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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, mercredi 16 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (rémunération pour les œuvres journalistiques) et, à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (futurs travaux).

Le sénateur Michael L. MacDonald (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Michael MacDonald, sénateur du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, et président du comité. Aujourd’hui, cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications se fait en vidéoconférence. Les participants sont invités à désactiver leur microphone en tout temps à moins que le président ne leur donne la parole nommément, et il leur incombe de l’activer et de le désactiver pendant la réunion.

Avant de parler, veuillez attendre qu’on vous donne la parole. Je vais prier les sénateurs d’utiliser la fonction « main levée » pour demander la parole. Quand vous avez la parole, veuillez attendre quelques secondes pour laisser le signal audio vous capter. Parlez lentement et clairement et n’utilisez pas de téléphone mains libres.

J’invite également les membres du comité à s’exprimer dans la langue qu’ils ont choisi d’écouter. Si vous avez choisi d’écouter l’interprétation en anglais, parlez seulement en anglais. Si vous avez choisi d’écouter l’interprétation en français, parlez seulement français. Si vous n’utilisez pas le service d’interprétation, vous pouvez parler dans l’une ou l’autre langue, mais évitez de passer d’une langue à l’autre dans la même intervention.

En cas de problème technique, notamment du côté de l’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière; nous tâcherons de trouver une solution. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec la greffière du comité au numéro d’assistance technique fourni. Veuillez noter que nous devrons peut-être suspendre la séance dans ce cas, car nous devons veiller à ce que tous les membres puissent participer pleinement.

Enfin, j’aimerais rappeler à tous les participants que les écrans Zoom ne doivent pas être copiés, enregistrés ou photographiés. Vous pouvez utiliser et partager les délibérations officielles affichées sur le site web SenVu.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (rémunération pour les œuvres journalistiques). Nous accueillons M. Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, M. Jamie Irving, président de Médias d’info Canada, et M. Kevin Chan, directeur des politiques, Canada, chez Facebook.

Je remercie nos témoins de leur présence parmi nous ce soir. J’invite M. Geist, M. Irving et M. Chan à faire leur exposé préliminaire, après quoi les membres du comité leur poseront des questions.

Monsieur Geist, nous allons commencer par vous. Vous avez la parole, monsieur.

Michael A. Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet du commerce électronique, Faculté de droit, Section de la common law, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. Je remercie le comité de son invitation. Bonsoir. Comme vous venez de l’entendre, je m’appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique; je suis également membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Je comparais à titre personnel et je ne représente que mon propre point de vue.

Je tiens à remercier le comité de m’avoir invité à témoigner au sujet du projet de loi S-225, qui soulève des questions d’une importance cruciale dans l’ordre de la politique nationale et qui me donne l’occasion de parler d’autre chose que d’un certain projet de réforme de la Loi sur la radiodiffusion.

La sénatrice Simons apparaît dans mon balado cette semaine et elle fait remarquer à juste titre que, quelle que soit l’opinion qu’on ait de ce projet de loi, il a déclenché des discussions et un débat public sur l’avenir des médias et du journalisme au Canada, et c’est quelque chose que nous devrions tous accueillir favorablement.

Cela dit, je suis ici aujourd’hui pour critiquer le projet de loi, que je considère, en tout respect, comme une incursion malavisée dans la réforme du droit d’auteur. Premièrement, je crois qu’il y a malentendu au sujet de la technologie et que ce projet de loi ne règle pas du tout le vrai problème. Des plateformes comme Facebook et Google comprennent des hyperliens, parfois accompagnés du titre ou d’une courte notice extraite de l’article auquel renvoie le lien. Le projet de loi S-225 ne toucherait pas à ces utilisations concrètes puisqu’il exclut les hyperliens et se limite à l’œuvre ou à une partie importante de celle-ci. Je dois préciser que la solution n’est pas d’élargir la portée du projet de loi pour couvrir les hyperliens, car cela irait à l’encontre non seulement de la loi en vigueur, mais compromettrait la liberté d’expression en limitant la possibilité de citer d’autres œuvres.

Deuxièmement, même si une notice était considérée comme une partie importante de l’œuvre, la Loi sur le droit d’auteur s’y appliquerait et exigerait soit une licence, soit que l’œuvre soit visée par une exception comme celle de « l’utilisation équitable », que la Cour suprême du Canada, comme vous le savez, juge être un droit de l’utilisateur. En l’occurrence, je pense qu’on peut sérieusement considérer qu’il s’agirait d’une utilisation équitable dont la Commission du droit d’auteur serait dans l’obligation de tenir compte dans son évaluation, ce qui laisserait peu de place à une rémunération.

Troisièmement, la proposition ne tient pas compte du fait que beaucoup des articles publiés sur les plateformes sont affichés par les médias eux-mêmes. Le fait de rémunérer ces organisations pour les articles qu’elles publient créerait une drôle de dynamique qui leur permettrait de garantir effectivement un paiement par l’entremise de leurs propres publications sur les médias sociaux. Ces publications, qui sont assujetties à un contrat de licence que l’organisation elle-même accepte, ne devraient pas faire l’objet d’une rémunération et devraient également être exclues par la Commission.

Quatrièmement, la Commission du droit d’auteur est connue pour bien des choses, mais pas pour la rapidité de ses procédures. Il faudra des années d’audiences et de litiges pour imposer un nouveau tarif à la Commission, et la rémunération, minime si tant est qu’il y en ait une, devra attendre la deuxième moitié de la décennie en cours.

En dehors de mes préoccupations au sujet du projet de loi S-225, je m’inquiète plus généralement de l’intervention du gouvernement dans ce dossier. Je ne veux pas dire qu’il ne devrait pas appuyer ce secteur. Au contraire. Le secteur a exercé de fortes pressions pour obtenir l’aide du gouvernement et il l’a obtenue sous la forme de centaines de millions de dollars injectés dans des programmes et des allégements fiscaux. Les programmes mis en œuvre — l’Initiative de journalisme local, le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne et le crédit d’impôt pour les abonnements aux nouvelles numériques — donnent espoir, à condition qu’ils restent neutres et ne favorisent pas les entreprises classiques au détriment des nouveaux services novateurs.

Cela dit, les nouveaux appels à l’intervention gouvernementale, qu’il s’agisse de mesures législatives ou d’une intervention dans l’octroi de licences négociées, ont jusqu’à maintenant fait plus de tort que de bien. Quand le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault affirme qu’il est « immoral » d’associer des articles à des médias sociaux, même s’il fait de la publicité sur ces plateformes et qu’il y met régulièrement des liens vers des articles en ligne, le message est que l’intervention du gouvernement est en route.

