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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 7 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 11 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050, et à huis clos, pour procéder à l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, mon nom est Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec, et je suis président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance virtuelle du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro fermé en tout temps, à moins que le président vous donne la parole. J’aimerais aussi rappeler aux sénateurs de bien utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire, mais pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et préambules. Cela s’applique aux sénateurs, mais j’aimerais aussi que les invités soient sensibles au fait que notre temps est limité.

Si un problème technique survient, plus particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière pour que nous puissions le régler rapidement.

Maintenant, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; Douglas Black, de l’Alberta; Claude Carignan, du Québec; Brent Cotter, de la Saskatchewan; Rosa Galvez, du Québec; Mary Jane McCallum, du Manitoba; Julie Miville-Dechêne, du Québec; Dennis Glen Patterson, du Nunavut; Paula Simons de l’Alberta; David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous commençons notre étude préliminaire du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.

Ce matin, nous recevons, d’Environnement et Changement climatique Canada, John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, et Vincent Ngan, directeur général, Politiques horizontales, engagement et coordination. Du ministère des Finances Canada, nous recevons Samuel Millar, directeur général, Finances intégrées, ressources naturelles et environnement, Développement économique et finances intégrées.

Bienvenue à vous deux, et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre votre présentation, monsieur Moffet. Vous avez la parole.

[Traduction]

John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Bonjour à tous. Je vais esquisser le contexte du projet de loi, après quoi je vous en proposerai un aperçu.

Pour commencer, comme les députés le savent, afin d’éviter les pires répercussions des changements climatiques, il faut faire diminuer rapidement les émissions de gaz à effet de serre au cours des trois prochaines décennies. L’Accord de Paris demande aux gouvernements du monde entier de prendre des mesures urgentes et ambitieuses pour lutter contre les changements climatiques de façon à maintenir le réchauffement de la planète bien en deçà de 2 degrés et de poursuivre les efforts pour le maintenir en dessous de 1,5 degré.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié en 2018 son rapport intitulé Rapport spécial : Réchauffement de la planète de 1,5 °C. Ce rapport a conclu que les émissions mondiales doivent diminuer rapidement et atteindre la carboneutralité vers le milieu du siècle si nous voulons avoir une chance raisonnable de limiter le réchauffement à 1,5 degré. L’atteinte de la carboneutralité signifie soit qu’on n’émet pas de gaz à effet de serre, soit qu’on les compense complètement en prenant des mesures pour les éliminer de l’atmosphère.

De nombreux gouvernements dans le monde, ainsi qu’un nombre croissant de gouvernements infranationaux, de villes et d’entreprises, se sont ralliés autour de l’objectif de la carboneutralité. La Norvège, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont inscrit cet engagement dans leurs lois. Au Canada, la Nouvelle-Écosse a récemment exprimé son engagement dans une loi, tandis que la Colombie-Britannique a pris le même engagement et que Terre-Neuve-et-Labrador et le Québec se sont engagés à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

La Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité appuie l’objectif du Canada : atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Fait important, elle correspond bien à la façon dont le Canada met déjà en œuvre l’Accord de Paris, car, notamment, il établit des cibles d’atténuation appelées contributions déterminées au niveau national, met en place des mesures pour atteindre les cibles, rend compte de ses émissions au moyen de ses rapports d’inventaire national et fait état de ses progrès tous les deux ans dans sa communication nationale. La loi ne prescrit ni les progrès à accomplir ni les mesures précises à prendre. Elle fixe plutôt l’objectif et exige que le gouvernement établisse des cibles nationales de réduction successives sur cinq ans afin d’élaborer des plans pour les atteindre, de rendre compte des progrès réalisés et d’apporter des rajustements lorsque les émissions ne diminuent pas conformément aux attentes.

En avril, à l’occasion du Sommet des leaders sur le climat organisé par le président Biden, le premier ministre a annoncé que le Canada relèverait sa cible de réduction des émissions à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. Le ministre Wilkinson s’est engagé à ce que le Canada soumette officiellement sa nouvelle cible pour les zones vulnérables aux nitrates à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la CCNUCC, au cours des prochains mois.

Comme les membres du comité le savent, le projet de loi est toujours à l’étude à la Chambre. Je vais vous donner un bref aperçu de l’état du projet de loi et de son mode opératoire.

Le but de la loi, bien sûr, est la carboneutralité. La loi confie également au ministre le mandat d’établir des cibles nationales supplémentaires de réduction des émissions tous les cinq ans. Ces cibles n’imposent aucune obligation aux provinces, aux territoires, ni aux particuliers. Par suite des motions adoptées par le comité de la Chambre, chaque cible doit représenter un progrès par rapport à la précédente. La cible peut être modifiée, mais seulement dans le sens d’une plus grande rigueur. Les cibles nationales doivent être fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles et sur nos engagements internationaux.

Aux termes des amendements proposés par le comité de la Chambre, le ministre doit aussi tenir compte des connaissances autochtones et des mémoires du Groupe consultatif pour la carboneutralité.

Un autre amendement proposé par le comité exigera que la cible de 2030 soit la CDN du Canada pour cette année-là — notre contribution déterminée au niveau national — qui sera présentée au cours des prochains mois. Le comité de la Chambre a également précisé qu’un objectif provisoire doit être fixé pour l’année 2026 dans le plan pour 2030.

Un autre amendement proposé par le comité de la Chambre dispose que les cibles doivent être établies au moins 10 ans avant le début de l’année jalon correspondante. La cible de 2035 doit donc être établie d’ici la fin de 2024.

Un autre amendement adopté par le comité dispose que, dans l’année suivant chaque cible, le ministre doit publier une description de haut niveau des principales mesures que le gouvernement entend prendre pour atteindre la cible. Ensuite, bien sûr, pour chaque plan, la loi exige que le ministre prépare et dépose au Parlement un plan de réduction des émissions. Chaque plan doit préciser la cible, les mesures que le gouvernement prendra, les stratégies sectorielles pertinentes et les stratégies de réduction des émissions dans les activités fédérales.

Par suite d’un amendement proposé par le comité de la Chambre, les plans de réduction doivent également donner des renseignements supplémentaires, comme notre plus récent inventaire officiel des émissions de GES — où nous en sommes à ce moment-là —, une description de la manière dont les engagements internationaux du Canada relatifs aux changements climatiques ont été pris en compte dans le plan, un calendrier prévisionnel de mise en œuvre pour chaque mesure et stratégie, et des projections des réductions annuelles des émissions de gaz à effet de serre découlant du plan.

