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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 9 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 50 (HE), avec vidéoconférence, pour effectuer une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, sénateur de l’Ontario et président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant que nous commencions, j’aimerais inviter les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Ravalia : Bienvenue à tous les témoins. Je m’appelle Mohamed Ravalia. Je représente Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les Canadiens qui nous regardent aujourd’hui.

Conformément à l’ordre de renvoi général, nous continuons à souligner la Semaine du développement international qui, cette année, a lieu du 5 au 11 février.

En première partie, nous sommes ravis et honorés d’accueillir M. Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement. Il se joint à nous depuis le siège de l’ONU à New York. C’est un fonctionnaire international chevronné qui a beaucoup à dire et à offrir, surtout en cette période de turbulences. Malheureusement, il ne restera pas avec nous plusieurs heures, mais je pense que nous aurons néanmoins une bonne réunion.

Bienvenue, monsieur Steiner. Merci de votre présence. C’est un plaisir de vous revoir. Je vous cède la parole pour que vous fassiez votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Achim Steiner, administrateur, Programme des Nations unies pour le développement : Permettez-moi tout d’abord de vous remercier. C’est un privilège et un honneur pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui, comme cela a été le cas lors de ma visite au Canada à la fin de l’année dernière. J’ai précisément recherché des occasions comme celle-ci de discuter avec vous en tant que représentant des Nations unies, mais aussi en tant qu’administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, un partenaire du Canada depuis une décennie lorsqu’il s’agit de s’occuper de ce qui, à un moment donné, constituait davantage les priorités d’aide au développement d’une communauté internationale qui travaille avec les pays en développement.

L’un des points importants que je veux soulever aujourd’hui, c’est que, à bien des égards, cette époque est révolue pour de nombreux pays. Les problèmes que nous cherchons à résoudre à l’aide de notre paradigme de société de développement à notre époque ont évolué depuis cette idée originale de transfert de technologie et d’expertise et de formation, en particulier dans le contexte du multilatéralisme, mais aussi dans le contexte des défis auxquels nous faisons face dans le monde actuel, pour faire évoluer cette conception du développement et de la coopération au développement comme ne constituant pas un transfert unidirectionnel, mais plutôt un cadre qui permette aux pays d’investir ensemble dans la lutte contre certains des plus grands risques et des plus grandes menaces, non seulement pour des pays, mais pour notre famille mondiale de nations et pour les 8 milliards de personnes que compte cette planète.

Le sommet de 2015 a mené à l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et des objectifs de développement durable, qui sont considérés comme l’expression d’objectifs ambitieux. Cependant, en examinant plus attentivement ces objectifs de développement durable, on voit qu’ils reflètent en quelque sorte les grands risques pour notre avenir que nous devons contrer par la coopération. Cela peut sembler un peu abstrait, mais en regardant les objectifs, on commence à comprendre qu’en fait, ils portent en eux d’énormes possibilités de coopération, de collaboration technologique et scientifique. Prenez un problème comme les changements climatiques, par exemple. Je n’ai pas besoin de vous dire à quel point nous sommes dépendants les uns des autres pour y faire face, mais on peut appliquer cette même logique à l’univers de la cybercriminalité et de la cyberguerre. À la suite de la pandémie de COVID-19, on peut l’appliquer à la question de la résilience en cas de pandémie et au travail de collaboration pour faire face à certaines des grandes menaces auxquelles nous sommes confrontés, notamment la résistance aux antimicrobiens. Ce sont des phénomènes qui, quelle que soit la richesse ou la taille d’un pays ou d’une économie, ne peuvent tout simplement pas être résolus, ou gérés, sans l’adoption d’une approche fondée sur la collaboration.

À notre époque, ce que la société de développement propose, à mon avis, c’est d’investir et de concevoir ensemble des réponses qui tiennent toujours compte du fait qu’il existe des nations beaucoup plus riches et des nations beaucoup plus pauvres, et des nations qui, par exemple, ont vécu des catastrophes naturelles extraordinaires. Permettez-moi de saisir cette occasion pour exprimer ma sympathie et d’offrir mes condoléances aux populations de la Turquie et de la Syrie qui vivent un cauchemar ces jours-ci. Or, laissez-moi vous parler du Pakistan et vous rappeler les inondations cataclysmiques qui ont recouvert un tiers du pays l’année dernière, qui ont mené une nation de près de 200 millions de personnes et une économie au bord du précipice, sur fond de pandémie. Comment la communauté internationale doit-elle agir tant sur le plan humanitaire que, au bout du compte, sur le plan de la reconstruction dans le contexte d’une telle crise?

La société de développement ne doit pas être guidée uniquement par des situations de crise. Il s’agit ici d’intérêts communs. Il s’agit de trouver des moyens d’agir ensemble. Le Canada a été un pionnier. Je le dis par conviction personnelle, car j’ai étudié l’économie du développement à une époque où le Canada, tant par ses politiques nationales que par ses programmes de coopération internationale, a joué un rôle catalyseur et a amené de nombreux pays à repenser leur approche, par exemple, pour que le développement soit axé non seulement sur le progrès économique, mais aussi sur les dimensions sociales et environnementales, ce qui a mené à la mise en place de lois et de politiques gouvernementales très progressistes dans de nombreux pays.

Avec le rapport sur le développement humain, le Programme des Nations unies pour le développement, ou PNUD, remet en question depuis longtemps le point de vue selon lequel les progrès réalisés en matière de développement sont mieux mesurés simplement en fonction de critères économiques et financiers. Cette idée est aujourd’hui acceptée par la plupart. La question est de savoir comment élargir cette perspective et comprendre ce qui fait que les nations ont le sentiment de faire progresser les aspirations en matière de développement humain et de devenir plus résilientes?

Si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais terminer en attirant votre attention sur le fait que nous vivons à une époque où, du point de vue du développement, nous sommes confrontés à d’énormes revers. La pandémie, la crise actuelle du coût de la vie et la crise de l’énergie sont autant de facteurs qui créent certaines conditions. Par exemple, selon les estimations du PNUD, 51 économies en développement sont aujourd’hui en situation de surendettement, à un pas d’une situation de défaut de primes. Dans ce genre de situations, nous devons nous rassembler en tant que membres de la communauté internationale, particulièrement en cette année au cours de laquelle un sommet sur les objectifs de développement durable aura lieu ici, aux Nations unies, en septembre, à mi-chemin vers 2030.

Je pense qu’il est essentiel que le Canada soit aussi un porte‑parole qui nous permette de nous réunir à nouveau autour des objectifs que nous avons définis en 2015, fait remarquable, que toutes les nations membres ont adoptés. Il est essentiel de ne pas permettre que le fait qu’une pandémie et de nombreuses autres crises nous aient empêchés d’atteindre les cibles et les indicateurs nous fasse abandonner le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Il s’agit d’un programme rassembleur. Il s’agit, comme l’a dit l’ancien secrétaire général Ban Ki-moon, d’une déclaration d’interdépendance. C’est sous cet angle que je crois que le Canada peut jouer un rôle extrêmement important pour faire évoluer cette interprétation d’un mandat de développement, que ce soit par les institutions bilatérales ou les plateformes des Nations unies et multilatérales, comme étant vraiment la clé pour que nous avancions ensemble plus rapidement.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Steiner.

[Français]

Avant de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui porteraient une oreillette.

[Traduction]

Je souhaite informer les membres du comité qu’en raison du temps limité que nous avons pour cette première partie de la réunion, chacun d’entre vous ne disposera que trois minutes maximum, questions et réponses comprises. Le conseil que je vous donne habituellement, soit d’être le plus précis possible, est d’autant plus pertinent. Ainsi, M. Steiner pourra fournir le plus de renseignements possible. S’il nous reste du temps, nous passerons à un deuxième tour, comme nous le faisons souvent.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie beaucoup de votre présence, monsieur Steiner. Je sais que vous êtes une personne très occupée et que vous auriez pu nous en dire beaucoup plus.

J’aimerais revenir sur le Programme de développement durable à l’horizon de 2030 et les objectifs de développement durable, dont vous avez parlé. L’un des points forts de cet engagement mondial, c’est qu’il est différent par rapport aux objectifs du millénaire pour le développement, qui étaient largement axés sur les pays en développement du Sud. Il s’agit d’un programme mondial, dans le cadre duquel il faut non seulement coopérer, mais aussi veiller à ce que chacun réussisse.

Nous savons que les crises provoquent toutes sortes de revers. Pourriez-vous nous dire si l’on a vu des progrès sur le plan des objectifs de développement durable, qu’il s’agisse des objectifs eux-mêmes ou de progrès observés dans certaines régions ou certains pays? Par ailleurs, y a-t-il des leçons que nous pouvons tirer — les effets positifs m’intéressent toujours — quant à des choses qui avancent bien? J’aimerais connaître les leçons que nous pourrions tirer pour la prochaine étape ou les prochains grands efforts que nous devrons déployer pour franchir la ligne en 2030. Je vous remercie.

M. Steiner : Merci, sénatrice Coyle.

Je suis sûr que nous serons ravis du fait que vous savez que le Programme de développement durable à l’horizon de 2030 et les objectifs de développement durable sont les tout premiers programmes de développement qui englobent vraiment toutes les nations. C’est qu’on a constaté qu’en essayant de résoudre le problème dans un pays, on dépend des actions des autres. C’est aussi vrai pour un pays en développement — par exemple, qui dépend des pays industrialisés —, ou vice versa. Puisque j’ai peu de temps, permettez-moi de vous donner deux ou trois exemples positifs. Je pense qu’ils montrent que des choses extraordinaires peuvent se produire.

Par exemple, pendant la pandémie, l’inclusion numérique a fait un énorme bond en avant, que ce soit au Canada, au Togo ou au Bangladesh. En quelques jours, nous avons formé des infirmières et du personnel médical pour qu’ils puissent travailler en ligne, car les gens ne pouvaient tout simplement pas se déplacer. Nous avons pu donner des conseils dans un pays où, au cours des 10 dernières années, nous avions travaillé avec le gouvernement pour créer des points d’accès numérique dans tout le pays. Maintenant, aucun citoyen ne vit à plus de quatre kilomètres d’un terminal où il peut effectuer des transactions, par exemple pour la délivrance de certificats et l’accès à de l’information. Auparavant, les gens devaient se rendre dans une capitale provinciale et faire la queue pour un titre foncier. Ce grand pas en avant — l’initiative au Bangladesh s’appelle a2i, un programme d’accès à l’information — illustre parfaitement le type de virage qu’il est possible de faire.

