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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 8 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 29 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je demanderai aux membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui de se présenter.

Le sénateur Ravalia : Merci, Monsieur le président. Je souhaite la bienvenue à la ministre et à son équipe. Nous sommes ravis de vous accueillir ce matin. Je suis Mohamed Ravalia de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue, madame la ministre. Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish en Nouvelle‑Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael McDonald, de Cape Breton en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie‑Britannique.

La sénatrice R. Patterson : Bonjour. Rebecca Patterson, de l’Ontario.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Chers collègues, merci. Je souhaite la bienvenue à tous, ainsi qu’aux gens de partout au pays qui nous regardent aujourd’hui.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude en vue de déterminer si le service extérieur et l’appareil de politique étrangère du Canada sont adaptés aux besoins et en mesure de relever les défis actuels et futurs sur l’échiquier international.

Nous avons l’honneur d’accueillir l’honorable Mélanie Joly, p.c., députée et ministre des Affaires étrangères, pour nous aider dans nos délibérations.

Bienvenue au comité, madame la ministre. Vous êtes accompagnés par des représentants d’AMC, Affaires mondiales Canada, à savoir : David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères; Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique; Vera Alexander, sous-ministre adjointe associée, Ressources humaines; Stéphane Cousineau, sous-ministre adjoint principal, Personnes et plateforme internationale; Anick Ouellette, sous-ministre adjointe et dirigeante principale des finances, Planification ministérielle, finances et technologies de l’information. Madame Ouellette, c’est tout un titre.

[Français]

Avant d’écouter votre déclaration, madame la ministre, et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui porteraient une oreillette.

[Traduction]

Madame la ministre, nous sommes disposés à entendre votre déclaration. Selon notre pratique usuelle, les sénateurs vous poseront ensuite des questions. La parole est à vous, madame la ministre.

[Français]

L’honorable Mélanie Joly, c.p., députée, ministre des Affaires étrangères : Merci, monsieur le président — merci cher Peter, c’est avec plaisir que je suis ici.

[Traduction]

Quel plaisir de me retrouver avec vous aujourd’hui!

Je vous ai parlé il y a un an environ, deux mois après l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie. Bien sûr, beaucoup de choses se sont passées depuis. Les Ukrainiens continuent à se battre pour leur liberté, et le Canada les appuie sans réserve dans leur lutte. Nous sommes en mesure d’offrir un si grand soutien à l’Ukraine en grande partie grâce à l’appui sans précédent de tous les partis; j’aimerais vous en remercier, ainsi que tous vos collègues.

[Français]

Cela fait plus d’un an que vous étudiez le service extérieur canadien et les autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada. C’est un sujet très important, bien entendu, tout le monde autour de la table sera d’accord avec ça, mais c’est un sujet qui me tient beaucoup à cœur.

Chez Affaires mondiales Canada, nous sommes aux prises avec plusieurs des mêmes questions et défis. Bien que nos efforts avancent en parallèle avec les vôtres, nous suivons de très près les témoignages d’experts fournis lors de vos rencontres. C’est avec grand plaisir que je pourrai finalement faire ma propre contribution à votre travail considérable; merci de votre invitation. J’ai hâte d’étudier le rapport final issu de cette étude, car il sera un outil essentiel pour faire progresser nos propres travaux.

[Traduction]

Hier, j’ai fait une mise à jour initiale au personnel d’Affaires mondiales Canada sur l’Initiative sur l’avenir de la diplomatie. Je vous en parlerai aujourd’hui et ensuite je répondrai à toutes vos questions.

Nous en sommes à un point charnière de notre histoire. Je suis sûre que chaque personne dans cette salle le comprend et peut aussi en ressentir l’ampleur.

Notre monde est secoué par l’imprévisibilité, l’incertitude et des perturbations géopolitiques. Le système fondé sur des règles qui nous a jadis protégés est en train de se fissurer, et les institutions que nous avons bâties en sont ébranlées. L’invasion illégale de l’Ukraine par Poutine en est la preuve évidente.

Toutefois, ces perturbations ont commencé bien avant le 24 février dernier et elles ont des répercussions bien au-delà des frontières de l’Ukraine, et même de l’Europe.

Partout au monde, nous sommes témoins de la témérité grandissante des dirigeants autoritaires; de l’information détournée en arme; des menaces et même des attaques dirigées contre les démocraties; les pays, les petits autant que les grands, aux prises avec les conséquences du changement climatique; des crises qui surviennent dans des pays comme Haïti, l’Afghanistan, le Soudan, le Venezuela et le Myanmar, ainsi qu’une crise de réfugiés internationale. Les faits sont désolants. Bien sûr, tout cela ne représente qu’un seul aspect du tableau.

Nous savons qu’il y a aussi des raisons d’être optimiste face à ces défis; les visages des Ukrainiens qui refusent d’abandonner leur combat pour non seulement leur liberté, mais également la nôtre; les femmes et les filles en Iran qui sont dans la rue pour affirmer leurs droits et les défenseurs, militants et journalistes qui revendiquent les droits de la personne et qui font jaillir de la lumière dans les recoins sombres du monde.

[Français]

Devant nous, il y a un grand défi qui n’arrive qu’une fois par génération. La façon dont nous répondrons nous définira pour les décennies à venir. Il faut s’assurer d’avoir une diplomatie modernisée bien ajustée à l’objectif du 21e siècle et ce travail, ce défi, doit être surmonté parce que ce travail est primordial. La réalisation de cette réforme représente une priorité absolue pour notre gouvernement et pour moi personnellement.

Il y a un an, environ au même moment que vous, nous avons lancé cette grande transformation ministérielle; nous avons dû nous regarder dans le miroir et faire preuve d’humilité, et nous avons dû nous poser les vraies questions. Nous avons eu de bonnes discussions en organisant plus de 80 consultations auprès de l’équipe d’Ottawa, auprès des missions partout dans le monde et aussi auprès de différentes parties prenantes.

Nous avons également travaillé avec un conseil consultatif externe qui menait aussi ses propres consultations. Nous sommes également intéressés à ce qui se passe ailleurs dans le monde, car au même moment où nous regardons ce travail-ci, il y a d’autres ministres des Affaires étrangères qui font aussi le travail de réforme de leur propre ministère.

[Traduction]

Au bout d’un an de consultations variées et étendues, j’ai été frappée par le nombre de conversations qui sont arrivées à la même conclusion : Affaires mondiales Canada doit être stratégique, agile et réactif, et capable d’exercer une influence.

Vu le nombre croissant de changements sur l’échiquier international, nous devons avoir un ministère moderne, digne du XXIe siècle, capable d’anticiper, d’analyser, de comprendre et de gérer les défis émergents en matière de politique étrangère. Nous devons miser sur les nombreux talents et toute la gamme d’expérience en matière de politique étrangère que nous avons ici au Canada et à l’étranger. Le ministère doit être capable de concevoir, de coordonner et de mettre en œuvre un programme international complet, et ce, de façon efficace. Le ministère doit le faire de façon cohérente et durable à l’échelle de tout le gouvernement et en fonction des priorités établies. D’autres ministères se retourneront de plus en plus vers Affaires mondiales Canada pour comprendre les dimensions internationales de tant de dossiers nationaux.

Enfin, le ministère doit faire preuve d’ouverture, de modernité et de connectivité, à la fois à l’égard du monde et des gens que nous servons : les Canadiens.

Ce qui est encore plus important, c’est la nécessité d’investir dans notre personnel, qui œuvre sur le terrain et est témoin de ce qui se passe. Plus que ça encore, ils sont au cœur de la diplomatie. Les employés et leurs familles consacrent leur vie au service de notre magnifique pays. En retour, nous devons veiller à ce qu’ils aient les outils et les ressources nécessaires pour réussir.

Il nous faut des employés qualifiés, bilingues, en santé et voués à l’excellence. Nos gens doivent être représentatifs de toute une gamme d’écoles de pensée, de vécus et de parcours, ce qui bénéficiera à la fois à notre politique étrangère et au service extérieur même.

Je vais utiliser une métaphore canadienne, le hockey, et vous dire que nous devons nous diriger là où la rondelle se trouvera. Pour ce faire, nous allons travailler sur quatre fronts. Le premier, les gens, le deuxième, l’expertise en matière de politique, le troisième, la présence, et le quatrième, les processus.

En ce qui concerne nos gens, nous devons améliorer la culture du milieu de travail du ministère pour que les employés se sentent reconnus, entendus et soutenus.

Nous commencerons en remaniant les processus de recrutement et de formation, en accroissant la diversité et en renforçant les connaissances de nos langues officielles, ainsi que des langues étrangères.

[Français]

C’est important pour la Loi sur les langues officielles. Cela fait trop longtemps que les francophones au sein d’Affaires mondiales Canada ont des préoccupations au sujet de cette réalité.

[Traduction]

Nous devons aussi offrir un meilleur soutien à nos employés et à leurs familles à l’étranger, notamment en période de crise. Nous devons aussi garder à l’esprit le personnel recruté localement. Ces gens sont au cœur de nos missions à l’étranger. Nous devons en faire plus pour les soutenir. De nombreux chefs de mission m’ont dit à quel point ils perçoivent leur travail et celui de leur équipe comme l’effort d’une grande famille, ce qui comprend bien sûr le personnel recruté localement.

[Français]

Deuxièmement, nous augmenterons notre expertise en matière de politique publique dans certains domaines clés, y compris les changements climatiques, l’énergie et les minéraux critiques, et tout ce qui concerne le numérique et l’intelligence artificielle.

Troisièmement, nous allons augmenter notre présence à l’étranger, particulièrement dans certaines missions multilatérales clés, en commençant par l’Organisation des Nations unies, mais aussi dans certains pays du G20 et d’autres pays stratégiques.

Finalement, nous allons nous assurer que le ministère aura les outils, les procédures et la culture de priorités qui sont nécessaires afin de travailler de façon efficace et pour se défendre contre la hausse des cybermenaces.

[Traduction]

Bien sûr, nous n’attendrons pas que toutes ces initiatives soient mises en œuvre avant de commencer. Vous avez vu notre Stratégie pour l’Indo-Pacifique, le plus grand investissement de notre génération en matière de politique étrangère et d’agrandissement de notre réseau diplomatique. Nous ouvrirons six nouvelles ambassades et nous nommerons huit nouveaux ambassadeurs.

[Français]

Depuis mon assermentation comme ministre des Affaires étrangères, notre gouvernement a ouvert une ambassade en Estonie, en Lituanie, en Slovaquie, en Arménie, aux Fidji et au Rwanda.

Plus tôt cette semaine, nous avons nommé un nouveau représentant permanent à l’Union africaine. Nous avons aussi renforcé la capacité consulaire du ministère et donné un coup de pouce au financement pour la lutte contre les changements climatiques, et nous travaillons très fort pour bâtir un milieu de travail diversifié et plus sain.

[Traduction]

À titre de conclusion, permettez-moi de vous assurer qu’au fur et à mesure que nous avancerons dans notre transformation, nous relèverons les défis avec tout le sérieux et l’ambition nécessaires, compte tenu des circonstances. Après tout, la diplomatie fait partie de notre architecture sécuritaire. De plus en plus de Canadiens savent que la diplomatie est non seulement au cœur de nos intérêts, mais également de notre bien-être et de notre sécurité prospérité.

