LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 16 juin 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, en vue d’en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.
Le sénateur Peter Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, du Québec; la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Peter Harder, vice-président du comité, de l’Ontario; le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Ratna Omidvar, de l’Ontario; le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador; et le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.
Honorables sénateurs, exceptionnellement, êtes-vous d’accord pour que la Direction des communications du Sénat prenne des photos durant notre réunion d’aujourd’hui, causant le moins de perturbations possible?
Des voix : D’accord.
Le président : Merci.
[Français]
Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride. J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent à la réunion par vidéoconférence de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole.
Je demanderais aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour indiquer leur souhait d’intervenir. Les sénateurs présents dans la salle de réunion peuvent le signaler directement à la greffière qui se trouve à mes côtés, Mme Gaëtane Lemay.
[Traduction]
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur le service extérieur canadien. Pour la première heure de la réunion, nous avons le plaisir d’accueillir M. Morris Rosenberg, ancien sous‑ministre des Affaires étrangères et sous-ministre dans d’autres ministères; et M. Ian Shugart, ancien sous-ministre des Affaires étrangères et d’autres ministères et, plus récemment, ancien greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet.
Bienvenue à vous deux, et merci d’avoir accepté notre invitation. Je constate que ni l’un ni l’autre de nos témoins n’ont envoyé de déclaration que nous aurions pu communiquer à nos interprètes, alors je vous demanderais de ne pas parler trop vite, pour que nous puissions avoir la meilleure interprétation possible.
Il y aura ensuite une période de questions. Nous allons commencer par M. Rosenberg. Vous avez la parole.
Morris Rosenberg, ancien sous-ministre des Affaires étrangères, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m’avoir invité à contribuer à votre examen du service extérieur canadien, qui servira à déterminer s’il est adapté aux objectifs. Je ne parlerai pas de l’évolution du contexte géopolitique dans ma déclaration préliminaire, puisque je tiens pour acquis que vous connaissez déjà tous bien la situation. Plutôt, j’aborderai brièvement quatre thèmes qui, je crois, méritent d’être examinés par votre comité.
Premièrement, il faut assurer une coordination efficace entre Affaires mondiales et les autres ministères qui ont une portée internationale.
Affaires mondiales, bien entendu, est réputé en ce qui a trait à la gestion des relations avec les gouvernements et les organismes multilatéraux, à la paix et la sécurité dans le monde, aux relations commerciales et à la promotion du commerce, au développement et aux services consulaires. Il y a de nombreux dossiers pour lesquels il ne joue pas un rôle directeur, par exemple les changements climatiques, la santé publique mondiale ou la cybersécurité. Il collabore plutôt, en conformité avec nos lois, avec d’autres ministères pour les soutenir dans ces dossiers.
Cela est d’ailleurs reflété dans la lettre de mandat qui a été envoyée en décembre dernier par le premier ministre à la ministre Joly : environ les deux tiers des priorités énoncées dans la lettre de mandat devaient être concrétisées en collaboration avec des ministères à l’extérieur du portefeuille d’Affaires mondiales. Ces ministères — comme Environnement, Santé, Finances, Pêches, Sécurité publique et Justice, pour ne nommer que ceux-là — comprennent d’importantes sections responsables de leurs relations internationales. Ils ont une vaste expertise sur des dossiers de fond comme le climat, le terrorisme transitoire, ou la lutte contre les pandémies; ils disposent aussi de réseaux nationaux et étrangers qui leur donnent accès à des décideurs clés et à des experts dans toutes ces matières.
Les ministères extérieurs ont évidemment besoin d’avoir leur propre expertise relativement à ces nouveaux dossiers, à leur administration centrale et dans leurs missions, mais ils vont aussi devoir examiner quelle valeur cela ajoute, par rapport aux autres acteurs.
Votre comité pourrait vouloir examiner comment fonctionne la relation entre Affaires mondiales et ces autres ministères. Le cas échéant, j’espère que vous pourrez écouter des intervenants à l’extérieur d’Affaires mondiales pour connaître leurs opinions dans ce contexte.
Le deuxième point que je voulais soulever porte sur la revitalisation de la diplomatie. Je crois que vous avez déjà entendu plusieurs fois maintenant qu’il est nécessaire de revitaliser la diplomatie canadienne, et je dois dire que je suis complètement d’accord.
À cet égard, il y a certaines conditions préalables à notre réussite. D’abord, comme M. Colin Robertson l’a récemment souligné dans la revue Policy, seuls environ 18 % des agents du service extérieur sont affectés à l’étranger. En comparaison d’il y a 30 ou 40 ans, c’était plus près de 50 %, et je suis d’accord avec M. Robertson pour dire qu’il est impossible de donner ou d’obtenir le point de vue canadien si notre service extérieur est confiné au Canada.
Deuxièmement, les politiques en matière de ressources humaines doivent promouvoir l’acquisition d’une vaste expertise linguistique et géographique et fournir des incitatifs aux diplomates qui participent à plusieurs missions pour appliquer leurs compétences. Le plus important serait peut-être que les politiciens voient l’importance de la diplomatie pour ce qui est de gérer les relations, de faire valoir le point de vue canadien et de promouvoir les intérêts du Canada.
Cependant — et c’est mon troisième point —, le service diplomatique revitalisé doit, à mon avis, adopter une approche beaucoup plus ouverte en matière de recrutement. Le Canada, en tant que pays riche et diversifié, possède des forces uniques. Notre pluralisme devrait se refléter dans le ministère des Affaires mondiales ainsi que dans notre représentation à l’étranger.
Nous devons aussi élargir le sens de la diversité. Nous devons recruter des gens avec une diversité d’expériences. Il devrait y avoir plus d’occasions d’entrée à mi-carrière dans le service extérieur, depuis d’autres secteurs ou ministères du gouvernement. De plus, il devrait y avoir plus d’occasions pour les gens venant d’autres ministères qui ont de l’expertise sur des dossiers mondiaux émergents comme le climat, les pandémies et la cybersécurité de participer à des missions canadiennes à l’étranger.
Mon prochain point concerne l’importance d’encourager une culture d’apprentissage au sein du ministère, ce qui pourrait prendre plusieurs formes : par exemple, il faudrait augmenter nos connaissances sur des dossiers qui sont cruciaux au bien-être de notre civilisation et de notre planète — comme les changements climatiques, la sécurité sanitaire mondiale et la révolution numérique —; comme je l’ai mentionné plus tôt, il faudrait examiner les synergies entre Affaires mondiales et les autres ministères et même les autres acteurs extérieurs du gouvernement qui travaillent sur ces dossiers. Une culture d’apprentissage permettrait de mettre l’accent sur l’importance d’avoir une compréhension robuste du pays que nous servons, c’est-à-dire le Canada. Il y a diverses stratégies pour aider le ministère à approfondir son engagement auprès des Canadiens et Canadiennes et pour écouter leurs préoccupations et leurs idées. Une culture d’apprentissage permettrait de prioriser les compétences comportementales en leadership, comme l’écoute active, l’établissement de partenariats, la prise de risques réfléchie et la volonté de transformer les erreurs en occasions d’apprentissage.
Enfin, il faut favoriser une culture dans laquelle les gens sont encouragés à donner sans crainte des conseils honnêtes aux ministres et, à l’intérieur du ministère, aux hauts fonctionnaires. Selon une étude récente de l’Institut sur la gouvernance, il est découragé, dans la fonction publique fédérale, de dire la vérité aux personnes en position d’autorité. Puisqu’il s’agit d’un sujet très complexe, je dirai simplement que l’utilité et la crédibilité du Canada en matière de politique étrangère dépendent de politiciens et de fonctionnaires qui reconnaissent la valeur des conseils honnêtes et qui encouragent activement les gens à s’exprimer honnêtement. Après tout, quel est l’intérêt d’encourager la diversité, si les gens diversifiés que vous embauchez ont peur de donner leurs conseils?
Je vais m’arrêter ici. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Rosenberg. C’est maintenant au tour au M. Shugart. Vous avez la parole.
Ian Shugart, ancien sous-ministre des Affaires étrangères et ancien greffier du Conseil privé, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices, et merci de m’avoir invité à être des vôtres aujourd’hui.
[Français]
Je voudrais m’associer étroitement aux commentaires de mon collègue M. Rosenberg.
D’abord, un petit débat sur le dernier point qu’il a soulevé; il est trop facile de tirer des conclusions, car il s’agit d’une question qui se pose pour toute la fonction publique et elle est un peu délicate. Cependant, en général, c’est là une observation très importante.
[Traduction]
Je vais aller un peu plus loin que M. Rosenberg dans mes commentaires.
Vous reconnaîtrez sans doute, mesdames et messieurs, cette fameuse citation de Tolstoï : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. »
En paraphrasant, j’applique cela à Affaires mondiales et à notre service extérieur : tous les services extérieurs qui gèrent des relations internationales dans une situation normale se ressemblent, mais chaque crise internationale est une crise à sa façon.
Votre comité, au cours de son examen du service extérieur, va étudier cette question sous de nombreux angles, entre autres celui de l’environnement stratégique, mais je tiens tout de même à vous encourager, dans le cadre de votre examen, à tenir compte de trois considérations lorsque vous vous pencherez sur les exigences et les besoins du service extérieur.
Premièrement, la diplomatie ne se résume pas à l’activité spécialisée d’une seule partie du gouvernement. Oui, il s’agit d’une activité spécialisée, mais c’est bien plus que cela. C’est une langue qui doit être apprise et pratiquée. Il faut la perfectionner et la maintenir. Cela nécessite de l’expertise et de l’expérience. Nous devons cultiver cette langue, et cultiver les gens qui savent s’en servir; la langue — la technique — de la diplomatie. Nous devons savoir l’utiliser en temps normal ainsi qu’en situation de crise, mais ce n’est pas quelque chose qui peut être appris du jour au lendemain. Ce n’est pas une ressource qui peut être augmentée rapidement; il faut plutôt la cultiver, savoir la réserver et l’utiliser continuellement.
Deuxièmement, le monde est en train de changer, et le service extérieur doit pouvoir s’y adapter. C’est un fait évident. Le monde est en évolution constante, et cela fait partie de l’histoire — ou devrais-je dire du récit — de tous les services extérieurs. Cependant, nous sommes maintenant confrontés à une évolution rapide et à des défis comme la sécurité, l’émergence de technologies, comme les cybertechnologies; des marchés au potentiel énorme qui changent rapidement; la nécessité d’avoir des solutions nouvelles et créatives qui n’étaient pas sur la table dans le passé, comme faire participer le secteur privé plus directement au développement. Voilà les changements auxquels le service extérieur doit pouvoir s’adapter.
Troisièmement, le Canada ainsi que tous les pays sont devant des menaces et des possibilités en pleine évolution, et nous avons besoin de comprendre ces menaces et d’y réagir. Parfois, il est difficile de savoir si les processus décisionnels du ministère et de tout le gouvernement tiennent fondamentalement compte de la portée et de l’orientation à long terme de ces menaces. Nous n’arrêtons pas de devoir définir, comprendre et expliquer, encore et encore, quels sont les intérêts nationaux devant ces menaces et ces occasions.
Le message que je veux vous transmettre en tant qu’ancien chef du ministère, puis en tant que demandeur du ministère, est qu’il faut soutenir avec vigueur le service extérieur, étant donné qu’il est essentiel pour l’intérêt national. Comme l’a dit M. Rosenberg, cela ne se limite pas à notre service extérieur du ministère des Affaires mondiales ou à nos délégués commerciaux ou à nos experts en développement; il y a aussi tous ceux qui travaillent aux activités internationales de tout le gouvernement, et nous devons exiger que le service extérieur et les fonctionnaires remplissant une fonction internationale aient cette souplesse, cette flexibilité et cette adaptabilité, parce que rien ne reste pareil, et nous aurons besoin de nous adapter à tout ce à quoi nous serons confrontés pour préserver nos intérêts nationaux.
Je vais m’arrêter ici, et je répondrai aussi à vos questions avec plaisir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Shugart.
[Français]
Avant de passer à la période des questions, je rappelle aux membres du comité qui participent à la réunion à distance d’utiliser la fonction « lever la main » pour faire part de leur souhait d’être ajouté à la liste que tient notre greffière.
[Traduction]
Je veux aussi informer les membres du comité que vous aurez un maximum de quatre minutes seulement lors du premier tour. Voici mon avertissement habituel : ne prenez pas trop de temps pour votre préambule, posez des questions concises, et vous pourrez toujours intervenir lors du deuxième tour. Je demanderais aussi aux témoins d’être concis dans leurs réponses.
Le sénateur MacDonald : Je suis très heureux de pouvoir poser ma première question aujourd’hui à deux témoins exceptionnels. Ma question porte sur la qualité générale du service extérieur.
Nous savons tous que, la fin de semaine dernière, une haute fonctionnaire du ministère des Affaires mondiales a assisté à un événement à l’ambassade russe. Ma question ne porte pas tant sur le fait que cette haute fonctionnaire a assisté à cet événement, que sur la culture qui a fait que cela était possible.
