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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 7 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vois que le quorum est atteint et je déclare la séance ouverte. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Stephen Green, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Peter Harder, vice-président du comité, de l’Ontario; le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick et le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui nous regardent.

[Français]

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride. J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent à la réunion par vidéoconférence qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole.

Je demanderais aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour indiquer leur désir d’intervenir. Les sénateurs présents dans la salle de réunion peuvent le signaler directement à la greffière, Mme Lemay, qui est ici.

Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou à la greffière pour que nous puissions le régler rapidement.

Aujourd’hui, nous entamons l’étude spéciale qui nous a été confiée par le Sénat le 24 février dernier, et qui porte sur le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.

[Traduction]

Dans un premier temps, nous recevons trois témoins, puis nous aurons un deuxième groupe de témoins après.

Pour commencer, j’ai deux ou trois commentaires préliminaires à faire. Nous commençons une étude extrêmement vaste, et il nous faudra quand même assez de temps pour la terminer. Nous allons recevoir beaucoup de témoins et, évidemment, entendre divers points de vue. Je tiens à insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un examen de la politique étrangère, pas du tout, mais bien d’un examen du service extérieur canadien, qui a pour but de déterminer s’il est adapté aux objectifs.

Mais la question la plus importante est la suivante : pourquoi est-ce important pour les Canadiens? Quels sont les intérêts du Canada par rapport à notre politique étrangère, notre commerce international, notre aide au développement et l’aide consulaire que nous offrons à tous les Canadiens aux quatre coins du monde? Quelles conséquences ont eu les diverses fusions? Nous pourrons nous pencher sur le Service des délégués commerciaux, sur ce qui est survenu dans le passé, jusqu’à plus récemment, avec l’intégration au ministère de l’Agence canadienne de développement international.

Comment fonctionne le système de gestion? Quelle est la culture du service extérieur? Comment formule-t-on les politiques? Comment se fait le recrutement? Comment fonctionnent les promotions? Qu’en est-il de la main-d’œuvre, et qu’en est-il des conditions dans le service extérieur? Il n’y a pas eu d’étude sur le sujet depuis le rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation dans le service extérieur de Mme McDougall, en 1981.

Je demanderais à mes collègues de bien vouloir garder tout cela à l’esprit. Nous allons creuser profondément certains sujets, et d’autres moins. Je m’attends bien sûr à ce que vous participiez tous et toutes intégralement, jusqu’à la fin.

Nous accueillons notre premier groupe de témoins : la présidente de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur, Pamela Isfeld, qui a fait une longue carrière au service extérieur, où elle a eu de nombreuses affectations intéressantes; ensuite, le président de l’Association des anciens ambassadeurs du Canada, Michael Small, qui a été haut-commissaire du Canada en Australie et notre ambassadeur du Canada à Cuba, en plus d’avoir été sous-ministre adjoint des Ressources humaines, entre autres choses — d’ailleurs, M. Small et moi-même avons rejoint le service extérieur le même jour, il y a de nombreuses années —; et enfin, à titre personnel, Daniel Livermore, ancien ambassadeur lui aussi, professionnel en résidence honoraire à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. M. Livermore a été un mentor pour beaucoup d’entre nous, qui l’ont suivi. Nous sommes très heureux d’accueillir un groupe si extraordinaire. Je veux vous souhaiter la bienvenue à tous, et vous remercier de votre présence. Madame Isfeld, vous avez la parole.

Pamela Isfeld, présidente, Association professionnelle des agents du Service extérieur : Merci, monsieur le président. C’est un très grand honneur pour moi de présenter le tout premier exposé dans le cadre de cette première étude sur le service extérieur depuis la commission McDougall en 1981; je n’avais même pas terminé le secondaire à cette époque, alors je crois qu’il était temps.

Je suis ici en tant que première présidente à temps plein de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur, qui représente les 2 000 employés du groupe FS. Je sais que j’ai seulement cinq minutes, et que le président est sans pitié en ce qui concerne le temps, alors je vais tout de suite vous expliquer ce qu’est le groupe FS et ce que nous faisons. Je serai heureuse de répondre à vos questions, et j’enverrai aussi un mémoire par écrit au comité après la réunion.

Commençons par une évidence : la caractéristique essentielle du groupe FS — ou groupe Service extérieur —, c’est le service extérieur. Même si nous ne sommes pas le seul groupe à servir le Canada à l’étranger, nous sommes le seul dont les conditions d’emploi exigent explicitement que chaque employé alterne entre les missions à l’étranger et l’administration centrale au Canada, dépendamment des besoins opérationnels de l’employeur.

Durant leur carrière, les employés du groupe FS doivent répondre à des demandes spécifiques, et nous développons aussi une expertise spécifique, à cause de cette situation de « permutabilité ». Je ne sais pas si d’autres utilisent ce mot, mais c’est ainsi qu’on pourrait décrire ce genre de service.

Chacun des cinq volets du groupe FS remplit des fonctions différentes. Le volet immigration est le seul qui relève d’IRCC plutôt que d’Affaires mondiales Canada, et son travail consiste à mettre en œuvre les politiques du Canada en matière d’immigration; il doit donc aider les entreprises à faire venir des travailleurs qualifiés, réunifier les familles et aider les gens qui fuient la guerre et la persécution à se réinstaller au Canada. Les employés du volet de l’aide internationale soutiennent les priorités du Canada en ce qui concerne, entre autres, la croissance économique durable, la santé mondiale et la protection de l’environnement; ils aident aussi les populations aux prises avec des catastrophes naturelles, des conflits et l’insécurité alimentaire.

Le travail des délégués commerciaux consiste à soutenir les entreprises canadiennes et les marchés internationaux en recueillant des renseignements sur le marché, en cernant les possibilités d’affaires et en facilitant l’accès aux décideurs. En plus de gérer nos ambassades et l’ensemble de nos activités à l’étranger, nos agents-gestionnaires consulaires aident les Canadiens qui ont des ennuis à l’étranger ou qui se trouvent en situation d’urgence. Si vous étiez un Canadien qui devait sortir d’Afghanistan, cet été, ou quelqu’un qui a été surpris par les restrictions de voyage imposées à cause de la COVID, l’année dernière, vous auriez probablement reçu l’aide d’un de nos agents-gestionnaires consulaires.

Notre Service de la politique étrangère et de la diplomatie, le volet de la politique, a pour but de représenter et de défendre les intérêts nationaux du Canada ainsi que ses valeurs dans le cadre de missions bilatérales et auprès des organisations multilatérales. Les membres de ce service établissent et entretiennent des réseaux d’influence, ils négocient des ententes internationales et les mettent en œuvre, et ils produisent des rapports et des analyses sur l’évolution de la situation politique, sécuritaire, économique et sociale afin de soutenir les activités et la prise de décisions éclairées.

Je sais que tout cela peut vous sembler un peu opaque ou abstrait, alors, si vous avez le temps et que vous voulez en apprendre un peu plus sur le travail que ces personnes ont fait, concrètement, je vous recommande de consulter notre site Web, pafso.com, où vous trouverez des articles de nos lauréats du Prix des agents du service extérieur. Ils aident vraiment à comprendre ce que nous faisons, en illustrant le travail accompli par de vraies personnes, dans tous ces domaines.

Depuis le rapport McDougall en 1981, beaucoup de choses ont changé, y compris l’attitude de la société envers la diversité dans le service extérieur. Aujourd’hui, les femmes représentent 53 % du groupe FS, alors qu’elles n’en représentaient pas 25 % en 1981; les minorités visibles et les membres de la communauté LGBTQ+ représentent maintenant 8 % et 10 % respectivement du service. Cependant, avec cette hausse de la diversité, nous devons nous adapter aux exigences et aux besoins divers des effectifs, et aussi régler les problèmes en suspens depuis longtemps.

Les préoccupations de l’APASE à l’égard de nos membres peuvent être regroupées en quelques catégories générales. Premièrement, la santé et la sécurité. La pandémie de COVID-19 a vraiment mis en relief à quel point il peut être difficile d’obtenir des soins de santé de qualité régulière à l’étranger. Vous avez dû aussi voir les gros titres à propos d’incidents survenus à l’étranger, comme ce qui est arrivé à nos membres à La Havane; cela a porté ce problème à notre attention.

La sécurité est un point important. À mesure que l’instabilité augmente, dans le monde, il y a de plus en plus de menaces générales et ciblées pour les missions et le personnel du Canada. Nous avons eu des problèmes relativement aux carrières : au cours des 10 dernières années, nous avons cessé pendant longtemps de recruter, et le service extérieur est maintenant aux prises avec un grave manque de personnel, en particulier dans le volet des gestionnaires consulaires. J’ai appris hier qu’on nous demandait de trouver 35 nouveaux agents-gestionnaires consulaires — des AGC — pour soutenir le programme du gouvernement en Ukraine. Il manque déjà 100 employés, et personne ne sait vraiment comment on va arriver à en trouver des nouveaux.

Les problèmes sont exacerbés par le fait que le système ne reconnaît pas et ne gère pas l’expertise du service extérieur. Puisque nos carrières touchent tous les aspects de notre vie...

Le président : Madame Isfeld, j’ai peur que cela fasse cinq minutes.

Mme Isfeld : Oh, non!

Le président : Oui. Je ne me considère pas particulièrement comme une personne sans pitié, mais nous allons essayer de respecter le temps, et peut-être que vous pourrez dire certaines choses que vous vouliez dire pendant la période de questions. Je suis sûr que mes collègues vous en donneront la chance.

Mme Isfeld : Merci.

Le président : C’est maintenant au tour du président de l’Association des anciens ambassadeurs du Canada, M. Michael Small. Vous avez la parole.

Michael Small, président, Association des anciens ambassadeurs du Canada : J’aimerais remercier le comité d’avoir décidé d’étudier l’état du service extérieur canadien. C’est un sujet d’intérêt permanent pour l’association que je représente, qui compte plus de 300 anciens ambassadeurs du Canada, hauts-commissaires et consuls généraux parmi ses membres. Je crois que nous pouvons offrir une perspective à long terme sur ces questions.

Vous avez décidé d’étudier la gestion du service extérieur canadien. C’est un sujet plus précis que, par exemple, la gestion des ressources humaines d’Affaires mondiales Canada. Selon son dernier rapport, le ministère comptait 12 500 employés dans le monde entier, dont seulement environ 2 400 appartenaient au service extérieur. Ce sont eux qui alternent de façon régulière entre des postes à l’étranger et au Canada et, même s’ils sont minoritaires, ces employés sont les maillons qui relient les 175 missions du ministère à l’étranger avec l’administration centrale à Ottawa et le reste du gouvernement du Canada. Le service extérieur, bien sûr, comprend deux ministères, dont l’un est Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Vous devriez vous pencher sur la façon dont ce ministère gère son élément du service extérieur.

La caractéristique essentielle d’un employé du service extérieur, peu importe son rang ou sa classification, c’est la permutabilité. Cela veut dire que, lorsque vous êtes engagé, vous acceptez des conditions d’emploi qui permettent à votre employeur de vous affecter n’importe où dans le monde, à n’importe quel moment. En pratique, les employés alternent d’un poste à un autre selon un cycle prévisible tous les deux à quatre ans. Cela est essentiel au fonctionnement du service extérieur. Le personnel doit se déplacer pour se perfectionner, professionnellement, pour alléger le fardeau de la dotation des postes difficiles et pour garder le contact avec le Canada.

Cela a aussi des conséquences organisationnelles importantes. Les employés permutables du service extérieur ne sont pas attachés à un poste précis. Plutôt, ils sont engagés et promus dans un bassin, au lieu d’être engagés par un gestionnaire donné pour faire un travail spécifique. Conséquemment, la Direction générale des ressources humaines du ministère a des responsabilités uniques afin de maintenir les niveaux de dotation du service.

Pour maintenir un effectif permutable, il faut des processus d’embauche réguliers, prévisibles et applicables à l’échelle du Canada. Cela ne peut pas se faire sur une base ponctuelle. Si on néglige cela, on se retrouve avec un déséquilibre démographique à long terme, les gestionnaires doivent se débrouiller pour trouver des solutions de rechange, l’image du ministère est ternie pour les futures recrues potentielles, et le service extérieur est moins représentatif du pays dans son ensemble. Je suis très heureux qu’Affaires mondiales ait récemment commencé à embaucher de nouveaux effectifs permutables de cette façon. Mais il y a tout de même eu ce long temps mort entre 2009 et 2019. Le ministère doit être prêt à embaucher de nouveaux employés, bon an mal an.

Affaires mondiales a besoin de beaucoup d’expertises diverses. Le ministère exécute actuellement 56 programmes. La compétence essentielle pour diriger une mission diplomatique est la diplomatie, c’est-à-dire la capacité de comprendre le point de vue d’autrui tout en étant capable de défendre efficacement le sien, mais il faut du temps pour développer ses compétences diplomatiques. Il faut de l’expérience de travail dans différentes cultures; il faut comprendre le fonctionnement des organisations internationales, étudier des langues étrangères et apprendre auprès de ses collègues plus anciens, de ses mentors, de ses concurrents et même de ses adversaires. À mon avis, le ministère a sous-estimé la valeur des connaissances et des compétences diplomatiques pour ses hauts fonctionnaires, au cours des dernières décennies, en misant davantage sur les autres compétences en gestion. Il faudra bien réfléchir à la façon de perfectionner la prochaine génération de leaders de la diplomatie canadienne.

Le service extérieur canadien, c’est une carrière, c’est-à-dire que la plupart des agents du service extérieur passent la majeure partie de leur carrière — sinon toute leur carrière — dans cette organisation. Cela a des avantages du point de vue de leurs connaissances collectives du monde, mais cela veut dire qu’ils n’ont pas autant de connaissances directes sur le fonctionnement des autres ministères canadiens, en particulier ceux qui sont responsables des politiques internationales générales du Canada. Ce manque est compensé par les milliers d’employés non permutables du ministère, qui font leur carrière à Ottawa, mais on pourrait quand même en faire davantage pour que les affectations au Canada, à l’extérieur de l’administration centrale d’Affaires mondiales, soient un volet régulier de toute carrière au sein du service extérieur.

