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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 mars 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider la présente réunion.

Nous tenons aujourd’hui une réunion virtuelle du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et avant de commencer, j’aimerais vous faire part de quelques suggestions utiles qui, selon nous, vous aideront à avoir une réunion efficace et productive.

Si vous rencontrez des difficultés techniques, notamment en matière d’interprétation, veuillez me le signaler ou le signaler au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème. Si vous rencontrez d’autres types de difficultés techniques, veuillez contacter directement le greffier du comité.

[Traduction]

Sachez que nous pourrions alors devoir suspendre la séance pour que tous les membres du comité puissent participer pleinement à la rencontre. Je ferai de mon mieux pour donner la parole à tous ceux et celles qui souhaitent poser une question aux témoins, et pour cela, je demanderai aux sénateurs de faire preuve de concision dans leurs questions et leurs préambules.

Honorables sénateurs, je sais que la plupart d’entre vous auront des questions à poser à nos témoins, donc je vous demanderais de vous manifester au greffier par la boîte de clavardage Zoom seulement si vous n’en avez pas. Sinon, je donnerai la parole à chacun des membres pour qu’ils puissent poser des questions. Si vous n’êtes pas membre du comité, veuillez indiquer au greffier si vous avez une question à poser, et je ferai de mon mieux pour vous donner la parole, mais je m’attends à ne pas pouvoir vous donner beaucoup de temps.

[Français]

Honorables sénateurs, aujourd’hui, nous poursuivons l’étude du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel. Comme vous le savez, nous prévoyons d’effectuer l’étude article par article de ce projet de loi le 25 mars prochain. Je vous rappelle que si vous avez des observations, vous devez les transmettre dans les deux langues officielles au greffier, avant la réunion du 25 mars prochain.

[Traduction]

La première heure sera consacrée à la comparution du ministre de la Justice, aujourd’hui; les fonctionnaires pourront quant à eux rester avec nous par la suite. Comme tous les sénateurs le savent, nous pourrions être appelés à aller voter au Sénat, donc nous espérons pouvoir entendre d’abord le ministre, puis, s’il y a des votes à la Chambre, aller voter et revenir poursuivre notre séance par la suite. Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont gentiment accepté de revenir avec nous, le cas échéant, pour que nous puissions terminer notre travail aujourd’hui. Je souligne que les fonctionnaires resteront 60 minutes après le départ du ministre, donc je vous prierais de leur réserver vos questions techniques.

Honorables sénateurs, nous sommes maintenant prêts à accueillir l’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il est accompagné de Nathalie Drouin, sous-ministre de la Justice et sous-procureure générale du Canada.

[Français]

Monsieur le ministre, j’aimerais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Batters, vice-présidente du comité; le sénateur Campbell, vice-président du comité; le sénateur Boisvenu, porte-parole du projet de loi; la sénatrice Boniface; le sénateur Carignan; le sénateur Dalphond, parrain du projet de loi; la sénatrice Dupuis; la sénatrice Keating; la sénatrice Mégie; le sénateur Tannas et la sénatrice Pate.

[Traduction]

Monsieur le ministre, la parole est maintenant à vous. Je tiens à vous remercier d’être parmi nous et d’avoir été si patient, le temps que nous commencions. Merci, monsieur le ministre.

L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ministère de la Justice du Canada : Merci infiniment, madame la présidente.

Bonjour, honorables sénateurs. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel, et répondre à toutes vos questions à cet égard.

Le projet de loi dont vous êtes saisis représente la troisième tentative du Parlement pour que cet important texte législatif soit intégré aux lois du Canada. Certains d’entre vous se souviendront de l’important travail entrepris par ce comité relativement au projet de loi C-337. Ce projet de loi était à l’origine un projet de loi d’initiative parlementaire parrainé par l’honorable Rona Ambrose, qui a rallié un soutien universel aux principes de base du projet de loi. Les survivantes d’agressions sexuelles doivent être traitées équitablement, avec dignité et respect, et les procès en matière d’agression sexuelle ne peuvent être influencés ou guidés par des mythes ou des stéréotypes dépassés. Le projet de loi C-337 a reçu l’appui unanime de l’autre Chambre à la suite d’un amendement parrainé par le gouvernement visant à inclure de la sensibilisation au contexte social au projet de loi. Ce comité a ensuite proposé des amendements pratiques pour renforcer le projet de loi, à la lumière des préoccupations exprimées par les intervenants, notamment en ce qui concerne l’indépendance des juges. Les parties prenantes et les parlementaires, dont Mme Ambrose, ont appuyé ces amendements, mais malheureusement, le projet de loi C-337 n’a pas été adopté avant le déclenchement des élections de 2019.

[Français]

En février 2020, le gouvernement a déposé le projet de loi C-5 qui reprenait en grande partie le projet de loi C-337, y compris les amendements qu’avait proposés ce comité. En septembre dernier, j’ai eu le plaisir de déposer le projet de loi C-3, la troisième tentative visant à intégrer à la loi les dispositions concernées. J’espère que cette fois-ci sera la bonne. Ce projet de loi a d’ailleurs été parmi les premiers à être déposés au cours de cette session parlementaire, ce qui montre clairement que notre gouvernement est déterminé à atteindre les objectifs établis à cet égard.

[Traduction]

L’objectif ultime du projet de loi C-3 est de renforcer la confiance du public, et en particulier celle des survivantes d’agressions sexuelles, dans le fait que le système de justice pénale les traitera équitablement. Il s’agit de rassurer les survivantes que lorsqu’elles dénoncent une agression, elles seront traitées avec dignité et respect par des juges qui ont les connaissances, les compétences et la sensibilité nécessaires pour appliquer correctement ce domaine très complexe et nuancé du droit. Cet objectif a reçu l’appui universel de tous les parlementaires, dans les deux chambres, dans toutes ses incarnations législatives. J’espère que cette ultime tentative du Parlement de faire ce qui peut sembler être un petit pas, mais qui est en réalité un pas important pour démontrer notre volonté de transformer le système judiciaire en un système dans lequel les survivantes d’agressions sexuelles seront traitées avec la dignité qu’elles méritent, est véritablement l’étape finale du processus législatif.

Le projet de loi dont vous êtes saisis diffère des projets de loi C-337 et C-5 sur un point important : il précise que le contexte social comprend le racisme et la discrimination systémiques. Les effets de la pandémie et les événements des derniers mois ont mis en évidence l’urgence de s’attaquer aux inégalités systémiques qui existent au sein de notre société, y compris au sein de notre système judiciaire. Une discussion significative sur la pertinence du contexte social pour notre système judiciaire doit inclure le racisme et la discrimination systémiques. Ainsi, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a proposé de reconnaître explicitement cette réalité dans le projet de loi C-3. Notre gouvernement a appuyé de tout cœur cette proposition.

En 2018, le Conseil canadien de la magistrature a explicitement exigé que la formation professionnelle des juges comprenne une sensibilisation au contexte social dans lequel ils exercent leurs fonctions. Permettez-moi de citer les politiques et lignes directrices du conseil en matière de formation professionnelle, que l’on peut trouver sur son site Web :

Les juges doivent veiller à ce que les préjugés, les mythes et les stéréotypes personnels ou sociétaux n’influent pas sur la prise de décisions judiciaires. Pour ce faire, ils doivent connaître les réalités des personnes qui comparaissent devant le tribunal et y être sensibles, et doivent notamment comprendre les circonstances liées au genre, à la race, à l’ethnicité, à la religion, à la culture, à l’orientation sexuelle, aux capacités mentales ou physiques différentes, à l’âge, au bagage socioéconomique, ainsi qu’à la violence faite aux enfants et à la violence familiale.

[Français]

Parallèlement, le comité a été conscient de la nécessité de respecter le principe constitutionnel de l’indépendance de la magistrature. En tant que ministre de la Justice, je prends très à cœur ma responsabilité de préserver l’indépendance de la magistrature. On ne saurait trop insister sur son importance. Même pour accroître la confiance du public dans notre système de justice, le Parlement ne peut pas déroger à ce principe protégé par la Constitution.

