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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 9 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code canadien du travail (congé de décès), et à huis clos, pour étudier toute question concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général, tel que précisé à l’article 12-7(9) du Règlement.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour. Je m’appelle Chantal Petitclerc, je suis une sénatrice du Québec et j’ai le plaisir et le privilège de présider ce comité.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie par vidéoconférence.

Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de quelques suggestions utiles qui, selon nous, vous aideront à participer à une réunion efficace et productive.

[Traduction]

Je vous demande de garder votre microphone en sourdine en tout temps. Vous en avez la responsabilité, et je vous prie de l’allumer et de l’éteindre lorsque vous prenez la parole.

De plus, veuillez utiliser la fonction « lever la main » lorsque vous voulez poser une question ou prendre la parole.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques liées plus particulièrement à l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier, et nous nous efforcerons de résoudre le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le greffier du comité au numéro d’assistance technique qui vous a été fourni.

Veuillez prendre note qu’il se peut que nous devions suspendre les travaux pendant ces périodes, car nous devons nous assurer que tous les sénateurs sont en mesure de participer pleinement à la réunion.

[Traduction]

Pour terminer, je tiens à vous rappeler que les écrans Zoom ne doivent pas être copiés, enregistrés ou photographiés. Vous pouvez partager les délibérations officielles qui sont publiées sur SenVu à cette fin.

[Français]

J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui.

Nous avons parmi nous les vice-présidentes de ce comité, la sénatrice Bovey et la sénatrice Frum, le sénateur R. Black, du comité directeur, la sénatrice Dasko, la sénatrice Forest-Niesing, le sénateur Kutcher, le sénateur Manning, la sénatrice Mégie, la sénatrice Moodie et la sénatrice Simons.

Bienvenue à cette réunion du comité. Nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-220, Loi modifiant le Code canadien du travail (congé de décès) et nous aurons deux groupes de témoins.

Notre premier témoin est le parrain de ce projet de loi à la Chambre des communes. Sans plus tarder, je vous présente Matt Jeneroux, député d’Edmonton Riverbend.

[Traduction]

La parole est à vous. Nous attendons avec impatience vos remarques liminaires.

Matt Jeneroux, député, Edmonton Riverbend : Je vous remercie, madame la sénatrice. Je suis ravi de voir mes nombreux amis sénateurs qui siègent au comité aujourd’hui. Je vous remercie de m’avoir invité.

C’est un véritable honneur d’être devant vous pour discuter du projet de loi C-220 relatif au congé de décès pour raisons familiales. Je serai bref, car j’espère pouvoir répondre aux questions et aux commentaires de chacun. Je connais bien le fonctionnement des comités à l’autre chambre — comme vous l’appelez —, mais je ne saurais trop insister sur l’enthousiasme que j’éprouve à comparaître ici, au Sénat, aux côtés de bon nombre d’entre vous. Certains de mes amis font partie du prochain groupe de témoins. J’espère qu’ils vous plairont autant qu’à moi. Je tiens encore à souligner le travail extraordinaire qu’ils réalisent non seulement pour notre projet de loi, mais aussi pour tous les Canadiens. Je souhaite sincèrement qu’ils puissent aussi répondre à vos questions.

Notre projet de loi propose de prolonger la durée du congé de décès pour raisons familiales jusqu’à cinq jours après le départ d’un être cher. Pour l’instant, les employés sous réglementation fédérale ont droit à un total de cinq jours de congé, et seulement 72 heures de congé payé. Imaginez, madame la présidente : seulement cinq jours. Disons que vous perdez un être cher dans des circonstances tragiques, comme un cancer, voire un enfant — Dieu nous en préserve. Vous auriez droit à cinq jours, c’est tout.

Imaginez toutes les formalités à régler suivant le décès de l’être cher, pour lesquelles le Code canadien du travail ne prévoit que cinq jours en ce moment. Il faut notamment s’occuper de la planification des funérailles, de la planification successorale, de la mise en ordre des données bancaires et peut-être de la vente d’une propriété, et c’est sans compter le chagrin.

Nous avons entendu le récit de nombreuses personnes qui ont pris ce congé. Le fait de devoir retourner au travail aussi tôt après le décès a entraîné une perte additionnelle de travail et de temps. Les employés ont dû prendre plus de congés pour faire leur deuil.

En tant que représentants élus, nous devons désormais discuter des décès. Plus de 25 000 Canadiens ont perdu la vie en raison de la COVID-19 au cours de la dernière année seulement. Ce qui est vraiment désolant, c’est que de nombreuses personnes ont dû voir leurs proches rendre leur dernier souffle derrière la vitre d’un établissement de soins de longue durée. Des milliers de Canadiens doivent donc faire leur deuil tout en essayant de concilier travail et autres responsabilités personnelles.

Ceci étant dit, madame la présidente, chaque personne réagit différemment au deuil. Si certains peuvent vouloir retourner rapidement au travail, ce n’est pas le cas pour d’autres. Il est important de mettre en place des mécanismes de soutien en cas de deuil pour les Canadiens, d’autant plus que notre population vieillit.

C’est le moment idéal pour parler du deuil et de son incidence sur les travailleurs. Chaque Canadien vivra un deuil à un moment ou à un autre de sa vie, et c’était particulièrement bouleversant pendant la pandémie.

Ce qui a été formidable tout au long du processus, madame la présidente, c’est que nous avons obtenu un énorme soutien de tous les partis de la Chambre des communes, comme en témoignent les votes unanimes que nous avons récoltés à toutes les étapes de lecture aux Communes et en comité. Surtout, je ne serais pas ici aujourd’hui sans le soutien de mon bon ami, le député libéral Anthony Housefather; de la ministre du Travail Filomena Tassi, ainsi que son équipe et son cabinet, avec qui il était tout simplement merveilleux de travailler; de notre marraine au Sénat, la sénatrice Seidman; et de mon amie la sénatrice Simons, qui n’a ménagé aucun effort pour s’assurer avec moi que le processus soit vraiment libre de partisanerie.

Je vais m’arrêter ici, madame la présidente. Encore une fois, je me réjouis de discuter du projet de loi C-220, car je crois sincèrement que nous avons l’occasion d’offrir plus de services de soutien en cas de décès aux travailleurs canadiens. L’adoption de ces changements aidera des millions de personnes. Je vous remercie encore une fois.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé et de votre présence. Nous avons des questions à vous poser.

