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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 19 avril 2021

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains); et, à huis clos, pour étudier toute question concernant les droits de la personne en général, comme établi à l’article 12-7(14).

La sénatrice Wanda Thomas Bernard (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour, je m’appelle Wanda Thomas Bernard et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse et l’une des vice-présidentes du comité.

Nous reconnaissons le territoire de l’île de la Tortue, qui ne devait jamais appartenir à qui que ce soit. Nous reconnaissons que la majeure partie du territoire qui a été confiée aux peuples autochtones a parfois été partagée par choix ou, dans de trop nombreux cas, prise par la force. Nous reconnaissons le colonialisme, qui a sévi dans le passé et qui sévit encore aujourd’hui, qui a mené à la situation actuelle où on offre la reconnaissance du territoire plutôt que le territoire.

J’ai le plaisir aujourd’hui de présider la séance virtuelle sur le projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Premièrement, j’ai quelques suggestions utiles à vous transmettre, et nous croyons qu’elles vous aideront à faire en sorte que la séance soit efficace et productive. Je demanderais aux participants de veiller à ce que leur micro soit en sourdine en tout temps, à moins que la présidence ne vous nomme. Ce sera à vous d’allumer et de couper votre micro pendant la séance. Avant de parler, veuillez attendre que je vous nomme. Je demanderais aussi aux sénateurs et sénatrices d’utiliser la fonction « lever la main » s’ils veulent intervenir.

Une fois que vous êtes nommé, veuillez attendre quelques secondes, le temps que le signal audio s’active. Quand vous avez la parole, parlez lentement et clairement, s’il vous plaît. Je demanderais aussi aux membres du comité de s’exprimer dans la langue qu’ils ont sélectionnée pour l’écoute. Si vous avez choisi d’écouter l’interprétation en anglais, je vous prierais de parler en anglais. Si vous avez choisi d’écouter l’interprétation en français, parlez seulement en français. Si vous n’utilisez pas les services d’interprétation, vous pouvez parler dans la langue de votre choix, mais je vous demanderais cependant d’éviter de passer d’une langue à l’autre au cours de la même intervention.

Si des difficultés techniques surviennent, en particulier en lien avec l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou au greffier, et nous tâcherons de régler le problème. Si vous avez d’autres problèmes techniques, vous pouvez communiquer avec le greffier du comité au numéro de soutien technique fourni. Sachez que nous allons peut-être devoir suspendre la séance, à ces moments-là, pour que tous les membres puissent participer pleinement à la réunion.

Nous avons le plaisir aujourd’hui d’accueillir la marraine du projet de loi S-204, l’honorable sénatrice Salma Ataullahjan, qui est, comme nous le savons tous et toutes, la présidente du comité. Elle est accompagnée de l’honorable David Kilgour, représentant de l’International Coalition to End Transplant Abuse in China. Je dois vous informer que l’honorable Irwin Cotler, président du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, qui était censé être parmi nous aujourd’hui, nous a demandé d’excuser son absence plus tôt ce matin.

Avant de céder la parole aux témoins, j’aimerais demander à un membre du comité de bien vouloir proposer la motion suivante :

Qu’une liste des témoins qui ont comparu devant le comité, ainsi qu’une liste de tous les mémoires, documents et témoignages présentés durant la première session de la 42e législature sur le projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains) au Comité sénatorial permanent des droits de la personne soient annexées au procès-verbal officiel des travaux du comité.

Quelqu’un souhaite-t-il proposer la motion?

La sénatrice Martin : Je propose la motion.

La vice-présidente : La motion est proposée par l’honorable sénatrice Martin. Quelqu’un s’oppose-t-il à la motion?

La motion est adoptée.

Sénatrice Ataullahjan, vous avez la parole.

L’honorable Salma Ataullahjan, sénatrice, Sénat du Canada : Honorables sénateurs et sénatrices, merci de me donner l’occasion de comparaître devant le comité en tant que témoin et en tant que marraine du projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Je tiens aussi à souligner la participation de l’honorable David Kilgour, dont la grande connaissance du trafic d’organes humains est d’une valeur inestimable. Le comité vous en remercie. M. Kilgour a été un témoin clé la dernière fois que le comité s’est penché sur la question du trafic d’organes humains. Sa connaissance approfondie de la question du prélèvement forcé d’organes est importante, puisqu’il y a très peu d’études sur le sujet. J’aimerais remercier M. Kilgour d’avoir travaillé à faire avancer les droits de la personne partout dans le monde.

Comme vous le savez déjà, nous avions invité l’honorable Irwin Cotler, mais il n’a pas pu être présent. Il a cependant fait savoir aux membres du comité qu’il appuyait sans réserve le projet de loi S-204, et je lui en suis reconnaissante.

En 2013, Irwin Cotler avait parrainé le projet de loi C-561, dont le titre abrégé était « trafic et transplantation d’organes et d’autres parties du corps humain ». Malheureusement, ce projet de loi est mort au Feuilleton comme les deux autres qui l’ont précédé. J’admire le dévouement du professeur Cotler à l’égard de ce projet de loi, et je lui suis reconnaissante de son appui.

Je suis aussi heureuse d’annoncer que le projet de loi S-204 comprend déjà les dernières modifications approuvées par la Chambre et subséquemment apportées par le Sénat en mai 2019.

Ce projet de loi est l’aboutissement de plus de 12 ans de travail parlementaire sur le dossier important du trafic d’organes. Beaucoup d’entre vous faisaient aussi partie du comité en 2018. Rappelons-nous les nombreux témoins qui nous ont parlé de l’importance et de l’urgence de ce projet de loi pour freiner le tourisme de transplantation.

Le Canada n’a toujours pas de loi pour empêcher les Canadiens ou les Canadiennes de voyager à l’étranger à des fins de transplantation d’organes. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a un trafic d’organes partout dans le monde, y compris dans les pays de l’Europe de l’Est et en Russie, mais, en raison des lois plus strictes contre le trafic en Europe de l’Est, dans les Philippines et sur le sous-continent indien, le trafic d’organes humains s’est déplacé vers l’Amérique latine, l’Afrique du Nord et d’autres régions où la crise économique et l’instabilité sociale et politique créent des occasions pour les trafiquants.

