LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 2024.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit avec vidéoconférence aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), pour étudier le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Peter Boehm, sénateur de l’Ontario, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. J’inviterais les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, sénatrice d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Robinson : Bonjour. Je m’appelle Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue. Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et à ceux qui nous regardent partout au Canada sur ParlVU.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes ravis d’accueillir Daniel Gobeil, vice-président, Producteurs laitiers du Canada; Phil Mount, vice-président, Opérations, Union nationale des fermiers; Tim Klompmaker, président, Producteurs de poulet du Canada; et Yves Ruel, directeur exécutif adjoint, Producteurs de poulet du Canada. Merci à tous d’être parmi nous aujourd’hui.
Avant que nous entendions vos exposés et que nous passions aux questions et réponses, je demanderais à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre les notifications de leurs appareils électroniques en sourdine. Cette consigne s’applique à tous les gens dans la salle, s’il vous plaît.
Nous avons quatre témoins et disposons d’une heure. Les exposés devraient durer trois minutes chacun, puis nous passerons aux questions et réponses. Je demanderais à tous de respecter le temps imparti pour favoriser un maximum d’échanges durant la réunion.
[Français]
Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs. Monsieur Gobeil, vous avez la parole.
Daniel Gobeil, vice-président, Producteurs laitiers du Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de l’invitation à prendre la parole devant le comité aujourd’hui. Je m’appelle Daniel Gobeil et je suis vice-président des Producteurs laitiers du Canada. J’ai une ferme laitière à La Baie, au Saguenay—Lac-Saint-Jean.
J’accueille avec plaisir cette occasion qui m’est donnée d’exprimer le soutien ferme de près de 10 000 producteurs laitiers du Canada au projet de loi C-282.
S’il est adopté, le projet de loi C-282 protégerait la pérennité et la viabilité des exploitations agricoles canadiennes sous gestion de l’offre en prévenant d’autres concessions dans le cadre des accords commerciaux actuels ou à venir.
La gestion de l’offre est un cadre politique canadien unique qui assure aux Canadiens et aux Canadiennes un approvisionnement régulier en produits laitiers, en volaille et en œufs de grande qualité et produits localement dans toutes les régions. Depuis plus de 50 ans, la gestion de l’offre garantit la sécurité des prix pour les familles canadiennes et un revenu équitable pour les producteurs et productrices, qui reflètent leurs coûts de production.
Malheureusement, la résilience du secteur laitier et des autres secteurs a été mise à l’épreuve au cours des dernières années en raison de trois accords commerciaux successifs. En ajoutant à ces accords les concessions déjà faites à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les Producteurs laitiers du Canada estiment que l’accès au marché accordé dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM) a le potentiel de remplacer l’équivalent de 18 % de la production laitière nationale du Canada.
Le système unique de gestion de l’offre du Canada est affaibli chaque fois que des concessions d’accès aux marchés des produits laitiers, de la volaille et des œufs sont accordées à des pays étrangers.
Par conséquent, non seulement les produits canadiens sont-ils remplacés par des produits importés dans les rayons de nos épiceries, mais cela a également un impact considérable sur la capacité des producteurs agricoles à planifier et à réaliser des investissements pour l’avenir de leurs fermes et à répondre aux attentes grandissantes de la société en matière d’environnement et de bien-être animal.
Les producteurs laitiers ont déjà payé suffisamment pour garantir l’accès du Canada aux récents accords commerciaux internationaux. Les négociations commerciales internationales ne doivent pas monter les industries canadiennes les unes contre les autres; il incombe aux négociateurs canadiens de défendre les intérêts de toutes les productions agricoles canadiennes, tout en veillant à ce qu’aucune autre concession du marché laitier et du marché d’autres produits sous gestion de l’offre ne soit accordée.
Enfin, le projet de loi C-282 est une étape importante et nécessaire pour protéger les fermes sous gestion de l’offre au Canada. Nous demandons aux membres de ce comité de protéger les producteurs canadiens et les productrices canadiennes, de faire progresser rapidement le projet de loi, et ultimement, de l’adopter à l’étape de la troisième lecture. Je vous remercie de m’avoir écouté.
Le président : Merci, monsieur Gobeil.
[Traduction]
Phil Mount, vice-président, Opérations, Union nationale des fermiers : Bonjour, chers membres du comité permanent. Comme il a été mentionné, je m’appelle Phil Mount et suis vice‑président, Opérations, de l’Union nationale des fermiers. Nous appuyons ce projet de loi et recommandons à tous les sénateurs au comité de voter en sa faveur.
Je dois dire que je suis né et j’ai grandi dans la ferme laitière familiale, dans une région rurale près d’Ottawa. De nos jours, ma femme et moi élevons des moutons dans une autre ferme du Sud d’Ottawa, à côté de mon frère qui poursuit la production laitière.
Nous sommes ici pour appuyer le projet de loi C-282, parce qu’il préviendrait le transfert de parts de marché dans les secteurs du lait, du poulet, de la dinde et des œufs à des entreprises étrangères dans les prochaines ententes commerciales. L’histoire récente montre que le fait de permettre plus d’importation dans les secteurs sous gestion de l’offre aurait un effet négatif important sur les agriculteurs canadiens, leurs travailleurs, les collectivités et les clients, sans que cela n’apporte d’avantages aux autres agriculteurs canadiens.
Nous l’avons constaté dans les ententes commerciales des dix dernières années, comme nous l’avons mentionné plus tôt. Le Canada a concédé un contingent de 16 000 tonnes de fromage fin à l’Union européenne dans le cadre de l’AECG, en échange d’un accès à son marché du porc et du bœuf. L’Union européenne a utilisé presque tout ce contingent supplémentaire au Canada, mais les producteurs de porc et de bœuf canadiens n’ont presque pas exporté leurs produits dans ce nouveau marché européen. De même, dans l’ACEUM, le Canada a donné une part de son marché du poulet, qui augmente d’année en année, ainsi qu’une plus grande part de notre marché laitier. La demande au Canada de poulet et de produits laitiers est en croissante, mais au lieu que ce soit de jeunes et nouveaux agriculteurs canadiens qui répondent aux besoins croissants du marché canadien, ce sont des sociétés américaines qui le desservent.
Les pays qui ne comptent pas sur la gestion de l’offre ont des marchés instables et accusent de fortes variations de prix à cause de la surproduction. Ils veulent accéder à notre marché pour nous refiler leur production excédentaire. C’est pourquoi nous devons maintenir le contrôle des importations dans ces secteurs.
Lorsque les prix baissent, les producteurs laitiers ne peuvent pas mettre leurs vaches à pied. Les agriculteurs ne peuvent pas, contrairement aux marchandises non périssables, emmagasiner le lait, les œufs ou la viande jusqu’à ce que les prix remontent. Ils doivent continuer de nourrir leur bétail et d’en prendre soin. Leurs investissements sur le plan moral et éthique ne sont pas reconnus par le marché.
C’est pourquoi la gestion de l’offre repose sur trois piliers : la discipline de production, soit s’assurer que nous pouvons toujours fourni la production nécessaire sans surproduction; le coût de production pour que les agriculteurs gagnent des revenus justes selon leurs coûts réels; et les contrôles à l’importation pour protéger notre marché contre le dumping. Ces trois piliers doivent être forts pour que le système fonctionne. En permettant à d’autres pays d’écouler leur production excédentaire au Canada en bas du coût de production, on affaiblit le troisième pilier, et un effondrement devient bien possible.
La gestion de l’offre au Canada permet aux agriculteurs de gagner leur vie de manière décente et prévisible, car ils peuvent ainsi investir dans des technologies saines pour l’environnement, employer des pratiques de gestion durables et employer des travailleurs locaux qui gagnent de bons salaires.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mount.
Je souligne la présence des sénateurs Al Zaibak, de l’Ontario, et Gold, du Québec, qui se sont joints à nous.
Tim Klompmaker, président, Producteurs de poulet du Canada : Bonjour. Je m’appelle Tim Klompmaker, et je suis un producteur de poulet de troisième génération de Norwood, en Ontario, ainsi que président de Producteurs de poulet du Canada.
Le secteur du poulet canadien est important pour l’économie au Canada et les familles canadiennes, en soutenant plus de 100 000 emplois. Nos 2 800 éleveurs situés dans les 10 provinces travaillent fort pour produire du poulet salubre et de haute qualité avec soin.
Nous sommes tout aussi fiers qu’en agriculture au Canada, nous travaillons ensemble. Nous nous soutenons les uns les autres dans la promotion et la défense de la marque canadienne, et nous travaillons fort en tant que chaîne de valeur pour nous assurer qu’il y ait de la nourriture pour les Canadiens.
Certains disent que le projet de loi C-282 sème la division, mais la division est une réalité dans les accords commerciaux. Heureusement, ce projet de loi sert de rappel de ce que nous croyons tous. Nous sommes fiers de produire des aliments de haute qualité.
Dans la gestion de l’offre, nous élevons nos produits pour le marché intérieur. Dans les secteurs axés sur l’exportation, on vise à augmenter l’accès aux marchés étrangers, mais l’objectif reste toujours le même: nous voulons nourrir les gens.
Nous accueillons favorablement le projet de loi C-282, car il garantirait que le gouvernement du Canada ne fasse plus de concessions dans la gestion de l’offre dans les prochains accords commerciaux. Tout autre accès accordé signifierait la perte progressive de notre capacité de contribuer à l’économie et causerait l’instabilité dans le secteur canadien du poulet.
Ce n’est pas parce que nous ne voulons pas d’accès supplémentaire que nous voulons restreindre la capacité d’exporter des produits; cela signifie simplement qu’il faut éviter de se servir de la gestion de l’offre comme monnaie d’échange dans les discussions. Nous nous attendons à ce que les groupes axés sur l’exportation appuient aussi ce qui est important pour nous.
Les producteurs de poulet du Canada appuient ce projet de loi, parce que les accords commerciaux récents ont grandement diminué la production canadienne, nommément l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP, et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, ou ACEUM. L’accès total au marché canadien accordé dans les deux ententes, en plus de nos obligations envers l’Organisation mondiale du commerce, s’élève à 129,6 millions de kilogrammes de poulet, soit 10,8 % de la production canadienne au moment où on a fait ces concessions. Les conséquences se font sentir en permanence dans toutes les provinces canadiennes. En adoptant ce projet de loi, les parlementaires montreraient aux producteurs laitiers, de volaille et d’œufs du Canada qu’ils sont solidaires.
Nous appuyons fermement les efforts commerciaux du Canada, mais ceux-ci ne devraient pas nuire à la gestion de l’offre ni l’affaiblir. Nous vous implorons de soutenir le projet de loi C-282 et de garantir qu’on ne fera plus de concessions dans le secteur du poulet canadien. Quiconque s’y oppose est prêt à accepter des concessions dans la gestion de l’offre à l’avenir.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Klompmaker. D’après ce que je comprends, vous parliez aussi au nom de votre collègue, M. Ruel.
Nous allons passer aux questions. Chers collègues, comme à l’habitude, vous disposerez de quatre minutes pour les questions et réponses. Veuillez faire des préambules courts et poser des questions concises. Cette remarque s’applique aussi aux témoins, si vous pouviez être concis dans vos réponses.
Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins.
Je vais dire tout d’abord que je suis membre du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis depuis 15 ans et que j’en suis le président pour le Sénat depuis près de 10 ans. Je parle constamment de gestion de l’offre aux États-Unis quand nous nous réunissons avec les législateurs américains. J’ai toujours réussi à rejeter les accusations sur la gestion de l’offre en leur disant qu’ils subventionnent leur secteur agricole à hauteur de 30 à 40 milliards de dollars par année, tandis que nous ne subventionnons pas le nôtre. Je leur dis de revenir nous parler lorsqu’ils auront supprimé leurs subventions. Ils vont bien sûr s’en abstenir, donc cela les calme. Mais il y aura des pressions à nouveau. D’autres négociations s’en viennent.