Chers collègues, la réunion d’aujourd’hui sera un peu plus courte qu’à l’habitude. Veuillez limiter vos préambules et cibler vos questions.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie, monsieur Jeneroux. C’est un plaisir de vous revoir. Je tiens à vous remercier d’avoir créé le projet de loi, que j’appuie bel et bien, moi qui ai plusieurs fois dû surmonter le deuil d’êtres chers. Je me demande seulement pourquoi il a fallu tant de temps pour en arriver là, mais je vous remercie de l’avoir fait. J’ai une petite question. Pourriez-vous confirmer que les cinq journées ne doivent pas nécessairement être prises immédiatement? J’ai perdu deux maris, et je peux vous dire qu’il arrive d’avoir besoin de temps pour vivre son deuil un peu plus tard. Je ne pense pas me tromper en affirmant que les congés peuvent être pris n’importe quand dans une période donnée. Je vous prie de clarifier ce point.

M. Jeneroux : Je vous remercie, sénatrice Bovey. Je suis moi aussi ravi de vous revoir. Nous avons fait de nombreux voyages ensemble, et nous avons tous les deux passé du bon temps.

Vous avez raison; c’est un point essentiel. Prenons l’exemple des communautés culturelles. Il est important de savoir que ce ne sont pas toutes les cultures qui organisent des funérailles immédiatement après le décès d’un être cher. Certaines le font, alors que d’autres privilégient des funérailles ultérieures. Par conséquent, suivant la suggestion de la ministre Tassi, l’employé a droit à un congé d’au plus 10 jours qui peut être pris pendant la période qui commence à la date du décès et se termine six semaines après la date des funérailles de la personne décédée, de son inhumation ou du service commémoratif tenu à son égard, selon celle qui est la plus éloignée. Vous avez raison de dire que bien des gens vivent leur deuil différemment. C’est donc un élément clé du projet de loi.

La sénatrice Bovey : Je vous suis très reconnaissante de votre réponse. Je n’ai pas d’autres questions, et je vous remercie.

Le sénateur R. Black : Je vous remercie, et je vous salue, monsieur Jeneroux. Je suis ravi que vous soyez des nôtres aujourd’hui.

Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir présenté cette importante mesure législative. Je crois savoir que vous espérez que des réformes à long terme seront apportées à la Loi sur l’assurance-emploi pour compléter votre projet de loi et ainsi inclure un jour les Canadiens qui ne travaillent pas dans les secteurs sous réglementation fédérale.

Pouvez-vous expliquer ce que vous espérez que le gouvernement fasse à cet égard? Pourquoi est-ce important?

M. Jeneroux : Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir soulevé cette question fort importante.

Comme vous le savez tous, les projets de loi d’initiative parlementaire ne peuvent pas avoir d’incidence sur les fonds publics pour l’instant. Nous ne pouvons pas demander au gouvernement de dépenser davantage pour l’assurance-emploi. Nous ne pouvons pas exiger du premier ministre qu’il dépense une somme donnée pour les projets de loi d’initiative parlementaire. Ce que nous pouvons toutefois faire, c’est modifier le Code du travail. Nous le faisons dans l’espoir d’obtenir cinq jours de plus. Nous espérons ensuite que l’AE suivra l’exemple.

Nous aurions alors 10 jours de congé. En ce moment, nous n’avons que 72 heures, c’est-à-dire trois journées payées. Nous espérons que l’AE nous emboîtera le pas. Nous en discutons en marge du projet de loi visant à prolonger le congé.

L’autre question importante que vous avez soulevée est que le projet de loi a une incidence sur les employés et les employeurs sous réglementation fédérale. Environ 18 000 employeurs sont ciblés. Il n’a toutefois pas d’effet sur le secteur privé, pour ainsi dire. Il incomberait aux provinces de modifier leurs lois sur l’emploi ou le travail, quel que soit leur nom, afin de suivre le processus que nous avons établi ici.

Nous avons demandé aux employés de la Bibliothèque du Parlement de faire quelques recherches pour nous, et il semble que dans environ 96 % des cas, un changement apporté à l’échelle fédérale est ensuite repris par les provinces. Nous espérons que ce sera la prochaine étape, une fois que nous aurons établi une norme nationale.

Le sénateur R. Black : Merci beaucoup. J’ai une toute petite question. Elle porte sur l’aspect financier. Avez-vous une idée de ce que cette loi coûtera au contribuable canadien moyen si elle est mise en œuvre?

M. Jeneroux : Encore une fois, nous avons demandé à la Bibliothèque du Parlement de réaliser une analyse des coûts. Tout dépendrait de la taille de l’employeur. Par exemple, dans de nombreux secteurs sous réglementation fédérale — comme les banques ou les télécommunications —, les grandes entreprises n’auraient probablement pas à assumer des frais supplémentaires puisque le travail des employés en congé de décès pourrait être assigné à d’autres travailleurs ou repoussé au retour de l’employé.

Quant aux petites entreprises qui évoluent dans des industries réglementées, comme le camionnage interprovincial ou international, elles subiraient probablement des répercussions. Un petit employeur qui doit retarder une livraison ou remplacer des employés endeuillés dans un court délai aura probablement des coûts supplémentaires à assumer. Cependant, notre analyse révèle également que ces frais toucheraient l’ensemble du secteur, sans avantager ou défavoriser une entreprise donnée.

Il est important de noter qu’il n’y aura pas soudainement une augmentation du nombre de décès parce que nous adoptons un projet de loi sur le congé de décès. La mesure existe si les gens en ont besoin et souhaitent s’en prévaloir. Certaines personnes ne voudront peut-être pas prendre congé, et c’est normal. Mais nous espérons leur offrir cette possibilité.

Le sénateur R. Black : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Félicitations pour votre projet de loi, monsieur Jeneroux. Merci d’être parmi nous et bienvenue. En ces temps de pandémie, la population canadienne a vraiment besoin de cette mesure, donc je vous en remercie.

Ma question porte sur le nombre restreint, ou plutôt les catégories restreintes de travailleurs qui pourront bénéficier des congés additionnels. Si je comprends bien, la mesure s’applique aux employés du secteur privé sous réglementation fédérale, mais pas aux fonctionnaires du gouvernement fédéral, ni aux employés du Parlement, ni aux employés sous réglementation provinciale. Comme nous savons que la maladie et le décès ne font aucune discrimination, j’aimerais vous poser cette question : de quelle manière avez-vous procédé pour déterminer qui pourrait bénéficier de ces mesures, et selon quels critères?