Je pourrais vous parler d’un pays comme le Kenya. Certains d’entre vous savent peut-être que c’est l’un des premiers pays à avoir mis en marche des systèmes de paiement numériques. Ce qui est vraiment remarquable ici, c’est qu’en fin de compte, la Banque centrale du Kenya a décidé d’autoriser une compagnie de téléphone ou une entité opérationnelle à avoir des espèces en caisse de sorte que des transferts d’argent soient possibles. On l’a fait de façon délibérée parce que cela permettait d’élargir le champ de l’inclusion financière. Par conséquent...

Le président : Merci, monsieur Steiner. Je suis désolé de vous interrompre, mais nous avons dépassé les trois minutes. Il s’agit certainement d’un sujet intéressant.

[Français]

La sénatrice Gerba : Il y a quelques jours, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a publié un rapport au sujet de l’instabilité qui règne actuellement dans les pays d’Afrique subsaharienne. Le rapport pointe du doigt le fait qu’entre autres, le manque d’emplois fait en sorte que des gens se joignent à des groupes terroristes. Le rapport appelle ainsi à axer les réponses internationales sur le développement à long terme de ces régions plutôt que sur les enjeux sécuritaires.

Comment peut-on réussir à concilier la stabilité et la sécurité de ces régions avec leur développement à long terme? Quelle est la stratégie du PNUD sur ce plan?

[Traduction]

M. Steiner : Merci.

Le rapport dont vous parlez en est un que nous venons de publier, en effet. Il s’intitule Journey to Extremism in Africa ou Sur les chemins de l’extrémisme en Afrique. Il s’appuie sur des travaux de recherche que nous avons effectués en 2017, au cours desquels nous sommes allés interroger plus de 2 100 personnes qui avaient été des combattants dans huit pays afin de mieux comprendre ce qui pousse des gens à se joindre à des groupes extrémistes violents. Le rapport est accessible et j’espère que vous aurez l’occasion d’en discuter, peut-être, en temps voulu, car les répercussions sont profondes.

Premièrement, si l’extrémisme religieux peut être un facteur d’attraction, pour ainsi dire, s’il peut attirer des gens, dans les enquêtes que nous avons menées, il arrive en troisième ou quatrième position. Il y a les facteurs d’incitation que sont la recherche d’un emploi et le désespoir lié à la subsistance qui poussent des gens à se joindre à des groupes extrémistes violents. Vous trouverez peut-être paradoxal qu’on exprime même un sentiment selon lequel, étant donné le manque de services de développement de l’État — écoles, santé, infrastructures, mais aussi services de police et tribunaux —, les groupes extrémistes violents offrent aux communautés une solution de rechange pour avoir une certaine forme de sécurité et de système de justice. Ce sont là des facteurs que nous devons mieux connaître afin de comprendre les raisons de l’expansion extraordinaire des groupes extrémistes violents. Nous attribuons souvent cette expansion à l’attrait de l’extrémisme religieux. C’est une réponse trop simpliste.

Deuxièmement, l’autre grande conclusion, c’est qu’une intervention de sécurité peut, à court terme, créer des possibilités, mais ce n’est pas une solution, en fait. Au Sahara, nous avons assisté à l’effondrement du G5. Des milliards de dollars ont été investis dans l’appareil de sécurité militaire et policier pour qu’on soit en mesure d’intervenir. Paradoxalement, bon nombre des personnes qui ont parlé d’un élément déclencheur ont dit précisément que la réponse liée à l’appareil militaire et de sécurité avait mené à des violations des droits de la personne et les avait poussés vers ces groupes.

Notre approche est fondamentalement différente. Nous l’avons repensée dans notre crise d’identité. Nous parlons de stabilisation. Nous devons commencer à bâtir des communautés à partir de la base — un marché, un poste de police, une école, un centre de santé — en travaillant avec les autorités locales et créer les conditions dans lesquelles les gens croient à nouveau en la viabilité d’un processus dirigé par un État-nation. C’est un long chemin...

Le président : Merci, monsieur Steiner. Je suis désolé de vous interrompre encore une fois, mais nous devons passer à d’autres questions.

Le sénateur Ravalia : Merci, monsieur Steiner.

Vous avez fait allusion à des éléments fondamentaux pour favoriser le développement, le co-investissement et la coopération. Le PNUD a dit que l’utilisation de méthodes comme la prévoyance et l’analyse prospective permettrait de tracer de nouvelles voies. Pourriez-vous expliquer ce que signifient ces termes?

M. Steiner : Merci.

Dans bien des pays en développement — et cela revient au point que j’ai fait valoir au début — nous ne sommes plus aux prises avec un problème d’accès à l’information et à la technologie et avec une situation où les gens éduqués ne sont pas présents sur les marchés du travail locaux. Les institutions et l’entrepreneuriat sont florissants dans de nombreux pays en développement. Ils fournissent des solutions.

Toutefois, ils sont confrontés à un problème fondamental, à savoir l’accès au financement. Nous devons mieux comprendre comment co-investir dans cette jeune génération d’entrepreneurs. En Afrique, par exemple, un grand nombre d’entrepreneurs s’intéressent au secteur des services de santé, auquel ils offrent de nouvelles solutions. D’autres s’intéressent à l’électrification des transports locaux. Au Rwanda, une entreprise privée propose des services de recharge de batterie pour les motos-taxis. Les motocyclettes se présentent pour un changement de batterie, puis elles continuent leur chemin. Ce sont là des solutions entrepreneuriales. Qui les financera? En Afrique, les primes payées pour les capitaux d’emprunt sont extrêmement élevées, et c’est l’une des raisons pour lesquelles le PNUD s’emploie beaucoup à aider les gouvernements à émettre des obligations STP sur le marché.

L’an dernier, l’Uruguay, grâce à des obligations à vocation durable sur les marchés de capitaux, a amassé 1,5 milliard de dollars. Les taux d’intérêt de ces obligations sont liés au rendement relatif au couvert forestier et aux émissions de carbone. Si le rendement est supérieur aux attentes, les taux d’intérêt diminuent, et si le rendement est inférieur aux attentes, les taux d’intérêt augmentent. Le ministre des Finances du pays participe maintenant aux décisions stratégiques en matière de planification et d’utilisation des terres. C’est le genre d’approches — vous avez parlé de prévoyance et d’analyse prospective — qui contribuent à aider les pays à envisager les avenirs possibles, puis à prendre aujourd’hui des décisions stratégiques en conséquence. Il n’y a rien de magique, mais il est utile d’aider les pays à travailler en fonction des possibilités pour l’avenir en tirant parti du nouveau marché financier numérique, par exemple, et en adaptant leur politique intérieure à l’économie d’aujourd’hui.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le sénateur Woo : Monsieur Steiner, vous nous avez rappelé que le nouveau paradigme du développement international n’est pas fondé sur une politique de transfert unidirectionnel, mais plutôt sur l’interdépendance. Pourtant, l’interdépendance est menacée en raison de la montée du protectionnisme, du désir de travailler avec des alliés, de la volonté de raccourcir les chaînes d’approvisionnement et de l’existence de conflits géopolitiques, de façon plus générale, bref, de ce qu’on pourrait appeler la démondialisation, pour utiliser le terme à la mode. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure la démondialisation menace les perspectives en matière de développement dans les pays du Sud?

M. Steiner : Merci, sénateur. C’est une question vitale à l’heure actuelle.

Permettez-moi d’exprimer très clairement mon opinion. Je ne suis pas d’avis que la démondialisation sera la voie suivie par l’ensemble des 193 pays. Nous allons observer des changements. Il y aura de la délocalisation et de la délocalisation régionale, de même que des décisions d’investissement d’origine politique qui ne seront peut-être pas uniquement fondées sur l’endroit le moins cher pour mener les activités de production. Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont clairement démontré que nous devons adopter une approche plus résiliente.

Je pense aux paramètres économiques que sont les écarts de coûts dans les endroits où se trouvent les ressources et où la technologie est émergente aujourd’hui. Nous devons reconnaître que l’époque où la technologie était mise au point uniquement dans les pays développés, les pays de l’OCDE, est révolue depuis longtemps. Pensons seulement à la Chine et à ses investissements dans les énergies renouvelables. De nos jours, plus de 50 % de la capacité de production des technologies des énergies renouvelables se trouve en Chine, ce qui représente le tiers de l’ensemble des systèmes d’énergie renouvelable installés. L’Inde investira d’ici 2030 dans des infrastructures d’énergie renouvelable d’une puissance de 480 000 mégawatts.

Il y a l’économie numérique. Je pense que nous devons reconnaître, dans un sens, que des changements vont se produire. Nous devons nous assurer que les pays du Sud ne soient pas exclus en raison de cette division du monde attribuable à ce que le secrétaire général a parfois appelé le Groupe des deux. Je pense qu’il faudra prendre des décisions plus réfléchies, compte tenu de ce que j’ai souligné au départ, à savoir notre interdépendance. Les ODD constituent de très bons éléments à analyser pour déterminer les risques éventuels de la démondialisation, qui nous amène essentiellement à vouloir battre en retraite à l’intérieur de nos frontières. Je crois que nous devons investir d’une manière plus réfléchie et stratégique dans notre capacité d’investir dans une voie économique mondiale menant à des progrès. Autrement, les migrations ainsi que l’insécurité et le terrorisme à l’échelle mondiale ne feront que prendre de l’ampleur.

La sénatrice Boniface : Merci pour votre présence.

Ma question fait suite à celle du sénateur Woo, qui est la question que je voulais vous poser. Vous avez dit que le Canada doit appuyer les objectifs et qu’il a un rôle très important à jouer. Si vous deviez conseiller le Canada, quelles seraient les trois ou quatre démarches qu’il devrait entreprendre selon vous?

M. Steiner : C’est une très bonne question, à laquelle il est difficile de répondre, car vous comprenez beaucoup mieux que moi la scène politique.

Permettez-moi de vous mentionner qu’il y a une dizaine de jours, j’ai été invité par le comité interministériel allemand des sous-ministres, qui est la plateforme intergouvernementale au sein de laquelle les décisions à l’intention du cabinet sont préparées, pour participer à la rédaction d’une nouvelle stratégie concernant les ODD pour l’économie et le gouvernement allemands. Je vous dis cela parce que l’Allemagne, sans doute à l’instar d’un grand nombre des pays de l’OCDE, a la perception que les ODD n’apportent pas une grande valeur supplémentaire, car elle les a déjà atteints à de nombreux égards. Premièrement, ce n’est pas vrai, mais cette perception donne lieu à une certaine complaisance et à l’idée que ces objectifs sont destinés aux pays en développement ou aux pays pauvres.