L’heure est venue d’investir et de s’adapter.

[Français]

Cela me fera plaisir de répondre à vos questions. Merci pour votre travail.

Le président : Merci beaucoup, madame la ministre.

Chers collègues, j’aimerais vous préciser que, pour le premier tour, vous disposez de quatre minutes de temps de parole, incluant les questions et les réponses.

[Traduction]

Honorables sénateurs et témoins, la concision sera de mise. Si nous avons suffisamment de temps, nous pourrons procéder à une deuxième série de questions. La ministre doit nous quitter à 12 h 30, mais son sous-ministre, David Morrison, a accepté de rester plus longtemps, au besoin.

Chers collègues, je vous prie également de ne pas vous écarter du thème de la réunion.

Le sénateur Harder : J’appuie les quatre priorités que vous avez nommées, mais j’aimerais les situer dans le contexte plus élargi de ce que font les autres ministères des Affaires étrangères.

Vous savez que le Département d’État des États-Unis a investi des montants considérables pendant les premières années de l’administration Biden, afin d’accroître ses effectifs et de renforcer le dispositif diplomatique déployé à l’étranger.

La France vient d’annoncer le recrutement de 700 nouveaux agents de son service diplomatique, soit 20 % de ses effectifs, ce qui constitue une hausse dramatique.

Je suis sûr que des fonds seront réaffectés pour réaliser le travail en cours, mais il y aura forcément de nouveaux investissements, comme vous l’avez indiqué.

Nous aimerions savoir à quoi serviront ces investissements, mais ce qui est presque encore plus important actuellement, c’est la transparence avec laquelle vous allez accroître votre présence et faire rapport publiquement et régulièrement sur le processus de transformation. Je ne pense pas que tout cela se réalisera du jour au lendemain, mais nous devons pouvoir voir ce qui se fait, comment vous renforcerez le processus de recrutement, comment vous investirez dans les langues étrangères, et voir que la politique en matière de langues officielles ne fait pas seulement l’objet de vœux pieux, mais est véritablement respectée.

Il serait bien de voir le résultat. Enfin, j’aimerais souligner que nous dépensons moins par habitant sur notre service extérieur que les pays auxquels nous aimerions nous comparer, même moins que l’Australie, et ne parlons pas de l’Allemagne. Nos dépenses ne représentent que 60 % de celles de ce pays. La réaffectation des fonds ne suffira sûrement pas. Nous devrons réaffecter des fonds pour être crédibles, mais pour être opérationnel, il faut investir.

Mme Joly : Merci. Nous pourrions en parler pendant des heures.

Je vais répondre à votre question, mais je demanderai à mon sous-ministre de fournir des renseignements sur les questions opérationnelles.

Nous avons présenté le document intitulé L’avenir de la diplomatie aux chefs de mission et au personnel à des fins de discussion, afin que tout le monde s’entende sur l’analyse des observations que nous avons recueillies et nos orientations et, par conséquent, nos priorités. Nous avons reçu d’excellents commentaires hier, et le travail effectué par votre comité au cours des prochains jours nous sera très utile.

Je ne l’ai pas indiqué dans mon discours, mais il y a un aspect clé que j’ai annoncé hier, c’est-à-dire que le plan sera chapeauté par le sous-ministre adjoint Antoine Chevrier. M. Chevrier et son équipe auront jusqu’au 1er septembre 2023 pour concevoir un plan de mise en œuvre qui tient compte des idées et des stratégies différentes.

Cela nous aidera à répondre à la question sur les investissements, c’est-à-dire ce que nous pouvons réaffecter et les crédits supplémentaires qui seront nécessaires.

J’espère que nous pourrons tous unir nos efforts pour que les Canadiens reconnaissent la valeur des investissements et les qualifient de prioritaires. Les Canadiens, tout comme les citoyens de la France ou des États-Unis, savent que le monde a changé. Ils pourront nous soutenir alors que nous effectuerons notre transformation.

C’est la première réforme majeure depuis très longtemps. La dernière remonte au début des années 1980, soit la commission McDougall. L’heure est venue de s’y attaquer, mais vous avez raison, nous devons bien faire le travail. Nous devons faire preuve de transparence et fournir des mises à jour claires. Cela fera également partie du travail effectué par M. Chevrier.

Le président : Merci, madame la ministre.

Le sénateur MacDonald : Madame la ministre, bonjour.

J’ai une question sur la façon dont nous gérons les niveaux de risque et les critères utilisés. Il existe quatre niveaux de risque. Je sais que le niveau 2 comprend des pays comme la Belgique et le Royaume-Uni, ce qui m’étonne. Je suis étonné de voir que le Royaume-Uni n’est pas classé niveau 1. Je suis également étonné de voir que la Chine est elle aussi classée niveau 2, avec la Belgique et le Royaume-Uni. Nous avons observé le comportement de la Chine à l’égard des deux Michael. Pourquoi la Chine est-elle classée niveau 2 comme le Royaume-Uni et la Belgique? J’aime bien savoir pourquoi.

Mme Joly : Monsieur le président, qu’entend-on par niveaux de risque?

Le sénateur MacDonald : Le ministère propose quatre niveaux de risques pour les voyageurs.

Mme Joly : Vous parlez des conseils consulaires, et non pas des ressources humaines ou des gens en difficulté?

Le sénateur MacDonald : Je vous parle des Canadiens qui voyagent dans d’autres pays. Je suis étonné de voir que des pays comme la Belgique, le Royaume-Uni et la France sont classés niveau 2, plutôt que niveau 1, et je suis très étonné de voir la Chine classée niveau 2. J’aime bien savoir quels sont les critères.

Mme Joly : Mon sous-ministre, David Morrison, répondra à votre question, et ensuite j’interviendrai.

David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie de la question.

Je crois que vous faites référence aux conseils que nous offrons aux voyageurs sur notre site Web. Les conseils sont le résultat de nombreux facteurs. Il y a notamment le risque politique, comme le cas des deux Michael que vous venez de mentionner, et la criminalité, tout simplement.

Je pourrais vous revenir avec une liste de tous les facteurs dont nous nous servons pour établir le niveau de risque qui est affiché sur notre site Web à l’intention des voyageurs canadiens et comment le niveau est calculé, si vous voulez.

Dans les grands pays, nous examinons aussi les régions. Il se peut qu’une région d’un pays ne soit pas dangereuse, mais qu’une autre région le soit.

Parfois, les résultats peuvent sembler contraires à la logique, j’en conviens. Je soupçonne que c’est à cause de la criminalité et des menus larcins, des risques auxquels s’exposeraient les Canadiens, plutôt que des risques auxquels étaient exposés les deux Michael. Nous pouvons certainement vous fournir la formule.

Enfin, nous évaluons régulièrement les risques et nous modifions la formule selon les circonstances.

Mme Joly : C’est une décision qui est prise en fonction des recommandations émanant du ministère; nous cherchons rarement à modifier les conseils émanant du ministère, car nous voulons être sûrs de respecter l’indépendance du processus.

Le sénateur MacDonald : Je suis étonné de voir la classification de certains pays. C’est étonnant. Merci.

M. Morrison : Nous vous fournirons les renseignements avec plaisir.

Le président : Monsieur le sous-ministre, je vous prie de fournir ces renseignements par écrit à la greffière.

La sénatrice Boniface : Madame la ministre, merci à vous et à votre personnel d’être des nôtres. Vos fonctionnaires sont venus témoigner plusieurs fois. Nous les remercions de leur aide dans le cadre de notre étude.

Je voudrais en savoir plus sur la maîtrise des langues étrangères, qui est un problème. Selon les renseignements fournis par AMC, un tiers des postes à l’extérieur du Canada exige la maîtrise d’une langue étrangère, et la formation linguistique est offerte avant le déploiement. Nous avons aussi appris que seulement 70 % des employés ont acquis la maîtrise exigée au bout de la formation linguistique.

AMC a-t-il des renseignements sur le nombre d’agents du service extérieur qui maîtrisent la langue étrangère et de ceux qui ont le niveau exigé? Quelles langues sont les plus difficiles? Quel effort faites-vous pour recruter des personnes qui pourraient déjà maîtriser des langues étrangères?

Mme Joly : Merci, sénatrice.

AMC sait qu’il doit se pencher sur ce problème. Il fait partie de la première priorité, à savoir investir dans les employés, notamment en ce qui concerne la maîtrise des langues étrangères.

Il se peut que M. Morrison ou M. Lévêque puisse vous indiquer comment nous allons relever le défi au sein du ministère.

M. Morrison : Je me lance, mais notre cheffe des ressources humaines est ici.

Les langues les plus difficiles? Ce serait le chinois, le japonais, l’arabe et le russe, l’ensemble qui, depuis le début, semble exiger beaucoup plus d’investissement que l’espagnol ou le portugais, par exemple.

C’est en partie fondé sur les coûts; c’est très cher. Hier, à notre réunion des chefs de mission, j’ai rencontré quelqu’un qui suivait une formation individuelle en allemand. Pour les raisons que vous pouvez imaginer, c’est très cher. Après un an de formation linguistique, il part pour l’Allemagne.

Je suis convaincu que les meilleurs efforts se font pendant l’année; si la personne n’arrive pas à être parfaitement bilingue, le ministère l’envoie quand même, en partie dans l’espoir que, là-bas, elle persévérera.

L’essentiel est de ne pas exiger que l’objectif soit intégralement atteint avant le départ.

Je travaille au ministère depuis longtemps, et c’est beaucoup mieux qu’avant. J’ai reçu six semaines de formation en espagnol avant d’être envoyé à Cuba, où personne ne parlait anglais. Il fallait bien s’en tirer tout seul; l’apprentissage n’a pas traîné, et ça m’est resté. C’est beaucoup mieux maintenant qu’avant.

Les statistiques qui circulent nous font plus mal paraître que d’autres ministères des affaires étrangères. Ce serait un problème de dénominateur. Les meilleurs ou ceux qui obtiennent les meilleurs pointages voudraient encore obtenir au moins 50 % de plus; nous, au moins 35 ou 36 %. C’est donc un problème de math. Mais, globalement, nous nous sommes beaucoup améliorés.

Mme Alexander pourrait en dire davantage.

Le président : Madame Alexander, désolé de vous interrompre, mais nous sommes à quatre minutes, et je tiens à poursuivre. Le sujet pourrait se présenter de nouveau si ça se passe bien.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Tant de questions et si peu de temps. Je poserai une question à la ministre. Je vous remercie tous d’être ici.

Par le passé, nous avons eu le bonheur d’écouter certains de nos prédécesseurs, particulièrement MM. Axworthy et Clark. Comme on pouvait s’y attendre, ils nous ont communiqué beaucoup de renseignements ainsi que leurs points de vue, mais les deux ont souligné l’importance d’assurer une certaine permanence à ce ministère, vu le problème causé par les nombreux changements de gouvernement dirigé par divers chefs, depuis à peu près 15 ans. En fait, ils ont été étonnamment nombreux.

Avec cette idée en tête, j’ai deux questions pour vous. Êtes‑vous également préoccupée et, dans l’affirmative, comment faire entrer dans la norme des mandats plus longs, compte tenu du sujet de l’entrée en matière de votre déclaration — les réalités et les pressions politiques pendant la durée d’un gouvernement?

