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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 16 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, tel que précisé au paragraphe 12-7(8) du Règlement.

Le sénateur Howard Wetston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir à tous. J’aimerais, pour commencer, souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos invités de ce soir et à ceux qui regardent cette réunion en ligne. Je m’appelle Howard Wetston et je suis le président du comité.

Avant de commencer, je rappelle aux sénateurs et aux témoins de désactiver leur micro en tout temps et d’attendre que je leur cède la parole avant de commencer à parler. Les sénateurs sont priés de se servir de la fonction « Lever la main » pour me faire savoir qu’ils ont une question ou une observation.

J’invite maintenant les membres du comité à se présenter, en commençant par les vice-présidents.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, sénatrice de la Saskatchewan et vice-présidente du comité.

Le sénateur Smith : Larry Smith, vice-président du comité en collaboration avec le sénateur Wetston, la sénatrice Wallin et le reste de notre groupe. Je suis sénateur du Québec.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Loffreda : Tony Loffreda, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Anderson : Margaraet Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest. Je remplace le sénateur Klyne ce soir.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le président : Je pense que tout le monde s’est présenté. Je sais qu’il ne nous est pas aisé de nous acquitter de cette formalité, mais nous allons finir par nous habituer. Je pense qu’un jour, nous allons réussir un sans-faute.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, M. Tiff Macklem. Comme vous le savez, monsieur Macklem, le comité avait hâte de vous entendre, et nous vous remercions de votre patience au cours des derniers mois. Nous aurions voulu vous accueillir plus tôt. Nous y voilà enfin, et je suis enchanté de vous voir parmi nous. Je sais que le comité s’en réjouit autant que moi. Merci de vous joindre à nous ce soir.

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada : Je suis très heureux de pouvoir comparaître devant votre comité ce soir. C’est la première occasion qui m’est donnée de m’adresser à vous depuis que j’ai été nommé gouverneur de la Banque du Canada. Permettez-moi de souligner d’entrée de jeu que les témoignages comme celui que je m’apprête à vous livrer sont importants pour que nous puissions rendre des comptes aux Canadiens. Je serai très heureux de répondre à vos questions et d’entendre vos points de vue.

Pour commencer, j’aimerais faire avec vous un survol des mesures prises par la Banque du Canada depuis le début de la pandémie. Je vous présenterai ensuite notre évaluation du chemin parcouru sur la voie de la reprise économique.

[Français]

Au début de la pandémie, notre objectif était de rétablir les opérations sur les marchés financiers et de soutenir le crédit.

Depuis la fin du premier confinement, les marchés vont mieux et la priorité est de fournir de la détente monétaire pour favoriser la reprise, relancer l’emploi et ramener l’inflation à la cible de 2 %.

[Traduction]

Il y a 15 mois, l’incertitude extrême créée par le virus et les confinements a provoqué une ruée sans précédent sur la liquidité dans les marchés financiers. Les vendeurs d’actifs financiers qui ne trouvaient pas preneurs étaient si nombreux que les marchés ont été paralysés. L’accès au crédit des entreprises et des ménages risquait d’être mis à mal. La Banque est donc intervenue rapidement et massivement en fournissant de la liquidité et en achetant des actifs de manière à soutenir le rôle des principaux marchés financiers canadiens. Nos achats d’obligations du gouvernement fédéral, des provinces et des sociétés, de papier commercial, d’acceptations bancaires et d’obligations hypothécaires ont alors fait grossir rapidement le bilan de la Banque.

Au nombre de 11 en tout, nos nouveaux programmes ont restauré le bon fonctionnement de l’ensemble des marchés financiers. À ce jour, tous les programmes exceptionnels, sauf un, ont été éliminés ou fermés. Notre programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada, que l’on appelle aussi « programme d’assouplissement quantitatif », est le seul encore en cours. J’en parlerai dans un moment.

Pour donner de la détente monétaire, la Banque a réduit son taux directeur au plus bas niveau possible, à 0,25 %, au printemps 2020. À l’été, nous y avons ajouté des indications prospectives exceptionnelles : nous nous sommes engagés à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à ce que les capacités productives excédentaires se résorbent, afin que l’on puisse atteindre durablement la cible d’inflation de 2 %. Notre programme d’assouplissement quantitatif renforce cet engagement et le complète, car il contribue à abaisser les taux d’intérêt sur l’ensemble de la courbe de rendement. C’est ce qui permet aux ménages et aux entreprises d’emprunter à moindre coût.

[Français]

En général, l’économie canadienne a suivi les prévisions du Rapport sur la politique monétaire d’avril dernier.

Je vais souligner trois messages clés.

Premièrement, la reprise avance bien. Les entreprises et les ménages canadiens ont été très résilients face à la pandémie. Les progrès de la vaccination annoncent des jours meilleurs. Deuxièmement, la reprise complète prendra du temps. La troisième vague du virus a été un coup dur. Les hôpitaux de certaines régions sont touchés et les secteurs à contact étroit sont encore frappés. Enfin, d’importantes parties de l’économie restent très faibles et trop de Canadiens sont encore sans emploi.

[Traduction]

Troisièmement, la Banque maintient fermement son engagement à soutenir les entreprises et les ménages canadiens pendant toute la durée de la reprise. Pour les travailleurs canadiens, une reprise complète passe par un marché de l’emploi sain, offrant de bonnes possibilités d’embauche, notamment pour les travailleurs à faible revenu, les femmes et les jeunes, des groupes dont les emplois ont été touchés de plein fouet par la pandémie. Pour qu’une reprise complète ait lieu, il faudra que les entreprises soient convaincues que la pandémie est terminée et qu’elles investissent pour profiter de nouveaux débouchés. Il faudra aussi que les ménages et les entreprises puissent compter sur un taux d’inflation qui se maintient à la valeur cible de 2 %.

Permettez-moi de vous donner quelques explications sur ces thèmes. Après un fort rebond de l’activité économique pendant l’automne et l’hiver, la croissance s’est heurtée de nouveau à des turbulences au deuxième trimestre de 2021. Le retour des confinements associés à la troisième vague de la pandémie a freiné l’activité au début du trimestre, et ce, comme nous l’avions prévu en avril.

Les aléas de l’épidémie sont reproduits dans les hauts et les bas de la croissance économique. Des données récentes sur l’emploi montrent que les personnes qui travaillent dans les secteurs à contact étroit demeurent les plus affectées. Le taux d’emploi reste bien inférieur à son niveau d’avant la pandémie. Malgré tout, on a vu de la part des entreprises et des ménages canadiens une résilience et une capacité d’adaptation énormes. Entreprises et ménages ont trouvé de nouvelles façons de faire leurs achats, de servir la clientèle et de travailler à distance.

La demande de logements a été particulièrement vigoureuse, surtout parce que les ménages veulent plus d’espace et que les taux hypothécaires sont bas. Dans le même temps, l’offre limitée de logements a causé une forte poussée des prix. Comme nous l’avons expliqué dans la Revue du système financier de mai dernier, il est important de comprendre que la hausse récente et rapide du prix des maisons n’est pas normale. Selon notre analyse, les anticipations sur les prix sont devenues extrapolatives dans certains marchés. En clair, les acheteurs se précipitent en partie parce qu’ils s’attendent à d’autres montées des prix. Ce comportement peut provoquer des hausses exagérées des prix des logements à court terme par rapport à la demande fondamentale. Et des ménages risquent de s’endetter au-delà de leur capacité de payer.

Nous voyons d’un bon œil les modifications proposées par le Bureau du surintendant des institutions financières à la ligne directrice B-20, qui modifient le taux admissible minimal, ainsi que les changements apportés au même moment au marché des prêts assurés. Ces modifications devraient nous aider à éviter le surendettement des ménages.

Le budget fédéral contient des mesures qui feront augmenter l’offre. Plus globalement, nous pensons que le marché du logement va être plus équilibré. Nous continuerons à surveiller la situation de près.

[Français]

Dans l’ensemble, on prévoit une forte croissance soutenue par la consommation dans la seconde moitié de l’année, tant que la vaccination progresse et que les restrictions sont allégées.

Les mesures budgétaires fédérales et provinciales vont aussi beaucoup aider la croissance.

Une demande étrangère solide et les prix plus élevés des produits de base devraient stimuler les exportations et les investissements des entreprises pour une reprise plus généralisée.

En avril, nos projections de croissance économique étaient les suivantes : environ 6,5 % cette année, environ 3,75 % en 2022 et environ 3,25 % en 2023.

[Traduction]

Compte tenu de ces perspectives plus favorables, nous avons bon espoir que les séquelles sur le marché du travail et la perte de capacités productives seront en fin de compte moins prononcées que nous l’avions d’abord craint. C’est pourquoi nous avons revu à la hausse notre estimation de la production potentielle de l’économie. Je tiens cependant à souligner qu’une incertitude considérable entoure cette estimation. Tout au long de la reprise, nous allons surveiller une multitude d’indicateurs des capacités excédentaires, parmi lesquelles diverses mesures des conditions sur le marché du travail.

La politique monétaire reste ancrée dans notre cadre de maintien de l’inflation dans une fourchette cible. Or, les toutes dernières données nous indiquent que l’inflation s’est maintenue au-dessus de 3 % en mai. L’indice des prix à la consommation pour mai vient d’être publié ce matin. Au cours de notre dernière réunion stratégique, la semaine dernière, nous avons indiqué que nous nous attendions à ce que, pendant l’été, l’inflation demeure probablement près du sommet de la fourchette cible, qui va de 1 à 3 %. Cela s’explique en grande partie par l’effet de l’année de référence. En effet, l’inflation se calcule par rapport à la même date l’année dernière, et certains prix étaient alors très bas. C’était le cas notamment de l’essence, dont le prix a beaucoup augmenté depuis, vu la hausse du prix du pétrole.

Quand l’effet de l’année de référence aura disparu, on devrait voir l’offre excédentaire actuelle dans l’économie faire redescendre l’inflation, comme le prévoit le conseil de direction.

La semaine passée, en annonçant sa plus récente décision de politique monétaire, le conseil de direction a dit estimer que l’économie avait encore besoin d’être soutenue par des mesures exceptionnelles. Nous restons engagés à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à ce que les capacités excédentaires de l’économie se résorbent. Cela permettra d’assurer un retour durable à la cible d’inflation de 2 %.

Selon notre plus récente projection, ce retour à la cible d’inflation devrait se produire au cours de la seconde moitié de 2022, bien que ces prévisions soient plus incertaines que d’habitude, car il est difficile d’évaluer en ce moment la capacité de production de l’économie.

Notre programme d’assouplissement quantitatif continue de renforcer et de compléter nos indications prospectives concernant le taux directeur. En avril, nous avons rajusté nos achats hebdomadaires d’obligations du gouvernement du Canada, qui sont passés d’un minimum de 4 milliards de dollars à une cible de 3 milliards de dollars. Ce rajustement s’inscrit dans le cadre des progrès déjà observés vers une reprise économique.

