dans une entreprise quelconque qui pourrait survivre ou non. Les deux seraient en quelque sorte liés, n’est-ce pas? Ou est-ce que vous entreriez dans ce niveau de détail avec les détenteurs d’obligations?

Je sais que vous y avez pensé de bien des façons différentes — je suis très confiant —, mais pourriez-vous confirmer que nous ne nous retrouverons pas dans une situation où le financement des immobilisations financera une obligation qui ira dans une entreprise autre qu’une infrastructure et qui pourrait présenter d’autres risques?

C’est la première chose.

Deuxièmement, pourriez-vous faire une mise à jour? Je crois comprendre que les obligations émises sont groupées; elles ne sont pas séparées par communauté. Si c’est le cas, je ne m’en souviens pas, mais je suppose que les fonds communs sont garantis conjointement et solidairement, ou si une communauté ne rembourse pas son emprunt, les autres doivent-elles absorber sa dette?

De plus, vous êtes en activité depuis un certain temps. Avez-vous eu des défauts de paiement?

Je sais que cela fait beaucoup de questions.

M. Daniels : Je vais demander à M. Berna de répondre à ces questions.

M. Berna : La première question portait sur la transparence. Chaque communauté qui présente une demande de prêt le fait en vertu de ce qu’on appelle un règlement d’emprunt. Les règlements d’emprunt sont affichés sur notre site Web, et ils sont également consultés par notre avocat, qui doit donner un avis juridique aux marchés financiers pour confirmer que les dépenses ont été faites correctement, que les prêts ont été faits correctement et que les règlements ont été faits correctement. Il y a donc de la transparence en ce qui concerne les demandes et l’utilisation.

Deuxièmement, en ce qui concerne la question des emprunts groupés, nous empruntons en tant que groupe. Aucune Première Nation n’est de taille suffisamment grande pour accéder aux marchés financiers, car ils ne seraient tout simplement pas intéressés par le montant des prêts. S’ils ne sont pas intéressés, cela signifie que vous devez vous mettre en quête d’investisseurs prêts à vous donner de l’argent, et cela signifie que les taux d’intérêt augmentent sensiblement jusqu’à ce que vous en trouviez un qui est intéressé. Il est donc essentiel d’emprunter en tant que fonds commun pour obtenir les taux de l’Ontario.

En ce qui concerne la garantie conjointe et solidaire — et l’avocat Jeffrey Clark est ici — la totalité des 121 Premières Nations qui ont adhéré à l’AFPN doivent satisfaire aux mêmes critères économiques, aux mêmes critères financiers et aux mêmes critères de capacité interne. La barre est haute et elles doivent toutes pouvoir passer au-dessus. Une fois que c’est fait, il incombe à notre personnel de s’assurer que les ratios sont maintenus, que les facteurs économiques sont solides et que la transparence est également maintenue.

Nous empruntons donc. Si jamais une communauté ne remboursait pas son prêt, les autres emprunteurs absorberaient sa dette. Cela ne s’est jamais produit. Nos premiers prêts ont été accordés en juin 2012.

Pour vous montrer la force de notre fonds, nous recueillons 141 millions de dollars par l’entremise de ce qu’on appelle un système de fiducie. Les intérêts versés aux détenteurs d’obligations s’élèvent à 35 millions de dollars, ce qui signifie que les rentrées d’argent sont quatre fois plus élevées que les versements d’intérêts aux détenteurs d’obligations. C’est ce qu’on appelle un ratio de couverture — un ratio de couverture quatre fois plus élevé. Cela montre que, lorsque nos membres se joignent à nous, à notre conseil d’administration, nos chefs et nos conseillers, ils se surveillent eux-mêmes. Nous n’aurons donc pas un système où les Premières Nations s’uniront pour menacer le fonds commun parce que l’autosurveillance signifie que vous conservez votre force, les mêmes critères et la même surveillance.

Nous garantissons le financement, car autrement, nous ne pourrions tout simplement pas avoir accès aux marchés financiers aux taux en vigueur. Mais c’est bien structuré pour éviter les défauts de paiement. Et nous n’en avons jamais eu.