Voici ma question. Pouvez-vous envisager des circonstances où la gestion de l’offre ne sera plus nécessaire? Est-ce qu’il pourrait survenir une situation où la gestion de l’offre serait même nuisible à vos intérêts à long terme? Est-ce quelque chose que vous pouvez concevoir? Ma question s’adresse à tous les témoins.
Yves Ruel, directeur exécutif adjoint, Producteurs de poulet du Canada : Merci, monsieur le sénateur.
Surtout, dans le contexte actuel de la relation entre le Canada et les États-Unis, comme vous l’avez mentionné, prenons simplement l’exemple du poulet. L’industrie américaine produit 17 fois plus que l’industrie canadienne. Les Américains pourraient envoyer tout excédent même léger produit au cours d’un mois, d’une semaine ou de quelques mois au Canada pour déstabiliser notre marché. Après quelques mois, il ne resterait plus aucune production canadienne, parce que les États-Unis écouleraient leur excédent chez nous. Je ne vois pas d’avenir où nous pourrions nous passer de la gestion de l’offre. Le système prouve depuis 50 ans qu’il fonctionne bien. Il est très utile pour toutes les provinces canadiennes, surtout dans les régions rurales, mais aussi en ville où se situent la plupart des usines de transformation. Ce système entraîne d’énormes retombées au Canada. Sans gestion de l’offre, notre production serait minimale ou tout bonnement inexistante. Notre réalité fait que la gestion de l’offre nous est essentielle.
Le sénateur MacDonald : Quelqu’un d’autre?
[Français]
M. Gobeil : Comme complément d’information, il y a une gestion de l’offre, mais on produit suffisamment pour subvenir aux besoins de la population canadienne. Avec la pandémie, on a vu l’importance de la sécurité alimentaire de notre population. On le voit de plus en plus avec tout ce qui se passe en matière de changements climatiques. Bien des régions avaient opté pour une économie d’exportation et la conquête de marchés; plusieurs pays veulent le même marché et cela cause du gaspillage alimentaire et des coupures de production à l’heure actuelle dans des pays comme la Nouvelle-Zélande, la France et les Pays-Bas, où le marché d’exportation a ses limites en matière d’alimentation de la population.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : La gestion de l’offre freine-t-elle l’innovation dans votre secteur? Y a-t-il un inconvénient sur le plan de l’innovation et de l’efficacité dans vos divers secteurs?
M. Klompmaker : Sur le plan de l’innovation, je pense que la stabilité que le système de gestion de l’offre apporte aux agriculteurs fait en sorte qu’ils ont la certitude que leurs prix et leurs marchés seront stables et ils sont alors prêts à faire des investissements à long terme dans leurs exploitations. Je vais donner l’exemple de mes enfants. Des travaux d’agrandissement sont en cours, mais ils investissent dans l’innovation, dans des échangeurs de chaleur et dans ce genre de choses. Ce sont des investissements à long terme qui permettent d’améliorer l’efficacité de notre secteur. Comme je l’ai dit, le système leur donne confiance et ils peuvent faire de tels investissements parce qu’ils pensent qu’ils seront là à long terme.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie pour votre témoignage et pour votre contribution à notre économie.
Au cours de toutes nos discussions, vous avez sans doute entendu des personnes affirmer que le projet de loi pourrait limiter la capacité du Canada à conclure des accords commerciaux globaux. Que répondez-vous aux gens qui craignent qu’en protégeant vos secteurs au moyen de cette mesure législative, on risque de devoir faire des compromis dans d’autres secteurs, ce qui pourrait avoir une incidence sur les intérêts économiques globaux du Canada et sur les négociations commerciales à venir? Monsieur Klompmaker, pourriez-vous commencer?
M. Klompmaker : J’entends dire que des gens pensent que le secteur de la gestion de l’offre aura des répercussions négatives sur les prochains accords commerciaux, mais j’entends également les observations de l’ancien négociateur en chef de l’ACEUM, qui a déclaré qu’il ne pensait pas que le projet de loi C-282 aurait des répercussions sur de futures négociations commerciales. Je pense que ce genre de déclaration de la part de l’ancien négociateur en chef est tout à fait pertinent.
Un accord commercial comporte environ 30 chapitres. Dans ces 30 chapitres, environ 10 000 lignes sont liées aux tarifs. La gestion de l’offre représente moins de 1 % de ces 10 000 lignes. Je ne pense pas qu’un pays va quitter la table des négociations pour 1 % de ces 10 000 lignes tarifaires. Je pense qu’il n’y aura pas du tout de répercussions négatives sur nous.
Tous les pays ont des limites qu’ils ne franchiront pas. Certains protègent le marché du riz ou du sucre. Je ne pense pas que ce soit un problème.
Le sénateur Ravalia : Est-ce que d’autres témoins souhaitent intervenir?
[Français]
M. Gobeil : Pour donner un complément d’information, je pense qu’il y a des gens autour de la table qui sont encore mieux placés que moi, mais dans toute négociation commerciale, à mon avis, un pays doit avoir à la fois une position offensive, pour développer des marchés visant l’exportation où des régions n’ont pas cette production, et une position défensive, comme notre politique de gestion de l’offre qui existe depuis plus de 50 ans au Canada, et qui ne nous a pas empêchés de conclure plus de 13 traités commerciaux sans négociations avec plus de 15 pays en matière de gestion de l’offre.
On a encore des négociations en cours à l’échelle canadienne et la gestion de l’offre n’est pas sur la table avec les autres pays. On croit sincèrement que ce n’est pas en mettant les secteurs en situation de concurrence que le secteur agroalimentaire canadien va se développer, mais en respectant les différences et les règles de chacun. On a parlé tout à l’heure de modèles avec subventions, mais ici on a un secteur qui tire ses revenus du marché.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui.
C’est notre deuxième journée — nous avons commencé l’étude hier soir —, mais je sais que nous avons rencontré plusieurs d’entre vous ou des personnes qui vous représentent au cours de la dernière année. Nous essayons toujours d’examiner à fond le projet de loi. Ma question porte sur ce que mes collègues ont mentionné et je vais poursuivre dans une autre veine.
Nous avons parlé d’accords commerciaux tels que l’AECG, le PTPGP et l’ACEUM, qui ont tous été vus comme une menace pour la gestion de l’offre. Pourtant, entre 2010 et 2021, années au cours desquelles les accords ont été conclus, les producteurs laitiers ont vu leurs revenus augmenter de 40 %. Nous disposons de cette information. Pour les produits soumis à la gestion de l’offre, cela demeure constamment au-dessus du taux d’inflation. Cette période a été plutôt bonne pour les industries, alors pourquoi les accords commerciaux en question représentent-ils une telle menace, compte tenu des données des 10 ou 11 dernières années?
M. Klompmaker : Tout d’abord, il est certain que les recettes à la ferme ont augmenté, mais nos dépenses ont également augmenté. Ce n’est pas parce que les recettes à la ferme augmentent que la rentabilité de l’exploitation augmente. Il faut en tenir compte lorsque l’on examine ces facteurs.
[Français]
M. Gobeil : On a des formules d’enquête sur les coûts de production associés à l’indice des prix à la consommation qui amènent un revenu équitable au producteur. En 2020, avec tout ce qu’on a connu en raison de la guerre en Ukraine, qui a provoqué une inflation très élevée dans le secteur du grain — une inflation supérieure à ce qu’on a connu —, je vous dirais qu’en général, quand on regarde le prix que les consommateurs paient à l’épicerie et les indices d’inflation pour le consommateur, le prix des produits laitiers est très compétitif par rapport aux autres secteurs. Les consommateurs ne paient pas la note. Par contre, quand on parle des intrants, du carburant et des fertilisants, donc des produits qui ont subi de grands impacts dans le contexte d’incertitude mondiale, les producteurs ont subi des coûts très importants. Tout est en train de redescendre à des seuils normaux qui se comparent à ce que nous avons vécu dans la stabilité.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Avec mon collègue, le sénateur MacDonald, je me penche sur le commerce et les communications entre le Canada et les États‑Unis. J’y reviens encore une fois : chez notre voisin du Sud, les deux partis n’ont jamais caché que, dans le commerce bilatéral, la gestion de l’offre, à vrai dire, est une obsession pour eux. L’accord doit être renouvelé en 2026 et si le projet de loi est adopté, d’un point de vue commercial, la bonne foi dans les renégociations sera gâchée si nous disons que nous n’autoriserons aucun accès aux secteurs soumis à la gestion de l’offre, ce qui peut nuire aux négociations dès le départ. Dans le cadre de toute négociation commerciale, les concessions refusées au moyen du projet de loi devront être faites ailleurs.
Ma question est la suivante : qu’est-ce qui fait que les secteurs soumis à la gestion de l’offre sont plus importants, ou perçus comme tels, que d’autres secteurs de l’économie canadienne qui ne bénéficieront pas des mêmes mesures de protection dans le cadre des négociations commerciales et qui, en fait, pourraient en faire les frais? Je sais que l’on a dit tout à l’heure que l’on ne voulait pas être en concurrence, et je l’ai entendu, mais j’aimerais connaître votre réponse, parce qu’il est possible que les négociations nous obligent à faire de nouvelles concessions dans certains des autres secteurs. Si quelqu’un d’entre vous pouvait répondre à la question, je lui en serais reconnaissante.
Le président : Je crains que l’on doive obtenir une réponse à cette question plus tard, car votre temps de parole est écoulé, sénatrice. Je m’en excuse. C’est une question importante et je veux m’assurer qu’on y répondra comme il se doit, peut-être au deuxième tour, si vous y consentez.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Woo : Bonjour.
J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Deacon et vous interroger sur la performance de vos industries soumises à la gestion de l’offre respectives au cours de la période où des parts de marché ont été cédées, c’est-à-dire une période d’environ 10 à 15 ans. Vous avez souligné que les recettes à la ferme ne constituent pas le bon élément à utiliser parce que les dépenses ont augmenté. Cependant, l’augmentation des dépenses n’a rien à voir, bien entendu, avec l’abandon de parts de marché. Peut-être chacun d’entre vous peut-il nous fournir des données sur les recettes monétaires, le revenu d’exploitation net, l’emploi, la production et la rentabilité, bien sûr, pour vos différents secteurs au cours de cette période et nous aider à comprendre le lien que vous établissez entre la perte de parts de marché et les statistiques que vous nous fournissez. En théorie, la gestion de l’offre vous permet de maintenir vos revenus parce que vous contrôlez l’offre. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait une corrélation directe entre la perte de 18 points de pourcentage et tout effet négatif sur votre industrie que vous pourriez observer.
M. Ruel : Merci pour cette question. Cela peut être complexe. Les chiffres peuvent aboutir à n’importe quoi.
En ce qui concerne les années que nous utilisons, après avoir entendu les questions d’hier, j’ai examiné les recettes monétaires agricoles en soirée. Au cours des 10 dernières années, soit de 2014 à 2023, les recettes monétaires agricoles ont augmenté pour presque chaque produit. Ce n’est pas parce qu’il y a une augmentation dans un secteur soumis à la gestion de l’offre qu’il n’y a pas de répercussions. Rien que dans les secteurs des cultures, l’augmentation des recettes monétaires agricoles au cours de ces 10 années a été de 82 %, une augmentation bien plus importante que dans n’importe lequel de nos secteurs.