[Traduction]

M. Jeneroux : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Vous avez raison : il y a 18 500 employeurs qui en bénéficieraient, ce qui représente environ 6 % de la main-d’œuvre canadienne, ou un million d’employés. Le projet de loi cible notamment le secteur du transport aérien et terrestre, les banques sous réglementation fédérale, les entreprises de télécommunications, la plupart des sociétés d’État, Postes Canada et VIA Rail. Au sein du gouvernement fédéral, nous pouvons uniquement modifier le Code canadien du travail. Nous ne pouvons pas changer les codes du travail de chaque province.

Idéalement, nous aimerions établir une norme dans tout le pays; c’est ce que le gouvernement fédéral et le Code du travail proposent ayant trait au congé de décès. Je répète que dans 96 % des cas, les provinces se rallient à notre idée et modifient leurs codes du travail respectifs, ce qui, nous l’espérons, permettra de cibler un plus grand nombre de Canadiens.

Il y a tout de même un million d’employés qui sont visés par cette mesure législative, ce qui n’est pas négligeable. Le projet de loi aidera donc un grand secteur de la population active. Vous avez toutefois raison : nous espérons que ces prochaines étapes feront suite au projet de loi.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci d’être parmi nous, monsieur Jeneroux. Je constate qu’il y a plusieurs personnes qui pourraient ne pas bénéficier de cette mesure. Si l’on songe aux personnes qui occupent des emplois précaires et qui n’ont aucune protection conférée par les normes du travail, dans quelle mesure cette loi pourra-t-elle les aider?

[Traduction]

M. Jeneroux : Encore une fois, je pense que c’est la question fondamentale. Le projet de loi établit une norme d’un bout à l’autre du pays pour les employés qui sont régis par le Code canadien du travail. Or, ce n’est pas le cas des personnes dont vous parlez.

Dans le cadre du processus, j’aurais voulu que nous puissions modifier la loi sur l’emploi de l’Alberta, du Manitoba ou de l’Ontario afin de cibler un plus grand nombre de personnes. Nous ne pouvons toutefois pas le faire en tant qu’élus fédéraux. Toutefois, je peux vous assurer que nous avons déjà eu des échanges avec de nombreux homologues provinciaux, et j’espère que le changement sera apporté assez vite une fois que nous aurons terminé le processus.

Je sais que les intervenants du prochain groupe de témoins ont déjà commencé à travailler en ce sens, en particulier la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC. Les responsables ont exercé des pressions pour s’assurer que ce soit fait et que ces personnes soient incluses. En fin de compte, c’est exactement ce que nous voulons réaliser. Nous souhaitons que chaque Canadien puisse prendre le temps de vivre son deuil, au besoin.

La sénatrice Simons : Je vous remercie grandement de me permettre de remplacer la sénatrice Omidvar aujourd’hui.

Monsieur Jeneroux, vous et moi travaillons depuis longtemps à ce projet de loi. J’ai trouvé très intéressant de constater que la mesure cible non seulement les employés à temps plein, mais aussi les travailleurs à temps partiel, occasionnels et contractuels, et que ses bienfaits se multiplient si une personne est frappée par plusieurs décès ou pertes dans une année, comme beaucoup de gens cette année en raison de la COVID-19.

Je me demande si vous avez entendu des employeurs s’inquiéter du fait que le congé soit accordé aux travailleurs occasionnels et contractuels, ou que les gens puissent prendre plusieurs congés si un employé a le malheur de perdre ses deux parents au cours d’une même année. Avez-vous entendu des préoccupations relatives aux coûts?

M. Jeneroux : Je remercie la sénatrice. C’est comme si je revenais à l’époque où j’étais député provincial et que j’étais interrogé par la sénatrice, qui était alors journaliste. Comme toujours, vous posez des questions difficiles, madame la sénatrice.

Les gens ont souvent l’impression qu’un tas d’employés partiront soudainement en congé de décès, au détriment des milieux de travail. Je vais rapidement vous donner quelques chiffres. Il y a eu 284 000 décès au Canada en 2019. Il est difficile de savoir combien de personnes ont pris un congé ou en prendraient un, mais le nombre d’organisations qui en souffrent est largement théorique puisque tant d’employeurs offrent déjà des arrangements. Imaginez que vous allez voir votre employeur pour lui annoncer que vous avez perdu votre mari, votre grand-mère ou votre enfant. La plupart du temps, il vous dira de prendre le temps qu’il vous faut, puis que les détails seront réglés plus tard. Les employés sont invités à prendre congé.

Ce n’est toutefois pas vrai pour tous les employeurs, n’est-ce pas? Voilà pourquoi le congé de décès est aussi important. Il nous permet d’établir une norme que les employeurs s’efforceront de viser.

En ce qui concerne l’aspect économique de votre question, il est important de savoir que beaucoup d’employeurs — notamment les petites entreprises — trouveront considérable de perdre un employé pendant 5 ou 10 jours. Or, il est aussi important de souligner que de nombreuses personnes ne prennent pas le congé, ou décident en fin de compte qu’elles auraient peut-être dû le prendre. L’employé endeuillé porte un fardeau sur le plan de la santé mentale et subit un stress. Il pourrait y réfléchir peut-être six mois plus tard et se dire : « Vous savez, mon employeur n’a pas nécessairement été là pour moi. Je vais donc quitter mon emploi. » L’employé peut aussi décider de prendre des congés de maladie ou un congé sans solde plus tard.

L’aspect économique est vraiment difficile à quantifier à ce chapitre, car il y a tellement de cas où un employé qui ne se sent pas soutenu par son employeur décide de quitter son emploi. À ce moment, l’incidence sur l’employeur est beaucoup plus importante que s’il avait simplement autorisé le congé initial.

La sénatrice Moodie : Monsieur Jeneroux, ma question porte sur les personnes qui ont droit à ce congé de décès. En tant que néonatologiste, une médecin spécialisée dans les soins intensifs du nouveau-né, il n’est pas surprenant que je m’intéresse aux conditions extrêmes des nouveau-nés, et à l’extrémité du spectre de la vie. Est-ce qu’un bébé extrêmement prématuré de 22 semaines qui naît vivant, mais qui perd la vie serait admissible? Si un ou des parents perdent des jumeaux à des moments différents de la période néonatale, seraient-ils admissibles à deux congés cumulatifs? Enfin, une fausse couche est-elle considérée comme un décès? Comme vous le savez probablement, la Nouvelle-Zélande a récemment admis ce genre de situation, qui donne pleinement droit au congé de décès.

M. Jeneroux : Je vous remercie, sénatrice Moodie. Je tiens à vous remercier de ce que vous faites. Ma femme est chirurgienne généraliste. Elle voit des enfants à l’unité néonatale de soins intensifs ou ici, à l’hôpital pour enfants Stollery d’Edmonton, et l’incidence sur la famille est considérable. Je ne pourrais pas en être témoin. Encore une fois, je vous remercie de votre travail.

