Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 9 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Bienvenue. Amina Gerba, du Québec, marraine du projet de loi C-282.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Je vous souhaite la bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Je suis Michael MacDonald, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur McNair : Je m’appelle John McNair, et je viens du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Harder : Je suis Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, et je viens de l’Ontario. Je vous souhaite la bienvenue.

Le sénateur Black : Je suis Robert Black, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Ross : Je m’appelle Krista Ross, et je viens du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le président : J’aimerais souligner que les sénateurs Cardozo et Black, tous deux de l’Ontario, sont les invités du comité aujourd’hui.

Je veux souhaiter la bienvenue aux personnes qui nous regardent sur ParlVU. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Pour notre premier groupe, nous avons le plaisir d’accueillir les représentants des Producteurs d’œufs du Canada : M. Emmanuel Destrijker est le 2e vice-président, et M. Drew Black est le chef de la direction. Nous recevons également M. Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles.

[Français]

Merci à vous d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui.

Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils.

[Traduction]

Nous sommes maintenant prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies, comme à l’habitude, par les questions des sénateurs. Monsieur Destrijker, vous avez la parole.

[Français]

Emmanuel Destrijker, 2e vice-président, Les producteurs d’œufs du Canada : Nous apprécions le dévouement du comité à soutenir le gouvernement dans ses négociations d’accords commerciaux, tout en veillant à ce que le système canadien de gestion de l’offre puisse continuer de répondre aux besoins des Canadiens.

Ces accords représentent une part importante de notre économie et aident le secteur agricole à atteindre son plein potentiel. Toutefois, en poursuivant ces objectifs commerciaux, nous devons parvenir à un équilibre entre les secteurs axés sur l’exportation et nos secteurs intérieurs. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui pour exprimer notre soutien aux mesures qui renforcent la gestion de l’offre.

Contrairement à ce que certains critiques voudraient vous faire croire, tous les pays ont des secteurs sensibles qu’ils protègent dans les accords commerciaux — c’est la norme dans les négociations. Alors que le Canada s’appuie sur son héritage commercial, l’adoption du projet de loi C-282 enverrait un signal clair à nos partenaires commerciaux selon lequel la gestion de l’offre et la sécurité alimentaire de notre pays sont exclues des négociations.

En fait, ce projet de loi harmonise clairement l’engagement du Canada à protéger la gestion de l’offre dans les négociations commerciales, avec l’avantage économique supplémentaire d’un avenir prévisible. Ces mesures sont d’autant plus importantes, étant donné que l’insécurité alimentaire et l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement sont à la hausse dans le monde entier en raison des tensions géopolitiques et des changements climatiques.

Grâce au fondement stable de la gestion de l’offre, les producteurs d’œufs ont pu continuer à promouvoir la croissance et à protéger notre approvisionnement alimentaire. L’harmonisation de notre position commerciale internationale avec cette réalité aidera nos producteurs, nos communautés rurales et tous les Canadiens à continuer de prospérer. En bref, l’appui au projet de loi C-282 ne consiste pas à placer un secteur au-dessus des autres ou à juger des mérites d’un système par rapport à l’autre; ce point de vue est très limité. L’occasion qui se présente à nous consiste à reconnaître le rôle important que joue l’agriculture dans notre économie et à aller de l’avant avec une structure qui assure la réussite de tous les producteurs.

Je voudrais également souligner l’importance vitale du maintien des petites fermes familiales. Nous avons pu constater nous-mêmes les difficultés des agriculteurs du monde entier qui ne parviennent pas à amortir leurs coûts de production. Cette situation fait disparaître des fermes familiales, ce qui fait que les jeunes ne voient plus d’avenir dans l’agriculture. Nous n’avons qu’à regarder nos voisins américains pour constater les effets d’un système décentralisé, où la croissance est le seul moyen de survivre. Ce modèle favorise l’agriculture industrielle et pousse les petites exploitations à la faillite. À mesure que ces fermes disparaissent, d’autres entreprises et les habitants de ces régions disparaissent aussi.

Ce degré élevé de consolidation a déclenché de graves problèmes d’approvisionnement alimentaire aux États-Unis. Les consommateurs américains subissent des hausses de prix record et des pénuries généralisées. Au Canada, l’une de nos principales forces réside dans le nombre de petites fermes dont la production est répartie dans tout le pays. Nous sommes bien placés pour gérer les pressions sur la chaîne d’approvisionnement et ne connaissons pas les mêmes perturbations du marché que celles qui touchent les États-Unis. Par exemple, si une éclosion de grippe aviaire touche une région du Canada, la production d’œufs peut être augmentée dans d’autres provinces pour combler les lacunes. Ainsi, les producteurs peuvent travailler ensemble pour maintenir l’approvisionnement d’œufs pour les Canadiens.

Comme vous l’avez constaté, le soutien à la gestion de l’offre va bien au-delà de la ferme; il s’agit d’une priorité nationale. La semaine dernière, la ministre responsable de la négociation des accords commerciaux a réitéré l’engagement du gouvernement selon lequel « la gestion de l’offre sera protégée et ne fera pas partie des futures négociations commerciales ». Il s’agit là d’un message clair adressé à notre secteur et aux partenaires commerciaux du Canada depuis de nombreuses années. C’est pourquoi l’adoption du projet de loi C-282 est importante pour notre avenir collectif. Cela donnera aux Canadiens une plus grande assurance selon laquelle leur approvisionnement alimentaire est sûr, et cela donnera également aux agriculteurs l’assurance qu’ils peuvent investir dans leur exploitation sans craindre de perdre leur marché.

En adoptant le projet de loi C-282, les sénateurs montreront aux Canadiens qu’ils comprennent le caractère unique de l’agriculture au Canada et qu’ils apprécient nos collectivités rurales. Nous vous invitons à agir dès aujourd’hui et à appuyer ce projet de loi. Ce faisant, vous franchirez une étape importante pour préserver la gestion de l’offre et assurer la prospérité future de notre système alimentaire et de notre pays.

Nous vous remercions de votre attention.

Le président : Merci pour vos commentaires, monsieur Destrijker. Monsieur Caron, vous avez la parole.

Martin Caron, président général, Union des producteurs agricoles : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis heureux d’être ici en tant que producteur laitier et de grandes cultures à Louiseville, en Mauricie, et aussi à titre de président général de l’Union des producteurs agricoles, qui regroupe l’ensemble des 42 000 productrices et producteurs agricoles du Québec. Nous représentons les secteurs de production actifs sur les marchés locaux, nationaux et internationaux.

Je m’adresse aussi à vous en tant que porte-parole du Mouvement pour la gestion de l’offre, qui regroupe l’UPA et les producteurs laitiers et avicoles du Québec.

Les organisations qui m’ont précédé ont traité des retombées économiques majeures de la gestion de l’offre. Je rappellerais simplement qu’au Québec, les 6 500 fermes familiales des productions sous gestion de l’offre représentent environ 40 % des revenus agricoles de la province. Ces familles agricoles jouent donc un rôle économique, alimentaire et territorial déterminant pour la province, comme ailleurs au pays.

J’aimerais aussi rappeler que la gestion de l’offre fait partie des grands consensus canadiens. Par leur modèle de mise en marché, les producteurs sous gestion de l’offre répondent aux besoins alimentaires du marché intérieur avec une production locale de très haute qualité. Ils le font, en plus, en ne contribuant pas à la surproduction sur le marché mondial.

La gestion de l’offre permet aussi au Canada d’atteindre plus facilement les grands objectifs planétaires en matière de biodiversité. Je fais notamment référence à la collectivisation des ressources, comme le transport, et, du même fait, au maintien de fermes de petite et moyenne taille partout sur le territoire.

La gestion de l’offre est aussi un modèle qui assure une stabilité aux producteurs, aux transformateurs, aux distributeurs et aux consommateurs, qui limite le gaspillage alimentaire et qui assure la sécurité alimentaire de la population. C’est tout un écosystème social, alimentaire et commercial qui en bénéficie.

En matière de soutien de l’État, signalons aussi que la gestion de l’offre est aussi importante pour les producteurs laitiers et avicoles que les programmes gouvernementaux de gestion des risques destinés aux autres secteurs de production.

À ce propos, il est important de rappeler que la gestion de l’offre n’est pas un frein à l’exportation d’autres denrées agricoles canadiennes. En toutes circonstances, c’est la qualité exceptionnelle de nos produits qui explique leur succès sur les marchés internationaux.

Malheureusement, la gestion de l’offre est régulièrement mise à mal par la négociation d’ententes internationales. Nos producteurs laitiers et avicoles ont payé le gros prix lors de la conclusion des trois derniers accords commerciaux. Les compensations dans ces trois secteurs n’ont jamais complètement dédommagé les producteurs et les transformateurs.

Comme on le sait, le Canada continuera de négocier et de conclure d’autres accords commerciaux à l’avenir. Il est donc très important de lancer dès maintenant un signal clair, et ce, d’abord aux producteurs de lait, d’œufs et de volaille du pays. Toutes ces familles agricoles ne doivent pas constamment faire les frais des négociations, comme c’est le cas actuellement. Elles s’attendent à un appui indéfectible de la part du gouvernement canadien, et elles le méritent.

Il faut ensuite envoyer un signal à la communauté internationale et à nos partenaires commerciaux, plus particulièrement à nos voisins du Sud. Le gouvernement américain, comme tous les autres pays, protège ses secteurs importants dans chaque négociation. C’est le cas notamment pour le sucre et le coton, que les Américains défendent bec et ongles entente après entente.

Le Canada peut très bien, comme tous les autres pays sur la planète, s’ouvrir à la mondialisation des échanges en défendant ses marchés les plus importants. Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Rien n’est plus important qu’alimenter durablement nos concitoyens et faire vivre nos collectivités, partout au Canada.

On a vu pendant la pandémie à quel point la sécurité alimentaire des populations était cruciale. C’est littéralement de sécurité nationale dont il est question aujourd’hui. J’espère que tous les sénateurs et toutes les sénatrices iront de l’avant et donneront suite au consensus canadien que représente la gestion de l’offre.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Caron. Passons maintenant à la période des questions et réponses.

J’aimerais préciser aux sénateurs qu’ils disposent de quatre minutes maximum chacun pour la première ronde, y compris la question et la réponse.

Le sénateur Gold : Bienvenue au Sénat, et merci pour votre présentation cet après-midi. Comme vous le savez sans doute, on a beaucoup parlé des motivations politiques derrière ce projet de loi et des avantages qu’il apporterait au Québec, que je représente fièrement au Sénat.

Cependant, dans votre secteur en particulier, je dirais que le potentiel économique est important et qu’il a des répercussions positives sur toutes les régions du pays. Par exemple, à Terre-Neuve-et-Labrador, selon les données du gouvernement provincial, les recettes agricoles de l’industrie des œufs sont évaluées à plus de 12 millions de dollars et la taille moyenne des cheptels est passée de 12 000 à 23 000 depuis 1986.

Pour mettre les choses en perspective, au Canada atlantique seulement, la contribution économique de l’industrie des œufs a généré près de 94 millions de dollars au produit intérieur brut (PIB) du Canada, ce qui est important. Le Canada dans son ensemble a contribué près de 1,3 milliard de dollars à son PIB. Par conséquent, lorsque vous mettez ces chiffres en perspective, ne diriez-vous pas que ce projet de loi C-282 renforce davantage les protections importantes pour votre industrie, qui représente toutes les provinces et tous les territoires? La question s’adresse à tous les témoins.

M. Destrijker : Merci, monsieur le sénateur. En effet, les chiffres que vous avez mentionnés sont les vrais chiffres. Comme vous l’avez dit aussi, la gestion de l’offre n’existe pas seulement dans une seule province, mais dans tout le Canada, même aux endroits où il n’y a presque plus de production agricole. La production agricole sous gestion de l’offre est présente dans ces régions et permet aussi de les développer. Ce n’est pas seulement la production agricole, ce n’est pas seulement la ferme qui sera là, c’est l’ensemble de la collectivité qui bénéficiera des retombées de la gestion de l’offre. C’est important que ce soit la réalité partout au Canada et, comme vous l’avez mentionné, que l’on continue de la défendre.

Le président : Avez-vous une question de suivi?

Le sénateur Gold : Non; est-ce qu’un autre témoin aimerait ajouter quelque chose?