En raison de la fin de la plupart de nos programmes exceptionnels, la taille du bilan de la banque n’est plus que d’environ 475 milliards de dollars, après avoir atteint un sommet de 575 milliards de dollars en mars. Le graphique que je vous ai remis montre l’évolution de la taille et de la composition de notre bilan.

La banque détient actuellement pas moins de 350 milliards de dollars d’obligations du gouvernement du Canada : c’est à peu près 45 % de l’encours des obligations à rendement nominal.

Tout autre rajustement, à l’avenir, du rythme des achats nets sera guidé par notre évaluation en continu de la robustesse et de la durabilité de la reprise économique. Si l’économie se redresse conformément à notre plus récente projection ou mieux encore, nous aurons de moins en moins besoin de la stimuler en nous servant de l’assouplissement quantitatif. Les ajustements à venir de notre programme d’assouplissement quantitatif seront graduels, et nos évaluations des nouvelles données ainsi que la communication de nos analyses seront mûrement réfléchies.

Nous restons déterminés à nous servir judicieusement de la politique monétaire pour stimuler l’économie, favoriser la reprise et atteindre nos objectifs relativement à l’inflation.

Je m’arrête là-dessus, mesdames et messieurs les sénateurs, pour répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. Nous allons commencer nos questions. Nous apprécions l’information que vous nous fournissez.

La sénatrice Wallin : Bienvenue, monsieur le gouverneur, et merci d’être parmi nous pour cette rencontre que nous attendions depuis longtemps.

Je sais que vous avez passé une grande partie de votre carrière à la banque et que vous y êtes revenu en tant que gouverneur au milieu de la pandémie et de toutes sortes d’autres problèmes. J’aimerais en savoir davantage sur votre philosophie en tant que gouverneur d’une banque. Vous me paraissez beaucoup plus sensible aux objectifs des politiques sociales, et vous en parlez beaucoup plus. Vous dites qu’il faut accélérer les mouvements de capitaux climato-intelligents, ce qui est économiquement avantageux. Vous soulignez les problèmes dont souffrent plus particulièrement les femmes, les jeunes et les travailleurs à faible revenu.

Vos propos semblent être en harmonie avec les mesures financières qui sont prises. Pourriez-vous nous indiquer si vous pensez qu’il est temps que le gouverneur joue un rôle plus actif relativement à ces problèmes?

M. Macklem : Vous me posez une question très vaste, et j’ai peine à savoir par où commencer. Mais je vais vous dire deux choses. Premièrement, je pense effectivement que la banque centrale du Canada, qui est au service des Canadiens, a comme responsabilité importante d’entretenir un dialogue avec les Canadiens, de les écouter, de comprendre leurs préoccupations et, dans le cadre de son mandat, de parler de ces préoccupations.

Les banques centrales font traditionnellement du très bon travail de communication avec les marchés, les experts et les médias. Pour ma part, je m’emploie à parler plus directement aux Canadiens et à les écouter. Si vous le souhaitez, je pourrai vous en donner quelques exemples concrets.

Deuxièmement, je vous dirais que la pandémie a des effets très inégaux sur la société. Elle a creusé les écarts et les a mis en évidence. Ils sont très prononcés.

La politique monétaire est un macro-instrument, mais les inégalités et les différences sont tellement prononcées qu’il n’est pas possible de bien comprendre l’économie dans son ensemble sans examiner la situation secteur par secteur, sans regarder les diverses cohortes et groupes de travailleurs, sans comparer les régions rurales aux régions urbaines et sans prendre le pouls des collectivités du pays.

Nous observons ce qui se passe de manière plus détaillée. Nous retenons une plus grande gamme d’indicateurs, et nous en parlons avec les Canadiens.

La sénatrice Wallin : Vous inquiétez-vous des niveaux d’endettement qui seront légués aux prochaines générations, comme le perçoivent la plupart des gens? L’assouplissement quantitatif et les 358 milliards de dollars d’obligations d’État atteignent des valeurs jamais vues au Canada. Les Canadiens constatent aussi leur propre endettement. La valeur de la dette est colossale. Pouvons-nous vraiment conserver comme cible budgétaire une dette de 50 % du PIB? L’endettement actuel et les mesures qui en découlent sont-ils viables?

M. Macklem : Madame la sénatrice Wallin, les raisons de s’inquiéter sont nombreuses, mais il faut se demander si nous avons vraiment le choix. Le gouvernement a décidé de prendre des mesures financières titanesques, et la Banque du Canada a puisé dans sa politique monétaire pour y trouver des outils extraordinaires, et ce, dans le but de soutenir le crédit, d’assurer le fonctionnement des marchés financiers et de faire appel à la politique monétaire pour l’économie, qui en avait grandement besoin. Ces mesures ont été essentielles d’abord pour éviter que la crise économique ne s’aggrave trop et ensuite pour permettre la relance. Franchement, elles fonctionnent.

Il y a un an, nous étions enlisés très profondément dans nos difficultés. Environ 3 millions de Canadiens étaient au chômage. D’autres encore travaillaient beaucoup moins qu’ils l’auraient voulu, leur nombre d’heures de travail ayant été réduit de plus de la moitié. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis. Évidemment, nous en avons encore beaucoup à faire. Comme je l’ai indiqué, de larges pans de l’économie demeurent très affaiblis. Nous devrons encore la stimuler pendant un certain temps.

La sénatrice Wallin : Nous reprendrons la discussion à ce sujet lors du prochain tour de table. Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.

Le sénateur Smith : Merci, monsieur le gouverneur, d’être avec nous aujourd’hui. Je suis heureux de votre présence. Nous avons beaucoup insisté pour pouvoir nous entretenir avec vous.

Ma question concerne l’assouplissement quantitatif dont vous parlez. La banque a annoncé qu’elle allait commencer à mettre la pédale douce, et vous avez à l’œil les objectifs de la banque pour ce qui est du taux d’inflation. Depuis le début de la pandémie, on nous dit que l’inflation se maintient dans la fourchette correspondant à ces objectifs et que vous avez la situation bien en main. Pourtant, les injections massives d’argent dans notre économie ont entraîné une hausse fulgurante des prix. Le prix des maisons, en particulier, continue d’augmenter. Dans notre petite municipalité, Hudson, le prix moyen des maisons est passé de 300 000 $ à 560 000 $, et ce, avec une population de 5 000 habitants.

L’un des problèmes dans le domaine de l’habitation est la disponibilité et le prix des matériaux. On pourrait dire évidemment que la hausse du prix des maisons cause de l’inflation, mais quelle mesure utiliserez-vous pour déterminer que, dans le contexte d’aujourd’hui, cette hausse et celle des autres prix que vous surveillez sont suffisantes pour qu’il soit nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt? Nous avons appris, bien entendu, que l’inflation dépasse les 3 % aux États-Unis et qu’elle est supérieure aux objectifs fixés par les autorités de ce pays.

Je tourne peut-être en rond, mais j’aimerais connaître votre opinion sur le prix des maisons ainsi que sur le prix élevé et le manque de disponibilité des matériaux. Je viens de déménager et j’ai vu qu’il n’était pas facile d’obtenir des matériaux. J’ai acheté une habitation plus petite, vu mon âge, et nous avons emménagé dans un complexe. La construction a été terminée avec huit mois de retard. Puis, lorsque nous avons essayé de faire des travaux additionnels, nous n’avons pas pu trouver les produits nécessaires.

Selon vous, quelle incidence la disponibilité des matériaux pourrait-elle avoir sur la construction de maisons? Comment pourra-t-on construire un plus grand nombre de maisons si l’on n’a pas les matériaux nécessaires? Il semble que ce soit un véritable problème.

M. Macklem : Monsieur le sénateur Smith, votre question est quelque peu liée à la discussion que je viens d’avoir avec la sénatrice Wallin. La crise actuelle nous amène en terrain inconnu. Elle a eu une incidence sur l’offre et sur la demande. Elle a interrompu ou grandement limité la production dans certains secteurs. La demande a beaucoup augmenté dans certains domaines. C’est le cas notamment dans le secteur de l’habitation. Nous passons tous beaucoup de temps à la maison. Plus de 5 millions de Canadiens travaillent à domicile. Les jeunes étudient à la maison. Les loisirs se passent à la maison. Les Canadiens veulent des maisons plus spacieuses, alors il y a eu une forte hausse de la demande dans le secteur de l’habitation.

Parallèlement, peu de gens déménagent. Beaucoup de gens ne veulent pas mettre leur maison sur le marché. Ils n’ont pas tellement envie de voir des acheteurs potentiels visiter leur maison en pleine pandémie. La situation actuelle est exceptionnelle, et ce n’est pas uniquement un phénomène canadien. On l’observe un peu partout dans le monde. La demande est extrêmement forte sur le marché de l’habitation dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. À cela s’ajoutent les restrictions qui ont réduit la production au début de la crise, ce qui fait que la quantité de bois d’œuvre sur le marché est limitée et que le prix a beaucoup augmenté.

Je précise que des goulots d’étranglement vont encore se produire, car il y a des problèmes de chaîne d’approvisionnement à divers endroits. Le cas du bois d’œuvre est un bon exemple. Le prix du bois a grimpé en flèche, mais il est redescendu depuis. Le prix des contrats à terme d’approvisionnement en bois d’œuvre a diminué de 40 % par rapport au sommet atteint. Il est encore élevé, mais il a commencé à baisser. Je pense que cette fluctuation illustre bien la tendance générale qui se manifeste dans l’économie. Les acteurs économiques ont fait preuve d’une grande ingéniosité et d’une grande capacité d’adaptation. Ils ont recours à des solutions inhabituelles. Les entreprises, les ménages et les travailleurs s’adaptent, et nous arrivons à surmonter les obstacles.

Le marché de l’habitation constitue un gros problème actuellement. Nous l’avons beaucoup analysé et nous avons publié nos observations il y a quelques semaines, dans la Revue du système financier. Comme je l’ai dit, nous vivons une situation exceptionnelle qui a entraîné une forte montée de la demande alors que l’offre était limitée.

Ce qui nous inquiète, comme je l’ai mentionné, c’est que nous commençons à voir des signes d’anticipation par extrapolation. Qu’est-ce que l’on entend par là? C’est une expression savante qui veut dire que, pour les acheteurs actuels, les augmentations de prix auxquelles nous venons d’assister vont se poursuivre. Ils se disent qu’ils doivent acheter une maison sans plus attendre, même s’ils en ont à peine les moyens, parce que leur marché va devenir encore moins favorable. Nous voulons dire aux gens que les hausses de prix qui se sont produites récemment ne sont pas normales. Elles ne continueront pas indéfiniment et ne sont pas viables. Les gens devraient faire attention de ne pas se précipiter et s’endetter au-delà de leurs moyens.