Or, l’indépendance de la magistrature exige que la formation des juges soit la responsabilité de la magistrature. Celle-ci doit s’en charger elle-même pour veiller à ce que les juges prennent leurs décisions de façon impartiale et ne soient pas influencés par des interventions arbitraires, particulièrement de la part de l’État, et pour écarter toute impression de partialité.

Pour s’assurer que le Parlement ne s’aventure pas en terrain inconstitutionnel, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a proposé des éclaircissements quant au rôle du Conseil canadien de la magistrature. Ainsi, la version amendée indique très clairement qu’en fin de compte, c’est au conseil de déterminer comment donner suite à la volonté du Parlement.

Le Conseil canadien de la magistrature est déterminé à assurer aux juges une excellente formation continue, comme en témoignent ses politiques et lignes directrices sur le perfectionnement professionnel. Dans ces politiques et lignes directrices, le Conseil canadien de la magistrature reconnaît expressément que le public s’attend, à juste titre, à ce que les juges soient compétents et connaissent le droit. Le projet de loi C-3 vise à soutenir et renforcer cette notion, et ainsi à rendre le système de justice plus humain et plus inclusif.

[Traduction]

Avec le projet de loi C-3, le Parlement répond à des préoccupations fondamentales que partagent les Canadiens. Pourtant, comme l’exige l’indépendance judiciaire, le projet de loi réserve le dernier mot à la magistrature. L’équilibre n’a pas été rompu du fait que le Parlement a signalé ses priorités à la magistrature au nom des Canadiens.

Je vais maintenant parler très brièvement de chacun des éléments clés du projet de loi C-3. Premièrement, pour garantir que les nouveaux juges participeront à une formation sur les questions de droit en matière d’agression sexuelle et le contexte social, le projet de loi modifie la Loi sur les juges afin que les candidats ne puissent être nommés à une cour supérieure provinciale que s’ils acceptent de participer à cette formation d’une importance fondamentale après leur nomination.

Deuxièmement, afin que la formation des juges sur le droit en matière d’agression sexuelle reflète et respecte les expériences et les points de vue des survivantes d’agressions sexuelles, le projet de loi modifie la Loi sur les juges pour préciser que le Conseil canadien de la magistrature doit préalablement consulter les survivantes ou les groupes qui les soutiennent pour créer cette formation.

Troisièmement, le projet de loi dicte que le Conseil canadien de la magistrature fasse rapport annuellement au ministre sur la formation des juges sur les questions de droit en matière d’agression sexuelle et le contexte social. Ces rapports annuels, qui seront déposés au Parlement, visent à améliorer la compréhension et la sensibilisation du public à l’égard de la formation des juges et devraient encourager les juges à continuer de se former constamment sur ces sujets cruciaux.

Enfin, le projet de loi C-3 modifie le Code criminel afin d’obliger les juges à motiver, par écrit ou dans le procès-verbal des débats, leurs décisions en matière d’agression sexuelle. Cette mesure vise à prévenir une mauvaise application des lois en matière d’agression sexuelle. Elle vise également à accroître la transparence des décisions en matière d’agression sexuelle, puisque les motifs écrits et ceux qui sont portés au procès-verbal des débats peuvent être examinés.

[Français]

Globalement, les modifications que le projet de loi C-3 propose d’apporter à la Loi sur les juges et au Code criminel visent à accroître la confiance des survivants et du public en général en la capacité de notre système de justice pénale d’instruire les affaires d’agression sexuelle de façon équitable et respectueuse, en traitant les survivants avec dignité, conformément aux règles de droit qui ont été consciencieusement développées en ce sens.

Ce projet de loi envoie un message à toute la population canadienne, et particulièrement aux survivants d’agression sexuelle, pour leur faire comprendre que le Parlement est déterminé et prêt à agir pour veiller à ce que le système de justice soit digne de la confiance de l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes.

[Traduction]

L’INM, soit l’Institut national de la magistrature, offre aux juges une formation utile sur une myriade de sujets. Je suis sûr que ses représentants vous en parleront lorsqu’ils comparaîtront devant le comité. Les Faits saillants 2019-2020 de l’INM présentent les ressources de l’institut, y compris le Colloque sur le droit de la famille, qui a été enrichi pour favoriser une meilleure compréhension du contexte dans lequel se situe la violence familiale dans les lois, ainsi que les colloques intitulés « Renforcer les compétences culturelles » et « Sexe, identité de genre, expression de genre, orientation sexuelle et travail de la Cour supérieure ».

Je vous prie de ne pas considérer ce projet de loi comme une invitation à énumérer tous les sujets importants sur lesquels un juge devrait recevoir une formation. Le risque serait trop grand que ce projet de loi, qui reçoit tant d’appui, meure une fois de plus au Feuilleton.

Je conclurai mes observations d’aujourd’hui là où j’ai commencé. Quand les survivantes d’agressions sexuelles interagissent avec notre système de justice pénale, elles doivent être traitées équitablement, avec dignité et respect. Elles ne doivent pas être confrontées à des mythes ou à des stéréotypes nuisibles et dépassés. Je reconnais que les défis auxquels font face les survivantes d’agressions sexuelles vont bien au-delà de la portée de ce projet de loi. Si nous voulons apporter des changements significatifs et durables à la façon dont elles sont traitées dans notre système de justice pénale, chaque acteur du système de justice et chaque ordre de gouvernement doit prendre ses responsabilités.

Je somme donc tous les membres du comité de faire ce pas important et de voter pour que le projet de loi C-3 passe à la prochaine étape et qu’ainsi, nous réussissions finalement, à la troisième tentative, à adopter un projet de loi avec l’appui unanime de la Chambre. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je mentionne que la sénatrice LaBoucane-Benson est parmi nous.

Monsieur le ministre, vous avez établi un précédent en nous présentant une analyse comparative entre les sexes. Pourrais-je vous demander si vous auriez l’obligeance de nous fournir cette analyse sur ce projet de loi aussi?

M. Lametti : Bien sûr, je vous le ferai parvenir, madame la présidente.

La présidente : Merci. Comme le temps est compté, je vous serais très reconnaissante de nous la faire parvenir très bientôt. Merci, monsieur le ministre.

Nous entendrons maintenant le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Alors, j’ai beaucoup de questions, mais je vais commencer par deux et je reviendrai s’il reste du temps à la deuxième ronde.

Merci beaucoup d’être ici avec nous aujourd’hui. Monsieur le ministre, dans son rapport du 5 juin 2019, notre comité a proposé de nombreux amendements au projet de loi C-337 qui, dans la forme qu’il avait l’époque, soulevait plusieurs difficultés liées à l’indépendance judiciaire, une préoccupation toujours présente pour les membres du comité du Sénat.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, le nouveau projet de loi respecte désormais la nécessaire indépendance judiciaire?

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur. Évidemment, en tant que juriste, je partage vos craintes en ce qui concerne l’indépendance judiciaire.

Le comité a proposé des amendements utiles pour répondre aux préoccupations selon lesquelles le projet de loi porterait atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Comme vous vous souvenez peut-être, plusieurs intervenants et parlementaires, dont Mme Rona Ambrose, ont applaudi le travail accompli par votre comité sénatorial pour améliorer le projet de loi.

Nous avons ensuite intégré d’autres amendements du Conseil canadien de la magistrature au sujet de l’indépendance judiciaire. Grâce à vos amendements et à ceux du Conseil canadien de la magistrature, je crois fermement que ce projet de loi protège l’indépendance de la magistrature.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Monsieur le ministre, vous, comme d’autres ministres ayant comparu devant ce comité auparavant, avez toujours fait preuve d’une grande ouverture à l’égard des amendements proposés par le Sénat et vous avez toujours promis de les examiner attentivement. Je vous en remercie, particulièrement pour ce qui est des amendements proposés par le Sénat au projet de loi C-7. En ce qui concerne le projet de loi C-3, pouvez-vous nous expliquer quelle serait l’incidence d’amendements sénatoriaux, à ce stade-ci, sur l’adoption de ce projet de loi? Quelles sont les difficultés du point de vue du calendrier et de la procédure parlementaires?