Comme c’est le cas pour la plupart des activités cachées dont les personnes vulnérables sont victimes, les statistiques ne montrent qu’une fraction de la réalité. Malgré tout, l’information qui est disponible suffit à révéler l’horreur de la situation.

Nous savons que des Canadiens continuent de voyager à l’étranger pour la transplantation commerciale d’organes. Les médecins de l’hôpital St. Michael de Toronto ont rapporté qu’il y a encore de trois à cinq personnes par année qui se présentent après avoir obtenu un organe à l’étranger, et ce n’est qu’un hôpital parmi d’autres. Si on multiplie cette estimation prudente de trois personnes par hôpital par 1 200 hôpitaux au Canada, cela veut dire qu’il y a 3 600 transplantations d’organes faites à l’étranger chaque année; c’est un nombre effarant que nous ne pouvons pas ignorer.

Il y a quelques mois, mon bureau a reçu un courriel du Réseau universitaire de santé de Toronto. J’ai été informée du fait que ses professionnels de la santé reçoivent régulièrement des questions sur ce vaste sujet. Actuellement, l’université conseille aux voyageurs de ne pas aller à l’étranger dans un but de prélèvement d’organes, et ce, pour plusieurs motifs autres que juridiques. Cependant, l’université aimerait aussi qu’il y ait des interdictions prévues par la loi.

Si nous n’adoptons pas une loi interdisant aux Canadiens de participer au trafic d’organes, la pratique du tourisme de transplantation va continuer de prendre de l’ampleur. Une fois que le projet de loi S-204 sera adopté, les délinquants sauront qu’ils peuvent être poursuivis en justice au Canada et se voir refuser l’entrée au Canada.

Même si nous ne pouvons pas éliminer les violations des droits de la personne autour du monde, nous pouvons changer les choses chez nous. Nous pouvons effectivement éviter d’être complices du tourisme de transplantation à l’intérieur de nos frontières. Ce projet de loi est un effort bienvenu pour éliminer cette complicité.

En tant que parlementaires, notre travail est d’écouter les experts du domaine et d’apprendre. Nous sommes tenus de protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes contre les trafiquants d’organes. Il nous incombe de protéger les personnes les plus vulnérables du monde en renforçant nos propres lois. Il nous appartient de réaliser concrètement chez nous les aspirations internationales des lois internationales.

En tant que parlementaires, du gouvernement ou de l’opposition, nous pouvons et devons faire notre part. Il faut mettre fin sans plus attendre à cette pratique qui s’est répandue partout dans le monde. Comme vous le savez peut-être déjà, c’est la quatrième fois que je présente ce projet de loi. Nous l’avons presque adopté durant la première session de la quarante-deuxième législature en mai 2019, mais, malheureusement, des circonstances hors de notre contrôle ont fait que le projet de loi est mort au Feuilleton avant de recevoir la sanction royale.

Honorables sénateurs et sénatrices, le trafic d’organes est une pratique prédatrice et horrible qui cible et exploite les pauvres et les gens vulnérables. C’est une pratique qui viole les principes de l’équité, de la justice et du respect de la dignité humaine. Montrons au monde l’exemple en combattant le trafic d’organes, en adoptant le projet de loi S-204 ici et maintenant.

J’essaierai de répondre à toutes les autres questions que vous pourriez avoir. Merci.

La vice-présidente : Merci, sénatrice Ataullahjan. La parole va maintenant à M. Kilgour.

L’honorable David Kilgour, c.p., représentant, International Coalition to End Transplant Abuse in China : Merci, madame la présidente, et merci beaucoup, madame la sénatrice, d’avoir expliqué les choses si succinctement.

Il y a énormément de documentation sur le sujet, et il semble y en avoir plus chaque semaine. Le British Medical Journal a publié il y a une semaine quelque chose d’un médecin qui a fait de l’excellent travail sur tout cela. Si vous voulez consulter une tonne d’informations... Je sais que cela ne vous incitera pas à communiquer avec moi, mais, si vous visitez le www.David-Kilgour.com, la première chose que vous verrez sur mon site Web sera un lien vers — comme il a été mentionné — l’International Coalition to End Transplant Abuse in China. Vous pourrez ainsi trouver beaucoup de documentation très récente qui, je crois, pourrait être utile au comité.

Honnêtement, la seule chose que je peux dire que certains parmi vous ne savent pas déjà, c’est que les courtiers passent par les hôpitaux. J’espère que nous n’avons pas aujourd’hui des courtiers dans 1 200 hôpitaux, mais c’est un fait qu’ils passent par les hôpitaux, au Canada et ailleurs. Ils y vont pour trouver des patients qui ont peut-être besoin d’une transplantation. Ensuite, ils demandent de l’argent au patient, qui, souvent, est désespéré — et les prix, comme vous le savez probablement, sont très élevés —, pour lui offrir de devenir un touriste de la transplantation.

Le patient s’envole donc probablement, pour commencer, vers Shanghai, à l’hôpital First People; c’est là que les Canadiens se sont rendus pendant très longtemps. Le patient arrive à l’hôpital après avoir payé pour son organe. On fait des tests sanguins et des tests sur des échantillons de tissu, puis le chirurgien consulte la base de données informatiques pour trouver un donneur compatible. Puis, littéralement — et nous savons cela, et nous croyons que les preuves le montrent, nous avons cela dans notre mire —, une femme ou un homme malchanceux qui a un organe convenable et dont les tissus sont compatibles est enlevé d’un dortoir et assassiné pendant qu’on lui retire ses organes. Ensuite, les organes partent par avion, probablement depuis un camp de travail à la périphérie de la Chine. En passant, il est aussi probable que la personne venait de la région ouïghoure de la Chine. La Geoffrey Nice Foundation étudie la question présentement en Angleterre. Si vous êtes au courant de tout ce qui se passe, vous savez qu’il ne fait absolument aucun doute que les Ouïghours sont aussi assassinés pour leurs organes.

L’organe s’envole donc vers Shanghai, où il est transplanté dans le patient, puis le patient revient chez lui, quelque part au Canada, avec un nouvel organe. Il faut que cela cesse.