M. Caron : Merci de la question. Vous avez soulevé l’aspect économique, mais j’aimerais parler aussi de toutes les ententes qui sont conclues à l’échelle canadienne actuellement, comme les ententes environnementales ou de lutte contre les changements climatiques et, au-delà des chiffres, sur les plans financier et économique. Il reste quand même que le système de gestion de l’offre permet d’avoir des fermes partout, et il y a une diversification sur tous les territoires. Cela représente une plus‑value, car cela nous pousse à être plus performants pour répondre à ces ententes dans le cadre des assemblées de la Conférence des Parties (COP) en ce qui a trait à la biodiversité, à la lutte contre les changements climatiques, aux bilans carbone et aux gaz à effet de serre. Bien d’autres pays sont problématiques. Il y a des concentrations qui se font, alors que la gestion de l’offre permet d’avoir des fermes partout. C’est un élément à privilégier et c’est pour cela qu’on veut que ce projet de loi soit adopté.

Le sénateur Gold : Merci.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : En septembre dernier, Michael Harvey, directeur général de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, a signé un article dans le Financial Post dans lequel il qualifie le projet de loi C-282 de « politique commerciale déplorable ». Selon M. Harvey :

Exclure définitivement la gestion de l’offre, que ce soit dans le cadre de négociations commerciales multilatérales ou bilatérales, nuirait à la capacité du Canada de prendre des décisions dans l’intérêt national, et envoyer un signal protectionniste aurait pour effet de miner notre leadership et notre influence devant des tribunes internationales telles de l’Organisation mondiale du commerce ou le Partenariat transpacifique.

Qu’en pensez-vous? Comment répondez-vous à ses propos?

[Français]

M. Caron : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Prenons l’historique actuel à l’échelle mondiale : au cours des 20 dernières années, il y a eu une augmentation des exportations des denrées alimentaires de 350 % — au cours des 20 dernières années. On voit que le commerce est passé à 6, 8 ou 9 % à l’échelle planétaire. Prenons le Québec : on a eu une augmentation de 95 % des exportations au cours des cinq dernières années, malgré le fait qu’on est une province avec un taux élevé de production qui se fait sous gestion de l’offre. C’est la raison pour laquelle le Québec est capable d’être un leader pour différents produits, que ce soit le sirop d’érable, la canneberge, les bleuets sauvages ou la production porcine. Le Québec est un leader en matière d’exportation.

Les gens qui achètent nos produits à l’extérieur achètent des produits de qualité, car on est capable de livrer cela. Il ne faut pas se faire concurrence et dire que la gestion de l’offre ne le permet pas. Ce qui nous permet d’être des leaders dans les productions que j’ai mentionnées, c’est beaucoup plus la qualité des produits. Par ailleurs, cela représente une plus-value, parce que ces produits restent au Canada; on transforme quand même beaucoup de produits au Canada, soit environ 30 %. Au Québec, 66 % des produits sont transformés dans la province. Il y a également un potentiel d’augmentation pour d’autres exportations.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Je m’adresse aux Producteurs d’œufs du Canada. Étant donné que le projet de loi restreint les engagements commerciaux qui pourraient toucher les secteurs sous gestion de l’offre, quels sont les risques d’être isolés des marchés internationaux, selon vous? Comment l’industrie de la production d’œufs peut-elle tirer parti de sa protection non seulement pour maintenir sa position actuelle, mais aussi pour innover et croître dans ce qui est manifestement un environnement mondial concurrentiel?

Drew Black, chef de la direction, Les producteurs d’œufs du Canada : Je vous remercie pour cette question.

Nous nous sommes toujours concentrés sur la croissance du marché intérieur canadien. L’un des avantages réels de la gestion de l’offre est, comme vous l’avez entendu, d’avoir des fermes réparties. Nous sommes très fiers de compter les dix provinces ainsi que les Territoires du Nord-Ouest, dans notre cas. Nous sommes donc en mesure de fournir aux Canadiens des aliments très locaux et nutritifs.

En fait, notre secteur a connu une très forte croissance. Cela se traduit par une croissance de la consommation d’œufs par habitant. C’est aussi attribuable à une augmentation de la population, en tout cas au cours des dernières années. Les Canadiens choisissent de plus en plus de consommer des œufs en dehors du petit-déjeuner habituel, ce qui explique le grand nombre d’innovations et de nouveaux produits à base d’œufs qui ont été lancés sur le marché, et notre capacité à être prévisibles grâce à notre système. Nous pouvons réagir aux chocs, qu’il s’agisse de la grippe aviaire hautement pathogène, de la pandémie qui nous a frappés il y a quelques années, et de la capacité à prendre des décisions rapides pour opérer des virages. Par exemple, comme nous l’avons vu, la vente des paquets de 30 œufs a explosé, car les gens se tournent de plus en plus vers le commerce de détail, contrairement à certains restaurants et à d’autres secteurs qui, malheureusement, ont connu des fermetures ou une baisse des ventes.

Dans ce contexte, nous avons été capables d’être très innovants à bien des égards. Cela reste notre priorité.

Nous ne sommes pas opposés au commerce international, bien au contraire. Je dirais que nos producteurs ont choisi sans équivoque la gestion de l’offre car c’est le meilleur système de commercialisation pour eux. Cela n’empêche pas d’autres agriculteurs et groupes agricoles de rechercher ce qui est le mieux pour eux, bien sûr.

Le président : Merci, monsieur Black. Nous avons tout juste dépassé le temps imparti.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie tous d’être ici. J’ai deux questions à poser. La première devrait être assez rapide.

Je vous ai entendu, vous et les témoins précédents, parler des petites et moyennes exploitations agricoles. Compte tenu des différences entre les exploitations agricoles dans l’ensemble du pays, qu’entendez-vous par « petite » et « moyenne »?

M. Destrijker : La ferme moyenne au Canada compte environ 22 000 pondeuses. Cela peut sembler important, mais une ferme moyenne aux États-Unis a plus d’un million d’oiseaux. Les trois plus grands producteurs d’œufs aux États-Unis sont chacun plus grands que tous les producteurs canadiens réunis, et on les qualifie de « fermes familiales ».

C’est donc une tout autre réalité dans les deux pays.

La sénatrice Boniface : D’accord.

Ma deuxième question en est une que je pose avec beaucoup de respect, mais j’essaie d’aller à l’essentiel. J’ai entendu dans les commentaires d’ouverture que ce n’était pas une source de discorde. J’ai posé cette question à un groupe la semaine dernière, en particulier dans la communauté agricole. Je voudrais donc vous faire part de quelques courriers que j’ai reçus, et je vous invite à y réagir. J’essaie de comprendre où se trouve l’équilibre que vous essayez d’atteindre, comme vous l’avez indiqué plus tôt.

L’Association canadienne des bovins a déclaré qu’elle encourageait vivement les parlementaires à s’opposer au projet de loi C-282. L’Association nationale des engraisseurs de bovins a dit la même chose. Le Conseil canadien des fromages internationaux nous a demandé de faire la même chose. Il en va de même pour la Canadian Canola Growers Association et Céréales Canada.

J’essaie simplement de comprendre comment vous faites pour résoudre la quadrature du cercle, et comment nous pouvons comprendre au mieux la situation. De toute évidence, votre point de vue est différent, et vous dites que ce système n’a pas d’impact sur la communauté agricole en général.

M. Destrijker : Nous avons simplement deux réalités différentes. Comme je l’ai dit, aucune n’est meilleure que l’autre. Il s’agit simplement de deux façons distinctes de produire des denrées différentes au Canada. Je pense que c’est ce qui fait la réussite de l’agriculture canadienne. Une partie de la production approvisionne le marché canadien, tandis que d’autres productions exportent. Comme je l’ai dit, aucune méthode n’est meilleure que l’autre. Nous devons tous travailler ensemble. Dans le cadre de la gestion de l’offre, nous devons travailler avec nos collègues exportateurs pour nous assurer qu’ils ont accès à plus de marchés. En même temps, ils devraient travailler avec nous, non pas pour défendre ou protéger la gestion de l’offre, mais pour en faire la promotion à l’extérieur du pays.

Nous ne devons pas avoir peur de promouvoir la gestion de l’offre. Il s’agit simplement de deux modèles différents. Comme je l’ai dit, nous devrions collaborer à l’avenir et veiller à travailler main dans la main avec eux. Il s’agit simplement de deux réalités différentes.

La sénatrice Boniface : Serait-il juste de dire que vous comprenez leur position? Ou voyez-vous les choses différemment?

M. Destrijker : Je vois leur point de vue différemment. Je le respecte, mais je ne suis pas d’accord.

La sénatrice Boniface : Je vois.

M. Destrijker : C’est juste un point de vue différent, mais l’un n’est pas meilleur que l’autre.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie. Vouliez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Caron : Merci pour la question. Je le mentionne dans mon texte. Si on prend l’exemple du bœuf, si je regarde seulement au Québec, c’est 15 à 20 % des gens qui en consomment. Le reste vient de l’extérieur. Je veux bien exporter, mais en même temps, chez nous, la consommation du bœuf vient de l’extérieur. Je parle seulement du Québec, mais on pourrait aussi regarder ce qui se passe au Canada. J’aimerais par exemple produire du bœuf qui est consommé directement plus en volume. C’est l’un des aspects.

L’autre aspect, je l’ai mentionné : c’est un système, soit la gestion des risques. En tant que producteur de canola, je suis producteur de grain. Je produis des céréales, du maïs et du soya qui vont à l’exportation. Je produis du blé qui va à l’exportation. Je produis des légumes de transformation et des haricots qui vont à l’exportation. Cependant, j’ai un programme d’assurance : l’assurance récolte. Le programme de gestion des risques existe. C’est l’État qui verse une partie de ces fonds : 60 % viennent de l’État et 40 % viennent de nous, les producteurs.

La gestion de l’offre, c’est le même système de protection. Il assure une prévisibilité face aux investissements. C’est une plus‑value. Il ne faut pas vraiment confronter... Je peux comprendre les gens, mais je pense qu’il faut se rendre compte de quelque chose et je l’ai mentionné : quand on réussit à exporter, c’est en raison de la qualité de nos produits. Je représente des producteurs et productrices agricoles, et il faut s’assurer d’une chose : qu’il y ait une équité et que le producteur reçoive un prix juste et équitable. Il ne faut pas juste faire de l’exportation.

Le président : Merci, monsieur Caron. Le temps est écoulé pour cette partie de la réunion.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Merci à nos témoins.

Vous avez beaucoup parlé aujourd’hui des mérites de la gestion de l’offre au Canada, et dans le passé aussi. Je n’en doute pas, mais le projet de loi dont nous sommes saisis ne porte pas vraiment sur la gestion de l’offre, mais plutôt sur les négociations. Les auteurs ont utilisé la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Connaissez-vous un pays qui utilise une loi fondamentale pour définir ce qui ne peut être négocié? Pas moi.

M. Black : Ce n’est pas mon domaine d’expertise, je le crains.

Le sénateur Harder : Seriez-vous d’accord avec moi pour dire que le débat introduit par ce projet de loi ne porte pas sur les mérites de la gestion de l’offre, mais sur la nature des négociations?

M. Destrijker : Je ne suis pas d’accord avec vous, sénateur Harder. Avec tout le respect que je vous dois, ce projet de loi ne fera qu’enchâsser ce que le gouvernement a dit : rien de moins, rien de plus. Il va coucher sur papier ce que tous les partis de la Chambre ont affirmé haut et fort.

Le sénateur Harder : La loi ne diffère-t-elle pas de la parole?

M. Destrijker : C’est pour cela que nous voulons que ce soit dans le libellé.

Le sénateur Harder : Je peux comprendre. Je vous remercie.

M. Destrijker : Il faut faire confiance, puis vérifier.

[Français]

La sénatrice Gerba : Le sénateur Harder a posé la bonne question. On ne débat pas de la gestion de l’offre, mais d’une condition pour que la gestion de l’offre continue de fonctionner. Pour que la condition soit applicable, il faut qu’on touche à une loi qui concerne la gestion de l’offre. Quelque part, la réponse est oui, sénateur Harder.