Madame la sénatrice, votre question comporte deux ou trois volets. En premier lieu, permettez-moi de simplement énumérer les personnes qui font partie de la famille immédiate, après quoi je parlerai de la Nouvelle-Zélande, car je pense que c’est important. À l’heure actuelle, aux fins du Code canadien du travail, un membre de la famille immédiate de l’employé qui donnerait droit à ce congé s’entend de son époux ou conjoint de fait; de son père ou de sa mère ou de leur époux ou conjoint de fait; de ses enfants ou des enfants de son époux ou conjoint de fait; de ses petits-enfants; de ses frères et sœurs; de ses grands-parents; du père ou de la mère de l’époux ou du conjoint de fait de l’employé, ou de leur époux ou conjoint de fait; de tout parent ou allié qui réside de façon permanente chez l’employé; et du conjoint de fait qui vit avec l’employé depuis au moins un an.

C’est ce que prévoit le Code canadien du travail. C’est différent de la portée de notre projet de loi, en quelque sorte. Nous n’avons pas l’intention de revoir la définition d’un membre de la famille.

La sénatrice Moodie : Je veux plutôt savoir quels critères font en sorte qu’un décès est admissible. Le congé est-il cumulatif si des jumeaux perdent la vie pendant la période néonatale? Est-ce que les parents ont droit à deux congés de décès ou à un seul?

M. Jeneroux : Le parent aurait certainement droit à deux congés, d’après ma compréhension de la loi, car l’employé n’est pas limité à un seul par année. Un parent de jumeaux ou de triplés serait donc admissible.

Pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande, je trouve que les mesures prises là-bas sont vraiment formidables. C’est arrivé alors que nous étions aux trois quarts de l’élaboration du projet de loi. Il en a été question lors d’une séance d’information technique avec le ministère, qui visait à évaluer la façon dont notre projet de loi pourrait intégrer les changements qui ont été apportés en Nouvelle-Zélande et ce que nous pourrions faire différemment. Le ministère a répondu qu’il existe essentiellement un énoncé de politique au sein du ministère qui définit la portée et décrit en détail chaque membre de la famille. Selon la politique, le ministère estime que les fausses couches jusqu’à un nombre de semaines que j’oublie sont admissibles et sont considérées comme des membres de la famille donnant droit à un congé.

Malheureusement, la portée de notre projet de loi n’est pas suffisante pour en arriver à la situation de la Nouvelle-Zélande, mais nous espérons que ce sera la prochaine étape pour améliorer le soutien qui est offert en cas de décès au pays.

La sénatrice Dasko : Merci, monsieur Jeneroux, d’être là aujourd’hui. J’aimerais vous demander un éclaircissement. Je voulais comprendre pourquoi les personnes en congé de soignant peuvent également se prévaloir de ce congé. Pourquoi avez-vous procédé ainsi? Pourquoi n’avez-vous pas simplement décidé de faire passer le nombre de jours de 5 à 10? Qu’est-ce que le congé de soignant ajoute à votre projet de loi, et pourquoi est-il structuré de cette façon? Pourquoi ne pas avoir choisi tout simplement d’ajouter cinq jours?

M. Jeneroux : Merci. Je vais vous raconter une histoire, sénatrice.

La sénatrice Dasko : Très bien. Je suis tout ouïe.

M. Jeneroux : Voici un peu comment le projet de loi a vu le jour. C’est, en quelque sorte, le fruit d’un cheminement. Le projet de loi a essentiellement démarré lorsque j’ai fait adopter la Compassionate Care Leave Act alors que j’étais député provincial en Alberta. Cette loi s’adressait aux aidants, et je voulais qu’une telle mesure législative soit également adoptée à l’échelle fédérale et qu’elle s’applique aux aidants après le décès d’un être cher, puisque les soins prodigués prennent fin au décès. Je voulais en étendre la portée. J’ai donc franchi les premières étapes, et nous avons terminé la deuxième lecture en nous entendant là-dessus. C’est ce que nous allions faire.

La sénatrice Dasko : Excusez-moi. Cela aurait été un congé payé, parce que le congé de soignant est payé dans le cadre du régime d’assurance-emploi, n’est-ce pas?

M. Jeneroux : Le congé de soignant est un congé payé jusqu’au décès d’un être cher, après quoi cela prend fin. Comme vous le savez, les projets de loi d’initiative parlementaire ne peuvent pas modifier le régime d’assurance-emploi. On ne peut donc pas demander au gouvernement de payer ce congé de cinq jours après le décès d’un être cher. Tout ce que nous pouvons modifier, c’est la durée de ce congé, qui relève du Code canadien du travail.

Après avoir étudié la question du congé de soignant et après avoir convenu de procéder ainsi, nous avons tenu une conversation, et c’est la raison pour laquelle j’attribue une grande partie du mérite à la ministre Tassi. Elle a expliqué que si nous nous en tenions uniquement au congé de soignant, seuls les aidants auraient droit aux cinq jours supplémentaires, mais que si nous élargissions le champ d’application du congé de décès, cela permettrait à tout le monde de s’en prévaloir.

Imaginez un décès tragique — un accident de voiture, un homicide — où vous n’avez pas le temps de jouer le rôle d’aidant, car le décès survient immédiatement; vous voudrez donc avoir droit à ce temps de congé. C’est pourquoi nous sommes passés du congé de soignant au congé de décès, et c’est essentiellement ce que prévoit le projet de loi, dans sa forme actuelle.

La sénatrice Dasko : Pourquoi la mention de congé de soignant est-elle toujours là? Pourquoi n’avez-vous pas carrément laissé tomber cet élément et fait passer le nombre de jours de 5 à 10 pour tout le monde, point final? Pourquoi cette disposition est-elle toujours là? Y a-t-il quelque chose qui m’échappe?

M. Jeneroux : Si vous prenez un congé de soignant, vous avez quand même droit à cet autre congé.

La sénatrice Dasko : Oui. Alors, pourquoi avez-vous dû l’ajouter au projet de loi?

M. Jeneroux : Je ne vois pas une telle disposition dans le projet de loi. Est-ce bien dans le projet de loi?

La sénatrice Simons : Je peux peut-être vous aider. À première vue, c’est seulement pour les personnes qui sont membres de la famille immédiate, mais le projet de loi permet également d’accorder un congé de décès aux gens qui ne sont pas membres de la famille immédiate, mais qui ont été désignés soignants. En effet, on peut parfois s’occuper d’une tante célibataire ou d’un meilleur ami. Lorsqu’on est en congé de soignant, on peut également se prévaloir d’un congé de décès, même si, techniquement, on n’est pas membre de la famille immédiate.