Je devrais probablement préciser que la Chine est le seul pays au monde, parmi les 199 pays existant actuellement, je crois, où cela arrive et où cela est fait par le gouvernement et non par des gens sans scrupule dans le fond d’une ruelle. Il est grand temps que le Canada se joigne aux 10 autres pays environ qui ont adopté des lois à cet égard. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à témoigner à l’appui de la sénatrice Ataullahjan, qui présente son projet de loi pour la quatrième fois. Merci.

La vice-présidente : Merci, monsieur Kilgour. Merci à nos deux témoins.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons passer à la période de questions. Je vous rappelle que, à notre réunion du 15 décembre 2020, nous avons convenu que le temps des interventions des sénateurs et sénatrices ne dépasserait pas cinq minutes par tour, questions et réponses comprises.

Commençons la période de questions. Je vous rappelle de bien vouloir utiliser la fonction « lever la main ».

La sénatrice Pate : Merci d’avoir témoigné, chers collègues.

J’ai une question sur un aspect qui a été abordé : êtes-vous absolument convaincu que le projet de loi va véritablement prévenir ce problème, en particulier compte tenu de ce que vous avez dit à propos de la façon dont les gens sont approchés? Est-ce que le projet de loi va véritablement protéger les gens les plus vulnérables? Je pense aux gens qui vont peut-être donner leur consentement, sans que ce soit nécessairement librement; il y a peut-être des gens qui sont forcés de donner leurs organes, puis, à cause de cela, qui seront criminalisés et pourraient peut-être ne pas avoir accès, par exemple, à des possibilités d’immigration ou de séjour dans un autre pays, et d’autres choses du genre. Je suis sûre que vous y avez réfléchi. Je serais curieuse de savoir comment ce projet de loi empêcherait cela, vu l’élément de criminalisation.

La sénatrice Ataullahjan : Je pourrais répondre, puis M. Kilgour pourra faire part de ses réflexions.

Madame la sénatrice, nous sommes en retard, au Canada. De nombreux pays ont déjà adopté de telles lois. Nous avons réfléchi aux moyens de protéger les personnes vulnérables. Si vous vendez un organe, vous ne ferez pas l’objet d’accusations criminelles; ce sont les gens qui vendent des organes qui seront accusés. M. Kilgour pourra peut-être clarifier cela, mais je crois savoir qu’une personne qui vend ses organes ne sera pas pénalisée. Ce sont les courtiers, les intermédiaires entre les gens, qui font de l’argent grâce à cette pratique ou qui, comme vient de le dire M. Kilgour, tuent des gens pour leurs organes ou pour en faire le trafic. On nous a parlé, à la dernière séance du comité — comme vous l’avez probablement entendu —, de cas en Afrique du Nord concernant des réfugiés qui se déplaçaient. Au milieu de leur voyage, soudainement, on leur demandait plus d’argent et, s’ils ne pouvaient pas payer, ils étaient assassinés, et leurs organes étaient prélevés. Nous avons entendu dire qu'il y avait un lien direct avec l'Égypte; il y avait un médecin là-bas qui faisait cela.

Je n’ai raconté aucune de ces histoires, parce que la plupart d’entre vous faisaient partie du comité, et vous connaissez déjà les histoires que nous avons racontées.

C’est un début. Une fois que le projet de loi sera adopté, rien ne nous empêchera de le modifier.

Cela me ferait plaisir si M. Kilgour...

La sénatrice Pate : Pendant que M. Kilgour active son micro, je réfléchissais aussi aux gens qui sont peut-être forcés, comme cela arrive souvent. Les courtiers peuvent forcer une tierce partie à agir comme intermédiaire, essentiellement; ils peuvent forcer une personne vulnérable à le faire. Je me demandais si, à votre avis, il y a suffisamment de mesures de protection dans le projet de loi, dans la façon dont il est libellé, pour empêcher cela, ou si vous dites que nous pourrons toujours le modifier après coup.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis désolée, sénatrice Pate, mais votre voix coupait. Je ne vous ai pas bien entendue.

La sénatrice Pate : M’entendez-vous maintenant, madame la sénatrice?

Nous savons que, dans certains cas, il y a des personnes vulnérables qui sont forcées d’agir comme intermédiaires dans toutes sortes de situations criminelles. Donc, dans ce contexte, qu’arrive-t-il si ce sont des personnes vulnérables qui sont forcées d’agir en tant qu’intermédiaires par ceux qui sont véritablement aux commandes, qui en tirent un profit et qui évitent ainsi de s’exposer à des accusations criminelles? Croyez-vous que ces personnes sont suffisamment protégées? Si c’est le cas, pouvez-vous nous aider à comprendre comment? Ce serait très apprécié.

La sénatrice Ataullahjan : Je crois savoir que, si vous agissez comme courtier dans la vente d’un organe, vous êtes la personne responsable. Je vois que M. Kilgour m’approuve, il hoche la tête. Nous devons mettre un terme à la pratique de la vente d’organes. Il faut qu’il y ait des mesures de dissuasion. Nous savons qu’il y a énormément de personnes qui viennent du Canada. Ce projet de loi aurait dû être adopté il y a 10 ans. Nous sommes vraiment en retard.

Une fois que le projet de loi sera adopté, il y aura de nouvelles questions et de nouveaux problèmes. Le monde change, et les lois doivent changer avec lui. Actuellement, compte tenu de la situation, il y a un besoin pressant. Quiconque participe à la vente d’un organe peut être tenu criminellement responsable. J’espère que cela répond à votre question.

M. Kilgour : Le problème, c’est que dans tous les pays du monde à l’exception d’un seul, à ma connaissance, une mère peut vendre un de ses reins pour payer les études universitaires de sa fille ou de son fils, par exemple, mais cela ne lui coûte pas la vie. On prend seulement un rein. La plupart du temps, le donneur — même un donneur payé — survit. La différence, en Chine, c’est qu’on tue les soi-disant donneurs. On ne demande pratiquement jamais à aucun des donneurs — nous en somme convaincus — s’ils veulent donner un rein ou une partie de leur foie, parce qu’on prend tous leurs organes. On ne prend pas seulement un rein. On prend le cœur, le foie, les poumons; tout ce qui peut être prélevé. Bien sûr, le donneur ne survit pas à cela. C’est une distinction très importante à comprendre entre la Chine et tous les autres pays du monde.

