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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 10 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour. Je m’appelle Paul Massicotte, je suis sénateur du Québec et président du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance virtuelle du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps à moins que le président vous donne la parole. J’aimerais rappeler aux sénateurs de bien utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui désirent poser des questions de le faire, mais pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et vos préambules. Nous allons permettre six minutes par sénateur pour les questions et les réponses. La greffière signalera que le temps est écoulé en levant la main à l’écran. Si un problème technique survient, en particulier si cela concerne l’interprétation, veuillez me le signaler ou le signaler à la greffière pour que nous puissions le régler rapidement.

J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : l’honorable Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; l’honorable Claude Carignan, du Québec; l’honorable Brent Cotter, de la Saskatchewan; l’honorable Rosa Galvez, du Québec; l’honorable Mary Jane McCallum, du Manitoba; l’honorable Julie Miville-Dechêne, du Québec; l’honorable Dennis Glen Patterson, du Nunavut; l’honorable David Richards, du Nouveau-Brunswick; l’honorable Paula Simons, de l’Alberta; l’honorable Josée Verner, du Québec; l’honorable David M. Wells, de Terre-Neuve-Labrador. Je vous souhaite la bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à toutes les Canadiennes et tous les Canadiens qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous continuons notre étude préalable du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.

Pour notre premier panel de ce matin, nous accueillons : Aaron Henry, directeur principal, Ressources naturelles et croissance durable, Chambre de commerce du Canada; Corinne Le Quéré, professeure, Science du changement climatique, Université d’East Anglia, à titre personnel; David Wright, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel.

Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. J’aimerais vous rappeler que vous avez cinq minutes chacun pour faire vos remarques. Nous aurons ensuite des questions pour vous après votre allocution. Monsieur Henry, vous avez la parole.

[Traduction]

Aaron Henry, directeur principal, Ressources naturelles et croissance durable, Chambre de commerce du Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables membres du comité. Je suis heureux de venir vous faire part de mes commentaires sur le projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050. Merci de l’invitation.

J’entre tout de suite dans le vif du sujet. En principe, la Chambre de commerce du Canada appuie le projet de loi C-12, sauf que nous croyons qu’il faut clarifier et améliorer certains détails de cette mesure et de ses mécanismes d’exécution pour gagner la confiance des milieux d’affaires du Canada.

Mais j’aimerais commencer par certains éléments de valeur que nous voyons dans le projet de loi C-12. En particulier, s’il est bien élaboré et en consultation avec les milieux d’affaires canadiens, il pourrait donner une plus grande certitude en matière de politiques au Canada et susciter une confiance mutuelle entre le gouvernement, l’entreprise et les Canadiens dans la poursuite de nos efforts de décarbonisation.

Comme on l’a signalé, nous avons l’habitude d’établir des objectifs climatiques et de ne pas les atteindre. Non seulement cela nuit à nos efforts visant à contribuer de façon significative aux efforts mondiaux de lutte contre les changements climatiques, mais encore cela fait naître le risque de changements radicaux de l’environnement politique au Canada chaque fois qu’un nouveau gouvernement instaure de nouvelles mesures et une réglementation plus rigoureuse pour rattraper les objectifs non atteints.

À notre avis, l’atteinte de la carboneutralité nécessitera d’énormes investissements de capitaux, de l’ordre de 1 à 2 billions de dollars par année dans le monde d’ici 2050. Pour avoir sa part de ces capitaux d’investissement, le Canada aura désespérément besoin d’accroître sa capacité énergétique et de se décarboniser, ainsi que de se donner une nouvelle capacité énergétique. Cela va demander un environnement prévisible au niveau des politiques, un environnement à l’abri du risque politique.

Bien conçu, le projet de loi C-12 pourrait créer la transparence, la responsabilisation et la stabilité pour éviter les changements soudains de politique. Mais tout en reconnaissant qu’il pourrait jouer ce rôle, nous croyons que le projet de loi a besoin de certaines améliorations pour y arriver.

Premièrement, le changement climatique est un défi qui comporte de nombreuses dimensions, et notre façon d’aborder la carboneutralité aura des retombées allant au-delà de la simple réduction des émissions. Notre approche de la carboneutralité aura des implications pour l’inclusion sociale et déterminera la prospérité économique du Canada et les perspectives des travailleurs canadiens. En bref, les voies d’accès à la carboneutralité ne sont pas toutes égales. Certaines nécessiteront des compromis plus importants que d’autres. Certaines déboucheront sur les résultats environnementaux souhaités, mais au détriment d’autres facteurs économiques et sociaux.

Pour cette raison, la Chambre de commerce du Canada recommande de modifier le projet de loi de manière à ne pas laisser la décision d’approuver un plan quinquennal à la seule discrétion d’un ministre, mais de la faire prendre par l’ensemble du Cabinet comme décision du gouverneur en conseil. Nous proposons ce changement tout simplement parce qu’il y a tellement de dimensions différentes qui nécessiteront l’expertise et l’étude d’autres ministères.

En outre, le projet de loi décrit quelques mécanismes pour faire en sorte que les possibilités et les conséquences économiques liées au choix des voies d’accès que nous emprunterons soient bien prises en compte. Nous pensons qu’il y a deux choses à faire pour corriger la situation. Il faut l’assortir d’une lentille économique claire pour fixer les paramètres afin de faire en sorte que les stratégies sectorielles proposées par l’organisme consultatif soient axées sur la compétitivité économique, la création d’emplois et les possibilités internationales de réduction des émissions, ainsi que sur les avantages potentiels pour les exportations de produits de base et de technologies propres dont le Canada pourra tirer parti.

Deuxièmement, l’élaboration de plans de décarbonisation pour plusieurs secteurs de l’économie sur plusieurs années est une tâche monumentale pour l’organisme consultatif de 15 personnes. Le défi est encore plus grand en l’absence d’expertise et de représentation de l’industrie au sein de l’organisme consultatif. Nous recommandons de modifier le projet de loi pour donner aux parties prenantes de l’industrie, celles qui sont les plus proches des possibilités technologiques et commerciales pour abaisser les émissions de leur secteur, un rôle clair et officiel à jouer dans la formulation des défis sectoriels de décarbonisation. Cela accroîtrait la confiance dans le projet de loi.

Enfin, le mode d’interaction du projet de loi C-12 avec les plans et les règlements climatiques des provinces et des territoires n’est pas clair. Il y aurait lieu de modifier la loi pour intégrer les cibles fixées par les provinces dans les plans quinquennaux du gouvernement fédéral. Ce sera essentiel pour éviter le dédoublement de la réglementation, donner de la certitude quant aux technologies admissibles à la création de compensations et répondre au critère de l’additionnalité. En bref, il est important d’avoir une collaboration étroite avec les provinces pour éviter que les entreprises soient assujetties à une réglementation redondante ou à l’incertitude dans les nouveaux modèles d’affaires qu’elles pourraient être incitées à se donner.

Merci de m’avoir donné l’occasion de faire cette déclaration préliminaire. J’ai hâte de discuter plus en détail du projet de loi avec vous tous.

[Français]

Corinne Le Quéré, professeure, Science du changement climatique, Université d’East Anglia, à titre personnel : Bonjour, merci de me donner la parole. Je travaille depuis plusieurs années comme conseillère sur les questions climatiques au Royaume-Uni au sein du comité sur les changements climatiques (Climate Change Committee) et en tant que présidente du Haut Conseil pour le climat en France. J’apporte mon expertise internationale aujourd’hui.

Contrairement à bien d’autres pays, la gouvernance des actions climatiques au Canada n’a pas fonctionné par le passé. Le projet de loi C-12 doit garantir maintenant l’atteinte des objectifs climatiques actuels. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de près 20 % entre 1990 et 2019 au Canada. En tant que membre du G7 dont le sommet se tient cette semaine, le Canada est le seul pays où les émissions n’ont pas diminué dans la décennie 2010-2019, ce qui veut dire que les émissions de 2019 étaient au même niveau qu’en 2005. En 2020, la décroissance des émissions dues aux mesures de confinement de la COVID-19 est temporaire parce que rien n’a changé : nous avons les mêmes infrastructures, elles sont simplement moins utilisées. Les émissions remontent de par le monde et la situation est extrêmement sérieuse.

L’objectif du Canada de réduire les émissions de 40 à 45 % en 2030 comparativement au niveau de 2005 veut donc dire qu’effectivement, ces réductions doivent s’accomplir dans les huit prochaines années. Cela signifie que le projet de loi C-12 doit être aussi fort et clair que possible pour appeler des actions immédiates de la part du gouvernement et de l’ensemble de la société. L’expérience des 15 dernières années montre que plusieurs pays ont réussi à réduire leurs émissions de manière soutenue, et nous pouvons apprendre des lois qui sont en place ailleurs. Une comparaison entre le projet de loi C-12 et les lois équivalentes dans ces pays montre deux façons principales par lesquelles le projet de loi C-12 pourrait être considérablement renforcé : premièrement, en introduisant une notion d’urgence et des signaux clairs; deuxièmement, en renforçant l’indépendance de l’avis reçu par le gouvernement.

En ce qui concerne le premier point, le projet de loi C-12 n’indique que peu d’urgence en matière d’action et souffre d’un manque quant à la clarté des signaux envoyés pour guider les investissements du secteur privé. Les objectifs et le rythme de la gouvernance sont trop lents. Cela pourrait être rectifié en établissant une fréquence annuelle pour le suivi des progrès accomplis, afin de maintenir un suivi régulier des progrès et des manques, en fixant un objectif cible pour 2025 ou 2026, en établissant les cibles au moins 10 ans d’avance, voire plus, pour que le secteur privé ait des objectifs clairs longtemps d’avance et en fixant les cibles d’après l’avis de l’organisme consultatif.

En ce qui concerne le deuxième point, l’avis d’un organisme composé d’experts et d’intervenants indépendants, fondé sur des faits (evidence-based) est critique. Ces avis doivent prendre en compte à la fois les contraintes climatiques globales et les circonstances nationales, comme la fédération des provinces et le bouquet énergétique au Canada. De tels avis peuvent et vont appuyer le gouvernement et le Parlement dans la mise en œuvre des actions. Ce point pourrait aussi être renforcé dans le projet de loi C-12 en mandatant les membres du conseil en fonction de leur expertise et non de leur représentation et en assurant des ressources suffisantes et protégées pour soutenir le travail du commissaire et de l’organisme consultatif.

Le Canada a franchi une étape importante grâce à son nouvel objectif climatique pour 2030 et à son objectif de carboneutralité pour 2050. Cependant, la réputation internationale du Canada est très mauvaise dans ce domaine en raison des lacunes du passé. Le projet de loi C-12 et la mise en œuvre des actions climatiques qu’il va engendrer sont l’occasion de rectifier le tir. Je vous remercie.

Le président : Merci.

[Traduction]

David Wright, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Bonjour, distingués membres du comité. Je suis David Wright, professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université de Calgary. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole en ce tout début — heure des Rocheuses — d’une magnifique belle journée. J’ai beaucoup de respect pour le travail difficile et important que vous accomplissez, surtout pendant cette pandémie, où rien n’est facile.

Pour vous situer un peu, disons que mes recherches portent sur le droit environnemental et le droit des ressources naturelles, avec un accent sur les changements climatiques. Je suis professeur, mais aussi avocat, ayant été admis aux barreaux de la Nouvelle-Écosse, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest, et je m’intéresse à la politique du droit climatique depuis une quinzaine d’années.

J’ai aussi travaillé cinq ans, de 2011 à 2016, avec les commissaires à l’environnement et au développement durable, si bien que c’est avec intérêt que je constate le nouveau rôle que le projet de loi C-12 donne au commissaire.

En ce qui concerne le projet de loi C-12, permettez-moi d’abord de dire que, à mon avis, il représente un grand pas en avant en matière de droit et de politique climatiques du Canada. Il forme une base indispensable pour l’amélioration de la cohérence de nos lois et politiques sur le climat. Il sera gage de stabilité et de certitude dans un contexte où le régime politique du Canada se prête mal à la gestion des horizons à long terme du changement climatique. Alors que les attentes sont élevées et qu’un grand nombre de personnes souhaiteraient voir des changements au projet de loi, je pense qu’il s’approche raisonnablement de la marque, compte tenu surtout des amendements qui semblent découler de l’examen article par article.

Quant aux détails, dans mon bref commentaire d’introduction, je m’attacherai à trois points : les compétences fédérales et provinciales, la justiciabilité et le rôle du commissaire.

Pour ce qui est des compétences du gouvernement fédéral et des provinces, les membres de votre comité ne seront pas surpris d’apprendre que l’absence des questions environnementales, y compris des changements climatiques, dans la Constitution canadienne a donné lieu à un chevauchement des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Le gouvernement fédéral a de grands pouvoirs de s’attaquer aux changements climatiques, des pouvoirs qu’il exerce actuellement par ses dépenses en infrastructure, la réglementation directe et, comme l’a clarifié récemment la Cour suprême du Canada, la tarification du carbone. Le gouvernement fédéral exerce aussi un rôle qui lui est propre, grâce à un point d’observation privilégié qui lui donne les moyens d’assurer la coordination et la communication entre les secteurs de compétence au sein de la fédération.

Toutefois, comme le ministre l’a fait remarquer dans sa déclaration préliminaire d’hier, le gouvernement fédéral ne peut pas imposer un programme de décarbonisation du sommet vers la base — il ne peut pas, par exemple, contraindre les provinces à se donner des cibles précises de réduction des émissions. Par conséquent, une loi comme celle-ci sur la responsabilité fédérale en matière de changements climatiques ne sert vraiment pas à grand-chose pour dicter ce que l’ensemble de la fédération peut faire.

Il est clair que le projet de loi C-12 a été rédigé avec soin pour tenir compte de ces contraintes relatives au partage des compétences. Un grand nombre des dispositions d’application sont entièrement axées sur les mesures fédérales, par exemple, aux articles 10, 14 et 15. Cela dit, il y a moyen de renforcer et d’améliorer le projet de loi C-12 en précisant comment inscrire dans ce régime les mesures que prendront les provinces et territoires, et quelques nouveaux changements qui semblent émerger de l’étude article par article sont des pas dans la bonne direction. Nous pourrons discuter des détails pendant la période de questions, mais, dans l’ensemble, je suis d’avis qu’il doit y avoir des exigences claires et détaillées pour l’inclusion aux articles 10, 14 et 15 de renseignements sur les mesures de réduction des émissions et des contributions attendues des provinces et territoires.

Soyons clairs : aucun des changements proposés n’imposerait quelque obligation aux provinces. Il n’y a certainement pas de contraintes de respect des compétences ni d’obstacles constitutionnels pour empêcher le gouvernement fédéral d’inscrire ces renseignements dans ses plans et rapports. Je signalerais, par contre, que ces changements ne régleraient pas entièrement le problème de la présence de l’éléphant dans la pièce, c’est-à-dire des engagements formels de réduction des émissions de la part de chaque province et territoire. Nous pourrons en discuter pendant la période de questions.

Quant à la justiciabilité, il s’agit vraiment de savoir dans quelle mesure le projet de loi C-12 inclut ou invite la responsabilisation par le contrôle judiciaire en plus de la responsabilisation politique et publique tissée dans le régime proposé. En bref, il y a une certaine imprévisibilité sur ce front, qui tient à la nature même du projet de loi. La grande question pour le comité et ceux qui travaillent à la révision du projet de loi est de savoir dans quelle mesure cette imprévisibilité doit être gérée et dans quelle mesure elle peut l’être. Voici ce que je veux dire. Il est assez simple de clarifier les choses en ajoutant une disposition explicite prévoyant un contrôle judiciaire et des recours au sujet des obligations fixées par la loi. Je crois comprendre que plusieurs mémoires ont proposé ce type de changement, qui est relativement simple, et que je recommanderais. Il fixerait une base statutaire, par exemple, pour le contrôle judiciaire d’un défaut d’établir les cibles jalons clés nécessaires et d’établir un plan détaillé pour atteindre les objectifs de réduction des émissions. Il fixerait une base statutaire pour ordonner à un ministre d’établir ce genre de plans de plainte. Cela éliminerait à toutes fins utiles les problèmes de justiciabilité dont on vous a parlé. À partir de là, on arrive à des solutions de rechange relativement compliquées, c’est-à-dire la modification de dispositions particulières pour réduire les motifs de contestation d’une loi devant les tribunaux. Nous pourrons entrer dans les détails pendant la période de questions, mais le résultat, c’est que les obligations que prévoit le projet de loi doivent être énoncées dans un langage clair et contraignant qui fixe des critères objectifs et juridiques à faire appliquer par les tribunaux.

Je vais utiliser les quelques secondes qu’il me reste pour parler du rôle du commissaire. À mon avis, dans l’ensemble, le rétablissement de ce rôle de surveillance indépendant est un élément positif du projet de loi C-12. Le commissariat est un organisme solide, crédible, et de grande capacité qui peut ajouter de la valeur et contribuer au régime proposé de transparence et de responsabilisation. Je propose de réviser le paragraphe 24(1) pour obliger le commissaire à faire rapport au moins deux fois tous les cinq ans plutôt qu’une fois tous les cinq ans, comme à l’heure actuelle.

En conclusion, le régime proposé est un pas important et louable dans la bonne direction pour améliorer la cohérence des lois et des politiques canadiennes sur le climat. Les changements découlant de l’examen article par article semblent être des améliorations et des pas dans la bonne direction. Toutefois, une loi fédérale de ce genre ne saurait répondre à toutes les attentes, quelle que soit sa forme définitive, mais elle constituera néanmoins un important mécanisme de stabilisation contre les changements des tendances politiques dans les années et les décennies à venir. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour et merci à tous les témoins d’être ici ce matin. Je ne peux faire autrement que de voir un très grand contraste entre la présentation de M. Henry, de la Chambre de commerce du Canada et celle de Mme Le Quéré sur la composition de l’organisme consultatif. Je voudrais entendre les deux témoins là-dessus.

D’abord, madame Le Quéré, que pensez-vous de l’idée que l’industrie soit présente dans ce comité consultatif, et aussi qu’il y ait des critères économiques ajoutés à cela?

Pour M. Henry, je voudrais également comprendre en quoi l’industrie pourrait vouloir un rythme plus lent; étant donné que le Canada est déjà tellement en retard par rapport à ses objectifs, est-ce vraiment une bonne idée que d’avoir de l’influence dans ce comité qui est censé être un comité d’experts scientifiques?

Mme Le Quéré : Merci. Ce qui est important pour le comité consultatif, en tout cas selon mon expérience, c’est que ses membres soient indépendants et qu’ils aient une expertise appropriée dans l’ensemble des questions climatiques. Sauf que la définition de l’expertise est très large, car nous vivons dans un monde réel et il faut que cette expertise couvre la question des obstacles auxquels font face les acteurs qui opèrent dans ce monde réel. Il n’est pas essentiel que ce soient des acteurs académiques, au contraire; on peut avoir des experts qui viennent d’une base très large, y compris de l’industrie. Par contre, si ces experts siègent au sein du comité consultatif, ils doivent le faire en tant qu’experts et non en tant que représentants. Donc, quand les questions soulevées entraînent des conflits d’intérêts potentiels avec leur secteur d’activité, ils doivent se retirer des recommandations et des décisions.