La sénatrice Dasko : J’essaie de comprendre pourquoi cet élément est là parce que pour moi, cela ne... je veux savoir si cela ajoute quelque chose ou non.

La présidente : Voulez-vous faire une observation supplémentaire, monsieur Jeneroux?

M. Jeneroux : Je crois que la sénatrice Simons l’a très bien expliqué. Vous avez raison, sénatrice : en effet, le congé de soignant est mentionné dans le sommaire. Vous avez raison, c’est là. Il s’agit simplement d’élargir l’admissibilité pour les personnes qui ont pris soin de quelqu’un ou qui ont vécu un tel incident tragique; tout le monde est maintenant inclus, au lieu de viser seulement le rôle de soignant. La raison pour laquelle nous en faisons mention, c’est pour les gens qui sont en congé de soignant ou en congé en cas de maladie grave relativement à la personne décédée, comme il est indiqué ici.

La sénatrice Dasko : Je suppose qu’il ne me reste plus de temps.

La présidente : En effet, mais nous allons recevoir un autre groupe. Vous pourrez peut-être demander d’autres précisions à notre prochaine invitée, car je veux m’assurer que nous aurons suffisamment de temps pour entendre notre prochain groupe. Ce que je vais faire — sauf si quelqu’un d’autre souhaite intervenir rapidement, ce qui n’est pas le cas —, c’est vous remercier, monsieur Jeneroux, d’avoir comparu devant nous. Merci de votre patience. Nous vous en sommes reconnaissants, et cela vaut aussi pour notre prochain groupe de témoins. Nous allons commencer tout de suite.

Nous accueillons deux représentants de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC : Patrice Lindsay, directrice du changement à l’échelle du système de santé, et Matthew Musgrave, spécialiste des relations gouvernementales et de la mobilisation du public. Nous recevons également Julie Kelndorfer, directrice des relations avec les gouvernements et la collectivité au sein de la Société canadienne de la sclérose en plaques.

J’invite Mme Lindsay et Mme Kelndorfer à faire leur exposé. Merci.

Patrice Lindsay, directrice, Changement à l’échelle du système de santé, Fondation des maladies du cœur et de l’AVC : Honorables sénateurs, je vous remercie de nous donner l’occasion de témoigner devant vous.

Je m’appelle Patrice Lindsay, et je suis la directrice du changement à l’échelle du système de santé auprès de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC. Je suis heureuse de vous parler aujourd’hui des raisons pour lesquelles notre organisation appuie le projet de loi C-220. Je suis accompagnée de Matthew Musgrave, notre spécialiste des relations gouvernementales.

Depuis plus de 60 ans, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC se consacre à la lutte contre les maladies du cœur et les accidents vasculaires cérébraux. Nous sommes l’un des principaux bailleurs de fonds des travaux de recherche en santé qui sauvent des vies au Canada. Nous nous employons à donner aux Canadiens les moyens de vivre en meilleure santé, notamment en favorisant le changement à l’échelle du système de santé et les pratiques exemplaires. Nous nous efforçons également d’appuyer les personnes aux prises avec des maladies du cœur ou des problèmes liés à un accident vasculaire cérébral, ainsi que les membres de leur famille et leurs aidants.

Par exemple, nous gérons deux groupes de soutien par les pairs en ligne qui permettent aux personnes souffrant de maladies du cœur, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs aidants, de mettre en commun leurs expériences, leurs conseils et leurs stratégies quant à la façon de gérer leurs problèmes de santé et de vivre avec leur maladie et, surtout, de se soutenir mutuellement lors des derniers jours, au moment du décès et peu après.

Nous créons et partageons des ressources spécialement destinées aux aidants, en mettant l’accent notamment sur l’accès aux prestations pour les survivants et les aidants, par l’entremise du Portail canadien en soins palliatifs.

Nous avons organisé de nombreux webinaires pour aider à éclairer et à informer les Canadiens au sujet de la façon de gérer l’état de santé des personnes à différents stades de la maladie. Par exemple, grâce à la récente transition vers les soins virtuels, nous avons fait beaucoup pour appuyer nos patients. La COVID-19 a obligé notre organisation, comme de nombreux autres organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé, à aider tout le monde à s’orienter dans un système de santé perturbé et à s’y retrouver dans le flot d’informations en matière de santé.

Depuis la création de notre organisation, le taux de mortalité attribuable aux maladies cardiaques et aux accidents vasculaires cérébraux a diminué de plus de 75 %. Cela dit, il y a encore beaucoup de travail à faire. En fait, aujourd’hui encore, toutes les cinq minutes, une personne au Canada meurt d’une maladie du cœur, d’un accident vasculaire cérébral ou d’un déficit cognitif d’origine vasculaire.

Chaque décès est tragique et exige une intervention empreinte de compassion de la part de tous les secteurs de la société, y compris du gouvernement. La prolongation du congé de décès donnera aux travailleurs plus de temps pour faire leur deuil, planifier les funérailles et régler les successions. Il y a quelques mois, j’ai perdu ma sœur à cause d’une maladie chronique et, personnellement, je comprends la valeur de ce temps supplémentaire pour prendre soin de soi et trouver des forces afin qu’une fois de retour au travail, on puisse y participer pleinement et concrètement.

Bien que le projet de loi ne s’adresse qu’aux employés des industries sous réglementation fédérale, son adoption aurait des répercussions dans tout le pays, comme l’a souligné plus tôt M. Jeneroux. Nous espérons que, dans le même esprit, tous les gouvernements provinciaux emboîteront le pas. Le projet de loi envoie également un message encourageant au secteur privé en soulignant l’importance d’accorder aux employés le temps dont ils ont besoin après le décès d’un être cher.

De plus, le projet de loi propose d’élargir l’admissibilité pour inclure les travailleurs en congé de soignant en cas de décès d’un de leurs proches. Cette mesure est absolument nécessaire après tout le temps qu’ils ont passé à prendre soin d’une personne.

Les accidents cardiaques et cérébrovasculaires graves peuvent toucher des familles entières. J’ai vu ce que cela fait aux familles et le stress que cela peut causer. Les changements physiques et émotionnels chez les aidants ne sont pas négligeables. Les partenaires de soins familiaux, en particulier les conjoints, jouent un rôle déterminant et ont besoin de ce temps pour s’en remettre. Trop souvent, les aidants subissent des répercussions financières, en plus des coûts physiques et émotionnels, notamment parce qu’ils doivent s’absenter beaucoup de leur travail.