La personne qui a assisté à cet événement était la cheffe adjointe du Protocole du ministère, en plus d’être la fille d’un ancien ambassadeur canadien aux Nations unies. Elle devait sûrement savoir qu’elle allait s’attirer des ennuis en assistant à cet événement. Elle devait sans doute savoir que les Russes sont suffisamment rusés pour s’assurer que cela éclabousse le gouvernement. La personne qui a autorisé sa présence aurait dû être au courant de tout cela.
Si le sous-ministre savait qu’elle allait assister à cet événement, il aurait dû être au courant de tout cela, et s’il ne le savait pas, alors les fonctionnaires du ministère qui ont choisi de ne pas l’en informer auraient dû savoir que cela allait éclabousser le ministère.
Le bureau de la ministre savait — et cela a été confirmé — que cette personne allait assister à cet événement, et il aurait sûrement dû savoir que cela allait entraîner une catastrophe pour les relations publiques si cette personne assistait à un événement à l’ambassade russe.
Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une petite erreur. À mon avis, cela révèle des choses très perturbantes à propos de la culture au sein du ministère, parce qu’alors qu’une guerre génocidaire est en cours et que le Canada impose des sanctions sans précédent à un autre État, des fonctionnaires successifs du ministère des Affaires mondiales ont évidemment pensé que tout cela serait une bonne idée. À mon avis, l’ampleur de cette erreur et le fait qu’elle a été clairement commise à plus d’un échelon montrent, selon moi, qu’il y a de graves problèmes au ministère.
Messieurs, j’aimerais avoir votre avis sur le sujet. Pouvez‑vous nous dire quels sont les problèmes systémiques qui existent, et en même temps, expliquer au comité et aux Canadiens comment on a pu commettre une telle séquence d’erreurs?
M. Rosenberg : Évidemment, on en a parlé aux actualités... Vous posez une très bonne question. Je ne suis pas vraiment le mieux placé pour répondre, parce qu’il y a plus d’une possibilité. Je ne travaille plus au ministère. Peut-être qu’il s’agissait tout simplement d’une erreur aux échelons inférieurs. Peut-être que quelqu’un n’a tout simplement pas consulté ses supérieurs, comme il l’aurait dû.
Comme vous l’avez laissé entendre dans votre question, si quelqu’un était au courant, il aurait dû le dire à quelqu’un de plus haut placé. On peut donc se demander si les gens donnent des conseils honnêtement.
Puisque je ne travaille plus au ministère, je peux difficilement répondre à la question. Je pense que quelqu’un devrait évidemment se pencher sur ce qui est arrivé, et je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit d’un manquement extrêmement grave, compte tenu de la situation très médiatisée en Ukraine, à cause de l’invasion russe — et dans ce contexte, on ne peut pas agir comme si tout était normal —, mais je ne pense pas pouvoir en dire plus.
M. Shugart : J’ajouterais seulement qu’on prend tout le temps ce genre de décisions, en y allant avec son jugement. Parfois on se trompe, parfois il y a de la controverse, et parfois on a raison, même s’il y a des gens qui ne sont pas d’accord.
Nous voulons que les gestionnaires et les représentants du ministère des Affaires mondiales ou de n’importe quel autre ministère puissent prendre des décisions selon leur jugement, sans avoir à tout le temps demander une autorisation pour tout. Clairement, il s’agissait d’une situation de nature délicate, et une prudence extrême était de mise.
Je ne vais pas faire de commentaire sur ce qui est arrivé, parce que je n’en sais rien. La seule observation que je ferais, cependant, concerne certains des commentaires que j’ai vus dans les journaux; on dit que ce qui s’est passé montre que notre pays et le gouvernement ne se soucient pas vraiment de l’Ukraine et de ce qui se passe là-bas, et à mon avis, ces commentaires sont totalement déraisonnables. La position du pays vis-à-vis la guerre en Ukraine, l’agression russe contre l’Ukraine, a été abondamment claire, du fait des actions de tout le gouvernement et des gens de notre pays.
C’est dans un contexte plus général que ces décisions sont prises, et des erreurs de jugement peuvent survenir, et les gens peuvent se tromper. Je ne vais pas essayer d’expliquer ce qui s’est passé.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être avec nous aujourd’hui. Au cours des dernières réunions, des témoins nous ont dit que les échelons supérieurs d’Affaires mondiales Canada avaient peut-être beaucoup trop de chefs. Pour citer l’un des témoins, il y a surnombre en matière de surveillance. Il y a trop de gens qui regardent par-dessus trop d’épaules pour vérifier ce que les gens font; il y a trop de superviseurs et beaucoup trop de choses à faire à un endroit à la fois. Si j’ai bien compris, cela veut dire qu’il y a trop de superviseurs et pas suffisamment de latitude pour que les agents des Affaires étrangères puissent travailler indépendamment et avoir de l’autonomie dans leurs affectations.
J’aimerais savoir quelle est votre opinion à ce sujet, et si vous êtes d’accord, comment nous pourrions réduire les échelons supérieurs de la fonction publique quand les personnes jouant ces rôles font habituellement partie des meubles. J’aimerais que M. Shugart réponde en premier, mais j’aimerais aussi entendre ce que M. Rosenberg a à dire.
M. Shugart : Merci de la question, madame la sénatrice. Je devrais dire que beaucoup de mes réponses — et j’imagine que ce sera aussi le cas de celles de M. Rosenberg —, dénotent peut‑être un petit conflit d’intérêts, parce que nous occupions des postes de surveillance et de direction au ministère. Donc, à ce sujet certainement, prenez mes réponses avec un grain de sel.
Le défi est le même à l’échelle du gouvernement. Le Parlement impose aux ministères toute une gamme de mécanismes de surveillance et de reddition de comptes. Il est très probable que les témoins qui ont fait cette observation parlaient de cela. Donc, à cet égard, les ministères ne font que respecter les directives et la volonté du Parlement en mettant en place ces mécanismes.
L’autre observation que je voudrais faire est que cela laisse entendre que les gens qui sont en haut de la filière de responsabilité au ministère n’ajoutent pas eux-mêmes de la valeur, fondamentalement, en ce qui concerne la conduite des relations étrangères et leur analyse. D’après ma propre expérience, quand nous discutions de certains dossiers, comme l’Afghanistan, ou aujourd’hui, ce serait la situation en Ukraine — et à mon époque, nous avons passé énormément de temps, par exemple, sur la crise qui s’aggravait en Corée du Nord, sans parler des relations entre le Canada et les États-Unis —, nous nous réunissions régulièrement avec des gens de tous les domaines et de tous les échelons de notre service extérieur. Nous avions comme politique et comme culture que si vous étiez dans la pièce, vous aviez le droit de vous exprimer pour offrir votre point de vue et vos connaissances; c’était même attendu de vous.
Je pense qu’il faut faire preuve d’une très grande prudence par rapport à cette observation, madame la sénatrice. Je pense qu’il peut y avoir diverses raisons pour lesquelles les gens croient qu’il y a trop de surveillance. D’après mon expérience, la vraie question serait de savoir si tous les employés d’un organisme peuvent expliquer en quoi ce qu’ils font ajoute de la valeur à l’intérêt national, et si ce qu’on fait doit être fait de cette façon. Si la réponse est non, si notre travail n’ajoute pas de valeur, alors arrêtons, parce qu’il y a de nombreuses autres tâches qui doivent être accomplies.
Le président : J’ai bien peur que le temps soit écoulé. Je suis sûr que M. Rosenberg voudra revenir sur le sujet en réponse à une autre question.
Le sénateur Harder : Merci, chers anciens collègues, de vos commentaires. Dans une grande mesure, je suis du même avis que vous en ce qui concerne les observations que vous avez faites sur le service extérieur et le ministère. Dans mon ancienne carrière, avant vous, au ministère, j’aurais dressé la même liste. Je crois que la question clé, c’est comment pouvons-nous prendre concrètement des mesures pour favoriser le progrès dans ces dossiers?
Monsieur Rosenberg, j’aimerais qu’on discute de votre approche ouverte en matière de recrutement, dans le but évident d’avoir une expertise pour les dossiers du service extérieur, ou du moins par rapport aux dossiers internationaux, à l’extérieur du ministère. Je suis d’accord pour dire que nous avons besoin d’un recrutement ouvert, mais en contrepartie, nous avons aussi besoin d’échanges provenant du ministère des Affaires étrangères vers les ministères nationaux qui ont une portée internationale. Je me demandais si vous aviez quelque chose à dire là-dessus, parce que je crois vraiment que ce serait une occasion de récompenser les gens qui ont une vaste expérience, au lieu d’avoir l’impression de miner la diplomatie.
M. Rosenberg : Merci beaucoup de la question, et je pense que c’est une question très importante. Une des choses que j’ai mentionnées très brièvement dans mes commentaires, au sujet de la culture d’apprentissage, c’est que le ministère doit avoir une meilleure compréhension du pays qu’il sert. Le pays qu’il sert n’est pas le pays où on est affecté. Le pays qu’il sert, c’est ici, c’est le Canada. Qu’est-ce qu’on peut faire pour cela? Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il faudrait des affectations dans d’autres ministères, y compris dans des organismes centraux, afin que les hauts fonctionnaires d’Affaires mondiales comprennent comment fonctionne le gouvernement et comment les choses se font, mais je pense qu’il faut voir plus loin que cela. Je pense que ce serait utile si, quand les gens reviennent de leurs affectations, plutôt que de prendre un poste au ministère, il faudrait, du moins pour certains d’entre eux, qu’ils cherchent des postes ailleurs. Selon moi, cela n’a pas vraiment d’importance où se trouve le poste, pourvu que ce soit au Canada. Cela pourrait être dans un autre ministère, dans une ONG, dans une entreprise ou dans un gouvernement provincial. Il devrait aussi y avoir des incitatifs : si vous faites cela, cela devrait être pris en considération quand vient le temps d’accorder des promotions ou de décider de votre prochaine affectation.
Cela soulève un problème : j’ai essayé cela, à dire vrai. C’était M. George Hanel, qui l’avait proposé. Nous avons dit : pas besoin de mécanismes, il suffit de faire savoir, de façon générale, qu’on aimerait que les choses fonctionnent comme cela. Il y a eu une personne qui a vraiment pris cela à cœur, et qui est partie travailler pour le Régime de pensions du Canada, et au bout du compte, sa récompense a été de se faire confier un poste d’ambassadeur. Je pense que le problème, c’est qu’il y a une véritable crainte au ministère que, si vous partez, c’est loin des yeux, loin du cœur, et que cela limite les perspectives d’avancement.
La solution, ce serait qu’il y ait continuellement des messages de la haute direction du ministère pour souligner la grande importance de tout cela et pour dire que ce sera pris en considération pour les promotions et pour les affectations dans les missions. Là où le bât blesse, c’est que puisque les sous‑ministres entrent au ministère et en sortent tous les trois ans environ, si un sous-ministre dit que c’est ce qu’il veut faire, les gens vont peut-être demander si le prochain va trouver que c’est une bonne idée. Il doit y avoir de la cohérence, et c’est aussi très important de renforcer la capacité du Canada d’accroître sa crédibilité en matière d’affaires étrangères et pour s’assurer que ses fonctionnaires comprennent véritablement quels sont les intérêts canadiens qu’ils sont censés promouvoir.
Le président : Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Shugart. Le Bureau du Conseil privé assure la coordination entre divers comités des sous-ministres dont le mandat est de faire progresser le développement des politiques intégrées qui appuient les priorités du gouvernement et la planification à moyen terme. L’un de ces comités est voué à la politique étrangère et à la défense.
Quel est le rôle du Conseil privé pour ce qui est d’assurer la coordination entre les ministères pour le service extérieur du Canada et Affaires étrangères?
M. Shugart : Merci, monsieur le sénateur. Le rôle du Bureau du Conseil privé est d’assurer une coordination pour que les divers acteurs qui ont une responsabilité et un rôle à jouer par rapport à un problème ou à un objectif particulier soient présents aux discussions et pour qu’il y ait une coordination entre eux. On pourrait dire que son rôle est de désamorcer toute approche divergente ou conflictuelle que les ministères pourraient avoir.
J’aimerais insister pour dire que le ministère ne devrait pas être obligé d’attendre après le Bureau du Conseil privé pour mettre en œuvre le genre d’approche dont parlait M. Rosenberg dans sa déclaration préliminaire, et je suis d’ailleurs tout à fait d’accord avec cela, dans un contexte de coordination.
Pour parler de deux relations très importantes, quand j’étais sous-ministre des Affaires étrangères et que nous nous préparions au résultat des élections présidentielles de 2016 aux États-Unis, le Bureau du Conseil privé s’intéressait énormément aux résultats de cette relation bilatérale. Malgré tout, je n’attendais pas après le Bureau du Conseil privé pour mettre en place toute la machinerie ou les mécanismes. Nous nous sommes débrouillés, autant à l’échelon ministériel qu’à celui des hauts fonctionnaires, en utilisant la coordination du ministère lui‑même.