En ce qui concerne le contrôle de l’offre, nous espérons faire croître le marché. Nous travaillons dur pour accroître le marché canadien du poulet. Nous avons un programme de promotion au pays pour nous assurer que les consommateurs se tournent vers la viande de poulet canadienne. À chaque accord commercial, nous perdons une partie de cette croissance. Si je regarde, par exemple, l’augmentation annuelle de notre production de poulet — je pourrais vous montrer le graphique plus tard —, entre 2015 et 2018, nous connaissions une croissance d’environ 5 % par année. Les importations supplémentaires en provenance des pays signataires de l’ACEUM et du PTPGP ont ensuite commencé à faire sentir leurs effets et notre croissance se situe désormais plutôt autour de 2 à 3 % par année. Notre secteur continue de croître, heureusement, parce que nous offrons de bonnes protéines aux Canadiens, mais en même temps, il ne croît pas au même rythme qu’avant. Le potentiel d’expansion est moindre.
Le sénateur Woo : Je vous remercie.
Pouvez-vous nous fournir les données que j’ai demandées? Pas seulement sur les recettes monétaires, bien entendu, mais aussi sur le revenu d’exploitation net, la production, l’emploi, pour tous les secteurs concernés, et nous expliquer votre raisonnement sur la corrélation entre la perte de parts de marché et le changement dans les mesures de la production. Cela nous serait très utile.
Je voudrais également que vous nous fournissiez des données sur les prix des produits soumis à la gestion de l’offre. Selon mes propres calculs, dans le cas du lait, au cours des 18 derniers mois environ, le prix d’un contenant de deux litres de lait a augmenté d’au moins 50 % de plus que l’ensemble des produits alimentaires et davantage que l’indice des prix à la consommation. J’aimerais comprendre ce que vous dites à propos de la stabilité des prix offerte aux consommateurs dans le cadre d’un régime de gestion de l’offre.
[Français]
Le président : Je suis désolé, monsieur Gobeil, le temps est écoulé.
[Traduction]
Comme l’a indiqué le sénateur Woo, nous vous invitons à nous fournir toutes les statistiques que vous avez concernant sa question. Vous n’avez qu’à les envoyer par écrit à Chantal Cardinal, qui est la greffière du comité, et nous les inclurons dans nos délibérations.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins qui sont parmi nous aujourd’hui. Nos discussions sont très importantes et nous prenons vos témoignages au sérieux.
Ma question allait dans le sens de ce qui a déjà été amorcé ici, alors si M. Gobeil veut bien répondre d’abord à la question du sénateur Woo, je poserai une autre question par la suite s’il reste du temps.
[Français]
M. Gobeil : Pour la dernière année, chez les producteurs laitiers du Canada, il y a eu une hausse du prix du lait de 1,77 % qui a été reportée de trois mois pour tenir compte du contexte inflationniste chez les consommateurs. Ce ne sont pas les producteurs et les organisations de producteurs qui fixent le prix au détail; ce sont les chaînes d’alimentation qui fixent le prix que paient les consommateurs.
Au sein du gouvernement canadien, on a fait beaucoup de travaux pour étudier ce qui se passe en matière de vente au détail au Canada.
L’an dernier, les coûts de production ont diminué chez les producteurs laitiers du Canada, et la hausse a été attribuée à l’IPC, qui était de près de 5 %.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Merci. J’attends avec impatience les renseignements statistiques généraux sur chacun de vos secteurs. C’était l’une de mes questions.
Ma prochaine question s’adresse à M. Mount. Vous avez parlé des petites exploitations, des exploitations familiales, et cetera. Pourriez-vous nous dire un peu plus en détail quelles seraient, selon vous, les répercussions sur les petites exploitations familiales si les mesures de protection prévues par le projet de loi C-282 n’étaient pas adoptées?
M. Mount : Certainement. Je vous remercie de la question.
S’il y a une chose que la gestion de l’offre fait et nous a montrée au cours des 50 dernières années, c’est qu’elle protège l’agriculture à l’échelle familiale. J’ai été élevé dans une ferme familiale. Ce n’est pas une machine à imprimer de l’argent. Elle nous permet de travailler dur et de continuer à produire pour notre famille. La gestion de l’offre protège contre le mouvement automatique vers l’intensification des activités et la production à l’échelle industrielle visant à garder une longueur d’avance sur les taux du marché dans un marché non réglementé, comme nous le voyons pour d’autres produits.
La sénatrice Coyle : Si vous me le permettez, y a-t-il d’autres choses qui se produisent sur le marché qui entraînent une consolidation et une expansion des grandes exploitations, en plus du type de pression dont nous parlons ici?
M. Mount : Exactement, oui. Dans d’autres secteurs, nous constatons qu’on est déterminé à accroître les activités d’une manière que nous n’avons pas observée dans les secteurs des produits soumis à la gestion de l’offre. Certains parlent d’exploitations avicoles qui comptent des dizaines de milliers de volailles, mais si vous regardez au sud de la frontière, dans d’autres pays, vous verrez des élevages d’une taille inimaginable pour la plupart des consommateurs canadiens. Pour ce qui est de la production laitière, la taille moyenne des troupeaux reste inférieure à 100 têtes. Encore une fois, ce n’est pas le cas dans d’autres pays où l’on a laissé libre cours au marché, si l’on peut dire.
La sénatrice Coyle : Je n’ai plus de temps. Je voulais passer à la question de la sécurité alimentaire. Cela ira au prochain tour.
Le président : Nous pouvons y arriver. Merci.
Le sénateur Gold : Bienvenue.
Il a été question aujourd’hui, et aussi hier pendant nos discussions avec l’un des groupes, de l’importance de la gestion de l’offre pour la sécurité alimentaire et pour la sécurité des producteurs et des collectivités au sein desquelles ils vivent. Phil Mount nous l’a répété aujourd’hui, et d’autres intervenants l’ont fait également. Toutefois, nous avons aussi entendu d’autres choses, et nous entendrons les témoignages de ceux qui produisent pour l’exportation. Que dites-vous aux producteurs ou aux transformateurs qui misent sur l’exportation, avec lesquels vous traitez dans de nombreux cas, j’en suis sûr, au sujet du projet de loi et de leurs préoccupations? Merci.
M. Klompmaker : Nous ne sommes pas favorables à l’idée de mettre des bâtons dans les roues d’un producteur qui cherche des marchés d’exportation. Ce n’est pas ce dont nous parlons. Nous disons, en tant que représentants des secteurs soumis à la gestion de l’offre, que nous voulons que notre secteur d’approvisionnement national soit protégé et qu’il soit exclu de tout accord commercial à l’avenir. C’est notre objectif. Nous n’avons jamais fait obstacle à des négociations commerciales en disant: « N’accédez pas à ces marchés d’exportation pour protéger la gestion de l’offre. » Nous n’avons jamais agi de la sorte. Nous avons toujours soutenu nos partenaires de l’industrie agricole qui ne sont pas soumis à la gestion de l’offre afin qu’ils puissent accéder aux marchés d’exportation qu’ils recherchent. Nous ne croyons pas que ce soit avantageux pour les Canadiens si l’on sacrifie quelque chose au profit de quelque chose d’autre. Nous ne voyons tout simplement pas l’intérêt d’une telle démarche. Nous soutenons totalement ceux qui recherchent les marchés d’exportation.
[Français]
M. Gobeil : En référence à l’accord économique global avec l’Union européenne, on a vu les résultats après plusieurs années. Le secteur a concédé 17 700 tonnes de fromage canadien au marché européen. Après plusieurs années, et ce, malgré les promesses d’accès à une population européenne grandissante, le porc et le bœuf n’ont pas réussi à pénétrer dans ces marchés par des barrières non tarifaires. Il est clair que, quand on participe à des négociations, il faut s’assurer que toutes les parties y trouvent leur compte. On ne veut pas être en concurrence. Cependant, l’alimentation est un produit local et ne doit pas être considérée comme une barre d’acier ou d’aluminium.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre présence.
Puisque le sénateur Gold a volé ma question, je vais aller plus loin. L’industrie agricole — je suis née et j’ai grandi dans une ferme —, dans les petites exploitations, s’intéresse à ce que produisent ses voisins, au succès de ses voisins, ce qui contribue, en retour, au bien-être d’une communauté agricole.
Je voudrais poursuivre sur la question des divisions nettes que le projet de loi suscite — c’est ce que je constate en lisant les documents liés à l’étude de la Chambre des communes et je pense que nous devons en tenir compte — entre les représentants des secteurs soumis à la gestion de l’offre qui souhaitent que le projet de loi soit adopté et les représentants des secteurs non soumis à la gestion de l’offre qui souhaitent qu’il soit rejeté. Du point de vue de l’ensemble de la communauté agricole, comment pouvons-nous combler ce fossé? Ou est-ce même possible de le faire?
M. Klompmaker : Je pense qu’il suscite certainement quelques tensions. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, les accords commerciaux sont source de division. C’est tout à fait normal. Il est toutefois important de souligner que la Fédération canadienne de l’agriculture a également présenté un mémoire lors des audiences de la Chambre des communes. Elle représente des agriculteurs soumis à la gestion de l’offre, mais elle représente également un grand nombre d’agriculteurs dont les produits ne sont pas soumis à la gestion de l’offre. Nous nous trouvons ici même en présence d’un membre de l’Union nationale des fermiers qui représente à la fois des agriculteurs soumis à la gestion de l’offre et d’autres qui n’y sont pas soumis. Je ne suis pas sûr que la division soit aussi importante que certains sont portés à le croire.
La sénatrice Boniface : Je pense que votre courrier est différent du mien
M. Klompmaker : C’est tout à fait possible.
La sénatrice Boniface : Monsieur Mount, j’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, étant donné le groupe que vous représentez.
M. Mount : En général, à la table nationale de l’Union nationale des fermiers, au fil des ans, nous avons obtenu un consensus au sein des agriculteurs de tous les secteurs pour continuer à soutenir la gestion de l’offre. Dans de nombreux cas, nous avons l’impression que ce désaccord est inventé de toutes pièces par des individus qui ont des raisons idéologiques de créer des désaccords. Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’une situation de type « soit l’un, soit l’autre ». Lorsqu’on examine attentivement certains de ces accords commerciaux qui ont fait la une des journaux en raison de tels désaccords... Par exemple, dans le cadre de l’accord commercial avec l’Union européenne, il n’était pas logique que nous exercions des pressions pour obtenir une augmentation considérable des quotas dans le secteur du porc, un secteur dans lequel nous n’avions même pas atteint la limite de ce que nous pouvions exporter. Au cours des six dernières années, soit depuis l’entrée en vigueur de ce traité, les exportations canadiennes dans le secteur du porc ont diminué de 90 %. Très souvent, ces désaccords sont absurdes, si vous voulez mon avis.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à vous tous d’être ici présents. Merci également pour le travail que vous faites pour assurer la sécurité alimentaire et le développement économique de nos régions.
C’est pour ces raisons en particulier que j’ai accepté de marrainer ce projet de loi.
Nous entendons beaucoup parler de divisions. J’aimerais revenir sur la question de ma collègue et sur les questions qui ont été abordées précédemment. On entend souvent dire que ce projet de loi va renforcer les divisions dans le monde agricole, en opposant notamment les producteurs sous gestion de l’offre et les producteurs qui ne sont pas sous gestion de l’offre.
Ma question s’adresse à ceux qui travaillent dans les deux domaines, parce qu’il y en a; par exemple, certains produisent du lait et ils produisent aussi du bœuf.
L’un d’entre vous peut-il nous expliquer le point de vue de ceux qui font les deux et bénéficient des deux? Un secteur est orienté localement et d’autres secteurs sont orientés vers l’exportation — et ils sont beaucoup plus nombreux. Qu’en pensez-vous?
M. Gobeil : Les Producteurs laitiers du Canada ont des membres en Saskatchewan et en Alberta qui ont des fermes laitières et qui font aussi de la production bovine de grande taille. En jouant sur les deux tableaux avec un modèle protectionniste comme la gestion de l’offre et avec un modèle comportant du soutien gouvernemental, des subventions et des possibilités d’exportation, ils réussissent quand même à tirer leur épingle du jeu dans les deux domaines, à l’échelle canadienne ou sur le marché de l’exportation. En ce qui a trait aux producteurs, je ne ressens pas cet élément. Quand vous parlez de développement économique, nous sommes tous unis dans le développement régional, nous contribuons tous au maintien d’activités économiques régionales, comme le porc, le grain et la gestion de l’offre. Nous faisons tous partie du tissu social des régions du Canada.