Mme Joly : À ma nomination aux Affaires étrangères, j’ai conféré avec bon nombre de mes prédécesseurs, de Joe Clark à John Baird, en passant par Pierre Pettigrew et Jean Chrétien. Nous avons alors tous abouti à la même conclusion, c’est-à-dire qu’un mandat ministériel plus long est vraiment utile. Pourquoi? Parce que c’est une tendance dans beaucoup de pays qui ne sont pas nécessairement des démocraties.

De plus, ce ministère est très exigeant. Il ne voit jamais le soleil se coucher. Actuellement, il affronte une crise nouvelle tous les mois. Je me rappelle qu’on m’avait prédit que la première crise me définirait. La guerre en Ukraine ne figurait pas dans ma lettre de mandat. En même temps, la région indo‑pacifique, la crise au Soudan et l’Iran ont beaucoup focalisé l’attention. Il survient toujours des crises. La stabilité est utile.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Sautons rapidement au rapport et aux recommandations. Ce matin, on pouvait lire un excellent article dans le Financial Post. Je songe davantage à l’examen et à la fin prochaine de notre étude. Comment prévoyez-vous en intégrer les conclusions dans le travail de votre ministère? Comment se compléteront-ils? J’ai entendu dire que la mise en œuvre était prévue pour le 1er septembre. Nous serons alors seulement en train de mettre la dernière main à l’étude. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Mme Joly : Vous avez été en contact avec beaucoup de personnes qui travaillent à façonner l’avenir de la diplomatie. Vos recommandations, si vous en avez déjà, seront utiles. Bien sûr, nous tiendrons compte de votre rapport. Il est extrêmement important.

L’objectif est que cette réforme ne soit pas partisane et qu’elle porte la marque des plus beaux esprits. Nous nous sommes adressés à beaucoup d’anciens chefs de mission, d’universitaires et, bien sûr, à vous, les sénateurs. Ça vaut la peine pour vous d’être en contact avec mon cabinet, avec Caroline Séguin, ma collaboratrice, et, également, avec Alexandre Lévêque et Antoine Chevrier. Ce serait une excellente idée. En fin de compte, le plan de mise en œuvre sera prêt pour le 1er septembre, mais nous pouvons aussi retoucher certaines des recommandations d’après certains éléments d’information que, par exemple, vous voudriez mettre en évidence.

Le sénateur Woo : Merci, madame la ministre. D’après des tendances récentes, il me semble que l’avenir de la diplomatie, comme vous l’appelez, sera moins de carottes plus de bâtons, c’est-à-dire plus de sanctions, des sanctions tout en finesse, plus de minilatéralisme que de multilatéralisme, une primauté plus grande accordée aux alliances — c’est-à-dire aux amis — qu’au droit entendu dans le sens traditionnel de la primauté du droit et une priorité plus grande à la projection militaire qu’à la projection diplomatique.

Qu’en pensez-vous? D’accord, nous avons besoin de réfléchir à l’avenir de la diplomatie et besoin d’un ministère qui peut nous y conduire, mais je me demande si nous ne nous égarons pas en allant dans une direction différente qui nous éloigne de la diplomatie.

Mme Joly : Je rejette votre hypothèse pour différentes raisons. D’abord, l’objectif ultime du Canada, comme de l’immense majorité des pays, est la stabilité et la paix. C’est notre objectif.

Différents pays remettent en question, par l’entremise d’organisations multilatérales ou bilatérales et dans différents contextes, les règles qui assurent notre sécurité depuis 75 ans. Nous devons bien les défendre par des moyens diplomatiques et réduire les risques de tensions géopolitiques. Voilà pourquoi le Canada doit davantage être présent à l’ONU, où on discute de cette question, où nous défendons nos positions sur les normes internationales, où, également, on élabore de nouvelles normes, particulièrement en ce qui concerne l’intelligence numérique et artificielle et où on discute même de questions climatiques. Les données montrent que le Canada prend beaucoup moins sa place que d’autres pays. Je l’affirme parce que nous devons nous engager davantage à l’égard du multilatéralisme, nous devons accroître notre présence à l’ONU, non seulement à New York, mais également à Vienne, à Rome, à Nairobi et dans les différentes administrations centrales des diverses sections de l’ONU.

Nous devons également savoir tenir compte du fait que, oui, le G7 est important, mais il y a une frustration croissante dans les pays qui ne font pas partie du G7 en ce qui concerne ces règles. Il faut entendre leur appel au changement. C’est pourquoi nous devons investir dans certains pays du G20 et dans certains pays stratégiques clés. Vous me verrez ouvrir des ambassades — tout comme le premier ministre — et effectuer des visites bilatérales dans le monde entier.

J’ai visité plus de 35 pays au cours des 18 derniers mois, sur tous les continents. Nous devons absolument le faire, parce que je crois profondément que la diplomatie est le meilleur moyen, en fin de compte, de préserver notre sécurité.

Le sénateur Woo : Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci, encore une fois, madame la ministre. Ma question porte sur la stratégie à long terme d’Affaires mondiales Canada au Moyen-Orient, en particulier dans le contexte du changement climatique, des migrations et de notre dépendance énergétique.

Le Canada a récemment repris ses relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite après une querelle de cinq ans. Pouvez‑vous nous dire comment cette reprise pourrait renforcer notre présence dans cette région cruciale ou l’influencer, compte tenu de l’instabilité constante et des conflits qui font rage dans la région telle que la crise au Soudan, celle au Yémen et plus généralement, des interactions croissantes de l’Arabie saoudite avec l’Iran et, dans un sens plus large, de ce qui se passe en Libye et dans d’autres pays du Moyen-Orient?

Mme Joly : Votre question est évidemment très pertinente. Nous constatons que les plaques tectoniques de la géopolitique se déplacent. C’est sans contredit un endroit de la planète où cela s’observe.

En ce qui concerne la situation au Soudan, j’ai eu quelques conversations avec mon homologue saoudien. Lorsque je me suis rendue au Kenya, mon objectif était de m’assurer que nous pouvions trouver un moyen de contribuer à donner une voix civile au peuple soudanais, tandis que les États-Unis et l’Arabie saoudite travaillaient davantage à l’obtention d’un cessez-le-feu et à l’enclenchement d’un processus de paix. Nous essayons de contribuer à la paix dans la région, d’autant plus que nous ne voulions pas que le conflit soudanais devienne le second théâtre d’un conflit beaucoup plus internationalisé. C’est pourquoi nous avons travaillé ensemble ici.

Mon homologue koweïtien est venu au Canada récemment. C’était la première fois en 20 ans que le ministre des Affaires étrangères du Koweït venait ici. Nous travaillons avec le Koweït à la question des frontières maritimes. J’ai également eu de nombreuses conversations avec mes homologues de la région du Golfe et, bien sûr, avec mes homologues israéliens et palestiniens.

Le Moyen-Orient est une région importante pour nous. Nous voyons actuellement une bataille d’influence se jouer entre l’Occident, la Chine et la Russie. Les différents champs de bataille, les champs diplomatiques, sont l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient. C’est pourquoi nous devons nous mobiliser et nous montrer présents. Nous avons beaucoup d’alliés et d’amis dans la région. Vous pouvez compter sur moi pour veiller à ce que ces relations soient nourries et entretenues.

Le sénateur Ravalia : Je suppose qu’on reproche à Affaires mondiales Canada d’avoir tendance à trop se concentrer sur l’Europe et sur nos alliances historiques, puis de maintenir une présence plutôt anémique en Afrique et de trop peu s’intéresser aux enjeux propres au Moyen-Orient et à l’Afrique, tels que les grandes migrations, les migrations climatiques et la situation des personnes coincées à divers endroits. Est-ce qu’une partie de la stratégie du ministère sera consacrée à cette région névralgique?

Mme Joly : Oui, nous nous concentrons beaucoup sur l’Europe depuis des années, ainsi que sur les États-Unis, mais nous avons effectué un virage vers l’Ouest récemment avec le plus grand investissement en politique étrangère depuis la chute du mur de Berlin dans la Stratégie pour l’Indo-Pacifique.

En ce qui concerne l’Afrique, nous venons de nommer pour la première fois un représentant permanent auprès de l’Union africaine. Nous nous apprêtons aussi à ouvrir une première ambassade au Rwanda, et d’autres mesures seront annoncées. Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, madame la ministre.

Merci et bienvenue à toute l’équipe qui est déjà habituée à ce comité.

Madame la ministre, je vais commencer par saluer vos différents séjours en Afrique récemment. On n’a pas vu cela depuis très longtemps.

Je salue également la nomination de Ben Marc Diendéré comme premier observateur canadien à l’Union africaine. Cela démontre un retour imminent, on l’espère, de notre pays dans ce continent, surtout à l’Union africaine qui représente les 55 États africains qui sont membres de cette organisation panafricaine.

Ma question va porter sur les employés qui travaillent localement, qui sont recrutés localement dans nos ambassades dans le monde.

Je suis ravie d’apprendre que la priorité de votre plan est le personnel. Nous connaissons le rôle que jouent les employés recrutés sur place (ERP) dans les ambassades, ces ERP qui représentent 80 % de nos effectifs dans les ambassades et qui en constituent un peu l’épine dorsale parce qu’ils sont enracinés, ils connaissent le contexte, ils parlent les langues locales, etc.

Néanmoins, ces mêmes ressources ont démontré qu’elles ont un statut précaire. Leurs conditions ne sont pas les mêmes que celles des employés qui sont expatriés. Des rapports ont montré qu’il y avait du racisme.

Dans ce plan que vous annoncez aujourd’hui, madame la ministre, comment comptez-vous améliorer l’attractivité, le maintien et la promotion de ces ressources?

Mme Joly : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Nous avons dû gérer l’impact de notre approche traditionnelle, à Affaires mondiales Canada, avec le personnel engagé localement lorsque le temps est venu d’évacuer les gens de Kiev, lors des premiers jours de l’invasion illégale de la Russie, et aussi au Soudan. On a décidé d’adopter une approche nouvelle, qui était essentiellement d’évacuer les gens, de donner le choix au personnel engagé localement de quitter le pays, ce qui n’était pas le cas auparavant.

De plus, l’obligation qu’Affaires mondiales Canada a habituellement à l’égard de ce personnel n’est pas la même que pour les diplomates. L’obligation de diligence ne s’applique pas, techniquement, au personnel engagé localement. J’ai décidé de changer cette approche en temps de crise, et c’est pour cela que nous avons évacué le personnel en question.

En ce qui concerne la précarité des emplois du personnel, cela fait partie des points que nous avons cernés, sur lesquels nous allons travailler. Il y a plusieurs idées très novatrices qu’on évalue en s’inspirant notamment de ce qui se passe aux États‑Unis ou ailleurs en Europe sur le plan de la capacité de ces gens à éventuellement venir au Canada, pour travailler, mais aussi pour que l’on puisse leur offrir des salaires et des avantages sociaux décents. C’est certainement quelque chose que mon sous-ministre, David Morrison, a à cœur et sur quoi il travaille.