La COVID-19 a créé un stress supplémentaire pour les personnes atteintes de maladies cardiaques et leurs aidants. Nous avons récemment mené un sondage auprès de 624 aidants, et 50 % d’entre eux ont reconnu que leur propre santé émotionnelle et physique était menacée et qu’ils étaient très inquiets. Plus d’un quart d’entre eux se sont dits préoccupés par leur situation financière, y compris leur capacité de répondre à leurs besoins fondamentaux en matière de nourriture et de logement stable.

Les aidants du Canada méritent un programme de congé de soignant qui accorde la priorité à leur santé mentale et qui leur permet de se concentrer sur leur rétablissement, sans avoir à craindre les problèmes financiers ou les pertes d’emploi.

Le projet de loi C-220 prévoit des mesures importantes pour améliorer le congé de soignant. Son adoption ouvrira la voie à d’autres améliorations, dont une bonification des prestations d’assurance-emploi. Honorables sénateurs, le projet de loi C-220 nous offre une occasion extraordinaire d’améliorer la vie de tous les Canadiens après le décès d’un être cher, y compris celle des aidants dévoués de notre pays.

Il faut saisir cette occasion avant que le Parlement s’ajourne pour l’été, au cas où des élections fédérales seraient déclenchées. Nous vous prions de faire tout en votre pouvoir pour adopter cette mesure législative avant les vacances d’été, faute de quoi nous risquons de perdre une occasion historique d’améliorer le congé de soignant au Canada pour les travailleurs sous réglementation fédérale.

Nous tenons à remercier le député Matt Jeneroux, la sénatrice Seidman et la sénatrice Simons de leur leadership dans ce dossier important. Merci de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Julie Kelndorfer, directrice, Relations avec les gouvernements et la collectivité, Société canadienne de la sclérose en plaques : Bonjour. Je m’appelle Julie Kelndorfer et je suis la directrice des relations avec les gouvernements et la collectivité pour la Société canadienne de la sclérose en plaques.

Je suis également l’une des 90 000 personnes atteintes de sclérose en plaques au Canada, un pays où le taux de sclérose en plaques est l’un des plus élevés au monde. Je suis heureuse de m’adresser à votre comité au sujet du projet de loi C-220, Loi modifiant le Code canadien du travail (congé de décès), et de vous présenter l’important point de vue des aidants qui sont touchés par la sclérose en plaques.

Pour remettre un peu les choses dans leur contexte, comme je l’ai dit, le Canada affiche l’un des plus hauts taux de sclérose en plaques au monde. On estime qu’un Canadien sur 400 vit avec cette maladie. Il s’agit d’une maladie chronique, épisodique, progressive et souvent invalidante qui cible le système nerveux central. Puisque cela comprend le cerveau, la moelle épinière et les nerfs optiques, la sclérose en plaques peut entraîner des troubles de la vision, de la mémoire, de l’équilibre et de la mobilité. Les femmes, comme moi, sont trois fois plus susceptibles d’être atteintes de cette maladie que les hommes. En moyenne, 12 Canadiens reçoivent un tel diagnostic chaque jour.

La sclérose en plaques a des répercussions sur tous les Canadiens, et pas seulement sur les personnes qui en souffrent. Leurs proches, leurs amis, leurs communautés et leur pays sont tous touchés par cette maladie. Les soins sont souvent prodigués par des conjoints, des mères, des pères, des enfants ou même des amis. Le rôle crucial d’aidant est indispensable non seulement pour la santé et la qualité de vie des personnes atteintes de sclérose en plaques, mais aussi pour notre système de santé.

Les aidants qui s’occupent de personnes aux prises avec la sclérose en plaques font partie des millions de Canadiens qui fournissent des soins essentiels aux membres de leur famille et à leurs amis atteints de maladies chroniques et de handicaps. Leur contribution se traduit, chaque année, par d’énormes économies pour les réseaux de la santé et des services sociaux. Toutefois, les difficultés auxquelles font face les aidants continuent d’augmenter en nombre et en complexité, et elles sont aggravées par les répercussions supplémentaires de la COVID-19.

Les aidants canadiens souffrent de plus en plus de stress chronique en raison des nouvelles responsabilités qui leur sont imposées. Malheureusement, ils sacrifient souvent leur propre santé pour remplir leur rôle essentiel. Les longues heures passées à fournir des soins et les semaines sans répit contribuent à des niveaux de stress élevés chez l’aidant, qui finit souvent par tomber malade. L’histoire de George en est un exemple.

Lorsque George a quitté son emploi pour s’occuper à plein temps de sa femme, il ne savait pas à quel point sa vie allait changer. Financièrement, tout allait bien, même s’ils ont dû réduire leurs dépenses. Il était fier de sa décision. Un an plus tard, George a fait une dépression. Certes, il aimait tendrement sa femme et ne regrettait pas sa décision, mais l’ambiance stimulante de son ancien travail lui manquait. Ses journées étaient remplies d’une routine incessante composée de prestation de soins et de tâches ménagères. Ses amis ne lui rendaient plus visite. Ayant perdu confiance en lui, George ne pouvait plus voir au-delà de son rôle d’aidant. Lui aussi avait été touché par les effets de la sclérose en plaques.

L’intensité des soins ne fait que s’accroître en fin de vie. Il est difficile de prédire la fin de vie des personnes aux prises avec la sclérose en plaques, ce qui place leurs aidants en situation précaire puisqu’ils ne sont pas en mesure d’accéder aux programmes d’aide, qui exigent que l’état médical du bénéficiaire soit grave et qu’il présente des risques de décès dans les 26 semaines. Ainsi, ce projet de loi, qui prolonge de la durée du congé de décès, apporterait une aide cruciale à tous les aidants qui sont en deuil d’une personne aux prises avec la sclérose en plaques.

S’il est adopté, le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code canadien du travail (congé de décès), prolongera de cinq jours non payés la durée du congé de décès auquel a droit un employé, en plus d’élargir l’admissibilité à ce congé à l’employé qui, au moment du décès d’un membre de la famille, est en congé de soignant pour prendre soin d’une personne malade. Ainsi, les employés auraient droit à deux semaines de congé non payées après un décès afin de pouvoir faire leur deuil et de prendre les dispositions nécessaires pour honorer le défunt.