Des données nous démontrent que c’est bel et bien le comportement qu’ont les gens actuellement. Il s’agit de voir les prêts hypothécaires et la hausse de leur valeur. On constate une forte augmentation du nombre de prêts hypothécaires dont la somme est élevée par rapport à la valeur ou par rapport au revenu. Autrement dit, les gens empruntent des sommes d’argent qui sont très élevées par rapport à leur revenu. La proportion des prêts hypothécaires qui sont plus de 4,5 fois supérieurs au revenu de l’emprunteur dépasse 20 %.

On constate donc que les Canadiens s’endettent trop, et c’est inquiétant. Le Bureau du surintendant des institutions financières a bien fait de modifier la ligne directrice B-20 dans le but de fixer le taux de référence minimal à 5,25 % pour déterminer l’admissibilité d’un acheteur à un prêt hypothécaire. C’est une bonne décision parce que, comme vous le savez, les taux d’intérêt sont anormalement bas, ce qui veut dire qu’ils sont plus susceptibles d’augmenter que de descendre, un jour ou l’autre. La hausse du taux de référence minimal protège les Canadiens contre un endettement excessif.

Vous commencez à voir les premiers signes d’un ralentissement du marché immobilier. Nous nous attendons à ce que l’offre augmente et la demande diminue, ce qui devrait permettre au marché immobilier de retrouver un meilleur équilibre. Nous pensons toutefois que cela prendra un certain temps, et c’est une situation que nous surveillons de près.

Le sénateur Smith : En ce qui concerne les jeunes qui se sont surendettés, une fois que leur terme de cinq ans au taux de 1,83 % ou 1,78 % vient à échéance, comment voyez-vous la situation compte tenu de leur endettement massif et de la difficulté de faire construire le nombre de maisons nécessaires pour satisfaire à la demande potentielle? Est-ce que cela finira mal pour beaucoup de jeunes ou un groupe démographique qui ne disposent peut-être pas d’assez de liquidités pour obtenir une petite hypothèque au lieu d’une énorme hypothèque sur une propriété de 400 000 $ ou 500 000 $?

M. Macklem : Il est difficile de faire des commentaires sur chaque Canadien. En ce qui concerne le système, le Canada possède des normes de souscription strictes. Il existe un risque que certains ménages deviennent trop endettés. Comme je l’ai dit, c’est un danger qui nous préoccupe et je pense que les nouvelles mesures seront utiles pour protéger les Canadiens.

Pour en revenir à ma réponse à la sénatrice Wallin, je terminerai en soulignant que je suis très conscient que ce sont surtout les nouveaux ménages, soit les jeunes familles, qui ont de la difficulté à percer le marché immobilier. Il s’agit d’une autre source de préoccupation.

Au bout du compte, la solution doit être l’offre. Comme cette question est loin de relever du domaine de la politique monétaire, je devrais probablement clore mon intervention assez rapidement. Il y a beaucoup de problèmes d’offre à l’échelle provinciale et municipale. Je pense qu’il est important de déployer plus d’efforts pour déterminer comment obtenir l’offre de logements que le pays souhaite.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Bienvenue, monsieur le gouverneur. C’est un plaisir de vous voir.

Ma première question est liée à votre introduction, aux questions de la sénatrice Wallin et à l’importance d’écouter les gens. Elle est également liée à la future entente que vous allez conclure avec le gouvernement du Canada. Je crois que la dernière lettre visant à renouveler l’entente quinquennale sur la conduite de la politique monétaire a été envoyée en septembre 2016.

Comme vous le savez, il y a plusieurs économistes qui souhaitent que la Banque du Canada renouvelle son entente avec un nouveau mandat. On a le même cadre de référence depuis 1991, donc plusieurs économistes souhaitent que la Banque du Canada et le gouvernement s’entendent sur un mandat dual, c’est-à-dire faisant la promotion de la stabilité des prix et de l’emploi, comme le font les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, des pays qui ont inspiré le cadre du Canada auparavant.

Les analyses que vous nous avez présentées en août dernier indiquent que si la politique monétaire adoptait un mandat dual au lieu de la politique actuelle, cela serait tout aussi performant.

Je ne sais pas si vous pourriez nous parler de ce que vous allez proposer au gouvernement. Allez-vous proposer un mandat dual pour le Canada? Plusieurs croient que c’est ce qu’il faut faire et que c’est ce qui est le mieux pour les Canadiens.

M. Macklem : Premièrement, sénatrice, je veux vous remercier de votre engagement sur cette question. Comme vous le savez, nous avons eu quelques discussions. Vous y avez participé et vous avez écrit sur ce sujet. Votre engagement a amélioré le débat, donc je vous remercie de vos perspectives.

Au sujet de la question du double mandat — ou mandat dual — du ciblage de l’inflation et de l’emploi, je vais partager deux choses avec vous.

Premièrement — et cela revient un peu aux questions de la sénatrice Wallin —, une chose que nous avons faite, c’est de consulter les Canadiens. Donc, pour le renouvellement de notre cible d’inflation, nous avons consulté les marchés, les experts et cette fois-ci, nous avons également sondé les Canadiens grâce à une enquête en ligne, « Parlons inflation! » Fait intéressant, la réponse du Québec a été très forte, les Québécois ont participé en grand nombre.

Nous avons également tenu des groupes de discussion avec les Canadiens. Ce que nous avons appris, c’est que même si elle est basse depuis longtemps, les Canadiens n’aiment pas l’inflation. Ils n’aiment pas lorsque les prix augmentent; ils suivent leur budget de très près et quand les prix augmentent rapidement, c’est difficile pour eux.

Deuxièmement, nous avons demandé aux Canadiens d’évaluer la cible flexible d’inflation que nous avons maintenant par rapport à un double mandat et par rapport à un système un peu semblable à ce qu’ils ont maintenant aux États-Unis, c’est-à-dire avec la cible de l’inflation moyenne qui permet d’introduire un aspect de ciblage du niveau des prix. Ce que nous avons entendu, c’est qu’en gros, les Canadiens aiment notre système flexible, mais ils sont intéressés par ces solutions alternatives. Ils ne sont pas très intéressés aux autres possibilités, comme celle de cibler le PIB nominal.

En ce qui concerne le double mandat, ce que nous avons appris, c’est que les Canadiens veulent que l’emploi soit un aspect central de notre cadre. Quelques Canadiens sont en faveur d’un double mandat, mais il y avait une forte diversité d’opinions. Certains Canadiens voulaient avoir un double mandat parce qu’ils veulent que l’emploi soit plus central dans notre cadre monétaire, mais d’autres Canadiens sont d’avis que l’emploi maximal n’est pas quelque chose que la banque centrale peut vraiment contrôler. Il y a plusieurs facteurs qui influencent l’emploi maximal. L’emploi devrait être important dans le cadre, mais l’idée d’avoir un double mandat est peut-être quelque chose qui serait trop difficile pour la banque centrale.

Donc, nous avons appris de tout cela. Nous allons en tenir compte dans nos suggestions futures. Il y a cette diversité d’opinions au sujet du double mandat, mais il y a un consensus autour du fait que l’emploi devrait être un aspect important de notre cadre. C’est quelque chose que nous avons à cœur.

L’autre élément, c’est que nos consultations nous ont permis de constater qu’il y avait une cohérence entre les avis des experts et des Canadiens. Ce n’est pas toujours le cas. Les experts pensent que, lors de nos simulations, notre cadre de cible d’inflation flexible est bon. Pour ce qui est du double mandat, la performance des méthodes de simulations de Monte-Carlo est aussi adéquate. Cela dépend un peu de la situation, à savoir laquelle est la meilleure, mais il n’y a pas vraiment de grandes différences. Enfin, il était intéressant de voir que les avis des experts et des Canadiens allaient dans le même sens.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, d’avoir convaincu le gouverneur d’accepter tant d’annulations en raison de notre emploi du temps et de comparaître quand même avec un grand sourire et d’excellentes réponses. Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. C’est un plaisir de vous voir.

Si vous me le permettez, je voudrais me concentrer principalement sur les investissements des entreprises, en particulier dans les actifs incorporels et numériques, dans l’ensemble des secteurs et des entreprises, allant du capital de formation au capital de croissance aux derniers stades. Il s’agit d’un élément essentiel à notre prospérité future et à la croissance de la productivité dont nous avons besoin pour financer une économie stable et plus prospère. Je suis inquiet de voir que nous ne rivalisons pas nécessairement avec le reste du monde, et ce, malgré les excellentes nouvelles qui font les manchettes dernièrement concernant les annonces quasi quotidiennes de nouvelles licornes au Canada. Je regarde les investissements de capital de risque dans le monde et, à mon avis, nous ne rivalisons pas avec ces investissements, qui permettent à différents pays de vraiment créer plus d’éléments perturbateurs et d’être moins susceptibles d’être perturbés. Pourriez-vous nous parler un peu des investissements des entreprises, en particulier dans les actifs incorporels et numériques, dans l’ensemble des secteurs?

M. Macklem : Je vous remercie de votre question.

Avant toute chose, je dois dire qu’il s’agit d’un problème de longue date au Canada. Les investissements des entreprises et la diffusion et l’adoption de nouvelles technologies ont pris du retard au Canada. Dans une certaine mesure, je pense que cette situation est tragique, car la recherche et l’innovation au Canada sont tout à fait à l’avant-garde du progrès dans de nombreux domaines — elles sont de calibre mondial. Cependant, il arrive trop souvent qu’une invention canadienne soit commercialisée dans la Silicon Valley et qu’une grande partie des bénéfices soient transférés au sud de la frontière.

Avant de devenir gouverneur, j’étais doyen de l’école Rotman de l’Université de Toronto. En face de moi se trouvaient Geoffrey Hinton et son équipe, qui ont fondé l’apprentissage profond. C’est un excellent exemple d’un domaine où le Canada est l’un des chefs de file mondiaux, grâce à Geoffrey Hinton ainsi qu’à M. Bengio à Montréal. L’Alberta joue également un rôle plus ou moins important dans le domaine de l’intelligence artificielle. L’informatique quantique est un autre domaine qui n’est pas aussi avancé que celui de l’intelligence artificielle, mais qui est un domaine de technologie nouvelle. Encore une fois, le Canada est un chef de file tant sur le plan théorique que sur le plan de la commercialisation. Le Canada possède l’un des très rares ordinateurs quantiques commerciaux au monde, produit ici au pays, en Colombie-Britannique.