Aussi, le sous-ministre des Affaires étrangères a un énorme pouvoir et une autorité de mobilisation. Par conséquent, tous les sous-ministres des Affaires étrangères doivent remplir ce rôle pour soutenir ce dont parle M. Rosenberg, donc coordonner les efforts à l’échelle du ministère.
Dans le cas de la Chine, il y a eu, à un moment donné, une directive du Cabinet pour l’établissement d’un comité des sous‑ministres dirigé par Affaires étrangères, qui serait chargé de coordonner les dossiers liés à la Chine. Donc, ce n’est pas nécessaire que ce soit un organisme central, mais au bout du compte, c’est la responsabilité du Bureau du Conseil privé d’expliquer quels sont les intérêts nationaux par rapport à un dossier donné et de veiller à ce que les ministères soient coordonnés et soient réunis autour de la table afin d’appuyer cet intérêt.
Le sénateur Ravalia : Lorsqu’il a témoigné, le 28 avril, M. Len Edwards a proposé que l’un des sous-ministres d’Affaires mondiales se voie confier le rôle officiel de chef du service extérieur, relevant directement du greffier du Conseil privé.
Pensez-vous que ce serait un mécanisme plus simple et plus efficient, pour travailler sur les dossiers critiques?
M. Shugart : Monsieur le sénateur, je crois que le sous‑ministre du ministère est de facto le chef du Service extérieur, ou du moins qu’il représente le Service extérieur. Si des sous‑ministres, dans le reste du ministère, ou si le sous‑ministre des Affaires étrangères ne considèrent pas cela comme sa responsabilité, c’est que nous n’avons pas choisi la bonne personne, ou alors qu’elle ne s’acquitte pas de ses responsabilités.
Je ne crois pas qu’un mécanisme ou qu’une désignation officielle soit nécessaire. À mon avis, c’est quelque chose qui va de soi.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le sénateur Woo : Les deux tiers des éléments dans la lettre de mandat de la ministre des Affaires étrangères concernaient le fait de coordonner, du moins, sinon carrément de déférer les responsabilités à d’autres ministères. Puisque d’autres ministères, autres qu’Affaires mondiales, ont les compétences nécessaires pour comprendre les dossiers internationaux modernes — vu que, comme l’a dit M. Shugart, la diplomatie, ce n’est pas une langue que l’on retrouve seulement dans une partie du gouvernement, et que les fonctionnaires de nombreux ministères doivent apprendre —, quelle est l’utilité d’avoir le volet spécifique du service extérieur? S’il y a toujours une utilité, quelles sont, selon vous, les qualités uniques qui définissent ce volet et que nous ne pouvons pas trouver ni cultiver ailleurs dans la fonction publique?
Peut-être que M. Rosenberg pourrait répondre en premier, puisque c’est lui qui a mentionné le fait que les deux tiers de la lettre de mandat relevaient d’autres ministères.
M. Rosenberg : Merci beaucoup. Je l’ai effectivement mentionné, et je crois que c’est important, mais j’ai aussi dit, dans ma déclaration, qu’il y a un certain nombre de domaines dans lesquels Affaires mondiales a en effet une expertise fondamentale. Elle a de l’expertise en matière de relations multilatérales, en gestion des relations avec les autres gouvernements, en développement, en promotion du commerce, en négociation commerciale et pour comprendre les autres sociétés. L’un des éléments clés de la diplomatie, c’est d’acquérir une solide connaissance de la culture politique, de la structure politique, et cetera, des autres sociétés. Ce sont des choses qui peuvent être très utiles. Le fait d’avoir des gens affectés à des missions sur le terrain, et même des gens à l’administration centrale avec une expertise fonctionnelle et géographique, peut s’avérer très utile, pas seulement dans des dossiers d’Affaires mondiales, mais aussi dans d’autres dossiers — de nouveaux dossiers émergents comme les changements climatiques, la cybersécurité et le numérique, les pandémies, et cetera — qui concernent d’autres ministères.
Je me rappelle, quand j’étais à Santé Canada, et que nous nous occupions de la grippe H1N1 en 2008, quand nous avons manqué un certain type de vaccin qui était nécessaire pour les femmes enceintes — parce qu’elles ne pouvaient pas recevoir le vaccin ordinaire —, l’Australie avait des réserves de ce vaccin. Grâce à notre haut commissariat en Australie, nous avons pu utiliser ses contacts dans le gouvernement pour obtenir rapidement une réponse favorable.
Donc, je crois qu’Affaires étrangères a énormément de valeur, compte tenu de sa position unique par rapport à son propre ensemble d’enjeux, et aussi pour ce qui est de permettre aux autres ministères de tirer parti de ses compétences.
M. Shugart : Rapidement, je vais ajouter quelque chose à cette réponse.
Monsieur le sénateur, je peux donner un exemple du temps où je travaillais comme haut fonctionnaire à Santé Canada. On m’a demandé de présider un groupe de travail sur la santé pour l’organisation de Coopération économique Asie-Pacifique, et mon vice-président était un haut fonctionnaire chinois. La première chose qui a été faite, c’était qu’un sous-ministre adjoint du ministère des Affaires étrangères est venu pour donner une séance d’information exhaustive sur les mécanismes, les participants, les antécédents et la culture des pays majoritairement représentés, à moi et à mon vice-président. Puis, quand je suis parti pour diriger l’exercice, tout cela m’a été extrêmement utile pour mon travail dans ce pays d’accueil, que je ne vais pas nommer. Nous avons noué de solides relations de travail, et, dans les coulisses, en tant que président, j’ai aidé ce groupe à obtenir d’excellents résultats.
Donc, le leadership est le fruit des efforts harmonieux des ministères, mais cette expertise à propos des antécédents et de la culture — ce que j’appelle la langue de la diplomatie —, cela est venu de l’expert du ministère des Affaires étrangères. Je crois que cela illustre l’argument que M. Rosenberg et moi-même faisons valoir.
Le président : Merci, monsieur Shugart. Nous allons passer à la prochaine intervenante.
La sénatrice Boniface : Bienvenue à nos deux témoins.
Ma question s’adresse à M. Rosenberg. Je suis contente de vous revoir.
Vous avez dit que les gens d’Affaires mondiales avaient de la difficulté à dire la vérité aux autorités. J’ai entendu le même son de cloche d’autres ministères. À dire vrai, deux ou trois autres témoins ont dit que la culture chez les divers éléments du service extérieur avait une aversion pour les risques. Pouvez-vous nous dire comment tout cela se recoupe, selon vous, et comment nous pourrions reconstruire l’organisation selon une approche qui valorise les opinions contraires?
M. Rosenberg : C’est une question excellente et très importante, pas seulement pour le service extérieur, mais pour tout le gouvernement du Canada. C’est un problème qui existe depuis très longtemps. Déjà, en 1994, on avait noté ce problème et l’importance de dire la vérité aux autorités, dans le Rapport Tait sur les valeurs et l’éthique.
À mon avis, cela doit vraiment venir d’en haut. Laissez-moi vous donner très rapidement un exemple. L’ancien secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a parlé dans ses mémoires du premier jour où il a rencontré les cadres supérieurs militaires et civils de ce qui est probablement l’une des organisations de commandement et de contrôle où la déférence a le plus d’importance au monde. En tant que secrétaire, il leur a dit qu’il ne voulait pas de consensus. Il voulait des désaccords bien définis afin qu’il puisse décider de ce qui est juste. Il a dit : si vous pensez que j’ai tort, j’aime mieux que vous me le disiez maintenant, plutôt que d’avoir l’air stupide devant les journalistes.
J’utilise cet exemple pour montrer qu’il faut que les hauts dirigeants — les chefs politiques et les hauts fonctionnaires — n’arrêtent jamais de donner la permission aux gens qui sont prêts à s’exprimer de cette façon de le faire et de les récompenser, parce que si cela n’arrive pas, s’il y a trop de personnes qui se fient à l’ambiance dans la salle, et qui s’inquiètent de voir leurs perspectives d’avancement limitées s’ils expriment une opinion contraire à celle du groupe, cela n’aide personne.
Un haut dirigeant que je connais a dit : « Si tout le monde est d’accord avec moi, pourquoi aurais-je besoin de vous avec moi dans la pièce? Je sais déjà ce que j’ai en tête. » Mais il faut vraiment un message convaincant et répété de la part de la haute direction, de tout en haut — du premier ministre lui-même — pour montrer qu’il s’agit d’une valeur importante et que les gens qui font cela seront récompensés.
M. Shugart : Encore une fois, je suis tout à fait d’accord avec mon collègue. J’ajouterais une chose : c’est parfois facile de penser que, quand de mauvaises décisions sont prises ou que les résultats ne sont pas bons, c’est parce que les gens n’ont pas dit la vérité aux autorités.
Il arrive souvent qu’on dise la vérité aux autorités, et que cela ne change rien. Donc, il peut être facile de penser que tout ce dont on a besoin, c’est que les gens disent la vérité aux autorités — que ce soit les ministres à leurs collègues ou les fonctionnaires à leurs supérieurs et aux ministres —, pour que tout fonctionne bien. D’abord, il faut tenir pour acquis que ces personnes ont raison. Ensuite, il faut tenir pour acquis que si elles s’expriment, on va tout simplement suivre leurs conseils, mais ni l’un ni l’autre n’est certain.
Il faut vraiment diagnostiquer la mesure dans laquelle ce problème existe, et quelle est la nature du problème. Cela étant dit, le traitement que M. Rosenberg a recommandé est absolument le bon, et on devrait l’administrer de façon prophylactique. Il faudrait faire cela de façon préventive, et aussi de façon thérapeutique, après coup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos invités d’être ici aujourd’hui.
J’ai retenu de M. Shugart que le service extérieur canadien doit s’adapter constamment et qu’il doit y avoir une cohésion et une collaboration entre les différents secteurs. D’ailleurs, plusieurs pays du G7 entreprennent actuellement des réformes, notamment le Royaume-Uni, qui a amorcé une importante réforme basée sur le principe more foreign and less office. Les États-Unis, tout à côté de nous, ont décidé de bonifier leur service extérieur en ajoutant 10 % à l’enveloppe destinée à l’aide internationale et en créant 500 nouveaux emplois à l’étranger. Or, devant le comité, certains témoins ont affirmé qu’ils voulaient plus d’employés à l’étranger, d’autres ont dit qu’ils voulaient davantage d’employés à l’interne, ici au pays.
Quelle est votre perspective? Est-ce qu’on doit mettre plus l’accent sur une réforme axée sur les emplois à l’étranger ou sur les services à l’échelle locale?
M. Rosenberg : Merci pour la question, madame la sénatrice.
Je pense que c’est important que le ministère des Affaires étrangères appuie le travail qui se fait à l’étranger. Comme je l’ai déjà dit, et comme d’autres l’ont mentionné, on a diminué sensiblement les ressources canadiennes qui se consacrent à ce travail diplomatique. Je suis complètement pour que nous augmentions nos ressources à l’étranger. Je crois que cette expérience à l’étranger sert aussi aux personnes quand elles reviennent dans la capitale, à Ottawa.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de choisir l’une ou l’autre des options, mais on doit plutôt se demander ce qu’il faut faire pour avoir un ministère des Affaires étrangères efficace, qui comble les besoins du pays et du gouvernement. Je pense qu’on ne peut pas simplement substituer ou diminuer les ressources allouées aux maisons mères pour les diriger vers l’étranger, ou vice versa. On doit voir tout cela comme un ensemble et avoir assez de ressources pour les deux fonctions en même temps.
M. Shugart : Tout à fait, madame la sénatrice.
Il faut aussi introduire l’élément des priorités. Le ministère des Affaires étrangères n’est pas immunisé contre le besoin d’établir des priorités. Évidemment, dans le monde d’aujourd’hui, il y a des défis et des possibilités majeurs qui ne sont pas reflétés également partout sur la planète; il faut faire des choix. Il faut toujours faire des choix, mais cela doit être déterminé par une analyse extrêmement précise quant aux besoins et aux possibilités. Il faut être prêt à accorder les ressources nécessaires, que ce soit à l’interne ou dans les localités, pour refléter la nature des priorités et des besoins présentés dans cette analyse.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Merci aux deux témoins d’être avec nous aujourd’hui. Je ne crois pas me tromper en supposant que le fait d’être membre du service extérieur est une corde de plus à l’arc de quiconque souhaite gravir l’échelle diplomatique. C’est considéré, pas seulement au Canada, mais aussi ailleurs dans le monde, comme un privilège spécial. Pourtant, nous savons qu’il y a de plus en plus d’emplois désignés comme des emplois du service extérieur, aujourd’hui occupés par des agents du service extérieur qui ne sont pas là pour leur carrière.