En fait, le Japon a pris une tout autre décision, qui nous a tous surpris. Entre 80 et 90 % des adultes japonais connaissent les ODD. Le bureau de mise en œuvre des ODD a été créé directement au sein du Cabinet du premier ministre lorsque les objectifs ont été adoptés par de multiples administrations. Le secteur entrepreneurial au Japon est très engagé dans la prochaine stratégie de développement économique appelée Société 5.0, et les ODD en sont partie intégrante.

Le Canada devrait, premièrement, sensibiliser le public aux ODD et lui faire comprendre qu’ils sont utiles au développement, à la réduction des inégalités et à la prise de grandes décisions sur la durabilité, mais qu’ils constituent aussi les règles d’engagement. Nous vivons dans un monde de plus en plus divisé, où les différences sont nombreuses. Nous avons peut-être des valeurs différentes, mais nous devons trouver une façon d’interagir et de coopérer ou du moins de coordonner nos efforts. Les ODD nous permettent de travailler ensemble. C’est le seul élément, disons, d’un programme mondial qui est soutenu et adopté par tous les pays dans le monde. C’est pourquoi je dirais qu’en deuxième lieu, dans le cadre du sommet qui aura lieu ici, aux Nations unies, en septembre, il faudrait entendre la voix du Canada, qui, par son leadership, pourrait faire valoir la crise économique et financière actuelle pour amener les pays à se reconcentrer sur l’avancement des ODD.

Ce sont là deux éléments qui, à mon avis, contribuent à mieux définir la liste des priorités pour le Canada, mais je le dis en toute humilité, car vous savez beaucoup mieux que moi quels sujets interpellent les citoyens canadiens.

Le sénateur Cardozo : Merci, monsieur Steiner, pour cette discussion très éclairante.

J’aimerais obtenir vos conseils et vos observations au sujet de l’opinion publique. J’ai assisté à un événement hier où des députés de tous les partis au Canada ont parlé du développement international et ont mentionné que leurs électeurs n’abordent pas beaucoup cette question. Je me demande si c’est la même chose dans d’autres pays, dans d’autres pays développés, et quels seraient vos conseils sur la façon d’informer les gens et de les inclure davantage dans cette discussion.

M. Steiner : Merci. C’est probablement l’une des plus importantes questions.

Je ne vous étonnerai pas en vous disant que, dans de nombreux pays développés, il y a aujourd’hui deux discours qui se tiennent. L’un est que nous avons suffisamment de problèmes à régler chez nous, et l’autre est qu’on ne voit pas pourquoi nous devrions envoyer de l’argent dans d’autres pays. Nos écoles, nos infrastructures publiques et notre système de santé laissent à désirer. Cependant, nous pouvons aborder la question sous un autre angle. La plupart des citoyens estiment que nous consacrons trop d’argent à l’aide au développement. Or, je vous rappelle que les pays de l’OCDE consacrent actuellement 0,33 % de leur PIB à l’Aide publique au développement, l’APD. Le monde actuel fait face à tellement de transformations fondamentales que nous devons demander à 8 milliards de personnes de procéder à une transition énergétique, de faire preuve de résilience en temps de pandémie et de passer à une économie numérique inclusive. Pensons-nous vraiment que cela sera possible avec seulement 0,33 % des pays les plus riches dans le monde qui investissent conjointement dans les pays les moins riches? C’est une perception complètement erronée. Les sondages d’opinion publique révèlent souvent que les gens pensent que nous donnons bien davantage. En fait, le Canada — et je dis cela avec tout le respect et toute l’admiration que j’ai pour le Canada — fait partie des pays les moins généreux, ceux qui consacrent la plus petite partie de leur richesse à cet engagement mondial, à, disons, certaines ententes internationales visant à aider les pays qui sont moins en mesure d’investir dans cette transition.

Nous devons repenser le paradigme du financement du développement. Le financement doit provenir non seulement de l’argent des contribuables et des fonds publics, mais aussi de fonds provenant du secteur privé, ce qui est essentiel. Je pense que le co-investissement est fondamental tout comme la création de conditions faisant en sorte que les régimes de pension, les banques et les autres institutions financières soient davantage disposés à prendre de plus grands risques et à ne pas investir uniquement dans les grandes économies du G20. Permettez-moi d’être très clair. C’est en fait le financement privé qui aura un effet multiplicateur en ce qui a trait à un grand nombre des transitions qui doivent s’opérer.

Premièrement, les citoyens doivent connaître le pourcentage investi actuellement, et deuxièmement, ils doivent comprendre à quel point l’absence d’investissements contribue à déclencher une crise à laquelle nous devrons consacrer des sommes bien supérieures en vue d’y faire face. Troisièmement, je pense que les citoyens demeurent fondamentalement prêts à aider d’autres pays, à y investir, mais, s’ils n’entendent parler que d’échecs, alors nous leur faisons croire que toutes nos initiatives sont des échecs et que l’histoire de l’aide au développement au XXe  siècle est marquée par des échecs. Nous échouons — et je m’inclus ainsi que nous tous à l’ONU — à expliquer à nos concitoyens pourquoi ces investissements ont eu des retombées extraordinaires.

Le président : Merci. Je rappelle à mes collègues que nous sommes dans un tour de trois minutes. Plusieurs sénateurs souhaitent poser des questions durant le deuxième tour, alors nous allons faire de notre mieux pour leur permettre de le faire.

Le sénateur Housakos : En 2015, les États membres des Nations unies ont fixé 17 objectifs de développement durable à atteindre d’ici 2030. Selon un rapport de mi-parcours produit par les Nations unies, pratiquement aucun des objectifs n’a été réalisé.

En ce qui a trait à l’objectif 15 visant la vie terrestre, le rapport indique qu’environ 40 000 espèces risquent de disparaître au cours des prochaines décennies. En ce qui concerne l’objectif 16 relatif à la paix, la justice et les institutions efficaces, le rapport révèle qu’en 2020 le quart de la population mondiale vivait dans des pays touchés par des conflits. En mai 2022, on a enregistré un nombre record de 100 millions de personnes déplacées de force.

Pourtant, voici ce que le premier ministre Trudeau a déclaré plus tôt cette semaine:

Le Canada contribue également à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de ses 17 ODD afin de favoriser l’adoption d’une approche inclusive et résiliente pour mettre fin à la pauvreté et à la faim, atteindre l’égalité et générer une croissance économique durable tout en protégeant la planète.

La question est simple : comment le premier ministre peut-il faire cette affirmation, et pendant combien de temps encore allons-nous prétendre que l’argent que nous dépensons et que la stratégie que nous adoptons donnent de bons résultats? À quel moment allons-nous décider de trouver une autre stratégie pour nous permettre d’atteindre les objectifs que nous avons établis?

M. Steiner : C’est une question légitime, sénateur. Ma réponse comporte deux volets.

Premièrement, en 2015, une pandémie mondiale n’apparaissait pas sur notre radar. Par conséquent, les cibles et les indicateurs que nous avons établis en 2015 avaient leur raison d’être, mais nous nous sommes retrouvés face à une situation sans précédent, comme vous le savez mieux que quiconque, qui a amené tous les pays, y compris le Canada, à prendre des mesures sans précédent pour affronter cette situation. Dans le rapport des Nations unies sur le développement humain, nous avons estimé qu’en 2021, l’effet cumulatif de tout ce qui se passait relativement à la pandémie de COVID nous a ramenés quelque part en 2016 en ce qui a trait au développement. Le fait que nous ayons subi ce recul ne remet pas automatiquement en question la logique de travailler à l’atteinte des 17 objectifs. Comme je l’ai dit tout à l’heure, ces objectifs témoignent des risques auxquels fait face la communauté internationale.

Deuxièmement, les investissements que nous avons effectués jusqu’à maintenant sont assez minimes. Pensez à ce que les pays riches ont été en mesure de faire, ont été forcés de faire et se sont engagés à faire pour faire face à la crise qu’a provoquée la pandémie de COVID-19 sur les plans de l’énergie, de la sécurité et des prix de l’énergie. Nous avons consacré des sommes sans précédent pour nous aider à passer au travers de cette crise. La plupart des pays développés n’ont plus de marge de manœuvre financière. Ils se retrouvent maintenant endettés en raison des mesures prises pour faire face à la crise.

Si, dans un sens, nous ne nions pas que ces objectifs sont essentiels à notre avenir à tous, alors investir dans la reprise, et, surtout, repenser nos priorités pourraient fonctionner. Vous avez dit que le rapport indique que les objectifs ne sont pas en voie d’être atteints, mais lorsqu’on additionne tout et qu’on divise le résultat par le nombre de pays, les moyennes s’établissent en deçà des attentes. Il y a toutefois des histoires à succès. Aujourd’hui, des centaines de millions de femmes, grâce aux technologies numériques, ont accès au système financier pour la première fois dans l’histoire. Un pays comme l’Uruguay produit déjà plus de 95 % de son électricité à l’aide d’énergies renouvelables. Il y a également des progrès extraordinaires, comme la création en Inde d’infrastructures d’énergie renouvelable capables de générer 480 000 mégawatts. Dans l’avenir, chaque citoyen canadien bénéficiera de cette initiative de décarbonisation en Inde.

Le président : Merci, monsieur Steiner. Je suis désolé de vous interrompre encore une fois, mais le temps est écoulé.

Le sénateur Richards : Merci, monsieur, pour votre présence.

Vous venez tout juste de répondre à ma question, celle que vient de poser le sénateur Housakos. Je vais toutefois la poser autrement. Je suis d’accord avec vous. Chaque fois que nous pouvons aider le monde, c’est fantastique. J’ignore cependant si ces efforts fonctionnent. Savons-nous si les fonds que nous donnons pour les personnes que cet argent est censé aider aident effectivement ces gens? Il s’agit de projets interdépendants, mais les pays ont leurs propres désirs et ambitions sur le plan politique. L’aide au développement existe depuis le début de ma vie, et je me dis que si les projets de développement devaient fonctionner, ils auraient déjà sans doute fonctionné au mieux. Le Pérou, par exemple, est plongé dans une profonde crise politique, et il a encore besoin de l’aide internationale. Nous ne savons pas ce qui va se passer là-bas en ce qui concerne l’armée et le nouveau président. Comment pouvons-nous faire en sorte que les initiatives entrepreneuriales réussissent et qu’elles soient profitables pour le plus grand nombre?