La sénatrice Gerba : Merci. Est-ce que j’ai encore une minute?
Le président : Une minute.
La sénatrice Gerba : Je vais poser ma prochaine question à M. Klompmaker.
J’aimerais savoir quelles ont été les conséquences, pour les consommateurs et les producteurs, de l’abandon d’autres systèmes semblables à notre gestion de l’offre dans des pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la France. Quelles ont été les conséquences pour leurs consommateurs et leurs producteurs?
[Traduction]
M. Klompmaker : Lorsqu’on regarde certains des pays qui ont aboli les systèmes de gestion de l’offre, on observe, bien entendu, l’érosion de ces secteurs. Dans de nombreux cas, les agriculteurs ont disparu. Je pense que ce qui a induit en erreur les habitants de ces pays, c’est l’hypothèse selon laquelle, dès qu’ils se débarrasseraient de la gestion de l’offre, les prix à la consommation diminueraient, mais ce n’est pas du tout ce qui s’est produit au bout du compte. Il est donc faux d’affirmer que la gestion de l’offre a faussement maintenu les prix élevés chez les détaillants. Ce n’est pas le cas, car comme je l’ai dit, lorsqu’ils ont éliminé la gestion de l’offre, les prix n’ont pas baissé.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Harder : Je remercie les témoins de comparaître devant nous aujourd’hui.
Nous avons manifestement beaucoup parlé de la gestion de l’offre, mais le projet de loi dont nous sommes saisis a une portée assez étroite en ce sens qu’il utilise la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement pour insérer une interdiction visant à limiter la capacité de nos négociateurs commerciaux à traiter de la gestion de l’offre dans toute négociation. Il me semble que c’est un outil un peu trop puissant pour le contexte que vous avez décrit, monsieur Klompmaker, à savoir que tous les pays ont des points sensibles, et les négociations, par définition, ne donnent pas satisfaction à tout le monde. Mais dans ce cas-ci, vous voulez même interdire que votre secteur fasse l’objet de discussions.
Vous avez fait référence à un ancien négociateur commercial dont le cabinet, si j’ai bien compris, fournit des conseils au secteur de la gestion de l’offre et qui aurait laissé entendre qu’il n’y a pas de problème dans ce cas-ci, tandis que d’autres nous ont dit qu’il s’agissait d’un gros handicap, et en particulier d’une menace pour d’autres exportateurs agricoles et canadiens. Comment trouver un équilibre dans cette situation? Mes collègues ont tenté de vous amener à nous donner un peu plus de détails sur le sujet. Comment conciliez-vous les interdictions sur lesquelles vous insistez et l’effet négatif qu’elles ont sur notre marché d’exportation?
M. Klompmaker : Je vais répondre en premier, et M. Ruel aura peut-être quelque chose à ajouter par la suite.
Je pense que je ne vois pas les choses exactement de la même façon. Je sais que vous êtes préoccupés par le fait que cela devienne une loi plutôt qu’un mandat, mais selon moi, si le gouvernement affirme qu’il n’accordera aucune concession en ce qui concerne la gestion de l’offre, qu’il le fasse en vertu d’une loi ou dans le cadre d’une position qu’il a adoptée, je ne suis pas certain que cela changera quoi que ce soit pour un négociateur à la table des négociations.
Le sénateur Harder : Arrêtons-nous sur ce point. C’est la position du gouvernement du Canada. Par conséquent, pourquoi devrions-nous adopter une loi à cet égard?
M. Klompmaker : Pour nous, il s’agit de veiller à ce que cela soit maintenu à l’avenir. Ce qui nous préoccupe, c’est le maintien en place. Je sais que nous pouvons revenir en arrière et parler des 15 derniers accords commerciaux en précisant que seuls les trois derniers contenaient des concessions. Je vais remonter un peu plus loin, soit jusqu’aux années 1980. Je me souviens de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui contenait l’article XI. À l’époque, nous n’avions aucun accès. Nous avons perdu l’article XI, nous sommes passés à la tarification et nous avons fini par accorder l’accès dans le cadre de l’OMC nouvellement rebaptisée.
Le sénateur Harder : Ne peut-on pas dire que les accords commerciaux conclus par le Canada au cours de cette période ont apporté d’énormes avantages économiques au Canada?
M. Klompmaker : Oui, mais certains secteurs soumis à la gestion de l’offre en ont payé le prix.
Le sénateur Harder : N’est-ce pas la raison pour laquelle le gouvernement du Canada a adopté sa position actuelle à l’égard d’une interdiction? Je ne comprends pas pourquoi on utiliserait la force de frappe d’une loi ministérielle pour protéger vos intérêts au détriment de ceux des autres.
M. Klompmaker : Je dirais que c’est parce que certaines personnes affirmeront que nous avons renoncé à 1 ou 2 %, mais comme je l’ai déjà dit, nous en sommes presque à 11 % en ce qui concerne l’accès pour le poulet canadien. À quel moment le système de gestion de l’offre devient-il incapable de fonctionner comme prévu, car ces importations deviennent si importantes que le système ne fonctionne tout simplement plus comme prévu? C’est ce qui nous préoccupe. C’est comme mourir à petit feu.
Le sénateur Harder : Ne croyez-vous pas que les négociateurs commerciaux tiennent compte de cela?
M. Klompmaker : À mon avis, les négociateurs commerciaux du passé sont arrivés au bout et, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous devenons une monnaie d’échange en vue de faire passer quelque chose. Cela ne signifie pas nécessairement que ces concessions doivent concerner uniquement le secteur agricole. Elles peuvent aussi concerner d’autres secteurs et d’autres chapitres.
La sénatrice Robinson : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui pour nous faire part de vos témoignages.
Monsieur Klompmaker, je voulais simplement revenir sur la question de la sénatrice Boniface, qui s’interrogeait sur les lacunes que ce projet de loi pourrait créer au sein du secteur agricole. Dans votre réponse, vous avez mentionné la Fédération canadienne de l’agriculture, qui représente à la fois des groupes de produits soumis à la gestion de l’offre et d’autres qui ne le sont pas, et vous avez dit que la FCA s’était prononcée en faveur du projet de loi. J’aimerais obtenir quelques éclaircissements à cet égard. Pourriez-vous nous aider à comprendre si les membres de la FCA représentent tous les agriculteurs du Canada, et en particulier les produits de base axés sur l’exportation? Selon vous, les voix des membres de la FCA peuvent-elles réellement communiquer les sentiments de tous les agriculteurs du Canada quant à la manière dont ils seront touchés par le projet de loi C-282?
M. Klompmaker : La FCA a déclaré très ouvertement qu’elle soutenait le projet de loi C-282 sur la gestion de l’offre, mais elle a également fait savoir qu’elle était pour l’accès d’autres produits sur les marchés d’exportation. Elle ne représente pas non plus tous les produits d’exportation du secteur agricole.
La sénatrice Robinson : Je tenais à obtenir des éclaircissements à ce sujet, car j’avais l’impression qu’on avait laissé entendre que la FCA représentait tous les produits. Je pense qu’il s’agit d’un point important, non nuancé, mais assez évident, que nous devons éclaircir. Je vous remercie.
Le président : Nous entamons maintenant la deuxième série de questions, que nous pourrions appeler la série éliminatoire. En effet, il y a cinq sénateurs sur la liste des intervenants, mais nous ne disposons que de neuf minutes. Sénateurs, nous entendrons toutes vos questions en même temps pour que les témoins aient plus de quelques minutes pour répondre, mais j’aimerais que vous posiez vos questions en moins d’une minute, si possible. C’est très important.
La sénatrice M. Deacon : Certains des éléments suivants ont déjà été abordés, mais la question que j’avais posée... Je ne pense pas que je vais répéter le préambule. Qu’est-ce qui fait que les secteurs soumis à la gestion de l’offre sont plus importants que d’autres secteurs de l’économie canadienne qui ne profiteront pas de la même protection dans le cadre des négociations commerciales et qui, en réalité, pourraient pâtir si les négociateurs étaient forcés de faire des concessions dans d’autres domaines?
Le sénateur Woo : À votre avis, le projet de loi devrait-il interdire à nos négociateurs d’apporter des rajustements à la façon dont nous gérons les contingents tarifaires, en particulier dans le cas d’une décision défavorable d’un groupe spécial de règlement des différends ou d’une renégociation généralisée de l’accord, comme l’examen de l’ACEUM qui sera mené en 2026?
La sénatrice Coyle : Je voulais demander à M. Mount si, selon lui, la gestion de l’offre contribue à la sécurité alimentaire au Canada et si elle contribue également à la qualité des aliments.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Gobeil, vous avez mentionné à deux reprises les concessions liées aux fromages dans le cadre de l’AECG et l’incapacité de l’industrie du porc à pénétrer le marché, mais certains facteurs peuvent sûrement expliquer cette situation. S’agit-il d’une incapacité à commercialiser? Est-ce à cause du prix? Il n’y a pas de droits de douane ou d’obstacles à l’exportation de leurs produits. Si vous pouviez apporter des éclaircissements à cet égard, je vous en serais reconnaissant. Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Monsieur Ruel, pouvez-vous nous confirmer si d’autres pays ont eu recours à des projets de loi pour protéger leurs secteurs sensibles?
[Traduction]
Le président : Certaines questions s’adressaient à un témoin en particulier, et nous traiterons donc ces questions en premier. La première question était un peu plus générale.
M. Mount : En ce qui concerne la question sur la contribution de la gestion de l’offre à la sécurité alimentaire et à la qualité des aliments, nous avons vu dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre, au fil des décennies, comment ces organismes sont parvenus à assurer la plus haute qualité de production de denrées périssables sans sacrifier la capacité des agriculteurs à gagner leur vie. Nos produits soumis à la gestion de l’offre présentent l’un des niveaux de qualité les plus élevés du monde industrialisé. Pas un seul consommateur canadien ne mettrait en doute la qualité de nos produits canadiens soumis à la gestion de l’offre. C’est une chose sur laquelle nous pouvons compter sans réserve.
Je crois que la question de la sécurité alimentaire a été brièvement soulevée plus tôt. Pendant la pandémie, nous avons vu que les organismes soumis à la gestion de l’offre étaient parmi les plus aptes à s’adapter pour faire face à des problèmes très graves, mais c’est parce que nos organismes soumis à la gestion de l’offre sont essentiellement des organismes d’approvisionnement alimentaire locaux et qu’ils ont ainsi renforcé notre capacité à maintenir des chaînes alimentaires solides pendant une période très difficile, en particulier pour le transport des denrées alimentaires.
[Français]
M. Gobeil : Merci pour la question, monsieur le sénateur MacDonald.
Lorsque je faisais allusion à différentes barrières non tarifaires, on peut penser à modèles de production, à des types de logements différents; on parle de barrières par rapport à l’utilisation d’antibiotiques, de fertilisants ou à certaines choses qui sont permises au Canada, mais qui sont interdites ailleurs dans le monde. C’est une façon de faire certaines concessions à la table de négociations et ensuite, d’autres régions du monde freinent ces importations au moyen d’autres barrières non tarifaires.
M. Ruel : Pour répondre à votre question, madame la sénatrice Gerba, comme les représentants d’Affaires mondiales Canada l’ont dit hier, ils ne sont pas au courant d’autres pays ayant des lois similaires en vigueur.
