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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 28 mai 2021

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le sénateur Dan Christmas (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à vous et tous les téléspectateurs du pays qui nous suivent sur sencanada.ca.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler que nous nous réunissons aujourd’hui sur les territoires non cédés des Algonquins Anishnaabe.

Il y a quelques questions d’intendance à régler. Je rappelle aux sénateurs qu’ils doivent garder leurs microphones en sourdine en tout temps, à moins que le président ne leur donne la parole en les nommant. En cas de difficultés techniques, en particulier avec l’interprétation, veuillez les signaler au président ou à la greffière, et nous tâcherons de régler le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le bureau de service de la Direction des services d’information au numéro d’aide technique indiqué dans le document de confirmation de la séance.

Afin de protéger la confidentialité de nos conversations, je rappelle aux sénateurs, à leur personnel et au personnel de soutien du comité qui participent à notre séance qu’ils doivent veiller à ce que l’environnement où ils se trouvent soit privé et que les conversations tenues dans le contexte de cette séance ne puissent ne puissent pas être écoutées par des tiers. Les participants devraient pouvoir s’isoler dans un lieu privé et être conscients de leur environnement.

Je m’appelle Dan Christmas. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et j’ai le privilège de présider le comité. J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la séance de ce matin. La sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest, la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Josée Forest-Niesing, de l’Ontario, le sénateur Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard, la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta, le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Kim Pate, de l’Ontario, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, la sénatrice Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Scott Tannas, de l’Alberta, et le sénateur Pierre Dalphond, du Québec, qui assiste aussi à la séance de ce matin. Nous attendons le sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan, plus tard aujourd’hui.

J’ai maintenant le plaisir de vous présenter nos témoins de ce matin. Nous accueillons l’honorable Arlene Dunn, ministre des Affaires autochtones du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Nous avons aussi le grand chef Okimaw Vernon Watchmaker, de la Confédération des Premières Nations signataires du Traité no 6. Nous aurons ensuite le chef Mel Grandjamb, Mike Evans, gestionnaire principal, Relations gouvernementales, et Chris Johnson, chef de la direction, tous de la Première Nation de Fort McKay; et enfin, nous accueillerons le chef Douglas Beaverbones, Beatrice Carpentier, gestionnaire de bande, et Norma Large, technicienne juridique, de la Première Nation O’Chiese.

La ministre Dunn, le grand chef Watchmaker, le grand chef Grandjamb et le chef Beaverbones feront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et réponses d’environ trois minutes chacun avec les sénateurs.

Le chef Beaverbones souhaite prononcer son discours d’ouverture en langue saulteaux anishinaabe. Il a fourni à notre personnel la traduction anglaise de ses notes d’allocution. Le comité est-il d’accord pour les distribuer immédiatement avant sa présentation?

Des voix : D’accord.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Je vois des hochements de tête en signe d’accord. Prière de noter qu’il est informé que, en raison de contraintes de temps, il ne dira que le premier et l’avant-dernier paragraphe de son document.

Lorsque nous passerons aux questions, la première question sera posée par la sénatrice LaBoucane-Benson, qui parraine le projet de loi, et la deuxième, par le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi, le sénateur Patterson. Si les sénateurs ont une question, ils sont priés d’utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront reconnus dans le clavardage Zoom. À noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste des intervenants.

Tout suivi écrit aux questions doit être soumis à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’enverra un message texte lorsqu’il restera 10 secondes pour les remarques préliminaires des témoins et le temps des questions et réponses des sénateurs. Je ferai un compte à rebours visuel de 10 secondes avec mes doigts et, à zéro, je vous ferai savoir que votre temps est écoulé.

Je donne maintenant la parole à la ministre Dunn pour sa déclaration préliminaire.

L'honorable Arlene Dunn, députée, ministre des Affaires autochtones, gouvernement du Nouveau-Brunswick : Bonjour, honorables sénateurs et grands chefs.

Je vous remercie de l’occasion de présenter le point de vue du gouvernement du Nouveau-Brunswick sur le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Personne ne conteste que les peuples autochtones aient des droits au Canada, des droits individuels et collectifs. L’article 35 de la Constitution du Canada reconnaît et confirme explicitement les droits ancestraux existants ainsi que les droits issus de traités. Toutefois, le projet de loi vise à élargir cette affirmation en l’appliquant à une liste précise de droits figurant dans une déclaration de 2007 de l’Assemblée générale des Nations unies.

La déclaration des Nations unies, la DNUDPA, se voulait un instrument pour inciter les États membres de l’ONU à protéger les droits des peuples autochtones. Le texte de cette résolution non contraignante est ambitieux et souvent très vague. Un grand nombre des droits énoncés dans la déclaration sont accessibles à tous les citoyens du Canada, comme le droit de vivre en paix et en sécurité, l’accès aux services de soins de santé et à l’éducation publique, la liberté de religion et la protection contre l’exploitation économique.

Mais le projet de loi C-15 donnerait, à notre avis, de nouveaux droits qui ne sont pas prévus dans notre Constitution, ce qui nuirait à la croissance et à la prospérité à long terme du Canada. Nous craignons que ce projet de loi ne donne à un groupe particulier un droit de veto absolu sur le développement économique sans tenir compte des intérêts des autres membres de la société canadienne.

Le Canada chemine sur la voie de la réconciliation avec ses Premières Nations, Inuits et Métis. Notre périple a été longtemps retardé, mais nous sommes en marche. Pendant 400 ans, les premiers peuples du Canada ont été victimes d’injustice et de brutalité. Je reconnais volontiers la douleur que cela a causée, mais nous ne pourrons pas réparer tous les torts du jour au lendemain.

Au Nouveau-Brunswick, nous nous sommes engagés à répondre aux recommandations du rapport final de 2015 de la Commission de vérité et réconciliation. Le Nouveau-Brunswick a fait beaucoup de travail à cet égard. Nous examinons la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le contexte de la portée complète des recommandations du rapport de la CVR.

Le gouvernement fédéral a décidé de donner suite à la recommandation du rapport de la CVR et de mettre en œuvre l’ensemble de la déclaration des Nations unies en reprenant le texte intégral de la DNUDPA dans la loi fédérale. Il n’a pas le pouvoir d’imposer ce choix au Nouveau-Brunswick ou à quelque autre province ou territoire du Canada, mais il semble bien que ce soit exactement ce qu’il fait. Le projet de loi C-15 affirme que la déclaration est une source d’interprétation du droit canadien — non pas du droit fédéral, créé par le Parlement du Canada, mais du droit canadien. Il s’agit d’un changement précis que le Nouveau-Brunswick souhaite voir apporter avant la sanction royale du projet de loi C-15.

Notre principale préoccupation concerne l’interprétation et la mise en œuvre des articles de la déclaration qui traitent de l’obligation des gouvernements d’obtenir, par voie de consultations, le consentement préalable — donné librement et en connaissance de cause — des peuples autochtones avant de faire quoi que ce soit qui pourrait avoir des incidences sur eux-mêmes ou sur leurs terres traditionnelles. La consultation peut mener au consensus sur les enjeux difficiles, mais pas toujours. L’une ou l’autre des parties peut ne pas être entièrement satisfaite, même si les consultations ont lieu dès le départ, sont fréquentes ou sincères.

Les gouvernements doivent prendre des décisions dans l’intérêt de toutes les parties et de l’ensemble de la société. Aucun particulier, aucun groupe, n’a le pouvoir d’opposer un refus absolu lorsque le bien commun est en cause, mais c’est précisément ce que les articles 19, 26 et 32 de la déclaration des Nations unies prévoient imposer.

La déclaration ne définit pas le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » , pas plus qu’elle ne précise le sens de « terres, territoires et ressources » dans ce contexte. Les traités de paix et d’amitié signés au XVIIIe siècle entre la Grande-Bretagne et les Micmacs et les Malécites ne définissaient pas les territoires. Par conséquent, en théorie tout au moins, chaque acre de territoire du Nouveau-Brunswick entre dans la catégorie des terres qui sont traditionnellement possédées, occupées ou autrement utilisées par les Autochtones.

Nous consulterons les Néo-Brunswickois autochtones sur les questions qui concernent leurs droits. Nous ne ménagerons aucun effort pour mener nos consultations de façon équitable, réfléchie et dans le respect de toutes les parties, mais nous ne saurions garantir que nous parviendrons à un consensus dans chaque cas pour permettre aux peuples autochtones de donner leur accord collectif et unanime à chaque projet.

L’objectif du gouvernement fédéral de faire avancer la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada est louable, mais le fait de regrouper à la hâte ces principes mal définis dans une loi fédérale pourrait produire l’effet contraire, en faisant naître de nouveaux obstacles et de nouvelles divisions entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada.

Je vous invite à vous arrêter à ces considérations dans votre étude du projet de loi C-15. Modifiez-le pour préciser explicitement que le Canada n’intègre pas la déclaration des Nations unies dans le droit canadien et qu’elle ne s’applique pas à l’ensemble des lois du Canada; l’ajout d’une clause provinciale de non-dérogation pour énoncer clairement que les obligations qu’impose la loi valent pour le gouvernement fédéral seulement; une confirmation claire que la loi n’est pas destinée à influencer l’interprétation de la Constitution et ne confère pas de nouveaux droits en vertu de l’article 35; l’obligation claire pour le ministre fédéral de la Justice de consulter les provinces et les territoires...

Le président : Je suis désolé, madame Dunn. Votre temps est écoulé.

Mme Dunn : Je suis désolée. Merci.

Okimaw Vernon Watchmaker, grand chef, Confédération des Premières Nations du Traité no 6 : [mots prononcés dans une langue autochtone] Nous rendons hommage au Créateur pour ce jour, et sommes reconnaissants de la cérémonie et des prières de nos aînés et de notre peuple. Je me joins à vous depuis le territoire du Traité no 6, les terres traditionnelles des Cris, des Dakotas, des Dénés, des Saulteaux et des Mohawks.

Bonjour, sénateurs, président, membres du comité et téléspectateurs en ligne. Je m’appelle Okimaw Vernon Watchmaker et je suis le grand chef de la Confédération des Premières Nations du Traité no 6. Nous sommes 16 Premières Nations membres et j’ai l’appui de la nation crie d’Onion Lake. Les chefs m’ont confié le mandat de vous faire un exposé aujourd’hui. Vous avez reçu un mémoire écrit.

Je suis là pour parler du préjudice qu’entraînerait l’adoption du projet de loi C-15 pour notre traité et notre relation avec la Couronne qui en découle. Le 17 mars, les Premières Nations des Traités nos 6, 7 et 8 ont adopté une résolution rejetant ce projet de loi vicié.

Nous devons cesser de considérer le projet de loi C-15 comme la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. Ce projet de loi est loin de l’objectif de la DNUDPA. Les droits et les principes confirmés dans la DNUDPA constituent les normes minimales de survie, de dignité et de bien-être des peuples autochtones du monde entier. Le Canada a choisi d’abandonner l’intention de la DNUDPA avec ce projet de loi.

Dans un discours au Sénat, la ministre Bennett a dit que nous devions nous affranchir d’un passé colonial. Nous sommes d’accord. Le problème avec ce projet de loi est qu’il renforcera un avenir colonial pour les Premières Nations. Il n’inscrit pas la DNUDPA dans le droit canadien. De fait, la DNUDPA n’est pas contraignante. Elle ne sera d’aucune utilité pour un tribunal appelé à trancher un litige.

Le Canada se sert d’organisations nationales pour fabriquer un consentement tout en essayant de se soustraire à ses devoirs et obligations en vertu des traités. Ce plan législatif sera national et il fait déjà l’objet de travaux avec l’Assemblée des Premières Nations, qui ne détient pas de droits issus de traités. Il va aussi à l’encontre des principes énoncés dans la DNUDPA. Il ne comporte pas de règle légiférée pour les échéanciers, les budgets ou les autres conséquences si les problèmes ne se règlent pas ou si le plan n’est pas établi.

Nous rejetons l’approche panautochtone pour traiter des obligations qui se trouvent dans le Traité no 6 ou en vertu des partages du pouvoir selon les paragraphes 91(24) ou 35(1) et 35(2) de la Loi constitutionnelle. Cette « panapproche » dure depuis des décennies et il faut y mettre fin. Nous ne sommes pas les mêmes. Nous sommes des Premières Nations signataires de traités. Ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionne pas nécessairement pour l’autre. Les principes de la DNUDPA reconnaissent et respectent notre autonomie. Ce projet de loi viole ces principes.

Nous ne consentons pas à ce qu’une organisation nationale crée des règles qui imposent comment, quand et avec qui tenir des consultations sur les enjeux qui nous touchent, et nous n’avons pas délégué cette responsabilité. Tenter de créer ces règles sous le couvert d’un plan d’action est une violation de notre souveraineté, de nos traités, de notre droit constitutionnel et de la DNUDPA.

Le processus d’élaboration du projet de loi n’a pas fait l’objet de consultations véritables. Les Premières Nations visées par le Traité no 6 n’ont pas été contactées. Au lieu de cela, certains particuliers favorables au projet de loi C-15 ont été entendus. C’est une violation de notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Le Canada, agissant au nom de la Couronne, a l’obligation d’adhérer à notre relation scellée par traité, qui est confirmée par un processus bilatéral.

Nous avons un long historique de négociations avec le gouvernement. Nous savons que les bureaucrates ne créeront pas l’équité dans ce processus, à moins que la loi ne les y contraigne. En fait, le gouvernement fédéral négocie avec l’Alberta et n’a pas pris contact avec nous. Vous avez entendu des hauts fonctionnaires dire que le consentement ne fait pas partie de cette loi, et un ministre déclarer que le consentement à l’approbation du plan d’action n’est pas nécessaire et que le Canada a le dernier mot. Tout cela va à l’encontre de la DNUDPA. C’est ce moyen que le Canada a choisi pour donner l’impression que les problèmes des Indiens sont traités, alors qu’en réalité, ils créent des problèmes plus importants.

Ce projet de loi vise à ramener chez nous notre relation internationale. C’est un effort pour réorienter les obligations par le canal d’organisations nationales plutôt que de traiter directement avec les nations concernées. Ce n’est pas conforme aux principes énoncés dans la DNUDPA et cela ne respecte en rien notre droit inhérent de déterminer librement notre statut politique et de poursuivre notre développement économique, social et culturel. Cela viole aussi les normes juridiques qui reconnaissent notre droit de participer à des processus significatifs lorsque nos droits sont mis en cause.

Un autre enjeu qui a été soulevé est la façon dont ce projet de loi crée de la certitude. De fait, c’est exactement le contraire qu’il fait. Conscient de notre droit inhérent de nous gouverner nous-mêmes, notre peuple n’acceptera pas cela. Nous continuerons d’affirmer nos droits jusqu’à ce qu’ils soient reconnus et respectés.

Pendant les audiences, j’ai entendu dire que le gouvernement n’accepte pas les amendements du Sénat à ce stade-ci. Cela va à l’encontre de la façon dont les lois sont adoptées. Cette affirmation est irrespectueuse des fonctions de gouvernement. Le gouverneur général est le juge en chef. Si le projet de loi est adopté, la Cour suprême pourra entendre les causes en découlant. Le fait que le juge en chef donne la sanction royale crée un réel conflit d’intérêts.

Enfin, le Sénat a un rôle important à jouer. Si vous ne pouvez pas le modifier, alors ne l’approuvez pas.

Pour toutes les raisons qui précèdent, ce projet de loi ne peut pas être adopté. Je vous demande de ne pas le laisser passer, car il reste manifestement beaucoup de travail à faire. Hiy hiy. Merci.

Le président : Merci, grand chef.

Mel Grandjamb, chef Première Nation de Fort McKay : Bonjour, mesdames et messieurs du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je m’appelle Mel Grandjamb, et je suis le chef élu de la Première Nation de Fort McKay.

Je tiens à remercier le sénateur Dennis Patterson d’avoir organisé ma comparution d’aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-15 et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Fort McKay est une Première Nation signataire du Traité no 8. Notre hameau est situé sur les rives de la rivière Athabasca, dans le Nord-Est de l’Alberta, à 60 kilomètres au nord de Fort  McMurray. Nous sommes entourés sur trois côtés d’exploitations de sables bitumineux, et l’Alberta a attribué 70 % de notre territoire traditionnel à des baux d’exploitation du sous-sol.

Fort McKay travaille en étroite collaboration et a profité de son association avec l’industrie des sables bitumineux. Cependant, notre bonne fortune économique ne peut se faire aux mépris des droits issus de traités. En 2016, un groupe d’experts chargé de revoir le plan d’aménagement du territoire qui éclaire les décisions de développement a déclaré que Fort McKay est l’endroit le plus touché par l’exploitation des sables bitumineux. Qui plus est, le groupe a signalé que, si le développement se poursuivait au même rythme, mes membres finiraient par ne plus pouvoir exercer leurs droits issus de traités sur leur territoire traditionnel.

Comme vous le voyez, nous avons de l’expérience des questions de consentement. De nombreuses Premières Nations et un grand nombre de leurs champions ont dénoncé le processus qu’a utilisé le gouvernement fédéral pour élaborer le projet de loi C-15. Fort McKay se range à ces objections. Le Canada n’a pas consulté les titulaires de droits, comme il n’a pas l’habitude de le faire, malheureusement. Cependant, il y a d’autres facteurs à considérer au-delà du processus chaque fois que la Couronne se livre à une activité qui a une incidence sur nos droits inhérents issus de traités et nos droits constitutionnels.

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause a nourri bien des débats qui démontrent comment le projet de loi C-15 est une déclaration politique et une distraction. Le consentement forcé, recherché après le fait ou fondé sur des renseignements non divulgués n’est pas un consentement. Les Premières Nations ont déjà des droits au consentement, comme le décrit la déclaration des Nations unies, mais ils sont trop souvent oubliés. Notre avocat nous dit que nous ne pouvons négocier les droits issus de traités, sauf pour y renoncer. Les droits issus de traités et l’honneur de la Couronne sont le fondement de notre relation avec le Canada, et le Canada est obligé de les défendre.

Certains d’entre vous savent déjà que nous nous battons depuis 20 ans pour protéger la réserve de Moose Lake afin qu’elle puisse aider mes membres à exercer leurs droits issus de traités sur nos terres traditionnelles. C’est une première en Alberta et peut-être au Canada : une décision phare selon laquelle la Cour de l’Alberta n’avait pas su concilier les droits issus de traités et les décisions en matière de développement. Cette décision indiquait également que l’Alberta n’avait pas su protéger l’honneur de la Couronne. Le juge a déclaré que la Couronne a l’obligation de protéger les droits issus de traités avant qu’ils ne soient enfreints et que l’Alberta n’avait pas tenu compte des effets cumulatifs sur ces droits issus de traités. Le jugement dit effectivement que la Couronne doit changer sa façon de faire si elle veut faire la réconciliation.

Nos droits issus de traités comprennent également les droits à l’éducation et aux soins de santé. Les Premières Nations souffrent trop souvent de sous-financement chronique ou n’ont pas suffisamment accès aux services trop éloignés pour leur permettre d’exercer leurs droits, qu’il s’agisse d’éducation, de soins de santé adéquats surtout pour nos enfants ou d’eau potable salubre. Entre 2018 et 2021, Fort McKay a dépensé 1,6 million de dollars pour faire l’appoint du financement fédéral de l’enseignement postsecondaire afin de préparer l’entrée sur le marché du travail de nos jeunes adultes. Nous sommes obligés de faire l’appoint de tous les programmes sociaux simplement pour donner à nos membres le même accès aux droits fondamentaux qu’aux autres Canadiens. Toutes les Premières Nations font face à ce déficit et doivent composer avec des difficultés plus graves que Fort McKay.

Tout indique que le gouvernement a l’intention de faire adopter rapidement le projet de loi C-15, mais ce projet de loi ne signifie rien sans le plan d’action, dont nous ne savons rien. Montrez-nous une ébauche, un exemple, une approche. Montrez-nous quelque chose pour apaiser notre méfiance. Si le gouvernement ne peut pas faire cela, c’est qu’il a été négligent. Il est déraisonnable de refuser un test de conduite d’une voiture ou l’inspection d’une résidence, mais on voudrait pourtant nous faire accepter ce projet de loi et son plan, sans consultation.

S’il a été une distraction, ce débat n’est pas sans valeur pour autant. On ne saurait rappeler trop souvent aux politiciens et aux Canadiens que les promesses des traités ne sont toujours pas tenues. Toutefois, vous devriez travailler à remplir ces promesses, avec ou sans le projet de loi C-15.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, chef.

Douglas Beaverbones, chef, Première Nation O’Chiese : Bonjour. J’aimerais remercier le Sénat de nous avoir invités à assister à cette audience. J’aimerais également saluer le grand chef Okimaw et le chef Grandjamb.

Les aînés me disent toujours de parler ma langue, et c’est ce que je vais faire. Mon propos est écrit sur papier et a été envoyé au Sénat.

[mots prononcés dans une langue autochtone — la traduction écrite suit]

Ahneen. Je suis le chef de la bande de la Première Nation O’Chiese sur le territoire visé par le Traité no 6; mon titre m’a été transmis au fil des générations de nos signataires du traité.

Je représente une tribu des Chippewas Anishinaabe qui vit dans les contreforts des Rocheuses.

Cette terre est connue sous le nom d’île de la Tortue, et nous avons vécu dans tous les territoires. Nous étions ici les premiers avant le Canada et la province de l’Alberta. Il faut vous le rappeler.

Nous avons présenté un mémoire officiel à votre comité et mes notes d’allocution refléteront nos préoccupations au sujet du projet de loi C-15.

Les traités ont primauté sur les lois et les politiques gouvernementales. Le délégué de la Reine, le gouvernement du Canada, n’agit pas avec l’honneur de la Couronne.

Le symbolisme du projet de loi C-15 ne nous donne pas l’assurance de la pleine reconnaissance des droits inhérents à la relation scellée par traité.

Le Traité no 6 et l’adhésion de notre nation à ce traité ne sont dans aucune loi canadienne. Nous craignons fort que la déclaration ne fasse rien d’autre que d’aider les gouvernements fédéral et provinciaux à violer nos droits issus de traités. Nous ne croyons pas en votre système législatif, car il n’a pas respecté nos droits issus de traités, nos droits à l’éducation et au bien-être de l’enfance, et vous n’avez pas obtenu le consentement collectif de notre peuple.

Le projet de loi C-15 y changera-t-il quelque chose? Les discussions en Alberta au sujet du projet de loi sur la défense des infrastructures critiques — le projet de loi 1 de la province — des changements générationnels des soins de santé, des mines de charbon et de la vente de terres de la Couronne illustrent bien comment le gouvernement de l’Alberta agit sans demander l’avis des titulaires de droits ou sans comprendre les répercussions de ces changements sur notre mode de vie, dans le sens de la promesse du traité.