Comme dernier point, je pourrais vous dire que lorsque j’ai rencontré les Ukrainiens ou les Soudanais qui ont été évacués, que ce soit lorsque j’étais en Pologne ou au Kenya, dans les deux cas, je pense que leur réaction a été extrêmement positive. Je pense que cela fait partie d’une nouvelle philosophie, d’une nouvelle approche qu’on peut adopter pour faire en sorte que tout être humain qui travaille pour nous ne soit pas tenu pour acquis et soit bien soutenu.

Le président : Merci, madame la ministre.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Bienvenue à vous et à vos collègues.

J’ai une question, mais je veux d’abord comprendre votre réponse à la sénatrice Deacon sur la façon dont vous utiliserez notre étude. Si j’ai bien compris, vous avez dit que ce serait bien si nous pouvions vous envoyer des observations et des recommandations provisoires avant que vous ne commenciez — en fait, probablement dès maintenant si vous avez jusqu’au début septembre pour dévoiler votre feuille de route. C’est la première chose.

Ma question porte sur vos deux premiers domaines d’intervention : le personnel et l’expertise en matière de politique publique, deux domaines intimement liés et tellement importants, bien sûr. Vous dépendez de vos talents. J’ai une question à vous poser sur votre stratégie pour attirer, retenir et accroître la main-d’œuvre. Nous avons déjà parlé des efforts pour accroître la main-d’œuvre. Nous savons qu’ils sont essentiels. C’est un incontournable. Nous avons besoin d’une main-d’œuvre robuste, et ma question à ce sujet consiste à savoir s’il y a une volonté politique en ce sens. En ce qui concerne la rétention, nous savons qu’il y a un fort taux de roulement. Vous avez parlé de culture. Y a-t-il d’autres choses que vous allez faire pour retenir vos employés? Enfin, en ce qui concerne les efforts pour attirer de la main-d’œuvre, que comptez-vous faire de nouveau ou de différent pour attirer les jeunes professionnels, mais aussi pour aller chercher de nouvelles compétences en matière de politique publique et recruter des professionnels chevronnés de partout au Canada, d’autres secteurs et d’autres ministères?

Mme Joly : Merci, c’est une bonne question. Je vais y répondre, après quoi je passerai la parole à M. Morrison.

Oui, il y a une volonté politique d’accroître la main-d’œuvre, parce que nous ouvrons de nouvelles ambassades. Vous pouvez constater que le train est déjà en marche, et nous allons aussi embaucher de nouveaux employés pour le déploiement de la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, dans la région ainsi qu’à Ottawa. Nous sommes aussi en train de mettre sur pied un bureau de la Chine, qui nous permettra de mieux comprendre la façon dont la Chine analyse les enjeux et agit, non seulement à Ottawa, mais dans l’ensemble du réseau diplomatique, comme nous le faisons pour les États-Unis. Nous estimons avoir le meilleur Bureau des États-Unis au monde, et nous voulons affiner nos connaissances.

M. Morrison pourra vous parler de la rétention.

Pour le reste, nous voulons ouvrir de nouvelles portes pour attirer de la main-d’œuvre, et pour répondre à la question du sénateur MacDonald sur le risque, nous savons composer avec le risque et nous y devenons de moins en moins réfractaires; nous sommes en train de créer un réseau stratégique ouvert pour recueillir les points de vue de différents universitaires qui travaillent dans les différents domaines de la politique étrangère au pays.

M. Morrison : En ce qui concerne la rétention, nous avons une main-d’œuvre très complexe. Au service extérieur, notre taux d’attrition est nettement inférieur à ceux de nos comparables dans le reste de la fonction publique.

Aux postes plus communs, plus comparables à ceux qu’on trouve ailleurs dans la fonction publique, il est légèrement plus élevé. C’est la raison pour laquelle vous avez vu dans les médias des articles sur les gens qui quittent Affaires mondiales Canada. L’astuce consistera à créer des parcours de carrière et des emplois intéressants pour les personnes qui ne travaillent pas dans la fonction publique, parce que c’est là que se situe le problème de rétention; Vera Alexander, sous-ministre adjointe déléguée aux ressources humaines, est ici; nous avons diagnostiqué le problème et nous sommes en train de le résoudre.

La sénatrice R. Patterson : Il y a une autre question qui m’a traversé l’esprit, mais je vais maintenir le cap. Ma question concerne l’ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité, Jacqueline O’Neill, et son bureau. Il s’agit d’un poste assez récent, et comme elle a été nommée pour un second mandat, on peut s’interroger sur l’avenir de ce poste et sur le financement permanent qui y sera attaché. Cette question comporte deux volets. Le premier concerne votre vision de l’évolution de ce bureau comme structure permanente, quel que soit l’échéancier des gouvernements. Le deuxième volet concerne le troisième plan d’action national du Canada sur les femmes, la paix et la sécurité. Où en sommes-nous à ce chapitre? Cela rejoint votre mise à jour sur l’Avenir de la diplomatie. Le Canada est un pionnier dans le domaine des femmes, de la paix et de la sécurité. Dans le cadre de vos efforts axés sur le personnel, la politique et la présence, comment cette vision sera-t-elle mieux intégrée à votre service extérieur, à sa représentativité?

Mme Joly : Nous voulons nous assurer que l’ambassadrice O’Neill et son équipe pourront poursuivre leur travail en étant intégrées au sein d’une structure permanente. En outre, nous cherchons sans cesse à améliorer notre politique étrangère féministe.

Pour ce qui est du lien avec notre initiative sur l’avenir de la diplomatie, j’ai parlé d’une culture de priorités. Parmi ces priorités, on retrouve notre programme féministe et les différents efforts déployés pour les femmes, la paix et la sécurité. Nous souhaitons donc continuer de montrer la voie à suivre en la matière.

Nous désirons par ailleurs améliorer les données à notre disposition pour pouvoir mieux travailler dans le sens de nos objectifs stratégiques. Il va de soi que j’ai discuté de la question avec M. Morrison et Cindy Termorshuizen, sa sous-ministre, dans le contexte des opérations du ministère. C’est ainsi qu’en améliorant nos connaissances de ces enjeux et en veillant à rendre publiques les données à ce sujet, nous pourrons continuer de mettre en valeur l’importance de notre programme féministe.

Je vous remercie.

Le président : Madame la ministre, je voudrais vous poser une question qui va un peu dans le sens de certaines autres auxquelles vous avez répondu.

Vous assistez à de nombreuses réunions. Vous avez des échanges bilatéraux et toutes sortes d’activités semblables qui, à mon souvenir, vous amènent bien souvent à passer beaucoup de temps à attendre que certaines choses se produisent, sans vraiment pouvoir y faire quoi que ce soit.

Mme Joly : Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est bien souvent le cas.

Le président : Je sais, mais vous vous retrouvez assise avec des homologues représentant des pays et des gouvernements qui procèdent à des examens semblables.

Vous arrive-t-il d’avoir l’occasion — je pense tout particulièrement au G7, car je connais un peu ce contexte — de discuter avec vos homologues de certaines de ces questions touchant la démocratie, les structures gouvernementales et les ressources humaines? Tout le monde doit composer avec ces enjeux, et vous avez eu de nombreuses rencontres au cours de la dernière année, surtout compte tenu de ce qui se passe en Ukraine.

Je serais simplement curieux de savoir ce que vous pouvez nous dire à ce sujet.

Mme Joly : Tout dépend bien sûr du temps écoulé depuis que les différents ministres des Affaires étrangères sont en poste. Certains d’entre eux sont là depuis longtemps et ont tendance à moins vouloir transformer leur ministère. Ceux qui viennent d’entrer en fonction vont souvent vouloir changer différentes choses afin d’améliorer les structures en place pour les rendre beaucoup plus pertinentes.

J’ai notamment eu des conversations avec mon homologue française. La réforme a été initiée par le ministre qui l’a précédée, et elle s’emploie maintenant à la mettre en œuvre, mais cela se fait en collaboration directe avec le Quai d’Orsay et les Champs-Élysées. C’est donc un effort conjoint du ministère des Affaires étrangères et des plus hauts dirigeants du pays.

J’ai aussi pu en parler avec Antony Blinken. J’ai été nommée à ce poste à la fin d’octobre 2021, et M. Blinken annonçait dans une allocution un mois plus tard les mesures qu’il comptait prendre pour moderniser le ministère que lui avait légué l’administration Trump. Voilà maintenant 18 mois que je suis en poste et un an que j’ai lancé cette initiative, ce qui m’apparaît correspondre à l’échéancier suivi par d’autres ministres dans la même position, car il faut prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses.

L’Allemagne a aussi procédé à une réforme, mais je pense que cela remonte à un certain nombre d’années déjà — peut-être cinq ans —, et j’ai l’impression que mes homologues s’efforcent plutôt maintenant de composer avec les différents événements qui ont cours sur la planète. Essayer de faire les deux à la fois tiendrait en fait du sport extrême.

À titre de ministre des Affaires mondiales, j’ai de nombreuses priorités. Je dois décider à quoi je vais consacrer mon temps et mon énergie, sans compter que je dois également m’assurer de bien représenter les gens de ma circonscription d’Ahuntsic-Cartierville. Il n’en demeure pas moins que j’ai la responsabilité de nos affaires étrangères, et que j’estime nécessaire que nous accomplissions ce travail. Nous devons profiter de l’occasion qui s’offre à nous, et vous n’allez pas manquer de constater chez moi toute la volonté politique nécessaire pour que cette réforme soit menée à bien.

Le président : Merci beaucoup, madame la ministre.

Comme la ministre devra nous quitter dans trois minutes à peine, je proposerais que nous passions dès maintenant à la seconde portion de notre séance avec le sous-ministre Morrison. Si cela convient au comité, il serait sans doute préférable de procéder ainsi, plutôt que d’enchaîner trop rapidement les questions et de compliquer les choses. Est-ce que tout le monde est d’accord?

Des voix : D’accord.

Le président : Madame la ministre, au nom de tous les membres du comité, je tiens vraiment à vous remercier d’avoir été des nôtres aujourd’hui.

Mme Joly : C’est moi qui vous remercie.

Le président : Vos collaborateurs et vous-même êtes les derniers témoins principaux que nous allons entendre. Je crois que l’on pourra constater différents recoupements entre le rapport que nous allons rédiger et le travail que vous accomplissez à l’interne. Je sais en outre qu’il nous sera possible, comme l’ont indiqué les sénatrices Deacon et Coyle, de vous proposer notre contribution. Nous allons y voir.

Mme Joly : Tout à fait. Si vous le permettez, monsieur le président, j’aimerais aussi vous remercier de faire cet important travail. Ce n’est pas une mince tâche, et c’est la raison pour laquelle les gens ne s’y attaquent habituellement pas. Tout bien considéré, je crois toutefois que cela sera profitable aussi bien pour Affaires mondiales Canada que pour les Canadiens en général. Il est bien certain que si je peux compter sur votre appui, il m’est encore plus facile de faire valoir mes arguments auprès de mon propre patron ainsi que de l’ensemble des décideurs. Merci beaucoup.

Le président : Merci, madame la ministre.

Nous passons maintenant à notre second tour de questions.

La sénatrice M. Deacon : J’aimerais que l’on revienne à ce qui a été dit précédemment.

Nous avons traité des moyens à prendre pour valoriser les employés et maintenir le personnel en poste. Lors de notre dernière séance, on nous a souligné à maintes reprises que les ministères travaillent de façon cloisonnée — on l’a exprimé différemment, mais c’est essentiellement le problème — et qu’il faudrait que chacun comprenne mieux ce que font les autres.