Comme vous l’avez laissé entendre, il y a malheureusement des donneurs qui sont forcés de donner leurs organes dans divers pays. Souvent, cela nuit énormément à leur santé, comme vous vous en doutez sûrement. Le problème de la Chine est tout à fait unique, et c’est ce que nous essayons de combattre. La personne qui se promène dans les hôpitaux de Toronto, de Vancouver ou de Halifax est une crapule, purement et simplement, et nous devrions lui rendre la vie aussi difficile que possible. Notre but n’est pas qu’une personne qui est mourante, qui a désespérément besoin d’un cœur et qui, suivant de mauvais conseils ou quelque chose du genre, va en Chine pour y trouver un organe, soit mise en prison ou quelque chose du genre. J’ai été procureur pendant 10 ans, environ. La dernière chose que veut n’importe quel procureur, c’est de jeter en prison un vieil homme ou une vieille femme parce qu’ils ont été en Chine parce qu’ils avaient besoin d’un organe. Au moins, ils sauront que c’est illégal de faire cela. Les médecins leur diront c’est illégal. Tout le monde le leur dira. Espérons que cela réduira à zéro le nombre de gens qui vont en Chine.

La sénatrice Martin : Je veux remercier la sénatrice Ataullahjan de son travail et de ses efforts inlassables pour mener ce projet de loi jusqu’au bout. Je sais à quel point vous avez travaillé dur. Je n’arrive pas à croire que c’est la quatrième fois que cela est soumis au Parlement. Merci. Évidemment, M. Kilgour comprend très bien que le processus législatif prend du temps. Votre expertise est d’une grande importance.

À certains égards, ma question porte sur une préoccupation en lien avec ce que disait la sénatrice Pate à propos des personnes vulnérables qui sont impliquées. Je comprends que nous devons punir les vendeurs, ceux qui profitent des gens les plus vulnérables et de ce qui se passe actuellement en Chine.

Ma question concerne ce qui s’est passé lors de la dernière législature. Le comité avait ajouté une disposition au projet de loi, madame la sénatrice, qui aurait forcé les praticiens à signaler toutes les transplantations d’organes à une autorité nommée par le gouverneur en conseil, mais le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a retiré cette disposition du projet de loi.

D’une certaine manière, le médecin ou les professionnels de la santé pourraient être utiles pour la surveillance, pour s’assurer que les patients vulnérables sont protégés et pour prévenir ou réduire ce genre d’activités nuisibles.

Pouvez-vous nous parler du débat entourant le retrait de l’obligation pour les professionnels de la santé de signaler les transplantations d’organes?

La sénatrice Ataullahjan : Merci, sénatrice Martin. Le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a supprimé l’obligation proposée pour les médecins de signaler les patients qui ont eu une greffe d’organe. Des préoccupations ont été soulevées quant à la relation sacrée entre le médecin et le patient; quand vous parlez à votre médecin, la discussion entre vous et votre médecin est censée être confidentielle. On craignait que l’obligation de signaler n’ajoute inutilement au stress et à la pression que les médecins subissent déjà. Nous savons que la plupart des médecins subissent déjà énormément de stress, en particulier maintenant. La Chambre avait jugé que cela créerait un stress supplémentaire.

Il y avait une tension entre l’obligation de prendre soin des personnes résidant au Canada et le refus de laisser le tourisme de transplantation continuer. Mon collègue, M. Garnett Genuis, qui était le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, a souligné qu’il était important que ce projet de loi soit adopté. Nous tenions à cette disposition sur le signalement par les médecins, mais, au bout du compte, nous avons convenu qu’il était plus important que le projet soit adopté. Nous pourrons toujours le modifier. Nous pourrons toujours proposer des amendements.

Puisqu’il n’y a rien en place actuellement, nous avons accepté de retirer cette disposition. Plus tard, peut-être que des parlementaires jugeront que c’est important. Le débat n’est jamais clos. Tous les parlementaires peuvent proposer des amendements à la loi.

La sénatrice Martin : C’est très clair, madame la sénatrice; nous devons adopter ce projet de loi. Je suis d’accord avec vous. Y a-t-il des leçons à tirer des autres pays qui ont déjà de telles lois? Pour la suite des choses, pensez-vous que le Canada pourra tirer des leçons de certaines des façons dont cette loi est appliquée ailleurs et des modifications et des amendements qui y ont été apportés? Avons-nous des exemples d’ailleurs dans le monde que nous pourrions examiner, une fois que le projet de loi sera adopté au Canada?

La sénatrice Ataullahjan : Je laisse la question à M. Kilgour. Il pourra vous répondre.

M. Kilgour : Oui, c’est une question intéressante. Des 10 pays qui ont de telles lois — je crois qu’il y en a environ 10 —, celui qui a la loi la plus à jour, à ma connaissance, est Taïwan. Taïwan a la meilleure loi, et le Canada devrait probablement la prendre pour modèle. Nous avons ici un projet de loi, et j’espère que nous l’adopterons, et ensuite, nous pourrons regarder ce qu’a fait Taïwan et peut-être ainsi proposer des mesures plus robustes dans des amendements.

Par exemple, Taïwan cible activement les courtiers et, si je ne me trompe, les autorités taïwanaises estiment aussi — vous êtes sûrement au courant, sénatrice Martin — que, si un médecin aide un patient à obtenir un organe en Chine, alors il peut être condamné à une amende ou perdre son permis d’exercice. Il serait juste de dire que, à présent, il y a très peu de gens à Taïwan qui vont en Chine pour les organes.

La sénatrice Martin : Merci.

La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à la sénatrice Ataullahjan. Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui, et merci à M. Kilgour et à vous de vos exposés.

Comme les sénateurs et sénatrices du comité le savent, j’ai travaillé toute ma vie pour que cesse la stérilisation forcée et obligatoire des femmes autochtones. Je vois de nombreux parallèles entre les gens qui sont forcés de donner leurs organes et les femmes qui sont stérilisées. Ces deux pratiques sont horribles et nous devons y mettre un terme une fois pour toutes. Je tiens à applaudir le travail que la sénatrice Ataullahjan a fait jusqu’ici sur ce dossier.