Toutefois, il est clair que, dans les politiques commerciales de tous les pays du monde, il y a des produits sensibles. Dans les négociations commerciales, on voit toujours que les pays défendent fortement certains secteurs ou produits au moyen de négociations, mais aussi par des moyens plus discrets et détournés, comme des mesures sanitaires et des barrières non commerciales ou non tarifaires qui restreignent l’accès.
Le projet de loi impose une limite et il apporte quelque chose de très clair, ce qui est un bénéfice. Enfin, ce n’est pas parce que d’autres pays ne le font pas qu’on ne doit pas le faire. Si on a une bonne idée, pourquoi ne pas le faire au Canada?
[Traduction]
Le président : Monsieur Klompmaker, pouvez-vous nous donner une vue d’ensemble?
M. Klompmaker : Une autre question avait été posée. Je vais d’abord y répondre, puis je céderai la parole à M. Ruel, car il s’y connaît plus que moi en matière de commerce.
Si je comprends bien votre question, vous faites allusion au différend concernant l’industrie laitière. Je ne pense pas que le projet de loi C-282 ait un quelconque impact dans ce cas, car cela fait partie d’un accord commercial déjà en place, soit l’ACEUM. Je crois que la Nouvelle-Zélande avait soulevé ce différend dans le cadre du PTPGP. Il s’agit donc d’accords antérieurs. Le projet de loi C-282 concerne les évènements à venir.
M. Ruel : Comme l’a mentionné M. Klompmaker, le groupe spécial sur les contingents tarifaires auquel vous avez fait référence concerne les accords déjà en place. Le projet de loi C-282 concerne les accords à venir. Il n’y a donc aucun lien entre ces deux choses.
Le sénateur Woo : Mais nous pouvons nous attendre à ce que les Américains renégocient le libellé de la définition d’un contingent tarifaire lorsqu’ils mèneront leur examen en 2026, car jusqu’à présent, ils n’ont obtenu que des décisions défavorables de tous les groupes spéciaux de règlement des différends. Il serait donc logique qu’ils remettent le sujet sur le tapis. Vous opposeriez-vous à ce que le Canada soit ouvert à ces renégociations?
M. Ruel : Le projet de loi concerne le niveau d’accès et la réduction des tarifs hors contingent. Il ne parle pas de la façon dont les contingents tarifaires sont gérés, car c’est une décision interne à la souveraineté du Canada.
Le président : Au nom du comité, j’aimerais remercier MM. Gobeil, Mount, Klompmaker et Ruel d’avoir été d’excellents témoins aujourd’hui. Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir éclairés de vos réponses. J’ai également remarqué que vous étiez accompagnés de parties intéressées et j’aimerais donc remercier les parties intéressées qui sont présentes dans la salle aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe témoins. Nous sommes heureux d’accueillir Michael Harvey, directeur général et Greg Northey, président, tous deux de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Daniel Schwanen, vice-président principal de l’Institut C.D. Howe, ainsi que Martha Hall Findlay, directrice, École des politiques publiques de l’Université de Calgary. Encore une fois, nos témoins feront trois déclarations préliminaires de trois minutes chacune, puis nous passerons directement aux questions.
[Français]
Michael Harvey, directeur général, Alliance canadienne du commerce agroalimentaire : Merci aux membres du comité de m’avoir invité à expliquer pourquoi l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire (ACCA) considère le projet de loi C-282 comme une menace pour l’économie canadienne axée sur l’exportation, y compris pour les exportateurs agroalimentaires.
L’ACCA est une coalition d’organisations nationales qui militent en faveur d’un environnement commercial international plus libre et plus équitable pour le secteur agricole et agroalimentaire.
Les membres de l’ACCA comprennent des agriculteurs, des éleveurs, des transformateurs, des producteurs et des exportateurs des principaux secteurs commerciaux comme le bœuf, le porc, les céréales, les oléagineux, le sucre, les légumineuses, le soja et les aliments transformés.
[Traduction]
Un environnement commercial international équitable et ouvert pour le secteur agroalimentaire est dans l’intérêt économique du Canada. En effet, le secteur agroalimentaire fournit un emploi sur neuf au Canada et la majorité de ces emplois se trouvent dans le secteur agroalimentaire axé sur l’exportation. En 2022, le Canada a exporté pour 92,8 milliards de dollars de produits agricoles et alimentaires. Plus de la moitié de notre production agricole est exportée ou transformée en vue de l’exportation.
Le projet de loi C-282 menace cet avantage économique et les emplois canadiens. Il s’agit d’une politique commerciale épouvantable pour un pays qui dépend des exportations. Le projet de loi nuira à la capacité du Canada de prendre des décisions dans l’intérêt national et créera un précédent protectionniste qui sapera la crédibilité du Canada à exercer son leadership et à travailler au sein d’organismes internationaux comme l’OMC.
Un tel projet de loi ne pourrait pas tomber plus mal. Les membres du comité savent sans aucun doute que l’ACEUM doit faire l’objet d’un examen en 2026. En fait, le projet de loi attire déjà une attention négative de la part des États-Unis à l’égard de notre politique commerciale à un moment où nous devrions nous efforcer de réduire les irritants, et non de les exacerber.
Je tiens à exprimer très clairement que le projet de loi C-282 n’est pas un projet de loi sur l’agriculture. C’est un projet de loi sur la politique commerciale. Tous les pays ont leurs points sensibles et les négociateurs commerciaux reçoivent des instructions pour maintenir la protection commerciale de certaines industries. Cependant, lorsqu’on inscrit cette protection dans une loi qui vise à limiter le champ d’action de nos négociateurs et à restreindre la capacité de négociation du Canada, on ne tient pas compte des conséquences négatives sur les intérêts économiques du Canada à titre de nation dépendante du commerce.
En raison de circonstances politiques, le projet de loi C-282 n’a malheureusement pas été étudié de façon approfondie à la Chambre des communes. En particulier, les opinions d’anciens négociateurs commerciaux canadiens n’ont guère été prises en compte. Les sénateurs Boehm et Harder — bonjour, sénateur Harder — connaissent bien ces professionnels, car ce sont d’anciens collègues. Ils vous diront tous que ce projet de loi limitera le champ d’action de nos négociateurs d’une manière qui mènera à des compromis pour les secteurs canadiens dépendants des exportations et à des résultats globalement moins ambitieux lors de futures discussions commerciales. Je pense que M. Doug Forsyth a été très clair sur ce point hier.
Il est également important de souligner que nous ne pensons pas seulement aux nouveaux accords commerciaux. En effet, l’ACEUM a attiré l’attention sur le fait que les accords commerciaux existants sont déjà fréquemment examinés, modifiés ou renégociés. Le projet de loi C-282 menace tous ces aspects.
[Français]
En résumé, l’ACCA demande à ce comité de protéger les intérêts économiques de notre pays et recommande de ne pas adopter le projet de loi C-282. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions. Merci.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Harvey.
Daniel Schwanen, vice-président principal, Institut C.D. Howe : Merci, monsieur le président, de m’avoir invité à comparaître devant le comité.
Mon propos aujourd’hui ne portera pas sur les vertus ou les inconvénients de la gestion de l’offre, mais sur les coûts pour l’économie canadienne si ce projet de loi est adopté. Le secteur laitier et les autres secteurs soumis à la gestion de l’offre représentent une part très importante, mais néanmoins minime, de l’économie canadienne, soit environ 1 % du PIB et des emplois. Les emplois, les impôts payés et, bien sûr, les exportations sont bien plus importants dans les autres secteurs canadiens qui dépendent d’un commerce international ouvert.
Ce que dit ce projet de loi, c’est que le Canada est prêt à restreindre inutilement la capacité de ces autres secteurs à se développer sur les marchés mondiaux. En effet, le projet de loi lie les mains de nos négociateurs commerciaux dans un contexte mondial où le protectionnisme est en hausse, et le Canada devra faire preuve d’agilité et de créativité pour faire face à cette tendance. Cela peut impliquer la négociation de nouveaux accords ou de nouveaux arrangements commerciaux, ou la renégociation et, espérons-le, l’amélioration des accords existants.
Une fois que nous aurons déclaré que nous serons totalement fermés aux améliorations, même minimes, que nos partenaires pourraient chercher à apporter à leur capacité à approvisionner les consommateurs, les restaurateurs ou les transformateurs alimentaires canadiens, vous pouvez être sûrs que nos partenaires commerciaux chercheront en retour à refuser de nouvelles opportunités significatives à nos autres secteurs. Faire de petites concessions dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre a joué un rôle déterminant dans la conclusion des récents accords commerciaux bénéfiques. De l’aluminium aux produits forestiers, des crevettes au bœuf et autres produits alimentaires, des services à la technologie, toutes ces exportations canadiennes sont potentiellement entravées par ce projet de loi.
Le projet de loi nous lie inutilement les mains. La gestion de l’offre ne disparaîtra pas. Même si je le souhaite parfois, elle n’a pas disparu des grandes négociations commerciales récentes, et il n’est pas nécessaire de la protéger de cette manière coûteuse. Les producteurs laitiers ont été indemnisés par les contribuables canadiens pour la minuscule portion des marchés laitiers allouée aux importations dans le cadre de l’AECG, du PTPGP et de l’ACEUM, et ils pourront être indemnisés de la même manière à l’avenir.
Je ferais le parallèle suivant entre les questions économiques et les questions environnementales : L’eau du robinet de nos maisons ne provient pas réellement du robinet. Elle provient de diverses sources d’eau douce, qui peuvent être épuisées par une mauvaise gestion de l’environnement. De même, les recettes fiscales dont nous avons besoin pour financer, par exemple, l’augmentation des paiements aux personnes âgées proviennent des contribuables, et la capacité des contribuables à payer dépend du fait qu’ils ont de bons emplois, que les entreprises sont en croissance et que l’économie est florissante. L’économie canadienne n’a pas été florissante ces derniers temps. Nous sommes au milieu d’un grand débat national sur la façon de la relancer, et ce projet de loi, s’il devient loi, risque de nuire à la réussite des efforts de relance.
Le président : Merci, monsieur Schwanen.
Martha Hall Findlay, directrice, École des politiques publiques, Université de Calgary : Merci beaucoup au comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.
Je commencerai par souligner que je n’ai aucun intérêt personnel dans cette question, contrairement, dois-je dire franchement, à certains témoins précédents, dont l’intérêt personnel est évident. Mon seul intérêt est celui d’une Canadienne qui travaille dans l’intérêt du Canada dans son ensemble.
J’ai beaucoup travaillé pour comprendre cette question, mais je ne suis pas ici pour apporter la preuve objective et irréfutable qu’il est plus que temps d’abandonner la gestion de l’offre, ni pour demander pourquoi les producteurs laitiers d’Australie et de Nouvelle-Zélande sont bien mieux lotis aujourd’hui grâce à une expansion massive sur les marchés mondiaux après l’abandon de la gestion de l’offre, ni pour demander pourquoi la coopérative québécoise Agropur transforme aujourd’hui plus de lait américain que de lait canadien ni pourquoi la société canadienne Saputo s’est massivement développée en dehors du marché canadien.
Il ne s’agit pas d’un débat sur les avantages et les inconvénients de la gestion de l’offre. Il s’agit des dommages importants que le projet de loi C-282 causerait à tous les autres secteurs d’exportation du Canada. Ceci est particulièrement important pour un pays aussi dépendant du commerce international que le Canada. Soixante-cinq pour cent du PIB du Canada dépend du commerce.
Toute personne impliquée dans des négociations commerciales sait à quel point la gestion de l’offre a engendré des difficultés pour tous nos autres secteurs d’exportation. Des compromis ont été nécessaires à chaque fois dans d’autres secteurs pour soutenir la gestion de l’offre au Canada, et tout est question de négociations. Toutefois, la consécration de cette protection nous priverait de notre capacité à négocier. Elle mettrait des bâtons dans les roues de nos négociateurs, qui ne pourraient pas négocier comme ils l’ont fait par le passé et soutenir encore une fois la gestion de l’offre.