Cela fait du tort à bien des égards : premièrement, il y a de nombreuses ententes au Canada, notamment avec certains membres de Médias d’info Canada. L’idée que Le Devoir pourrait conclure une entente, mais pas le Toronto Star est absurde. Certaines organisations espèrent que le gouvernement interviendra et qu’elles obtiendront ainsi une meilleure entente, mais les délais sont en fin de compte des buts contre leur propre camp et nuisent au secteur en cette période difficile.

Deuxièmement, la menace d’une intervention gouvernementale risque d’entraîner un processus d’autocensure parmi les médias canadiens. De fait, j’ai pu constater au cours de la dernière année que des organisations ont décidé de ne pas publier d’articles d’opinion dûment approuvés qui critiquaient le ministre Guilbeault, laissant le sentiment non équivoque que critiquer le ministre le plus susceptible d’intervenir au nom du secteur n’était pas bon pour les affaires.

Troisièmement, ce brouillage entre l’éditorial et le commercial se produit ailleurs aussi. Je crois que les campagnes de lobbying nuisent à la crédibilité des médias canadiens qui consacrent leur une à des articles de lobbying qui n’intéressent pas les abonnés, mais qui compromettent la crédibilité et l’impartialité des publications elles-mêmes.

Quatrièmement, les politiques visent invariablement à protéger les entreprises classiques au détriment des nouvelles entreprises novatrices qui trouvent d’autres façons de présenter les nouvelles et créent de nouveaux modèles d’affaires. Soutenir le secteur est une chose, mais créer des obstacles à l’innovation en est une tout autre. Il faut prendre garde de ne pas nuire à la santé à long terme du journalisme au Canada en étant trop pressés d’aider le secteur — et j’insiste encore une fois sur le fait que l’aide est une bonne chose. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Geist. Nous allons maintenant entendre M. Irving.

Jamie Irving, président, Médias d’info Canada : Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner ce soir.

Selon Médias d’info Canada, les pratiques monopolistiques de Facebook et de Google ont entraîné une défaillance du marché pour les médias d’information au Canada et à l’étranger. Facebook et Google ont enregistré des revenus mondiaux de 108 milliards de dollars canadiens et 230 milliards de dollars canadiens respectivement en 2020. Au Canada, les revenus de Facebook se chiffrent à 3 milliards de dollars et ceux de Google à 5 milliards de dollars. Ils refusent pourtant de payer équitablement les éditeurs de nouvelles.

Plus de 80 % des recettes publicitaires en ligne au Canada ont été englouties par deux entreprises, Facebook et Google. Les emplois dans les chaînes de nouvelles et les journaux locaux disparaissent en raison des pratiques monopolistiques de Google et de Facebook.

Le rôle des journalistes est menacé au Canada. Les emplois dans les chaînes de nouvelles et les journaux locaux disparaissent. Les membres de Médias d’info Canada emploient plus des deux tiers des journalistes canadiens. Sans un meilleur accès aux recettes publicitaires en ligne, les éditeurs estiment que leurs pertes sont de l’ordre de 5 à 600 millions de dollars par an, tandis que leurs revenus sont passés de 5 milliards de dollars en 2008 à 1,7 milliard de dollars en 2020. Notre secteur d’activité est passé de 5 milliards de dollars à 1,7 milliard de dollars, et nous prévoyons des pertes globales d’environ 500 millions de dollars par an.

Médias d’info Canada préconise une solution stratégique qui n’exige pas d’investissement du gouvernement ou des consommateurs. Les gouvernements, les entreprises et la population sont au fait des actions négatives des géants du Web, et la population est très favorable aux mesures prises par le gouvernement. L’objectif est de remédier aux défaillances du marché causées par Facebook et Google et de soutenir les emplois des journalistes.

Le Canada et d’autres pays ont envisagé diverses solutions, dont une loi pour faire respecter les négociations collectives et les négociations fondées sur les conditions du marché, une loi sur le droit d’auteur, la création d’un nouveau fonds pour soutenir le journalisme, et la taxation des plateformes technologiques et des plateformes web mondiales.

Les organisations de Médias d’Info Canada ont envisagé de nombreux modèles stratégiques et recommandé la meilleure approche pour tous les éditeurs, quelles que soient leur importance et leur localisation. Une solution à long terme serait la création d’une loi sur les plateformes numériques pour faire respecter les négociations collectives et les négociations fondées sur les conditions du marché entre les éditeurs et les géants du Web.

La nouvelle loi créera un régime de licences dans le cadre duquel les éditeurs pourront négocier une rémunération équitable avec arbitrage exécutoire entre eux et les géants du Web.

Les médias produisant des nouvelles quotidiennes, régionales, communautaires et ethnoculturelles représentent plus de 90 % du lectorat de nouvelles, et tous leurs éditeurs recommandent une loi sur les plateformes numériques.

Les radiodiffuseurs, privés et publics, recommandent une loi et préfèrent cette approche à la création d’un fonds. Unifor et les innovateurs technologiques comme Microsoft appuient également l’approche législative.

Les gouvernements de l’Australie, du Royaume-Uni, de l’Union européenne et de la France appuient tous la solution législative. L’Australie a adopté un régime de licences permettant aux éditeurs de négocier directement avec Facebook et Google. Le président du bureau de la concurrence de l’Australie estime que cette loi est un succès. Les éditeurs ont négocié des contrats à long terme de grande envergure pour leur contenu. Le Financial Times fait état d’environ 200 millions de dollars américains par an pour un pays dont la population équivaut aux deux tiers de celle du Canada. Le gouvernement de l’Australie a adopté une loi exigeant que les plateformes du Web négocient des ententes de rémunération, et elles ont obtempéré. Ces dispositions sont liées au nombre de journalistes à temps plein employés par l’organisation.

Si elle est adoptée au Canada, notre recommandation contribuera à inverser la tendance au déclin des emplois en journalisme et à garantir la mise en ligne des nouvelles. Les membres de Médias d’info Canada sont prêts à s’engager à ce que toute rémunération versée par les plateformes serve uniquement au financement des salles de presse.

Une dernière remarque. J’aimerais souligner que les nouveaux médias ne prospèrent pas, eux non plus, dans cet écosystème. Récemment, HuffPost Canada a cessé ses activités. Les nouvelles entreprises de médias comme Vox Media et Buzzfeed sont toutes en difficulté dans le contexte actuel. Nous sommes convaincus qu’il y a beaucoup à faire pour réglementer les plateformes, mais il faut commencer par l’accès aux marchés de la publicité numérique et par un accès équitable au marché. C’est là que se trouve, à notre avis, le problème de fond.