M. Steiner : Merci, sénateur Richards.

Encore une fois, il s’agit d’enjeux difficiles et complexes, et votre question exige une réponse élaborée. Permettez-moi tout d’abord de poser la question suivante : est-ce que l’histoire du développement est vraiment une histoire d’échecs? Ne regardons même pas au-delà de nos frontières; examinons le Canada. Le Canada a une histoire extraordinaire en matière de développement, qui comporte aussi des échecs spectaculaires, parfois en ce qui a trait aux politiques publiques, aux marchés ou aux entreprises. Cependant, personne ne peut nier que l’histoire du développement du Canada des 100 dernières années est une histoire phénoménale de réussites et de progrès, que ce soit au chapitre de l’espérance de vie, de la santé ou des infrastructures.

Bien franchement, c’est la même chose pour d’autres pays. Nous oublions souvent qu’il y a 250 ans, il y avait 1 milliard de personnes dans le monde. Neuf personnes sur dix vivaient dans une pauvreté extrême. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards. Nous pouvons nous nourrir, et seulement une à deux personnes sur dix vivent dans une pauvreté extrême. C’est attribuable à 100 ou 150 années de modernisation et de développement. Nous jugeons parfois trop sévèrement les difficultés auxquelles d’autres pays font face. Il y a des revers. Nous avons eu la Deuxième Guerre mondiale en Europe. Nous avons maintenant une autre guerre sur le même continent. Il y a ces moments terribles où les humains commettent de graves erreurs. Cela se poursuit dans différents pays. Vous avez parlé du Pérou, qui traverse une crise extraordinaire, mais il y a aussi d’autres pays qui se sont réformés et ont mis des programmes sociaux en place ou qui ont progressé sur le plan économique. À mon avis, selon les chiffres et le bilan sous-jacent des sociétés d’aide au développement ainsi que les investissements connexes, nous n’avons pas échoué.

Cependant, pour revenir à la question précédente, c’est un débat que nous devons réintégrer dans la sphère publique pour éviter de ne parler que de ce qui n’a pas fonctionné. Les progrès sous-jacents sont également une réalité du patrimoine commun de nos pays qui ont collaboré après la Deuxième Guerre mondiale.

Le président : J’aimerais vous poser rapidement une question en tant que président.

Compte tenu des répercussions énormes de la pandémie — ses conséquences sur l’économie, le fait que certaines économies émergentes pourraient de nouveau avoir droit à une aide publique au développement, la crise alimentaire et les préoccupations qui persistent quant au déplacement de personnes —, les pays donateurs font-ils assez preuve de créativité selon vous par rapport à l’avenir et à la manière d’adapter leurs politiques de développement en conséquence?

M. Steiner : Pour être franc, monsieur le président, la réponse est « non ».

Il y a le fait que nous essayons depuis des années de trouver un meilleur moyen de composer avec le PIB par habitant et la notion d’évaluation, par exemple, des pays en développement. Un autre concept est envisagé, à savoir l’indice de vulnérabilité multidimensionnel. Prenons les petits États insulaires en développement dans les Caraïbes. En l’espace de six heures, 10, 20 ou 30 % de leur PIB peut disparaître, mais ils sont considérés comme des pays à revenu intermédiaire ou des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure qui n’ont pas droit aux sortes de soutien qui permettent à un État de se remettre de cette épreuve.

Nous devons voir plus grand. Au cours des dernières années, le Programme des Nations unies pour le développement a investi dans une assurance contre les risques et un mécanisme de financement. Nous travaillons avec certaines des principales compagnies d’assurance dans le monde pour déployer des méthodes actuarielles scientifiques et nous servir de l’assurance comme moyen d’atténuer les risques associés aux phénomènes météorologiques extrêmes ou, par exemple, pour mieux établir le coût des risques, dans le but d’utiliser une microassurance-maladie comme pont pour que les pays puissent donner à leurs citoyens de meilleures occasions de recevoir des soins de santé sans devoir attendre que les services de santé nationaux soient finançables.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le financement du développement n’arrive essentiellement pas à se défaire du mode de soutien du XXe siècle. Nous disons souvent que les pays en développement n’agiront pas à moins d’avoir reçu du financement. Prenons les négociations sur le climat : on promet maintenant de verser 100 milliards de dollars sur 10 ans aux pays en développement. Vous savez que ces pays investissent des milliards de dollars chaque année dans la transition énergétique. Nous devons changer d’optique.

Je vais revenir où j’ai commencé : nous avons besoin d’investissements mutuels. Le financement public, les capitaux du secteur privé représentent la seule façon pour nous de réussir ces transitions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Steiner. Au nom du comité, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui pour enrichir nos délibérations pendant la Semaine du développement international. Je soupçonne que nous allons peut‑être nous revoir la semaine prochaine dans votre pays d’origine.

Chers collègues, nous allons passer aux prochains témoins. Vous aurez chacun un maximum de quatre minutes, c’est-à-dire un peu plus de temps, pour poser vos questions et entendre les réponses.

D’Affaires mondiales Canada, nous allons entendre — et nous sommes heureux de les accueillir — Christopher MacLennan, sous-ministre, Développement international; Peter MacDougall, sous-ministre adjoint, Enjeux mondiaux et du développement; Patricia Peña, sous-ministre adjointe, Partenariats pour l’innovation dans le développement; Christopher Gibbins, directeur exécutif, Afghanistan et Pakistan; et Sébastien Sigouin, directeur exécutif, Haïti.

Monsieur MacLennan, nous sommes prêts à entendre votre déclaration liminaire.

[Français]

Christopher MacLennan, sous-ministre, Développement international, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup, M. Boehm. J’ai le plaisir d’être de nouveau parmi vous. Je suis très heureux que vous ayez pris la décision, durant cette Semaine du développement international, de recueillir des témoignages pour en apprendre plus.

J’ai été nommé sous-ministre du Développement international il y a un an et je peux vous dire franchement que la dernière année a été assez bouleversante sur plan géostratégique dans le monde, sachant qu’on parle de plus en plus de crises.

[Traduction]

La dernière année a été intéressante pour les personnes comme nous qui sont plongées dans les affaires mondiales et les questions internationales. Je pense que nous reconnaissons tous que nous traversons une période très particulière qui a déstabilisé de nombreuses choses dans le monde. Nous assistons à une guerre en Europe, ce que de nombreuses personnes pensaient ne plus jamais voir. Nous observons de plus en plus les répercussions des changements climatiques dans tous les aspects du développement mondial et de l’économie mondiale. Nous avons vu un recul pour les droits des femmes dans des pays comme l’Afghanistan. L’année est difficile.

Ce que je peux dire, c’est que c’est une période pendant laquelle les pays en développement ont également de la difficulté à s’adapter, à effectuer une transition et à composer avec ces crises simultanées qui ont probablement commencé et se sont accentuées avec la COVID-19. Je sais que M. Steiner vous a beaucoup parlé des problèmes liés à la dette.

Je peux dire que pour le gouvernement du Canada, la Politique d’aide internationale féministe est une sorte d’ancre dans ce qui est actuellement, pour être honnête, une mer très mouvementée. Elle offre une approche féministe claire pour trouver des moyens de réduire la pauvreté dans le monde, pour mettre l’accent sur les personnes les plus vulnérables et pour que les questions liées à l’égalité des genres et aux droits de la personne soient au centre de toutes nos interventions en matière de développement.

La portée de ces interventions est vaste. Nous déployons beaucoup d’efforts partout dans le monde. Nous en déployons beaucoup dans les domaines que vous connaissez tous bien : la santé mondiale, la santé et les droits sexuels et reproductifs et l’éducation, notamment pour les filles et les jeunes femmes réfugiées et dans les zones de crise.

Nous cherchons toutefois de plus en plus à en faire davantage, et nous le faisons en ce qui a trait aux changements climatiques. Nous avons dû modifier notre financement dans ce domaine pour nous adapter à l’agriculture écoresponsable compte tenu de la crise alimentaire de la dernière année, une crise qui existait toutefois déjà avant la guerre en Ukraine.

C’est une année pendant laquelle nous avons dû répondre aux pays en développement et accepter qu’ils participent dorénavant aux discussions. Il n’est plus question de déterminer ce que les pays donateurs peuvent faire pour ces autres pays, parfois même sans qu’ils aient été invités à prendre part aux discussions. Nous voyons plutôt des pays en développement préparer le terrain pour discuter de la transition énergétique, de la sécurité alimentaire et de ce qu’il faut dans le monde.

J’agis également à titre de représentant du premier ministre au G20. Cette année et l’année dernière, le sommet a été organisé par des pays en développement. C’était l’Inde cette année. L’année prochaine, ce sera un pays en développement, tout comme l’année suivante, ce qui permet de mieux renseigner le Canada par rapport à sa politique étrangère et à son rôle dans le monde.

Je vais m’arrêter ici. Je ne savais pas si vous vouliez parler d’un aspect particulier du développement international, et j’ai donc décidé de m’en tenir au point de vue stratégique dans mes observations.

Le président : Merci beaucoup. De nombreux aspects seront abordés, je crois, dans les questions et les réponses.

Le sénateur Housakos : Le gouvernement s’est verbalement et fermement engagé à atteindre les objectifs de développement international des Nations unies, mais il n’a pas été à la hauteur selon moi comparativement à d’autres pays occidentaux. Par rapport à notre PIB, nous investissons beaucoup moins que d’autres pays occidentaux. J’aimerais savoir si vous pensez que notre soutien est suffisamment concentré ou s’il est trop vaste dans notre approche actuelle. Je sais que le gouvernement précédent voulait que le soutien soit plus concentré dans des dossiers précis, de manière semblable à ce que fait l’Australie.

La deuxième question provient de Montréalais d’origine haïtienne. Ils sont très préoccupés par la criminocratie qui prend place en Haïti et le nombre de personnes qui profitent de l’argent des contribuables canadiens aux dépens du peuple haïtien et qui, bien entendu, blanchissent cet argent tout en vivant confortablement ici au Canada.

Pouvez-vous répondre à ces deux questions?

M. MacLennan : Votre première question est excellente, et elle touche au cœur même d’un des débats dans le domaine de l’aide au développement international, un débat qui se poursuit depuis le début, qui remonte au plan Marshall et au plan Colombo, à savoir qu’il y a moins de ressources que de besoins. C’est un fait fondamental. La question est donc toujours de déterminer comment utiliser au mieux des ressources limitées pour répondre à un grand nombre de besoins.

Dans le passé, il nous est arrivé de décider de nous concentrer sur un nombre inférieur de pays et de secteurs d’activité pour accorder le soutien à plus grande échelle. Il y a des avantages à cela, notamment que les projets sont plus vastes et que, vraisemblablement, les efforts déployés obtiennent plus de résultats.