Nos agents du service extérieur nous ont notamment recommandé d’envisager la solution que peut représenter le travail dans différents ministères. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Il va de soi que cela exige un certain effort. Est-ce une avenue qu’Affaires mondiales Canada pourrait emprunter pour contribuer à améliorer les communications et à mettre en commun l’expertise avec les autres ministères?

M. Morrison : Je pense que c’est une excellente idée. J’ai la ferme conviction que l’époque où les ministères des Affaires étrangères avaient le monopole des relations internationales pour le Canada est depuis longtemps révolue. Il suffit en effet de considérer le dossier le plus actif actuellement au Canada dans le domaine de la politique étrangère, soit celui des minéraux critiques. Le ministère responsable est Ressources naturelles Canada.

Toutes les questions relatives au changement climatique sont également au cœur de notre politique étrangère. Dans ce cas-là, c’est Environnement et Changement climatique Canada qui est responsable.

Affaires mondiales Canada doit donc absolument préconiser les échanges avec les autres ministères.

Je dois préciser que je suis d’une certaine manière moi-même arrivé au gouvernement par une voie horizontale. Cindy Termorshuizen a amorcé sa carrière au ministère de la Défense nationale. Elle est maintenant ma principale adjointe. Elle n’a pas été agente permutante des services extérieurs à son arrivée à Affaires mondiales Canada. Elle est tout de suite devenue notre ambassadrice adjointe à Pékin, et elle est maintenant sous‑ministre adjointe. Le premier ministre l’a récemment désignée comme étant sa nouvelle sherpa pour le G7.

Je crois vraiment que le cheminement de carrière de Cindy — un peu comme le mien, dans une moindre mesure — ne devrait désormais plus être l’exception, mais plutôt la règle.

La sénatrice M. Deacon : Ce sera alors la clé avec la pollinisation croisée qui permettra d’utiliser les compétences disponibles dans différents domaines.

Il faut aussi considérer dans ce contexte la question des conjoints et conjointes. Les ménages doivent désormais compter sur deux revenus. C’est une réalité qui a évolué au fil des ans, si bien que maintenant les deux conjoints travaillent et poursuivent une carrière chacun de leur côté. Nous avons déjà discuté de cet enjeu. Si nous voulons recruter les meilleurs éléments possible, comment pouvons-nous y arriver en tenant compte de la situation du conjoint ou de la conjointe qui peut alors devoir quitter son emploi pour suivre l’autre? Nous voulons qu’ils puissent continuer à faire équipe ensemble.

Comment pouvons-nous convaincre ces familles en offrant le soutien nécessaire à celui des deux conjoints qui doit faire un sacrifice semblable? Qu’en pensez-vous?

M. Morrison : Je peux vous dire que nous avons beaucoup réfléchi à cette question. Celle-ci se posait déjà lorsque je suis arrivé au service extérieur il y a 30 ans. Même à l’époque, la nécessité de pouvoir compter sur deux revenus était bien réelle pour les familles.

J’ai déjà eu l’occasion de demander aux militaires américains quel était le principal défi stratégique qu’ils avaient à relever. On ne m’a pas parlé d’une guerre sur deux fronts à la fois, mais plutôt de l’emploi des conjoints, étant donné le grand nombre de déménagements exigé des militaires. La solution à cette problématique est loin d’être évidente.

Je pense que la COVID nous offre vraiment une possibilité qui ne se présente qu’une fois par génération. La pandémie a en effet permis de démontrer que le travail à distance donne de bons résultats. Si j’en crois mon expérience personnelle, j’estime que le gouvernement fédéral est un employeur qui se préoccupe beaucoup du bien-être familial. Pour un nombre croissant d’employés travaillant à l’étranger, le ministère d’attache du conjoint qui doit suivre l’autre autorise — pourvu que les deux soient des fonctionnaires — le travail à distance depuis n’importe quel endroit au monde.

J’ai découvert l’autre jour que notre chargé de dossier pour la Norvège vit à Washington. C’est l’ambassadeur de la Norvège qui me l’a appris. Je me suis demandé comment cela pouvait fonctionner. En fait, la personne en question est mariée à un employé de notre ambassade à Washington, et ce sont les arrangements qui ont été faits.

Il n’y a pas de solution miracle, mais les possibilités sont maintenant meilleures qu’elles l’étaient auparavant.

Le sénateur MacDonald : Je veux revenir à une question posée par la sénatrice Boniface concernant la formation linguistique pour le service extérieur.

Je peux certes comprendre les raisons pour lesquelles on voudrait pouvoir compter au service extérieur sur une personne maîtrisant la langue du pays hôte. C’est tout à fait compréhensible.

Affaires mondiales Canada offre quelque 1 300 postes à l’étranger, et le tiers de ces postes exigent une maîtrise de la langue du pays d’accueil. Il y a tellement de communautés linguistiques dans ce pays.

Quand je pense à toutes ces communautés linguistiques que nous avons maintenant au Canada, je me demande s’il ne serait pas plus efficient et moins coûteux de recruter des gens au sein de ces communautés, plutôt que de voir quelqu’un essayer d’apprendre une de ces langues en partant de zéro, d’autant plus que certaines d’entre elles sont particulièrement difficiles.

M. Morrison : Tout à fait.

Le sénateur MacDonald : Déployez-vous des efforts en ce sens?

M. Morrison : Oui, et c’est d’ailleurs indiqué dans le rapport. C’est exactement ce que nous comptons faire, pour les raisons que vous avez évoquées.

Le Canada est un pays extraordinairement diversifié du point de vue linguistique. Tous ceux qui ont travaillé dans le secteur diplomatique vous diront à quel point il est extrêmement avantageux de parler la langue du pays.

Il y a un lien avec la question à laquelle nous venons de répondre concernant les cheminements de carrière qui vous font passer d’Affaires mondiales Canada aux autres ministères, et vice versa. Il fut un temps où le ministère — qui s’appelait alors Affaires étrangères ou Affaires extérieures — était en quelque sorte une congrégation. La seule façon d’y entrer, c’était en passant par le bas de l’échelle. Les gens suivaient des formations. Une telle façon de faire n’est tout simplement plus possible ni recommandée.

Nous indiquons dans notre rapport que le ministère doit être intrinsèquement ouvert, c’est-à-dire non seulement aux échanges entre experts stratégiques, mais aussi aux transferts horizontaux, y compris en milieu de carrière et à la suite de parcours non traditionnels. Il est tout simplement illogique de dépenser des sommes faramineuses pour permettre à des gens d’atteindre un niveau de maîtrise du chinois qui, il faut bien l’avouer, ne leur permet pas de s’exprimer facilement dans cette langue. Je dois donc répondre par l’affirmative à votre question.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’aimerais vous entendre parler un peu de la place des femmes noires dans les postes de direction. Au cours de notre étude, ici, des témoins que nous avons rencontrés, notamment vos champions de la diversité, ont indiqué qu’AMC était dans le peloton de tête mondial en matière d’égalité de genres.

Toutefois, les femmes issues des minorités visibles n’ont pas les mêmes chances. En effet, on estime que parmi les 7 000 cadres supérieurs que compte l’institution, il n’y en a que 2 % qui sont dans des postes de haute direction. Qu’est-ce qui sera fait, dans le cadre de ce plan, pour veiller à ce qu’il y ait davantage de femmes noires qui accèdent aux postes de cadres supérieurs?

M. Morrison : Merci pour la question, madame la sénatrice. On a beaucoup de travail à faire. Je crois que les Canadiens veulent avoir un ministère qui représente le Canada et toute sa diversité. On a fait des progrès au cours des dernières années, mais il reste beaucoup de travail à accomplir.

[Traduction]

Je vais passer à l’anglais, car je pense qu’il est important que le comité comprenne bien que nous nous penchons sur la question avec tout le sérieux nécessaire.

Cette congrégation dont je parlais était en grande partie formée d’hommes blancs anglophones. Les choses ont changé avec le temps. Nous tenons actuellement notre réunion mondiale des chefs de mission. Les femmes compteront pour 53 % de nos ambassadeurs cette année alors que la proportion de francophones sera de 36 %. Si je me souviens bien de l’allocution que j’ai prononcée hier, il y a 16 % de personnes déclarant faire partie d’une minorité visible, 6 % de personnes handicapées et aucun Autochtone. Disons simplement que ces chiffres auraient été bien différents il y a une dizaine d’années.

Vous avez évoqué la situation tout à fait particulière des Afro‑Américaines. Nous n’avons pas de ventilation précise concernant les femmes appartenant à cette catégorie, ce qui montre bien qu’il y a tout lieu d’améliorer nos statistiques.

Je dois cependant vous dire une chose à ce sujet. Nous avons mis à l’essai l’an dernier un programme permettant de faire progresser des employés jusqu’au niveau le plus élevé pouvant donner accès à des postes de direction. Avec le parrainage du sous-ministre, nous venons tout juste de promouvoir une première cohorte constituée de 10 personnes d’origine afro‑américaine. Deux de ces personnes seront déployées comme ambassadeurs cette année, et nous allons reconduire le programme pour un deuxième exercice. Il s’agit de mettre en place, tout au moins partiellement, la filière nécessaire, ce que nous sommes déterminés à faire. Je ne sais pas s’il y a une femme parmi ces deux nouveaux ambassadeurs.

Vera Alexander, sous-ministre adjointe associée, Ressources humaines, Affaires mondiales Canada : Il y a une ambassadrice qui fait partie des minorités visibles, et l’autre est un homme de race noire.

La sénatrice Boniface : Merci encore d’être des nôtres aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants pour vos réponses franches.

Comme nous avons pu en discuter, je crois, lors de votre dernière comparution, je m’intéresse particulièrement à cette question de la culture réfractaire au risque dont le National Post a fait état dans son article d’hier. On semble indiquer que votre initiative va permettre de faire le nécessaire à ce chapitre, comme nous n’avons pas manqué d’en discuter sur cette tribune.

On a notamment l’impression que les institutions se sentent en quelque sorte un peu remises en question, et ce, dans l’ensemble du gouvernement.

En présumant que ce que l’on nous rapporte est exact, j’aimerais que vous nous en disiez plus long sur la façon dont vous comptez opérer le changement de culture nécessaire, ce qui est loin d’être une mince affaire au sein d’une organisation. Où vous situez-vous à ce moment-ci?

M. Morrison : Merci pour cette excellente question.

Dans un premier temps, vous noterez que nous n’avons annoncé hier aucun changement organisationnel. Je crois pourtant que certaines modifications s’imposent. Nous comptons 16 directions générales, un nombre qui m’apparaît trop élevé pour une organisation de notre taille.

On m’a fait valoir et finalement convaincu que si on commence par un changement organisationnel, les gens pensent que c’est tout ce qu’il y avait à faire et que le processus de changement est terminé.

La sénatrice Boniface : Tout à fait.

M. Morrison : Nous débutons donc par le changement de culture. J’ai beaucoup parlé hier dans mon allocution des difficultés associées à une transformation semblable. Cela exige du leadership. Il faut que la haute direction montre la voie à suivre. Il est nécessaire d’établir des normes culturelles et d’en faire des cibles dont on ne peut dévier. Il faut pour ce faire récompenser les comportements qui vont dans le sens des normes ainsi établies et demander des comptes à ceux qui s’en écartent.