Merci beaucoup du temps que vous nous accordez ce soir.

Le président : Merci, monsieur Irving.

Pour terminer, la parole est à monsieur Chan.

Kevin Chan, directeur des politiques, Canada, Facebook : Merci, monsieur le président et distingués sénateurs, de m’avoir invité à votre réunion. Je suis désolé de ne pas avoir pu comparaître la semaine dernière, mais nous nous étions engagés depuis longtemps à accueillir certains de nos partenaires de News Innovation Test au gala de la Fondation pour le journalisme canadien, la FJC, et à fêter Indiegraf, qui a remporté le Journalism Project Digital News Innovation Award de la FJC et Facebook.

[Français]

Il est important de préciser que Facebook reconnaît que ces temps difficiles ont un impact très négatif sur l’industrie médiatique canadienne. Les deux dernières décennies, au cours desquelles les consommateurs ont changé de comportement, passant de l’imprimé à l’Internet, ont été très dures pour les médias.

[Traduction]

Personnellement, je suis attaché à l’extraordinaire valeur des journaux. Il y a de nombreuses années, avant de travailler pour Facebook, j’étais pigiste et j’ai rédigé des éditoriaux, des essais et des critiques de livres pour le Globe and Mail et pour l’Ottawa Citizen. J’en garde beaucoup de bons souvenirs.

Facebook travaille directement avec les éditeurs canadiens de nouvelles, grands et petits, pour les aider à maximiser la valeur des outils gratuits que Facebook leur offre. Cela comprend la distribution gratuite des liens qu’ils partagent sur Facebook, qui permet de les envoyer directement aux gens sur leur site web et qui représente une valeur de l’ordre de millions de dollars par an pour le seul secteur canadien de l’information. Jeff Elgie, président et directeur général de Village Media à Sault Ste. Marie et membre de Médias d’info Canada, estime qu’au cours du seul mois de janvier 2021, Facebook et Google ont été à l’origine de 24 millions de vues de pages pour Village Media, et ce à titre gratuit, ce qui, selon lui, représente environ 480 000 $ pour son entreprise.

Nous sommes allés plus loin en investissant directement 18 millions de dollars sur sept ans dans des partenariats et des programmes visant à appuyer l’élaboration de modèles d’affaires durables pour les médias canadiens. J’aimerais vous en donner trois exemples.

Tout d’abord, l’un de nos investissements importants est la Bourse en journalisme de Facebook-Presse canadienne, créée en 2020 dans le cadre d’un programme de 1 million de dollars visant à ouvrir huit nouveaux postes de journalistes locaux au Canada. La PC publie ses articles sur son service de télédistribution, ce qui permet aux articles des boursiers d’être distribués à plus de 1 000 médias d’information canadiens de son réseau, dans les deux langues officielles. En mars dernier, nous avons annoncé le renouvellement de ce programme pour une période de trois ans. Pas plus tard qu’hier, dans le cadre du Mois national de l’histoire autochtone, nous avons eu le plaisir de présenter deux nouveaux stagiaires autochtones à la PC, qui apporteront une nouvelle diversité à la salle des nouvelles et feront passer à 10 le nombre total de stagiaires dans ce domaine.

Deuxièmement, il y a les subventions locales de Facebook aux éditeurs. Pour la COVID, nous avons annoncé en avril 2020 des subventions s’élevant à 1 million de dollars pour aider les organisations de nouvelles locales canadiennes et américaines qui couvrent le coronavirus. Quatre-vingt-un éditeurs canadiens ont reçu chacun une subvention de 5 000 $ pour couvrir les coûts imprévus associés à la production d’articles sur la crise dans leurs collectivités, dont The Coast, Halifax Weekly; Temiskaming Printing de New Liskeard, en Ontario; La Gazette de la Mauricie de Trois-Rivières; Autour de l’île de Saint-Pierre de l’Île d’Orléans; Clark’s Crossing Gazette de Warman, en Saskatchewan; Le Franco d’Edmonton et le Medicine Hat News.

Le troisième et dernier investissement est le Programme Accélérateur de Facebook, qui aide les éditeurs de médias d’information à faire la transition vers le numérique et à bâtir ainsi des entreprises durables. Depuis mai 2019, 18 éditeurs canadiens ont participé au Programme Accélérateur de Facebook, dont Postmedia Network Inc., The Globe and Mail Inc., La Presse, Northern News Services Ltd. et Brunswick News Publishing Co.

Au début du mois, nous avons annoncé des arrangements commerciaux accompagnés de rémunération avec 14 éditeurs de nouvelles pour notre News Innovation Test, une nouvelle initiative qui s’ajoute aux 18 millions de dollars d’investissements dont j’ai parlé tout à l’heure. Les éditeurs participants représentent un large éventail de médias canadiens, de toutes les régions du pays, et notamment des journaux à publication d’abord numérique et des journaux traditionnels dans les deux langues officielles. Ce sont le journal Le Devoir, l’éditeur de Winnipeg Free Press et ancien président de Médias d’info Canada, la Coopérative nationale de l’information indépendante, l’éditeur des journaux Le Soleil et Le Droit et du Canada’s National Observer.

Dans le cadre de ce programme, nous paierons les éditeurs participants pour leur permettre de créer des liens vers d’autres articles qui ne sont pas déjà affichés sur Facebook, et cela nous aidera à tester des façons d’améliorer l’expérience des éditeurs et des Canadiens sur la plateforme. Il se pourrait qu’on ajoute d’autres liens vers des sites de Facebook comme le Centre d’information sur la COVID-19 ou le Centre d’information sur les sciences du climat et, au fil du temps, d’autres nouvelles surfaces ou nouveaux scénarios d’utilisation.

Je tiens à préciser ce que ces types de partenariats rémunérés ne sont pas. À l’heure actuelle, quand les Canadiens voient des nouvelles sur Facebook dans leurs flux, ils voient généralement un court aperçu publié par les éditeurs eux-mêmes, puis un lien les dirigeant vers le site web de l’éditeur. Nous ne payons pas les éditeurs pour partager ce genre de contenu sur Facebook, et cela ne change pas dans le cadre du programme News Innovation Test. Ils décident de le faire parce que c’est inducteur de valeur.

Comme on l’a vu, Village Media évalue ce type de circulation gratuite à près d’un demi-million de dollars en un seul mois. Il y a aussi le Globe and Mail, qui a enregistré une croissance record des abonnements numériques en 2020, en partie en combinant sa plateforme d’intelligence artificielle et ses stratégies de publication avec les outils de Facebook.