M. Lametti : Je vous remercie de cette question, sénateur.

Je crois effectivement avoir su vous montrer ma bonne foi et mon ouverture à des amendements sur les divers projets de loi que j’ai présentés au Sénat, mais j’ai aussi toujours été très honnête avec vous, à la dernière session comme je le serai maintenant, quand je me sens moins ouvert à des amendements.

Sénateur, en ces circonstances de gouvernement minoritaire, où chaque minute à la Chambre des communes est négociée entre les partis, je crois que si le Sénat propose des amendements cette fois-ci, l’adoption du projet de loi sera mise en péril et il pourrait mourir au Feuilleton.

Je crois avoir fait preuve de bonne foi en intégrant au projet de loi les amendements proposés la dernière fois par ce comité. Nous les avons pris très au sérieux et les y avons ajoutés, de sorte qu’ils sont maintenant intégrés au projet de loi. Quand nous avons redéposé le projet de loi, nous avons immédiatement réintroduit les amendements que votre groupe y a proposés la dernière fois. Je répète que ce sont là de bons amendements. Ils portent sur l’indépendance judiciaire.

Je suis fermement convaincu qu’il s’agit là d’un bon projet de loi. Je suis fermement convaincu que cette fois-ci, le perfectionnisme sera l’ennemi du bien si nous repoussons encore l’adoption de ce projet de loi à coup d’amendements.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le ministre.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre.

D’abord, je tiens à vous remercier pour le dépôt d’un des rares projets de loi en matière d’aide aux victimes d’actes criminels au cours des dernières années.

Lors de vos consultations, avez-vous consulté des groupes de victimes d’agression sexuelle? Le cas échéant, combien de victimes d’agression sexuelle étaient aussi victimes de violence familiale?

M. Lametti : Merci de la question, monsieur le sénateur. La loi est issue d’un projet de loi privé déposé par Mme Rona Ambrose qui siégeait à l’époque à la Chambre des communes. Je sais qu’à deux reprises, les comités de la Chambre des communes et du Sénat ont entendu les témoignages de victimes d’agression sexuelle. Donc, je vous fournirai les chiffres plus tard.

Le sénateur Boisvenu : D’accord. Je voudrais comprendre votre crainte selon laquelle ce projet de loi, s’il est amendé, mourra au Feuilleton. Avez-vous des idées électorales derrière la tête? J’essaie de comprendre quelle est votre crainte ou votre motivation à ne pas amender éventuellement ce projet de loi.

M. Lametti : Ce ne sont pas des idées électorales, monsieur le sénateur. C’est plutôt le fait qu’à la Chambre des communes, un parti en particulier emploie des tactiques dilatoires à chaque étape du processus. Il est donc très difficile d’amender des projets de loi.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, si ce projet de loi est d’origine conservatrice, je ne crois pas que le parti auquel vous faites référence mettra des bâtons dans les roues.

Je veux vous faire part de quelques statistiques qui indiquent qu’il faut modifier quelque chose dans ce projet de loi. Dans les palais de justice, actuellement, 57 % des causes sont liées à la violence conjugale, dont 33 %, soit environ le tiers, sont aussi liées à des actes criminels relatifs aux agressions sexuelles. Donc, il y a deux fois plus de causes liées à la violence conjugale qu’aux agressions sexuelles. Cela ne veut pas dire que c’est moins ou plus important. Toutefois, cela indique qu’au Canada, il y a une urgence d’agir sur le plan de la violence conjugale.

Ne croyez-vous pas que ce serait l’occasion idéale pour intégrer les deux volets dans le projet de loi : l’agression sexuelle et la violence conjugale? Souvent, ce sont des composantes communes des causes entendues dans les palais de justice.

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, je partage votre point de vue. Comme vous le savez, la Loi sur le divorce vient d’entrer en vigueur. Par ailleurs, j’aimerais souligner que pendant mes remarques préparatoires, vous avez entendu une définition du contexte social. Dans cette définition, la violence familiale a été citée comme faisant partie du contexte social. Je dirais que cela fait déjà partie du travail qu’on est en train de faire en ce qui concerne la notion de contexte social.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, voilà la grande faiblesse du Code criminel et de la formation de la magistrature : la violence conjugale et familiale est éparpillée un peu partout dans le Code criminel. Il n’y a pas de chapitre consacré à la violence familiale, comme c’est le cas pour les agressions sexuelles.

Je me dis qu’il y a urgence d’agir au Canada actuellement, parce que la violence familiale, surtout depuis le début de la pandémie, a presque explosé. N’est-ce pas là un message important que votre gouvernement peut envoyer aux femmes, alors que la majorité des victimes de violence conjugale et d’agression sexuelle sont des femmes?

N’est-ce pas le moment idéal pour votre gouvernement de dire aux victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale que vous les avez entendues et que vous allez former la magistrature dans ce sens?

M. Lametti : Monsieur le sénateur, en ce qui concerne la formation, nous travaillons avec le Conseil canadien de la magistrature et avec l’Institut national de la magistrature. Comme je viens de le dire, en tant que gouvernement, nous avons pris des mesures concrètes, comme la Loi sur le divorce, justement pour souligner l’importance de comprendre l’impact de la violence conjugale. Le contexte social est un concept cadre et on en souligne l’importance à chaque étape, et cela est très important pour notre gouvernement.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, j’appuie ce projet de loi sur la formation des juges depuis le dépôt de sa première mouture par l’ancienne chef conservatrice Rona Ambrose.

Si ma mémoire est bonne, le concept du contexte social a été ajouté au projet de loi C-337 de Rona Ambrose après son étude par le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes. Quand votre gouvernement a déposé le projet de loi C-3, il a ajouté le contexte social aux programmes de formation prescrits, mais seulement au dernier moment, pendant l’étude article par article du projet de loi C-3 par le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes, et c’est le député libéral Greg Fergus qui avait proposé des amendements afin d’ajouter le racisme systémique et la discrimination systémique au contexte social.

Monsieur le ministre, Greg Fergus n’est pas un député libéral d’arrière-ban. Il est secrétaire parlementaire et, par conséquent, ses actes reflètent la volonté de votre gouvernement. Si votre gouvernement croyait que le racisme et la discrimination systémiques devaient être inclus à ce projet de loi sur la formation des juges, pourquoi ne les avez-vous pas inclus au projet de loi dès le moment de son dépôt, après les élections de 2019 ou quand vous avez redéposé ce projet de loi après la prorogation du Parlement par votre gouvernement?

M. Lametti : Je vous remercie de cette question et de votre appui à ce projet de loi du début à la fin, sénatrice Batters. Tout comme vous, j’ai appuyé l’initiative de Rona Ambrose à cet égard dès le début, et je pense qu’elle a porté fruit. Il ne faut pas oublier que c’était un projet de loi d’initiative parlementaire au départ, donc les choses ont beaucoup évolué, et le projet de loi s’est enrichi en cours de route pour devenir encore mieux. Je pense que c’est vrai pour la notion du contexte social comme pour l’intégration du racisme et de la discrimination systémiques à l’interprétation du contexte social.

À titre de ministre et de député membre du parti ministériel, je pense qu’il serait insensé de rejeter les bonnes idées si elles aident le projet de loi. Ces amendements ont aidé le projet de loi. Nous continuerons, comme société, à améliorer notre compréhension des divers enjeux, nous continuerons d’évoluer et d’adopter des projets de loi en conséquence. Le cheminement législatif de ce projet de loi en témoigne, justement.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, il ne faut pas oublier que si cela a déjà été un projet de loi d’initiative parlementaire, cela a été deux fois un projet de loi gouvernemental, et pourtant, ce n’est qu’à la dernière minute, au comité de la Chambre des communes, que cela y a été ajouté la dernière fois. Il y aurait eu d’autres occasions de le modifier, mais je vais changer de sujet.

Monsieur le ministre, comme nous discutons des juges aujourd’hui, j’aimerais brièvement vous interroger sur les postes vacants à la magistrature. Je vois qu’il y a actuellement 43 postes de juge vacants, un chiffre élevé qui est demeuré relativement constant depuis que le gouvernement Trudeau a été porté au pouvoir, il y a cinq ans et demi. Votre prédécesseure, Jody Wilson-Raybould, a mis à jour le système des comités consultatifs à la magistrature, mais c’était déjà il y a quelques années. Pourquoi y a-t-il encore toujours de 40 à 60 postes de juge vacants aux cours fédérales? C’est exclusivement de votre ressort, et cela a une incidence importante sur les délais judiciaires. Monsieur le ministre, qu’est-ce qui prend tant de temps des années plus tard?

