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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 8 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance virtuelle du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole. J’aimerais rappeler aux sénateurs de bien vouloir utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire, mais, pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et vos préambules. Ceci s’applique tant aux sénateurs qu’aux témoins.

[Traduction]

À cet égard, nous appliquerons un maximum de six minutes pour la période combinée des questions et des réponses. Pour vous montrer que vous avez atteint la marque de six minutes, notre greffière lèvera la main. Si nous dépassons le temps de plus de 10 secondes, elle lèvera les deux mains. Si nous dépassons cette marque, je sauterai par-dessus la clôture et j’irai éteindre le microphone.

[Français]

Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui a trait à l’interprétation, veuillez me le signaler ou le signaler à la greffière, pour que nous puissions régler le problème rapidement.

J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; Douglas Black, de l’Alberta; Claude Carignan, du Québec; Brent Cotter, de la Saskatchewan; Rosa Galvez, du Québec; Mary Jane McCallum, du Manitoba; Dennis Glen Patterson, du Nunavut; Paula Simons, de l’Alberta; Josée Verner, du Québec; David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Traduction]

Bienvenue à vous tous et aux spectateurs de partout au pays qui regardent peut-être.

[Français]

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.

Ce matin, pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Leah George-Wilson, chef de la nation Tsleil-Waututh, ainsi que Bridget Doyle, responsable du groupe environnement et changement climatique, Neegan Burnside; Lisa Tssessaze, directrice, Gestion des terres et des ressources dénées, de la Première Nation Athabasca Chipewyan.

[Traduction]

Bienvenue et merci d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais vous rappeler que vous avez chacun six minutes pour présenter votre déclaration liminaire, et par la suite, nous prendrons du temps pour répondre à vos questions. Donc, vous avez la parole.

Leah George-Wilson, chef, nation Tsleil-Waututh : [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Je vous salue, chers invités d’honneur et amis. Cela me réjouit de vous voir tous. Je m’appelle Leah George-Wilson et je suis chef de la nation Tsleil-Waututh à North Vancouver, en Colombie-Britannique.

Tout d’abord, je voudrais reconnaître la tristesse que ressentent nos collectivités ainsi que nos survivants des pensionnats indiens, nos amis et nos familles après que Tk’emlúps te Secwépemc a documenté les restes de 215 enfants.

J’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, et tout particulièrement, la sénatrice Rosa Galvez, de m’avoir invitée à m’adresser au Sénat aujourd’hui. Le Canada doit adopter une loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité. La nation Tsleil-Waututh est favorable à ce projet de loi. Cependant, nous voulons fournir nos commentaires et nos points de vue pour renforcer le projet de loi. Nous invitons le Sénat à consulter notre mémoire écrit pour de plus amples renseignements.

Les nations autochtones ont toujours été des chefs de file pour ce qui est de démontrer des actions climatiques par l’intermédiaire de leurs systèmes de savoir, de leurs lois, de leur gouvernance et d’approches adaptées au milieu. La nation Tsleil-Waututh travaille fort pour créer un espace pour nous-mêmes dans ce domaine et dans d’autres processus législatifs, réglementaires et processus de planification en matière climatique. Les nations autochtones doivent s’asseoir à la table pour s’assurer que les approches fédérales concernant l’action climatique ne perpétuent pas l’inégalité structurelle pour nos collectivités.

Nous reconnaissons les principaux amendements déposés par la Chambre des communes — et en sommes reconnaissants — en ce qui concerne l’inclusion des droits des Autochtones, du savoir autochtone et de la DNUDPA. Cependant, le préambule devrait être ainsi libellé :

Attendu que le gouvernement du Canada est déterminé à faire progresser la reconnaissance, le respect et l’affirmation des droits inhérents et la compétence des droits des Premières Nations protégés et reflétés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle et par la DNUDPA. Le Canada est déterminé à renforcer sa relation de nation à nation et sa collaboration en ce qui touche les mesures d’atténuation des changements climatiques, y compris, sans s’y limiter, en tenant compte du savoir autochtone pour l’application de la présente loi.

En outre, la nation Tsleil-Waututh aimerait que la DNUDPA soit ajoutée dans l’objet du projet de loi. Cela permettrait de reconnaître — en plus de ses engagements climatiques internationaux — l’obligation du Canada de maintenir son engagement international pour respecter et mettre en œuvre la DNUDPA.

Le Canada n’a jamais atteint un seul objectif climatique. À moins que le projet de loi soit renforcé, nous n’avons aucune confiance que le Canada atteindra des cibles futures plus ambitieuses. Nous aimerions que les mesures de responsabilisation soient renforcées. Le projet de loi C-12 doit inclure un droit au contrôle judiciaire et à des conséquences juridiques si les cibles ou les obligations juridiques ne sont pas respectées. Nous aimerions voir des budgets carbone juridiquement contraignants en plus des cibles intermédiaires proposées. Les plans de réduction des émissions devraient reposer sur les budgets carbone et les cibles. Les législateurs canadiens devraient s’entendre sur une solution pour combler l’écart entre la planification et la mise en œuvre pour 2025. Nous recommandons aussi de légiférer sur le plafond concernant l’utilisation des crédits de carbone et des compensations internationales. La réduction des émissions canadiennes à la source doit être le principal objet d’intérêt pour l’atteinte des cibles.

La nation Tsleil-Waututh salue l’inclusion de rapports sur les risques climatiques pour les ministères fédéraux et les sociétés d’État. Nous aimerions que le gouvernement du Canada élargisse son exigence concernant les rapports sur les risques climatiques afin de l’appliquer à tous les projets qui déclenchent un examen par l’Agence d’évaluation d’impact ou la Régie de l’énergie du Canada, ainsi qu’à toutes les subventions fédérales pour le secteur pétrolier et gazier et d’autres secteurs à fortes émissions : les aéroports du Canada, les ports et les grandes sociétés, y compris les sociétés transnationales qui exercent des activités au Canada.

Encore une fois, merci de m’avoir fourni l’occasion au nom de la nation Tsleil-Waututh d’exprimer nos points de vue et de présenter nos recommandations concernant le projet de loi C-12. Je tiens à rappeler que la nation Tsleil-Waututh est favorable à cette loi sur la responsabilisation. Merci à vous tous.

Lisa Tssessaze, directrice, Gestion des terres et des ressources dénées, Première Nation Athabasca Chipewyan : Oui. Bonjour à tous... [Difficultés techniques]

Le président : Nous pouvons maintenant vous entendre.

Mme Tssessaze : Je vais continuer.

Je présente aujourd’hui ce mémoire au nom de la Première Nation Athabasca Chipewyan, ou PNAC, de la Première Nation Mikisew Cree, ou PNMC, et de la nation Beaver Lake Cree. La PNCA et la PNMC sont signataires du traité no 8, et la nation Beaver Lake Cree est signataire du traité no 6.

Nos nations appuient les actions climatiques et une action robuste à l’égard des changements climatiques à tous les échelons du gouvernement, et nous encourageons l’adoption rapide du projet de loi C-12. Les collectivités autochtones et nordiques sont touchées de façon disproportionnée par les changements climatiques. Cela veut dire que nos peuples sont doublement affectés. Nous ressentons déjà les répercussions des changements climatiques. Nous ressentons l’assèchement du delta et des bassins hydrographiques, la diminution, chaque année plus grande, du temps nécessaire pour accéder à notre collectivité nordique en passant par le chemin d’hiver, et la menace qui pèse sur des espèces clés dont nous dépendons, comme le caribou des bois et le petit renne arctique.

Nous voulons nous assurer que le projet de loi C-12 aide le Canada à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 d’une façon qui empêche nos droits issus de traités d’être davantage enfreints par l’industrie des sables bitumineux. Non seulement cette industrie est la plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre au Canada, mais au cours des 40 dernières années, elle a entraîné les conséquences suivantes sur nos terres : la destruction de paysages entiers; des pénuries d’eau et de la contamination; la diminution des populations fauniques dont nous dépendons; la restriction de l’accès à de grandes parties de notre territoire; et l’augmentation des maladies chez les membres de nos collectivités.

Pour nous assurer que l’action climatique est efficace et qu’elle respecte notre traité, nous recommandons l’inclusion d’un seuil minimum de réductions des émissions dans le projet de loi C-12 afin de nous permettre d’atteindre des cibles en matière de carboneutralité. Même si notre priorité est l’adoption du projet de loi, nous recommandons que le projet de loi soit amélioré, en incluant la disposition suivante à l’article 6 : l’objectif en matière de carboneutralité doit être atteint par la réduction des émissions nationales d’au moins 90 % sous les niveaux de 2005.

Ce type de disposition est déjà mis en œuvre dans la législation par des chefs de file en matière climatique comme la Suède. Nous formulons cette recommandation en raison de la possibilité que le retrait du carbone mine l’action climatique efficace et permette à l’industrie des sables bitumineux de continuer d’exercer des activités dans notre territoire pendant encore longtemps...

La greffière : Je suis désolée, je vais devoir vous interrompre. Sénateurs et sénatrices, nous avons des problèmes avec notre interprétation en français dans la salle, donc nous devrons suspendre nos travaux pendant quelques minutes.

(La séance est suspendue.)

(Le séance reprend.)

Le président : Madame Tssessaze, la parole est à vous.

Mme Tssessaze : Nous formulons cette recommandation en raison de la possibilité que le retrait du carbone mine l’action climatique efficace et permette à l’industrie des sables bitumineux de continuer d’exercer des activités dans notre territoire pendant encore longtemps.

Le retrait du carbone est un outil très attrayant pour lutter contre les changements climatiques, parce qu’il crée la perception selon laquelle nous pouvons continuer d’extraire et de brûler des combustibles fossiles et simplement compenser ces émissions. Les entreprises qui œuvrent dans les sables bitumineux s’attribuent déjà un rôle important pour le retrait du carbone, car elles ont promis d’atteindre la carboneutralité, mais elles prévoient aussi de continuer la production de combustibles fossiles bien après 2050.

Le retrait du carbone n’est pas une approche efficace, fiable ou équitable pour ce qui est de lutter contre les changements climatiques. Si le projet de loi C-12 ne privilégie pas les réductions des émissions pour atteindre la carboneutralité et n’impose pas des limites quant au rôle du retrait du carbone, le retrait du carbone remplacera les réductions des émissions dans nos plans climatiques.

Cela permettra à l’industrie des sables bitumineux de continuer de fonctionner. C’est un problème pour deux raisons. D’abord, puisque le retrait du carbone est une opération risquée qui ne garantit pas l’atténuation des changements climatiques, la poursuite de l’exploitation des sables bitumineux signifie la poursuite des émissions. Le Canada n’arrivera pas à atteindre ses cibles en matière d’émissions, ce qui aura pour effet que les collectivités autochtones comme la PMAC, la Première Nation Mikisew Cree et la nation Beaver Lake Cree continueront d’assumer le fardeau des changements climatiques.