En essayant de devenir moins réfractaires au risque — ou en devenant moins réfractaires au risque —, nous deviendrons une organisation beaucoup plus souple et nettement mieux apte à réagir rapidement et à apprendre de ses expériences. C’est ce qui explique ma réponse à vos questions concernant l’éventuelle intégration de vos constats. Je ne veux pas qu’on attende 40 ans pour faire une autre étude. Le monde va tellement changer d’ici à ce que nous ayons fini de mettre en œuvre les mesures proposées que tout cela sera une perte de temps si notre organisation ne sort pas de cet exercice avec une meilleure capacité d’apprentissage. Le changement de culture est à la base de tout cela.

Nous précisons dans le document qu’il nous faut nous montrer moins intolérants au risque pour ce qui est aussi bien de nos approbations — il y a trop de gens de différents niveaux qui doivent apposer leur signature pour des choses insignifiantes — que de notre volonté de mener des consultations aussi inclusives que possible alors que cela ne fait que nous ralentir.

Ce ne sont pas des résultats qui sont faciles à obtenir. Nous savons ce qu’il nous faut changer. Je constate un grand intérêt à cet égard au sommet de l’organisation ainsi qu’au bas de l’échelle, alors qu’entre les deux, c’est encore plutôt mitigé. C’est là où nous devons concentrer nos efforts.

Le sénateur Harder : Je vous remercie de votre franchise. Je trouve agréable de vous entendre parler du processus que vous avez entrepris.

Il y a des questions que je veux examiner. Vous parlez beaucoup de transfert et de recrutement horizontaux. J’aimerais cependant parler plus précisément non pas du recrutement à l’extérieur du ministère, mais de la question du service extérieur par rapport à ce qui n’est pas le service extérieur. Il me semble que lorsque nous parlons de « service extérieur », pour trop de personnes au sein du ministère, il s’agit d’un groupe professionnel et non d’effectifs au sein du ministère.

Comment allez-vous surmonter les barrières imposées par le groupe professionnel — et je ne parle pas du syndicat du service extérieur; je parle simplement de toute la complexité concernant les groupes professionnels — et le fait que des gens non visés par les DSE, ou Directives sur le service extérieur, font le même travail à côté de ceux qui sont visés par les DSE, et les différences de culture, de salaire et d’attentes?

Comment peut-on rompre cela et jusqu’où est-on prêt à aller?

M. Morrison : Je vous remercie de la question. Je riais parce que quand deux sénateurs d’affilée me remercient pour ma franchise, je me dis que je devrais peut-être me montrer un peu réfractaire au risque.

Sénateur, vous avez souligné ce que je considère personnellement comme l’un des défis les plus urgents auxquels nous faisons face. C’est ce dont nous avons le plus entendu parler au cours de la longue période de consultation — soit que des personnes ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone parce qu’elles ne font pas partie du service extérieur proprement dit. Ici, à Ottawa, le chargé de dossier pour le Guatemala est assis à côté du chargé de dossier pour l’Argentine et ils font partie de groupes professionnels différents.

Nous avons d’abord cherché à comprendre pourquoi il en est ainsi, et c’est parce que pendant une dizaine d’années, nous n’avons pas pu recruter des gens dans le service extérieur, mais le travail devait tout de même être accompli. Nous avons essentiellement embauché des étudiants, puis ils sont devenus des employés permanents, mais le chargé de dossier pour le Guatemala n’était plus un employé du service extérieur. On avait seulement besoin d’une personne sur place, et cette personne a fait du bon travail.

Pour accélérer les choses — et c’est ce qui empêche Mme Alexander de dormir la nuit —, nous remplissons les bassins. Vous savez tous que nous avons un système de gestion par bassin pour le service extérieur. Nous remplissons ces bassins jusqu’à ce qu’ils débordent, de sorte que les gestionnaires puissent choisir des personnes du service extérieur pour les affecter au service extérieur. Cela devrait réduire considérablement l’impression qu’il y a deux catégories.

J’ai déjà dirigé le secteur commercial du ministère. Je suis convaincu que la plupart des gens du secteur de la politique commerciale, par exemple, ne sont pas des employés permutants, mais nous avons besoin de leur expertise à Washington, à Genève et dans l’Union européenne. Je n’ai aucun problème à envoyer ces gens en affectation unique. Ils n’ont pas besoin de se joindre au service extérieur. Ils n’ont pas à signer chaque année un document indiquant qu’ils sont des employés permutants, mais ils peuvent toujours servir à l’étranger. Nous ferons de même partout où cela s’avérera utile au ministère.

La dernière chose que je dirai, cependant, c’est que tandis que tout le monde pense vouloir se joindre au service extérieur, si nous en faisons effectivement un service extérieur — c’est-à-dire que la personne ira là où nous voulons l’envoyer —, les gens y réfléchiront peut-être un peu. J’espère que je resterai à ce poste pendant longtemps, car c’est mon intention, et nous envoyons déjà des lettres d’offre aux nouvelles recrues dans laquelle nous indiquons que l’une de leurs conditions d’emploi, c’est que l’une de leurs deux premières affectations se fera dans un pays de niveau de difficulté 3, 4 ou 5.

Ce que je dis habituellement, c’est que lorsque nous disons à quelqu’un « félicitations, votre première affectation est au Guatemala », ce n’est pas le début d’une négociation. C’est dans ce pays que la personne ira pour sa première affectation. Les choses se passaient ainsi lorsque j’ai commencé. C’était un service. Vous alliez, essentiellement, là où on vous demandait d’aller. Je voudrais que l’on revienne à cela.

Le président : Merci, monsieur le sous-ministre. Vous me rendez très nostalgique. La première affectation, lorsqu’on vous dit « devinez où vous allez » — et que vous vous dites « oh, je vais adorer cela » —, est un grand moment.

Le sénateur Woo : Je pense que vous avez répondu à ma question, mais permettez-moi d’essayer de préciser davantage les choses.

Vous avez dit que ce qui constitue le fer de lance des activités à l’échelle internationale aujourd’hui, ce sont les changements climatiques et les minéraux critiques. J’ajouterais la finance et de nombreux autres domaines qui relèvent d’autres ministères. Les jeunes qui veulent faire carrière dans les affaires internationales peuvent donc le faire à Environnement et Changement climatique Canada — ECCC — ou à Ressources naturelles Canada, etc.

Des jeunes qui viennent de terminer leurs études supérieures et qui veulent faire carrière dans les affaires internationales me demandent s’ils doivent se joindre au service extérieur. Souvent, je leur réponds que si la question des changements climatiques les intéresse vraiment et qu’ils veulent faire quelque chose à l’échelle internationale, ils devraient peut-être envisager de travailler à ECCC. Que répondriez-vous à des jeunes qui vous poseraient cette question? Quels sont encore les avantages d’être un agent du service extérieur.

M. Morrison : C’est bien. Je n’y avais jamais pensé de cette manière.

Si quelqu’un venait me demander des conseils au sujet de sa carrière, je lui dirais que si ce qui le passionne et le préoccupe est la lutte contre les changements climatiques, ce que je comprendrais tout à fait, il devrait travailler pour ECCC. Il se peut que son travail l’amène notamment à participer à de nombreuses conférences internationales et à collaborer avec d’autres pays, car il s’agit vraiment d’un problème mondial auquel nous essayons de nous attaquer dans le cadre d’un système international.

Si sa passion est de travailler pour le Canada à l’étranger, s’il veut avoir un emploi qui touche un plus large éventail de domaines — y compris sans aucun doute les changements climatiques, car je ne connais pas beaucoup d’emplois pour lesquels ce n’est pas le cas —, alors je lui dirais de se joindre au service extérieur. Il y a là une distinction essentielle à établir lorsqu’on conseille une personne qui vient de terminer ses études supérieures, et il s’agit de savoir où elle veut vivre. Veut-elle travailler dans un service qui comprend les hauts et les bas de la vie à l’étranger? Ou veut-elle plutôt mener une belle vie de fonctionnaire à Ottawa, en accomplissant un travail intéressant et en devenant un véritable spécialiste en matière de minéraux critiques ou de changements climatiques, par exemple? Il s’agit de deux styles de vie bien différents, surtout si l’on y ajoute les familles.

Le sénateur Woo : Merci.

La sénatrice R. Patterson : Monsieur le sous-ministre, je pensais que vous décriviez les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale dans votre première intervention.

Je vais parler du recrutement et du maintien en poste et de ce qui touche les personnes handicapées ou les enfants handicapés à cet égard, parce que les familles sont les personnes qui servent les affaires étrangères ou la fonction publique.

Une chose que j’ai apprise dans le cadre de mes fonctions antérieures, c’est que lorsqu’il s’agit d’envoyer des Canadiens à l’étranger pour représenter le Canada, en ce qui concerne les soins de santé en particulier, cela peut en fait être un obstacle non seulement au recrutement de personnes au service extérieur, mais aussi un obstacle si leurs familles ne peuvent pas avoir accès à des soins de santé. Nous pensons souvent qu’aller dans des pays comme les États-Unis n’est pas un problème et qu’avoir un enfant handicapé ou un enfant qui a reçu un diagnostic de cancer ne pose pas problème. Cependant, mes anciennes fonctions m’ont appris que dans le cadre du régime de soins de santé qui couvre un certain nombre de ministères fédéraux, ce n’est pas le cas. Je parlerai des États-Unis, mais nous savons que le problème existe ailleurs. On a en fait refusé des gens pour des soins qui sont nécessaires.

Lorsqu’on essaie de recruter un groupe vraiment diversifié de personnes, on doit s’assurer que les avantages qui sont offerts à eux et aux membres de leur famille sont adéquats. Envisage-t-on de se pencher sur des questions comme la couverture médicale et l’assurance médicale offertes à vos équipes qui vont à l’étranger?

M. Morrison : Je vais laisser la véritable spécialiste, Mme Alexander, vous répondre, car c’est elle qui s’occupe de ces questions.

L’ensemble d’avantages et, franchement, d’incitatifs offerts aux Canadiens qui servent à l’étranger — au sein non seulement d’Affaires mondiales Canada, mais aussi d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, par exemple, ainsi qu’aux Canadiens qui travaillent dans les ambassades — s’appelle Directives sur le service extérieur. Elles font l’objet de négociations par les unités de négociation de façon régulière. Nous allons entamer de nouvelles négociations au mois d’août. J’y participe personnellement, car c’est ce qui fait la différence pour les familles qui servent à l’étranger. À mon avis, cet ensemble d’avantages doit être modernisé. Je considère que c’est un aspect qui nous permettra d’avoir une main-d’œuvre en meilleure santé.

En ce qui concerne plus particulièrement l’assurance médicale et les familles qui servent à l’étranger dont un membre a un handicap, je vais céder la parole à Vera Alexander.

Mme Alexander : Merci beaucoup. Ce sont de bonnes questions. Nous sommes couverts par le régime d’assurance-maladie du gouvernement et nous bénéficions d’une assurance-maladie supplémentaire lorsque nous partons à l’étranger.

En tant que mère d’une personne handicapée, mon expérience personnelle a été très bonne sur le plan de la rapidité du remboursement des coûts liés aux soins de santé.