Pendant ce temps, notre peuple a des droits en vertu du Traité no 6, des droits qui, à ce jour, ne sont pas reconnus. C’est un travail inachevé. Je vous demande donc, à vous parlementaires, comment le projet de loi C-15 va-t-il changer les choses?

Ce travail inachevé exige la bonne foi et l’honneur de la Couronne. Le projet de loi C-15 créera encore plus de tables, plus de processus, et même plus de distance par rapport à la Couronne et à notre peuple. Il ne voudra rien dire au niveau de la base des gens visés par le traité.

Je suis convaincu que la seule façon de faire avancer le véritable dialogue entre nous, ici dans la Première Nation O’Chiese et du côté de la Couronne, sera de reconnaître pleinement le Traité no 6 dans toute action future, car le Canada doit respecter sa signature.

Le Canada doit comprendre que l’Assemblée des Premières Nations n’est pas titulaire de droits issus de traités. Ce sont les gens de ma nation qui le sont. Leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est la norme de la DNUDPA, pas de Perry Bellegarde. Personne n’a demandé à mon peuple son consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant de proposer le projet de loi.

Enfin, le projet de loi C-15 a été annoncé et est en voie d’être adopté en pleine pandémie mondiale. Les décisions et les politiques des gouvernements continuent de bafouer les droits de nos Premières Nations. Nous continuons de ressentir l’impact de l’assimilation et de la colonisation sur nos terres, notre air, notre eau, nos ressources, notre santé et nos familles. En tant que titulaires de droits autochtones, nous continuerons d’affirmer la nécessité du respect et de l’égalité par la voix de nos ancêtres et des générations à venir en levant notre calumet.

Premièrement, je vous dirai que nous affirmons notre traité, qui est renforcé par la cérémonie du calumet. Je dois vous rappeler que la Première Nation O’Chiese parle toujours en son propre nom sur les questions comme le projet de loi C-15 concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Lorsque le calumet sacré a été levé, il affirmait l’amitié, le partenariat et les conditions de l’entente entre le Créateur, la Couronne et les Premières Nations, tant que le soleil brillera, que la rivière coulera et que l’herbe poussera. Où sont ces mots dans votre projet de loi C-15?

Les droits et les responsabilités que nous a donnés le Créateur ne peuvent être modifiés ou supprimés par une autre nation. Au nom de mon peuple, je tiens à dire que le projet de loi C-15 ne peut pas et ne doit pas être adopté.

[Traduction]

Je vous remercie de m’avoir écouté. O’Chiese n’appuie pas le projet de loi C-15 et espère qu’il ne sera pas adopté. En tant que membres des O’Chiese, nous continuerons de nous battre pour ce qui se trouve dans les traités. Nous continuerons de protéger nos traités. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, chef.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la sénatrice LaBoucane-Benson, qui parraine le projet de loi.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je suis née, j’ai grandi et je vis sur le territoire visé par le Traité no 6. Je tiens à saluer Okimaw Watchmaker et à le remercier de sa présence et de son témoignage. Il est important de connaître le point de vue des titulaires de droits issus de traités.

Ma question s’adresse au chef Grandjamb. Vous avez parlé du plan d’action, et je vous en suis reconnaissante. Je comprends ce que vous dites au sujet de l’absence d’ébauche, d’entente ou d’aperçu général à ce sujet. Les fonctionnaires m’ont dit que le gouvernement a l’intention de consulter d’abord, de produire une première ébauche puis d’en discuter. Donc, la première étape de ce plan d’action sera la consultation. À quoi cela ressemblerait-il? Comment le gouvernement devrait-il consulter respectueusement les titulaires de droits issus de traités pendant l’élaboration de cette première ébauche du plan d’action? À quoi cela ressemblerait-il pour vous?

M. Grandjamb : Nous avons eu beaucoup de réunions depuis un certain temps pour analyser la consultation et en discuter. Il est très important de reconnaître qu’il y a 11 traités, numérotés de 1 à 11, dont les signataires sont les titulaires de droits. Il est très prudent et important d’amorcer le dialogue avec les titulaires de droits issus de traités.

Le processus a échoué. C’est comme un processus manipulé, où l’on choisit les personnes à consulter. On entend dire partout au Canada que les chefs qui représentent les nations n’ont pas été consultés correctement. On passe par l’assemblée, qui ne détient pas de traité, si bien qu’il est impératif de se concentrer sur les titulaires de droits issus de traités.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

Je me demande si Okimaw Watchmaker pourrait répondre à la même question. À quoi ressemblerait pour vous une consultation respectueuse des titulaires de droits issus de traités?

M. Watchmaker : Je vous remercie de la question.

D’abord et avant tout, en tant que titulaires de droits issus de traités, en tant que signataires de traités, nous avons les droits qui sont confirmés par la Proclamation royale de 1763, et cela a été un rappel d’abord et avant tout. Je crois également que le Canada doit agir honorablement pour s’acquitter de ses obligations en vertu du traité.

Pour faire référence à notre affaire qui est devant les tribunaux, dans la décision Première Nation crie Mikisew, il a été arrêté que la Couronne a l’obligation de consulter, d’atténuer, d’accommoder et de mener...

Le président : Je suis désolé, grand chef, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur Patterson : Je remercie tous les témoins de leur témoignage fort convaincant de ce matin.

Ma question s’adresse au grand chef Watchmaker. Chef, le Yellowhead Institute a donné une définition du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, que j’ai trouvée excellente et de haut niveau. La voici :

DONNÉ LIBREMENT : Consentement donné volontairement et sans contrainte, intimidation, ni manipulation. Processus autodirigé par la communauté appelée à donner un consentement non faussé par la contrainte, les attentes ou les délais imposés de l’extérieur.

PRÉALABLE : Le consentement est demandé suffisamment longtemps avant toute autorisation ou avant le lancement des activités.

EN CONNAISSANCE DE CAUSE : La nature de l’engagement et le type de renseignements à fournir avant de demander le consentement et tout au long du processus d’obtention du consentement.

CONSENTEMENT : Décision collective prise par les titulaires de droits dans le cadre des processus décisionnels coutumiers des communautés.

Je veux être très clair. Croyez-vous que le gouvernement du Canada a respecté l’un ou l’autre de ces critères du CPLCC dans l’élaboration et le dépôt du projet de loi C-15? Merci.

M. Watchmaker : Merci de votre question, sénateur Patterson.

Ma réponse est non, je pense que ce projet de loi ne donne pas un droit de veto. Ce que vous avez mentionné — le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause — a été reconnu — je le répète — par la Proclamation royale de 1763. Lorsque vous parlez de droits collectifs, je ne pense pas qu’il suffit de les inscrire dans le préambule de la loi pour les rendre juridiquement exécutoires.

Pour ce qui est des droits de la personne, tout ce qui est stipulé, ce sont les droits de la personne. Mais les droits issus de traités dépassent les droits de la personne. Donc, cela n’est pas vraiment saisi.

C’est très important, selon moi : le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. De toute évidence, ce n’est pas tout à fait ce que nous pensions de ce projet de loi. Même si l’on devait suivre ce processus, il n’a pas été vraiment respecté dans tout cet exercice du projet de loi C-15. Alors vous le dites...

Le président : Je suis désolé, grand chef, mais votre temps est encore une fois écoulé.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse à la ministre Dunn, si elle est toujours là.

Mme Dunn : Présente. Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : Madame la ministre, les témoins du gouvernement nous ont expliqué que les provinces sont fondamentalement en faveur de l’intention et de l’esprit de la DNUDPA, mais le Nouveau-Brunswick a signé l’une des lettres demandant aux libéraux fédéraux de retarder le dépôt du projet de loi. On peut y lire ceci :

Les délais sont nécessaires pour permettre de consulter comme il se doit les provinces et les territoires, et les partenaires autochtones dans l’avant-projet de loi, et pour donner au Canada le temps de bien comprendre et d’étudier sérieusement les préoccupations légitimes et importantes que nous avons soulevées au sujet de l’avant-projet de loi dans sa forme actuelle, ainsi que pour écarter le risque que l’adoption précipitée d’un texte ambigu puisse changer fondamentalement la Confédération sans l’avantage de la consultation et du consensus à grande échelle qui s’imposent à l’échelle nationale et provinciale. Le projet de loi risque de miner la réconciliation, mais il fera naître de l’incertitude et des litiges et pourrait favoriser des divisions plus profondes et plus vastes au sein de notre pays.

Madame la ministre, le ministre Lametti a dit au comité que la primauté des lois provinciales serait maintenue dans de nombreux cas. Est-ce aussi votre interprétation? Sinon, pourriez-vous nous en dire plus long sur vos préoccupations concernant le respect des compétences provinciales?

Mme Dunn : Je vous remercie de votre question, sénatrice. C’est une très bonne question.

Dans la perspective provinciale, divers facteurs nous préoccupent profondément. Le premier est l’absence de participation au processus de consultation. Je crois que nous avons eu trois réunions et très peu de dialogue à ce sujet.

Par ailleurs, nous ne sommes même pas certains de l’étendue du dialogue qui a eu lieu avec les Premières Nations. On nous dit de façon anecdotique que certaines des Premières Nations pensent qu’il n’y a pas eu beaucoup de consultation avec les chefs et le conseil et pas beaucoup de discussions sur ce qui se passe au niveau communautaire.

Dans une perspective provinciale, nous bâtissons cette relation avec les Premières Nations, mais nous le faisons par le dialogue pour être bien sûrs de comprendre ce qui compte vraiment pour ces communautés. Quels sont leurs défis et leurs priorités? Dans ce cas particulier, nous ne pensons pas qu’on en ait fait assez.

De plus, nous croyons que, dans la perspective provinciale, nous sommes beaucoup mieux placés pour avoir ces discussions avec les communautés d’ici, celles des Premières Nations, pour nous mettre à l’écoute de leurs besoins et y donner suite, quels qu’ils soient. Nous ne pensons pas que le projet de loi C-15 éclaire ce processus. En fait, il est tellement vague et dilué qu’il va susciter plus de questions que de réponses et peut-être aussi plus de possibilités de litiges.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, madame la ministre.

Le sénateur MacDonald : Je tiens à remercier la ministre et les chefs d’être des nôtres.

Ma question s’adresse au chef Beaverbones. Dans un mémoire présenté au comité de la Chambre des communes le 10 mars 2021, vous dites clairement que votre communauté rejette ce projet de loi et ne donne pas son consentement, et que le gouvernement a utilisé l’organisation nationale, l’Assemblée des Premières Nations, et les organisations territoriales et provinciales pour orchestrer le consentement à procéder comme il l’a fait.

À l’étape de la troisième lecture à la Chambre, Gary Anandasangaree, le secrétaire parlementaire de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, a repris l’argument que Romeo Saganash a défendu lors de sa comparution devant le comité de la Chambre. Ils ont tous deux fait valoir que, depuis la tournée nationale que M. Saganash a faite pour promouvoir son projet de loi et depuis que nous en avons débattu au Parlement, le travail est fait et il ne reste plus qu’à intégrer tout cela dans le projet de loi et régler les problèmes de consultation que vous soulevez.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Si le temps le permet, j’aimerais entendre les commentaires des autres chefs également. Merci.

M. Beaverbones : Merci.

Disons simplement qu’au cours de la consultation, on ne nous a jamais approchés ni donné le temps d’inviter vos gens à venir expliquer aux O’Chiese le projet de loi C-15. Mais si vous étiez venus nous expliquer ce projet de loi C-15, mon monde aurait compris. Mais à la lecture de projet de loi, mes chefs ont dit qu’il n’est pas pour nous. Lorsque nous en avons parlé à nos aînés, ils ont répondu : « Non, n’allez pas là. Ce projet de loi C-15 qui est mis en œuvre n’est pas bon pour notre peuple. »

J’ignore s’il a été élaboré pendant la pandémie de COVID ou comment il a été présenté. Nous pouvons toujours blâmer la COVID pour ce qui se fait derrière des portes closes, pour ce qui est approuvé ou pour toutes les ententes qui sont conclues, mais le projet de loi C-15 n’est toujours pas la bonne façon de traiter notre peuple. C’est comme l’assimilation; c’est la même chose. Je crois que le projet de loi C-15 ne doit pas être adopté. Je dirai simplement que nos chefs n’appuieront jamais ce projet de loi C-15. Merci.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à la ministre Dunn...

M. Grandjamb : Excusez-moi, monsieur, vous avez demandé les commentaires des autres chefs au sujet de la question précédente, ou s’agissait-il...

Le président : Je suis désolé, chef. Le temps était écoulé pour le sénateur.

M. Grandjamb : Très bien. J’avais un commentaire à faire, mais c’est correct. Merci.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à la ministre Dunn. Je ne commenterai pas votre déclaration préliminaire, que je trouve trompeuse et insultante pour l’ancien chef et l’Autochtone que je suis, mais je vous demanderai ceci : ce projet de loi n’obligerait que le gouvernement fédéral; cependant, les droits exposés dans la déclaration des Nations unies ne sont pas nouveaux, mais plutôt fondés sur des instruments existants en matière de droits de la personne, des textes selon lesquels les États doivent respecter leur obligation de demeurer en règle sur la scène internationale. Cela signifie que nos gouvernements fédéral et provinciaux ne peuvent pas choisir le moment de les respecter dans leurs propres programmes politiques. L’application de la DNUDPA en droit canadien est déjà légale, et ce sont les assemblées législatives et les tribunaux fédéraux et provinciaux qui déterminent la réalité politique. S’agit-il de faits que votre gouvernement conteste?

Mme Dunn : Je vous remercie de la question. Je l’apprécie.

Je n’avais aucunement l’intention de blesser qui que ce soit par ma déclaration liminaire. Notre préoccupation est plus précisément de nous assurer que nous pouvons faire tout ce que nous nous engageons à faire en tant que province. À l’heure actuelle, ce qui nous inquiète au sujet du projet de loi, c’est qu’il est très vague et dilué. Il ne précise pas explicitement quels sont ces droits supplémentaires. Nous sommes préoccupés par ce à quoi nous nous engageons. Si nous nous engageons à faire quelque chose dans le contexte de ce projet de loi, nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation de revenir sur notre engagement et de dire : « Nous sommes désolés. Nous n’avons pas été en mesure de le faire. »

Nous avons besoin de temps pour examiner la situation, nous assurer de bien comprendre les dispositions du projet de loi, ainsi que la façon dont nous pouvons l’utiliser dans l’ensemble du gouvernement, pour répondre aux besoins de la province et à ceux des Premières Nations. De plus, quel que soit l’engagement que nous prenons, nous voulons nous assurer d’être en mesure de le réaliser. C’est ce qui nous préoccupe. Merci.

Le sénateur Francis : Si j’ai le temps, j’aurais une question supplémentaire.

Le président : Vous avez du temps. Allez-y.

Le sénateur Francis : Madame la ministre, quelle est votre relation avec les Premières Nations du Nouveau-Brunswick à cet égard? Avez-vous eu des discussions continues et significatives?

Mme Dunn : Je vous remercie encore une fois de la question.

D’après ce que m’ont dit mes collaborateurs, il y a eu très peu de réunions sur cette question. Je crois qu’il y en a eu une en septembre ou en octobre, peut-être deux ou trois au total. Les discussions ont été limitées. Il y en a eu une concernant l’assurance de mobiliser les Premières Nations. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs non plus de l’ampleur des discussions qui ont eu lieu à ce niveau.

Ce qui nous préoccupe, donc, c’est que nous sommes actuellement engagés dans un processus au Nouveau-Brunswick pour discuter avec les Premières Nations, afin de nous assurer que nous comprenons leurs problèmes et leurs préoccupations. C’est la voie que nous avons empruntée, alors nous voulons nous assurer que, si une loi qui est adoptée a une incidence sur la province du Nouveau-Brunswick, il y aura des discussions complètes avec les Premières Nations, auxquelles la province participera, afin de pouvoir prendre des engagements, et de le faire jusqu’au bout, en sachant que nous pouvons vraiment les réaliser.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup aux témoins d’aujourd’hui. Vos présentations ont été très intéressantes.

Ma question s’adresse à la ministre Dunn. Je viens du Nouveau-Brunswick, et j’en profite pour vous féliciter pour vos nombreux portefeuilles. Vous avez beaucoup de pain sur la planche. D’après vos antécédents, il semble que vous ayez fait beaucoup de travail sur l’inclusion, la diversité et la mobilisation des femmes autochtones et des groupes marginalisés.

Ma question repose en partie sur ce que le sénateur Francis a dit. Je sais qu’au Nouveau-Brunswick, au cours de la dernière année, beaucoup de questions et de préoccupations ont été soulevées par les peuples autochtones en ce qui a trait à l’établissement d’un climat de confiance pour l’avenir. Il y a maintenant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui s’ajoute à cela. Quels sont certains des plans et des mesures qui sont prévus? Je sais que vous avez mentionné certaines choses, mais qu’est-ce qui est prévu d’autre pour bâtir cette confiance et mobiliser les peuples autochtones dans notre province, afin que nous puissions rendre le processus plus inclusif à l’avenir? Que compte faire le gouvernement? De plus, quelles conversations avez-vous eues avec le gouvernement fédéral au sujet de certaines de ces questions?

Mme Dunn : Merci, madame la sénatrice, de votre question. Je vous remercie également de vos bons mots. Je les apprécie beaucoup.

Du point de vue de la province, il y a beaucoup de très bon travail qui se fait dans de nombreux ministères. Si vous examinez le règlement concernant le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, vous constaterez que 27 des 31 obligations provinciales ont fait l’objet d’un travail considérable dans l’ensemble des ministères. Nous sommes très fiers de ce travail, au point où nous avons présenté un rapport à l’Assemblée législative, il y a deux semaines, sur les activités en cours au Nouveau-Brunswick.

Dans ma carrière précédente, j’ai beaucoup travaillé auprès des Premières Nations partout au Canada. L’une des choses qui sont extrêmement importantes et vitales, c’est que la mobilisation ait vraiment lieu à la base. Il est très important que cela se fasse. L’une des choses que nous envisageons au Nouveau-Brunswick pour faire avancer les choses, compte tenu des nombreuses activités qui ont été entreprises, c’est de mobiliser les Premières Nations individuellement. Madame la sénatrice, je peux vous dire que nous avons amorcé ce processus. Nous les faisons venir à la table et nous les écoutons. Il s’agit d’un processus d’écoute, pour le moment, afin que je puisse m’assurer, en tant que nouvelle ministre, que je comprends ce qui est important pour ces collectivités. Quelles sont les possibilités? Quelles sont leurs préoccupations?

Pour ce qui est de la diversité et de l’inclusion, à moins que nous ayons ces discussions à la base, je pense que nous passons à côté de l’essentiel. C’est le travail sur lequel nous devons vraiment nous concentrer ici, et c’est ce que le gouvernement fait actuellement. Nous invitons les Premières Nations à la table, et nous prenons le temps de les écouter pour connaître leurs préoccupations. À mon avis, la meilleure chose à faire en matière de diversité et d’inclusion est de s’assurer d’écouter les gens qui comprennent la situation, et cela doit partir des collectivités, et non pas d’ailleurs.

Merci.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins.

J’aimerais revenir sur la question que la sénatrice LaBoucane-Benson, la marraine du projet de loi, vous a posée. Ma question s’adresse également aux chefs et concerne le genre de processus de consultation qui serait souhaitable. Je sais que vous en avez parlé un peu, mais je voulais vous donner l’occasion d’en dire davantage sur le genre de processus de consultation qui doit être entrepris. Qu’attendez-vous du gouvernement si ce projet de loi est adopté? Je vais commencer par le chef Watchmaker, mais j’invite tous ceux qui veulent prendre la parole à le faire. Merci.

M. Watchmaker : Honnêtement, la consultation sur ce projet de loi n’a pas été faite dans le respect. Il n’y a pas eu de discussion ni de processus de mobilisation, et aucune ébauche n’a été soumise. La première fois que nous avons entendu parler d’une loi, c’était en décembre 2020, pendant la pandémie. Nous ne considérons pas un processus mené avec l’Assemblée des Premières Nations comme un raccourci valable pour amoindrir nos droits issus de traités. De plus, selon nous, le Canada a une vision biaisée de ce qu’est la consultation. Notre relation scellée par traité est gravement mise à mal par ce processus, qui déshonore la Couronne, et il n’y a pas eu de véritable dialogue sur ce projet de loi. Nous n’étions même pas au courant jusqu’à ce que le Parlement en soit saisi. Pour nous, ce n’est pas de la consultation.

M. Grandjamb : Je vous remercie de votre question. Je suis tout à fait d’accord avec le chef Watchmaker au sujet du processus.

Je veux revenir rapidement sur ce que la province a dit au sujet des démarches entourant le projet de loi C-15. Pour Fort McKay, la chose est claire. L’erreur fondamentale au Canada s’est produite en 1930, au moment de l’adoption de la loi sur le transfert des ressources naturelles. C’est ce qui a compliqué les choses au pays. Les responsabilités ont été transférées du niveau fédéral au niveau provincial sans droits issus de traités.

C’est ce qui se produira à Fort McKay. Nous avons fait pression sur la province pour qu’elle tienne compte de l’honneur de la Couronne, et cette démarche se poursuivra pour Fort McKay devant les tribunaux. Il est très injuste que le gouvernement fédéral puisse verser des paiements de transfert à la province, mais pas aux nations.

Bien sûr, vous allez voir la province contester la validité de cela. Le fait est que le fédéral a des responsabilités fondamentales et fiduciaires à transférer à la province. Le projet de loi C-15 ne serait donc pas nécessaire parce que nous respecterions l’engagement de la Couronne et mettrions en œuvre les traités convenus.

La sénatrice Anderson : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Je vous remercie ce matin de vos propos et de vos témoignages dans votre langue. J’ai bien aimé vous entendre.

Ma question s’adresse au chef Mel Grandjamb. Je comprends que l’industrie prend des décisions basées sur la certitude, et nous avons entendu des préoccupations au sujet des façons dont le concept de consentement libre, préalable et éclairé pourrait accroître l’incertitude parmi les intervenants de l’industrie. Toutefois, la relation entre les titulaires de droits autochtones et la Couronne repose sur l’honneur. La seule assurance qui nous est donnée, c’est celle de l’honneur de la Couronne. Les peuples autochtones ont des décennies de preuves qui témoignent du mépris du Canada pour cet honneur.

Selon vous, que pouvons-nous faire, en tant que Canadiens, pour progresser collectivement vers la réconciliation, alors que l’industrie a besoin de certitude pour prendre des décisions d’affaires, et que les peuples autochtones doivent compter sur l’honneur pour prendre des décisions concernant leur autonomie gouvernementale et leur autodétermination?

M. Grandjamb : Vous posez beaucoup de bonnes questions.

En ce qui a trait à Fort McKay, je peux comprendre comment se font les choses. On a dû travailler rapidement en matière de développement industriel. Nous avions un traité, mais aucune aide de la province ou du gouvernement fédéral. Fort McKay a dû faire pression sur les tribunaux pour faire adopter et faire valoir ces plans de l’industrie, afin de créer des ententes de durabilité à long terme pour la collectivité, des ententes sur la durabilité qui profiteront à la collectivité à long terme. Elles ont été élaborées et mises en place pour notre communauté, afin de nous donner la souveraineté nécessaire pour créer notre propre autonomie gouvernementale.