Ensuite, l’exploitation continue des sables bitumineux s’assortit de répercussions environnementales continues qui ont déjà grandement nui à nos terres, à nos peuples et à notre capacité d’exercer nos droits.

En résumé, nous sommes favorables à l’adoption du projet de loi. Nous vous encourageons à privilégier la seule approche efficace que nous possédons pour lutter contre les changements climatiques, soit les réductions des émissions. Cela fera en sorte que le retrait du carbone jouera un rôle supplémentaire pour limiter les émissions qui ne peuvent être réduites. Nous pouvons aussi nous servir du retrait du carbone pour dépasser nos objectifs. Il importe de souligner que nous ne préconisons pas la fermeture de l’industrie des sables bitumineux demain, mais nous appuyons une transition juste entre aujourd’hui et 2050, qui fait en sorte que les travailleurs et les collectivités qui dépendent de l’industrie aient accès à de bons emplois dans des industries plus durables. Cependant, on ne peut faire abstraction de la réalité et de l’urgence des changements climatiques, pas plus que des répercussions continues des sables bitumineux sur nos territoires. Mahsi’cho.

Le président : Merci beaucoup. Madame Doyle, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Bridget Doyle, responsable du groupe environnement et changement climatique, Neegan Burnside, nation Tsleil-Waututh : Pas en ce moment, non.

Le président : Si nous le pouvons, passons à la période de questions.

La sénatrice Galvez : J’ai deux petites questions, la première pour nos témoins, et je tiens à dire que je reconnais leur leadership, leur responsabilité et leur position en ce qui concerne la lutte contre les changements climatiques. Elles ont décrit la façon dont les changements climatiques touchent injustement les populations autochtones sur leurs terres. Mais j’aimerais leur demander si elles veulent en dire davantage sur ces répercussions et expliquer pourquoi c’est si important de déclarer une urgence climatique relativement aux générations prochaines et futures.

Mme George-Wilson : Merci, madame la sénatrice. Pour ce qui est de [Difficultés techniques] venir ici pour vous fournir nos recommandations, j’aimerais juste dire que nos populations autochtones ont toutes une responsabilité envers nos terres et notre eau. C’est très important pour nous de protéger ce qui est à notre portée, parce que ce n’est pas seulement pour nous. C’est pour les générations qui suivront. Nous ne pouvons laisser tout cela reposer sur les épaules de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous devons agir maintenant.

La sénatrice Galvez : Madame Tssessaze, vous semblez en savoir long sur le retrait du carbone, et cette situation semble vous inquiéter. Pourriez-vous expliquer pourquoi vous êtes préoccupée par les techniques de retrait du carbone? Je sais qu’elles ne sont pas à la hauteur et qu’il faudra encore de nombreuses années de développement, mais j’aimerais en entendre davantage à ce sujet.

Mme Tssessaze : Les solutions naturelles comme la plantation d’arbres, l’augmentation du carbone dans les sols agricoles et les milieux humides — c’est important que nous laissions nos tourbières et nos milieux humides intacts afin qu’ils puissent conserver ce carbone. Les technologies utilisées actuellement n’ont pas fait leurs preuves. Il faudra un certain temps avant que les technologies d’extraction du carbone soient à la hauteur et commercialisées. Fait encore plus important, les technologies liées au pétrole qui sont proposées dans la région ont aussi une incidence sur notre mode de vie. L’exploitation de ces sables bitumineux d’une manière sécuritaire comporte beaucoup de complications et est coûteuse.

Le sénateur Patterson : Je tiens à reconnaître ce qui a été dit sur la triste nouvelle récente de Kamloops, qui a profondément touché mes électeurs au Nunavut.

Madame Tssessaze, vous avez parlé de quelques répercussions négatives de l’industrie pétrolière et gazière sur votre environnement et sur les gens, mais je crois que les sables bitumineux sont aussi le plus grand employeur de personnes autochtones et que l’industrie a fourni des occasions importantes à des entreprises détenues par des Autochtones dans des lieux comme Fort McKay, que vous connaîtriez mieux que moi.

Si des projets pétroliers et gaziers bien gérés, à la planification et au développement desquels les populations autochtones participent pleinement, comme le prévoit la DNUDPA, peuvent fournir des emplois et des avantages afin d’aider vos gens à sortir de la pauvreté, diriez-vous que, tandis que nous demandons plus de transparence et de responsabilisation et des objectifs plus élevés en matière d’émissions, comme vous l’avez recommandé, nous devrions aussi en même temps mesurer les répercussions économiques et sociales qui ne sont pas encore énoncées dans le projet de loi C-12? Seriez-vous d’accord pour dire que nous devrions aussi nous assurer que cette nouvelle loi mesurera aussi les répercussions économiques et sociales découlant des objectifs en matière d’émissions et fournira une transparence à cet égard? J’espère que c’est clair.

Mme Tssessaze : Si vous me demandez comment mesurer les avantages... je me rappelle, il y a quelques années, Ressources naturelles Canada avait un autre projet de loi où l’industrie devait rendre publiques les sommes qu’elle fournit aux collectivités comme les nôtres. En avez-vous eu connaissance?

Le sénateur Patterson : Eh bien, oui, il s’agissait d’ententes sur les répercussions et les avantages.

Ce dont je parle — tandis que nous mesurons les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre et les abaissons comme vous l’avez recommandé — ne devrions-nous pas aussi mesurer, au moyen de données probantes et indépendantes de Statistique Canada, comment ces normes plus strictes en matière d’émissions se répercutent aussi sur les indicateurs économiques et sociaux comme l’emploi, qui est, vous le reconnaîtrez j’en suis sûr, un élément aussi important pour vos gens?

Mme Tssessaze : J’espère pouvoir répondre à votre question. Ces indicateurs... il y a beaucoup de choses qui doivent se produire, et l’une d’entre elles, c’est la planification de l’utilisation du territoire. La DNUDPA est vraiment une bonne mesure pour reconnaître que les ressources dont nous devons dépendre dans l’avenir sont là.

Nous comptons sur cette surveillance fédérale, cette relation avec un ministère fédéral comme le vôtre, mais lorsqu’on regarde les modes de fonctionnement de la province, ce n’est pas aussi solide. Si nous pouvons d’une quelconque façon nous assurer que les protections que vous intégrez dans les politiques fédérales peuvent permettre aux provinces de mieux agir... nous ne voyons pas un engagement fort comme celui que nous avons des ministères fédéraux.

Ce que je dis, c’est que, en respectant nos façons de faire et en s’assurant que nous pourrons subvenir à nos propres besoins dans l’avenir, les provinces doivent aussi reconnaître ces choses. Ces indicateurs dont nous avons besoin — l’eau douce, les plantes traditionnelles et les animaux — doivent être maintenus dans l’avenir. C’est un équilibre.

En ce qui concerne les emplois, nous avons récemment ouvert une ferme solaire dans la collectivité de Fort Chipewyan, donc cela crée quelques nouveaux types d’emplois. Cette transition pour la PNAC, l’Athabasca Chipewyan, est en place. La nation Mikisew Cree a aussi participé à la nouvelle ferme solaire, donc nous sommes en période de transition et explorons comment nous y prendre pour ne pas avoir à dépendre de l’industrie des combustibles fossiles.

Le sénateur Patterson : La nouvelle technologie que vous avez décrite a aussi besoin de capitaux pour fonctionner; vous devez avoir des investisseurs et des partenaires. Est-ce quelque chose que nous devrions examiner lorsque nous mesurons la réduction des cibles des émissions de gaz à effet de serre? C’est-à-dire le fait de savoir si nous sommes aussi en même temps en mesure d’attirer des investissements pour des projets respectueux de l’environnement comme ceux que vous avez décrits? Le projet de loi C-12 ne semble pas inclure ces indicateurs économiques et sociaux pour mesurer comment nous pouvons parvenir à la carboneutralité.

Mme Tssessaze : Je conviens que nous devons ajouter le plus de détails possible pour documenter et mesurer ces indicateurs. Oui, je suis d’accord.

La sénatrice Simons : Merci encore à nos invités de s’être joints à nous si tôt pour eux.

Le projet de loi C-12 est une loi concernant la transparence et la responsabilisation, et chacun d’entre vous a exprimé que la loi ne tient pas suffisamment les gens responsables de leurs actes. Je me demande si vous voulez commenter l’aspect de la transparence. Croyez-vous que le projet de loi fournit assez de renseignements clairs pour que nous puissions surveiller les gouvernements et les tenir responsables?

Mme George-Wilson : Je demanderais à ma collègue, Mme Doyle, de répondre, s’il vous plaît.

Mme Doyle : Nous nous sommes concentrés sur l’aspect de la responsabilisation. Je pense que, pour nous, le volet de la transparence provenait des diverses étapes de déclaration que le projet de loi propose, et si je ne m’abuse, certains amendements principaux ont été apportés par l’entremise du comité permanent de la Chambre des communes pour améliorer également certains des rapports.

Un élément que nous cherchions à faire inclure dans le volet des déclarations financières portait sur la transparence en ce qui touche les mesures sociales et raciales et celles visant à assurer l’équité entre les sexes qui seraient en place, ainsi que des investissements dans des technologies d’énergies propres et la transition vers une économie propre pour la population active. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être ici avec nous et d’endurer les problèmes techniques. C’est ce que nous vivons au quotidien.

J’aimerais avoir un peu plus de renseignements sur la raison pour laquelle vous voulez inclure des cibles dans le projet de loi C-12. Hier, nous entendions des responsables gouvernementaux qui ont essentiellement dit que le gouvernement ne pourrait pas être poursuivi au civil, et je pense que l’ingérence ici concerne le fait que les cibles ne sont pas incluses dans le projet de loi. Cependant, le fait d’inclure des cibles dans le projet de loi ferait en sorte qu’il serait plus difficile de s’adapter à la réalité, parce que nous parlons de longues périodes.

Je me demande aussi ce que vous pensez du fait que les cibles sont des cibles fédérales; nous avons un pays qui compte 10 provinces très différentes et des défis très différents. Je pose la question à quiconque veut répondre.

Mme George-Wilson : J’aimerais que Mme Doyle réponde.

Mme Doyle : Nous serions absolument en faveur de l’inclusion des cibles précises dans le projet de loi. Nous préconisons aussi l’inclusion des budgets carbone pour renforcer notre capacité de planifier et de voir de vraies réductions dans nos émissions de gaz à effet de serre. Comme vous le savez tous, nous avons raté chaque cible que nous nous étions fixée, et nos émissions ne vont même pas dans la bonne direction. Nous croyons que la combinaison de cibles prévues par la loi et de budgets carbone pourrait permettre d’atteindre ces jalons.