Un autre amendement exige que le ministre, lorsqu’il prépare les plans, tienne compte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, des mémoires du Groupe consultatif pour la carboneutralité et de toute autre considération pertinente.

Le ministre doit, lorsqu’il prépare les plans, mener des consultations et publier un rapport sur les résultats de ces consultations. Étant donné que la carboneutralité est un impératif économique et une occasion à saisir, la loi exige que le ministre collabore avec d’autres ministres fédéraux pour mettre la loi en application. Ce n’est donc pas simplement une obligation du ministre de l’Environnement et du Changement climatique.

La loi prévoit également un régime détaillé de reddition de comptes. Le ministre prépare et dépose un rapport d’étape au milieu de chaque cycle quinquennal et un rapport d’évaluation à la fin de chaque cycle de cinq ans. Résultat d’un amendement proposé par le comité de la Chambre, trois rapports d’étape seront préparés avant 2030 — l’un au plus tard à la fin de 2023, un en 2025 et un autre en 2027 — et chacun doit comprendre une mise à jour sur les progrès réalisés vers l’objectif provisoire de 2026.

La loi prévoit également la création d’un Groupe consultatif pour la carboneutralité qui donnera des conseils indépendants au ministre sur les moyens d’atteindre la carboneutralité.

La loi exige que le ministre des Finances, en collaboration avec le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, publie un rapport annuel décrivant les principales mesures entreprises par l’administration publique fédérale afin d’examiner et de gérer ses risques et occasions d’ordre financier liés aux changements climatiques.

Enfin, la loi exige que le commissaire à l’environnement et au développement durable examine la mise en œuvre des mesures d’atténuation du gouvernement et en fasse rapport au moins une fois tous les cinq ans. En raison d’un autre amendement adopté par le comité de la Chambre, le commissaire serait tenu de présenter son premier rapport au plus tard à la fin de 2024.

En somme, la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité fera en sorte qu’il y ait un processus clair pour établir des cibles, assurer une planification, produire des rapports sur les progrès et modifier le cap. Ainsi, le gouvernement fédéral sera tenu de rendre des comptes, le Canada traçant le parcours à suivre pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

[Français]

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Moffet.

Monsieur Ngan ou monsieur Millar, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Traduction]

Vincent Ngan, directeur général, Politiques horizontales, engagement et coordination, Environnement et Changement climatique Canada : Non, pas pour l’instant. Merci.

Samuel Millar, directeur général, Finances intégrées, ressources naturelles et environnement, Développement économique et finances intégrées, ministère des Finances Canada : Non, rien à ajouter. Merci.

Le président : Passons aux questions, en commençant par le sénateur Black.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup aux témoins d’être là. Je vous remercie de l’énorme travail que vous avez consacré à ce dossier et de votre dévouement.

D’emblée, je tiens à dire très clairement que j’appuie cet important projet de loi ambitieux. Mais il est important pour moi, et je crois pour les Canadiens, que nous parvenions à ces objectifs. Nous devons bien comprendre ce que les gouvernements, les Canadiens et les entreprises canadiennes devront faire pour y arriver.

Voici ma première question, si vous permettez : depuis 2015, année de son élection, le gouvernement tient pour un article de foi que l’économie et l’environnement doivent aller de pair. Nous avons entendu bien des fois cette affirmation.

Toutefois, le projet de loi ne reflète pas ce point de vue stratégique. Il n’y a pas de paramètres économiques, comme la compétitivité, la création d’emplois, les avantages pour les exportateurs ou la certitude économique pour l’investissement.

Ma question est simple : pourquoi n’a-t-on pas intégré une optique économique au projet de loi? Êtes-vous ouvert à l’idée d’ajouter cette dimension au moyen d’amendements qui rendraient obligatoire l’établissement de cibles de rendement économique parallèlement aux objectifs de carboneutralité?

M. Moffet : Je peux répondre en partie à la question. En tant que fonctionnaire, je ne peux pas vous dire si le gouvernement est ouvert à des amendements. Le ministre Wilkinson comparaîtra devant le comité plus tard cette semaine, et il conviendrait que ce soit lui qui réponde à certains éléments de votre question.

Un mot d’explication sur la structure de la loi sous l’angle de votre question. La loi exige qu’on établisse des cibles, après quoi il faut élaborer des plans et en rendre compte. Les cibles elles-mêmes doivent être établies à la lumière des données scientifiques. La prémisse qui sert de base à la loi est le consensus scientifique mondial à peu près total selon lequel il faut agir immédiatement pour réduire les émissions mondiales et parvenir à la carboneutralité dans le monde d’ici 2050. Les cibles elles-mêmes seront fondées sur des données scientifiques et non économiques.

Toutefois, le plan sera préparé à partir de vastes consultations. Le ministre de l’Environnement devra le préparer et le déposer après consultation d’autres ministres fédéraux. Il y aura donc une importante contribution des ministres à vocation économique et il sera tenu compte des conséquences pour le développement économique global et des occasions liées au parcours que le Canada choisira de suivre pour réduire ses émissions et parvenir à la carboneutralité.

J’espère que cela explique en partie comment la loi vise à tenir compte de certains des importants facteurs que vous évoquez.

Le sénateur D. Black : Merci. Je comprends tout à fait, et c’est effectivement une explication. Malheureusement, cela ne nous permet pas de passer de hautes sphères jusqu’au niveau du terrain. D’après mon expérience, les consultations du gouvernement avec d’autres gouvernements et de ministères avec d’autres ministères ne nous permettront jamais de faire les investissements nécessaires dans l’économie pour atteindre ces objectifs, investissements qui se chiffreront par billions de dollars.

Je vous dirais que nous avons produit une voiture à trois roues. Nous ne pourrons jamais atteindre les objectifs que nous visons tous tant que les intervenants directement touchés, qu’il s’agisse des Premières Nations, du secteur de l’énergie ou du secteur des cimenteries... Tant que ces experts ne participeront pas directement au processus, nous sommes voués à l’échec, à mon avis.

Le président : Les autres témoins veulent-ils ajouter quelque chose?