Les parents doivent également faire des recherches approfondies sur les écoles qui sont disponibles pour leurs enfants et les services de soutien dont leurs enfants ou d’autres membres de la famille pourraient avoir besoin. Il y a beaucoup de responsabilités à cet égard. En tant qu’employeurs, nous fournissons de mieux en mieux ces réponses aux parents d’une manière qui leur soit facilement accessible, afin qu’ils puissent faire leurs recherches et que nous puissions les aider. Par exemple, nos missions effectuent de façon proactive des recherches sur les écoles pour pouvoir fournir des listes et des renseignements aux parents qui en ont besoin ou qui en font la demande, de sorte qu’ils n’aient pas à faire toutes les recherches eux-mêmes.

Le sous-ministre a parlé des Directives sur le service extérieur et de l’ensemble des avantages. Elles sont également extrêmement utiles aux parents. Nous nous y fions. Elles reposent sur le principe de la comparabilité au Canada et l’endroit où vous vivez. Dans la province où vous vivez, de quel type de services de soutien votre enfant bénéficie-t-il dans le système scolaire? Voilà sur quoi se fondent les Directives sur le service extérieur. Cette analyse est effectuée.

Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre présence.

Ma question est brève, mais je ne sais pas si vous pouvez y répondre. Dans quelle mesure l’obligation morale de ce gouvernement en matière de féminisme et de droits des homosexuels a-t-elle une incidence sur les aspects liés à la collaboration ou aux stratégies dans le cadre de ses relations avec d’autres pays? Y a-t-il une résistance qui n’était pas prévue au départ ou vous entendez-vous généralement bien avec les pays dans lesquels vous vous trouvez?

M. Morrison : Je vous remercie de la question. Je dirais que nous avons une politique étrangère féministe et qu’un document sera publié à ce sujet dans un avenir pas trop lointain. Je pense que la position du gouvernement sur toutes les questions relatives aux personnes LGBTQIA+ est très claire.

La diplomatie consiste en partie à célébrer les choses sur lesquelles on est d’accord avec les pays partenaires et à être capable de discuter de façon respectueuse des questions sur lesquelles on n’est pas nécessairement d’accord avec eux.

L’Ouganda a beaucoup fait les manchettes ces derniers temps. Le premier ministre et ses collaborateurs ont exprimé très clairement le point de vue du Canada sur un projet de loi qui a récemment été adopté dans ce pays.

Je crois que la politique étrangère du Canada et de tout autre pays se fonde à la fois sur les intérêts fondamentaux du pays et sur ses valeurs. C’est ce à quoi les pays partenaires s’attendent de la part du Canada et des diplomates canadiens, et c’est ce que nous sommes et nous ne le cachons pas.

Le sénateur Ravalia : Merci encore une fois. Compte tenu des possibilités d’expansion récentes, comment le service extérieur tirera-t-il parti des nouvelles technologies et des outils numériques pour favoriser l’atteinte des objectifs diplomatiques du Canada? Je pense en particulier au développement rapide de certains domaines comme l’intelligence artificielle. Avez-vous l’expertise nécessaire? Comment comptez-vous l’utiliser? Existe-t-il un plan?

M. Morrison : Il n’y a pas encore de plan, mais je pense que quiconque dirige une organisation, dans le secteur privé ou public, se pose ce genre de questions en ce moment. Le président du comité comprendra les défis que représentent des négociations entourant les communiqués du G7 qui ont lieu à 2 heures le matin. Récemment, à Kobe, au Japon, nous étions bloqués sur une question au sujet de laquelle nous étions tous d’accord. Nous n’arrivions tout simplement pas à nous entendre sur la manière de le formuler. Nous avons longtemps tourné en rond et finalement, j’ai téléchargé ChatGPT dans la salle et je lui ai demandé ce que diraient les dirigeants du G7 sur la question X. J’ai obtenu quatre paragraphes brillants. Nous n’avons pas tout à fait adopté ces quatre paragraphes, mais cela nous a aidés.

Je pense que pour la préparation de rapports diplomatiques traditionnels, et certains aspects de la gestion du ministère, cela pourrait être tout à fait révolutionnaire. Mais comme toutes les organisations, nous avons été pris par surprise et nous commençons à peine à y réfléchir, à la fois pour nos propres activités, mais aussi pour... Il y a au moins des possibilités d’utilisation de grande portée, par exemple, dans le cadre de négociations internationales. Si l’on négocie avec 16 pays et que l’on se demande où se situe le juste équilibre, les avancées technologiques peuvent avoir des effets très importants.

Le sénateur Ravalia : Pour poursuivre sur le sujet, dans quelle mesure collaborez-vous étroitement avec le milieu universitaire et les grands organismes de recherche du Canada? On a constamment critiqué le Canada pour son incapacité, au cours des 10 dernières années, à suivre le rythme de la recherche scientifique, pour le fait que notre financement est resté le même, que les autres pays du G7 et de l’OCDE nous ont devancés et que, par conséquent, nous perdons beaucoup de nos futurs cerveaux au profit des États-Unis, de l’Europe, du Moyen-Orient et ainsi de suite. Collaborez-vous avec certains de ces organismes?

M. Morrison : Mon collègue, Alexandre Lévêque, qui dirige le secteur de la politique, a malheureusement dû partir. Dans notre rapport sur l’avenir de la diplomatie, nous recommandons entre autres la création d’un réseau stratégique ouvert. Si nous disons qu’il doit être ouvert, c’est qu’il est ressorti de toutes nos consultations que nous devions faire preuve de beaucoup plus d’ouverture à l’égard du milieu universitaire, des groupes de réflexion et de tous ceux qui ont des idées brillantes, peu importe où ils se trouvent. Je ne vois pas d’aspect pour lequel c’est plus important que pour certaines des questions relatives à la haute technologie dont nous venons de parler.

Je pense donc qu’il nous reste du chemin à faire à cet égard, mais le rapport indique que nous reconnaissons qu’il est important de faire preuve d’une plus grande ouverture envers les spécialistes des politiques au Canada, mais aussi dans le monde entier.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le président : Je voudrais demander au sous-ministre et à son équipe s’ils veulent bien répondre à quelques questions supplémentaires.

M. Morrison : Je suis très heureux de continuer. Mes expériences récentes au sein des comités n’ont pas toutes été aussi agréables que celle-ci, et je vous invite donc à me poser d’autres questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup, monsieur Morrison, pour votre générosité, qui nous permet de poursuivre des discussions très intéressantes.

Les témoins qui ont comparu devant ce comité ont attiré notre attention sur la centralisation des agents d’AMC à Ottawa plutôt qu’à l’extérieur. Les agents sont plutôt installés ici et les experts disent que cela fait en sorte qu’il y a une centralisation des décisions. Que pensez-vous de ce phénomène?

M. Morrison : Merci de votre question. C’est une question très importante à laquelle on pense beaucoup.

[Traduction]

Actuellement, 26 % de notre personnel est permutant. C’est une proportion moins élevée qu’auparavant, mais je ne sais pas quelle serait la proportion appropriée. Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi cette proportion était d’environ 50 % et qu’elle n’est plus que de 26 % maintenant. Nous avons conclu que le nombre de personnes à l’étranger avait atteint son niveau le plus élevé en 1990. En effet, il y avait plus de Canadiens en poste à l’étranger en 1990 qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire, car c’était avant l’avènement d’Internet. J’ai suivi le président à La Havane après quelques permutations, et il se souvient sûrement que des groupes professionnels entiers, par exemple les secrétaires et les communicateurs du service extérieur, étaient affectés à la codification des télex que nous écrivions. Ces groupes professionnels n’existent plus ou ils sont beaucoup moins nombreux maintenant.

La fusion avec l’ACDI, c’est-à-dire l’Agence canadienne de développement international, qui a eu lieu en 2012 a également modifié le dénominateur. L’ACDI n’était pas un service extérieur, mais plutôt un organisme établi à Ottawa qui effectuait des affectations uniques à l’étranger.

L’essor du Service des délégués commerciaux et, en particulier, de ses bureaux régionaux dans l’ensemble du pays pour mieux servir le milieu des affaires canadien a également entraîné une augmentation des postes non permutants au Canada.

Un quatrième exemple est celui des dépenses de 1,6 ou 1,7 milliard de dollars liées à l’obligation de diligence afin de mieux protéger notre personnel affecté à l’étranger, ce qui a mené à la création d’un plus grand nombre de postes à l’administration centrale.

Il est donc très important de connaître les faits qui se cachent derrière les statistiques.

Le nombre le moins élevé a été atteint en 1997, à la suite des réductions effectuées après la guerre froide, et les effectifs ont progressivement remonté par la suite, de sorte qu’il ne manque plus qu’une vingtaine de personnes pour atteindre le même nombre qu’en 1990. On peut donc utiliser l’affirmation trompeuse selon laquelle il y avait plus de personnes en affectation à l’étranger en 1990 qu’aujourd’hui, mais je pense qu’il est très important d’examiner ce que font ces personnes. Pendant que le nombre d’effectifs remontait — de façon non linéaire — depuis le creux atteint vers 2007, le nombre de missions à l’étranger — dans les ambassades, les hauts‑commissariats et les consulats — est passé d’environ 140 à environ 180 aujourd’hui. Je peux vous fournir les chiffres exacts si vous le souhaitez.

Il faut donc regarder ce que font les gens. Les statistiques indiqueront que nous avons un plus grand nombre d’ambassades, mais qu’il faut moins de Canadiens pour s’en occuper, ce qui fait de nous un organisme comme les autres.

Cependant, on peut se demander si le Canada ne devrait pas envoyer plus de personnel à l’étranger. Il est difficile de contester cela. Hier, lors d’un dîner avec certains de mes collègues ambassadeurs qui sont en ville, j’ai tenté de leur demander de justifier cette position. Il est difficile de ne pas être d’accord avec l’idée générale selon laquelle un plus grand nombre de Canadiens à l’étranger devrait se traduire par une plus grande influence du Canada à l’étranger.

Cependant, je dirais que la technologie nous offre des exemples sans précédent. Par exemple, nous avons obtenu de très bons résultats avec les missions commerciales hybrides pendant la pandémie de COVID-19, et le Programme femmes, paix et sécurité est un très bon exemple. Je pense que cela aide le Canada à exercer une grande influence dans ce domaine, même s’il s’agit d’un poste établi à Ottawa qui comprend des déplacements. Ainsi, différents modèles sont liés à la notion d’ambassadeur numérique ou d’ambassadeur pour les femmes, la paix et la sécurité ou d’ambassadeur en matière de changement climatique — un tel poste existe déjà, et la personne qui l’occupe travaille en Europe. ll s’agit d’avoir une présence physique dans les édifices, mais nous pouvons aussi profiter de certaines innovations.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais poser une question que j’ai déjà posée à un groupe précédent. Je suis heureux que vous soyez ici maintenant, car c’est une excellente question pour vous, puisque vous connaissez ce sujet mieux que quiconque. Lorsqu’il s’agit des critères de recrutement, je pense aux années pendant lesquelles j’ai travaillé à Ottawa. En effet, j’ai travaillé ici à l’âge de 23 ans, en 1978, et j’ai travaillé pour deux ministres au sein du gouvernement Mulroney dans les années 1980. Ce qui m’a toujours étonné, c’est le nombre de personnes d’âge moyen qui travaillaient dans la fonction publique — et j’ai eu beaucoup d’interactions avec la fonction publique au cours de ces années — qui n’étaient jamais allées à l’est de la ville de Québec. Quelle est l’ampleur de la diversité géographique lorsqu’il s’agit de l’embauche? Est-il plus difficile pour une personne des Maritimes d’obtenir un emploi dans le service extérieur?