Distingués sénateurs, je me ferai un plaisir de vous faire parvenir une étude de cas que nous avons publiée dans le Globe and Mail, si vous souhaitez en prendre connaissance par la suite.

Concernant le projet de loi S-225, je crois que des sénateurs et des témoins antérieurs ont déjà fait preuve d’une grande rigueur en signalant et en évaluant ses faiblesses. J’ajouterais simplement que Facebook prend très au sérieux les droits de propriété intellectuelle. Les articles portant atteinte au droit d’auteur sont des violations de nos normes, et nous les retirons de notre plateforme dès réception d’un rapport valide d’un titulaire de droits.

[Français]

En conclusion, trouver un moyen durable et équitable de favoriser un écosystème médiatique solide au Canada exige de la bonne volonté et de la coopération entre les éditeurs de toutes tailles, les plateformes numériques, le gouvernement et les personnes qui valorisent les nouvelles et sont prêtes à payer pour les obtenir. Facebook peut jouer un rôle dans ce domaine, mais ne peut pas le faire seul. Il est temps de se rassembler pour faire en sorte que le journalisme soit placé sur une voie durable à long terme.

[Traduction]

Sur ce, monsieur le président, je serai heureux de répondre aux questions du comité.

Le président : Merci, monsieur Chan. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Dawson : Comme nous n’avons pas le temps, je vais abréger mon histoire.

Monsieur Irving, je me souviens de l’époque où l’empire Irving était jugé trop gros quand il a comparu devant les comités parlementaires, il y a 30 ans. Les temps ont donc changé.

Cela dit, pouvez-vous expliquer au comité pourquoi certains éditeurs ont signé des ententes avec Facebook pour la rémunération du contenu? À votre connaissance, d’autres éditeurs canadiens ont-ils signé de telles ententes avec Google ou d’autres organisations sans les rendre publiques?

M. Irving : Je ne peux pas parler au nom d’autres membres pour expliquer pourquoi ils ont signé ces ententes. Je ne veux pas spéculer sur leurs motifs. Pour ce qui est du nombre total de journalistes, ils ne représentent qu’une très petite proportion de nos membres. Il y a des titres plus importants. Google les a également contactés, je crois, pour conclure des ententes, et je ne sais pas si quelqu’un a signé avec Google.

Il y a un an, on nous a dit que Facebook n’accepterait aucune transaction de cette nature. Il s’agit d’un nouveau programme qui a été révisé depuis que l’information sur l’installation en Australie a commencé à circuler. Nous croyons savoir qu’après l’adoption de la loi, les règlements conclus en Australie étaient beaucoup plus généreux que ceux proposés au Canada. C’est pourquoi la plupart des éditeurs croient fermement que nous serions beaucoup mieux placés pour négocier un accord collectif sous l’égide d’une loi fédérale que de conclure des ententes individuelles de notre propre chef. Autrement dit, nous sommes d’ardents défenseurs du modèle australien.

Le sénateur Dawson : Merci.

Le sénateur Carignan : Je vous ai écouté nous expliquer ce que vous souhaitez. Vous avez dit souhaiter un accord collectif avec Facebook, comme ce fut le cas en Australie, et c’est exactement l’intention que je vise avec ce projet de loi. C’est exactement ce que fait le projet de loi, en fait, en forçant la négociation d’un accord collectif, et si nous ne parvenons pas à une telle entente, nous aurons un médiateur ou un arbitre. Dans ce cas-ci, c’est la Commission des droits de propriété intellectuelle qui imposerait un tarif.

C’est exactement le même objectif que vous voulez atteindre. J’ai besoin de comprendre pourquoi vous pensez que ce projet de loi n’est pas suffisant pour vos intentions, parce que je pense que nous nous en approchons.

M. Irving : Je vous remercie de la question. J’ai commencé à faire du lobbying pour obtenir un quelconque changement il y a cinq ou six ans, et je pensais que la voie du droit d’auteur était la voie à suivre. Je pense que la manière dont les plateformes sont organisées soulève un certain nombre de problèmes parce qu’elles ne sont pas imposées correctement. Comme elles ne sont pas responsables des contenus publiés, elles ont l’avantage d’être des éditeurs sans avoir à en supporter le fardeau. Elles ne sont donc pas responsables. Elles ne sont pas responsables de quoi que ce soit qu’elles publient, contrairement à un éditeur. Si nous embauchons des journalistes et des rédacteurs en chef, c’est en raison des poursuites possibles.

Nous faisons face à un certain nombre de problèmes dont le droit d’auteur est parmi les principaux. J’ai cru comprendre que le gouvernement français a essayé de mettre en place des lois ou des règlements en invoquant la protection du droit d’auteur. Je suis d’accord avec M. Geist pour dire que la réforme de la Loi sur le droit d’auteur est extrêmement lourde, chronophage et très compliquée.

Les Australiens se sont penchés sur la question par le truchement d’un bureau de la concurrence différent du nôtre au Canada, mais je pense qu’il y a un certain mérite à réformer les lois sur le droit d’auteur. Si j’ai bien compris, au Canada, ces lois sont antérieures à l’Internet moderne, et je pense donc qu’elles devraient absolument être mises à jour pour tenir compte des changements technologiques qui ont eu lieu. Les technologies mentionnées dans ces lois rappellent les stratégies de la Grande Guerre, quand les règles d’engagement étaient celles du XIXe siècle, mais avec les armes du XXe siècle. Ce n’était pas une technologie perturbatrice, mais une technologie destructrice.

Je ne suis pas certain que le droit d’auteur soit le moyen le plus facile ou le plus efficace d’atteindre les objectifs de la réforme, et le temps presse. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de rapidité et de clarté.

Voyez l’approche adoptée par les Australiens : elle a été incroyablement efficiente et efficace, et elle a produit des règlements substantiels beaucoup plus valables que ceux obtenus par les Français avec leur approche par le biais du droit d’auteur. Je dirais probablement cinq fois meilleurs que ce qu’a donné la voie du droit d’auteur en France.

À mon avis, vous êtes sur la bonne voie. J’utiliserais simplement un autre ministère, soit ISDE plutôt que, disons, celui Patrimoine canadien.

Le sénateur Cormier : Excusez-moi, je dois vous interrompre. Pouvez-vous me confirmer que les témoins ont accès à l’interprétation?

M. Irving : Excusez-moi, mais il semble y avoir un problème du côté de l’interprétation.

Ericka Dupont, greffière du comité : Monsieur le président, si notre témoin n’entend pas l’interprétation, je recommande que nous confirmions que tel est le cas et nous réglions le problème.