En ce qui concerne la deuxième partie de la question, l’action fédérale par rapport à l’action provinciale, tout le monde a un rôle à jouer pour lutter contre les changements climatiques, et il est impératif que le gouvernement fédéral prenne les devants et fasse preuve de leadership au moyen d’un projet de loi solide comme celui-ci. Comme vous le voyez partout au pays, les chefs autochtones prennent aussi des mesures locales, internationales et fédérales pour respecter par tous les moyens la réduction des gaz à effet de serre et augmenter la capacité d’adaptation.

Il est important que les provinces prennent aussi les mêmes mesures, mais le projet de loi à l’étude est de ressort fédéral, et le gouvernement fédéral a un rôle absolu pour prendre les rênes de cette initiative.

Mme Tssessaze : Merci de votre question. Je dirai que, sans cibles, il est difficile de créer un plan et de savoir que vous le respectez. La réalité, c’est que vous devez réduire les émissions très rapidement.

Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership devant les provinces et les unir. Nous avons déjà eu un exemple d’un plan fédéral. C’était la taxe sur le carbone, et les gens s’y sont opposés d’un bout à l’autre du pays. Nous sommes intervenus pour manifester notre appui, donc nous savons que c’est juste une partie du système.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poser une question à Mme Doyle. Même si vous intégrez des cibles dans le projet de loi, cela entraînera probablement des poursuites et une contestation judiciaire, et tout cela quittera la scène politique et se rendra devant les tribunaux.

Pensez-vous que ce soit la façon de faire ou s’agit-il d’un risque que nous devrions prendre?

Mme Doyle : Je ne crois pas que nous défendions la création d’un environnement où tout se perdra dans les tribunaux. Cependant, je pense qu’il est possible d’atteindre un équilibre avec l’augmentation des mesures de responsabilisation dans le projet de loi. À l’heure actuelle, la responsabilisation est vraiment le processus démocratique. Nous aimerions voir de plus fortes mesures en place, par exemple des sanctions concrètes énumérées dans le projet de loi lorsque les cibles ne sont pas atteintes. Oui, nous aimerions voir une augmentation de la responsabilisation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La sénatrice McCallum : Je vais juste dire que je viens du Manitoba, et non pas du Québec.

Je tiens à offrir mes condoléances à la chef Leah George-Wilson concernant la découverte des corps des élèves des pensionnats; c’est effectivement une période difficile pour aborder des questions qui ont une grande incidence sur nous, tout en portant encore un deuil.

J’aimerais examiner l’analyse de l’équité des principales industries dans une transition vers une économie sans carbone. La réduction de la production coûtera des emplois dans chaque secteur de l’économie, mais les travailleurs à l’extérieur de l’industrie pétrolière et gazière — qui sont plus susceptibles d’être des femmes, des immigrants ou des personnes racialisées, y compris des Autochtones — ne recevront pas les mêmes aides privées et publiques que les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière à moins qu’une approche à l’égard d’une transition plus réactive et exhaustive soit adoptée. Dans les recommandations qu’ils présentent, ils disent que les gouvernements canadiens à tous les échelons devraient adopter et mettre en œuvre officiellement les principes d’une transition juste là où ils l’ont déjà fait. Pourriez-vous vous prononcer à ce sujet? La question est ouverte à tous.

Mme George-Wilson : Merci. Si j’ai bien compris, bien sûr, nous pensons que, lorsque nous examinons, par exemple, les plans de réduction des émissions, ceux-ci devraient être élaborés dans l’optique inclusive de la justice et de l’équité sociales, sexospécifiques, raciales et environnementales, en plus de la reconnaissance, du respect et de la protection des droits des Autochtones. Nous devons l’examiner de façon plus complète, je crois.

Madame Doyle, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

Mme Doyle : Je pense que cela fait le tour pour le moment. Nous pourrions fournir plus de détails dans notre mémoire écrit, mais cela résumait essentiellement notre commentaire à ce jour, soit l’inclusion dans les plans de réduction des émissions ainsi que dans les déclarations financières.

Mme Tssessaze : Merci. Les réponses me conviennent aussi. Dans tous les plans que nous élaborons et les politiques que nous formulons, j’aimerais juste que nous, en tant que collectivités autochtones, soyons incluses dans l’élaboration de ces plans en vue d’une transition juste, dans la mise en œuvre de ces politiques. Si nous le sommes dès le début, alors nous nous montrerons moins hésitantes et réticentes.

Nous en faisons l’expérience; juste cette prise en considération et le fait d’être à la table décisionnelle.

Le sénateur Patterson : Madame Tssessaze, je crois que vous avez dit que vous ne vouliez pas fermer les sables bitumineux, mais plutôt voir une transition vers des types d’emplois différents. Pourriez-vous vous prononcer sur les emplois et les avantages opérationnels qui sont accordés à vos gens, selon ce que j’ai compris? Sont-ils effectivement importants pour vos membres?

Mme Tssessaze : Nous avons un groupe d’entreprises qui s’appelle Acden. Elles ont conclu des contrats dans toute la région industrielle. La société Acden est une entité à part entière et elle entretient une relation avec les Premières Nations, tout comme le fait mon ministère. Des avantages sont accordés, et nous cherchons toujours à élargir et à diversifier la façon dont nous tentons d’être moins dépendants.

J’ai déjà donné deux exemples : nous tentons d’explorer le parc de panneaux solaires, et le pipeline en est un autre que nous explorons, mais c’est une nouvelle option que je ne connais pas bien. Toutefois, nous avons pas mal de sociétés qui concluent des marchés avec ces industries. Nous savons aussi que nous devons faire une transition et explorer comment nous pouvons moins dépendre de ces industries. Cela prend du temps.

Le sénateur Patterson : Merci.

Madame George-Wilson ou madame Doyle, vous avez parlé de budgets carbone, et quand je pense aux budgets, ils comprennent non seulement des dépenses, mais aussi des revenus et des sources de revenus. Je me demande si, alors que nous examinons les émissions, nous devrions étudier les indicateurs économiques et sociaux qui changeront en fonction de notre stratégie de carboneutralité, comme la croissance réelle du PIB, l’emploi et d’autres indicateurs sociaux, afin que nous puissions mesurer les répercussions sur vos membres.

Mme George-Wilson : Merci, monsieur Patterson. Demandez-vous si nous serions d’accord pour mesurer d’autres résultats en dehors de ce qui figure dans le projet de loi?

Le sénateur Patterson : Mis à part les réductions et les cibles touchant les émissions de gaz à effet de serre, à mesure que nous imposerons les normes et les cibles plus élevées et plus strictes que vous avez recommandées, devrions-nous en même temps essayer de mesurer les répercussions économiques et sociales qui, je crois, sont aussi importantes pour les Dénés?

Mme George-Wilson : Merci, monsieur. Je pense que ce serait important de les mesurer tant et aussi longtemps que nous restons inclusifs dans ce que nous mesurons en ce qui concerne les divers groupes de personnes auxquels nous faisions allusion plus tôt. Madame Doyle?

Mme Doyle : Oui, merci d’avoir posé la question. Pour être honnête, ce n’est pas quelque chose à quoi nous avons beaucoup réfléchi dans notre mémoire. Cependant, je pense que si la DNUDPA est intégrée de la façon dont nous l’avons proposée et dont elle a été déposée à la Chambre des communes, si les Autochtones participent à une élaboration conjointe ou à une consultation utile et à l’élaboration du plan de réduction des émissions, je pense que certains de ces indicateurs seraient examinés dans le cadre de ces processus de planification et de déclaration. À mon avis, c’est absolument quelque chose qu’il serait utile de voir, et nous y serions favorables. Cependant, notre priorité, c’est de voir l’adoption d’une loi sur la responsabilisation. Nous serions ouverts à discuter de l’endroit où ces indicateurs peuvent s’inscrire dans la planification et la surveillance des progrès.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. Il s’agit de mesurer le rendement, mais aussi les résultats et les répercussions. Merci.

La sénatrice Galvez : En écoutant les questions posées par le sénateur Patterson, je n’ai pas pu m’empêcher de me rappeler un des amendements qui sont proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’ACPP, avec ces répercussions économiques qui sont ajoutées.

Je pense qu’on l’a déjà fait à d’autres endroits, donc ce n’est pas nécessaire ici. Je pense que l’autre chambre discute actuellement de ce sujet.

Il est très important de connaître les répercussions que les activités de certaines industries ont sur les jeunes Autochtones. Je me souviens du témoin qui venait d’Amnistie internationale, qui a parlé de la façon dont les industries extractives ont eu une incidence sur la sécurité des femmes et du fait que cela touche aussi la réconciliation que nous recherchons avec les peuples autochtones. Je voulais demander ceci : y a-t-il un certain type d’exploitation qui est bienvenue et y a-t-il d’autres types qui doivent être redressés d’une certaine façon, parce qu’on ne peut pas continuer ainsi? Ma question s’adresse à Mme Tssessaze. Merci.

Mme Tssessaze : Assurément, nous voyons les répercussions sur nos femmes dans notre collectivité. Nous avons vu des centaines de femmes autochtones disparues et assassinées, et cela se produit toujours ici, dans la région. Je ne sais pas comment proposer une forme d’exploitation ou des industries qui ne feraient pas cela. Malheureusement, nous vivons dans une société où — aux actualités hier, on a vu un incident, une famille qui s’est fait frapper — la violence est partout. Ce n’est pas bienvenu dans nos collectivités, et je ne sais pas comment nous pouvons protéger nos femmes dans ces industries.

Nous tenons des discussions régulièrement avec ces entreprises et nous les tenons responsables si nous estimons que du racisme systémique est présent. Si nous sentons que nos membres ne sont pas protégés dans ces sites ou qu’ils font l’objet de discrimination raciale, nous soulevons la question. Nous ne laissons pas les entreprises s’en tirer. Nous ne tolérons rien de tout cela, mais des incidents continuent de se produire. Je ne suis pas certaine de savoir comment réagir à cela — c’est la société. Nous tentons de contrôler cela de notre mieux sur les sites.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai lu beaucoup de choses sur la question des cibles. Je vois le projet de loi C-12 comme une tentative de rendre le gouvernement un peu plus responsable, mais tout cela s’accompagne de beaucoup de timidité dans le système, le processus, la transparence et le rapport. Je me dis que les plus grandes sources de pollution et d’émissions proviennent des activités menées par des entreprises du secteur privé.

Je vais faire le parallèle suivant : lorsqu’on a voulu s’occuper des problèmes d’accidents du travail, on s’est assuré d’avoir des plans de prévention des accidents dans les entreprises. Lorsqu’on a voulu réduire les incendies, on a prévu des plans de prévention des incendies en installant des gicleurs dans les industries, pour faire de la prévention. Lorsqu’on a voulu réduire la disparité entre les salaires des femmes et ceux des hommes, on a prévu des plans d’équité salariale au sein des entreprises, pour corriger la situation. Avez-vous examiné la possibilité d’avoir des plans de réduction de gaz à effet de serre au sein des entreprises, pour que chacune puisse établir son propre plan de réduction? Cela pourrait inciter les entreprises à le faire, et on pourrait inclure cela comme cible dans le plan gouvernemental. Est-ce que ce sont des choses que vous avez examinées?