Effectivement, si leur secteur d’expertise couvre beaucoup de discussions, ce ne sont peut-être pas les personnes appropriées; mais qu’elles soient présentes en tant qu’experts de l’industrie, ce n’est pas un problème. L’enjeu est de ne pas avoir de conflits d’intérêts.

La sénatrice Miville-Dechêne : Y a-t-il des personnes de l’industrie en Angleterre et en France?

Mme Le Quéré : Oui, surtout chez les Anglais. Des huit personnes, une personne vient de l’industrie de la biomasse de l’énergie, et elle ne travaille pas sur ces questions de biomasse de l’énergie, elle travaille sur les questions de durabilité. Au Royaume-Uni, on a des gens qui viennent de comités de représentants — non pas d’une industrie en particulier, mais d’organisations qui appuient les industries.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le président : Monsieur Henry, vouliez-vous intervenir?

M. Henry : Merci pour vos questions, sénatrice.

[Traduction]

Il me semble qu’il y a quelques aspects à considérer dans cette question. D’abord, l’industrie canadienne veut-elle ralentir? Je m’y opposerais fermement. Je ne pense pas que l’industrie canadienne veuille ralentir la cadence. Prévisibilité et certitude sont ce que recherche l’industrie canadienne. De plus en plus d’entreprises canadiennes ont une solide intendance.

L’autre aspect dont nous devons être conscients est l’importance du rythme de la décarbonisation. Ce rythme est de plus en plus imposé par les marchés financiers. Si nous n’arrivons pas à positionner l’industrie canadienne, à nous donner des politiques claires et à envoyer des signaux clairs à cet égard, alors je pense que nous la mettons à risque de ce à quoi j’ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire, soit que nous pourrions nous retrouver privés de ces capitaux, qui seront absolument essentiels pour renforcer la capacité et pour développer et déployer les technologies de décarbonisation.

Je comprends et je respecte le commentaire qui concerne les conflits d’intérêts, mais nous n’avons peut-être pas soulevé le problème des autres membres du conseil ou de l’organisme consultatif, et n’avons pas parlé de leur expertise ni de l’importance rattachée à leur position. De nombreux membres de l’organisme consultatif viennent d’organisations et de collectivités environnementales.

Ce que nous recherchons ici pour la représentation de l’industrie, c’est d’éviter de créer des conflits d’intérêts ou de lancer l’organisme consultatif dans une direction particulière. En un mot : si nous ne trouvons pas l’expertise capable d’indiquer ce qui est faisable, ce qui est possible et ce qui est la meilleure façon pour le Canada de tirer le parti optimal de ses atouts, nous allons être coincés à 100 000 pieds lorsque viendra le temps de l’analyse. Nous devons descendre à 20 000 pieds pour nous donner une politique granulaire reflétant les besoins de l’industrie.

La sénatrice Galvez : J’ai la même question pour Mme Le Quéré et pour David Wright. L’Association canadienne des producteurs pétroliers, un groupe de pression qui représente l’industrie pétrolière et gazière en amont au Canada, propose de modifier le projet de loi pour y inclure des cibles économiques. À votre connaissance, la législation du Royaume-Uni, de la France ou d’un autre pays sur la responsabilité en matière climatique prévoit-elle l’établissement de cibles économiques, et pouvez-vous me dire brièvement ce que vous en penseriez? Merci.

Mme Le Quéré : Des considérations économiques, oui, mais pas des cibles économiques. Le Royaume-Uni et la France reconnaissent que la lutte contre les changements climatiques aura un coût, et leurs comités consultatifs ont pour rôle de faire le travail au moindre coût et de répartir les coûts équitablement. Leurs avis ne sont pas insensibles à l’économie, mais ils visent à réduire les émissions de la manière la plus efficace, compte tenu de la capacité d’absorption de l’économie en général, mais en donnant la priorité à l’instrument qui donnerait les meilleurs résultats.

M. Wright : Je vous remercie de la question. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je m’en remets à la réponse précédente sur le contexte international. Je ferais quand même peut-être une mise en garde : plus il y aura d’exigences pour le plan et les rapports, plus on risque que les tribunaux refusent de s’y pencher. On veut une formulation claire, nette, contraignante, qui s’écarte des dispositions de la loi qui sont fondées sur les valeurs.

La sénatrice Simons : Comme M. Wright pourra en témoigner, la journée d’hier a marqué un moment décisif en Alberta. Hier, le premier ministre Jason Kenney et TransCanada ont annoncé officiellement l’abandon de tous les plans pour l’oléoduc Keystone XL, ce qui fera perdre environ 1,3 milliard de dollars, au minimum, aux contribuables albertains. Le même jour, le premier ministre Kenney, le ministre Champagne et le ministre O’Regan ont signé un protocole d’entente avec une entreprise appelée Air Products pour la construction d’une usine d’hydrogène bleu, au prix de 1,3 milliard de dollars, à Edmonton. C’est sûrement par coïncidence que la perte de 1,3 milliard de dollars et l’investissement de 1,3 milliard soient exactement de la même valeur, mais je pense que c’était un puissant symbole de changement d’orientation économique.

Ma question s’adresse à M. Henry. Ce genre de décision d’investissement, pour la construction d’une usine de production d’hydrogène de 1,3 milliard de dollars, part du principe que c’est l’orientation que veulent nos gouvernements et qu’il y aura suffisamment de certitude économique pour justifier un investissement de 1,3 milliard de dollars dans une nouvelle technologie comme l’hydrogène bleu. Pouvez-vous me dire si, selon vous, le projet de loi offre suffisamment de clarté, suffisamment d’assurance et suffisamment de garantie pour convaincre les investisseurs, les bailleurs de capitaux de risque et les entrepreneurs que nous passons à un nouveau paradigme économique? Cela vous donne-t-il suffisamment d’assurance que c’est là que l’argent ira désormais?

M. Henry : Sénatrice, merci beaucoup de votre question. C’est une excellente question, et la réponse est complexe.

J’abonde dans le même sens que les autres témoins. Je pense que c’est un pas positif vers la transparence, mais, compte tenu de la façon dont le projet de loi est conçu, je ne suis pas sûr qu’il donne la certitude que rechercheront les investisseurs à ce stade-ci. Cela dépendra en grande partie de la définition que l’on donnera aux stratégies sectorielles de décarbonisation, de la compréhension qu’on en aura et de la mesure dans laquelle elles pourront s’harmoniser avec la politique fédérale.

L’investissement dans l’hydrogène est un bon exemple, parce qu’il y a divers éléments à réunir. Beaucoup d’investisseurs recherchent une certaine stabilité pour ce qui est de l’augmentation graduelle de la tarification du carbone, mais il n’y aura pas de changement radical du régime. En outre, bien qu’il y ait des perspectives pour l’hydrogène vert, une bonne part de la capacité du Canada dépend de l’hydrogène bleu, si bien qu’il doit y avoir un déploiement à grande échelle du captage et du stockage du carbone. La certitude à cet égard dépendra des possibilités de création de compensations, de la certitude entourant la tarification du carbone, et de la question de savoir si les mesures fédérales actuelles de stimulation de cette technologie demeureront en place.

Une partie du problème que pose ce projet de loi, qui demeure quand même un grand pas et un élément important de la responsabilisation, c’est que nous aurons encore affaire à un ensemble de technologies, certaines toutes nouvelles, qu’il faudra mettre au point pour atteindre les cibles. C’est là qu’il y a encore des préoccupations plus vastes, auxquelles il faudra répondre, au sujet de la confiance des investisseurs.

La sénatrice McCallum : Je remercie les témoins de leur comparution et de leurs exposés.

J’aimerais demander à M. David Wright d’en dire plus long sur l’éléphant dans la pièce et du défi à relever pour rallier les provinces. Quel rôle envisagez-vous pour les peuples autochtones? Bien souvent, ils se retrouvent au cœur de conflits intergouvernementaux. Merci.

M. Wright : Encore une fois, du côté fédéral-provincial-territorial, la loi ne peut pas tout faire, mais elle pourrait aller plus loin en exigeant plus de détails sur les contributions des provinces et des territoires, sur les mesures qu’ils prendront et sur la façon dont cela s’inscrira dans le grand tableau. Sans cela et sans dispositions prescriptives de la loi, il se pourrait bien que le plan et les rapports exigés présentent cet angle mort et qu’il ne donne pas un tableau complet de l’ensemble.

Quant aux communautés autochtones et aux contributions des organisations et des gouvernements autochtones, rien ne saurait être plus important. D’après ce que je comprends de l’étude article par article, encore une fois, il y a de bons pas qui se font dans la bonne direction. Il y a un langage un peu opaque au sujet des contributions des « autres gouvernements », qui peuvent comprendre les gouvernements autochtones. Par contre, l’une des difficultés pour ce projet de loi et pour l’ensemble du processus se situe au niveau des différences de degré de la compétence des communautés autochtones ou, tout au moins, de l’administration et du contrôle des émissions de gaz à effet de serre.

Je pense que le projet de loi adopte une approche de haut niveau pour la création de l’espace, sans être trop prescriptif, et que cela convient probablement pour ce qui est de la participation et des contributions des communautés autochtones. Il faudra vraiment une mise en œuvre minutieuse et sensible, empreinte d’un esprit de réconciliation, pour saisir ces occasions, particulièrement en ce qui a trait aux projets d’énergie propre.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’indépendance des membres du comité. C’est Mme Le Quéré, je crois, qui en a traité.

Vous dites qu’un des aspects importants est l’indépendance des membres du comité. Je ne vois pas grand-chose dans le projet de loi qui garantit leur indépendance. Quels sont les éléments qui devraient être introduits dans le projet de loi pour garantir cette indépendance, et que l’on trouve dans d’autres lois dans le monde, notamment en Angleterre et en France?

Mme Le Quéré : Tout d’abord, il faut une mention quant aux critères de sélection — il faut que les membres soient choisis pour leur indépendance, et n’y a pas de mention particulière à ce sujet.

Dans les autres pays, on a aussi un règlement intérieur qui établit les règles relatives aux conflits d’intérêts. Plus particulièrement, les membres doivent déclarer leurs conflits d’intérêts potentiels et il existe des règles expliquant les circonstances où ils doivent se retirer. Enfin, dans la loi française, en particulier, on mentionne que les membres ne peuvent pas recevoir de directives de la part de ministres ou de membres du gouvernement dans le cadre de leur travail.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : J’aimerais aussi m’adresser à Mme Le Quéré. J’ai été ravi de vous entendre dire que les régimes internationaux de carboneutralité ont tenu compte des considérations économiques. Nous entendons souvent notre gouvernement dire que l’économie et l’environnement ne vont pas l’un sans l’autre, et que l’écologisation est une excellente occasion d’améliorer la croissance du PIB et de soutenir notre économie, même si cela exigera des capitaux, qui ne pourront pas tous venir du gouvernement. Au bout du compte, ne devrions-nous pas nous aussi tenir compte des considérations économiques de la carboneutralité et de ses retombées sur l’économie?

La Chambre de commerce du Canada nous a dit clairement qu’il n’y a pas de facteur économique clair dans le mandat de l’organisme consultatif. Il n’y a pas de représentants de l’industrie dans l’organisme consultatif, et l’industrie devrait faire partie de la solution, et pas du problème.

Donc, s’il ne tient pas compte des coûts et des avantages pour notre économie, le projet de loi comporte une lacune. Conviendriez-vous que nous devrions désormais pouvoir mesurer les impacts de la carboneutralité sur l’économie dans nos évaluations de ces cibles? Merci.

Mme Le Quéré : Merci.

Vous avez raison : la carboneutralité est fondamentale pour l’économie. L’enjeu ici est que les décisions économiques doivent s’inscrire dans un budget carbone. Dans les pays où je travaille, bien sûr, c’est aussi une dimension, l’impact sur l’économie est aussi une dimension, une dimension que l’on aborde en analysant le coût minimal possible des politiques à mettre en place pour atteindre les objectifs climatiques.

Le rôle de cette loi et de l’organisme consultatif en particulier est de donner des avis sur l’atteinte des objectifs climatiques. L’atteinte de ces objectifs passe par des recommandations, qui sont en réalité très complexes, sur la structure de l’économie. Les organismes consultatifs ont une vaste expertise, qui ne couvre toutefois pas tous les aspects de l’économie, et il y a là un rôle à jouer pour d’autres organismes.

J’essaie de dire que c’est la principale lentille du projet de loi C-12 et, en particulier, de l’organisme consultatif, doit être axée sur les objectifs, l’analyse et la prise en compte des conséquences et des occasions également pour l’ensemble de l’économie, mais que tout cela ne remplace pas les principales décisions du gouvernement en matière économique.

Le sénateur Cotter : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Vous nous avez fait des exposés des plus intéressants, et je vous en suis fort reconnaissant.

J’aimerais m’attacher à la dimension fédérale-provinciale des questions qui ont été discutées, comme la sénatrice McCallum l’a mentionné un peu plus tôt, et peut-être les approfondir davantage. J’ai noté, par exemple, dans vos exposés, en particulier ceux de M. Henry et de M. Wright, la nécessité d’une concertation fédérale-provinciale. Il est probable que certaines provinces et certains territoires prendront des directions différentes de celles du gouvernement.

J’aimerais savoir, surtout de votre part, monsieur Wright, s’il y a des solutions, peut-être même en dehors du cadre de ce projet de loi, qui permettraient d’atteindre l’objectif. De fait, je doute fort que ce projet de loi lui-même puisse faire quoi que ce soit d’autre que d’entretenir l’espoir fédéral, étant donné ce que vous dites de la mesure dans laquelle le projet de loi ne peut imposer d’obligations aux provinces.

Monsieur Henry, selon vous, faut-il espérer du concret, comme une meilleure collaboration des provinces récalcitrantes ou une approche plus constructive d’Ottawa, et comment voyez-vous cette équation?

Permettez-moi de glisser une question pour Mme Le Quéré et peut-être pour M. Wright : prenons, par exemple, un pays fédéral comme l’Allemagne. Comment l’Allemagne a-t-elle réussi à établir une concertation entre ses différents paliers de gouvernement pour faire avancer ce dossier, qui semble poser problème au Canada? Merci.

Le président : Le sénateur Cotter a posé trois questions en une. Je vais demander à chacun d’entre vous, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, de donner une réponse brève, mais abondante.

M. Wright : Je vous remercie de la question, sénateur.

Je vous renverrai à un billet sur la dimension fédérale-provinciale que j’ai publié dans un blogue peu après le dépôt du projet de loi à la fin de l’année dernière. Vous avez parfaitement raison de dire qu’il y a des limites à ce que cette loi peut faire, et que l’éléphant dans la pièce est un engagement ferme et contraignant de toutes les administrations au Canada.

Un modèle que j’ai mentionné et qui est facilement accessible, mais plus facile à expliquer qu’à réaliser, est un genre d’entente de partage du fardeau, ou d’entente de partage de l’effort. Le modèle le plus courant est celui utilisé dans l’Union européenne, qui a ses propres cibles macro ou globales de réduction des émissions, et dont tous les États s’engagent à viser des cibles précises de réduction des émissions, en fonction de leur composition économique.

Cela pourrait se faire au Canada. Cela pourrait presque être comme un mini-Accord de Paris, où chaque province ou territoire propose lui-même sa cible de réduction des émissions. Plus facile à dire qu’à faire, sans doute, mais c’est le pas qui n’a jamais été franchi au fil des décennies dans le contexte de la loi et de la politique climatiques du Canada. S’il devait l’être et s’il devait être de nature officielle et contraignante qui pourrait s’étendre sur des cycles politiques et en résistant aux changements de tendances politiques, nous pourrions enfin commencer à voir clairement comment aller de l’avant et qui fait quoi au gouvernement fédéral et dans les provinces et les territoires.

M. Henry : Merci, sénateur Cotter, de votre question.

Il y a quelques problèmes. Premièrement, il y a le dédoublement des efforts. C’est un problème pour l’industrie. On se retrouve dans un monde où les mêmes molécules de CO2 sont réglementées deux ou plusieurs fois. C’est toujours une question de coût.

Je dirais que l’un des éléments les plus critiques de la certitude politique revient à la question de l’additionnalité. Si un plan provincial désigne certaines technologies pour l’atteinte de la carboneutralité ou si un plan fédéral de l’organisme consultatif désigne certaines technologies pour l’atteinte de la carboneutralité, cela change l’admissibilité de ces technologies pour l’ajout de nouvelles compensations.

Si cela se produit, alors cela devient tout simplement un défi à traiter dans les modèles d’affaires que les entreprises pourraient par ailleurs préférer, et cela compromet l’investissement. Il faut articuler clairement comment nous percevons l’additionnalité et, à certains égards, la question reste ouverte, et il faut l’aborder dans un système national de compensations plus robuste et coopératif.

Mme Le Quéré : L’organisme consultatif donne [Difficultés techniques] à chacun des quatre pays, et les gouvernements de ces pays ont alors choisi, jusqu’à maintenant, d’aller plus loin que les conseils reçus des groupes consultatifs. Donc, c’est un exemple.

En Europe, comme le disait M. Wright, c’est négocié. Actuellement, on négocie la prochaine cible, qui vient d’être renforcée, moins 55 % en 2030. Il y a deux modèles là-bas, soit la répartition de la cible en fonction du PIB par habitant, de sorte que les pays riches paient, soit le coût le plus bas possible, qui est négocié entre 27 membres.

Le président : Monsieur Wright, j’ai une question pour vous. M. Henry et certains autres ont fait valoir l’importance de la prise de décisions par décret, c’est-à-dire par le Cabinet au complet plutôt que par le ministre seul. Hier, le ministre a répondu que cela ne faisait pas une grande différence parce que le Cabinet plénier interviendra de toute façon dans les grandes décisions finales. Expliquez-nous un peu. Qui a raison et qui a tort?

M. Wright : Difficile de dire qui a raison et qui a tort. La disposition pertinente ici est l’article 12, qui dit explicitement que les autres ministres participent à l’établissement du plan et des rapports, et ainsi de suite. Le comité et ceux qui révisent le projet de loi doivent se demander dans quelle mesure on pourrait modifier cette disposition pour répartir le pouvoir.

À mon avis, retirer au ministre la responsabilité ultime et la coordination de tout cela pourrait causer de la confusion — trop de cuisiniers dans la cuisine, vous savez. Je pense que la formule actuelle est très proche de la cible. Je laisse aux rédacteurs législatifs le soin de trouver la formulation qu’il faut pour faire intervenir les autres ministres, mais dans l’ensemble, j’estime que l’article 12 est déjà proche de la marque.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aurais une question complémentaire pour M. Wright. En ce qui concerne la séparation des pouvoirs entre les provinces et le fédéral, je trouve cela assez difficile à envisager. J’aime votre idée de « mini-Accord de Paris » entre les provinces et le fédéral, mais je ne sais pas si c’est possible.