Le président : Certainement. Honorables sénateurs, nous allons tenter de régler la question de l’interprétation.

Nous sommes maintenant prêts à continuer. Sénatrice Simons, veuillez poser votre question.

La sénatrice Simons : Je remercie les témoins de leur présence.

J’ai travaillé pendant 23 ans pour Postmedia, monsieur Irving, et je connais donc très bien les difficultés de l’industrie de la presse écrite. Mais il me semble, comme vous l’avez dit, que le secteur des journaux a perdu des milliards et des milliards de dollars en publicité. M. Chan parle de lui redonner quelques millions de dollars. Je n’ai pas l’impression qu’on puisse espérer recevoir de Google, Facebook, Workopolis, Kijiji et tous les autres qui se sont emparés de la publicité, les sommes qui seraient nécessaires pour ramener les journaux à leur état antérieur.

S’agissant du modèle australien, qui a beaucoup privilégié les médias de Rupert Murdoch, comment pouvez-vous imaginer parvenir à un accord collectif qui rétablirait de quelque façon que ce soit le genre de revenus sur lesquels les journaux comptent toujours, surtout des journaux comme le vôtre, qui avaient des monopoles géographiques?

Je vais donc demander à M. Geist quelles seraient les répercussions du maintien des vieux modèles sur l’évolution des nouveaux médias?

M. Irving : L’économie de l’entreprise a beaucoup changé. Les milliards de dollars que nous tirions de la publicité servaient à subventionner les coûts d’impression et de distribution, car les frais fixes associés au fonctionnement d’un journal sont énormes.

Dans l’univers du numérique, nous n’avons plus besoin des mêmes revenus qu’avant, mais il n’y a vraiment que deux façons de générer des revenus pour soutenir les journalistes. Tout ce que vous avez à faire, c’est de payer les coûts que représentent les TI et les journalistes. C’est donc une structure très différente. Notre industrie a passé les 10 dernières années à réduire les coûts fixes, à confier la distribution à contrat, à rationaliser nos opérations d’impression et à investir massivement dans la transformation numérique.

D’après ce que je comprends, le genre de règlement dont nous parlons en Australie permet de couvrir près de 30 % des coûts des salles de nouvelles. La plupart d’entre elles signent des ententes de trois à cinq ans. Ce sont des sources de revenus qui ont une incidence énorme sur le journalisme et qui permettent aux journalistes de reprendre leur vie en main. C’est basé sur le nombre de journalistes.

À notre avis, deux entreprises seulement font main basse sur l’argent de la publicité : Google et Facebook. Elles n’engagent pas de journalistes. Avec tout le respect que je dois à M. Chan, je rappelle que les 10 journalistes de la Presse canadienne ne sont pas Canadiens. Des programmes ont été mis sur pied pour tirer le meilleur des outils en place — que nous apprécions et qui sont très bien —, mais nous parlons d’un manque d’accès au marché de la publicité numérique à cause de deux entreprises. C’est vraiment une situation de monopole.

Nous avons vu beaucoup de petits éditeurs locaux dans l’Ouest qui ne se sont même pas donné la peine de passer de l’imprimé au numérique parce qu’ils n’ont pas entrevu la voie de l’avenir. Ils n’ont pas pensé pouvoir accéder au marché de la publicité numérique pour s’en sortir. Ils ont donc été lents.

C’est la réalité.

Il n’y a pas de nouveaux journalistes qui se rallient à nous, sauf dans le cas des 14 organisations qui ont signé un accord avec Facebook, mais cela représente une fraction des 3 100 membres de la profession. Je parierais qu’on parle de moins de 100 journalistes et, à l’heure actuelle, le milieu des médias d’information en emploie environ 3 100.

Je dirais enfin que News Corp. a bien fait avec cet accord. Le groupe a conclu une entente distincte à l’échelle mondiale pour ses agences aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Toutefois, nous croyons savoir qu’à l’heure actuelle, il y a 150 petits et moyens éditeurs en Australie, de toutes les formes et de toutes les tailles, qui négocient collectivement un accord équivalent avec Google. Je ne sais pas où en sont les choses. Je pense qu’ils discutent aussi avec Facebook.

J’encouragerais le comité à parler à des éditeurs australiens, si vous en avez l’occasion, ainsi qu’à des Américains à ce sujet. Robert Whitehead, un homme fantastique, nous conseille sur les progrès réalisés en Australie. Les résultats qu’ils obtiennent et la façon dont ils gèrent la situation sont très révélateurs.

Le problème de l’accès aux marchés est le principal problème. Il y a deux semaines, Google s’est vu imposer une amende de 330 millions de dollars canadiens en France pour des infractions antitrust. Le gouvernement américain cherche activement à faire adopter des lois antitrust. Au Sénat, Amy Klobuchar et Maria Cantwell insistent pour que la chambre haute adopte une loi antitrust.

Je pense qu’il faut être clair et précis dans la définition du problème, et trouver une solution valable pouvant être mise en œuvre dans un délai raisonnable. J’espère que cela répond à votre question.

M. Geist : Merci, sénatrice Simons. C’est facile de tomber à bras raccourcis sur Google et Facebook. Le problème fondamental avec ces entreprises — et cela répond aussi à la question du sénateur Carignan —, c’est qu’aucune utilisation n’ouvre droit à compensation. Le droit d’auteur ne fonctionne pas parce que ces entreprises ne l’utilisent pas de la façon dont le droit d’auteur fonctionne habituellement. Mais je pense que la réponse de M. Irving fait justement ressortir le risque d’emprunter la voie qu’il propose. Il suggère des coupes sombres dans tout ce qui n’est pas services TI et journalistes.

Vous pourriez vous adresser à toutes sortes d’entreprises médiatiques indépendantes qui ne font que du numérique et qui vous diraient exactement la même chose. The Logic, Village Media, The Tyee, Narcity, The Athletic et CARD... toutes font la même chose. Je vous dirais qu’il est toujours possible de faire mieux. Elles trouvent des moyens de soutenir la concurrence en s’appuyant en grande partie sur les TI et en embauchant des journalistes. Elles trouvent des façons d’offrir une valeur à leurs abonnés pour que ceux-ci soient prêts à payer. Il y a eu un problème avec bon nombre d’entreprises traditionnelles qui attendent que le gouvernement intervienne. Nous avons entendu dire qu’elles ne veulent pas conclure d’ententes. Elles pensent pouvoir décrocher un meilleur accord si le gouvernement intervient. Leurs abonnés les quittent à cause de choses pour lesquelles, il ne vaut tout simplement pas la peine de payer dans bien des cas, et les médias indépendants trouvent un moyen de s’en sortir.