Quand le comité a examiné le prédécesseur du projet de loi S-204, le projet de loi S-240, lors de la 42e législature, il a modifié le projet de loi pour y ajouter une disposition visant à définir et à élargir la notion de consentement éclairé, une notion qui demeure problématique dans ces deux dossiers. À mon avis, cet amendement rendait le projet de loi plus robuste, et j’ai été déçue de voir que le comité de l’autre endroit l’avait supprimé.

Pourriez-vous expliquer au comité pourquoi le consentement éclairé ne figure pas dans la nouvelle version du projet de loi? Pouvez-vous aussi fournir un peu plus de détails sur les raisons pour lesquelles le comité de la Chambre l’a retiré la dernière fois?

La sénatrice Ataullahjan : Merci, sénatrice Boyer. Il y avait effectivement quelque chose sur le consentement éclairé, mais ça a été retiré. Le consentement éclairé veut dire que le patient doit comprendre et accepter la nature, les risques et les conséquences de la procédure médicale. L’ajout d’une définition sur le consentement éclairé était problématique lorsque l’autre endroit s’est penché sur la question, puisque l’expression « consentement éclairé » est déjà définie dans les lois provinciales et territoriales sur la santé. Donc, pour éviter tout problème dans l’interprétation de la loi et pour assurer la clarté et la cohérence du Code criminel, la définition a été retirée. Il a été conclu que cette définition existait déjà et que cela pourrait porter à confusion si elle était aussi dans le projet de loi. C’est ce qui est arrivé à l’autre endroit. Mais nous l’avions, effectivement.

Je le redis, le but est que nous ayons une loi. Faisons quelque chose. Nous avons vraiment du retard à rattraper. Vous avez peut-être entendu parler d’affaires comme celle au Kosovo, il y a quelques années, où il y a eu une descente dans une clinique qui faisait des transplantations, et on y a trouvé des Canadiens. Nous savons que des Canadiens voyagent pour cela.

Nous avons parlé des statistiques dans les hôpitaux, madame la sénatrice; elles proviennent des hôpitaux qui signalent ces choses. Il y a de nombreux cas où des patients, après avoir reçu une greffe d’organe à l’étranger, reviennent au Canada et ont toutes sortes de problèmes médicaux, et alors, ils vont voir leurs propres médecins. Peut-être que certains vont devoir aller à l’hôpital, mais pas tous.

Faisons quelque chose; c’est ce que nous voulons. Ce projet de loi est une fondation. À mes yeux, c’est une fondation que nous avons mis 12 ans à bâtir. Une fois qu’elle sera en place, nous pourrons continuer à construire dessus, ou d’autres personnes pourront le faire. C’est ce qui est arrivé avec le consentement éclairé. Je peux comprendre que cela allait peut-être causer de la confusion, alors, d’accord, nous pouvons le supprimer si cela existe déjà ailleurs.

La sénatrice Boyer : Merci, madame la sénatrice. Peut-être que nous pourrons étudier un amendement à un moment donné; je voulais seulement ajouter que la capacité était une composante essentielle du consentement éclairé.

J’ai une autre question. Ai-je le temps, madame la présidente?

La vice-présidente : Il vous reste 1 minute et 25 secondes.

La sénatrice Boyer : Parfait. Nous sommes bien au courant du fait que les trafiquants d’organes humains ciblent les plus vulnérables pour leur voler leurs organes et que, dans la plupart des pays du monde, ce sont les populations autochtones qui se retrouvent dans cette catégorie des personnes vulnérables, en raison de la violence coloniale.

Je me demandais si vous connaissiez des organismes qui se sont penchés en particulier sur cet aspect de cette pratique, en ce qui concerne les populations autochtones.

La sénatrice Ataullahjan : Allez-y, monsieur Kilgour, s’il vous plaît.

M. Kilgour : Les Ouïghours sont un peuple autochtone qui vivent depuis des milliers d’années au Turkestan oriental, aujourd’hui Xinjiang, et beaucoup parmi eux ont soulevé exactement le même point, que les données sont incontestables, qu’ils ont tous été testés..., mais seulement la population ouïghoure musulmane.

Les Ouïghours sont le peuple autochtone du Turkestan oriental... Il y a d’autres groupes, mais les Ouïghours sont majoritaires. Selon des témoins experts, ils ont tous subi une analyse sanguine, et ce n’est pas parce qu’il y a quelqu’un au gouvernement chinois qui se soucie de leur santé. Leur sang est analysé pour voir s’ils seraient de bons donneurs d’organes, alors il y a un lien très réel à faire entre ces problèmes et la question autochtone.

La sénatrice Boyer : Merci.

Le sénateur Ngo : Merci, sénatrice Ataullahjan. Merci de votre travail constant et acharné sur cette question. Cela aurait dû être fait depuis longtemps.

Lors de la deuxième lecture du projet de loi, vous avez déclaré, dans votre discours, je cite : « Mon projet de loi ne vise pas à empêcher les Canadiens de se rendre à l’étranger pour y recevoir une greffe d’organe par des moyens légitimes et légaux. »

Pouvez-vous définir « moyens légitimes et légaux » et nous donner un exemple de ce que serait un moyen légitime et légal dans le cadre de votre projet de loi?

La sénatrice Ataullahjan : Un moyen légitime serait de s’adresser à une autorité légitime. Nous voulons prévenir l’achat d’organes, et nous voulons empêcher qu’il y ait un incitatif financier à cela.

D’après ce que nous avons appris, beaucoup de personnes disent : « Mon frère est prêt à me donner un rein » ou « Ma sœur est prête à me donner un rein », mais il ou elle ne vit pas au Canada. Ce que je voulais dire, dans mon discours, c’est que, dans ce cas, la personne doit s’adresser à un avocat pour obtenir des conseils et doit s’assurer qu’il est absolument clair qu’il n’y a aucune transaction financière. Si le donneur est un membre de la famille ou un ami, nous voulons nous assurer que personne n’exerce de pression sur lui.

Il y a des membres de la famille, des frères ou des sœurs, qui sont prêts à donner spécifiquement un rein. Nous ne voulons pas arrêter cela. Ce que nous voulons arrêter, c’est le commerce illégal — l’achat d’organes — par des courtiers. Nous avons aussi entendu des histoires de gens à qui on a promis de l’argent, mais qui n’ont jamais été payés. Nous avons aussi entendu des histoires de gens qui se sont fait kidnapper, qui se sont réveillés dans une clinique où ils ont appris qu’on leur avait enlevé un organe. Ces personnes sont ensuite surveillées et, si elles dénoncent, elles peuvent s’attirer des ennuis.

