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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 23 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour examiner le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

[Français]

J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, sénatrice du Québec et marraine du projet de loi C-282.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bonjour. Soyez les bienvenus. Je m’appelle Mohamed Ravalia, je suis de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, du Cap-Breton, Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue à vous. Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Busson : Je m’appelle Bev Busson et je viens de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, Nouvelle-Écosse.

Le président : Bienvenue à tout le monde. Je veux souhaiter la bienvenue à la sénatrice Verner, qui se joint au comité en tant que membre permanente et membre du comité directeur.

Je veux souhaiter la bienvenue à tous ceux qui nous regardent sur le ParlVU sénatorial de partout au pays, et ajouter que le sénateur Housakos, du Québec, vient de se joindre à nous également.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre). Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Keith Currie, président de la Fédération canadienne de l’agriculture; Brodie Berrigan, directeur principal, Relations gouvernementales et politique agricole, et, à titre personnel, Jodey Nurse, chargée de cours à l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill.

Je vous remercie tous d’être parmi nous aujourd’hui. Avant d’entendre vos observations et de passer aux questions, je demande à toutes les personnes présentes de désactiver les notifications sur leurs appareils pour éviter les distractions.

[Français]

Nous sommes maintenant prêts à entendre vos remarques préliminaires. Ce sera suivi d’une période de questions des sénateurs.

[Traduction]

Monsieur Currie, vous avez la parole.

Keith Currie, président, Fédération canadienne de l’agriculture : Merci, monsieur le président. Nous remercions le comité de nous avoir accordé ce temps de parole. Encore une fois, merci et bonjour. Je m’appelle Keith Currie, je suis président de la Fédération canadienne de l’agriculture, la FCA, et agriculteur de huitième génération à Collingwood, en Ontario.

Comme nous le savons, le Canada est un pays commerçant. En 2023, le Canada a exporté pour près de 100 milliards de dollars de produits agricoles et alimentaires, et il est le huitième exportateur mondial de produits agroalimentaires, de poissons et de fruits de mer, produits qui sont distribués dans plus de 200 pays.

Il est tout simplement inexact de laisser entendre que la gestion de l’offre constitue un obstacle à l’expansion du libre-échange, et les mérites de ce projet de loi doivent être évalués en fonction de ses répercussions prévues dans le monde réel.

Le Canada est actuellement lié par 15 accords de libre-échange à 51 pays différents. Parmi ces accords, seuls les trois derniers ont nécessité l’intervention de négociateurs chargés de faire accepter des concessions sur des produits soumis à la gestion de l’offre. Hélas, les importantes concessions associées à ces trois accords commerciaux ont réduit de façon permanente la taille des marchés de produits laitiers, de volaille et d’œufs. De plus, l’ensemble des répercussions de ces accords commerciaux n’a pas été ressenti sur le coup.

En fait, pour prospérer, le Canada a besoin à la fois de la gestion de l’offre et de la production axée sur l’exportation. De plus, comme nous le constatons depuis des décennies, les deux systèmes peuvent tout à fait coexister sans nuire à la négociation d’accords commerciaux ambitieux et tournés vers l’avenir.

Le Canada n’est pas le seul à avoir des susceptibilités en ce qui concerne l’accès à certains marchés. Au bout du compte, l’existence d’un système de production équilibré reposant à la fois sur la gestion de l’offre et la production axée sur l’exportation favorise la résilience du secteur agricole et la sécurité alimentaire mondiale.

Il convient de rappeler que l’importante ouverture des marchés attendue après la conclusion d’accords commerciaux comme l’AECG — l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne — ne s’est pas toujours concrétisée en raison de la prolifération constante des obstacles non tarifaires au commerce. Pourtant, le Canada maintient ses accords avec tous les grands partenaires commerciaux plus qu’intéressés de pénétrer le marché canadien des produits laitiers, de la volaille et des œufs.

Le Canada continuera de conclure ou de renouveler des accords commerciaux, notamment avec l’Inde, la Chine et les pays membres de l’ANASE — l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est — et du Mercosur, qui est le Marché commun du cône sud. En raison des intérêts offensifs de ces pays et des contraintes logistiques associées au commerce à grande distance, il est très peu probable que ces négociations donnent lieu, dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre, à des concessions permettant au Canada d’atteindre ses objectifs commerciaux généraux. Le Canada ne peut — ni ne devrait — aborder ces accords avec l’idée que l’obtention de gains relatifs à l’ouverture des marchés ne peut se faire qu’en retournant les secteurs agricoles les uns contre les autres, d’autant que les produits soumis à la gestion de l’offre représentent moins de 1 % des lignes tarifaires actuelles du Canada.