Des processus fondamentaux sont laissés de côté lorsque vient le temps pour les collectivités de travailler à l’exploitation des ressources. À l’heure actuelle, la grande préoccupation, c’est que cela se fait avec les Premières Nations ou d’autres groupes pour opposer un veto à des projets. De notre point de vue, pour ce qui est de Fort McKay, il a toujours été entendu que nous allions assurer un développement responsable, et c’est ce que nous avons fait. Le plan de Moose Lake que nous avons poussé la province à accepter traite de l’exploitation responsable des ressources et du fait qu’il est toujours possible d’exercer les droits issus de traités.

J’espère que cela répond à certaines de vos questions.

La sénatrice Anderson : [mots prononcés dans une langue autochtone]

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vais laisser le porte-parole poser la dernière question. Merci.

Le sénateur Patterson : C’est très apprécié, sénatrice LaBoucane-Benson.

Grand chef Watchmaker, j’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du conseil clair qui a été donné au comité, y compris lors de notre première réunion avec le grand chef Perry Bellegarde de l’Assemblée des Premières Nations, à savoir que nous ne devrions accepter aucun amendement. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il s’agit d’une abdication de notre devoir de parlementaires. J’aimerais vous demander si vous croyez que ce projet de loi peut être amélioré grâce à des amendements, ou si vous pensez qu’en raison du manque de consultation, nous ne devrions pas l’adopter et recommencer sur la base d’un engagement respectueux dès le départ.

J’aimerais aussi m’adresser au chef Beaverbones, s’il est prêt à répondre à cette question. Merci.

M. Watchmaker : Merci, sénateur, de cette question.

Je crois certainement que le gouvernement ne peut pas légiférer concernant ses devoirs et ses obligations au moyen d’un plan d’action national qui ne prévoit pas de consultations adéquates auprès des Premières Nations touchées et que la poursuite de l’examen perpétuerait la violation de toute façon.

Je crois que le Sénat doit aussi se pencher sur son propre passé pour se rappeler combien il est difficile d’amender un projet de loi une fois qu’il a été adopté. Les sénateurs savent très bien à quel point il est difficile de modifier une loi après coup, comme cela a été le cas, par exemple, pour le projet de loi S-3. Il a fallu trois prolongations pour que cela se produise. Les faits montrent clairement qu’il est difficile d’apporter des amendements après l’adoption d’un projet de loi.

Il est clair que nous appuyons le rejet du projet de loi et que nous préconisons la tenue de discussions adéquates avec les nations, le retour à la base, ainsi qu’une mobilisation appropriée, avant d’aller de l’avant.

Le sénateur Patterson : Merci. Chef Beaverbones, vous avez la parole s’il reste du temps.

M. Beaverbones : Rebonjour. J’aimerais simplement dire que nous avons écrit une lettre à l’Assemblée des Premières Nations, et peut-être même deux ou trois, pour leur dire qu’ils ne parlent pas au nom d’O’Chiese. J’ai essayé d’inviter M. Bellegarde à venir rencontrer nos gens, il y a un an ou deux, et je n’ai toujours pas eu de réponse.

Peu importe ce qui est adopté, la consultation n’est pas au rendez-vous. C’est ce que je dis. Nous n’avons jamais été consultés au sujet des ententes que le gouvernement a conclues, alors c’est un gros problème pour nous.

Le président : Je suis désolé, chef, mais notre temps est écoulé, non seulement pour cette question, mais aussi pour ce groupe de témoins.

Je remercie nos témoins d’avoir été parmi nous aujourd’hui. Je tiens à remercier la ministre Dunn, le grand chef Watchmaker, le chef Grandjamb, M. Evans, M. Johnson, le chef Beaverbones, Mme Carpentier et Mme Large.

Je souhaite la bienvenue à notre prochain groupe de témoins, soit M. Mauro Barelli, professeur agrégé, The City Law School, Université de Londres, M. Dwight Newman et M. Romeo Saganash.

M. Barelli, M. Newman et M. Saganash feront une déclaration préliminaire d’environ six minutes. Cela sera suivi d’une période de questions et réponses avec les sénateurs pendant environ trois minutes par sénateur. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question sera posée par le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

Si les sénateurs ont une question, on leur demande d’utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront reconnus dans le clavardage sur Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité dans la liste des intervenants.

Tout suivi écrit aux questions doit être soumis à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’avisera par message texte lorsqu’il restera 10 secondes du temps de parole pour les exposés liminaires des témoins et les questions et réponses des sénateurs. Je ferai un décompte visuel de 10 secondes en levant les mains à l’écran, puis lorsqu’il restera zéro seconde, je vous annoncerai que votre temps est écoulé.

J’invite maintenant M. Barelli à faire sa déclaration préliminaire.

M. Mauro Barelli, Université de Londres, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs, et merci beaucoup. J’aimerais d’abord remercier le président et les membres du comité de m’avoir invité ici aujourd’hui.

En tant qu’universitaire spécialisé dans les droits des peuples autochtones en droit international, j’ai eu l’occasion au fil des ans d’examiner divers aspects de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui sont pertinents dans le contexte des discussions actuelles sur le projet de loi C-15. Ma déclaration d’aujourd’hui portera plus particulièrement sur deux de ces questions, à savoir, premièrement, les objectifs du projet de loi C-15 et sa relation avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et, deuxièmement, la notion de consentement libre, préalable et éclairé.

Le premier objectif du projet de loi C-15 est de confirmer que la déclaration est un instrument international universel des droits de la personne qui s’applique dans le droit canadien. Du point de vue du droit international, il s’agit d’un énoncé simple et non controversé. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est sans nul doute un instrument international des droits de la personne. Il s’agit en fait d’un instrument juridique international qui concerne les droits de la personne des peuples autochtones. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’est pas un traité, et rien dans le projet de loi C-15 ne laisse entendre le contraire.

Le fait que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ait été adoptée au moyen d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies signifie qu’elle n’est pas en soi juridiquement contraignante comme le serait un traité international. Toutefois, rien n’empêche qu’un instrument juridique international comme la déclaration des Nations unies s’applique dans les systèmes juridiques nationaux. C’est particulièrement vrai à la lumière du haut degré d’autorité et de légitimité qu’elle a acquis au niveau international. Ainsi, les tribunaux nationaux, ainsi que les tribunaux régionaux des droits de la personne, peuvent utiliser la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour interpréter, clarifier ou élargir les lois existantes et l’ont utilisée dans les faits. En même temps, les dispositions d’une déclaration comme la déclaration des Nations unies peuvent éclairer, directement ou indirectement, l’élaboration des lois et des politiques.

Le deuxième objectif du projet de loi C-15 est de fournir un cadre pour la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement du Canada. En ce sens, le projet de loi C-15 marque le début d’un processus plus vaste et très important visant à atteindre, conformément à l’article 38, les buts visés par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Lorsque nous parlons de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et que nous envisageons des mesures appropriées pour atteindre ses objectifs, il est également très important de se rappeler que, comme l’affirme l’article 43, les droits reconnus dans la déclaration constituent les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde. Nous ne devons donc jamais perdre de vue la dimension humaine des discussions en cours.

Je vais maintenant aborder quelques points concernant le consentement libre, préalable et éclairé. Encore une fois, je vais le faire du point de vue du droit international.

Premièrement, les organismes internationaux et régionaux de défense des droits de la personne ont tous approuvé sans réserve la notion de consentement libre, préalable et éclairé. Au niveau international, les pratiques des organismes des traités des Nations unies sur les droits de la personne, comme le Comité des droits de l’homme et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en sont de bons exemples. Au niveau régional, il faut tenir compte de la jurisprudence des tribunaux compétents, comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. La reconnaissance généralisée du consentement libre, préalable et éclairé par tous ces organismes de défense des droits de la personne montre qu’aujourd’hui, cette notion représente une norme juridique de premier plan que les États doivent appliquer pour respecter leurs obligations internationales envers les peuples autochtones.

L’autre point que j’aimerais faire valoir, c’est que ni la déclaration ni aucun des organismes internationaux ou régionaux de défense des droits de la personne que je viens de mentionner n’ont défini le consentement libre, préalable et éclairé comme comportant un droit de veto. Au lieu de cela, ils ont tous souscrit au point de vue selon lequel, premièrement, les consultations devraient toujours être menées de bonne foi et viser à obtenir le consentement. Deuxièmement, dans le contexte particulier des projets touchant les terres des peuples autochtones, l’ampleur d’un projet de développement et l’impact humain et social de l’activité en question sont les principaux critères qui détermineront la force de l’objectif visant à obtenir ce consentement.

La Cour constitutionnelle de Colombie a expliqué avec éloquence pourquoi il serait inapproprié de juxtaposer le concept de veto à la notion de consentement libre, préalable et éclairé, en soulignant ce qui suit :

Le veto crée l’impression d’un obstacle arbitraire, qui n’exige pas de raisons pour s’imposer contre d’autres points de vue et moyens d'action [...]

La cour a poursuivi en ajoutant que le processus de consultation devrait être :

[...] conçu comme un dialogue de bonne foi, d’égal à égal, visant à conclure des accords qui tiennent compte des impacts environnementaux, sociaux et économiques d’une mesure, dans le but de concilier différentes conceptions du développement.

Enfin, il est important de tenir compte de la relation entre le consentement libre, préalable et éclairé et certains des droits les plus importants des peuples autochtones confirmés dans la déclaration des Nations unies. De façon plus particulière, le droit des peuples autochtones à l’autodétermination, qui comprend leurs droits d’assurer librement leur développement économique, social et culturel, ne peut pas s’appliquer correctement si les intérêts des États l’emportent systématiquement sur ceux des peuples autochtones. Il s’ensuit qu’un véritable appui aux valeurs qui sous-tendent le consentement libre, préalable et éclairé est nécessaire pour signaler un engagement concret à respecter pleinement les droits fondamentaux des peuples autochtones.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Barelli.

Dwight Newman, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour. C’est un honneur pour moi de comparaître aujourd’hui devant le comité sénatorial, en compagnie d’un éminent spécialiste international des droits des Autochtones comme M. Barelli, qui a été un défenseur juridique et politique des droits des Autochtones au Canada aussi important que M. Saganash, et qui passera à l’histoire pour ses travaux, j’en suis sûr.

Je tiens à souligner que je me trouve dans le territoire du Traité no 6 et la patrie des Métis.

Je m’appelle Dwight Newman. J’ai déjà comparu devant le comité, mais pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, je travaille comme professeur de droit à l’Université de la Saskatchewan, et j’ai beaucoup écrit sur des questions liées au contexte juridique des droits des Autochtones, tant au Canada qu’à l’échelle internationale.

Je m’adresse à vous à titre personnel. Comme toujours devant un comité parlementaire, j’essaie de présenter le point de vue juridique dans le but d’aider le Parlement à bien comprendre ce qu’il adopte et les options qu’il pourrait avoir pour procéder à des adaptations, notamment.

Dans le cas du projet de loi C-15, nous parlons évidemment d’une question d’une importance symbolique énorme en ce qui concerne l’engagement continu du Canada à l’égard des droits des Autochtones dans le cadre de ses travaux plus généraux sur les droits de la personne.

En même temps, lorsqu’on parle d’un projet de loi, on parle de quelque chose qui pourrait finir par avoir force de loi dans le droit canadien, et il est important d’être conscient des conséquences potentielles de l’adoption d’une loi sous une forme particulière, même lorsque ces conséquences potentielles sont différentes de celles prévues par le projet de loi ou de ses objectifs.

Tous les membres du comité se demandent comment améliorer la situation des Autochtones au Canada. Je présume que tous ceux qui comparaissent devant le comité le font dans cet esprit également. Il est important de réfléchir à la façon dont le projet de loi atteint cet objectif et aux moyens adoptés à cette fin par rapport à d’autres visant le même objectif, par l’entremise d’un projet de loi semblable ou d’autres options.

De toute évidence, comme je l’ai dit, le projet de loi marque une importante reconnaissance symbolique des droits des Autochtones. En outre, certains articles du projet de loi pourraient encourager les tribunaux à utiliser la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou la déclaration pour être plus bref, pour les interprétations qu’ils font dans différents contextes.

Je tiens à souligner que ce projet de loi est très différent de l’ancien projet de loi C-262 à cet égard, car la mention de la reconnaissance de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans l’application du droit canadien ne se trouve pas dans un article clé, mais plutôt dans une disposition concernant l’objet du projet de loi, ainsi qu’en référence dans le préambule. En fait, cela élimine l’une des principales ambiguïtés dont j’ai parlé dans le contexte du projet de loi C-262. Je pense que ce projet de loi comporte un encouragement aux tribunaux en ce sens, sans certains des risques liés au projet de loi C-262, du fait de son inclusion immédiate dans le droit statutaire. Comme M. Barelli l’a dit, il convient de reconnaître la déclaration comme un instrument international des droits de la personne. Cela ne fait aucun doute, mais je pense que les moyens qui sont utilisés comportent des aspects positifs.

Les autres parties du projet de loi portent sur l’élaboration d’un plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sur l’engagement du gouvernement canadien à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la cohérence des lois canadiennes avec la déclaration. Je vais parler brièvement de ces éléments du projet de loi, car je vois que le temps file.

Tout d’abord, il n’y aurait pas d’obstacles juridiques empêchant le gouvernement de s’occuper des questions autochtones avant que le projet de loi soit en place ou avant qu’un plan d’action soit établi, et jamais une loi n’a empêché qui que ce soit d’élaborer un plan d’action fondé sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, avant l’avènement de ce projet de loi. J’espère que ce projet de loi ne retardera pas les choses en établissant un échéancier de trois ans pour ce qui est des mesures à prendre à l’égard des enjeux autochtones importants.

Je dirais aussi, cependant, qu’il y a des attentes très divergentes quant à ce que le projet de loi signifiera dès le départ. Je pense qu’il est important de penser à l’expérience de la Colombie-Britannique concernant un projet de loi très semblable, la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act ou DRIPA de 2019 en Colombie-Britannique. On nous a assuré à maintes reprises que le but visé était uniquement l’établissement d’un plan d’action. Ce qui s’est passé, c’est que l’on a déjà utilisé ce projet de loi à de nombreuses reprises pour tenter des poursuites, ce qui laisse entendre qu’il impose déjà certaines contraintes au gouvernement, avant même l’adoption de ce plan d’action. La présence de ce genre de perceptions divergentes est un défi, et il faut se demander s’il y a une façon d’éviter certains de ces effets.

L’autre chose que je veux souligner, c’est que la façon dont le projet de loi est structuré actuellement prépare le terrain pour une éventuelle contestation du plan d’action à l’avenir, advenant le cas où il y aurait des désaccords. Il serait possible que certains soumettent la question à un examen judiciaire. Je ne sais pas si c’est souhaitable pour la réconciliation. Encore une fois, je pense que le projet de loi pourrait être plus clair pour limiter ces effets.

Je vais m’arrêter ici, car je sais que mon temps de parole tire à sa fin. J’ai fait parvenir au comité de la Chambre certains commentaires sur d’autres points qui pourraient faire l’objet d’éclaircissements juridiques, mais après ces commentaires préliminaires, je serai heureux de répondre à des questions plus tard.

Le président : Merci, monsieur Newman.

Romeo Saganash, à titre personnel : [mots prononcés dans une langue autochtone] Merci, monsieur le président.

Je voulais souligner le fait, en langue crie, qu’il me semble quelque peu étrange et très particulier d’être devant cette institution qui a été responsable du rejet de mon projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-262. Pour être juste, cela ne concerne qu’une poignée de vos collègues. Cependant, monsieur le président, je tiens à ce qu’il soit clair pour vous et les membres du comité que je n’ai aucune animosité et que j’ai pris mes distances face à cet événement malheureux. Alors me voici de nouveau.

En ce qui concerne la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, je pense qu’il vaut la peine de savoir qu’il s’agit de l’instrument universel des droits de la personne qui a fait l’objet des discussions et des négociations les plus longues dans l’histoire des Nations unies. Il a fallu plus de deux décennies pour négocier cet instrument. À ce jour, la déclaration des Nations unies a été réaffirmée par l’Assemblée générale des Nations unies au moins 10 fois par consensus, c’est-à-dire sans vote. Cela signifie également qu’aucun État au monde ne s’y oppose actuellement.

En fait, en décembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a souligné que la déclaration

[...] a eu une influence positive sur l’élaboration de plusieurs constitutions et statuts aux niveaux national et local, en plus de contribuer au développement progressif de cadres et de politiques sur les plans national et international [...]

Je suis heureux de constater que le projet de loi C-15 est fondé sur le projet de loi C-262. C’était l’engagement qu’avait pris le gouvernement fédéral, et je pense même qu’il va plus loin que le projet de loi C-262.

En ce qui concerne le projet de loi C-15, au cours de mes huit ans et demi comme législateur, monsieur le président, à l’autre chambre, j’ai dû examiner quelque 1 463 mesures législatives. Certaines étaient étendues, d’autres très étendues, mais d’autres encore étaient plutôt anodines — simples, directes — et le projet de loi C-15 tombe dans cette dernière catégorie. Il suffit de penser à l’objet de la loi tel que prévu aux alinéas 4a) et 4b) et, bien sûr, au processus d’élaboration du plan d’action en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones. Une période de trois ans était prévue à cette fin; elle est maintenant de deux.

Je crois qu’il est important de bien comprendre l’alinéa 4a). En fait, les tribunaux ont fait référence à la déclaration des Nations unies à maintes reprises au fil des ans, même avant que ce projet de loi soit présenté. Dans la tradition juridique canadienne, les normes internationales en matière de droits de la personne ont un poids réel dans le droit national. Les tribunaux canadiens prennent les engagements du Canada au sérieux et utilisent régulièrement les normes internationales en matière de droits de la personne pour interpréter et appliquer les lois nationales. C’est ce que le projet de loi C-15 dit explicitement lorsqu’il affirme que la déclaration des Nations unies est un instrument international universel des droits de la personne qui s’applique en droit canadien. Le projet de loi ne transformera pas la déclaration en loi canadienne. Il s’agit plutôt de reconnaître le fait que la déclaration fait déjà partie du paysage juridique du Canada.

L’une des principales dispositions du projet de loi C-15 est l’exigence selon laquelle le gouvernement fédéral doit travailler de façon proactive avec les peuples autochtones pour déterminer les lois et les politiques qui doivent être modifiées, afin de respecter les obligations du Canada en matière de droits de la personne.

Enfin, je pense qu’il est important de reconnaître que le projet de loi C-15 établira un précédent international en ce qui concerne la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Les avantages ne se limiteront pas aux peuples autochtones du Canada, mais ils serviront d’exemples positifs pour les États de différentes régions du monde.

En tant qu’ancien député, auteur du projet de loi d’initiative parlementaire sur lequel se fonde le projet de loi C-15, et en tant que titulaire de droits, j’ai participé — et je vais conclure là-dessus, monsieur le président — à la négociation de la déclaration des Nations unies. Vous ne serez peut-être pas surpris d’apprendre que j’appuie fermement cette initiative. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde soit d’accord. Cependant, je crois qu’il est de notre devoir de présenter les faits correctement lorsqu’il est question du projet de loi et de l’état actuel du droit canadien.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Saganash.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à M. Barelli. Vous avez fourni l’une des définitions les plus claires et les mieux étayées du consentement libre, préalable et éclairé à l’échelle internationale. Je me demande si vous pouvez nous en parler. Avez-vous étudié la jurisprudence canadienne sur l’obligation de consulter? Comment cela se compare-t-il aux définitions internationales du consentement libre, préalable et éclairé?

M. Barelli : Madame la sénatrice, je vous remercie beaucoup de cette question, qui est évidemment très importante. Elle est directement liée à certains des enjeux les plus difficiles dont vous avez tenté de discuter au comité.

Je pense que le consentement libre, préalable et éclairé est un principe qui s’accompagne inévitablement d’une certaine souplesse. C’est la position que j’ai toujours défendue en ce qui concerne cette notion. Lorsque je dis « la position que j’ai toujours défendue », soit dit en passant, je veux dire que j’ai toujours essayé de rendre compte de la position qui est appuyée en droit international. J’ai toujours considéré cette question non pas du point de vue national ou canadien, mais du point de vue du droit international. À cet égard, le consentement libre, préalable et éclairé est un principe fondamental qui renforce le droit des peuples autochtones de participer aux processus décisionnels qui les touchent. C’est un élément fondamental de leur droit à l’autodétermination.

Cette notion est fondamentale pour garantir la reconnaissance des droits que je viens de mentionner. Cela ne peut se faire que si la consultation n’est pas une fin en soi. C’est une chose d’entreprendre des consultations en sachant qu’il n’y a aucune possibilité d’influer sur les résultats. C’en est une autre de savoir qu’il sera possible de le faire. C’est ce que la notion de consentement libre, préalable et éclairé établit clairement. Il doit y avoir un dialogue équitable mené de bonne foi par les deux parties. Les peuples autochtones ont et devraient avoir la possibilité d’influer sur les résultats — de donner ou de refuser leur consentement.

Cependant, cela ne se fait pas dans l’absolu. Vous en avez déjà entendu parler à maintes reprises. J’ai suivi les discussions. Inévitablement, c’est un principe qui doit être contextualisé. C’est ce qu’ont dit tous les organismes internationaux et régionaux de défense des droits de la personne que j’ai mentionnés dans ma déclaration préliminaire. Ce n’est pas moi qui le dis. Il y a unanimité à ce sujet. Le consentement libre, préalable et éclairé doit être contextualisé en ce sens que, lorsqu’il est question de projets de développement touchant les terres des peuples autochtones, il faut examiner la nature de ces projets. Il faut déterminer quelle est l’ampleur du projet et quel sera son impact sur les droits humains et sociaux...

Le président : Merci, monsieur Barelli.

C’est au tour du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson, de poser des questions.

Le sénateur Patterson : Merci aux témoins.

Je suis heureux de vous revoir, monsieur Saganash. Je me souviens que lorsque vous étiez député, vous avez dit très clairement que tout ce qui est proposé par le gouvernement fédéral nécessite une consultation appropriée. Dans une entrevue accordée à la CBC, le 12 octobre 2018, vous avez dit au sujet du gouvernement :

Il utilise des mots comme « mobilisation » ou « dialogue », mais pas nécessairement « consultation » d’un point de vue constitutionnel.