Si nous intervenons, ce que nous faisons d’ailleurs, ce n’est pas pour résoudre le problème fondamental, c’est pour résoudre le problème auquel sont confrontées certaines entreprises traditionnelles. Ce faisant, nous risquons cependant de causer un tort considérable à ceux qui essaient de trouver des façons d’innover dans ce domaine.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ayant été journaliste pendant une trentaine d’années, je pense que ce débat est très difficile et qu’il n’existe pas de solution simple. Monsieur Chan, effectivement j’ai suivi toutes vos interventions dans le marché canadien qui ont la caractéristique d’être très ciblées et très pointues.

Certains pourraient vous accuser de diviser pour régner, dans la mesure où votre dernière entente est intervenue avec environ 18 médias et elle est totalement secrète. On ne sait pas ce que vous avez négocié. Si vous pouvez nous le dire, c’est très bien. Pourquoi choisir ces 18 médias et pas d’autres? Le Devoir s’est dit très satisfait d’avoir été considéré, mais se trouve complètement dans le flou sur la question.

Est-ce que l’avenir nous contraint à négocier individuellement avec vous? Évidemment, vous êtes légèrement plus fort que les médias avec lesquels vous négociez. Autrement, est-ce que vous acceptez le fait qu’il y aura éventuellement une loi, mais que vos différentes interventions servent à ralentir l’arrivée d’un projet de loi? C’est beaucoup de questions à la fois, mais c’est un sujet passionnant.

Monsieur Chan, vous pouvez répondre dans la langue de votre choix. Comme vous semblez maîtriser le français, je me suis permis de vous poser mes questions en français.

M. Chan : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Mes beaux-parents sont originaires de la ville de Québec, ce qui fait que j’ai souvent l’occasion de pratiquer mon français. Je vais essayer de répondre en français, mais si ça ne fonctionne pas, je répondrai en anglais.

Nous avons conclu des ententes avec 14 publications et ces ententes sont de nature commerciale. Cela signifie que, comme toute entente conclue avec n’importe quelle entreprise, elle sera confidentielle. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de néfaste. Vous me pardonnerez, mais c’est de cette façon que fonctionnent le marché et le secteur privé.

Pour répondre à une autre question que vous n’avez pas complètement posée, nous n’avons pas choisi de publications en particulier pour discuter ou pour négocier. À plusieurs reprises, nous avons dit que nous étions prêts à discuter avec n’importe quelle publication qui voulait explorer la façon dont fonctionnerait un partenariat avec nous.

Je peux aussi vous dire, madame la sénatrice, que nous sommes toujours en pourparlers avec plusieurs publications. Alors, je me croise mes doigts. Au début de juin, nous avons fait une annonce à 14 publications et nous souhaitons que ce ne soit pas la fin du voyage avec elles. Nous espérons avoir davantage de bonnes nouvelles à partager dans les semaines et les mois à venir.

La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, si un éventuel gouvernement canadien propose une loi, allez-vous vous y soumettre avec bonheur ou allez-vous la contester comme vous l’avez fait en Australie?

M. Chan : Encore une fois, il est évident que nous respecterons les lois. C’est un gouvernement souverain qui décide, mais soyons clairs.

[Traduction]

En Australie, la question n’était pas tant de savoir s’il fallait ou non se soumettre à un cadre. En fait, le cadre en place permet de sortir du marché. Je tiens à dire clairement, malgré la façon dont cela a été présenté publiquement — et la nouvelle version modifiée du cadre australien le précise davantage —, qu’en cas d’arbitrage exécutoire, l’entité ou la plateforme désignée par le gouvernement dispose de deux mois pour décider si elle veut ou non faire partie du marché.

Je sais que nous sommes la Chambre de second examen objectif, et je veux réfléchir à la façon dont je communique cela. Je tenais à dire que le cadre en vigueur en Australie permet aux acteurs de sortir du marché, ce qui a été précisé par voie d’amendements.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Cormier : J’avais des questions pour M. Irving, mais il y a déjà répondu.

[Traduction]

Monsieur Irving, du Nouveau-Brunswick, je vous salue au passage, mais ma question s’adresse à M. Geist.

[Français]

Je vais poser ma question en français. Dans vos dernières interventions, vous avez beaucoup parlé de la nécessité de ne pas bloquer l’innovation chez les jeunes. On sait que les entreprises ne partent pas toutes du même point, selon qu’elles opèrent en milieu urbain ou en milieu rural. La capacité innovatrice est humaine, elle est partout, mais les moyens mis à la disposition des entreprises ne sont pas les mêmes.

Ma question pour vous est celle-ci : comment pouvons-nous protéger le mieux possible l’identité et la culture journalistique au Canada? Ma question est peut-être trop large, mais en l’absence de réglementation, comment faire pour s’assurer que le contenu canadien et l’innovation sont mis de l’avant?

[Traduction]

M. Geist : Je vous remercie pour cette question, sénatrice. Je vais me concentrer sur le journalisme plutôt que sur les questions culturelles plus vastes dont on a beaucoup discuté au cours des dernières semaines dans le cadre d’un autre projet de loi.

La question n’est pas, en partant, de se demander comment protéger ces entreprises, mais de savoir comment leur permettre de s’épanouir.

Je ne pense pas que la solution soit d’ériger des cloisons ou de fermer les écoutilles et de trouver un moyen de protéger ces entreprises. Nous devrions chercher des façons d’offrir des possibilités à ce genre d’entreprises pour qu’elles prospèrent du point de vue du journalistique.

Je trouve malheureux que le secteur ait passé la plus grande partie des deux ou trois dernières années à exercer de fortes pressions pour bénéficier de toute une gamme de programmes gouvernementaux, qui étaient plutôt controversés à l’époque. Ils ont réussi à le faire grâce à des initiatives comme la Local Journalism Initiative, des crédits d’impôt pour de la main-d’œuvre et un crédit d’impôt pour abonnement numérique — toutes ces choses qui sont précisément conçues pour favoriser l’essor du secteur. Et voilà que nous nous retournons et disons « Oubliez ça ». Nous ne demandons pas plus d’argent. Nous voulons maintenant l’argent de cette autre enveloppe parce que, selon nous, cela pourrait nous permettre d’y arriver.

Tout d’abord, je pense qu’il faut miser sur les programmes ayant une chance d’aboutir, puisqu’ils en sont à leurs balbutiements. Je ne pense pas qu’ils ont tous été mis en œuvre avec un maximum d’efficacité, mais les possibilités sont grandes si notre objectif est de nous assurer que des journalistes sont employés, surtout à l’échelon local, d’autant que l’IJL, l’Initiative de journalisme local, vise à ce que plus d’une centaine de journalistes travaillent précisément dans ce but.