Ma question s’adresse principalement à Mme Doyle, mais aussi à l’ensemble du groupe.

[Traduction]

Mme Doyle : Merci d’avoir posé la question. Dans nos commentaires et dans le témoignage de la chef Leah George-Wilson, nous avons mentionné le besoin d’élargir l’exigence touchant la déclaration financière liée au climat pour l’appliquer à de grandes sociétés et à des sociétés transnationales qui exercent des activités au Canada. Nous essayons de savoir où se trouve le levier fédéral pour tenir compte du rôle des grandes sociétés dans les émissions produites au Canada.

Encore une fois, oui, nous sommes entièrement favorables à un plus grand nombre de mesures à l’échelon organisationnel pour réduire les émissions dans les secteurs. Cependant, il nous faudra un très grand nombre d’outils dans le coffre à outils. Nous avons devant nous en ce moment une loi fédérale pour tenir compte de la compétence fédérale. Nous appuierions toute mesure nous permettant de repousser les limites de la façon dont cela s’applique. Nous recherchons des occasions pour, je crois, inciter les sociétés à faire la même chose au fil du temps.

Le président : Monsieur Patterson, je vois que vous aviez la main levée — une question très courte, s’il vous plaît.

Le sénateur Patterson : C’est bon. Le temps est écoulé.

Le président : Permettez-moi de remercier nos trois très bonnes expertes. Je pense que nous avons appris beaucoup de choses et que nous en avons beaucoup à apprendre. Nous vous remercions de nous avoir fait part de votre opinion et nous en tiendrons assurément compte dans notre rapport. En même temps, permettez-moi d’exprimer de la part de nous tous notre profonde sympathie pour le massacre survenu à Kamloops. Beaucoup de choses nous attristent — nous vous offrons nos sympathies et nos plus sincères condoléances. Merci beaucoup et passez une bonne journée.

[Français]

Chers collègues, nous accueillons maintenant, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, Shannon Joseph, vice-présidente, Relations gouvernementales et affaires autochtones, ainsi que Dan Wicklum, président et directeur général de l’Accélérateur de transition. Bienvenue, et merci d’avoir accepté notre invitation avec un si court préavis. J’aimerais vous rappeler que vous avez cinq minutes chacun pour faire vos remarques, et une période de questions suivra.

[Traduction]

Shannon Joseph, vice-présidente, Relations gouvernementales et affaires autochtones, Association canadienne des producteurs pétroliers : Merci, sénateurs et sénatrices. Je tiens à remercier le comité de m’avoir fourni l’occasion de faire partie de votre étude du projet de loi C-12. Je m’adresse à vous depuis Ottawa, le territoire traditionnel des peuples algonquin et anishinabe.

L’Association canadienne des producteurs pétroliers représente le secteur en amont de l’industrie du pétrole et du gaz naturel du Canada, qui exerce des activités en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador.

L’ACPP et nos entreprises membres appuient énergiquement la performance environnementale et l’innovation et investissent dans ces activités. Nous voulons travailler avec le gouvernement pour qu’il atteigne ses objectifs en matière de changements climatiques. Nous croyons aussi que cette législation doit créer de la transparence et une responsabilisation dans tous les aspects du périple du Canada vers la carboneutralité, y compris des résultats économiques pour le Canada.

Nous avons pris note des commentaires que le premier ministre Trudeau a formulés lors du sommet des dirigeants sur le climat qui s’est tenu le 22 avril 2021, selon lesquels notre réponse au changement climatique peut constituer notre « plus grande opportunité économique ».

Comme l’a souligné la Chambre de commerce du Canada dans son intervention à la Chambre des communes sur le projet de loi C-12 :

[...] tous les chemins vers la carboneutralité ne sont pas égaux [...] Certains nous permettront d’atteindre les résultats environnementaux souhaités, mais aux dépens d’autres facteurs sociaux et économiques.

Le projet de loi C-12 prévoit de la transparence et le suivi de la performance du Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais sans amendements, le projet de loi n’a pas les mécanismes nécessaires pour faire en sorte que les chemins soient guidés par la bonne expertise, la diversité régionale et une compréhension de la performance sociale et économique requises pour orienter les approches et les compromis permettant d’atteindre la carboneutralité.

Si la carboneutralité passe par la création de croissance, d’investissements et d’emplois, de même, en plus de la performance environnementale, il nous faut des cibles économiques, ainsi que des mesures quantitatives de performance économique intégrées dans le projet de loi.

Après cela, les voies d’accès à la carboneutralité seront différentes dans les diverses régions du pays. Nous savons, en tant qu’industrie réglementée aux échelons fédéral et provincial, que des gouvernements différents ont leurs propres ambitions climatiques et perspectives sur des possibilités de mesures stratégiques permettant de réaliser ces ambitions. Souvent, des ordres de gouvernement différents élaborent des politiques qui ciblent les mêmes activités et les mêmes émissions, et cela crée des inefficiences stratégiques qui éloignent les capitaux nécessaires pour permettre à l’industrie canadienne d’innover et d’obtenir des résultats environnementaux.

Le projet de loi C-12 doit créer le cadre qui nous permet de faire mieux. Il devrait être modifié afin de rehausser l’intégration et la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de la manière dont les stratégies sont élaborées et évaluées.

Le Canada est un pays exportateur, et le pétrole et le gaz naturel sont notre première exportation, contribuant à hauteur de plus de 101 milliards de dollars annuellement à l’économie du Canada. Nous avons plus d’un demi-million de femmes et d’hommes dans des emplois spécialisés et bien rémunérés, d’un littoral à l’autre, dont 63 000 en Ontario et 18 000 au Québec. Notre chaîne d’approvisionnement nationale à l’extérieur de l’Alberta comprend plus de 2 700 sociétés différentes dont les achats annuels dépassent les 4 milliards de dollars.

De plus, nos achats à des entreprises autochtones dépassent les 2,4 milliards de dollars par année, somme qui représente 11 % de nos approvisionnements dans les seuls sables bitumineux. Nous comptons parmi les plus importants employeurs d’Autochtones au Canada qui occupent des emplois bien rémunérés. Le secteur pétrolier et gazier joue un rôle important dans la réconciliation, y compris la réconciliation économique. Nous espérons préserver et renforcer ce rôle, tout autant que les autres avantages que je viens de décrire.

L’industrie a aussi des ambitions liées à la lutte contre les changements climatiques et sa propre vision des possibilités à l’échelle locale et mondiale. Le secteur du pétrole et du gaz naturel en particulier a pris des mesures au moyen de l’innovation technologique. Selon une étude réalisée en 2018 par le Global Advantage Consulting Group pour le Réseau d’innovation pour les ressources propres, environ 75 % des investissements en technologies propres au Canada proviennent de l’industrie du gaz naturel et du pétrole.

Non seulement notre leadership en matière d’innovation contribuera à réduire les émissions chez nous, mais, grâce au partage et à l’exportation de sa technologie, le Canada pourra aider à les réduire partout dans le monde. Le captage, l’utilisation et le stockage du carbone l’illustrent bien. Le projet Weyburn-Midale en Saskatchewan est l’un des plus importants et des plus anciens au monde. Nous espérons voir davantage de ces projets, et nous voulons que l’exportation de cette technologie profite au Canada.

Notre nouvelle industrie du gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique a aussi joué un rôle dans la réduction des émissions mondiales et dans la production de résultats d’atténuation ou de crédits de carbone échangeables à l’échelle internationale dans le cadre de l’Accord de Paris pour le Canada. À elle seule, la Chine ajoute une grande centrale au charbon à son réseau électrique toutes les deux semaines. La production d’électricité à partir de charbon continue également de croître en Inde et en Asie du Sud-Est, ces régions mettant l’accent sur l’amélioration du niveau de vie de leurs citoyens. Si elles fonctionnaient au gaz naturel liquéfié canadien, ces installations produiraient nettement moins de polluants atmosphériques et d’émissions de gaz à effet de serre. Le Canada est particulièrement bien placé pour produire le gaz naturel liquéfié à plus faibles émissions de GES au monde en raison de notre réseau et des [Difficultés techniques] de notre industrie.

Le cadre créé par le projet de loi C-12 doit créer l’espace permettant une conversation sur la façon dont la stratégie industrielle et [Difficultés techniques] et cetera.

Le projet de loi C-12 devrait préciser le rôle que les secteurs économiques et les autres intervenants joueront dans l’élaboration des plans et l’atteinte des cibles. Il devrait faire en sorte que l’expertise des technologies et les occasions soient mises à contribution dans le processus décisionnel de l’organisme consultatif et décisionnel global du Canada.

Nous recommandons d’élargir le rôle du gouverneur en conseil dans l’élaboration de cibles, de plans et de politiques de soutien en vertu de la loi, compte tenu surtout de leurs effets éventuels sur l’ensemble de l’économie et de la société canadiennes. En travaillant ensemble, l’industrie et le gouvernement pourront accélérer l’innovation et mettre au point les technologies qu’il faudra pour réduire les émissions tout en fournissant de l’énergie produite de façon responsable pour répondre à la demande mondiale. Nous espérons que nos recommandations à votre comité pourront aider le Canada dans ce processus. Merci beaucoup.

Dan Wicklum, président et directeur général, L’Accélérateur de transition : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de m’avoir fourni l’occasion de comparaître devant vous. Je suis ici à deux titres.

D’abord, je suis président et directeur général d’un nouvel organisme caritatif à but non lucratif qui s’appelle L’Accélérateur de transition. Notre lancement a eu lieu il y a environ 20 mois, et nous apportons une nouvelle méthode, nous croyons, pour ce qui est de la façon d’encadrer les réductions des émissions et d’atteindre la carboneutralité. Nous travaillons avec des universitaires canadiens et des groupes de partout au pays à définir des trajectoires de transition très précises vers un avenir à zéro émission nette, mais pour y arriver, nous exploitons les perturbations. Nous nous situons en plein milieu de forces perturbatrices dans notre société comme les technologies, un modèle opérationnel ou des bouleversements sociaux. Plutôt que de les voir comme une menace, nous les considérons comme un outil. Nous ne voulons pas les ralentir; nous voulons les accélérer en dirigeant ces perturbations à l’endroit où nous commençons le travail, en réglant des problèmes opérationnels et sociaux, mais aussi en intégrant les réductions des émissions dans ces solutions. C’est à ce titre que je me présente devant vous aujourd’hui.