Monsieur Saganash, j’aimerais vous poser une question en tant que titulaire de droits. Nous avons entendu ce matin des titulaires de droits, des chefs élus, et nous avons entendu des titulaires de droits comme ceux des Traités nos 6, 7 et 8 , de l’Association of Iroquois and Allied Indians en Ontario, du MKO au Manitoba, notamment, qui rejettent ce projet de loi d’emblée ou qui ont énoncé les normes minimales requises pour l’appuyer. Nous avons entendu dire que ces normes n’ont pas été respectées. Nous avons également entendu dire qu’on s’attend à ce qu’il y ait des consultations avant le dépôt de tout projet de loi présenté par la Couronne, conformément à l’obligation de consulter prévue à l’article 35. Ma question est la suivante : seriez-vous d’accord pour dire que les opinions et les préoccupations des titulaires de droits méritent d’être prises en compte dans ce projet de loi du gouvernement? Merci.

M. Saganash : Merci de cette question, monsieur Patterson. Je suis heureux de vous voir également.

Tout d’abord, je comprends les préoccupations qui ont été exprimées au sujet du projet de loi C-15 et l’absence ou le peu de consultations que certains ont mentionné. Ce n’est pas à moi de juger si elles étaient suffisantes ou non. Je pense que tous les titulaires de droits ont le droit de contester le processus qui a été appliqué à l’élaboration du projet de loi C-15 et de le faire devant les tribunaux. Ils ont tout à fait le droit de le faire.

Je viens de jeter un coup d’œil à la résolution no 86/2019. Cette résolution a été adoptée par les chefs de l’Assemblée des Premières Nations, ce qui donnait à celle-ci le mandat de négocier une loi fédérale en utilisant le projet de loi C-262 comme base. Je pense que cette résolution a été adoptée par consensus, et je la considère de ce point de vue. Si d’autres estiment que le processus n’est pas suffisant, je pense qu’ils ont tout à fait le droit de le contester.

La sénatrice Stewart Olsen : Je remercie nos témoins.

Monsieur Newman, vous avez parlé dans vos exposés de l’ambiguïté et de l’incertitude juridiques qui découlent de l’utilisation de l’expression « application au droit canadien ». Vous soutenez également qu’on peut penser qu’une disposition relative à l’objet n’a pas le même effet juridique qu’une disposition d’application. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet et nous conseiller quant aux amendements qui pourraient être apportés pour éviter le genre d’incertitude juridique que vous avez soulevée?

M. Newman : Je dirais que le projet de loi C-15 suscite moins d’incertitude juridique que le projet de loi C-262. Dans le projet de loi C-262, la disposition concernant l’application au droit canadien s’inscrivait dans une disposition ayant force de loi. Dans ce projet de loi, l’article en question fait référence à l’application des principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au droit canadien. Cela n’en fait pas nécessairement quelque chose qui a force de loi. Il s’agirait plutôt de quelque chose qui serait plus couramment utilisé pour interpréter le projet de loi, par exemple.

Cependant, il y a des gens qui ont présenté un point de vue différent à ce sujet, notamment le conseiller juridique de l’Assemblée des Premières Nations, je crois, selon qui cela aurait plus d’effet. S’il n’y a pas d’effet législatif, il serait plus clair que cela se limite au préambule. Cependant, je reconnais que certains y voient une trop grande dilution du principe, et il y a des raisons compréhensibles pour lesquelles certains voudraient que ce soit inclus dans une disposition concernant l’objet.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à M. Barelli.

Dans une publication de 2018 intitulée The UN Declaration on The Rights of Indigenous Peoples: A Commentary, vous avez dit qu’une approche souple concernant la notion de consentement libre, préalable et éclairé serait

[...] de viser à garantir la participation effective des peuples autochtones aux décisions qui les concernent et la protection effective de leurs droits fondamentaux.

Je m’intéresse à la question de la participation effective. Si les titulaires de droits et les titulaires de traités traditionnels sont exclus des discussions initiales, qu’on leur donne un préavis limité, ainsi que peu de temps et de ressources, ou qu’on ne tient pas compte de leurs commentaires, et qu’ils rejettent par conséquent tout le processus et le projet de loi, ne viole-t-on pas leurs droits garantis par l’article 35 de la Constitution et les dispositions qu’il comprend? Merci.

M. Barelli : Merci, monsieur le sénateur, de votre question. C’est une question importante.

Je pense que ce que vous avez essayé de souligner dans votre question, c’est l’importance de garantir la participation dès le début de chaque processus. C’est en effet ce qui est exigé, non seulement par la notion de consentement libre, préalable et éclairé, mais aussi par le droit de consultation tel qu’il a été reconnu et confirmé en droit international.

Le but devrait toujours être d’utiliser les processus les plus inclusifs possible. L’objectif devrait toujours être d’être aussi inclusif que possible. Je ne sais pas exactement dans quelle mesure le processus a été inclusif, quelle est l’ampleur de la contestation du projet de loi par certains titulaires de droits ou dans quelle mesure cette contestation est répandue. Je remarque qu’il y a eu des consultations au sujet de projets de loi antérieurs sur lesquels ce projet de loi s’appuie.

J’ai l’impression que ce qui compte vraiment, c’est ce qui vient après la rédaction du plan d’action et lorsque des mesures pratiques sont prises pour s’assurer que les objectifs de la déclaration sont atteints. À ce moment-là, il serait encore possible que ces voix se fassent entendre, ce qui, apparemment, n’est pas le cas actuellement. Ensuite, bien sûr, il faut aussi déterminer dans quelle mesure il s’agit d’un problème ou quelle est l’étendue du manque d’appui des peuples autochtones à ce projet de loi.

En 2018, le Costa Rica a adopté une loi très intéressante sur la consultation. Avant cela, il a fallu une consultation sur les consultations qui a duré plus de 24 mois...

Le président : Désolé, monsieur Barelli, votre temps est écoulé.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à M. Barelli. Nous avons entendu de nombreux témoins parler du manque de consultation auprès des titulaires de droits, ainsi que du manque de confiance à l’égard du Canada, tant par le passé que maintenant, pour ce qui est de joindre le geste à la parole. Vous avez parlé de « bonne foi, d’égal à égal ». Pouvez-vous expliquer ce concept, et pensez-vous que le projet de loi C-15 offre des possibilités à ce chapitre?

M. Barelli : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Personnellement, je pense que le fait de prendre des mesures pour atteindre les fins de la déclaration favoriserait de meilleures relations d’égal à égal sur la base du principe de la bonne foi. C’est mon point de vue.

Cela exigerait beaucoup de travail. La déclaration comporte 46 articles. Ce ne sera pas une tâche facile, mais je crois que les dispositions de la déclaration — les droits confirmés dans la déclaration, ainsi que les principes qui sous-tendent ces dispositions et ces droits — reposent précisément sur la reconnaissance de l’égalité. En fait, l’un des articles les plus importants de la déclaration est celui établissant le principe d’égalité. Les peuples autochtones sont sur un pied d’égalité avec tous les citoyens. Je verrais certainement cela comme un processus propice aux objectifs que vous avez mentionnés.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins.

Je tiens particulièrement à vous remercier, monsieur Saganash, d’avoir présenté le projet de loi C-262 qui, bien sûr, a jeté les bases du projet de loi C-15 et a permis au Canada de modifier positivement sa position et ses processus de consultation concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

En ce qui concerne la déclaration des Nations unies, l’article 35 et la coexistence des deux, lorsque vous avez élaboré le projet de loi C-262, comment envisagiez-vous que la loi, lorsqu’elle serait mise en œuvre, serait protégée contre une violation justifiée en vertu de l’arrêt Sparrow? Comment le plan d’action national peut-il clarifier cette question, étant donné qu’il présuppose des droits inhérents préexistants comme normes minimales?

M. Saganash : Tout d’abord, permettez-moi de mettre la question en contexte, en ce sens que je considère toujours la Constitution, nos traités, le droit autochtone et le droit international en matière de droits de la personne comme des cadres juridiques distincts qui se renforcent mutuellement. Je pense que nous devons également faire cette distinction.

L’article 35 est une disposition distincte du système juridique canadien, qui vient s’ajouter à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour traiter des droits inhérents ou préexistants des peuples autochtones. Cette question a fait l’objet de discussions au cours des 30 dernières années.

Il est également important de mentionner que nous semblons souvent oublier que bon nombre des dispositions de la déclaration des Nations unies font déjà partie du droit international coutumier. Je peux citer les articles 2, 3, 7(2), 31(1), 26, 27 et 28.

La déclaration contient également ce que nous appelons en droit international des normes dérogatoires, ou des normes péremptoires — jus cogens en latin. Les deux pactes internationaux sur les droits de la personne, soit l’article 28 ou pacte sur les droits économiques et sociaux, et l’article 50 ou pacte sur les droits civils et politiques, traitent des dispositions qui s’appliquent à toutes les parties d’un État fédéral sans aucune limite ni exception. Et c’est ce que vise le projet de loi C-15 et ce que visait le projet de loi C-262.

Le président : Je suis désolé, monsieur Saganash, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à M. Barelli et à M. Saganash. Certains ont laissé entendre que l’article 46, qui traite du principe de l’intégrité territoriale des États, pourrait être invoqué pour affaiblir l’article 3, qui traite de l’autodétermination. Selon votre avis d’expert, cette interprétation juridique est-elle exacte? Autrement, comment le droit international concilie-t-il le principe de l’intégrité territoriale avec le droit à l’autodétermination et tout autre droit?

M. Barelli : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

Oui, il y a un lien important entre l’article 46 et l’article 3. La référence au principe de l’intégrité territoriale est liée à la dimension externe de l’autodétermination. En droit international, l’autodétermination est habituellement divisée en deux aspects, ou dimensions, l’un interne et l’autre externe, ce dernier étant celui qui permettrait au bénéficiaire du droit de créer son propre État. Au cours de la négociation et de la rédaction de la déclaration, cette mention particulière de l’intégrité territoriale a été ajoutée à la toute dernière minute, afin de préciser essentiellement que l’autodétermination reconnue dans la déclaration avait un caractère interne.

Le sénateur Francis : Merci.

M. Saganash : À mon avis, le paragraphe 46(1) ne peut avoir d’incidence sur le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Lisez attentivement le paragraphe 46(3), où il est mentionné que les dispositions énoncées dans la déclaration doivent être interprétées conformément à plusieurs principes, y compris l’égalité et la non-discrimination, ce qui signifie essentiellement que le droit à l’autodétermination des peuples autochtones n’est pas différent du droit à l’autodétermination des autres peuples. Lisez l’article 45, qui stipule que les dispositions de la déclaration ne peuvent être interprétées comme entraînant la diminution ou l’extinction des droits des peuples autochtones. À mon avis, cela protège essentiellement l’article 3, qui est le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, mais aussi l’article 1, où il est dit que le droit international relatif aux droits de la personne s’applique également aux peuples autochtones.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Barelli, monsieur Newman et monsieur Saganash.

Ma question s’adresse à M. Saganash. Permettez-moi de vous assurer, monsieur Saganash, que le comité sénatorial a adopté votre projet de loi il y a deux ans.

Aujourd’hui, nous avons entendu un certain nombre de préoccupations exprimées par des témoins précédents. La ministre du Nouveau-Brunswick, Mme Dunn, était préoccupée par le fait que le projet de loi C-15 était trop vague, créant plus de questions que de réponses et entraînant plus de litiges. D’une part, les trois chefs du Traité no 6, y compris le grand chef Watchmaker, ont dit que ce projet de loi renforcera le colonialisme pour l’avenir, qu’il est une distraction et qu’il s’apparente à de l’assimilation, et d’autre part, nos aînés disent que ce n’est pas bon pour notre peuple et que nous devons protéger nos droits issus de traités. Monsieur Saganash, comment répondriez-vous à ces préoccupations? Pourriez-vous nous aider, s’il vous plaît?

M. Saganash : Je ne pense pas que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones soit un document ou un instrument vague ou qui prête à confusion. En fait, ce qui était assez vague en 1982, lorsque nous avons eu la Constitution de 1982, c’était le concept des droits ancestraux, et pendant longtemps le gouvernement canadien a interprété l’article 35 comme s’il était vide de sens. Ce n’est pas le cas de la déclaration des Nations unies, qui contient 46 articles. Je pense que son contenu est assez clair, à savoir les droits politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux et spirituels des peuples autochtones. Je pense donc que cela sera utile, en fait, pour éviter les litiges coûteux que nous avons connus au fil des ans — depuis longtemps, en fait, et pas seulement depuis 1982.

L’une des choses que j’ai toujours mentionnées au sujet de la déclaration des Nations unies et du projet de loi C-15, et c’était la même chose pour le projet de loi C-262, c’est qu’en vertu de l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre doit s’assurer, avant de présenter un projet de loi, qu’il est conforme à la Charte des droits et libertés. Nous n’avons pas d’équivalent pour les droits ancestraux et les droits issus de traités dans ce pays. À mon avis, le projet de loi C-15 permettra d’atteindre cet objectif.

Le sénateur Tannas : Tout d’abord, permettez-moi de féliciter et de remercier M. Saganash de tout son travail. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous ne serions pas ici avec un projet de loi du gouvernement si ce n’était de ses efforts incessants. Je le dis avec le plus grand respect.

J’ai quelques questions à poser à M. Newman. Le projet de loi C-262 a suscité beaucoup de préoccupations en ce qui concerne la disposition d’application et la question de l’application. Vous avez soulevé cela la dernière fois au cours des audiences du comité, ce qui, si je me souviens bien, a été corroboré par le témoignage de M. Borrows, ainsi que par celui du juge à la retraite Major de la Cour suprême, qui ont confirmé que le fait d’inclure cela dans la disposition d’application était un problème majeur. Ce n’est plus le cas.

Vous avez toutefois mentionné que c’est peut-être à cause de cette divergence d’attentes que quelqu’un quelque part a déjà dit que nous allions adopter l’optique selon laquelle il s’agit d’une disposition d’application. Le ministre de la Justice et procureur général nous a dit très clairement que ce n’était pas le cas et qu’il ne s’agissait pas d’une disposition d’application. On nous a toujours dit, et peut-être trop dit, que les tribunaux examinent les audiences du Sénat et les observations du Sénat lorsqu’ils se penchent sur l’intention véritable d’un projet de loi qui n’est pas clair — si jamais il se peut qu’un projet de loi ne soit pas clair. Par conséquent, nous pourrions faire des observations pour nous assurer que toute ambiguïté à ce sujet disparaît du simple fait de citer les témoignages des représentants du gouvernement et de personnes comme M. Saganash et d’autres qui ont réitéré cela chacun à leur façon.

Que pensez-vous de cette protection? Je n’ai aucun appétit, et la plupart des sénateurs, je crois, n’ont aucun appétit pour amender ce projet de loi. À votre avis et d’après votre expérience, s’agit-il d’un effort satisfaisant de clarification?

M. Newman : Je dirais qu’il serait utile que des observations de ce genre soient formulées de la façon la plus claire et la plus définitive possible, sous toutes les formes possibles, dans un rapport du comité ou des déclarations au Sénat. Surtout s’il y a unanimité sur ce point au Sénat, c’est quelque chose dont un tribunal pourrait tenir compte. Cela pourrait régler le problème de l’article 4.

Lorsque j’ai parlé des poursuites judiciaires qui ont eu lieu dans le contexte des dispositions législatives parallèles de la Colombie-Britannique, certains des arguments ont été invoqués en vertu de l’article 5...

Le président : Je suis désolé, monsieur Newman, mais votre temps est écoulé.

M. Newman : Vous voudrez peut-être faire des observations à ce sujet également.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vais revenir à vous, monsieur Barelli, parce que vous n’avez pas parlé de la jurisprudence au Canada dans votre réponse. Je pense que vous avez très bien décrit le consentement libre, préalable et éclairé à l’échelle internationale, mais pouvez-vous comparer cela à la jurisprudence au Canada?

M. Barelli : Merci. Cela me donne l’occasion de terminer ce que j'essayais de dire plus tôt.

Je vois d’importantes similitudes entre l’obligation de consulter et d’accommoder, d’une part, et le consentement libre, préalable et éclairé, d’autre part. Il y a des différences, mais sur le plan des principes, je vois des similitudes importantes.

Pour commencer, je peux comprendre pourquoi le consentement libre, préalable et éclairé suscite habituellement une certaine appréhension en raison d’un manque de clarté, mais je ne vois pas beaucoup de clarté à l’heure actuelle en ce qui concerne l’obligation de consulter de toute façon, précisément parce que cette obligation est en soi un concept assez souple, ce qu’est aussi le consentement libre, préalable et éclairé.

L’une des plus récentes décisions de la Cour suprême du Canada a franchi une étape très importante pour aller au-delà de l’obligation de consulter et se rapprocher du consentement libre, préalable et éclairé dans l’arrêt Tsilhqot’in rendu il y a quelques années. Dans un passage particulier de la décision, la Cour suprême disait au gouvernement que, peu importe s’il y avait ou non une déclaration de titre, que le titre ait été établi ou non, il fallait obtenir le consentement des peuples autochtones touchés. Ce n’était pas l’élément clé du raisonnement de la cour, mais je pense que les juges connaissaient très bien les circonstances et le contexte dans lesquels ils ont rédigé ce passage. Cela a représenté une évolution intéressante du point de vue juridique.

Il y a des similitudes importantes, mais la notion de consentement libre, préalable et éclairé a une portée plus vaste et, étant donné la façon dont elle a été comprise à l’échelle internationale, son utilisation ne repose pas nécessairement sur une déclaration de titre foncier. Pour ce qui est du processus de consentement libre, préalable et éclairé, il est très semblable à celui de l’obligation de consulter. Je dirais qu’il le renforce d’une manière qui protège mieux les droits des peuples autochtones, conformément au but visé par la déclaration et aux droits des peuples autochtones à l’autodétermination.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Pouvez-vous préciser, alors? J’ai entendu des gens de l’industrie dire qu’ils craignent que les Autochtones au Canada se mettent à invoquer le consentement libre, préalable et éclairé à tout propos et que quelqu’un au Québec, par exemple, puisse s’opposer à un projet sur la côte Ouest.

Le président : Je suis désolé, votre temps est écoulé.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

Le sénateur Patterson : Monsieur Saganash, vous avez dit que les titulaires de droits ont le droit de contester le projet de loi lorsqu’ils se sentent dans l’obligation de le faire. Selon un éditorial publié récemment dans le Globe and Mail, soit le 24 mai, le projet de loi C-15 « sera un énorme projet de création d’emplois pour les avocats et suscitera une série de poursuites, de jugements et d’appels ». À la lumière de ce que vous avez dit au sujet du droit de contestation des ayants droit, le projet de loi C-15 va-t-il produire des résultats contraires à ce qui est visé? Va-t-il entraîner des procédures plus coûteuses et plus longues plutôt que de réduire le nombre de poursuites que doivent entreprendre les peuples autochtones?

M. Saganash : Comme je l’ai dit plus tôt, la clarté de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones devrait nous permettre d’éviter de longues et coûteuses batailles judiciaires à l’avenir, si les droits des peuples autochtones en vertu de la déclaration sont maintenus et respectés par les gouvernements. N’oubliez pas que, même lorsque nous avions des droits clairs exprimés dans les traités ou les lois, les gouvernements ont toujours essayé de les éviter ou de les contourner.

En 1990, dans l’arrêt Sparrow, la Cour suprême a été obligée de mentionner que même si les droits des Cris étaient protégés par un document constitutionnel, Hydro-Québec et le gouvernement du Québec ont décidé d’aller de l’avant et de construire le projet de la baie James. C’est le comportement de la Couronne. Comme vous le savez, sénateur Patterson, je travaille dans ce domaine depuis 40 ans. C’est ce que j’observe depuis 40 ans.

Je vais vous donner un exemple très clair. En vertu du chapitre 28 du Traité de la baie James, les deux gouvernements ont l’obligation de construire des centres communautaires dans chaque village cri. C’est aussi clair que cela. Pendant 30 ans, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral ont évité d’appliquer cette disposition sous prétexte qu’il n’y avait pas de définition de « centre communautaire » dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois. C’est ce que l’on appelle de la mauvaise foi, et cela dure depuis beaucoup trop longtemps.

Je pense que la déclaration des Nations unies nous aidera à éviter des poursuites judiciaires à l’avenir si ces droits inhérents sont respectés par les gouvernements, tant fédéral que provinciaux.

La sénatrice Coyle : Je vais revenir à la question que la sénatrice LaBoucane-Benson s’apprêtait à poser à M. Barelli. J’aimerais entendre la réponse. Je crois que la question portait sur le consentement libre, préalable et éclairé. De qui le gouvernement doit-il obtenir un consentement pour un projet? Est-ce que ce sont les gens du territoire immédiat, ceux qui sont le plus touchés, ceux qui ont des droits territoriaux, ou est-ce que n’importe quelle nation autochtone peut intervenir dans un projet?

M. Barelli : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Si nous nous limitons aux projets de développement, les communautés autochtones à consulter sont celles qui sont touchées par les projets.

Quant à savoir qui peut ou devrait donner son consentement, il s’agit bien sûr d’une question importante à aborder avec précaution. Un principe clair du droit international des droits de la personne veut que les formes traditionnelles de représentation soient respectées. Le gouvernement doit tenir compte de ce facteur important. À l’approche des consultations, il devrait essayer de comprendre comment la collectivité concernée prend ses décisions. Il ne s’agit pas tant de savoir qui est le représentant que de comprendre comment la collectivité prend ses décisions.

Dans une certaine mesure, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause obligera les collectivités autochtones elles-mêmes à s’organiser, à s’affirmer et à assumer leurs responsabilités afin de pouvoir dire avec fermeté comment se prennent leurs décisions. Le gouvernement devra respecter ce choix.

La sénatrice Coyle : Très utile. Merci.

Le sénateur Tannas : Monsieur Saganash, le ministre Lametti s’est engagé à faire figurer dans le plan d’action l’élaboration d’une définition du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Êtes-vous d’accord pour que le gouvernement essaie, dans le cadre de consultations — puisqu’il a déjà dit qu’il allait mener des consultations —, de resserrer la définition du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause? Si vous consultez le Webster’s, vous savez que le consentement reçoit une définition différente de celle qui est décrite ici, et certains tiquent là-dessus. En deux ans, pourrait-on parvenir à une définition de cette notion?

M. Saganash : Je vous remercie de cette importante question.

Tout d’abord, je renvoie le comité à l’étude menée en 2018 par le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones à l’ONU. Il est important de s’y reporter et de voir comment le processus se déroule.

Il faut du cas par cas. On ne peut pas définir ce consentement, parce qu’il se concrétise très différemment selon les endroits. Par exemple, le territoire de la baie James, d’où je viens, a un régime constitutionnel très particulier, la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause voudra dire autre chose pour les peuples autochtones de régions en territoire non cédé. Cela dépend du droit, des faits et des circonstances. C’est ainsi que les choses se passeront à l’avenir. C’est pourquoi il est dangereux de définir le processus.

Le président : Merci, chers collègues. Je remercie les témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Merci, messieurs Barelli, Newman et Saganash.

J’informe les sénateurs que le sénateur Cotter remplacera la sénatrice Pate pendant cette partie de la séance.