Ma question a trait à la pandémie, qui nous a appris plusieurs leçons en matière de sécurité alimentaire. Nous avons vu à quel point la concentration de la production américaine dans les installations industrielles a eu de graves conséquences lors de la grippe aviaire. Pourriez-vous nous expliquer quels seraient les risques pour notre sécurité alimentaire si on perdait la gestion de l’offre? De quelle manière le système actuel au Canada, qui est protégé par la gestion de l’offre — en fait, comment le fonctionnement de la gestion de l’offre permet-il de pallier ce genre de risque?

[Traduction]

M. Black : Je vous remercie de votre question. Il ne fait aucun doute que bon nombre de nos producteurs ont été durement touchés par l’influenza aviaire hautement pathogène, ou IAHP, surtout il y a quelques années. Nous en avons été témoins aux États-Unis. Elle est présente dans la population d’oiseaux migrateurs sauvages au Canada, mais heureusement, nous nous en sortons bien ces derniers temps.

Comme vous le disiez dans votre question, nous avons des exploitations dans l’ensemble des provinces et des écozones du Canada. Cette gestion des risques a très bien réussi à préserver la chaîne d’approvisionnement et les consommateurs lorsque la grippe aviaire a touché des exploitations agricoles. Contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis et en Australie, où l’impact a été très important et a entraîné une augmentation du prix des œufs pour les consommateurs au détail, lorsqu’il y a un effet sur la production au Canada, nous ne voyons pas d’incidence sur le prix à la ferme. Nous n’avons pas les mêmes liens, grâce à notre système.

Lorsque nous sommes touchés, nos exploitations ne sont heureusement pas aussi grandes, ce qui atténue l’impact global, et nous sommes en mesure de travailler en collaboration avec les provinces et les entreprises pour garantir un approvisionnement aux Canadiens.

[Français]

La sénatrice Gerba : Les producteurs sous gestion de l’offre ont reçu des indemnisations à la suite des concessions qui ont été faites lors des négociations commerciales. Pourquoi ce projet de loi serait-il nécessaire, étant donné qu’ils reçoivent des compensations?

M. Destrijker : Les producteurs sous gestion de l’offre ne veulent pas recevoir de compensations. Point. Ce n’est pas notre modèle d’affaires et ce n’est pas comme cela que l’on produit. Dans mon cas, ce n’est pas comme cela que mes parents m’ont montré à faire de l’agriculture. Ce n’est pas de recevoir un chèque du gouvernement, c’est d’être rémunéré pour le produit que je mets en marché. Les concessions qui ont été faites, c’est une compensation qui a été versée, ce n’est même pas... Honnêtement, madame la sénatrice, je serais prêt à vous redonner le chèque. Je ne veux pas de chèque. Je ne veux pas de chèque du gouvernement. Je veux produire et je veux être payé pour ce que je produis comme producteur agricole.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Je tiens à remercier nos témoins. La gestion de l’offre vise à réguler la quantité de production de manière à ce qu’elle corresponde à la consommation, principalement intérieure, de sorte que les exportations ne sont pas vraiment une considération majeure. Néanmoins, nos exportations d’œufs dans le monde entier sont assez importantes, de l’ordre de 60 à 70 millions de dollars par an. Pouvez-vous m’en dire plus sur le secteur de l’exportation des œufs au Canada? Qui sont ces gens? Sont-ils exemptés de la gestion de l’offre? Font-ils partie de votre organisation? Que vendent-ils, et à qui?

M. Black : Nous représentons les producteurs. Une organisation distincte s’occupe des transformateurs, dont les exportations sont plus importantes.

Il y en a certainement.

Le sénateur Woo : Ces entités sont-elles exemptées de la gestion de l’offre?

M. Black : Seule la production à la ferme est soumise à la gestion de l’offre. Sans entrer dans les détails, il s’agit de l’étape suivante de la chaîne de valeur. Les producteurs produisent les œufs, qui sont ensuite envoyés au classificateur, et éventuellement à un transformateur à valeur ajoutée. À partir de là, on est libre de vendre à qui on veut.

Le sénateur Woo : Seriez-vous d’accord pour dire qu’ils ont réussi à élargir les marchés à l’étranger, à exporter les œufs canadiens vers de nouveaux marchés, y compris des produits novateurs que les producteurs ont mis au point au fil des ans?

M. Destrijker : Honnêtement, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une part importante de notre marché; c’est probablement peu. Vous avez raison de dire que certains des nouveaux produits créés au cours des deux dernières années auront probablement un certain potentiel d’exportation. Je pense à l’approvisionnement de certaines des croisières en Colombie-Britannique. Tous les croisiéristes en font partie parce que la plupart d’entre eux viennent des États-Unis. Si vous considérez que c’est de l’exportation, alors ce volet fait partie de l’exportation du marché canadien.

Le sénateur Woo : Ces exportateurs d’ovoproduits canadiens — ils viennent techniquement du Canada — ne seraient-ils pas désavantagés par ce projet de loi étant donné que les partenaires commerciaux pourraient bien leur fermer la porte ou augmenter les tarifs sur ces mêmes produits en représailles à notre interdiction légale d’augmenter les concessions?

M. Black : Je serais surpris que cela se produise. Il ne s’agit pas d’une négociation commerciale en soi pour le moment. Une fois ce projet de loi adopté, les flux commerciaux actuels ne seront en aucun cas touchés.

Le sénateur Woo : Non, je parle de représailles à la suite de notre refus de toute nouvelle concession dans l’industrie soumise à la gestion de l’offre. Vous ne pensez pas que d’autres pays réagiront de manière négative?

M. Black : Je pense que le gouvernement actuel s’est clairement engagé à ne faire aucune concession. Avec l’adoption de ce projet de loi, je ne crois pas nécessairement que les choses changeront.

Le sénateur Woo : Vous estimez que si nous assouplissons les règles de la gestion de l’offre, l’industrie souffrirait beaucoup parce que nous sommes un pays relativement petit, avec un petit nombre d’exploitations, et ainsi de suite. Savez-vous quel est le plus important pays exportateur d’œufs au monde? Il s’agit d’un pays deux fois plus petit que le nôtre, les Pays-Bas, qui comptent 17 millions d’habitants. Pensez-vous que les exportateurs d’œufs canadiens, qui produisent des œufs formidables, puissent réussir sur les marchés d’exportation?

M. Black : Je pense que la localisation des Pays-Bas en Europe et leur proximité à de nombreux autres marchés les avantagent par rapport au Canada. Les États-Unis, nos proches cousins du sud, bénéficient d’un climat beaucoup plus clément dans les régions méridionales où sont produits les œufs et n’ont pas à faire face aux mêmes coûts que les producteurs canadiens.

Le sénateur Woo : Vous croyez que le Canada ne peut pas être aussi compétitif à l’échelle internationale que les autres exportateurs d’œufs?

M. Black : Sur le marché des œufs, ce n’est pas possible.

Le sénateur Woo : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Puisque quatre de mes questions ont déjà été posées, j’aimerais revenir à l’essentiel. Nous avons reçu beaucoup de messages sur ce projet de loi de la part de divers experts, d’agriculteurs et d’associations agricoles, de producteurs sous gestion de l’offre et d’autres qui ne le sont pas. Je veux revenir sur la question des négociations commerciales. Voici une citation d’un expert :

S’il est adopté, le projet de loi C-282 handicapera sérieusement les gouvernements canadiens et leurs négociateurs commerciaux dans leur capacité à s’adapter aux concessions mutuelles des futures négociations commerciales visant à ouvrir de nouveaux marchés et à garantir un accès précieux aux produits, services et investissements canadiens.

On ne parle pas seulement du domaine de l’agriculture, mais aussi d’autres domaines. Monsieur Caron, vous avez mentionné le sirop d’érable et d’autres produits du Québec qui ne sont pas soumis à la gestion de l’offre, mais il y a d’autres produits en dehors du secteur agricole. Comment voulez-vous que nous répondions à l’idée que ce projet de loi serait préjudiciable à l’économie canadienne?

[Français]

M. Caron : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Je l’ai mentionné plus tôt, il y a une croissance en matière d’exportation avec le système actuel. En tant que producteurs sous gestion de l’offre, on offre d’autres produits aussi. Que l’on vende des céréales à l’exportation ou des haricots, le même producteur peut travailler dans les deux systèmes, tout en n’ayant qu’un seul système.

Je suis content des questions qui sont posées. Il faut s’élever à un autre niveau. Aujourd’hui, on parle de la sécurité alimentaire des Canadiennes et Canadiens. Même si aucun autre pays n’a ce système, nous avons le devoir de protéger nos gens d’ici sur le plan de la sécurité alimentaire. La gestion de l’offre ou les autres systèmes qu’on a permettent de faire cela.

Sans ce système, il y aura des concentrations. On l’a vu dans d’autres pays, notamment en Europe, comme en France. Les fermes doivent être situées à côté ou près des usines de transformation, car les producteurs paient le transport.

Actuellement, notre système est équilibré. Les producteurs sous gestion de l’offre participent à un projet de société. Ils se regroupent en matière de frais de transport. En ce qui concerne la biosécurité, c’est l’ensemble des producteurs qui s’occupent de cet aspect et qui valorisent le fait d’avoir des fermes partout.

Je ne veux pas briser les rêves des jeunes qui veulent faire de l’agriculture dans n’importe quel milieu rural au Canada. Il faut en faire une priorité nationale. On l’a déjà mentionné et on l’a vécu au moment de la pandémie : il y a un risque alimentaire. Il est grand temps que les États et les pays déterminent eux-mêmes leur alimentation et de quelle façon ils se nourrissent. Les Canadiennes et les Canadiens nous disent qu’ils veulent avoir des produits d’ici. Il faut être capables de les livrer. Cela n’empêche pas les exportations. Cependant, il faut arriver à un niveau plus élevé. On parle du garde-manger des Canadiennes et Canadiens aujourd’hui.

La sénatrice Coyle : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Ross : Cette question s’adresse à vous, monsieur Destrijker. Je crois savoir que les négociations commerciales antérieures qui ont eu une incidence sur les produits soumis à la gestion de l’offre ou les ont inclus ont prévu une compensation. Or, vous avez dit que vous ne vouliez pas de cet argent. J’ai lu sur le Programme d’investissement à la ferme pour la volaille et les œufs, et les producteurs d’œufs ont touché 219 millions de dollars, répartis selon les parts de contingent établi à l’échelle nationale. Pouvez-vous me dire à quoi ressemblaient la répartition et le programme?

M. Destrijker : Oui. Je vous remercie de cette question. Le programme et la manière dont l’argent est réparti entre les producteurs sont basés sur le nombre de pondeuses à la ferme. Les producteurs doivent soumettre un projet à Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC. Ce projet doit porter sur le rééquipement du poulailler, ou sur l’introduction d’une nouvelle technologie ou d’une innovation, et l’aide peut atteindre 70 % du coût du projet. En gros, c’est ce dont il s’agit.

La sénatrice Ross : Pouvez-vous me donner une idée du taux d’utilisation des contingents tarifaires pour les ovoproduits dans le cadre des accords déjà en place?

M. Black : Bien sûr. Il y a principalement trois accords, dont l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC, et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, ou CUSMA. Dans ces deux cas, les taux d’utilisation des contingents tarifaires sont généralement de l’ordre de 90 % et plus en glissement annuel. Il existe un troisième accord, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP — ne m’obligez pas à l’épeler. Il a été négocié initialement lorsque les États-Unis en faisaient partie, de sorte qu’un contingent tarifaire pour les œufs a été alloué. Nous croyons savoir qu’il a été maintenu dans l’accord final, bien que les États-Unis s’en soient retirés. À l’heure actuelle, aucun des pays partis à l’accord n’est économiquement en mesure de fournir le fret et les coûts supplémentaires nécessaires à l’exportation d’œufs vers le Canada. Il existe un certain nombre d’autres exigences sanitaires et phytosanitaires qui sont requises par cet accord.

À l’heure actuelle, ce dernier accord n’est pas utilisé. Nous ne pensons pas qu’il restera ainsi indéfiniment. Nous en sommes absolument certains. Il s’agit simplement de savoir quand ces taux commenceront à augmenter lorsque les gens feront des investissements ou, éventuellement, quand les États-Unis rejoindront cet accord à l’avenir.

La sénatrice Ross : Le modèle de compensations repose-t-il sur les contingents tarifaires, ou sur les contingents tarifaires potentiels?