Vous comprendrez, d’après ce que j’ai dit à propos de la diplomatie, que je crois fermement que la grande majorité des nominations au poste de chef de mission devraient cibler les membres du service extérieur. Les gouvernements, peu importe qui est au pouvoir, vont toujours vouloir nommer des gens qu’ils estiment, qui viennent de l’extérieur de la fonction publique, à certains postes d’ambassadeur. Parfois, le profil public et les compétences en communication de certaines personnes nommées peuvent être des atouts dans certains postes; je pense, par exemple, à Michael Wilson à Washington au début des années 2000 ou à Bob Rae aux Nations unies aujourd’hui. Cependant, il y a des coûts cachés quand on choisit de nommer à la tête d’une mission diplomatique une personne qui n’a pas de réseaux au sein du ministère, qui ne connaît pas le fonctionnement du service extérieur et qui ne restera pas après ce travail. Ce genre d’affectation devrait être l’exception plutôt que la règle; cela devrait être fait rarement et stratégiquement.

Pour constituer un groupe de chefs de mission professionnels à partir d’employés qui ont fait carrière au service extérieur, il faut que ces candidats soient admissibles à occuper les postes les plus importants et les plus difficiles du service extérieur, mais à cet égard, les dernières tendances sont préoccupantes. Je ne me rappelle pas avoir jamais vu un pourcentage si bas où les postes les plus élevés dans les plus importantes ambassades du Canada à l’étranger étaient occupés par des professionnels de carrière. Par exemple, actuellement, ils sont seulement trois, dans nos huit missions du G7. Je doute que ce soit intentionnel, mais les effets défavorables s’accumulent pour notre groupe de chefs de mission professionnels canadiens.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur les tendances de gestion sous-jacentes, centralisées à Ottawa, du service extérieur. Sénateur Harder, il y a 15 ans, vous avez souligné que le Canada, plus que tout autre pays du G8, concentrait les effectifs de son ministère des Affaires étrangères dans son administration centrale, avec 75 % de ses employés canadiens travaillant à Ottawa. Il y a eu un effort concerté, dirigé par la personne qui vous a succédé, pour couper des postes à l’administration centrale et les rouvrir sur le terrain, mais, depuis les compressions budgétaires et la réorganisation subséquentes, ce taux est maintenant de 81,2 %.

Il y a quelques années, le ministère britannique des Affaires étrangères a baptisé l’une de ses initiatives de transformation « more foreign, less office », c’est-à-dire plus à l’étranger, moins au ministère. Nous avons fait l’inverse : moins à l’étranger, plus au ministère. Il faut changer cette mentalité. J’en dirai plus pendant la période de questions.

Le président : Merci. C’est maintenant au tour de M. Daniel Livermore, professionnel en résidence honoraire, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa.

Daniel Livermore, professionnel en résidence honoraire, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Même si je témoigne aujourd’hui à titre personnel, je représente également le Forum des anciens du service extérieur canadien, un nouvel organisme dont le but est de parler au nom des employés retraités du service extérieur canadien.

Le moment était venu pour votre comité d’entreprendre une tâche importante, et il pose la bonne question : faisons-nous les choses de la bonne façon? Nous vivons dans un monde international, très compétitif et propice aux conflits, et le service extérieur canadien doit pouvoir relever les défis de demain.

Quelques options sont évidentes. Une option serait d’être le premier État à abandonner le système westphalien. Nous pourrions éliminer le Service des délégués commerciaux et les services consulaires pour les remplacer par des sites Web et des numéros 1-800; nous pourrions éliminer nos programmes de perfectionnement et, à la place, signer des chèques aux organisations qui font du bon travail; et nous pourrions fermer la plupart de nos 175 missions et remplacer un personnel canadien qui coûte cher par des travailleurs locaux à contrat et des consuls honoraires.

Une autre solution serait qu’Affaires mondiales Canada — AMC — commence sérieusement à réfléchir au type de service extérieur dont un pays comme le Canada a besoin présentement et dont il aura besoin dans 20 ans.

Comme point de départ, il faut reconnaître que la politique étrangère est une responsabilité que partagent de nombreux ministères, qui ont une expertise dans divers domaines comme l’immigration, l’environnement, l’agriculture, les finances, les pêches et les forêts, mais, comme le service extérieur a besoin d’un champion, faute de mieux, ce rôle incombe à AMC.

Pour votre comité, c’est une tradition de discuter, entre personnes sérieuses, de questions stratégiques globales, mais la stratégie n’est pas le problème d’AMC. AMC sait pourquoi le pont Ambassador est important. Il sait pourquoi le NORAD et l’OTAN sont essentiels à la sécurité canadienne.

Les problèmes du service extérieur se trouvent à un autre niveau, le niveau opérationnel du gouvernement. Quelqu’un doit rendre des comptes sur ces problèmes opérationnels, mais souvent, on ferme les yeux. Pourquoi? Un collègue qui a quitté AMC a récemment décrit la situation en disant que c’est un système bureaucratique désuet où le processus décisionnel rejetait les risques, où les gens sur le terrain avaient peu d’autonomie, où les politiques en matière de ressources humaines étaient inefficaces et contreproductives et où la haute direction était complaisante et ne comprenait rien.

J’aimerais insister sur deux problèmes, qui ont un thème commun, à savoir l’expertise, la ressource la plus importante et la plus indispensable de n’importe quel ministère des Affaires étrangères. Le premier problème concerne ce qu’on appelle les employés recrutés sur place — ou ERP — dans nos missions à l’étranger. Les ERP sont des gens qu’on embauche comme traducteurs, interprètes et agents de programme. Dans la plupart des missions, il y a plus d’ERP que d’employés canadiens, et les ERP représentent environ le tiers des employés d’AMC. Cependant, on les traite de façon abominable. Les ambassades canadiennes ont déjà été un excellent endroit où travailler pour obtenir un salaire décent, selon les normes locales. Mais, il y a quelques années, AMC a décidé de ne plus compétitionner dans les échelons supérieurs du marché, et, au cours des dernières années, ses ambitions ont même reculé davantage. Aujourd’hui, les ambassades canadiennes ne sont plus un employeur de choix dans de nombreux pays.

Conséquemment, le Canada a perdu des ERP de valeur, efficaces et indispensables, sur lesquels reposait l’expertise locale. Si vous êtes incapable d’attirer les meilleurs ERP, votre service extérieur a des problèmes. Quand le sous-ministre des Affaires étrangères va témoigner devant votre comité, demandez-lui ce que le Canada fait pour aider les ERP de l’ambassade du Canada à Kiev, pendant que les Canadiens étaient envoyés vers la sécurité, ou alors pour aider les ERP de l’ambassade du Canada à Kaboul.

Le deuxième problème tient à la diminution de l’expertise spécialisée parmi les agents du service extérieur. Tous les bons ministères des Affaires étrangères axent leur expertise sur deux domaines : le premier est géographique, c’est l’expertise sur la Russie ou la Chine, où connaître la langue est une exigence essentielle; et l’autre est fonctionnelle, et c’est les connaissances thématiques touchant la sécurité internationale, le droit du commerce, les enjeux nucléaires, etc.

Il faut des efforts pour protéger cette expertise, et les ministères des Affaires étrangères qui réussissent y sont parvenus parce qu’ils ont demandé à leurs experts géographiques et fonctionnels de diriger ou de gérer conjointement les processus de recrutement, de formation et d’affectation. Puisqu’ils sont les gardiens de leurs propres volets, ils protègent l’expertise tout en planifiant la relève.

Il y a des années, AMC a décidé d’essayer d’appliquer le système de dotation de la fonction publique au système de gestion des bassins d’AMC, même si les deux systèmes étaient incompatibles. En faisant cela, AMC a enlevé aux experts leur rôle habituel dans la cogestion de l’expertise, et les RH ont pris le contrôle. En conséquence, AMC ne contrôle plus du tout son expertise, et les victimes ont été les aspirants experts du service extérieur.

Le président : Monsieur Livermore, j’ai bien peur que le temps soit écoulé. Je suis sûr que nous vous demanderons de terminer vos commentaires pendant la période de questions.

[Français]

Avant de laisser la place aux questions, je rappelle aux membres du comité qui participent à la réunion à distance d’utiliser la fonction « lever la main » pour signaler leur désir d’être ajouté à la liste que tient notre greffière.

J’aimerais préciser aux sénateurs qu’ils disposent de quatre minutes maximum chacun pour la première ronde, et que cela comprend à la fois les questions et les réponses.

Je demande donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde si le temps le permet.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos distingués experts. Ma question s’adresse à M. Small. Je me demandais si vous aimeriez dire quelque chose au sujet de la distribution géographique du personnel du service extérieur, dans le contexte des défis mondiaux, en constante évolution, que nous devons affronter. Avez-vous l’impression que nous sommes peut-être sous-représentés dans certains pays, par exemple, sur le continent africain? Si oui, quelle serait, selon vous, une solution possible à ces problèmes?

M. Small : Merci, monsieur le sénateur. Je n’ai pas examiné récemment la distribution de près, alors je vais devoir me fier à mes souvenirs.

L’une des raisons pour lesquelles nous avons des employés permutables au service extérieur, c’est justement parce qu’il est facile ainsi de déplacer le personnel en fonction des priorités changeantes des gouvernements et de l’évolution de la situation sur le terrain. En Afrique, en particulier, nous avons toujours eu une très forte présence pour fournir de l’aide, étant donné que ce sont les programmes les plus vastes qu’ont exécutés la plupart de nos ambassades. Il y a toujours des arguments convaincants, même si on n’y a pas suffisamment porté attention, selon lesquels il faudrait affecter là-bas des délégués commerciaux et plus d’agents politiques pour produire des rapports sur la gouvernance, sur les droits de la personne et sur les questions diplomatiques. C’est probablement de ce côté-là que je creuserais, si j’étais à mon ancien poste, en ce qui concerne la présence en Afrique.

Pour l’instant, compte tenu de la crise en Europe de l’Est, il est très évident que nous avons besoin de plus de gens sur le terrain, à notre toute petite mission de Riga, qui couvre les trois États baltes. Mais je suis sûr, puisque nous avons une présence en Ukraine, que nous allons vouloir davantage de personnes sur le terrain et pas seulement dans les capitales, pour composer avec le flux de réfugiés qui quittent le pays et les répercussions évidentes que cela va avoir.

Nous allons vouloir renforcer davantage notre expertise, au-delà de ce que nous avons pu faire au cours des dernières années, en particulier en ce qui concerne les langues d’Europe de l’Est. Voilà les dossiers prioritaires, à mon avis.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup. J’ai une question complémentaire pour M. Livermore.

Compte tenu de la nature permutable du service, croyez-vous que nous fournissons suffisamment de soutiens en matière de santé à notre personnel affecté à l’étranger, en particulier pour les problèmes psychologiques et médicaux, et vu la récente pandémie de COVID, que nous avons tous vécue? Les Canadiens à l’étranger se sentent-ils vulnérables, par rapport aux soins qu’ils ont reçus? Merci.

M. Livermore : Merci, monsieur le sénateur. Je crois qu’il est difficile de répondre à cette question, étant donné que le bilan n’est pas 100 % clair.

Ces dernières années, le ministère a fait je crois un assez bon travail pour mettre à niveau sa capacité d’intervention face aux nouveaux développements, mais le fait est que, tout simplement, il y a très peu d’employés du service extérieur sur le terrain, ce qui veut dire que, si vous retirez une personne ou une famille de son poste à cause de la COVID ou d’un autre genre de problème, vous épuisez, essentiellement, la capacité de fonctionnement de ce poste. Vous devez rétablir les choses très rapidement.

Le fait est que, tout simplement, le service extérieur n’est pas suffisamment robuste pour fonctionner dans de telles conditions. Nous avons besoin d’un service extérieur beaucoup plus solide et beaucoup plus flexible, disposant d’une capacité d’appoint en personnel compétent pour compenser ces problèmes, et nous ne l’avons pas. Nous avons perdu cette capacité d’appoint.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse d’abord à Mme Isfeld, mais la deuxième partie est ouverte à tous.

Madame Isfeld, il y a deux ans, quand vous êtes devenue présidente de l’Association professionnelle des agents du service extérieur, vous avez parlé de la culture d’aversion au risque du ministère des Affaires étrangères. Vous avez dit :

Beaucoup de hauts dirigeants ont été promus à une époque où ce qui était le plus sécuritaire, c’était de miser sur les processus et de ne pas faire trop de vagues, et ils continuent d’éviter de prendre des risques, même lorsqu’il y a énormément à gagner.

Vous avez dit que vous vous prépariez à exercer des pressions pour changer cela. Quels résultats avez-vous obtenus, de ce côté-là? Et ma question qui s’adresse à vous tous : pouvez-vous décrire la façon dont cette culture d’aversion au risque se manifeste, surtout, et quelles en sont les conséquences pour la politique étrangère canadienne?

Mme Isfeld : Merci beaucoup de poser cette question. Nous continuons de voir des problèmes, parce que la haute direction continue d’éviter la plupart des risques, et aussi parce qu’elle est axée sur la gestion des crises. Il n’y a pas vraiment d’incitatifs à la planification. Comme l’a dit mon collègue, M. Livermore, à propos des soins de santé, nous n’avons pas une grande capacité d’appoint. Nous sommes incapables, en tant que ministère ou en tant que culture, de regarder très loin dans l’avenir, de prendre des décisions et de nous préparer à prendre des risques.