J’aimerais vous entendre sur une de vos suggestions. Vous avez dit que, bien sûr, le fédéral doit se garder de dicter aux provinces quoi faire, mais vous voulez que le fédéral inclue dans ses rapports de l’information, c’est-à-dire un bilan des résultats et des efforts de chaque province. J’essaie de voir en quoi cela pourrait aider puisque ces résultats sont déjà publics. Existe-t-il un risque de rendre l’exercice un peu plus difficile et politique en montrant du doigt certaines provinces, dans ce rapport? J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

M. Wright : Merci de la question.

Je le répète, ce projet de loi a ses limites, et j’estime que les changements qui découlent de l’étude article par article sont des pas dans la bonne direction pour exiger des provinces et des territoires le plan et les rapports qui donneront les renseignements dans le plus grand détail. Il s’agit tout simplement de renseignements sur l’état de la situation. Ce ne sont pas des renseignements normatifs destinés à convaincre.

En réponse à la question précédente du sénateur Cotter, ce qu’il faudrait, c’est quelque chose de tout à fait parallèle au projet de loi C-12, un mécanisme formel ou une tribune pour dire qui fera quoi. Le problème dans ce cas, bien sûr, c’est que cela pourrait ne pas tenir la route. Le gouvernement fédéral est limité au niveau des réductions d’émissions, et les provinces ne voudront probablement pas dépasser un certain point. Il n’y a pas vraiment d’autre solution pour l’instant. Cette conversation doit se dérouler en toute transparence, et la mesure dans laquelle il y a des lacunes serait révélée et, espérons-le, une solution négociée et de concertation pourrait être trouvée quant à qui fait quoi. Les dépenses fédérales en infrastructures peuvent contribuer pour beaucoup à apaiser la tension et les lacunes dans ce contexte.

J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Mme Le Quéré. Il est tellement rafraîchissant de vous entendre dire que, au Royaume-Uni et en Europe, les négociations vont bien et l’ambition est grande, que les cibles sont dépassées et que de nouvelles cibles sont offertes, des cibles plus rigoureuses que ce que propose le comité consultatif. C’est incroyable.

Comme vous l’entendez, nos problèmes et notre retard au Canada tiennent en partie aux conversations difficiles entre le gouvernement fédéral et les provinces, voire les municipalités. Nous en avons discuté dans les dernières minutes, mais je veux aussi signaler l’aspect technologique. À quel stade cette technologie est-elle rendue? Sur quoi faut-il parier? Le Canada a-t-il déjà suffisamment de technologie pour avoir la même ambition que l’Europe? Merci.

Mme Le Quéré : Merci.

Le Canada a un bouquet énergétique plus décarbonisé que bien d’autres pays, grâce à l’hydroélectricité. D’une certaine façon, c’est assez semblable à la France, dont la contribution nucléaire à la production d’électricité est très élevée. Cela signifie que le Canada et la France, de même que d’autres pays aujourd’hui — comme la Suède — ont des émissions qui sont réparties, tout particulièrement dans les transports et l’industrie. En fait, dans le secteur des transports, l’électrification des transports est disponible. Elle n’est pas gratuite, d’où la grande importance de se donner des cibles très claires et ambitieuses pour transformer la production et créer de nouveaux débouchés, comme la mise au point de batteries et ainsi de suite. Les obstacles qui se dressent sont plus grands pour la mise en œuvre, la visibilité et le financement du secteur.

L’industrie est très fragmentée, et il est important de définir des stratégies par sous-secteur de l’industrie. Certains processus pourront être électrifiés. En l’occurrence, cela pourra être très rapide. D’autres devront compter sur l’hydrogène. Dans ces cas-là, il y a des problèmes de chaîne d’approvisionnement, sans compter que l’hydrogène n’est pas vert tant qu’il ne l’est pas jusqu’au bout. Il y a des options de ce côté-là.

L’état de la situation, c’est qu’il y a beaucoup, beaucoup de technologies déjà disponibles. En déployant ces technologies, on abaisse les coûts et le processus peut s’accélérer, y compris l’innovation. Il y a seulement quelques technologies pour lesquelles le développement sera planifié plus tard. L’une d’entre elles est le captage et le stockage du carbone.

[Français]

Le président : Madame Le Quéré, j’ai une question de suivi. Lorsqu’on se tourne vers l’Angleterre, on constate qu’il y a des émissions importantes de CO2 au-dessus de 40 %.

On doit dire qu’au Canada, avec raison, les gens d’affaires ont beaucoup de craintes du point de vue de l’engagement que nécessite cette réduction aussi draconienne et importante de l’économie. Quand on regarde l’Angleterre, on se dit que ce n’est pas si mal compte tenu du PIB et de la croissance. Les gens mangent toujours, ils se rendent au travail tous les matins.

Qu’est-ce qu’on peut apprendre de cela? Au Canada, plusieurs personnes ont peur; pas seulement les extrémistes. On est quand même très préoccupé des impacts sur la rentabilité des entreprises. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe en Angleterre et en France?

Mme Le Quéré : En Angleterre, tout particulièrement, on a rapidement envoyé des signaux clairs à l’industrie de production d’énergie et d’électricité. On a mis en place beaucoup d’instruments différents. Pour la transition vers l’économie sans carbone, il y avait le Système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE-UE), mais on a ajouté un prix plancher du carbone, des subventions novatrices pour le déploiement de l’éolien et des réglementations. Donc, le gouvernement a mis en place plusieurs instruments pour envoyer, comme M. Henry l’a dit, des signaux très clairs à l’industrie. Quand on a décidé d’amorcer la transition, on a utilisé l’instrument économique, le SEQE-UE, un prix plancher, des subventions au déploiement des éoliennes et un accompagnement des industries. À l’échelle de l’industrie en général, on a utilisé beaucoup d’instruments différents pour envoyer des signaux clairs pour éliminer le carbone. En France, on a un peu le même système pour les bâtiments. On se sert beaucoup des filières d’approvisionnement, des instruments financiers et des interdictions. Il ne s’agit pas simplement d’imposer une taxe sur le carbone et de dire que tout va bien se passer. Il faut guider l’ensemble des secteurs de la société en mettant en place plus qu’une seule mesure.

[Traduction]

Le président : Merci à nos trois témoins. Je pense que nous avons eu une très bonne discussion, très instructive et très utile. Merci de votre disponibilité. Nous nous reverrons la prochaine fois.

Chers collègues, nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Judith Sayers, présidente du Conseil tribal Nuu-chah-nulth; Eriel Tchekwie Deranger, directrice exécutive de l’Indigenous Climate Action, le chef Dana Tizya-Tramm, de la Première Nation des Gwitchin Vuntut.

Le chef est loin dans le Grand Nord du cercle arctique, et il n’a pas d’autre moyen de communiquer avec nous que son iPad ou son téléphone cellulaire. Les honorables sénateurs sont-ils d’accord pour dire qu’il peut encore le faire? Je lui demanderai de retirer sa fonction visuelle au profit d’une meilleure réception. D’accord?

Des voix : D’accord.

Le président : Bienvenue, chers invités, et merci d’être des nôtres aujourd’hui. Je vous rappelle que vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Nous aurons, bien sûr, ensuite des questions à vous poser.

Judith Sayers, présidente, Conseil tribal de Nuu-chah-nulth : Bonjour à tous. Je viens de la côte Ouest de l’île de Vancouver, des territoires nuu-chah-nulth. Nous sommes 14 nations qui menons ensemble l’action politique, et nous sommes aux premières lignes des changements climatiques. Pour le reste, on pourrait dire que nous sommes touchés de façon disproportionnée. Une bonne part de nos écosystèmes et de notre biodiversité continuent d’être touchés par les changements climatiques et la hausse des températures au printemps et en été, les inondations en hiver, l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement des océans, les impacts sur la faune et les oiseaux, la sécheresse due à la hausse des températures des cours d’eau à saumon et les températures causant des problèmes de santé pour nos aînés et nos personnes vulnérables. Cette liste des impacts n’est pas exhaustive. Nous sommes dans une situation d’urgence climatique et nous devons agir en conséquence. Nous aimerions que les réductions des cibles soient avancées de 10 ans. Je sais que cela causerait de gros problèmes et serait très difficile, mais la menace de destruction d’un grand nombre de nos habitats et écosystèmes devrait nous y pousser.

Le projet de loi ne dit rien de l’atténuation ou de l’adaptation, et nous estimons qu’il devrait obliger à s’y pencher, car nous devons changer notre mode de vie, maintenant, et vite.

Les articles 4 et 8 reposent sur les meilleures connaissances scientifiques, qu’il faut, nous en sommes convaincus, compléter par les connaissances et la sagesse autochtones. Il y a bien des façons d’expliquer la situation. La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale les reconnaît et les utilise déjà.

L’article 10 énonce le plan de réduction des émissions. Ce qui fait défaut dans ce cas, c’est une stratégie pour reconnaître et comprendre les impacts des émissions sur les peuples autochtones, des stratégies précises pour les réduire et les surveiller en continu.

Le paragraphe 11(1) sur les modifications à la loi sur les émissions parlait d’une consultation avec les Autochtones, dans le sens de l’article 13. Comme nous sommes touchés sur les premières lignes, nous croyons qu’il nous en faut plus. Nous devons participer aux décisions, et l’article 29 de la Convention des Nations unies sur les droits des peuples autochtones nous donne droit à la préservation et à la protection de l’environnement et à la capacité de production de nos terres, territoires et ressources.

Nous aimerions que le projet de loi C-12 précise clairement qu’un plan de réduction des émissions ne pourra pas être ajusté au-delà de 2050 et que les cibles devront être atteintes avant cette échéance. Dans notre situation d’urgence climatique, cela a trop d’importance et ne devrait pas pouvoir être modifié. Si vous permettez des amendements, s’ils n’atteignent pas leurs objectifs de réduction, alors cela sera un véritable cauchemar sans fin. Le gouvernement doit s’assurer que ces cibles sont atteintes et que tous les secteurs respectent leurs engagements en matière de réduction des émissions de carbone. Le Canada n’a pas respecté ses échéances, et il doit y avoir dans ce projet de loi un libellé qui contraint le pays à le faire. Un rapport au Parlement ne suffit tout simplement pas, et si le Canada est en retard sur ses cibles, il doit accroître ses efforts au cours des prochaines années.

L’article 20 sur l’organisme consultatif doit préciser qu’au moins un membre est autochtone, que le conseil est impartial et indépendant du gouvernement et que le ministre répond publiquement à ses recommandations.

Je pense qu’il devrait y avoir un sommet zéro émission tous les cinq ans auquel participeraient le Canada, les provinces et les dirigeants autochtones pour examiner ce qui a été fait, ce qui ne l’a pas été, et faire des recommandations. Les changements climatiques sont la responsabilité de chacun, pas seulement du gouvernement du Canada, et les gens ne participent pas suffisamment à ce plan.

Le monde dans lequel vivront les générations futures en dépend, et nous devons agir maintenant, le plus tôt possible. Aucun travail n’est plus important que celui-ci. Nous avons vécu chez nous pendant la COVID. Est-ce ce que l’avenir nous réserve si nous n’agissons pas à temps? Je pense que c’est une possibilité très réelle, avec laquelle nous devrons peut-être composer si nous ne pouvons pas sortir parce que les températures sont trop élevées. Pouvons-nous survivre de cette façon?

Merci.

Le président : Merci.

Eriel Tchekwie Deranger, directrice exécutive, Indigenous Climate Action : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Merci beaucoup de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui. Je représente Indigenous Climate Action, un organisme de justice climatique dirigé par des Autochtones, et je suis également membre de la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, située sur le territoire visé par le Traité no 8.

Récemment, Indigenous Climate Action ou ICA, a publié un rapport intitulé Decolonizing Climate Policy in Canada. Il s’agissait d’une critique autochtone du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques et du plan Un environnement sain et une économie saine. Mon témoignage se fonde en grande partie sur ce travail, ainsi que sur le travail effectué précédemment sur le projet de loi C-12 par l’Assemblée des Premières Nations, la Première Nation Tsleil-Waututh, les Chipewyans d’Athabasca, les Cris Mikisew et la nation crie de Beaver Lake.

Il y a une demande mondiale pour des mesures climatiques progressistes et justes qui réduisent les émissions, protègent l’environnement et respectent les droits de la personne et les droits des peuples autochtones. Le projet de loi C-12, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, est essentiel et pourrait nous fournir un autre outil pour atteindre cet objectif, mais il exigera des améliorations bien précises. Nous avons en particulier besoin d’un libellé plus ferme et de mesures de protection des droits de la personne et des droits des peuples autochtones. Comme l’a dit le témoin précédent, Mme Sayers, les peuples autochtones sont en première ligne. Sans cela, nous courons le risque de continuer à violer leurs droits dans le but d’équilibrer le climat.

Pour ce faire, il faudra que la loi énonce directement les engagements à l’égard de la mise en œuvre de la DNUDPA, qu’elle décrive comment le gouvernement du Canada harmonisera ce projet de loi avec la DNUDPA, avec les droits inhérents issus de traités et les droits constitutionnels prévus à l’article 5. Elle devra également inclure des engagements clairs affirmant que toutes les relations avec les peuples autochtones doivent être fondées sur la reconnaissance et la mise en œuvre du droit inhérent à l’autodétermination, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, et non se satisfaire d’une simple reconnaissance des droits dans le préambule.

En veillant à ce que les droits des Autochtones soient enchâssés dans la loi, dans le mandat de l’organisme consultatif et dans celui du commissaire, le projet de loi peut fournir des mesures de protection pour différencier la participation des gouvernements autochtones de la participation du public et faire cette distinction pour tous les processus décisionnels liés à l’établissement et à la modification des cibles nationales d’émissions de gaz à effet de serre ou pour l’établissement et la modification des plans de réduction des émissions, conformément à l’article 13 du projet de loi.

En plus du libellé et de la formulation visant directement à respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce projet de loi doit inclure la protection des droits fondamentaux de la personne, y compris le droit à une eau potable propre, gratuite et accessible, ce qui continue d’être entravé par l’extraction des ressources et les projets d’exploitation de combustibles fossiles sales au Canada.

Cela m’amène à mon deuxième point, c’est-à-dire que ce projet de loi doit comprendre des réductions réelles des émissions, y compris l’élimination des industries très polluantes, et pas seulement des mesures compensatoires. L’encadrement de la consommation énergétique nette zéro repose sur les mesures compensatoires et peut constituer un moyen sournois de continuer à extraire et à exporter des combustibles fossiles. Il faut faire preuve de transparence sur la façon dont cela profite à l’industrie des combustibles fossiles tout en continuant de nuire aux collectivités de première ligne qui font face aux répercussions climatiques et aux projets d’extraction, comme ma propre collectivité, la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, qui fait face au développement continu des activités d’extraction des sables bitumineux, qui sont responsables actuellement de 11 % des émissions totales du Canada. Par conséquent, nous sommes inquiets des conséquences disproportionnées que cela a sur les collectivités, y compris la mienne.

Le projet de loi doit restreindre l’utilisation des compensations carbone pour atteindre les cibles. La réduction des émissions nationales doit être au cœur de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité.

De plus, nous devons fixer des cibles plus ambitieuses. Nous devons viser des émissions nettes zéro en réduisant les émissions nationales d’au moins 90 % par rapport aux niveaux de 2005, ce qui est conforme à certaines des cibles les plus progressistes que nous voyons à l’échelle internationale.

Les deux derniers points dont j’aimerais parler sont que ce projet de loi doit tenir compte des circonstances uniques auxquelles font face les nations et les collectivités autochtones, qui sont le résultat du colonialisme continu. Il faut aussi que le projet de loi oblige le gouvernement à rendre compte des promesses qui ont été faites, et qui n’ont pas été tenues, au sujet de l’élaboration d’une politique et d’une législation sur les changements climatiques en partenariat avec les peuples autochtones sur la base d’une relation de nation à nation. À ce jour, le Canada n’a pas de processus de fond pour veiller à ce que les droits des peuples autochtones soient respectés ou maintenus dans l’élaboration de plans et de politiques climatiques visant à atteindre la consommation énergétique nette zéro, ou pour veiller à ce que les connaissances et les solutions autochtones soient utilisées dans l’élaboration et la formulation de ces politiques et de ces plans.

Le récent rapport d’Indigenous Climate Action a révélé que, malgré les mentions répétées de l’importance des droits et des connaissances autochtones, nous avons été structurellement exclus de l’élaboration des récents plans et politiques climatiques du Canada. Cette exclusion n’est pas uniquement le reflet d’un processus mal conçu. Elle viole les droits des Autochtones à l’autodétermination et au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui sont inscrits dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Par conséquent, ce dont nous avons besoin, c’est d’un processus amélioré et ciblé axé sur le consentement, en collaboration avec les peuples autochtones, et qui inclue des ressources adéquates pour la participation communautaire afin d’assurer la participation directe des Premières Nations à ce projet de loi et à d’autres lois, règlements, politiques et plans d’action connexes sur le climat. À tout le moins, l’organisme consultatif doit comprendre des représentants autochtones. Mieux encore, nous pouvons assurer une véritable transparence et une vraie responsabilité en créant un conseil de surveillance parallèle composé d’experts autochtones nommés par les peuples autochtones.

En conclusion, je tiens à souligner qu’Indigenous Climate Action reconnaît l’importance du projet de loi C-12 et la nécessité qu’il soit adopté avec les améliorations susmentionnées. La crise climatique est trop urgente pour reproduire les mêmes vieilles promesses creuses. Nous avons besoin de formes beaucoup plus rigoureuses de transparence et de responsabilité. Nous avons besoin d’un projet de loi beaucoup plus solide. Si les peuples autochtones étaient accueillis à la table en qualité de véritables partenaires dans l’élaboration de ce projet de loi, c’est ce que vous obtiendriez.

Pour terminer, je vous demande de ne pas utiliser mes critiques à l’égard du projet de loi comme un prétexte pour retarder son adoption ou pour renforcer les programmes favorables à l’industrie qui vont à l’encontre des mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques et de responsabilité. Merci.

Dana Tizya-Tramm, chef, Première Nation des Gwitchin Vuntut : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Dana Tizya-Tramm, et je suis chef de la Première Nation des Gwitchin Vuntut. Je suis heureux d’avoir l’occasion de prendre la parole aujourd’hui et de rendre hommage aux membres du comité et à tous les intervenants.

Mes commentaires serviront en grande partie à établir pourquoi l’inclusion des Autochtones est si importante. Comme représentants d’une Première Nation signataire d’un traité moderne, nous, les Gwitchin Vuntut, considérons qu’il s’agit d’un dialogue de gouvernement à gouvernement. Nous devons utiliser notre voix pour affirmer que les interventions menées par les États dans le monde face aux changements climatiques ne sont pas suffisamment adaptées aux circonstances désastreuses que vivent déjà directement les peuples autochtones. C’est le cas de mon propre peuple, ici, sur le territoire traditionnel des Gwitchin Vuntut, dans le cercle arctique, et nous sommes la collectivité la plus au nord-ouest du Canada.