M. Moffet : Il conviendrait peut-être de demander à M. Ngan de décrire la composition du groupe consultatif d’experts, qui est l’un des mécanismes prévus dans la loi pour veiller à ce que l’éventail de considérations sur lesquelles le sénateur Black insiste puisse être pris en compte dans le processus établi par la loi.

M. Ngan : Absolument. Il y a deux aspects. Il y a d’abord l’article 13 du projet de loi. Il porte sur la participation du public prévue pour l’élaboration des plans de réduction des émissions et l’établissement des cibles.

Deuxièmement, comme les sénateurs le savent, le projet de loi prévoit la création d’un organisme consultatif qui serait chargé de prendre l’initiative relativement à la participation des Canadiens, à la définition de voies à suivre et à la prestation de conseils au gouvernement.

Pour ce qui est de la participation du public, comme le sénateur l’a dit, le ministre mènera des consultations et il fera connaître les points de vue recueillis auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux et des peuples autochtones du Canada, sans oublier les conseils de l’organisme consultatif à la suite des consultations ni ceux de tout expert et de toute partie intéressée que le ministre juge approprié de consulter. Ces consultations pourraient être menées en mode virtuel ou en personne, et pourraient se faire au moyen des tribunes existantes, le cas échéant, particulièrement lorsqu’il s’agit de mobiliser des partenaires autochtones. Pour ce qui est de l’organisme consultatif, il fera appel à un large éventail de compétences représentatif de différents intérêts et domaines scientifiques, et il tiendra compte de facteurs tels que la production et la demande d’énergie, ainsi que des technologies.

Il s’agit d’un mécanisme très solide établi en vertu de la loi qui permettra aux experts, aux Canadiens, aux provinces, aux territoires et aux partenaires autochtones de contribuer à l’établissement des cibles et du plan de réduction des émissions.

Le sénateur D. Black : Voilà une réponse extraordinaire. Je vous en remercie. Je comprends tout à fait où vous voulez en venir, et je vous en remercie.

Vous présumez sans doute que le groupe ministériel de 15 personnes aura l’expertise voulue ou que, invoquant l’article 13, il pourra obtenir l’expertise nécessaire pour élaborer ces plans sectoriels très compliqués. Pensez-vous que le projet de loi est assez solide pour atteindre cet objectif?

M. Ngan : Nous sommes d’avis que la conjugaison des articles 13 et 20 permettrait au ministre d’engager le dialogue, ainsi qu’à l’organisme consultatif, qui serait composé d’experts ayant des points de vue différents et qui tiendrait compte d’un large éventail de facteurs, afin de s’acquitter de son obligation de consulter.

Le sénateur D. Black : Je vous remercie de cette réponse. Merci beaucoup.

La sénatrice Galvez : Je remercie les témoins de leur présence parmi nous. Je vais poser deux questions, mais je voudrais, monsieur le président, que nous sachions combien de minutes il nous reste à chaque tour pour que nous puissions mieux nous organiser et que tout le monde ait la chance de poser ses questions.

La Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité obligera le gouvernement du Canada à fixer des cibles nationales tous les cinq ans et à préparer un plan pour les atteindre. C’est une approche. Il y en a une autre : établir des budgets de carbone pour atteindre ces objectifs.

Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque approche et pourquoi celle des cibles nous semble-t-elle mieux nous convenir?

Une fois les cibles définies, je crois comprendre que chaque province aura la liberté de proposer les technologies qui, pour elle, sont plus concurrentielles, commodes et économiques pour atteindre les objectifs.

Le président : Madame la sénatrice, à qui s’adresse votre question?

La sénatrice Galvez : La première s’adresse à M. Moffet et la deuxième à M. Millar, de Finances Canada.

M. Moffet : Merci, madame la sénatrice. À notre avis, il n’y a pas de différence importante entre l’approche de la loi, qui prévoit des cibles régulièrement mises à jour avec des plans détaillés de réduction des émissions, plans qui prévoient des réductions s’étalant tout au long de la période visée, et un budget.

Un budget peut s’interpréter de différentes façons. Dans certains des pays qui ont adopté des lois semblables, on a utilisé le terme « budget » pour désigner les émissions totales qui seraient émises par le pays au cours d’une période donnée. Les émissions des première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième années sont additionnées, et on obtient ainsi le budget. Cela apporte une certaine clarté à la communauté internationale quant à la contribution totale du pays aux émissions et à la teneur en carbone de l’atmosphère au cours de cette période.

Comme je l’ai dit, nous ne voyons pas de grande différence entre cela et l’obligation d’élaborer un plan pluriannuel qui comprend des mesures et des résultats attendus de ces mesures sur une base annuelle, ce qui permettrait ensuite aux décideurs, aux Canadiens et à la communauté internationale de savoir ce que le Canada prévoit faire et émettre, et comment ses émissions seront réduites chaque année au fil du temps.

Le dernier point que je voudrais faire valoir, c’est que les cibles, avec le plan et les rapports, correspondent pour l’essentiel au régime qui est déjà en place en vertu de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ce que nous essayons de faire, c’est élaborer un ensemble précis d’obligations au Canada qui soit à l’image des obligations internationales existantes.

Le président : Monsieur Millar?

M. Moffet : Je serais heureux d’entendre le point de vue de mon collègue des Finances, mais je crois que la question fondamentale portait davantage sur la façon dont le plan pourrait tenir compte des différentes décisions des provinces et des particuliers. Je n’ai que quelques points à soulever, puis mes collègues, M. Ngan et M. Millar, voudront peut-être ajouter quelque chose.

Premièrement, il s’agit d’une loi fédérale. Elle ne peut pas imposer d’obligations aux provinces. Elle décrira les mesures fédérales précises qui seront prises et donnera également la possibilité d’intégrer aux plans toutes les mesures que les provinces auront définies. Elle ne les obligera pas à faire quoi que ce soit, mais le ministre pourra faire rapport de ce que font les provinces.

L’approche que le Canada a adoptée jusqu’à maintenant, comme vous le savez, est un assortiment d’instruments économiques, de règlements normatifs précis et de divers incitatifs fiscaux et programmes pour encourager l’action concrète. L’idée n’a jamais été de prescrire une façon de faire précise. Le gouvernement est d’avis que nous devons encourager l’innovation et être clairs sur ce qu’il faut éviter, mais moins clairs sur le choix des moyens à prendre.

Le président : Monsieur Millar, monsieur Ngan, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Ngan : Je n’ai rien à ajouter, merci.

Le président : Monsieur Millar?