M. Black : Il repose sur l’accès total qui a été offert.

La sénatrice Ross : Donc, même si cela se chiffre à zéro, la compensation est quand même offerte.

M. Black : Oui.

La sénatrice Ross : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Cardozo : Merci pour votre présence et vos présentations.

Je pense que la gestion de l’offre existe pour protéger certains produits et pour aider les fermiers. Pensez-vous que le temps viendra un jour où la protection ne sera plus nécessaire? Est-ce permanent?

M. Destrijker : Je pense que ce système devrait rester encore longtemps. Comme Martin l’a mentionné, cela assure une protection et une qualité de produits à nos consommateurs canadiens. Nos conditions de production sont différentes de celles des États-Unis. Nos réalités sont différentes, et sans un tel système, on ne pourrait pas produire des œufs au Canada et être au même niveau que nos compétiteurs américains.

Il faut rappeler que les producteurs sous gestion de l’offre ne reçoivent aucune subvention du gouvernement. Le prix vient directement du consommateur, et non des taxes qu’il paie et qui sont renvoyées aux producteurs.

Donc, l’équilibre n’est pas le même. Si on n’avait pas de système de gestion de l’offre, on aurait des programmes d’aide comme ceux dont bénéficient les autres productions. Je ne pense pas que c’est ce que nous souhaitons ou que c’est ce que les consommateurs canadiens souhaitent.

[Traduction]

M. Black : Le système s’accompagne d’une prévisibilité qui suscite probablement l’envie de nombreux propriétaires d’entreprise parce que nous avons pu accroître le nombre d’exploitations agricoles au Canada, année après année. Dans le secteur des œufs, je pense que nous avons ajouté environ 200 exploitations agricoles au cours des 10 dernières années. Il y a peu de secteurs agricoles qui pourraient en dire autant.

Nos producteurs agricoles comptent aussi parmi les plus jeunes qui soient. Je suis certain que personne n’est surpris d’entendre que l’âge est un problème, que le vieillissement de l’agriculteur moyen est préoccupant au pays. C’est en partie parce que nous avons pu mettre sur pied des programmes pour encourager l’arrivée de nouveaux venus afin que les familles d’agriculteurs bénéficient d’une stabilité et d’une prévisibilité dans leur transition vers la prochaine génération, ce qui devient sans aucun doute possible lorsqu’on sait que le marché est là et qu’il est garanti.

Le sénateur Cardozo : Donc, la préoccupation de certains négociateurs commerciaux, c’est que ce problème pourrait nuire aux négociations. Est-ce que cela vous préoccupe?

M. Black : N’importe quel enjeu pourrait être nuisible au moment de déterminer l’accord commercial définitif. Comme vous l’avez déjà entendu, nous n’occupons pas beaucoup de place dans les accords commerciaux. Nous ne pensons pas que nous sommes nécessairement si importants.

Le président : Merci. Nous allons passer au deuxième tour. Mes directives sont les mêmes que tout à l’heure. Les intervenants auront quatre minutes chacun. Veuillez être concis dans vos préambules.

Le sénateur MacDonald : Plus des trois quarts des échanges commerciaux du pays dans tous les secteurs de l’économie se font avec nos puissants voisins au sud de la frontière. Nous allons peut-être devoir renégocier l’Accord Canada—États-Unis—Mexique en 2026, peut-être avec une administration différente à la Maison-Blanche. Je pense que nous savons ce que cela signifie.

La gestion de l’offre existe depuis plus d’un demi-siècle. Il n’a jamais été nécessaire de la protéger avant, alors pourquoi le faire maintenant, surtout lorsque vous nous dites que le gouvernement ne va jamais revenir là-dessus de toute façon?

[Français]

M. Destrijker : Je pense que vous l’avez bien mentionné, monsieur le sénateur. Ce projet de loi va simplement mettre sur papier ce que les partis politiques ont promis. Vous dites qu’on ne sera plus à la table de négociations. Je voudrais bien faire confiance à mon gouvernement, mais si je me fie au passé, ce n’est pas ce qui s’est produit. Tous les partis ont toujours défendu la gestion de l’offre et, comme vous l’avez mentionné, nous étions la dernière pièce d’échange au terme des négociations.

Vous allez me dire que cela ne représente qu’un petit pourcentage, mais ce petit pourcentage, accumulé sur d’autres pourcentages, cela commence à faire beaucoup dans notre production d’œufs. Dans la production d’œufs, 6,26 % de la production est perdue. Cela représente la production du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et de l’Île-du-Prince-Édouard ensemble.

C’est cette production qu’on a déjà perdue au Canada. Il ne faut pas dire que ce n’est pas grave, parce que la prochaine province, ce sera peut-être l’équivalent de la Saskatchewan ou du Manitoba. Vous allez dire que c’est seulement un petit peu, mais un petit peu sur un petit peu, cela commence à en faire beaucoup. Il faut éviter cela lors des prochaines négociations.

M. Caron : J’aimerais ajouter un élément à ce que vient de mentionner Emmanuel. Comparativement aux autres secteurs, le secteur agricole est celui qui nécessite le plus de capitalisation pour générer 1 $ de recettes.

Actuellement, il faut 7 $ d’investissement pour 1 $ de recettes. Dans bien d’autres secteurs, on parle de 2 $ pour 1 $. Il faut comprendre que les investissements qui se font dans le secteur agricole sont étalés sur 15 ou 20 ans. Donc, il faut de la prévisibilité. On a besoin notamment d’un système de protection des revenus. C’est pourquoi, comme je le disais plus tôt, que ce soit pour la gestion de l’offre ou pour nos autres programmes, nous avons besoin de soutien parce que nous investissons à long terme. C’est la réalité que nous vivons, et le fait de créer des brèches aura un impact énorme, parce qu’il y a déjà un endettement.

C’est un aspect qu’il faut repenser, parce que quand on se compare aux autres secteurs et qu’on veut négocier, je réitère le fait que l’alimentation, ce n’est quand même pas rien. J’irais même plus loin en disant que la protection de l’alimentation des citoyens devrait être le principal projet du gouvernement fédéral.

La sénatrice Gerba : Monsieur Caron, selon l’Institut de la statistique du Canada, le Québec a perdu la moitié de ses fermes laitières au cours des 20 dernières années et le mouvement semble se poursuivre. Pouvez-vous nous expliquer davantage l’impact de ces disparitions pour nos zones rurales au Québec et au Canada?

Quel est l’impact des concessions accordées lors des trois derniers accords de libre-échange sur le déclin du nombre de fermes laitières au Québec et au Canada?

M. Caron : Merci pour la question, sénatrice. Si l’on compare la perte de fermes au Canada avec celle qui se produit aux États-Unis, on en a perdu beaucoup moins ici, au Canada. Ce secteur est resté à dimension humaine, et c’est ce que M. Destrijker expliquait un peu plus tôt. Il y a des impacts, parce qu’on arrive avec nos fermes qui sont devenues des écosystèmes et qui ne sont pas seulement une production avec un aspect économique.

Aujourd’hui, en tant que producteur, on me demande de lutter contre les changements climatiques, on me demande de protéger et d’augmenter la biodiversité au Canada, et ensuite, on me dit que je dois jouer un rôle dans la décarbonation du Canada.

C’est pour cela que les milieux ruraux perdent des fermes. On se prive d’outils qui peuvent être performants, parce que pour donner des solutions ou des réponses, ce sont les fermes agricoles qui sont en mesure de remplir ce rôle. Cependant, les fermes doivent pouvoir vivre et demander un juste prix pour leurs produits sans être mises à risque.

Il y a une autre donnée dont je peux vous faire part : sur 1 $ investi dans la ruralité, 71 cents restent dans la ruralité. Ce n’est quand même pas rien. On ne parle pas seulement de soutenir l’agriculture, mais d’investir en agriculture, ce qui apporte tout de même un bienfait à la ruralité à travers le Canada.

[Traduction]

Le président : Bon, je suis aux prises avec un dilemme classique de président: il nous reste huit minutes et trois sénateurs qui veulent poser des questions. Ce que je propose, c’est que ces sénateurs posent leurs questions l’un après l’autre et de manière concise, ce qui donnera le maximum de temps à nos témoins pour répondre.

La sénatrice Coyle : Ma question est pour M. Caron.

Vous avez parlé de la sécurité alimentaire, d’une sécurité du revenu prévisible pour les agriculteurs et de la viabilité des collectivités rurales. Nous avons également parlé de la sécurité nationale. Pouvez-vous parler un peu plus du lien entre le projet de loi que nous examinons ici et la façon, si nous l’adoptons, dont il contribuerait à la sécurité nationale?

La sénatrice Ross : Ma question est également pour M. Caron.

Vous avez parlé de l’innovation dans les exploitations agricoles. On en voit beaucoup. Monsieur Black, vous avez parlé de la grande proportion de jeunes dans cette génération d’agriculteurs et de l’innovation en cours. Tout cela se fait sans ce projet de loi.

Donnez-moi une idée de ce qui se produira selon vous si ce projet de loi est adopté ou non, en ce qui concerne l’innovation nécessaire pour aller de l’avant.

De plus, en ce qui a trait à la compensation, monsieur Destrijker, vous avez dit que c’est pour les projets, et dans bien des cas, il s’agira probablement de nouveaux projets innovateurs et de nouvelles façons de faire les choses.

Le sénateur Woo : Ce projet de loi ferait en sorte que nous ne pourrions plus offrir de concessions dans les futures négociations commerciales, mais nous avons déjà des ententes avec l’Europe, les États-Unis, le Mexique et une grande partie de la région indo-pacifique. Nous avons déjà couvert une bonne partie de la planète.

Si vous retirez ces ententes et leur renégociation, quels seraient les nouveaux accords qui, selon vous, pourraient nous contraindre à donner une plus grande part du marché? Quels sont les pays qui vous préoccupent?

[Français]

M. Caron : En ce qui concerne la stabilité, on se dit souvent que le projet de loi va assurer une prévisibilité, comme je l’ai mentionné, sur le plan des investissements. La contribution à l’échelle rurale est quand même assez importante, parce qu’avec notre système de gestion de l’offre, comme je le disais plus tôt, on se regroupe pour payer les frais de transport et on a différentes tailles pour ce qui est des fermes; cela a une certaine importance. Cela va encore plus loin, car on fait de la promotion et de la recherche à même ce système.

Juste au Québec, les producteurs sous gestion de l’offre investissent 4,3 millions de dollars par année dans la recherche; on est en mesure de se regrouper et c’est parce qu’on a un système comme celui-là. Cela permet de faire de la recherche.

Cela m’amène rapidement à la deuxième question, qui portait sur l’innovation. En matière de robotique et de nouvelles technologies, c’est sûr qu’il faut être en mesure d’avoir une prévisibilité de ce côté aussi. Il faut avoir cette vision d’investissement et être en mesure de la rentabiliser.

Pour ce qui est des investissements, et je l’ai mentionné tout à l’heure, ils ont augmenté de 7 $ pour 1 $; ce sont des centaines et des millions de dollars qu’on investit dans nos entreprises pour assez longtemps.

Je vous dirais qu’on a toutes les possibilités grâce à notre système de mise en marché collective et à la gestion de l’offre. On a des terres et des sols de bonne qualité au Canada.

J’ajoute un élément important sur les concessions que l’on fait à d’autres pays : 20 % de l’eau douce sur la planète se trouve au Canada; c’est toute une chance que l’on a. Et on va penser que les autres pays ne voudront pas nos produits, sachant qu’on augmente la population mondiale?

Je crois qu’on est bien équipé ici pour jouer un rôle de leaders et honorer nos gens d’ici, mais aussi pour nourrir les gens sur la planète avec des conditions équitables, que ce soit sur le plan des salaires ou de l’environnement.

Le président : Merci, monsieur Caron. Pour la dernière question, je ne sais pas si M. Destrijker ou M. Black veut répondre.