Il suffit de voir le refus du Royaume-Uni d’entamer des négociations à cause du projet de loi C-282. De leur côté, les Américains — vous l’avez déjà entendu, tant chez les démocrates que chez les républicains, et c’est très grave — ont dit très clairement que cette mesure jouera un rôle clé dans leur décision attendue de refuser de renouveler l’ACEUM en 2026, alors que le renouvellement de cet accord est d’une importance cruciale pour le Canada.
M. Gobeil a fait le commentaire étonnant que nous ne devons pas monter un secteur contre l’autre, mais c’est exactement ce que fait ce projet de loi. Je vous demande respectueusement, en tant que parlementaires canadiens, de montrer que vous ne souhaitez pas mettre en péril les emplois de 3,6 millions de Canadiens qui dépendent des exportations, dont beaucoup sont des producteurs dans d’autres secteurs agricoles, au profit de moins de 10 000 producteurs. Il ne faut pas non plus les sacrifier, comprenez-moi bien. Ils ont été protégés lors toutes les négociations antérieures.
Cela montre que le projet de loi C-282 n’est pas nécessaire, et que cette modification sans précédent de la capacité à négocier au nom de tous nos secteurs d’exportation est franchement égoïste et préjudiciable à l’économie canadienne dans son ensemble.
Le président : Merci beaucoup.
Nous sommes prêts à passer aux questions. Chers collègues, comme d’habitude, vous disposez de quatre minutes. Veillez à ce que vos questions soient concises, s’il vous plaît, pour permettre des réponses plus longues.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici présents et en ligne. Ma question s’adresse à M. Harvey. Notre pays est foncièrement exportateur; vous l’avez tous dit. Le Canada exporte 50 % de ses bovins, 65 % de son soja, 70 % de son porc, 80 % de blé, 90 % de son canola et 95 % de ses légumineuses et grains. Nous avons toujours commercialisé nos produits dans le monde, tout en maintenant notre politique de gestion de l’offre. Alors pourquoi êtes-vous contre ce projet de loi, qui vise à soutenir un secteur qui n’a jamais été orienté vers l’exportation et qui n’a jamais empêché les autres secteurs d’exporter? On a la preuve que 12 accords ont été conclus sans qu’on touche à la gestion de l’offre. Pourquoi?
M. Harvey : Merci beaucoup d’avoir dressé une bonne liste des gens que nous représentons. Nous ne voulons pas mettre tout cela à risque et menotter nos négociateurs commerciaux de manière à les empêcher de faire progresser les intérêts économiques de notre pays. Nous croyons que ce projet de loi finirait par miner notre crédibilité auprès d’autres pays et enverrait un très mauvais message, qui serait que le Canada n’est plus ouvert, qu’il veut faire plus de protectionnisme et moins de commerce et qu’il ne veut pas protéger ses intérêts économiques.
La sénatrice Gerba : Pourtant, le projet de loi que nous étudions aujourd’hui permet de faire en sorte que les producteurs sous gestion de l’offre ne subissent pas encore plus de concessions. Votre position est de ne pas soutenir ce projet de loi. Doit-on dès lors comprendre que vous soutenez que le principe de la gestion de l’offre doit disparaître?
M. Harvey : Pas du tout. Nous n’avons pas d’opinion institutionnelle sur la gestion de l’offre en soi. Ce que nous croyons, c’est que nous ne devons pas menotter juridiquement nos négociateurs. Malheureusement, ce projet de loi nous oblige à protéger nos intérêts, parce qu’il va directement à l’encontre de nos intérêts. Si nous n’avions pas ce projet de loi devant nous, nous ne serions pas obligés d’en parler.
La sénatrice Gerba : Êtes-vous au courant qu’il y a d’autres pays qui ont des restrictions et que l’OMC autorise des exclusions et des exceptions dans les secteurs qui sont plus fragiles?
M. Harvey : Bien sûr, mais aucun pays n’a proposé ce genre de loi et cela se voit; cela donne une très mauvaise image du Canada à l’étranger.
La sénatrice Gerba : Est-ce qu’on peut innover?
M. Harvey : C’est une mauvaise idée d’innover dans le mauvais sens. Il faut innover pour améliorer la situation, pas pour l’empirer.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Merci aux témoins.
Même sans ce projet de loi, il semble que notre position de principe actuelle soit de ne pas mettre sur la table de nouvelles concessions quant à l’accès au marché dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre. Dans quelle mesure ce projet de loi aggrave-t-il la situation, si je puis m’exprimer ainsi, de votre point de vue? Nous avons déjà un point de départ assez difficile pour les négociations.
M. Harvey : M. Forsyth a expliqué clairement hier que ce projet de loi amènerait d’autres pays à retirer des éléments de la table dès le début. La marge de manœuvre est limitée. C’est un signal que nous ne sommes pas sérieux. C’est un signal que nous voulons défendre de manière agressive certaines de nos positions. Franchement, dans le contexte de l’examen de l’ACEUM, nous pensons que c’est un drapeau rouge.
Le sénateur Woo : Mais c’est déjà la position du gouvernement, même sans ce projet de loi.
Je voudrais élargir la question en demandant quelles négociations commerciales futures, selon vous, pourraient nous mettre dans une position particulièrement mauvaise. Il s’avère que nous avons de la chance, car nous avons déjà conclu des accords commerciaux avec des acteurs majeurs dans le monde. Nous avons l’accord avec l’Europe, l’ACEUM et le PTPGP. Il y a toutefois des marchés importants avec lesquels nous n’avons pas d’accords. Je voudrais que vous pensiez à des accords que nous pourrions vouloir conclure, mais dont la négociation serait problématique en raison de ce projet de loi. Si nous pouvons protéger les accords que nous avons déjà conclus, quels accords futurs vous préoccupent?
M. Harvey : Tout d’abord, je dois insister sur le fait que nous ne pouvons pas réellement protéger les accords que nous avons déjà parce que ces accords font l’objet d’un examen. L’ACEUM en est l’exemple le plus évident. Il est prévu qu’il fasse l’objet d’un examen en 2026.
En ce qui concerne l’avenir, nous envoyons clairement à toutes les régions du monde le signal que nous ne souhaitons pas discuter sérieusement à la table des négociations.
Le sénateur Woo : Je me demande si Mme Hall Findlay et M. Schwanen ont des commentaires à faire.
Mme Hall Findlay : Merci, sénateur.
Je me ferai l’écho de tout ce que les autres témoins viennent de dire. Il est très clair que le projet de loi C-282 a provoqué des réactions très négatives. Il est vrai que la protection de la gestion de l’offre est l’une de nos politiques depuis toujours, mais dès que le projet de loi C-282 a été présenté et adopté par la Chambre, nous avons vu la réaction du Royaume-Uni. Il n’en faut pas plus pour constater que le fait d’essayer de consacrer quelque chose en dehors des négociations a eu un effet immédiat sur ce pays avec lequel nous devrions entretenir de bien meilleures relations.
Je ne vois pas en quoi le projet de loi C-282 améliore la situation des secteurs soumis à la gestion de l’offre, mais il ne fait aucun doute qu’il nous empêche de défendre tous les autres secteurs d’exportation et de travailler avec eux. Comme mon collègue, Daniel Schwanen, l’a souligné, ces secteurs occupent, et de loin, la plus grande place au sein de l’économie canadienne.
M. Schwanen : C’est également un mauvais exemple pour nos partenaires commerciaux. Ce ne serait pas la première fois qu’une mauvaise politique canadienne serait adoptée par d’autres pays et se retournerait ensuite contre nous dans des secteurs où nous voulons exporter. C’est une position de négociation, comme l’a mentionné le sénateur, qui semble intransigeante, et c’est très bien, mais nous passerions alors d’une position de négociation à une position de non-négociation, et cela crée un contexte tout à fait différent pour des négociations commerciales.
La sénatrice M. Deacon : Merci aux témoins pour leur présence aujourd’hui.
Quelqu’un a dit au début qu’il ne s’agit pas d’un projet de loi pour les agriculteurs, mais d’un projet de loi qu’on définit différemment. Il a été présenté comme une mesure législative visant à protéger les agriculteurs. Il protège un nombre restreint d’agriculteurs, comme nous l’avons entendu dire hier, qui ne sont pas sans importance. Ils forment un groupe important, mais minoritaire, d’agriculteurs. Le reste du secteur agricole primaire dépend des exportations. Plus de la moitié de la production agricole dans ces autres secteurs est exportée. Lorsque le Canada envisage de fermer la porte aux concessions dans les secteurs des œufs, des produits laitiers et de la volaille, cela signifie-t-il que d’autres pays feront la même chose à l’égard de notre bœuf, de nos lentilles et d’autres produits agricoles? Je pense à cela, et je trouve que c’est inquiétant, d’autant plus que l’examen de l’ACEUM s’en vient.
Greg Northey, président, Alliance canadienne du commerce agroalimentaire : Je peux répondre à cette question. Je représente l’ACCA, dont je suis le président, mais je travaille également pour Pulse Canada, qui représente les producteurs de légumineuses et de cultures spéciales de tout le Canada.
Oui, c’est préoccupant. Lorsque nous pensons à nos intérêts en matière d’exportation, comme l’ont dit d’autres témoins, nous cherchons à accéder à toute une série de marchés différents. Nous espérons que des accords de libre-échange ambitieux seront signés. Ce qui nous préoccupe, c’est l’exemple que cela donnerait. Nous cherchons à accéder à des marchés clés. Nous avons conclu des accords commerciaux. Il y a certains marchés importants, l’Inde par exemple, avec lesquels nous n’avons pas d’accord commercial, et nous aimerions en avoir un. L’exemple donné par ce projet de loi est lourd de conséquences. D’autres pays nous voient, nous observent. Ils voient ce que fait le Canada en matière de politique commerciale. Le Canada a toujours été un modèle en matière de commerce fondé sur des règles. À l’OMC, le Canada est un pays sur lequel on peut compter pour nourrir l’ambition d’éliminer le protectionnisme.
Je dois dire très honnêtement que ce projet de loi, d’après ce que nous constatons, est très peu bénéfique pour le secteur de la gestion de l’offre et créerait sans aucun doute un climat très préjudiciable aux nombreux agriculteurs des municipalités rurales. Ils exploitent des petites et des moyennes entreprises agricoles. On entend souvent dire que le projet de loi protège un certain type d’agriculteurs, mais ce n’est pas le cas. Nous représentons les mêmes agriculteurs qui ont les mêmes intérêts au sein de ces communautés et qui possèdent des exploitations familiales de la même taille. Il est regrettable que l’accent ait été mis sur cet aspect agricole, alors qu’en réalité, comme l’a dit M. Harvey, c’est le précédent commercial que ce projet de loi crée pour nous qui est préoccupant.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
En effet, l’accent a été mis sur l’aspect agricole. Y a-t-il d’autres secteurs que nous devrions entendre? Je pose la question parce que cela fait 13 mois que nous consultons principalement des personnes du secteur agricole.
M. Northey : Les témoins précédents ont discuté de la division regrettable qui est en train de se créer. C’est probablement la raison pour laquelle le débat dure depuis longtemps. Il est tout à fait vrai — et je pense qu’il est vraiment important de le souligner — que les accords que nous cherchons à conclure actuellement n’ont probablement pas beaucoup d’intérêt aux yeux des secteurs soumis à la gestion de l’offre. Ils peuvent susciter un intérêt, mais les marchés en question sont essentiels non seulement pour le secteur agricole, mais aussi pour le secteur des minéraux, le secteur de la foresterie et pour différents secteurs.
En réalité, ce projet de loi aurait probablement un impact tout aussi important sur d’autres secteurs d’exportation en raison du précédent qu’il créerait. Si un pays de la région indopacifique, par exemple, sait que le Canada souhaite exporter des infrastructures, des métaux, des minéraux, etc., il peut décider d’adopter une loi qui...
