LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 25 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), pour étudier le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Robinson : Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Black : Robert Black, de l’Ontario.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Bienvenue à tous et à toutes, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui nous regardent sur ParlVu. Nous entamons maintenant l’étude du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Aujourd’hui, pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Luc Thériault, député de Montcalm, le parrain du projet de loi; Yves Perron, député de Berthier-Maskinongé, porte-parole du Bloc québécois en matière d’agriculture, d’agroalimentaire et de gestion de l’offre; Simon-Pierre Savard-Tremblay, député de Saint-Hyacinthe—Bagot.
Merci à vous d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui. Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils. Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires. Cela sera suivi d’une période de questions des sénateurs. Vous avez un maximum de 10 minutes qui seront partagées entre vous trois, comme vous le souhaitez. Monsieur Thériault, vous avez la parole.
Luc Thériault, député, Montcalm, parrain du projet de loi : Merci beaucoup. Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui. Ce projet de loi a été mené de manière rassembleuse et non partisane. Il vise à protéger les productions agricoles sous gestion de l’offre d’éventuelles nouvelles brèches dans de futures négociations en matière de commerce international.
La Chambre des communes s’entend sur la nécessité de protéger la gestion de l’offre et de ne pas l’affaiblir. Plusieurs motions ont été adoptées en ce sens le 22 novembre 2005, dans le contexte des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 26 septembre 2017, dans le contexte de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), et le 7 février 2018, cette fois pour l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Malheureusement, tant dans l’accord transpacifique que dans l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM) ou dans l’accord avec l’Europe, le gouvernement a cédé des parts de marché. C’est pourquoi nous avons décidé de déposer un projet de loi pour retirer la gestion de l’offre des futures négociations.
Selon les données de la Bibliothèque du Parlement, les productions sous gestion de l’offre correspondent à plus de 40 % du revenu du secteur agricole de Terre-Neuve-et-Labrador, à au moins 30 % de celui de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et du Québec, à 25 % en moyenne de celui de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, à plus de 10 % de celui de l’Île-du-Prince-Édouard et de 2,5 à 10 % du revenu agricole de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. D’est en ouest, des régions entières sont vitalisées par la présence de producteurs unis par le modèle de gestion de l’offre. Ce projet de loi est donc positif pour l’ensemble du Canada.
Nous nous réjouissons de l’appui massif de la Chambre des communes en faveur du projet de loi C-282, particulièrement celui de la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de l’époque, qui s’est engagée au nom du gouvernement à l’appuyer à toutes les étapes. À l’étape de la troisième lecture, soit le 21 juin 2023, 262 députés se sont prononcés en faveur du projet de loi et 51 contre. Le projet de loi, qui bénéficie de l’appui manifeste du gouvernement, n’est pas un simple projet de loi privé. Il représente la volonté claire du pouvoir exécutif et législatif et d’une large majorité d’élus et il doit être mis aux voix au Sénat rapidement.
Simon-Pierre Savard-Tremblay, député, Saint-Hyacinthe—Bagot : Bonjour. Je suis heureux d’être ici en ma qualité de député de Saint-Hyacinthe—Bagot, capitale de la transformation agroalimentaire au Québec et au Canada, et de porte-parole du Bloc québécois en matière de commerce international.
On va le préciser, le projet de loi ne vient pas lier les mains des négociateurs; peu importe la nature des négociations, peu importe l’époque, les négociateurs se font toujours octroyer des mandats en provenance du milieu politique. Ce n’est pas nouveau. Le projet de loi C-282 donne un outil supplémentaire dans les négociations commerciales parce qu’Ottawa veut avoir la capacité de résister à ses partenaires. À cet égard, la loi va lui permettre de dire que le Parlement ne veut pas faire de nouvelles concessions. Pour céder de nouvelles parts de marché, il faudra que le gouvernement revienne devant le Parlement. Les règles de l’Organisation mondiale du commerce assurent à tous les pays la protection d’un certain nombre de lignes tarifaires. Les Américains ne se gênent pas pour protéger, par force de loi, des secteurs qu’ils jugent névralgiques, comme le sucre ou le coton. C’est la même chose pour les Japonais avec le riz.
Ottawa affiche d’importantes lacunes en matière de participation de ses élus, qui tirent pourtant leur légitimité d’un mandat démocratique accordé par la population dans les processus des accords commerciaux. L’Union européenne ne se gêne pas pour faire débattre et voter ses députés sur ce qu’ils souhaitent voir ou ne pas voir dans une future entente commerciale.
Au Royaume-Uni, le Parlement détient un droit de veto partiel sur les ratifications. De son côté, Ottawa a formellement abandonné en 1966 la résolution de 1926, qui stipulait que le gouvernement ne pouvait conseiller la ratification d’un accord ou d’une convention sans l’approbation du Parlement. Le Canada n’a qu’une politique qui mène le ou la ministre à déposer un projet de loi de mise en œuvre devant le Parlement avec un mémoire explicatif dans un délai suffisant, imposant l’approbation des parlementaires avant toute ratification, mais il ne s’agit même pas d’une loi à proprement parler. Qui plus est, nous finissons par nous prononcer en tant que parlementaires sur un projet de loi de mise en œuvre, et non sur l’entente internationale elle-même, ce qui rend toute possibilité d’amendement superflue. Notre rôle se limite à devoir estampiller un produit fini. On nous dit pourtant que, dans un régime parlementaire comme celui du Canada, le Parlement devrait être maître de tout.
Avec le projet de loi C-282, on fait une avancée somme toute modeste pour assurer plus de transparence politique.
En terminant, je me permets de rappeler que, depuis 1985, la Loi sur Investissement Canada stipule que le gouvernement ne doit accepter que les investissements qui sont à l’avantage du Canada. Donc, tous les accords mentionnent que le principe de libéralisation des investissements est là, mais sous réserve de la loi. Malgré cette loi, le Canada a signé une quarantaine d’accords bilatéraux de protection des investissements et il y a des chapitres traitant de protection des investissements dans une cinquantaine d’accords. Merci.
Yves Perron, député, Berthier—Maskinongé : Bonjour à tous les membres du comité. La production du lait, du poulet, du dindon ainsi que des œufs d’incubation et de consommation est régie par le système de gestion de l’offre. Ce modèle fonctionne selon un équilibre précis, entre trois éléments qu’on peut voir comme les trois pattes d’un tabouret.
Tout d’abord, on contrôle les prix qui sont établis en fonction de la demande et du coût moyen de production et on contrôle ensuite les quantités produites pour répondre adéquatement à cette demande. Cependant, pour que ces deux piliers tiennent, on doit absolument contrôler les quantités qui entrent de l’extérieur afin de maintenir l’équilibre sur le marché. Dans le secteur du lait, qui est celui qui a été le plus touché dans les ententes commerciales, ce sera à terme 18 % du marché qui sera occupé par des produits en provenance de l’étranger. Cela représente approximativement une pinte de lait sur cinq; c’est énorme.
Ainsi, le jour où les producteurs voudront réduire la production pour répondre à une variation du marché, les produits étrangers continueront d’entrer et nos instances perdront éventuellement leur capacité à réguler les quantités mises en marché, ce qui amènera l’effondrement du système. Personne ne veut voir cela se produire.
La gestion de l’offre assure une équité et une prévisibilité tout au long de la chaîne de production. Les producteurs peuvent vivre de leur agriculture pratiquement sans aide du gouvernement et sans nuire aux autres maillons de la chaîne, les revenus étant équitables à chacun de ces maillons.
Grâce à la prévisibilité, les producteurs peuvent innover sans crainte et investir dans leur entreprise afin qu’elle devienne plus performante. La gestion de l’offre est une partie névralgique de notre écosystème économique et elle permet de maintenir la vitalité de nos régions, de conserver nos entreprises de taille familiale et de garder nos villages et nos petits commerces vivants.
Toutes ces entreprises réunies par la solidarité deviennent une seule et même grande entreprise extrêmement solide, qui nous assure une stabilité dans notre résilience alimentaire. Leur capacité à absorber les imprévus comme la grippe aviaire, grâce à l’avantage tiré de plusieurs points de production de taille plus modeste limitant la propagation des infections, ainsi que la stabilité qu’ils procurent à nos citoyens dans l’approvisionnement en aliments de qualité à prix juste et stable, font de la gestion de l’offre un atout de taille que nous devons conserver.
Nous n’avons qu’à penser au prix d’une douzaine d’œufs aux États-Unis pendant la COVID et la grippe aviaire, qui a connu des sommets, pour comprendre les avantages de maintenir notre système en santé. La gestion de l’offre apporte aussi une stabilité dans l’écosystème agricole de nos régions, en donnant une stabilité aux fournisseurs et en faisant en sorte que ces fournisseurs seront toujours en place quand certains secteurs qui éprouvent des difficultés seront de retour.
Les productions sous gestion de l’offre ne sont donc pas en concurrence avec les autres secteurs agricoles. Les deux systèmes de mise en marché coexistent depuis longtemps et peuvent continuer de le faire sans se nuire. Il faut cesser de les placer en opposition. Les deux façons de faire doivent être vues comme complémentaires. Les concessions faites dans les derniers accords commerciaux sont des pertes permanentes pour nos producteurs qui ne sont adoucies que partiellement par des compensations ponctuelles. Nous ne pouvons pas promettre de protéger la gestion de l’offre et la conserver dans notre poche pour la mettre sur la table à la première occasion. Il s’agit ici d’une question d’honnêteté et d’intégrité. Nous devons tous nous tenir debout pour maintenir nos institutions et nos infrastructures dans nos régions et ainsi en garantir la vitalité. Cela n’empêchera nullement de conclure des ententes de commerce international avantageuses pour l’ensemble des autres secteurs.
De nombreuses ententes ont d’ailleurs été signées sans créer de brèche avant le début du triste bal des concessions qui a commencé en 2008. Nous devons arrêter ce dangereux glissement. Signer des ententes sans faille est tout à fait faisable; nous devons simplement avoir la volonté politique, et cette volonté a été exprimée par la Chambre à plusieurs occasions. Nous pouvons contribuer à nourrir le monde sans compromettre nos bases et notre résilience alimentaire.
Ce projet de loi est au Sénat depuis plus d’un an, et nonobstant les objections qui peuvent être légitimes, nous demandons aux membres du comité de procéder promptement et de soumettre ce projet de loi aux voix auprès de l’ensemble des membres du Sénat.
Nous remercions les membres du comité de nous recevoir aujourd’hui et nous sommes disponibles pour répondre à vos questions. Merci beaucoup.
Le président : Merci, messieurs les députés, et félicitations, c’était 10 minutes exactement, alors bravo.
Avant de passer aux questions, chers collègues, j’aimerais faire une petite déclaration.
[Traduction]
Compte tenu de mes antécédents, je pense qu’aucun d’entre vous ne sera surpris d’entendre que je m’oppose au projet de loi. Pour moi, il ne s’agit pas de gestion de l’offre, mais plutôt de limiter la capacité de l’exécutif à négocier des accords commerciaux internationaux en vertu des pouvoirs relevant de la prérogative de la Couronne. Par conséquent, je pense qu’il n’est pas dans l’intérêt national — et j’entends par là le Canada — de l’adopter, car il divise la communauté agricole du pays et aura des répercussions sur les futures négociations commerciales, en particulier dans le contexte de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM, en 2026.
J’ai choisi de ne pas m’exprimer sur le projet de loi en deuxième lecture, et je me suis abstenu d’accorder des entrevues aux médias depuis que le projet de loi a été renvoyé à ce comité, et je continuerai à le faire.
[Français]
Indépendamment de mes opinions, que j’ai partagées avant que ce projet de loi ne soit renvoyé au comité, mon intention est de mener ces réunions de manière équitable et de respecter les avis présentés par tous les témoins et tout au long de l’étude de ce projet de loi. C’était seulement pour faire une précision.
[Traduction]
Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Vous disposez de quatre minutes chacun. Merci de poser des questions concises afin que nos témoins aient le temps d’y répondre.
La sénatrice M. Deacon : Merci à vous trois d’être ici.
Il s’est dit différentes choses cet après-midi, mais j’estime qu’il est de mon devoir, en tant que sénatrice, d’examiner minutieusement les projets de loi en les soumettant à un second examen objectif. Dans cette optique, le fait que ce projet de loi soit jugé plus ou moins urgent ou populaire, selon la région et la chambre, a certes tiré pour moi une sonnette d’alarme, un sentiment qui s’est exacerbé aujourd’hui avec la déclaration du chef.