Je souhaite la bienvenue au prochain groupe de témoins : le chef régional Terry Teegee, du Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique, Mark Podlasly, de la Coalition de grands projets des Premières Nations, et Stephen Buffalo, du Conseil des ressources indiennes du Canada.

Le chef régional Teegee, M. Podlasly et M. Buffalo feront chacun un exposé d’environ six minutes. Il y aura ensuite une période de questions de trois minutes par sénateur. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, et la deuxième, par le porte-parole de son parti, le sénateur Patterson.

Si les sénateurs ont une question à poser, ils sont priés d’utiliser la fonction « lever la main » pour le signaler à la greffière. Il en sera tenu compte dans le clavardage Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité. Tout suivi écrit aux questions verbales doit être communiqué à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’informera par message texte lorsqu’il restera 10 secondes à l’exposé liminaire des témoins et au temps de parole pendant les questions. Je ferai un compte à rebours visuel de 10 secondes avec les mains et, lorsque j’aurai atteint zéro, je vous ferai savoir que le temps est écoulé.

Je vais maintenant donner la parole au chef régional Terry Teegee pour sa déclaration liminaire.

Terry Teegee, chef régional, Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique : Merci, Mahsi’cho.

[Mots prononcés dans une langue autochtone] Salutations aux chefs, chefs héréditaires, sénateurs, témoins, invités et présentateurs.

Tout d’abord, je tiens à souligner que je me trouve dans le territoire non cédé et occupé sans interruption du peuple Dakelh à Lheidli T’enneh, près de Prince George. Je m’appelle Terry Teegee et je suis le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Je m’exprimerai au nom du Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui regroupe l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, l’Union of B.C. Indian Chiefs et le Sommet des Premières Nations.

Tout d’abord, je tiens à dire un mot de la triste découverte qui été faite en Colombie-Britannique hier. Sur les terres de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc, dans la région de Kamloops, ce sont les restes de 215 enfants qui ont été découverts près du pensionnat indien de Kamloops. Cette découverte bouleversante montre que la Couronne et le gouvernement ont imposé aux peuples autochtones la politique génocidaire des pensionnats indiens, qui ont eu pour eux des conséquences désastreuses. Chose certaine, le Canada a du sang sur les mains à cause du traitement qu’il a infligé aux peuples autochtones au cours des 152 dernières années. Cela dit, cette découverte montre aussi pourquoi un changement de discours s’impose et pourquoi il faut respecter les droits fondamentaux des peuples autochtones. Le projet de loi C-15 reconnaît nos droits autochtones, nos droits inhérents et nos droits fondamentaux.

Je remercie le comité de m’avoir invité à présenter quelques brèves observations. C’est un honneur pour moi de parler de la loi fédérale de mise en œuvre de la déclaration des Nations unies. Une loi similaire en Colombie-Britannique est désignée par son acronyme anglais DRIPA. Une loi donc été adoptée au niveau provincial, et j’appuie le projet de loi C-15 modifié.

Nous vous exhortons respectueusement à faire avancer rapidement l’étude du projet de loi C-15. À notre avis, il est temps que cette étude arrive à son terme. Toutes les idées ont été étudiées et débattues en profondeur, et il faudrait recommander l’adoption du projet de loi. Celui-ci a été approuvé par la Chambre des communes à l’étape de l’étude en comité. Notre objectif collectif doit désormais être la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies au moyen d’un plan d’action et d’autres mesures. Il est vrai que le texte du projet de loi C-15 n’est pas parfait. Il s’agit plutôt d’une occasion pour les gouvernements de mettre en œuvre la déclaration. C’est un pas vers notre réconciliation mutuelle. Ce centimètre de progrès sera suivi des kilomètres que franchiront les générations futures.

Au cours des années à venir, les Premières Nations de la Colombie-Britannique continueront de participer à la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies. Le mieux possible et avec le maximum d’efficacité, nous travaillerons ensemble pour veiller à ce que le gouvernement du Canada et le Parlement fassent le nécessaire pour faire respecter les droits fondamentaux des Autochtones, qui sont affirmés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et qui sont présents dans nos lois, nos politiques et nos pratiques. Il y aura encore bien des discussions et des débats, mais il faut passer de la parole à la mise en œuvre. Quatorze années ont passé depuis que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la déclaration, ce qui est déjà beaucoup trop long. Nous nous attendons maintenant à des progrès.

Le 28 novembre 2019, la Declaration of the Rights of Indigenous Peoples Act, ou DRIPA, comme on dit en Colombie-Britannique, a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative. Nous sommes passés à l’adoption, à la mise en œuvre et à la planification des mesures. Le vrai travail a commencé en Colombie-Britannique. Ce n’est pas facile, mais c’est nécessaire. Les promesses dont la mise en œuvre a amélioré la vie des gens valent la peine. Nous avons besoin d’harmonie et de cohérence avec le Canada, ainsi que d’un ensemble clair d’engagements de la Couronne provinciale et fédérale à l’égard des peuples autochtones et de leurs droits fondamentaux.

Comme les membres du comité le savent pertinemment, les différends entre les ordres de gouvernement font souvent obstacle au progrès. Le projet de loi C-15 doit être adopté pour que ce ne soit pas le cas pour les droits fondamentaux des peuples autochtones. Tous les ordres de gouvernement, le Parlement et les assemblées législatives doivent aller de l’avant.

Les Premières Nations de la Colombie-Britannique ont largement appuyé la loi britanno-colombienne. Elle constitue un changement radical par rapport au refus de la Couronne de la Colombie-Britannique de reconnaître notre titre et nos droits. La province affirme maintenant notre existence comme peuples distincts en acceptant l’appel à l’action 43 de la Commission de vérité et réconciliation, qui porte sur l’adoption et la mise en œuvre de la déclaration pour assurer la réconciliation. Ce travail est particulièrement urgent...

Le président : Je suis désolé de vous interrompre, chef régional, mais votre temps de parole est écoulé.

Mark Podlasly, directeur de la politique et des initiatives économiques, Coalition de grands projets des Premières Nations : Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole.

Je m’appelle Mark Podlasly et je suis membre de la Première Nation Nlaka’pamux, dans le Sud de la Colombie-Britannique. Je vous parle depuis le territoire des Salish du Sud-Ouest de la Colombie-Britannique. Je suis directeur de la politique économique à la Coalition de grands projets des Premières Nations, un collectif autochtone national regroupant 71 Premières Nations qui veille à ce que les Premières Nations reçoivent une juste part des avantages découlant des projets réalisés sur leurs territoires grâce à une participation au capital de pipelines d’importance nationale, de l’infrastructure électrique, de routes et d’autres initiatives lucratives.

Je comparais pour appuyer, au nom de nos membres, le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Pour nos membres, cette déclaration définit déjà la façon dont nous envisageons le développement et notre capacité de peser sur des décisions qui vont dans le sens de nos intérêts. Elle attire l’attention des Autochtones sur la façon dont le développement appuyé par les Premières Nations peut rendre l’autodétermination possible, comme le décrit son article 3.

Cependant, c’est l’article 4 qui, de l’avis de la coalition, sera la clé d’une mise en œuvre réussie de la déclaration au Canada. En effet, l’article 4 dispose que les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.

Ce financement, ou ce volet financier, est essentiel si nous voulons que les Premières Nations aient les moyens d’affirmer leur autodétermination sous le thème de la déclaration de l’ONU. Aucun gouvernement, autochtone ou non, n’est vraiment autonome s’il dépend d’un gouvernement qui lui est extérieur pour assurer sa viabilité financière. Il est impossible à quelque gouvernement de fonctionner à quelque niveau s’il n’a aucune source de revenus pour financer son activité. Voilà pourquoi nos membres estiment que les revenus tirés de la participation des Autochtones au capital des grands projets peuvent apporter aux Premières Nations les moyens financiers d’instaurer l’autodétermination dont il est question dans la déclaration de l’ONU. Sans ces revenus, l’application de la déclaration relève de l’impossibilité.

Bien que de nombreuses collectivités autochtones au Canada puissent souhaiter détenir une participation au capital qui leur rapporte des revenus et accéder à la propriété de projets lucratifs sur leur territoire, les exigences actuelles en matière de financement de la participation des Premières Nations au capital sont prohibitives, ce qui tient au fait que la majorité des collectivités n’ont pas les moyens financiers de mobiliser l’argent que les marchés financiers exigent pour consentir à des taux concurrentiels des prêts garantis par une participation au capital.

La coalition a une expérience directe des difficultés auxquelles se heurtent les communautés autochtones lorsqu’elles cherchent du capital à des prix concurrentiels. Dans un cas, la coalition s’est adressée au marché financier au nom de ses membres qui tentaient de prendre une participation au capital d’un gazoduc. Elle a communiqué avec 70 investisseurs institutionnels, et seule une poignée d’entre eux étaient prêts à avancer des fonds à des prix concurrentiels aux Premières Nations. Comme celles-ci ne possèdent pas d’actifs, à strictement parler — ils appartiennent à la Couronne, qui les met à leur disposition —, les taux d’intérêt offerts pour le capital-actions se situaient entre 12 et 15 %, alors que le rendement du capital investi n’était que de 8 à 10 %. Dans ces conditions, nos membres ont dû renoncer à acquérir une participation dans le pipeline qui traversait leur territoire. Résultat? La perte de revenus possibles de plus de 200 millions de dollars sur la durée de vie du pipeline, montant que les collectivités auraient pu utiliser pour assurer leur autodétermination. Voilà un exemple parmi bien d’autres qui montre que l’accès à des capitaux pour s’assurer une source de revenus à long terme grâce à une participation au capital. Les Premières Nations auraient pu utiliser ces revenus pour parvenir à l’autodétermination envisagée dans la déclaration de l’ONU.

La participation au capital des projets — en fait, la copropriété — représente la forme la plus authentique de consentement. Un projet réalisé avec des copropriétaires autochtones garantit que les collectivités des Premières Nations participent directement à la gestion du projet. La participation au capital donne une expression tangible au principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, énoncé à l’article 32 de la déclaration, ainsi qu’à l’article 4 déjà évoqué.

Pour l’ensemble de la société canadienne, les partenariats avec participation au capital par les collectivités autochtones atténuent les risques pour les investisseurs et peuvent se traduire par une meilleure évaluation de la pérennité des projets des points de vue environnemental, social et gouvernemental. Il s’agit d’un facteur clé, car les promoteurs de projets et le secteur financier cherchent à attirer des capitaux étrangers pour les projets canadiens.

En fin de compte, la participation des collectivités autochtones au capital des grands projets est une porte d’entrée dans l’économie majoritaire pour les peuples autochtones et aura des répercussions sociales positives à mesure que les sources de revenus sûres obtenues par les Premières Nations rehausseront le niveau de vie des Autochtones.

Il est dans l’intérêt économique et social du Canada d’établir des mesures de soutien financier qui permettent aux collectivités autochtones de participer au capital de grands projets. Ces soutiens peuvent prendre la forme de garanties de prêts ou de prêts à faible taux d’intérêt. La coalition croit que la Banque de l’infrastructure du Canada pourrait jouer un rôle utile pour répondre à ces besoins. Le soutien de la BIC à l’investissement autochtone dans des actions pourrait se concrétiser rapidement et ne nécessiterait pas de modification législative ni d’approbation réglementaire importante. Ces options et d’autres ont été décrites dans un document récent commandé par la coalition, Improving Access to Capital for Indigenous Groups to Purchase Equity Stakes in Major Resource Projects.

Le conseil que je souhaite donner au comité aujourd’hui, c’est que la clé, si nous voulons que la déclaration de l’ONU serve l’intérêt de tous les Canadiens, est de commencer par l’article 4, qui porte sur les moyens de financer l’autodétermination des Autochtones. Des modalités de mise en œuvre dépend du sort de la promesse faite dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et le projet de loi C-15.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Podlasly.

Stephen Buffalo, président et chef de la direction, Conseil des ressources indiennes du Canada : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs membres du comité, de me donner l’occasion de prendre la parole.

Je m’appelle Stephen Buffalo et je suis de la nation crie de Samson, à Maskwacis. Je suis président et chef de la direction du Conseil des ressources indiennes du Canada. Cette organisation représente plus de 130 Premières Nations du Canada qui produisent du pétrole ou du gaz ou ont un intérêt direct dans ce secteur. Son mandat est de promouvoir des politiques fédérales qui amélioreront et accroîtront le développement économique afin que les Autochtones échappent à la pauvreté et créent de la richesse pour répondre aux besoins des générations futures.

Les membres du Conseil des ressources indiennes, comme toutes les Premières Nations, aiment évidemment bien des choses dans la déclaration des Nations unies, qu’ils appuient sans réserve. Impossible de nier les dysfonctionnements et traumatismes dont est jalonnée l’histoire de nos peuples sur leurs territoires traditionnels. Bien des choses répugnantes sont le fait du gouvernement, et il est probable que ce qui est documenté correspond à la réalité.

Dans nos collectivités, la majorité des membres appuient notre participation à l’industrie pétrolière et gazière — pas tous, mais la plupart. C’est que les revenus de ce secteur ont été essentiels au bien-être de nos gens : services aux aînés, logement, programmes culturels, centres de loisirs pour les jeunes, divers programmes et services non financés ou sous-financés de façon chronique par le gouvernement fédéral. Ces revenus nous donnent en matière de dépenses une certaine autonomie que nous n’avons pas si nous devons nous contenter des fonds fédéraux. Ils nous permettent d’exercer notre autodétermination.

Il en a été question dans toutes les émissions d’information et dans les médias sociaux : les Premières Nations sont aux prises avec des problèmes sociaux au quotidien. Mais nous ne pouvons pas nous attaquer aux problèmes de la crise des opioïdes et des femmes autochtones disparues ou assassinées, aux problèmes de logement et d’eau potable sans une économie saine.

Le Canada regorge de ressources naturelles, et grâce à l’approche moderne, l’industrie applique maintenant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, ou ESG. C’est un bon point de départ pour la réconciliation. Cela a permis aux Premières Nations d’acquérir des biens qui sont d’importantes sources de revenus. Le partage des revenus tirés des ressources est la clé du succès non seulement pour les Premières Nations, mais aussi pour les provinces, le gouvernement fédéral et l’industrie.

Nos nations ne peuvent pas toutes être avantagées par la géographie. Elles ne peuvent pas toutes avoir des casinos. Nous ne pouvons pas tous avoir des investissements spéciaux comme dans le tabac. Mais avec les ressources naturelles du sol, auxquelles nous n’avons pas renoncé par traité, il y a un meilleur avenir pour tous.

Ce que je dis, c’est qu’avec des partenariats, des investissements avec l’industrie, qu’il s’agisse de l’exploitation pétrolière et gazière ou de la propriété de l’infrastructure des pipelines, les possibilités peuvent être très avantageuses pour les collectivités en cause. Les Premières Nations ont travaillé fort au fil des ans pour avoir enfin l’occasion d’affirmer leur souveraineté.

Permettez-moi de vous faire part de ma plus grande préoccupation au sujet du projet de loi C-15. La loi dit que les peuples autochtones doivent donner leur consentement pour qu’un projet aille de l’avant, mais elle ne dit pas qui peut donner ou refuser ce consentement et comment ils peuvent le faire savoir.

Si vous dites que le consentement est donné par le chef et le conseil au moyen d’une résolution du conseil de bande ou d’un référendum, c’est une chose. Mais si vous dites qu’un petit groupe de militants autochtones qui déclarent que leur consentement est requis et qu’ils ont le droit de bloquer tout projet qui ne leur plaît pas, ou simplement de se présenter devant les tribunaux pour le contester, alors je pense que nous courons à la catastrophe. Il serait préférable de définir dans la loi le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et de déterminer qui peut représenter les Autochtones et prendre des décisions en leur nom lorsqu’il s’agit d’approuver des projets.

Mieux encore, le comité pourrait consulter les communautés autochtones de partout au Canada pour en arriver à un consensus sur la signification du consentement avant d’adopter le projet de loi, parce que vous savez aussi bien que moi que certaines personnes pensent qu’il s’agit d’un veto. Si le comité ne croit pas qu’il s’agit d’un droit de veto, il devrait le préciser.

Si la déclaration est reprise textuellement dans la loi fédérale sans ces définitions, des groupes d’intérêts spéciaux pourront transformer cette déclaration en arme. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a fourni aux Premières Nations une protection que des groupes dissidents pourraient retourner comme une arme contre les leurs. Cela s’est vu. Je ne suis pas paranoïaque. Ce genre de chose arrive tout le temps dans nos collectivités, dans nos projets. C’est un discours que tiennent même certains députés qui invoquent la déclaration de l’ONU pour faire avorter l’expansion du pipeline Trans Mountain, par exemple, au moment même où un grand nombre de nos membres participent activement à des négociations en vue de l’acheter.

Ce document ne peut pas empêcher les Premières Nations d’accepter un projet sur leur territoire. Que vous appuyiez ou non l’industrie pétrolière et gazière, les 131 nations du Conseil des ressources indiennes du Canada ont le droit d’exploiter leurs ressources comme bon leur semble.

Au bout du compte, si le projet de loi demeure vague, comme il l’est dans sa forme actuelle, un juge définira un jour la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le contexte de l’exploitation des ressources, mais d’ici là, personne ne voudra investir dans de grands projets dans notre pays, et surtout pas dans nos collectivités.

Les membres de la coalition veulent une meilleure protection des droits des Autochtones...

Le président : Désolé, monsieur Buffalo, mais votre temps de parole est écoulé.

Passons aux questions. D’abord, la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du sénateur Patterson, porte-parole de son parti.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci à tous les témoins du groupe.

Ma question s’adresse au chef régional Teegee. J’ai lu le témoignage que vous avez livré au Comité des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. Vous y avez dit qu’il n’y avait que des avantages à adopter la loi en Colombie-Britannique parce qu’elle apportait certitude et prévisibilité dans l’industrie. Comment la déclaration de l’ONU a-t-elle apporté prévisibilité et certitude à l’industrie en Colombie-Britannique?

M. Teegee : Elle définit les rôles dans la prise de décisions. Comme je l’ai dit à l’Assemblée législative, elle crée un espace qui rend possible le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Tous ceux qui peuvent participer aux décisions se réunissent pour créer cet espace et prendre des décisions ensemble. En ce moment, on finit par s’en remettre aux tribunaux, qui prennent les décisions.

Plus nous savons qui prend ces décisions et plus nous connaissons les corps dirigeants autochtones, plus le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause favorise une prise de décisions commune, de sorte que les décisions sont plus assurées et tiennent mieux dans le temps. C’est ce que nous constatons en Colombie-Britannique.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup à tous les témoins.

Monsieur Buffalo, c’est un plaisir de vous revoir. Je me souviens de vous avoir rencontré à plusieurs reprises au cours de la dernière session parlementaire pour discuter de vos préoccupations au sujet des projets de loi C-69, C-48 et C-262, entre autres. Je suis désolé d’apprendre que vous avez encore des préoccupations valables aujourd’hui au sujet du projet de loi C-15. J’imagine que vous en avez peut-être assez de soulever constamment des préoccupations sans qu’on y donne suite.

En tant que titulaire de droits et dirigeant autochtone, comment vous sentez-vous lorsque, comme c’est arrivé, on qualifie de campagne de peur les préoccupations que vous exprimez au sujet du climat d’incertitude?

M. Buffalo : Je vous remercie de la question. Oui, je suis heureux de vous revoir, monsieur le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Merci.

M. Buffalo : Les Premières Nations essaient vraiment de prendre leur place en offrant cette possibilité aux collectivités. Nous savons tous que la Loi sur les Indiens ne marche pas. Elle engage nos communautés dans ce que j’appelle un « communisme mou ».

La campagne de peur, elle est menée par des militants qui s’opposent aux projets dans nos collectivités et à proximité. Lorsque nos dirigeants prennent une décision, il est dans l’intérêt supérieur de tous de saisir les possibilités qui s’offrent à eux chez eux et dans leurs territoires traditionnels. À certains égards...

Le président : Je suis désolé, encore une fois, monsieur Buffalo, mais votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de comparaître et de nous exposer vos points de vue. Tout cela est très intéressant.

Ma question s’adresse à M. Podlasly. La chef Sharleen Gale, qui préside la Coalition de grands projets des Premières Nations, a fait paraître un article d’opinion dans le Hill Times intitulé « UNDRIP legislation is mostly symbolic: here’s how to give it meaning ». La chef Gale a déclaré que de l’approche adoptée par les gouvernements pour écouter les collectivités autochtones et répondre à leurs besoins concernant la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies dépendra le succès ou l’échec de cette initiative qui pourrait changer la donne. Ne pas tenir compte des préoccupations dont nous ont parlé les titulaires de droits autochtones et diverses organisations et réseaux, est-ce conciliable avec la mise en œuvre sérieuse que la chef Gale réclame dans son article?

M. Podlasly : Merci, madame la sénatrice.

Permettez-moi de prendre un peu de temps pour demander des éclaircissements. La question que vous posez est la suivante : les législateurs devraient-ils faire abstraction des préoccupations des Autochtones pour mettre en œuvre la déclaration des Nations unies?

La sénatrice Stewart Olsen : Non. Je comprends ce que vous dites, mais je me demande plutôt s’il faut accorder moins d’importance aux protestations de certains et davantage au soutien qui s’exprime dans la population. Nous entendons beaucoup de gens dire qu’ils n’ont pas été entendus, et c’est inquiétant pour nous qui devons nous prononcer sur le projet de loi.

M. Podlasly : Je vois.

Le problème de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, c’est qu’il s’agit d’un document assez mince, avec ses 46 articles, au regard de ses objectifs. C’est que le texte doit s’appliquer dans le monde entier. Il revient donc aux États de négocier ou de discuter avec leurs populations autochtones du sens à lui donner et des modalités de mise en œuvre. Si la déclaration a été adoptée, c’est parce qu’elle est souple. Elle permet au Canada de négocier et de discuter.

La déclaration n’est qu’un début, comme l’a souligné le chef régional. Il faudra du temps pour comprendre comment elle doit se traduire dans notre pays. Son adoption ouvre simplement la voie à d’autres discussions dans bon nombre de domaines. Selon moi, c’est là que la chef Sharleen Gale voulait en venir.

Donc, non, je ne pense pas qu’il faille négliger qui que ce soit dans ce processus, mais pour reprendre l’image du chef régional, c’est le centimètre qui mène à un kilomètre de réussite.

La sénatrice Stewart Olsen : J’espère que c’est bien le cas. Merci.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à M. Buffalo.

Monsieur Buffalo, je suis heureux de vous revoir, cher ami. Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises il y a quelques années pour discuter des projets de loi C-48 et C-69, non seulement à Ottawa, mais aussi chez vous. Ce fut une excellente visite pour moi. J’ai beaucoup aimé.