Nous devons aussi adhérer au principe de « ne pas nuire » à autrui. Quand j’entends Facebook dire : « Écoutez, les règles australiennes disent que nous et n’importe qui d’autre pouvons sortir du marché s’il le juge bon », je ne pense pas que la plateforme se trompe. Cela reflète la situation actuelle.

Selon moi, le risque est grand de donner suite aux demandes de certains éditeurs traditionnels — comme je l’ai dit plus tôt, ce qui nuit à leur crédibilité et à l’autocensure — pas seulement parce que Facebook risque de sortir du marché, parce que les choses vont au-delà. Le fait est que bon nombre de ces entreprises novatrices émergentes ne voient pas les choses de la même façon que M. Irving. Elles voient des avantages dans ces plateformes. C’est ainsi qu’elles grossissent.

Nous devons être prudents avant de mettre tout le monde dans le même panier et d’affirmer que ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que le gouvernement intervienne pour nous obtenir un meilleur accord.

Si vous parlez à un grand nombre de petits joueurs novateurs, ils vous diront que ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Nous aimerions que le gouvernement cesse de faire obstacle à certaines de ces questions, mais nous sommes reconnaissants de l’appui accordé sous la forme de programmes financiers adoptés ces deux dernières années.

La sénatrice Dasko : On a plus ou moins répondu à la plupart de mes questions. Mais je voulais poser une question plus directe à M. Geist.

Vous estimez que le gouvernement ne devrait pas soutenir financièrement les médias. Êtes-vous en train de dire que le marché devrait pouvoir faire ce qu’il veut? Est-ce bien ce que vous me dites?

M. Geist : Non. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit, avec tout le respect que je vous dois, sénatrice Dasko. Il est difficile d’appuyer expressément le genre de programmes que le gouvernement a mis en place pour soutenir le secteur. L’Initiative pour le journalisme local, les crédits d’impôt, tant pour les journalistes que pour la main-d’œuvre du côté des journalistes, les crédits d’impôt pour les abonnements sont un soutien gouvernemental. Je pense que c’est formidablement important.

Ce que je dis, c’est que je ne suis pas encore tombé sur une raison convaincante pour laquelle le gouvernement devrait intervenir et exiger une indemnisation pour quelque chose qui, à mon avis, est différent de ce que l’on reconnaît habituellement du point de vue juridique.

La réalité est simple quand on considère le droit d’auteur par rapport à ce projet de loi : ces entreprises ne traitent pas le contenu de la façon dont s’applique le droit d’auteur. Elles travaillent à partir d’hyperliens ou dans le cadre d’une utilisation équitable. Si c’est une question de négociation, nous estimons que c’est possible. C’est une chose pour les grands joueurs de dire : Eh bien, Le Devoir ne compte pas ou certains de ces autres joueurs ne comptent pas. Je soupçonne que ce sera nouveau pour ces gens-là qui représentent parfois de grandes entités prospères. Je ne pense pas nécessaire de voir les accords qu’ils ont signés pour savoir qu’ils ont agi dans leur intérêt. Ils auraient pu facilement rester avec Torstar et Postmedia et ne pas signer. Il est assez clair qu’ils ont trouvé quelque chose de convaincant dans cette formule. À l’échelle mondiale, force est de constater que des centaines de grandes organisations dans le monde se sont abonnées à des services comme Google Showcase ou ont signé des ententes avec Facebook. Elles ne l’ont pas fait sur la base d’hyperliens, parce que cela n’ouvre pas droit à compensation, mais d’après ce que les gens sont prêts à payer pour la valeur offerte — je le paie en tant qu’abonné à certaines publications — et pour ce que Facebook et Google paient aussi, semble-t-il, pour cette même valeur du produit. Proposez-moi quelque chose pour lequel il vaut la peine de payer, et il devient possible de conclure un accord.

La sénatrice Dasko : Que pensez-vous de la poursuite antitrust intentée en France contre Google? Que pensez-vous de l’évolution des choses?

M. Geist : On m’accuse parfois d’être contre la réglementation de ces entreprises. Je pense que nous devons être très agressifs sur plusieurs fronts en ce qui les concerne, du point de vue de la protection des renseignements personnels, de la fiscalité et de la concurrence antitrust. Il est indéniable que le Canada peut et doit être davantage agressif dans certains de ces dossiers. Je pense que nous avons fait preuve de négligence. Ce qui me préoccupe dans le dialogue sur les politiques jusqu’à maintenant, c’est qu’il n’a pas porté sur les véritables problèmes potentiels que posent ces entreprises. Je pense que c’est là que se situent les enjeux.

Plutôt que de considérer que ces entreprises sont des guichets automatiques — d’où l’on pourrait tirer de l’argent pour quelque cause que ce soit que l’on privilégie —, pourquoi ne pas nous intéresser aux secteurs où elles livrent éventuellement une concurrence déloyale aux autres ou peuvent avoir un avantage indu et répondre à ce genre de préoccupations, parce que je ne doute pas que les entités canadiennes sont tout à fait capables de rivaliser avec ces plateformes si on leur en donne la chance?

La sénatrice Dasko : Merci.

Le président : Monsieur Chan, voulez-vous répondre?

La sénatrice Dasko : Allez-y, monsieur Chan.

M. Chan : Oui, monsieur le président. Bonjour, sénatrice, je suis heureux de vous voir.

Je voudrais simplement faire écho aux propos de M. Geist. Je ne veux pas donner l’impression au comité que nous ne voulons pas réglementer les plateformes. En fait, Richard Stursberg et moi-même avons rédigé une lettre d’opinion dans le Globe and Mail en novembre dernier, dans laquelle nous insistions beaucoup là-dessus. Nous sommes en faveur d’une loi sur la protection des renseignements personnels et d’une loi plus rigoureuse, si vous voulez. Nous appuyons le projet de loi C-11. Bien entendu, nous appuyons également le processus de l’OCDE qui vise à réformer la fiscalité mondiale. Nous comprenons très bien qu’à la fin de ce processus, cela pourrait très bien signifier que nous allons payer plus d’impôts dans différents pays qu’aujourd’hui. Je dirais que ce genre de résultat nous convient.

Le président : Merci. Pour le deuxième tour, je vais donner la parole au sénateur Dawson, puis au sénateur Carignan.