Il est à craindre que ce projet de loi relève de la stratégie politique, plutôt que de la saine politique stratégique. J’estime que je ne ferais pas mon travail si je n’essayais pas d’affranchir ce projet de loi de ces visées politiques. Il faudrait que l’on me convainque aujourd’hui que la gestion de l’offre, une mesure s’inscrivant déjà dans une approche protectionniste pour un pays libre-échangiste comme le Canada, a besoin de cette protection supplémentaire qui se fera probablement au détriment d’autres industries canadiennes qui sont beaucoup plus exposées.
[Français]
M. Perron : Je vous remercie de votre question.
Quand on parle de vitesse et de popularité selon la région ou le parti, M. Thériault a fait la démonstration dans son introduction que le projet de loi est bon pour l’ensemble du Canada. Au départ, quand un projet de loi arrive du Bloc québécois, on a tendance à penser que c’est pour le Québec seulement. C’est pour cela qu’on l’a bien expliqué. Vous avez des gens dans la salle qui viennent de partout au Canada. C’est un projet de loi qui est bon pour l’ensemble des provinces et des territoires.
Pourquoi a-t-on besoin de ce projet de loi? Je l’ai expliqué rapidement dans mon introduction. Par exemple, dans le secteur du lait qui est le plus touché, cela représente 18 %. C’est beaucoup.
Pour comprendre la gestion de l’offre, je donne l’exemple d’un tabouret qui est sur trois pattes. Il doit tenir debout en équilibre. On contrôle les prix et la quantité. S’il y a des marchandises qui entrent de l’extérieur de façon démesurée, le système ne fonctionnera plus.
Ce système a été créé au début des années 1970, mesdames et messieurs les sénateurs. Il est extrêmement efficace. Vous n’avez qu’à regarder les entreprises de ce secteur. Elles sont très prospères. Elles sont capables d’investir, parce qu’elles ont une prévisibilité, ce qui permet à l’ensemble du secteur agricole de bénéficier d’une stabilité. Si on déstabilise et si on défait tout cela, on va retirer la confiance dans le secteur au fil des trois derniers accords. Il faut arrêter tout cela. C’est ce qui explique la nécessité de ce projet de loi. Malgré la volonté des élus exprimée à plusieurs reprises à la Chambre, des concessions ont été faites lors des négociations des derniers accords. J’espère que cela répond adéquatement à votre question.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. La gestion de l’offre existe sous une forme ou une autre depuis 50 ans, soit depuis le début des années 1970. Au cours de ces cinq décennies, nous avons conclu de nombreux accords commerciaux et la gestion de l’offre reste forte. Qu’est-ce qui a changé dans les régimes de libre-échange, au niveau national ou international, pour que vous estimiez que la menace est désormais telle que nous avons à nouveau besoin d’une loi semblable en 2024?
[Français]
M. Perron : La réponse est simple : ce qui a changé, c’est qu’en 2008, on s’est mis à faire des concessions dans les négociations internationales.
Il est important de se rappeler que pendant toutes les années qui ont précédé 2008, à part une mise à jour de l’Organisation mondiale du commerce au début des années 1990 où l’on avait fait des concessions quelque part, il y a eu une multitude d’ententes internationales qui ont été signées sans toucher à la gestion de l’offre. Cela n’a jamais empêché le pays de signer des ententes avantageuses.
Ce qui a changé, madame la sénatrice, c’est que, dans les trois derniers accords, on a commencé à mettre la gestion de l’offre sur la table. C’est un précédent. Quand on met quelque chose sur la table, lors de la négociation suivante, le partenaire reviendra et en voudra un peu plus. Si on déstabilise trop le système, il ne fonctionnera plus. Nous devons être honnêtes avec nos producteurs. Si on prétend les protéger, il faut les préserver. Ce sont des marchés de taille relativement marginale pour un voisin américain, par exemple. Le Canada produit moins de lait au total que le Wisconsin à lui seul. Ce ne sont pas des gains importants pour eux. Pour nous, il s’agit de notre écosystème de base qui assure la sécurité des campagnes.
Le président : Je vous remercie, monsieur Perron.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins de leur présence aujourd’hui, de leur travail acharné et de leur passion à représenter les secteurs de la gestion de l’offre au Canada — pas seulement au Québec, mais au Canada. Si nous posons des questions difficiles, ce n’est pas parce que nous sommes contre l’agriculture assujettie à la gestion de l’offre. Je pense qu’il est important qu’il soit bien clair que nous pouvons avoir certaines questions à poser, même si nous soutenons les secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans notre pays.
J’aurais donc une question pour vous. En se prononçant sur ce projet de loi, l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire a laissé entendre qu’il crée un dangereux précédent et rend le Canada moins attrayant en tant que partenaire de libre-échange. En outre, elle estime que l’on irait ainsi à l’encontre des règles commerciales en place tout en limitant considérablement la capacité du Canada à négocier les meilleurs accords de libre-échange possible pour tous les secteurs de l’économie canadienne, ce qui se traduirait par un programme de libre-échange moins ambitieux et des résultats moins significatifs sur le plan commercial pour notre pays.
Pourriez-vous me dire d’abord si vous souscrivez ou non à ces commentaires en m’indiquant pour quelle raison? Selon vous, comment l’adoption du projet de loi C-282 affecterait-elle la capacité du Canada à négocier des accords commerciaux avantageux pour le Canada? Voilà mes deux questions.
[Français]
M. Perron : Merci beaucoup pour votre question. La mise en contexte, on la connaît tous et on est ici pour cela, se poser des questions.
Premièrement, les gens dont vous nous parlez représentent les exportateurs d’agriculture et d’agroalimentaire. Souvent, ils sont présentés comme des représentants du secteur de l’agriculture. C’est une nuance importante. Ce sont des gens qui représentent ceux qui veulent exporter. Dans cette déclaration, ils vous disent qu’ils aiment bien la gestion de l’offre, mais ils veulent que vous la gardiez dans votre poche. Nous avons besoin d’eux pour avoir davantage de marchés. On veut les mettre sur la table. C’est ce que je vous disais plus tôt. Si on joue avec cela, on va mettre en danger la gestion de l’offre.
Le fait de préciser les conditions de négociations au départ ne va pas empêcher des négociations. Au contraire, cela va les rendre plus faciles, parce que ce sera clair dès le départ pour les négociateurs : si on demande de toucher à la gestion de l’offre, ils n’obtiendront pas ce mandat. Ils devront retourner voir l’exécutif. À la rigueur, un Parlement pourrait décider de modifier un projet de loi parce que lui veut l’inclure, mais ce qu’on a inclus dans ce projet de loi est une protection.
J’aimerais que mon collègue M. Simon-Pierre Savard-Tremblay vous donne quelques exemples de l’extérieur. Il y a des pays qui protègent déjà des secteurs précis et qui ont signé une multitude d’ententes avantageuses pour eux.
M. Savard-Tremblay : J’aimerais revenir sur un exemple que j’avais donné dans mon introduction. Parlons tout simplement du Canada. J’avais terminé ma déclaration d’ouverture là-dessus. Cette loi de 1985 est une loi du Parlement. Le Parlement a dit : « Voici les limites que nous souhaitons voir par rapport à tel élément ou à la libéralisation des investissements. » Même si nous sommes d’accord avec le principe, le commerce et le libre-échange, voilà où l’on trace la limite. Le libre-échange n’est pas une religion. C’est un principe qui se veut avantageux. S’il ne l’est pas, il faut être capable de mettre quelques limites.
Cela n’a pas empêché le Canada de conclure une quarantaine d’accords bilatéraux de protection des investissements. Il y a un chapitre sur la protection des investissements dans une cinquantaine d’accords. Rien n’a été empêché par ce type de loi. On peut revenir sur les États-Unis, qui ont une loi sur le sucre et sur le coton. Le Japon en a une sur le riz. Est-ce qu’on peut affirmer que ces pays ne font pas de commerce avec les autres pays et que cela leur a nui? Lorsqu’on parle des États-Unis, on parle d’un négociateur très féroce que l’on craint la plupart du temps. Dans le cas de l’Union européenne, qui est aussi signataire de plusieurs dizaines d’accords, on fait des débats auprès des députés et on va souvent chercher des mandats et des votes auprès des députés avant d’envoyer des négociateurs.
Le président : Merci, monsieur Savard-Tremblay.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Merci d’être avec nous aujourd’hui et de défendre votre cause. En ma qualité de sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, je suis préoccupé par les répercussions régionales du projet de loi C-282. Au Canada atlantique, notre économie dépend fortement des secteurs axés sur l’exportation, soit en particulier la pêche, l’aquaculture, la foresterie, les ressources naturelles et l’énergie. Comparativement à d’autres provinces, nous misons relativement peu sur les secteurs soumis à la gestion de l’offre que ce projet de loi cherche à mettre à l’abri. En voulant protéger aussi rigoureusement la gestion de l’offre, nous risquons de nous aliéner les régions dépendantes des exportations comme la nôtre, qui comptent sur l’ouverture des marchés et les accords commerciaux pour croître et soutenir leur activité économique.
En visant expressément la protection des industries assujetties à la gestion de l’offre, le projet de loi C-282 ne risque-t-il pas de miner les secteurs agricoles et non agricoles du Canada atlantique? Ne sommes-nous pas en train d’affaiblir malencontreusement la position de ces secteurs cruciaux lors des négociations commerciales à venir? Merci.
[Français]
M. Perron : Je vous remercie de la question. Si l’on se fie aux données de la Bibliothèque du Parlement que mon collègue vous a lues dans son introduction, je comprends que vous mentionniez que l’agriculture a peut-être une importance moins grande dans votre province. Pour l’ensemble de l’agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador, cela représente 40 %. C’est la province où il y a le plus de gestion de l’offre en concentration. Cela représente les intérêts de beaucoup de producteurs de votre région.
Vous me demandez si cela nous mettra d’autres groupes à dos. Le Québec est un producteur forestier et minier important. C’est un producteur d’aluminium. Il fait de l’exportation dans différents secteurs. Cela ne l’empêche pas d’être en faveur de la protection du secteur sous gestion de l’offre qui, je vous le rappelle, a choisi un mode de mise en marché différent.
Dès le départ, ils ont dit : « On n’ira pas vers l’exportation, on fera de l’autorégulation et on offrira à la population un produit stable de qualité avec un prix attitré, puis on s’ajustera. Si les gens ont besoin de moins, on s’ajustera, et vice versa. » Cela explique pourquoi ils ne peuvent absorber des quantités de l’extérieur. Ce n’est pas le même type de marché. Selon certains arguments, c’est moins compétitif que si c’était une grande entreprise.
Les producteurs sous gestion de l’offre sont très avant-gardistes et innovateurs. Vous savez qu’ils ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre dans les dernières années de façon draconienne? Ils investissent massivement sur leur ferme, ils améliorent la santé et le bien-être animal tous les jours, ils se donnent eux-mêmes des exigences avant que le gouvernement le leur demande. Qu’est-ce qui leur permet de le faire? Ils ne pourraient pas le faire s’ils étaient dans une situation de concurrence, dans une « jungle » d’offre et de demande. Ce qui leur permet de faire cela, c’est la stabilité du milieu qu’ils se sont créé. Ce n’est pas se mettre d’autres secteurs à dos que de préserver cette base-là qui, pour les marchés étrangers, représente des parts de marché relativement marginales. Ce n’est pas quelque chose qui est essentiel pour conclure des ententes en matière de commerce, mais cela nous assure une base extrêmement solide et stable.
Puisque je suis souvent sur le terrain parce que je m’occupe de dossiers d’agriculture et d’agroalimentaire, je peux vous affirmer qu’il y a plusieurs producteurs d’autres secteurs de l’agriculture qui s’inspirent des principes de la gestion de l’offre. Ils ne mettront pas en place des gestions de l’offre demain matin, mais ils feront des tentatives de mise en marché communes, par exemple. C’est un modèle qui en inspire d’autres. Il ne faut pas les mettre en contradiction. J’espère que cela répond à votre question.
Le président : Le temps est écoulé.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins présents aujourd’hui. C’est un plaisir de recevoir cette belle visite de la Chambre.