M. Millar : Rien à ajouter, monsieur le président.

Le président : Madame la sénatrice Galvez, avez-vous d’autres questions?

La sénatrice Galvez : J’attendrai le deuxième tour.

La sénatrice McCallum : Je remercie les témoins d’être venus nous renseigner sur le projet de loi. L’article 8 du projet de loi C-12 exige que le ministre tienne compte des meilleures données scientifiques. Comment définissez-vous les meilleures données scientifiques? Comment les connaissances autochtones des Premières Nations, des Métis et des Inuits seront-elles prises en compte, d’autant plus qu’ils se sont beaucoup préoccupés du climat avant que n’importe quel autre groupe au Canada n’ait commencé à faire entendre sa voix? Ils ont beaucoup d’expérience en ce qui concerne les répercussions du climat dans de nombreuses régions du Canada.

Le président : Monsieur Moffet, je pense que la question s’adresse à vous.

M. Moffet : Merci, madame la sénatrice. Vous soulevez un point très important. Je signale que le comité de la Chambre a adopté un amendement visant à modifier l’article 8 afin d’exiger que le ministre tienne compte non seulement des meilleures données scientifiques, mais aussi des connaissances autochtones. Le projet de loi exige maintenant explicitement que ce savoir soit pris en compte.

Un dernier point : ni la notion de « meilleures données scientifiques » ni celle de « connaissances autochtones » ne sont définies dans la loi. On s’en remet donc à l’interprétation du ministre. Elle sera connue grâce à la cible, au plan et au régime permanent de reddition de comptes prévu par la loi.

La sénatrice McCallum : Je reviendrai au deuxième tour, merci.

La sénatrice Simons : J’ai quelques questions sur la composition et les responsabilités du groupe consultatif.

Je remarque, grâce à nos excellents documents d’information, que dans des pays comme la Nouvelle-Zélande et l’Allemagne, on définit avec beaucoup plus de précision la composition et le rôle de l’organisme consultatif en disant qui en fait partie et quelles en sont les compétences. Je sais aussi que le groupe consultatif doit produire un rapport annuel, mais ce rapport ne sera pas nécessairement rendu public. Y a-t-il moyen de définir un peu plus clairement la composition du groupe? Comment se fait-il que le rapport du groupe consultatif ne soit pas rendu public?

M. Ngan : Je vais répondre avec plaisir. Madame la sénatrice, vous avez soulevé un très bon point. Dans l’état actuel des choses, les premiers membres apporteront à l’organisme consultatif une expertise variée en sciences, en affaires, en relations de travail, en élaboration de politiques, en développement économique rural et en gouvernance autochtone. Cela dit, on reconnaît que le projet de loi devrait être plus précis au sujet de la composition et des connaissances et divers facteurs dont il faut tenir compte.

Par conséquent, le comité de la Chambre étudie un amendement qui aiderait à préciser davantage l’expertise et les connaissances dont il faut tenir compte, y compris la science des changements climatiques, comme leurs effets environnementaux, écologiques, sociaux, économiques et distributifs, les connaissances autochtones, les sciences physiques et sociales pertinentes comme l’analyse et la prévision économiques, les changements climatiques et la politique climatique aux niveaux national, infranational et international, y compris les effets probables et l’efficacité des ripostes possibles aux changements climatiques, l’offre et la demande d’énergie et les technologies pertinentes.

Si vous comparez le texte à des lois semblables dans le monde, comme celle du Royaume-Uni, vous pouvez voir des similitudes et une comparabilité très marquées entre les deux lois lorsqu’il s’agit de tenir compte des connaissances et de l’expertise qui devraient être prises en compte et synthétisées dans les conseils dispensés au gouvernement.

La sénatrice Simons : Vous vous attendez à ce que cet amendement soit présenté à la Chambre?

M. Ngan : Oui, il est actuellement discuté au cours de l’étude article par article.

La sénatrice Simons : Et la publication du rapport?

M. Ngan : Il est également vrai que l’amendement qui sera présenté à la Chambre apportera plus de précision au sujet de la publication du rapport.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question qui fait suite à celle de ma collègue la sénatrice Simons. J’aimerais que vous me précisiez si le ministre doit tenir compte de l’avis de l’organisme consultatif. Je ne vois pas cela dans le projet de loi. C’est une chose d’avoir un comité consultatif, mais est-ce qu’il y a une obligation d’en tenir compte?

Je me demande aussi si le gouvernement est ouvert à des amendements pour qu’il puisse y avoir un accord de partage de la charge entre les provinces et les territoires du Canada, soit une façon d’engager les provinces.

Je comprends ce que vous avez dit au début, que chaque province est libre d’avoir son propre plan, mais comment réussir, dans un État fédéral comme le nôtre, à faire en sorte que les provinces embarquent dans ce projet?

[Traduction]

M. Moffet : La question qui porte expressément sur le groupe consultatif d’experts est importante, mais je tiens à souligner que le projet de loi exige que, conformément à un amendement apporté par le comité de la Chambre, le ministre, lorsqu’il établit des cibles, doit tenir compte du point de vue du Groupe consultatif pour la carboneutralité. Je crois que c’est précisément ce que la sénatrice Miville-Dechêne demandait.

Comment nous assurerons-nous que les provinces participent? C’est un problème avec lequel le gouvernement fédéral est aux prises depuis de nombreuses années. La loi vise à respecter la compétence des provinces en mettant l’accent sur les mesures que le gouvernement fédéral peut prendre, tout en permettant au ministre de faire rapport des mesures prises par les provinces et les territoires.

Le projet n’impose toutefois aucune obligation aux provinces, pas même celle de collaborer avec le gouvernement fédéral. La prémisse sous-jacente est que le processus continu d’établissement des cibles, d’élaboration de plans et de production de rapports à leur sujet fera de la lutte contre les changements climatiques une préoccupation permanente pour tous les Canadiens. Il y aura ainsi des pressions, une influence, des attentes qui inciteront tous les gouvernements au Canada à participer à cette importante initiative.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’admire votre optimisme et j’espère qu’en effet, il y aura une collaboration. Je laisse la place aux autres, parce qu’il ne reste plus beaucoup de temps. Je vous remercie de votre réponse.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : Quelles consultations ont eu lieu pour l’élaboration du projet de loi? Une disposition prévoit la possibilité de participer à l’élaboration du plan d’action. A-t-on consulté les provinces et les organisations autochtones avant d’élaborer ce texte législatif?