Au cours des deux dernières années en particulier, le ministère et la haute direction ont été forcés d’être encore plus flexibles et de prendre des risques qu’ils ne voulaient pas nécessairement prendre. Je ne sais pas si je peux m’en attribuer le mérite, en tant que présidente à temps plein, parce que c’est en partie dû aux circonstances de la COVID et à d’autres choses qui sont simplement survenues.

Toutes ces forces combinées font qu’Affaires mondiales en particulier, et IRCC aussi, doivent revoir le fonctionnement du système dans son ensemble et aussi son incidence sur la gestion du service extérieur en particulier.

L’une des plaintes que le groupe FS avait déjà à l’époque de la commission, en 1981, c’était que nous embauchons des gens très intelligents, avec beaucoup de compétences et d’aptitudes, mais que nous ne leur donnons pas ensuite beaucoup de latitude pour agir et prendre des décisions sur le terrain. Nous avons des exigences d’approbation très élevées. Les processus encombrants sont fastidieux. Ce sont des choses parmi d’autres que nous aimerions voir changer, et nous croyons que cela pourrait rendre le service extérieur beaucoup plus efficace.

Le président : Il nous reste une minute, donc assez de temps pour que M. Small et M. Livermore puissent formuler rapidement des commentaires.

M. Small : C’est une critique très répandue. Je crois que cela s’applique à l’ensemble de la fonction publique. J’examinerais certaines des tendances à l’échelle de la fonction publique, par rapport au fait que la reddition de comptes est de plus en plus lourde, pour la haute direction, année après année, et aussi par rapport à la tendance à la centralisation, dont j’ai parlé dans mon exposé. En d’autres mots, les gens qu’on embauche pour prendre des initiatives sont moins portés à en prendre. Notre culture médiatique punit les gens qui ont l’air de vouloir sortir du rang, presque instantanément, et ce, même si on encourage beaucoup les diplomates à utiliser les médias sociaux, aujourd’hui. Ces facteurs contribuent.

Le président : Monsieur Livermore, vous avez 30 secondes.

M. Livermore : J’essaierai d’être bref. J’ai un point principal : vous engagez de jeunes experts, très compétents. Ensuite, ces experts sont suffoqués par l’appareil de la haute direction — qui est extrêmement lourd, et je recommanderais aux sénateurs de jeter un œil à la quantité de cadres supérieurs —, et toutes les traces d’expertise sont éliminées par la haute direction, dans les notes qui sont envoyées au ministre. Il y a une raison pour laquelle ce qui se rend au ministre n’a pas l’air d’avoir été rédigé par un expert.

Le sénateur Woo : Merci aux témoins; c’est un bon départ pour notre étude.

Pour ma première question, je vais donner l’occasion à M. Livermore de terminer son exposé. En particulier, je lui demanderais de préciser ses commentaires préliminaires quand il disait, essentiellement, qu’il fallait éliminer le Service des délégués commerciaux et l’équipe du développement international à l’étranger. Était-ce de l’ironie? Je n’ai pas vraiment compris où vous vouliez en venir. Je veux donc vous permettre de clarifier.

M. Livermore : Ce que je laissais entendre, c’est que nous sommes déjà en voie d’éliminer le volet de développement et le service consulaire, parce que nous voulons pousser l’idée que des numéros 1-800 et des chèques, c’est tout aussi efficient et efficace, même si, bien sûr, ce ne l’est absolument pas.

Donc, c’était effectivement un commentaire ironique, mais ce qui est remarquable, c’est que c’est ce que le ministère est en train de faire, à certains égards, et peut-être que le comité devrait se pencher là-dessus. On devrait examiner l’expertise en matière de développement, la façon dont elle est utilisée et comment le ministère pourrait en tirer efficacement parti. On devrait examiner les services consulaires et déterminer s’ils sont utilisés efficacement sur le terrain. Je crois que c’est une très bonne chose que les services consulaires utilisent des numéros 1-800, dans certaines circonstances. Peut-être même que jusqu’à 80 % des dossiers consulaires pourraient être réglés de cette façon, mais ce n’est pas la solution pour le service extérieur canadien de l’avenir.

Le sénateur Woo : Merci, c’était très utile.

Monsieur Small, je suis heureux de vous revoir. Pouvez-vous m’aider à comprendre un peu plus ce qu’est le système de gestion des bassins et dire pourquoi il est si important pour notre service extérieur? Si M. Livermore veut ajouter quelque chose à la discussion, ses commentaires seraient les bienvenus.

M. Small : C’est un aspect technique des ressources humaines, mais c’est un aspect extrêmement important, parce qu’il a d’énormes conséquences sur la gestion du service extérieur.

On engage des gens en tant qu’agents du service extérieur de niveau 1 ou 2. Ces gens ne sont pas embauchés pour un poste précis. Donc, vous n’embauchez personne pour être conseiller à l’ambassade du Canada à Washington; personne n’est affecté là-bas de façon permanente, parce que cela permettrait à la personne, par extension, de rester à Washington indéfiniment... C’est comme si vous embauchiez, par exemple, un expert technique pour votre administration centrale à Ottawa. Donc, on engage un bassin de gens, et la condition est que ces employés sont permutables. Cela assure la flexibilité et la permutabilité, essentielles au bon fonctionnement du service extérieur et lui permettent de réagir aux pressions et aux besoins divers.

Cela veut aussi dire qu’un gestionnaire qui doit combler un poste vacant ne peut pas simplement embaucher un agent permutable du service extérieur. Disons que je suis un directeur à Ottawa et qu’il me manque un chargé de dossier en Ukraine; je ne peux pas simplement aller embaucher un nouvel agent du service extérieur pour ce poste. Cela relève du service extérieur. Il faut une fonction centralisée pour maintenir des niveaux de dotation élevés, et cela suppose une planification à long terme et uniforme, pour maintenir un niveau élevé de dotation. Et comme je l’ai dit, cela n’a pas vraiment été fait. Le portrait que Mme Isfeld a brossé des agents-gestionnaires consulaires en est un bon exemple.

Le sénateur Woo : Êtes-vous en train de dire qu’on essaie d’affaiblir ce système de gestion des bassins? C’est ce que j’ai compris. Qu’en dites-vous, monsieur Livermore?

M. Livermore : La gestion des bassins est devenue inutile, parce qu’on a essayé de combiner deux systèmes tout bonnement incompatibles.

Je vais vous donner un exemple sur le développement de l’expertise sur la Russie. Si vous voulez de l’expertise sur la Russie, vous devez essentiellement former, chaque année, des experts en langue russe. Vous avez besoin d’affectations de niveau subalterne à Moscou. Vous devez renvoyer ces gens à Moscou, ou peut-être dans des pays voisins, durant leur carrière, pour que, quand vous allez avoir besoin d’un second à Moscou, peut-être d’un ambassadeur, vous avez tout un bassin de personnes qui parlent russe et qui connaissent le pays et ses enjeux. Nous n’avons pas fait cela depuis des années.

Le sénateur Richards : Merci aux témoins et à nos invités. J’ai deux petites questions, pour quiconque veut répondre.

Avons-nous découvert la cause du syndrome de La Havane? Était-ce une attaque par logiciel malveillant? Combien de gens ont été touchés, et quelles mesures compensatoires ont été prises?

Mme Isfeld : Merci de la question. D’après les derniers chiffres, nous savons qu’environ 17 personnes ont été touchées par ce qu’on appelle le syndrome de La Havane. Quatorze étaient des membres de l’APASE, et les autres appartenaient à d’autres groupes professionnels. Une enquête est en cours, mais aucune conclusion n’a été tirée sur une cause possible. Il y a diverses théories et explications scientifiques, mais les choses sont compliquées à cause de la situation politique, vu les relations entre le Canada et Cuba, entre Cuba et les États-Unis, et cetera, mais nous n’avons pas de conclusion.

Cela a mis en relief pour nous le problème du soutien en santé pour nos membres et pour les autres employés du service extérieur. Ce qui est arrivé, entre autres, c’est que quand les gens sont rentrés chez eux, on leur a essentiellement dit après un certain temps d’aller voir leur médecin quand ils rentraient. Puisque beaucoup d’entre eux étaient à l’étranger depuis des années, certains n’avaient même pas de médecin de famille, encore moins un médecin capable de traiter quelque chose comme cela. Depuis, le ministère a offert plus de soutien aux gens et s’est doté d’une plus grande capacité interne pour conseiller les gens qui ont ce genre de problèmes. De notre point de vue de syndicat représentant les travailleurs, il s’agit d’un problème majeur, et la chose la plus importante qui est arrivée à cause du syndrome de La Havane. Je vais laisser les autres en dire plus.

Le sénateur Richards : Merci de la réponse. C’est un combat constant, n’est-ce pas?

Je suis le premier à être d’accord que la diversité à tous les échelons du gouvernement est nécessaire, mais comment la diversité peut-elle coexister avec le niveau d’excellence du service extérieur canadien d’aujourd’hui? Je pose cette question à tout le monde.

M. Small : Je pense que cela la fait avancer. Il est extrêmement important que nous ayons non seulement un service extérieur canadien qui représente le Canada à tous les égards, géographiquement, dans les différentes régions du pays, mais également les autres formes de la diversité, y compris la communauté LGBTQ et les différentes cultures.

Le service extérieur est un employeur très attrayant. Nous sommes un employeur de choix, en particulier pour les néo-Canadiens et les Canadiens de deuxième génération. Cela renforce notre service extérieur, pas seulement pour ce qui est des pays où les employés peuvent avoir des liens personnels et connaître des langues, mais en montrant que nous sommes un pays multiculturel et que nous avons des personnes de différentes origines qui vont servir ailleurs. J’en suis un fervent défenseur, et je pense que le service extérieur n’en a tiré que des avantages.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos intervenants d’aujourd’hui. Je suis en contact avec le service extérieur depuis maintenant des décennies et on m’a déjà offert un poste, à l’âge des ténèbres, en 1984, quand j’ai obtenu mon diplôme, pour me joindre à ce qui était alors l’Agence canadienne de développement international, l’ACDI. Je ne l’ai pas fait. Une grande partie de ce que vous dites m’interpelle.

Monsieur Livermore, ma première question s’adresse à vous. Si vous pensez à l’expertise du service extérieur, selon vous, qu’est-ce qui reste constant du côté des besoins? Vous avez parlé des aspects géographiques et fonctionnels. Selon vous, qu’est-ce qui reste constant et qu’est-ce qui change, en particulier en ce qui concerne l’avenir, le recrutement et la formation du personnel du service extérieur?

M. Livermore : Nous avons fait un bon travail au fil des années en recrutant des personnes ayant le sens de l’initiative et certaines compétences. Nous étions à la recherche de capacités linguistiques, et elles sont abondantes au Canada grâce à la diversité de notre population. Nous avons également offert une formation linguistique à de nombreuses personnes, mais cette formation a disparu ces dernières années en raison des problèmes liés au coût des écoles de langues. Je pense qu’on a toujours besoin des volets de base de l’expertise linguistique. On a besoin du russe, de l’arabe, du japonais, du coréen, du mandarin, et cetera. Et on en a besoin en quantité. C’est là que nous avons perdu notre expertise.

Nous avons de nombreuses possibilités de le faire. Je me rappelle, au début de ma carrière, qu’on m’a offert un poste à Moscou en me disant que je ne suivrais pas de formation linguistique avant d’y aller, et j’ai décidé de refuser cette affectation.

Si nous n’assurons pas ce type de formation, nous nuisons au service extérieur à long terme. La gestion des bassins rend cela très flexible et facile à adapter rapidement. Nous pouvons le faire très facilement si nous mettons les bons systèmes en place. Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Livermore.

J’ai une question pour M. Small. Vous avez parlé des chefs de mission qui ne sont pas des diplomates de carrière et des problèmes que cela soulève. C’est une réalité. Que faisons-nous à ce sujet? Selon vous, comment ces personnes peuvent-elles être mieux préparées? Comment sont-elles mieux intégrées? Comment la bureaucratie et cette personne peuvent-elles s’entendre de manière plus optimale pour assurer le fonctionnement de ce rôle important?

M. Small : Merci, madame la sénatrice. C’est une réalité. C’est également un choix. Ce que je dis, principalement, c’est que le gouvernement doit agir de façon stratégique et sélective quand il s’agit des missions dirigées par des personnes de l’extérieur de la fonction publique, car il y a des coûts invisibles, auxquels j’ai essayé de faire allusion en parlant de l’efficience opérationnelle.

Nos plus grandes ambassades à l’étranger, notamment à Londres, à Paris, à Washington, ont toujours été dirigées par des chefs de mission adjoints de carrière. Souvent, ces personnes étaient auparavant des ambassadeurs et sont très bien préparées pour soutenir quelqu’un qui arrive et qui ne fait pas partie de la fonction publique, mais cela n’est plus vrai dès le niveau suivant, ou même dans les autres missions du G8. Ces coûts deviennent de plus en plus évidents à mesure que l’on confie les missions plus petites à des personnes qui ne font pas partie de la fonction publique. C’est une réponse, mais c’est également coûteux pour ce qui est des ressources ministérielles.

Plus important encore, je soulignerais le coût du perfectionnement professionnel à long terme. Être ambassadeur en France ou haut-commissaire à Londres, c’est l’apogée d’une carrière. Si personne faisant carrière au service extérieur n’a jamais l’occasion d’y prétendre, cela a un effet. Actuellement, notre poste le plus important — à Washington — est occupé par une diplomate de carrière, et c’était très encourageant, mais c’est la première fois en 16 ans que ça arrive.

Le président : Merci, monsieur Small.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à Mme Isfeld.

Il y a quelque temps, le Bureau du Conseil privé a formulé un appel à l’action en vue de lutter contre le racisme systémique et de favoriser une meilleure représentativité des différentes communautés, en particulier les communautés afrocanadiennes et autochtones.

Dans la foulée de cet appel, AMC a annoncé avoir pris des mesures en vue notamment d’augmenter le nombre d’employés noirs et autochtones qui travaillent à l’exécutif.