Ce n’est pas d’hier que la gestion de l’offre produit de bons résultats pour le Canada. Nous le savons. Ce projet de loi vise à protéger les secteurs soumis à la gestion de l’offre, mais certains critiques font valoir qu’il privilégie ces secteurs au détriment de la liberté de choix pour les consommateurs et de la concurrence américaine. Comment pourriez-vous rassurer ceux qui craignent ainsi que le maintien de protections fortes pour la gestion de l’offre fasse augmenter les coûts pour les consommateurs et limite la variété des produits disponibles sur le marché canadien?
[Français]
M. Perron : Comme je vous le disais plus tôt, tout ce que la gestion de l’offre fait, c’est qu’elle établit une base solide. Pendant la COVID, on a beaucoup parlé de la résilience alimentaire et de la capacité que nous avons de nourrir la population. On a été en pénurie de masques, on a eu de la difficulté à obtenir des vaccins et des respirateurs et on s’est rendu compte qu’il fallait investir dans un minimum de structure de vaccins ou dans autre chose. La gestion de l’offre nous apporte cela et une sécurité de base. Nos autres producteurs seront là, mais ils nous apportent quelque chose de plus stable. Je laisserai mon collègue compléter ma réponse.
M. Savard-Tremblay : Rappelons qu’on parle de cinq productions, et il y a beaucoup de producteurs et de productrices qui sont là pour représenter des milieux très difficiles en matière de réalités au quotidien et qui ont parmi les meilleures normes de qualité, de bien-être animal et de normes environnementales au monde. On n’a rien à envier à qui que ce soit. Cela n’empêche pas l’existence de la transformation. La variété de produits est toujours là. Cela répondrait à la première partie de votre question. Deuxièmement, la tendance dans les négociations d’accords commerciaux, de plus en plus, que ce soit à l’échelle bilatérale, trilatérale ou multilatérale — et mon collègue M. Perron donnait l’exemple de la COVID, où l’on a constaté un manque d’autonomie dans un grand nombre de secteurs —, c’est d’offrir des protections de base avec des partenaires qu’on juge fiables pour en arriver à une plus grande autonomie dans certains secteurs.
M. Thériault : Je voulais juste ajouter quelque chose. On a vu pendant la COVID que la gestion de l’offre a vraiment assuré une sécurité alimentaire. Les prix sont restés assez stables, on n’a pas vu de montées incroyables et on n’a manqué de rien, ni de lait, ni de produits laitiers, ni de volaille ou d’œufs. Je dirais que c’est un modèle qui a une longue histoire, mais c’est aussi un modèle de l’avenir, du XXIe siècle. Quand je regarde ce que font les Américains comparativement à ce que nous faisons, j’ai toujours pensé et je pense toujours que c’est ce qu’on partage tous, tout comme la Chambre le pense : la gestion de l’offre est une marque identitaire distinctive au Canada, comparativement à nos voisins du Sud. Il ne faut pas avoir honte d’arriver à une table de négociations et de dire qu’on ne touche pas à quelque chose, parce que cela nous distingue. On ne va pas gaspiller des milliers de litres de lait parce qu’on fait de la surproduction et qu’on voudrait vous les passer, alors qu’on ne contrôle pas la qualité. À mon avis, juste là-dessus, et c’est une question de décision politique, ce n’est pas une question de négociations, c’est d’abord et avant tout une question de choix politique. Ensuite, les négociateurs, aussi bons soient-ils, vont faire le travail, justement parce qu’ils sont bons.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici, et merci pour vos réponses.
Je vais poursuivre dans le sens de la question du sénateur MacDonald. J’aimerais savoir comment vous avez pris en compte les intérêts des autres secteurs avant de rédiger le projet de loi, et comment vous avez évalué leur réaction. Je sais le genre de messages que je reçois à ce sujet, et c’est probablement la même chose pour vous. J’aimerais comprendre comment vous avez jaugé les intérêts de ces diverses organisations du secteur agricole et en quoi ces organisations pourraient être affectées par les mesures proposées dans ce projet de loi.
[Français]
M. Perron : On leur a parlé. Cela touche quelque peu les questions précédentes de la sénatrice Coyle. Vous me disiez que les autres se sentent menacés par cela. Les autres secteurs qui s’opposent à la protection de la gestion de l’offre le font en pensant que la gestion de l’offre leur sera utile pour acquérir de nouveaux marchés. Déjà, au départ, je pense que c’est une mauvaise façon de voir les choses. On n’a pas à sacrifier son voisin pour progresser. Il faut cesser de les mettre en opposition. Je peux paraître très convaincu de la gestion de l’offre, et je le suis, mais je travaille aussi pour les autres secteurs à titre de porte-parole en matière agroalimentaire et en gestion de l’offre.
Je suis allé en Asie avec la ministre à quelques reprises et j’ai travaillé fort pour que le marché du porc s’ouvre, et celui du bœuf aussi. Cela me permet de faire une parenthèse : il y a un piège dans les négociations. On se rappellera les concessions qui ont été faites dans l’accord européen : cela a permis au fromage fin d’entrer et de faire très mal à nos fromageries locales; en contrepartie, le bœuf et le porc canadiens pouvaient entrer sur le marché européen. Or, nous utilisons un acide dans le nettoyage des carcasses qu’ils n’utilisent pas en Europe. Ils refusent de le valider comme étant équivalent. On appelle cela des barrières non tarifaires. Dans ce contrat, on a été perdant des deux côtés. On a sacrifié la gestion de l’offre et on n’a rien gagné pour nos producteurs. C’est pour cela que nos producteurs de bœuf et de porc, pour qui je travaille et que je rencontre régulièrement, nous ont demandé, dans les négociations avec la Grande-Bretagne, de ne pas céder et de faire supprimer ces barrières tarifaires.
On a donc du travail à faire à cet effet. Dans la gestion de l’offre, les producteurs sont autonomes. C’est un système qui s’autorégule. Il faut simplement arrêter d’y toucher. Il faut penser que ce système ne demande pas de subventions gouvernementales ou presque. Les producteurs vont bénéficier d’un programme d’investissement, mais ils ne demanderont jamais de subventions. Quand on regarde les fermes laitières aux États-Unis, elles sont subventionnées en amont. Le citoyen américain paie deux fois pour son lait. Quand on regarde les productions à l’extérieur, c’est souvent ce qui se passe.
C’est une richesse inestimable, c’est une base solide et cela n’entre pas en concurrence avec les autres secteurs. Je ne sais pas comment le dire différemment.
M. Savard-Tremblay : Je dirais qu’un chantier qui serait sans doute plus pertinent à moyen et à long terme serait une harmonisation des barrières non tarifaires et des mesures sanitaires. Ce serait sans doute une bien meilleure option que de rejeter ce projet de loi.
Je dirais qu’on a entendu souvent cet argument : nous sommes en faveur de la gestion de l’offre, mais il faut nous garder des cartes dans le jeu et des possibilités. On a entendu cet argument contre le projet de loi, mais je trouve que c’est le meilleur argument en faveur du projet de loi. Il vient nous montrer que beaucoup de gens dans la classe politique envisagent encore de se garder quand même de petites portes pour de toutes petites brèches qu’on va nous présenter comme étant minuscules, alors que, au final, quand on les additionne à toutes les autres, on voit un cratère pour le moins imposant.
La sénatrice Gerba : Bienvenue aux témoins.
L’avantage de passer après tout le monde, c’est que la plupart des questions ont été posées, mais j’ai quand même une couple de questions, comme on dit au Québec, que je vais essayer de poser en vrac, en espérant que le temps me permettra d’avoir des réponses.
Vous avez bien dit dans votre introduction — à juste titre — que la gestion de l’offre est véritablement pancanadienne et qu’elle bénéficie à tous les agriculteurs du pays. La preuve est que, au Labrador, 40 % dépendent de la gestion de l’offre, 30 % au Québec et en Nouvelle-Écosse et 25 % en Ontario. C’était une de mes questions : selon vous, quelles seraient les conséquences pour les producteurs, les consommateurs et les économies locales si ce projet de loi n’était pas adopté?
M. Perron : Les conséquences pourraient être épouvantables. Je vais prendre l’exemple de la production laitière, parce que c’est le plus connu. Il y a des entreprises qui ont des milliers de vaches — c’est ce qu’il y a aux États-Unis — et qui déversent, comme l’a mentionné mon collègue Luc, des milliers de litres de lait de façon hebdomadaire dans les champs, parce que les vaches ont des hormones et produisent beaucoup. Il n’y a pas de contrôle de production et on veut écouler les stocks. Ce sont des mégaentreprises. Si je regarde les entreprises de gestion de l’offre, qui ont en moyenne 80 vaches, par exemple, elles vont disparaître rapidement. Dans un rang d’une municipalité rurale du Québec, de Terre-Neuve-et-Labrador, du Nouveau-Brunswick ou d’ailleurs, si j’ai 10 familles dans ce rang agricole et que j’enlève la gestion de l’offre, dans 5 à 10 ans, je serai chanceux s’il me reste une famille, parce qu’il restera une seule entreprise qui aura absorbé toutes les autres dans le jeu de taille, de surproduction et d’économies d’échelle.
Cela signifie que, dans l’école du village, j’aurai neuf enfants de moins. Multipliez cela par le nombre de rangs : c’est l’effet de la gestion de l’offre. La gestion de l’offre, la solidarité et le fait de se rassembler font en sorte qu’un producteur de lait de la Gaspésie a les mêmes frais de transport qu’un producteur de lait de Laval qui peut être situé très près des marchés. Cela assure une occupation dynamique du territoire et cela pose une base solide. Cela permet que les petits commerces dans ces villages subsistent. Enlever la gestion de l’offre, c’est enlever cette base.
La sénatrice Gerba : Merci. Plusieurs détracteurs disent que les consommateurs paient plus cher au Canada pour leurs œufs, leur lait et leur volaille que d’autres pays sans gestion de l’offre. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?
M. Perron : En fait, on peut parfois avoir l’air de payer plus cher — je vais essayer de faire vite —, mais c’est faux sur le fond, parce qu’on paie le juste prix pour permettre à chacun des maillons de la chaîne de production de bien vivre de sa production. C’est le premier élément qu’il faut garder en tête.
Ensuite, comme je l’ai dit plus tôt, les producteurs agricoles aux États-Unis sont subventionnés en amont. Quand le consommateur achète son lait à l’épicerie ou au dépanneur, il l’a déjà payé avec ses taxes et impôts en subventions aux producteurs, ce que nos producteurs d’ici, avec le système de gestion de l’offre, ne nous demandent pas.
Je vais prendre l’exemple du prix des œufs. Aux États-Unis, il y a deux entreprises qui chacune séparément sont capables de fournir le Canada au complet en œufs. Cela vous donne une idée de la taille des entreprises dont je vous parle. Quand la grippe aviaire entre là-dedans, que pensez-vous qu’il se passe? Du jour au lendemain, on n’a plus d’œufs. Le prix des œufs à Hawaï a monté jusqu’à 9 $. Sinon, aux États-Unis, il est passé de 1 $ et quelque à 4 $ et demi. C’est de cela qu’on protège nos consommateurs, avec un prix stable et régulier et un approvisionnement sain. Si un site est atteint par la grippe aviaire, on l’isole, on le nettoie et toutes les fermes... Rappelez-vous ce que j’ai dit plus tôt : toutes les fermes ensemble deviennent une mégaentreprise. Toutes les autres fermes sont comme des sites de production qui vont compenser le marché. On a un approvisionnement...
Le sénateur Housakos : Merci de votre présence, monsieur le député. J’ai quelques préoccupations.
Pouvez-vous m’expliquer comment il se fait que ce projet de loi traîne au Sénat du Canada depuis si longtemps, soit presque un an? C’est un projet de loi qui a été appuyé par la vaste majorité des députés à la Chambre élue. Il faut souligner le fait qu’au Sénat, aujourd’hui en 2024, 80 % des nominations ont été faites par le gouvernement Trudeau. On voit que le gouvernement a priorisé quelques projets de loi dans cette Chambre. Cela ne prend pas un an ou un an et demi qu’un projet de loi devienne loi. Quelle est la réticence?
Je ne comprends pas la réticence du gouvernement Trudeau. En réalité, quand on a fait des négociations de libre-échange depuis les années 1980 sous les gouvernements de MM. Mulroney et Harper, on s’est battu et on a défendu la gestion de l’offre. On n’a pas le choix, parce que la réalité, c’est que si vous regardez tous nos partenaires dans toutes les ententes de libre-échange — les Américains, l’Europe, le Mexique —, ils prennent des mesures extrêmes pour défendre leur secteur agricole. Je pense que c’est inévitable et incontournable que le Canada fasse la même chose.