Le président : Je suis désolé de vous interrompre, monsieur Northey, mais le temps est écoulé.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins pour leur présence dans le cadre de cette étude très importante du projet de loi.
Je n’en étais pas heureuse, mais j’étais satisfaite d’entendre qu’on reconnaissait que ce projet de loi n’avait pas été étudié correctement à la Chambre. C’est frustrant et décevant pour nous, au Sénat. Il nous incombe donc d’étudier ce projet de loi en profondeur et je vous remercie de nous aider à le faire.
Vous avez tous dit assez clairement que vous considérez ce projet de loi comme mauvais pour l’économie du Canada, qui dépend des exportations. Il est à espérer que cette mesure permettra d’accroître les exportations plutôt que de les réduire. Cependant, vous dites qu’il crée déjà un froid avant même son entrée en vigueur, dans le contexte de la montée du protectionnisme, des accords éventuels et des accords existants qui devront bientôt être renégociés. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce contexte qui changera, dans lequel nos négociateurs se retrouveront? Ils s’y préparent déjà, que ce soit en ce qui a trait aux nouveaux accords ou à ceux qui doivent être renégociés. J’aimerais en savoir un peu plus sur le contexte global.
M. Harvey : Le contexte global dans le monde du commerce a généralement fait en sorte que les échanges commerciaux n’ont pas vraiment reculé. Les changements technologiques, les porte‑conteneurs et la numérisation sont parmi les principaux facteurs qui ont contribué à l’augmentation des échanges au cours des deux dernières décennies. Les échanges ne reculent pas, mais nous constatons que le risque politique augmente radicalement. Le risque politique augmente radicalement principalement parce que les économies les plus importantes dans le monde — les États-Unis, la Chine, l’Union européenne — se détournent du système fondé sur des règles. Dans ce contexte, il est dans l’intérêt du Canada de défendre un système fondé sur des règles, tant bilatéralement avec ces partenaires que multilatéralement. Nous pensons que c’est une très mauvaise idée pour le Canada de montrer qu’il n’est pas intéressé.
La sénatrice Coyle : Cela pourrait donc être perçu comme un message?
M. Harvey : Oui, un très mauvais message.
Mme Hall Findlay : Je vais répondre sans autre raison que de me faire l’écho de ce point de vue.
Je le répète, il s’agissait d’un message clair aux yeux du Royaume-Uni, qui a réagi. Dans le cadre du renouvellement de l’ACEUM — des conversations à ce sujet ont déjà commencé, mais les négociations n’auront lieu officiellement que dans un an et demi —, ce projet de loi envoie déjà un signal très important. Si vous êtes un négociateur commercial et que vous entamez des négociations où tout est sur la table, l’autre partie espère toujours — croyez-moi, elle espère toujours — qu’elle peut obtenir quelque chose de notre système de gestion de l’offre. C’est ainsi que fonctionnent des négociations. Si vous n’avez pas cet espoir, si ce n’est pas du tout sur la table, alors cela nuit grandement aux négociations. Je suis tout à fait d’accord pour dire que cette mesure législative envoie déjà un signal. L’adoption de ce projet de loi par la Chambre a déjà contribué à envoyer un message très préjudiciable. À vrai dire, sénatrice, si je peux me permettre, je félicite le Sénat et le comité d’effectuer l’examen minutieux dont une mesure de cette importance a désespérément besoin.
M. Schwanen : J’ajouterai simplement que nous cherchons à élargir le PTPGP à d’autres pays, dont certains sont des producteurs de nos produits soumis à la gestion de l’offre, autres que la Nouvelle-Zélande. Nous cherchons, comme l’a mentionné Mme Hall Findlay, à renforcer nos relations commerciales avec le Royaume-Uni. C’est devenu une pierre d’achoppement. Le dernier exemple, mais non le moindre, est l’ACEUM. Il est fort probable que ce soit mis sur la table, et il est beaucoup plus facile de dire « Non, je ne peux pas. C’est difficile politiquement », parce qu’au moins vous parlez et vous négociez, que de dire « Non, le gouvernement ne veut pas que j’en discute en raison de la loi. »
Le sénateur Gold : Je remercie les témoins de leur présence et de leur engagement envers le comité.
Nous discutons d’un projet de loi qui inscrirait dans la loi la politique actuelle sur les négociations. Pourtant, bon nombre des témoignages que nous avons entendus jusqu’à présent ont surtout mis l’accent sur les négociations de façon quasi abstraite, si je peux employer ce terme — je viens du milieu universitaire, donc j’aime l’abstraction —, ou encore sur la gestion de l’offre comme institution et sur les avantages que ce système procure aux producteurs et à leur communauté. Les gens ont des opinions très tranchées, qui sont fondées sur des principes ou sur des idéologies — je ne le dis pas dans un sens péjoratif. Les uns sont en faveur de ce que certains appellent le libre-échange presque sans contraintes. Les autres livrent une bataille idéologique pour ou contre la gestion de l’offre selon qu’ils penchent vers la primauté des lois du marché ou vers une plus grande équité et une plus grande réglementation des échanges commerciaux.
Je serais curieux de demander aux témoins de mettre cartes sur table s’ils sont à l’aise de le faire. Je voudrais me concentrer sur la gestion de l’offre si c’est possible parce que des allusions ont été faites dans les déclarations liminaires qui ont piqué mon intérêt. J’aimerais que vous me disiez en toute candeur quelle est votre position de principe sur la gestion de l’offre, puisque le sujet semble s’être invité dans nos discussions sur le projet de loi. Ma question s’adresse au vice-président de l’Institut C.D. Howe ou à Mme Hall Findlay, et bien entendu, à M. Harvey.
Le président : Vous avez deux minutes.
M. Schwanen : Je vais commencer. Nous avons dit que la gestion de l’offre devrait être appliquée en tenant compte davantage des intérêts des consommateurs. Bien des pays — dont l’Australie, qui s’est débarrassée de ce type de système — continuent à appuyer les agriculteurs. Ils soutiennent aussi et surtout la transition vers une industrie plus ouverte, notamment pour le lait industriel au niveau du consommateur.
Nous pensons que l’industrie doit évoluer. Or, la gestion de l’offre n’a rien fait pour contribuer à cette évolution. Si rien ne change, comme le démontrent de nombreuses études indépendantes, la majeure partie de l’industrie va se scléroser. Je ne suis pas en faveur de la gestion de l’offre, mais je suis d’accord avec le témoin qui a dit que les États-Unis versent aussi des subventions. Utilisons nos mesures antidumping et imposons des droits compensateurs alors. Ne laissons pas d’autres produits subventionnés, dont le lait, entrer au Canada. L’idée, c’est d’avoir un système de gestion de l’offre qui prend davantage en compte les consommateurs. Cela signifie un contrôle serré sur les importations.
Mme Hall Findlay : Sénateur Gold, vous posez une excellente question que certains d’entre nous ont passé beaucoup de temps à étudier. Je participerais avec grand plaisir à une conversation bien plus longue sur le sujet. De fait, j’ai publié il y a 10 ans un rapport, mis à jour depuis, qui n’est pas fondé sur une idéologie ou sur des motifs politiques ou partisans, mais qui s’appuie sur toutes les données probantes qui ont pu être regroupées.
Mon collègue, M. Schwanen, a mentionné les consommateurs. Une grande partie du rapport répond à la question de savoir comment les producteurs laitiers du Canada peuvent tirer avantage des marchés d’exportation auxquels ils n’ont pas accès en ce moment. Les Australiens et d’autres exemples ailleurs dans le monde montrent comment y arriver.
La sénatrice Boniface : Merci de votre présence parmi nous.
Ma question s’adresse à M. Harvey. Vous avez rédigé une lettre d’opinion parue dans le Financial Post ce matin. Selon ce que vous avez écrit, le projet de loi C-282 pourrait provoquer la perte de plus de 1 million d’emplois au Canada rural et urbain et de dizaines de milliards de dollars en exportations. Pourriez-vous étayer vos propos en pensant notamment à l’importance des communautés rurales au pays?
M. Harvey : Merci. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, un emploi sur neuf au Canada se trouve dans le secteur agroalimentaire, principalement dans les produits agroalimentaires d’exportation. En 2022, nous avons exporté pour 92,8 milliards de dollars de produits agricoles et de produits alimentaires. Le projet de loi menace directement ces emplois et les retombées économiques qui y sont associées en rendant les exportations plus difficiles pour notre secteur.
La sénatrice Boniface : Voulez-vous dire que cette disposition, ou les dispositions du projet de loi nuiront à la capacité des négociateurs d’en arriver à une entente qui favorisera ces autres industries?
M. Harvey : C’est exact. Le projet de loi privilégie les intérêts du petit groupe par rapport aux intérêts du groupe beaucoup plus grand.
La sénatrice Boniface : Comme vous vous en doutez, nous avons reçu un nombre appréciable de lettres dont les signataires se disaient pour ou contre le projet de loi. La question que j’ai posée un peu plus tôt à un témoin portait sur les difficultés auxquelles fait face la communauté agricole dans son ensemble dans tous les aspects de la chaîne de production. Selon ce que j’ai compris de sa réponse, le témoin a affirmé que le clivage au sein de la communauté était un non-sens. Or, ce n’est pas ce que j’entends ici. En tenant compte des répercussions que cela pourrait avoir sur la communauté agricole, seriez-vous d’accord avec moi pour dire que le projet de loi pourrait en fait causer une énorme fracture?
M. Northey : Il faut faire la part des choses entre les agriculteurs qui participent au système de gestion de l’offre et les autres. De notre point de vue, ou selon ce que nous ont dit les offices qui appartiennent à des groupes dépendants des exportations un peu partout au pays, tous les agriculteurs devraient avoir droit à leur part du gâteau. Le type de système importe peu.
Ce que nous voulons éviter, c’est que le Canada soit l’initiateur de politiques protectionnistes. Ces politiques nous désavantagent à tout coup. Il suffit de constater les conséquences de ce qui a été mis en œuvre pour les véhicules électriques chinois.
Ne concluons pas pour autant qu’il faille mettre une croix sur le système de gestion de l’offre. Tous les gouvernements appuient de façon indéfectible les trois piliers. Tout le monde sait quelles devraient être leur portée et leur force et la manière de s’y prendre pour ne pas les affaiblir. Nous voulons surtout nous assurer que les agriculteurs dépendants des exportations ne sont pas pénalisés par un protectionnisme excessif qui nuirait à leur croissance.
Si ces mesures sont inscrites dans le projet de loi, c’est le projet de loi qu’elles toucheront, et non pas nécessairement le système de gestion de l’offre. C’est un système très solide. Tout le monde au gouvernement est en faveur. Nous ne luttons pas contre la gestion de l’offre. La fracture n’est pas là. Les dissensions portent plutôt sur la façon du Canada de mener des négociations commerciales de même que sur ses vues sur le protectionnisme, sur les relations commerciales fondées sur des règles, sur sa réputation à l’international et sur les moyens de se protéger comme puissance moyenne. Ces questions sont primordiales pour les producteurs qui comptent sur les marchés.
Le sénateur Harder : Merci aux témoins en personne et à distance.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je partage votre point de vue. J’aimerais connaître le point de vue de ceux que vous représentez. Madame Hall Findlay, vous êtes à Calgary. Vous avez travaillé un peu à Ottawa. Pourquoi ceux qui seront probablement les plus touchés par ce mauvais projet de loi ne sont-ils pas plus en colère? Commençons par les provinces de l’Ouest si vous le voulez bien.
Mme Hall Findlay : Merci, sénateur.
Dans mes commentaires au sénateur Gold, j’ai dit que j’étais contre, mais je ne parlais pas de la gestion de l’offre. Je parlais de la tâche ardue d’inscrire ce secteur précis dans la loi.