Nous devons faire mieux pour transformer cette recherche de calibre mondial en investissements des entreprises et créer de nouveaux produits et services. Je dois dire que je pense que l’écosystème canadien est bien meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 10 ans. En ce qui concerne le capital de risque, il n’y a aucune comparaison possible entre aujourd’hui et il y a 10 ans. Y a-t-il encore des lacunes? Oui. Il y a des lacunes, notamment dans le financement de niveau intermédiaire, en particulier dans le domaine des capitaux patients — parfois appelé la vallée de la mort —, où nous devons renforcer nos capacités. Toutefois, la situation s’est considérablement améliorée.

C’était un long préambule. Que se passe-t-il dans le cadre de cette crise? Que voyons-nous? De toute évidence, lorsque vos ventes sont en chute libre, vous luttez pour survivre et ne pensez pas à investir pour l’avenir. Étant donné que nous avons traversé une très profonde récession, il est tout à fait naturel que les investissements aient été faibles. Il est toutefois intéressant de noter que, même dans ce contexte, nous voyons de nombreuses entreprises investir dans des actifs numériques. Ces investissements ont été motivés par deux priorités. La première est le travail à domicile — c’est-à-dire veiller à ce que les entreprises disposent des infrastructures numériques requises pour que leurs employés puissent travailler efficacement à domicile — et, bien sûr, la deuxième est la découverte d’une solution qui permet de servir les clients dans un monde numérique.

Nous avons vu beaucoup d’investissements numériques pendant la crise. Au sortir de la troisième vague, nous nous attendons à voir — et je pense que nous sommes assez confiants à cet égard — une forte reprise de la consommation à la suite de l’assouplissement des restrictions et de la réouverture de l’économie. La transition de la consommation à l’investissement sera l’une des clés du succès d’une relance autonome. Nous nous attendons également à une certaine amélioration des exportations. Elles sont souvent liées aux investissements, ce qui est un autre point positif. Je suis tout à fait d’accord pour dire que plus les entreprises adoptent ces nouvelles technologies, plus elles prennent des risques et plus elles investissent dans ces technologies, mieux c’est. Il s’agit de la clé de la croissance économique et de la création d’une plus grande économie qui a plus d’espace pour croître.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le gouverneur. J’ai hâte d’entrer un peu plus dans les détails de ce dossier au deuxième tour. Merci.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur le gouverneur, d’être parmi nous ce soir. J’aimerais continuer à discuter de l’abordabilité du logement au Canada. Il s’agit d’une grande préoccupation. Vous avez brièvement parlé de l’offre, des taux d’intérêt et de règles hypothécaires plus strictes. À votre avis, l’offre supplémentaire apportée par le budget fédéral sera-t-elle suffisante pour stabiliser le marché immobilier? Nos règles hypothécaires sont-elles assez strictes? Devraient-elles être modifiées en conséquence? Les taux d’intérêt sont également très importants, d’autant plus que j’ai lu que la dette des ménages canadiens en 2020 sera la plus élevée parmi les pays du G7, soit près de 177 %. Envisageriez-vous d’augmenter les taux d’intérêt? C’est une question très importante, car j’ai lu aussi ce matin que l’Association canadienne de l’immeuble a récemment révisé ses prévisions concernant le prix des maisons et prévoit maintenant que le prix de vente moyen augmentera de 19 % en 2021.

M. Macklem : Merci, sénateur. Vous avez posé plusieurs questions, je vais donc essayer de répondre à chaque question séparément.

Commençons par les mesures visant à encourager l’offre et à équilibrer l’offre et la demande. Ces mesures seront-elles suffisantes? J’aimerais avoir une boule de cristal. Tout ce que je peux dire, c’est que, selon nos propres prévisions, il continuera d’y avoir une forte activité dans le secteur immobilier pendant un certain temps, mais nous prévoyons que tout se rééquilibrera. Le budget fédéral prévoit quelques mesures qui toucheront particulièrement l’offre. Il y a une taxe sur les maisons vacantes qui appartiennent à des étrangers. De toute évidence, cela encouragera les étrangers qui possèdent des maisons à les louer afin de ne pas avoir à payer la taxe. Cela augmentera l’offre de logements locatifs, ce qui est utile. Il y a également quelques mesures qui visent à accroître l’offre de logements sociaux, ce qui est extrêmement important dans ce segment du marché immobilier.

Ensuite, en ce qui concerne la demande, il y a les mesures que j’ai déjà mentionnées, soit la modification de la ligne directrice B-20.

Je tiens à réitérer que ce boom immobilier découle d’un ensemble de circonstances très particulières. Nous nous trouvons tous à la maison depuis plus d’un an.

Il y a eu une forte augmentation de la demande. L’offre a été limitée. Certaines mesures ont été mises en place. Il sera important que tous les ordres de gouvernement continuent à examiner ce qu’ils peuvent faire pour augmenter l’offre. Je pense que nous devons laisser passer du temps pour voir comment la situation progresse.

Alors que nous revenons à la normale, nous devons déterminer l’évolution du marché immobilier. Il se peut que les gens soient si heureux de pouvoir sortir et faire d’autres choses qu’ils s’intéressent moins à acheter une plus grande maison et davantage à voyager ou à faire d’autres activités. Nous ne savons vraiment pas. Nous n’avons jamais connu une telle situation auparavant.

En revanche, il se peut que le secteur du logement demeure en essor. L’immigration, qui est une source importante de formation des ménages et de demande, a été très faible pendant la pandémie pour des raisons évidentes. Le taux d’immigration se rétablira avec la réouverture des économies mondiales, surtout dans certaines de nos grandes villes. Cela pourrait entraîner une nouvelle hausse de la demande de logements.

Je recommande donc qu’un certain nombre de mesures soient prises. Nous devons considérer et établir des plans d’urgence et des mesures que nous pourrions éventuellement prendre s’il y a plus à faire, mais certaines choses ont été faites. Nous commençons à voir une certaine modération dans le domaine du logement et je laisserais passer un peu de temps avant de faire quoi que ce soit d’autre.

Le sénateur Loffreda : Merci. Je reviendrai à la question du niveau d’endettement au cours du deuxième tour, si possible.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur le gouverneur, d’être parmi nous. Je voulais parler de votre bilan, car je le suis de près. Vous le présentez sur votre site Web chaque semaine. J’ai examiné les obligations du gouvernement du Canada et leur valeur s’élève maintenant à 383 milliards de dollars. Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que vos achats étaient passés à 3 milliards de dollars par semaine pour, je pense, les 52 prochaines semaines. Cela représente 150 milliards de dollars de plus. Le gouvernement a indiqué dans son budget qu’il emprunterait environ ce montant cette année.

Vous dites que la banque détient maintenant 45 % de la dette — je ne sais pas si vous parlez de la dette totale du gouvernement du Canada ou seulement des achats récents. J’aimerais savoir quel est le plan à long terme. Je ne pense pas que vous pouvez continuer à acheter autant d’obligations du gouvernement du Canada dans les prochaines années que vous le faites actuellement.

Quels sont les plans à long terme en ce qui concerne vos achats d’obligations du gouvernement du Canada et quand commencerez-vous à résorber le bilan?

M. Macklem : Permettez-moi d’abord de clarifier un point important. Nous ne nous sommes pas engagés à acheter des obligations du gouvernement du Canada à raison de 3 milliards de dollars par semaine pendant les 52 prochaines semaines.

La sénatrice Marshall : D’accord. C’est bon à savoir.

M. Macklem : Lorsque nous avons pris notre dernière décision politique, nous avons convenu, en tant que conseil d’administration, que l’économie canadienne continue d’avoir besoin du soutien exceptionnel que nous lui apportons. Nous avons maintenu notre taux directeur à sa limite inférieure efficace, nous avons réaffirmé notre cadrage prospectif et nous avons dit que nous continuerions d’acheter des obligations du gouvernement du Canada à raison de 3 milliards de dollars par semaine.

Nous sommes également déterminés à réévaluer, à chaque décision, la valeur des mesures de stimulation monétaire requises pour appuyer la reprise et rétablir le taux d’inflation à son taux cible. Les nouvelles modifications de notre programme d’assouplissement quantitatif dépendront de notre évaluation de la force et de la durabilité de la reprise. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, si la reprise continue d’évoluer sensiblement au niveau prévu ou à un niveau plus élevé, nous n’aurons pas besoin d’autant d’assouplissement quantitatif au fil du temps. Vous pouvez donc vous attendre à voir certaines réductions. Nous nous sommes également engagés à ce que ces réductions se fassent graduellement et soient indiquées de façon très délibérée dans nos communications et nos évaluations.

Soyons clairs, nous croyons que les achats de 3 milliards de dollars sont nécessaires pour l’économie à l’heure actuelle et nous ajusterons le montant des achats en fonction de ce que nous pensons être nécessaire à l’avenir.

Je tiens également à souligner que nous avons déjà fait quelques modifications. Au début, lorsque nous étions vraiment dans le pire de la crise, nous effectuions des achats de 5 milliards de dollars par semaine. Nous avons réduit ce montant à 4 milliards de dollars et l’avons converti. Nous achetions donc moins d’obligations, mais nous modifions la composition, de sorte que le montant global de la stimulation monétaire était similaire. En avril, nous avons réduit le montant d’un minimum de 4 milliards de dollars par semaine à un montant cible de 3 milliards de dollars par semaine. Ces modifications tiennent vraiment compte des progrès réalisés à ce jour. Nous avons encore beaucoup à faire, mais nous sommes en meilleure posture qu’il y a un an. Nous n’avons pas besoin d’autant d’assouplissement quantitatif. Selon notre évaluation, le programme est encore très important et nous en avons encore besoin pour le moment.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous faites votre évaluation et que vous passez de 5 milliards de dollars à 4 milliards de dollars et maintenant de 4 milliards de dollars à 3 milliards de dollars, quels facteurs prenez-vous en considération? S’agit-il simplement d’une évaluation qualitative ou y a-t-il une sorte d’évaluation quantitative?

M. Macklem : L’objectif d’inflation est le guide fondamental de notre politique monétaire. Il y a un an, l’inflation était négative, elle était –0,4 en mai 2020. Nous étions dans un trou très profond. Il y avait un risque de déflation. Il fallait injecter d’énormes sommes dans l’économie, ce qui a été fait. Aujourd’hui, nous avons fait un net progrès; cependant, comme je l’ai souligné plus tôt, de grands secteurs de l’économie demeurent très faibles. Il y a encore beaucoup trop de Canadiens au chômage, ce qui exerce une pression à la baisse soutenue sur l’inflation. Pour atteindre notre objectif d’inflation de façon durable, nous devons faire avancer la reprise et c’est pourquoi nous continuons, bien qu’à un niveau inférieur.

Pour ce qui est de notre méthode d’évaluation, nous utilisons tout un éventail d’outils. Nous avons divers modèles économiques que nous utilisons pour faire des projections. Nous avons des enquêtes menées auprès des entreprises et des Canadiens. Nous examinons toute une série de statistiques sur le marché du travail, d’investissements et d’exportations pour évaluer la dynamique de l’offre et de la demande dans l’économie. Je ne peux pas dire que nous examinons un ou deux facteurs. Nous devons vraiment examiner la situation dans son ensemble et en arriver à un jugement.