Avez-vous observé des changements concrets à la suite des mesures annoncées par AMC? Si oui, pensez-vous qu’elles sont suffisantes? Merci.

[Traduction]

Mme Isfeld : Ces deux ou trois dernières années, nous avons vu des changements. À Affaires mondiales Canada, ils ont mis sur pied un secrétariat antiracisme qui travaille pour augmenter les possibilités pour les agents noirs, en particulier, et les membres des minorités visibles. Nous avons constaté qu’il y a eu quelques efforts, quelques promotions ciblant particulièrement les membres de ces groupes.

Je ne suis pas certaine d’avoir vu quelqu’un être nommé dans le cadre de ces concours, mais nous constatons sans l’ombre d’un doute des changements dans l’approche de la dotation en personnel et la reconnaissance de la valeur de la diversité dans la haute direction, ainsi que dans tous nos rangs également, car nous ne sommes pas seulement censés représenter à l’étranger et informer notre siège et notre système de ce qui se passe dans nos pays. Nous sommes également censés représenter dans ces autres endroits le Canada et l’image du Canada, et il y a absolument une valeur à faire cela et à apporter des perspectives différentes.

Je pense que cela prendra un peu de temps, mais je pense aussi qu’il y a des efforts sérieux visant à apporter du changement à Affaires mondiales Canada en particulier, ainsi qu’à IRCC.

M. Small : Très brièvement, ma propre expérience remonte à il y a 10 ans, quand j’étais directeur des ressources humaines. Le ministère surembauchait, avait une forte représentation de personnes considérées comme faisant partie de minorités visibles, mais, si l’on regardait à l’intérieur de ce groupe, on ne trouvait pas un équilibre tout à fait représentatif. Les employés noirs ou d’origine africaine étaient certainement sous-représentés dans le recrutement du ministère. Comme l’a expliqué Mme Isfeld, les efforts actuels sont appréciés, car on déploie des efforts plus délibérés pour recruter et encourager des personnes de ces milieux à se joindre au service extérieur. Le service extérieur dans son ensemble, y compris à l’échelon de chef de mission, fait du bon travail pour représenter la diversité de notre pays, mais faire progresser ces personnes est un processus à long terme, et on doit commencer par le bas, en les recrutant.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à tout le monde.

Madame Isfeld, il y a deux ans, quand vous êtes devenue présidente de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur, vous avez mentionné être préoccupée par le manque de recrutement et de renouvellement dans le système. Comment ce problème est-il résolu aujourd’hui? Y a-t-il eu une amélioration jusqu’à présent?

Mme Isfeld : Merci, monsieur le sénateur. Oui, il y en a eu. Nous devons reconnaître qu’Affaires mondiales Canada a réagi aux préoccupations. Des préoccupations ont été soulevées dans le cadre d’un audit du système de dotation, il y a quelques années, et Affaires mondiales Canada a examiné son mode de recrutement. Depuis 2019, il y a eu deux embauches au premier échelon, FS1, à Affaires mondiales, et des exercices d’avancement associés en amont de la chaîne pour reconstituer ces groupes.

Il semble que leur système consiste à recruter et organiser un concours tous les deux ans, ce qui est logique. Je pense que tout ce que nous pouvons espérer, c’est qu’ils continuent à le faire parce qu’ils ont besoin de personnel. Après un trou de 10 ans environ, surtout au premier échelon, cela a laissé quelques failles dans le système, et ils doivent reconstituer ces groupes et renforcer leur capacité. Cependant, c’est en cours, et je pense que le problème est reconnu à Affaires mondiales Canada et à IRCC.

M. Small : J’aimerais seulement ajouter l’importance de la formation en langues officielles. Les agents du service extérieur doivent être bilingues, et je pense que votre deuxième groupe de témoins en parlera plus longuement. Le système éducatif canadien ne forme pas toujours des employés bilingues. Le service extérieur a un système bien développé pour former ses nouveaux employés dans les deux langues officielles pour s’assurer que, quand ils débutent, ils sont fonctionnellement tout à fait bilingues. Une des raisons pour laquelle il y a eu ce grand trou est que c’est coûteux, et que l’on a décidé à un certain moment, avant 2019, de cesser de financer cette formation. Le service extérieur pourrait embaucher des gens qui sont déjà tout à fait bilingues, mais il ne pourra pas en embaucher en nombre suffisant dans tout le pays.

Je vis actuellement en Colombie-Britannique. Le système éducatif ici et dans l’Ouest canadien n’est pas très uniforme en ce qui concerne la formation de diplômés bilingues de notre système d’écoles publiques. Je suis heureux de voir que le ministère a corrigé le problème et qu’il est revenu à ce qu’il faisait avant. Cependant, cela nuit à la représentativité.

Enfin, la question de tout à l’heure, l’aversion au risque, je pense que l’une des raisons pour lesquelles il y a eu cette longue pénurie est que la haute direction et le ministère étaient assez peu enclins à prendre des risques pour surpeupler ses bassins, mais le résultat net est qu’il n’a pas embauché suffisamment pour répondre aux besoins.

M. Livermore : Je pourrais peut-être dire deux ou trois choses. Le recrutement a été très insuffisant au fil du temps, ce qui est la source de ces problèmes actuels d’Affaires mondiales Canada.

Il faut recruter un grand nombre de personnes et bien les former parce qu’il faut tenir compte du taux d’attrition. Autrement dit, il y a des gens qui quittent le service extérieur. Ils le quittent après une affectation. Parfois, ils partent à mi-chemin de leur carrière, mais il y en a souvent qui partent, et il faut anticiper cela. Je recommanderais au comité d’examiner les données. Ne vous en tenez pas aux déclarations des témoins, examinez les données pour savoir combien de personnes ont été recrutées et pourquoi ces décisions ont été prises. Je pense que vous trouverez les données choquantes, avec le recul.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Quarante-quatre ans se sont écoulés, et notre monde a changé. Regardez le globe; notre globe a changé. C’est remarquable et, franchement, c’est toute une tâche que d’assimiler toutes les informations qui nous ont été présentées — je remercie la Bibliothèque du Parlement et les autres — pour commencer ce processus, aujourd’hui.

J’aimerais m’adresser d’abord à Mme Isfeld; j’aimerais vous poser une question sur votre parcours et votre travail; vous avez eu quelques affectations. Si je me souviens bien, vous avez été en poste en Russie et en Afghanistan, entre autres. Je vais vous demander — et les autres pourront répondre — que constatez-vous? J’essaie d’examiner les répercussions réelles, sur la réalité sur le terrain, de ce qui semble être un certain nombre de problèmes dans une organisation qui doit faire son examen et le faire minutieusement. Sur le terrain, en Russie, en Afghanistan, dans les différents endroits où vous êtes allée, quel est, selon vous, le principal résultat final des questions dont nous parlons aujourd’hui, de durabilité, des enjeux organisationnels, des lacunes, des cultures, de la gestion? Comment cela se traduit-il sur le terrain?

Mme Isfeld : Merci de poser la question, madame la sénatrice. C’est une question très importante, mais il est également un peu difficile de donner une réponse précise. Je vais peut-être simplement parler de mon expérience personnelle. Ma dernière affectation était à Varsovie, en Pologne. J’étais le seul membre canadien dans ma section. J’étais la cheffe de la section politique, la conseillère politique. Je n’avais aucun autre membre du personnel basé au Canada. J’avais une excellente équipe d’employés locaux, mais ils ne pouvaient pas avoir des habilitations de sécurité canadiennes du même niveau. Ils ne pouvaient pas voyager. Nous avons été accrédités en Biélorussie, et c’était difficile pour eux. Ils n’avaient pas de statut diplomatique, il était donc plus difficile et plus risqué pour eux de voyager dans notre autre pays d’accréditation.

Le fait que nous n’avions pas recruté et que nous avions supprimé des postes de débutants à l’étranger signifiait que, dans mon équipe, je n’avais aucun soutien d’un autre Canadien, quand il se passait des choses. Par exemple, quand la Crimée a été envahie en 2014, ce que nous n’avions pas vu venir, cela a fondamentalement changé le travail de notre section, qui s’est concentrée bien davantage sur la sécurité. Nous avions en Pologne, à ce moment-là, une sorte de relation commerciale. Nous nous occupions beaucoup d’affaires publiques et ainsi de suite. Heureusement, il se trouve que j’avais des connaissances en matière de sécurité et que je parlais un peu le russe et ainsi de suite. L’idéal aurait été d’avoir un adjoint, une certaine augmentation de la capacité à ce moment-là. J’ai vu le manque de capacité.

En Afghanistan, les deux fois où je suis allée, j’ai été détachée, envoyée à l’OTAN pour travailler comme conseillère politique de généraux canadiens. Et encore une fois, au début, j’étais alors la seule employée des Affaires étrangères affectée à ces missions. Ils ont augmenté notre présence après cela. Mais, au départ, nous n’avions pas assez d’employés pour envoyer une équipe de deux personnes, pour que je ne travaille pas 14 heures par jour, 7 jours par semaine. Ce sont les choses vraiment concrètes que nous constatons avec le manque de recrutement. C’est une question de charge de travail, de manque de capacité d’appoint et de niveau de connaissances.

Le président : Merci, madame Isfeld.

La sénatrice Boniface : Je poursuivrai avec le même genre de questions que la sénatrice Deacon. J’ai en particulier retenu les commentaires de M. Livermore, au sujet de l’absence de capacité d’appoint. Le monde a considérablement changé pour tout ce qui a trait à la sécurité.

Madame Isfeld, c’est une bonne chose que vous ayez eu une certaine expérience en matière de sécurité, vu les problèmes que vous avez eus. Mais je me demandais comment vous envisageriez, tous les deux, le retour de cette capacité d’appoint. Dans quelle mesure est-il réaliste, à notre époque... Dans quelle mesure est-il réaliste et, par défaut, nécessaire d’avoir une capacité d’appoint dans ce domaine, quand nous regardons le monde qui nous entoure aujourd’hui?

M. Livermore : Je pense que la capacité d’appoint est absolument essentielle. La capacité d’appoint peut être maintenue à Ottawa, où il est assez peu coûteux de la maintenir, plutôt que dans les missions, où elle est relativement coûteuse. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le plus important, c’est le recrutement. Vous devez avoir des gens. Vous devez leur donner une formation en langues, et vous devez les envoyer à l’extérieur. Le service extérieur d’aujourd’hui pourrait être très simple. Donnez à un agent du service extérieur une carte de crédit; demandez à cette personne de s’installer dans une capitale à l’étranger quelque part. Cela pourrait être très simple, ou très compliqué, selon les circonstances.

Je pense que, en faisant votre enquête, vous constaterez qu’Affaires mondiales Canada est en surnombre en matière de surveillance. Il y a beaucoup trop de personnes qui surveillent trop de choses en essayant de cocher trop de cases à trop d’endroits. Une partie de cette charge doit être allégée. Ces économies peuvent être utilisées pour créer une capacité d’appoint. En allégeant la charge de la haute direction, on peut créer une capacité d’appoint. L’avantage de l’augmentation de la capacité d’appoint des postes de débutants, c’est qu’elle est relativement peu coûteuse, contrairement à celle de la haute direction, qui est relativement coûteuse.

Mme Isfeld : La réponse suppose une évaluation réaliste et la volonté d’investir. Cela signifie qu’il faut recruter plus de personnes, les payer et reconnaître qu’il y a un coût à faire ce genre de choses. Prenez les forces armées, par exemple, et leur mode de dotation, elles ont de la place pour former les gens et ainsi de suite, et nous devons faire la même chose.

Le président : Je tiens à exprimer ma frustration, en tant que président, de ne pas pouvoir poser de question et de ne pas avoir une deuxième série de questions. Peut-être dans le prochain groupe de témoins.

Le sénateur Harder : Monsieur le président, encore une fois, je transmettrai votre question dans mes propres mots.

Il est bon de revoir d’anciens collègues. Je vous remercie de votre participation. Monsieur Small, je veux vous assurer que, dans notre étude, nous ne nous intéressons pas seulement aux 2 000 personnes en rotation dans le service extérieur. Nous ne nous intéressons pas seulement aux 12 000 personnes qui sont au ministère; nous voulons également explicitement examiner les employés recrutés sur place et les interactions entre le ministère des Affaires mondiales et d’autres ministères ayant un intérêt dans d’autres pays et, franchement, leur intérêt dans Affaires mondiales, car ce n’est pas à sens unique.

Je voulais également revenir sur un thème que j’ai entendu aujourd’hui sur lequel je suis tout à fait d’accord. Il s’agit de la nécessité d’avoir, dans un ministère des Affaires étrangères, une capacité de redondance. Quand nous avons commencé en Afghanistan, personne ne parlait les langues tribales de l’Afghanistan et le pachtou en particulier. Cela a nui à notre capacité.

Monsieur Livermore, pourriez-vous nous parler du type de capacité de redondance dont nous avons besoin? Le deuxième point sur lequel j’aimerais revenir, c’est votre commentaire sur le système de bassins communs qui ne fonctionne pas. Je suis tout à fait de votre avis. Nous avons au service extérieur des agents permutants qui ne permutent pas, et des agents non permutants qui permutent régulièrement. N’est-il pas temps de reconnaître que le bassin est, en fait, le ministère? Peut-être même que le ministère devrait être son propre employeur, une chose que je soutiendrais.

Monsieur Livermore, je me demandais si vous pouviez répondre. Pourriez-vous nous communiquer par écrit les données que nous devrions rechercher dans cette étude?

Le président : Monsieur Livermore, rapidement, si vous le pouvez, car nous avons largement dépassé le temps imparti.

M. Livermore : Très rapidement, je pense que nous devons envisager tout un groupe de postes. Choisissez un nombre. Choisissez 100 postes de personnes qui suivent une formation à temps plein en langues. Et sur ces 100 personnes, il pourrait y avoir 10 personnes en russe, 20 personnes en mandarin, 5 en coréen, et cetera.