J’aimerais savoir quelle est votre évaluation des conséquences, des avantages et des désavantages de cette pratique, et de l’effet que cela a sur le moral des agents du service extérieur.
M. Shugart : J’avais l’habitude de dire à mes collègues du ministère que les agents du service extérieur et les autres partagent tous la désignation de fonctionnaires. Nous sommes au service des Canadiens et des Canadiennes, d’abord et avant tout.
La difficulté fondamentale — on peut parler de la tension qui l’anime — tient au fait que, si vous avez un parcours professionnel en tant qu’agent du service extérieur, si vous êtes doué, efficace et fidèle, et cetera, vous allez habituellement être nommé, au bout du compte, ambassadeur. C’est l’idéal. Mais la réalité, c’est qu’il y a toujours eu différentes façons de suivre cette voie. Parfois, des gens ont priorisé les besoins de leur parcours professionnel en tant qu’agents du service extérieur, plutôt que les besoins du pays ou du ministère, en tant qu’agent du service extérieur. C’est très difficile de trouver le bon équilibre.
À mon avis, si le gouvernement, peu importe lequel, a sincèrement foi en l’importance du service extérieur, il s’assurera que la majorité des agents du service extérieur ait accès à des possibilités de carrière gratifiantes.
Par ailleurs, les agents du service extérieur doivent aussi comprendre que l’institution ne leur appartient pas; ce sont eux qui sont à son service. M. Rosenberg a efficacement expliqué, je crois, les avantages d’importer des gens de l’extérieur de l’appareil du service extérieur, et j’ai donné un exemple personnel, avec mon propre parcours. Il y a un équilibre à atteindre, mais il n’y a aucune formule qui va nous assurer que nous réussirons.
Je crois que ce que nous devrions faire, c’est délaisser les cultures qui favorisent le renvoi d’ascenseur et le réseautage. Nous devrions avoir une approche professionnelle face à la gestion de carrière, qui tient compte des besoins du service extérieur, et de cette façon, si nous investissons par exemple dans une personne qui apprend une langue difficile, nous devrions pouvoir tirer parti de la valeur de la personne qui apprend cette langue. Il ne faut pas promettre aux gens que, disons, après qu’ils ont terminé en Asie, ils pourront aller en Europe. Ensuite, si c’est l’Amérique du Sud qui les intéresse, ils peuvent faire cela. Il y a un équilibre à atteindre entre tirer parti de notre investissement et honorer la promesse que si vous travaillez bien et êtes efficace, il y a une carrière devant vous.
Le président : Merci beaucoup. Le temps est écoulé. Je sais que M. Rosenberg tenait à répondre, alors peut-être que vous le pourrez plus tard.
Le sénateur Greene : J’aimerais poser une question que j’ai presque retirée deux ou trois fois, parce que je ne suis pas sûr à quel point c’est vraiment une bonne question. Elle est peut-être trop vague. Par rapport à toutes les questions que nous avons soulevées ce matin, j’aimerais savoir si, l’un et l’autre, vous pensez qu’il y a un pays spécifique dont on pourrait tirer un grand nombre de leçons ou peut-être même imiter — si ce n’est pas un mot trop fort —, où les enjeux sont similaires aux nôtres, mais qui trouve des façons de mieux faire les choses qu’ici.
M. Rosenberg : Merci beaucoup. Un commentaire que d’autres ont fait dans le passé est que la situation géographique du Canada compte pour beaucoup. Le fait que nous soyons voisins des États-Unis a toujours été un atout pour nous, par rapport à notre relation en matière de sécurité. Nous n’avons aucune autre frontière terrestre avec un autre pays, et en conséquence, nous avons tendance peut-être à ne pas prendre avec suffisamment de sérieux les enjeux de politique étrangère.
Nous sommes dans une position dangereuse, maintenant. Nous ne parlons pas beaucoup des enjeux géopolitiques, mais le monde devient de plus en plus complexe, interconnecté, chaotique et dangereux. Je crois que le temps est venu pour nous de vraiment traiter le service extérieur et les relations étrangères avec plus de maturité.
Il y a des pays — et je ne veux pas que nous devenions l’un d’eux — où les relations étrangères sont primordiales. Pour un pays comme Cuba, par exemple, c’est primordial. Pour un pays comme Israël, c’est primordial, et ils investissent énormément dans leur diplomatie et dans leur compréhension du monde, ou du moins des parties du monde qui leur sont essentielles. De plus en plus, cela représente des parties du monde de plus en plus grandes. Un pays comme l’Australie, qui nous ressemble un peu plus du fait de sa structure de gouvernement et de sa démographie, traite sa relation avec l’Asie-Pacifique avec beaucoup plus de sérieux et de cohérence que nous, jusqu’ici.
Je me rappelle qu’une critique — pas à mon endroit personnellement, mais envers le Canada — était que le Canada a tendance à papillonner d’un endroit à un autre. Dans le passé, nous avions un très fort engagement envers l’Asie du Sud-Est pour son développement, puis nous sommes partis. Ensuite, il y a quelques années, nous nous sommes dit : « Regardez ça, il y a une Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, l’ANASE, et des organisations connexes, on devrait vraiment y retourner. » Les gens de cette région ont répondu : « Qu’est-ce que vous voulez? Pourquoi voulez-vous revenir ici? » Je crois que nous devrions faire preuve d’un peu plus de sérieux en ce qui concerne nos intérêts et les motifs pour lesquels nous décidons de nos priorités en matière de politique étrangère.
Il y a une foule d’exemples des quatre coins du monde, mais nous devrions regarder de près nos propres antécédents, et nous devons aborder ces enjeux avec plus de sérieux et leur accorder une plus grande priorité au sein du gouvernement.
Le président : Merci. M. Shugart n’aura pas le temps d’intervenir. Je regarde l’heure, et nous manquons de temps. Nous n’aurons pas non plus de temps pour un deuxième tour.
Ce que j’aimerais faire, chers collègues, avec votre accord, c’est donner deux minutes à l’un et l’autre de nos distingués témoins pour qu’ils puissent faire un dernier commentaire. Il y a quelques points que nous n’avons peut-être pas réglés, alors je demanderais à M. Rosenberg de parler en premier, puis ce sera à M. Shugart. Êtes-vous d’accord? Oui, merci.
M. Rosenberg : Merci beaucoup. Je n’ai pas préparé de conclusion officielle, mais j’ai deux ou trois choses à dire.
En réponse à la question de la sénatrice Omidvar sur les parcours de carrière, pour savoir si nous minons les carrières au sein du service extérieur... c’est important de préserver les carrières au service extérieur, mais il faut que cela soit plus perméable et il faut tenir compte du fait, à certains égards, qu’il y a beaucoup plus d’acteurs sur la scène internationale qu’avant. Une chose qui est vraie pour les agents du service extérieur et qui ne le sera peut-être pas pour d’autres fonctionnaires, c’est qu’en choisissant cette carrière, ils ont pris la décision qu’ils sont prêts à organiser leur vie d’une façon où ils vont devoir déménager souvent — et organiser la vie de leur famille de cette façon —, et c’est difficile.
Ce n’est pas une décision qu’on prend à la légère, et c’est un engagement envers un mode de vie que d’autres personnes qui s’intéressent aux relations internationales pourraient ne pas avoir. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place dans ce genre de carrière pour quelqu’un qui est un expert en négociations internationales sur les changements climatiques, qui travaille à Environnement et Changement climatique Canada et qui pourrait participer à une mission, mais il est peu probable que cette personne va vouloir en faire toute sa carrière. Voilà ce que je voulais dire.
Une autre chose que je voulais dire, en réponse à la question de savoir si les échelons supérieurs avaient beaucoup trop de chefs — je crois que c’est la première question que la sénatrice Deacon a posée —, c’est que c’est un problème dans tout le gouvernement, et pas seulement au ministère des Affaires étrangères, où il faut savoir si nous avons atteint le bon équilibre entre les ressources investies dans les activités et les ressources investies en amont, y compris dans la gestion et la surveillance. Je me demande parfois — et je le redis, c’est un commentaire sur le gouvernement en général —, si nous créons des problèmes pour les gens. Nous avons besoin de gens qui ont une vaste expertise dans tous les domaines. Nous avons besoin de gens avec une vaste expertise géographique à Affaires étrangères, par exemple. Est-ce que nous forçons les gens qui veulent faire avancer leur carrière à occuper des postes de direction? Est-ce que nous investissons assez dans nos structures d’incitatifs pour vraiment récompenser les gens qui nous offrent leur vaste expertise? C’est qu’il faut les deux : vous avez besoin de gestionnaires, et vous avez besoin de gens qui comprennent comment fonctionne tout le gouvernement et entrer en relation avec les autres ministères, mais vous avez aussi besoin de gens qui comprennent le désarmement nucléaire, par exemple, ou comment travailler en Afrique subsaharienne ou en Chine. Vous ne voulez pas perdre cette expertise, mais c’est un problème de longue date.
Le président : Merci, monsieur Rosenberg. Je vais vous arrêter là, et donner la parole à M. Shugart pour sa conclusion.
M. Shugart : Merci, monsieur le président, et merci, honorables sénateurs, de me donner cette occasion. Il n’y a rien que j’ai besoin de dire, mais vu le temps que j’ai passé à Affaires étrangères, et puisqu’on me donne l’occasion de parler, je n’ai pas vraiment d’autres choix que de la saisir. Il n’y a aucune réponse facile par rapport à cela.
Premièrement, la responsabilité qui vous incombe est ardue et difficile, en partie parce que fondamentalement, une grande partie de la sécurité nationale et des relations internationales est, par nécessité, cachée, et vous ne pouvez pas en discuter ouvertement. Donc, le potentiel de mésentente et de donner une certaine impression est très grand. Je vous recommande fortement de garder cela à l’esprit.
Deuxièmement, notre service extérieur a besoin de notre soutien et de notre appui, parce que notre pays a besoin de lui. Nous vivons dans un environnement périlleux, à une époque périlleuse, mais les problèmes de culture au sein du ministère demeurent graves.
Je pense que c’est généralement vrai de dire que, plus on a une activité humaine spécialisée, une expertise qui dure longtemps, plus les gens qui participent à cette activité vont être ancrés dans leurs habitudes; ils vont voir les choses comme elles l’ont toujours été. C’est un déséquilibre entre la profession — parce que c’est ce dont il s’agit — qui connaît les réponses, et l’environnement qui change énormément, et qui fait qu’ils n’ont pas toujours la réponse. Donc, il faut pouvoir contester ces personnes, mais respectueusement, pour pouvoir tirer parti de leur expertise. Nous avons parlé aujourd’hui de certains mécanismes qui pourraient aider à atteindre cet équilibre. Si vous faites quelque chose qui va renforcer et appuyer cette profession, mais d’une façon qui permet de remettre les gens en question pour qu’ils puissent s’adapter et revitaliser leur façon de penser, alors vous allez rendre à notre pays un grand service.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Shugart.
Au nom du comité, je tiens à remercier nos deux témoins de leur participation aujourd’hui et des connaissances dont ils nous ont fait part. Merci beaucoup.
Chers collègues, j’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue au nom du comité à Mme Patricia Fortier, professionnelle en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa. Mme Fortier a été cheffe de mission de nombreuses fois ainsi qu’une haute fonctionnaire du ministère. Nous accueillons M. Colin Robertson, vice-président et chercheur, Institut canadien des affaires mondiales, qui a aussi été chef de mission et a occupé des postes de direction au service extérieur; et M. Randolph Mank, président, MankGlobal Inc. et qui a aussi été ambassadeur plusieurs fois ainsi que planificateur des politiques au ministère.
Bienvenue à tous, et merci d’être avec nous. Après vos déclarations préliminaires, les sénateurs auront des questions pour vous. Vous aurez cinq minutes chacun. Puisque vous êtes trois et que les sénateurs auront quatre minutes pour poser leurs questions, je vais être très strict par rapport au temps.
Nous allons commencer par Mme Fortier. Vous avez la parole.
Patricia Fortier, professionnelle en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Mes commentaires d’aujourd’hui seront axés sur ce que les gens qui travaillent actuellement à Affaires mondiales m’ont dit. Il s’agira donc d’opinions très personnelles.
Tout le monde semble content que le ministère ait maintenant intégré des processus réguliers de recrutement et de promotion au sein du service extérieur. Cela devrait commencer à atténuer ce que les gestionnaires d’Affaires mondiales Canada appellent les « Hunger Games », la compétition interne acharnée pour les postes. Les employés qui travaillent actuellement m’ont aussi parlé d’aspects fondamentaux. Il s’agit du risque, et son corollaire nécessaire, la confiance et de l’exercice de son jugement.
L’un des principaux rôles de tout ministère responsable des affaires étrangères est de faire preuve d’un esprit d’entreprise lorsque les circonstances sont incertaines, que le problème soit lié à des conflits, au commerce, au développement, au droit international, à la diplomatie ou au consulat. Cela veut dire que les ministères des Affaires étrangères doivent, de par leur nature, prendre des risques.