Le projet de loi C-12 peut et doit faire mieux que de permettre la participation des Autochtones dans le cadre de la participation du public. Les voix autochtones ne doivent pas se limiter à un organe consultatif. Si tel était néanmoins le cas, il faudrait que les Premières Nations aient plus de certitudes et une définition plus précise de ce rôle consultatif.

Le Canada ne peut pas aller de l’avant sans nous, et voici pourquoi. Dans mon propre territoire, nous sommes maintenant proches du déclenchement des boucles de rétroaction exponentielles avec la libération du méthane contenu dans le pergélisol. Le savoir traditionnel de notre peuple peut créer des stratégies d’atténuation efficaces. Même aujourd’hui, nos droits issus de traités modernes en matière de pêche au saumon sont violés, et notre peuple peut trouver des solutions. Il est important de comprendre que les traités modernes couvrent plus de 40 % de la surface terrestre du Canada et que plus de 70 groupes autochtones négocient actuellement des traités modernes.

La Première Nation des Gwitchin Vuntut siège au Conseil de l’Arctique comme partenaire permanent et aimerait remercier le Canada de son appui à nos stratégies et à nos efforts d’atténuation. De plus, notre Première Nation a publié, le 19 mai 2019, la déclaration [mots prononcés dans une langue autochtone], qui se traduit par « À quoi ressemblera le monde après notre passage? » Cela a déclenché des réactions en cascade. Il s’agissait de la première déclaration d’urgence sur le climat, précédent même celle du Parlement, et qui a maintenant été adoptée dans le Nord circumpolaire par le Conseil de l’Arctique et ses participants permanents.

Nous avons également imité l’engagement du Canada à éliminer le diesel dans les collectivités rurales d’ici 2030, et nous l’avons fait adopter par des organismes nationaux, comme l’Assemblée des Premières Nations. Nous avons ainsi créé les mandats et harmonisé les ressources pour faire progresser les collectivités des Premières Nations.

Comme nous avons été laissés pour compte dans le monde moderne et le développement technologique, cela nous place dans une position clé pour en tirer parti. Nous avons le deuxième parc solaire en importance dans le cercle arctique. Notre gouvernement a négocié le premier document indépendant de production d’électricité et la première entente d’achat d’électricité qui permettent à notre collectivité non seulement de produire de l’électricité, mais, plus important encore, de vendre cette électricité aux actionnaires des entreprises d’électricité, ce qui permet de débloquer plus de 250 000 $ par an dans un petit village de 250 habitants. Les forces vives et les réseaux sont là, surtout avec les mandats préexistants. Économiser, comme nous le savons, vient du latin et signifie gérer sa maison. Ce sont les peuples autochtones qui comprennent véritablement à la fois le terme économiser et les changements climatiques.

La voix avec laquelle je vous parle aujourd’hui n’est pas la mienne, mais elle m’a été donnée par mes ancêtres et est l’héritage de mes petits-enfants. Les peuples autochtones sont ceux qui permettent au monde moderne d’approcher au plus près la terre et d’écouter ce qu’elle a à dire, comme nous le faisions déjà dans nos régions bien avant le début de l’histoire écrite de l’humanité. Notre capacité de fonctionner en réseau les uns avec les autres, d’économiser et de vivre en équilibre avec nos animaux et nos terres illustre le fait que nous sommes une espèce indicatrice et que nous alimentons ces mandats pour venir en aide au gouvernement fédéral et à nos régions. Nous faisons avancer ces mandats et nos collectivités en entrelaçant les énergies renouvelables avec des pratiques économiques modernes qui libèrent les prédictions autoréalisatrices des solutions microsocioéconomiques.

Nous sommes un partenaire solide et un peuple avant-gardiste. Nos voix et notre expertise sont alignées sur ces mécanismes et constituent un point de départ pour aller de l’avant ensemble. Mahsi’cho.

Le président : Merci à vous trois. Nous allons commencer les questions.

La sénatrice McCallum : Je souhaite la bienvenue aux trois témoins. Je suis heureuse de vous revoir, mesdames Sayers et Deranger. J’ai lu votre rapport. Merci à vous trois pour ce que vous faites. C’est un travail incroyable.

J’aimerais revenir sur les remarques de Mme Sayers selon lesquelles il n’y a rien dans ce projet de loi au sujet de l’atténuation et de l’adaptation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Madame Deranger, pourriez-vous nous expliquer comment vous voulez que soit renforcé le libellé du projet de loi en rapport à la DNUDPA et à l’article 35? Si possible, pourriez-vous nous fournir un libellé que nous pourrions inclure dans nos observations sur le projet de loi? Merci.

Mme Deranger : Avec M. Graeme Reed, nous avons examiné le mémoire qu’a présenté l’Assemblée des Premières Nations à l’ENBI le mois dernier. Ses représentants ont aussi donné des exemples de libellé visant à reconnaître et à respecter la compétence inhérente des peuples des Premières Nations en supprimant du préambule les mentions de la reconnaissance des droits et de la collaboration et en les remplaçant par trois phrases : le Canada est déterminé à renforcer ses partenariats avec les peuples autochtones du Canada en ce qui concerne les mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques en veillant au respect des droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Canada s’engage à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada reconnaît que toutes les relations avec les peuples autochtones doivent être fondées sur la reconnaissance et la mise en œuvre des droits inhérents à l’autodétermination, y compris les droits inhérents à l’autonomie gouvernementale.

Grâce à cela, nous pouvons examiner des façons d’intégrer la reconnaissance, le respect et la protection des droits des Autochtones, la mise en œuvre de la DNUDPA et la protection des droits fondamentaux de la personne.

Mme Sayers : Je vous remercie. Je ne vois rien dans le projet de loi qui oblige le gouvernement du Canada à mettre en place un plan d’atténuation. Je suppose que la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de carbone chaque année est peut-être une mesure d’atténuation, mais je crois qu’il faut mettre en place un plan qui va de pair avec la réduction des émissions.

Par exemple, nos océans se réchauffent et nos poissons, nos espèces marines, sont tous touchés. Certaines espèces meurent et d’autres apparaissent dans des endroits où on ne les avait jamais vues auparavant. De plus, on retrouve des animaux marins échoués sur la plage. Comment pouvons-nous atténuer cela? Comment pouvons-nous arrêter le réchauffement des océans? Il y a aussi des choses comme les déversements de déchets des navires de croisière qui ne sont pas réglementés.

Certaines mesures doivent être précisées. Nous essayons d’atténuer les effets en ce moment, mais je pense que la façon dont le gouvernement peut le faire doit être assortie de certaines exigences, notamment l’interdiction d’approuver de grands projets qui émettent trop de carbone. Si nous mettions cela à plat, cela montrerait que nous prenons nos responsabilités en disant, oui, nous réduisons les émissions de carbone, mais en même temps, nous changeons notre mode de vie.

Nous devons protéger les écosystèmes et la biodiversité qui meurent constamment. Nos arbres pourrissent par les racines à cause des inondations. En même temps, ils sont aussi touchés par les sécheresses de l’été. Elles sont très dures pour nos forêts qui, bien sûr, abritent les poissons et la faune. C’est une sorte de cercle vicieux.

Voilà mes recommandations.

La sénatrice Galvez : J’allais demander à chacun de nos invités de nous en dire plus sur les répercussions, mais je préfère vous poser une autre question. Je vous remercie, et je suis tout à fait d’accord avec ce que nos trois aimables témoins nous ont dit.

L’un des rôles du Sénat est de veiller à ce que les lois soient harmonisées. Ma question s’adresse à Mme Deranger. Je suis sûre que vous savez que le projet de loi C-15, en lien à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, est au Sénat, et nous espérons qu’il sera adopté. Quelles seront les conséquences de l’adoption du projet de loi C-15? A-t-on encore besoin de ce que vous proposez dans le projet de loi C-12, étant donné qu’une grande partie de votre proposition se trouve dans le projet de loi C-15 ou êtes-vous contre le projet de loi C-15?

Mme Deranger : Que le projet de loi C-15 soit adopté ou non, le libellé doit être très explicite sur la façon dont les droits des Autochtones, en particulier la DNUDPA, seront harmonisés avec ce projet de loi. C’est absolument impératif. Si vous regardez l’article 10 du projet de loi concernant le plan de réduction des émissions, il doit y avoir une description de toute incidence sur les nations autochtones et de toute incidence négative sur les droits reconnus et confirmés par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et l’article 35 de la Constitution canadienne. Il est important que cela soit explicite.

C’est en cours d’élaboration, même au niveau des Nations Unies où le préambule de l’Accord de Paris affirme reconnaître les droits des peuples autochtones et l’importance du savoir autochtone. Cependant, dans le cadre des négociations en vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris qui se déroulent actuellement au sein de l’organe subsidiaire, il y a encore une lutte pour inclure un libellé affirmant les droits de l’homme et les droits des peuples autochtones dans le texte de l’article et dans les articles spécifiques.

Nous ne devons pas saper l’importance de ces mentions, car les droits des peuples autochtones ont toujours été entravés par les lois et par l’absence de libellés assurant la protection de nos droits dans toutes les lois.

La sénatrice Galvez : Ma prochaine question s’adresse au chef Tizya-Tramm. En mai 2018, votre nation a déclaré l’urgence climatique, et vous avez également signé une déclaration demandant au gouvernement d’empêcher l’élévation des températures mondiales au-dessus de 1,5 degré Celsius. Pourriez-vous nous parler de la nécessité de cette déclaration et nous dire si vous avez reçu une réponse du gouvernement?

M. Tizya-Tramm : Mahsi’cho. Ces déclarations sont essentielles. Nous avons sonné une cloche qui a résonné dans de nombreuses assemblées différentes, allant même jusqu’à la COP 25, et nous avons également travaillé avec le Canada pendant ces négociations.

Ces mandats sont essentiels, car ils constituent un fil conducteur politique qui irrigue tous les organismes dans lesquels nous pouvons trouver des solutions, comme par exemple ce projet de loi et sa mise en œuvre dans nos régions et jusqu’aux municipalités, ce qui est très important. La manière dont ces mandats seront concernés à la fois par cette loi, et par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en est un autre exemple. Tout cela se résume à [Difficultés techniques]. Nous n’avons pas reçu de réponse précise du gouvernement canadien, mais nous pouvons aller de l’avant et redoubler d’efforts.

La mise en œuvre sera essentielle. Par exemple, dans le territoire du Yukon, nous avons 11 Premières Nations signataires de traités modernes, c’est le plus important territoire visé par des traités modernes au Canada. Grâce à ce que nous sommes en mesure de faire et aux innovations des Premières Nations, nous pouvons non seulement aider les municipalités locales, les gouvernements territoriaux et le gouvernement fédéral, mais nous pouvons aller plus loin, car même ma propre nation a pour mandat d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2030. Marsee.

La sénatrice Simons : Tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement nos invités. Je m’adresse à vous depuis le territoire visé par le Traité no 6, dans le fuseau horaire des Rocheuses, et je sais gré à tous nos invités du fait qu’il est très tôt ce matin. J’implore encore une fois mes collègues d’Ottawa de tenir compte des fuseaux horaires de notre pays lorsque nous lançons nos invitations. Je tiens à vous remercier tous — hiy hiy et mahsi’cho  — d’être parmi nous ce matin.

J’ai été très intéressée par ce qu’a dit Mme Deranger au sujet d’un conseil consultatif parallèle composé de peuples autochtones. Je voulais vous demander à tous les trois si vous pensez que cela fonctionnerait, même si ce n’était pas inscrit dans le libellé de la loi, et si vous pensez que le fait d’avoir un conseil consultatif autochtone parallèle viendrait souligner la relation de gouvernement à gouvernement entre les Premières Nations et la Couronne, ou s’il s’agirait d’un geste symbolique. Serait-ce comme s’asseoir à la table des enfants à Noël? Pourquoi ne pas commencer par Mme Sayers, puis nous suivrons l’ordre de comparution des témoins ce matin.

Mme Sayers : Merci. Je ne pense pas que ce serait symbolique. Les peuples autochtones du pays doivent faire partie d’un modèle de prise de décisions partagée. Si nous structurons cela correctement, avec une participation aux décisions concernant la consommation nette zéro et la façon d’y parvenir, en examinant précisément les répercussions sur nos territoires et les recommandations dont nous avons besoin, je pense que ce serait une façon d’inclure les peuples autochtones. J’ai oublié de dire que je crois que nous devrions tenir un sommet autochtone tous les cinq ans.

C’est vraiment difficile. Je crois que la sénatrice précédente a demandé quelles seront les répercussions sur notre territoire, et même depuis ma naissance, j’ai vu des quantités incroyables de changements climatiques dans nos territoires. Les Nuu-chah-nulth appuient le projet de loi C-15, seulement parce qu’il représente une occasion d’amener le gouvernement à réagir rapidement. Nous n’avons pas eu beaucoup de succès avec l’article 35, alors cela nous donnera peut-être un autre outil. Il y a de nombreuses dispositions dans la DNUDPA qui nous permettraient de créer ces institutions décisionnelles ou d’apporter cette réponse. Nous, Autochtones, sommes des experts parce que nous vivons cela tous les jours. De nombreux articles de la DNUDPA pourraient prendre cela en charge. Nous devons saisir les occasions qui se présentent parce que c’est essentiel. Rien qu’acheter des climatiseurs pour tous nos aînés, ce que nous n’avions jamais eu à faire auparavant, simplement pour qu’ils puissent passer l’été, voilà les problèmes de santé de base auxquels nous faisons face tous les jours. Je vous remercie de votre question.

Mme Deranger : Je pense qu’un conseil de surveillance composé d’experts autochtones ne serait pas symbolique et qu’il apporterait quelque chose. Cela ne doit pas non plus occulter le fait que l’organisme consultatif doit malgré tout avoir un représentant autochtone.

La raison pour laquelle un organisme de surveillance autochtone aurait de l’importance est qu’il y a trois groupes distincts de peuples autochtones dans ce pays. Nous avons les Premières Nations, les Métis et les Inuits, et un seul représentant autochtone ne peut pas représenter tout le monde au sein de l’organisme consultatif. Cependant, un conseil de surveillance permettrait aux peuples autochtones de bénéficier d’un processus plus robuste de surveillance et de formuler des recommandations. Cela permettrait aussi à ces trois groupes différents d’être représentés tout en ayant leur mot à dire dans cette Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Il est vraiment important que nous supervisions ce projet de loi et qu’il tienne compte des valeurs autochtones et de nos systèmes de connaissances afin d’assurer une participation significative. Ce n’est qu’un des processus potentiels qui peuvent nous aider à progresser dans cette voie.

Comme Mme Sayers l’a dit, j’ai 42 ans et j’ai vu de mon vivant les effets des changements climatiques. J’ai aussi vu nos collectivités trouver certaines des solutions les plus étonnantes et les plus belles qui sont inspirées de notre culture, de notre identité et de nos relations avec la terre. Ainsi ma propre collectivité abandonne le diesel, assure sa sécurité alimentaire et sa souveraineté énergétique, et cela peut être reproduit si on nous donne un espace pour participer à ces conversations de façon réelle et significative.

M. Tizya-Tramm : Je vous remercie de m’avoir posé cette question.

Je dirais que ce ne serait pas symbolique. Il faudrait qu’il y ait des comptes à rendre, les conseils et les considérations devront être approuvés de façon significative par ce comité parallèle.

Je tiens vraiment à réitérer et à compléter certains des commentaires que nous avons déjà entendus. Je peux vous dire que 80 milles au nord du cercle arctique, tout ce que nous pouvons mesurer est en train de changer. Nous en sommes même au point où nous demandons maintenant que les femmes enceintes et les jeunes enfants ne mangent pas le foie de corégone sur notre territoire, car la bioamplification ne permet pas à certaines espèces de poissons de libérer le mercure de leur corps. Il s’accumule désormais.

J’espère vous aider à brosser un tableau de notre rayonnement et de nos efforts à l’échelle internationale, dans l’Arctique et partout au Canada et en Alaska. Nos partenariats, nos capacités et nos réussites sont déjà bien en avance sur tous les gouvernements, y compris notre gouvernement territorial. En ce qui concerne les collectivités et les gouvernements autochtones, nous devons comprendre que la décentralisation et le renforcement des capacités des collectivités, à petite échelle, pour leur donner les moyens d’atteindre l’autodétermination et l’autosuffisance, contribuent même à la défense nationale. Grâce à notre capacité de produire de l’électricité, nous ne dépendons plus du diesel transporté par avion jusqu’à notre collectivité. Même s’il s’agit d’entreprises coûteuses, ce genre de certitudes et ce que nous sommes en mesure d’établir et avons déjà établi dans notre collectivité est sans pareil au Canada.

Aller de l’avant avec les Premières Nations, partager ces capacités et leur donner un élan avec la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, dont nous assurons également la liaison avec le gouvernement canadien, permettra, je ne saurais trop le répéter, de tirer parti d’abondantes connaissances qui sont issues d’un autre aspect de l’histoire et d’une autre façon de savoir et d’être au monde. De plus, nous comprenons le pouvoir de nos partenariats, et nous sommes ici pour renforcer les capacités du Canada afin que, d’un point de vue macroéconomique, les mouvements du gouvernement canadien puissent s’articuler davantage à la finesse de nos connaissances et de nos orientations et tirer parti de ces ressources complémentaires. En effet, nous sommes les détenteurs de ce savoir traditionnel clé issu de vos terres et qui remonte bien avant l’histoire, même ici, au Yukon. Notre langue est connue sous le nom de Tukudh. Nous sommes ici depuis plus de 30 000 ans. Nous sommes tous dans le même bateau, mais si nos connaissances ne viennent pas renforcer ces capacités, le Canada en souffrira dans son ensemble.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous.

Le sénateur Patterson : Je souhaite la bienvenue à tous les témoins, et en particulier à Mme Sayers. Notre Comité de l’énergie a visité votre magnifique territoire et a vu votre projet novateur d’usine hydroélectrique au fil de l’eau.

J’ai été impressionné par tous les témoignages. Chef Tizya-Tramm, vous avez dit que les initiatives menées par les États dans le monde ne sont pas efficaces. Cela m’a fait penser que le Canada est responsable de moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, mais que la Chine en produit 28 % et construit une centrale au charbon chaque semaine, soit un triplement tous les ans au cours de ces dernières années. Pourtant, madame Deranger, vous avez préconisé des restrictions sur l’utilisation de nos compensations carbone, qui sont permises par l’article 6 de l’Accord de Paris, dont le Canada est signataire. Un projet canadien de GNL peut remplacer 100 millions de tonnes de gaz à effet de serre produits par la combustion du charbon en Asie. Pourquoi dites-vous qu’il devrait y avoir une restriction à l’utilisation des compensations carbone? S’il reste du temps, chef Tizya-Tramm, pourriez-vous nous en parler, s’il vous plaît?