Nous devons nous assurer de réserver ce nombre et de ne pas le réduire, comme nous le faisons maintenant, chaque fois qu’il y a un exercice de réduction. C’est comme cela que l’on crée de l’expertise linguistique. La redondance peut prendre diverses formes et peut servir à détacher des gens à d’autres ministères, quand ils ont de l’expertise dans les questions de politique étrangère. Elle peut également servir pour le déploiement vers des missions qui ont des difficultés. On manque d’effectif pour une raison ou une autre.

Une fois que vous avez un système de gestion des bassins communs qui fonctionne, il est très facile de gérer la capacité d’appoint. Il faut simplement le faire.

Le président : Monsieur Livermore, j’aimerais vous remercier de cette réponse et remercier le sénateur Harder de la question.

J’aimerais remercier nos trois témoins de leurs commentaires d’aujourd’hui. Votre expertise est très appréciée. J’ose dire que nous pourrions vous convoquer de nouveau, à un moment donné, pendant notre étude.

Pour la deuxième partie de notre séance d’aujourd’hui, nous avons encore trois experts. Mme Margaret Biggs est boursière du programme Matthews en politiques publiques mondiales de l’Université Queen’s. Elle est également présidente du Centre de recherches pour le développement international et une ancienne présidente de l’Agence canadienne de développement international, où j’ai travaillé en étroite collaboration avec elle dans le passé.

[Français]

Nous recevons aussi Pierre Guimond, diplomate en résidence, École supérieure d’études internationales, Université Laval, ancien ambassadeur en Hongrie et ministre conseiller à Paris.

[Traduction]

Et nous accueillons M. Ben Rowswell, président et directeur de recherche du Conseil international du Canada, qui a servi en Afghanistan et a terminé sa carrière dans le service extérieur en tant qu’ambassadeur du Canada au Venezuela.

Nous commencerons par Mme Biggs. Vous avez la parole.

Margaret Biggs, boursière du programme Matthews en politiques publiques mondiales, Université Queen’s, à titre personnel :

Merci de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui. Votre examen de la pertinence d’un ministère consacré à la politique étrangère du Canada est opportun et essentiel compte tenu de l’évolution rapide du contexte mondial auquel le Canada fait face.

J’adopterai une approche ou une perspective légèrement différente de celle de vos précédents témoins.

J’aborderai trois questions qui, à mon avis, seront importantes pour votre étude de notre ministère des Affaires étrangères intégré, à savoir le contexte, les capacités et la cohérence.

D’abord, le contexte; la crise en Ukraine a rompu le charme de la complaisance de l’après-guerre froide qui a conditionné le Canada et les Canadiens à tenir pour acquises depuis trop longtemps les affaires internationales.

Le Canada fait actuellement face à un contexte opérationnel incertain et potentiellement hostile. La détérioration rapide du contexte géopolitique s’ajoute désormais à d’autres perturbateurs majeurs, à savoir la crise des changements climatiques, la pandémie mondiale, les cybermenaces, la régression de la démocratie, et cetera, pour n’en citer quelques-uns. Tout cela dépasse les frontières. Tous ces aspects se répercutent sur nos valeurs et nos intérêts fondamentaux. Aucun d’eux n’est facultatif.

Si les alliances du Canada sont plus importantes que jamais, nos alliés peuvent parfois être imprévisibles, et ils attendent également de nous que nous apportions à la table des actions et des atouts concrets.

Pour savoir si notre ministère des Affaires étrangères joue son rôle, j’encourage réellement le comité à axer son étude sur l’évaluation de ces nouvelles réalités.

Parlons maintenant des capacités. Pendant que nous assistons avec horreur à la crise en Ukraine, l’attention s’est maintenant portée vers les capacités de défense de l’OTAN et du Canada.

Il ne fait aucun doute que le Canada doit améliorer ses capacités en matière de défense. Mais pour la plupart des défis mondiaux contemporains — qu’il s’agisse de pandémies, de crises humanitaires et de réfugiés prolongées, de cybernétique, de forces antidémocratiques, de violations des droits de la personne — il n’y a pas de solutions militaires.

Plus que jamais, Affaires mondiales Canada doit diriger et galvaniser les efforts du Canada. Comme vous l’avez déjà entendu aujourd’hui, le Canada doit réinvestir dans son corps diplomatique. Notre ministère des Affaires étrangères a besoin de personnes ayant une compréhension profonde des autres pays et sociétés, et de personnes capables de promouvoir les intérêts du Canada sur une myriade de tribunes internationales.

Cependant, pour être en mesure de remplir sa mission, le ministère des Affaires étrangères du Canada doit disposer de capacités et d’instruments solides dans de multiples fonctions — commerce, politique, diplomatie, développement — et dans divers ensembles de domaines.

J’encourage le comité à élargir la portée de son étude et à examiner les compétences, la formation et les cheminements de carrière nécessaires au bon fonctionnement du ministère des Affaires étrangères dans son ensemble.

J’aimerais souligner deux domaines qui, à mon avis, sont d’une importance vitale et risquent d’être négligés.

Contrairement peut-être à ce que les autres ont dit, je dirais tout d’abord qu’Affaires mondiales a besoin d’une situation intérieure robuste. Les ministères des Affaires étrangères sont complexes, décentralisés et très réactifs, et ils fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Pour compléter ces impératifs opérationnels, Affaires mondiales a besoin d’une fonction de planification stratégique solide. Il doit avoir la capacité de regarder au-delà de l’horizon, d’intégrer les différentes questions, de distinguer les signaux du bruit. Il doit pouvoir générer de nouvelles idées et solutions. Il a besoin d’une expertise approfondie sur certaines questions fondamentales, comme l’économie internationale. Il a besoin de gens qui peuvent travailler dans l’ensemble du gouvernement, établir des relations avec les intervenants canadiens et collaborer avec les ministres et les parlementaires et les soutenir.

Ensuite, le Canada a besoin d’une solide capacité en matière de développement mondial, un effectif qui comprend comment différentes sociétés se construisent et est capable de réaliser des interventions efficaces; un effectif qui peut fonctionner avec de multiples outils de financement du développement, qui est à l’affût des données probantes et des solutions novatrices et qui peut contribuer de manière utile aux délibérations des principales institutions mondiales comme la Banque mondiale ou les agences des Nations unies tel que le Programme alimentaire mondial.

Au moment de la fusion, on craignait que l’Agence canadienne de développement international soit subordonnée aux intérêts politiques et commerciaux. Je ne crois pas que cela se soit produit. Mais il y a des risques.

Pour être franche, l’histoire montre que les ministères des Affaires étrangères considèrent traditionnellement le développement comme une question secondaire, une vocation secondaire. Et les ministères intégrés dans d’autres pays ont fait une mise en garde : l’expertise en matière de développement a tendance à se vider de sa substance après quelques années, ce qui affaiblit la capacité et l’efficacité.

L’OCDE a fait remarquer que l’efficacité du développement a perdu de son importance au cours des dernières années. Et c’est important, non seulement en raison de l’impératif moral de lutter contre la pauvreté et l’exclusion dans le monde, mais aussi parce que nos efforts d’aide au développement doivent être aussi efficaces que possible. Et c’est important parce que notre prospérité et notre sécurité futures, ainsi que la durabilité de la planète, dépendent de la manière dont les pays à revenu faible et intermédiaire se développent.

Enfin, je veux dire une chose sur la cohérence.

Je crois que l’on peut faire davantage pour tirer parti des atouts du ministère intégré. Je signale que la cohérence est une question multidimensionnelle, multivariationnelle et multidirectionnelle. Par exemple, l’OCDE a élaboré des orientations sur la cohérence des politiques pour le développement durable qui sont suivies par de nombreux pays européens.

Je voudrais mentionner brièvement trois domaines qui, selon moi, sont actuellement sous-exploités. Le premier est le commerce et le développement. À l’instar du Canada, les pays en développement cherchent à faire croître leur économie, à percer les marchés internationaux et à surmonter une myriade d’obstacles commerciaux. Le Canada, quant à lui, cherche à étendre ses recherches à de nouveaux marchés et à diriger des réformes à l’OMC. Et il existe des possibilités évidentes de synergie entre nos objectifs en matière de commerce et de développement.

Le président : J’ai bien peur de devoir vous interrompre.

Mme Biggs : Je reviendrai sur le commerce et le développement, le soutien de la démocratie et les ODD. Merci beaucoup.

Le président : Merci. Je pense que nous pourrons aborder ces sujets au cours de la période de questions et de réponses, certainement en ce qui concerne les objectifs de développement durable et d’autres points que vous avez soulevés.

[Français]

Pierre Guimond, diplomate en résidence, École supérieure d’études internationales, Université Laval, à titre personnel : J’aimerais d’abord féliciter les membres de votre comité pour leur initiative.

L’étude que vous lancez aujourd’hui arrive au moment où plusieurs observateurs des relations internationales du Canada réclament une revue d’importance de notre politique étrangère. Il faut espérer que les recommandations que vous ferez au gouvernement arriveront au moment où se mettra en place cette nouvelle politique.

La sénatrice Deacon a parlé d’un monde nouveau.

Depuis ma retraite d’Affaires mondiales Canada, je me voue à développer l’intérêt des Canadiens — en particulier des jeunes — à l’égard des relations internationales et de la diplomatie canadienne. Je veux qu’ils puissent s’engager à s’y intéresser. J’aimerais donc présenter quelques idées selon lesquelles le ministère pourrait s’impliquer davantage dans les affaires publiques auprès des Canadiens et des étrangers.

Vous-même, monsieur le président, avez demandé pourquoi cela est important pour les Canadiens.

Je présume que les travaux que vous entamez voudront aussi être alignés sur ce que votre comité a fait en 2019 sur la diplomatie culturelle. Ainsi, je suis heureux de constater que le premier ministre a déjà demandé à la ministre Joly, dans sa lettre de mandat, de développer justement une stratégie de diplomatie culturelle.

Toutefois, il y a une différence entre les arts et la culture. Pour les premiers, je crois que le gouvernement fait un assez bon travail pour ce qui est de les promouvoir à l’étranger. Il reste cependant beaucoup à faire pour projeter l’ensemble de la culture canadienne. J’en veux pour exemple le fait que le gouvernement actuel n’a pas voulu revenir sur le mandat qui avait été donné à l’époque à l’ex-ministre Garneau, qui était de réinstaurer un programme d’appui aux études canadiennes menées à l’étranger par un grand nombre d’institutions académiques et de recherche. Nous n’exploitons pas suffisamment les ressources très importantes et crédibles que représentent les « canadianistes » dans beaucoup de pays où nous tentons de projeter notre soft power, soit la diplomatie d’influence.

Plus largement, je crois que le ministère a besoin de se pencher sur une approche plus stratégique de ses affaires publiques. Il me semble que le ministère limite aux besoins médiatiques de nos ministres les efforts qu’il devrait faire en vue de bien communiquer avec les Canadiens et les étrangers.

Une véritable politique d’affaires publiques devrait notamment inclure un service de fenêtre unique pour permettre aux universités et aux groupes d’intérêts citoyens d’accéder à des conférenciers et experts du gouvernement pour mieux détailler l’information sur nos politiques internationales que les ministres ne peuvent donner que dans leurs grandes lignes. Ce nouveau service devrait aussi favoriser la tenue de tournées pancanadiennes de nos ambassadrices et ambassadeurs pour témoigner de leur expérience et permettre à tous les Canadiens de s’intéresser à la politique étrangère et de s’y impliquer.

Dans cet esprit, j’aimerais vous suggérer d’inviter le ministère à être plus présent sur les campus universitaires, tant pour faire la promotion de carrières à AMC que pour faire des présentations publiques sur la politique étrangère avec des experts, dans le but de nourrir notre politique étrangère sur des bases scientifiques.

J’aimerais aussi faire écho à certains médias québécois qui s’intéressent beaucoup au problème du bilinguisme à AMC. La réputation qui est faite au ministère, à qui l’on reproche d’avoir peu d’intérêt dans le fonctionnement d’un ministère bilingue, est une source de préoccupations pour ses employés actuels et passés, et même pour certains candidats québécois qui souhaitent rejoindre le service extérieur.

Je ne crois pas que le problème de l’image principalement anglophone du ministère soit causé par le manque de nouvelles recrues francophones qui entrent au ministère; leur proportion est adéquate. Je crains plutôt une certaine apparence d’indifférence ou de confort mal placé qui s’est immiscée au ministère avec le temps sur le plan de l’utilisation du français à l’interne et de la projection du caractère bilingue de la diplomatie canadienne. L’une des solutions à ce problème passe par la nomination de plus de sous-ministres et sous-ministres adjoints francophones. Il faudrait aussi faire de plus grands efforts pour bien former ceux qui entrent au ministère à la base et qui, comme le disait l’ancien ambassadeur Small, ne possèdent pas déjà une bonne maîtrise de nos deux langues officielles.

Cela dit, dans mes postes à l’étranger, nombreux étaient mes vis-à-vis diplomates qui ne comprenaient pas pourquoi nos diplomates canadiens n’étaient pas tous bilingues avant de maîtriser une troisième, voire une quatrième langue.

Comme dernier point, je veux dire rapidement qu’Affaires mondiales Canada n’est pas un ministère comme les autres. Il n’y en a qu’un autre, soit celui de la Défense nationale, qui fait de la politique dite étrangère l’essence même de son travail. Ses professionnels et ses cadres à tous les niveaux, même au plus haut niveau, doivent, en plus des compétences générales du service public, posséder celles qui sont propres au métier de diplomate, comme le sont les compétences du militaire à la Défense, soit des compétences interculturelles, un bon jugement du contexte mondial, une capacité d’influence et de création d’alliances, des compétences de résilience et d’adaptabilité, ainsi que des connaissances sur l’histoire et les grands enjeux mondiaux. C’est ce que l’on exige des nouvelles recrues à Affaires mondiales Canada.