La confiance entre les gens et envers les outils du métier est nécessaire si nous voulons éviter ce qui pourrait survenir advenant qu’il n’y ait pas d’actions ou de communications. Les gens qui font ce travail doivent faire confiance à l’organisation.
Un aspect qui fait que le travail effectué au service extérieur est différent et plus difficile est le fait que cela touche de très près la vie des familles. Affaires mondiales a fait d’importants progrès depuis le rapport McDougall, mais la famille est toujours l’une des principales raisons pour lesquelles les agents quittent une affectation de façon anticipée ou quittent même le service extérieur.
Une courte liste des situations professionnelles et personnelles à l’étranger comprend les conflits d’intérêts, la fraude, le divorce, la maladie — mentale ou physique — la toxicomanie, la maltraitance, la violence, les comportements criminels et la mort. Ce genre de choses arrivent dans pratiquement tous les pays du monde, sous le régime des règles du Conseil du Trésor. Les demandes initiales sont reçues à Ottawa par des employés qui sont peut-être des stagiaires d’été.
Dans ce contexte, la pandémie de COVID a constitué un point tournant pour beaucoup. Les règles appliquées au Canada ont été appliquées à tout le personnel, dans toutes les missions. Évidemment, cela a causé des tensions. Selon un agent supérieur, des échanges entre les personnes en affectation et Ottawa au sujet de la vaccination dans les missions ont été longs, brutaux et honteux, et cela, c’était au moment où les missions s’occupaient simultanément d’évacuer leur personnel vers le Canada — conformément à leur obligation de diligence — et d’arranger le retour à la maison pour plus de 60 000 Canadiens.
Cela soulève des questions qu’Affaires mondiales Canada s’est sans nul doute posées : est-ce que le ministère a trouvé le bon équilibre entre le fait de défendre les intérêts de son personnel et son devoir de faire appliquer les règles du Canada? Des évacuations générales étaient-elles nécessaires pour éviter la catastrophe, ou aurait-on pu avoir une approche plus nuancée? Les crises sont d’excellentes occasions d’apprentissage.
Les employés d’Affaires mondiales Canada à de nombreux échelons semblent avoir de la difficulté à savoir comment appliquer ces leçons dans leur travail quotidien. Ils demandent si on leur fait confiance pour qu’ils puissent prendre des risques et si le fait de centraliser davantage le processus décisionnel et les procédures de reddition de comptes ont permis au Canada d’optimiser ses possibilités ailleurs dans le monde.
Un directeur permanent est d’avis que les modèles de risque ont remplacé les discussions à propos du risque. Un autre agent en affectation a dit que certaines des décisions qui, anciennement, auraient été prises à l’échelon de la direction sont maintenant renvoyées au sommet de la hiérarchie.
L’ancien premier ministre Jean Chrétien a répondu à ma question à propos de la gestion en disant : « On ne peut pas conduire une voiture si on regarde toujours ce qui se passe sur la banquette arrière. » Personne ne dit, malgré tout, que le gouvernement devrait déléguer tous ses pouvoirs et faire confiance aveuglément. « Faire confiance, mais vérifier », cela fonctionne dans les organisations et pas juste dans les négociations sur le nucléaire.
Notre instrument de vérification est l’inspecteur général d’Affaires mondiales, qui remplit un rôle important en tant que liaison entre le terrain et l’administration centrale. La première façon de trouver un équilibre entre le risque et la confiance, c’est de connaître les gens avec qui vous travaillez, savoir qui peut gérer les risques et qui mérite votre confiance, que ce soit en amont ou en aval de la structure hiérarchique.
Un manque de connaissances et de communications peut constituer un risque et détruire la confiance. Tout poste de responsabilité soulève ces aspects de risque et de confiance. Le service extérieur et Affaires mondiales sont une porte ouverte sur le monde, et cela met en relief la nécessité d’un jugement éclairé.
Le président : Merci, madame Fortier.
La parole va à M. Colin Robertson.
Colin Robertson, vice-président et chercheur, Institut canadien des affaires mondiales :
Merci, monsieur le président. Mes observations sont le fruit de 33 ans passés au service extérieur du Canada. Depuis 2008, j’enseigne aussi les relations avec les États-Unis plusieurs fois par année à tous les nouveaux agents du service extérieur à l’Institut canadien du service extérieur. Durant ma carrière au service extérieur, j’ai aussi siégé au comité exécutif de l’Association professionnelle des agents du service extérieur, y compris un mandat en tant que président.
Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que, selon moi, les intérêts internationaux du Canada sont le mieux servis par un service extérieur professionnel. Plus que la plupart des autres nations, notre sentiment d’identité découle de la façon dont nous agissons et sommes perçus à l’étranger. Plus que la plupart, notre prospérité dépend de notre capacité à faire du commerce et à investir à l’étranger, et de recruter des immigrants et des réfugiés.
Le service extérieur contribue à l’atteinte de ces objectifs. Ses agents sont les yeux, les oreilles et la voix du Canada au-delà de nos frontières. Grâce à l’immigration, nous faisons aussi partie du petit nombre de pays au monde qui peut constituer un service extérieur représentatif du monde entier.
Les agents du service extérieur ont besoin de trois qualités.
L’adaptabilité : les agents doivent se déplacer d’un pays à un autre et aussi travailler à l’administration centrale, et ils doivent donc savoir s’adapter rapidement aux cultures différentes et acquérir de nouvelles compétences.
L’engagement : dans un monde réseauté, la capacité de s’engager personnellement et uniquement envers l’atteinte des intérêts nationaux, pour ensuite communiquer avec nos interlocuteurs à l’étranger et au pays, pour leur fournir des analyses et des recommandations, est vitale.
L’empathie : pour ceux qui connaissent la langue, il est beaucoup plus facile de cultiver des relations, surtout dans le but de connaître les gens qui pensent et qui agissent différemment de nous, au Canada. Si nous comprenons le point de vue de nos adversaires, cela peut contribuer à éviter qu’ils ne deviennent des ennemis.
Dans Policy Magazine, j’ai récemment formulé 10 recommandations pour améliorer le service extérieur. Je vais insister sur trois d’entre elles.
Premièrement, il faut donner plus d’ampleur au service extérieur — l’accent porte sur service —, il faut que ce soit suffisant pour que nous ayons une capacité de mobilisation en cas de catastrophe ou lorsque les agents sont en formation, en détachement, en permutation ou en congé personnel. Nos intérêts internationaux ont pris de l’expansion, et nous avons maintenant 175 missions internationales à l’étranger. Alors qu’Affaires mondiales Canada a quadruplé de taille pour atteindre près de 13 000 employés, le service extérieur est seulement passé de 1 750 à environ 2 400, ce qui représente une augmentation d’un peu moins de 25 % depuis l’époque où Pierre Trudeau était premier ministre.
La deuxième recommandation est qu’il faut plus de service extérieur, l’accent porte sur extérieur. De plus en plus, nous sommes confinés au Canada au lieu d’être présents à l’étranger.
Quand j’ai rejoint le service extérieur, la moitié de nous était affectée à l’étranger, et l’autre moitié, à la maison. Il y a 15 ans, à l’époque où le sénateur Harder était sous-ministre, il n’y avait plus que 25 % des agents affectés à l’étranger. Aujourd’hui, il n’en reste environ que 18 %.
Les agents du service extérieur s’attendent à travailler dans des circonstances difficiles. Comme nos militaires, nous sommes rémunérés en conséquence. Si nous voulons faire valoir la perspective canadienne lors des discussions de haut niveau, nous avons besoin d’avoir une présence à des endroits comme Kiev, Téhéran et Pyongyang. L’obligation de diligence, un concept récent, doit céder le pas à notre obligation de représenter.
Ma troisième observation concerne davantage la diplomatie publique. Dans nos efforts de sensibilisation et de défense des intérêts, y compris en utilisant les médias sociaux, nous devons aller plus loin que les réseaux classiques d’entrepreneurs, de bureaucrates et de collègues diplomates et inclure les innovateurs, les chefs religieux, les maires et la société civile.
J’appuie de tout cœur les recommandations que votre comité a formulées dans son rapport de 2019, intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada. Le nouveau livre de Gary Smith, Ice War Diplomat, décrit la valeur que nous avons tirée des efforts diplomatiques lors du tournoi de hockey Canada-Russie de 1972. Cela était en soi un exercice de diplomatie publique, que nous allons probablement devoir recommencer d’ici quelques années.
Chaque secrétaire américain à la Défense a souligné que mieux vaut la diplomatie en amont que la force militaire en aval. Ça coûte bien moins cher. Selon les estimations, il en coûte aux États-Unis 1 million de dollars par an pour un seul marine en Afghanistan, mais seulement la moitié pour un diplomate.
Nous avons besoin de diplomates qui ne s’arrêtent pas aux gros titres et qui peuvent voir ce qui pointe à l’horizon, qui peuvent se concentrer sur les tendances sous-jacentes et avoir une vue globale de la situation. Une partie essentielle du travail de diplomate consiste à interpréter et à comprendre les répercussions directes et indirectes des événements comme la crise en Ukraine, par exemple les perturbations que cela peut avoir sur la chaîne d’approvisionnement et les fractures sociales.
Pour conclure, notre monde est de plus en plus chaotique et dur. La diplomatie et le service extérieur ont plus d’importance que jamais. La diplomatie discrète demeure la première ligne de défense. Avec les médias sociaux qui prennent de plus en plus d’importance, il y a de plus en plus de désinformation et d’informations erronées qui alimentent les conflits et déstabilisent les démocraties, et c’est pourquoi nous avons besoin d’accroître nos efforts de diplomatie publique.
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Robertson. C’est maintenant au tour de M. Randolph Mank.
Randolph Mank, président, MankGlobal Inc. et ancien ambassadeur en Indonésie, au Pakistan et en Malaisie, à titre personnel : Merci, monsieur le président. J’ai travaillé 35 ans au service extérieur, puis en tant qu’homme d’affaires à l’étranger, dans un poste de direction pour BlackBerry, et ensuite en Asie pour une entreprise suisse, SICPA. J’ai déposé un court mémoire à l’intention de votre comité, et vous pourrez peut-être le consulter plus tard, mais pour l’instant, je vais passer tout de suite à ma liste des 10 principales recommandations pratiques que l’on pourrait décider de mettre en œuvre.
Premièrement, il faut définir les objectifs généraux en matière de politique étrangère, s’y tenir et s’assurer que toute l’organisation les comprend clairement. Tout examen des politiques, comme celui en cours sur les stratégies indopacifiques, devrait s’orienter sur ces intérêts clairs et cohérents.
Deuxièmement, il faut résister à la tentation de changer si souvent le ministre des Affaires étrangères. Nous en avons eu cinq en six ans. Ces ministres ont besoin de plus de temps.
Troisièmement, les lettres de mandat des ministres devraient se limiter à deux pages, et énoncer au plus trois à cinq priorités. Actuellement, les lettres de mandat font six pages, et si vous ajoutez les trois portefeuilles ministériels, cela représente un total de 68 priorités, une pour chaque puce.
Quatrièmement, les sous-ministres d’Affaires mondiales, du Commerce et du Développement devraient être nommés en fonction de leur expérience professionnelle dans leurs portefeuilles.
Cinquièmement, il faut reconnaître les contraintes intérieures qui pèsent sur la politique étrangère et relier clairement les priorités mondiales au cadre budgétaire. Le gouvernement doit réduire ses coûts.
Sixièmement, il faut moderniser l’image du service extérieur pour en faire un service de conseillers mondiaux beaucoup plus inclusif et le distinguer du service diplomatique mondial, qui devrait demeurer un petit sous-ensemble au cœur du service. Ce nouveau service de conseillers mondiaux devrait comprendre les milliers d’autres fonctionnaires qui travaillent sur des dossiers mondiaux à Affaires mondiales et dans d’autres ministères clés ainsi que les employés recrutés sur place à l’étranger.
Septièmement, il faut déployer davantage de personnel sur le terrain à partir de ce service de conseillers mondiaux. Ce domaine ne devrait pas être constitué uniquement de missions à l’étranger, mais devrait comprendre également des organismes gouvernementaux provinciaux concernés, des entreprises qui prennent de l’expansion à des fins d’exportation, des centres d’innovation régionaux et d’autres organismes de soutien aux entreprises ainsi que des universités.
Huitièmement, il faut maintenir et renouveler un service diplomatique mondial qui soit bien formé, en recrutant chaque année de nouveaux diplômés dans divers domaines et leur donner une formation pour acquérir des compétences qui leur serviront toute leur vie. Ils devraient passer au moins la moitié de leur temps à l’étranger. Les chefs de mission devraient normalement provenir de ce groupe.
Neuvièmement, il faut utiliser la technologie pour améliorer les services aux clients canadiens et étrangers. Il faudrait viser un temps de traitement d’un à trois mois pour les demandes de résidence permanente et de citoyenneté, plutôt que des délais pathétiques de plusieurs années, comme c’est le cas actuellement.