Mme Deranger : Le système de compensation carbone encourage vraiment un processus de pollueur-payeur. Cela permet aux industries de continuer à développer des projets. Pour ma collectivité en particulier, c’est un aspect important à cause du développement des activités d’extraction des sables bitumineux de l’Alberta. Nous constatons que les entreprises sont autorisées à continuer de prendre de l’expansion et d’émettre du carbone si elles peuvent simplement continuer de compenser ces émissions. Cela ne cadre pas avec le respect des droits des Autochtones. Il doit y avoir des restrictions dans l’utilisation des mesures compensatoires pour atteindre les cibles. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de mesures compensatoires. Cela signifie que la réduction des émissions nationales doit être au cœur de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, plutôt que l’inverse. La loi, même à l’article 6, s’appuie sur des programmes de compensation et des mécanismes du marché du carbone qui permettent aux pollueurs de continuer à payer. Cela continue en fait d’abroger et de violer à la fois les droits de la personne et les droits des collectivités autochtones à l’échelle nationale au Canada et à l’échelle internationale.

C’est un sujet de discussion majeur, même au sein des tables rondes internationales dont je fais partie. Je suis un membre actif du Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques et du Facilitative Working Group of the Local Communities and Indigenous Peoples Platform. Nous avons préconisé un recours accru à la réduction des émissions plutôt qu’à des mécanismes du marché du carbone qui violent davantage nos droits.

Vous avez dit que le Canada ne représente que 2 %des émissions, et c’est peut-être vrai, mais le fait est que nous sommes un pays du G8. Nous devons établir une norme en tant que pays chef de file dans le cadre de ces tables rondes et de ces négociations. Si nous prenons des mesures pour faire de la réduction des émissions nationales un élément central de notre Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité en lieu et place des compensations carbone, alors nous établirons une norme mondiale. Nous avons un rôle important à jouer malgré le fait que nous ne représentons qu’une part très faible des émissions mondiales.

M. Tizya-Tramm : Mahsi’cho. J’ai personnellement participé à la COP 25, et j’étais là pendant les négociations lorsque la Russie, la Chine et les Émirats saoudiens se sont prononcés contre l’incorporation et la mise à jour des droits de la personne dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

Il y a des peuples autochtones dans le monde avec lesquels nous étions déjà en contact et qui ont une influence incroyable dans les régions ainsi qu’à l’ONU. Le rayonnement des peuples autochtones — comme je l’ai déjà dit au sujet de l’équilibre avec notre environnement — s’étend du Brésil jusqu’à l’Asie. Lorsque vous dites que le Canada produit 2 % des émissions mondiales, nous savons qu’une grande partie de notre nouvelle approche des changements climatiques ne consiste pas seulement à réduire la consommation de combustibles fossiles au cours de la transition équitable, mais qu’elle repose sur la technologie de séquestration du carbone.

C’est là que cela devient intéressant. La technologie évolue tellement vite qu’il est difficile de suivre le rythme, mais nous savons qu’il y a déjà des entreprises d’ingénierie du carbone qui réussissent en Colombie-Britannique en séquestrant le CO2 de l’air et en le transformant en réactions chimiques avec l’eau, ce qui permet de créer du carburéacteur de haute qualité à partir de CO2 séquestré dans l’air. Les calculs montrent que 10 000 de ces installations nous permettront de commencer à inverser nos émissions et à nous rapprocher de l’Accord de Paris.

Si le Canada devenait un chef de file dans cette industrie, il y aurait des retombées économiques et nous établirions une norme pour inverser ces émissions partout dans le monde. Même si la Chine est à 28 % et le Canada à 2 %, imaginez que nous passions à un taux négatif de 10 ou 15 %, en poussant dans cette direction à l’échelle mondiale et en plaçant le Canada à l’avant-garde de ces industries. Cela créerait ainsi de toutes nouvelles périodes de prospérité économique, parce que, comme je l’ai appris dans toutes mes entreprises dans ce domaine, pour contourner les nuances politiques de ces conversations, si vous faites en sorte que les gens soient payés pour faire partie de la solution, cela annule le débat, et toute l’industrie commence à envoyer des signaux aux investisseurs. C’est notre avenir et la technologie est là. Marsee.

La sénatrice Anderson : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Je viens du territoire traditionnel des Inuvialuit à Tuktoyaktuk, et nous constatons les mêmes effets des changements climatiques. Nous voyons des saumons, qui étaient autrefois étrangers à nos eaux, des tempêtes plus intenses, des pertes de terres et le recul du pergélisol.

Ma question porte sur l’utilisation des inventaires de gaz à effet de serre. Est-ce que vous ou vos collectivités utilisez les inventaires de gaz à effet de serre, que ce soit au niveau des entreprises ou des collectivités, pour étayer le savoir autochtone, ou est-ce que vous vous fiez d’abord et avant tout au savoir autochtone, ou encore utilisez-vous un mélange des deux? Ma question s’adresse à tous les témoins.

Mme Sayers : Je pense que c’est un mélange des deux. Nous comprenons les répercussions lorsque nous sommes sur le terrain et que nous utilisons toutes les différentes formes de terres que nous avons à notre disposition, mais lorsque nous devons chercher du financement — le sénateur Patterson a mentionné notre projet au fil de l’eau. Lorsque nous avons voulu faire cela, nous avons dû utiliser la façon scientifique de parler d’une réduction des émissions de carbone. Pour nous, c’était comme retirer 5 000 voitures de la circulation. Nous avons dû faire tout ce travail technique et scientifique parce que c’était nécessaire pour obtenir le financement, mais normalement, nous utiliserions simplement nos propres connaissances de la terre et les réactions à cela pour négocier une gestion partagée ou même une forme quelconque de gestion ou de restauration et de remise en état de nos terres. Nous parlons davantage, je crois, des répercussions sur les terres. C’est ce que je dirais.

Mme Deranger : Je sais qu’une représentante de ma nation, Lisa Tssessaze, a fait un exposé plus tôt cette semaine au sujet de notre nation. Notre nation utilise ce que nous avons souvent appelé une approche « à double optique », qui consiste à utiliser les systèmes de connaissances autochtones et les meilleures données scientifiques disponibles. Je pense qu’il est important de comprendre cela. Nos collectivités ont souvent recours à une approche à double optique, mais cette pratique n’est pas reproduite par les gouvernements coloniaux ni inscrite dans les lois. Nous devons voir que cela peut fonctionner dans les deux sens et que nos connaissances autochtones ne servent pas seulement nos propres collectivités, mais qu’elles peuvent en fait servir et renforcer la validité et la force de la loi ainsi que les types de politiques et de plans qui pourraient découler du projet de loi C-12 ou d’autres plans et politiques.

Il est vraiment important que nous comprenions la force du savoir autochtone. Dans ma propre collectivité, j’en ai été témoin. Il fut un temps où l’on élaborait un cadre relatif à la quantité d’eau de surface pour notre région, et certains des meilleurs biologistes sont venus et ont établi les limites écologiques de base. Ces informations ont été transmises à notre collectivité, et les utilisateurs des terres autochtones et les détenteurs du savoir ont regardé les données et ont dit : « En fait, ce n’est pas suffisant », et les biologistes ont dit : « Si, c’est fondé sur les meilleures données scientifiques disponibles. » Nous nous sommes inspirés des connaissances autochtones de notre collectivité et avons déterminé que, pour que nous puissions poursuivre le mode de vie autochtone sur ces terres et ces voies d’eau, il nous fallait un bateau pouvant accueillir deux chasseurs et un orignal, et que cela était nécessaire pour les niveaux d’eau dans la nappe phréatique. Nous avons ensuite déterminé à quoi cela correspondait en parties par million, en millimètres ou en mètres cubes par seconde. Cela a permis d’améliorer le cadre relatif à la quantité d’eau de surface pour inclure un système de connaissances autochtones afin d’augmenter le niveau d’eau ou la mesure de sécurité. Ainsi vous voyez comment le savoir autochtone peut renforcer et améliorer notre protection de l’environnement. Ce n’est qu’un exemple, et il y a de nombreux exemples partout au pays et dans le monde où le savoir autochtone a renforcé la science.

M. Tizya-Tramm : J’apprécie beaucoup la question, car elle va au cœur d’un certain nombre d’enjeux.

Ici, sur son territoire traditionnel de 54 000 kilomètres carrés dans le Nord du Yukon, la Première Nation des Gwitchin Vuntut travaille avec de nombreux organismes différents, comme la NASA, l’Université MacEwan, l’Université Carleton et l’Université de la Saskatchewan. Ces organismes examinent maintenant les approches épistémologiques pour trouver un équilibre entre le savoir traditionnel et les pratiques exemplaires occidentales.

C’est très important, car nos aînés ont déjà aidé les scientifiques à trouver des mammouths laineux. Tout au long de notre histoire orale, nous nous rappelons encore où nous avons poursuivi des mammouths laineux dans des ruisseaux pour les immobiliser pour nos chasseurs. Les aînés ont montré aux scientifiques où se trouvaient ces restes et, bien sûr, ils les ont trouvés. C’est essentiel, car nous avons accès à des millénaires de données d’observation provenant de nos aînés.

Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que l’intelligence, en soi, est telle ou telle, selon le contexte, elle peut être un médicament ou un poison selon la manière dont on l’utilise dans notre monde. Nos économies et nos technologies fonctionnent très bien dans leur domaine, mais elles nous ont entraînés dans une crise climatique anthropique. Ce ne sont que des outils. C’est en les soumettant aux principes et aux pratiques autochtones que nous allons faire ces efforts. Bref, mon peuple est ici depuis 30 000 ans, et nous attendons de voir ces mêmes pratiques chez notre partenaire de traité. Nous sommes ici pour aider à guider et à éduquer, mais nous devons nous rappeler que telles sont les valeurs autochtones. Nous pratiquions l’équilibre avec nos environnements bien avant la crise climatique.

C’est pourquoi il est si important que nos principes et nos voix soient pleinement intégrés à ces efforts, c’est parce qu’il ne s’agit pas simplement de nos avis, mais de notre connaissance de la terre qui nous dicte ces façons de faire. À l’avenir, nous pourrons gagner en efficacité et vérifier de plus près les données, les fondements et les mouvements. Par exemple, 40 % des terres du Canada sont visées par des traités modernes et plus de 70 traités identiques sont en cours d’élaboration. Le Canada risque de rencontrer des embûches. Quand nos quotas de pêche au saumon en vertu des traités commenceront à diminuer ou que la qualité de l’eau ne sera plus la même, nous commencerons à nous heurter à des impasses partout au pays. C’est pourquoi nous avons besoin de solutions proactives, et pourquoi nos communautés doivent trouver un moyen-terme et se montrer innovantes pour protéger ces ressources naturelles, qui sont les véritables fondements de notre économie.

La sénatrice McCallum : Je suis très impressionnée — je ne sais pas si le mot est bon d’ailleurs — par tous les témoins d’aujourd’hui que je remercie du fond du cœur.

Madame Deranger, j’aimerais avoir un bref aperçu de la politique et des plans climatiques au Canada au vu du Cadre pancanadien, du concept d’environnement sain et d’une économie saine dont vous avez parlé, ainsi que de la nécessité absolue qu’Indigenous Climate Action soit l’un des principaux groupes à mener le bal en matière de changements climatiques aux côtés des autres dirigeants, comme le chef que nous accueillons aujourd’hui. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Deranger : Nos recherches, je pense, ont révélé que les deux plans permettent de poursuivre la production de combustibles fossiles, et même selon les dispositions de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, nous constatons la même chose. La production de combustibles fossiles est une source primaire d’émissions de GES et un contributeur majeur aux violations des droits des Autochtones au Canada. Le fait de ne pas tenir compte des peuples autochtones et de les maintenir à part de l’élaboration des plans et des politiques revient à entretenir les violations de leurs droits.

Ce faisant, on ne tient pas compte des réalités des communautés et des nations autochtones, ce qui est contraire à la marche vers la réconciliation. Or, le gouvernement libéral ne cesse de répéter son engagement à l’égard de la réconciliation dans le cadre des relations de nation à nation, entre les Inuits et la Couronne, selon un modèle de gouvernement à gouvernement. En ne prenant pas les mesures nécessaires, nous ne tenons pas compte des nombreux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, de la Commission royale sur les peuples autochtones et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Nous devons également comprendre que, depuis des décennies, les peuples autochtones comptent parmi les plus grands adhérents à la lutte contre les changements climatiques prise en tant qu’enjeu politique mondial. Les peuples autochtones sont à l’origine de la Déclaration de Kari-Oka de 1992, qui a été élaborée avant le Sommet de la Terre de Rio, de même que de la Déclaration d’Anchorage de 2009 avant la COP 15 de Copenhague et, plus récemment, du préambule du texte de l’Accord de Paris, en 2015, qui comprend la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Tous ces instruments internationaux ont reconnu et souligné l’importance du savoir, de la souveraineté et des droits autochtones en tant que constituantes essentielles de la solution aux changements climatiques, et presque tous reposent sur les principes autochtones que sont l’autonomie, l’autodétermination, le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause et les contrôles des terres et des territoires, selon la définition qu’en donne la DNUDPA.

Nous ne saurions trop insister sur l’importance du rôle que jouent les peuples autochtones dans la promotion des solutions et des politiques relatives aux changements climatiques, bien que nous ayons toujours été tenus à l’écart des décisions et de l’élaboration des politiques fédérales, des plans et des politiques provinciaux et régionaux sur les changements climatiques, et cela depuis le tout premier contact. Nous avons maintenant l’occasion de changer les choses. Nous avons l’occasion de travailler avec des communautés et des dirigeants comme le chef Dana, M. Sayers et d’autres représentants des communautés autochtones que vous avez entendus plus tôt cette semaine.

Il est essentiel de ne pas négliger les demandes d’inclusion et de ne plus traiter les peuples et les communautés autochtones comme de simples pions, ce qui mine leurs droits juridiques, pour plutôt les considérer comme des acteurs de premier plan et leur permettre de prendre des décisions, de disposer de pouvoirs aux différentes tables et de régler les questions cruciales liées à leur souveraineté, à leur autodétermination et à la protection de leurs terres et de leurs territoires. Comme l’a dit le chef Dana, tous ces aspects nous ont guidés et nous ont tout donné, de notre langue à nos aliments, en passant par notre culture et notre identité; c’est tout ce que nous sommes. Je suis une Dënesulinée, je suis du peuple de saule, un peuple de la terre, et je ne peux pas être dissociée de qui je suis, de mon identité. C’est ce savoir intergénérationnel que je porte en moi et que tous les autres Autochtones portent en eux aussi, un savoir qui revêt une grande importance dans ces discussions.

Le président : Merci beaucoup. Je veux appuyer ce que la sénatrice McCallum a dit tout à l’heure. Ce groupe de trois experts a été très impressionnant. Nous avons beaucoup appris de vous, et avons évidemment beaucoup à apprendre. Merci beaucoup à vous trois. C’était très agréable et nous avons beaucoup appris.

[Français]

Chers collègues, nous allons maintenant reprendre notre préétude du projet de loi C-12. Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins que le président vous donne la parole.

Pour les témoins qui viennent de se joindre à nous, veuillez noter que nous allons permettre six minutes par sénateur pour la question et la réponse. La greffière signalera que le temps est écoulé en levant la main à l’écran.

Cet après-midi, nous sommes heureux d’accueillir, de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, M. Denis Bolduc, secrétaire général; du Réseau action climat Canada, Caroline Brouillette, analyste des politiques; de Nature United, Amanda Reed, directrice des partenariats stratégiques.

Bienvenue. Merci d’avoir accepté notre invitation. J’aimerais vous rappeler que vous avez cinq minutes chacun pour faire vos remarques. Nous aurons des questions pour vous après votre allocution. Monsieur Bolduc, vous avez maintenant la parole.

Denis Bolduc, secrétaire général, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Bonjour. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec regroupe 600 000 membres répartis dans toutes les régions du Québec, mais aussi dans tous les secteurs d’activité économique. Nos membres sont présents dans les industries parmi les plus productives en carbone, notamment les cimenteries, les aciéries, les transports, les mines et plusieurs travailleurs œuvrent directement dans le secteur de l’énergie. Je le dis sans vantardise, mais la FTQ est l’organisation syndicale — du moins certainement au Québec — qui est la plus engagée dans la lutte contre les changements climatiques.

On se réjouit de la volonté du gouvernement fédéral de démontrer sérieusement son intention de respecter ses engagements en matière de lutte contre les changements climatiques, notamment d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Selon nous, la transition énergétique et l’atteinte de la carboneutralité visée par le projet de loi C-12 passent systématiquement par une transformation de notre économie et des emplois. La transition doit être planifiée et inclure ceux et celles qui en subissent directement les effets, c’est-à-dire les travailleurs et les travailleuses. Nous devons donc nous assurer du respect des droits économiques et sociaux des travailleurs et des travailleuses, de la pérennité et de la viabilité des emplois, et de la durabilité des communautés pendant la transition. Les gouvernements doivent mettre en place des mécanismes de transition justes dans l’ensemble des milieux de travail concernés. C’est pour ces raisons que nous disons que la loi sur la carboneutralité devrait nécessairement être accompagnée de mécanismes de transition justes qui reposent sur le dialogue social.

On ne peut pas traiter la question des changements climatiques comme un exercice comptable; c’est un piège qu’il faut éviter à tout prix. Le système économique actuel est fondé sur l’atteinte des bénéfices économiques à court terme. Il n’y a aucune vision en matière de bien-être collectif dans cette approche. Nous ne pouvons pas planifier nos actions en matière de lutte contre les changements climatiques en fonction du prochain trimestre. Il faut voir plus loin. Il faut s’éloigner de cette vision en tunnel qui nous empêche de progresser.

Depuis plusieurs années le gouvernement fédéral défend ses subventions à l’industrie des hydrocarbures comme étant essentielles au financement de la transition énergétique. Or, au-delà des mots, nous n’avons jamais vu l’ombre d’un plan robuste permettant l’atteinte des cibles de l’Accord de Paris. Au contraire, le Canada est le seul pays du G7 à augmenter ses GES. Depuis, le projet de loi C-12 est à ce jour, on doit le dire, ce que le gouvernement a déposé de mieux en guise de plan de réduction des GES, mais il demeure encore insuffisant. Un changement de cap est vraiment nécessaire. L’Agence internationale de l’énergie publiait un rapport très intéressant le mois dernier. Je suis certain que vous êtes au courant. Le rapport nous apprend qu’il est possible d’atteindre l’objectif de contenir l’élévation du réchauffement climatique de + 1,5 °C sans compromettre l’économie. C’est essentiel si les États s’engagent vers une sortie des nouveaux projets de production des hydrocarbures.

J’aimerais également glisser quelques mots au sujet du comité consultatif qui est proposé dans le projet de loi. Il faut que le gouvernement soit conseillé dans ses décisions par un comité consultatif crédible et compétent et exempt de conflit d’intérêts. Au Québec, le comité consultatif sur les changements climatiques regroupe neuf personnes issues de la communauté scientifique. Ce sont 9 personnes sur 12. C’est totalement différent de ce qui est proposé dans le projet de loi C-12. Une seule personne sur 14 proviendrait de la communauté scientifique pour 4 personnes en provenance d’entreprises qui œuvrent dans les énergies fossiles. Cela nous inquiète. Nous croyons que la science doit guider les décisions du gouvernement et non les intérêts des entreprises. La constitution actuelle du comité ouvre la porte aux conflits d’intérêts. Des règles robustes doivent être mises en place pour parer à cette éventualité.