M. Perron : Merci pour la question, sénateur Housakos. Pour être honnête, je ne comprends pas non plus pourquoi cela a pris un an. Je suis conscient que le fonctionnement du Sénat n’est pas le même que celui de la Chambre des communes, mais je m’attendais à venir ici plus tôt, ne serait-ce qu’en janvier dernier.
On est au point où on en est aujourd’hui. J’ai dit dans mon introduction que je peux comprendre que des gens aient des réticences. C’est pour cela qu’on fait une étude et qu’on répond à vos questions. D’ailleurs, on sera disponible pour répondre à des questions même après la réunion du comité si certains d’entre vous en ont. Mais il faut que cela progresse. Vous avez entendu mon collègue Luc le mentionner : le vote était clair et la volonté est claire. On ne comprend pas, car le gouvernement a appuyé le projet de loi. C’est très rare qu’on voie un projet de loi privé qui obtient l’appui de la ministre qui, au nom de l’exécutif, dit qu’elle va l’appuyer à toutes les étapes. C’est pour cela que, dans notre introduction, on disait que ce n’est pas juste un projet de loi privé, mais un projet de loi qui a l’appui du gouvernement. Il doit progresser.
M. Thériault : On a travaillé très fort pour que le projet de loi soit transpartisan. La journée où 262 députés ont voté pour, on est sorti dans le foyer avec tout le monde, avec tous ceux qui avaient voté pour, y compris avec l’exécutif et la ministre. On n’a donc pas eu le triomphe « on tire la couverture de notre côté et on travaille juste pour nous ». On a complètement laissé cela de côté. Dans ce sens, je comprends mal effectivement qu’on en soit encore à cette étape-ci après un an et demi, pour un projet de loi qui est aussi important pour notre monde. Je ne vais pas revenir là-dessus.
Pourquoi on n’a pas... On vous a respectés. On a respecté le Sénat. On respecte énormément le Sénat. Il a le droit de disposer des projets de loi comme il le souhaite. Toutefois, il me semble que le temps est venu. Il y a des gens ici qui se sont déplacés — et qui vont se déplacer — tout au long de nos travaux et qui attendent qu’on puisse les laisser un peu en paix. En effet, quand il y a trois accords consécutifs qui vont leur chercher des petits morceaux, eh bien, de petits morceaux en petits morceaux, on finit par faire de gros morceaux.
[Traduction]
Le président : En ma qualité de président, je souhaiterais apporter une précision.
Le fonctionnement de ce comité est guidé par un comité de direction au sein duquel tous les groupes sont représentés. Nous nous penchons aujourd’hui sur un projet de loi d’initiative parlementaire. Nous avons travaillé à deux grandes études : l’une sur les sanctions, l’autre sur le service extérieur. Nous avons entrepris une étude sur l’Afrique et, au cas où les gens ne l’auraient pas remarqué, quelques conflits font actuellement rage dans le monde.
Nous avons fait de notre mieux pour pouvoir tenir maintenant ces audiences en bonne et due forme. Nous allons mener cette étude à terme. Je suis reconnaissant à nos témoins pour leur contribution.
Le sénateur Woo : Merci à nos témoins.
Je voudrais vous interroger sur la situation des entreprises soumises à la gestion de l’offre dans le contexte qui vous préoccupe le plus, c’est-à-dire celui des accords que nous avons conclus, y compris l’Accord économique commercial et global, ou AECG, avec les Européens, et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP. Nous avons également renégocié l’ALENA.
Pouvez-vous nous dire comment les secteurs soumis à la gestion de l’offre se sont comportés au cours de la dernière décennie si l’on considère leurs recettes nettes et leur revenu net d’exploitation?
[Français]
M. Perron : Le système de gestion de l’offre a l’avantage d’être bien stabilisé. Il y a donc une progression régulière. Il y a aussi des augmentations de parts de marché avec l’augmentation de la population. Ce qui a été dommageable, ce qui a empêché la croissance pleine et entière des secteurs, ce sont les brèches qui font que ce sont des produits extérieurs qui viennent occuper de nouvelles parts de marché. Nonobstant cela, ils sont tellement efficaces et bien organisés qu’ils sont quand même arrivés à avoir de la croissance — et ils arrivent quand même à s’endetter.
Il faut y penser : avant d’emprunter 2 ou 3 millions de dollars et de l’investir dans ta ferme, dans ton étable, dans ton couvoir ou dans ton poulailler, c’est beaucoup d’argent, c’est du long terme et il faut avoir une certaine prévisibilité. Ces gens peuvent le faire, ils vivent bien et c’est ce qu’on aime, c’est ce qu’il faut préserver, car cela offre une stabilité à nos régions.
[Traduction]
Le sénateur Woo : En fait, [difficultés techniques] perdu des parts de marché, ce qui suscite votre mécontentement. Les recettes nettes ont augmenté de plus de 50 % en 10 ans. Le revenu net d’exploitation a pour sa part grimpé de 50 à 60 % au cours de la même période.
Il me semble que ces entreprises s’en tirent plutôt bien, même avec ces concessions qui ont soi-disant été faites. Ces concessions sont en fait plutôt minimes; nous parlons de cinq ou six points de pourcentage dans la part de marché. Même en renonçant à ces parts de marché, il semble que notre secteur de la gestion de l’offre ne se contente pas de survivre, mais qu’il prospère. Est-ce une affirmation juste?
[Français]
M. Perron : Vous avez raison de dire qu’ils vont bien malgré tout, parce qu’ils sont efficaces et bien organisés. Ils pourraient aller encore mieux. Pour le secteur du lait à 18 %, on n’est pas à 5 %. Pour les autres secteurs, cela peut tourner autour de 10 %. C’est beaucoup. Ce qu’il faut comprendre, sénateur Woo, c’est que ces concessions sont faites pour toujours, n’est-ce pas?
Je vous rassure. Avec le projet de loi C-282, on ne vient pas dire qu’on efface les anciennes ententes de commerce internationales. Tout ce que vient dire le projet de loi C-282, c’est qu’on ne donnera plus de parts. Ce que vous me dites, je le prends comme un élément positif pour les entreprises sous gestion de l’offre. Cela montre leur résilience et leur efficacité. Imaginez ce qu’elles auraient pu faire si elles n’avaient pas eu de jambettes.
M. Savard-Tremblay : Il importe de préciser que les ouvertures de marché sont progressives; elles ne se font pas en un claquement de doigts. Votre question porte sur les industries dans ces secteurs; on est complètement ailleurs par rapport à la réalité des producteurs et productrices. Ce sont deux choses. Je pense que la question n’est pas la même ici.
M. Thériault : Et j’ajouterais que des 222 fermes laitières que nous avions dans Lanaudière, ce chiffre s’élève maintenant à 155. J’ajouterais en outre que ce que veulent les gens, c’est rapprocher les producteurs de leur assiette, ce sont des fermes à dimension humaine, non pas des mégaproducteurs pour lesquels on n’aura plus de contrôle et qui vont finalement faire passer des produits de mauvaise qualité aux frontières. Il faut le dire, il faut le dire comme on le pense. Il faut défendre la qualité et le caractère écologique de la gestion de l’offre. Notre production est logique et les autres productions sont fondées sur un principe illogique. Pourquoi faudrait-il ramasser les pots cassés de nos voisins du Sud, qui voulaient faire disparaître la gestion de l’offre, selon ce que les négociateurs nous disaient? Franchement, il faut se tenir debout devant des gens comme ceux-là.
Le président : Merci, monsieur Thériault.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Merci à nos collègues de l’autre endroit de nous avoir rejoints.
Nous avons beaucoup parlé de la gestion de l’offre. Le projet de loi que nous avons devant nous vise en fait à modifier la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Il interdit toute négociation mettant en cause la gestion de l’offre.
Sur ce point précis, pouvez-vous me dire s’il existe une autre mesure législative dans le monde qui s’appuierait sur une loi ministérielle sur les affaires étrangères ou le commerce international pour interdire les négociations portant sur un élément donné?
[Français]
M. Perron : On l’a dit plus tôt, les États-Unis protègent leur sucre.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Non, je parle d’une loi visant la création d’un ministère.
Vous auriez pu proposer une loi distincte, mais vous avez choisi de ne pas le faire. Vous avez plutôt décidé d’utiliser la loi ministérielle, ce qui est tout à fait unique. Personne d’autre au monde ne l’a fait.
[Français]
M. Perron : Soyons innovateurs; je laisserai M. Savard-Tremblay ajouter ses commentaires à mes propos. Ce que j’ai le goût de vous dire, sénateur, c’est que nous sommes arrivés à cette option après plusieurs années où l’on a essayé de protéger la gestion de l’offre par voie de motions. Nous avons réalisé que cela ne portait pas ses fruits. Nous nous sommes dit que c’était ça, la solution. Je vais le redire : tout gouvernement a le pouvoir de modifier ses lois.
La seule chose qu’il aura à faire, par transparence, c’est de ramener la question devant le Parlement et de modifier cette loi.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Êtes-vous en train de dire que nos négociateurs n’ont pas bien travaillé au bénéfice du Canada ? Êtes-vous en train de dire que d’autres secteurs, comme peut-être le secteur automobile, l’industrie sidérurgique ou d’autres secteurs agricoles, devraient également lever la main pour que l’on modifie la loi ministérielle à leur avantage?
[Français]
M. Perron : Non, absolument pas; ce n’est pas du tout ce que je dis.
[Traduction]
Le sénateur Harder : C’est plutôt spécial.
[Français]
M. Perron : Spécial... C’est la raison pour laquelle j’ai pris la peine d’expliquer, dans mes propos d’ouverture, comment fonctionne la gestion de l’offre. On se trouve dans une situation où, sur le plan politique, on est un peu hypocrite avec nos producteurs sous gestion de l’offre. On leur dit qu’on les aime et qu’on va les protéger, mais en même temps, on crée de l’insécurité et on déstabilise le système. Une pinte de lait sur cinq vient de l’extérieur; ne trouvez-vous pas que c’est suffisant? Si on va en haut de cela, on ne pourra pas continuer d’assurer la survie du système. Je vais laisser Simon-Pierre continuer.
M. Savard-Tremblay : Rapidement, les exemples que vous donnez, comme l’acier et le bois, sont des secteurs stratégiques d’une très grande importance, mais aucun d’eux ne touche à l’alimentation, à la sécurité alimentaire. On est dans quelque chose d’infiniment plus délicat ici. Ensuite, dans la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement dont vous parlez, il n’y a peut-être pas d’obligations, mais il y a quand même des choses qui sont indiquées. On dit qu’un négociateur doit prendre en considération le respect des droits de la personne. Ce n’est pas un mandat ferme, mais c’est quand même bien indiqué qu’un négociateur ne pourrait pas signer une entente qui va à l’encontre des droits de la personne. Il y a quand même des orientations qui sont inscrites dans cette loi.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Mais cela n’exclut rien. Vous proposez quant à vous d’exclure des négociations un secteur bien défini. C’est là toute la différence. C’est pourquoi ce projet de loi me préoccupe beaucoup. Je vous remercie.
[Français]
M. Thériault : Je suis un peu inquiet de la réaction du sénateur Harder, qui nous demande si on pense que les négociateurs ont mal fait leur travail. J’ai dit plus tôt que les négociateurs font du bon travail. Ils doivent cependant avoir des mandats clairs et ils vont faire le travail conformément à ces mandats. Nous n’avons jamais prétendu que les négociateurs avaient mal fait leur travail. Il ne s’agit pas de prendre ce qu’on fait et ce projet de loi de manière personnelle; au contraire. Puisqu’il y a trois accords consécutifs qui font en sorte qu’on négocie des brèches, ces gens-là ont fait leur travail et ce modèle, tout le monde le souhaite. Protégeons-le, c’est tout, c’est aussi simple que cela.
Le président : Merci, monsieur Thériault.
[Traduction]
Comme toujours, lorsque nous avons une discussion riche et animée, comme c’est le cas aujourd’hui grâce à nos témoins, nous avons une décision à prendre concernant le deuxième tour de table. J’ai cinq sénateurs qui veulent poser des questions. Ce que je propose, chers collègues, c’est que les cinq sénateurs posent des questions très concises après quoi nous permettrons à nos témoins de répondre à toutes ces questions en bloc, comme ils le jugeront bon. Si un sénateur décide finalement de ne pas poser de question, c’est très bien aussi. Je pense que c’est la façon la plus équitable de procéder.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’aimerais commencer par préciser quelque chose, c’est-à-dire que nous avons eu un avis juridique qui indique que le projet de loi C-282 ne porte pas atteinte aux prérogatives de la Couronne. Si vous voulez avoir accès à cet avis, on peut le partager avec vous.