M. Lametti : Je vous remercie de cette question, sénatrice.

Je pense que nous avons mis en place un excellent processus de nomination des juges, un processus transparent qui reflète très bien les besoins des tribunaux. Il y a effectivement des postes vacants, et nous les comblons constamment avec diligence. Je n’ai pas les chiffres actuels sous les yeux, mais je m’acquitte de mon mandat de nommer des magistrats de très grande qualité. Souvent, les délais sont attribuables à l’expiration des mandats des comités consultatifs à la magistrature. Nous y nommons alors de nouveaux membres, et ces comités reprennent leurs travaux. Il y a donc des mesures qui sont prises, mais nous ferons de nouvelles nominations au cours des prochaines semaines pour pourvoir les postes vacants et nous en ferons d’autres au fur et à mesure que les juges prennent leur retraite ou que les tribunaux expriment des besoins. Nous pourvoyons ces postes avec diligence. Je pense que les cours supérieures, la Cour fédérale, les juges en chef, les cours d’appel et les associations du Barreau de partout au Canada sont très satisfaits de la qualité et du rythme de nos nominations.

La sénatrice Pate : Je vous remercie d’être parmi nous, monsieur le ministre.

Comme vous le savez, les affaires qui ont donné jour à ce projet de loi ont été portées sur la place publique grâce aux dénonciations et aux enquêtes des survivantes et de leurs réseaux de soutien. Beaucoup de ces personnes ont elles-mêmes qualifié cette version du projet de loi de vide, en particulier à cause de la décision de ne pas exiger de décisions écrites. Quand une décision est inscrite au procès-verbal, mais qu’aucun motif n’est fourni par écrit, pouvez-vous s’il vous plaît nous expliquer comment, en vertu de ce projet de loi, les membres du public, les journalistes et les chercheurs qui craignent que des juges appliquent mal les lois en matière d’agression sexuelle pourront avoir accès au contenu de ces décisions pour les analyser? Ne risquons-nous pas que les obstacles mêmes à la visibilité publique d’une mauvaise application de la loi par les juges qui s’observent aujourd’hui demeurent malgré l’adoption de ce projet de loi?

M. Lametti : Merci, madame la sénatrice, pour cette question.

Comme j’ai écrit sur les motifs de décision, même si c’était dans le contexte du droit administratif, je comprends l’importance d’avoir des motifs écrits. En effet, dans ce projet de loi, nous avons ajouté des modifications au Code criminel de sorte que la décision finale doit être motivée par écrit. Auparavant — et mes fonctionnaires vous donneront une réponse plus technique au cours de la deuxième heure —, seules certaines parties des décisions ou des conclusions qui pouvaient être prises au cours du processus d’audition d’une affaire d’agression sexuelle devaient être consignées par écrit, mais nous avons ajouté dans ce cas la conclusion, de sorte que nous serons en mesure de mieux évaluer les raisons qu’un juge donne pour arriver à un résultat particulier. Je pense que ces mesures contribuent à la transparence et aideront toute personne qui évalue la jurisprudence issue de ce processus à s’assurer, primo, que les décisions étaient correctes et, secundo, que le processus est transparent pour qu’on puisse continuer à l’améliorer par la suite.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup pour cette précision. D’après ce que j’ai compris — et je vous prie de m’indiquer l’endroit approprié si je ne l’ai pas vu, et je m’excuse d’avance si c’est le cas — et d’après ce que j’ai lu, la loi n’exige des motifs écrits que lorsque les procédures ne sont pas consignées. Si mon interprétation est erronée, je vous prie de me le signaler et de me corriger. Merci beaucoup.

M. Lametti : C’est exact, mais dans les deux cas, soit vous avez le compte rendu, soit vous avez les motifs écrits. Vous avez donc une transcription écrite des procédures dans les deux cas.

La sénatrice Pate : Le défi consiste à permettre aux survivants d’y avoir accès. Comme vous le savez, c’est un processus plutôt ardu. La version précédente de ce projet de loi prévoyait en fait l’obligation de rendre les motifs par écrit afin que les survivants y aient plus facilement accès.

M. Lametti : Nous pensons avoir trouvé le bon équilibre. Il faut aussi tenir compte de l’indépendance de la magistrature, mais nous pensons avoir trouvé le juste équilibre pour faire connaître les raisons, que ce soit par le truchement des procédures judiciaires ou de l’obligation de consigner les raisons par écrit.

La sénatrice Pate : D’accord. Donc, vous n’êtes pas d’accord avec les militants et les universitaires qui ont écrit à ce sujet, à savoir que, en fait, ce projet de loi est essentiellement vidé de sa substance à cause de cette disposition?

M. Lametti : En effet, je ne suis absolument pas d’accord avec l’opinion selon laquelle nous avons vidé le projet de loi de sa substance.

La sénatrice Pate : D’accord. Merci.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’être des nôtres.

Dans le préambule du projet de loi C-3, on peut lire qu’il faut que « les personnes ayant survécu à une agression sexuelle au Canada fassent confiance au système de justice pénale ». Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point. Estimez-vous que les dispositions de ce projet de loi permettent d’atteindre cet objectif? Quelles autres démarches votre gouvernement prend-il pour y parvenir? Enfin, comment mesureriez-vous cet objectif? Je vais regrouper ces questions et vous demander d’y répondre.

M. Lametti : Merci.

Je pense que c’est ce qu’elles font. Le projet de loi nous permet de mieux consacrer le principe d’offrir une meilleure formation à nos juges en ce qui concerne les agressions sexuelles et le contexte social. Il renforce également la relation de travail positive que nous devons avoir avec la magistrature. N’oubliez pas le principe de l’indépendance judiciaire. En énonçant nos principes, nous envoyons un message clair au Conseil canadien de la magistrature et à l’Institut national de la magistrature sur le genre de choses auxquelles nous pensons que les juges doivent être formés. De toute évidence, ils prennent la chose au sérieux. Il y a là une relation positive qui évolue, et je pense, sénatrice Boniface, que c’est en fait ce qui montre bien que nous continuerons à surveiller et à améliorer la qualité de nos décisions judiciaires et la qualité avec laquelle les juges répondent aux cas délicats comme les agressions sexuelles.

La sénatrice Boniface : Merci. Voilà toutes mes questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur le même sujet que celle de la sénatrice Pate. Le projet de loi privé de Mme Ambrose exigeait que la décision soit motivée par écrit. Le projet de loi actuel n’exige pas que la décision soit justifiée par écrit, mais seulement que la justification soit notée au procès-verbal. En 1990, vous avez rédigé un article publié dans le Canadian Journal of Administrative Law and Practice où vous avez traité des raisons qui justifiaient une décision administrative par écrit. Vous avez été cité par la Cour suprême dans la cause Baker en 1999 et vous écriviez alors :

[Traduction]

Les décisions seront meilleures si des motifs, suffisamment écrits, sont fournis. Les erreurs, la cohérence et la négligence seront reconnues et éliminées dans le processus de formulation consciencieuse d’un avis écrit.

[Français]

Vous continuez à mettre l’accent sur l’importance d’une décision justifiée par écrit. Vous semblez avoir changé d’idée depuis que vous êtes ministre. Pourquoi dites-vous maintenant que ce ne serait pas justifié d’exiger une décision écrite? D’autant plus que celles notées au procès-verbal ne seront pas rapportées dans les journaux qui traitent des décisions judiciaires?

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, d’abord d’avoir cité un article que j’avais rédigé avec le défunt Rod McDonald, qui a été cité non seulement dans la cause Baker, mais à plusieurs reprises par la Cour suprême, plus récemment dans l’affaire Vavilov. Je suis très fier de l’article et des arguments qui s’y trouvent, et non, je n’ai pas changé d’opinion. Nous faisons face à une réalité, c’est l’indépendance de la magistrature et la tradition d’indépendance, et la décision de motiver les décisions par écrit ou non. Mon article se situait dans le contexte du droit administratif, donc le contexte était différent.