M. Moffet : Nous n’avons pas entrepris de consultations formelles et structurées sur le projet de loi. Toutefois, le gouvernement a fait de l’élaboration d’un tel projet de loi un élément central de ses engagements pendant la campagne électorale. Il a aussi pris des engagements publiquement dans la lettre de mandat initiale du ministre, puis dans la mise à jour économique de l’automne et le discours du Trône de l’automne dernier.

Nous avons reçu des commentaires constants d’un large éventail de parties, de provinces, de territoires, de communautés autochtones, d’ONG environnementales, de l’industrie, et cetera.

Le sénateur Patterson : En outre, le préambule parle d’une approche fondée sur la reconnaissance des droits et fait référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comment recueillerez-vous les points de vue sur la reconnaissance des droits, en particulier auprès des peuples autochtones? Nous venons d’étudier au comité le projet de loi C-15 sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et on nous a dit que les organisations autochtones nationales ne parlent pas au nom des titulaires de droits et ne les représentent pas. Le message a été clair.

Reconnaissez-vous que, dans l’esprit du préambule, la consultation et la collaboration avec les peuples autochtones entraînent la nécessité de s’adresser à la base, comme les 11 détenteurs de droits issus de traités au Canada et même les chefs et les conseils de bande, plutôt que de traiter avec des organisations autochtones nationales qui s’occupent de la défense des droits, mais qui ne représentent pas les détenteurs des droits, selon bien des gens?

M. Ngan : Je voudrais répondre à cette question. Je conviens tout à fait avec vous que, pour tenir compte des réflexions des partenaires autochtones ainsi que de leurs connaissances, nous devons parler aux titulaires de droits et aux gardiens du savoir.

Depuis 2016, le premier ministre et les trois dirigeants autochtones nationaux ont établi trois tables bilatérales tenant compte des particularités, non seulement au niveau national, mais aussi avec des représentants de chaque région, et les membres font partie des trois tables bilatérales.

Il existe donc des mécanismes multilatéraux et bilatéraux qui permettent au gouvernement et à l’organisme consultatif de communiquer avec les titulaires de droits à un niveau plus local, au-delà des dirigeants autochtones nationaux, afin de recueillir le point de vue des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

Cela dit, vous avez tout à fait raison. Les organisations autochtones nationales sont également les premières à reconnaître qu’elles ne parlent pas au nom des titulaires de droits et des gardiens du savoir. Mais grâce à elles, nous avons une meilleure idée des endroits où nous pouvons communiquer avec nos partenaires autochtones et recueillir auprès d’eux des points de vue et des connaissances d’une très grande richesse.

J’espère que cela répond à vos questions.

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins de leurs exposés et de leurs réponses généreuses aux questions. J’avais trois questions à poser, mais la sénatrice Simons a posé l’une d’elles, qui portait sur le groupe consultatif. Je vais donc passer à autre chose et attendre de voir ce qui se passera à l’autre endroit.

Il me semble juste de dire que l’initiative de carboneutralité, que j’appuie entièrement, offre des possibilités, mais ne va pas sans difficulté. En fait, certaines parties du préambule la décrivent comme un problème à résoudre, ce qui donne à penser que certains des problèmes et des solutions concerneront certains et peut-être pas d’autres.

Le projet de loi ne semble rien dire des moyens qui pourraient être nécessaires ou convenir pour assurer un traitement équitable des Canadiens à cet égard, et je voudrais savoir dans quelle mesure l’approche globale tient compte de l’équité dans l’application de l’ensemble de l’initiative.

Ma deuxième question fait suite à celle de la sénatrice Miville-Dechêne au sujet des relations fédérales-provinciales. L’un des paragraphes du préambule dit que les changements climatiques constituent un problème mondial qui requiert une action immédiate de l’ensemble des gouvernements du Canada. Donc, bien que le projet de loi ne puisse pas dicter leur conduite aux provinces ou aux territoires, il est assez clair que l’énoncé est d’application générale. Ce qui me semble légitime.

Il est également vrai qu’une grande partie de l’économie canadienne relève des provinces. Quatre-vingt-quatorze pour cent des employés au Canada sont assujettis à la réglementation et à la surveillance provinciales, et non fédérales. En l’absence de mécanisme permettant au gouvernement du Canada de s’engager véritablement à collaborer avec les provinces pour que tous les gouvernements au Canada aillent dans la même direction au lieu de travailler à contre-courant les uns par rapport aux autres, nous nous retrouverons dans une situation très dangereuse et nous risquons même de ne pouvoir atteindre ces cibles.

Que pensez-vous de ces deux points de vue? Peut-être M. Moffet d’abord.

M. Moffet : Monsieur le sénateur, je serai bref. En tant que fonctionnaires qui travaillent dans l’administration fédérale aux questions environnementales, nous reconnaissons tous avec vous l’importance de solides relations fédérales-provinciales, l’importance d’une mobilisation de tous les ordres de gouvernement au Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière à minimiser les effets économiques négatifs à court et à long terme et à stimuler les retombées économiques favorables.

La position du gouvernement en place en ce qui concerne ses relations avec les provinces et territoires relève avant tout d’une décision politique, et nous ne pouvons rien dire à ce sujet. À mon avis, en tout cas, ce n’est rien qui puisse être dicté ou encadré par une loi.

M. Ngan : Pour compléter la réponse de M. Moffet, je dirai que, comme vous le savez, le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques adopté en 2016 est le fruit d’une collaboration fédérale-provinciale-territoriale. Depuis, il y a eu de nombreuses discussions suivies, bilatérales ou multilatérales, en collaboration avec nos partenaires provinciaux et territoriaux.

Sur le plan multilatéral, il existe actuellement une instance de coordination appelée le Conseil canadien des ministres de l’environnement, qui a, au niveau des ministres, des sous-ministres et des sous-ministres adjoints, ainsi qu’à mon propre niveau, des groupes intergouvernementaux pour discuter de l’environnement, mais aussi des changements climatiques. Il existe donc des mécanismes capables d’aider le Canada à continuer de collaborer avec les provinces et les territoires pour lutter contre les changements climatiques, mais aussi à faire état des progrès réalisés collectivement.

Le sénateur Cotter : Question complémentaire, monsieur Ngan : dans le mandat et le programme du CCME, la question précise de la carboneutralité est-elle abordée dans ce dialogue constant?