C’est un sujet que le président a soulevé, mais je voulais également préciser qu’il y a eu 12 accords qui ont été ratifiés sans faire aucune concession sur le plan de la gestion de l’offre.
Est-ce que ces 12 accords qui ont été ratifiés sans toucher à la gestion de l’offre ont eu une incidence sur les autres produits?
Le sénateur Housakos : J’aimerais souligner que ce Sénat indépendant, qui compte une majorité de sénateurs nommés par le gouvernement Trudeau, a montré à plusieurs reprises que lorsqu’ils priorisent un projet de loi, ils l’adoptent vite, mais que lorsqu’ils ne priorisent pas un projet de loi, ça va mal.
Dans une situation où votre projet de loi n’est pas appuyé par une vaste majorité au Sénat par des sénateurs nommés par le gouvernement Trudeau, allez-vous retirer votre appui au gouvernement Trudeau à la Chambre des communes?
[Traduction]
Le sénateur Woo : Un groupe spécial de règlement des différends mis en place par la Nouvelle-Zélande dans le cadre du PTPGP a rendu en septembre 2023 une décision qui va partiellement à l’encontre du Canada concernant les contingents tarifaires pour les produits laitiers soumis à la gestion de l’offre. Le Canada prépare une réponse, mais ne l’a pas encore formulée. Si nous adoptons ce projet de loi, êtes-vous en train de dire que le Canada devrait simplement se retirer de ce processus de règlement des différends, ne pas réagir à la décision rendue et carrément dire qu’il s’en moque?
Le président : Merci, sénateur.
[Français]
Les témoins ont quatre minutes pour répondre aux questions.
M. Perron : Les 12 accords ont été positifs pour l’ensemble de l’économie canadienne et québécoise; c’est garanti. On est en mesure de le faire.
Pour ce qui est de la priorisation, sénateur Housakos, je ne sais pas si vous avez écouté les nouvelles aujourd’hui, mais on l’a incluse avec nos pensions pour les aînés. On a mentionné qu’on voulait aussi la gestion de l’offre. On pense que c’est possible parce que le travail a commencé ici; le président nous a rassurés plus tôt en nous disant que le travail était maintenant commencé et que les choses iraient bon train, donc nous sommes contents.
Pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande, le processus de règlement des différends est important dans les accords commerciaux et je pense que nous sommes en mesure de défendre nos points.
M. Savard-Tremblay : Sur le règlement des différends entre États, il est justement chargé de mettre en vigueur et d’appliquer les dispositions en cas de différends par rapport à des accords ratifiés, signés et mis en place. Le projet de loi que nous présentons s’appliquera à partir du moment de son adoption et s’appliquera également aux accords futurs.
Toutes les négociations ayant trait à des différends passés, comme les chicanes avec la Nouvelle-Zélande, ne s’appliquent pas; elles n’ont aucun lien avec le projet de loi actuel.
M. Thériault : Sénateur Housakos, vous allez peut-être me trouver naïf, mais j’ai toujours cru que le Sénat faisait un travail indépendant et était un contrepoids au pouvoir exécutif qui, quand il est majoritaire, peut parfois gouverner comme s’il était un roi absolu.
Le travail du Sénat est important. Vous m’informez aujourd’hui qu’habituellement, lorsque le gouvernement appuie un projet de loi — et c’est le cas, j’en ai fait la démonstration dans mon introduction —, l’ordre des priorités au Sénat change et qu’on aurait donc pu le traiter plus rapidement qu’en un an et demi; c’est ce que j’entends.
Sénateur Housakos, est-ce que vous me dites que de votre côté, celui des conservateurs, on fonctionne de cette façon? Lorsqu’un projet de loi est présenté, vous avez un mot d’ordre pour intervenir au Sénat de manière à travailler comme les élus le souhaitent?
Le président : Merci, monsieur Thériault, mais ce n’est pas à vous de poser les questions.
Le sénateur Housakos : Je peux répondre, si le président m’accorde du temps pour le faire.
Le président : J’aimerais remercier nos trois témoins, les députés Thériault, Perron et Savard-Tremblay. Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui.
[Traduction]
Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins pour aujourd’hui. Nous sommes très heureux d’accueillir les représentants d’Affaires mondiales Canada, soit M. Doug Forsyth, directeur général, Direction générale de l’accès aux marchés et des contrôles commerciaux, et Mme Sandra Leduc, directrice, Division du droit pénal, de la sécurité et de la diplomatie. Nous sommes également ravis de recevoir M. Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Bienvenue à tous les trois.
Nous sommes prêts à entendre vos observations préliminaires qui seront suivies des questions des sénateurs. Chers collègues, je tiens à souligner que nous avons devant nous des fonctionnaires, et non des politiciens. Ce sont des experts des questions techniques. Ils vont donc nous fournir des indications d’ordre technique, et non des points de vue personnels. Veuillez garder cela à l’esprit lorsque vous poserez vos questions.
Monsieur Forsyth, vous avez la parole.
Doug Forsyth, directeur général, Direction générale de l’accès aux marchés et des contrôles commerciaux, Affaires mondiales Canada : Bonjour, honorables membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international dans le cadre de son examen du projet de loi C-282.
Le projet de loi propose de modifier la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement afin que le gouvernement du Canada ne puisse prendre, dans un traité commercial international, aucun engagement qui aurait pour effet d’augmenter le volume des contingents tarifaires pour les produits laitiers, la volaille ou les œufs, ou encore de réduire les taux tarifaires hors contingent applicables à ces marchandises. Le projet de loi vise à consolider la politique de longue date du gouvernement du Canada consistant à maintenir le système de gestion de l’offre du Canada, et notamment ses trois piliers, soit le contrôle de la production, les mécanismes d’établissement des prix et les contrôles à l’importation.
La mise en œuvre de cette politique a permis au Canada de conclure avec succès 15 accords de libre-échange des plus ambitieux avec pas moins de 51 pays. Grâce à ces accords, les entreprises canadiennes bénéficient désormais d’un accès préférentiel à plus de 60 % du PIB mondial et à 1,5 milliard de consommateurs.
Un nouvel accès au marché pour les produits soumis à la gestion de l’offre a été rendu possible dans le cadre de trois accords : l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG); l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP); et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). La décision d’accorder un accès accru aux marchés pour les produits soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de ces négociations a facilité l’atteinte d’autres objectifs en matière d’accès aux marchés, mais elle n’a pas été prise à la légère. De tels engagements n’ont été acceptés que lorsqu’ils ont été jugés essentiels à la conclusion d’accords commerciaux qui étaient dans l’intérêt économique général du Canada.
[Français]
Par exemple, ces accords ont permis au Canada de conserver son accès préférentiel aux marchés des États-Unis et d’améliorer l’accès aux marchés européens et japonais ainsi qu’à d’autres marchés importants de façon significative.
[Traduction]
Il est important de souligner que si ces accords prévoient un nouvel accès pour les produits soumis à la gestion de l’offre, l’intégrité du système de gestion de l’offre lui-même, y compris ses trois piliers, a été entièrement maintenue. Dans le cas de l’ACEUM en particulier, des pressions importantes ont été exercées pour démanteler l’ensemble du système, car telle était la position de négociation initiale des États-Unis. En d’autres termes, ils souhaitaient l’élimination totale des droits de douane et l’absence de contingents tarifaires.
Au cours des dernières années, le gouvernement a fait part de son engagement politique à ne faire aucune concession supplémentaire en matière d’accès au marché pour les produits soumis à la gestion de l’offre dans le cadre des futures négociations commerciales.
[Français]
Dans l’accord commercial récemment conclu entre le Canada et le Royaume-Uni, l’Accord de continuité commerciale Canada—Royaume-Uni, le Canada n’a pas accordé de nouveaux accès aux marchés pour le fromage et tout autre produit soumis à la gestion de l’offre, même s’il s’agissait d’enjeux importants pour le Royaume-Uni dans ses négociations.
[Traduction]
Le projet de loi C-282 propose de faire de cet engagement politique une obligation légale en modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Cela renforcerait la politique de défense de l’intégrité du système canadien de gestion de l’offre en l’inscrivant dans la loi. Je note que le projet de loi a reçu un large soutien politique, mais qu’il pourrait avoir des incidences sur nos futures négociations commerciales. Mes collègues et moi-même sommes prêts à répondre à vos questions. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci, monsieur Forsyth. Monsieur Rosser, vous avez la parole.
Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Merci, monsieur le président.
Bonjour, honorables membres du comité. Je suis heureux d’avoir l’occasion de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international dans le cadre de son examen du projet de loi C-282.
Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) travaille en étroite collaboration avec Affaires mondiales Canada pour faire progresser le programme de libre-échange du Canada. Notre ministère joue un rôle important dans les négociations commerciales, en particulier dans les domaines liés à l’accès aux marchés pour les produits agricoles.
Comme l’ont dit mes collègues d’Affaires mondiales Canada, le gouvernement du Canada a depuis longtemps pour politique de défendre l’intégrité du système canadien de gestion de l’offre pour les produits laitiers, la volaille et les œufs. Cette politique comprend des engagements clairs pris par le premier ministre et le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de ne pas accorder de nouvel accès au marché pour les produits soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de futurs accords commerciaux. Le projet de loi est conforme à cette politique.
Les producteurs canadiens de lait, de volaille et d’œufs soumis à la gestion de l’offre sont la pierre angulaire des collectivités rurales de tout le pays. Ils ont généré plus de 15 milliards de dollars en ventes à la ferme en 2023 et créé plus de 100 000 emplois directs dans les activités de production et de transformation à l’échelle du Canada.
En ce qui concerne l’accès au marché accordé aux partenaires commerciaux du Canada, il n’a été octroyé que dans des circonstances exceptionnelles — comme l’a souligné M. Forsyth — telles que l’Accord de l’OMC et les trois accords commerciaux récents. C’est une décision qui n’a pas été prise à la légère; ces accords commerciaux sont nettement dans l’intérêt du Canada et à l’avantage de l’ensemble du secteur agricole canadien.
[Français]
De plus, dans le cas de l’ACEUM, il est important de ne pas oublier que la position de négociation initiale des États-Unis était d’éliminer complètement le système de gestion de l’offre.
L’ACEUM, même si ses résultats sont complexes et difficiles, permet au système de gestion de l’offre de continuer à fonctionner conformément à ses trois piliers : l’établissement des prix, le contrôle de la production et le contrôle des importations.
En outre, le gouvernement du Canada a indemnisé pleinement et équitablement les producteurs et les transformateurs des produits sous gestion de l’offre qui ont perdu des parts de marché dans le cadre des ententes commerciales récentes.
Comme on l’a annoncé en novembre dernier, les producteurs et transformateurs de produits laitiers, de volaille et d’œufs devraient recevoir plus de 1,7 milliard de dollars sous forme de paiements directs et de programmes d’investissement en réponse aux répercussions de l’ACEUM. Cela s’ajoute à plus de 3 milliards de dollars de paiements directs et de programmes d’investissement dans le cadre de l’AECG et du PTPGP. Ces programmes stimuleront l’innovation et la croissance dans les industries sous gestion de l’offre.
En conclusion, l’intégrité du système de gestion de l’offre a été défendue avec succès à l’occasion de multiples négociations commerciales. Le gouvernement du Canada travaille d’arrache-pied pour s’assurer que le système de gestion de l’offre reste solide et que les producteurs et les transformateurs de ce système demeurent productifs et durables.
Le projet de loi C-282 protégerait ces secteurs contre d’autres concessions d’accès aux marchés lors de futures négociations commerciales. Il respecte donc pleinement la politique existante.
Merci encore, monsieur le président. Je serai heureux de répondre à vos questions avec mes collègues.
Le président : On continue avec la période des questions. Comme d’habitude, vous aurez quatre minutes chacun.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins qui sont ici aujourd’hui.
Ce projet de loi semble restreindre la capacité du Canada à prendre des engagements commerciaux concernant des produits soumis à la gestion de l’offre, ce qui pourrait potentiellement limiter la flexibilité du gouvernement dans les négociations commerciales à venir.