Cela dit, on s’est assuré, dans le projet de loi, qu’il y ait un compte rendu par écrit de la décision — soit des motivations rédigées par le juge, ce qui est souhaitable, soit le compte rendu. Déjà, c’est une amélioration qui respecte aussi l’indépendance de la magistrature.

Le sénateur Carignan : Vous faites une distinction avec le droit administratif, mais les droits de la personne sont beaucoup plus atteints lorsqu’il s’agit de droit criminel. Donc, en ce qui concerne la justification de l’obligation de motiver les décisions par écrit, si on la situe sur un continuum d’obligations plus claires, plus on va vers le droit criminel, plus on brime les droits des personnes et leur liberté, plus les attentes à l’égard de l’équité procédurale et des jugements impartiaux augmentent. Si, dans les décisions administratives, vous jugez que les décisions doivent être motivées par écrit, cela est d’autant plus nécessaire en matière de droit criminel, non?

M. Lametti : Comme je l’ai mentionné, monsieur le sénateur, mes principes n’ont pas changé, mais il faut tenir compte de la réalité, soit l’indépendance de la magistrature. Nous sommes en train de maintenir en équilibre, en tant que gouvernement, notre préoccupation pour la formation de la magistrature en matière d’agression sexuelle, en matière de contexte social. Nous sommes en train de le faire. Le projet de loi représente donc une nette amélioration dans le cas présent. De toute évidence, cela est souhaitable, même dans l’encadrement de la loi, que les décisions en matière d’agression sexuelle soient justifiées par écrit par le juge. Ainsi, on va de l’avant, je l’espère, avec un projet de loi qui va améliorer le sort des victimes et le traitement des victimes devant les tribunaux.

Le sénateur Carignan : Merci.

La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous aujourd’hui. J’aurais deux questions précises pour vous.

La première porte sur l’utilisation en anglais de « should » et de « shall submit ». On a enlevé l’obligation de présenter un rapport — « shall submit » — et l’obligation selon laquelle la formation offerte aux juges comporte obligatoirement un certain nombre de sujets, et on l’a remplacée en anglais par « should ».

En français, on l’a laissée comme une obligation : « doit présenter » et « doit comporter ». Pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez fait ce choix?

M. Lametti : La motivation est la même que pour d’autres réponses que j’ai données. Il fallait respecter l’indépendance de la magistrature, donc nous avons communiqué, au moyen d’une loi, le fait que c’est souhaitable de déposer un rapport chaque année.

Cependant, la décision finale revient au Conseil canadien de la magistrature. Pourquoi? Parce que même le fait de maintenir et de publier des statistiques pour les juges qui ont déjà été nommés, selon la plupart des experts, relève de l’indépendance judiciaire.

On vient de communiquer clairement que cela est souhaitable et qu’on voudrait avoir les chiffres, mais il faut respecter l’indépendance judiciaire pour maintenir la qualité et la confiance du grand public à l’égard de la magistrature.

La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur le ministre. J’avais bien compris votre explication.

Pourquoi le français semble-t-il indiquer une obligation, alors que l’anglais est clairement passé du « shall » au « should »? On « devrait » présenter un rapport, on ne « doit » pas présenter un rapport. Autrement dit, on conserve l’obligation de faire un certain nombre de choses en français, alors qu’en anglais nous sommes passés carrément de « shall » à « should ».

J’imagine que cela pourrait être corrigé, qu’il faudrait écrire « devrait présenter un rapport ». Je comprends très bien le principe de l’indépendance judiciaire. Je voudrais simplement qu’il s’applique de façon cohérente, autant en français qu’en anglais.

M. Lametti : Dans mes notes, c’était écrit « devrait » en français. Merci de m’avoir fait part de la correction. Nous pouvons évidemment veiller à ce que ce soit le cas partout.

La sénatrice Dupuis : Voici mon autre question : on ajoute au contexte social une précision, qui comprend le racisme et la discrimination systémiques. Cela apparaît à deux endroits dans le projet de loi, donc c’est la même formule.

Ma question pour vous est la suivante : quelle différence faites-vous entre le racisme et la discrimination systémique? La discrimination systémique est un concept juridique qui est très bien défini. Depuis 1987, la Cour suprême a eu l’occasion de se prononcer plusieurs fois sur le sujet. Quelle est la différence entre les deux? Y en a-t-il une?

Pourquoi introduit-on ce concept comme s’il s’agissait d’une réalité différente? Ici, on parle de juges qui vont appliquer une loi ou faire respecter des droits fondamentaux, que ce soient des droits prévus dans la Charte ou dans la loi fédérale. J’aimerais comprendre cette distinction.

M. Lametti : Merci de la question, madame la sénatrice. Ce sont des concepts liés, mais qui ne représentent pas exactement la même chose. Dans un document qui est intitulé Construire une fondation pour le changement : La stratégie canadienne de lutte contre le racisme 2019–2022, on trouve une telle définition du racisme systémique :

Comprend les modèles de comportement, les politiques ou les pratiques qui font partie des structures sociales ou administratives d’une organisation et qui créent ou perpétuent une situation de désavantage relatif pour les personnes racisées. Ceux-ci semblent neutres à première vue, mais ils ont néanmoins un effet d’exclusion sur les personnes racisées.

Pour ce qui est de la discrimination systémique, c’est une forme de discrimination généralisée, mais souvent subtile, qui peut prendre diverses formes : différenciation, exclusion ou restriction reposant sur des facteurs identitaires précis. Des exemples sont donnés. La discrimination systémique est souvent un amalgame d’actes volontaires et involontaires touchant plus gravement une population précise. Donc, les deux concepts sont liés.

Comme l’énonce la définition que je viens de donner du racisme, il y a plus de structure dans les modèles de comportement ou les pratiques — plus de structures sociales. Les deux concepts sont liés, et on les retrouve tous les deux dans le projet de loi pour s’assurer qu’il est complet et qu’on couvre le sujet.

La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre, la définition que vous avez donnée du racisme systémique est exactement la même que celle de la discrimination systémique, soit tout ce qui relève de pratiques, de politiques...

[Traduction]

La présidente : Je suis désolée, sénatrice Dupuis. Sénatrice Mégie, la parole est à vous.

[Français]

La sénatrice Mégie : Bonjour, monsieur le ministre. Merci d’être avec nous. J’ai deux questions brèves pour vous.

À part le Royaume-Uni, y a-t-il d’autres pays où cette exigence est présente pour les juges, ou qui offrent cette formation aux juges?

Voici ma deuxième question : à votre connaissance, combien de juges ou de candidats juges ont déjà manifesté, volontairement, leur intention d’aller suivre cette formation?

M. Lametti : En réponse à votre question, sénatrice, j’aimerais souligner le travail de l’Institut national de la magistrature, qui est vraiment un chef de file dans l’enseignement et dans la formation des juges à l’échelle internationale. Plusieurs juges ont déjà suivi une telle formation au Canada grâce à l’institut.

Comme je l’ai dit précédemment, je n’ai pas les chiffres devant moi, mais la magistrature détient cette information.

Cependant, d’autres juridictions, dont l’Institut national de la magistrature, ici au Canada, participent à la formation des juges à l’échelle internationale.

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

La présidente : Monsieur le ministre, j’ai deux questions très brèves à vous poser. Je suis profondément insatisfaite de ce projet de loi, car je pense qu’il nous engage sur une pente savonneuse vers la perte d’indépendance des juges. Nous avons commencé par les agressions sexuelles, puis nous avons ajouté le racisme systémique, la discrimination systémique et le contexte social.

Je veux savoir ce que vous en pensez. Vous êtes le plus haut fonctionnaire du gouvernement dans ce domaine. Ne voyez-vous pas ici une pente savonneuse? Un autre ministre pourrait ajouter d’autres éléments à ce projet de loi.