M. Ngan : Absolument. En fait, au cours de la dernière discussion, cette année, on a demandé au groupe de travail sur les changements climatiques d’établir un plan de travail sur la carboneutralité, afin qu’il y ait une discussion et une collaboration communes entre les provinces, les territoires et le gouvernement du Canada pour examiner la question de la carboneutralité. En fait, c’est tout nouveau.

Le sénateur Cotter : J’ai une autre question connexe que le sénateur Black pourrait poser si je ne le fais pas. S’agit-il aussi d’une question qui relève des tables qui réunissent les ministres responsables de l’économie et de l’environnement?

M. Ngan : Il y a actuellement neuf tables ministérielles, dont celle du climat, et il y en a d’autres : énergie, infrastructure, transports, exploitation forestière, agriculture, innovation, gestion des urgences et finances. L’apport de bon nombre de ces secteurs est essentiel si nous voulons atteindre la carboneutralité. C’est donc certainement une orientation que tous ces mécanismes intergouvernementaux ont en tête lorsqu’il s’agit d’atteindre des objectifs plus ambitieux à long terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le président : J’aurais une question à poser à M. Moffet. Je fais remarquer que, au cours des 30 dernières années, le gouvernement a pris des engagements et a déclaré publiquement ses objectifs en matière de changements climatiques et en a signalé l’importance. Et ce discours est très sérieux. Les changements climatiques remettent en cause nos moyens de subsistance et notre qualité de vie. Malgré tout, le gouvernement n’a jamais atteint ses objectifs. Des progrès importants ont été réalisés, mais pas tellement au Canada, si on compare ses résultats à ceux du Royaume-Uni, où les émissions sont en baisse de 35 %, alors que nous sommes encore à peu près au même point qu’il y a quelques décennies.

Sans doute, nous ne finirons par réussir que si la sanction en cas d’échec est assez lourde. Il faut que ce soit plus que l’obligation de produire un rapport dans lequel nous avouons notre échec et nous engageons à essayer de nouveau. Pourquoi ferions-nous confiance à ce plan alors que beaucoup d’autres ont échoué et que notre structure n’est pas aussi exigeante que celle du Royaume-Uni? Il y a une occasion importante de prévoir un retrait dans notre structure. Pourquoi aurions-nous confiance dans ce plan, monsieur Moffet?

M. Moffet : C’est une excellente question, monsieur le sénateur. Un certain nombre d’éléments du projet de loi indiquent la voie à suivre. Essentiellement, le projet de loi établit un processus systématique, dans lequel nous ne nous contentons pas d’établir des cibles, mais dans lequel les gouvernements sont aussi obligés de fournir un plan détaillé, puis de faire rapport sur les progrès réalisés, et de dire si le plan a atteint la cible ou non.

En soi, une loi ne peut garantir que le plan sera réalisé. Il est impossible qu’une loi fédérale garantisse à 100 % que tous les Canadiens réduiront leurs émissions et qu’un objectif particulier sera atteint à l’échelle nationale. Le projet de loi instaure un processus permanent et entièrement transparent, de sorte que nous évitons d’établir une cible sans dire clairement comment nous allons l’atteindre. La date prévue pour la cible passe et nous ne savons pas s’il a été répondu aux attentes ou non.

C’est pourquoi le projet de loi porte le titre de « loi concernant la responsabilité ». Il part du principe que la responsabilité publique est le meilleur moyen de garantir un engagement, un engagement continuellement renouvelé, à atteindre cet objectif important.

Un dernier point, monsieur le sénateur : en réalité, aucune loi nationale ne peut avoir pour effet d’obliger un pays à atteindre une cible. Il n’y a pas vraiment de loi nationale qui a pour effet juridique d’obliger un pays à atteindre une cible. Aucune loi ne peut le faire.

Le président : Merci.

Le sénateur D. Black : Je remercie les témoins de leur franchise.

Je voudrais revenir sur une question abordée pour commencer par la sénatrice Miville-Dechêne, reprise par le sénateur Cotter et ensuite, très résolument, par le président, le sénateur Massicotte. Nous voulons atteindre les objectifs, mais aujourd’hui, nous soulevons de réelles préoccupations au sujet des moyens d’y arriver. Examinons donc de plus près la question de la coordination avec les provinces.

Il ne s’agit pas seulement de coopération et de coordination pour le plaisir de la chose. Sans la collaboration des provinces, il n’y aura absolument aucune certitude sur le marché et, par conséquent, aucun investissement, de sorte qu’il sera impossible d’atteindre les objectifs. C’est pourquoi mes collègues vous exhortent à consulter.

Une dernière réflexion : j’ai remarqué avec intérêt, monsieur Moffet, que vous avez dit qu’il n’y avait pas eu de consultations préalables sur le projet de loi. Apparemment, il y a eu des discussions et des communications, mais on a dit en réponse à la question du sénateur Patterson, qu’il n’y avait pas eu de consultations. Mes préoccupations exprimées au cours de la séance sont exacerbées par l’information que vous venez de donner, car je ne vois pas du tout comment nous atteindrons les objectifs si les propositions que nous avançons ne sont pas écoutées. Si vous voulez répondre, fort bien. Sinon, ce sera aussi très bien.

M. Moffet : Tous les sénateurs insistent sur le fait qu’à l’avenir, il sera essentiel que le gouvernement fédéral consulte les provinces et cherche à garantir une réduction importante des émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où il y a une volonté politique de mobiliser l’appui des provinces.

Le projet de loi exige des consultations sur l’établissement des cibles et l’élaboration des plans. C’est grâce à ce processus continu d’établissement des cibles, de préparation des plans et de consultation pour l’élaboration de ces deux éléments que le gouvernement fédéral aura l’occasion, voire le mandat, de collaborer avec les gouvernements des provinces et des territoires.

La sénatrice Galvez : Je vais poser une question identique, car, à écouter ce dont on discute, il me semble important de savoir et de comprendre comment les progrès seront mesurés.

Certains amendements vont dans ce sens. Comment les progrès seront-ils mesurés?