M. Morrison : Vous devriez essayer d’être originaire de Lethbridge, en Alberta, et tenter de satisfaire à l’exigence de bilinguisme.

Je me souviens d’un temps pendant lequel le recrutement dans le service extérieur d’Affaires mondiales Canada — je vais continuer d’insister pour que nous sachions quand nous parlons du service extérieur en particulier ou de l’organisme dans son ensemble — se faisait par l’entremise d’un examen et d’un recrutement à l’échelle nationale. Mme Alexander connaît mieux ce processus que moi, mais il était d’usage de faire passer l’examen dans les universités de partout au Canada, ainsi que dans les ambassades à l’étranger. Personnellement, j’ai commencé ma carrière dans le service extérieur et j’ai passé l’examen et j’ai participé à des entrevues à Londres, en Angleterre.

J’ai également échoué la première fois. Il faut persévérer.

Bien honnêtement, c’est de cette façon que les jeunes de Lethbridge, en Alberta, ou de Miramichi sont entrés dans le service extérieur. Si une personne ne parlait pas l’autre langue, on lui accordait une période déterminée pour satisfaire à cette exigence, et je pense qu’elle devait signer un document stipulant qu’elle ne pouvait pas aller à l’étranger tant qu’elle n’avait pas atteint un certain niveau de maîtrise des deux langues officielles. C’est ce qui a permis d’égaliser les chances. Il y a quelque temps, nous avons renoncé à un recrutement ministériel spécialisé qui, comme je l’ai dit, était effectué à l’échelle nationale. C’est un moyen de recruter des personnes originaires de collectivités qui ne sont pas aussi bien représentées au sein d’Affaires mondiales Canada qu’elles le devraient, notamment les collectivités du Nord et les collectivités rurales.

Nous avons renoncé à ce processus de recrutement pour des raisons financières, et nous avons recruté principalement dans un petit nombre d’universités où les gens ont tendance à être bilingues. Ces universités se trouvent à Montréal et à Ottawa.

Mme Alexander : En reconnaissant qu’il s’agit d’un problème, nous avons établi un partenariat avec la Commission de la fonction publique en 2019 pour relancer le recrutement à l’échelle du Canada, et c’est ce que nous faisons depuis ce temps-là. Pour nous assurer que nos candidats ont les connaissances nécessaires dans les deux langues officielles, nous leur donnons le statut ab initio, pendant lequel nous payons la formation en langues officielles en espérant qu’ils atteignent le niveau requis, puis nous leur offrons officiellement un poste au sein du service extérieur. Nous avons déjà mis en œuvre ce processus. Nous nous interrogeons sur la manière de l’améliorer, mais nous avons pu lancer ce processus au cours des dernières années.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de la grande diversité de vos réponses dans une atmosphère décontractée et dans un milieu en constante évolution.

J’aimerais adresser ma question à M. Cousineau. Après avoir écouté la discussion qui a eu lieu entre nous et vos collègues au cours des dernières heures, avez-vous entendu un point sur lequel vous souhaitez insister, afin que nous le retenions? Y a-t-il une question que nous n’avons pas abordée, mais à laquelle vous pensez souvent dans le cadre de votre travail et que vous aimeriez avoir l’occasion de nous communiquer?

Stéphane Cousineau, sous-ministre adjoint principal, Personnes et plateforme internationale, Affaires mondiales Canada : Tout d’abord, monsieur le président, je vous remercie de m’offrir l’occasion de dire quelques mots.

Évidemment, j’ai travaillé en étroite collaboration avec mes collègues et j’ai appuyé l’élaboration de ce rapport qui est porté à votre attention. Aujourd’hui, vous entendez parler de l’initiative sur l’avenir de la diplomatie. Nous avons abordé quatre thèmes et je peux vous assurer une chose — et je pense que vous l’avez entendue dans les interventions du sous‑ministre —, et c’est que le leadership nécessaire est déjà en place. S’il y a une chose que j’aimerais que vous reteniez, c’est cet engagement avec le leadership. Nous avons surtout parlé de la langue et de la culture, et je crois fermement que tout commence aux plus hauts échelons. Dans le contexte de l’initiative sur l’avenir de la diplomatie, je considère que le travail que Mme Alexander et moi-même ferons dans le volet des ressources humaines est extrêmement important. Je vous garantis que, grâce à l’initiative sur l’avenir de la diplomatie, nous améliorerons beaucoup de choses, qu’il s’agisse de la gouvernance, des outils ou des processus, mais je pense que vous serez tous d’accord avec moi pour affirmer que ce sont les personnes qui font avancer les choses. Le leadership dont je viens de parler considère qu’il est très important de s’occuper des gens qui participent à la transformation et au lancement de cette nouvelle stratégie.

C’est le message que je tiens à vous communiquer. Le leadership nécessaire est déjà en place et nous nous engageons à travailler ensemble pour que cette transformation soit une réussite. Je vous remercie.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Le président : Je vais poser la dernière question.

Elle s’adresse soit à M. Morrison, soit à M. Cousineau, et elle porte sur toute la question des établissements physiques. La ministre a annoncé la création d’un plus grand nombre d’ambassades et de missions. Pendant la pandémie de COVID-19, on s’est rendu compte qu’il était possible d’organiser des rencontres virtuelles, même si cela ne remplace pas l’interaction humaine.

Par ailleurs, je me souviens qu’à un moment donné, du moins lorsque j’étais encore au ministère,nous songions activement à la cohabitation avec des pays aux vues similaires, afin d’économiser sur le loyer et de réduire d’autres coûts. Je pense particulièrement au Royaume-Uni et à notre ambassade à Port‑au-Prince, en Haïti, et à certaines discussions que j’ai eues avec le gouvernement allemand, car nous envisagions la cohabitation dans certains pays d’Afrique.

Dans le cadre de la modernisation pour le XXIe siècle, a-t-on activement réfléchi à la possibilité d’envisager différemment l’organisation des établissements de missions traditionnels, par exemple avec un modèle hybride?

M. Morrison : Je vous remercie de votre question, monsieur le président. C’est une question à laquelle j’ai personnellement beaucoup réfléchi, tout comme votre collègue, le sénateur Ian Shugart, car il s’agit d’un véritable dilemme.

C’est notre présence qui nous permet d’exercer une certaine influence. Je ne pense pas que quiconque puisse remettre cela en question. Mais nous avons ouvert nos premières véritables ambassades à la fin des années 1920 et au début des années 1930, et nous avons construit une chancellerie et une résidence de l’ambassadeur. C’est toujours le modèle utilisé, et cela ne me semble pas logique. Le sénateur Shugart ne trouvait pas cela logique non plus. Il y a quatre ou cinq ans, lorsqu’il était sous‑ministre des Affaires étrangères et que j’étais son sous‑ministre délégué, nous nous sommes lancés dans un projet appelé « La mission de l’avenir », afin de déterminer comment assurer une présence et exercer une influence à l’étranger par des moyens moins contraignants que la construction d’édifices. Une fois que l’on a commencé à construire des édifices, on peut s’enfoncer dans cette voie et tomber dans le piège de l’aversion à la perte.

Les intérêts du Canada évoluent. Ce que nous essayons de dire dans notre rapport, c’est que si l’on a que 100 $, on devrait les investir dans le système multilatéral ou dans les pays du G20 en pleine ascension, parce que c’est avec eux qu’on souhaitera collaborer à l’avenir. Cependant, les projets d’investissement ont souvent une phase de planification et de construction qui dure une dizaine d’années. Il est donc difficile d’atteindre le bon équilibre.

Je vais donner la parole à M. Cousineau dans un instant, car il est responsable du plan d’investissement global, mais nous essayons d’y intégrer un sens général de la politique étrangère. Où allez-vous investir, et est-il réellement nécessaire de suivre le modèle établi à la fin des années 1920 et au début des années 1930? Nous pourrions probablement avoir davantage recours à la cohabitation et, de manière générale, nous pourrions faire cause commune avec les pays avec lesquels nous avons le plus d’affinités, même s’il ne s’agit pas d’une cohabitation pure et simple.

M. Cousineau : Je vous remercie beaucoup de votre question. Pour vous donner quelques chiffres, il est vrai que nous devons repenser notre façon de procéder, surtout en ce qui concerne les édifices physiques. À titre de précision, nous avons 2 374 édifices dans le monde, et nous possédons environ 40 % d’entre eux.

Vous avez mentionné la cohabitation. Nous envisageons certainement cette solution. En fait, nous cohabitons avec trois pays — le Royaume-Uni, l’Australie et les Pays-Bas — dans 11 endroits, et nous cohabitons avec d’autres pays. Nous envisageons donc sérieusement cette solution.

Dans le cadre de l’élaboration de ce plan d’investissement, qui nous permet de déterminer où effectuer des investissements de manière stratégique, nous avons mis en place un processus qui nous permet de discuter non seulement avec Affaires mondiales Canada, mais aussi avec tous nos ministères, par exemple Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, avec lesquels nous élaborons ce que j’appellerai des analyses de rentabilisation. Nous analysons les options qui s’offrent à nous et nous réfléchissons à la manière de mettre tout cela en place. Pour être honnête, la construction de locaux physiques est toujours une option bien présente, mais des discussions sont en cours sur la manière dont nous pouvons tirer parti de la technologie. Pouvons-nous parler de bureaux virtuels? Il est aussi possible d’effectuer des allers-retours.

J’aimerais préciser que ces discussions ont déjà été lancées. Nous devons en faire davantage, et nous continuerons de travailler avec nos collègues pour mettre au point un plan d’investissement que nous partagerons avec les organismes centraux.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Au nom du comité, j’aimerais remercier le sous-ministre, M. Morrison, le sous-ministre adjoint, M. Cousineau et la sous-ministre adjointe associée, Mme Alexander, d’être restés plus longtemps. Je sais que vous pensiez que vous ne comparaîtriez que pendant une heure, mais nous vous sommes très reconnaissants d’être restés après le départ de la ministre. Je n’utiliserai pas le mot qui a troublé le sous-ministre plus tôt, mais l’ouverture dont vous avez fait preuve dans vos réponses nous a été très utile. Vous étiez les derniers témoins à comparaître dans le cadre de notre étude. Nous poursuivrons toutefois nos travaux liés à cette étude, notamment par l’entremise d’une mission dans d’autres pays et gouvernements de comparaison. Nous vous sommes donc très reconnaissants de vos contributions, car elles nous seront très utiles.

Chers collègues, avant de lever la séance, je tiens à mentionner qu’en raison des derniers développements en matière de sécurité en Ukraine, l’ambassadrice du Canada en Ukraine, Larisa Galadza, qui devait être parmi nous aujourd’hui, a dû annuler sa comparution, mais nous espérons pouvoir l’accueillir à une date ultérieure.

(La séance est levée.)

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