[Traduction]

M. Black : À propos de ce qui nous préoccupe, deux choses viennent à l’esprit ici. Il y a un certain nombre de pays avec lesquels nous n’avons pas d’accords. Le Brésil est le premier exportateur de poulet dans le monde. Ce pays représente davantage une menace pour les ovoproduits finis. Là-bas, il y a trois récoltes par année à cause du climat. Les coûts sont plus faibles. Nous savons qu’il y a des discussions commerciales auxquelles le Canada participe. Nous avions aussi plus de prévisibilité en sachant que nous avions l’Accord de libre-échange nord-américain, ou ALENA, l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, ou AECG, mais la situation géopolitique du Royaume-Uni a changé d’une façon qui nous aurait vraiment étonnés il y a un certain nombre d’années. Qui sait ce que nous réserve l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous demandons le soutien du comité dans ce dossier, pour continuer de donner cette prévisibilité à nos agriculteurs dans leurs futurs marchés.

Le président : Merci beaucoup. Je veux remercier nos témoins, Emmanuel Destrijker, Drew Black et Martin Caron. Vos témoignages nous ont été profitables. Je veux également remercier les personnes qui vous appuient et les codéfenseurs de vos intérêts qui se trouvent derrière vous et qui ont écouté et suivi ce processus. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à Colin Robertson, qui est chercheur à l’Institut canadien des affaires mondiales et ancien diplomate canadien de haut rang, ainsi qu’à Deanna Horton, chercheuse émérite à l’École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques de l’Université de Toronto, qui se joint à nous par vidéoconférence. Bienvenue à vous deux, et merci d’être parmi nous.

Vous aurez chacun de trois à quatre minutes pour faire une déclaration liminaire, et nous passerons ensuite aux questions. Nous allons commencer par M. Robertson. Vous avez la parole.

Colin Robertson, chercheur, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci, monsieur le président.

Je félicite le comité de procéder au second examen objectif de ce projet de loi comme le prévoit le rôle du Sénat. En écoutant les témoignages, veuillez garder à l’esprit les questions suivantes. Premièrement, cette mesure législative aide-t-elle ou nuit-elle aux efforts déployés au Canada afin de créer de nouveaux marchés pour nos biens et services? Autrement dit, donne-t-elle aux négociateurs commerciaux plus ou moins de latitude dans leurs négociations? Lorsque nous déclarons que quelque chose est non négociable, nous payons un prix et nous renonçons à un gain potentiel. Je crois que vous êtes tous conscients que les bons négociateurs ne montrent pas leurs cartes d’entrée de jeu.

Deuxièmement, est-ce que cela favorise le bien public ou protège tout simplement un intérêt restreint? Quand je parle du bien public, je parle de vous, de moi et de tous les autres consommateurs qui devons payer beaucoup plus pour le lait, le yogourt, le fromage et les œufs. Si ce projet de loi protège des intérêts restreints, demandez-vous si ce genre de protection législative est vraiment nécessaire. L’aide qui a été offerte pour faire des ajustements sur mesure a bien fonctionné après la conclusion de nos accords commerciaux précédents.

Troisièmement, si vous vous occupez de ces intérêts restreints au moyen d’une mesure législative, que ferez-vous lorsque d’autres personnes exigeront le même traitement?

Plus que la plupart des pays, le Canada est tributaire du commerce pour assurer sa prospérité. Le commerce génère les deux tiers de nos revenus. Nous avons toujours été un pays commerçant, et nous devenons un pays de commerçants. Grâce à nos accords commerciaux, nous avons ouvert des portes qui nous ont aidés à devenir une puissance agroalimentaire. Dans le cas de nos céréales, de nos légumineuses, de notre porc, de notre bœuf et de nos fruits de mer, lorsque nous avons abandonné le protectionnisme, nos producteurs ont prouvé qu’ils étaient largement concurrentiels. Pour ce qui est des produits laitiers, du poulet et des œufs, j’ai l’impression que nous regardons les choses par le mauvais bout de la lorgnette. Nous produisons des produits de qualité qui, dans le cas de nos fromages artisanaux, surtout ceux du Québec, sont de calibre mondial. À titre d’exemple, le Cendrillon a été nommé le meilleur fromage au monde en 2009. On peut en acheter de l’autre côté de la rue.

Notre problème ne se rapporte pas à la qualité, mais plutôt au marketing au-delà des frontières. C’est là que nous devrions investir. Regardez ce que l’Australie fait avec ses vins ou ce que la Nouvelle-Zélande fait avec ses fromages. Nous devrions et nous pouvons en faire autant. Plutôt que d’opter pour le protectionnisme, nous devrions continuer d’accroître la concurrence à l’aide de négociations commerciales. Plutôt que de lier les mains de nos négociateurs en leur disant ce qu’ils ne peuvent pas faire, laissez-nous plutôt leur donner le maximum de latitude pour créer les règles qui nous donnent un meilleur accès aux marchés pour nos biens et nos services, car nous savons que le Canada et les Canadiens peuvent soutenir la concurrence.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Robertson. Nous passons maintenant à Mme Horton. Vous avez la parole.

Deanna Horton, chercheuse émérite, École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, monsieur le président et tous les autres, de me donner l’occasion de comparaître devant le comité.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en tant qu’ancienne négociatrice commerciale — j’ai participé aux négociations de l’ALENA initial —, mais aussi à titre d’observatrice des tendances en matière d’échanges commerciaux et d’investissements en Amérique du Nord et en Asie, et de chercheuse dans le domaine. J’ai également dirigé le secrétariat de défense des intérêts à l’ambassade canadienne de Washington de 2010 à 2013.

Mon but aujourd’hui n’est pas de formuler des commentaires sur le système de gestion de l’offre du Canada, mais plutôt sur la façon dont le projet de loi C-282 aura une incidence sur la capacité du Canada à servir nos intérêts nationaux grâce à la négociation et à la mise en œuvre d’accords de libéralisation du commerce.

Pour les négociateurs commerciaux du Canada et les industries qui profitent d’un accès amélioré aux marchés internationaux qui sont essentiels à la prospérité économique du Canada, il est important que nous mettions toutes nos cartes sur la table : c’est presque toujours le Canada qui demande quelque chose lorsque nous négocions avec nos principaux partenaires commerciaux, et le meilleur accès possible aux marchés, non seulement aux États-Unis, mais aussi dans la région indo-pacifique, revêt une importance capitale pour notre avenir économique.

Si le projet de loi C-282 entre en vigueur, nous allons sans aucun doute observer des répercussions sur le renouvellement de l’ACEUM, qui doit avoir lieu en 2026. Peu importe l’administration au pouvoir aux États-Unis en 2025, la tendance vers le protectionnisme et les politiques industrielles qui accordent une préférence aux industries nationales américaines se poursuivra, et le Canada continuera de devoir faire des pieds et des mains pour éviter des préjudices indus.

Le Canada négocie actuellement des accords commerciaux avec l’Asie du Sud-Est — l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ou ANASE —, soit l’une des régions économiques qui connaissent la croissance la plus rapide. L’adoption du projet de loi C-282 encouragerait une résistance, et elle pourrait également avoir une incidence sur l’adhésion future au Partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP.

Oui, chaque pays a ses secteurs sensibles, mais le Canada est particulièrement vulnérable pour quelques raisons. Tout d’abord, comme nous le savons tous, le Canada dépend du commerce de manière disproportionnée. Depuis des décennies, les échanges commerciaux représentent plus de 60 % de notre PIB. De plus, nous dépendons de manière disproportionnée d’un seul marché, c’est-à-dire les États-Unis. La taille de notre économie n’est pas assez importante pour que nous puissions dicter les règles d’engagement. Cela signifie que lorsqu’une crise survient et que le commerce est utilisé comme arme, nous souffrons. La coercition commerciale est l’arme des superpuissances économiques, et le Canada subit celle des États-Unis et de la Chine. Nous avons peu de recours, et nous devons veiller à avoir toutes les mesures possibles à notre disposition. Lorsqu’on retire nos cartes de la table avant le début du jeu, cela revient à attirer la défaite.

Merci, et je serai heureuse de répondre aux questions.

Le président : Merci beaucoup, madame Horton.

Chers collègues, comme tout à l’heure, nous allons faire des interventions de quatre minutes. Je vous prie donc d’être concis dans vos préambules et vos questions.

Le sénateur Harder : Je remercie les témoins de leurs déclarations. Je veux poser une question à chacun de vous, en commençant par Colin Robertson, car vous êtes assis devant moi et vous nous avez fait part des questions que nous devrions nous poser; je veux que vous y répondiez. Autrement dit, voici ma question pour vous et Mme Horton : selon vous, quelle sera la réaction aux États-Unis, notre principal marché, si ce projet de loi est adopté et si l’ACEUM est renouvelé?

Vous avez tous les deux participé aux premières négociations de l’accord de libre-échange, l’ALENA, puis de l’ACEUM, qui lui a succédé. Vous pouvez remonter très loin pour nous donner des conseils, et je vous prie donc de nous les présenter.

M. Robertson : Les Américains ont déjà décidé qu’ils allaient s’en prendre encore une fois à nous. Ils estiment que nous sommes indûment protectionnistes et que nous n’avons pas respecté nos obligations relativement aux produits laitiers. Dans le cadre de l’ALENA et de l’ACEUM, ils nous ont traduits devant les tribunaux que nous avons mis sur pied pour obtenir réparation. Nous avons manœuvré pour nous en sortir dans certains cas, mais nous avons encore des comptes à rendre dans d’autres dossiers. Il ne fait aucun doute que c’est ce qui nous attend.

Il y a ensuite les politiques intérieures américaines. Le sénateur Schumer, qui est actuellement le leader de la majorité au Sénat, vient de New York, et les New-Yorkais n’aiment pas notre façon de faire les choses.

L’ancien président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, venait du Wisconsin, de l’État qui s’intéresse au fromage. Nous sommes sur leur liste. Le Bureau du représentant américain au Commerce publie chaque année une liste des irritants commerciaux provenant d’autres pays, et la gestion de l’offre est au premier rang. C’est inévitable. M. Lighthizer, le négociateur américain sous M. Trump, qui pourrait très bien réapparaître dans l’administration, l’a déjà indiqué.

Le sénateur Harder : Quels sont alors les secteurs qui vont en payer le prix?

M. Robertson : Ce sera probablement d’autres secteurs agricoles, car ils jouent très bien le jeu de la division pour conquérir. Nous le savons. C’est ainsi que cela fonctionne dans les négociations. Nous allons dire que nous n’allons pas leur donner accès à telle et telle chose, par exemple à notre industrie du bœuf, qui est énormément prospère, ou à notre industrie du porc. Les porcelets se retrouvent dans les États du Dakota, par exemple, avant de revenir ici. Ils vont mettre fin à cela et ce sera le compromis. Tout d’abord, dans le secteur agricole, ils s’en prendront à certaines choses, et ils en feront peut-être autant par la suite dans d’autres secteurs. Nous pourrions payer un prix pour ce qui est des minéraux stratégiques, par exemple. Ils voudront plus. C’est ainsi que les Américains travaillent. Nous savons à quoi nous attendre, et nous devrions être bien conscients que cela fait déjà l’objet de discussions et de préparatifs tant dans l’administration actuelle que dans une éventuelle administration Trump, et au sein du Congrès proprement dit.

Mme Horton : Je vais ajouter certaines choses aux propos de M. Robertson. Oui, les Américains s’intéressent depuis longtemps à la gestion de l’offre, et ils nous ont traînés devant les tribunaux de règlement des différends. Je ne sais pas si on peut avancer que cela a eu un effet vraiment nuisible sur notre système de gestion de l’offre malgré leurs préoccupations.

Ce qui me préoccupe plus, c’est de savoir si cela va retarder la conclusion de tout l’accord. Je pense que des personnes aux États-Unis seraient heureuses qu’il n’y ait plus d’accord. Il est possible que cela ne survive pas et que nous nous retrouvions plutôt avec une série d’accords sectoriels, mais je ne peux pas croire que ce sera avantageux de la moindre façon pour nous. C’est un peu comme brandir un drapeau rouge. On sait que le taureau fonce vers nous, mais est-il vraiment nécessaire de le fâcher avant d’entrer dans l’enceinte? C’est pourtant exactement ce que ferait ce projet de loi.

La sénatrice Coyle : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Monsieur Robertson, vous nous avez donné des questions à examiner. Vous avez notamment demandé ce que nous ferons lorsque d’autres personnes demanderont des protections similaires.