Le Canada devrait aussi prendre la tête d’une initiative mondiale visant à rationaliser les voyages en rendant les passeports papier facultatifs et en les remplaçant par des identités numériques.
Enfin, il faut réduire la surcharge de l’administration interne et des politiques d’Affaires mondiales Canada. Le moral est bas, et le personnel du ministère perd trop de temps sur toute sorte de choses comme des procédures dépassées concernant les voyages et les remboursements ainsi que des processus fastidieux de gestion du rendement qui sont dus, du moins en partie, au fait que les neuf autres réformes dont je viens de parler ne sont pas adoptées.
Voilà mes recommandations pour que notre excellent service extérieur le soit encore davantage. Je me suis dépêché à les énumérer, alors je serai heureux de répondre à vos questions, si cela vous intéresse.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mank. Nous allons passer à la période de questions. Chers collègues, si vous participez virtuellement, veuillez utiliser la fonction « lever la main ». Si vous êtes présents dans la salle, attirez mon attention ou celle de Mme Lemay. Je vous demande d’être concis dans vos questions, et j’encourage les témoins à faire de même au moment de répondre.
Le sénateur MacDonald : Merci à nos trois témoins, vous avez été excellents. Je pense que je vais poser ma question à M. Robertson. Je crois que la dernière fois que nous avons parlé, c’était avant la COVID, dans un avion vers Halifax. Je crois que vous alliez assister au Forum d’Halifax sur la sécurité internationale. Nous avons surtout discuté des échanges commerciaux avec les États-Unis.
Vous avez écrit un article, le mois dernier. J’ai eu beaucoup de plaisir à le lire, et j’ai quelques questions connexes. Vous avez recommandé de mettre davantage d’accent sur les partenariats avec les représentants provinciaux à l’étranger, et vous avez déclaré que cela pourrait servir de complément aux efforts du Canada, en particulier à l’égard des échanges commerciaux et des investissements. Plus précisément, vous avez affirmé que le Québec avait le service étranger provincial le plus moderne, et qu’il devrait servir de modèle aux autres provinces à mesure qu’elles élargissent leurs réseaux à l’étranger.
De quelle façon des partenariats spécifiques entre le service étranger du Canada et les représentants provinciaux pourraient‑ils améliorer l’efficacité des échanges diplomatiques du Canada et l’atteinte des objectifs de développement à l’étranger? Aussi, y a-t-il des pratiques exemplaires concernant les partenariats entre les représentants du fédéral et des gouvernements provinciaux ou des États dans d’autres pays dont le Canada pourrait s’inspirer?
M. Robertson : Merci, monsieur le sénateur. Oui, je crois sincèrement que les gouvernements provinciaux ont un rôle vital à jouer, en particulier en ce qui concerne le développement du commerce à l’étranger, parce qu’ils sont beaucoup plus près de la réalité commerciale. C’est certainement ce que j’ai constaté, et je peux le dire en tant que personne qui a participé aux négociations sur l’Accord de libre-échange Canada—États-Unis et l’Accord de libre-échange nord-américain.
Mon expérience, lors d’affectations, a été que les gouvernements provinciaux étaient souvent les mieux équipés et pouvaient vraiment intervenir concrètement pour ajouter de la chair autour de l’os des cadres des accords commerciaux que nous avions négociés, en travaillant avec les provinces, parce qu’elles sont souvent capables de définir quels sont leurs besoins, et c’est quelque chose de vraiment utile. Vraiment, d’après mon expérience en Asie et aux États-Unis, je peux dire que, en vérité, comme je le disais, les gouvernements provinciaux sont mieux placés pour élaborer des accords. Donc, la synergie entre les missions et les provinces est vitale.
Comme je l’ai dit, je pense que la province qui s’en sort le mieux, parce qu’elle a la plus longue expérience, c’est celle du Québec. Elle a une demi-douzaine ou plus de bureaux aux États-Unis. Évidemment, je travaille en étroite collaboration avec la délégation du Québec ou peu importe où je suis, si les intérêts du Québec sont en jeu. Les provinces sont extrêmement bien placées, dans cette situation, parce qu’elles savent exactement ce qu’elles veulent. Elles arrivent avec un objectif clair. À l’échelon national, nous essayons souvent d’élaborer un cadre de travail, et c’est important, mais encore une fois, nous avons besoin de cette complicité entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement national.
Comme je l’ai dit dans mon article, je crois que le Québec a le mieux défini ses intérêts. Les autres provinces pourraient tirer des leçons du Québec. L’Ontario a de vastes intérêts. Elle a un représentant à Washington. L’Alberta a depuis longtemps un représentant à Washington, et il fait un excellent travail. C’est habituellement quelqu’un qui vient du monde politique. James Rajotte est le représentant actuel, et il a siégé à la Chambre des communes. À un endroit comme Washington, j’ai observé que les représentants provinciaux qui ont de l’expérience politique étaient extrêmement efficaces. Ils s’occupaient surtout de dossiers relatifs au commerce, mais ils pouvaient aussi aller plus loin.
Le président : Merci. Le temps est écoulé pour cette série de questions.
Le sénateur Greene : C’est Winston Churchill qui a déjà dit que la vérité est parfois si fragile et précieuse qu’elle doit être protégée par une armure de mensonges. Y a-t-il une situation dans laquelle ce serait éthique pour un agent du service extérieur du Canada de mentir pour faire avancer les intérêts du pays?
Le président : À quel heureux témoin posez-vous la question, sénateur Greene? Quelqu’un veut-il tenter de répondre?
M. Robertson : Je dirais non, tout simplement. C’est un contresens. Vous ne pouvez pas mentir pour votre pays, parce que votre crédibilité est ce qu’il y a de plus important. Dès que vous avez une réputation de menteur, c’est très difficile d’être pris au sérieux par n’importe qui. Non, je ne pense pas que c’est une bonne approche.
Mme Fortier : Je suis d’accord avec M. Robertson. Je crois que la façon de présenter les choses est très importante. Vous pouvez choisir la façon dont vous présentez quelque chose, mais ce n’est pas la même chose. Je sais qu’il y a un vieux dicton selon lequel les diplomates sont envoyés à l’étranger pour mentir pour leur pays, mais honnêtement, ce n’est pas ce que font les agents du service extérieur du Canada.
M. Mank : Mentir, c’est un mot fort, et nous voulons l’éviter. Malgré tout, je dois admettre que si j’avais dit au gouvernement indonésien que j’allais me rendre dans leur pays après le tsunami en 2004 pour y établir ce qui était essentiellement un consulat pour diriger les interventions, ils auraient refusé. On leur a dit que nous allions être là pour offrir une aide immédiate aux sinistrés, et c’est ainsi que nous avons obtenu ce que nous voulions. Mentir, c’est fort comme mot, mais c’est vrai qu’il faut parfois faire preuve de créativité.
Le président : Donc, « créativité », c’est le mot que vous utiliseriez, monsieur Mank? Très bien. Merci.
Le sénateur Woo : Merci à Mme Fortier, à M. Robertson et à M. Mank. Je suis heureux de vous revoir tous. Ma question s’adresse à M. Robertson, mais peut-être que M. Mank voudra aussi intervenir.
Je suis d’accord avec ce que vous avez dit à propos de l’adaptabilité, de l’engagement et de l’empathie, autant de qualités clés pour les agents du service extérieur qui représentent notre pays à l’étranger. Malgré tout, je ne vois pas pourquoi ces trois qualités devraient être limitées aux agents du service extérieur, ni pourquoi nous avons besoin d’un volet spécifique pour cultiver et exprimer ces qualités. Si votre réponse est que ces personnes se sont engagées à travailler à l’étranger et à cultiver ces compétences, alors pourquoi n’y a-t-il qu’une fraction d’entre eux qui sont affectés à l’étranger? À dire vrai, certains refusent de travailler à l’étranger pour toutes sortes de raisons. Ne trouvez-vous pas que cela mine votre argument?
Ce que je veux savoir, c’est si nous pourrions prendre une approche plus globale pour le service extérieur du Canada, une approche différente du volet du service extérieur auquel vous avez tous travaillé, admirablement, et peut-être que l’idée de M. Mank pour modifier ce volet serait la chose à faire.
M. Robertson : Monsieur le sénateur, je pense avoir essayé de définir trois qualités, mais elles ne sont pas propres aux membres du service extérieur. Comme vous l’avez entendu au cours de la dernière séance, M. Shugart et M. Rosenberg ont fait remarquer — et je suis d’accord avec eux — que le fait de faire appel, au besoin, à des personnes provenant d’autres secteurs du gouvernement, d’autres gouvernements ou du secteur privé servirait également le service extérieur, et que le fait que des agents du service extérieur servent dans différents gouvernements provinciaux et dans des entreprises est également très logique. Je ne considère pas le service extérieur comme une caste ou une classe, mais comme quelque chose de perméable où les gens entrent selon les besoins. Cependant, je pense que vous avez besoin d’un service extérieur professionnel. Il y a beaucoup à dire sur les longues années de service, c’est-à-dire sur la connaissance des cultures et des langues que l’on acquiert au fil du temps. Je pense que c’est très précieux. Dans ce sens, le service extérieur est une vocation.
M. Mank : Je ne pense pas que nous recrutions des personnes particulièrement spéciales. Je parle de ma propre expérience, je suis entré par chance et j’ai été recruté par hasard à Londres, alors que j’étais étudiant. Ce sont vraiment les expériences de toute une vie qui commencent lorsque vous rejoignez le service extérieur, tout comme la formation que vous recevez. C’est pourquoi je recommande une formation rigoureuse, tout au long de la vie, au sein du service extérieur, afin d’atteindre un niveau de professionnalisme particulier qui vous qualifie pour le type de rôle auquel vous accéderez en tant que chef de mission. Cela ne se fait pas dès le premier jour. Cela vient d’une longue expérience sur le terrain.
Le sénateur Harder : Merci à nos témoins. Cette question s’adresse probablement à M. Robertson et à M. Mank. J’aimerais explorer le rôle de notre personnel embauché sur place. Avez‑vous des suggestions à faire au comité sur la façon dont notre enquête pourrait bénéficier d’une meilleure compréhension du rôle du personnel embauché sur place et de la façon dont il a évolué avec la diminution de la présence canadienne? Y a‑t‑il des risques ou des possibilités dont nous devrions être informés?
M. Robertson : Eh bien, monsieur le sénateur, de plus en plus, le personnel embauché sur place est le pilier de notre représentation diplomatique à l’étranger. Il représente la continuité. Les membres du personnel ont souvent les meilleurs réseaux et, franchement, nous ne pourrions pas fonctionner sans eux. J’encouragerais le comité à inviter quelques employés embauchés sur place — il y a beaucoup de personnes en service depuis longtemps aux États-Unis et à l’étranger — à comparaître devant votre comité en utilisant les merveilles de Zoom. Ils ont besoin d’un champion. Nous faisons plus ou moins peu de cas de tout ce qu’ils font pour nous, mais nous dépendons de plus en plus d’eux pour représenter les intérêts canadiens à l’étranger. Nous avons la chance, avec une importante diaspora canadienne, que beaucoup de ces employés embauchés sur place à l’étranger soient des Canadiens. Nous commençons maintenant à en recruter certains qui sont en poste depuis longtemps pour les faire entrer dans le service extérieur. Dans les exemples auxquels je peux penser, tout cela a extrêmement bien fonctionné.
Je reviens à mon point de départ, sénateur Harder. Parce qu’il y a moins d’agents du service extérieur à l’étranger, à cause des contraintes budgétaires et du reste, nous dépendons fortement du personnel embauché localement. Nous avons la chance d’avoir une grande diaspora à l’étranger, ce qui nous permet de recruter des Canadiens, mais je pense qu’il s’agit souvent de personnes qui ne peuvent pas se faire entendre.
M. Mank : Je suis tout à fait d’accord avec ce que M. Robertson vient de dire, et je voudrais également rappeler la sixième recommandation, qui est que le personnel embauché sur place devrait être intégré dans un service de conseillers à travers le monde avec tous les autres et rendu plus inclusif de cette façon.
Une mise en garde : selon l’endroit où vous êtes en poste, il y a des endroits où nous devons être prudents en raison de l’exposition au risque lié au personnel embauché sur place. Cependant, ces cas sont probablement peu nombreux et concernent davantage notre service de renseignement que le service extérieur.
Le président : Merci. Mme Fortier a le temps de faire un commentaire si elle le souhaite.
Mme Fortier : Oui. Je pense que les commentaires sur le personnel embauché sur place sont concrets. L’autre chose est que nous devons le valoriser. Je suis un peu attirée par l’idée de leur donner un statut différent et même de les déplacer entre différents postes. Lorsque vous examinez la question du risque, de la confiance et de l’équilibre qui en découle, vous voulez que les gens aient de l’expérience, mais aussi qu’ils aient travaillé ensemble. C’est pourquoi la première affectation d’un agent du service extérieur ou d’un agent qui ne fait pas de rotation est un tournant pour l’organisation et l’employé. Elle permet d’établir si la personne possède le jugement nécessaire, est capable de prendre des risques et souhaite poursuivre dans cette voie.