Nous ne voulons pas arrêter les gens qui reçoivent un organe d’un membre de la famille ou de quelqu’un d’autre lorsqu’il n’y a aucune transaction financière ni aucun recours à la force. Nous ne voulons pas arrêter cela. Mais ces personnes devraient obtenir des conseils juridiques avant de quitter le Canada.

Le sénateur Ngo : Merci. Nous savons aussi que les Canadiens et Canadiennes qui se rendent en Chine pour recevoir un organe le font par des moyens illégitimes et illégaux. Comment pouvons-nous prévenir cela, et comment pouvons-nous attraper ces criminels?

La sénatrice Ataullahjan : Je crois que je vais laisser M. Kilgour, notre expert sur la Chine, répondre.

Le sénateur Ngo : Je vais aussi avoir une question pour M. Kilgour, après.

M. Kilgour : Allez-y, monsieur le sénateur.

Le sénateur Ngo : J’aimerais avoir une réponse avant de poser l’autre question.

M. Kilgour : C’est une situation difficile. Nous savons tous que ces personnes sont désespérées. Mais s’il est annoncé dans les journaux et dans les médias qu’il est maintenant illégal pour les Canadiens de faire du tourisme d’organes, beaucoup de personnes vont comprendre que c’est maintenant contraire à la loi. Les médecins vont comprendre. Les familles vont comprendre. Les malades vont comprendre, et, espérons-le, cela va réduire énormément le nombre de personnes qui le font.

Ce problème existera toujours, monsieur le sénateur. M. Jay Lavee, un cardiochirurgien en Israël, ne comprenait pas ce qui se passait jusqu’à ce qu’un de ses patients souffrant de problèmes cardiaques lui dise : « Je vais subir une transpKnessetlantation cardiaque en Chine dans deux semaines », à telle date et à telle heure. C’est là que le Dr Lavee a compris que quelqu’un allait nécessairement être tué et son cœur, prélevé, afin que ce patient puisse aller en Chine et recevoir un nouveau cœur. C’est là qu’il a finalement compris ce qui se passait, et, en Israël, la Knesset a adopté une loi qui, à l’époque, était une des plus sévères.

Il n’y a aucune solution parfaite, mais au moins nous pouvons faire de notre mieux pour dire à nos 37 millions de Canadiens et de Canadiennes d’où vient l’organe qu’ils recevront en Chine ou dans un autre pays s’ils achètent un organe.

Le sénateur Ngo : Merci de votre réponse. Vous avez mentionné que certains pays ont adopté des lois robustes pour lutter contre le trafic d’organes; vous venez de mentionner Taïwan et j’ai mentionné l’Espagne, Israël et l’Italie.

En quoi les lois dans ces pays sont-elles meilleures que le projet de loi à l’étude? Y a-t-il des dispositions ou des caractéristiques particulières dans ces lois étrangères que vous aimeriez voir ajouter au projet de loi?

M. Kilgour : Eh bien, toutes les cultures sont différentes. Tous les pays que vous avez mentionnés... Nous avons tous une culture et une histoire différentes, et peut-être aussi des problèmes de santé différents, et c’est pourquoi nous devons trouver quelque chose qui fonctionne pour le Canada.

Comme vous le savez, monsieur le sénateur, à l’heure actuelle, M. David Matas et moi-même avons parcouru probablement 50 pays pour parler de ce sujet, et c’est très embarrassant que rien n’ait toujours été fait au Canada. Donc, si nous pouvons avoir quoi que ce soit, même si quelqu’un pourrait dire que c’est imparfait, au moins ce serait un départ. Ce serait un exercice très éducatif pour nous, et je crois que ça nous sera utile.

Le sénateur Ngo : À votre avis...

La vice-présidente : Sénateur Ngo, votre temps est écoulé. Si nous avons du temps pour un deuxième tour, vous pourrez reprendre la parole.

Le sénateur Ngo : Je parlerai au second tour. Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je remercie la sénatrice Ataullahjan et M. Kilgour de leurs témoignages aujourd’hui.

J’ai une question. Je sais que ce projet de loi constitue un premier pas pour le Canada. Cependant, je sais qu’après une transplantation d’organe, il faut un suivi médical, il faut des médicaments antirejet et il faut que la personne soit suivie sur une longue période de temps.

Si cette personne revient au Canada, elle va arriver au pays après sa transplantation. Elle va aller voir son médecin de famille pour les problèmes qu’elle aura. Quel est le rôle éthique et médicolégal de ce médecin? Il va lui poser la question : « Où avez-vous eu votre transplantation? » Admettons que la personne répond que c’est en Chine, si le médecin est le moindrement au courant de la façon dont cela se passe en Chine, doit-il appeler une instance pour dénoncer le cas ou doit-il garder le secret professionnel et ne rien dire, tout en sachant ce qui est arrivé à son patient?

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Merci, sénatrice Mégie. Nous avons déjà parlé de l’amendement qui obligeait les médecins qui traitent ce genre de patients à signaler le cas, et qui a été éliminé par l’autre endroit, parce que cela imposait trop de stress et de responsabilités aux médecins.

Personnellement, j’aimerais que cela se fasse. Si un médecin a un patient qui, tout à coup, n’a plus besoin d’une greffe ou, comme vous l’avez dit, revient voir son médecin parce qu’il est malade ou pour une autre raison, parce qu’une greffe, ce n’est pas sans risque... Il y a de nombreux risques pour la santé.

À mon avis, à tous les niveaux — et, je le répète, c’est mon opinion personnelle —, ce serait une bonne chose que les médecins puissent dénoncer ce genre de situation; lorsqu’un patient n’est plus sur la liste de transplantation ou qu’il a eu une transplantation et est maintenant aux prises avec divers problèmes de santé pour lesquels il doit prendre des médicaments. Mais l’autre endroit a retiré cette disposition.