M. Lametti : Merci pour cette question, madame la présidente.

Non, pas du tout. Je suis sceptique à l’égard des arguments relatifs à la pente savonneuse en général — je l’étais en tant qu’universitaire et je le suis toujours aujourd’hui —, mais en particulier celui-là.

Nous reconnaissons l’importance d’une meilleure formation en raison de la complexité et des nuances en jeu et du désir réel de traiter les victimes d’agressions sexuelles avec respect et dignité. Il en va de même pour le contexte social dans des domaines comme la violence familiale et la discrimination systémique. Ces aspects sont très importants, et il est important que les juges soient en mesure d’examiner leurs propres préjugés ou de démystifier les mythes auxquels ils ont pu être exposés jusqu’à leur nomination à la magistrature et même après. Ces aspects sont donc d’une importance capitale.

Je ne pense pas qu’on s’engage ici sur une pente savonneuse, et le principe permanent de l’indépendance de la magistrature servira de contrepoids pour s’assurer que nous ne nous engageons sur aucune pente et que les juges sont sensibles à la mission que la société canadienne leur a confiée.

La présidente : Monsieur le ministre, je suis heureuse que vous pensiez que les juges en chef du pays sont satisfaits de la manière dont vous procédez aux nominations et du rythme auquel vous le faites. Ce n’est pas ce que j’entends dire. Lorsqu’il est question de formation, voilà ce qu’ils affirment : « Nous les enverrons à toutes sortes de formations. Donnez-nous les juges. » Comme je crains que nous soyons en retard pour le vote, je vous laisse sur le message suivant : vous pouvez offrir toutes les formations que vous voulez, mais vous avez besoin que des juges soient en poste. Bien sûr, avec la COVID, la situation dans les tribunaux est tout simplement terrible, mais c’est une conversation pour un autre jour.

Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre présence. Vous êtes toujours très attentif à nos demandes, et au nom du comité, je tiens à vous remercier. Merci, monsieur le ministre.

Les fonctionnaires reviendront après le vote.

M. Lametti : Merci.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Je tiens à remercier les fonctionnaires de la Justice qui ont accepté de s’adapter à nos besoins et de revenir après notre vote. Nous accueillons Toby Hoffmann, directeur et avocat général par intérim, Section des affaires judiciaires; Melissa Moor, avocate, Section des affaires judiciaires; et Gillian Blackell, avocate-conseil et chef d’équipe, Section de la politique en matière de droit pénal.

Maître Hoffmann, je vous demande de commencer.

Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général par intérim, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour.

La présidente : Avez-vous des remarques liminaires à prononcer ou voulez-vous simplement passer à la période des questions?

Me Hoffmann : Madame la sénatrice, vous pouvez passer aux questions. Merci.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : La sénatrice Dupuis a posé une question et je demanderais une clarification aux représentants du ministère. Je pense qu’elle faisait référence au projet de loi dans sa version de deuxième lecture et non pas dans la version de troisième lecture, telle qu’elle a été adoptée par la Chambre des communes. Pouvez-vous confirmer à ceux qui écoutent et aux membres du comité que le paragraphe 62.1(1), tel qu’il a été adopté dans la Chambre des communes, se lit bien : « Dans les 60 jours suivant la fin de chaque année civile, le conseil devrait présenter un rapport [...] »

Et qu’à la fin de la phrase, on peut lire : « [...] dans lequel il devrait préciser [...] » a) et b)?

Me Hoffmann : Merci de cette question, sénateur.

[Traduction]

Nous avons effectivement examiné la version du projet de loi, et je crois que nous avons confirmé que...

[Français]

— en français : « Dans les 60 jours suivant la fin de chaque année civile, le conseil devrait présenter [...] »

Le sénateur Dalphond : Merci, cela répond à la question. La précision est faite. Merci.

Me Hoffmann : Merci, sénateur.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue encore aux gens du ministère de la Justice.

J’ai quelques questions. La première est la suivante : avez-vous consulté les provinces à propos de ce projet de loi?

[Traduction]

Me Hoffmann : Merci, monsieur le sénateur. Je vais demander à mes collègues, Me Moor et Me Blackell, d’intervenir à ce sujet.

[Français]

Me Gillian Blackell, avocate-conseil et chef d’équipe, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Comme le ministre l’a signalé, le projet de loi donne suite à un projet de loi privé d’un député. Donc, le processus est un peu différent. Lors des forums tenus avec les provinces et les territoires, nous avons signalé l’existence du projet de loi privé avant, et par la suite du projet de loi C-5 et le projet de loi C-3 et selon...

Le sénateur Boisvenu : Ce que je comprends, c’est qu’il n’y a pas eu de consultations particulières sur ce projet de loi. Quelles seront les conséquences pour les nouveaux juges qui ne respecteraient pas l’engagement de suivre cette formation?

[Traduction]

Me Hoffmann : Merci pour cette seconde question. Si je comprends bien le projet de loi, cette exigence est obligatoire. Avant d’accepter un poste de juge, la personne devrait s’engager à suivre la formation, si je comprends bien. Je vais demander à ma collègue, Me Moor, d’ajouter quelque chose à cet égard. Merci, monsieur le sénateur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Avant qu’elle commence, est-ce que Mme Moor peut en même temps me dire quelle sera l’incidence du projet de loi C-3 sur les juges en fonction? Les juges en devenir ont cette obligation, mais les juges en fonction seront-ils obligés de suivre la formation?

[Traduction]

Me Melissa Moor, avocate, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Merci pour vos questions.

Je commencerai par le premier point pour enchaîner sur ce qu’a dit Me Hoffmann. Le projet de loi ferait en sorte que les personnes qui cherchent à être nommées à la cour supérieure d’une province soient obligées ou aient comme condition d’admissibilité de s’engager à participer à cette formation une fois qu’elles ont été nommées.

En ce qui concerne votre seconde question, le projet de loi ne s’applique pas aux juges en fonction. Il s’applique aux candidats ou aux personnes cherchant à être nommées. Les juges en chef des différents tribunaux s’occupent de la formation de leurs juges en fonction.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’accord. Donc, le cycle de formation de l’ensemble des juges prendra plusieurs années. Est-ce que je comprends bien?

[Traduction]

Me Hoffmann : Comme le ministre l’a souligné, la formation est la responsabilité du Conseil canadien de la magistrature et de l’Institut national de la magistrature. On a offert de la formation aux juges en fonction, et je crois, sénateur Boisvenu, que c’était votre seconde question — qu’en est-il des juges en fonction? Cette formation est offerte depuis un certain nombre d’années. L’Institut national de la magistrature, tel que nous le comprenons...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce que je comprends, c’est que la formation qui a été donnée depuis plusieurs années... La loi dit qu’il faut que la formation soit donnée par des intervenants qui travaillent avec des victimes d’agression sexuelle. La formation qu’ont reçue les juges au cours des dernières années a-t-elle été donnée par des groupes de victimes comme l’obligera le projet de loi?

[Traduction]

Me Hoffmann : Merci, monsieur le sénateur. Je dois admettre que je ne peux pas parler des détails des cours que le Conseil canadien de la magistrature et l’Institut national de la magistrature offriraient conjointement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je pourrai poser la question demain au Conseil canadien de la magistrature.

[Traduction]

Me Blackell : Je suis au courant de la formation sur les agressions sexuelles que Justice Canada a financée par l’entremise de l’Institut national de la magistrature, dans le cadre de laquelle des intervenants qui travaillent avec des survivants d’agressions sexuelles ont participé à l’élaboration du programme. Mais les programmes sont toujours dirigés par des juges, ce qui est conforme à ce projet de loi.

La sénatrice Boniface : Merci d’être là. Je m’excuse d’arriver un peu tard; j’avais des problèmes avec mon ordinateur. Si cette question a déjà été posée, je m’en excuse.

Le Canadian Justice Review Board a suggéré que les amendements apportés par le comité de la Chambre en remplaçant le mot « doit » par « devrait » aux articles 60 et 62 s’éloignent de l’énoncé du préambule selon lequel les survivants de violence sexuelle doivent faire confiance au système de justice pénale et qu’il y a maintenant une certaine incohérence entre l’intention et le libellé réel. Pouvez-vous me dire si cette question a été traitée et comment elle l’a été le cas échéant?