J’allais vous poser des questions sur le consentement, mais vous y avez déjà répondu de façon assez éloquente et vous avez donné votre point de vue. Je vais donc m’intéresser à votre expérience des deux dernières années, depuis notre dernier entretien, au Conseil des ressources indiennes du Canada. La situation s’améliore-t-elle, empire-t-elle ou est-elle au point mort? Avec quoi avez-vous dû composer au cours des deux dernières années, depuis l’adoption de ces projets de loi?

M. Buffalo : Merci, monsieur le sénateur, de votre question.

Lors de l’étude des projets de loi C-69 et C-48, nous avons défendu notre position, évidemment, en ce qui concerne l’investissement et les retombées pour les collectivités qui ont déjà investi dans l’industrie pétrolière et gazière. Il y a aussi les possibilités offertes et les politiques en place pour mettre fin à la mise en valeur de nos ressources naturelles et à leur exportation vers différentes parties du monde, avec l’impact que cela peut avoir sur les collectivités. Il faut ajouter à ces problèmes le différend entre la Russie et l’Arabie saoudite sur le marché pétrolier, qui a provoqué l’effondrement des cours. Et il y a aussi les effets de la pandémie. Les collectivités ont vraiment été mises à mal.

Nous essayons de défendre nos intérêts. Il y a au moins un programme qui fonctionne, celui de la remise en état des sites des puits orphelins et abandonnés qui a été mis en œuvre en Alberta, mais ce n’est qu’une petite fraction de ce qui doit se faire ici. Dans le secteur, nous en voyons les avantages, parce que c’est dans notre territoire. Nous souhaiterions une accélération, mais à l’heure actuelle, on avance à pas de tortue, ce qui a une incidence réelle sur nos collectivités du point de vue financier.

Le sénateur MacDonald : Y a-t-il des régions servies par le Conseil des ressources indiennes du Canada qui connaissent un certain succès, par opposition à la situation d’il y a deux ans?

M. Buffalo : Pour l’instant, je ne parlerais pas encore de succès, mais les choses commencent à revenir à un certain niveau, et il se fait un travail concret sur le terrain, si je peux dire. Certaines de nos collectivités ont des entreprises de services, et à l’heure actuelle, dans le secteur, le programme de remise en état des sites des puits abandonnés se met en marche et accélère. C’est infime par rapport à ce qu’on pourrait faire.

Nous espérons simplement que les initiatives du gouvernement fédéral iront de l’avant et que nous commencerons à collaborer avec les provinces et le pouvoir central pour que nous avancions tous ensemble.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Coyle : Je remercie tous les témoins de leurs témoignages très importants. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que la pleine participation économique et le leadership sont essentiels à l’autodétermination des Canadiens autochtones. C’est indispensable, et je comprends ce que vous dites.

Ma question s’adresse au chef Teegee. Vous dites qu’il est temps d’adopter le projet de loi C-15. Pour reprendre vos propos, il est temps de passer de la parole à la mise en œuvre. Vous avez participé activement à l’élaboration de la loi britanno-colombienne. Des témoins ont des préoccupations très valables parce qu’ils n’ont pas été adéquatement consultés ou, en fait, qu’ils n’ont pas été consultés du tout au cours de l’élaboration du projet de loi C-15. À votre avis, comment pourrait-on répondre à ces préoccupations au stade de l’élaboration du plan d’action qui suivra l’adoption du projet de loi?

M. Teegee : C’est la deuxième fois que nous examinons ce projet de loi. Il s’agit en fait d’une formulation nouvelle du projet de loi C-262, avec quelques modifications. Il y a donc plusieurs années que nous avons entrepris cet examen. Nous avons étudié la question. En fait, le projet de loi à l’étude est une version améliorée du C-262. Nous l’avons comparé au projet de loi similaire adopté en Colombie-Britannique et avons proposé des amendements. Nous savons qu’il n’est pas vraiment parfait et qu’il ne plaît pas à tout le monde, mais il est néanmoins bien meilleur que le C-262.

Il est vraiment important de signaler que de nombreuses Premières Nations ont été consultées non seulement lorsque le projet de loi C-262 a été présenté, mais aussi au cours de la préparation du projet de loi à l’étude. Nous avons examiné le projet de loi avec nos chefs. J’espère que d’autres régions en ont fait autant. Nous croyons qu’il y a amélioration par rapport au projet de loi C-262. Il est important que les Premières Nations qui s’intéressent au projet de loi l’examinent, proposent des amendements, au besoin, et donnent leur point de vue. Quant à nous, en Colombie-Britannique, je peux dire que la grande majorité des gens appuient le projet de loi dans sa version modifiée.

La sénatrice Coyle : Dans le temps qu’il reste, pourriez-vous nous dire comment, à l’avenir, les collectivités et les dirigeants qui ont exprimé des préoccupations pourraient participer sérieusement à l’élaboration du plan d’action? C’est une autre occasion de participer.

M. Teegee : C’est certainement le cas, au moment où la mise en œuvre va commencer. Je crois que ce projet de loi sera adopté de façon décisive. Le contact avec la réalité concrète se fait au stade du plan d’action. J’espère certainement que beaucoup de Premières Nations participeront davantage, car c’est vraiment à ce stade que des problèmes surgissent, en Colombie-Britannique. Nous en sommes maintenant aux difficultés principales, car nous commençons à harmoniser les lois. Sauf votre respect, le projet de loi n’est qu’un premier pas. La grande difficulté à surmonter, c’est l’harmonisation des lois.

Le président : Mes excuses au chef régional, mais son temps de parole est écoulé.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à M. Podlasly. Je crois savoir que la Coalition de grands projets des Premières Nations aide ses membres à faire avancer leurs grands projets. Pourriez-vous nous expliquer comment le fait de réunir les peuples autochtones et l’industrie en tant que partenaires égaux dès le départ contribue à rendre les projets plus viables et à instaurer un climat de certitude pour les deux parties?

M. Podlasly : Merci, monsieur le sénateur Francis.

Il suffit de lire les journaux ou les archives des 40 dernières années pour constater qu’il y a eu des affrontements entre l’industrie et les peuples autochtones, et entre le gouvernement et les peuples autochtones. Il s’agit en grande partie de savoir qui a compétence sur les terres, mais aussi qui a son mot à dire dans ces territoires qui sont au cœur de notre identité.

La coalition travaille à réunir ces partenaires afin que les peuples autochtones participent dès le début des projets et à tous les niveaux. C’est une chose d’être consultée en tant que communauté autochtone à la dernière minute, une fois le projet planifié et prêt à démarrer. C’en est une autre que de faire participer des Autochtones à titre de partenaires ou même de copropriétaires d’un projet industriel, d’un pipeline, d’une emprise ou d’une ligne de transport. Cela apporte de la certitude sur les marchés financiers, car les investisseurs qui examinent la situation savent que le risque que les Autochtones pourraient présenter pour un projet est atténué. C’est la chose la plus importante.

La coalition a publié un rapport. J’ai déjà parlé du rapport sur l’accès aux capitaux, mais en mars, nous avons fait un examen complet des normes ESG, c’est-à-dire les normes environnementales, sociales et de gouvernance, et nous avons découvert que les Autochtones ne participaient en rien à la définition de ces normes, ce qui représente un risque total.

Votre question est la suivante : comment le fait de réunir ces parties, les Autochtones et l’industrie, aide-t-il le Canada, aide-t-il les projets et aide-t-il les Premières Nations? Il s’agit d’atténuer le risque. Si nous voulons que le pays puisse aller de l’avant dans la reconstruction des infrastructures après la pandémie de COVID, il faut être conscient du fait que les projets ne progresseront pas si les peuples autochtones ne participent pas sérieusement aux décisions relatives à ces projets.

Le sénateur Francis : Excellente réponse. Merci.

Le sénateur Tannas : Je ne vais pas laisser M. Podlasly se reposer. J’ai quelques questions à lui poser.

Voici la première. La chef Crystal Smith de la Nation Haisla a témoigné, et nous nous sommes lancés dans une discussion autour des préoccupations suscitées par l’exemple des Wet’suwet’en au sujet du consentement. M. Buffalo a fait écho à ce problème. La chef a eu une réponse intéressante. Selon elle, il faut au fond que les collectivités se préparent et s’entendent sur la voie à suivre en ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Voici ma première question : à votre avis, dans quelle mesure les collectivités sont-elles prêtes? Quel rôle votre organisation jouera-t-elle pour les aider à se préparer en ce qui concerne le consentement?

Deuxièmement, il y a des limites aux obstacles qu’une entreprise est disposée à surmonter avant de décider de reprendre ses capitaux et de les placer ailleurs. Bien des gens diraient que c’est là un obstacle de plus qui incitera les investisseurs à trouver un autre usage à leurs capitaux. Étant donné que le Canada joue un rôle de chef de file dans le monde, nous devrions peut-être joindre le geste à la parole — « nous » étant le public, les contribuables — et payer en totalité ou en grande partie le processus relatif au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Ainsi, tout le monde verrait au moins le processus parce qu’il serait appliqué de façon transparente, et ceux qui ont du capital à risque au départ ne dépenseraient pas beaucoup d’argent pour ce genre de chose. Qu’en pensez-vous, monsieur Podlasly ou monsieur Buffalo? Je suis désolé, mais il ne vous reste qu’environ une minute et demie parce que j’ai flambé le reste de mon temps de parole.

M. Podlasly : Il y a deux questions. Les Wet’suwet’en et la chef Crystal Smith.

La coalition, la CGPPN, aide maintenant certaines Premières Nations qui ont vu ce qui s’est passé dans le cas des Wet’suwet’en et qui se sont rendu compte qu’elles avaient du travail à faire. Dans certaines régions du Canada, les Premières Nations commencent à formuler différemment, dans un langage qui s’accorde à celui de la déclaration des Nations unies, leurs intérêts et leurs déclarations historiques inspirées par les aînés. Elles comprennent qu’il faut faire entendre un message clair et parler d’une seule voix comme communauté, nation, peuple autochtone. La question était la suivante : que fait la coalition pour les aider? Nous sommes déjà actifs sur ce plan.

Deuxièmement, il faut aussi comprendre que les Autochtones voient les mêmes émissions d’information que tout le monde. Nous savons...

Le président : Désolé, monsieur Podlasly, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Tannas : Ma faute. Désolé.

La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins de leurs passionnants exposés.

Je tiens à remercier le chef Teegee d’avoir dit un mot de cette triste nouvelle, la découverte des restes de 215 enfants près de Kamloops, ainsi que des pensionnats. Pour nous tous, c’est un grave rappel de la raison pour laquelle nous nous intéressons à ce genre de questions et avons désespérément besoin d’avancées comme la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Vous avez évidemment eu l’expérience de la loi provinciale similaire. Comment cette loi et la déclaration vont-elles interagir? Qu’est-ce que la loi provinciale a signifié pour les Britanno-Colombiens? Qu’est-ce que cela signifie? Qu’est-ce que cela leur a donné?

M. Teegee : Par exemple, nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un plan d’action qui est presque terminé. Même avant cela, nous nous occupions, par exemple, de modifications à apporter à la Loi sur l’évaluation environnementale afin de faire reconnaître les décideurs. Nous nous efforçons de tracer le cheminement de prise de décisions.

L’un des aspects des modifications apportées en Colombie-Britannique et à la Loi sur l’évaluation environnementale concernait la façon dont les instances dirigeantes autochtones ou les communautés — par exemple, les Wet’suwet’en — prennent leur décision au sujet d’un grand projet. À l’heure actuelle, certaines de ces entreprises n’auraient peut-être même pas le droit d’entrer dans le territoire. La société Enbridge en est un bon exemple, à cause de la manière dont elle a traité des peuples autochtones dans le passé et de sa façon de prendre des décisions. Je pense donc que certaines de ces entreprises n’investiront même pas dans nos territoires, car elles ne reconnaissent pas ou ne respectent pas les peuples autochtones.

En ce qui concerne la Loi sur l’évaluation environnementale et l’harmonisation des lois, nous devons veiller à ce que l’évaluation environnementale soit conforme aux normes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous nous en occupons actuellement, afin qu’elle soit très semblable à la Loi relative à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de la Colombie-Britannique. La déclaration des Nations unies, qu’applique le gouvernement fédéral, pourrait contenir ces dispositions. Ainsi, l’évaluation environnementale, du moins du côté fédéral, respecterait les mêmes dispositions. Selon la loi de la Colombie-Britannique sur la déclaration des Nations unies, les Premières Nations créent leur propre processus d’évaluation environnementale. C’est reconnu, c’est elles qui prennent les décisions. C’est ce qu’il nous faut, car cela nous donne de la prévisibilité et de la certitude.

Ainsi, la loi de la Colombie-Britannique et la loi fédérale créent un cadre. Ce cadre indique où l’on prend les décisions et qui établit les règles de toutes les instances dirigeantes. Je félicite tous les gouvernements, comme la Ville de Vancouver et les municipalités, qui ont inséré les normes de la loi de la Colombie-Britannique dans leurs politiques et dans leurs lois. Il faut qu’elle passe au troisième niveau pour devenir une loi fédérale.

Merci.

La sénatrice Hartling : Est-ce que les progrès sur cette question renforcent le sentiment d’habilitation?

M. Teegee : Oui, car cette déclaration reconnaît non seulement nos droits autochtones, mais aussi nos droits de la personne. Merci.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Anderson : Merci beaucoup.

Ma question s’adresse au chef Teegee. La relation entre les titulaires de droits autochtones et la Couronne repose sur l’honneur. Il n’y a pas de certitude plus solide que la notion d’honneur de la Couronne. Pendant des décennies, le Canada a ouvertement démontré son mépris pour cet honneur. Voyez-vous dans le projet de loi C-15 ou dans ce processus une quelconque indication qu’il changera le discours et renforcera les droits des Autochtones et les droits de la personne?

M. Teegee : La déclaration des Nations unies en soi est un outil international qui reconnaît de nombreux peuples autochtones colonisés dans le monde entier. Je pense que cela crée une certaine égalité. Beaucoup trop d’États coloniaux commettent des actes génocidaires comme ceux du système de pensionnats et dans les réserves des Premières Nations. Cette déclaration établit l’égalité. C’est sa raison d’être. Maintenant, je crois que ce cadre de mise en œuvre au Canada et en Colombie-Britannique élimine la doctrine de la découverte et terra nullius.

Nous proposons que l’on reconnaisse qu’il ne s’agit pas seulement de discrimination, mais que c’est du racisme. Je crois que l’intention générale est de faire ressortir les problèmes contre lesquels nous nous battons depuis de nombreuses décennies, depuis le début de la colonisation. Le racisme est toujours bien vivant au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, et nous nous y attaquons. Il suffit de regarder les journaux et les gens racialisés — George Floyd et le traitement d’Ethan Bear que nous avons vu lors des séries éliminatoires de hockey. Nous devons maintenant nous attaquer au problème du racisme. Cette déclaration est peut-être un premier pas positif vers la lutte contre ces problèmes et contre le traitement des peuples autochtones non seulement en Colombie-Britannique, mais partout au Canada.

Le sénateur Cotter : Je crois que ma question s’adresse principalement au chef Teegee. Dans son allocution, M. Buffalo a souligné l’appui dont jouissent la déclaration des Nations unies et le projet de loi, mais il a soulevé plusieurs incertitudes, qu’il a ensuite précisées dans son échange avec le sénateur Patterson.

Chef, ma question porte sur la mesure dans laquelle la loi et le processus de la Colombie-Britannique nous ont propulsés vers l’avant pour améliorer notre situation. Je voudrais aussi savoir si à votre avis, l’adoption de ce projet de loi dissipera ces incertitudes. Devrions-nous les tolérer? Créeront-elles de nouveaux problèmes qu’il faudra régler si nous adoptons ce projet de loi à l’échelle nationale?

M. Teegee : Merci.

Sénateur Cotter, certains ont demandé si les particuliers ont des droits par rapport à l’ensemble de la nation. Selon la Cour suprême du Canada, les droits appartiennent à la nation. Ils appartiennent au groupe qui s’identifie.

Ensuite, il y a l’instance dirigeante autochtone. Dans le cadre de la déclaration des Nations unies, chaque instance doit définir son autodétermination. Les instances se reconnaissent entre elles en fonction de leur autodétermination et de leur souveraineté. Elles devront peut-être pour cela se rapatrier ou se reconstituer pour s’autogouverner.

Je crois que cela fait partie des mesures prises en Colombie-Britannique, et cela renforce la certitude en désignant les décideurs. Si un groupe des Premières Nations mène sa propre évaluation environnementale et peut prendre ses décisions avec les ministres, il ressentira beaucoup plus de certitude que ce que nous avons à l’heure actuelle.

Ici en Colombie-Britannique, nous cherchons à réunir tout le monde, tous les décideurs, pour avoir la certitude que les décisions sont exécutoires. Lorsqu’un projet de développement est présenté, nous nous réunissons tous pour prendre les décisions et pour aborder tous les problèmes. Nous savons tous que les évaluations environnementales soulèvent un certain nombre de problèmes, et nous essayons de les régler. C’est ce que la déclaration des Nations unies tente de mettre en vigueur ici en Colombie-Britannique et ce qu’elle fera à l’avenir.

Le sénateur Cotter : L’incertitude dont M. Buffalo a parlé, l’absence de consensus sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, comment voyez-vous cela dans le contexte de la Colombie-Britannique?

M. Teegee : Lorsque nous parlons de consentement, c’est vraiment une question où les Premières Nations doivent s’unir pour se rapatrier et peut-être se reconstituer. À l’heure actuelle, de nombreuses Premières Nations se regroupent et créent cet espace.

Le président : Chef régional, votre temps est écoulé.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je voudrais aussi poser une question à M. Podlasly. Nous savons que l’on s’inspire déjà de la déclaration des Nations unies pour interpréter les lois canadiennes. C’est un instrument international que l’on utilise déjà. Le lendemain de la sanction royale de ce projet de loi, la jurisprudence sur l’obligation de consulter restera à la base de la conception des projets. Vous avez beaucoup travaillé avec différents partenaires de l’industrie. Selon vous, de quoi les gens ont-ils peur ou se préoccupent-ils? Nous savons que rien ne changera le jour d’après. C’est un plan d’action et un processus de consultation visant à mieux comprendre les dispositions de la déclaration des Nations unies. À votre avis, qu’est-ce qui préoccupe les gens?

M. Podlasly : Je pense qu’ils craignent que cette déclaration pose un nouveau risque. Elle pose de nouveaux risques pour les entreprises qui essaient d’obtenir des capitaux et des investissements. Avant cela, on se demandait ce qui se passait, et la patience des capitaux a des limites. Je pense que l’on craint que cela ne crée une autre série d’obstacles pour les entreprises qui cherchent à investir et à prendre des décisions.

Plusieurs d’entre nous vous ont dit que nous ne voyons pas les choses de cette façon, ou que certains d’entre nous ne voient pas les choses de cette façon. Pour nous, cette déclaration apporte de la clarté, parce que tout d’un coup, les règles d’engagement sont claires. Ce ne sera plus une théorie qui nous obligera à présenter nos décisions devant les tribunaux pour déterminer si un groupe autochtone a consenti et accepté de participer à un projet, ou s’il a été consulté.

Pour répondre à votre question, je dirai que les entreprises craignent de se heurter à un nouvel obstacle.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Pensez-vous que nos gouvernements devraient cesser de craindre que le ciel leur tombe sur la tête et établir un plan de communication pour expliquer que cela prépare la voie vers de meilleurs projets? On entend tellement le contraire. Il me semble que si nos gouvernements concentraient leurs communications sur les aspects positifs, peut-être que l’industrie verrait cela d’un œil plus positif.

M. Podlasly : Cela me permet de répondre en même temps à votre question et à celle du sénateur Tannas.

La patience des investisseurs en capital a des limites. On assistera à une fuite des capitaux, ou pire, les gens éviteront d’investir si l’on ne réussit pas à attirer des investissements dans ces projets au Canada.

La déclaration est un document international. Nous ne sommes pas le seul pays au monde à la mettre en vigueur. Des dizaines de pays s’engagent dans la même voie. Les capitaux iront là où les investisseurs se sentiront en sécurité, là où ils estimeront qu’il n’y a plus de risques. Notre coalition est convaincue que la déclaration y parviendra. Elle explique très clairement la participation des peuples autochtones, ce qui crée la sécurité nécessaire. Oui, nous négligeons le côté positif de cette démarche.

En outre, l’accord contient 46 articles. Il ne traite pas uniquement du consentement. Merci pour ces cinq secondes, sénateur Christmas.

Le président : Merci, monsieur Podlasly.

Le sénateur Patterson : Monsieur Podlasly, j’ai eu le grand honneur de fournir mon soutien à la Coalition de Premières Nations pour les grands projets depuis que ses membres se réunissaient dans un sous-sol d’église jusqu’à maintenant. Elle compte 71 membres et participe à des projets d’une valeur de plus de 7 milliards de dollars, si j’ai bien compris.

Vous avez dit aujourd’hui que la clé de la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies repose sur l’article 4. Il y a aussi les articles 20, 21 et 32 sur les droits économiques des Autochtones. Comme le projet de loi C-15 ne mentionne pas ces droits économiques, serait-il utile, à votre avis, d’y ajouter un préambule qui décrive clairement l’importance de la stabilité économique pour établir la souveraineté?

J’aimerais également entendre les commentaires de M. Buffalo à ce sujet. Merci.

M. Podlasly : Merci, sénateur.

Nous vous remercions beaucoup d’avoir soutenu la coalition. Vous avez raison; nous comptons maintenant 71 nations membres qui cherchent exactement ce dont nous parlons ici, la sécurité économique de leurs nations.

Pour ce qui est du préambule, eh bien, la déclaration des Nations unies comprend 46 articles, qui sont tous aussi importants pour les peuples autochtones. La préservation et le maintien de la culture, l’adhésion, l’accès continu à tout ce que comprend l’environnement, nous y trouvons tout cela. Il ne servirait à rien de souligner un critère économique parmi tous les autres. Je parle au nom de la coalition. Nous mettons l’accent sur le volet économique. Oui, nous aimerions quelque chose de ce genre, mais ce ne serait pas équitable pour les Autochtones en général.

L’autre question qui a été posée plus tôt concernait les groupes qui veulent encore être consultés et ce qui les intéresse. Ce serait une erreur de mettre en évidence une section particulière de la déclaration.

Le sénateur Patterson : Merci.

Monsieur Buffalo, devrions-nous inclure les droits économiques dans le projet de loi C-15 au lieu de les annexer à la déclaration?

M. Buffalo : Si vous posez cette question aux 130 membres du Conseil des ressources indiennes, je suis à peu près certain que vous obtiendrez 130 réponses différentes, car chaque communauté est différente. Cette question découle de l’un des problèmes initiaux, le fait que les gens pensaient que les consultations n’avaient pas été menées correctement. Mais en fin de compte, comme les communautés veulent devenir économiquement autosuffisantes, les investisseurs seront heureux d’en discuter. Cependant, je le répète, lorsque ce cadre sera établi et qu’il sera mis en œuvre, nous aurons beaucoup de travail. En fin de compte, ce document traite de droits, de plus de droits et encore de droits. Bien sûr, nous devons prendre position. Pour atteindre notre souveraineté...