Sachez, sénateur, qu’aucun producteur de bœuf au pays n’appuie la gestion de l’offre. Ce système est très frustrant. Aussi drôle que cela puisse paraître, j’ai souvent vu au cours des 10 ans que j’ai passés à travailler sur tout ce qui entoure ce dossier des filles d’agriculteur se marier avec des producteurs laitiers du coin. Les nouveaux couples ne vont pas déclencher de guerre ouverte avec leurs collègues agriculteurs. Je respecte beaucoup cette attitude. Cela dit, il y a beaucoup de frustration dans les chaumières.
Étant donné les effets immédiats ressentis par les producteurs de canola à la suite de la décision d’imposer des tarifs sur les véhicules électriques chinois, soyez certains que ces producteurs sont mécontents. Le projet de loi C-282 les horripile également. Je ne sais pas si c’est une question de respect, mais les agriculteurs ne se défoulent pas sur la place publique. Il faut s’entretenir avec eux derrière des portes closes et créer des conditions qui les rendront à l’aise de s’exprimer ouvertement.
Le sénateur Harder : Est-ce que je me trompe en disant que les secteurs non agricoles qui dépendent fortement des exportations ne sont pas aussi conscients qu’ils le devraient des dangers que comporte le projet de loi? Je pense aux secteurs de l’automobile, de l’acier et de l’aluminium. Quelqu’un va payer le prix.
Mme Hall Findlay : Tout le monde en paie le prix. C’est incontestable.
Le gouvernement envoie un message très clair selon lequel il soutiendra la gestion de l’offre dans toutes les négociations commerciales. À mon avis, certains de ces autres secteurs ressentent de la frustration, mais ils jugent parfois inutile de s’engager parce que la décision a été prise de toute façon. Les industries réglementées ont beau trouver cela frustrant, elles veulent tout de même rester dans les bonnes grâces du gouvernement. Les joueurs de l’industrie qui pensent ouvrir une usine quelque part ne voudront pas s’aliéner le gouvernement avec qui ils essaient de collaborer. Ils font des affaires après tout. Comme le gouvernement a obtenu le soutien de tous les partis pour la gestion de l’offre, bon nombre de ces autres secteurs se taisent, sénateur. Ils choisissent les combats qu’ils peuvent gagner.
Le sénateur MacDonald : Je voudrais me pencher avec vous sur les négociations et la comparaison entre l’ALENA et l’ACEUM.
En 2018, j’assistais à la réunion de la conférence de l’Est du Council of State Governments à Westchester, dans l’État de New York. À 8 h 30, juste avant le début des discussions, l’avocat principal spécialisé en droit commercial pour les sociétés binationales, Dan Szabo, est venu me parler. Nous nous connaissons lui et moi. Nous nous sommes rencontrés de nombreuses fois. Il m’a dit : « Sénateur, j’ai peut-être quelque chose qui pourrait vous intéresser. Le Mexique et les États-Unis viennent de s’asseoir pour renégocier l’ALENA. » Je lui ai demandé : « Qui est là pour représenter le Canada? » Il m’a répondu : « Personne. » Le Canada n’avait pas été invité aux négociations initiales. J’étais à la fois déçu et étonné. Je sais pourquoi, mais je ne m’étendrai pas là-dessus. À votre avis, comment l’ACEUM se compare-t-il à l’ALENA en ce qui touche la protection des intérêts canadiens?
M. Harvey : L’ACEUM était une réaction au contexte politique du moment qui nous a amenés à renégocier. Je pense que le Canada a bien tiré son épingle du jeu. L’ACEUM est absolument essentiel pour les secteurs que représente l’ACCAA. Le problème aujourd’hui, c’est que nous ne voulons pas compromettre le contexte dans lequel nous allons procéder à une révision de l’accord. Il revêt une trop grande importance nationale pour le Canada pour qu’on pose des gestes gratuits comme agiter un chiffon rouge sous le nez d’un taureau.
M. Northey : Je suis du même avis que M. Harvey. Comme le marché nord-américain est très intégré, nous avons tout à gagner à avoir cet accord. Nous observons une augmentation de la transformation et des mouvements transfrontaliers. L’ACEUM nous permet de collaborer très étroitement avec les organismes de réglementation américains dans le contexte de l’accord. Il est essentiel de mettre de côté les éléments commerciaux, les groupes de travail qui se forment et tout ce qui se constitue autour de la frontière pour s’assurer que la frontière est aussi mince que possible autour de ces éléments. Pour nous, cet accord est essentiel. Comme l’a fait remarquer M. Harvey, la renégociation ou du moins l’examen de ce dernier sera très important en 2026.
M. Schwanen : Nous avons fait ce que nous pouvions dans les circonstances avec l’ACEUM. La véritable menace, c’est que cet accord risque toujours d’être renégocié, ce qui n’était pas dans l’air avant. L’accord a demandé beaucoup d’investissements de la part du Canada. Il y a plus d’incertitude, et nous sommes le marché le plus petit. De ce point de vue, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons garder ouvertes toutes les options possibles dont nous pourrions discuter. Nous ne devrions rien supprimer de la liste, et c’est ce qui m’embête avec de projet de loi. Ces options pourraient être utiles, ne serait-ce que pour pouvoir en parler dans le contexte actuel de plus grande incertitude et du protectionnisme qui est encore en hausse. Nous nous en sommes quand même bien sortis, et nous devons conserver cet accord ou quelque chose de semblable.
Mme Hall Findlay : Selon les informations que nous avons maintenant des démocrates et des républicains, peu importe qui deviendra président, il y a quelques irritants clés dans la relation. La gestion de l’offre en fait certainement partie. Il n’est pas question ici de se débarrasser de la gestion de l’offre pour apaiser les Américains; cela n’arrivera pas. Mais l’enchâssement du projet de loi C-282 fera en sorte que le renouvellement de l’ACEUM/USMCA ne se fera pas en 2026. Pourquoi nous tirerions-nous clairement dans le pied et ferions-nous en sorte de ne pas obtenir de vote pour le renouvellement afin de sauvegarder un système que nous protégeons déjà dans le cadre de nos négociations commerciales? Ce serait très dangereux pour nous d’agir ainsi.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos témoins.
Ma question s’adresse à Mme Hall Findlay. Vous avez déjà souligné la nécessité de moderniser la gestion de l’offre, particulièrement à la lumière de l’évolution de la dynamique du commerce mondial et des pressions économiques intérieures. Comment envisagez-vous de moderniser le système de gestion de l’offre du Canada d’une manière qui concilie l’innovation et la résilience? Je sais que vous avez travaillé à cet égard, et vous avez peut-être ici l’occasion de souligner certains de ces points.
Mme Hall Findlay : Je vous remercie, sénateur.
Je réponds aussi un peu au sénateur Gold en disant que c’est vraiment une question beaucoup, beaucoup plus vaste. Une grande partie de mon travail consiste à trouver des moyens d’assurer la transition sans nuire aux producteurs laitiers, tout en leur offrant un ensemble de mesures compensatoires et d’arrangements qui leur permettraient d’exporter. J’ai mentionné plus tôt qu’Agropur, une coopérative du Québec, transforme maintenant plus de lait américain. Les débouchés économiques à l’extérieur du Canada sont énormes. Les Australiens et les Néo‑Zélandais ne réclament pas le rétablissement de la gestion de l’offre, car ils tirent un avantage considérable des marchés mondiaux.
Pour moi, c’est une honte pour les producteurs laitiers canadiens. Il y a beaucoup d’ironie dans tout cela. C’est une véritable honte. Nous parlons ici de commerce, et les débouchés extérieurs sont également immenses pour ces producteurs. Nous produisons — les vaches produisent, en fait — du bon lait, et nous fabriquons d’excellents fromages au pays. Nous mettons ces possibilités en péril.
Une grande partie de mon travail concerne la façon dont nous effectuons la transition pour en arriver à avoir plus de débouchés, d’une manière qui répond aux inquiétudes des agriculteurs aujourd’hui, qui répond à leurs préoccupations financières, à leurs craintes — soyons francs — quant à l’adoption d’un système qui pourrait exiger plus de concurrence, ce qu’il ferait probablement. Comment pouvons-nous les aider dans ce genre de transition? Vous avez parlé de la technologie et de l’innovation. Nous excellons à cet égard au pays, et ce serait une formidable occasion de combiner ces deux capacités.
Le sénateur Al Zaibak : Merci à nos témoins de nous présenter un point de vue très intéressant.
Contrairement à mes honorables collègues, je ne prétends pas connaître le système de gestion de l’offre en profondeur, mais je crois comprendre qu’il réglemente la production, les prix et l’importation des produits laitiers, du poulet, de la dinde, des œufs et des œufs d’incubation, assurant la stabilité du marché et la prévisibilité des revenus pour les agriculteurs canadiens. À votre connaissance, le système actuel de gestion de l’offre limite‑t‑il la capacité des intervenants, des agriculteurs canadiens dans ces secteurs, d’exporter leurs produits, de prendre de l’expansion et de faire concurrence à l’échelle internationale? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas aller de l’avant pour promouvoir et exporter ces produits et passer à l’offensive sur le marché international? Cette question s’adresse à tous les témoins.
Mme Hall Findlay : C’est exactement la question à poser, selon moi. Comme je viens de le dire, les débouchés sont immenses. Nos vaches produisent du bon lait et votre pays produit d’excellents fromages et autres produits laitiers. Or, nous ne pouvons pas vendre ces produits à l’étranger, car tous les marchés internationaux potentiels nous disent qu’ils n’importeront pas ces produits du Canada parce que nous ne les laissons pas importer chez nous. C’est le seul secteur qui soit déjà aussi protégé.
Mais, encore une fois, tout ce débat ne devrait pas porter sur la gestion de l’offre en soi. C’est une discussion très intéressante, mais de longue haleine. Actuellement, le projet de loi C-282 ne ferait qu’enchâsser une protection qui existe déjà dans nos négociations commerciales. C’est la position de tous les partis au gouvernement, mais l’enchâssement de cette protection serait sans précédent et, comme nous l’avons expliqué, très dangereux. Cela dit, sénateur, je serais plus que ravi de discuter plus longuement avec vous des possibilités d’abandonner la gestion de l’offre.
Le sénateur Al Zaibak : Je ne voulais pas dire ou laisser entendre qu’il faudrait abandonner la gestion de l’offre. Je me demandais plutôt si la gestion de l’offre elle-même limite les exportations.
Mme Hall Findlay : Oui, elle les limite.
Le sénateur Al Zaibak : Je vous poserai donc la question suivante : y a-t-il d’autres obstacles auxquels les producteurs se heurtent quand ils veulent exporter à l’étranger?
Mme Hall Findlay : Selon le droit commercial international, c’est le système de gestion de l’offre qui nous empêche d’exporter. C’est pourquoi des organisations laitières canadiennes comme Saputo et Agropur étendent leurs activités et établissent des antennes à l’étranger pour tirer parti des marchés extérieurs, puisqu’elles ne peuvent pas le faire depuis le Canada. C’est dommage, car ce sont des activités économiques qui s’effectuent à l’étranger alors qu’elles pourraient se faire au pays. Mais c’est le système de gestion de l’offre lui-même qui constitue la contrainte.
Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie beaucoup.
Le président : Merci beaucoup.
Malheureusement, nous n’avons pas le temps de faire un second tour. J’ai remarqué que plusieurs témoins et sénateurs ont dit: « Si nous avions plus de temps... » Nous poursuivrons notre examen de ce projet de loi.
Au nom du comité, je voudrais remercier nos témoins, Martha Hall Findlay, Daniel Schwanen, Greg Northey et Michael Harvey, d’avoir comparu. Merci de vos réponses franches, et nous espérons vous revoir un jour.
(La séance est levée.)