Me Hoffmann : Sénatrice Boniface, merci pour votre question.

Je crois que le ministre a répondu à cette question en disant qu’elle avait été traitée dans le projet de loi. Le ministre a également souligné que ce projet de loi vise à établir un équilibre, à inspirer confiance dans le système judiciaire par la formation des juges, tout en préservant le principe sacro-saint de l’indépendance judiciaire. Je m’en tiendrai à cette réponse, madame la sénatrice.

La sénatrice Boniface : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci pour la clarification concernant la version française de « devrait ».

J’ai posé cette question tout à l’heure au ministre, mais j’aimerais connaître votre vision. Quelle distinction faites-vous entre le racisme systémique et la discrimination systémique et pourquoi choisit-on ici d’inclure les deux, alors que la discrimination systémique est un concept bien défini? Ce n’est pas nécessairement le cas du racisme systémique. Merci.

[Traduction]

Me Hoffmann : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Je dirai que, selon moi, le ministre a répondu à cette question en disant que les questions sont effectivement liées et qu’on a déterminé qu’il était nécessaire de les inclure les deux dans le projet de loi.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je suis désolée, mais ce n’était pas ma question. J’ai bien entendu la réponse du ministre.

Vous êtes des experts en droit et je veux savoir quelle est la différence, selon le ministère de la Justice, entre le concept juridique de la discrimination systémique et ce qu’on appelle, par ailleurs, le racisme systémique? Merci.

[Traduction]

Me Hoffmann : Merci encore pour la question.

La notion de racisme systémique permet simplement de comprendre et de reconnaître que, grâce à la formation, les juges sont conscients des problèmes du système judiciaire concernant différents plaideurs, différents individus qui ne sont peut-être pas, si je puis dire, visibles ou énoncés dans la loi, mais qui sont affectés par la façon dont certains systèmes ont fonctionné et continuent de fonctionner. Encore une fois, je renvoie à ce que le ministre a dit. Je pense que les deux systèmes sont imbriqués. Les deux questions sont liées. Les deux concepts aussi. Comme l’a dit le ministre, les Canadiens s’attendent à ce que les juges aient connaissance des structures administratives d’une organisation lorsqu’ils statuent sur des questions telles que les agressions sexuelles.

[Français]

Me Blackell : Il faut dire aussi que c’était un amendement qui a été fait dans le cadre du processus du comité; cela ne faisait pas partie du projet de loi initial. Donc, on ne peut pas vraiment parler de l’intention précise de cet amendement.

Par contre, j’aimerais souligner que le racisme systémique fait partie de la discrimination systémique, mais le concept de discrimination systémique est plus large; cela inclut une discrimination fondée sur d’autres facteurs comme les capacités, le handicap ou d’autres formes de discrimination. C’est un concept qui est plus large et je crois que le but était aussi de mettre l’accent sur la question du racisme en particulier. Merci.

[Difficultés techniques]

La sénatrice Mégie : Quand j’ai entendu la réponse donnée à la question de la sénatrice Dupuis, j’ai hésité un peu à poser ma question, car je voulais la réserver pour demain.

Cependant, je vais la poser quand même. Étant donné que la partie sur la discrimination raciale a été incluse sous les enjeux sociaux, personnellement, lorsque je l’ai lue pour la première fois, j’ai vu « agression sexuelle » et j’ai compris : « en passant, on parlera de discrimination raciale ».

Finalement, quand j’ai écouté, j’ai compris qu’on avait fait un amendement, donc ça va.

Si cela est amené sous forme d’amendement, dans les cours offerts aux juges, allez-vous d’abord mettre l’accent sur les agressions sexuelles pour qu’ensuite, si cela les intéresse, ils suivent un cours sur la façon de travailler avec les gens victimes de discrimination? Voilà ma question. Était-elle claire?

Me Hoffmann : Oui, madame la sénatrice, et merci.

[Traduction]

Je pense que ce que je dirais, c’est que l’un des piliers fondamentaux du projet de loi, comme l’a mentionné le ministre, est la reconnaissance du fait que les décisions concernant la formation sont du ressort du Conseil canadien de la magistrature, en relation avec l’Institut national de la magistrature. Je ne pense pas que nous puissions nécessairement nous prononcer sur la façon dont la formation sera dispensée ou sur les exigences à respecter, si ce n’est que le projet de loi indique clairement dans le préambule que la formation doit être dispensée et que la façon dont elle doit l’être relève de la compétence de ces organisations, comme l’a dit le ministre, dans le but de protéger l’indépendance de la magistrature.

[Français]

La sénatrice Mégie : D’accord, merci.

[Traduction]

La présidente : J’ai une question pour vous tous. Je vous demanderais de bien vouloir vous reporter à la section « colloques — droit relatif aux agressions sexuelles ». Je pense que c’est à l’article 3.

À l’alinéa 3(a), il est prévu que les cours seront :

[...] élaborés après consultation des personnes, groupes ou organismes qu’il estime indiqués, tels que les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ainsi que les personnes, les groupes et les organismes qui les appuient, notamment les dirigeants autochtones et les représentants des communautés autochtones [...]

Je suis quelque peu perplexe à ce sujet. Nous avons ajouté le racisme systémique, et nous n’incluons pas les communautés racialisées ou noires dans les consultations. Pouvez-vous s’il vous plaît clarifier ce point? S’agit-il d’une erreur, ou y a-t-il quelque chose qui m’échappe?

Me Hoffmann : Merci, madame la sénatrice.

Pour clarifier les choses, je pense que l’esprit du projet de loi, comme nous l’avons vu dans le préambule, est d’assurer une formation qui inspire confiance dans le système judiciaire. Je dirais que c’est vraiment le point de départ.

En ce qui concerne les consultations que le pouvoir judiciaire pourrait décider de mener, je ne veux pas conjecturer, mais je dois supposer que l’on considérerait très probablement que ces consultations sont également nécessaires.

Je dirais également que je ne pense pas que les deux soient mutuellement exclusifs, dans le sens où nombre de ces groupes pourraient subir un des types de discrimination énumérés ou plusieurs, qu’il s’agisse d’une personne autochtone ou d’une personne de couleur.

La présidente : Mais, avec tout le respect que je vous dois, maître Hoffmann, les personnes de couleur ne sont pas mentionnées ici. À l’article 3, on ne dit pas « peut », mais bien « devrait ». Quoi qu’il en soit, j’ai fait valoir mon point de vue. J’ai dit que le projet de loi ne tient pas compte d’un groupe de personnes.

Le sénateur Dalphond : Mes questions s’adressent à ceux qui ont participé à la rédaction.

D’abord un commentaire : dans l’article que nous venons d’examiner, « Le Conseil devrait veiller à ce que les colloques... », on dit ensuite « [...] après consultation des personnes, groupes ou organismes qu’il estime indiqués, tels que [...] » Il ne s’agit donc pas d’une liste limitée. Il est vraiment dit que nous vous invitons à mener une consultation, et nous vous invitons à inclure les groupes suivants, mais qui ne se limitent pas à cette liste, je suppose.

Ma question porte en fait sur la modification du Code criminel concernant les motifs du jugement. Le ministre a expliqué que celle-ci couvre certains sujets qui n’étaient pas nécessairement couverts auparavant par le jugement de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Sheppard, je crois, où il a été dit qu’un juge a l’obligation de fournir les motifs de son jugement afin que l’accusé, les victimes, le public et, s’il y a un appel, la Cour d’appel puissent comprendre le raisonnement derrière le jugement. La liste de tous les types de situations où des motifs doivent être fournis est claire.

Puis il y a eu une question, du sénateur Carignan, je crois, sur la forme. C’est le sous-alinéa (3) du nouvel article 278.98. Il se lit comme suit :

Les motifs de la décision sont à porter dans le procès-verbal des débats ou, à défaut, à donner par écrit.