Avant de conclure, j’aimerais citer un extrait d’un article de Radio-Canada qui date du mois dernier, faisant état du rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Voici ce qu’on dit, et je cite :

Le chemin est « étroit » , mais encore « praticable » et il promet « d’énormes bénéfices » tant en termes d’emplois que de croissance économique, ajoute l’AIE.

Cela implique de changer quasiment tout le paysage énergétique, avec un déclin majeur de la demande en énergies fossiles et une montée en puissance des énergies renouvelables.

Pour conclure, je vous dirai que ce qui inquiète le plus la FTQ est l’absence totale de planification de la transition dans le projet de loi. On y voit un indice indiquant que la carboneutralité se fera sans les travailleurs et les travailleuses et leurs communautés. Sans eux, cela ne fonctionnera pas. Il est nécessaire d’inclure dès maintenant des mécanismes de transition justes dans le projet de loi. Je vous remercie.

Caroline Brouillette, analyste des politiques, Réseau action climat Canada : Monsieur le président, je vous remercie de me recevoir. Je me joins à vous de terres non cédées Kanien’kehá:ka. Je représente le Réseau action climat Canada qui rassemble plus de 130 groupes syndicaux de développement, des groupes confessionnels, des Autochtones et les principales organisations environnementales du pays se penchant sur les changements climatiques. Je remercie le comité d’avoir amorcé une préétude du projet de loi, car nous avons la préoccupation qu’il soit étudié de manière opportune.

[Traduction]

Le Canada fixe des objectifs climatiques depuis des décennies et il n’a pas respecté tous les engagements qu’il a pris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Canada est le seul pays du G7 dont les émissions demeurent bien supérieures aux niveaux de 1999 et dont les émissions ont continué d’augmenter depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015.

Si nous sommes passés à côté de toutes les cibles, ce n’est pas parce qu’elles étaient trop ambitieuses ou inatteignables. Bien au contraire, c’est à cause de l’absence criante de gouvernance climatique dans notre pays.

[Français]

Le projet de loi C-12 amendé nous offre une fondation, quoiqu’imparfaite, qui nous permet de mettre en place cette gouvernance climatique. Avec nos membres et collègues des organisations Ecojustice, West Coast Environmental Law et Équiterre, que vous avez entendus hier, nous avions soumis au Comité de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes, une note de breffage qui mettait l’accent sur cinq recommandations pour renforcer le projet de loi C-12 afin d’en faire une législation robuste en matière de responsabilité climatique.

Le comité ayant terminé son étude article par article hier soir, permettez-moi d’offrir quelques réflexions sur chacun de ces points. Tout d’abord, en matière d’actions ambitieuses à court terme, nous sommes satisfaits de constater qu’un objectif par intérim a été ajouté pour 2026, ainsi que des rapports de progrès pour 2023 et 2025. C’est important, car la trajectoire que nous allons emprunter pour nous rendre à la carboneutralité d’ici 2050 est aussi importante que la destination.

Ensuite, sur la question de la certitude à moyen et long termes, fixer nos objectifs 10 ans à l’avance permettra aux particuliers, aux industries et aux autres ordres de gouvernement de prendre le temps nécessaire pour planifier, investir et innover. Enchâsser la cible de 2030 dans la loi est également une bonne chose. Par contre, la fourchette de 40 à 45 % de réduction sous les niveaux de 2005, proposée par le gouvernement, ne représente pas la juste part du Canada à l’effort mondial pour restreindre l’augmentation de température à + 1,5 °C. Le Réseau action climat Canada évalue plutôt que la portion nationale de cette juste part est de 60 %.

En ce qui a trait au plan crédible et efficace, les amendements ont permis d’ajouter que plus de détails soient requis dans les plans et les rapports, y compris les projections annuelles des émissions de GES ainsi qu’une présentation de celles-ci désagrégée par secteur. Néanmoins, le plan détaillé ne sera requis que cinq ans avant un objectif. Comme vous le savez, cinq ans, lorsqu’il s’agit de politique publique, laisse très peu de temps pour se réajuster, au besoin. L’imputabilité dans la loi, comme plusieurs d’entre vous l’ont mentionné hier avec vos questions, fait défaut. On n’y retrouve aucune obligation claire imposant au ministre d’atteindre les objectifs, mais plutôt des obligations de fixer des cycles et de déposer des plans. Les lois du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande énoncent pourtant clairement que le ministre ou le secrétaire d’État doit atteindre les cibles.

Finalement, en ce qui concerne la science et les avis d’experts, si nous accueillons positivement le rôle renforcé de l’organisme consultatif qui devra maintenant conseiller le ministre sur les cibles et les plans, nos inquiétudes persistent quant à son indépendance et au rôle de la science dans ses avis. J’ajouterais qu’il serait important de reconnaître, de respecter et d’affirmer la compétence inhérente des Premières Nations; les droits des Premières Nations ne sont pas subordonnés à une reconnaissance fédérale, provinciale ou territoriale, ce que laisse entendre le préambule du projet de loi.

Malgré des lacunes importantes, le projet de loi C-12 pose donc les bases d’un cadre de gouvernance climatique pour le Canada, même s’il n’atteint pas le niveau des législations les plus reconnues au monde. Il y a néanmoins des possibilités futures d’améliorer la loi à la suite de sa mise en œuvre. La prochaine contribution déterminée à l’échelle nationale du Canada à l’Accord de Paris et le premier plan déposé doivent mettre la barre haute sur le plan des détails et des ambitions, et l’organisme consultatif devra jouer un rôle rigoureux et indépendant de surveillance du gouvernement.

Finalement, les lacunes décelées pourront être corrigées au moment de la révision législative obligatoire par un comité de la Chambre des communes ou du Sénat dans cinq ans, selon un amendement qui a été adopté hier par le comité de la Chambre des communes. Je vais conclure rapidement.

[Traduction]

Ce n’est pas la première fois que le Sénat est saisi d’un projet de loi sur le climat. Si le projet de loi C-12 est adopté dans des délais raisonnables et s’il est assorti d’un plan de mise en œuvre rigoureux, le Canada pourra peut-être enfin produire des plans et des rapports cohérents et transparents pour s’attaquer à la crise climatique.

Comme toujours, et avec ses membres et alliés, le Réseau action climat Canada continuera de bâtir sur le cadre que ce projet de loi établit pour transformer la lutte contre les changements climatiques au pays.

[Français]

Merci beaucoup. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Traduction]

Amanda Reed, directrice des partenariats stratégiques, Nature United : Merci beaucoup, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de témoigner devant le comité aujourd’hui.

Je souhaite mentionner qu’ici, à Ottawa, nous sommes sur le territoire traditionnel des Algonquins Anishinaabe, d’où je viens, et je veux rendre hommage à ces terres.

Le Canada fait face à une crise climatique qui menace les collectivités, les économies locales et la biodiversité partout au pays. Avec un taux de réchauffement national deux fois plus élevé que le taux mondial, le Canada doit faire preuve de leadership sans tarder pour éviter un réchauffement catastrophique. Comme le mentionne le préambule du projet de loi C-12, le GIEC a conclu qu’il est essentiel d’atteindre l’objectif de zéro émission de gaz à effet de serre d’ici 2050 afin de limiter la hausse de température à 1,5 degré Celsius.

Nature United travaille au Canada depuis près de deux décennies pour appuyer la conservation et le développement économique sous la gouverne des Autochtones. Nous sommes la filiale canadienne de la plus grande organisation de conservation du monde, un chef de file mondial dans la lutte contre les changements climatiques.

Aujourd’hui, je veux vous parler du rôle que la nature peut jouer pour nous aider à atteindre cet objectif critique de la carboneutralité.

Je commencerai par confirmer l’appui inconditionnel de Nature United au projet de loi C-12, y compris après les amendements qu’étudie la Chambre des communes. Nous félicitons le Canada d’avoir décidé de faire passer sa CDN en vertu de l’Accord de Paris de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005 avant 2030. Le projet de loi C-12 consacre les cibles de carboneutralité et les cibles provisoires comme celles-ci dans la loi canadienne et rend transparente, pour la population canadienne, la façon dont le gouvernement atteindra ces cibles et les progrès qu’il réalisera à cet égard.

L’atteinte des cibles de carboneutralité dans l’intervalle exigera une transition rapide vers des énergies propres, vers le transport à faibles émissions de carbone et vers des matériaux de construction innovants. Cette transition devra être transparente, juste et équitable. Il faudra pour cela le leadership du gouvernement fédéral et un cadre stratégique intégré comme cette loi sur la carboneutralité, en plus de la tarification nationale du carbone du Canada et des récents engagements visant à faire progresser les solutions climatiques naturelles.

Je vais maintenant vous parler du rôle de la nature dans l’atteinte de cet objectif de carboneutralité et des autres objectifs ambitieux à atteindre en cours de route. La semaine dernière, l’étude Natural Climate Solutions for Canada a été publiée dans la revue scientifique Science Advances, une revue examinée par des pairs, au terme d’une initiative de recherche de trois ans. Les solutions aux changements climatiques naturels sont des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre par la protection, la gestion et la restauration des forêts, des prairies, des terres humides et des terres agricoles. Dirigée par Nature United avec l’appui de 38 coauteurs de 16 institutions, dont Ressources naturelles Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada, l’étude conclut que les solutions climatiques naturelles pourront permettre d’éviter ou de séquestrer 78 mégatonnes d’équivalent de carbone par année à compter de 2030. Ce chiffre représente 11 % des émissions actuelles du Canada, ou des émissions provenant de l’alimentation de chaque foyer au Canada pendant trois ans. Le potentiel d’atténuation de ces voies de pollutions est de 104 mégatonnes à l’horizon 2050.

Nous avons maintenant accès à des solutions climatiques naturelles qui pourraient jouer un rôle essentiel dans un avenir caractérisé par la carboneutralité grâce à la protection des sols, des berges, des lignes de côte et des forêts pour éviter de rejeter plus d’émissions dans l’atmosphère. Ces solutions pourraient aussi accroître la capacité de la nature à séquestrer plus d’émissions déjà relâchées.

Les voies agricoles comprennent des choses comme la plantation de cultures de couverture, la gestion des éléments nutritifs et des engrais, et l’utilisation accrue des arbres dans les terres agricoles. Les voies concernant les zones humides comprennent la protection des tourbières et la restauration des terres humides et des marais côtiers. Dans le cas des prairies, on parle de la protection des prairies contre le travail du sol. Pour les forêts, il s’agit de protéger les forêts anciennes, d’appliquer de nouvelles stratégies de sylviculture et de planter des arbres.

Les solutions climatiques naturelles menées en partenariat avec les gouvernements, les peuples autochtones, les collectivités locales et l’industrie permettent aussi de tirer d’incroyables avantages d’ordres social, environnemental et économique. À cet égard, l’étude comprend le coût à la tonne des mesures de réduction des émissions de carbone et révèle que bon nombre des voies envisagées coûtent moins de 50 $ la tonne. Plus de la moitié du potentiel d’atténuation annuel que nous avons trouvé pour 2030 pourrait être réalisé à moins de 100 $ la tonne.

L’étude intègre également des sauvegardes sociales qui réduisent au minimum les conséquences négatives pour les économies locales. Par exemple, elle n’envisage qu’une réduction de 10 % de l’exploitation forestière par rapport aux niveaux historiques, et prévoit que l’application des solutions agricoles ne provoquera pas le retrait de terres agricoles de grande qualité.

Ces solutions climatiques faisant appel à la nature présentent des avantages économiques dans de nombreux secteurs d’activités parce qu’elles favorisent la création d’emplois et qu’elles sont sources de revenus de substitution pour les collectivités autochtones, les agriculteurs, les éleveurs et les forestiers. Par exemple, les projets de restauration à grande échelle nécessitent des ingénieurs, des travailleurs de la construction, des opérateurs de machinerie lourde et des gestionnaires des terres. Les pratiques agricoles, comme les cultures de couverture et la gestion des nutriments, permettent de réduire les coûts d’exploitation, de diversifier les revenus agricoles et d’accroître le rendement des cultures. La protection des terres intactes peut soutenir les économies de conservation, en particulier pour les collectivités autochtones et éloignées.

Le projet de loi précise que le rapport annuel du ministre des Finances comprendra les risques financiers et les possibilités liés aux changements climatiques. Le passage à la carboneutralité est associé à de nombreux avantages financiers, et il est essentiel que le gouvernement reconnaisse ces avantages.

En conclusion, les solutions naturelles en matière de climat offrent une occasion immédiate, solide et rentable et elles jouent un rôle essentiel dans l’atteinte de la cible de carboneutralité pour 2050 ainsi que des cibles intermédiaires. J’ai également fourni des commentaires par écrit qui contiennent des liens renvoyant au rapport et à des infographies pour aider à interpréter les résultats.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir permis de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Le président : Merci, madame Reed. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Denis Bolduc. Merci d’être ici aujourd’hui.

Il est rare de voir une centrale syndicale accepter avec autant de grâce que certains de ses membres perdent leur emploi. J’aimerais savoir, parmi ceux qui font partie de la FTQ, quel est le pourcentage de vos membres qui œuvre dans les hydrocarbures au Québec.

M. Bolduc : Notre principal affilié présent dans les hydrocarbures est Unifor. Unifor représente des milliers de travailleurs — pas juste au Québec, mais aussi Canada — dans ce domaine.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Unifor plaide pour que la cible ne soit pas de 40 %, mais plutôt de 60 %. Pourquoi? Parce qu’il faut agir maintenant. Plus on attend, plus le défi sera grand et plus les impacts seront importants.

J’ai vu une étude publiée par l’Agence internationale de l’énergie le mois dernier qui parlait justement de la disparition d’un certain nombre d’emplois, mais également de la création d’un plus grand nombre d’emplois. Il y aurait environ 5 millions d’emplois dans les industries pétrolières et gazières qui seraient éliminés d’ici 2030, mais en revanche, il y aurait 14 millions d’emplois qui seraient créés grâce à la transition énergétique. Madame la sénatrice, dans mon livre à moi — comme on dit au Québec pour le hockey — cela fait 9 millions d’emplois de plus.

La sénatrice Miville-Dechêne : Évidemment, c’est toute une question de reformer les gens qui travaillent dans les hydrocarbures, ce n’est pas simple.

Je veux justement aborder cette question de ce que vous avez appelé la « transition juste ». Vous voudriez qu’il y ait des éléments pour les travailleurs à l’intérieur du projet de loi. C’est quand même un projet de loi fédéral; la main-d’œuvre en général, comme vous le savez, est plutôt de compétence provinciale. Qu’envisagez-vous comme transition juste? Que demandez-vous plus précisément? Que l’on paie quelques années de salaire pour que les gens puissent se reformer? Que voulez-vous exactement pour ces travailleurs qui se retrouveront au chômage?

M. Bolduc : Une multitude de solutions peuvent s’appliquer. Cela peut effectivement être de la requalification par la formation ou bien des compensations financières. Il y a beaucoup d’emplois qui disparaîtront alors que d’autres seront modifiés, et un certain nombre d’emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui seront créés.

Chacun des cas nécessite une intervention différente et il faut donc accompagner les travailleurs et les travailleuses dans cette transition. Dans une entreprise qui est appelée à être modifiée de façon importante ou même à fermer, il y a certains employés qui pourraient avoir droit à de la formation pour se diriger vers un nouvel emploi ou, encore, vers un emploi qui sera transformé. Alors, il faut accompagner les travailleurs et travailleuses, mais il faut également tenir compte du concept de communauté.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Bolduc, ça ne peut pas se retrouver dans le projet de loi C-12. Vous parlez de façon plus générale, si je comprends bien.

M. Bolduc : En fait, on aimerait que le principe de transition juste soit inclus dans le projet de loi C-12. On promet que cela va venir éventuellement. Toutefois, il est important pour nos travailleurs et travailleuses que l’objectif de la carboneutralité soit lié au principe de la transition juste, et on ne voit pas cela dans le projet de loi.

À notre avis, l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 doit tenir compte des travailleurs et travailleuses, mais aussi des communautés dans lesquelles cela s’applique.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Bolduc.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Nous avons rencontré des gens de tous les secteurs. Je suis reconnaissante aux personnes qui sont venues témoigner. Nous avons entendu des particuliers et des représentants de grands émetteurs comme l’industrie du ciment, des médecins, des scientifiques qui travaillent dans le domaine des mathématiques et de la physique, des Autochtones et des travailleurs qui sont tous en faveur de ce type de loi, lequel fixe des cibles et permet d’agir.

Pourtant, il y en a qui œuvrent contre ce genre de projet de loi. Il y a en encore qui nient les changements climatiques et qui continuent à faire obstacle. Au lieu de s’interroger davantage sur ce que vous avez dit, monsieur Bolduc, ils veulent que nos projets de loi soient moins ambitieux et qu’ils aient des cibles économiques plus importantes que la santé ou le climat. Que diriez-vous à ces gens qui s’opposent à ce genre de projet de loi?

Le président : À qui s’adresse votre question?

La sénatrice Galvez : Si chacun pouvait répondre un peu, ce serait bien. Merci.

[Français]

M. Bolduc : Je crois que ce sera beaucoup plus coûteux et qu’il faudra beaucoup plus d’efforts si on ne fait rien maintenant que si on agit immédiatement. Il n’y a pas d’avenir dans les hydrocarbures. Je vous le répète, il n’y a pas d’avenir dans les hydrocarbures!

Selon l’étude de l’Agence internationale de l’énergie à laquelle je faisais référence plus tôt, on peut arrêter tout projet d’expansion d’hydrocarbures en faisant une transition énergétique, et cela n’affectera pas l’économie.

Je n’ai pas les compétences pour contester les conclusions des différentes études, je ne fais que les rapporter. Il y a une importante étude de l’Association canadienne de santé publique qui conclut que les coûts de santé seront énormes si on ne fait rien. Selon cette même étude, pour ce qui est de l’urgence d’adaptation aux conséquences de la crise, les coûts liés à la perte de vies et de qualité de vie sont estimés à 86 milliards de dollars par année d’ici 2050.

Ce sont pour moi des chiffres énormes que je ne suis pas en mesure de contester. Je les prends tels qu’ils sont présentés, dans une étude sérieuse à première vue. Il est question de coûts de 250 milliards de dollars par année d’ici 2100.

Selon un scénario d’émissions élevées, les changements climatiques pourraient faire perdre 128 millions d’heures de travail par année d’ici la fin du siècle, soit l’équivalent de 62 000 emplois à temps plein, soit près de 15 milliards de dollars.

Mme Brouillette : Je vous remercie de la question, sénatrice Galvez. J’ai une formation d’économiste et je pense que s’il y a une chose qu’on peut dire de façon générale sur notre façon de considérer l’économie, c’est qu’on n’a historiquement cherché à optimiser qu’une seule variable, soit le taux de croissance du PIB. C’est la raison pour laquelle il nous faut un projet de loi distinct pour s’assurer d’atteindre un autre objectif sociétal qui, on le sait, est intrinsèque au progrès de la santé humaine et du bien-être. Il y a aussi une composante importante liée à l’équité et à la justice : c’est la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

On n’a pas besoin d’espace supplémentaire dans notre cadre législatif où on met l’accent sur ces indicateurs économiques. On le fait déjà de façon ad hoc dans notre société. Le projet de loi C-12 doit se concentrer sur la question de notre réponse à la crise climatique, tant en matière d’atténuation que d’adaptation.