Quel impact entrevoyez-vous quant à la capacité du Canada à conclure des accords commerciaux avantageux? Cela pourrait-il entacher la réputation et la crédibilité du Canada dans les discussions commerciales internationales? Tous nos témoins peuvent répondre.
M. Forsyth : Merci pour cette question. Du point de vue des négociations commerciales, l’adoption du projet de loi réduirait certainement l’éventail des concessions qui pourraient être faites pour parvenir à un accord. Je pense qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que les futurs partenaires de négociation adaptent leur approche des négociations avec le Canada, ce qui pourrait bien limiter nos possibilités d’optimiser la valeur commerciale globale des nouveaux accords commerciaux négociés par le Canada. J’ajouterais que certains de ces risques ont été soulignés par mes collègues et moi-même lors de notre témoignage devant le comité de la Chambre.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie. L’accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique sera réexaminé en 2026. Cette question pourrait devenir un point chaud de ces négociations. Comment l’adoption de ce projet de loi pourrait-elle susciter des tensions ou créer de nouveaux problèmes commerciaux avec les États-Unis et le Mexique ? Quelles stratégies le Canada devrait-il ou pourrait-il envisager pour aplanir ces difficultés, en particulier dans le contexte de la négociation de grands accords commerciaux?
M. Forsyth : Je vous remercie de votre question. Je pense que l’examen de l’ACEUM qui sera mené en 2026 est une priorité pour nous tous au sein du gouvernement, car nous nous penchons sur ce grand dossier et sur son importance pour le Canada.
Dans quelle mesure cela peut-il être important? Je me souviens des premières négociations concernant l’ACEUM et, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, la gestion de l’offre était l’un des principaux points d’intérêt des États-Unis au cours de ces négociations. Nous avons toutefois réussi à négocier un résultat qui maintenait l’accès que nous avions au marché américain. Cela a fourni un accès supplémentaire aux États-Unis, mais on a également considéré qu’il s’agissait essentiellement d’un résultat existentiel pour l’économie du Canada.
À l’approche de cet examen, nous tentons de déterminer les diverses formes qu’il pourrait prendre, et je pense que le Canada, les États-Unis et le Mexique sont tous en train de faire la même chose. Nous n’aurons pas une idée précise de la forme que prendra cet examen avant les élections américaines de novembre, mais nous devons être prêts. Nous envisageons toute une série de résultats.
Quant à savoir comment nous relèverons ces défis, nous avons commencé nos travaux à l’interne. La ministre Ng a annoncé un processus de consultation à la fin du mois d’août, afin d’obtenir l’avis des parties prenantes sur la question. Nous avons déjà entendu plusieurs d’entre elles. Nous tiendrons compte de tous ces renseignements au cours de la période menant aux élections américaines et jusqu’au moment de l’examen, et nous déciderons de la meilleure voie de négociation pour le Canada.
Quel impact cela pourrait-il avoir? Honnêtement, tous nos partenaires commerciaux nous observent en ce moment. Ils observent la forme que prend le projet de loi et les étapes qu’il franchit à la Chambre des communes et maintenant au Sénat. Je ne sais pas comment les États-Unis réagiront au projet de loi, mais je ne peux pas imaginer que ce sera une réaction positive.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. On entend souvent dire que le projet de loi C-282 serait un obstacle à la capacité canadienne de conclure des accords commerciaux. Pourriez-vous nous dire, monsieur Forsyth, en tant que négociateur, combien de chapitres sont habituellement consacrés à l’agriculture et en particulier aux produits sous gestion de l’offre?
[Traduction]
M. Forsyth : À des fins d’éclaircissements, cela concerne-t-il l’ACEUM?
[Français]
La sénatrice Gerba : Dans la plupart des négociations concernant l’agriculture en général, on parle de combien de chapitres? La gestion de l’offre doit en faire partie.
M. Forsyth : Merci pour la précision.
[Traduction]
En général, un accord commercial négocié en bonne et due forme contient environ 30 chapitres, qui vont des services aux investissements en passant par la propriété intellectuelle, les marchandises, les règles d’origine — tous les sujets nécessaires. De mémoire, je dirais que l’agriculture ferait partie d’un certain nombre de ces chapitres, mais je pense que les principaux enjeux seraient plutôt l’accès aux marchés pour les marchandises, les mesures sanitaires et phytosanitaires et probablement les règles d’origine. J’en ai peut-être oublié un ou deux.
[Français]
La sénatrice Gerba : Selon des informations que j’ai, l’agriculture est généralement un seul sujet sur une trentaine de chapitres. Dans un groupe de témoins précédent, les témoins nous ont expliqué qu’il y a eu 12 accords qui ont été négociés sans aucune concession sur la gestion de l’offre. Pourriez-vous nous dire ou nous confirmer quel est l’ordre de grandeur?
[Traduction]
M. Forsyth : Pour être plus précis, lorsque j’ai parlé des chapitres liés à l’agriculture... Je comprends où vous voulez en venir avec votre question, et oui, il s’agit principalement de la partie sur l’accès aux marchés pour les marchandises, mais cela touche aussi d’autres parties. Je voulais seulement m’assurer de mentionner les mesures sanitaires et phytosanitaires et les règles d’origine, mais cela concerne surtout les marchandises.
Pour répondre à votre autre question, oui, nous avons certainement négocié d’autres accords de libre-échange qui n’accordaient aucune concession en matière d’accès aux marchés pour les marchandises soumis à la gestion de l’offre. Il convient de souligner que c’est ce que nous faisons depuis plus de 20 ans. Comme je l’ai également mentionné dans ma déclaration préliminaire, c’est aussi le mandat des négociateurs pour l’avenir. Les produits soumis à la gestion de l’offre ne font pas partie intégrante des négociations. Cela a été clairement établi par le premier ministre.
[Français]
La sénatrice Gerba : Pensez-vous que ce projet de loi est réellement un obstacle aux futures négociations, et pourquoi? Si vous pouviez nous donner plus de détails... En quoi cela serait-il un obstacle pour les futures négociations si ce projet de loi était adopté?
Le président : Je suis désolé, mais le temps est écoulé.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Les détracteurs du projet de loi C-282 affirment qu’en légiférant l’exclusion de certains secteurs comme les produits laitiers, la volaille et les œufs des négociations commerciales, le Canada pourrait par inadvertance encourager d’autres pays à adopter des mesures protectionnistes similaires. Selon vous, quel serait l’effet d’entraînement potentiel d’un tel protectionnisme sur l’évolution du commerce mondial? Plus précisément, quelles pourraient être les répercussions potentielles sur les exportateurs canadiens dans les secteurs qui dépendent fortement de l’ouverture des marchés et des réductions des tarifs douaniers, par exemple l’énergie, l’industrie manufacturière et l’agriculture?
M. Forsyth : Je vous remercie de votre question. Je crois que le protectionnisme prend effectivement de l’ampleur. Pour diverses raisons, c’est tout simplement l’environnement qui règne actuellement dans le monde du commerce international.
Un projet de loi comme celui-ci s’appuie certainement sur tout le protectionnisme qui existe déjà, et il inscrit dans la loi le mandat stratégique que nous exécutons déjà. Nous avons déjà négocié des accords sans ce projet de loi. Comme je l’ai mentionné, cela a certainement attiré l’attention de nos autres partenaires de négociation. Dans toute négociation future, si ce projet de loi devait entrer en vigueur et que nous retirions d’emblée certains éléments des négociations, d’autres partenaires de négociation feraient certainement de même. C’est l’un des impacts les plus importants que nous observerions probablement à la table des négociations.
Cela aurait-il un impact sur d’autres secteurs? Oui, c’est certainement une possibilité. Tous les pays ont des points sensibles et nous nous attendons à ce que ces points sensibles soient de plus en plus souvent mis en évidence dans le cadre des négociations. Cela pourrait donc assurément avoir un impact sur d’autres secteurs dans lesquels nous aimerions augmenter nos exportations.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie.
Étant donné que le Canada est un chef de file dans la promotion du libre-échange à l’échelle mondiale, le projet de loi C-282 risque-t-il de miner notre crédibilité lorsque nous prônons l’ouverture des marchés? Cette tendance au protectionnisme pourrait-elle avoir une incidence sur la capacité du Canada à négocier de futurs accords commerciaux qui profiteraient à toutes les régions, y compris celles qui dépendent des exportations mondiales?
M. Forsyth : Je vous remercie de votre question. C’est une possibilité et cela pourrait se produire, mais nous n’en sommes pas certains. Comme je l’ai dit, cela permettrait de codifier notre pratique actuelle. Cela pourrait avoir l’impact que vous soulevez, mais nous n’en savons rien. Pour parler franchement, il existe certainement un risque et nous l’avons signalé devant le comité et ailleurs. Je suis sûr que d’autres témoins ont également soulevé ce point devant votre comité.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie.
Le sénateur Woo : Bonjour. Le mandat stratégique actuel visant à ne pas autoriser d’accès supplémentaire aux marchés dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre s’étend-il à la façon dont nous gérons nos contingents tarifaires, par exemple en cas de décision défavorable du groupe spécial de règlement des différends, comme la décision liée au PTPGP qui a été rendue en septembre 2023?
M. Forsyth : Je vous remercie de votre question. En ce qui concerne cette décision, la contestation soulevée par la Nouvelle-Zélande dans le cadre du PTPGP ressemblait beaucoup à celle présentée par les États-Unis dans le cadre de l’ACEUM. Malgré l’évaluation mitigée que nous avons reçue du groupe d’experts sur le PTPGP, nous sommes toujours d’avis que nous avons mis en œuvre cette décision d’une manière qui respecte la décision du groupe d’experts. Je pense qu’il y a certains points de désaccord avec la Nouvelle-Zélande, et nous verrons ce qu’il en est, mais je pense que cela résume bien la situation actuelle.
Le projet de loi aura-t-il des répercussions sur ce point? Non, car le projet de loi concerne l’amélioration de l’accès. Je pense que la contestation soulevée par la Nouvelle-Zélande et les États-Unis concernait la façon dont nous gérons les contingents tarifaires.
Le sénateur Woo : J’aimerais savoir si le mandat stratégique actuel nous empêche de modifier la façon dont nous gérons nos contingents tarifaires. Peu importe à quel point nous estimons avoir raison à cet égard, si une décision nettement défavorable était rendue au sujet de la façon dont nous gérons nos contingents tarifaires, déclarerions-nous que cette question ne peut malheureusement pas être abordée en raison de la position stratégique que nous avons adoptée?
M. Forsyth : Non, le Canada a toujours mis en œuvre les décisions défavorables à son encontre. Je pense donc que nous ferons la même chose si nous sommes visés par une décision défavorable dans ce dossier.
Le sénateur Woo : Donc, si les Américains se retournaient contre nous parce qu’ils sont visés par une décision défavorable lors de la renégociation de 2026 et qu’ils affirmaient qu’ils ont été dupés la première fois parce que le libellé favorisait manifestement le Canada, et qu’ils souhaitaient modifier le libellé pour ne pas faire l’objet du même type de décision défavorable au sujet de leur capacité à avoir accès aux marchés canadiens par l’entremise des utilisateurs en aval de produits fromagers et ainsi de suite, ce projet de loi nous empêcherait-il de négocier cette demande?
M. Forsyth : Le projet de loi nous empêcherait d’accroître l’accès à un marché, quel qu’il soit. Oui, c’est vrai.
Le sénateur Woo : Donc, si les Américains affirmaient qu’ils sont très mécontents de notre décision et qu’ils souhaitent revoir le libellé, répondrions-nous que ce point ne peut malheureusement pas être abordé?
M. Forsyth : Si le projet de loi est adopté et qu’ils souhaitaient accroître l’accès au marché, oui, nous le ferions.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants.
Je vais poser une question très semblable à celle que mon collègue, le sénateur Harder, a posée lors de la dernière série de questions, mais je tiens à la poser à nouveau. Elle s’adresse à Mme Leduc, qui est juste à côté de moi. Avons-nous adopté d’autres lois comparables qui excluent un certain secteur des négociations commerciales?
Sandra Leduc, directrice exécutive, Direction du droit criminel, de la sécurité et de la diplomatie, Affaires mondiales Canada : Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question parce qu’elle porte expressément sur le droit commercial, mais je pourrais vous faire parvenir une réponse plus tard.