M. Ngan : Outre les règles à prescrire, la responsabilité et le processus contraignant du gouvernement qui doit élaborer des plans et prendre des mesures pour parvenir à la carboneutralité d’ici 2050, le régime de reddition de comptes prévoit des rapports d’étape et d’évaluation. Il y a donc une pratique cyclique et de la rigueur concernant les rapports qui doivent dire dans quelle mesure le gouvernement, avec la collaboration d’autres parties, comme les provinces, les territoires, les partenaires autochtones et les intervenants de l’industrie, a atteint la cible.

Grâce à des amendements apportés au projet de loi, de deux à trois rapports d’étape seront publiés avant 2030. Le rapport d’étape fera le point sur les progrès accomplis vers la cible pertinente de réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la mise en œuvre des principales mesures fédérales de réduction des émissions, sur toute stratégie sectorielle pertinente et sur les réductions et stratégies de l’administration visant à écologiser ses activités, avec ajout de toute autre information appropriée. Les rapports d’étape publiés avant 2030 permettront aux Canadiens et aux parlementaires de savoir si nous sommes sur la bonne voie et si un rajustement s’impose.

De plus, avec l’information du Rapport d’inventaire national disponible pour l’année cible, un rapport d’évaluation sera publié de façon cyclique afin de présenter le résumé de l’inventaire officiel des émissions de gaz à effet de serre pour cette année cible particulière et un énoncé clair indiquant si le Canada a atteint la cible. Le rapport d’évaluation dira également comment les principales mesures fédérales de réduction des émissions et toute autre stratégie sectorielle pertinente de réduction des émissions ont contribué à l’atteinte de cet objectif particulier, ainsi que des renseignements sur les rajustements qui pourraient être apportés aux plans subséquents afin d’avoir une meilleure chance d’atteindre ou de dépasser la cible nationale subséquente.

Ces régimes s’ajoutent à l’établissement de la cible et à la mise en place d’un plan de réduction des émissions pour obliger le gouvernement à faire preuve de transparence en disant où l’ensemble du Canada en est rendu dans son évolution vers la carboneutralité en 2050.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à qui veut bien y répondre. Je comprends que, effectivement, les cibles ne sont pas incluses dans le projet de loi. Doit-on comprendre que le gouvernement voulait ainsi éviter d’être poursuivi? Si c’est le cas, pourquoi le gouvernement a-t-il déclaré, selon les notes que j’ai ici, que le projet de loi no C-12 permettra de créer un processus juridiquement contraignant? En quoi est-ce juridiquement contraignant si les cibles ne font pas partie de la loi et n’y sont pas intégrées au fur et à mesure? Ce projet de loi pourra-t-il être soumis à un contrôle judiciaire, éventuellement, si les cibles du Canada ne sont pas atteintes?

M. Moffet : Ce sont de bonnes questions. Merci, sénatrice.

[Traduction]

Par suite d’un amendement adopté par le comité de la Chambre, la cible initiale de 2030 sera la contribution déterminée au niveau national pour le Canada. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, le premier ministre a précisé que la cible serait une réduction de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005. Nous allons codifier cette cible dans notre contribution déterminée au niveau national au cours des prochains mois, et nous la soumettrons à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le projet de loi fera donc référence à cette contribution déterminée, et cet objectif fera ensuite partie de la loi.

La loi elle-même crée-t-elle des obligations juridiquement contraignantes? Oui. Elle exige principalement du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, outre les obligations qui incombent à d’autres ministres, dont le ministre des Finances, qu’il fasse diverses choses, y compris établir des cibles, élaborer des plans, publier des rapports d’étape et des rapports d’évaluation qui comprennent des changements de cap. Si, à un moment donné, un ministre ne se conforme pas à l’une de ces obligations, oui, il y aura recours possible à un contrôle judiciaire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais il s’agit du processus, d’un certain processus qu’il faut suivre. Ma question plus précise, je suppose — et je connais peut-être la réponse — est la suivante : si nous n’atteignons pas nos cibles, si le Canada ne les atteint pas, peut-on intenter des poursuites contre le gouvernement?

M. Moffet : Je ne pense pas que le projet de loi le permettrait.

La sénatrice Miville-Dechêne : Très bien.

La sénatrice McCallum : Ma question concerne également les provinces. En 2019, les émissions combinées de l’Alberta et de l’Ontario ont fait de ces provinces les plus grands émetteurs au Canada. Elles représentaient 60 % des émissions canadiennes. Le projet de loi touchera-t-il certaines provinces plus que d’autres? Comment régleriez-vous ce problème?

M. Moffet : Madame la sénatrice, le projet de loi touchera effectivement certaines provinces plus que d’autres. Certains secteurs industriels seront plus touchés que d’autres. Certains Canadiens seront plus touchés que d’autres. Toutefois, l’impératif de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’applique à l’ensemble de l’économie et, pour atteindre la carboneutralité, toutes les activités devront devenir carboneutres. La façon dont les processus prévus dans le projet de loi tiendront compte de ces diverses répercussions et occasions économiques, ce sont encore une fois les dispositifs du projet de loi exigeant la consultation des provinces, des territoires, des peuples autochtones et des Canadiens pour établir les cibles et les plans, et produire des rapports sur les résultats.

La sénatrice Simons : Je veux revenir sur les questions soulevées par mes collègues, les sénateurs Black, Miville-Dechêne et Massicotte. On nous dit qu’il y aura trois rapports d’étape d’ici 2030. Il y aura de très nombreux autres rapports de natures diverses, mais où est le risque moral auquel on s’exposerait en ratant les cibles? Vous avez dit à la sénatrice Miville-Dechêne qu’il n’y a pas de droit aux actions civiles pour demander des comptes au gouvernement. Le gouvernement est responsable de la production des rapports, mais y a-t-il un risque moral, au-delà de l’humiliation publique, si les résultats ne se concrétisent pas? Pourtant, le projet de loi porte sur la responsabilité. Qui est tenu responsable?

M. Moffet : La loi impose des obligations précises au ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Le ministre doit s’acquitter de ces obligations en présentant des rapports au Parlement et au public. Si le ministre ne le fait pas, il fera l’objet d’un contrôle judiciaire. Si le gouvernement dans son ensemble ne s’attaque pas aux changements climatiques parce qu’il établit une cible trop peu exigeante ou qu’il ne met en œuvre aucun plan, les Canadiens auront des recours contre ce gouvernement.

La sénatrice Simons : Ce que vous dites, c’est que le recours, ce sont les élections, en somme?