Dans cette optique, bien que le projet de loi C-282 puisse se traduire par une hausse du seuil au-delà duquel les secteurs soumis à la gestion de l’offre pourront faire partie des futures négociations commerciales, la FCA est consciente que les négociations commerciales ne sont prises à la légère, ni par le Canada, ni par ses partenaires étrangers. Dans les faits, le projet de loi C-282 rehausse le seuil décisionnel au-delà duquel la sécurité alimentaire du pays pourrait faire l’objet de négociations sans l’aval exprès du Parlement. Rappelons que, dans l’éventualité où un futur gouvernement réclamerait ce genre de concession au Parlement, non seulement il rendrait le processus de négociation plus complexe, mais il ferait en sorte que la concession elle-même ait un poids démesuré dans le cadre des négociations.

Pour atténuer ces risques, la FCA prône une stratégie qui non seulement protégerait la gestion de l’offre dans son intégralité, mais s’attaquerait de front aux obstacles techniques et non tarifaires qui nuisent à l’accès aux marchés.

En conclusion, nous sommes fermement convaincus que notre pays a besoin d’un secteur agricole fort et uni, composé d’une production robuste, axée sur la gestion de l’offre et l’exportation, d’autant plus que nous nous efforçons de relever les défis mondiaux de l’heure en matière de sécurité et de durabilité alimentaires.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Currie.

[Français]

Petite correction de ma part : j’ai oublié de présenter M. Serge Lefebvre, vice-président, Transformateurs de volailles et d’œufs du Canada, qui est un témoin aujourd’hui.

Monsieur Lefebvre, vous avez maintenant la parole.

[Traduction]

Serge Lefebvre, vice-président, Transformateurs de volailles et d’œufs du Canada : Bonjour, tout le monde, et merci de m’avoir invité à comparaître devant le Comité.

Je me présente devant vous en qualité de vice-président des Transformateurs de volailles et d’œufs du Canada, les TVOC, mais je suis également membre du conseil d’administration de Nutri Group, une entreprise de classement et de transformation des œufs qui a des bureaux partout au pays. Je suis accompagné du président et chef de la direction de notre association, Mark Hubert.

Je vais poursuivre mes propos liminaires en français.

[Français]

Puisque notre association n’a pas témoigné devant ce comité depuis un certain temps, j’aimerais d’abord donner quelques précisions sur notre association et nos membres.

Les Transformateurs de volailles et d’œufs du Canada (TVOC) représentent des couvoirs, des établissements de classement et de transformation d’œufs, ainsi que des transformateurs et surtransformateurs de poulet et de dindon du Canada. Nos membres ne sont pas régis par la gestion de l’offre, mais ils sont les principaux clients des producteurs canadiens de volailles et d’œufs.

Ensemble, nos membres représentent près de 170 établissements de différentes tailles et transforment plus de 90 % de la volaille et des œufs produits au Canada. Au total, nos membres emploient directement plus de 33 000 personnes au pays, génèrent des revenus de plus de 11 milliards de dollars et réalisent des investissements de plus d’un demi-milliard de dollars par année en moyenne.

Notre association soutient fermement le système canadien de gestion de l’offre et les politiques commerciales internationales qui y sont compatibles. Nous pensons que le projet de loi C-282 est conforme à ce système. La chaîne d’approvisionnement que nous représentons, les personnes que nous employons et nos collectivités dépendent de la solidité du système canadien de gestion de l’offre.

L’accès au marché accordé aux produits de la volaille et des œufs par le PTPGP, l’ACEUM et les accords commerciaux de l’OMC a un impact sur les producteurs et les transformateurs sous gestion de l’offre. Notre secteur est encore en train de s’adapter à l’impact croissant de ces derniers accords.

Le projet de loi C-282 est lié au régime canadien de contrôle des importations, l’un des trois piliers essentiels de la gestion de l’offre.

Nous reconnaissons que le projet de loi suscite des inquiétudes chez certains.

Les accords commerciaux sont essentiels pour les produits non soumis à la gestion de l’offre. Nous pensons que le Canada peut protéger ses secteurs sous gestion de l’offre tout en réussissant à négocier des accords commerciaux qui profitent aux Canadiens, comme cela a été fait par le passé. Nous comprenons également que le projet de loi ne vise pas à restreindre la capacité du Canada à négocier de nouveaux accords.

L’accès de nos membres aux importations en volumes contrôlés et limités est également essentiel pour les secteurs sous gestion de l’offre. D’après ce que nous comprenons, le projet de loi C-282 ne modifiera pas l’accès au marché déjà accordé aux partenaires commerciaux dans le cadre des accords actuels et n’aura pas d’incidence sur d’autres lois commerciales.

En conclusion, les TVOC estiment que ce projet de loi est conforme au système canadien de gestion de l’offre, un système que nous soutenons fermement.

Nous vous remercions de votre temps et nous serons ravis de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lefebvre.

[Traduction]

Nous passons maintenant à Mme Jodey Nurse. Vous avez la parole, madame.

Jodey Nurse, chargée de cours, Institut d’études canadiennes de McGill, Université McGill, à titre personnel : Je tiens à remercier le Comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. J’étudie le dossier de l’offre depuis près d’une décennie et j’ai grandi dans une ferme laitière familiale. Mes études et mon expérience personnelle m’ont convaincue de la nécessité de protéger ce système typiquement canadien, et de recommander l’adoption du projet de loi C-282.