[Traduction]

Mme Reed : La carboneutralité est essentielle à la résilience de l’économie du Canada. La cible est exprimée sous la forme d’une donnée brute dans le projet de loi, et elle ne sert que de point de repère. En fait, le projet de loi établit une structure pour atteindre la cible et précise des délais pour la production de rapports et pour l’établissement de cibles intermédiaires, ainsi que pour la formulation de plans qui permettront d’atteindre les cibles. Il offre la possibilité de réglementer davantage et de mettre sur pied un organisme consultatif, ce que nous appuyons sans réserve.

En fait, les gens dont vous avez parlé, qui entretiennent des préoccupations valables, auront la possibilité, selon ce que prévoit le plan et grâce aux travaux de l’organisme consultatif, d’exprimer leurs besoins, tout comme les différentes parties prenantes. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aborder certains de ces éléments économiques dans le texte du projet de loi, mais il faut veiller à ce que les processus énoncés dans la mesure permettent de prendre en compte divers points de vue dans l’élaboration des plans et des cibles.

La sénatrice Simons : Merci à tous nos témoins de cet après-midi.

Ma question s’adresse à Mme Reed. Au cours de la semaine, nous avons entendu un certain nombre de témoins exprimer des réserves au sujet d’une stratégie de carboneutralité qui ne permettrait pas vraiment de réduire les émissions. Il serait juste de dire que, beaucoup perçoivent le genre de stratégie de réduction des émissions que vous décrivez — je ne veux pas leur faire dire ce qu’ils n’ont pas dit —, comme une sorte de tricherie parce que, d’une certaine façon, cette stratégie ne permet pas de réduire les émissions, et donc que cela ne compte pas. Pourriez-vous nous expliquer comment nous pouvons légitimement miser sur la conservation de la nature pour réduire les gaz à effet de serre de façon globale, et déterminer dans quelle mesure on peut y parvenir.

Ma famille possède depuis très longtemps un quart de section et une grande partie de cette terre est constituée de milieux humides. Dans les Prairies, nous parlons de slough, de bourbier si vous voulez. Nous n’en faisons jamais rien parce que nous avons 160 acres et que nous n’en utilisons que 60, alors si une centaine d’acres est sous l’eau, c’est génial pour nous. Mais nous ne devrions certainement pas obtenir de points pour notre marécage. Personne ne décerne le prix Paula Simons pour la préservation des terres humides parce que je suis trop paresseuse pour penser à des choses qui ont à voir avec mes terres humides.

Mme Reed : Je vous remercie de votre question. Je suis sûre que votre milieu humide est très joli. J’aimerais beaucoup aller le voir un jour.

La sénatrice Simons : Les orignaux et les moustiques l’aiment.

Mme Reed : Fondamentalement, quand on pense aux centaines de mégatonnes d’émissions que nous devons réduire pour atteindre les objectifs de 2030, sans parler de l’objectif de carboneutralité, une grande partie de cette réduction doit venir de l’abandon progressif des combustibles fossiles, de l’efficacité énergétique, des transports propres, et cetera. Il faut absolument que ce soit la majeure partie de la transition, mais la nature et les solutions climatiques naturelles que j’ai décrites ont aussi un rôle très important à jouer.

Il y a deux volets à cela. Dans l’étude que nous avons examinée à Nature United, toutes les voies s’ajoutent aux autres et ne représentent pas le statu quo. Elles viennent en plus et réduisent les émissions au-delà du statu quo.

Premièrement, si nous continuons de convertir des forêts intactes et des prairies en terres cultivées à haute intensité, nous rejetterons des émissions supplémentaires. En les protégeant, nous réduisons activement le volume annuel d’émissions. Les chiffres dont je vous ai parlé sont fondés sur les taux de conversion actuels des 10 dernières années. Il s’agit en fait de réduire les émissions qui, nous le savons, seront rejetées dans l’atmosphère en raison du niveau d’activité que nous avons au Canada.

L’autre aspect est la séquestration, c’est-à-dire la réduction des émissions qui se trouvent déjà dans l’atmosphère. En fait, on y parvient en rétablissant des zones naturelles qui n’absorbent actuellement pas le carbone, et en accroissant leur capacité à ce titre. La plantation d’arbres est un excellent exemple. Les jeunes arbres ne séquestrent pas beaucoup de carbone. Il faut attendre 30 ans pour qu’ils arrivent à maturité et que leurs processus fonctionnent et qu’ils absorbent le carbone. Il est important de mettre ces processus en place maintenant pour obtenir ces réductions nettes en 2050.

Il y aura toujours des émissions que nous ne pourrons pas réduire à partir des matériaux de construction que nous utiliserons encore, de sorte que, dans la mesure où nous délaisserons les combustibles fossiles au maximum et ferons toutes ces autres choses, il y aura toujours des émissions inévitables. Il faudra un certain temps pour éliminer ces émissions. De plus, nous avons déjà un niveau élevé d’émissions atmosphériques. La séquestration nous aide à faire la transition et à éliminer les émissions qui sont difficiles ou impossibles à neutraliser.

La sénatrice Simons : Voici ce que j’aimerais savoir : comment mesurez-vous tout cela? Comment en tenez-vous compte? Comment savez-vous combien une nouvelle forêt séquestre de carbone? Quelle quantité de carbone est éliminée si vous prenez un champ de canola et le remettez au pâturage pour le bétail?

Mme Reed : Il y a deux éléments à cela. Il y a d’abord le flux réel de carbone provenant du processus biophysique, et il y a des recherches sur la quantité de carbone qu’un milieu humide peut absorber. Je ne suis pas scientifique, mais cela a été mesuré. Il y a des lacunes dans les données. Il y a encore beaucoup à faire sur le plan scientifique. Pour faire baisser le taux d’incertitude, il faut connaître le flux du processus naturel. Il s’agit de la quantité de carbone qu’un arbre ou un milieu humide peut stocker.

Ensuite, à partir des changements et des pratiques qui influent sur nos sources et nos puits carbone, on peut établir un modèle complexe fondé sur les taux de changement. Dans le secteur forestier, la question est de savoir quelle est la demande de produits forestiers dans la région? Quels sont les taux historiques d’exploitation forestière et de conversion? Ensuite, on multiplie cela par les flux de carbone, de sorte qu’on obtient un modèle scientifique et comptable très complexe permettant de comprendre ce qu’il en est.

La sénatrice Cordy : Merci à tous. Vous avez été d’excellents témoins. Je vous remercie tous de votre dévouement à la cause d’un environnement sain pour tous les Canadiens.

J’aimerais parler d’abord du comité consultatif. Je suis très heureuse que le projet de loi en prévoie un; nous en avons besoin. Le projet de loi dit que le ministre doit tenir compte des conseils du comité consultatif.

Monsieur Bolduc, vous avez parlé du comité consultatif au Québec, dont neuf membres sont issus de la communauté scientifique. Or le comité consultatif qui a été mis sur pied pour s’occuper de cette loi et pour s’occuper de l’environnement compte un seul climatologue. Est-ce que cela pose un problème?

[Français]

M. Bolduc : Oui, pour nous, c’est hautement problématique. C’est le genre de dossier, de discussion, de projet de loi ou d’objectif qui doit absolument être guidé par la science. Si on ajoute des considérations de toutes sortes, il y aura toujours une bonne raison pour passer à côté de l’objectif. Il faut vraiment que les objectifs soient guidés par la science. Quand on voit, dans le projet de loi actuel, un scientifique parmi quatre représentants des énergies fossiles, on se demande qui aura le plus de poids au sein du comité.

Même avec toute la bonne foi qu’on peut accorder à ces personnes qu’on ne connaît pas encore, on peut penser qu’elles auront en tête les intérêts de l’industrie qu’elles représentent. Pour nous, il y a vraiment une possibilité de conflit d’intérêts au sein de ce comité.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Merci.

Ma deuxième question fait suite à celle de la sénatrice Galvez et à celle de la sénatrice Simons. Il s’agit des aspects positifs. Vous avez tous parlé des aspects positifs que les changements climatiques et la loi sur la carboneutralité peuvent avoir dans l’ensemble. Vous avez parlé de création d’emplois et de protection sociale. Madame Reed, vous avez parlé de votre rapport annuel sur les risques et les avantages financiers.

La réalité, c’est que, lorsque nous adoptons des mesures législatives liées au climat et à l’élimination des émissions de gaz à effet de serre, il y a beaucoup de gens qui dénoncent aussitôt les pertes d’emplois et ce genre de choses. Comment pouvons-nous contrer cela? Comment faire comprendre aux Canadiens que non seulement c’est une bonne chose pour leur santé et leur bien-être, mais que cela peut aussi être très avantageux pour notre économie? Comment pouvons-nous faire passer le message qu’au lieu de faire des laissés pour compte, tout le monde peut en sortir gagnant, madame Reed?

Mme Reed : Il y a bien de façons de s’y prendre. C’est probablement notre responsabilité à tous — le gouvernement, le secteur privé, ainsi que les ONG et les groupes d’intérêt public.

Le fait que le gouvernement du Canada ait annoncé dans son énoncé économique de l’automne l’engagement de 3,9 milliards de dollars dans des solutions naturelles aux changements climatiques, qui faisait partie du plan de relance post-COVID, est très important parce qu’on reconnaît que ces solutions naturelles sont porteuses d’emplois et d’autres sources de revenus. Du point de vue de la nature, ce n’est pas rien de dire que cela fait partie de la reprise économique, et pas seulement du conservationnisme et de l’environnementalisme, sans parler de l’impact sur les économies locales.

[Français]

Le président : Pour faire suite à la question de la sénatrice Cordy, il y a beaucoup de gens d’affaires dans notre société qui se soucient énormément des changements majeurs auxquels on va faire face. Plusieurs ne sont pas convaincus que le commun des mortels ne souffrirait pas beaucoup au point de vue économique.

Monsieur Bolduc, je vois que vous êtes très engagé. C’est une bonne nouvelle, car votre propre succès dépend d’une économie rentable, et vos clients, vos investissements dépendent beaucoup de l’économie. C’est un signe très positif que vous envoyez à la société en général.

Cela dit, je crois que la FTQ a été engagée dans la cimenterie de Port-Daniel, et cela a mal fini. Les cimenteries sont un des trois secteurs où on n’a pas de solution technique à ce jour, si on compte aussi l’acier et les produits chimiques.

Qu’est-ce qu’on doit faire pour ces secteurs et les cimenteries, qui sont très polluantes, mais très nécessaires?

M. Bolduc : On a quatre cimenteries au Québec, notamment celle de Port-Daniel. Il y a quelques années, la FTQ a fait une tournée de toutes les régions du Québec afin de sensibiliser les gens à la transition énergétique. On a rencontré des gens, notamment dans le secteur de la cimenterie. Je pense que la meilleure recette qu’on peut avoir c’est l’engagement des personnes, des entreprises et des communautés qui sont concernées par les changements.

Par exemple, au Québec, on aimerait qu’un groupe de travail sur la transition juste soit inclus dans le projet de loi C-12. Celui-ci serait mis en place et financé par le gouvernement. On y trouverait des représentants des grandes centrales syndicales, du patronat et des ministères — deux ou trois ministères concernés —, notamment le ministère de l’Économie, le ministère de l’Environnement, qui analyseraient les possibilités — ce qui existe. Au sein du groupe de travail sur la transition juste, il pourrait y avoir un comité d’experts, au besoin, sur une situation particulière comme celle de la cimenterie, pour évaluer ce qui peut être fait et ce qui se fait à l’extérieur du Québec ou du Canada.

En Suède, on fabrique actuellement de l’acier carboneutre grâce à de l’hydrogène vert. C’est une solution. Dans le domaine de la cimenterie — je ne suis pas un expert pour vous dire ce qui existe ou non en ce moment —, on travaille à mettre sur pied des laboratoires de transition pour réunir les travailleurs et l’entreprise afin d’analyser la façon dont l’entreprise peut être plus efficace en matière de gaz à effet de serre. On se penche actuellement sur la manière dont on pourrait le faire dans le secteur de la cimenterie. On travaille là-dessus actuellement.

Le président : Vous avez soulevé une préoccupation en ce qui a trait aux comités de consultation, à savoir un problème potentiel de conflit d’intérêts. En même temps, on a besoin de gens connaissants. Les secteurs sont très techniques. D’abord, on veut des gens qui peuvent nous aider. Au Royaume-Uni et en France, il y a une combinaison de tout. En d’autres mots, on accepte potentiellement un conflit d’intérêts, mais il faut le déclarer. Quelle solution proposez-vous pour le Canada? On a beau avoir une tonne de monde qui siège au comité consultatif, on compte tout de même sur des connaissances techniques pour trouver des solutions. Comment peut-on trouver un équilibre?

M. Bolduc : En fait, le milieu syndical réclame au moins un siège. Vous avez raison, il faut un bassin de connaissances autour de la table, mais il y a tout même quatre représentants du secteur des énergies fossiles. C’est beaucoup, cela pèse lourd au sein du comité. Cela nous inquiète. Il y a lieu de s’inquiéter en ce qui concerne l’orientation, les suggestions ou les recommandations que pourrait faire un comité où le poids de ces représentants est aussi important.

Le président : Merci.

J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier nos témoins. Je pense qu’on a eu une bonne discussion. Vous avez bien communiqué vos connaissances. Je vous remercie au nom du comité.

[Traduction]

Pour notre dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous accueillons, à titre personnel, Mme Joy Agnew, directrice de la recherche appliquée au Centre d’innovation du Olds College, et au nom de l’organisme JustEarth, Mme Joyce Hall, qui en est co-présidente.

Bienvenue et merci d’être avec nous aujourd’hui. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes chacune pour faire votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions. Madame Agnew, nous sommes prêts à vous entendre.

Joy Agnew, directrice, recherche appliquée, Centre d’innovation, Olds College, à titre personnel : Bonjour. Je supervise le programme de recherche appliquée et l’exploitation de la ferme intelligente du Olds College. Notre mandat consiste à accélérer la mise au point et l’adoption d’innovations, de technologies et de pratiques qui augmentent la productivité et la durabilité de l’agriculture et de la production alimentaire. L’objectif social du collège est de transformer l’agriculture en vue d’un monde meilleur. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui pour vous faire part de mes réflexions sur les répercussions du projet de loi C-12 dans le secteur agricole.

Je crois que le projet de loi C-12 apporte au gouvernement un bon outil pour aider le Canada à atteindre des objectifs ambitieux de réduction des émissions. On en a besoin pour bien orienter la création des protocoles de réglementation et des marchés à participation volontaire par lesquels se produiront les changements radicaux qui s’imposent dans les secteurs de l’énergie, des mines, des transports et de l’agriculture pour atteindre l’objectif de carboneutralité d’ici 2050.

Les intervenants du secteur agricole craignent que les cibles de réduction et les stratégies élaborées grâce à ce projet de loi n’affectent trop lourdement la capacité de l’industrie de nourrir une population croissante tout en tenant tête à la concurrence mondiale.

Les émissions de carbone par livre d’aliments produites au Canada sont déjà parmi les plus faibles au monde parce que nos producteurs et nos éleveurs ont adopté des pratiques exemplaires il y a des décennies. Il y a place à l’amélioration, toutefois, et le secteur agricole pourrait atteindre la neutralité en augmentant la séquestration du carbone dans le sol.

L’empreinte carbone du secteur agricole est très variable et extrêmement complexe, les émissions et la séquestration se produisant sur les 55 millions d’hectares de terres agricoles du Canada. Cette complexité, combinée à l’importance de l’agriculture pour le Canada, signifie que les mesures et les stratégies découlant de ce projet de loi doivent s’harmoniser avec nos façons de faire dans ce secteur.

Les protocoles complexes de quantification et de vérification et les exigences détaillées de déclaration peuvent convenir aux calculs de l’empreinte carbone dans le secteur de l’énergie, mais pas dans le secteur agricole. Les stratégies qui réduisent les émissions agricoles nettes dans l’Ouest canadien ne s’appliquent pas nécessairement dans l’Est. Les stratégies qui encouragent l’adoption de pratiques à moindre empreinte carbone ne fonctionnent tout simplement pas lorsqu’il n’y a pas d’autres options.

Mes recommandations d’amendements au projet de loi C-12 s’articulent autour de l’organisme consultatif, dont le mandat est de donner des conseils sur les mesures et les stratégies sectorielles nécessaires pour atteindre un objectif de réduction des émissions.

Premièrement, j’approuve les recommandations antérieures visant à renforcer le rôle de l’organisme consultatif dans l’établissement des cibles, des plans et des rapports, plutôt que de simplement conseiller le ministre.

J’approuve aussi celles voulant que le comité consultatif soit composé d’experts indépendants qui font rapport au Parlement plutôt qu’au ministre directement.

Je recommande par ailleurs que l’organisme consultatif ait une représentation intersectorielle, en particulier du secteur agricole. Comme je le disais, les émissions agricoles sont très variables et dépendent de dizaines, voire de centaines de facteurs. Sans expert de ce domaine au sein de l’organisme consultatif, les mesures et les stratégies proposées pourraient ne pas correspondre aux réalités de la production alimentaire au Canada.

Je recommande aussi que l’organisme consultatif soit chargé d’élaborer des mesures et des stratégies intersectorielles. Il sera difficile, voire impossible, pour le Canada d’atteindre la carboneutralité si on continue de traiter chaque secteur en vase clos. Il y a énormément de chevauchement entre les secteurs de l’énergie, des mines, des transports, de la foresterie et de l’agriculture. Il est possible d’adopter des pratiques en agriculture qui n’ont aucun effet ou qui peuvent même augmenter légèrement les émissions du secteur agricole, mais qui réduisent considérablement les émissions dans les secteurs de la fabrication et des transports. S’il n’y a pas d’incitatif ou de capacité à évaluer l’effet d’une pratique sur les émissions nettes totales, ces possibilités sont perdues.

Nous devons tirer des leçons de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas dans d’autres pays qui ont légiféré pour se donner des cibles de réduction, ainsi que des stratégies pour les atteindre, mais nous devons tous comprendre que par sa taille même, sa diversité topographique, ses défis climatiques et ses industries premières, le Canada aura besoin de mesures et de stratégies qui lui sont propres.

J’ai bon espoir qu’un organisme consultatif bien composé recommandera des stratégies bien définies et harmonisées qui permettront au secteur agricole de continuer à nourrir une population croissante tout en jouant un rôle essentiel pour aider le Canada à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Merci.

Joyce Hall, co-présidente, JustEarth : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je vous remercie de m’inviter à parler au nom de JustEarth.