Le fait de travailler avec les personnes qui arrivent — et elles sont de plus en plus nombreuses à arriver et à partir en première affectation comme chef de programme ou chef de mission — ce processus devient un peu plus compliqué, et nous avons besoin de plus de formation. C’est une bonne chose que nous ayons des mentors.
La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à tous les témoins, mais commençons par M. Robertson.
Le Canada devient de plus en plus un pays composé d’immigrants, et d’une manière ou d’une autre, la politique relative à la diaspora entre dans les réflexions liées à notre politique étrangère. Comme nous le savons tous, les pressions exercées par la politique relative à la diaspora peuvent être extrêmement tendues, qu’il s’agisse de sécurité, de commerce ou même de développement international.
J’aimerais savoir comment le service extérieur est actuellement équipé pour répondre au mieux à ces tensions et s’il existe des pratiques prometteuses que vous pouvez nous faire connaître.
M. Robertson : Merci, monsieur le sénateur. Tout au long de ma carrière, la politique relative à la diaspora a toujours été une réalité, quelque chose dont vous deviez être conscient et dont vous deviez tenir compte dans chaque recommandation stratégique que vous faisiez au ministre. Les ministres sont particulièrement sensibles à la politique relative à la diaspora. C’est la raison d’être de notre pays. C’est pourquoi les bons agents du service extérieur ont une sorte d’intuition politique et comprennent cela. Après tout, comme on l’a dit lors de la séance précédente, nous sommes les serviteurs de nos premiers ministres et du gouvernement, et nous devons en être conscients.
Encore une fois, c’est une de ces compétences que vous devez simplement intégrer et dont vous devez tenir compte. C’est ce que nous sommes. Vous n’allez pas changer cela, et vous l’intégrez dans vos recommandations.
Le président : Merci. Madame Fortier, pouvez-vous commenter, s’il vous plaît?
Mme Fortier : Je vous remercie. Je pense que la question a pris une importance particulière avec l’événement qui s’est déroulé à l’ambassade de Russie. Dans cette Chambre de second examen, la question de la diaspora devrait être mise sur la table parce que les organisations de la diaspora n’ont pas nécessairement les mêmes opinions que le gouvernement du Canada, et leurs intérêts ne sont pas nécessairement les mêmes.
Par exemple, le Congrès des ukrainiens-canadiens, ou UCC, ne veut pas qu’il y ait de relations diplomatiques entre le Canada et la Russie à l’heure actuelle. C’est une différence, et c’est une différence qui doit être respectée.
Dans le présent commentaire sur la question de l’ambassade, je pense que la chasse au bouc émissaire est vraiment dommageable. Qu’il s’agisse d’un sous-ministre ou d’un membre du personnel exempté âgé de 22 ans, là n’est pas la question. La question est de savoir quel rôle la politique relative à la diaspora devrait jouer dans l’élaboration de la politique étrangère. C’est bien.
Mais l’autre chose est que la personne impliquée, Yasemin Heinbecker, est une professionnelle accomplie qui ne se serait rendue à cet événement de l’ambassade que sur instruction. Merci.
Le président : Merci. Il reste peu de temps si quelqu’un d’autre veut faire un commentaire.
M. Mank : C’est quelque chose que l’on apprend au fur et à mesure que l’on développe ses compétences professionnelles. On m’a appelé ambassadeur du Canada auprès du monde musulman quand je suis arrivé en Malaisie après avoir travaillé en Indonésie et au Pakistan. J’ai également été nommé sikh honoraire au Pakistan et au Pendjab. Je ne suis pas du tout issu de ces milieux. Je pense que si nous travaillons sur une stratégie indo-pacifique, maintenant, en particulier, nous devrions faire appel à cette diaspora très importante qui peut nous conseiller à ce sujet.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos témoins.
Ma question s’adresse à M. Mank. Au moment où nous modernisons la diplomatie canadienne, avez-vous une idée des technologies numériques qui nous aideront à revitaliser notre service extérieur? Les plateformes actuelles que nous utilisons au gouvernement fédéral sont-elles désuètes? Notre infrastructure actuelle est-elle en mesure de faire face aux menaces potentielles en matière de cybersécurité, particulièrement dans un monde où il y a tant d’information et de désinformation? Merci.
M. Mank : Excellente question. Après avoir quitté BlackBerry, j’ai écrit sur le thème de la nouvelle diplomatie à l’ère quantique. En n’adoptant pas les technologies qui sont disponibles, nous offrons nos services aux Canadiens et Canadiennes en particulier comme si nous vivions il y a 100 ans. Comme je l’ai dit, la situation devient vraiment scandaleuse en ce qui concerne les visas d’immigration, les passeports et ce genre de choses. Vous voyez des Canadiens et Canadiennes dans les files d’attente se plaindre de la médiocrité des services. C’est parce que nous n’y avons pas appliqué les technologies.
Là où nous avons essayé — le système Phénix — nous avons échoué lamentablement, alors il faut appliquer les bonnes technologies. Il est vraiment nécessaire de procéder non seulement à un examen du service extérieur canadien, mais aussi un examen distinct des technologies au sein du gouvernement. Je pense que le dernier budget a dégagé des fonds pour la modernisation des services aux Canadiens et Canadiennes — services virtuels utilisant l’intelligence artificielle et ainsi de suite. À mon avis, il doit s’agir d’un résultat essentiel de cet examen du service extérieur.
Le sénateur Ravalia : Merci. Une brève question de suivi. Collaborons-nous avec nos partenaires du Groupe des cinq sur cette stratégie particulière?
M. Mank : Pas à ma connaissance. Je ne fais plus partie du groupe. Mais au chapitre de la prestation de services, c’est quelque chose qui a besoin d’une initiative mondiale, et je pense que le Canada pourrait la diriger. Nous hébergeons quelques agences importantes à Montréal qui pourraient servir de plateformes où discuter de ce sujet.
Par exemple, la réforme et la modernisation des passeports est un sujet sur lequel j’ai travaillé au sein de l’entreprise suisse SICPA, pour voir si nous pouvions générer une machine semblable à un guichet automatique qui se chargerait des voyages, des visas, des documents, entre autres, ce qui pourrait être fait grâce aux guichets automatiques déjà existants. Une profonde réforme de l’infrastructure est nécessaire dans ce domaine.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence. Ma question de cet après-midi s’adresse à M. Robertson. Vous avez récemment écrit sur la nécessité d’avoir une capacité de mobilisation. C’est un sujet qui a été abordé dans notre étude. Je me demande à quoi cela ressemblerait. Daniel Livermore a fait remarquer, pendant une réunion précédente, qu’une capacité de mobilisation mineure pourrait être conservée à Ottawa de manière économique et être déployée en cas de besoin. Je me suis toutefois inquiétée et interrogée lorsqu’il a dit cela. Je n’ai pas imaginé de récents diplômés universitaires à Ottawa en train d’attendre un appel pour être affecté à l’étranger — peut-être même brièvement — pour ensuite revenir et attendre le prochain appel. Je pense que j’ai peut-être mal compris et j’espère qu’aujourd’hui vous pourrez nous donner plus de détails sur ce à quoi ressemblerait cette capacité de mobilisation au quotidien.
M. Robertson : Je pense que, à tout moment, il y a toujours des agents du service extérieur en formation, en détachement ou en congé. Je pense que nous pouvons les rappeler, comme nous le faisons parfois, en particulier lorsque nous avons une urgence consulaire et qu’il est nécessaire d’envoyer des gens sur le terrain, ou lors d’une crise particulière comme en Ukraine où se font sentir des besoins en matière d’immigration et de services consulaires; nous pouvons envoyer des agents du service extérieur sur place. Cependant, vous ne pouvez le faire que si vous disposez d’une capacité suffisante grâce à votre recrutement.
Je pense que ce que Dan Livermore voulait dire, c’est que nous n’avons pas recruté de façon régulière. Nous avons embauché du personnel contractuel et des employés engagés pour une période déterminée. Cela ne nous donne pas la capacité dont nous avons besoin. Il faut recruter régulièrement dans le service extérieur — à mon avis, chaque année, même si l’on ne recrute que quelques personnes — afin d’avoir une capacité de mobilisation le moment venu. Vous ne devez pas chercher des employés contractuels ou comme vous l’avez dit au début, de nouveaux étudiants. Cela ne fonctionne pas.
La sénatrice M. Deacon : J’ai une autre question. Il s’agit d’un changement assez important, qui porte sur notre monde en constante évolution, en particulier à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il nous montre la fin d’un ordre international fondé sur des règles qui s’effrite peut-être lentement depuis un certain temps déjà. Le Canada, en tant que puissance moyenne, a prospéré dans cet ordre, bien sûr, mais avec un retour potentiel au conflit entre grandes puissances et à un monde multipolaire, quelle voie le Canada doit-il suivre pour sa diplomatie? Devons-nous pivoter ou nous concentrer sur des alliances avec des nations aux vues similaires? Ou bien continuons-nous à consacrer des ressources à ces institutions multilatérales, en essayant, par exemple, d’obtenir un siège au Conseil de sécurité?
Madame Fortier, j’aimerais bien avoir votre avis sur la question.
Le président : Puis-je faire un commentaire en tant que président?
Cela dépasse un peu le cadre de ce que nous recherchons, mais je vais permettre la question et le commentaire.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Mme Fortier : Merci, madame la sénatrice.
Évidemment, nous devrions faire les deux. Mais cela laisse entendre que nous avons les ressources pour le faire. Comme on l’a dit dans des conversations passées, selon moi, si vous avez une situation à la « Hunger Games » lorsqu’il est question de votre capacité, vous allez devoir choisir.
Dans un monde très incertain, je pense que vous allez avoir besoin d’expertise dans plusieurs domaines, mais vous allez aussi devoir vous adapter. Nous devons vraiment tenir compte des personnes qui nous entourent et savoir qui elles sont. C’est ce que je voulais souligner. Il arrive souvent que nous ne sachions pas qui elles sont.
Lorsque j’étais directrice générale, Secteur des services consulaires, et sous-ministre adjointe, Secteur des services consulaires, je savais sur qui je pouvais m’appuyer, et je m’en remettais à eux lorsqu’il était question de capacité de mobilisation. Je leur demandais de s’attacher à des problèmes précis. Nous allons faire face à plusieurs problèmes précis dans ce nouvel ordre mondial.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je reviens sur l’étude dont a parlé mon collègue le sénateur MacDonald, qui mentionnait que le Québec faisait effectivement figure de modèle à plusieurs égards sur le plan de la diplomatie. On note que le Québec compte 34 représentations dans 19 pays et une forte représentation dans les pays francophones, notamment en Afrique.
Ma question s’adresse à tous les témoins qui ont été ambassadeurs un peu partout dans le monde. Comment la présence des provinces, comme celle du Québec, peut-elle contribuer à l’atteinte de nos objectifs dans les différents pays sur les plans de la diplomatie économique et politique?
[Traduction]
M. Robertson : Je vais vous donner un exemple. Lorsque j’étais à Los Angeles, nous avions fixé l’objectif d’aider à remporter un prix dans la catégorie langue étrangère pour le film, Les invasions barbares de Denys Arcand.
J’ai travaillé en très étroite collaboration avec le délégué général du Québec, et nous nous sommes appuyés sur l’expertise du Cirque du Soleil. Nous avons élaboré une campagne exhaustive, et avons utilisé notre résidence pour en faire une plateforme de divertissement, et essentiellement favoriser les votes. Nous avons abordé la situation comme une campagne politique.
J’ai travaillé, comme je l’ai dit, en collaboration parfaite avec mon homologue du Québec, avec Denys Arcand et son épouse — qui était une véritable dynamo — et nous avons gagné. Je pense qu’il s’agit de la seule fois où le Canada a remporté un prix dans la catégorie langue étrangère. Encore une fois, il s’agissait de diplomatie culturelle, mais cela nous a beaucoup rapporté .
Aux réceptions, nous avons servi de la bière québécoise que nous tentions de mettre en marché. Trader Joe’s était là, et les membres de l’entreprise nous ont dit que la bière était vraiment bonne. Nous avons été en mesure de vendre cette bière sur le marché californien, qui est un plus gros marché que le Canada.
Nous en avons tiré beaucoup de bénéfices secondaires, et avons cultivé une complicité du fait de travailler en étroite collaboration. Comme je l’ai dit plus tôt, selon mon expérience de travail avec les provinces, elles étaient beaucoup plus au courant de la réalité de leur propre situation. Cela fonctionne très bien. J’ai vécu la même chose ailleurs aussi.
M. Mank : Le Québec est très important, comme toutes les autres provinces, mais plusieurs autres provinces sont très bien représentées à l’étranger.