Par ailleurs, je suis coprésident du Groupe consultatif pour la carboneutralité qui a été lancé par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et qui est envisagé dans le projet de loi C-12. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président : Nous allons passer aux questions.

Le sénateur Patterson : J’aimerais demander à Mme Joseph si elle est d’accord pour dire qu’il y a de nombreux chemins vers la carboneutralité. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets d’un bon chemin vers la carboneutralité pour le Canada qui profiterait au pays et à votre industrie.

Pourriez-vous expliquer davantage votre recommandation concernant des indicateurs économiques et sociaux qui pourraient nous guider et pourquoi ils devraient être inscrits dans le projet de loi, comme vous l’avez recommandé?

Mme Joseph : Merci, monsieur le sénateur. Je m’excuse si ma connexion est intermittente. Le greffier m’a avertie alors je vais essayer de parler clairement.

Je vais répondre à votre deuxième question en premier. Je pense que [Difficultés techniques] et le gouvernement crée pour lui-même une obligation de rendre des comptes, ce qui [Difficultés techniques] sur la façon d’atteindre la carboneutralité. Si on observe ce qui se passe...

Le président : Je crois que le sénateur Carignan était le suivant.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous êtes un spécialiste de l’Accélérateur de transition. Selon vous, si les entreprises avaient des cibles ou des plans individualisés — en particulier les grands émetteurs —, combien de temps faudrait-il pour mettre en place des systèmes de transition? Particulièrement dans le cas des entreprises pétrolières — car je vois que vous avez une grande expertise dans ce domaine —, combien de temps faudrait-il pour qu’elles réduisent leurs émissions et atteignent les objectifs qui sont fixés pour 2050?

Je sais que certaines entreprises — notamment Suncor — se sont acheté des champs d’énergie éolienne. Je sais qu’elles investissent dans l’hydrogène. Des entreprises comme Occidental Petroleum le font aussi. Elles se dirigent de plus en plus vers ce genre d’énergie et elles vont modifier leur système. On se tourne vers les véhicules électriques. Les entreprises doivent repenser leur système de distribution d’énergie et prévoir des stations en conséquence pour les nouveaux types de carburant. Pouvez-vous nous donner un horizon, et nous dire si c’est réaliste et réalisable?

[Traduction]

M. Wicklum : Si je comprends votre question, vous demandez s’il est réaliste ou faisable d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, et la réponse est : assurément. Le comité consultatif...

[Français]

Le sénateur Carignan : Exact. Pour les industries individuellement.

[Traduction]

M. Wicklum : Pour atteindre la carboneutralité, nous allons devoir, en tant que société, décider d’une trajectoire de transition. Tout ce que nous devons changer en tant que société ne se fera pas du jour au lendemain, ni la semaine prochaine ni même l’année prochaine. Nous avons besoin d’une trajectoire vers la carboneutralité pour les 29 prochaines années, entre maintenant et 2050. C’est tout à fait possible.

Il incombe à chaque secteur et à chaque entreprise individuellement de comprendre, de faire les analyses et de montrer qu’ils ont un rôle à jouer dans un monde sans émission. Depuis de nombreuses décennies, les institutions et les gens partout dans le monde ont déclaré que seuls les gouvernements nationaux étaient tenus d’agir pour encourager la réduction des émissions, et maintenant, l’élimination des émissions, conformément à l’objectif de carboneutralité. C’est donc un grand changement, le fait que nous soyons tous maintenant dans le même bateau. Le secteur privé a autant de responsabilités que le gouvernement national ou les gouvernements des échelons inférieurs. Ceux qui peuvent répondre à cette question sont en fait les entreprises individuelles et les secteurs.

Malgré tout, les gouvernements ont des rôles essentiels à jouer, par exemple celui d’exiger des secteurs et des entreprises qu’ils rendent des comptes de façon plus transparente et qu’ils ne se contentent pas d’affirmer qu’ils veulent la carboneutralité. Les secteurs et les entreprises doivent montrer qu’ils ont un plan, accessible au public, qui indique les changements qu’ils vont apporter étape par étape en matière d’investissements, de technologie et de modèle opérationnel pour faire partie du monde sans émission. Ces plans d’entreprise doivent prévoir une reddition de comptes autant sur la réduction de l’intensité des émissions, que sur la réduction absolue des émissions, et ils doivent aussi faire l’objet d’une vérification indépendante. Depuis toujours, quand on voulait que les entreprises rendent des comptes sur des choses que nous trouvions importantes, par exemple leur rendement financier, la loi exigeait qu’elles subissent un audit. À présent que la réduction des émissions est tout aussi importante que le rendement financier, il y a une nouvelle devise que je trouve géniale : « Le risque financier est le risque climatique. » Il faudrait aussi que les plans de réduction des émissions soient contrôlés par une tierce partie indépendante.

C’est cependant une autre question de savoir si cela devrait être dans la loi ou pas. Nous avons un système de réglementation financière très détaillé, et je crois que ce serait le meilleur endroit où mettre en œuvre ce genre d’exigence.

[Français]

Le président : Je constate que Mme Joseph est parmi nous. Sénateur Carignan, avez-vous une question pour Mme Joseph?

Le sénateur Carignan : Oui. Je suis tout à fait d’accord avec la proposition de gaz naturel liquéfié pour remplacer les centrales de charbon en Chine. Toutefois, à l’échelle mondiale, le problème, c’est qu’on doit y aller par pays. Donc, une entreprise qui choisirait d’utiliser le gaz naturel liquéfié au Canada ferait augmenter ses émissions de gaz à effet de serre au pays pour les réduire en Chine. Cependant, à l’échelle mondiale, cela ne semble pas être calculé ou compensé de cette façon. Quelle solution le Canada devrait-il envisager pour obtenir un certain type de compensation et aider d’autres pays, notamment l’Inde et la Chine, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre?

Mme Joseph : Je vous remercie de la question, sénateur. L’Accord de Paris a permis de créer des mécanismes pour reconnaître le fait qu’il est possible d’agir en étroite collaboration avec d’autres pays pour utiliser nos ressources pour atteindre les objectifs internationaux de réduction des GES. Conformément à l’article 6 de l’Accord de Paris, on peut générer des crédits pour les réductions des GES réalisées dans d’autres pays, grâce à l’exportation de notre énergie ou de notre technologie, et partager ces crédits. Je pense qu’il faut se poser les questions suivantes : quelle voie le Canada doit-il prendre pour atteindre ses objectifs? Quel est le rôle de notre énergie sur le plan des émissions de GES à l’échelle mondiale, et comment allons-nous reconnaître la réduction des GES qu’on peut générer par l’entremise de mécanismes établis par les pays dans le cadre de l’Accord de Paris?

Le sénateur Carignan : Donc, on devrait inclure une disposition dans le projet de loi C-12 pour en tenir compte?

Mme Joseph : Dans le projet de loi C-12, il est important de créer des mécanismes qui feront en sorte qu’on cherche des solutions pour préserver la croissance économique tout en reconnaissant les aspects mondiaux et régionaux. Si on adopte cette optique en vue d’atteindre l’objectif zéro émission, on va forcément examiner plusieurs types de solutions, y compris ce mécanisme.

[Traduction]

Le président : Sénateur Patterson, je crois qu’on n’a pas répondu complètement à votre question, alors je vous donne la parole pour 30 secondes.

Le sénateur Patterson : Oui. C’est à propos des trajectoires vers la carboneutralité et de la nécessité d’avoir des indicateurs économiques dans le projet de loi C-12. Quelqu’un parmi mes collègues a laissé entendre que les indicateurs sont déjà prêts à être utilisés. Pourquoi doivent-ils être dans le projet de loi C-12, alors?

Mme Joseph : Ils ne sont pas prêts à être utilisés nulle part d’une façon spécifique.

Si le gouvernement veut introduire un cadre redditionnel pour lui-même en matière de carboneutralité — ce qui, comme M. Wicklum l’a dit, est lié à l’activité économique —, alors nous devons mesurer l’incidence de nos approches de carboneutralité sur les emplois au Canada, sur la capacité du Canada d’attirer les investissements du secteur privé et sur le PIB réel. Tout cela se prête à une analyse qui tient compte d’un éventail de solutions, parce que nous ne pouvons pas nous contenter de regarder à court terme pour choisir notre approche.

L’industrie exécute ses activités dans des contextes nationaux et internationaux, et nous avons besoin de solutions qui permettent d’atteindre les cibles climatiques tout en préservant et en accroissant les occasions et les avantages du Canada pour ses citoyens. J’en ai déjà parlé un peu dans ma déclaration. Pour donner un exemple précis, il n’y a pas eu de signaux clairs par rapport aux occasions que présente le gaz naturel liquéfié ou le GNL. Beaucoup de projets importants liés au GNL ont été annulés au Canada, et même le projet de terminal de GNL de Kitimat est en péril. L’un des principaux propriétaires veut vendre et investir ailleurs. Si nous n’avons pas une approche sur ce dossier qui soit harmonisée avec ce que l’industrie, et pas seulement mon industrie, essaie de faire par rapport aux changements climatiques et qui reconnaît les mécanismes clés pour atteindre les objectifs, — y compris le suivi des investissements pour soutenir l’innovation, alors nous n’aurons pas une solution optimale, mais les Canadiens ont besoin d’une solution optimale.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Galvez : Ma troisième question va s’adresser à Mme Joseph.

Selon un rapport récent de Mme Carter de l’Université de Waterloo, je cite :

Entre 2000 et 2018, tandis que la production pétrolière et gazière a augmenté de 47 %, les recettes en redevances ont chuté précipitamment de 45 %. Le montant réel des taxes et impôts que verse au gouvernement le secteur pétrolier et gazier est passé de 15 à 4 % entre 2006 et 2018. Pour ce qui est des emplois, le secteur pétrolier et gazier ne représentait que 1 % des emplois directs au Canada en 2018.

Pour réduire les coûts, l’industrie a sauvagement coupé dans ses emplois dans une proportion de 23 % de 2014 à 2018, alors que la production pétrolière et gazière augmentait de 44 % pour atteindre des sommets inégalés. En termes simples, même avant la pandémie de COVID-19, le secteur pétrolier et gazier du Canada se débarrassait de ses travailleurs et contribuait nettement moins aux recettes des provinces, tandis que la production pétrolière et gazière atteignait des niveaux sans précédent.

Vous dites que nous devrions avoir des cibles économiques et qu’elles devraient être fixes, et j’aimerais donc vous demander de détailler votre point de vue. Comment, selon vous, vos membres vont-ils faire pour atteindre ces cibles, dans ces circonstances?

Mme Joseph : Merci de la question, madame la sénatrice. Je ne connais pas les détails de cette étude, mais d’après les chiffres, ils couvrent les périodes de déclin du prix du pétrole et les périodes où le prix du pétrole a atteint des sommets. Il y a eu des périodes où les recettes du gouvernement provenant de notre secteur étaient en moyenne de 12 milliards de dollars, et tout juste avant la pandémie, on était plus près de 7 milliards de dollars en moyenne de recettes gouvernementales.