Il existe toutefois des arguments en faveur d’une approche plus vaste, en recourant par exemple à des programmes régionaux, que l’on considère souvent comme étant moins ciblés. Dans le cadre de ces programmes, la réalité est que sur une période de quatre, cinq ou six ans, on ne peut pas prévoir les problèmes de politique et de sécurité qui surviendront. Par exemple, lorsque nous travaillons dans un endroit comme le Sahel, l’une des choses auxquelles nous réfléchissons bien, c’est la possibilité de devoir nous réorienter. Lorsqu’une région devient trop dangereuse et que nous ne pouvons plus exécuter nos programmes, pouvons-nous nous rendre dans un autre pays et continuer d’obtenir des résultats? Des choses comme l’agriculture et les systèmes commerciaux ne respectent effectivement pas toujours les frontières. Elles fonctionnent de manière systémique dans une région. Nous pensons parfois à la façon de mettre en œuvre des programmes dans une région pour faire contrepoids.

Je ne pense pas qu’il y ait une bonne réponse au débat, pour être parfaitement honnête. Je crois qu’il y a des occasions où nous sommes très conscients du fait qu’en augmentant nos dépenses et en procédant à grande échelle, nous pourrions obtenir de meilleurs résultats dans un pays donné. En même temps, dans un autre pays, un petit investissement peut tout changer, tout comme être un partenaire. C’est une difficulté avec laquelle nous devons régulièrement composer.

À propos d’Haïti, de toute évidence, la situation là-bas est extrêmement complexe. Pour être honnête, cela me rend personnellement triste. C’est un endroit où le Canada a investi et essayé, du mieux que nous le pouvions, d’accompagner le peuple, notamment après le tremblement de terre tragique qui a eu lieu il y a maintenant presque 10 ans. Il faudra une réponse à plusieurs volets. Il n’y a pas de solution de développement pour Haïti. Je ne crois pas qu’il y ait une solution unique en matière de sécurité. Je pense qu’il faut une réponse à plusieurs volets.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos témoins.

Dans quelle mesure notre soutien à l’effort de guerre en Ukraine a-t-il nui à notre capacité de continuer de mettre l’accent sur d’autres situations critiques dans des régions où les besoins se font sentir? On a l’impression que la réponse à la crise et l’aide au développement pourraient s’appuyer sur des préjugés culturels et raciaux. Pouvez-vous en parler?

M. MacLennan : Oui. Pour être honnête, nous l’avons souvent entendu au cours de la dernière année. C’est en grande partie attribuable à la désinformation russe. Les Russes tentent de faire valoir que l’Occident intervient seulement en Ukraine et qu’il abandonne les pays du Sud. Honnêtement, c’est totalement faux.

Cela dit, l’Ukraine nécessitait une intervention immédiate d’un point de vue humanitaire. Lorsque l’invasion a eu lieu, on a observé très rapidement le plus important déplacement de personnes dans le monde. Une intervention humanitaire immédiate était nécessaire en matière de sécurité alimentaire, de biens et de services essentiels, d’endroits où se réfugier et ainsi de suite pour les personnes qui fuyaient. Au même moment, et cela ne relève pas de moi, pour soutenir le gouvernement et les gens du pays, il fallait accorder une aide militaire. Le Canada, le G7 et l’OTAN, en particulier, sont fiers d’aider le peuple ukrainien à résister à une invasion illégale. C’est surtout de cette façon que nous intervenons.

Je peux toutefois vous dire, puisque je rencontre régulièrement les responsables du G20, que nous sommes bien conscients, comme tous les autres donateurs, que le reste du monde paye aussi un prix. La conséquence la plus immédiate a été le choc ressenti dans le système de sécurité alimentaire, et c’était vraiment un choc. J’ai dit plus tôt que la crise alimentaire a commencé avant la guerre en Ukraine, mais ce qui s’est produit dans la mer Noire s’est traduit par un choc qui a été ressenti pendant de nombreux mois. Nous avons dû répondre à cela en renforçant nos interventions pour assurer la sécurité alimentaire, et c’est une mesure prise par le Canada. À titre d’exemple, nous avons augmenté la quantité de denrées alimentaires partout dans le monde pour soutenir le Programme alimentaire mondial.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La sénatrice Boniface : Tout d’abord, merci à vous tous d’être ici, et merci pour le travail que vous faites au nom du Canada.

J’ai trouvé intéressant ce que vous avez dit à propos de votre façon d’établir les priorités. J’ai un point de vue différent à propos des questions de sécurité. Comment établissez-vous l’ordre de priorités de vos projets? Vous avez fait allusion à la base régionale plus générale. Nous avons sans aucun doute entendu parler hier de microprojets qui visent directement des collectivités locales et qui changent les choses, qui aident à assurer la sécurité des citoyens. Pouvez-vous nous dire comment vous prenez les décisions sur ce genre de priorités?

M. MacLennan : Bien franchement, cela se fait à différents niveaux.

L’une de mes tâches quotidiennes consiste à surveiller l’ensemble du budget, et cela signifie que j’assiste régulièrement à des réunions plutôt ennuyantes sur les allocations accordées aux différentes parties constituantes d’Affaires mondiales Canada, en déterminant quels sont les partenaires avec qui nous travaillons le plus étroitement. Certaines de ces discussions portent sur le rôle que le Canada veut jouer dans le monde et visent à déterminer quels sont les endroits les plus pauvres de la planète. Pour nous, l’Afrique subsaharienne présente manifestement l’un des défis les plus pressants pour répondre aux besoins des personnes les plus pauvres et les plus vulnérables au monde. Nous accordons plus de fonds à ces endroits. Dans les Amériques, c’est Haïti. En Asie du Sud-Est, il y a le Pakistan, l’Afghanistan et le Bangladesh.

Après cela, nous suivons notre Politique d’aide internationale féministe et les priorités que le gouvernement a établies pour le ministère, comme la santé mondiale, qui est une priorité du gouvernement du Canada depuis, pour être parfaitement honnête, 10, 12 ou 15 ans. La santé des mères, des nouveau-nés et des enfants ainsi que les droits à la santé sexuelle et à la santé génésique occupent une place importante dans ce que nous faisons. Nous avons des équipes partout dans le monde. Nos équipes s’efforcent de travailler avec les gouvernements locaux, les gouvernements locaux nationaux et les partenaires actifs sur le terrain pour cerner les meilleurs projets que le Canada peut appuyer pour donner suite aux priorités établies au moyen de la Politique d’aide internationale féministe. Le choix des meilleurs projets possible représente un énorme défi, mais normalement — et il est important de le comprendre —, leur durée se situe entre trois et cinq ans, et nous devons donc travailler étroitement avec le partenaire pendant cette période.

Notre objectif est toujours de nous améliorer au fur et à mesure, mais aussi d’être conscients du fait que les situations changent sur le terrain. Les circonstances vont changer. Vous avez notamment parlé de la sécurité, et nous l’intégrons souvent directement à notre évaluation des risques pour déterminer ce que des projets peuvent réaliser dans différentes régions ainsi que les mesures d’atténuation que nous pouvons mettre en place pour protéger les travailleurs humanitaires sur le terrain et les bénéficiaires. Nous avons malheureusement eu des attaques contre des travailleurs responsables des vaccins. Cela fait partie intégrante de tous nos projets.

La sénatrice Coyle : Merci à tous d’être parmi nous. Quelle belle semaine pour reconnaître le travail que vous faites. Cela m’a toujours tenu à cœur. Je m’implique dans le domaine depuis 1980, comme vous le savez, ce qui trahit mon âge.

Lors de la dernière session, mon collègue a notamment parlé de l’appui de la population canadienne au travail de coopération internationale du Canada. En outre, comme vous le savez, ce comité étudie notre service extérieur. Lorsque nous étions à Washington, avant Noël, nous avons rencontré des gens du Département d’État, et nous avons discuté de leurs activités. Ils ont notamment indiqué que le personnel du Département d’État mène des campagnes de sensibilisation interne, qu’ils appellent « in-reach ». Il s’agit, dans ce cas précis, d’accorder plus d’attention à la sensibilisation de la population américaine aux activités du pays à l’échelle internationale et de dialoguer avec les gens. Je ne parle pas simplement d’aller à la Munk School pour prêcher à des convertis. Que faisons-nous actuellement, tant de manière générale, pour faire connaître aux Canadiens le travail du Canada dans le monde et les inciter à participer, que du côté du développement international? Mme Peña, du secteur des partenariats, est ici. Autrefois, nous avions ce qu’on appelle des PPP, dans le cadre desquels ceux qui œuvraient dans le secteur du développement, y compris les organisations canadiennes, pouvaient obtenir des ressources pour mener des campagnes pour informer les Canadiens sur les activités du Canada dans le monde. J’aimerais avoir votre avis. Que faisons‑nous, actuellement, et que devrions-nous faire, selon vous?

M. MacLennan : Je pense que c’est une question formidable.

Je travaille pour le gouvernement du Canada dans le domaine du développement international depuis de nombreuses années, et c’est un défi constant. Nous avons fait de très bonnes choses, et cette semaine en est un excellent exemple. Cela fait maintenant 33 ans que nous organisons la Semaine du développement international, qui vise précisément ce dont vous avez parlé. Il s’agit non seulement de mettre en lumière les interventions du Canada sur la scène mondiale et d’en souligner l’importance — pour les Canadiens eux-mêmes, pour leur sûreté, leur sécurité et leur rôle dans le monde —, mais aussi les bonnes choses que nous pouvons faire afin d’aider les plus vulnérables et les pauvres. C’est un excellent exemple de cela.

Il y a eu des périodes dans le passé où nous avons intensifié nos efforts et maintenu cet engagement avec un plus grand dévouement. Vous trouverez peut-être surprenant d’apprendre que les gens de la Munk School ne sont pas toujours tout à fait d’accord avec l’ensemble de nos activités. Je pense que nous pourrions faire beaucoup pour nous améliorer, même avec les universités. Je me souviens qu’à l’époque où des troupes canadiennes étaient en Afghanistan, nous avions organisé une tournée pour un spectacle multimédia appelé Afghanistan 360, qui visait à montrer aux Canadiens tout ce que nous faisions en Afghanistan. Je pense qu’il y a des occasions de faire plus de choses de ce genre.

Patricia Peña, sous-ministre adjointe, Partenariats pour l’innovation dans le développement, Affaires mondiales Canada : Vous avez fait référence aux PPP. Nous faisons aussi des activités de sensibilisation du public. L’idée, de notre point de vue, est de communiquer avec les Canadiens pour les informer de l’ensemble des activités d’aide au développement et les inciter à participer à nos activités à l’étranger.