Je me rappelle avoir accueilli Anne Hébert, Gaston Miron et d’autres grandes légendes du Québec dans le domaine des lettres en Suède. Cela a attiré l’attention du comité Nobel sur nous. Cela a été une façon incroyable de rehausser le profil du Canada.
Mais nous ne sommes plus dans les années 1960 ni même 1990. Les médias sociaux ont changé beaucoup de choses. Justin Bieber, The Weeknd et Drake ne se tournent pas vers le service extérieur pour obtenir de l’aide, et nous ne leur demandons pas de rehausser notre profil non plus.
Présentement, il y a des choses qui se passent qui sont hors du contrôle du gouvernement. C’est probablement une bonne chose. Maintenant, cela ressemble bien plus à un village planétaire qu’avant. Le Québec est formidable. Nous voulons qu’il continue de travailler à l’étranger avec nous, et qu’il fasse la promotion des aspects culturels qui sont si chers à notre identité nationale.
Le président : J’aimerais exercer mon privilège en tant que président pour poser une question à Mme Fortier, et elle concerne les services consulaires et la gestion des urgences, qui, je crois, constituait le dernier travail majeur auquel vous avez pris part en tant que sous-ministre adjointe au sein d’Affaires mondiales Canada. C’est quelque chose sur quoi j’ai aussi travaillé dans une ancienne vie.
En ce qui concerne la préparation aux situations d’urgence et la préparation des services consulaires, j’aimerais savoir si les procédures opérationnelles normalisées sont toujours en place. J’ai participé à l’évacuation des Canadiens du Liban en juin 2006. Je sais que vous avez participé à de nombreuses autres crises. Bien entendu, nous avons dû en gérer une très grosse au moment de rapatrier les Canadiens durant la pandémie.
Existe-t-il une procédure opérationnelle normalisée? Existe‑t‑il une façon — la capacité de mobilisation a été soulevée plus tôt — d’exploiter cette capacité de mobilisation, de créer un groupe de personnes et d’étudier les leçons apprises?
À ce sujet, existe-t-il une façon d’informer les Canadiens quant à ce qu’ils peuvent vraiment attendre de leur gouvernement lors d’une crise internationale lorsqu’il est question de revenir au pays, d’être évacués ou de bénéficier de mesures d’appui en général? Si vous pouviez aborder le sujet, ce serait très apprécié.
Mme Fortier : Bien sûr, j’ai effectivement parlé à des personnes au sujet de l’évacuation liée à la COVID. Celle-ci a, bien entendu, été l’évacuation la plus importante jamais vue. Ce que vous et moi avons accompli, monsieur le président, n’était rien comparativement à cela. C’était très complexe, parce que, comme me l’a dit le sous-ministre adjoint responsable à ce moment-là, le symptôme majeur dans le cadre de cette crise était l’anxiété.
Je pense que les leçons apprises sont les suivantes : tout d’abord, on peut accomplir beaucoup de choses en utilisant la technologie. C’est ce que dit M. Mank. Beaucoup de personnes au Canada travaillaient 24 heures sur 24. Elles travaillaient à des heures où les gens dans les missions ne pouvaient pas travailler.
Ensuite, les Canadiens sont très exigeants. Il existe des procédures opérationnelles normalisées. Certaines d’entre elles ont été au moins légèrement modifiées. Certaines d’entre elles ont été écartées parce que les situations qui se présentaient étaient inhabituelles comme dans le cas où on a dû déplacer dans des installations japonaises un grand nombre de personnes à bord de bateaux situés sur la côte du Japon, alors que ceux-ci ne parlaient pas japonais dans un contexte qui s’y prêtait. Ce faisant, nous avons été en mesure de joindre de nouveaux organismes, comme la Croix-Rouge canadienne, afin qu’il soit possible de fournir certains services au nom des services consulaires.
En ce qui concerne la capacité de mobilisation, les groupes sont composés de personnes de plus en plus spécialisées. De plus en plus de personnes au sein d’Affaires mondiales comprennent qu’il s’agit de tout le monde. Au début de ma carrière, il s’agissait de tout le monde, puis des personnes précises se sont mises à faire le travail. Maintenant, tout le monde travaillant au sein d’Affaires mondiales comprend que c’est son travail, et qu’on s’en remettra à chacun, le cas échéant, afin de servir les Canadiens à l’étranger. Merci.
Le président : Nous allons passer à la deuxième série de questions.
Le sénateur Woo : Je me demande si Mme Fortier pourrait nous parler un peu de ce que je vais qualifier de système de castes au sein d’Affaires mondiales, où vous retrouvez un groupe du service extérieur, un groupe EC, un groupe PS, et les EX qui coiffent le tout. Ce que je comprends, c’est que différents groupes sont traités différemment même si, théoriquement, ils pourraient faire le même travail.
Est-ce un problème? Que devrions-nous faire à ce sujet?
Mme Fortier : Merci, monsieur le sénateur. C’est un commentaire très intéressant. En tant que personne qui a vécu 21 ans à l’étranger, et qui a travaillé 37 ans au gouvernement, et qui a passé par toutes les castes, je trouve cette question très intéressante. Au début, j’étais une agente de développement, et je pense que je m’en suis bien tirée. Évidemment, comme je travaille au sein des services consulaires, je parlais et je parle toujours au nom du groupe des services consulaires et administratifs. Je suis très heureuse du fait que toutes les personnes qui y travaillent sont maintenant des membres à part entière du service extérieur.
Les spécialistes du commerce et des politiques ont une culture précise et un esprit de corps particulier. Selon moi, dans l’environnement actuel, où il manque tant de personnes qualifiées, je pense que toutes les personnes sont importantes en raison de la contribution qu’elles peuvent apporter et plus précisément en raison de l’expertise précise qu’elles possèdent.
Le sénateur Woo : Ne sont-elles pas traitées différemment? Leur salaire est différent alors qu’elles effectuent le même travail, simplement parce qu’elles appartiennent à un groupe plutôt qu’à un autre. N’est-ce pas un problème?
Mme Fortier : Tout le monde qui travaille au sein de service extérieur partage la même échelle salariale. Cela dépend seulement de l’endroit où vous vous situez dans le système : selon que vous êtes en fait un FS 1, 2 ou 3, ou même 4 au sein du groupe EX. En ce qui concerne les postes où il n’y a pas de rotation, je pense qu’il y a moyen de négocier. Le fait que vous occupiez un poste de PM ou de AS tient au syndicat auquel vous pourriez appartenir, à la façon dont se déroulent les négociations et au niveau où vous vous situez sur l’échelle.
Selon moi, il s’agit d’une situation complexe liée aux ressources humaines.
Le sénateur Woo : Avons-nous le temps d’entendre un ou deux témoins à ce sujet?
Le président : Monsieur Mank, aimeriez-vous formuler un commentaire à ce sujet?
M. Mank : C’est une bonne question. C’est exactement ce que je voulais dire dans le cadre de ma sixième recommandation, qui vise à renommer le groupe comme le service de conseillers mondiaux. On devrait laisser tomber toute cette complexité liée aux différentes catégories d’emploi. Ces personnes devraient faire partie d’un seul groupe d’emploi. Elles pourraient être transférées à un poste équivalant à leur salaire. C’est en fait quelque chose qui pourrait être mis en place. En ce qui concerne la capacité de mobilisation, ces personnes pourraient faire partie de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe, qui est une plateforme importante au sein de la Défense nationale, dont les tâches pourraient être élargies afin qu’elle puisse fournir la capacité de mobilisation dont nous avons besoin.
Le président : Chers collègues, j’ajouterais que c’est quelque chose que nous devrions aborder dans un contexte où nous effectuons des comparaisons avec d’autres services extérieurs d’autres gouvernements, afin de voir comment ils gèrent la situation.
Le sénateur MacDonald : Je veux retourner à l’approche que nous appliquons au moment de gérer nos représentants à l’étranger et de favoriser les échanges commerciaux et les investissements. En fait, monsieur Robertson, cela concerne l’expérience que vous avez vécue à Los Angeles.
Je fais partie du Groupe interparlementaire Canada—États-Unis depuis que je siège au Sénat, et nous venons de terminer trois jours de réunions avec 11 sénateurs aux États-Unis, alors que nous ne nous étions pas rencontrés en personne depuis deux ans. Bien entendu, nous nous sommes appuyés sur notre ambassade située à Washington dans le cadre de la majeure partie du travail que nous avons effectué de l’autre côté de la frontière. Nous avons de nombreux consulats aux États-Unis. J’aimerais savoir si nous utilisons nos consulats aussi bien que nous pourrions le faire.
À mes yeux, nos interactions étroites avec les consulats sont limitées sauf si nous sommes dans la ville où ils se trouvent. Est‑ce que nous les utilisons de la bonne façon? Y a-t-il une meilleure façon de les utiliser pour favoriser nos échanges et nos investissements aux États-Unis?
M. Robertson : Merci, monsieur le sénateur. Je pense que nous utilisons les consulats aussi bien que vous pouvez espérer le faire. Pourrions-nous les utiliser d’une meilleure façon? Je dirais seulement que, lorsque je travaillais aux consulats, j’étais d’avis que nous pourrions être mieux coordonnés avec l’ambassade à Washington, donc j’avais l’habitude de téléphoner à l’ambassadeur chaque trimestre pour savoir ce qui se passait.
Je crois comprendre que, maintenant, le consul général relève de l’ambassadeur. C’est un peu obscur, mais je pense que c’est important parce que l’ambassadeur est la personne aux États-Unis qui a un portrait complet de la situation, et lorsque des consulats travaillent avec l’ambassadeur, vous obtenez la dynamique que vous voulez. Je pense que cette pratique a commencé avec l’ambassadeur David MacNaughton, et elle s’est poursuivie avec l’ambassadeur actuel. Je pense que cela a beaucoup de sens, particulièrement vu les changements survenus aux États-Unis et le fait que nous avons des intérêts de la plus haute importance là-bas. Nous devons appliquer une approche similaire à Équipe Canada dans le cadre de laquelle les consulats sont des joueurs clés, tout comme les parlementaires.
Évidemment, lorsque je travaillais au Advocacy Secretariat, une des choses que nous encouragions grandement — et qui est maintenant en place — c’est que vous pouvez utiliser vos points de voyage pour vous rendre à Washington et, à d’autres endroits aux États-Unis, je l’espère. Lors de mon passage aux États-Unis, je me suis toujours senti sur un pied d’égalité avec mes homologues. Je vous l’ai dit, et je l’ai dit à d’autres personnes avant, un politicien face à un autre, peu importe le parti. Vous pouvez parler à ces gens d’une façon différente de ce que peut faire un diplomate, donc il s’agit d’un rôle vital pour les parlementaires, particulièrement pour les sénateurs, parce que je crois que, parfois, vous avez plus de latitude pour vous rendre là‑bas que des députés. Selon mon expérience, c’est certainement le cas à Washington, où deux sénateurs précis se sont rendus — et j’ai voyagé avec eux —, et j’ai rencontré d’autres sénateurs des États-Unis — des personnes que nous tentions de rencontrer — grâce aux relations que vos collègues et vous aviez tissées. Celles-ci sont vitales pour le travail de notre ambassade et de nos consulats généraux.
M. Mank : Lorsque nous essayions de collaborer de nouveau avec l’Inde, une des meilleures idées que nous avons eues avait été d’ouvrir davantage de consulats pour être mieux représentés à l’échelle de ce grand pays, donc j’appuie entièrement cette stratégie.
Au Japon, nous avons travaillé en collaboration avec notre consulat à Osaka pour toute une gamme de raisons bien différentes, mais utiles, l’une étant de favoriser les premiers investissements de Toyota au Canada — quelque chose de légendaire, bien entendu — mais aussi dans le but de gérer le tremblement de terre survenu à Kobe et le désastre ayant eu lieu là-bas qui a exigé l’aide des Canadiens; donc, nos consulats jouent un rôle très utile.
Le président : Merci beaucoup. Nous n’avons plus de temps dans le cadre de cette séance. J’aimerais remercier monsieur le sénateur MacDonald d’avoir posé cette question. Je crois que notre comité pourrait y revenir à divers moments, une fois de plus, dans le but de comparer notre propre expérience avec ce qui se passe dans d’autres pays. C’est une question que je trouve très intéressante aussi.
J’aimerais remercier nos trois témoins de leur franchise aujourd’hui, et de leur exposé; merci d’avoir répondu à nos questions.
Chers collègues, s’il n’y a plus d’autres points à aborder, j’aimerais formuler quelques commentaires avant de lever la séance. Notre prochaine réunion se tiendra le lundi 20 juin à 10 h 30, et nous étudierons le projet de loi S-9 qui a été envoyé à notre comité le 14 juin. Dans le cadre de la réunion de jeudi prochain, et les membres du comité directeur ne le savent pas encore, je propose de tenir une réunion du comité directeur au lieu d’une réunion de comité habituel.
S’il n’y a pas d’autres questions, chers collègues, je lève la séance.
(La séance est levée.)