Merci aux interprètes et à vous, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Guimond.

Ben Rowswell, président et directeur de recherche, Conseil international du Canada : Merci, monsieur le président. Je vous salue moi aussi d’avoir choisi d’étudier l’état de la diplomatie canadienne à cette période de changements dramatiques dans le monde.

Je suis président du Conseil international du Canada. Comme vous l’avez dit, il s’agit d’un conseil qui a pour objectif de donner une voix aux citoyens dans les affaires mondiales. Si je comprends bien, vous voulez savoir si la diplomatie canadienne est adaptée aux besoins, fit for purpose. Je vais répondre à cette question à l’aide d’une vignette historique.

Retournons en 1939, au moment d’une autre période de changements dans l’ordre international. Une grande puissance autoritaire avait alors déclenché une guerre d’agression contre ses voisins en Europe. La France en était la principale cible. Le Canada avait une petite ambassade, une mission diplomatique à Paris. Nous étions un très petit joueur sur la scène politique internationale à l’époque. L’Allemagne avait l’armée la plus moderne et imposante de l’Europe.

Le Canada devait prendre une décision : que faire de la mission diplomatique à Paris, avec les chars blindés nazis qui approchaient? Nous avons décidé de garder nos diplomates sur place. Notre ambassade est restée ouverte pendant neuf mois après la première attaque des nazis contre la France. Georges Vanier était alors chef de mission. Il a jugé qu’afin de faire progresser les intérêts nationaux du Canada dans un moment de conflit, il fallait être sur place pour faire notre propre analyse de la situation, influencer les acteurs principaux et montrer la solidarité du Canada envers un autre pays démocratique.

[Traduction]

L’ambassade du Canada à Paris n’a fermé que lorsque le gouvernement français a quitté la capitale en juin 1940, neuf mois après le début de la Seconde Guerre mondiale.

Le général Vanier fait partie d’une génération de diplomates qui étaient présents au cœur de l’action pendant la Seconde Guerre mondiale. En étant sur le terrain, lui et les contemporains de Lester Pearson ont acquis des connaissances et une expérience et forgé des relations avec les dirigeants mondiaux de l’époque. Cela a fait d’eux des participants indispensables à la restructuration de l’ordre mondial lorsque la guerre a fait place à la paix.

Avançons rapidement à l’année 2022. Encore une fois, une grande puissance autoritaire a envahi une démocratie. Cette fois, le Canada dispose d’un corps diplomatique beaucoup plus grand et plus expérimenté qu’en 1939. Nous sommes un acteur plus important en Ukraine que nous l’étions en France en 1939.

Où sont les diplomates du Canada aujourd’hui? Je n’ai rien contre leur décision de ne pas s’engager militairement en Ukraine, mais nous parlons de diplomatie. Où sont nos diplomates? Ils ne sont pas à Kiev, même si d’autres entités restent actives là-bas. Certains pays ont organisé des visites ministérielles à Kiev durant cette période terrible de bombardements.

Nos diplomates ne sont même pas à Lviv, où se trouvent toutes les autres ambassades du G7. Nous avons retiré absolument chaque diplomate de l’Ukraine et laissé notre personnel ukrainien se débrouiller tout seul.

Malheureusement, l’Ukraine n’est pas le seul point chaud d’où les défenseurs canadiens sont absents. Nous avions l’habitude de mener une campagne mondiale pour rétablir les droits de la personne en Iran grâce à la crédibilité et aux contacts avec les militants que nous avions en maintenant notre ambassade à Téhéran. Nous n’avons pas été en mesure de maintenir ce rôle après 2012, lorsque nous avons abandonné notre ambassade là-bas.

Dans cet hémisphère-ci, le Canada a joué un véritable rôle de premier plan en défendant la démocratie et les droits de la personne dans la catastrophe humanitaire provoquée par l’homme survenue au Venezuela, jusqu’à ce que nous choisissions de plier bagage et de partir. J’ai été leur dernier ambassadeur, et deux ans plus tard, nous n’avions même pas d’ambassade.

Il y a certains endroits où une compétition pour l’avenir du monde se joue entre les grandes puissances. Malheureusement, il devient de plus en plus difficile de trouver des diplomates canadiens dans ces endroits.

Comment cela se fait-il? Je ne fais pas partie du gouvernement en ce moment, donc je ne peux pas prétendre le savoir, mais je peux m’appuyer sur mon expérience en tant que diplomate dans certains des conflits les plus violents au monde. Est-ce parce qu’Affaires mondiales n’est pas équipé pour gérer des missions diplomatiques dans une zone de guerre? Loin de là. Lorsque j’étais représentant du Canada à Kandahar, j’ai dirigé une équipe de 80 civils dans une ville située au cœur de l’insurrection des talibans.

Nous pouvons fonctionner dans des zones de guerre où il n’y a pas de forces canadiennes présentes. J’ai servi à Bagdad de 2003 à 2005 avec une équipe de trois personnes; nous étions protégés par une société de sécurité privée. Est-ce parce que le public canadien n’a pas le courage de perdre potentiellement un diplomate? Le Canada a fait preuve de beaucoup de courage.

Nous avons déjà perdu notre diplomate et cher collègue Glyn Berry en 2006, bien avant que nous n’accélérions le grand déploiement que j’ai eu la chance de diriger.

La réponse à la question de savoir pourquoi les diplomates canadiens sont de plus en plus absents des points chauds du monde se résume à une doctrine bureaucratique appelée « le devoir de diligence ». C’est dans ce concept que résident nombre des contraintes auxquelles le service extérieur canadien sera confronté en 2022.

Je ne veux pas critiquer la doctrine elle-même. Il doit y avoir un processus décisionnel qui permet de déterminer si les risques l’emportent sur les avantages, et c’est ce que fait le devoir de diligence.

Le président : Merci, monsieur Rowswell. Nous avons dépassé le temps alloué, mais nous pouvons reprendre certains de vos points pendant la période de questions et de réponses.

Le sénateur Woo : Merci. Encore une excellente série de témoignages.

Ma question s’adresse à Mme Biggs et porte sur l’équilibre entre les professionnels du service extérieur, les gens qui travaillent au sein d’AMC et d’autres fonctionnaires formés et experts à l’étranger dans des ministères autres qu’Affaires mondiales Canada. C’est un truisme de dire que les questions de politique étrangère et de politique intérieure se chevauchent beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 40 ans.

J’essaie de comprendre comment nous devrions gérer cet ensemble de besoins et de compétences qui se chevauchent, car il me semble que certaines des meilleures expertises sur les questions les plus importantes auxquelles le Canada est confronté dans la sphère internationale se trouvent au ministère des Finances, à la Banque du Canada ou à Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Comment pouvons-nous intégrer cette expertise dans notre diplomatie et notre représentation à l’étranger? Quel est le modèle pour cela?

Mme Biggs : Merci, monsieur le sénateur, de poser la question. C’est une grande question, et j’aimerais que nous puissions retourner voir certains de nos anciens chefs de mission pour nous aider à y répondre.

Vous avez tout à fait raison. Bon nombre des questions que j’ai mentionnées et dont vous avez parlé dépassent largement la compétence du ministère des Affaires étrangères et des trois ministres qui le composent. Si l’on regarde par exemple le changement climatique et la COP26, le leadership est clairement venu d’Environnement et Changement climatique Canada. Ce ministère possède une expertise approfondie et dirige les plans climatiques, à l’échelle tant nationale qu’internationale, de la même manière que Santé Canada dirige les questions de santé publique et la pandémie mondiale. La politique étrangère est menée par de nombreux secteurs du gouvernement du Canada, mais c’est seulement Affaires mondiales Canada qui peut avoir une vue d’ensemble, si vous voulez, pour voir toutes les pièces mobiles et intégrer l’effet global sur les intérêts du Canada et la façon dont il veut se projeter sur la scène internationale.

Je dirais, par exemple, qu’après la réduction du déficit en 2012, Affaires mondiales Canada a dû réduire ses effectifs et supprimer sa capacité sur les questions liées à la diplomatie environnementale et climatique. Je ne veux pas être critique; il y a probablement une certaine capacité, mais elle ne fait pas le travail d’Environnement et Changement climatique Canada. Toutefois, le ministère doit en être conscient, car il s’agit d’enjeux mondiaux qui ont une influence mondiale, et nos principaux alliés et adversaires sont actifs sur ces questions.

Il n’y a pas de solution simple. Affaires mondiales peut emprunter de nombreuses voies pour tenter d’assurer la coordination et l’intégration entre divers ministères fédéraux.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à Mme Biggs.

Madame Biggs, vous avez été présidente de l’ACDI de 2008 à 2013, je crois. Au début de ma carrière, j’ai beaucoup travaillé avec l’ACDI, en particulier pour organiser des missions d’entreprises canadiennes en Afrique dans le cadre du Programme de coopération industrielle.

Pour avoir souvent discuté avec des décideurs africains, je sais qu’ils restent très nostalgiques en ce qui concerne le rôle de l’ACDI et la présence du Canada en Afrique, au moment où toutes les grandes puissances mondiales y renforcent elles-mêmes leur présence.

Après la disparition de l’ACDI et sa fusion avec le MAECI en 2013, qui est devenu Affaires mondiales Canada en 2015, quel regard portez-vous sur la réorganisation du ministère et sur la présence du Canada en Afrique aujourd’hui?

[Traduction]

Mme Biggs : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Je comprends très bien votre question. Je n’ai pas de chiffres pour vous en ce qui concerne les postes d’agents canadiens qui servent en Afrique, mais je peux dire que l’aide au développement du Canada vise toujours de façon disproportionnée les pays à faible revenu, dont un grand nombre se trouvent en Afrique. Les pays africains y sont très bien représentés.

De façon plus générale, je voudrais souligner que nous examinons l’Afrique, et je pense que Michael Small l’a mentionné, par rapport à notre rôle de développement, qui est extrêmement important. L’Afrique est un continent extrêmement important qui compte de nombreuses économies émergentes. Il y a un certain nombre de risques pour la sécurité. Nous savons que d’autres puissances, ou des adversaires dans de nombreux cas, recherchent une influence commerciale et d’autres types d’influence sur le continent africain. En extrapolant à partir de votre question, madame la sénatrice, je vous conseille de ne pas perdre de vue le continent africain et de voir son importance stratégique pour le Canada à l’avenir.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’aimerais aller dans le même sens que Mme Biggs.

Aujourd’hui, l’Afrique [Difficultés techniques] par les autres pays comme un partenaire stratégique. Les autres pays renforcent leurs relations économiques avec l’Afrique, surtout en ce moment avec la ZLECAf, la Zone de libre-échange continentale africaine.

Selon vous, est-ce qu’il serait important pour le Canada de revoir quelque peu son rôle sur le plan économique et commercial avec l’Afrique, en renforçant la présence de personnel qualifié dans les ambassades?

[Traduction]

Mme Biggs : Merci beaucoup. Encore une fois, je ne veux pas commenter ou critiquer ce qui se passe actuellement, car je ne suis pas au courant. J’en conviens — et cela nous ramène à ce que je disais à propos du commerce et du développement — nous pouvons combiner nos forces et examiner quels pays africains cherchent à faire croître leur économie, pour faciliter le commerce et trouver des moyens de pénétrer les marchés. Notre service de délégués commerciaux peut y contribuer. Du point de vue du développement, nous pouvons les aider à créer les conditions favorables à la croissance économique et au commerce.

C’est une question importante sur laquelle vous mettez le doigt, et nous avons tendance à penser que l’Afrique n’a pas une grande importance stratégique et économique, mais c’est le cas.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. J’aimerais d’abord revenir au point initial. Madame Biggs, j’aimerais que vous finissiez de parler de l’exploitation de certains domaines. J’ai été intéressée par la dernière partie des deuxième et troisième points que vous avez commencé à aborder au sujet de la démocratie. Si vous pouviez prendre un moment pour terminer cela... pourriez-vous commencer par là?

Mme Biggs : Merci. Les ministères ont été mis ensemble, les unités ont été réunies, pour créer une certaine cohérence et une certaine synergie. Dans le domaine du commerce et du développement, il reste encore beaucoup à faire, mais je voulais mentionner deux autres domaines.

L’un concerne le soutien de la démocratie. Nous savons que les forces autocratiques sont à la hausse et que les normes démocratiques sont attaquées. Nous le savons, et cela a atteint un point critique au cours des dernières semaines et des derniers mois. Ensemble, je crois, le cadre politique et les professionnels du développement au ministère ont la possibilité de mettre en œuvre un programme ambitieux de soutien de la démocratie. C’est dans ce domaine que Ben Rowswell a beaucoup d’expérience. Nous avons eu tendance à le minimiser, et nous pouvons nous rassembler et renforcer nos atouts dans ce domaine. Il touche à quelques parties du nouveau ministère.

Je voulais aussi mentionner les objectifs de développement durable, ou ODD, non pas comme un argumentaire, même si je peux le faire. Trop souvent, les gens pensent que les ODD ne sont qu’une question de développement de créneau, une liste de vérification des NU ou quelque chose dont nous devons rendre compte, mais je crois que les ODD fournissent un cadre puissant qui peut intégrer, aligner et aider à mobiliser tous les atouts du ministère. C’est la lingua franca dans de nombreuses conversations internationales maintenant, mais pour le ministère, il pourrait l’utiliser davantage pour aligner ses objectifs sur ses intérêts politiques et commerciaux et ses intérêts de sécurité, de gouvernance et de développement. C’est le point que je voulais soulever à ce sujet. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Me reste-t-il du temps, monsieur le président?

Le président : Oui, vous avez une minute et demie.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. C’est très utile.

Monsieur Rowswell, j’aimerais revenir à une partie de votre expérience sur le terrain; pour reprendre la perspective historique que vous nous avez présentée aujourd’hui, vous avez parlé des exemples de retrait des diplomates, et je pense que c’est quelque chose qui vous passionne par rapport à ce que vous avez observé et vu en réalité.