Comme M. Kilgour et moi-même l’avons dit, nous voulons vraiment que ce projet de loi soit adopté. Nous voulons vraiment qu’une loi soit adoptée, et ensuite, nous pourrons y revenir et dire : « Faisons un amendement. Ajoutons quelque chose. Améliorons la loi. » Dans l’état actuel des choses, il n’y a rien, au Canada, même si nous savons que des Canadiens se rendent à l’étranger. Nous entendons tous des histoires, mais il n’y a aucune statistique. Il y a très peu d’information existante sur le prélèvement forcé d’organes et le tourisme d’organes, même si cela est réel. Il faut qu’il y ait quelque chose d’établi. Il faut que nous puissions avoir une idée de la fréquence à laquelle cela arrive.

Je suis d’accord avec vous. Je crois que les médecins devraient dénoncer, mais la Chambre a cru bon de retirer cette disposition, et nous avons accepté. Encore une fois, je tiens réellement à ce qu’il y ait quelque chose. Faisons quelque chose, adoptons une loi quelconque pour dissuader les gens. S’ils savent qu’il y a une loi et qu’ils se rendent à l’étranger pour y acheter un organe et qu’ils ne savent pas comment cet organe a été prélevé, alors ils devront en subir les conséquences. De mon point de vue, c’est un premier pas dans la bonne direction.

La sénatrice Hartling : C’est un sujet très important. Merci, sénatrice Ataullahjan, d’avoir été si tenace et d’être revenue sur le sujet. Nous sommes impatients et nous espérons que le projet de loi sera adopté.

Merci aussi à M. David Kilgour. Vous faites de l’excellent travail. Tout cela est très intéressant.

Il semble que le Canada soit l’un des principaux pays d’origine des patients qui vont se chercher un organe à l’étranger. Vous avez mentionné, monsieur Kilgour, que nous ne donnons pas beaucoup d’information aux Canadiens et aux Canadiennes à ce sujet. Quelles seraient les autres mesures juridiques ou politiques que nous pourrions prendre pour dissuader les Canadiens d’utiliser ce genre de pratiques? Dans l’ensemble, je doute que les Canadiens soient au courant. Selon vous, que devrions-nous faire pour sensibiliser les gens et faire en sorte qu’ils doivent rendre davantage de comptes? Je sais que le projet de loi va certainement aider, mais y a-t-il autre chose que nous pourrions faire?

François Michaud, greffier du comité : Madame la présidente, je suis désolé de vous interrompre, mais je dois informer le comité que nous avons perdu M. Kilgour. Nous essayons de communiquer avec lui.

La vice-présidente : Peut-être qu’il va revenir. Sénatrice Ataullahjan, voulez-vous répondre à la question de la sénatrice Hartling?

La sénatrice Ataullahjan : Merci. Sénatrice Hartling, présentement, il n’y a aucune loi, alors les gens qui vont à l’étranger pour une greffe ne subissent aucune conséquence ni répercussion quand ils reviennent. Je crois que s’il y a une loi établie, alors il y aura des conséquences. Ces gens sauront qu’ils ont fait quelque chose d’illégal. Croyez-moi, dans la communauté médicale et parmi les courtiers qui facilitent ce genre de pratique, comme le disait M. Kilgour, il y a des gens qui se rendent dans les hôpitaux et qui disent qu’ils peuvent vous procurer ceci ou cela parce que ce n’est pas illégal. Si vous êtes concerné par cette pratique, vous apprendrez très bientôt qu’une loi a été adoptée.

M. Kilgour est de retour, alors je vais le laisser répondre. Je ne sais pas s’il a entendu la question. Peut-être pourriez-vous la répéter.

M. Kilgour : Je suis désolé. Je ne sais pas ce qui est arrivé.

La vice-présidente : Nous sommes heureux de vous revoir. Avez-vous entendu la question de la sénatrice Hartling?

M. Kilgour : Non, désolé. J’essayais frénétiquement de me reconnecter.

La sénatrice Hartling : Merci, monsieur Kilgour et merci beaucoup de votre exposé. Vous disiez que, là où vous travaillez, les Canadiens ne sont pas nécessairement dissuadés, ou alors il n’y a pas d’information sur ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire. Je me demandais si, mis à part le projet de loi — car je sais que c’est une excellente chose —, il y a d’autres mesures juridiques ou politiques que nous pourrions prendre pour dissuader les Canadiens d’utiliser ce genre de pratiques ou s’il serait possible de les sensibiliser? Que doit-on faire, en parallèle avec le projet de loi?

M. Kilgour : Le cas de l’Australie pourrait être intéressant, parce que, en 2006, M. Ethan Gutmann et moi-même étions en Australie, et la Australian Broadcasting Corporation nous a fait passer à la télévision, au bulletin de nouvelles nationales, trois fois, je crois. Nous avons expliqué que quelque chose d’horrible se produisait en Chine, et j’imagine que suffisamment de personnes nous ont vus, parce que, deux ou trois ans plus tard, quand nous sommes retournés en Australie, l’un des sous-ministres de la Santé de l’État nous a dit que, pour ainsi dire, plus aucun Australien ne se rendait en Chine pour des organes.

Donc, si les Canadiens, les Australiens et, sans doute, d’autres personnes également savent ce qui se passe — qu’une personne est assassinée sur demande afin que vous puissiez avoir un nouveau rein ou un nouveau foie —, les gens du Canada et d’ailleurs vont cesser d’y aller.

Mais ce projet de loi va nous aider à nous attaquer aux courtiers, pour commencer. Il nous aidera, disons, à éduquer les gens du Canada qui ne savent rien de cela. J’espère que la plupart le savent, mais cela aidera à informer les gens du Canada afin qu’ils sachent d’où provient leur organe, quand ils acceptent la proposition d’un courtier qui leur dit : « Donnez-moi 100 000 $, et je vais vous trouver un nouveau cœur. » Ils vont savoir d’où ce cœur vient. Quelqu’un va être assassiné pour qu’il ou elle puisse revenir au Canada avec un nouveau cœur.

La sénatrice Hartling : Merci.

La vice-présidente : Je crois qu’il nous reste quelques minutes. Je pense que deux personnes voulaient intervenir au deuxième tour. Le sénateur Ngo et la sénatrice Pate. Vous pouvez poser chacun une question.

Le sénateur Ngo : Ma question s’adresse à M. Kilgour. C’est à propos de la loi. Je crois que vous saurez bien y répondre. À votre avis, comment ce projet de loi se compare-t-il au cadre existant de lutte contre la traite de personnes prévu dans le Code criminel du Canada?