Le sénateur Dawson : Qu’en est-il du projet de loi? Nous avons parlé du problème à régler, mais comment aborderiez-vous la question de ce projet de loi? Doit-on continuer d’en débattre? À l’évidence, il ne sera pas adopté dans les prochains jours. Si vous deviez l’améliorer, que recommanderiez-vous? Vous avez tous les trois suivi le dossier. J’ai donc hâte d’entendre vos commentaires.

M. Geist : Je serai heureux de commencer, puis de donner la parole à M. Chan et à M. Irving. Je tiens à souligner, comme je l’ai fait d’entrée de jeu, que je crois sincèrement que ce genre de débat a été une expérience valable. Bien entendu, j’ai lu les transcriptions des réunions précédentes. C’est le genre de discussion qui est absolument nécessaire, et le projet de loi a donc rendu un service exceptionnel à cet égard. Je me permettrai cependant de dire qu’il représente la mauvaise solution.

Je trouve formidable de pouvoir continuer à étudier ce genre de questions, et il serait bien de pouvoir entendre des intervenants indépendants, comme nous en avons parlé, mais, pour dire franchement, je ne sais pas comment corriger le projet de loi parce que je crois qu’il comporte des lacunes fondamentales par rapport à la Loi sur le droit d’auteur.

M. Chan : Je répète que du point de vue du droit d’auteur, nous sommes très stricts à Facebook. Il ne s’agit pas seulement de publications ou d’articles, mais d’une gamme complète de contenu, y compris du contenu audio et vidéo.

Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avons déjà fait quelque chose comme cela, mais ce n’est pas courant. Vous pouvez voir tous nos retraits pour violation des droits de PI dans notre Rapport sur l’application des standards de la communauté, publié trimestriellement. Nous faisons une ventilation. Nous indiquons combien de contenus nous retirons par trimestre et pour quelle catégorie de violation. Je peux aussi vous parler de mon expérience personnelle dans le travail que je fais. Je reçois souvent des plaintes pour violation potentielle ou avérée de contenu. En fait, nous en avons reçu une du Brunswick News, comme cela n’arrive pas souvent, je me souviens de ce cas. Apparemment, une personne avait répercuté un article complet du Brunswick News sur Facebook. Comme vous le savez, The Brunswick News est entièrement payant, et c’était très clairement une violation du droit d’auteur. Dès que nous avons reçu cette information, nous avons rapidement retiré le contenu qui circulait sur Facebook.

Nous sommes fiers d’être sévères en ce qui touche à la violation du droit d’auteur, et vous pouvez vous attendre à ce que nous continuions de l’être.

Le président : Sénateur Carignan, nous allons vous laisser le soin de poser les dernières questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Chan. Le 29 mars 2021, vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes et le député Anthony Housefather vous a posé une question assez simple : « À combien se chiffrent vos revenus annuels en publicité au Canada? » Vous avez répondu : « Je ne connais pas le montant de ces revenus. »

J’imagine que deux mois et demi plus tard, vous avez eu le temps d’obtenir cette information. À combien se chiffrent vos revenus annuels de publicité au Canada?

[Traduction]

M. Chan : Sénateur, je dois vous dire que je n’étais absolument pas au courant de cela à l’époque. C’est encore le cas aujourd’hui. Mais je peux vous dire, sénateur, si vous me le permettez, que le 1er juillet prochain, nous convertirons Facebook Canada en ce que nous appelons un modèle de vendeur local, ce qui veut dire que Facebook Canada deviendra l’entité de facturation pour les annonceurs canadiens. À partir de ce moment-là, sénateur, l’ARC sera parfaitement au courant des revenus que nous inscrivons aux livres au Canada.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pour l’instant, quels chiffres avez-vous?

[Traduction]

M. Chan : Encore une fois, sénateur, je n’ai pas ce chiffre. Je m’occupe des politiques publiques. Je dois être honnête; je n’ai pas ce chiffre. Je pense qu’il est important que les décideurs et les organismes de réglementation comme notre agence fiscale reçoivent ce chiffre. Sénateur, je crois pouvoir dire que nous avons hâte de le faire afin de répondre au genre de préoccupation que vous venez d’exprimer au sujet de la transparence. Nous entendons ce genre de chose. Nous agissons unilatéralement, non pas en raison d’une loi ou d’un règlement ou de toute autre exigence, mais à Facebook, nous procédons unilatéralement à la conversion de Facebook Canada en vendeur local de sorte que les revenus consignés par notre équipe de vente au Canada soient connus de l’ARC aux fins de l’impôt. Nous sommes très heureux de pouvoir le faire unilatéralement afin d’accroître la transparence pour les décideurs en ce qui concerne les revenus que nous comptabilisons au Canada.

Le président : Avant de terminer, je crois, monsieur Irving, que vous vouliez peut-être répondre la dernière fois et je vous ai interrompu.

M. Irving : Je voulais dire deux ou trois choses. Tout d’abord, j’aimerais préciser ma position par rapport aux propos de M. Geist. Je n’ai jamais dit que Le Devoir ou Le Droit n’avait pas d’importance. En fait, eux aussi ont publié récemment une lettre sous l’en-tête de Médias d’Info Canada adressée au gouvernement du Canada — même s’ils ont signé l’accord — pour réclamer un projet de loi sur les dysfonctionnements du marché.

Pour ce qui est de la façon d’améliorer la loi actuelle, je ne sais pas par où commencer. De façon générale, je crois comprendre que vous obtiendrez un bien meilleur résultat si vous vous concentrez sur les dysfonctionnements du marché et sur les problèmes d’antitrust que si vous vous y prenez par le biais du droit d’auteur.

L’un des avocats qui siégeaient à la Commission Yale, Peter Grant, un avocat à la retraite du cabinet McCarthy à l’époque, s’est porté volontaire pour analyser la loi australienne. Il a rédigé une note très détaillée sur la façon de mettre efficacement en œuvre une telle mesure au Canada et de la faire adopter par le Parlement du Canada.

Je me ferai un plaisir de fournir cette note au comité si vous souhaitez obtenir une analyse technique détaillée des aspects du projet de loi qui pourraient être améliorés, et je recommanderai de la prendre comme point de départ.

Le président : Merci, monsieur Irving.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais beaucoup avoir la copie de ce mémoire.

[Traduction]

Le président : Oui. Monsieur Irving, si vous pouviez nous la faire parvenir, nous vous en serions très reconnaissants.

M. Irving : Pas de problème.

Le président : Merci.

Cela nous amène au terme de l’audition de ce groupe de témoins. Je tiens à remercier nos témoins d’avoir pris le temps de nous rencontrer et de nous avoir communiqué des renseignements précieux dans le cadre de notre étude du projet de loi S-225.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant poursuivre à huis clos pour le reste de la séance d’aujourd’hui.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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