La sénatrice M. Deacon : Ce serait formidable si vous pouviez nous faire parvenir une réponse plus tard. Lorsque vous enverrez votre réponse, pourriez-vous également parler de la façon dont cette réponse s’applique au niveau international? J’aimerais surtout me concentrer sur les pays pairs en Europe et sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Je sais que l’Union européenne s’est dotée d’une politique agricole commune, mais je ne sais pas ce que cela signifie à l’échelle internationale. Si vous pouviez nous aider, ce serait merveilleux.
M. Forsyth : Je pense pouvoir répondre à cette question. La réponse est non, nous n’avons connaissance d’aucun autre pays qui interdit la négociation de produits délicats sur ce marché.
La sénatrice M. Deacon : D’accord. Je vous remercie. Je vous suis reconnaissante de votre réponse.
J’ai une question pour M. Rosser. Vous avez mentionné que des secteurs soumis à la gestion de l’offre reçoivent une indemnisation pour les concessions que nous avons faites en matière d’accès aux marchés dans le cadre d’accords commerciaux tels que l’ACEUM. J’aimerais savoir comment cette indemnisation se compare à celle que reçoivent d’autres secteurs agricoles lorsque nous autorisons la concurrence étrangère pour leurs produits. Pouvez-vous nous fournir une telle comparaison?
M. Rosser : Je vous remercie de votre question. Nous offrons certainement des programmes et des soutiens de diverses natures tout au long de la chaîne de valeur agroalimentaire. En ce qui concerne l’indemnisation explicite des producteurs et des transformateurs agricoles, je ne vois pas de précédent récent semblable à ce qui a été fait dans cette situation précise dans laquelle le gouvernement, immédiatement après la conclusion des négociations dans le cadre de l’ACEUM, a promis une indemnisation complète et équitable. On a effectué un processus de calcul de l’impact de ces concessions et une indemnisation a été offerte en fonction de l’ampleur estimée de l’impact et de la manière privilégiée par les personnes touchées.
Comme je l’ai dit, nous avons proposé des programmes à d’autres gens. Je ne peux penser à aucun précédent direct à cela, en tout cas pas récemment.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. J’aimerais obtenir quelques statistiques, car ce serait un moyen peut-être plus simple et direct d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Quelle est la part du secteur agricole dans le PIB du Canada? Quelle est la part des industries soumises à la gestion de l’offre?
Si vous n’avez pas ces chiffres, mais que vous pouviez me les faire parvenir plus tard, je vous en serais reconnaissante.
M. Rosser : Nous serions heureux de vous fournir ces chiffres. Mais je peux vous dire rapidement que l’agriculture primaire représente une faible partie du PIB, soit probablement environ 2 %. Les secteurs soumis à la gestion de l’offre dans cette partie représentent un sous-ensemble non négligeable, mais certainement une minorité.
Si on considère la chaîne de valeur au sens large, et en particulier si on considère l’ensemble de la chaîne de valeur, on commence à voir une part beaucoup plus importante de l’emploi et du PIB au Canada. Bien entendu, le secteur a réalisé des exportations d’une valeur de 99 milliards de dollars l’année dernière. C’est un élément important de notre balance commerciale.
Toutefois, la contribution directe au PIB des producteurs primaires et des transformateurs soumis à la gestion de l’offre n’est pas très élevée. Je serais heureux de vous envoyer ces données.
La sénatrice M. Deacon : Je vous demanderais également, lorsque vous nous enverrez ces données, de comparer le nombre d’emplois que les secteurs soutiennent dans les deux cas. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, monsieur Rosser. Si vous pouviez nous communiquer ces données dès que possible par l’entremise de Mme Chantal Cardinal, la greffière du comité, nous vous en serions très reconnaissants.
La sénatrice Coyle : On a déjà posé les questions que je voulais poser, mais je pense qu’il serait préférable de poser la question suivante au sous-ministre adjoint, M. Rosser.
Notre gouvernement a évidemment pour politique de soutenir, de protéger et d’aider le secteur agricole soumis à la gestion de l’offre. Il souhaite également conclure des accords commerciaux favorables aux objectifs économiques de notre pays.
Pouvez-vous nous aider à comprendre comment un gouvernement peut équilibrer ces deux objectifs? Nous voulons protéger cette mesure judicieuse qui profite à certaines régions du Canada et aux consommateurs canadiens. Cependant, nous voulons faire ce qui est bénéfique pour l’ensemble de l’économie canadienne, c’est-à-dire négocier des accords commerciaux avantageux pour notre économie. Nous avons parlé d’atteindre un équilibre dans l’aspect commercial, mais il y a deux objectifs dans ce cas-ci.
M. Rosser : Je remercie la sénatrice de sa question. Elle a effectivement raison lorsqu’elle dit qu’il faut trouver un équilibre entre le secteur agricole, le ministère et le gouvernement. Ce n’est pas toujours facile. Je dirais que c’est l’un des thèmes de l’audience jusqu’à présent. Je pense qu’au fil des décennies, nous avons trouvé un moyen d’y parvenir. En effet, nous avons signé 15 accords avec 51 ou 52 partenaires commerciaux différents. Nous avons protégé l’intégrité du système de gestion de l’offre.
Depuis l’engagement pris par le ministre de l’Agriculture et le premier ministre, nous n’avons pas accordé de concessions en matière d’accès aux marchés dans le cadre de la gestion de l’offre. Et nous poursuivons dans cette voie. En effet, des négociations bilatérales sont en cours en ce moment même. Nous continuons à faire avancer ce programme commercial malgré ces engagements de principe. C’est un équilibre délicat. À mon avis, si l’on considère les deux dernières années et, en réalité, les deux dernières décennies, je dirais que nous avons assez bien réussi à trouver cet équilibre.
La sénatrice Coyle : Selon vous, en ce moment précis, existe-t-il des préoccupations qui nécessitent la mise en œuvre d’un projet de loi tel que celui que nous examinons actuellement? Pourquoi maintenant? Pourquoi ce projet de loi?
M. Rosser : Comme M. Forsyth l’a mentionné, le projet de loi ne fait que codifier la politique appliquée par le gouvernement depuis plusieurs années. Cela n’a pas entravé notre capacité à faire avancer notre programme commercial.
On peut formuler des hypothèses sur ce qui pourrait se produire plus tard. La codification de cette politique pourrait avoir des répercussions dans le domaine juridique et dans d’autres domaines. En ce qui concerne les négociations commerciales, le lendemain de son adoption — s’il est adopté —, il n’y aurait aucun changement au mandat des négociations en cours. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
La sénatrice Coyle : Et s’il n’est pas adopté?
M. Rosser : Je voulais dire que le mandat des négociateurs ne changera pas dans un cas comme dans l’autre.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie.
Le sénateur Harder : Je remercie les fonctionnaires d’être présents. Je tiens à les remercier pour le service public qu’ils accomplissent.
Ma question s’adresse à M. Forsyth. Vous avez déclaré que tous les pays avaient des points sensibles. Je suis d’accord. Savez-vous si certains pays utilisent la loi fondamentale de leur ministère du commerce pour circonscrire les négociations dans un secteur particulier?
M. Forsyth : Pour répondre simplement, non, je ne connais aucun pays qui le fasse.
Le sénateur Harder : Dans vos observations, vous avez dit que s’il est adopté, le projet de loi pourrait avoir des répercussions sur les futurs accords commerciaux. Nous en avons brièvement parlé.
Vous avez dit que si le projet de loi était adopté, il réduirait l’éventail des concessions. J’aimerais que vous développiez ce point. Vous avez fait une série de déclarations très nuancées. Lorsque l’on réduit l’éventail des concessions, on accroît la vulnérabilité des secteurs qui ne sont pas protégés par la nature des négociations. Pourriez-vous confirmer que c’est le cas? Les risques concernent principalement le secteur agricole non soumis à la gestion de l’offre, mais ils pourraient également toucher d’autres secteurs qui dépendent fortement du commerce, comme ceux de la sidérurgie et de l’automobile, ou d’autres secteurs à volume élevé et à forte incidence.
Veuillez développer cette déclaration nuancée sur la réduction de l’éventail des concessions.
M. Forsyth : Je vous remercie pour votre question. Je vais l’aborder de la manière suivante : En tant que négociateurs commerciaux, nous commençons par dire que tout peut être négocié, même si nous sommes conscients que ce n’est pas vrai.
Le sénateur Harder : Pour l’autre côté aussi.
M. Forsyth : Oui, de l’autre côté aussi. Tout peut être négocié.
On entame les négociations avec des intérêts offensifs et défensifs. La gestion de l’offre est évidemment toujours un intérêt défensif. Nous cherchons toujours à protéger la gestion de l’offre dans le cadre de notre mandat.
Nous avons également des intérêts offensifs. Vous avez évoqué certains domaines clés. Il s’agit notamment des secteurs de l’automobile et de la sidérurgie, de la gestion de l’offre, du canola, du porc et du bœuf; ces produits font tous partie de notre mandat habituel lorsque nous examinons nos intérêts offensifs dans le cadre d’une négociation commerciale.
Dès que vous retirez des éléments de la table des négociations, que vous commencez à réduire le champ des négociations, votre partenaire commercial fait de même. Il peut ne pas retirer de la table les points qu’il juge sensibles, car il sait qu’il ne fera de toute façon pas de concession dans ces domaines. Il peut retirer de la table des éléments qui vous intéressent.
Pour répondre à votre question — je pense que c’est là où vous vouliez en venir — on commence alors à réduire le champ des négociations. L’accord de libre-échange génèrerait-il alors des avantages commerciaux pour le Canada dans tous les domaines? Je pense que la réponse est non. C’est l’un des risques auxquels nous sommes confrontés.
Le sénateur Harder : C’est exact, merci.
Le sénateur Gold : Merci de votre présence et de tout ce que vous faites pour nous.
J’essaie de comparer certains de vos commentaires à ceux de l’un de vos anciens collègues, Steve Verheul, qui était l’un des négociateurs principaux de l’ACEUM, et qui comprend bien les différentes dimensions de la négociation d’accords de libre-échange. Il s’est exprimé à ce sujet. J’ai cru comprendre qu’il n’était pas d’avis que le projet de loi C-282 puisse menacer les accords futurs. Je crois qu’il a dit qu’il était « essentiellement symbolique ». Ses propos correspondent un peu à la description que vous avez fournie de la façon dont vous travaillez avec le mandat politique et ce qui pourrait se produire au lendemain de l’adoption de ce projet de loi. Il s’agirait clairement d’une modification de la loi ministérielle.
Pourriez-vous nous dire s’il s’agit simplement d’un outil supplémentaire permettant de protéger un secteur vital de l’économie canadienne et d’un exemple, — puisque ce projet de loi est le fruit d’un débat démocratique et d’un soutien à l’autre endroit — d’une situation où l’on a donné au Parlement un rôle qu’il se plaint souvent de ne pas avoir relativement à ce type de questions?
M. Rosser : Tout d’abord, monsieur le président, je vais répondre au mieux à cette question et dire que je suis conscient que différentes personnes ont exprimé diverses opinions sur ce projet de loi, son importance et ses conséquences possibles pour l’avenir.
Nous en revenons à l’argument précédent selon lequel, du point de vue des négociations commerciales, rien ne changera au lendemain de l’adoption ou du rejet de ce texte. Il ne faut pas en déduire qu’il ne sera pas important à l’avenir. Différentes personnes imaginent différents scénarios et différents types de négociations commerciales qui pourraient ou non se manifester à l’avenir si la politique du gouvernement consistant à ne pas accorder de nouvel accès devait changer à un moment donné, et elles arrivent à des conclusions différentes.
Lorsque vous examinez une loi, vous essayez inévitablement de réfléchir aux situations auxquelles elle pourrait s’appliquer à l’avenir. Différentes personnes, y compris des personnes expérimentées et des experts, parviennent à des conclusions différentes lorsqu’elles se projettent dans l’avenir et essaient de regarder dans leur boule de cristal. Voilà l’explication la plus claire que je puisse donner.
Le sénateur Housakos : Êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle tous les accords de libre-échange, y compris ceux qu’a signés le Canada, ne sont pas totalement libres? Ce ne sont que des accords commerciaux. Certains éléments nous sont favorables, d’autres sont favorables aux pays avec lesquels nous traitons.