Les données que j’ai présentées sur le demi-million d’emplois concernaient la période juste avant la pandémie et les années précédentes. Même s’il y a des personnes qui minimisent l’importance de ces emplois, ils sont certainement importants pour ceux qui les occupent.

Je dirais qu’un aspect clé pour nos membres serait aussi notre accès aux marchés et notre capacité d’obtenir un prix équitable pour notre produit. Vous vous en souvenez peut-être, madame la sénatrice, mais énormément de restrictions ont été imposées à notre capacité d’accéder aux marchés pétroliers et gaziers, et ces restrictions vont rester en place jusqu’à ce que le prolongement de la canalisation no 3 et le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain soient complétés, et pour l’industrie du GNL, jusqu’à ce que le projet Coastal GasLink soit terminé. Toutes ces choses ont besoin de certitude dans le contexte politique, parce que cela a une incidence sur la stratégie industrielle, qui en retour a une incidence sur la stratégie globale du Canada sur l’économie et le climat.

L’industrie peut prospérer dans un contexte où il y a des certitudes, et notre industrie génère des retombées importantes pour le Canada. Malgré ce que dit cette chercheuse, il y a de nombreuses autres sources, y compris Finances Canada, qui disent le contraire.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup d’avoir effleuré les aspects internationaux. Il y a à peine deux semaines, nous avons entendu parler de décisions juridiques historiques qui concernent l’importance de la lutte contre les changements climatiques, et les tribunaux ont décidé d’intervenir pour obliger les entreprises pétrolières et gazières à divulguer leurs risques climatiques et à réduire leurs émissions.

L’Agence internationale de l’énergie a publié un rapport affirmant qu’aucun nouveau projet pétrolier et gazier ne doit être entrepris si nous voulons éviter une hausse des températures de 1,5 ou même de 2 degrés, ce qui serait néfaste pour la vie humaine.

Vu tout ce qui se passe actuellement et le fait que les compagnies d’assurances ne veulent plus assurer les pipelines, comment envisagez-vous l’avenir de votre industrie et son rôle dans la réduction des émissions?

Mme Joseph : Je crois, madame la sénatrice, que vous pouvez voir, d’après la plupart des rapports produits par les membres, qu’ils sont tous déterminés à prendre des mesures pour réduire les émissions. Ils ont investi des sommes importantes dans la technologie et dans d’autres domaines pour réduire les émissions. Les décisions juridiques dont il a été question n’ont pas changé cela. Cela dit, nos membres ont besoin de certains contextes dans lesquels ils peuvent innover. Cela demeure un facteur important.

Vous avez posé une question à propos du rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Les groupes des marchés des capitaux de la Banque de Montréal ont réagi à ce rapport et l’ont qualifié de « fantaisiste ». Il s’agit d’un scénario parmi d’autres qui permettrait d’atteindre certains résultats, et notre industrie croit qu’elle peut jouer un rôle important dans la trajectoire mondiale par rapport à cela.

J’aimerais rappeler à tout le monde ici présent que, avant la pandémie, le monde consommait 100 millions de barils de pétrole par jour. Au pire de la pandémie, quand les confinements étaient les plus sévères, les gens consommaient 91 millions de barils quotidiennement. Aujourd’hui, nous sommes rendus à 95 millions, et cela va remonter à 100 millions plus tard, parce que c’est le système énergétique que nous avons. Le système énergétique peut se transformer et se diversifier, et nous avons tous un rôle à jouer pour cela, mais ce que vous laissez entendre, que nous n’avons pas besoin de cette énergie, n’est pas ce que reflètent les données de l’Agence internationale de l’énergie ou même d’autres données ou les faits actuels liés à ce qui permet l’approvisionnement en nourriture et la chaîne d’approvisionnement mondiale.

J’aimerais insister auprès des sénateurs et des sénatrices pour dire qu’il y a des faits sur le terrain et que nous ne voulons pas que des signaux soient envoyés aux investisseurs qui leur feraient perdre cela de vue ou même rejeter cela, parce que les producteurs canadiens sont les plus déterminés et ont le rendement environnemental le plus important au monde, en comparaison de nos compétiteurs, et nos compétiteurs vont nous arracher cette part du marché si l’industrie canadienne n’est pas là pour jouer ce rôle.

La sénatrice Simons : Au dernier tour, Mme Tssessaze, qui a témoigné devant nous, a soulevé des préoccupations en disant que nous sommes peut-être en train de mettre en place des objectifs de reddition de comptes et de réduction du carbone, mais pas concrètement de réduction des émissions, en utilisant une diversité de mécanismes de compensation, par exemple les échanges de droits d’émission de carbone, le décompte des milieux humides et le recours au captage et au stockage du carbone. Je comprends ce qu’elle veut dire, parce que j’ai parfois l’impression que c’est un tour de passe-passe, la façon dont on essaie de comprendre ce qui est compté, concrètement, et comment.

Je voulais demander à Mme Joseph et à M. Wicklum s’il serait possible d’atteindre la carboneutralité sans avoir ce genre de systèmes de compensations et de captages. Dans le cas contraire, comment pouvons-nous nous assurer que les gens rendent des comptes par rapport à la séquestration du carbone ou à la réduction des volumes d’émissions mondiales?

M. Wicklum : Tout d’abord, je veux expliquer ce qu’on entend par carboneutralité. La carboneutralité est une équation. La carboneutralité, c’est la somme de toutes les émissions qui vont dans l’atmosphère, moins toutes les émissions qui quittent l’atmosphère. Si le premier chiffre moins le deuxième chiffre donne zéro, alors vous avez atteint la carboneutralité.

Nous nous sommes réunis avec 14 groupes du monde entier qui ont modélisé des trajectoires complètes vers une société carboneutre, et ils en sont tous arrivés à des conclusions remarquablement similaires, en disant que cela ne sera pas facile, mais que nous pouvons absolument y arriver. C’est la conclusion numéro un.

La deuxième conclusion est que nous ne pouvons pas nous fier aux technologies d’élimination pour atteindre la carboneutralité. Nous devons absolument tout faire en notre pouvoir pour réduire véritablement les émissions.

Les technologies d’élimination peuvent être utilisées pour les émissions résiduelles qui sont difficiles à éliminer. Il existe trois sortes de technologies d’élimination : la première est le captage et le stockage du carbone à la source, où il y a du gaz combustible concentré, par exemple un site d’exploitation des sables bitumineux. Vous pouvez aussi capter les émissions directement dans l’atmosphère; c’est ce qu’on appelle « l’extraction directe dans l’air ». La troisième sorte de technologie d’élimination est fondée sur la nature. Toutes les trois sont des technologies réelles. Il n’y en a pas qui sont plus ou moins réelles qu’une autre, et la vérité est que nous allons probablement devoir les utiliser toutes les trois pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Mme Joseph : La seule chose que je voudrais ajouter, c’est que lorsqu’on regarde notre industrie, on constate qu’il n’y a pas énormément de solutions faciles. Il y a beaucoup de technologies et d’investissements qui sont nécessaires, mais qui ne sont présentement pas rentables. Donc, la production de crédits pour gérer les coûts offrirait une certitude qui permettrait d’encourager l’innovation et le développement des technologies. Ce sera important de produire ces crédits où cela est plus abordable pour que certaines des mesures plus rigoureuses de réduction des émissions dans notre industrie et ailleurs ne nuisent pas au rendement économique.

La sénatrice Simons : Merci à vous deux.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup aux témoins d’être avec nous, et merci des efforts que vous continuez de déployer.

Monsieur Wicklum, je suis très impressionné de voir que vous êtes capable d’assumer à la fois les grandes responsabilités que vous avez maintenant par rapport à l’accélérateur, et celles que vous avez en tant que président du comité consultatif... c’est une énorme responsabilité, et je sais que vous saurez vous en acquitter.

J’aimerais que nous prenions du recul. Il y a des milliers de Canadiens qui nous écoutent ce matin, parce que les gens comprennent l’importance de ce dont nous discutons. Je vous demanderais donc à tous les deux de brosser un portrait : qu’est-ce que ce projet de loi veut dire pour les Canadiens, pour les entreprises canadiennes et pour les organisations sociales du Canada? Mettons de côté les paroles et les objectifs inspirants — même si nous sommes tous d’accord avec eux — et allons droit au but. Qu’est-ce que cela veut dire pour les Canadiens, les gens qui nous écoutent présentement? J’aimerais que vous brossiez un portrait en utilisant des termes que ceux qui nous écoutent pourront comprendre.

Mme Joseph : Je pense que nous avons l’occasion de mettre en place un cadre dans lequel nous pourrons travailler ensemble, avec les diverses expertises et possibilités régionales, et avec les diverses industries, pour tracer une trajectoire qui va donner des résultats. Il y en a beaucoup qui ont soulevé des préoccupations par rapport aux résultats, mais ce que nous ferions, c’est travailler d’une façon durable, parce que nous avons observé que quand les politiques ne sont pas mises en place pour assurer la durabilité, le coût énergétique monte en flèche, et cela entraîne d’autres choses comme de la résistance, des retours en arrière, et cetera. Nous avons l’occasion de travailler ensemble pour examiner les choses qui sont importantes pour nous tous et utiliser cette connaissance pour tracer la trajectoire à suivre.

Le sénateur D. Black : Madame Joseph, d’après votre commentaire, je comprends que, pour vous, le projet de loi C-12 est incomplet... il ne nous permet pas de faire ce que vous venez de dire.

Mme Joseph : Il manque quelques éléments. Il y a des choses que nous avons proposées pour la reddition de comptes, et pas seulement pour le rendement économique — pour les mesures comme l’emploi et l’investissement —, mais aussi pour ce qu’il faut faire à l’échelle nationale par rapport à l’échelle régionale. L’économie n’est pas la même partout dans les diverses parties du pays. Chaque région a une combinaison énergétique différente, et ce que cela va lui coûter pour changer ses industries ou son approvisionnement en énergie sera aussi différent. La trajectoire de chaque région est différente, et c’est en travaillant ensemble que nous allons trouver un résultat équitable.

Le président : Monsieur Wicklum, avez-vous entendu la question du sénateur Black?

M. Wicklum : Je crois que oui. J’aimerais être sûr : est-ce que le sénateur voulait que je prenne du recul et que je fasse des commentaires sur ce que cela suppose vraiment pour les organisations, les entreprises et les gens du Canada?

Le sénateur D. Black : Exact. Donnez-nous une image simple. Qu’est-ce que cela voudrait dire pour ma tante?