Y a-t-il d’autres scénarios semblables qui vous préoccupent? Pas seulement le retrait des diplomates, mais d’autres questions dans ce domaine qui sont tout aussi préoccupantes? À votre avis, quelle est la perception internationale des services du Canada en ce qui concerne ce genre de décision à long terme?

M. Rowswell : Je pense qu’il est essentiel que nous ayons des gens sur le terrain. C’est important pour la crédibilité, même s’il s’agit d’une ou de deux personnes. Vous pouvez toujours faire flotter le drapeau lorsque vous n’avez qu’une seule personne, et c’est pour cela qu’il est important d’être présent.

Même dans le conflit iraqien, alors que nous nous opposions fermement à l’intervention, les dirigeants de l’époque — y compris Peter Harder, qui était sous-ministre — estimaient qu’il était important pour nous d’avoir quelqu’un sur le terrain afin d’avoir des yeux et des oreilles canadiens et de ne pas toujours compter sur le point de vue de nos partenaires.

Il y a aussi un gain à long terme. Les diplomates voient souvent les choses selon un horizon de 10 ou 15 ans. Quelque chose peut être difficile maintenant. Par exemple, il peut être difficile d’avoir des diplomates à Moscou à l’heure actuelle. Que se passe-t-il en cas de changement en Russie? Il faut que nos missions restent ouvertes, même si c’est dangereux et que ces pays sont des adversaires, parce que les ambassades sont des instruments du pouvoir de l’État. Dans le débat contemporain sur la Russie, j’espère que nous resterons ouverts.

La sénatrice Boniface : Ma question s’adresse à M. Guimond et à M. Rowswell.

L’ancien diplomate canadien, Daryl Copeland, a soutenu qu’Affaires mondiales bénéficierait d’un siège plus horizontal et plus ciblé, avec plus de service extérieur et un rôle important pour les missions à l’étranger. L’ancien diplomate Bruce Mabley a exprimé un point de vue similaire, à savoir qu’AMC doit trouver des moyens de réduire les processus de gestion archaïques et hiérarchiques et de rendre le ministère beaucoup plus horizontal et fondé sur la connaissance.

J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. En tant qu’anciens diplomates, vous feriez-vous l’écho de ces préoccupations? Pensez-vous également que la structure de gestion actuelle est peut-être trop verticale?

[Français]

M. Guimond : Je crois que les autres témoins ont parlé plus tôt de cet équilibre ou de ce déséquilibre entre les capacités du ministère à Ottawa et dans les missions à l’étranger. L’un des fondements du principe des bassins de gens qui sont susceptibles d’être permutés, la permutabilité, c’est que les agents du service extérieur doivent faire les deux missions, c’est-à-dire qu’ils doivent être présents à la centrale à Ottawa pour contribuer au développement des politiques, puis ils doivent aller sur le terrain pour mettre en pratique les politiques qui sont développées au ministère.

Donc, à mon avis, c’est un élément central qui permet d’avoir des membres du personnel qui conseillent les ministres dans la formulation des politiques à Ottawa et qui savent ce qui se passe sur le terrain et inversement, des gens qui peuvent apporter de l’aide sur le terrain, parce que le personnel connaît les raisons pour lesquelles les politiques ont été formulées à Ottawa et qu’il peut les livrer. Est-ce que l’équilibre devrait être de 50 % des agents en poste à Ottawa et de 50 % en poste à l’étranger? Je ne sais pas. Il faut assurer un bon équilibre entre les capacités de développer les politiques et de les mettre en œuvre. C’est seulement ce que je pouvais dire.

M. Rowswell : Merci beaucoup, Pierre.

[Traduction]

Je dirais qu’un corps diplomatique fonctionne de deux manières différentes : comme une hiérarchie, bien sûr — vous avez un ministre et un sous-ministre, et ainsi de suite — mais aussi comme des réseaux. Les réseaux sont l’archétype du principe d’organisation de notre époque. Même si l’on n’apporte pas de changements majeurs, il existe déjà une structure de réseau naissante dans la diplomatie. Les bassins dont Pierre a parlé créent des connexions à tous les niveaux.

Bien sûr, nous établissons constamment des réseaux avec des diplomates étrangers, des sociétés publiques et civiles étrangères, donc je n’éliminerais pas nécessairement la hiérarchie. Je ne ferais qu’accentuer le travail en réseau. N’oubliez pas que les hiérarchies sont destinées aux organisations dans lesquelles l’information est rare, ce qui n’est plus le cas. Vous pouvez avoir des fonctionnaires subalternes qui possèdent une quantité énorme de connaissances, peut-être presque autant que ceux qui sont au sommet de la hiérarchie. Il s’agit plutôt d’habiliter les gens dans tous leurs rangs et le personnel recruté sur place, car c’est dans l’établissement de la politique étrangère canadienne que réside la majeure partie de notre pouvoir de réseau.

La sénatrice Boniface : Monsieur Rowswell, j’aimerais vous entendre sur le Venezuela et l’Iran pour ce qui est de maintenir notre présence. Pouvez-vous m’aider à comprendre pourquoi nous choisissons de ne pas le faire?

M. Rowswell : Il s’agit de deux situations très différentes. Pour l’Iran, je pense que nous voulions envoyer un signal pour dire que nous n’aimions pas l’Iran. On pourrait appeler cela un signal de vertu. Ce n’est généralement pas associé à un parti particulier, mais c’est une pratique de la diplomatie. Nous faisons abstraction de la fonction proprement dite et nous pensons que ce serait une excellente méthode de communication.

Au Venezuela, cela n’avait rien à voir avec cela. Nous avons eu du mal à faire venir des Canadiens sur le terrain. Parce qu’il y a des préjugés et de la discrimination à l’égard des employés recrutés sur place dans le service extérieur canadien, nous avons décidé de ne pas diriger de mission, même avec des Vénézuéliens qui sont très compétents et extrêmement engagés envers le Canada. Je pense que c’était une erreur, mais pour des raisons très différentes.

La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins aujourd’hui.

Je suis heureuse de vous revoir, madame Biggs. J’ai une question pour vous. J’aime la façon dont vous avez présenté le contexte, les capacités et la cohérence. J’ai été réconfortée d’entendre votre jugement selon lequel, maintenant que l’ACDI fait partie du tableau d’ensemble, vous ne pensez pas que cela aura un effet négatif.

Vous avez parlé de la nécessité d’une forte capacité de développement, de démocratie et des ODD. Nous savons que les partenaires avec lesquels le Canada travaille possèdent une expertise énorme dans le Sud. Comment cela se traduit-il dans ce que vous voyez aujourd’hui pour ce qui est du besoin d’une forte capacité de développement au sein de notre service extérieur?

Mme Biggs : Merci beaucoup de poser la question, madame la sénatrice. D’abord, je dirais que vous pourriez vouloir demander à d’autres témoins de répondre à la question. Lors de la fusion entre l’ACDI et l’autre ministère, de nombreuses personnes craignaient que le volet du développement ne soit subordonné ou sublimé. Je ne vois pas cela, mais vous devriez poser la question.

L’un des éléments clés du volet de développement du ministère, c’est qu’il doit être axé sur la demande. Il s’agit des impératifs moraux du Canada, mais aussi des intérêts du Canada. Ceux-ci sont définis à moyen et à long termes; ils ne le sont pas à court terme. Ce que nous faisons dans le domaine du développement doit être axé sur la demande et fondé sur notre compréhension et sur ce que nous entendons de nos partenaires sur le terrain concernant les besoins et les priorités de ces pays et de ces communautés. C’est là toute la différence.

Nous l’avons constaté au fil des décennies; si vous voulez être efficace dans ce domaine, vous ne pouvez pas vous fonder sur l’offre et imposer des priorités. Il en va de même pour les questions liées au développement et au soutien de la démocratie. Nous pouvons exporter une expertise et une assistance technique, mais au bout du compte, nous devons être en mesure de soutenir le développement des pratiques et de la gouvernance autochtones et de la société civile, et cetera.

J’espère que cela répond à votre question. Il s’agit non seulement d’une tactique, mais de l’essence même de l’objectif de développement du ministère.

La sénatrice Coyle : Je comprends où vous voulez en venir. Pourriez-vous aller un peu plus loin en ce qui concerne les répercussions pour les membres du personnel que nous voulons attirer et former d’une certaine manière pour être de bons interlocuteurs dans cet environnement de développement, comme vous l’avez décrit?

Mme Biggs : Cela ressemble à ce que nous avons entendu de la part de certains de nos diplomates de premier ordre, de classe mondiale. Nous devons renforcer l’expertise. C’est la même chose pour le développement. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez simplement refiler à un bénéficiaire. Vous devez comprendre les besoins et être sur le terrain. Vous devez aussi comprendre votre intervention — que ce soit une assistance dans le domaine de l’éducation, des systèmes de santé ou autre — et ce qui entraîne des résultats efficaces.

Il s’agit d’une démarche à la fois stratégique et fortement liée au contexte. En raison de l’aspect de l’assistance internationale, vous devez posséder de solides compétences pour comprendre ce qui rend le développement efficace et quels sont les instruments qui fonctionnent le mieux.

C’est comme tout le reste dans le ministère. Vous avez besoin d’expertise et vous devez vous assurer de renforcer cette expertise et de maintenir la capacité, comme dans d’autres domaines. C’est la même chose pour le Service des délégués commerciaux ou la politique commerciale. Vous avez besoin de personnes hautement spécialisées. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas avoir des personnes qui se déplacent entre les différentes dimensions du ministère, mais je m’inquiète de l’affaiblissement de l’expertise.

Le sénateur Richards : Merci à tous les témoins. C’est extrêmement informatif. Ma question générale s’adresse à M. Rowswell. Je vous ai écouté avec intérêt lorsque vous avez mentionné 1939. À la fin de l’année 1945, le Canada avait la quatrième armée et la troisième marine en importance au monde. Aujourd’hui, nous ne sommes certainement pas aussi solides, et je pense que la manière dont l’OTAN traite l’Ukraine est un peu honteuse, mais il s’agit de mon opinion personnelle et non de celle du comité.

Je me demande, monsieur, si une meilleure coordination entre Affaires mondiales Canada et nos militaires permettrait d’atténuer certains problèmes. Est-ce que cela permettrait de mieux fonctionner? Voilà la seule question que je me pose, monsieur.

M. Rowswell : Je suis heureux d’aborder ce point parce que notre expérience à Kandahar est, je pense, assez positive. Les employés civils canadiens et les Forces armées canadiennes peuvent travailler en très étroite collaboration. J’ai mentionné que je dirigeais une équipe de 80 civils qui comprend des travailleurs humanitaires, des diplomates, des policiers civils — la GRC, la PPO et d’autres — et des services correctionnels. Nous étions complètement intégrés à la Force opérationnelle Kandahar, qui était le commandement dirigé par le général Jonathan Vance lorsqu’il était le général à une étoile à la tête de notre mission. Nos bureaux étaient côte à côte. Le personnel de l’administration centrale formait essentiellement un seul et même effectif uni. C’était une expérience extraordinaire d’intégration civile et militaire. Elle a été répétée jusqu’à la création d’une force opérationnelle comprenant des représentants de ces deux ministères à Ottawa et d’un comité du Cabinet comprenant le ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères. C’est donc possible.

Les deux côtés de la médaille, le côté civil et le côté militaire, sont des organisations en apprentissage, et elles peuvent s’adapter à la culture de l’autre. Elles sont toutes deux engagées à veiller au bien-être du Canada et à la promotion de nos intérêts; il n’y a donc aucune raison que nous ne puissions pas le faire. J’ai constaté que cela dépend de deux choses. Cela dépend de la stratégie et des gens.

D’un point de vue stratégique, il doit y avoir une structure globale à atteindre. Elle a été mise en place de manière assez laborieuse au cours de ces années. J’ai travaillé avec Mme Biggs à l’époque au BCP, et il y a eu ce rapport de John Manley, suivi d’une stratégie pangouvernementale extrêmement détaillée qui a permis de cerner la manière dont nous allions travailler ensemble et les intérêts nationaux que nous essayions d’atteindre. Ensuite, tout dépend des personnes dans la mesure où, au bout du compte, peu importe les structures mises en place, il faut que les personnes aient envie de faire en sorte qu’elles fonctionnent. Il existe des moyens de cerner les personnes qui travaillent bien dans des équipes en dehors de leur cloisonnement administratif et celles qui ont du talent pour construire ces liens et penser de manière créative. Je pense que nous l’avons prouvé par le passé en Afghanistan et que nous pourrions le prouver de nouveau en Ukraine et dans tout autre conflit à venir.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup. Je n’ai pas d’autres questions.

Le sénateur Ravalia : Je remercie nos témoins. Ma question s’adresse également à M. Rowswell. Il s’agit un peu d’un suivi de ce que le sénateur Richards a dit.

J’apprécie votre témoignage concernant le manque de présence diplomatique canadienne dans certains points chauds essentiels du monde, selon votre expérience personnelle. En ce qui concerne la cybersécurité et les alliances historiques, pensez-vous que nous sommes confrontés à une vulnérabilité au sein des partenariats établis depuis longtemps, tels que le Groupe des cinq et la sécurité de l’Arctique, et cetera, vu la création récente d’alliances, telles que AUKUS, qui excluent le Canada? Merci.

M. Rowswell : Il s’agit d’une situation qui fluctue énormément. Nous sommes dans une période où l’ordre international, les institutions et les alliances changent. Certaines institutions ont évolué assez rapidement. Je considère le Quad comme un groupe de démocraties libérales qui se préoccupent de la Chine. L’AUKUS est évidemment un groupe militaire du même genre, mais selon moi nous ne sommes qu’au début d’une ère de réinvention des institutions.