Nous sommes parmi les quelques organismes qui représentent des patients et des aidants en faveur de ce projet de loi. Le deuil est déjà assez difficile sans en plus vivre l’inquiétude du retour au travail avant d’y être prêt. Les aidants doivent déjà gérer les contraintes physiques, affectives et financières de leurs responsabilités, et encore plus de difficultés physiques et affectives après le décès de leur proche. Alors que tant de Canadiens ont perdu au moins un proche en raison de la pandémie de COVID-19, nous jugeons essentiel de prolonger ce soutien.

La Société canadienne de la sclérose en plaques salue toutes les personnes qui ont participé à ce projet de loi d’initiative parlementaire, y compris le leadership du député Matt Jeneroux, de l’honorable sénatrice Seidman et de l’honorable sénatrice Simons. Leur volonté de soutenir les aidants, surtout à un moment si difficile de leur vie, est plus que bienvenue.

Il est important de souligner que ce projet de loi a reçu l’appui de tous les partis pendant le débat à la Chambre des communes. Il est vital de soutenir les aidants si nous voulons consolider le tissu social de toutes nos collectivités et répondre aux besoins des Canadiens, y compris les personnes aux prises avec la sclérose en plaques, soit directement ou à titre d’aidant ou de membre de la famille.

Je vous remercie très sincèrement de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui. J’espère que vous appuierez ce projet de loi et que le processus législatif sera rapidement complété afin de reconnaître l’importance des aidants, leurs besoins et le rôle essentiel qu’ils jouent dans notre pays.

Merci.

La présidente : Merci à vous deux pour vos allocutions qui nous aideront à bien comprendre ce que ce projet de loi peut faire et, espérons-le, fera.

La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier les deux témoins. Vous avez énoncé votre position de façon claire et avec force, connaissances et sollicitude. Comme l’a dit M. Jeneroux, il s’agit d’un projet de loi que j’appuie sans la moindre réserve, et vous ne seriez probablement pas surpris d’apprendre le très grand nombre de Canadiens qui vivent les circonstances que vous venez d’évoquer.

Je n’ai pas de question. Je souhaitais simplement offrir ces remerciements.

Le sénateur R. Black : L’un ou l’autre des témoins peut répondre à ma question. La grande majorité des Canadiens ne travaillent pas dans des secteurs sous réglementation fédérale, ce qui signifie qu’ils ne bénéficieront pas des changements proposés par cette mesure législative. Est-ce que l’un de vous, ou vous deux, pouvez expliquer ce que vos organismes cherchent à obtenir pour veiller à ce que tous les Canadiens puissent se prévaloir de ce congé à l’avenir? Quelles sont vos attentes pour l’avenir? Merci.

Mme Kelndorfer : Comme l’a dit M. Jeneroux, il s’agit de mener par l’exemple. Modifier le Code canadien du travail est un geste qui aurait une incidence marquée sur les provinces et, je crois, sur tous les employeurs. En tant qu’intervenants, nous sommes en partie responsables d’assurer la diffusion de ce message dans les provinces, ainsi que chez les employeurs. Les chambres de commerce sont d’excellents points d’accès à cet égard. Ce ne sont là que quelques exemples de nos plans à venir.

Matthew Musgrave, spécialiste, Relations gouvernementales et mobilisation du public — Canada, Fondation des maladies du cœur et de l’AVC : Merci beaucoup pour votre question, monsieur le sénateur. Comme ma collègue l’a mentionné dans son allocution, je vois ce projet de loi comme un pas de plus dans la bonne direction. Bien qu’il porte sur les secteurs sous réglementation fédérale, nombre des provinces et territoires, comme l’a exposé M. Jeneroux, chercheront à adopter des amendements semblables et à veiller à ce que leur législation du travail soit conforme à ce type de normes. C’est un pas important et quelque chose que beaucoup d’organismes en santé, y compris la Fondation des maladies du cœur de l’AVC, peuvent favoriser.

Il y a aussi le secteur privé, un autre aspect abordé par ma collègue de la Société canadienne de la sclérose en plaques. Ce projet de loi est l’occasion d’entamer une conversation dans les milieux de travail sur ce que nous pouvons faire pour soutenir les personnes qui vivent un décès, ce qui est toujours difficile, et pour soutenir les travailleurs qui sont aussi des aidants. Nous constatons qu’il y a bien des personnes qui travaillent à temps plein et à temps partiel qui sont aussi des aidants dans leur temps libre, et le travail qu’elles accomplissent est remarquable. Il est si difficile d’en calculer les avantages.

Je crois que c’est un pas dans la bonne direction ainsi que la première de nombreuses autres occasions d’améliorer graduellement la situation, mais nous sommes tout à fait en faveur de ce projet de loi. C’est une mesure législative significative et quelque chose que, nous l’espérons, vous pourrez tous appuyer. Merci.

Le sénateur R. Black : Merci. C’est bon de vous revoir, monsieur Musgrave.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. C’est agréable de revoir toutes les personnes que j’ai rencontrées ces dernières semaines. Merci beaucoup d’être là aujourd’hui et d’apporter un appui si vigoureux au projet de loi C-220 tout au long de ce processus législatif.

J’aimerais revenir à la question de la sénatrice Dasko, à savoir que ce projet de loi n’accorde pas un congé de décès seulement aux membres de la famille immédiate, mais aussi aux membres de la famille élargie qui peuvent avoir été désignés soignants. Vu votre expertise dans le secteur des soins compatissants, je me demande si vous pourriez nous expliquer pourquoi vous estimez important que ce projet de loi ne vise pas uniquement les membres de la famille immédiate et habituelle.

Mme Lindsay : C’est tellement important. Je le sais d’expérience, puisque je suis la principale aidante de mes voisins, un couple d’aînés italiens, dont les enfants ne vivent pas à proximité. Chaque jour, je consacre des heures à leur bien-être. S’ils meurent, par définition, je ne fais pas partie de la famille immédiate du couple, mais les soins que je leur prodigue m’affectent. Beaucoup de personnes que nous connaissons vivent seules. Quand on pense aux maladies cardiaques et à l’AVC, beaucoup de femmes vivent seules parce qu’elles ont survécu à leur mari. D’autres viennent prendre soin d’elles et tissent des liens avec elles. Ces personnes devraient donc avoir le droit de faire leur deuil et obtenir le temps nécessaire pour ce faire, car elles sont tout aussi affectées. L’amour qu’elles portent à quelqu’un n’est pas amoindri parce qu’il ne s’agit pas d’un membre de leur parenté ou de leur famille immédiate tel que défini par la loi sur le travail.