M. Wicklum : La vérité, c’est qu’il va y avoir des changements énormes au cours des 29 prochaines années et demie. Honnêtement, cela sera nécessaire si le Canada veut remplir son rôle pour éviter les conséquences les plus désastreuses des changements climatiques et si nous voulons éviter de laisser aux générations futures une planète qui a subi des changements permanents que nous n’aimerons pas, selon ce que nous disent les scientifiques.

La vérité est qu’il y a de nombreuses façons de réduire les émissions, et que nous essayons de les réduire depuis 30 ans, depuis 1992 lorsqu’on a signé [Difficultés techniques]. Le fait est qu’il y a très peu de façons de mettre en place un système énergétique carboneutre qui fonctionne pour les Canadiens, un système carboneutre qui permet d’offrir des services aux Canadiens. C’est l’un des autres points communs dont nous prenons conscience. Une foule de groupes de pays sont en train de mettre au point des trajectoires, et le fait est que nous nous dirigeons vers une électrification de masse. Nous allons assister à une diminution marquée de l’emprise des combustibles fossiles dans notre secteur. Il va probablement y avoir un virage massif vers l’hydrogène, parce que l’hydrogène est un combustible sans émission. Les choses qu’on ne peut pas électrifier — comme les trains, les gros autobus ou les navires — vont probablement utiliser l’hydrogène comme combustible sans émission. Si vous vous réveillez un matin dans une société carboneutre, vous allez probablement pouvoir faire exactement tout ce que vous faites aujourd’hui, mais en utilisant d’autres sources énergétiques.

Honnêtement, il y a des avantages. Le monde sera plus propre. Nous allons réduire énormément les coûts de soins de santé. Si nous réussissons cette restructuration, je crois que nous pourrons avoir un monde plus équitable et plus juste pour les groupes désavantagés qui essentiellement, ont été exclus de l’activité économique à cause de la façon dont notre système énergétique actuel, axé sur les combustibles fossiles a évolué. C’est donc quelque chose que l’on pourrait consciemment régler, et le monde deviendrait un endroit plus juste.

Si votre tante se réveille un matin en 2050 et que nous avons fait un travail délibéré et réfléchi pour tracer une bonne trajectoire de transition, alors le monde sera meilleur que celui dans lequel elle s’est réveillée ce matin.

Le sénateur D. Black : Je suis très heureux de l’entendre. Est-ce que ce serait utile à votre groupe et à vous s’il y avait, comme un certain nombre de témoins l’ont dit, des cibles économiques, des jalons dans le projet de loi C-12?

M. Wicklum : Je vais faire un commentaire sur la notion des mesures. Si vous ne mesurez rien, vous ne pouvez rien gérer. C’est ce que je crois, en tant que scientifique et gestionnaire. Il doit incontestablement y avoir une forme de surveillance diligente et exhaustive de l’économie, et les deux secteurs vont probablement jouer un rôle beaucoup moins important dans les systèmes énergétiques futurs — comme dans celui des combustibles fossiles —, mais aussi dans les avantages économiques. Le projet de loi C-12 serait bien adapté pour accueillir ces indicateurs économiques. Pour être honnête, je laisserais cela aux gens qui s’y connaissent davantage en ce qui concerne les mécanismes précis du gouvernement, comme les gens de Statistique Canada. Mais c’est important d’avoir des mesures.

Le président : Sénatrice McCallum, vous m’excuserez d’avoir dit que vous étiez du Québec plutôt que du Manitoba, mais vu la partie de hockey d’hier soir, je me suis dit que vous auriez peut-être préféré cela.

La sénatrice McCallum : Dans le préambule, il est écrit que le Canada veut contribuer à rendre l’économie canadienne plus résiliente, plus inclusive et plus compétitive. Ma question s’adresse à M. Wicklum. Le Canada s’est fixé un objectif de carboneutralité d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif ambitieux, à long terme, le pays doit accélérer sa transition et délaisser la production, la consommation de combustibles fossiles et faire une transition plus rapide vers les autres sources d’énergie à faibles émissions.

Même si la transition vers une économie sans émission est nécessaire et souhaitable à long terme, rien ne garantit qu’elle sera inclusive, productive ou équitable pour les travailleurs et les collectivités du Canada. Une préoccupation est que, en l’absence de politiques gouvernementales proactives pour garantir l’inclusivité, ce seront les communautés marginalisées qui porteront de façon disproportionnée le fardeau lié à l’abandon des combustibles fossiles, ce qui exacerbera les inégalités existantes.

À votre avis, comment pouvons-nous effectuer une transition gérable vers une économie à faibles émissions carboniques tout en réduisant au minimum les préjudices éventuels et en maximisant les avantages potentiels pour les travailleurs et leurs collectivités?

M. Wicklum : Merci. Vous avez décrit avec éloquence l’un de nos plus grands défis, à l’échelle tant mondiale que nationale. Comment pouvons-nous nous assurer d’atteindre la carboneutralité dont nous avons besoin pour préserver notre planète, tout en réduisant au minimum les perturbations économiques pour les groupes existants et en maximisant les avantages pour tout le monde? Telle est la question.

Dans le cadre de nos activités, le Groupe consultatif pour la carboneutralité s’est réuni avec plusieurs groupes de l’étranger qui nous ont dit que, selon leurs modèles indépendants, il y a en fait une nette augmentation de l’économie dans les trajectoires vers la carboneutralité, et non une diminution. La vérité est que de grands changements seront apportés en priorité, et certains secteurs vont absolument jouer un rôle moins important dans les économies de l’avenir, tandis que d’autres secteurs vont jouer un rôle plus important. Même si la carboneutralité présente un avantage à l’échelle du pays, comment pouvons-nous nous assurer que des régions et groupes précis ne seront pas défavorisés, économiquement? À cette question, je répondrais : en agissant très délibérément.

Par exemple, si vous faites le total de toutes les dépenses que le gouvernement du Canada a annoncées pour ses investissements, vers la carboneutralité, cela représente des milliards et des milliards de dollars, et il va certainement y en avoir encore plus, de la part des secteurs privé et public. Il sera très important de prendre des mesures très claires et avec beaucoup de diligence pour s’assurer que les fonds sont distribués par les gouvernements d’une façon qui avantage les groupes qui ont été défavorisés dans le passé.

Il y a aussi une autre solution d’ingénierie. On dit que le pétrole et le gaz n’auront aucun rôle dans l’avenir sans émission. Ce n’est pas nécessairement vrai. Les entreprises pétrolières et gazières ne sont pas le problème, pas plus que les personnes fantastiques qui travaillent pour elles. Le problème, ce sont les émissions associées au pétrole et au gaz. Nous pourrons tirer énormément d’avantages en trouvant une façon de garder le secteur pétrolier et gazier en vie tout en veillant à ce que les émissions associées à l’utilisation du pétrole et du gaz ne se répandent plus dans l’atmosphère.

Il y a une chose sur laquelle je veux mettre l’accent, l’idée de l’hydrogène. Vous pouvez produire de l’hydrogène pour l’utiliser en tant que combustible sans émission par craquage de l’eau ou reformage du gaz naturel. Vous pouvez continuer de produire du gaz naturel, et avant de l’utiliser, vous le transformez en hydrogène, par reformage, qui ne produit pas d’émission au point d’utilisation. Avec cette solution, non seulement vous avez un combustible adapté au monde sans émission, mais en plus, vous l’avez produit à partir de gaz naturel. C’est probablement ce qui sera nécessaire dans le monde carboneutre. Nous faisons preuve de diligence relativement à l’utilisation des fonds publics et aux incitatifs pour attirer les investissements privés, mais il faut aussi examiner avec soin les solutions d’ingénierie ou les éléments précis qui vont constituer le système énergétique sans émission, que nous devons mettre en place, dans le cas présent, d’ici 2050. Ces deux outils peuvent être utilisés pour veiller à ce que les groupes qui sont défavorisés depuis toujours puissent jouer le rôle qui leur revient de droit dans la société canadienne et accéder à des retombées économiques équitables.

Le sénateur Cotter : Merci aux témoins. Vos exposés étaient très instructifs. J’apprécie.

J’ai deux questions pour M. Wicklum, pour donner suite aux questions de la sénatrice McCallum. Vous avez dit qu’il sera possible d’atteindre la carboneutralité, mais que ce sera difficile. Je crois que vous avez reconnu, en réponse à ses questions, que la difficulté ne sera pas la même en fonction du secteur. Certains secteurs auront plus de difficultés que d’autres.

Nous avons tous pris cet engagement, mais les efforts découlent de l’engagement pris par le gouvernement du Canada, alors croyez-vous que le gouvernement du Canada a la responsabilité d’atténuer les conséquences pour ceux qui seront plus durement touchés par la transition ou pour qui cela constituera un fardeau plus lourd?

Deuxièmement, vous avez parlé de modèles établis ailleurs pour atteindre la carboneutralité et du besoin important de réduire les émissions de gaz à effet de serre par opposition à leur élimination. Y a-t-il un équilibre dans ces modèles? Nous allons devoir réduire les émissions à 70 %, et les éliminer à hauteur de 30 %. Est-ce que vos collègues et vous avez produit une formule qui fonctionne, dans le cadre de vos études?

M. Wicklum : Pour répondre à votre première question, est-ce que le gouvernement du Canada a la responsabilité d’aider les collectivités, les organisations et les régions dans le cadre de la transition, la réponse est absolument oui. Je préciserai aussi que nous entrons dans un nouveau paradigme dans lequel, pendant des décennies, les gens ont demandé aux gouvernements nationaux du monde entier de trouver une solution au problème. Je crois que ce qui se passe maintenant, c’est que tout le monde comprend que ce sont tous les chefs et tous les Canadiens qui ont un rôle à jouer. Les décisions d’investissement ont des conséquences importantes, tout comme les choix des consommateurs individuels. Chaque Canadien et chaque entreprise a toute une part de responsabilité pour ce qui est d’aider à favoriser la transition, à l’instar des gouvernements, y compris le gouvernement fédéral.

Pour ce qui est de la capacité de modélisation, un modèle est essentiellement une représentation artificielle de l’avenir. Personne ne peut prédire l’avenir, tout le monde le sait. Si c’était possible, tout le monde investirait son argent correctement dans la Bourse, et nous prendrions tous notre retraite quand la valeur va augmenter.

Les modèles servent à comprendre comment le monde pourrait fonctionner. Essentiellement, c’est comme un jeu de rôles. Serait-il possible de réduire les émissions de 70 % dans ce secteur ou de 40 % dans ce secteur tout en tenant compte des contributions pertinentes des secteurs pour atteindre la carboneutralité, selon des échéances données, et quelle doit être la proportion de réductions par opposition à l’élimination. C’est exactement ce à quoi servent les modèles.

Il y a des gens très intelligents tout autour du monde, y compris au Canada, qui utilisent ces modèles pour réaliser ces scénarios.

Le sénateur Cotter : Il n’y a pas de proportion optimale?