La semaine dernière, j’étais à Winnipeg pour rencontrer les membres de la Coopération canadienne. J’ai eu l’occasion d’aller dans une école pour assister à une activité auprès des jeunes. Il était question des objectifs de développement durable, mais sans utiliser des mots recherchés, car lorsqu’on utilise des termes trop recherchés, les jeunes décrochent. Tous ceux qui ont des adolescents le comprennent. Il convient d’établir un lien avec ce qu’ils vivent, avec leur vie quotidienne au Canada, et leur expliquer que c’est la même chose ailleurs. Ce sont de petites initiatives, mais elles sont importantes. L’idée est d’avoir une génération de gens qui comprennent qu’il y a un lien avec ce qui se passe au pays.

Cela fait toujours partie de notre travail. C’est une petite partie, de sorte que nous ne pouvons pas la surestimer, mais c’est un aspect important qui fait partie intégrante de notre partenariat au sens large.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie de ces réponses. J’aimerais approfondir la question posée par la sénatrice Coyle.

Concernant la politique publique, vous avez mentionné que vous avez fait des choses modestes. Je dirais que nous devons aller plus loin. Hier, j’ai participé à un événement où des députés de tous les partis ont eu l’occasion de discuter. Ils sont favorables au développement international, mais soulignent que ce n’est pas un sujet que leurs électeurs abordent lorsqu’ils se présentent à leur porte dans le cadre de leurs campagnes. Comment peut-on rejoindre ceux qui ne font pas d’études universitaires en affaires internationales? Comment pouvons‑nous atteindre les gens qui ont des difficultés avec leur école, qui n’arrivent pas à trouver un médecin de famille, et cetera? Comment convaincre ces gens que c’est important?

J’aimerais aussi revenir sur la question du sénateur Housakos. Pourriez-vous nous donner plus de détails de ceux qui pourraient être vos interlocuteurs en Haïti? Les Haïtiens et les Canadiens d’origine haïtienne disent : « Ne nous dites pas ce qu’il faut faire. Parlez-nous. » À qui parleriez-vous? Qui est « nous »?

M. MacLennan : Je vais commencer par la deuxième question. En Haïti, il y a des façons de sonder le pouls de la population haïtienne. À titre d’exemple, nous travaillons avec divers partenaires sur le terrain encore aujourd’hui. Il a été difficile de poursuivre la mise en œuvre de nos programmes, et nous avons permis à beaucoup de nos partenaires de changer de cap pour s’adapter à la situation sur le terrain. Ces partenaires vivent l’expérience haïtienne chaque jour. Ce sont des Haïtiens. Nous avons beaucoup de partenaires dans la société civile. D’ailleurs, je dirais qu’en Haïti, c’est auprès de la société civile qu’on peut obtenir un point de vue différent de celui du gouvernement actuel ou de la Police nationale d’Haïti. C’est une piste.

Pour revenir à votre point précédent, toutefois, Mme Peña et moi étions tous les deux présents à cet événement. J’ai pris bonne note des propos de tous les députés, et cela nous interpelle. Nous devons, au gouvernement, faire un meilleur travail pour faire connaître les liens entre le contexte mondial et son incidence sur les Canadiens, et démontrer en quoi l’aide au développement international et l’aide humanitaire sont des outils qui sont utilisés dans l’intérêt des Canadiens.

Le meilleur exemple de cela est la COVID-19. Mme Peña et moi œuvrons dans ce domaine depuis un certain temps. Nous avons parlé de la pandémie. C’était fondamentalement l’une des raisons pour lesquelles nous avons concentré nos activités sur le renforcement des systèmes de santé dans les pays dans lesquels nous travaillons. D’ailleurs, comme je l’ai déjà mentionné, l’aide au secteur de la santé est une priorité de longue date du gouvernement du Canada. Nous avions souvent évoqué la possibilité d’une pandémie, et que nous serions dépendants des systèmes de surveillance en place dans les pays en développement et de leur capacité de faire un suivi pour toutes les choses que nous avons tous apprises, bien assis à la maison dans nos sous-sols. Nous avons tous soudainement pris conscience de l’importance du contrôle des maladies infectieuses. Et savez-vous quoi? On ne peut faire cela tout seul. On dépend également du reste du monde.

Pour moi, il s’agit d’établir ces rapprochements afin de montrer que notre travail a aussi une incidence directe sur le Canada. Cela dit, nous devons faire un meilleur travail à cet égard. Nous avons essayé, et c’est difficile.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Merci pour votre présence aujourd’hui.

Effectivement, j’ai vu l’évolution d’AMC — Affaires mondiales Canada —, qui est parti de l’ACDI, l’Agence canadienne de développement international. J’y ai travaillé à une certaine époque, aussi. À l’époque de l’ACDI, il y avait le secteur de la coopération industrielle qui avait une certaine approche du développement international.

Aujourd’hui, les pays africains prônent plutôt le développement de leurs infrastructures plutôt que l’aide humanitaire. C’est un changement de paradigme qui va dans le sens de l’agenda 2063 de l’Union africaine, L’Afrique que nous voulons. Ma question — et je ne demande pas une primeur au sujet de la stratégie qui est en cours — est la suivante : est-ce que le Canada tient compte de cette approche aujourd’hui et de ces changements qui s’opèrent en Afrique?

Quand on va là-bas, on le sait, on voit des annonces qui parlent des investissements du Canada au Soudan, au Kenya, un peu partout — nous investissons énormément. Cependant, on a l’impression que sur le terrain, ce n’est pas visible, et encore moins ici. En ce qui concerne les questions précédentes, on a l’impression que ça ne donne pas de résultats concrets alors qu’il y a beaucoup d’argent investi. L’aide est passée de 6,1 à 8, cela augmente tous les jours.

Ce qu’on aimerait savoir, si je prends le cas des pays d’Afrique subsaharienne, c’est si on observe leur comportement. Est-ce qu’on ajuste l’approche canadienne de notre aide à ces pays?

M. MacLennan : La réponse est oui. Au mois de novembre, M. Faki, qui est le président de l’Union africaine, est venu au Canada pour une série de réunions.

J’ai assisté à une réunion avec mon ministre et la ministre du Commerce international, Mme Ng, justement parce que le Canada voulait envoyer un message clair, à savoir que la relation entre le Canada et l’Afrique a besoin de passer d’une relation de développement à une relation commerciale. Les deux vont ensemble.

Vous avez mentionné un ancien programme, le Programme de coopération pour l’investissement — le PCI ou en anglais INC. Depuis ce temps, on s’est dotés de nouveaux programmes qui nous aident énormément.

La première des choses, c’est la création de FinDev Canada, une institution de financement du développement — DFI en anglais — dont l’une des priorités est l’Afrique. Ce sont des prêts et des bourses qui répondent aux besoins commerciaux de l’Afrique en touchant les priorités comme les changements climatiques et les transitions énergétiques, etc.

On a aussi au sein d’Affaires mondiales Canada deux nouveaux programmes qui nous permettent de faire autre chose que des subventions et des contributions, c’est-à-dire d’entrer dans le système des prêts pour qu’on puisse financer les jeunes femmes entrepreneures, par exemple.

Je vais m’arrêter là.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Je remercie les témoins.

J’aimerais revenir sur votre commentaire selon lequel vous ne vous contentez plus de fournir de l’aide aux pays en développement, mais que vous travaillez avec eux. Ils « mettent la table », comme vous l’avez dit, je crois. Selon vous, qu’est-ce que le Canada apprend d’eux? Je parle de la pratique du développement international, en particulier chez les diplômés et ceux qui le seront bientôt. Étant donné vos nombreuses années d’expérience dans le domaine du développement, vous savez certainement qu’il existe des modes, et un aspect qui revient à l’avant-plan est le développement des infrastructures. C’était un enjeu névralgique dans les années 1950 et 1960, mais cela refait surface.

M. MacLennan : C’est exact.

Le sénateur Woo : Sommes-nous assez humbles pour apprendre de pays qui se sont développés très rapidement ces 20 ou 30 dernières années? Qu’avons-nous appris de ces pays?

M. MacLennan : C’est une question fantastique.

Cela requiert un changement de mentalité. Je peux vous dire, puisque j’y ai souvent participé, que les discussions au sein du G7 sont très conviviales. Ce sont nos amis, nos alliés. On y discute avec aisance. Par contre, les discussions à la table du G20 sont moins agréables. Bien franchement, on compte à cette table des partenaires avec lesquels nous ne nous entendons pas du tout et — ce qui est plus important encore — qui ont des points de vue différents du nôtre sur les défis mondiaux auxquels nous sommes tous confrontés.

Je peux dire, personnellement, que j’ai pu contribuer au ministère en écoutant des collègues d’Arabie saoudite, de Corée du Sud, si vous voulez choisir un exemple parfait d’un pays qui a réussi à se développer, sans l’ombre d’un doute. Nous avons tellement de choses à apprendre. Je pense qu’il s’agit d’un élément de la Stratégie pour l’Indopacifique récemment annoncée par le gouvernement. Nous savons que l’Asie de l’Est est une région en croissance économique, extrêmement dynamique et fortement axée sur l’innovation. Le Canada doit y être présent.

Je vais terminer sur une autre note, toutefois, concernant la question du développement. Récemment, lors d’une réunion, quelqu’un est venu me voir et m’a dit : « En fait, vous savez, aucun de nous ne s’est développé dans le monde, pas de manière durable. » Personne n’a la recette secrète d’un modèle de développement durable. Nous essayons tous d’y arriver, et beaucoup visent la carboneutralité en 2050, mais la vérité, c’est qu’aucun d’entre nous n’a trouvé la solution. Il y a beaucoup d’enseignements à tirer des expériences d’autres pays quant à la voie à suivre pour y parvenir, car le Canada a encore bien du chemin à parcourir aussi.

Le président : Je vais utiliser mon privilège de président pour poser une question, mais j’aimerais d’abord dire qu’être à la table du G7 n’est pas toujours de tout repos. Cela dit, je comprends votre point de vue, monsieur MacLennan.

Je pense que vous étiez dans la salle lorsque j’ai posé une question à M. Steiner au sujet de la créativité dans la communauté des donateurs. Je pense que tout le monde reconnaît qu’il existe de nombreuses pressions qui obligent à réagir ainsi que des imprévus, et cetera, mais y a-t-il actuellement une réflexion critique et créative sur les manières de faire les choses différemment? Certains pays sont très investis dans le développement international et sont des leaders d’opinion depuis des années. Je pense aux pays nordiques. Je pense aussi au Royaume-Uni, en son temps, et aux Américains, évidemment. J’aime à penser que nous avons aussi apporté notre contribution. Existe-t-il un mécanisme collégial quelconque pour examiner ces questions et les amener dans une dimension stratégique?