Je ne sais pas qui a rédigé ce texte, mais si l’un de vous a quelque chose à voir avec sa rédaction, pourriez-vous expliquer à mes collègues comment cela fonctionne au tribunal? Soit que le jugement est rendu par le tribunal, soit qu’il est pris en délibéré. S’il est pris en délibéré, soit il est rendu à nouveau par le tribunal, mais ultérieurement, soit il est fourni par écrit aux parties. Or, que garde-t-on dans le dossier? Je présume que si le jugement est prononcé oralement dans la salle d’audience, c’est cela qui est enregistré automatiquement ou par un sténographe, bref, c’est cela qui se retrouve dans le dossier. La personne qui a rédigé cet article pourrait peut-être nous expliquer de quoi il retourne.

Me Blackell : Merci beaucoup de cette question.

L’ajout de la référence aux motifs qui sont versés au dossier des procédures fait suite aux audiences sur le projet de loi C-337 qu’ont tenu le Comité permanent de la condition féminine et le comité de la Chambre. Il y a deux grandes raisons à cela.

La première est que le fait d’exiger des motifs écrits pourrait causer des retards supplémentaires dans le système de justice pénale, ce qui pourrait entraîner des violations du droit de l’inculpé d’être jugé dans un délai raisonnable — article 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ceci est particulièrement préoccupant depuis la décision de 2016 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Jordan, qui a imposé des plafonds présumés au délai nécessaire pour qu’une affaire puisse être traitée par les tribunaux, lesquels sont précisément de 18 mois pour les tribunaux provinciaux ou de 30 mois pour une cour supérieure ou un tribunal provincial lorsqu’il s’agit d’une enquête préliminaire. Au-delà de ce délai, les accusations seront suspendues, à moins que la Couronne ne puisse démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles. Il y a donc un risque réel que le fait d’exiger des motifs écrits pour toutes ces décisions puisse retarder le processus.

Il y a une autre raison pour laquelle cette modification a été apportée par le Comité permanent de la condition féminine, et c’est qu’il n’est pas du ressort du Parlement d’imposer des obligations financières aux tribunaux de juridiction criminelle, puisque ceux-ci relèvent du chef de compétence provinciale, conformément à l’article 91.27 de la Loi constitutionnelle.

Les tribunaux peuvent fournir des motifs écrits ou ces motifs peuvent être consignés dans le dossier des procédures qui, comme vous l’avez mentionné, sénateur Dalphond, est enregistré et duquel il est possible d’obtenir des transcriptions. À ce moment-là, les transcriptions peuvent être fournies automatiquement par le tribunal ou elles peuvent être demandées. Certains tribunaux le font et les fournissent automatiquement aux parties. Je pense qu’il y a assurément une préoccupation lorsqu’il s’agit d’un survivant — parce qu’il n’est pas partie à l’infraction — ou de quelqu’un qui observe les procédures, s’il n’est pas au tribunal et s’il n’est pas en mesure d’entendre la présentation orale, ce qui fait certainement partie de toute la présomption du principe de la publicité des débats judiciaires. Les motifs sont disponibles oralement, mais, comme nous le savons, nous ne pouvons pas toujours être là. Il y a donc la possibilité de demander des transcriptions. Pour cela, certains tribunaux font appel à des sociétés privées et certains frais sont à prévoir. Ces frais varient. Malheureusement, à l’échelon fédéral, l’exigence de ces frais est problématique d’un point de vue constitutionnel. De toute évidence, nous encourageons les tribunaux à soumettre leurs motifs à CanLII — et beaucoup le font —, un dépôt en ligne national et gratuit où sont rassemblées plus d’un million de décisions de cours et de tribunaux de partout au pays. Cette pratique est de plus en plus courante.

Je crois que cela répond à la deuxième partie de votre question.

La première partie de votre question concernait la disposition relative aux motifs proprement dite. Il s’agit d’une forme de codification de la common law dans l’arrêt R. c. Sheppard de 2002 de la Cour suprême. Il est certain que cette décision souligne l’importance de fournir des motifs — le fait que les juges doivent fournir des motifs —, en particulier pour permettre un examen en appel sérieux des condamnations et des acquittements. De plus, l’article 726.2 du Code criminel couvre déjà partiellement les décisions relatives à la détermination de la peine, car il exige que les juges fournissent les motifs et les modalités des décisions étayant la détermination de la peine et que ces motifs et modalités soient consignés au dossier. L’article 278.98 proposé au Code criminel élargirait cette disposition et la ferait porter de manière explicite sur les dispositions relatives aux agressions sexuelles. En outre, il la placerait dans la partie VII du Code criminel, avec toutes les autres dispositions relatives aux agressions sexuelles, en raison de l’importance de porter cette disposition à l’attention des juges, avec toutes les autres dispositions qui sont propres à ces domaines très complexes du droit. Il s’agit certainement d’une valeur ajoutée importante à cet égard.

J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Dalphond : Oui, merci.

La sénatrice Pate : Merci au témoin.

Ma première question vient de la sénatrice Boyer. De nombreuses études ont démontré que les animaux domestiques peuvent être utilisés pour réduire au silence les victimes de violence domestique et d’agressions sexuelles. Ces études montrent également que les mauvais traitements infligés aux animaux sont associés à un risque accru de violence grave à l’égard du partenaire intime et que de nombreuses victimes tardent à quitter leur partenaire parce qu’elles craignent pour la sécurité de leur animal. Cela est encore plus vrai dans le cas des femmes autochtones qui ont souvent un lien spirituel profond avec leurs animaux. Sa question est la suivante : votre ministère a-t-il effectué des recherches sur ce lien important, et pensez-vous que des informations sur le lien entre, d’une part, la maltraitance des animaux et, d’autre part, la violence domestique et les agressions sexuelles devraient être incluses dans la formation que les candidats à la magistrature doivent suivre avant leur entrée en fonction?

Ma question est bel et bien liée à ce sujet, mais elle est plus vaste. Maître Blackell, vous avez déjà indiqué que vous avez témoigné devant le Comité permanent de la condition féminine sur certaines de ces questions. J’aimerais savoir quels organismes ou quels groupes de survivants ont été consultés ou seront consultés lors de l’élaboration de cette version du projet de loi et de la formation des juges. Merci.

Me Blackell : Je peux certainement répondre à la deuxième partie, qui concerne les organismes représentant les survivants et survivantes d’agressions sexuelles. Je pense que le ministre a répondu en partie à cette question plus tôt, lorsqu’il a parlé des groupes qui ont participé aux audiences du comité. Cela dit, nous nous efforcerons après notre comparution de dresser une liste de tous ces organismes à l’intention du comité, car nous ne les avons malheureusement pas sous la main.

Je pourrais également répondre à la question que vous avez soulevée plus tôt, à savoir si le ministère a effectué des recherches sur le rôle de la violence contre les animaux de compagnie dans le contexte de la violence entre partenaires intimes et des agressions sexuelles. Nous sommes conscients du phénomène et nous y sommes sensibles. C’est assurément quelque chose dont il faut se préoccuper. Je crois qu’un certain nombre d’organismes ont soulevé cette question dans la perspective de projets connexes qui pourraient être financés par le Fonds d’aide aux victimes.

Pour ce qui est de l’incidence que cela pourrait avoir sur la formation éventuelle des magistrats, je vais laisser la parole à Me Hoffmann.

Et c’est un plaisir de vous voir, sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Je vous dis la même chose.

Me Hoffmann : Merci, madame la sénatrice.

Certes, en ce qui concerne la formation, je reviens sur le fait que les exigences à cet égard ne sont pas obligatoires au sens où le Conseil canadien de la magistrature, conjointement avec l’Institut national de la magistrature, décide de ce qui est approprié pour protéger l’indépendance judiciaire. Comme vous l’avez entendu, il y a une obligation de consultation, mais, avec tout le respect que je vous dois, je pense qu’il serait probablement préférable que ce soit eux qui répondent à cette question, à savoir si cela ferait partie ou non de la formation offerte. Bien que je ne puisse pas me prononcer en toute connaissance de cause, je dirais que c’est peut-être déjà le cas.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

La présidente : Maître Hoffmann, maître Moor et maître Blackell, merci beaucoup. Nous avons grandement apprécié votre présence ici et nous vous sommes très reconnaissants d’avoir attendu notre retour. Merci encore.

Honorables sénateurs, nous nous reverrons demain matin, à 10 h 30.

(La séance est levée.)

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