Nous avons offert des protections à des secteurs soumis à la gestion de l’offre dans des négociations précédentes, pas en légiférant, mais dans la pratique. Avez-vous vu des exemples d’autres secteurs qui ont dit qu’ils voulaient la même chose? Qu’avons-nous vu à cet égard dans le passé, même sans loi en place?

M. Robertson : Sénatrice, mon observation porte sur l’industrie automobile, par exemple, sur l’acier et l’aluminium. Cette industrie est devenue une cible et a également demandé des protections. Je pense que notre programme d’ajustement fonctionne très bien et que dans le cas de la gestion de l’offre, lorsque nous avons ouvert légèrement le marché — n’oubliez pas que les Canadiens contrôlent totalement 80 % du marché —, nous avons toujours offert une réparation sous forme de compensation financière ou d’autres incitatifs pour aider à améliorer l’industrie. Cela fonctionne extrêmement bien.

C’est la bonne manière de procéder plutôt que de brandir, comme l’a dit ma collègue, Mme Horton, un drapeau rouge en sachant qu’on va s’en prendre à nous et que nous devrons payer d’autres façons dès le départ. On commence les négociations en étant sur la défensive, et comme l’a également dit Mme Horton, le danger se rapporte à l’Accord Canada—États-Unis—Mexique alors qu’un groupe aux États-Unis ne veut tout simplement pas voir le moindre accord commercial et a beaucoup de réserves à l’égard du Mexique, et nous pourrions mettre en péril l’ensemble de l’accord commercial d’un point de vue canadien.

Comme l’ont mentionné d’autres témoins, malgré tous les efforts que nous avons déployés pour diversifier nos exportations, les trois quarts sont encore destinés aux États-Unis. C’est en outre le marché que privilégient les nouveaux commerçants, en particulier les femmes et les personnes issues des minorités. Nous y avons un accès préférentiel, qui remonte à l’époque de l’Accord concernant les produits de l’industrie automobile, aussi connu sous le nom de Pacte de l’automobile Canada-États-Unis, et à l’accord initial de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Cela a très bien fonctionné pour le Canada et pour les États-Unis. Nous avons des amis là-bas. Pourquoi voudrions-nous risquer de perdre cela pour une mesure qui n’est absolument pas nécessaire, car nous pouvons bien nous protéger sans risquer de voir les États-Unis répliquer avec des contre-mesures?

La sénatrice Coyle : Ma question s’adresse à vous deux. Vous nous avez dit de nous poser notamment la question suivante: est-ce que cela sert l’intérêt public au Canada? Quelle est votre réponse à cette question?

M. Robertson : Je ne crois pas que cela serve l’intérêt public, parce que nous vivons du commerce et que nous soutenons très bien la concurrence.

Voici l’autre point que je veux faire valoir. Nous avons une industrie de classe mondiale. Je crois qu’elle n’a pas à craindre la concurrence. L’Australie y a renoncé, la Nouvelle-Zélande y a renoncé aussi, et ces pays détiennent maintenant une large part du marché mondial. La demande de protéines dans la région indo-pacifique est énorme, et c’est là où nous voulons conclure des accords commerciaux. Ces pays vont vouloir se procurer ce que nous avons à leur offrir.

Il y a des années, j’ai vu ce qui s’est passé avec la politique du Nid-de-Corbeau sur le grain, etc. Il fallait tout protéger, et nous avons pris des mesures semblables pour le bœuf et le porc. Nous avons ensuite ouvert le marché et nous soutenons maintenant très bien la concurrence. Pourquoi vouloir nous imposer un handicap, en particulier dans une industrie qui, à mon avis, excelle dans la commercialisation de ses produits au Canada? Je pense qu’elle pourrait en faire tout autant à l’étranger.

Nous avons des entreprises canadiennes dans l’industrie laitière, comme Saputo et Agropur, qui s’en tirent très bien. Il n’y a aucune raison pour que le Canada ne puisse pas devenir aussi une superpuissance laitière et rejoindre le groupe des pays qui, autrefois, bénéficiaient d’un certain niveau de protectionnisme et qui l’ont abandonné pour concurrencer sur la scène mondiale. Il y aura une demande, en particulier pour les protéines, dans les marchés développés.

Le président : Je vous remercie. Je dois vous interrompre parce que le temps est écoulé.

Le sénateur Woo : Je remercie nos deux témoins, Colin Robertson et Deanna Horton. Ma première question s’adresse à Mme Horton. J’aimerais savoir si vous pourriez nous en dire plus sur la possibilité que les États-Unis se retirent complètement de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique. Je me souviens qu’au début des négociations, les Américains avaient proposé une disposition de caducité et nous avons été en mesure de l’éviter pour avoir le processus d’examen.

Pourriez-vous nous expliquer comment les États-Unis et, en fait, le Mexique pourraient s’y prendre pour mettre un terme à l’accord parce que les choses ne se passent pas comme ils le souhaitent, peut-être en raison de ce projet de loi?

Mme Horton : L’accord doit être renouvelé en 2026, et toutes les parties doivent être d’accord pour le faire. Quand je regarde ce qui se passe du côté du commerce et des investissements entre les États-Unis et le Mexique, je trouve intéressant de voir notamment que les investissements ont beaucoup augmenté au Mexique. Il n’a donc pas autant à perdre que nous, d’une certaine façon, en raison de tous ces investissements. Un très grand nombre d’industries aux États-Unis dépendent maintenant du Mexique. Les chaînes d’approvisionnement sont très solides. La perte d’un accord global — qui pourrait être remplacé, par exemple, par des accords sectoriels — pourrait ne pas les inquiéter autant que nous. Je pense que c’est un réel problème et nous allons devoir nous y atteler. Je sais que l’ambassade travaille déjà très fort dans ce dossier.

Il faut aussi penser à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Je vais vous donner un exemple au Japon, où j’ai habité pendant 12 ans. Autrefois, le Japon avait des mesures très protectionnistes pour le riz, mais aujourd’hui, c’est un pays exportateur de saké. Je bois beaucoup de saké et je suis amatrice de bon saké. À l’époque, le gouvernement ne souhaitait pas faire la promotion du saké. Il ne s’intéressait pas aux marchés d’exportation. C’est seulement quand il a été forcé de le faire qu’il a commencé à produire un saké de meilleure qualité destiné à l’exportation, et il s’en tire maintenant très bien. Je signale qu’il s’agit d’un produit en aval.

Pour faire écho à ce que M. Robertson disait, si on fabrique du fromage, il faut s’assurer que nos producteurs ont accès à des intrants à bas prix. Il faut penser à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de ce point de vue. Le Canada possède une vraie assurance de la qualité et des aliments de grande qualité. Ce sont des éléments très appréciés en Asie et cela continuera de l’être. Nous devons veiller à préserver notre réputation à cet égard, alors je comprends cela parfaitement.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Je pense encore à ce que vous avez dit au sujet du saké, mais c’est parfait.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Beaucoup des questions auxquelles j’avais commencé à réfléchir ont déjà été posées. Je suis heureuse que mes collègues vous aient renvoyé la balle au sujet de celles que vous nous avez posées.

Je vous remercie aussi d’avoir parlé de Saputo, car je suis l’évolution de cette compagnie pour mieux comprendre ce qui se passe dans ce dossier.

Monsieur Robertson, vous avez mentionné, dans l’une de vos interventions, que nous devrions envisager d’investir dans la commercialisation de nos produits au-delà de nos frontières. C’est ce à quoi nous devrions consacrer notre temps et notre énergie.

Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce qui, selon vous, pourrait être fait de façon nouvelle et différente?

M. Robertson : Bien sûr. Des témoins vous ont dit dernièrement que le Canada a une réputation de qualité. C’est un élément très important, car partout dans le monde, les gens veulent être certains d’obtenir des produits de qualité, qui sont sains et font l’objet d’une inspection. Nous devons prendre cela très au sérieux aussi au Canada. Quand la Chine, par exemple, s’en prend à des produits comme le canola, c’est habituellement pour des raisons spécieuses, mais généralement aussi pour des raisons sanitaires. Notre système d’inspection doit être le meilleur. C’est une responsabilité qui relève de l’industrie, et elle est bien consciente que c’est nécessaire pour garder notre réputation de produits de haute qualité. Une fois cela acquis, on rejoint les rangs de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, qui ont aussi déployé beaucoup d’efforts pour commercialiser leurs produits à l’étranger.

Les Australiens, par exemple, commercialisent leurs vins par l’entremise de leurs ambassades et de leurs missions à l’étranger. Ils détiennent actuellement une part importante du marché. Nous avons tenté d’en faire autant et aurions pu faire mieux. Les Néo-Zélandais ont établi un modèle pour leurs fromages et leurs produits laitiers que le Canada pourrait même surpasser, car on pourrait parachuter la Nouvelle-Zélande dans le Sud de l’Alberta et il resterait encore beaucoup d’espace tout autour. Nous avons des terres, des vaches et beaucoup de denrées que nous pouvons produire. Nous le faisons très bien et il n’y a aucune raison — en particulier pour ce qui est des protéines et de la demande pour les produits protéinés, les œufs et le poulet — qui nous empêche d’être aussi un grand fournisseur mondial de produits de qualité. On a mentionné le Brésil. Personne ne dira que le Brésil fabrique des produits de grande qualité, mais on peut le dire du Canada. Nous pouvons en produire même encore davantage, et le faire en travaillant avec l’industrie.

J’aimerais dire ceci au sujet de l’industrie laitière : sa façon de commercialiser ses produits partout au Canada en parlant de leur qualité supérieure m’impressionne, et j’ajouterais que si elle utilise cette compétence qu’elle possède déjà pour vendre à l’étranger les produits de qualité supérieure qu’elle produit déjà, je sais qu’elle peut soutenir la concurrence.

Lorsque j’étais à Los Angeles, nous faisions venir des fromages du Québec. Nous étions en compétition et avons remporté le prix du meilleur film en langue étrangère. Le délégué général du Québec a apporté des fromages et des bières du Québec — nous n’avions pas de saké —, nous avons servi ces produits, et cela nous a aidés dans notre campagne pour remporter l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Mon argument ici est que nous pouvons le faire en travaillant avec les provinces et d’autres intervenants, et le faire très bien. La preuve en a été faite. Le problème est que nous ne pouvons pas exporter nos produits aux États-Unis, sans doute en raison de leurs mesures protectionnistes. Encore une fois, en adoptant un point de vue plus offensif, nous mettons les Américains sur la défensive, car ils sont aussi très protectionnistes. Prenons leur projet de loi sur l’agriculture. C’est un projet de loi qui offre des subventions massives. Nous nous plaçons d’emblée sur la défensive, ce que nous ne pouvons nous permettre de faire en raison de la relation asymétrique que vous avez avec les États-Unis, une relation beaucoup plus importante pour nous que pour eux, pour revenir à la question initiale du sénateur Harder.

La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à vous deux, monsieur Robertson et madame Horton. Compte tenu de vos antécédents, pouvez-vous nous dire comment le Canada est perçu par les autres pays comme partenaire commercial, ce qu’ils pensent de la gestion de l’offre et quelles seront les répercussions de ce projet de loi sur nos partenaires commerciaux, pas seulement nos partenaires actuels, mais aussi nos partenaires futurs? Vous avez beaucoup parlé de notre réputation. Donnez‑nous une idée de ce qui, selon vous, se passerait.

Mme Horton : Je peux commencer si vous le voulez bien. Le Canada — comme je pense l’avoir mentionné dans ma déclaration — est toujours le « demandeur ». C’est nous qui avons demandé à faire partie du Partenariat transpacifique, le PTP. C’est nous qui avons demandé à faire partie de l’ALENA, car au début, il ne concernait que les États-Unis et le Mexique. Le Canada est le bienvenu à la table, mais les gens ne voient pas autant de possibilités au Canada qu’aux États-Unis. Pour nous vendre, nous disons que nous faisons partie du marché nord‑américain. Nous voulons que les gens investissent au Canada, mais notre marché n’est pas très important, en particulier pour les marchandises. C’est très différent du côté des services. Pour nous vendre, nous disons que nous faisons partie du marché nord-américain, et nous disons aux gens que s’ils investissent au Canada, ils pourront exporter aux États-Unis. La gestion de l’offre n’est pas un gros enjeu pour la plupart des pays. En fait, sauf pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis avec qui nous avons eu des différends commerciaux, ce n’est pas vraiment un problème pour la plupart des pays, comme vous l’ont dit les précédents témoins. Dans certains cas, ils sont trop loin. De toute façon, ce qui est important, c’est le signal qu’envoie ce projet de loi, et tout le monde peut composer avec la gestion de l’offre, mais la retirer avant d’arriver à la table de négociation ouvre la porte à un échec.