M. Wicklum : Disons que vous créez un modèle, que vous ajoutez des données et des suppositions; cela va vous donner une réponse, mais les ordinateurs ne peuvent pas prendre de décisions. C’est nous, les gens, qui devons prendre des décisions, ainsi que nos représentants élus ou désignés.

Il n’y a absolument aucune proportion optimale, mais vous pouvez toujours demander, par exemple : quelle est la trajectoire la plus susceptible de nous permettre d’atteindre la carboneutralité? Comment pouvons-nous optimiser la création d’une trajectoire pour réduire ce type d’effet ou pour maximiser ce type d’effet? Il n’y a aucune solution optimale, parce que les modèles informatiques sont seulement des outils qui permettent aux vraies personnes de prendre des décisions.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.

La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier les témoins. Même si je ne suis que remplaçante au comité, je trouve tout cela très intéressant.

Monsieur Wicklum, la question que je veux vous poser concerne le groupe consultatif prévu dans le projet de loi C-12. Je veux vous remercier d’avoir assumé sa coprésidence.

Est-ce que la structure et le cadre de travail du comité et le mandat qui vous a été donné sont assez précis et utiles pour que le comité puisse donner des résultats utiles et atteindre les buts fixés dans le projet de loi? Pouvez-vous nous dire si c’est le cas, et sinon, nous dire ce dont vous avez besoin pour y arriver?

M. Wicklum : Merci, madame la sénatrice. Le projet de loi C-12 est toujours à l’étude par les deux chambres, mais il y a d’autres pays qui ont déjà mis en œuvre ce genre de loi, et qui ont un groupe du même genre, et ce, depuis un certain temps. Le Royaume-Uni et la France sont en tête du peloton, et les dirigeants de 20 organismes similaires au groupe consultatif pour la carboneutralité ici au Canada ont réuni les représentants de 20 pays il y a environ trois semaines pour, essentiellement, échanger des pratiques exemplaires et des connaissances. L’un des thèmes clés qui sont ressortis est qu’il est très difficile d’avoir une approche universelle pour mettre sur pied un groupe consultatif pour la carboneutralité. Il y avait énormément de différence entre les mandats et leurs ressources. Certains groupes avaient une loi habilitante, et d’autres non. Une chose que j’ai apprise est que chacun de ces 20 groupes semblait logique, si on tient compte des variables stratégiques et des motivations de chacun des pays.

Je crois que ce que nous devons faire, au Canada, c’est vraiment d’examiner notre environnement stratégique unique, qui doit tenir compte de la Constitution, laquelle est assez compliquée. Pour ce qui est des divers échelons gouvernementaux, nous avons une présence autochtone très forte, qui sera, espérons-le, encore plus forte à l’avenir, pour notre trajectoire vers la carboneutralité.

Voilà donc pour le processus, madame la sénatrice. Jusqu’ici, d’après ce que nous avons vu au cours des trois derniers mois depuis que le groupe consultatif pour la carboneutralité a été formé, c’est que nous fonctionnons assez bien, et nous croyons que nous pourrons accomplir notre mandat avec les ressources à notre disposition. Je dirais que nous sommes plutôt satisfaits de la formulation de notre mandat et du travail que nous avons pu accomplir jusqu’ici.

La sénatrice Bovey : Et la composition du groupe est suffisamment diverse et vous êtes capable de recevoir des commentaires et des conseils multiples et d’en tenir compte, comme on nous l’a dit ce matin?

M. Wicklum : Nous avons deux coprésidents : moi-même et Mme Marie-Pierre Ippersiel, du Québec, ainsi que 12 autres membres qui représentent effectivement... notre travail n’est pas de représenter un groupe ou une région, mais nous venons de régions différentes. Dans notre groupe consultatif pour la carboneutralité, nous avons une expérience très variée dont nous tirons grandement parti pour intégrer tous les conseils qui entrent au gouvernement ou qui en sortent.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Madame Joseph, vous avez parlé de l’importance de mesurer des indicateurs économiques en tenant compte des indicateurs pour les cibles de réduction des gaz à effet de serre, et vous avez aussi parlé de l’importance de la compétitivité canadienne dans le monde. Pouvez-vous nous donner des exemples pour illustrer comment la compétitivité canadienne se porte, au moment d’attirer des capitaux d’autres producteurs énergétiques dans le monde?

Deuxièmement, j’ai une autre question plus précise. Vous avez mentionné qu’il faut que le gouverneur en conseil participe à l’établissement des cibles et qu’il les examine, et que ce ne soit pas laissé à la seule discrétion du ministre. Pouvez-vous nous expliquer votre recommandation?

Mme Joseph : Bien sûr. Merci. Pour répondre à la première question, je vais juste vous donner un exemple. Le Canada a perdu environ 150 milliards de dollars en projets énergétiques au cours des dernières années, y compris un certain nombre de projets de GNL. En 2020, nous avons attiré environ 28 milliards de dollars en capitaux, ce qui n’est pas vraiment beaucoup pour notre secteur.

Si je compare notre situation à la Norvège, qui a adopté des objectifs climatiques très similaires et où les entreprises ont pris des engagements similaires, la Norvège a attiré 20 milliards de dollars en investissement la dernière année, ce qui s’approche beaucoup des investissements au Canada, mais le fait est que l’industrie norvégienne ne représente qu’une fraction de l’industrie canadienne. Cela reflète donc la confiance que la Norvège inspire par rapport à ses mesures fiscales et autres, pour que les investisseurs sachent que le pays a trouvé une façon d’intégrer l’industrie et les solutions climatiques novatrices de l’industrie, d’une façon qui soit harmonisée avec son approche. Nous n’en sommes pas encore vraiment là, ici, mais je crois que la présence de ces indicateurs sera favorable à de telles discussions.

Pour répondre à votre deuxième question à propos du gouverneur en conseil, la loi prévoit cinq mesures qui relèvent exclusivement de la compétence ou du pouvoir décisionnaire du ministre, et cela comprend le mandat du groupe consultatif, l’établissement et la modification des cibles et un certain nombre d’autres mesures. Nos avocats nous ont dit que, dans le libellé de ces projets de loi, soit le ministre a un pouvoir discrétionnaire et il obtient des conseils, soit les décisions sont prises par le gouverneur en conseil, avec le consensus de tous les ministres.

Nous croyons que, compte tenu de l’importance de ce projet de loi, qui, dans les faits, suppose l’élaboration d’un nouveau plan économique tous les cinq ans, pour atteindre les buts, il va falloir l’expertise de tous les ministres et que ceux-ci rendent des comptes au moment de concevoir des stratégies correctement équilibrées et d’atteindre les cibles environnementales et les objectifs en matière d’emploi, de croissance économique, et cetera.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

La sénatrice Galvez : Monsieur Wicklum, vous avez dit que le Royaume-Uni et la France avaient de bons modèles que nous devrions suivre, et que les groupes consultatifs dans ces pays sont composés de scientifiques. Dans le projet de loi C-12, on dit que les cibles que nous voulons atteindre doivent être fondées sur la science. Le gouvernement a choisi de ne pas mettre sur pied un groupe d’experts scientifiques, afin de plutôt former un groupe représentant divers secteurs et diverses régions.

Comment votre groupe diversifié compte-t-il travailler ensemble pour atteindre ses cibles fondées sur la science? Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les membres du groupe, sur leur formation et sur les secteurs auxquels ils appartiennent?

M. Wicklum : À mon avis, nous ne devrions pas suivre les modèles de la France et du Royaume-Uni. C’est tout le contraire. Nous pouvons tirer des leçons de ce qu’ils ont fait, mais nous ne devrions pas les reproduire d’emblée.

En ce qui concerne la science, nous avons plusieurs titulaires de doctorat, dont moi-même, qui font partie du groupe consultatif pour la carboneutralité, et le fait est que le gouvernement a aussi mis sur pied un groupe complètement distinct à vocation purement scientifique, l’Institut canadien pour des choix climatiques, qui travaillera main dans la main avec notre groupe consultatif. Nous avons donc des conseils purement scientifiques, puis des conseils scientifiques et enfin des conseils de la part d’un grand nombre d’horizons professionnels, du secteur de l’économie, de l’innovation, des technologies et de la biologie, pour ne nommer que ceux-là. Les 14 membres du groupe représentent essentiellement une gamme complète d’experts, y compris un scientifique comme moi-même.

Le sénateur D. Black : Merci, monsieur Wicklum. Votre exposé était excellent.

Après tout ce que vous avez vu et entendu, êtes-vous préoccupé par les restrictions que le Canada devra s’imposer pour réunir les fonds, les fonds privés, nécessaires pour cette transition? Vous avez dit que cela représente probablement des centaines de milliards de dollars, et je dirais que ce sera probablement des billions de dollars. Avez-vous des préoccupations, peu importe lesquelles, par rapport à notre compétitivité et nos investissements?

M. Wicklum : Le monde entier doit effectuer la même transition. Il y a plus de 121 pays qui ont un objectif de carboneutralité. La plupart des pays du G20 ont entrepris le même processus que nous, en adoptant des lois mettant en œuvre une structure de reddition de comptes, des groupes consultatifs, et tout le reste.

Nous en sommes encore aux premières étapes de la transition, mais le milieu des finances a fondamentalement changé son approche à l’égard de la carboneutralité. Il voit cela comme l’une des plus importantes possibilités d’investissement depuis des générations.

C’est encore tôt, mais nous nous dirigeons vers le point culminant où le monde va comprendre à quel point il est capital de ne plus débattre de la carboneutralité pour décider si cela peut être mis en œuvre ou si cela peut être fait facilement. Le monde comprendra que c’est quelque chose qui peut être en place dans 30 ans, si nous voulons léguer à nos descendants une planète convenable. Nous continuons de nous diriger vers ce point culminant, et tout le monde s’entend pour dire que c’est l’une des meilleures possibilités d’investissement depuis des générations. En conséquence, je suis convaincu que les investissements vont continuer d’affluer.

Le sénateur D. Black : Donc, vous êtes optimiste. Est-ce qu’il y a un membre de votre groupe qui est au fait des questions financières et de compétitivité?

M. Wicklum : Oui. Il y a quelqu’un dans notre groupe qui a une formation d’économiste.

Le sénateur D. Black : Merci, monsieur Wicklum et madame Joseph.

Le président : Merci, madame Joseph et monsieur Wicklum, de nous avoir fait part de vos connaissances et de votre expertise. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous avons eu une séance fructueuse. Au besoin, nous communiquerons peut-être avec vous dans l’avenir pendant la préparation de notre rapport, parce que vous semblez être pleins de ressources.

Je remercie mes collègues d’avoir été présents ce matin. Je tiens à m’excuser envers vous et envers nos invités des retards causés par des problèmes techniques, mais nous avons fait du bon travail.

(La séance est levée.)

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