Le président : Chef Hope, je me réjouis que vous ayez pu vous joindre à nous. Me Mackenzie a fait une déclaration préliminaire au nom d’ADK. Il nous reste encore quelques minutes, et je vais vous donner l’occasion de vous adresser au comité. Nous aimerions savoir quelles sont vos opinions.

Gene Hope, chef, Première Nation Acho Dene Koe : Je sais qu’il s’est passé des choses concernant les élections et ce que le gouvernement a fait au sujet de la loi sur le report des élections de Premières Nations. Maintenant que c’est allé devant les tribunaux, cela nous a touchés d’une façon qui — nous avons utilisé la loi pour protéger nos gens au début de la pandémie. C’était notre principale préoccupation, surtout en raison de la fermeture des frontières par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et de l’annonce faite par l’administrateur en chef de la santé publique, en mars dernier.

Je voulais donc simplement en parler et expliquer comment cela nous a été bénéfique en nous permettant d’assurer notre sécurité jusqu’à maintenant. Nous avons utilisé le règlement deux fois, à notre avantage, pour assurer la sécurité de la communauté. Après le premier report, nous avons décidé d’opter pour un deuxième report, parce qu’au moment de prendre notre deuxième décision, j’ai assisté à une réunion, à Yellowknife, et l’une des préoccupations soulevées lors de cette réunion avec le gouvernement était que la deuxième vague était sur le point de frapper. Ce genre d’annonce de la part des dirigeants du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, du premier ministre de la province et ce genre de choses, a suscité encore plus d’inquiétude chez les gens. Nous étions alors censés tenir des élections.

Nous les avons reportées en nous servant de ce règlement afin de protéger notre peuple, sans penser que nous ne pouvions pas le faire dans le cadre d’élections selon le code coutumier. C’était un gros avantage à mes yeux, étant donné que nous sommes une Première Nation qui tient ses élections selon un processus coutumier.

Nous avons considéré cela comme une façon de protéger notre peuple, mais en même temps, le fait d’avoir un processus coutumier nous donne la capacité de tenir compte des dispositions que le gouvernement a mises en place pour le bénéfice des Premières Nations, pour rester en sécurité et les utiliser à notre avantage, surtout suite aux annonces qui ont été faites au sujet de la pandémie. Il ne s’était jamais rien produit de tel dans le contexte de notre code électoral coutumier, par le passé. La situation était très préoccupante pour les aînés de la communauté et nous devions veiller à la sécurité de nos gens et maintenir les dirigeants en poste pendant cette période. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons également pris la décision d’utiliser ce règlement.

Le président : Merci, chef. Y a-t-il d’autres questions avant de conclure?

M. Hope : Oui. C’est à propos de l’infrastructure autochtone. À l’heure actuelle, dans le Nord, dans notre communauté du Dehcho — je ne sais pas à quel point vous avez regardé les nouvelles, sur CBC News North et APTN —, quelques-unes de nos communautés du Nord ont été touchées par les inondations. Elles ont été dévastées, et nous avons fait de notre mieux pour les réconforter et répondre aux besoins des gens, leur fournir de la nourriture et ce genre de choses.

Je pense que ce serait très bénéfique pour la reconstruction des Premières Nations [Difficultés techniques], parce que dans une communauté, il n’y a que quatre maisons qui n’ont pas été touchées. Les autres ont été dévastées par les inondations. La communauté de Little Buffalo River, à l’est de Hay River, je crois, a été dévastée l’autre jour, et complètement inondée.

Le Nord traverse donc une période difficile, surtout dans la région du Dehcho. Nous essayons de travailler ensemble. Nous espérons que le Fonds d’infrastructure des Premières Nations nous aidera à reconstruire ces communautés. Merci.

Le président : Merci, chef. Dernier appel de questions ou de commentaires.

Le temps alloué à ce groupe de témoins est écoulé. Je remercie nos témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Je remercie Mme Dwivedi, Mme Walsh, M. Clark, M. Duschenes, M. Denoncourt, M. Jacques, M. Daniels, M. Berna, le chef Hope et Me Mackenzie.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant faire une courte pause et poursuivre la séance à huis clos afin de donner des instructions de rédaction à nos analystes.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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