La sénatrice Marshall : Un large éventail, oui. Merci.

Le président : Le gouverneur a été très généreux avec nous et a dit qu’il resterait jusqu’à ce qu’on éteigne les lumières. Ce sont bien sûr mes paroles et non les siennes. Il est prêt à rester pour traiter ce dossier. Nous aurons l’occasion de procéder à un deuxième tour et de poser d’autres questions au gouverneur. Je demande à mes collègues de ne pas oublier que nous ne voulons évidemment pas abuser de sa courtoisie ce soir. Lorsqu’il sera temps d’entamer un deuxième tour, essayons d’être plus brefs et concis dans certaines questions. Merci beaucoup à tous.

[Français]

La sénatrice Moncion : Bonsoir, monsieur le gouverneur. Ma question a trait à la réponse du Canada face à la pandémie, et aux points de similitude de celle-ci par rapport à celle des pays d’Europe et aux points de divergence dans les politiques et les mesures qui ont été prises. Pourriez-vous nous parler justement de nos différences et de nos ressemblances, dans toutes les mesures qui ont été mises de l’avant?

M. Macklem : Une des choses très frappantes dans cette pandémie, c’est que toutes les personnes dans le monde ont été touchées presque en même temps. Ça a été le choc le plus global, le plus mondial que nous avons connu. De plus, tout cela a frappé très vite. Souvent, les récessions commencent par un ralentissement graduel. Cette fois-ci, l’économie a chuté en deux mois.

La réponse des politiques monétaires est à la fois fiscale et budgétaire; c’est attribuable au fait que la situation était semblable dans plusieurs pays, surtout dans les pays développés.

Je pense que les différences reflètent les conditions précédant la pandémie. Au Canada, avant la pandémie, notre économie était en bonne santé. L’emploi était fort, l’inflation était très proche de la cible, la situation budgétaire était assez bonne. La politique monétaire, les intérêts — notre taux directeur était de 1,75 %.

En Europe, la situation était moins bonne. Leurs taux d’intérêt étaient encore très bas et il y avait moins d’espace pour la politique monétaire. La situation budgétaire était moins bonne et il y avait moins d’espace budgétaire.

Les mesures du Canada et de l’Europe étaient très semblables. Au Canada, leur intensité a été un peu plus forte. Nous avions un peu plus d’espace budgétaire. Le bilan de la Banque du Canada était très bas. Nous avions l’occasion d’augmenter davantage notre bilan. La réponse a donc été un peu plus robuste ici au Canada.

Nous avons beaucoup appris, surtout la communauté des banques centrales, et nous nous parlons souvent. Nous avons tous mis en place des mesures semblables, mais la façon de faire différait d’un pays à l’autre. Nous nous parlons et nous apprenons les uns des autres. C’est très utile, surtout quand on fait des choses que nous n’avons jamais faites auparavant.

La sénatrice Moncion : Le fait est que le Canada est encore le pays du G7 qui a le plus bas ratio de la dette par rapport au PIB, et ce, même après la pandémie. Je sais que d’autres pays ont de meilleurs résultats que nous, mais ils ne font pas partie du G7.

Merci.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le gouverneur. J’ai deux bonnes nouvelles pour vous. La valeur de notre dollar est élevée en comparaison avec la devise américaine. Je pense qu’actuellement, il est encore à 81,4 ¢. Est-ce qu’un dollar aussi élevé a des incidences négatives sur la reprise économique au pays?

M. Macklem : Je vais commencer par souligner qu’on ne cible pas le dollar canadien. Nos cibles ont trait à l’inflation. Nous avons un taux de change flexible. C’est un aspect important de notre cadre, parce que la plupart du temps, les fluctuations du taux de change sont utiles pour stabiliser l’économie. Ce n’est pas toujours le cas, mais en général, c’est ce qui se produit.

Ce que je peux vous dire, c’est que, dans nos prévisions d’avril, nous avons inclus l’hypothèse d’un dollar canadien à 80 ¢. Maintenant, comme vous l’avez mentionné, le dollar est environ à 81 ¢ ou 82 ¢. Il était à 83 ¢ il y a quelques jours. C’est au-dessus de nos prévisions.

Le message, c’est qu’un taux de change à 80 ¢ fait partie de nos prévisions. Nous en avons tenu compte quand nous avons pris nos décisions sur la politique monétaire et cela se reflète dans nos prévisions. C’est un peu plus élevé que ce que nous avions prévu.

La hausse reflète principalement le fait que les prix du pétrole et d’autres matières premières sont encore à la hausse. Au Canada, nous sommes de grands exportateurs de pétrole, de bois et de minéraux. Pour le Canada, c’est bon, parce qu’on reçoit plus de revenus provenant du reste du monde quand on exporte nos biens ailleurs.

Nous le constatons par la valeur du dollar, mais on sait quand même que cela peut diminuer la compétitivité de notre secteur manufacturier, et cela peut peser sur nos prévisions.

Nous avons souligné que la valeur du dollar est un risque, surtout s’il est encore plus élevé. Cela diminuera nos exportations et nous en tiendrons compte dans nos prévisions et dans nos décisions en ce qui a trait à la politique monétaire.

Le sénateur Dagenais : Vous mentionnez les exportations. Cela peut affecter la reprise économique. Curieusement, on sait que, pour la Chine, 2019 et 2020 ont été de très bonnes années. On me dit que les exportations ont été de plus de 30 % — corrigez-moi si je me trompe. On me dit également qu’elles pourraient peut-être diminuer en 2021, parce que la Chine diminuera peut-être ses projets d’infrastructure.

En ce qui a trait aux exportations avec les États-Unis et la Chine, comment voyez-vous la reprise économique? En effet, on m’a avisé qu’actuellement, les exportations avec la Chine sont à la hausse.

M. Macklem : Le marché le plus important pour nous, c’est vraiment les États-Unis. Plus de 70 % de nos exportations vont vers les États-Unis, et l’économie aux États-Unis est en forte reprise actuellement.

L’autre élément que je veux souligner au sujet des exportations, c’est que nous avons déjà vu un rebond assez important de l’exportation des biens, ce qui est surtout un reflet de la reprise aux États-Unis. Les exportations qui sont encore faibles sont les exportations de services.

Quand on pense aux exportations, on pense toujours aux biens. Toutefois, la réalité, c’est que, au cours des 15 dernières années, les exportations de services ont connu une forte croissance et sont de plus en plus importantes dans l’économie.

On espère que la réouverture de l’économie au Canada et aux États-Unis provoquera aussi un rebond des exportations de services. Tout cela est lié à une autre question, soit celle des investissements intangibles. Nous sommes bons dans plusieurs secteurs de services, et il y a un potentiel pour un fort rebond dans ces secteurs.

Si le dollar canadien augmente, cela peut diminuer cette possibilité, donc c’est quelque chose que nous allons examiner de près.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. C’est très intéressant.

[Traduction]

La sénatrice Anderson : Le 13 mai 2021, vous avez parlé des avantages d’une économie inclusive. Vous avez fait remarquer que la diversité et l’inclusion sont essentielles au succès d’une banque centrale au service des Canadiens.

Vous avez également déclaré qu’une analyse de 217 entreprises canadiennes effectuée l’année dernière a montré que 5,5 % de leurs directeurs étaient membres d’un groupe racialisé et que, parmi les 270 entreprises qui comptent plus de 2 000 employés, sept postes étaient occupés par des Autochtones et six par des personnes handicapées. Vous avez ajouté que nous pouvons et devons faire mieux.

Pouvez-vous me dire ce que fait la Banque du Canada pour accroître et encourager la diversité et l’inclusion? Comment cela se traduit-il en objectifs, cibles et délais mesurables? Qujannamik.

M. Macklem : Voulez-vous en savoir plus sur ce que nous faisons au sein de la Banque du Canada ou notre rôle en matière de politique?

La sénatrice Anderson : Je dirais les deux.

M. Macklem : La diversité et l’inclusion ne sont pas un nouveau sujet au sein de la Banque du Canada. Comme la sénatrice Wallin l’a dit au début, je travaille à la Banque du Canada depuis longtemps. Je suis parti pendant six ans, mais j’ai participé à de nombreuses initiatives. Il est certain que l’amélioration de notre diversité et de notre inclusion est importante pour nous et il y a quelques raisons à cela. Je vais en souligner deux.

Au fil du temps, nous avons tous pris conscience du fait que la diversité de compétences, d’expériences vécues, de langues et d’origines ethniques mène à de meilleures décisions. Cela évite la pensée conformiste et apporte de nouvelles perspectives. Si vous pouvez créer une culture où les gens peuvent apporter tout leur potentiel au travail et estiment avoir le droit de présenter leurs meilleures idées, vous obtiendrez de meilleures décisions. C’est d’une importance capitale pour la façon dont nous offrons des services aux Canadiens.

L’autre aspect est que nous devons illustrer la diversité des Canadiens. Les Canadiens doivent se reconnaître dans la Banque du Canada. Nous avons du travail à faire, en particulier aux échelons des plus hauts fonctionnaires.

J’ai quitté la Banque du Canada pendant six ans et je suis revenu. J’ai été heureux de constater que certaines des personnes dans lesquelles nous avons investi ont gravi les échelons. Lorsque je regarde l’échelon qui précède celui des hauts dirigeants, je constate que le bassin de talents est plus diversifié et plus profond.

Que faisons-nous? C’est indiqué sur notre site Web. Nous avons annoncé un nouveau plan de diversité et d’inclusion. Nous avons fixé des objectifs et des cibles clairs pour les groupes désignés, non seulement en termes de nombre d’employés, mais aussi de représentation des cadres supérieurs.

Honnêtement, nous avons fait des progrès, mais il faut accélérer le pas. Les choses ne changeront pas du jour au lendemain, mais je peux vous dire que nous sommes déterminés.

Évidemment, pour ce qui est de la politique monétaire, c’est plus vaste. Il s’agit d’un outil macro, qui n’est pas conçu pour cibler des groupes spécifiques. Je veux souligner deux choses.

Si l’on remonte au tout début, la crise a creusé les fossés dans la société. Voici quelques statistiques. Depuis le début de la pandémie, le niveau d’emploi chez les femmes est 4,2 % inférieur au niveau d’avant la pandémie, alors que, chez les hommes, le niveau est 1,9 % inférieur. La perte est deux fois plus élevée pour les femmes. Les jeunes sont à 11 % sous le niveau d’avant la pandémie. Les plus touchées sont les jeunes femmes, à 14,5 % sous le niveau d’avant la pandémie.