Le président : Merci, monsieur Buffalo. Votre temps est écoulé.

La sénatrice Coyle : Ma question s’adresse à M. Podlasly. Dans un groupe de témoins précédent, le grand chef Abel Bosum nous a parlé de l’expérience que les Cris du Nord du Québec accumulent depuis plusieurs décennies en étant copropriétaires et copromoteurs de projets dans divers domaines, comme l’hydroélectricité, la foresterie et l’exploitation minière. Cela découle en grande partie de leur participation à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, bien sûr. Le grand chef a ajouté qu’ils avaient adopté une grande partie de ces mesures, même si elles étaient positives, dans un esprit réactif, et une grande partie de ce dont vous avez parlé découle également d’une attitude réactive. On devient parfois copropriétaire ou même copromoteur dans un esprit réactif. Maintenant, ces Cris assument leur rôle de leadership, et je trouve cela fascinant. Ils s’intéressent par exemple au lithium et à l’économie verte et ils invitent la province et d’autres intervenants à la table afin de se placer aux commandes, d’assumer leur rôle de leadership. Pensez-vous que le projet de loi C-15 permettrait à un plus grand nombre de Premières Nations et de communautés autochtones au Canada d’assumer ce rôle de leadership, de contrôler leurs enjeux économiques? Dans l’affirmative, comment croyez-vous que cela se réaliserait?

M. Podlasly : Je vous remercie pour cette question.

J’aimerais tirer un exemple de notre coalition. Il y a environ deux ans, on a proposé que l’une des usines de gaz naturel liquéfié de la côte utilise de l’hydroélectricité pour réduire l’empreinte carbone. Cependant, le service public provincial se heurtait à un problème. Il n’avait pas d’argent pour construire ou pour réparer la ligne de transmission. Les Premières Nations, tous les membres de la coalition, ont proposé d’en devenir les promoteurs, de trouver un partenaire afin de construire la ligne et de la diriger. C’est le genre de vision que l’on commence à voir chez les Autochtones qui comprennent les occasions qui s’offrent à eux. Nous sommes sur le point d’y parvenir, grâce à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui nous permet de prendre ces décisions et de devenir partenaires à part entière.

Ce qui se passe au Québec commence à se reproduire ailleurs au pays. Je le répète, c’est un processus graduel. À mesure que la déclaration sera mise en œuvre et que le plan d’action sera en place, vous verrez les Premières Nations saisir les occasions qui s’offrent à elles. Nous ne vivons pas en vase clos. Nous, les Premières Nations, voyons ce qui se passe au pays et dans le monde dans les domaines de la croissance économique et des occasions à saisir et nous voulons que nos enfants en profitent. Nous aimerions que ces débouchés soient compatibles avec nos intérêts culturels et nous sommes les mieux placés pour décider de ce qui respecte nos intérêts culturels, spirituels et linguistiques.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Ma question s’adresse au chef Buffalo et à M. Podlasly.

D’après ce que nous avons entendu aujourd’hui, pensez-vous qu’il serait logique que le gouvernement accorde du financement aux communautés exclusivement pour les aider à se préparer au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et à élaborer un système qui leur est propre? On nous en a beaucoup parlé. Ce ne sera pas une solution universelle, et il faut que le système soit conçu pour chaque communauté, il faut que l’on demande aux gens de documenter cette solution et de s’entendre à son sujet. Compte tenu de tout cela, ne serait-il pas logique que le gouvernement paie pour ces consultations afin que l’on n’en impose pas les coûts à la première entreprise qui aura une idée dont elle aimerait discuter et qui enclenchera le processus? Serait-il logique que dès le lendemain de la sanction royale, nous commencions à financer ce travail que toutes les communautés devront accomplir?

M. Buffalo : Merci, sénateur Tannas. Je dois vous dire que je n’ai jamais été élu chef, mais je vous remercie du compliment.

Nous voyons maintenant nos communautés évoluer et créer leur propre loi électorale. Nous assistons à un processus démocratique, aussi colonisé soit-il. J’ai entendu cette critique. Nous avons dû jouer ce jeu en vertu de la Loi sur les Indiens. Maintenant que nos lois électorales sont ratifiées par référendum dans nos communautés, nos dirigeants peuvent prendre cette décision.

L’obtention d’argent pour définir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est qu’un début. Je le répète, les résultats seront différents dans chaque communauté et probablement dans chaque région visée par un traité.

M. Podlasly : À mon avis, c’est prévu dans la déclaration des Nations unies. Il faut un plan d’ensemble pour mettre ce cadre en œuvre en se concentrant uniquement sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui est prévu à l’article 32, on annule tous les pouvoirs conférés par l’accord. Ces pouvoirs reposent sur la nouvelle relation que la déclaration crée entre les peuples autochtones et leurs États hôtes.

Je comprends votre point de vue; la consultation coûterait cher aux entreprises. La Couronne s’en est déchargée sur le dos des promoteurs, qui doivent la payer et accomplir tout le processus. C’est la responsabilité de la Couronne et cela fait partie de l’engagement global.

Est-ce que je pense que cela devrait être traité séparément dès le lendemain de la sanction royale? Tout dépend de la forme que prendra le cadre. Quel est le plan de déploiement? Quel est le plan de mise en œuvre?

Le sénateur Tannas : Je comprends ce que vous dites, mais la mise en œuvre dépend du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, alors nous devons régler cette question pour toutes sortes de raisons, n’est-ce pas? Je vous remercie.

Le président : Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens à remercier nos témoins, le chef régional Teegee, M. Podlasly et M. Buffalo.

Pour notre prochain groupe d’invités, nous accueillons le chef George Arcand Jr., de la Première Nation d’Alexander, Arnie Bellis, président du Réseau de ressources autochtones, et Dale Swampy, président de la Coalition nationale des chefs.

Chaque témoin présentera une déclaration préliminaire d’environ six minutes, suivie d’une période de questions et réponses d’environ trois minutes par sénateur. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, et la deuxième par le porte-parole, le sénateur Patterson. Lorsqu’ils désireront poser une question, les sénateurs devront utiliser la fonction « lever la main » de Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront alors reconnus dans le clavardage Zoom. Soulignons que les membres du comité auront priorité sur les personnes inscrites à la liste des intervenants. Les suivis aux réponses remis par écrit devront être soumis à la greffière du comité d’ici au 30 mai 2021.

Le personnel du comité m’informera par message texte lorsqu’il restera 10 secondes au temps de parole des témoins, tant pendant leurs remarques liminaires que pendant la période de questions des sénateurs. Je ferai un compte à rebours de 10 secondes avec mes mains, et lorsque j’aurai atteint zéro, je vous ferai savoir que le temps de parole est écoulé.

Je cède maintenant la parole au chef George Arcand Jr., qui va nous présenter ses remarques préliminaires.

George Arcand Jr., chef de la Première Nation d’Alexander : Bonjour. Je m’adresse à vous au nom de la Première Nation d’Alexander, située sur notre territoire traditionnel et sur le territoire visé par le Traité no 6. Je remercie nos aînés pour leurs prières et je suis reconnaissant pour cette journée.

Par respect pour mon arrière-arrière-grand-père Okimaw Catchistahwayskum, qui a adhéré au Traité no 6 au nom de son peuple en 1877, je suis ici pour continuer de veiller à ce que notre traité soit protégé, reconnu et mis en œuvre comme il l’a enseigné à notre peuple.

Je remercie les chefs qui m’ont précédé. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui au sujet de ce projet de loi.

Je suis ici pour vous informer que la communauté d’Alexander rejette le projet de loi C-15 dans son intégralité. Notre rejet de ce projet de loi ne signifie pas que nous rejetions la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. À titre de Première Nation visée par un traité, Alexander ne consent pas à ce que le projet de loi lui soit imposé parce que, d’après ce que nous comprenons, l’acceptation de ce projet de loi constituerait une violation de notre adhésion au traité.

Nous rejetons ce projet de loi parce que nos ancêtres et les générations de nos aînés depuis 1877 nous ont dit de ne jamais oublier que notre chef Catchistahwayskum avait adhéré au Traité no 6 avec la Couronne impériale de la Grande-Bretagne pour permettre aux sujets de la Couronne de coexister avec nous pacifiquement, de vivre sur notre territoire et d’utiliser le territoire à la profondeur d’une charrue.

Nos ancêtres et nos aînés nous ont aussi dit de ne jamais oublier que la Proclamation royale de 1763 reconnaît que notre traité est un accord international, que notre nation n’a pas cédé sa souveraineté, sa compétence et son autorité inhérentes, et que nous n’avons pas cédé nos terres à la Couronne impériale. Notre adhésion au traité place la communauté d’Alexander dans une situation différente de celle de tous les autres groupes autochtones, de sorte que le Canada ne peut pas nous traiter comme eux.

Après que la Couronne impériale a confié ses responsabilités administratives au Canada pour qu’il s’acquitte des obligations découlant des traités conformément à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, la loi de la Reine, le Canada a continué de s’écarter de cette responsabilité, ce qui a eu des effets préjudiciables sur nos droits inhérents et sur nos relations découlant des traités jusqu’à aujourd’hui.

Nous rejetons l’affirmation selon laquelle ce projet de loi a fait l’objet de consultations exhaustives. Certains prétendent que les consultations ont commencé en 2007, d’autres qu’elles ont commencé dès le dépôt du projet de loi C-262. Ce n’est tout simplement pas vrai. La communauté d’Alexander n’a pas été consultée comme il se doit sur ce projet de loi et sur le projet de loi précédent, le projet de loi C-262, parce que leurs dispositions ne correspondent pas à notre compréhension de l’intention de la Proclamation royale de 1763 et ne correspondent pas à ce qui est énoncé au paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.

Le Canada a une fois de plus fermé les yeux sur les Premières Nations signataires de traités qui s’opposent à ce projet de loi, comme la communauté d’Alexander. Nous maintenons notre position selon laquelle le Canada doit respecter, reconnaître et mettre en œuvre le contenu, l’esprit et l’intention initiaux du Traité no 6. Le Canada n’a pas consulté adéquatement les Premières Nations, car il a confié ce processus uniquement à l’Assemblée des Premières Nations qui elle, n’a pas tenu compte de la résolution des chefs de l’Assemblée des chefs des Premières nations signataires d'un traité de 2021. Cette résolution rejetait le projet de loi dans son ensemble et demandait que l’on suive un processus qui respecte notre traité et notre droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le Canada a refusé de reconnaître que les chefs membres de l’APN n’avaient pas approuvé le mandat mandat confié à l'APN relativement à ce projet de loi.

La communauté d’Alexander ne peut que recommander et demander au comité de rejeter le projet de loi dans son intégralité et d’envoyer un message au Canada pour lui souligner de façon claire que la reconnaissance législative et la mise en œuvre de l’adhésion de la communauté d’Alexander au Traité no 6 ne découle pas de l’article 35 de la Constitution de 1982.

Depuis 30 ans, nous avons informé à maintes reprises le Canada que, selon la compréhension de nos aînés, cela doit se faire dans le cadre d’un processus de traité bilatéral strict et autonome, comme l’ont affirmé nos aînés en 1991.

La communauté d’Alexander précise que, lorsque la confédération du Traité no 6 a recommandé dans son mémoire au comité de s’occuper de notre véritable plan de réconciliation, elle n’a pas déshonoré la Couronne. Selon la compréhension de la communauté d’Alexander, le Canada doit redéposer à la table le processus bilatéral amorcé en 1995.

Enfin, nous rappelons au Canada que cela doit se faire conformément au contenu, à l’esprit et à l’intention originaux de notre Traité no 6 et d’une manière qui respecte nos traités et nos droits au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

En conclusion, je vous dirai que si vous avez besoin de renseignements supplémentaires, vous les trouverez dans notre mémoire. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci, chef.

Arnie Bellis, président du Réseau de ressources autochtones : J’aimerais souhaiter une bonne journée à tous ceux qui sont ici. Je ne m’attendais pas à prendre la parole aujourd’hui, parce que je n’avais pas les écouteurs et l’équipement nécessaires. Je suis à Haida Gwaii. Cependant, j’ai présenté un mémoire parce que je ne voulais pas manquer cette occasion d’exprimer nos opinions.

Je ne sais pas si vous avez suivi les nouvelles de la Colombie-Britannique. Avant-hier, je crois, on a trouvé les cadavres de 215 enfants au pensionnat de Kamloops. Par conséquent, la version orale de mon exposé s’écartera légèrement de mon mémoire. Cela fait partie de l’histoire du Canada, et il faut le reconnaître. De plus, les gens qui pensent qu’il n’y a pas de lien entre cela et ce dont nous discutons aujourd’hui sont dans la mauvaise salle, c’est aussi simple que cela.

La première chose que j’ai remarquée, c’est le temps qu’il a fallu au Canada pour adhérer à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, alors que d’autres pays l’ont adoptée et ont lancé les initiatives qui s’imposent. Dans l’ensemble, nous adhérons aux principes de la déclaration des Nations unies, mais comme l’a dit l’intervenant précédent, nous n’approuvons pas les personnes que le gouvernement de l’époque a consultées. À l’époque de la Loi sur les Indiens, le Canada a commis l’erreur de nous mettre tous dans le même panier en pensant que nous sommes tous pareils. Ce n’est toutefois pas le cas. Je suis Haïda, les Cris sont Cris, et ainsi de suite. Donc l’initiative de la déclaration des Nations unies, bien qu’étant sincère, a une signification différente pour chaque groupe. Chaque groupe a son propre processus de consultation.

Cela dit, je m’oppose surtout au plan d’action. Pour que nous puissions bien voir les réponses à nos demandes dans ce plan, il est essentiel de l’exécuter, de le mettre en œuvre. Les mots ne sont que des mots, et nous les avons tous entendus, mais nous avons besoin de participer et de sentir que nous faisons partie de quelque chose. C’est essentiel au succès de cette initiative.

Je ne considère pas nécessairement la déclaration des Nations unies comme une solution universelle qui servira l’industrie, le gouvernement et les Premières Nations. Je pense toutefois qu’il s’agit d’une étape cruciale pour éclairer la relation entre ces trois entités.

De plus, nous, les Haïdas, nous y prenons 400 ans à l’avance pour élaborer un plan de 1 000 ans sur le cèdre. Nous n’élaborons pas nos plans en fonction du cycle de quatre ou cinq ans des politiciens. Il faut que nous nous attaquions à ce problème, qui est tout à fait réel. Je comprends que les gens veuillent se faire réélire et conserver leur poste, mais est-ce que cela les aide à maintenir une société équitable?

Nous utilisons aussi les ressources depuis plus de 10 000 ans, et nous voulons continuer à le faire, mais de nos jours, en considérant l’avenir, il nous faut des investisseurs et il nous faut de la certitude pour les gens qui veulent investir dans nos territoires, dans nos villages et dans nos communautés. Nous ne pouvons pas le faire en renonçant à nos — je ne veux pas dire à nos droits —, mais à notre existence d’êtres humains dans notre région. Les droits sont décrits en détail dans notre Constitution et dans les décisions de nombreuses causes judiciaires. Est-ce que cela a nécessairement changé les choses? Il suffit d’examiner les statistiques de ces 20 dernières années au Canada pour en juger.

Afin que notre relation avec le Canada et les industries évolue, notre groupe va accepter ce défi. Certains ne partageront pas ce point de vue, mais tant pis. C’est ce qui fait du Canada le pays qu’il est. Nous sommes en faveur de ces choses et nous encourageons les gens à le faire avec franchise afin de mener cette conversation dans un esprit qui favorisera l’amélioration des Premières Nations et à faire du Canada un meilleur endroit où vivre.

Sur ce, j’aimerais vous remercier et vous souhaiter de rester en bonne santé.

Le président : Merci, monsieur Bellis.

Dale Swampy, président de la Coalition nationale des chefs : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui au sujet du projet de loi C-15 sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je vous parle aujourd’hui depuis le territoire traditionnel de la nation Tsuut’ina, près de Calgary, en Alberta, et du territoire traditionnel des sept Premières Nations en chef du Sud de l’Alberta. Bonjour, honorables sénateurs, chefs et aînés.

Je m’appelle Dale Swampy. Je suis membre de la nation crie de Samson, en Alberta, et je suis président de la Coalition nationale des chefs, qui réunit des chefs de partout au Canada pour collaborer à la lutte contre la pauvreté dans les réserves ainsi que pour appuyer l’industrie canadienne des ressources naturelles et y participer pleinement. Lors de notre dernière conférence, nous avons accueilli 81 chefs de partout au Canada. Pour la conférence de cette année, les 19 et 20 septembre, nous espérons que le premier ministre et le nouveau chef de l’APN prendront la parole.

Les dirigeants de la coalition croient que la communauté autochtone du Canada fait face à une crise de pauvreté. La pauvreté a détruit la majeure partie de la structure familiale dont nos communautés étaient fières. La perte de notre structure familiale nous a rendus dépendants d’une société d’aide sociale. Cette société a créé les maux sociaux qui ravagent encore aujourd’hui notre peuple. Il s’agit du manque d’éducation, du manque d’emplois, du manque de santé et, bien sûr, du manque de prospérité. Nous sommes inondés de suicides d’adolescents, de violence familiale, de toxicomanie et d’alcoolisme, de femmes et de filles assassinées ou disparues, de niveaux anormalement élevés d’enfants pris en charge et de racisme.

La coalition est d’avis que cette pauvreté a causé ces maux sociaux et que la seule façon de les éliminer est de vaincre la pauvreté. La seule façon de vaincre la pauvreté est de rétablir notre structure familiale. La seule façon de récupérer notre structure familiale est de faire travailler nos chefs de famille. La meilleure façon d’obtenir des emplois sera par l’entremise de notre plus grande industrie au Canada, l’industrie des ressources naturelles. La coalition croit que la nouvelle Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’améliorera pas notre capacité de vaincre la pauvreté et de participer à l’économie prospère du Canada. Au cours de ces 150 dernières années, nos communautés autochtones n’ont jamais participé pleinement à l’économie du Canada. Nos réserves ont été maintenues au rang des économies du tiers monde pendant beaucoup trop longtemps. Pendant des décennies, le gouvernement fédéral a essayé, mais en vain, de nous sortir de la pauvreté.

Si la déclaration des Nations unies est vraiment une forme de réconciliation, pourquoi le gouvernement fédéral ne suit-il pas ses propres recommandations issues de l’étude de 1996 de la Commission royale sur les peuples autochtones et n’accorde-t-il pas aux Premières Nations, comme elles l’ont recommandé, la propriété de 30 % des terres et des ressources qui lui appartiennent? Ce serait une réconciliation réelle, tangible et véritable. Qui est mieux placé que les peuples autochtones du Canada pour posséder et gérer efficacement l’exploitation des ressources naturelles? Dans les années 1970, les États-Unis ont accordé à 13 tribus de l’Alaska la propriété de millions d’acres de terres et de ressources naturelles en Alaska. Ces tribus sont maintenant les communautés autochtones les plus prospères de la planète.

Le gouvernement fédéral a promis que la déclaration des Nations unies serait une forme de réconciliation, mais il nous semble que nous n’en retirerons qu’un plus grand pouvoir de dire non au développement de projets et, par conséquent, de dire non à la prospérité. Nous avons besoin de soutien aux droits qui nous rapprocheront de la prospérité. Pourquoi le gouvernement a-t-il tant de peine à comprendre que les Premières Nations ont des droits de propriété sur les terres et sur les ressources du pays?

La déclaration des Nations unies peut soutenir les peuples autochtones de bien des façons. Toutefois, ce projet de loi risque d’avoir des répercussions négatives sur les nombreuses communautés autochtones qui comptent sur l’exploitation des ressources comme source d’emplois, de contrats commerciaux et de revenus autonomes. Les gestes symboliques de réconciliation ne devraient pas se faire au détriment de l’alimentation des familles autochtones.

J’ai passé ma vie professionnelle dans l’administration des Premières Nations et dans l’industrie pétrolière et gazière, alors je sais ce qui se passe lorsque la bureaucratie fédérale fait obstacle au développement. Malgré les bonnes intentions du projet de loi C-15, mes discussions avec des juristes, avec des représentants de l’industrie et avec des banquiers d’investissement m’ont convaincu qu’il apporte une nouvelle couche d’incertitude et de risques au développement dans les territoires autochtones. En effet, il accroît la confusion sur la désignation des personnes qui ont le pouvoir de donner ou de refuser le consentement au nom des peuples autochtones, qu’il s’agisse du chef et du conseil, des chefs héréditaires ou de petits groupes de militants. Cela sous-entend également qu’une seule nation peut refuser le consentement — en pratique, il s’agit d’un veto, même si l’on ne désigne pas ce refus ainsi — à des projets qui traversent des dizaines de territoires, qu’il s’agisse de pipelines, de chemins de fer ou de lignes de transmission d’électricité.

Je pense que l’incertitude entourant ce projet de loi fait en sorte qu’il pourrait servir à retarder des projets d’exploitation des ressources par des groupes qui s’opposent à des projets d’extraction et autres, quelles que soient les circonstances. Cette incertitude, ces obstacles et les risques qui s’ajoutent au développement sur le territoire autochtone empêchent nos nations et nos entreprises d’attirer des investissements et, lorsqu’elles y réussissent, les primes de risque en augmentent les frais. Nous n’atteindrons jamais la prospérité et l’autodétermination en minant notre propre économie.

La coalition a formulé des commentaires sur plusieurs projets de loi, y compris sur l’interdiction des pétroliers. Nous nous attendons à ce que ce projet de loi soit adopté. Nous espérons que nos commentaires seront pris au sérieux et que le plan d’action inclura des chefs qui sont favorables au développement, comme notre groupe, et qu’il ne se concentrera pas uniquement sur les recommandations de l’APN.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Swampy.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je tiens tout d’abord à saluer le chef Arcand. J’habite à 10 minutes de la Première Nation d’Alexander, et mon mari et moi allons à Sundance chaque année. Je tiens à vous saluer et à vous remercier d’être venu.

Vous avez soulevé un point très intéressant dont personne n’a encore parlé. Vous avez dit que les pourparlers sur les traités bilatéraux ont commencé en 1995. Je pense qu’il serait vraiment utile que le comité et moi-même comprenions en quoi consistaient ces pourparlers et ce que vous entendez par reprendre ces pourparlers.

M. Arcand Jr. : Tout d’abord, il faut remonter très loin en arrière. Je suis un jeune homme, comme vous pouvez le constater.

Tout d’abord, je crois que le processus bilatéral a été établi entre la confédération du Traité no 6 et le Canada pour discuter des relations découlant des traités et de la compréhension des traités. Dans le cadre de cette compréhension, les parties ont conclu une entente visant à réunir toutes les nations signataires du Traité no 6 en Alberta afin de décider que nous présenterions au Canada ce que nous pensions et ce que nos gouvernements feraient ensemble et, je suppose, pour négocier cela.