Le Canada devrait prêter attention aux nouveaux groupes qui se forment — devons-nous en faire partie ou non — mais je pense que nous devrions pousser plus loin et décider nous-mêmes quels nouveaux groupes sont logiques pour nous. Par exemple, nous n’avons pas nécessairement besoin de toujours faire comme les États-Unis. C’est bien entendu notre plus grand et plus important partenaire et le pays le plus puissant du monde, nous ne voulons donc pas en faire abstraction; mais au sein de notre organisation, nous avons étudié ce que je pense être un partenariat extrêmement prometteur avec l’Allemagne.

L’Allemagne est en train de réinventer sa politique étrangère à la suite du conflit ukrainien et elle augmente considérablement non seulement ses dépenses militaires, mais aussi ses dépenses consacrées à la défense. L’Allemagne a beaucoup plus en commun avec le Canada en ce qui concerne nos valeurs, notre culture politique et tout le reste, que les États-Unis ou même le Royaume-Uni, par exemple. Nous sommes deux pays qui sont essentiellement des jumeaux en matière de valeurs. Il s’agit du pays le plus important d’Europe. Plutôt que de suivre les autres, pourquoi ne pas se dire qu’il existe des partenaires prêts à travailler avec nous? Nous avons créé une alliance. Nous tentons de bâtir ce nouveau réseau de solidarité démocratique.

Je tiens à mettre l’accent sur le fait que nous appuyons les pays du Sud. Il n’y a aucune raison, en cette nouvelle ère de conflits internationaux, de penser qu’il n’y a que nous et l’Europe occidentale. Ce facteur a joué un rôle dans les années 1940 lorsque l’OTAN a été créée, car cela avait du sens à l’époque. Nous sommes une nation mondiale, et les pays qui partagent nos valeurs existent partout dans le monde. Nous devons trouver des moyens d’unir nos forces avec certains de ces pays dans les Amériques, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.

Le président : Je vous remercie, monsieur Rowswell. Je vous interromps et, avec l’indulgence du sénateur Ravalia, je crois que M. Guimond, en tant qu’ancien planificateur des politiques, pourrait peut-être avoir un point de vue à ce sujet, si vous me le permettez.

[Français]

M. Guimond : Effectivement, j’ai entendu plus tôt un commentaire sur l’imprévisibilité de la politique étrangère et des relations internationales. Il y a des capacités à Affaires mondiales Canada. Monsieur le président, vous avez souligné que j’étais directeur de la planification des politiques pendant quelques années. On avait créé à l’époque un bureau de forecasting — le terme en français m’échappe — qui faisait régulièrement des études portant sur des horizons très lointains de 10 ou 20 ans. Cela dépasse de beaucoup les programmes politiques de nos gouvernements, qui durent quatre ou cinq ans. Toutefois, il faut faire cet exercice. Or, il y a plusieurs années, ces personnes avaient prévu l’arrivée de la pandémie et avaient discuté de la manière d’y réagir dans une organisation à la fois petite et grande comme Affaires mondiales Canada. Créer des organismes qui peuvent s’occuper de ces enjeux à très long terme est très difficile. Je crois effectivement qu’il faut être en mesure de transmettre une vision à très long terme dans une opérationnalisation à court terme, qui répond aux besoins politiques du moment et du moyen terme.

Le président : Merci, monsieur Guimond.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à Margaret Biggs. Madame Biggs, vous êtes bien placée pour nous en dire plus sur ce que vous appelez les opérations intérieures. Il est important d’avoir des opérations intérieures, mais pour Affaires mondiales, celles-ci ne devraient pas se limiter au 125, promenade Sussex. À l’époque où Allan Gotlieb était sous-ministre — il y a maintenant 50 ans, je présume — les affaires étrangères étaient décrites comme un organisme central. En d’autres termes, une partie de ses opérations intérieures consistaient à coordonner les ministères nationaux et à assumer un rôle que votre ancien ministère, le Bureau du Conseil privé, estime maintenant relever uniquement de son autorité.

Si vous deviez nous donner plus de conseils quant aux opérations intérieures, non pas concernant le siège social, mais concernant le gouvernement du Canada, et même les provinces, d’ailleurs, que conseilleriez-vous?

Mme Biggs : Merci, sénateur Harder. Je suis peut-être de retour dans le futur, mais je pense en fait qu’étant donné l’omniprésence des questions mondiales et la manière dont les questions nationales et mondiales sont si étroitement liées, la manière dont les questions mondiales dépassent les frontières, je crois qu’Affaires mondiales Canada doit se positionner et être considérée comme un organisme central.

J’ai effectivement passé six ans au Bureau du Conseil privé avant de devenir présidente de l’ACDI, et j’étais là à l’époque de l’Irak et de l’Afghanistan et pour l’examen stratégique international. Ce qui importe le plus, c’est que, bien que nous ayons besoin d’être solides à l’étranger, Affaires mondiales doit amener l’histoire mondiale au cœur du gouvernement et aux Canadiens. Affaires mondiales doit reconquérir, et peut-être même gagner, un certain respect en montrant la valeur qu’apporte le ministère aux délibérations politiques au niveau central.

Quelqu’un, peut-être M. Rowswell, a mentionné que nous savons que la prise de décisions a été grandement centralisée. Il ne s’agit pas seulement du gouvernement actuel. Il s’agit d’une fonction liée en partie à la rapidité avec laquelle les choses se passent maintenant, soit 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Il y a donc une centralisation des questions. Il est toutefois impossible que le Bureau du Conseil privé ou le cabinet du premier ministre ait la capacité de condenser les événements mondiaux clés qui surviennent ou de faire preuve de créativité en matière de politiques — c’est le genre de choses que M. Rowswell disait justement que nous devons faire — afin de réfléchir à la manière dont le Canada peut se positionner dans ce monde qui évolue très rapidement et constamment.

Je ne suis pas certaine d’avoir répondu à votre question. Nous pouvons nous concentrer sur la manière de procéder, mais selon moi ce qui a fait défaut en partie ces dernières décennies, c’est de renforcer la présence d’Affaires mondiales Canada au centre du gouvernement.

Le président : J’avais plusieurs questions, mais comme j’ai dit dès le début que cette étude pourrait prendre environ un an, je sais que je peux les garder de côté. Je voulais donner suite à la question du sénateur Harder et la poser directement à M. Rowswell et à M. Guimond. La question est la suivante : pourquoi Affaires mondiales Canada — le service extérieur — est-il important pour les Canadiens? Monsieur Rowswell, votre organisation et vous avez entrepris des consultations dans tout le pays, et je vous en félicite de même que pour la revitalisation du CIC. Vous entendez des choses différentes de différents secteurs. Existe-t-il une sorte de lacune dans les connaissances des Canadiens ou dans leur manière de percevoir la politique étrangère, et la manière dont elle est gérée? Ils adoptent une optique consulaire; par exemple, si j’ai des problèmes à l’étranger, mon gouvernement se chargera de moi et me rapatriera. Or, nous savons que ce n’est pas si simple. De plus, en matière de politique étrangère, nous devons être représentés partout. Tout cela coûte de l’argent; tel est l’autre argument que vous entendez. Je me demande ce que vous entendez dans tout le pays.

Monsieur Guimond, vous enseignez, bien sûr, à des jeunes à avoir une connaissance de la politique étrangère et du genre de présence qu’assure le Canada. Je serais heureux de recevoir vos commentaires.

M. Rowswell : Je vous remercie de cette occasion. Nous avons réalisé un exercice de démocratie délibérative intitulé la politique étrangère des Canadiens, dans lequel nous avons demandé à un échantillon de personnes tout à fait représentatif de l’ensemble de la population canadienne ce qu’il souhaitait en matière d’engagement dans le monde. C’était vraiment une manière innovante de poser la question, puisqu’elle nous a permis de voir comment les Canadiens parlent du monde lorsqu’ils expriment des problèmes dans leurs propres mots. Nous avons découvert plusieurs choses durant les 12 heures de délibération que nous avons tenues avec ces 444 Canadiens, et je serais heureux de déposer le rapport aux fins du compte rendu.

Tout d’abord, les Canadiens ne sont pas de simples bénéficiaires des services, qu’il s’agisse de services consulaires ou autres. Je pense que les Canadiens, comme citoyens, sont généralement — même les personnes moins instruites — conscients que leur sécurité et notre économie dépendent également de ce qui se passe à l’extérieur du pays et qu’ils tiennent à ce que nous soyons tout aussi actifs et engagés pour tenter de façonner ce qui se passe à l’extérieur de notre pays en vue de nous aider à obtenir des résultats au Canada.

Nous avons constaté que près de 70 % ou 71 % des Canadiens sont instinctivement internationalistes dans leur orientation, et ce, dans tous les groupes démographiques et tous les domaines. Nous avons observé qu’ils sont ouverts aux dépenses en matière de défense, de développement et de diplomatie, et surtout en matière de sécurité, je devrais dire. Cependant, la question qu’ils se posent essentiellement est la suivante : en quoi cela fait-il la promotion de nos intérêts?

Ils ont un sens aigu de nos intérêts. Ils reconnaissent que ceux-ci passent par l’établissement de liens avec le monde. Toutefois, ils semblent mieux réagir quand nos efforts dans le monde sont ramenés à ce qui pourrait être...

Le président : Merci. Je vais vous interrompre ici pour accorder à M. Guimond une minute exactement pour présenter ses idées.

[Français]

M. Guimond : Dans les universités, on n’enseigne pas vraiment la diplomatie ou la politique étrangère canadienne; on enseigne beaucoup plus les relations internationales. Les relations internationales du Canada, c’est beaucoup plus grand que la politique étrangère du Canada. Il y a 250 groupes au Canada qui ont des origines linguistiques ou culturelles différentes. Ils s’intéressent aux relations internationales du Canada et le grand enjeu — et c’est pourquoi j’ai parlé d’affaires publiques —, c’est qu’il faut engager ces gens, comme Ben Rowswell l’a fait avec le Conseil international du Canada. Tout cela doit passer par les étudiants. J’ai été impliqué dans le recrutement de nouveaux agents chez Affaires mondiales Canada en 2019. Il faut voir la qualité des jeunes agents que l’on a engagés au ministère, qui travaillent au sein de tribunaux internationaux et qui accumulent beaucoup d’expériences. Ces agents ont fait des études multidisciplinaires pour couvrir les sujets évoqués par Mme Biggs.

Le président : Merci beaucoup. Il nous reste quelques minutes et deux sénateurs aimeraient intervenir de nouveau. Je demanderais à chacun d’entre eux de poser leur question l’un après l’autre.

[Traduction]

Chers collègues, il nous reste quelques minutes. Nous avons deux sénateurs qui ont demandé un deuxième tour de questions. Je demanderais à chaque sénateur, dans l’ordre, de poser la question, puis nous obtiendrons les réponses. Ainsi, nous pouvons maximiser les quelques minutes restantes.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Guimond ou à M. Rowswell. Des observateurs ont relevé que certaines nominations à des postes clés, comme les chefs de mission, semblent être davantage des nominations politiques que des nominations basées sur les compétences et sur l’expérience requise pour les postes en question. Avez-vous observé un phénomène de nominations de nature politique lors du processus?

[Traduction]

Le président : Je demanderais à la sénatrice Coyle de poser sa question également, et ensuite nous obtiendrons les réponses.

La sénatrice Coyle : Je vais vous poser une question très rapidement, monsieur Guimond. Vous avez parlé de la collaboration entre Affaires mondiales Canada et la population canadienne de deux façons différentes. Vous avez parlé des ambassadeurs qui voyagent peut-être même partout au Canada, qui communiquent avec les Canadiens, et vous avez également dit vouloir faire en sorte que les Canadiens participent davantage à ce que fait Affaires mondiales Canada. Pourriez-vous nous parler de ces deux aspects, s’il vous plaît?

[Français]

M. Guimond : Merci de la question, madame la sénatrice. Sur la première question au sujet de la nomination de chefs de mission qui viennent de l’extérieur de la diplomatie canadienne, M. Small en a beaucoup parlé tout à l’heure. J’ai eu l’occasion de travailler avec l’ex-ministre Lawrence Cannon, qui était ambassadeur du Canada à Paris. Effectivement, M. Cannon avait exceptionnellement bien réussi à percer les milieux politiques français. Je ne peux pas affirmer que c’était une mauvaise nomination. Il y a des endroits où c’est très utile et il y a des endroits où c’est plus difficile, comme dans les petites missions, comme M. Small l’a dit. Nous avons même parfois eu des consulats qui étaient dirigés par des non-diplomates et cela a rendu la gestion relativement difficile. Je n’ai pas vraiment d’opinion très arrêtée à cet effet.

Pour ce qui est de l’engagement des Canadiens, sénatrice Coyle, si on veut avoir une politique étrangère qui reflète les intérêts des Canadiens, cela passe par les partis politiques au pouvoir, évidemment, mais aussi par un engagement de tous les jours. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a 250 groupes linguistiques et culturels au Canada qui sont intéressés par les relations internationales avec un pays ou une région du monde en particulier. Il faut donc développer une cohérence, et ce n’est pas aussi facile qu’on peut l’imaginer. Nous avons des exemples très importants et très probants de ces enjeux actuellement. Le ministère, dans sa formulation des politiques et des recommandations au gouvernement, peut donc faire ce genre de travail s’il a les ressources et les compétences nécessaires.

Le président : Merci, monsieur Guimond.

[Traduction]

Je suis désolé, monsieur Rowswell. Je pense qu’il faudra vous donner une autre occasion de prendre la parole.

Plusieurs d’entre vous ont mentionné qu’ils avaient peut-être des commentaires écrits ou des documents. Si tel est le cas, veuillez nous les envoyer en vous adressant à la greffière du comité.

J’aimerais remercier les témoins du deuxième groupe. La séance a été très instructive. Les commentaires sont les bienvenus, alors merci beaucoup.

Chers collègues, y a-t-il d’autres points que vous souhaiteriez aborder en ce moment? D’accord. Notre prochaine séance aura lieu le jeudi 28 avril. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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