Si on analyse la situation de l’angle du niveau de revenu — le tableau présenté à quelques reprises dans le Rapport sur la politique monétaire, et que je trouve ahurissant —, les emplois peu rémunérés sont inférieurs d’environ 20 % à leur niveau avant la pandémie. Tous les autres emplois se situent en fait au-dessus de leur niveau d’avant la pandémie. Cela montre bien que la crise a surtout touché les personnes les moins aptes à la supporter. Heureusement, leurs revenus ont été largement remplacés par des programmes gouvernementaux, mais ceux-ci ne vont pas durer éternellement.

Un aspect essentiel de cette relance est que — dans le contexte, alors que les gens retournent au travail — nous devons travailler dur pour réduire les écarts. Je pense que c’est la responsabilité des entreprises et des gouvernements, et nous avons besoin que le secteur de l’éducation nous aide.

Je veux souligner autre chose. J’ai souvent dit que la Banque du Canada sera là pour soutenir les Canadiens, les entreprises canadiennes et l’économie canadienne pendant toute la durée de la relance. Il nous faut une relance complète, et une relance complète est une relance partagée. Si nous laissons de grands pans de l’économie derrière nous, nous aurons une économie plus petite.

Une économie partagée attire les gens dans la population active, ce qui crée une économie plus importante. Cela crée plus de place pour la croissance de l’économie. Évidemment, c’est très bon pour les personnes qui ont été attirées dans l’économie, mais c’est en fait bon pour tout le monde. C’est un phénomène qui s’autorenforce.

Que peut faire la Banque du Canada? Nous disposons d’un vaste outil macroéconomique — la politique monétaire — et nous pouvons soutenir la relance pendant toute sa durée. C’est important pour ramener l’économie à son potentiel et pour maintenir l’inflation à sa cible. Si nous manquons d’emplois, cela signifie que nous manquons de revenus, et cela signifie que nous aurons une pression à la baisse sur l’inflation et que nous ne pourrons pas maintenir l’inflation durablement à notre cible.

C’était une longue réponse, mais la question était importante.

La sénatrice Ringuette : Je suis ravie de vous revoir, monsieur le gouverneur. Je commencerai par une question qui a été adressée il y a 10 ans à la Banque du Canada. Nos entreprises canadiennes sont assises sur une énorme quantité de réserves, ce que j’appelle des fonds dormants, et nous ne savons toujours pas pourquoi elles ne réinvestissent pas. Je sais que vous faites régulièrement des sondages auprès des entreprises. Avez-vous une réponse à la question de savoir pourquoi elles ne réinvestissent pas ces réserves au Canada? Que se passe-t-il?

M. Macklem : Il y a deux aspects à cette question, sénatrice Ringuette. L’un est — et cela nous ramène à la question du sénateur Deacon — le manque d’investissement de longue date au Canada. Dans le contexte de cette crise particulière, comme j’y reviens sans cesse, il y a tellement de caractéristiques uniques. En fait, tant les ménages que les entreprises ont de grandes quantités de liquidités dans leurs comptes bancaires.

Dans le cas des ménages, je pense que deux choses se sont produites. La première est que, en particulier pour les personnes qui se situent dans la moitié supérieure de la distribution des revenus, elles ne peuvent pas faire beaucoup de choses pour lesquelles elles dépenseraient normalement leur argent — les voyages, par exemple — et il y a donc une sorte d’épargne forcée qui s’accumule sur leurs comptes bancaires. Il y a plus de 100 milliards de dollars de dépôts supplémentaires dans les banques, sur les comptes de dépôt des ménages. En bas de l’échelle, dans la moitié inférieure de la distribution, les programmes gouvernementaux ont été très efficaces pour remplacer les revenus perdus, donc nous n’avons pas vu une énorme baisse de leurs dépôts. Dans l’ensemble, les dépôts sont en hausse.

Un peu en parallèle, les entreprises ont une accumulation similaire de liquidités. Cette accumulation, tant pour les ménages que pour les entreprises, a été effectuée en partie par précaution. En particulier au début de la crise, personne ne savait ce qui allait se passer, et les ménages, et surtout les entreprises, ont vraiment accumulé des liquidités.

Ils voulaient n’importe quel trésorier qui avait traversé la dernière crise, en 2010, car la seule chose qu’ils savaient était que le comptant était roi. Ils voulaient s’assurer qu’ils avaient des niveaux de liquidités de forteresse, pour pouvoir s’en sortir. Les entreprises gardaient beaucoup de liquidités.

Grâce à la combinaison des aides financières et fiscales, les faillites d’entreprises et de particuliers ont été moins nombreuses que d’habitude, et une grande partie de cet argent est encore dans le système. C’est une bonne nouvelle. Du côté de la consommation, cela signifie que les ménages ont la capacité d’augmenter leurs dépenses à mesure que l’économie se rouvre. Pour les entreprises, cela signifie qu’elles ont la capacité d’investir.

Les marchés des capitaux sont ouverts, les taux d’intérêt sont bas et l’accès aux capitaux d’emprunt est bon. Les marchés sont solides, et l’accès aux capitaux propres est bon. Tout dépend donc de la confiance des entreprises. Vous n’investissez pas si vous ne vous attendez pas à un rendement. Il s’agit donc pour les entreprises d’avoir confiance dans le fait que ces investissements vont rapporter. Avec la réouverture de l’économie, nous avons bon espoir de voir davantage de liquidités circuler.

La sénatrice Ringuette : Gouverneur, si je puis me permettre, nous avons été témoin de la même situation il y a 10 ans. Les choses n’ont pas changé. Les entreprises canadiennes s’assoient sur d’énormes quantités de fonds de réserve et ne réinvestissent pas. Que pouvons-nous faire?

Premièrement, j’aimerais savoir si votre enquête leur a demandé pourquoi elles n’investissent pas alors qu’elles ont ces réserves. Si nous savons pourquoi, alors peut-être que le Parlement pourrait réagir avec une forme de mesure incitative, si c’est ce qui est nécessaire. Tout à l’heure, nous avons parlé de maisons inactives qui étaient taxées. Si les entreprises ne veulent pas réinvestir, peut-être l’argent devrait devenir imposable.

Je vais à l’extrême, parce que la situation n’est pas normale depuis une décennie. Je comprends que, pendant la pandémie de COVID, ce n’était pas une période où les entreprises faisaient des investissements. Elles auraient dû faire des plans d’investissement pour l’avenir durant cette période, mais ce n’est pas ce que nous constatons. Ma question est la suivante : lorsque vous interrogez les entreprises, vous disent-elles pourquoi elles conservent ces réserves?

M. Macklem : Comme vous le savez, il s’agit d’un problème de longue date, qui a fait l’objet de nombreuses études. Il existe toute une liste de facteurs. Je pourrais les passer en revue, mais je ne suis pas sûr que ce serait utile, car nous avons eu du mal à déterminer quels sont les principaux facteurs.

Ce que je peux vous dire, c’est que lorsque vous interrogez les entreprises au Canada, elles vous disent combien elles investissent. Elles vous disent le niveau de risque qu’elles prennent. Ce n’est vraiment que lorsque vous les comparez à leurs concurrents que vous constatez que les entreprises canadiennes investissent, qu’elles prennent des risques, mais qu’elles ne sont pas toujours à la hauteur de la concurrence. C’est là le problème.

Je me suis entretenu avec de nombreuses entreprises. Pendant longtemps, cela a été une énigme pour moi. Elles vous disent toutes combien elles investissent et combien de nouvelles opportunités elles saisissent. Pourtant, vous ne remarquez la différence que lorsque vous voyez que nos concurrents ne cessent pas d’évoluer. Nos concurrents prennent des risques. Ils font de gros paris.

Cela prend de plus en plus d’importance, car dans une économie numérisée, où les économies d’échelle sont importantes, les entreprises les plus grandes et les plus prospères obtiennent une part encore plus grande du marché. Il faut donc prendre ce risque. Il faut être audacieux. C’est un défi pour le Canada. Comme l’a dit le sénateur Deacon, si nous voulons vraiment faire croître notre économie et notre prospérité, nous devons relever ce défi.

Le président : Je vais lancer la deuxième ronde de questions. Je serai un peu plus rigoureux quant au respect du temps alloué, parce que je veux que tous les sénateurs qui ont une deuxième question à poser aient le temps de le faire. Il nous reste environ 35 minutes et vous avez répondu volontiers et généreusement. Sénateurs, veuillez être brefs avec vos questions.

La sénatrice Wallin : Monsieur le gouverneur, vous avez déjà parlé, comme nous, de l’importance des flux de capitaux et des investissements pour contrer le changement climatique. Ma question porte sur le secteur des ressources qui, en fait, fait preuve d’innovation. Nos activités d’extraction du pétrole et du gaz sont beaucoup plus propres que celles des autres pays dont nous importons les produits pétroliers. Nous utilisons des techniques de capture de carbone fort modernes. Le secteur agricole a pu écologiser tous ses processus. Et pourtant, les projets de construction d’oléoduc sont abandonnés et la réglementation se resserre, alors que les investissements, à la fois canadiens et étrangers, sont en chute libre.

La plupart des programmes du soutien offert par le gouvernement visent les pailles en plastique et les panneaux solaires. Comment pouvons-nous gérer la transition et exploiter le secteur traditionnel des ressources, car c’est lui qui crée des emplois et contribue énormément à notre PIB?

M. Macklem : Le président nous a priés d’être brefs, ce qui me sera difficile.

Le président : Je suis convaincu que vous êtes à la hauteur, monsieur.

M. Macklem : Permettez-moi de me concentrer sur ce que peut faire la banque centrale. C’est clair que le changement climatique est un problème énorme. Ce sera la question qui définira la prochaine génération.

Quel est le rôle de la Banque du Canada? Notre mandat consiste en partie à créer les conditions propices à un système financier stable et efficace. Le système financier ne va pas régler le problème du changement climatique, mais il a comme rôle fondamental de distribuer les capitaux. Plus nous pourrons investir des capitaux dans des solutions durables, plus la transition sera réussie et sans heurt et plus notre système financier sera stable.

Nous avons effectué des analyses et avons présenté certaines de nos conclusions dans le numéro de la Revue du système financier le plus récent. On voit que dans bien des cas, les risques climatiques sont sous-estimés, ce qui veut dire que le prix est en deçà de ce qu’il devrait être. À un moment donné, les prix risquent de subir une correction rapide et entraîner une déstabilisation du système financier.

Nous prenons de nombreuses mesures pour tenter d’aider le secteur privé à gérer et à évaluer ces risques. Voici un exemple concret : nous travaillons avec le BSIF et six grandes institutions financières canadiennes dans le cadre d’un projet pilote qui nous permet d’élaborer des scénarios climatiques pour le Canada ainsi que divers scénarios de transition. En ce moment, c’est l’incertitude. Nous ignorons ce qui se passera, mais nous avons prévu des scénarios internationaux ainsi que des cas de figure propres au Canada qui tiennent compte du fait que nous avons une ressource importante, soit le secteur pétrolier et gazier canadien. Il jouera un rôle important dans la transition. Les institutions financières se servent des scénarios pour évaluer l’incidence sur leurs bilans, ce qui devrait les aider à mieux gérer les risques.