Êtes-vous également d’accord pour dire que le Parlement a toujours les mains liées lorsqu’il est saisi des accords commerciaux que nous signons? J’ai participé à la ratification de 40 accords de libre-échange par le Sénat. À chaque fois, les gouvernements successifs ont dit qu’il n’était évidemment pas possible de modifier ceci ou cela parce que ces modifications auraient nécessité de rouvrir les négociations. C’est une question de bon sens.
Pourquoi le Parlement n’aurait-il pas le droit légitime de fixer des lignes directrices en amont, avant d’entamer des négociations, sur ce que nous attendons de ces accords et sur les valeurs que nos négociateurs doivent savoir être des limites à ne pas franchir?
Cette position particulière du gouvernement — et ce que vous dites ici, à savoir que ce projet de loi peut poser de grands risques — est-elle la première étape pour dire que nous sommes prêts à céder sur la gestion de l’offre?
Ma dernière question est la suivante : L’Europe, les États-Unis et d’autres pays avec lesquels nous avons conclu des accords consacrent des ressources disproportionnées au soutien et à la subvention de l’industrie agricole, ce que ne fait pas le gouvernement canadien.
M. Forsyth : Je vous remercie pour vos questions. Je vais répondre aux premières.
En ce qui concerne les accords de libre-échange, il s’agit d’une négociation. Comme je l’ai mentionné dans une réponse précédente, nous les abordons avec des intérêts offensifs et défensifs, mais au bout du compte, il s’agit de négociations. Lors d’une négociation, tout le monde doit mettre de l’eau dans son vin. Chacun doit en retirer des avantages et, en fin de compte, il y a généralement un peu de souffrance de part et d’autre. En général, il s’agit d’une négociation. C’est ce que l’on constate dans de nombreux accords de libre-échange. Il est rare que les deux partenaires soient satisfaits à 100 %. Mais c’est normal. C’est une négociation.
S’agit-il toujours de négociations de libre-échange? Je suppose que cela dépend du contexte. D’un point de vue purement économique, probablement pas. Mais en fin de compte, il s’agit d’accords commerciaux. Sont-ils complets, équitables et libres? Non, mais chaque pays a des intérêts différents.
J’aimerais revenir sur la question du contrôle parlementaire, car elle est importante. Le gouvernement a amélioré le contrôle parlementaire. Désormais, avant toute négociation, nous exposons les objectifs de négociation qui sont présentés pendant 21 jours de séance, ce qui donne aux parlementaires l’occasion d’examiner ces objectifs. Récemment, nous l’avons fait pour l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur, qui a été soumis au Parlement. Le Comité du commerce international l’a ensuite examiné et a présenté son évaluation et ses questions supplémentaires, et le gouvernement y a répondu.
Cette procédure fait partie de notre politique de dépôt des traités, et elle renforce assurément la transparence des négociations commerciales et offre la possibilité d’examiner les objectifs et les mérites économiques des accords. Une fois l’accord achevé, le Parlement a également la possibilité de l’examiner et de donner son avis. Il n’a pas la possibilité de modifier une clause, car l’accord est finalisé lorsqu’il est négocié et achevé. Il est plutôt présenté en vue de sa ratification. Il est très difficile pour le gouvernement en place de le modifier à ce moment-là, car l’accord est négocié et conclu avec les parties. Néanmoins, les parlementaires ont aujourd’hui plus d’occasions d’exercer un contrôle en amont sur la négociation proposée.
Le président : Notre temps est écoulé, mais je vais vous laisser dépasser.
M. Rosser : Bien que nous accordions diverses formes de soutien à notre secteur agricole, comme le font les gouvernements provinciaux et territoriaux, ces aides sont proportionnellement beaucoup moins généreuses que celles accordées à certains de nos principaux partenaires commerciaux. Nous sommes actifs depuis longtemps au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, afin d’instaurer une discipline mondiale plus stricte en matière de soutien et de veiller à ce que les aides proposées réduisent au minimum les distorsions dans le commerce mondial des produits agricoles. Au fil du temps, nous avons obtenu d’énormes réussites, même si l’OMC a du mal, ces dernières années, à parvenir à un consensus sur la poursuite des réformes de la politique agricole.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’aimerais commencer par préciser qu’il y a déjà des pays qui protègent des secteurs et que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) permet de faire des exceptions.
En parlant des projets de loi qui ont déjà été adoptés, aux États-Unis, il y a un Farm Bill — si vous ne connaissez pas cette loi, vous pourrez l’examiner — qui protège des secteurs de l’agriculture américains. Au Japon, ils ont également des protections pour le secteur du riz.
Monsieur Forsyth, vous dites à la fois que vous respectez le fait de ne pas donner d’autres parts de marché et vous dites que la loi aurait un mauvais effet sur l’ACEUM.
Ce que je comprends par là, c’est que vous avez l’intention de céder d’autres parts du secteur de la gestion de l’offre durant les prochaines négociations. Est-ce bien ce que je comprends? Ne trouvez-vous pas que cela insécurise quelque peu nos producteurs agricoles de dire d’un côté qu’on est en faveur de la protection, mais que d’un autre côté on envoie un signal que le projet de loi va nous empêcher de faire de nouvelles négociations? Est-ce que c’est ce que je comprends?
M. Rosser : Je sais que la question était destinée à mon collègue et je vais lui céder la parole bientôt.
Cependant, je voulais confirmer à la sénatrice que c’était seulement avec le sucre aux États-Unis et avec le riz au Japon. Comme on en a discuté, d’autres pays protègent certains secteurs. Je crois que la différence est dans la manière qui est proposée ici par rapport à ce qui se fait avec le Farm Bill et avec d’autres mécanismes dans d’autres pays.
La sénatrice Gerba : Est-ce que vous pouvez expliquer la manière dont eux assurent une protection, et quelle est la différence fondamentale avec ce projet de loi?
M. Rosser : Je vais permettre à mon collègue de répondre à la question. Il s’agit d’un changement à un projet de loi spécifique; c’est un mécanisme unique pour faire cela, comparativement à ce qui est fait en vertu du Farm Bill.
M. Forsyth : Est-ce que la réponse de M. Rosser était claire?
La sénatrice Gerba : Non, je ne crois pas.
[Traduction]
M. Forsyth : Les États-Unis disposent d’une loi sur l’agriculture qui leur permet de protéger certains de leurs produits agricoles. Ils n’ont pas de système, en soi, comme la gestion de l’offre. Ils ont des contingents tarifaires, tout comme nous. Ils autorisent l’importation limitée de certains produits et appliquent des droits de douane élevés au-delà de cette limite. Mais ils ne disposent pas des deux autres pieds du tabouret, si je puis m’exprimer ainsi, dans la plupart des cas. Ils gèrent les importations, mais ils ne gèrent généralement pas la production ou la fixation des prix. Ce n’est pas le cas dans tous les domaines, mais, d’une manière générale, les États-Unis gèrent les choses à la frontière. Honnêtement, je ne pourrais pas expliquer le système japonais relatif au riz. Je m’en excuse.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je comprends, merci.
Est-ce que vous trouvez anormal ou préjudiciable que le Canada puisse aussi fixer ses propres lignes et ses propres règles? Est-ce qu’on doit toujours suivre exactement ce que font d’autres pays? C’est notre façon de fonctionner et cela a fonctionné pendant les 50 dernières années. Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas protéger ce système qui a fonctionné durant plus de 50 ans?
[Traduction]
M. Forsyth : J’aimerais simplement préciser qu’en tant que négociateurs, notre mandat est de protéger le système de gestion de l’offre. Mon collègue et moi-même l’avons indiqué. Le premier ministre et le Cabinet nous donnent pour mandat de ne pas faire de concessions sur la gestion de l’offre. Dans l’histoire de nos négociations, nous n’avons fait de concessions que dans le cadre de trois accords commerciaux majeurs qui sont importants pour notre économie. Nous n’entamons pas les négociations en nous disant : « Je pourrai sacrifier la gestion de l’offre au besoin ». Le mandat est clair. Il émane du premier ministre. Il s’est montré clair à ce sujet. Le ministre de l’Agriculture s’est montré clair à ce sujet; la ministre du Commerce international s’est montrée claire à ce sujet. Pour moi, en tant que négociateur, les choses sont claires, et pour mon homologue aussi. Maintenant, tout cela n’est pas inscrit dans la loi, et c’est ce que ferait ce projet de loi.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Harder : J’aimerais revenir sur le projet de loi dont nous sommes saisis. Quel est l’objet de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement?
M. Forsyth : Elle définit le mandat du ministre et fournit un cadre souple permettant au gouvernement en place de fixer et de réaliser les objectifs de la politique étrangère en matière de commerce international et de développement, en réponse à une conjoncture internationale qui évolue souvent rapidement.
Le sénateur Harder : Je vous remercie. Je tiens simplement à souligner que l’objectif de la loi qu’on nous demande de modifier n’a rien à voir avec la gestion de l’offre.
M. Forsyth : C’est exact.
Le sénateur Harder : Merci.
Le sénateur Gold : Il est toujours difficile de passer après le sénateur Harder.
J’aimerais revenir sur une question précédente du sénateur Housakos. D’une certaine manière, j’y ai fait allusion dans ma première intervention. Nous savons tous que le Parlement est très limité lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre des accords de libre-échange, car, à juste titre, et c’est compréhensible, les accords sont le fruit, comme vous l’avez dit, de négociations avec nos partenaires commerciaux étrangers.
Le projet de loi C-282, tel que je le comprends, donnerait aux législateurs élus la possibilité de donner leur avis sur ce qu’ils jugent être les éléments importants qui doivent constituer la base des négociations futures, car ils reflètent, du moins du point de vue des législateurs élus, dans le cas de ce projet de loi, les besoins et les intérêts de leurs collectivités respectives et de leurs circonscriptions électorales. Je pense qu’il a été fait allusion tout à l’heure, ou peut-être au sein d’un groupe de témoins précédent, au fait que la loi est toujours susceptible d’être amendée ou modifiée par le Parlement s’il s’avère qu’elle n’est plus adaptée à l’avenir.
Ce projet de loi ne vous permet-il pas, en tant que négociateurs, de signaler à vos partenaires commerciaux ou à vos futurs partenaires commerciaux à quel point ce secteur particulier est vital, même si son importance est relativement limitée par rapport à toutes les questions qui sont généralement mises sur la table, et à quel point il est crucial non seulement pour l’économie canadienne, mais aussi pour toute la société canadienne, comme nous l’avons également entendu dans d’autres groupes de discussion?
M. Forsyth : Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, le gouvernement soutient la gestion de l’offre, point final. Je ne pense pas qu’il y ait de débat à ce sujet. Le mandat d’un négociateur est de défendre la gestion de l’offre. Ce projet de loi rend donc illégale toute atteinte à la gestion de l’offre. Vous ne pouvez pas augmenter la quantité ou le montant du contingent tarifaire, ou le montant des importations du contingent. C’est ce que dit le projet de loi. C’est déjà notre mandat.
Le sénateur Gold : Je comprends votre réponse. Toutefois, s’il est vrai que selon votre approche, dès le premier jour et tout au long des négociations, les négociateurs sont limités par les mandats et les orientations politiques du gouvernement, quelle est la différence entre ces contraintes et la volonté des députés élus qui se sont prononcés sur ce qu’ils considèrent être une contrainte importante pour l’avenir des négociations?
M. Forsyth : S’il s’agit d’une loi, elle est très limitée. Je ne sais pas si vous voulez que j’emploie un adjectif, mais cela signifie que nous ne pouvons rien y faire; tout ce qui a trait à la gestion de l’offre est complètement exclu.
Bien que cette politique ait été adoptée de longue date par le gouvernement, on a jugé nécessaire, dans le cadre de trois négociations majeures, de faire certaines concessions en matière de gestion de l’offre. Peut-on garantir que cela ne se reproduira plus jamais? Si vous l’inscrivez dans la loi, vous pouvez dire que cette situation ne se reproduira plus jamais. Ce type de concession pourrait-il être nécessaire dans le cadre de certaines négociations? C’est possible. Je n’en sais rien.
Le sénateur Gold : Merci.
Le président : Merci beaucoup. Notre temps est écoulé. Je tiens à remercier nos témoins, Doug Forsyth, Sandra Leduc et Tom Rosser. J’aimerais également vous remercier, honorables sénateurs, pour la qualité de vos questions. Je pense que la séance d’aujourd’hui a été particulièrement fructueuse.
Nous nous réunirons à nouveau demain à 11 h 30 dans cette salle pour poursuivre notre étude du projet de loi C-282.
(La séance est levée.)