M. Robertson : Nous avons la réputation d’être des libre-échangistes, même si au cours des dernières années, en raison de notre approche à l’égard de la gestion de l’offre, nous ne sommes plus perçus comme jouant dans la même ligue que l’Australie. Il y avait ce qui s’appelait le Caron Group, de vrais libre-échangistes dans tous les secteurs, et nous avons dû nous en retirer en raison de notre protectionnisme en agriculture. Cela nous a nui, en quelque sorte, en particulier sur les marchés asiatiques.

Pour répondre à votre autre question, à savoir si c’est bon pour le Canada. La réponse est non, parce que nous sommes, comme toute une série de témoins l’ont souligné, une nation commerçante. J’ai travaillé à un moment donné pour un ministre des Affaires étrangères, devenu par la suite sénateur, Allan MacEachen, et je n’oublierai jamais la question qu’il avait l’habitude de poser : « Est-ce que cela met du pain sur la table? ». Il était partisan du libre-échange parce qu’il disait que cela mettait du pain sur la table des Canadiens. Nous devions commercer en raison de notre petite taille relative, mais nous avons des richesses extraordinaires grâce à nos ressources naturelles, à notre vaste territoire et aux capacités de production de nos agriculteurs.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue. Ma question s’adresse à nos deux témoins.

Steve Verheul, négociateur commercial en chef du Canada entre 2017 et 2021 — en activité notamment durant la conclusion de l’ACEUM et du PTPGP —, a indiqué il y a quelques mois que le projet de loi C-282 est un signal politique et qu’il n’est pas susceptible de menacer les futurs accords. Je le cite :

Je ne pense pas qu’il y ait une menace imminente. Il s’agit d’une question de politique de soutien. Je ne m’attends pas à ce que cela ait un impact énorme sur les négociations à venir.

M. Verheul a complété en expliquant que chaque partie a toujours ses lignes rouges lorsque les pourparlers commencent, de sorte qu’elles ne sont pas vraiment surprises. Comment expliquez-vous vos différences de position avec l’ancien négociateur en chef du Canada?

[Traduction]

M. Robertson : Notre précédent négociateur — j’ai lu une partie de son témoignage — a parlé d’établir des lignes rouges au départ. C’est ce qu’on fait lors des négociations non officielles. On ne le fait pas nécessairement d’entrée de jeu, parce qu’on sait alors qu’on devra renoncer, comme je l’ai dit dans ma déclaration, à des possibilités par la suite. C’est comme jouer au poker : on ne dévoile pas son jeu tout de suite. Nous n’avons pas besoin de le faire.

Les pays savent assurément que nous allons protéger la gestion de l’offre, mais en adoptant ce projet de loi, comme d’autres l’ont suggéré, c’est vraiment brandir un drapeau rouge. Vous pouvez être certains que les Américains vont nous attendre lors de la renégociation de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique. On parle d’un renouvellement, mais ce n’est pas un renouvellement; c’est une renégociation. Les Américains nous en ont déjà informés. Nous aimerions qu’il s’agisse d’un renouvellement, mais ce ne sera pas le cas. Ce sera une renégociation encore une fois, parce que les Américains sont préoccupés par ce qui se passe au Mexique. C’est un des éléments qu’ils vont utiliser.

Je vais céder la parole à Mme Horton, qui, j’en suis certain, a un point de vue sur la question.

Mme Horton : Oh, oui, bien sûr.

Je suis d’accord qu’il s’agit d’une question de politique; toutefois, il y a une différence entre une politique et une loi. Le gouvernement a déjà fait savoir qu’il appuyait la gestion de l’offre. C’est un dossier qui fait partie des négociations depuis des décennies, alors il n’y a rien de nouveau ici. Oui, tous les pays protègent certains secteurs. Je comprends tout cela. Il a dit qu’il n’y avait pas de menace imminente. Il se peut qu’elle ne soit pas imminente, mais en 2026, comme vient de le dire M. Robertson, nous allons renégocier l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, et cela nous placera dans une situation désavantageuse.

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une négociation asymétrique, et que nous ne sommes pas le joueur le plus fort. C’est pourquoi j’ai parlé de coercition commerciale, et les États-Unis utilisent la coercition commerciale. Je pense que nous devons nous protéger et ne pas envoyer un signal en adoptant un projet de loi qui sera perçu aux États-Unis, à n’en pas douter, comme s’adressant à eux.

Le sénateur MacDonald : C’est bon de vous revoir, monsieur Robertson.

Vous avez mentionné notre dépendance à l’égard du marché américain — et nous savons tous à quel point il est important —, alors nous devons diversifier nos relations commerciales quand nous avons une occasion raisonnable de le faire.

En janvier dernier — et j’ai été déçu lorsque cela s’est produit —, le Royaume-Uni a interrompu les négociations avec le Canada sur un accord commercial bilatéral. Selon les médias, les négociations ont achoppé notamment sur la question de l’accès au marché canadien du fromage. Les négociateurs britanniques voulaient, dit-on, que soit augmenté le contingent tarifaire afin que plus de produits fromagés bénéficient d’un traitement tarifaire préférentiel.

Quelles répercussions pourrait avoir l’adoption du projet de loi C-282 sur nos négociations possibles avec le Royaume-Uni ou avec d’autres économies avancées?

M. Robertson : Au sujet des Britanniques, nous avons parlé avec certains de leurs négociateurs lorsqu’ils étaient au Canada, et je crois que vous avez bien compris pourquoi ils se sont retirés des négociations. Ils aimeraient avoir plus d’accès au marché du fromage. Il y a toujours des négociations avec l’Union européenne, en raison de la façon dont s’est déroulé le Brexit.

En retour, nous voulons un meilleur accès pour nos autres produits agricoles comme le bœuf, le porc, etc. Encore une fois, je pense que cela nous fait perdre des ventes sur le marché britannique, un marché important pour nous. Le Royaume-Uni n’a pas une grande marge de manœuvre, mais le pays a pris cette décision, car il tente de conclure des accords commerciaux partout dans le monde. Il fait maintenant partie du Partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP.

Il me semble que nous avons une vision à court terme en n’arrivant pas à négocier avec les Britanniques, parce que nous aimerions conclure un accord avec eux qui serviraient aussi les intérêts des Canadiens dans leur ensemble.

À mon avis, le projet de loi est problématique dans la mesure où il accorde des protections spéciales à un secteur bien précis. Cela fait fi du principe voulant que le bien commun soit mieux servi dans tous les secteurs, avec comme exemple la conclusion d’un accord avec le Royaume-Uni, par exemple, qui offrirait un meilleur accès. Admettons que nous cédions quelques pourcentages supplémentaires d’accès à notre marché des produits fromager. Les accords que nous avons déjà conclus prévoient des mécanismes compensatoires qui semblent bien fonctionner pour une industrie qui, franchement, se porte bien. Nos produits pourraient également être concurrentiels. Les cheddars canadiens se vendraient très bien sur le marché britannique.

Oui, cela nous a fait du tort. Comme vous l’avez souligné, nous voulons réduire notre dépendance à l’égard des États-Unis, et un accord avec le Royaume-Uni améliorerait légèrement notre capacité de diversification.

Le sénateur MacDonald : Je pose la question suivante aux deux témoins : nous savons que certains pays ont des secteurs sensibles qu’ils veulent protéger, mais y a-t-il des pays ayant des économies avancées et modernes qui se dotent de lois pour limiter de manière préventive la marge de manœuvre de leurs négociateurs commerciaux?

M. Robertson : J’ignore ce qu’en dira Mme Horton, mais je n’ai jamais rien vu de tel.

Mme Horton : Non, je ne connais aucun pays qui imposerait de telles restrictions.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie tous les deux de votre présence et de votre grande expertise que vous mettez à contribution.

Je voudrais me concentrer sur l’ACEUM, en particulier, et sur le défi que nous devrons relever sans savoir qui sera de l’autre côté de la table; nous le saurons bientôt. Les deux candidats ont déjà adopté des positions claires.

Si vous étiez assis de l’autre côté de la table et vous voyiez ce projet de loi se pointer, que chercheriez-vous à obtenir de la part des Canadiens? Si vous étiez membres de l’équipe de négociation américaine, quel serait l’impact de ce projet de loi et que voudriez-vous cibler? C’est ma première question.

Deuxièmement, si l’ACEUM n’est pas renégocié, quelles en seront les conséquences pour le Canada ?

Mme Horton : Je peux commencer, si vous voulez bien.

J’ai observé les négociateurs américains au fil des ans, y compris Robert Lighthizer, qui est un négociateur très compétent. Si je faisais partie de l’équipe de négociation américaine, je ferais comme suit, et je crois que c’est ce que les Américains feront, quel que soit le parti au pouvoir. Tout d’abord, je ciblerais d’autres secteurs agricoles, car il y a beaucoup de protectionnistes à Washington et au sein des industries qui réclament constamment des mesures. Le département du Commerce est fort affairé à gérer les subventions antidumping et les dispositions qui touchent à des domaines non commerciaux, ainsi que toute la législation américaine en matière de commerce.

Les États-Unis sont un pays protectionniste, cela ne fait aucun doute. En revanche, si j’étais les États-Unis, je viserais les secteurs auxquels tient le Canada, comme celui de l’automobile.

S’il n’y avait plus d’ACEUM, je pense que nous nous rabattrions sur des accords sectoriels. Ce serait dommage, car l’impact psychologique d’un accord commercial est important aux yeux des entreprises, qui doivent planifier leurs investissements. C’est l’incertitude qui rend les choses difficiles.

Nous voudrions aussi diversifier nos partenaires commerciaux, notamment du côté de l’Asie.

M. Robertson : Je ne pense pas que cela puisse fonctionner. Nous avons examiné cette question en 1983. J’ai mentionné Allan MacEachen plus tôt. Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, nous avons étudié la possibilité de conclure davantage d’accords sectoriels avec les États-Unis. À cette époque, le représentant américain pour le commerce était Bill Brock. Nous visions des produits comme l’acier, et les Américains, eux, des produits pharmaceutiques, mais nous n’avons pas réussi à conclure un accord. Les négociations se sont soldées par un échec. Les Américains ont dit que cela ne les intéressait pas.

Les choses sont restées au point mort un certain temps. La Commission MacDonald a ensuite lancé le défi au Canada, à savoir s’il était en mesure d’être concurrentiel. Brian Mulroney et Ronald Reagan ont été élus, et M. Reagan a affiché une attitude différente. Nous avons conclu un véritable accord commercial qui s’est révélé extraordinairement fructueux. Il s’agit de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États‑Unis.

Je ne pense pas que les Américains seront très intéressés par des accords sectoriels ni par les secteurs que nous voudrions cibler. Nous devrions donc faire des pieds et des mains pour maintenir l’accord que nous avons déjà en place.

Pour répondre à votre question précise, je suis d’accord avec Mme Horton : les Américains s’intéresseront aux produits agricoles, parce que dans ce secteur, nous sommes considérés comme un concurrent, en particulier dans les secteurs où nous obtenons de très bons résultats à l’étranger, comme le bœuf, le porc et les produits dont j’ai parlé, et éventuellement certaines céréales. Je pense également qu’ils sont susceptibles de viser le secteur de l’automobile, en affirmant probablement que les véhicules ont plus de contenu fabriqué aux États-Unis. Il s’agit bien sûr d’un secteur très important.

Nous nous exposerions inutilement à des attaques avec ce type de projet de loi et ses conséquences à long terme. Je ne pense pas que nous ayons poussé suffisamment notre réflexion. Je félicite votre comité et le Sénat d’avoir pris le temps d’examiner les conséquences à long terme du texte.

Le président : Je dois vous interrompre, monsieur Robertson. Je suis désolé, mais nous avons dépassé le temps imparti.

Je cède la parole au sénateur Gold, et nous ferons ensuite un deuxième tour.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre présence. Je m’excuse d’être arrivé en retard et d’avoir manqué vos déclarations.