Je crois que depuis, le gouvernement du Canada n’a pas rendu hommage au processus bilatéral des traités. La confédération reçoit encore des ressources pour le faire. Comme le Canada ne peut pas conclure d’entente avec toutes les Premières Nations, il me semble que la confédération est un instrument idéal pour discuter des traités et pour comprendre les traités de toutes les nations du Canada.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. C’était une réponse brève. Je ne m’attendais pas à cela.

Je vous demanderai donc ceci : supposons que les dirigeants signataires des traités décident de se retirer du plan d’action de la déclaration des Nations unies. Pensez-vous qu’il soit possible pour le gouvernement de s’asseoir aux tables de négociation des traités tout en mettant le plan d’action en œuvre ou de reprendre les pourparlers sur les traités dans le cadre du plan d’action? Est-ce que je rêve en couleurs, ou est-ce possible?

M. Arcand Jr. : C’est une vaste question et elle est un peu tendancieuse. Je crois que si le Canada accepte totalement l’idée que les traités et la discussion sur les traités se font dans le cadre d’un processus bilatéral, lors duquel nous nous asseyons à la table et en arrivons à une entente, je pense que nous réussirons à faire en sorte que toutes nos lois et notre compréhension...

Le président : Je suis désolé, chef, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur Patterson : Monsieur Bellis, vous avez récemment accordé une entrevue à CTV News le 21 mai. Vous avez dit que le Canada doit faire davantage pour reconnaître les droits des Autochtones, mais que

[...] si la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est mal mise en œuvre, nous serons les perdants. Nous serons ceux qui subiront les conséquences imprévues. Ils feraient donc mieux de prendre le temps de bien faire les choses. Nous n’avons pas besoin d’autres gestes symboliques.

M. Swampy vient de le réaffirmer.

Vous n’êtes clairement pas le seul à nous demander de ralentir et d’améliorer le projet de loi. Certains ont demandé une remise à plat complète, et d’autres ont dit qu’il devrait être amélioré ou modifié. Que répondriez-vous à ceux qui disent que ce projet de loi vaut mieux que rien, ou comme l’a dit le chef national Bellegarde : « Le mieux est l’ennemi du bien. »

M. Bellis : Je pense que M. Bellegarde a parfaitement le droit d’exprimer son opinion. Toutefois, je crains que si nous précipitons l’adoption du projet de loi pour le simple plaisir de le brandir et de dire que nous adhérons à la déclaration des Nations unies, mais que ce n’est pas un outil efficace pour changer non seulement les chiffres eux-mêmes, mais le Canada comme société, alors nous n’aurons pas vraiment fait grand-chose. Ce n’est pas seulement une question d’investisseurs et d’investissements. Il s’agit d’une société qui a besoin non pas de reconnaître les droits des Premières Nations, c’est déjà le cas, mais de développer cette relation. Et cette relation est cruciale, non pas pour la montrer au monde entier, mais pour le Canada et pour la lutte contre le racisme systémique et toutes ces choses qui déchirent notre pays. Comme je l’ai dit plus tôt, si nous profitons de cette occasion pour faire évoluer cette relation, allons-y, mais ce n’est pas seulement pour l’investissement et l’économie. Il s’agit du vaste champ de l’intégration avec le Canada, ce pays dans lequel nous essayons de trouver une place, si vous voulez dire les choses ainsi. Ça sonne bizarrement parce que...

Le président : Je suis désolé, monsieur Bellis. Votre temps est écoulé.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins de cet après-midi.

Ma question s’adresse à M. Bellis. J’ai écouté attentivement vos propos, et vous avez dit que les mots étaient des mots et que la participation est absolument essentielle. Selon vous, qu’est-ce qui permettra d’assurer la confiance entre l’industrie et les partenaires des collectivités? Quelles clarifications apportées par le plan d’action qui, en principe suivra l’adoption du projet de loi, appelez-vous de vos vœux? Quel regard portez-vous sur le processus d’élaboration du plan d’action? Merci.

M. Bellis : Je pense que c’est un processus étape par étape. J’ai une certaine expérience de la vie, et j’entends beaucoup parler de confiance, mais la confiance se mérite. Elle se mérite au fil du temps et par l’action. Une relation, c’est cela. Les relations connaissent des hauts et des bas. Mais j’aimerais voir un document, à défaut d’un meilleur terme, qui explique ce qui se passe lorsqu’il y a une impasse et qui indique la façon d’en sortir.

Pour ce qui est du plan d’action visant à éduquer l’industrie et les investisseurs, je pense qu’il est important que nous éduquions les investisseurs, et non pas des gens qui ont des intérêts différents qui n’ont peut-être pas nos intérêts à cœur, il faut éduquer les investisseurs et tout ce secteur. Cela me préoccupe vraiment parce que, comme je l’ai dit plus tôt, nous avons aussi besoin d’investisseurs. Mais si les gens se donnent la peine de mener cela à l’échec, ils sont les agents de la pauvreté et de toutes les choses qui ne vont pas à l’heure actuelle, comme M. Swampy l’a clairement dit. Ils doivent endosser cette responsabilité aussi, et nous devons appeler les choses par leur nom.

Pour ce qui est du développement de la confiance, ma grand-mère disait que vous deviez la mériter en étant respectueux...

Le président : Je suis désolé, monsieur Bellis. Le temps de parole est de nouveau écoulé.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse au chef Arcand Jr.

Auparavant, je tiens à dire que je suis de tout cœur avec les familles et les collectivités qui apprennent le sort de leurs enfants volés. Ces découvertes ne sont pas nouvelles, mais elles sont toujours horrifiantes et déchirantes.

Chef Arcand Jr., je crois comprendre que certaines nations préféreraient traiter directement avec le gouvernement fédéral comme titulaires de droits, par exemple au moyen des droits issus de traités, plutôt que de participer au plan d’action proposé par le projet de loi C-15. Toutefois, ce projet de loi n’impose aucune obligation aux nations qui préfèrent une approche directe parce que la participation au plan d’action est volontaire. Dans cette optique, n’est-il pas exagéré de chercher à empêcher d’autres nations qui appuient le projet de loi d’avoir la possibilité de concevoir et de mettre en œuvre un plan d’action pour veiller à ce que le gouvernement fédéral soit tenu responsable du respect de ses normes minimales en matière de droits de la personne?

M. Arcand Jr. : Tout d’abord, permettez-moi d’être clair. La Première Nation d’Alexander est tout à fait favorable à l’idée de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et nous croyons qu’il devrait y avoir une discussion sur la façon de la mettre en œuvre.

Mais je pense qu’il est important de comprendre que la confiance n’est pas acquise, notamment en lien au Traité no 6 et au processus bilatéral qui a commencé en 1995, par lequel nous devions discuter avec le Canada de nos compréhensions respectives du traité et en arriver à une entente. Si celui-ci n’a pas été poursuivi, pourquoi ferions-nous confiance à un autre processus qui ne garantirait pas que les traités et les obligations du Canada seront clairement énoncés? C’est comme si vous nous demandiez d’entreprendre un nouveau processus alors que le précédent est déjà en cours. Terminons les démarches qui ont du sens, et menons des actions concrètes sur le terrain.

Le sénateur Francis : Merci, chef.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à M. Dale Swampy. Je suis heureux de vous revoir, monsieur. Il y a deux ans, nous avons consacré beaucoup de temps aux projets de loi C-48 et C-69, à Ottawa et dans l’Ouest canadien. J’ai toujours été impressionné par vos connaissances, votre détermination et votre patience lorsqu’il s’agit d’essayer d’exploiter correctement vos ressources. Nous sommes heureux de vous accueillir.

Monsieur Swampy, le 17 décembre 2020, vous avez envoyé une lettre au premier ministre. Dans cette lettre, vous écriviez :

Bien que l’affirmation des droits des Autochtones soit toujours la bienvenue, le projet de loi, dans sa forme actuelle, aura vraisemblablement des répercussions négatives sur les nombreuses collectivités autochtones qui dépendent de l’exploitation des ressources comme source d’emplois, de contrats commerciaux et de revenus autonomes. Je ne veux pas que les gestes symboliques de réconciliation se fassent au détriment des revenus des peuples autochtones.

De plus, l’absence de consultation est un signal d’alarme pour les dirigeants et les collectivités autochtones de l’ensemble du Canada. Bien que la National Coalition of Chiefs ait pu rencontrer une fois le ministre de la Justice, il était entendu que nous nous réunirions à nouveau pour discuter de nos questions et de nos préoccupations. La période de consultation actuelle est beaucoup trop courte pour que nous puissions consulter nos représentants au Parlement.

Monsieur Swampy, pourriez-vous informer le comité de la réponse que vous avez reçue du premier ministre et nous dire si vous avez trouvé qu’elle répondait suffisamment aux préoccupations que vous avez soulevées? Merci.

M. Swampy : La réponse du premier ministre était assez simple. Il a pris acte de notre lettre et de nos préoccupations au sujet du projet de loi, et il a promis que son Cabinet et celui d’autres ministres s’occuperaient de nos problèmes. Bien entendu, nous n’avons jamais reçu d’autre réponse par la suite. Nous avons été découragés par le fait que cela n’a jamais vraiment été suivi. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous continuons d’insister.

Comme vous le savez, nous nous sommes opposés aux projets de loi C-48 et C-69, et nous avons constaté que le gouvernement n’a jamais tenu compte de nos préoccupations. Nous allons quand même continuer à nous manifester. Nous allons continuer de nous battre. Nous recevons beaucoup de messages de la part des chefs qui nous demandent quelle est la prochaine étape. Comment pouvons-nous aller de l’avant pour avoir de meilleures perspectives et sortir les gens de la pauvreté? C’est le plus gros problème que nous ayons eu jusqu’à maintenant. Tous les maux sociaux de nos collectivités sont engendrés par la pauvreté, et il est important pour nous de faire comprendre au gouvernement que toutes ces platitudes et tout ce faux jargon juridique n’aideront pas notre peuple à atteindre la prospérité. Nous pensons pourtant que c’est la chose la plus importante à accomplir.

Le sénateur MacDonald : Excellente réponse comme toujours, cela ne fait aucun doute. Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : Je suis très reconnaissante à nos témoins d’être venus et d’avoir pris le temps de nous faire part de leurs points de vue. Il est toujours bon que les législateurs entendent tout le monde.

Monsieur Swampy, le sénateur Patterson a posé une question au groupe de témoins précédent, et je suis curieuse de savoir quelle serait votre réponse cette question. Nous avons entendu le chef Montour du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke. Il a dit :

Trop souvent, en ce qui concerne nos préoccupations légitimes au sujet des lacunes perçues dans le projet de loi [...] on veut nous faire croire que nous ne comprenons tout simplement pas.

D’autres ont qualifié de propos alarmistes nos préoccupations au sujet des certitudes et de l’industrie, préoccupations que vous avez énoncées aujourd’hui. J’aimerais que vous répondiez à ceux qui vous reprochent d’avoir soulevé les préoccupations qui vous tiennent à cœur.

M. Swampy : Nous subissons moins de critiques que lorsque nous nous sommes engagés à appuyer le projet Northern Gateway. À notre avis, c’est le projet d’exploitation du bitume qui a généré le plus d’avantages pour les Premières Nations. Il s’agit du processus le plus éclairé que nous ayons jamais eu.

Nous faisons comprendre aux autres dirigeants que nous consacrons notre énergie à la lutte contre la pauvreté. Nous ne pensons pas que notre plus grand problème soit le manque titres et de droits autochtones. En réalité nous ne sommes pas en mesure de posséder des ressources que nous possédions depuis des dizaines de milliers d’années et nous sommes incapables de faire entendre au gouvernement que nous sommes le peuple qui devrait avoir accès à ces terres. Le gouvernement devrait comprendre que selon sa propre étude de 1996, il est logique que nous puissions posséder au moins 30 % des ressources naturelles du pays.

Cela existe. Ce n’est pas sans précédent. Cela a été fait pour les tribus de l’Alaska par le gouvernement américain. Mais chacune de nos avancées est suivie d’un recul. Lorsque nous avons obtenu les permis pour l’exploitation de casinos en Alberta, nous pensions que nous allions être respectés à cet égard au même titre que les nations tribales américaines. Mais la province est venue nous imposer une taxe de 70 %. C’est scandaleux. Tout à coup, nos droits issus de traités n’existent plus. Qui lui a donné le pouvoir de nous retirer nos droits? La DNUDPA ne nous accorde pas vraiment de droits supplémentaires.

Je pense que nous subissons beaucoup moins d’opposition de la part des gens parce qu’ils comprennent que nos chefs se battent pour vaincre la pauvreté, et c’est notre principal objectif. Pour vaincre la pauvreté, nous devons avoir accès à des débouchés dans notre plus grande industrie, celle des ressources naturelles.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins.

Monsieur Bellis, dans une déclaration conjointe de février 2021 avec l’Alliance des Premières Nations pour le GNL et le Conseil des ressources indiennes, le Indigenous Resource Network a déclaré ce qui suit :

Nous voulons que le projet de loi C-15 soit modifié afin qu’il offre des avantages concrets, et pas seulement symboliques, pour les peuples autochtones.

J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Vous l’avez déjà fait dans votre témoignage, mais pourriez-vous nous donner d’autres exemples des avantages concrets qui, selon vous, devraient figurer au premier plan de notre étude du projet de loi? Merci.

M. Bellis : Je pense que les avantages concrets peuvent se traduire ainsi : nous devons pouvoir aller rencontrer des investisseurs et être reçus comme des gens qui disposent sur leur territoire d’actifs susceptibles d’intéresser ces investisseurs. Ce n’est pas nécessairement un avantage; c’est une question d’affaires. Si le Canada a reconnu tous ces droits et tous ces droits constitutionnels devant les tribunaux, est-ce possible? Cela reste à voir.

Nous devons aussi avoir accès à certaines choses. M. Swampy a parlé de la pauvreté. J’aimerais parler du développement intellectuel et de la façon dont il a été interrompu par le contact et lorsque l’on nous a imposé les pensionnats et la ségrégation dans les écoles. Nous devons développer notre intelligence, aller de l’avant, faire en sorte que ces situations soient tangibles et participer à leur développement.

Par ailleurs, j’ai une question pour l’ensemble des participants : qu’est-ce que le Canada? Les libéraux fédéraux ont remporté des élections avec 33 % des suffrages. Est-ce le Canada? Non. C’est un groupe d’intérêts particuliers au Canada. Je veux que ce soit clair. Qu’est-ce que le Canada? J’entends constamment cette affirmation : le Canada, le Canada. Le gouvernement n’en représente que le tiers.

Merci beaucoup. C’était une bonne question.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse au chef George Arcand. J’ai une copie de la prise de position de la Première Nation d’Alexander concernant le Traité no 6, datée de novembre 1991, et elle se trouve dans les documents du Sénat. J’aimerais citer un passage :

Nous assistons maintenant aux efforts des représentants de la Reine au sujet de la protection constitutionnelle des « droits issus de traités », de la Proclamation royale de 1763, des ententes fédérales-provinciales, de la Loi sur les Indiens et d’autres questions ayant une incidence sur notre Traité no 6, et nous constatons que leurs interprétations ont valeur de loi suprême par rapport à toute autre. Ce ne sont pas nos lois; nous ne devons pas être soumis à ces concepts étrangers et nous ne devons pas nous y conformer continuellement.

Nous nous retrouvons continuellement dans une posture de défense et de justification de notre Traité no 6 en vertu de ces lois. Par conséquent, nous estimons que ces lois constituent un déni complet de la reconnaissance de nos droits inhérents et de notre existence en qualité de Première Nation visée par un traité.

J’aimerais vous demander ceci : 30 ans après que vous ayez écrit ces mots, une nouvelle question émerge au Canada. Est-il possible, dans le cadre de ce processus, de veiller à ce que les droits issus de traités soient exercés, respectés et confirmés?

M. Arcand Jr. : J’en reviens à nos doutes concernant le fait de nous mettre autour d’une table après l’adoption du projet de loi. Nous présumons déjà que le Canada va dresser la table. Je crois vraiment que nous devons nous entendre sur la façon dont la table sera dressée avant que les choses soient adoptées. Le processus bilatéral nous a permis de commencer à le faire. Petit à petit, cette démarche s’est étiolée et elle a été mise de côté. Il est primordial que chacun essaye de comprendre les lois de l’autre et de nous assurer que nous pouvons coexister. Comme tout le monde, nous voulons prospérer et nous voulons faire partie du tout, mais nous devons comprendre que notre peuple, nos lois et ce que nous avons fait pendant des années et des années ne sont tout simplement pas totalement respectés par le Canada. Je pense que nous devons réunir autour d’une table, et que cette réunion soit soutenue et respectée par tous les partis.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à M. Swampy. J’ai été intriguée lorsque vous avez dit qu’il fallait donner aux collectivités le droit de dire oui. Je suis d’accord avec cela. Je pense que les collectivités ont le droit de dire oui. Je regarde les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’article 3, qui porte sur l’autodétermination, et l’article 26 qui affirme que les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés et acquis. Il ne me semble pas que des groupes d’intérêts spéciaux puissent venir manipuler des propriétaires traditionnels de la terre et usurper leur droit de dire oui.

Ma question est la suivante : quelle sera la teneur de votre participation? Vous avez dit que vous vouliez participer. Vous voulez être invité à participer à l’élaboration d’un plan d’action. De quelle manière voulez-vous participer? Quel message voulez-vous faire passer dans les articles de la DNUDPA pour vous assurer que les collectivités autochtones sont en mesure de dire oui?

M. Swampy : Je pense qu’il est possible d’incorporer dans le plan d’action une version plus rigoureuse de la loi découlant des normes environnementales, sociales et de gouvernance que les sociétés sont en train d’adopter.

J’ai souvent insisté sur le fait que 12 000 Autochtones autodéclarés travaillaient dans l’industrie pétrolière et gazière en 2015. En 2020, il y en avait 14 000. C’est une augmentation de 2 000 personnes. À une époque où tous ceux qui travaillent dans l’industrie pétrolière et gazière sont mis à pied, plus d’Autochtones sont embauchés. C’est parce que les sociétés, l’industrie des ressources naturelles, se sont engagées à inclure les Premières Nations dans leur processus de développement et leurs grands projets.

Je pense que le plan d’action devrait permettre aux promoteurs de projets de faire participer pleinement les peuples autochtones, de sorte que cette loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne soit pas seulement bonne pour les environnementalistes et les avocats. Si notre droit autochtone, sans doute le seul et le plus important corpus juridique autochtone au monde, s’est développé, c’est parce que notre système judiciaire est plein d’incertitudes et d’ambiguïté pour les Premières Nations.

C’est parce que nous ne tirons jamais vraiment d’avantages tangibles de quoi que ce soit. Je pense que nous devrions suivre la loi américaine. Il n’y a jamais eu de poursuite judiciaire en Alaska en lien à l’exploitation des ressources naturelles, parce que ce sont les Premières Nations qui s’en occupent. Elles protègent l’environnement. Elles protègent l’eau. En général, les Canadiens sont de bonnes personnes, des personnes formidables. Les Canadiens veulent protéger l’environnement. Si vous connaissiez autant de gens dans le secteur pétrolier et gazier que moi, vous verriez que ce sont de vrais Canadiens. Ils veulent vraiment protéger l’environnement. Ils veulent faire ce qu’il y a de mieux pour les collectivités et pour les Premières Nations. S’ils sont en mesure, en vertu d’une loi comme le plan d’action, de se développer, cela pourrait être un tournant dans notre capacité de vaincre la pauvreté. Je ne sais pas si c’est ce que prévoit le plan d’action, parce que j’ai entendu dire que le plan d’action triennal a maintenant été ramené à deux ans. Qui sait, lorsque le projet de loi sera adopté, il sera peut-être ramené à six mois. C’est le genre de choses sur lesquelles nous devons agir.

Nous nous sommes battus contre les projets de loi C-48 et C-69, mais malgré notre opposition répétée et tous les voyages que nous avons faits à Ottawa et ainsi de suite, le gouvernement de l’époque n’a pas pris nos questions et nos préoccupations au sérieux. J’espère qu’il le fera cette fois-ci, parce qu’il n’est pas majoritaire. J’espère qu’il prendra nos problèmes et nos préoccupations au sérieux et qu’il se rendra compte que l’APN ne représente pas tout le monde, que ce ne sont pas 620 chefs qui assistent à ses assemblées chaque année, mais qu’elle s’estime déjà heureuse d’en avoir 170, avec probablement davantage de procurations. Il faut que les collectivités et les organisations comme la nôtre aient leur mot à dire et qu’elles soient vraiment au contact de l’action gouvernementale, surtout s’agissant du plan d’action qui va bientôt être mis en œuvre.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. J’ai un fils indien visé par un traité qui travaille dans l’industrie, alors je sais exactement de quoi vous parlez. Les emplois sont une bonne chose.

M. Swampy : J’en ai cinq.

La sénatrice LaBoucane-Benson : D’accord, je suis battue.

Le président : Merci, monsieur Swampy.

Le sénateur Patterson : Chef Arcand, j’aimerais que nous parlions davantage du concept de « consentement fabriqué » dont vous avez parlé dans votre mémoire. J’aimerais vous demander si vous pensez qu’il est approprié que le Sénat adopte un projet de loi qui franchit la dernière étape du processus législatif par ce que vous avez décrit comme un « consentement fabriqué ».

M. Arcand Jr. : Tout d’abord, je pense que c’est une très bonne question.

Je crois que le Canada a encore du pain sur la planche avec les nations signataires de traités, et une partie de la discussion bilatérale visait à entreprendre cette discussion. Donc, si nous décidons maintenant de prendre du recul et de dire oui, les choses devraient aller de l’avant, alors qu’il reste des choses à régler, nos aînés nous diront : « Pourquoi devrions-nous nous engager sur une voie différente alors que nous ne sommes pas allés au bout de celle-ci? » Nous devons aller au bout. Je pense que tant que ce processus n’est pas terminé, il sera vraiment difficile pour nous de nous engager dans une autre démarche, ce que nous avons toujours tendance à faire. Je crois que le projet de loi ne devrait pas être adopté et que nous devrions d’abord régler certaines choses.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie. Je pense que vous êtes en train de dire que nous risquons de nuire à votre accord bilatéral avec la Couronne, l’accord bilatéral non respecté, en adoptant ce projet de loi sans exiger que le gouvernement recommence en menant des consultations adéquates et respectueuses, n’est-ce pas?

M. Arcand Jr. : Oui. Je crois que oui.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le président : Merci, chef.

Cela met fin à nos questions pour ce groupe de témoins. Le temps est maintenant écoulé. Je remercie nos témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Je tiens à remercier le chef Arcand Jr., M. Bellis et M. Swampy.

Je rappelle à tous les sénateurs ici présents que notre prochaine réunion aura lieu le lundi 31 mai, à 10 heures, heure d’Ottawa.

(La séance est levée.)

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