Par ailleurs, le secteur privé réussit notamment à établir une échelle graduée pour qualifier les investissements verts. Plutôt que dire que ça c’est bien et ça, c’est pas bien, on précise qu’il y a une échelle, ce qui fait que, par exemple, si une société investit dans la capture et le stockage de carbone, le caractère écologique de l’investissement est reconnu, même si la société fait partie d’un secteur à fortes émissions. C’est un élément d’infrastructure financière qui pourrait aider les secteurs à fortes émissions à accéder aux capitaux, à agir correctement et à accélérer la transition nécessaire. Voilà le genre de soutien que peut offrir la Banque du Canada.

La sénatrice Wallin : Merci beaucoup.

Le sénateur Smith : Je tenterai d’être plus bref qu’auparavant, monsieur.

Quelles sont les projections faites par la banque quant au marché du travail au fur et à mesure que nous laissons la pandémie derrière nous? Selon vos projections, les conditions du marché du travail vont-elles retrouver leurs niveaux prépandémiques au cours de la prochaine année ou deux?

M. Macklem : Je n’ai pas de projections précises quant aux conséquences sur les diverses cohortes de la main-d’œuvre, mais nous prévoyons un rebondissement marqué de l’activité économique pendant le deuxième semestre de l’année en cours. Le programme de vaccination s’est très bien passé, l’économie reprend son élan. Les États-Unis affichent une bonne reprise. Toutes les conditions sont prometteuses pour le deuxième semestre de l’année en cours et le début de l’année prochaine. Nous nous attendons à une solide croissance de l’emploi. Bien évidemment, la troisième vague qui nous a frappés au cours des deux derniers mois a entraîné la perte de beaucoup d’emplois. Nous pensons que ces emplois reviendront au cours des prochains mois et même que de nouveaux emplois seront créés.

Si vous examinez le marché du travail actuel, vous constaterez que nous avons encore du chemin à faire. Par rapport au taux d’emploi prépandémique, nous avons perdu 575 000 emplois. En sachant qu’au cours d’une année normale, quelque 200 000 personnes font leur entrée sur le marché du travail, il faudra recréer trois quarts de million d’emplois pour arriver à une pleine reprise de l’activité économique. Nous avons du pain sur la planche.

Nous pensons que la plupart de ces emplois reviendront au cours de l’année prochaine, mais si vous consultez notre dernière projection, vous verrez que l’activité économique ne retrouvera pas complètement sa cadence habituelle avant le deuxième semestre de l’année prochaine.

Le sénateur Smith : Merci beaucoup, monsieur.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais essayer d’être succincte. Monsieur le gouverneur, vous êtes au début de votre mandat et je sais que c’est très complexe de fixer le taux directeur et de consulter à l’interne à cet égard. Je voudrais vous entendre sur une pratique utilisée dans plusieurs banques centrales où il existe des comités sur la politique monétaire. Il y a non seulement des membres de l’interne, mais aussi des membres externes — c’est le cas aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Angleterre — qui se réunissent avec le gouverneur pour discuter de la situation et pour fixer les taux directeurs et les paramètres de la politique monétaire. Que pensez-vous de cette pratique, c’est-à-dire d’avoir un comité de la politique monétaire qui rend des comptes? Dans la plupart de ces pays, les discussions sont éventuellement rendues publiques. Que pensez-vous de cette pratique?

M. Macklem : Les pays ont des systèmes un peu différents, mais en gros, ils ne sont pas si différents. La plupart ont un comité. Nous avons un comité, qui est notre conseil de direction. Je pense que le plus important, ce n’est pas d’avoir des membres de l’interne à temps plein ou d’avoir quelques membres qui viennent de l’externe. L’important, c’est d’avoir une diversité d’expériences, d’expertises et de perspectives au sein du conseil. C’est quelque chose d’important pour moi.

L’autre chose, c’est qu’il y a différents systèmes. Par exemple, au Royaume-Uni, chaque individu a un droit de vote : c’est une personne, un vote. Ici, au Canada, nous avons un système de consensus et, très franchement, j’aime bien ce système de consensus. Je pense que cela encourage un vrai débat. On essaie vraiment de comprendre la perspective de nos collègues et d’en tenir compte. On veut avoir les meilleures idées de tout le monde et trouver un consensus à la table. J’aime bien le système de consensus. Si chaque personne vient voter seulement de temps en temps, le débat n’est pas aussi bon qu’il pourrait l’être.

La sénatrice Bellemare : Pour représenter les régions, ne serait-il pas plus efficace d’avoir des membres externes qui viennent de différentes régions du pays?

M. Macklem : Nous avons un grand pays et c’est important d’avoir des perspectives régionales. C’est un aspect important de la diversité. Je pense qu’il y a plusieurs manières de trouver ces perspectives. Nous avons des bureaux régionaux à Halifax, à Montréal, à Toronto, à Calgary et à Vancouver, en Colombie-Britannique. Notre conseil d’administration et les représentants régionaux viennent de toutes les provinces. Il y a différentes manières d’obtenir cette diversité et je pense que nous en tenons compte.

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Monsieur le gouverneur, je vous remercie encore une fois pour vos réponses directes et franches.

Vous avez lancé le sujet de l’informatique quantique. J’ai lu un article que vous avez signé il y a quelques années sur les menaces énormes qui planent sur le Canada ainsi que les belles possibilités de prospérité qui s’annoncent. Nous sommes actuellement chefs de file dans le domaine, mais nous l’étions également en intelligence artificielle. Nous avons toujours une bonne réputation, mais nous ne sommes pas des leaders quant à la mise en œuvre.

Vous avez recommandé dans votre article que le gouvernement, l’industrie et les universités unissent leurs efforts, recommandation qui est restée lettre morte. Le gouvernement fédéral devrait recourir à tous les leviers financiers offerts par la réglementation et les marchés publics. Quant à la réglementation, nous sommes les avant-derniers dans le palmarès de l’OCDE, car nous avons l’un des fardeaux réglementaires les plus lourds, et nos marchés publics servent à financer les détenteurs déjà retenus, plutôt que de favoriser l’entrée de nouveaux joueurs. Nous ne réussissons pas à prendre les mesures que vous avez indiquées dans votre article pour blinder notre infrastructure quantique numérique et tirer avantage des belles possibilités internationales qui s’offrent à nous.

Qui donne l’exemple ailleurs au monde? Le Canada doit s’améliorer. Quels sont les programmes et les pays qui réussissent? Qui sont les modèles du monde qui pourraient nous aider à saisir les occasions, car jusqu’à maintenant, nous avons raté dans une grande mesure l’occasion présentée par l’intelligence artificielle?

M. Macklem : Monsieur le sénateur, j’aimerais vous parler des occasions à saisir au Canada et de ce que nous pouvons faire. J’ai effectivement écrit au sujet de l’informatique quantique lorsque j’étais doyen de la Rotman School of Management, et non gouverneur de la Banque du Canada.

Le sénateur C. Deacon : Mais vous n’avez rien oublié.

M. Macklem : Je n’ai rien oublié. Permettez-moi de vous parler de ce que nous faisons à la Banque du Canada.

Comme vous le savez très bien, lorsque viendra l’ère de l’informatique quantique, et nous ignorons si ce sera dans 5, 10 ou 15 ans, la cryptographie traditionnelle sera gravement menacée. Essentiellement, les codes chiffrés qui protègent nos systèmes pourront être facilement déjoués par l’informatique quantique en raison de sa puissance énorme qui viendra à bout des défenses. Ce sera un risque terrible non seulement pour notre système financier, mais pour l’économie dans son ensemble.

Par ailleurs, nous constatons malheureusement une hausse de l’incidence de cyberattaques malicieuses, souvent motivées par l’argent, qui n’ont rien à voir avec l’informatique quantique.

Récemment, une cyberattaque a entraîné la fermeture d’un oléoduc important aux États-Unis.

Ces cyberattaques constituent une menace grave pour notre prospérité économique, et l’informatique quantique ne fait qu’aggraver le risque.

La Banque du Canada agit sur plusieurs fronts. Tout d’abord, nous établissons des partenariats avec les chefs de file de la technologie quantique au Canada, car nous voulons assurer une défense quantique et ainsi protéger notre système contre les cybermenaces quantiques. La Banque du Canada occupe une position de premier ordre dans le système financier, ce qui comporte des avantages. Nous avons l’intention d’utiliser notre position privilégiée pour aider le système financier dans son ensemble à faire les investissements nécessaires pour se protéger contre les attaques quantiques. C’est la raison pour laquelle nous travaillons sur la technologie quantique avec d’autres acteurs du gouvernement et certains des grands centres de recherche au Canada pour faire avancer nos connaissances. Nous en sommes au tout début de ces efforts.

Pour situer le tout dans un contexte canadien, que représente le Canada? La stabilité, la sécurité, voilà nos points forts. C’est un domaine dans lequel nous pourrons briller et ce n’est pas une occasion à rater.

Le sénateur C. Deacon : J’abonde dans le même sens.

Le sénateur Loffreda : Monsieur le gouverneur, le consommateur est bien souvent le moteur de l’économie, surtout en cas de reprise économique. J’ai indiqué plus tôt que selon le dernier rapport de l’OCDE, le taux d’endettement des ménages canadiens en 2020 se situait à 176 %, ce qui fait que nous sommes au premier rang des pays du G7, et que le taux d’épargne des ménages était à 1,2 % en 2019, ce qui fait de nous le dernier pays du G7.

Quelles en sont les conséquences à long terme? Devrions-nous nous en inquiéter? En 2020, le taux d’épargne a monté en raison des confinements et d’autres facteurs. Cependant, si nous songeons à notre santé et viabilité économique à long terme, devrions-nous être très inquiets? Quelle est votre opinion et quelles sont les solutions possibles pour lutter contre ce problème?

M. Macklem : C’est effectivement une raison de s’inquiéter. La Banque du Canada souligne le problème de l’endettement élevé des ménages depuis quelque temps déjà.

Si nous revenons à notre discussion sur le logement, le boom du secteur immobilier est un phénomène international, mais ce qui distingue le Canada, c’est qu’avant la pandémie, il y avait déjà un taux d’endettement des ménages élevé et un marché immobilier tendu. Il y a eu une amélioration de courte durée, et bien que le taux d’épargne global monte et que certains consommateurs remboursent leurs dettes, y compris leurs créances de leur carte de crédit, d’autres s’endettent davantage en prenant des hypothèques.