M. Kilgour : C’est une question très intéressante, monsieur le sénateur. Nous avions, il y a très longtemps — je dirais dans les années 1970 — une situation où, quand quelqu’un se rendait dans un pays — je ne devrais pas en nommer un, mais vous pouvez probablement imaginer un pays où cette personne se rendrait — pour le trafic sexuel, probablement avec une personne mineure, et à l’époque, cela était parfaitement légal, parce que le crime n’avait pas eu lieu en sol canadien. Ce que cette personne faisait dans un pays « x » était permis.

De fait, j’ai proposé un projet de loi avec d’autres afin de faire en sorte qu’il soit illégal pour un Canadien d’aller dans un autre pays pour y avoir des relations sexuelles avec une personne mineure. Le projet de loi n’a pas abouti, mais, au bout du compte, si je ne me trompe pas, un tel projet de loi a été adopté des années plus tard.

Ce concept de la « compétence universelle » cause des problèmes à bien des gens, mais en ayant un projet de loi noir sur blanc, au Canada, comme celui que nous étudions présentement, je crois que cela réduira énormément le nombre de personnes qui vont en Chine pour des organes. À mes yeux, c’est un énorme avantage que le Canada se soit rangé aux côtés des pays qui ont décidé d’interdire le tourisme d’organes à leurs citoyens; de rendre cela illégal.

Ce n’est pas parfait, mais c’est un pas dans la bonne direction, et j’espère que vous êtes tous du même avis.

Le sénateur Ngo : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à nos deux témoins. Je serais curieuse de savoir si la pandémie a eu une incidence sur le trafic d’organes et de savoir si ce projet de loi va avoir un impact sur les négociations en ligne à des fins de trafic.

M. Kilgour : Je peux vous donner un exemple concret. C’est dans mes dossiers quelque part, si vous voulez consulter mon site Web, sous la rubrique « organ pillaging ». Le gouvernement chinois était très fier d’annoncer qu’il avait trouvé un premier et un deuxième poumons — cela fait six ou huit mois, je crois — et qu’il avait trouvé un donneur parfait au Turkestan oriental. Si vous croyez ou si quiconque croit qu’un donneur a volontairement donné ses poumons... Je suis sûr que vous savez que ce n’est pas le cas. Clairement, il s’agissait de milliers de gens — plus d’un million, mais nous ne savons pas combien, plus que un million — qui avaient subi des tests, et, tout comme je l’ai dit plus tôt, voici ce qui en est. Quelqu’un a dit : « Nous avons besoin d’une personne avec ce type de liquide organique, ce type sanguin, et cetera. » La première fois, cela n’a pas fonctionné; la personne était décédée; alors ils sont retournés chercher une autre personne.

Donc, le gouvernement de la Chine — qui doit croire que nous pensons tous que la lune, c’est du fromage — a essayé de faire croire au monde qu’il avait simplement trouvé une personne qui avait volontairement donné un poumon. C’est de la pure fabulation et, à mon avis, quelque chose de purement criminel et contraire aux valeurs du Canada et de pratiquement du reste de la planète. C’est pourtant le genre de choses qui se produisent en Chine chaque jour.

En passant, nous estimons que, en 2016, entre 60 000 et 100 000 greffes de ce genre ont été faites dans de nombreux hôpitaux d’un bout à l’autre de la Chine. Le pays a un système de dons volontaires. Je ne sais pas si c’est le nombre exact, mais environ 1 500 organes ont été donnés, véritablement, en Chine l’année dernière.

Vous pouvez être absolument certains que la très grande majorité de ces 60 000 à 100 000 organes ont été prélevés sur des personnes qui ont été tuées sur place, pour que leurs organes soient disponibles pour les gens riches. C’est une pratique horrible et abjecte.

La sénatrice Pate : Cela arrive surtout en ligne, si je comprends bien.

M. Kilgour : En partie. Ces gens savent qu’ils sont surveillés et que beaucoup de personnes s’intéressent à eux maintenant. Vous pouvez voir bien des choses sur le site Web de l’ETAC. Nous avons réussi à prendre des photos, avant que ce soit retiré du Web. Il reste très peu de choses sur le Web, maintenant, je crois.

La sénatrice Pate : Merci.

La vice-présidente : Personne d’autre ne souhaite intervenir pour poser des questions. Dans ce cas, chers collègues, est-il convenu de procéder à l’étude article par article du projet de loi S-204?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : Nous allons procéder à l’étude article par article.

Êtes-vous d’accord de suspendre l’adoption du titre?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : D’accord. Adopté.

L’article 1 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : L’article 2 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : L’article 3 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, tout le monde. Merci, monsieur Kilgour.

M. Kilgour : Merci à tous et à toutes.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, sénatrice Bernard.

La vice-présidente : Il reste deux questions : est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport?

La sénatrice Ataullahjan : Je ne crois pas, non.

La vice-présidente : Non?

La sénatrice Ataullahjan : Non.

La vice-présidente : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D’accord.

La vice-présidente : D’accord.

Le sénateur Ngo : Demain.

La vice-présidente : Félicitations. C’est d’accord pour demain.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Kilgour, merci beaucoup de nous avoir consacré du temps.

M. Kilgour : Merci beaucoup.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Kilgour. Félicitations, sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Ataullahjan : Chers collègues, merci d’avoir soutenu ce projet de loi très important. Merci beaucoup. Je vous en suis reconnaissante.

La vice-présidente : C’est l’étude article par article la plus rapide que j’ai jamais vue.

La sénatrice Martin : Nous étions tous d’accord.

Le sénateur Ngo : Nous sommes tous d’accord sur cette question. Je crois qu’il n’y avait aucune objection.

La vice-présidente : Merci beaucoup aux témoins.

M. Kilgour : De rien.

La vice-présidente : Merci à la sénatrice Ataullahjan et à l’honorable David Kilgour. Merci à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs des excellentes questions qu’ils ont posées aujourd’hui.

M. Kilgour : Merci. À la prochaine.

La vice-présidente : Chers collègues, voilà qui met fin à la partie publique de la séance d’aujourd’hui. La séance sera suspendue quelques minutes, et nous passerons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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