Nous estimons qu’il est important que vous reconnaissiez ces relations de même que les soins et la sollicitude prodigués à ceux qui ne sont pas des membres de la famille immédiate; ces aidants devraient eux aussi obtenir le temps et le soutien nécessaires.

La sénatrice Simons : Donc, pour confirmer, vous ne seriez pas admissible à ces mesures. Elles ne visent que la personne qui a déjà été désignée soignant. Je ne veux pas qu’il y ait de malentendu. On vise ce très petit groupe de personnes qui pourraient déjà avoir obtenu un congé pour s’occuper d’un proche qui ne fait toutefois pas partie de sa famille immédiate.

Mme Lindsay : Tout à fait. Et leur rôle ne s’arrête pas la minute où ce proche décède. Elles doivent porter toute cette émotion, tout ce bagage, et devraient obtenir le temps nécessaire pour ce faire.

La sénatrice Simons : Madame Kelndorfer, souhaitiez-vous répondre à cette question?

Mme Kelndorfer : Merci, sénatrice Simons. Je suis d’accord : si quelqu’un assume un rôle d’aidant à long terme, par exemple en prenant un congé de soignant, que ce soit ou non pour soutenir un membre de sa famille immédiate, cette personne doit avoir le temps de faire son deuil.

Dans le cas d’une maladie comme la sclérose en plaques, qui est de longue durée, les aidants prennent toutes sortes de formes, comme je l’ai dit. Un congé de soignant peut être demandé par un conjoint, mais aussi un ami ou un ami de longue date. Ils auraient aussi accès à cette mesure, qui est si importante pour les aidants et leur apporte tant de soutien. Comme nous en avons discuté, il s’agit d’un texte beaucoup plus inclusif. Je crois que c’est la pièce maîtresse des discussions sur le congé de décès.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup à vous deux.

La sénatrice Forest-Niesing : J’ai une question rapide pour vous deux sur la mise en œuvre future de ces dispositions et sur votre participation, le cas échéant, dans le cadre du plan de communication. Quand un décès survient, vous vous concentrez essentiellement sur ce qu’il faut faire et sur votre deuil, donc vous ne cherchez pas de ressources. Je me demande de quelle façon vous veillez à ce que tout cela soit bien communiqué et à ce que les gens sachent qu’ils ont accès à ces avantages.

Mme Kelndorfer : Merci beaucoup pour vos remarques et votre question. C’est un élément important, car orienter les aidants est un rôle de premier plan. Dans le cas d’un organisme comme la Société canadienne de la sclérose en plaques, nous offrons ce que nous appelons un service d’orientation, c’est-à-dire un réseau de connaissances qui transmet ces ressources. Nous avons aussi un réseau d’aidants. Ces personnes au sein notre communauté se qualifient d’aidants, donc elles obtiennent nos communications.

De nos jours, les médias sociaux constituent également un volet de nos communications. Nous avons créé des groupes de soutien sur Facebook, Twitter, Instagram et toutes sortes d’autres plateformes. Nous offrons aussi un programme de soutien par les pairs lié à d’autres groupes. Il est important de transmettre ces renseignements à tous les membres de la communauté de la sclérose en plaques. Et je vous dirais aussi au-delà de celle-ci; nos organismes sans but lucratif en santé forment aussi une coalition plus large.

Mme Lindsay : J’abonde dans le même sens. Nous participons aux délibérations de beaucoup de coalitions. Bien que nous soyons ici en compagnie de la Société canadienne de la sclérose en plaques aujourd’hui, nous représentons un groupe beaucoup plus large d’organismes sans but lucratif en santé qui interagissent avec les aidants.

Dans le cas de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, nous avons des communautés en ligne. Nous y soulevons sciemment ces questions. Sur notre site web, nous avons des dossiers de ressources qui précisent ce qui est présent dans la communauté, et ces ressources y seront ajoutées. Nous soulevons la question dans beaucoup de forums différents. J’interagis avec les aidants constamment. Chaque jour, je parle à au moins un ou deux d’entre eux, et nous abordons cela dans notre conversation. Nous allons travailler avec d’autres organismes sans but lucratif en santé et avec nos partenaires pour accroître les efforts de communication. Nous sommes également en contact avec plusieurs groupes menés par des patients, comme la HeartLife Foundation, en Colombie-Britannique, au sein desquels nous pouvons activement promouvoir ces ressources et leur demander de les diffuser. Il s’agit d’un réseautage de grande portée aux ramifications multiples.

La sénatrice Moodie : Je voulais ajouter une question à celle de la sénatrice Forest-Niesing.

Qu’avez-vous en place pour cibler des groupes en particulier, des groupes qui doivent surmonter des problèmes de langue ou qui ont des besoins propres à leur culture, bref, comment faites-vous pour leur transmettre cette information et à quel point est-elle accessible à ces groupes? Est-ce un aspect que nous pouvons améliorer, c’est-à-dire diffuser des renseignements sur ces ressources au bon moment et de manière accessible?

Mme Lindsay : Pour être franche, c’est un défi colossal. Merci beaucoup de soulever la question. Je crois que nous devons tous y travailler davantage.

Nous avons certes d’excellents liens avec les communautés sud-asiatiques et autochtones. Nous continuons de cultiver nos relations avec diverses communautés des Premières Nations. Nous allons prendre ces renseignements et discuter avec elles pour concevoir ensemble les messages et leur formulation. Nous ne pouvons pas simplement les leur soumettre. Nous devons veiller à ce que ces messages soient ancrés dans la culture. Donc, nous allons lancer ces conversations.

C’est difficile pour nous tous. Je ne crois pas que quiconque puisse affirmer avoir perfectionné cet art. Mais nous nous sommes engagés à saisir ces occasions et à trouver une façon adéquate de procéder.

Mme Kelndorfer : Je suis d’accord avec Mme Lindsay. En outre, nos cliniciens figurent parmi les autres intervenants dans nos collectivités. Donc, nous leur transmettons ces renseignements, de même qu’à leur lieu de travail et à leurs collègues du milieu de la santé. Ils forment une importante structure de communication à notre disposition.

Il y a des coalitions d’aidants dans toutes les provinces et tous les territoires, et elles font aussi partie de notre stratégie de communication. Il va sans dire que c’est une question importante et un secteur où les besoins sont énormes.

La présidente : Aucun autre collègue ne semble avoir de question. Si c’est le cas, je souhaite remercier les témoins pour leur patience au début de notre réunion, qui a été légèrement retardée. Mais surtout, je vous remercie pour votre travail sur ce projet de loi et pour tout ce que vous faites. Votre participation nous aura grandement aidés à comprendre ce projet de loi.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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