Vous avez donné vos avis sur la façon dont le projet de loi pourrait gêner les négociateurs commerciaux. Je comprends votre perspective et je respecte votre point de vue, mais j’aimerais aborder la question sous une optique un peu différente.

Parmi les facteurs que vous avez soulignés à plusieurs reprises, il y a notre dépendance à l’égard de l’accès au marché américain, la nature asymétrique de cette relation et le protectionnisme américain. Je vais vous mettre des mots dans la bouche, madame Horton, et je vous prie de m’en excuser. J’espère que vous me corrigerez, mais il me semble, du moins d’après ce que j’ai compris, que les Américains auront de toute façon des visées sur tous ces secteurs. Ce sont leurs tactiques. Je me souviens du premier accord de libre-échange, sur lequel j’ai organisé une grande conférence lorsque j’étais professeur universitaire. J’ai également écrit un livre à ce sujet. Vous avez brossé un tableau plutôt effrayant, mais je voudrais vous demander d’envisager les choses sous un angle différent.

Il faut savoir qu’il y a des secteurs aux États-Unis qui ont la gestion de l’offre dans leur ligne de mire depuis un certain temps pour des raisons idéologiques ou économiques, ou les deux à la fois. Vous qui avez parlé du fromage, sachez que je suis Québécois et j’adore le fromage de chez nous. Compte tenu des craintes de non seulement l’industrie laitière, mais aussi des autres secteurs du pays, comme celui de la volaille, qui ont bénéficié de la gestion de l’offre soutenue par des gouvernements de toutes les couleurs pendant de nombreuses décennies, qui s’inquiètent de leur industrie, de l’ampleur et de l’impact sur leurs communautés, ne pensez-vous pas que le fait de traduire cette politique en loi envoie un message clair aux États-Unis qui songeraient à s’en prendre à la gestion de l’offre?

C’est un élément important de la politique canadienne visant les petites exploitations agricoles et les collectivités que nous sommes prêts à protéger, et les Américains le savent déjà. Il s’agit simplement d’envoyer un message clair pour que le Canada puisse tenir son bout. Nous avons d’excellents négociateurs et nous pourrons transmettre un message ferme indiquant que nous croyons en ce système. Il se peut que vous n’y croyiez pas et que vos motifs soient raisonnables, mais il s’agit d’une politique gouvernementale et pas seulement de la politique du gouvernement actuel en particulier. Je me demandais simplement si cette perspective risque de vous convaincre.

Le président : Les deux témoins n’auront qu’une petite minute pour répondre à la question.

M. Robertson : Je pense que nous avons déjà une ceinture et des bretelles, allons-nous devoir mettre une autre paire de bretelles, une ceinture et des gilets de sauvetage pour sauver une industrie qui pourrait être concurrentielle sur le marché international? Je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Mme Horton : J’abonde dans le même sens. Je pense que nous le savons déjà. Les États-Unis, comme vous l’avez mentionné, s’attaquent déjà à la gestion de l’offre. Les secteurs concernés ne représentent pas un volume énorme, mais les Américains le savent déjà. Pourquoi avons-nous besoin d’un projet de loi pour continuer à protéger la gestion de l’offre, ce que nous faisons dans le cadre des négociations depuis des décennies? Les concessions qui ont été faites ne sont pas significatives, à mon avis.

Le sénateur Gold : Je vis dans une région rurale du Québec. Mes voisins ont de petites exploitations qui survivent grâce à la gestion de l’offre et fournissent à ma collectivité et aux collectivités environnantes des aliments de qualité inégalée. Voilà une autre dimension.

Dans le domaine du commerce, nous parlons de l’agrégat, ce que je comprends, mais il y a aussi des effets distributifs. Cela peut aller dans les deux sens, comme vous l’avez souligné. Je ne pense pas que nous devrions négliger l’impact réel, ressenti par les collectivités, de l’accès que nous avons déjà cédé par le biais des négociations. Merci.

Le président : Sénateur Gold, votre temps de parole s’est écoulé. Nous passons au deuxième tour. Quatre sénateurs souhaitent prendre la parole et il nous reste environ 12 minutes : chacun aura trois minutes.

Le sénateur Woo : J’ai d’abord un commentaire à faire, puisqu’on a discuté de la compétitivité à l’exportation de certains produits soumis à la gestion de l’offre. Je recommande au comité de recueillir les témoignages des représentants de certaines filières, en particulier la filière des œufs, qui, comme nous l’avons appris, exporte avec succès vers d’autres marchés. Que pouvons-nous apprendre et quel serait l’impact de ce projet de loi, notamment si les pays importateurs imposaient des tarifs de rétorsion?

Ma question s’adresse à l’un ou l’autre de nos témoins et porte sur les pays avec lesquels nous n’avons pas encore conclu d’accord, mais qui pourraient se montrer récalcitrants si ce projet de loi était adopté. Un témoin précédent nous a dit que le Brésil se trouvait dans cette catégorie. J’en déduis que nous aurions à renoncer à un éventuel accord avec le Brésil. Il serait très difficile d’en conclure un puisque la gestion de l’offre serait intouchable. Que pensez-vous de l’impossibilité de négocier un accord avec le Brésil qui est, après tout, le B des pays BRICS?

Le président : Permettez-moi de préciser qu’il ne s’agirait probablement pas d’un accord bilatéral avec le Brésil, mais d’un accord avec le MERCOSUR.

M. Robertson : Le Brésil n’a jamais manifesté d’intérêt particulier. Comme vous le savez, nous avons eu de gros problèmes par le passé en ce qui concerne les avions et le bœuf, et je ne pense donc pas qu’un accord soit possible. La probabilité d’un accord avec le MERCOSUR est également faible à ce stade, mais il est toujours utile pour nous de tâter le terrain, et c’est ce que nous faisons. Nous participons à ce type de négociations depuis un certain temps, sans résultat toutefois.

Nous devrions essayer de mener à bien l’accord avec le Royaume-Uni. L’élargissement du Partenariat transpacifique serait très intéressant, et c’est une région que vous connaissez bien, sénateur. Je pense que tous les accords que nous avons conclus offrent encore des possibilités.

Mme Horton : J’allais mentionner l’ANASE, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, qui représente un potentiel énorme pour le Canada. Ce genre de projet de loi enverrait un message. La gestion de l’offre n’est pas nécessairement une préoccupation majeure pour ces pays, mais un tel texte protectionniste les encouragerait à faire de même, notamment dans des secteurs auxquels nous tenons vraiment.

Le président : Merci.

La sénatrice Ross : La semaine dernière, le Conseil canadien des affaires nous a envoyé une lettre intitulée « Gare aux conséquences imprévues des changements proposés en matière de droit commercial ». On peut notamment y lire ce qui suit :

[...] cela pourrait empêcher le Canada de remplir ses obligations dans un certain nombre de scénarios, y compris l’exercice des mécanismes de règlement des différends.

Madame, monsieur, qu’en pensez-vous?

M. Robertson : J’ai lu la lettre et je suis d’accord avec l’argument général de Goldy Hyder, mais je ne suis pas exactement sûr de bien saisir ce que vous voulez dire. Madame Horton, qu’en pensez-vous?

Mme Horton : Je suppose qu’il s’agit de la manière dont les pays règlent les différends commerciaux. Tout d’abord, l’OMC n’est pas vraiment opérationnelle en raison des préoccupations liées à l’Organe d’appel. La confiance dans le mécanisme de règlement des différends est très importante pour chaque pays signataire d’un accord commercial. Tout ce qui pourrait entraver la capacité du Canada à résoudre les différends commerciaux dans des secteurs qui ont déjà fait l’objet de négociations et pour lesquels nous avons des obligations aurait un impact négatif.

La sénatrice Ross : Je vous donne plus de contexte :

Si la ministre ne peut prendre aucun engagement en ce qui concerne le statu quo des contingents tarifaires, cela pourrait compromettre l’examen de l’Accord Canada–États-Unis– Mexique (ACEUM)...

L’auteur de la lettre énumère ensuite les divers accords que nous avons déjà conclus, dont l’AECG.

Mme Horton : Oui.

La sénatrice Ross : Je pense que c’est ce à quoi ils font référence.

Mme Horton : Effectivement.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’aurais un commentaire par rapport à la question du sénateur Gold.

Vous avez mentionné que les Américains sont très protectionnistes, ce qui veut dire qu’avec ou sans la protection de la gestion de l’offre, les négociateurs américains vont toujours imposer leurs conditions.

Monsieur Robertson, vous avez expliqué que la raison pour laquelle le Royaume-Uni s’est retiré des récentes négociations est notamment liée à l’exemption d’un quota spécial sur l’importation des fromages britanniques. Pourtant, Martin Buckle, directeur de la Chambre de commerce britannique du Canada, a déclaré au magazine Les Affaires, qu’il était, et je cite :

[...] très surprenant que le gouvernement britannique se soit retiré des négociations parce que le problème des produits laitiers était bien connu.

Pensez-vous que le bœuf canadien ne faisait pas partie de la politique intérieure qui aurait influencé ce retrait des négociateurs britanniques?

[Traduction]

M. Robertson : Je répondrai à la dernière question. Les Britanniques savent que nous voulons un meilleur accès pour notre bœuf, notre porc et nos viandes, et ils veulent un meilleur accès pour leurs fromages. Nous avons fait savoir qu’il n’était même pas question d’en discuter. Voilà un des facteurs.

Or, je ne pense pas que ce soit la seule pierre d’achoppement. Je faisais partie de l’équipe qui a négocié l’accord initial entre le Canada et les États-Unis et, à un moment donné, nous avons quitté la table sur quelques points pour ensuite insister sur le règlement des différends. Nous avons interrompu les négociations afin d’obtenir des mécanismes de règlement des différends. Nous négocions avec les Britanniques. Il y a plusieurs facteurs en jeu, parmi figurent certainement le bœuf et les fromages. J’espère que nous parviendrons à un accord avec le Royaume-Uni. Je pense que les Britanniques veulent conclure un accord avec nous.

[Français]

La sénatrice Gerba : Si je reviens sur les négociations avec les Américains, un des témoins qui a comparu nous a avoué qu’il y avait 30 chapitres dans chacun des accords et que le secteur de l’agriculture ne représentait qu’un chapitre de ces négociations. Pourquoi devrait-on sacrifier un système qui existe depuis plus de 50 ans, avec un risque potentiel de faire échouer des accords? Selon les dires de certains de nos intervenants, 12 des précédents accords ont été conclus sans toucher à la gestion de l’offre. Est‑ce que cela a changé quelque chose aux autres secteurs?

Le président : Je suis désolé, sénatrice Gerba, mais le temps est déjà écoulé. On pourra revenir à cette question lors d’une future réunion.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Nous avons également conclu des accords de libre-échange avec le Chili et la Corée du Sud. Le gouvernement Harper a signé de nombreux accords de libre‑échange lorsqu’il était au pouvoir. Y a-t-il quelque chose dans ces accords qui serait déclenché ou modifié si ce projet de loi était adopté?

Le président : Deanna Horton a travaillé en Asie. Elle serait bien placée pour répondre à la question.

Mme Horton : À mon avis, le projet de loi n’aurait aucune incidence sur les accords existants avec la Corée du Sud ou le Chili, par exemple. Chaque fois que nous signons un accord commercial, nous reprenons des dispositions des accords antérieurs pour faire grossir notre bilan commercial, mais les choses évoluent avec le temps. Souvent, on se retrouve, comme ce fut le cas avec l’accord de libre-échange, l’ALENA et l’ACEUM, avec des échanges commerciaux qui évoluent de différentes manières. Les accords commerciaux d’aujourd’hui couvrent un grand nombre d’éléments différents comparativement aux premiers accords.

Dans bien des cas, on vise les secteurs sur lesquels il est possible de conclure un accord.

Le projet de loi aurait un impact lors de futures négociations, lorsque nous voudrons agrandir la portée des accords existants, conclure des accords dans de nouveaux pays et, bien sûr, les renégocier, comme dans le cas de l’ACEUM.

Le président : Nous arrivons à la fin de notre réunion. Au nom du comité, je remercie Colin Robertson et Deanna Horton pour leur témoignage. Nos discussions se sont avérées fructueuses, tout comme celles de la réunion précédente.

(La séance est levée.)

Haut de page