Je m’adresse à vous depuis le comté de Grey où je reconnais le territoire ancestral de la nation Anishinabek, le peuple des Trois Feux, qui réunit les nations Ojibway, Odawa et Potawatomi. Je remercie également les Chippewas de Saugeen et les Chippewas de Nawash, maintenant appelés Nation ojibway de Saugeen, qui sont les gardiens traditionnels de ce territoire.

JustEarth est une ONG environnementale établie à Toronto, fondée et dirigée par l’ancienne députée Lynn McDonald et affiliée au réseau Climate Action Network. Au cours de la dernière année, nous avons parlé à des députés de tous les partis, par l’entremise de Zoom, de la nécessité d’une loi canadienne rigoureuse sur la responsabilité en matière de climat.

Vous conviendrez, j’en suis certaine, qu’aucun argument raisonnable ne peut nier l’urgence d’intervenir face aux changements climatiques. Nous qui vivons aujourd’hui portons une lourde responsabilité — peut-être plus lourde que jamais auparavant pour la société humaine — parce que nous voyons une catastrophe se profiler droit devant nous. Nous connaissons sa forme et sa taille approximatives, et nous avons les moyens de l’éviter.

Au moment où nous nous parlons, le Canada est en queue de peloton parmi ses pairs du G7 en matière de lutte contre les changements climatiques et il occupe cette place depuis bien trop longtemps. Nous espérons être à un point tournant. Vous avez le pouvoir et l’occasion de prendre une décision cruciale lorsque vous serez saisis du projet de loi C-12, et nous espérons que ce sera très bientôt.

Il peut être tentant de dire que le projet de loi n’est pas assez bon, surtout qu’il n’est pas assez fort, et qu’il faut plus de temps. Mais c’est bien là le problème : nous n’avons plus de temps. Beaucoup d’efforts ont été déployés pour amener ce projet de loi aussi loin, et la Chambre ajourne le 23 juin.

Les amendements déjà apportés en comité sont louables. Par conséquent, JustEarth propose que, même si le projet de loi n’est pas parfait, il offre un cadre pratique sur lequel nous pouvons bâtir. Il y a moyen de le renforcer, tant dans la mise en œuvre que par d’autres modifications à venir, puisqu’un amendement récent du comité permanent demande justement un examen de la loi dans cinq ans.

Cela dit, JustEarth a des propositions pour ces modifications futures. Il faut en prendre note pour y revenir plus tard, et non pas pour retarder l’adoption du projet de loi.

Au lieu d’être des mesures compensatoires, 90 % des efforts de carboneutralité doivent consister en des réductions absolues des émissions.

La loi doit garantir les droits des peuples autochtones en intégrant dans son application le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause établi par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

Il serait logique de tirer pleinement parti des connaissances des peuples autochtones — qui ont pris soin de la terre avec sagesse et respect pendant des milliers d’années — en leur faisant une place dans l’organisme consultatif.

À l’avenir, une loi sur la responsabilité climatique devrait tenir compte de la quantité totale d’émissions que nous produisons dans notre quête de la carboneutralité en 2050, autrement dit le budget carbone ou les émissions cumulatives d’ici 2050.

Nous proposons d’adopter des budgets quinquennaux pour renforcer la responsabilité de chaque gouvernement dans un cycle électoral afin que personne ne soit tenté de remettre à plus tard.

Pour ce qui est des secteurs à inclure dans la planification, il faut qu’ils y soient tous, y compris l’armée et le secteur spatial.

Il faut envisager aussi à l’avenir la nécessité pour le gouvernement de faire rapport sur l’état et la tendance des émissions de gaz à effet de serre dans les administrations infranationales — provinciales, territoriales, municipales et autochtones. Pour réduire nos émissions nationales, il faut savoir clairement comment chaque secteur — et, idéalement, chaque province — est censé contribuer à l’objectif national.

L’établissement d’objectifs provinciaux et de budgets carbone augmenterait la transparence et la certitude dans notre plan de décarbonisation, en répartissant notre budget limité pour le climat dans l’ensemble de l’économie et du pays.

Je vous rappelle que le Royaume-Uni a adopté sa loi très efficace sur la responsabilité climatique, la Climate Accountability Act, en 2008 à l’unanimité, et que les grands partis à l’époque — travailliste et conservateur — se sont ralliés pour l’adopter. Le Canada a besoin d’un effort semblable, exempt de partisanerie, et ce projet de loi est notre occasion de mettre le cap résolument sur l’objectif de la carboneutralité en 2050.

En terminant, je répète qu’il n’est pas nécessaire de retarder le projet de loi pour y incorporer nos propositions. Il évoluera et s’améliorera à mesure que les conséquences des changements climatiques commanderont l’attention et que nous apprendrons. JustEarth recommande que le projet de loi C-12 soit adopté dès la fin de son étude en comité pour que le Canada s’acquitte sans tarder de son obligation internationale primordiale, qui est de garantir un avenir aux générations futures.

Merci beaucoup. Je vous remercie de votre attention et je suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci à vous deux. Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup à nos deux témoins d’aujourd’hui. À titre de sénatrice de l’Alberta, je suis particulièrement heureuse de voir Mme Agnew brandir le fanion d’Olds College, un important établissement d’enseignement de l’Alberta.

Madame Agnew, lorsque les gens pensent aux empreintes de carbone ou de méthane de l’agriculture, ils pensent à des choses comme le séchage du grain en grandes quantités ou la production de méthane par les vaches. Comme vous êtes directrice de la recherche appliquée au centre d’innovation, pourriez-vous nous parler des techniques, des méthodes ou de l’équipement plus novateurs que les jeunes agriculteurs mettent à l’essai et qui pourraient réduire et compenser les émissions de carbone?

Mme Agnew : Merci, madame la sénatrice, de votre question et de vos bons mots pour Olds College.

Avant de parler d’innovation et de technologie, je voulais souligner le fait qu’il y a aussi beaucoup de désinformation au sujet de l’empreinte carbone de l’agriculture, et notamment du secteur de l’élevage, où, effectivement, le bétail émet du méthane. Toutefois, le méthane qui est émis fait normalement partie d’un cycle court : le carbone est séquestré la même année et consommé par les animaux dans le cycle de pâturage suivant. Les émissions nettes de carbone dans l’atmosphère provenant de la production bovine sont de loin inférieures à la croyance populaire, qui repose à mon avis sur des résultats d’études mal présentés.

Pour répondre plus directement à votre question sur les technologies et les innovations qui contribuent à réduire les émissions globales, elles sont si nombreuses que je ne sais pas par où commencer. Il y a de nouveaux additifs alimentaires pour l’industrie bovine qui réduisent les émissions entériques des animaux.

Il y a les nouveaux capteurs, les algorithmes, l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle qui aident à optimiser le séchage du grain dans les silos, de sorte que vous ne recourez à l’aération et au chauffage et que vous ne brûlez du propane et du gaz naturel que le minimum de temps nécessaire pour obtenir la teneur en humidité idéale pour le stockage.

Nous voyons d’énormes progrès dans l’utilisation d’outils agricoles de précision qui déterminent exactement la bonne quantité et le bon type d’engrais azoté et d’autres engrais nécessaires pour obtenir un rendement maximal des cultures.

Et j’en passe. Les possibilités sont infinies. Le problème, c’est que certaines pratiques ou méthodes de transition vers une économie à faibles émissions de carbone ne sont pas adaptées aux façons de faire en agriculture. Je pense au fait que, parfois, il n’y a pas de pratiques de rechange à adopter, ce qui peut sérieusement limiter notre capacité de produire suffisamment d’aliments pour nourrir une population croissante.

La sénatrice Simons : Pouvez-vous nous donner plus de détails? Lorsque vous parlez de choses qui ne sont pas adaptées, on dirait à vous entendre que vous craignez presque que chaque agriculteur soit obligé de déclarer ses émissions. Il n’y a rien d’aussi prescriptif dans le projet de loi C-12. Quelles sont vos préoccupations au sujet des pratiques qui, selon vous, avec la technologie ou du moins les méthodes que nous avons maintenant, ne conviennent pas à une réduction aussi draconienne des émissions?

Mme Agnew : Je vous remercie de la question.

Oui, je sais bien que le projet de loi C-12 n’obligera pas chaque agriculteur à tenir le compte et à faire rapport des émissions. Je pense à des mécanismes comme la taxe sur le carbone, par exemple, qui pénalise les agriculteurs, pour ainsi dire, qui brûlent du carburant pour faire sécher le grain, et à d’autres pratiques qui ne sont pas exemptées, lorsqu’ils n’ont pas de solution de rechange pour réduire leur empreinte carbone. Voilà un exemple d’une politique, d’un règlement ou d’un mécanisme qui veut encourager d’autres pratiques de gestion afin de réduire une empreinte carbone mais qui ne convient pas à nos façons de faire.

L’agriculture est un secteur où les marges de profit sont extrêmement minces, et les agriculteurs et les éleveurs doivent constamment gérer les risques avec soin. Pour y arriver, ils ne peuvent pas se voir imposer des coûts supplémentaires sans avoir la moindre chance de les récupérer plus loin dans la chaîne d’approvisionnement.

Ils doivent aussi rester compétitifs avec leurs concurrents étrangers, et si d’autres pays n’ont pas le même type de politiques climatiques qui influent sur la production agricole, il devient très difficile pour nos agriculteurs de soutenir la concurrence.

La sénatrice Galvez : J’ai une question pour Mme Agnew et une autre pour Mme Hall.

Le secteur agricole est complexe et il a beaucoup évolué ces dernières années. J’ai participé récemment à un congrès du génie agricole et rural, où j’ai appris beaucoup de choses.

Au Canada, on voit grandir un secteur de petites exploitations qui cultivent des produits biologiques, qui ont le souci de la permaculture, d’intégrer des cultures et de réduire encore plus l’empreinte carbone. D’un autre côté, les fermes de taille moyenne disparaissent pour faire place à d’immenses exploitations. Je pense que cela se répercute en parallèle sur l’état du climat. Les répercussions sont assez incroyables. Vous savez sûrement qu’une des neuf frontières de la planète est le cycle géochimique de l’azote et du phosphore, qui sont dépassés. Pourriez-vous nous en dire davantage pour nous aider à mieux comprendre toutes les échelles du secteur agricole?

Mme Agnew : Merci de votre question, madame la sénatrice.

Oui, il y a eu une évolution intéressante, les fermes familiales disparaissent et les grandes fermes commerciales prennent la relève. C’est surtout à cause des économies d’échelle et du fait que les progrès en agriculture au cours des 100 dernières années ont suivi le modèle de l’industrialisation, où il faut grossir, utiliser de plus grosses machines et profiter des économies d’échelle. Dans une certaine mesure, nous avons sacrifié l’intendance globale des terres. Je dis bien dans une certaine mesure, parce que les exploitations agricoles, grandes et petites, doivent être de bons intendants des terres. En agriculture, ce n’est pas comme s’il fallait faire un choix entre être viables et être productifs et rentables. Les deux sont étroitement liés parce que la capacité de faire pousser des aliments sur le sol dépend de la richesse et de la santé du sol. Ce n’est pas comme si nous faisions exprès de nuire à l’environnement pour être plus productifs et rentables. Les deux vont de pair.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est certainement une observation en ce qui concerne la taille des fermes, mais les grandes comme les petites pratiquent une solide intendance des terres. Il le faut parce que leur gagne-pain en dépend.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.

Madame Hall, je suis d’accord avec vous sur tout ce que vous avez dit et je conviens que, malgré les imperfections du projet de loi C-12, nous sommes en retard par rapport aux autres pays du G7 et nous n’avons pas atteint nos objectifs, alors nous devons forcer et pousser davantage pour y arriver. Je vais vous poser une question que j’ai posée au groupe précédent. Malgré l’urgence de la crise climatique, il y a encore des gens qui ne veulent pas nous voir prendre cette direction. Quel est le message? Pensez-vous qu’il est irresponsable de faire obstacle à une loi comme celle-là?

Mme Hall : Votre question est intéressante. Je vis dans la circonscription de Bruce—Grey—Owen Sound et j’ai communiqué récemment avec mon député conservateur pour lui demander de coopérer pour faire adopter ce projet de loi. Mon organisme est un des sept groupes d’action climatique du comté de Grey. Nous sommes établis à l’échelle municipale et il y a énormément de mobilisation pour le climat ici, dans Bruce—Grey—Owen Sound.

Nous faisons certainement de la sensibilisation. Lorsque la pandémie sera terminée, nous comptons en faire plus. Nous comptons tenir des assemblées publiques. Je peux vous dire que nous sommes très conscients de la nécessité de faire les choses autrement.

Un des problèmes dans ma région, c’est que la culture du soja et des haricots utilise des néonicotinoïdes, et les apiculteurs s’inquiètent beaucoup des effets des néonicotinoïdes sur les abeilles. Nous travaillons au niveau local, donc nous cherchons des solutions locales.

Je suis très heureuse de dire que je crois que les solutions se trouvent localement, municipalité par municipalité. Dès qu’une municipalité adhère au programme des Partenaires dans la protection du climat et organise son programme d’action climatique, elle doit trouver chez elle les ressources et l’énergie nécessaires pour amener des solutions ou tracer un bon chemin vers les cibles de carbone qu’elle s’est fixées — des méthodes et des moyens locaux, convenables et appropriés.

Il y a donc ce rapport de Bruce—Grey—Owen Sound à propos de l’animation qui règne ici et qui donne, je crois, un bon élan pour qui veut sensibiliser le public aux changements climatiques, ainsi que nos députés fédéraux et provinciaux.

Je vous remercie de votre question.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Agnew. Je m’intéresse moi aussi à l’agriculture, mais je veux être sûre d’avoir bien compris votre propos. Vous dites qu’il y a beaucoup de nouvelles technologies qui pourraient aider les agriculteurs à produire moins de gaz carbonique, mais savez-vous si les agriculteurs choisissent certaines solutions d’eux-mêmes?

Je comprends qu’il y a un problème pour le carburant. J’imagine que c’est parce qu’on ne peut pas changer de carburant facilement en Alberta ou bien où vous parlez partout au Canada, mais y a-t-il quand même des progrès en ce qui a trait aux différentes technologies qui nous permettent de produire moins de gaz carbonique, qui sont employées en agriculture? En d’autres mots, est-ce que l’agriculture suit ou précède? A-t-elle besoin d’une aide financière pour faire cette transition et quel est le problème avec le carburant?

[Traduction]

Mme Agnew : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question.

Oui, il existe des solutions qui peuvent aider à réduire les émissions et à augmenter en fait la séquestration du carbone. Beaucoup d’entre elles sont à un stade relativement précoce ou en phase précommerciale ou viennent peut-être d’être commercialisées au cours des dernières années.

Comme je disais, les agriculteurs sont essentiellement des gestionnaires de risques, parce que leurs marges de profit sont très minces. Ils sont très prudents et peuvent hésiter beaucoup à adopter des technologies toutes neuves, à moins qu’elles soient relativement bien établies, qu’ils voient que cela fonctionne ailleurs et que cela ne va pas les empêcher de produire des aliments à profit et de subvenir aux besoins de leur famille. Il s’agit donc d’atténuer les risques, alors au stade où nous en sommes, c’est en perfectionnant ces technologies et en en faisant la démonstration que nous allons accélérer leur adoption et accroître du même coup le potentiel de réduction des émissions dans les exploitations agricoles.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je me trouve un peu en conflit d’intérêts pour parler d’aide financière au développement technologique, parce que c’est mon monde. Je gère le centre d’innovation d’Olds College, qui soutient la mise au point et la validation de ces technologies. Il se fait présentement de solides investissements dans ce secteur, il y a énormément d’activité et de momentum, mais on aura toujours besoin de cette aide pour que les innovateurs et les créateurs de technologie puissent faire passer leurs idées esquissées sur un coin de table à un objet commercial qui nous aide à produire des aliments de façon plus rentable et durable.

La sénatrice Cordy : Merci à vous deux. Vous amenez une très bonne discussion sur ce projet de loi.

Madame Agnew, si je puis commencer par vous, vous nous avez bien expliqué au sujet des fermes et des difficultés liées au séchage du grain, et du fait que certains agriculteurs sont en quelque sorte pénalisés. Vous avez parlé aussi du besoin de solides investissements, et il s’en fait actuellement en nouvelle technologie dans le secteur agricole.

Vous avez proposé, je crois, de modifier le comité consultatif. Si nous amendons le projet de loi au Sénat, il est bien possible qu’il meure au Feuilleton. Ne vaudrait-il pas mieux attendre à l’examen quinquennal pour revoir cette question de l’organisme consultatif? Je ne suis pas enchantée non plus de sa composition, mais je regarde le projet de loi du point de vue du Parlement et je me demande s’il y a de la substance pour l’avenir. Est-ce que c’est un bon document de travail? C’est ainsi que je vois les choses. Cela m’intéresse. Vous avez de bons arguments, mais préférez-vous qu’il n’y ait pas de projet de loi du tout ou qu’il y en ait un avec de la substance à parfaire à l’avenir?

Mme Agnew : Merci de votre question, madame la sénatrice.

Je suis une scientifique et j’admets volontiers que je ne connais pas grand-chose au processus législatif. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que le projet de loi, dans sa forme actuelle, est suffisamment solide pour aller de l’avant. S’il doit mourir parce que vous l’amendez, là je ne suis pas d’accord. Mais je recommande fortement, même si ce n’est pas inscrit comme tel dans le libellé du projet de loi, qu’on envisage une représentation intersectorielle au sein de cet organisme consultatif. J’ai regardé sa composition actuelle; c’est un bon mélange de personnes très compétentes avec de solides antécédents, mais l’agriculture n’est pas représentée, d’après ce que j’ai pu voir. Pour moi, c’est un problème. Je préférerais qu’on le règle avant l’examen quinquennal en repensant simplement les nominations à cet organisme.

La sénatrice Cordy : C’est un très bon point. Madame Agnew, nous vous demanderons peut-être de revenir dans cinq ans pour l’examen.

Madame Hall, je me demande si vous pourriez répondre à votre tour. Je crois que vous l’avez fait dans votre témoignage, mais pourriez-vous répéter ce que vous avez dit?

Mme Hall : JustEarth veut que le projet de loi soit adopté, même s’il est imparfait. Cela fait un an que nous faisons du lobbying. Nous avons eu des entretiens par Zoom avec des députés. Avec tout le travail qui s’est fait et le grand nombre de bons amendements qui ont été proposés par le comité permanent, nous voulons vraiment qu’il aille de l’avant, quitte à le modifier ultérieurement. Nous avons beaucoup de bons modèles à examiner, et nous apprendrons avec l’expérience. Il ne faut donc absolument pas bloquer l’adoption du projet de loi au Sénat. Je comprends votre question et je peux y répondre très directement. Je suis heureuse que Mme Agnew soit d’accord avec moi. Merci.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. C’est ici que prend fin la comparution de nos deux témoins experts. En votre nom, je tiens à les remercier de nous avoir fait profiter de leurs connaissances. C’était très intéressant. Votre contribution nous est très utile et je vous remercie de votre disponibilité.

Chers collègues, la séance est levée. Nous nous reverrons demain midi.

(La séance est levée.)

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