M. MacLennan : C’est une excellente question.

Il y a une réunion annuelle des dirigeants des organismes de développement, appelée « Tidewater », qui est organisée chaque année par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. La réunion de deux jours représente pour les dirigeants de ces organismes du monde entier une occasion de réfléchir à l’année qui s’est écoulée et aux importants défis à venir.

L’OCDE jouait auparavant un rôle plus prépondérant, à mon avis, pour l’établissement des grandes orientations relativement aux enjeux de l’heure en matière d’aide au développement à l’échelle mondiale et à une meilleure concertation dans l’utilisation des outils à notre disposition. Je pense par exemple aux débats qui ont eu lieu dans les années 2000 sur la question de l’efficacité de l’aide. L’OCDE a dirigé ces discussions. On a compris que l’augmentation de l’aide au développement était tributaire de l’efficacité de l’aide au développement. Or, qu’est‑ce qu’on entend par « efficace »? Comment peut-on définir cela pour que nous puissions tous parler le même langage? Je dirais que je n’ai pas vu beaucoup de leadership de ce genre du côté de l’OCDE récemment, ces deux ou trois dernières années.

La COVID n’a pas aidé. Il est essentiel d’avoir la possibilité de nous rencontrer en personne. La réunion à laquelle j’ai assisté en juin dernier était la première en trois ans. Donc, la pandémie n’a pas aidé.

Il y a toutefois des innovations fascinantes dans certains domaines, à mon avis. Une de ces innovations — la véritable innovation émane toujours de la nécessité — est dans le domaine des banques multilatérales de développement. Je pense que nous reconnaissons tous que la raison d’être fondamentale du système de Bretton Woods qui a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale était d’appuyer la reconstruction. N’oublions pas qu’elle s’appelle la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. En réalité, elle avait pour objectif fondamental d’aider les pays en développement à avancer sur la voie du développement. Les donateurs peuvent apporter une contribution importante, mais en réalité, ce sont ces banques qui agissent à grande échelle.

Nous avons entrepris un projet très intéressant au cours de la dernière année. Plus précisément, dans le communiqué du G20 de l’année dernière, ce projet a été présenté comme l’un des principaux travaux à réaliser au cours de cette année, à savoir les façons de dynamiser le système bancaire. Comment pouvons‑nous augmenter le montant des capitaux qu’elles peuvent diriger vers les pays en développement pour les aider à progresser sur la voie du développement? Il y a beaucoup de travail à faire, car nous sommes actionnaires de ces banques, mais nous sommes d’avis, bien franchement, qu’elles n’optimisent pas les capitaux dont elles disposent pour améliorer les résultats en matière de développement.

Le président : Merci beaucoup.

Nous passons au deuxième tour.

Le sénateur Housakos : Ma question revient sur le fait qu’il existe certains régimes et certains fraudeurs qui profitent de l’aide que nous envoyons à ces pays, avec les meilleures intentions du monde. Nous avons des exemples précis en Haïti. Quel type de processus avons-nous mis en place pour nous assurer que nous limitons les possibilités de fraude? Plus important encore, une fois que nous savons qu’il y a des personnes qui ont enfreint les droits de la personne, qui ont participé à des régimes au comportement frauduleux et qui se retrouvent ensuite à vivre au Canada, et il y a un certain nombre de Haïtiens qui sont intimement liés au régime là-bas, qui ont fait des choses horribles et qui vivent maintenant à Montréal. Nous n’utilisons pas les outils à notre disposition pour récupérer les fonds sur lesquels ils ont frauduleusement mis la main afin de faire passer le message que le Canada ne tolérera pas ces comportements. Quelles sont les modalités de collaboration avec la GRC et d’autres ministères pour poursuivre ces personnes?

M. MacLennan : En commençant par la question du processus, vous ne serez pas surpris d’apprendre que nous travaillons dans certaines des régions les plus difficiles du monde, certaines des régions les plus risquées du monde. La discussion concernant la tolérance au risque d’Affaires mondiales Canada est donc toujours d’actualité, car nous devons essayer de concilier, du mieux que nous pouvons, la reconnaissance fondamentale et absolue que la fraude ne peut être tolérée en aucune circonstance, que le détournement de l’argent des contribuables canadiens ne peut être toléré en aucune circonstance, avec le fait que nous travaillons dans des régions du monde vraiment difficiles et que nous devons trouver des moyens d’équilibrer nos processus pour pouvoir faire en sorte de poursuivre nos activités là-bas, tout en tenant compte de tout cela.

Au fil des ans, nous avons mis en place des processus, que certains qualifieraient de trop rigoureux, des processus qui entraînent de longs délais et des formalités administratives. Nous nous employons donc très assidûment, en fait sous la direction de Mme Peña, à réorganiser complètement nos processus de subventions et de contributions, en vue de les rendre plus efficaces et plus faciles à utiliser pour les utilisateurs, c’est‑à‑dire nos partenaires sur le terrain, mais aussi nos partenaires dans les pays qui se sont plaints de nos exigences onéreuses en matière de rapports et d’autres formalités. L’un des éléments et principes fondamentaux de ce système est qu’il ne peut à aucun moment faciliter la fraude. Nous avons toujours intégré ce principe dans notre système, et nous disposons de processus pour détecter les cas de fraude.

En ce qui concerne Haïti et les mesures que nous prenons, je ne suis personnellement pas au courant de personnes qui se sont enfuies avec des fonds canadiens et qui, par la suite, se sont établies au Canada. Je ne suis pas au courant de cela. Nous pouvons le confirmer, mais je ne suis pas au courant. Pour ce qui est de la façon dont elles sont traitées au Canada, le sous‑ministre de la Sécurité publique serait peut-être mieux placé pour expliquer les processus qui permettent de répondre à des situations où, une fois au Canada, des personnes font face à des accusations de comportement frauduleux ou de violation des droits de la personne, comme vous dites, perpétrés dans un autre pays.

La sénatrice Boniface : Je vais revenir sur la question. Vous m’avez peut-être mal comprise. Je pensais à la sécurité des femmes et à la possibilité pour les féministes de faire quelque chose au jour le jour. C’est là où je voulais en venir, et j’essaie de comprendre comment vous conciliez tout cela.

À la fin de l’année dernière, j’ai participé à une réunion avec un certain nombre d’ONG qui bénéficient d’un financement international provenant de tous les pays, et ce qu’ils m’ont dit, c’est que le Canada est l’un des pays où il est le plus difficile de faire approuver des demandes de financement, et je pense que certains interpréteraient cela comme une aversion au risque. Je vous sais gré de votre rigueur, mais ce que j’ai entendu autour de la table était collectivement quelque chose de très différent. Comment vous attaquez-vous à ce problème? Vous en êtes manifestement conscient, mais j’aimerais savoir comment vous répondez à cette perception des ONG.

M. MacLennan : Je vais avertir ma collègue, ici présente, que je vais faire appel à elle. Je vais répondre à la première partie de votre question, puis je permettrai à Mme Peña de vous fournir plus de détails sur le processus que nous avons déjà entrepris.

En ce qui concerne la protection des femmes dans les pays, je dirais que nous procédons de deux manières distinctes. Premièrement, chaque évaluation d’un projet fait l’objet d’une analyse fondée sur les droits de la personne qui détermine si, selon nous, ce projet pourrait réellement mettre en danger la vie des femmes. Nous prenons en considération la région du monde dans laquelle le projet sera mis en œuvre. Quelles sont les mesures d’atténuation mises en place par le partenaire qui propose le projet, pour garantir que les activités du projet ne mettront pas les hommes, les femmes ou les enfants plus en danger qu’ils ne le sont déjà? C’est une optique que nous appliquons à tout.

Deuxièmement, nous mettons en œuvre des programmes qui visent précisément à lutter contre la violence fondée sur le sexe. Ils font partie de notre programmation depuis la création de la Politique d’aide internationale féministe et n’ont cessé de prendre de l’importance. Ils sont presque toujours intégrés à d’autres activités que nous menons, par exemple dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs et dans d’autres domaines liés à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes et des filles.

Mme Peña : Je vous remercie de soulever cette question. Ce ne sont pas seulement nos partenaires canadiens qui disent que nos processus sont compliqués. C’est le cas d’un certain nombre de nos partenaires, et nous en sommes très conscients.

D’une part, un grand nombre de nos systèmes ont été mis en place pour de très bonnes raisons. À certains égards, ces raisons étaient liées à une question de contrôle et à une préoccupation relative aux problèmes tels que la fraude et la capacité de suivre l’argent, mais nous avons conscience d’être probablement allés trop loin. Nous sommes très doués dans le domaine de l’élaboration de systèmes, mais nous devons maintenant nous assurer qu’en mettant en place ces contrôles, nous ne laissons pas de côté les résultats du développement et nous n’étouffons pas la capacité d’innovation. Comme l’a déclaré l’administratrice du PNUD, et d’autres personnes, le statu quo ne permettra pas de faire avancer les choses, et nous devons donc envisager les choses différemment.

En fait, pendant la pandémie, nous avons vécu une situation très intéressante où, afin de pouvoir apporter un soutien immédiat aux programmes, nous avons rajusté certaines de nos règles et réussi à débloquer des fonds. En fait, de nombreux partenaires canadiens m’ont dit — et c’est une nouvelle très positive — que nous étions parmi les premiers à leur accorder du financement lié à la COVID-19. Ce que nous étudions maintenant, c’est la façon de tirer parti de cette expérience positive et de l’appliquer à notre façon de faire les choses.

Le sous-ministre a mentionné les subventions et les contributions. Nous menons un projet quinquennal dans le cadre duquel nous cherchons à transformer la manière dont nous menons nos activités du début à la fin, afin de devenir plus efficaces, plus transparents, plus réactifs et aussi mieux adaptés aux besoins de nos partenaires dans les pays en développement, et de ceux qui satisfont à ces besoins. C’est un projet ambitieux, mais nous y tenons.

La sénatrice Coyle : Je vais reprendre la discussion là où nous nous sommes arrêtés.

L’un des sujets dont nous avons discuté hier avec la représentante de Coopération Canada était la nécessité de continuer à faire avancer la question du financement, en ce qui concerne les engagements du Canada en matière d’aide au développement. Nous venons également d’avoir une conversation avec l’administratrice du PNUD à propos du fait que les contributions du Canada n’atteignent pas vraiment celles des autres pays ayant une capacité similaire. Nous n’en faisons pas autant que les autres. Nous parlons toujours de l’augmentation de la contribution en dollars, mais nous n’examinons pas les pourcentages, entre autres choses, et nous ne nous comparons pas aux autres. J’aimerais que vous nous parliez un peu de cela.