M. Moffet : Oui.

Le président : Un bref commentaire sur le dernier point soulevé par la sénatrice Simons. Le même recours s’applique depuis 30 ans et il n’a rien donné. Cela ne changera pas.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question concerne les émissions non anthropiques, dont on fait complètement abstraction dans le bilan. Je comprends qu’on n’est pas tenu d’en parler en vertu des traités, mais si on veut un portrait clair, ne devrait-on pas tout de même y consacrer un chapitre, dans les rapports? On pourrait traiter des émissions d’origine non anthropique provenant des feux de forêt, par exemple, pour en constater l’impact.

Je comprends qu’on n’a pas directement le contrôle là-dessus, mais si on sait qu’elles existent, peut-être pourrions-nous prendre des mesures, par exemple en ce qui a trait aux feux de forêt? Si on réalise que des émissions importantes proviennent d’un incendie naturel, cela pourrait entraîner des investissements dans la lutte contre les feux de forêt, par exemple. Est-ce que cette possibilité a été considérée? Y a-t-on pensé? Si elle a été exclue, pourquoi?

[Traduction]

M. Moffet : La réponse rapide est oui. Toute mesure prise par le gouvernement pour faire en sorte que l’environnement naturel ait des émissions moindres ou séquestre plus de carbone peut figurer dans un plan et faire l’objet d’un rapport. En fait, ce type de mesure est déjà déclaré aux termes de la CCNUCC.

Je signale aux sénateurs qu’un rapport intéressant a été publié aujourd’hui concernant le rôle que pourraient jouer les solutions axées sur la nature pour réduire les émissions et accroître la séquestration. Il s’agit d’un élément important, de plus en plus important, de l’orientation du gouvernement en matière de recherche et d’élaboration de politiques visant à nous rapprocher de la carboneutralité.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous ne répondez pas directement à ma question.

Ce que je voulais savoir, c’est la raison pour laquelle on n’ajoute pas d’information sur le bilan ou les émissions. On est capable de les mesurer, même si on n’est pas tenu de le faire en vertu des traités, alors pourquoi n’ajoute-t-on pas au moins une section d’information, comme c’est un projet de loi sur la transparence, traitant de cette partie des émissions qui ne sont pas anthropiques?

[Traduction]

M. Moffet : Monsieur le sénateur, il y a deux raisons, selon moi. Premièrement, le projet de loi porte sur ce que peuvent faire le gouvernement, les entreprises et les particuliers. Ce que nous pouvons faire vise donc les émissions anthropiques. Dès que nous décidons d’influencer quelque chose, cette activité ou les émissions qui en résultent sont englobées dans la notion d’ « émissions anthropiques ». Nous ne négligeons pas les processus naturels. En établissant une cible ambitieuse, nous demandons implicitement aux gouvernements d’envisager le plus large éventail possible d’activités.

Deuxièmement, en ce qui concerne les émissions non anthropiques — des émissions qui n’ont rien à voir avec l’activité humaine —, il y a une capacité technique limitée à l’échelle mondiale de calculer avec exactitude ces émissions de façon périodique.

Le président : Monsieur le sénateur Patterson, j’ai remarqué que vous aviez levé la main plus tôt, mais vous l’avez ensuite baissée. A-t-on répondu à votre question?

Le sénateur Patterson : Puis-je poser une brève question?

Le président : Allez-y.

Le sénateur Patterson : Certaines lois sur la responsabilité en matière de climat dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, exigent que les gouvernements préparent des plans et produisent des rapports sur l’adaptation aux changements climatiques. Le projet de loi C-12 ne contient que des dispositions sur l’atténuation de ces changements. Faudrait-il l’amender pour y inclure des dispositions sur l’adaptation aux changements? Cela a-t-il été envisagé et, dans l’affirmative, comment pourrait-on s’y prendre? Merci.

M. Moffet : Sauf votre respect, j’estime qu’il vaudrait mieux adresser cette question au ministre. Le gouvernement a décidé d’axer le projet de loi sur les mesures d’atténuation. Sauf erreur, il a annoncé l’élaboration d’une stratégie nationale d’adaptation. Nous avons apporté d’importants changements organisationnels au sein du ministère afin d’appuyer l’élaboration de cette stratégie et de produire de l’information pour les Canadiens. Le gouvernement prend donc l’adaptation au sérieux. Mais fondamentalement, comme fonctionnaires, nous ne pouvons pas prendre position sur le choix politique d’aborder ou non cet aspect dans la loi.

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous nous donner les détails des plans d’élaboration d’une stratégie nationale d’adaptation, s’il vous plaît?

M. Moffet : Je vais céder la parole à mon collègue, M. Ngan, mais je pense que la réponse rapide, c’est que nous pouvons certainement faire parvenir ultérieurement de l’information au comité. Il y a beaucoup de détails à ce sujet.

M. Ngan : Mes propos porteront sur deux choses. Premièrement, si nous comparons notre régime à celui du Royaume-Uni, vous pouvez constater que le mandat de ce dernier est beaucoup plus vaste que la simple réalisation de la carboneutralité. Il y a la tarification de la pollution par le carbone, les résultats des mesures d’atténuation négociées à l’échelle internationale, ainsi que les mesures d’adaptation. Il s’agit donc de deux régimes différents. Le nôtre, dont il est ici question, consiste à mettre en place un processus juridiquement contraignant et à tenir le gouvernement responsable de l’élaboration de plans, de l’établissement de cibles pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Voilà ma première observation.

Deuxièmement, mon collègue d’Environnement et Changement climatique Canada a récemment organisé un forum auquel ont participé les provinces, les territoires et les intervenants. Il s’agit de la toute première approche de l’élaboration d’une stratégie nationale d’adaptation. La démarche s’étalera sur 9 à 12 mois et permettra de mobiliser tous les partenaires nécessaires à l’élaboration de cette stratégie. Cet engagement est inclus dans le plan climatique renforcé et se reflète également dans beaucoup d’autres annonces gouvernementales faites depuis la publication du plan renforcé, en décembre 2020.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le président : Chers collègues, comme il ne semble pas y avoir d’autres questions, je vais maintenant remercier les trois experts de s’être joints à nous ce matin et d’avoir répondu à toutes nos questions de façon très méthodique et exhaustive. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je vais maintenant suspendre la séance pendant quelques minutes. Comme vous le savez, nous voudrions tenir une séance à huis clos avec les membres du comité. Nos remerciements renouvelés aux experts. Faisons une pause de quelques secondes.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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