Donc même si la dette du consommateur, ce qui comprend les cartes de crédit, baisse, l’endettement global des ménages grossit toujours en raison de la dette hypothécaire. Comme je l’ai dit tantôt, plus de 20 % des prêts hypothécaires ont un ratio de prêt au revenu élevé, et c’est la partie la plus vulnérable de ce segment du marché. C’est une préoccupation.

Est-ce que cela peut durer? Dans quelle mesure devrions-nous nous en inquiéter? Les choses ne vont pas forcément prendre une mauvaise tournure. Si l’économie se porte bien, si les revenus se maintiennent, les gens pourront continuer à rembourser leurs dettes. Cela veut dire cependant que nous sommes plus vulnérables. S’il y a un autre revers grave, les ménages auront moins de réserves et s’endetteront davantage.

L’autre risque, c’est que si le revenu des gens ne leur permet pas de faire des achats et de rembourser leur dette, le poids de la dette limitera la capacité de consommation à l’avenir.

Comme je l’ai dit, c’est une vulnérabilité. Nous pourrons trouver une solution, mais il faudra une bonne croissance des revenus, et pour revenir à la question du sénateur Deacon, il nous faudra également une nette progression de la productivité. L’économie devra grandir et générer des revenus et de la richesse afin que tout soit abordable.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Marshall : Vous indiquez notamment dans votre rapport que la précarité du financement par emprunt des sociétés est une vulnérabilité. Pouvez-vous nous en dire un peu plus? C’est la deuxième fois que je vois cette vulnérabilité. Est-ce le résultat de la pandémie ou existait-elle déjà avant? Pouvez-vous nous donner un peu plus de renseignements?

M. Macklem : Tout d’abord, sénatrice, sachez que je suis ravi que vous lisiez assidûment nos rapports. Merci.

Bref, je vous réponds par oui aux deux questions. Comme bon nombre de problèmes, il y avait déjà une vulnérabilité avant la crise, et la crise l’a aggravée.

Cette vulnérabilité est liée à l’endettement considérable des sociétés, qui ont investi dans des instruments spéculatifs au rendement élevé, que certains appelleraient des obligations de pacotille, mais j’évite ce terme. C’est donc un endettement plutôt risqué dont le rendement est plus élevé.

Le danger, c’est que quelque chose survienne qui entraînerait la contraction rapide des conditions financières internationales, comme un nouveau variant ou le blocage de la reprise. Les conditions financières sont propices actuellement, mais si un gros problème se pointe, si les investisseurs deviennent frileux face au risque et les conditions financières internationales se contractent sérieusement, il risque d’y avoir des écarts beaucoup plus grands sur le marché des obligations à rendement élevé. Éventuellement, il se peut que les sociétés n’accèdent plus à ce marché.

Tout cela fait que les sociétés qui dépendent fortement des titres d’emprunt à rendement élevé se situent dans une situation plus vulnérable, et elles risquent de devoir assumer des frais plus élevés liés à leur dette ou même ne plus pouvoir recourir à ce marché.

Voilà en quoi consiste la vulnérabilité.

La sénatrice Marshall : Qui détient cette dette? Ce n’est pas la Banque du Canada.

M. Macklem : Nous sommes plutôt préoccupés par les sociétés qui misent là-dessus. Le détenteur...

La sénatrice Marshall : Elles s’effondreront.

M. Macklem : Oui. C’est la vulnérabilité des sociétés qui comptent là-dessus.

Bon nombre d’entre elles sont du secteur des ressources et nous savons que les marchés des ressources peuvent être volatils : voilà la vulnérabilité.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

La sénatrice Moncion : J’ai peut-être deux ou trois observations. L’une d’entre elles porte sur la vulnérabilité de la dette provinciale. Pouvez-vous nous en parler et la comparer à la dette canadienne globale?

M. Macklem : Je suis le gouverneur de la Banque du Canada. La politique monétaire est une lourde responsabilité. Je m’en remets aux autorités fédérales et provinciales de s’occuper de la politique financière.

Le Canada est un pays particulier en raison de la place importante occupée par les provinces. Elles ont de grandes dépenses budgétaires et des revenus importants. Chaque province doit avoir un budget qui tient la route. Les provinces constituent de grandes sociétés. Je ne vais pas commencer à analyser la politique financière de chacune des provinces.

La sénatrice Moncion : Je comprends, mais vous avez fourni un graphique où les titres des provinces figurent parmi d’autres éléments. Je voulais simplement comprendre le lien parce que la composition du stock total de titres détenus par la banque a changé, et une grande part comprend... pas une grande part, mais la banque détient des titres des provinces.

M. Macklem : Oui. Notre Programme d’achat d’obligations provinciales a été lancé au creux de la crise, quand les marchés étaient complètement paralysés. C’était un programme très important pour revigorer les titres à revenu fixe. Le programme a existé pendant un an. Je n’ai pas le chiffre sous les yeux, mais je crois que la valeur des titres achetés en vertu du programme est d’environ 18 milliards de dollars. Ce programme a pris fin. Nous n’achetons plus de dette des gouvernements provinciaux puisque les marchés sont maintenant ouverts, et les provinces y ont toutes un bon accès. Le programme n’est donc plus nécessaire.

J’ajouterai que le programme ne ciblait pas de provinces en particulier. Les achats d’obligations provinciales étaient à peu près proportionnels à la taille d’une province donnée et au montant total de sa dette dans les marchés. Le programme était tout à fait neutre et proportionnel, et reflétait la taille de chaque province.

Je crois que le 25 juin, ou à tout le moins à la fin du mois, nous publierons tous les détails de nos programmes d’achat d’obligations provinciales et de sociétés : nous nous sommes, en effet, engagés à publier les détails de ces programmes à leur échéance.

Je peux vous dire que les programmes de titres provinciaux et de sociétés comptaient tous deux un portefeuille de référence et que les achats réels ont été très fidèles à ces portefeuilles.

La sénatrice Moncion : Merci. Nous avons discuté plus tôt du niveau d’endettement des ménages et du fait que la Banque du Canada surveille plutôt ce que fournissent les banques.

Comment faites-vous le suivi du marché en dehors des banques, comme les hypothèques que les particuliers contractent auprès de courtiers ou d’autres groupes que la Banque ne surveille pas?

M. Macklem : Bien, je répondrais deux choses. D’abord, le système financier canadien est assez concentré et est composé de très grandes banques qui détiennent une grande part du marché. Nous voyons aisément une grande partie de ce qui se passe dans le système financier.

Les autres grands joueurs du marché sont dans certains cas de très grandes institutions financières provinciales. Par exemple, au Québec, Desjardins est une grande institution financière qui n’est pas réglementée au niveau fédéral, mais qui l’est au niveau provincial. Il existe le groupe des Responsables des organismes de réglementation, que je préside. Il s’agit d’un comité composé de la Banque du Canada, du Bureau du surintendant des institutions financières et du ministère des Finances qui comprend l’Autorité Québec — l’organisme de réglementation des valeurs mobilières et de la province —, l’équivalent en Ontario, et l’organisme de réglementation des valeurs mobilières en Colombie-Britannique et en Alberta. M. Wetston, le président de votre comité, faisait partie de ce regroupement lorsqu’il était président de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.

Nous avons diverses procédures pour communiquer de l’information, alors nous obtenons des renseignements de la part des provinces. Nous avons également un accès plutôt aisé aux grandes institutions financières réglementées par les provinces, alors notre vue d’ensemble est assez étendue.

La sénatrice Moncion : D’accord. Merci. Je sais que certains courtiers ne sont pas réglementés et émettent des hypothèques qui...

M. Macklem : Il existe dans une certaine mesure ce qu’on pourrait appeler un système financier direct, distinct du système bancaire et du système des coopératives de crédit. Effectivement, ce système relèverait davantage de la réglementation des valeurs mobilières.

La sénatrice Moncion : Et vous ne l’examinez pas?

M. Macklem : Il y a certaines mesures en place, mais ce système n’est pas sous réglementation fédérale au même titre que les banques.

La sénatrice Moncion : D’accord. Merci.

Le président : J’aimerais rapidement faire une observation, monsieur le gouverneur. Vous ne serez peut-être pas d’accord et n’aurez peut-être pas beaucoup d’information à ce sujet, mais la sénatrice Moncion sait que si nous adoptons un jour la loi sur la stabilité des marchés des capitaux, qui entraînerait de la coopération pour recueillir des renseignements importants sur les risques systémiques et autres enjeux, il y aura un effort commun pour tenter de colliger plus de données. Cette collaboration pourrait nous aider à mieux comprendre certaines des questions qu’a soulevées ma collègue.

J’essaie d’éviter de jouer le rôle de témoin à notre réunion, mais je me demande si vous avez un commentaire concis à faire là-dessus. Si vous n’en avez pas, je comprendrai tout à fait.

M. Macklem : Ce n’est plus vraiment mon domaine. C’est un projet auquel j’ai travaillé avec le ministère des Finances et à d’autres périodes de ma carrière.

Comme je l’ai déjà dit, je crois que la dernière crise nous a appris qu’il est crucial de comprendre le système dans son ensemble. J’ajouterai que, bien qu’il reste encore des problèmes d’envergure à régler, nous avons tiré bien des leçons des récentes perturbations.

De par son ampleur et sa rapidité, cette crise est sans précédent; tout compte fait, notre système financier s’en est assez bien tiré. À d’importants égards, il a absorbé les chocs plutôt que de les propager. Les banques ont joué un rôle important en offrant des reports de paiements hypothécaires et en aidant les compagnies à s’en sortir. Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Certaines compagnies devront mettre la clé sous la porte. Il y aura certainement des conséquences à long terme, mais notre système financier a tenu bon et a amorti les coups. Dans une large mesure, cela reflète les leçons tirées. Oui, il y en a d’autres que nous ne devrions pas oublier.

Le président : Monsieur le gouverneur, je crois que c’est ce qui met fin à notre réunion de ce soir. Je vous suis grandement reconnaissant de votre présence et de votre comparution pendant l’intégralité de cette réunion de deux heures. Je suis conscient que ces séances ne sont pas une mince affaire, et nous nous réjouissons de l’ouverture d’esprit et de la franchise avec lesquelles vous avez répondu à de nombreuses questions des sénateurs.

Encore une fois, j’aimerais vous remercier. Je vous remercie aussi de votre patience pour votre comparution à notre comité. Nous vous verrons peut-être à l’automne, ou après le prochain Rapport sur la politique monétaire, ou RPM, moment auquel nous pourrons discuter de ces questions. Nous avons pris bonne note de votre annonce de taux en juin et de la publication de la Revue du système financier, dont vous avez parlé indirectement et dans une grande mesure ce soir en lien avec les vulnérabilités. Nous vous en sommes reconnaissants.

Merci, chers collègues. Je crois que cela conclut notre réunion.

(La séance est levée.)

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