Bien entendu, nous ne hausserons jamais cette contribution de manière substantielle, à moins que les Canadiens considèrent que cela en vaut la peine — pour eux, oui, je le comprends, mais aussi simplement — parce que c’est ce qui distingue les Canadiens. C’est quelque chose qui a de la valeur. J’aimerais comprendre, dans le monde dans lequel vous travaillez tous, ce qu’il faudrait faire pour mettre en place une stratégie de mobilisation du public canadien plus importante, pour la doter de ressources adéquates, pour la concevoir de manière créative et pour travailler avec vos partenaires. J’aimerais comprendre toutes les différentes façons de procéder. Que faudrait-il faire pour que cela se produise?

M. MacLennan : C’est une bonne question.

En bref, je ne suis pas entièrement sûr de ce qu’il faudrait faire. Je vais être très honnête. Je n’en suis pas tout à fait sûr. À plusieurs reprises, nous sommes allés parler aux gens, et nous avons examiné les sondages. Quand on demande aux Canadiens de classer leurs préoccupations les plus importantes, nous constatons que le développement international et l’aide humanitaire sont rarement en tête de liste. En fait, ils ne sont jamais en tête de liste. Ils sont toujours en bas de l’échelle. Dans une démocratie, les Canadiens sont en mesure d’exprimer leurs priorités.

Ce que nous faisons à Affaires mondiales Canada, c’est examiner ce qui nous a été confié, c’est-à-dire une enveloppe assez substantielle. Pourrait-elle être plus importante? Oui. Toutefois, nous nous concentrons sur l’enveloppe que nous avons, et nous nous demandons comment nous pouvons faire en sorte que le moindre cent de cette enveloppe fasse le plus grand bien dans le monde entier et rende les Canadiens fiers de leur contribution.

Notre gouvernement a réagi très rapidement au terrible tremblement de terre que nous venons de voir. Nous disposons d’une équipe d’aide humanitaire qui, en toute honnêteté, n’a pas son pareil dans le monde entier du point de vue de ses compétences et de sa compréhension du fonctionnement des systèmes mondiaux. Je fais entièrement confiance à cette équipe, et je sais que lorsque je passe un appel à ses membres, quelle que soit l’heure de la nuit où le tremblement de terre se produit, ils sont là. J’aimerais pouvoir raconter ce genre d’histoires plus en détail. Votre comité est une tribune qui convient pour le faire. Il convient d’en parler aux sénateurs, et quand j’ai l’occasion de rencontrer les députés, je fais la même chose. L’équipe fait un travail formidable au nom de tous les Canadiens. En ce qui concerne les mesures que nous pouvons prendre en fin de compte, c’est ce que nous pouvons faire de mieux pour montrer aux Canadiens ce qui est possible.

Le sénateur Cardozo : Il semble que la sénatrice Coyle et moi fassions équipe à ce sujet, et nous n’avons même pas planifié de le faire.

Je voudrais revenir sur la question de l’opinion publique. Je suis très préoccupé par les changements géopolitiques majeurs qui se produisent dans le monde entier et qui atténuent la coopération internationale, qu’il s’agisse de la diplomatie, des relations internationales ou de l’aide internationale. Tout le monde se replie sur lui-même. Avec l’inflation galopante qui sévit dans le monde entier, comment dire à la famille qui n’arrive pas à payer son loyer et à acheter de la nourriture décente que son gouvernement envoie de l’argent à un autre pays?

J’ai en fait une suggestion à faire, plutôt qu’une question à poser. J’ai été vraiment impressionné par le nombre de députés qui étaient présents hier. Certains d’entre nous, sénateurs, étaient présents, et nous avons tous pris une photo ensemble. Ils ont appelé tous les députés, et j’ai sauté dans le tas pour arborer le drapeau du Sénat sur la photo. Ces quelque 20 députés constituent votre meilleur groupe de discussion — je ne sais pas si c’est impoli de ma part de dire qu’ils sont meilleurs que nous —, car ils prennent vraiment le pouls de la population. À cet égard, je vais leur donner l’avantage parce qu’ils sont quotidiennement en contact avec les électeurs de leur circonscription. Mike Lake, le député conservateur d’Edmonton, a fait valoir avec beaucoup d’éloquence qu’il n’entend pas beaucoup parler de cette question et qu’il n’ait pas d’antécédents dans le domaine du développement international, mais qu’il se soit vraiment investi dans ce dossier depuis qu’il est devenu député, il y a plus de 17 ans. Je vous suggère de rencontrer cette vingtaine de députés — ils sont tous sur la photo, donc vous savez qui ils sont — et de leur demander comment faire passer le message aux Canadiens ordinaires de l’ensemble du pays. Ils sont peut-être les mieux placés pour comprendre ce qui préoccupe les gens. Ceux d’entre nous qui sont ici et travaillent dans le domaine depuis longtemps ne sont pas des parias, mais c’est vraiment avec les nouveaux venus dans le domaine que nous devons établir des liens. Voilà ce que je suggère. Considérez ces personnes comme votre groupe cible.

M. MacLennan : Nous avons des alliés formidables à la Chambre des communes, et au Sénat aussi, je pense. Vos voix comptent vraiment. Cette chambre est celle de la démocratie. C’est un endroit où ces questions peuvent être débattues et où les priorités des Canadiens peuvent être débattues, parce qu’elles doivent l’être.

En ce qui concerne le premier point que vous avez soulevé au sujet de la coopération internationale, je ne suis pas sûr de m’en inquiéter autant. Il y a deux raisons pour lesquelles je dis cela. Premièrement, il y a 10 ans, la décision a été prise d’intégrer l’ACDI dans les Affaires étrangères afin de créer Affaires mondiales Canada. Depuis, la plupart de nos autres partenaires donateurs ont fait la même chose. L’Australie l’a fait, et la Norvège l’a fait. Ce qui a eu pour effet de rassembler tous les outils. Le développement international, qui avait l’habitude de se tenir à l’écart du canoë, est maintenant dans le canoë. Il fait partie de notre débat quotidien lorsque nous discutons de questions comme l’Ukraine ou Haïti ou lorsque nous discutons de la réponse canadienne appropriée à la désinformation russe en Afrique concernant la sécurité alimentaire. Le développement international fait maintenant partie de la conversation.

L’autre observation que je formulerais rapidement est la suivante : si vous consultez le site Web de l’OCDE et que vous suivez l’évolution de l’ensemble de l’aide au développement mondial, vous constaterez qu’elle a augmenté progressivement depuis la création de cette mesure. Elle a diminué pendant une certaine période, c’est-à-dire dans les années 1990, parce qu’elle était considérée comme une partie intégrante des dividendes. À mesure que les choses s’aggravent dans le monde entier, il existe en fait un argument très solide pour justifier l’importance accrue du développement international, malgré les nombreux autres défis et les priorités concurrentes.

Le président : Je vous remercie, monsieur MacLennan, en particulier d’avoir approuvé notre système parlementaire bicaméral. Un certain nombre d’entre nous sont très investis dans ce dossier, et je pense qu’ils continueront à l’être.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je suis totalement d’accord avec vous sur l’importance du développement international, et pour accentuer ce que vous avez dit : vous avez des équipes fantastiques.

Dans mon ancienne vie, j’ai coopéré et travaillé étroitement avec certaines de vos équipes en Afrique et je peux vous assurer que c’est bien, surtout pour les entreprises canadiennes qui vont dans ces pays-là.

Pourquoi est-ce que je me réjouis d’entendre qu’Affaires mondiales Canada tient compte du nouveau paradigme de l’Union africaine et des pays africains? Les pays africains sont 55, leur vote compte, et on a vu ce que cela a donné comme résultat aux Nations unies, que ce soit pour les sièges au Conseil de sécurité ou pour appuyer le soutien de l’Ukraine; on a vu que cela compte et que cela fait mal. Je me réjouis donc de la considération que vous en faites.

J’ai une suggestion à faire : les entreprises canadiennes ont besoin d’être accompagnées. À l’époque de l’ACDI, il y avait cet accompagnement dans le cadre des partenariats. C’est ce qui est recherché aujourd’hui en Afrique.

L’Afrique d’aujourd’hui, c’est plus de 3 000 milliards de dollars de potentiel pour les entreprises d’ici en matière de PIB. C’est plus de 1,4 milliard de consommateurs pour nos entreprises, ce qui représente des débouchés importants. Je me réjouis de la direction économique éventuelle qui sera prise, parce que nos entreprises vont en bénéficier.

D’ailleurs, le précédent témoin, M. Steiner, défendait le fait qu’il y a une nécessité de co-investir en Afrique. C’est ce que les autres pays font, notamment la Chine et la Russie — qui sont des pays autoritaires, comme on le sait. Après, on est surpris de voir qu’une vague d’autoritarisme arrive en Afrique.

Ma question est la suivante : est-ce qu’Affaires mondiales Canada envisage encore de mettre sur pied les Équipes Canada, qui étaient excellentes?

M. MacLennan : Je vais y aller rapidement.

Quand M. Faki est venu ici, le ministre Sajjan et la ministre Ng se sont engagés à retourner en Afrique et à aller à Addis‑Abeba ensemble pour parler aux représentants de l’Union africaine de la façon dont on peut jumeler tous nos efforts en Afrique. Ce voyage aura lieu cette année.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le président : Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins. Cette réunion a été très intéressante du point de vue de la présidence, et peut-être aussi un peu nostalgique, mais je parlerai de cela une autre fois. Je tiens à remercier le sous‑ministre MacLellan et les sous-ministres adjoints McDougall et Peña de s’être joints à nous. Je tiens également à souligner qu’ils sont accompagnés de deux personnes qui ont accompli un travail considérable, à savoir Christopher Gibbins, directeur exécutif pour l’Afghanistan et le Pakistan, et Sébastien Sigouin, directeur exécutif pour Haïti.

Avant de mettre fin à la séance, j’aimerais informer les membres que la réunion de mercredi prochain, en date du 15 février, sera la dernière pendant laquelle nous accueillerons des témoins dans le cadre de notre étude sur les sanctions. Au cours de la réunion initialement programmée pour le 1er février, nous accueillerons, tous en personne, l’ancienne sénatrice Raynell Andreychuk de 16 heures à 16 h 45, et Brandon Silver et Amanda Strayer de 16 h 45 à 17 h 30. L’audience de chaque groupe de témoins ne durera que 45 minutes, afin qu’à 17 h 30, le comité puisse discuter des instructions pour la rédaction de notre rapport. Nos analystes prépareront un aperçu qui sera distribué avant la réunion.

(La séance est levée.)

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