J’ai bien des raisons d’appuyer la gestion de l’offre, mais dans ma brève déclaration, j’espère faire valoir l’utilité d’un tel système pour, premièrement, stabiliser les secteurs du lait, des œufs et de la volaille et, deuxièmement, pour améliorer les moyens de subsistance et renforcer les collectivités. Je conclurai mon exposé en soulignant la nécessité d’adopter ce projet de loi pour maintenir ce système ainsi que les avantages qu’il apporte.

Premièrement, comme l’ont souligné les témoins qui m’ont précédée, la gestion de l’offre a résisté plus de cinquante ans grâce à sa capacité de stabiliser des industries jadis volatiles. La capacité de la gestion de l’offre à gérer efficacement la production, à améliorer les prix à la production, à stabiliser les prix à la consommation, à s’adapter à l’évolution des économies et des conditions du marché et à éliminer le besoin de subventions gouvernementales aux divers secteurs a toujours profité aux producteurs et au pays.

Deuxièmement, la gestion de l’offre est tout aussi valable aujourd’hui que par le passé en ce qui a trait à l’amélioration des moyens de subsistance et au renforcement des collectivités. Les chercheurs ont démontré que les prix équitables payés aux agriculteurs soumis à la gestion de l’offre leur permettent de réinvestir dans leurs exploitations et leurs collectivités plus que leurs homologues non soumis à la gestion de l’offre, et que la vitalité économique des collectivités rurales va de pair avec le nombre d’exploitations agricoles soumises à la gestion de l’offre. De plus, la stabilité économique que procure ce système a encouragé les jeunes générations à se lancer dans ces secteurs agricoles dans des proportions supérieures à celles constatées dans les secteurs non assujettis à la gestion de l’offre.

Quel que soit le secteur considéré, l’agriculture est un domaine difficile, mais il y a lieu de valoriser la stabilité que procure la gestion de l’offre, car elle a des conséquences concrètes pour les Canadiens. Au cours de votre étude, certains ont laissé entendre qu’on peut fort bien appuyer la gestion de l’offre, mais pas nécessairement ce projet de loi. Je rétorquerais que, si les législateurs sont honnêtes au sujet de leurs intentions ouvertes — en fait, de leur promesse — de maintenir la gestion de l’offre, ils doivent appuyer l’adoption de ce projet de loi.

Le projet de loi C-282 arrive à un moment où les accords commerciaux internationaux ont perturbé les secteurs canadiens du lait, des œufs et de la volaille. Nous sommes dans une période où — en raison des crises récentes et d’un ensemble de facteurs qui s’inscrivent dans la durée — la sécurité alimentaire, la souveraineté et la durabilité n’ont jamais été aussi importantes. Si l’on tient vraiment à ce que la préservation des exploitations agricoles et l’amélioration de la sécurité alimentaire au Canada soient une priorité, il va falloir fixer des limites à nos négociateurs quant à ce qu’ils pourront céder à des intérêts étrangers. Ils ne doivent pas gruger davantage ce système et son efficacité en le cédant morceau par morceau. Le gouvernement a promis de retirer des négociations d’autres concessions concernant nos secteurs de la gestion de l’offre axés sur le marché intérieur. S’il le souhaite vraiment, il y parviendra par le biais du projet de loi.

Enfin, je vous ai dit que ma propre famille est dans la production laitière. J’ai quatre nièces qui ont très hâte de devenir productrices laitières. Il est vrai qu’elles ont entre 5 et 14 ans et qu’il faudra attendre de voir, mais leur enthousiasme pour la production laitière est sans aucun doute lié — qu’elles en soient conscientes ou pas — aux avantages que procure ce système. La gestion de l’offre est un système qui doit être valorisé et protégé.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Nurse.

Le sénateur MacDonald : Merci à nos témoins. Tous ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours appuyé la gestion de l’offre dans la pratique, mais il y a des réserves à ce propos et je vous propose que nous en parlions.

Le projet de loi C-282 semble être source de frictions entre les secteurs soumis à la gestion de l’offre et d’autres secteurs agricoles. Quelles mesures le gouvernement ou les industries pourraient-ils prendre pour s’assurer que les intérêts des secteurs soumis à la gestion de l’offre n’éclipsent pas les besoins des autres secteurs?

Le président : À qui posez-vous la question?

Le sénateur MacDonald : À quiconque s’estime qualifié pour y répondre.

M. Currie : Il est vrai que les opinions divergent sur ce projet de loi et sur ses effets. Je crois que les gens sont très polarisés à ce sujet. À défaut d’une meilleure expression, je dirais que beaucoup de palabres ont été prononcées sur ce qui pourrait arriver aux produits non soumis à la gestion de l’offre.

Mon conseil est composé de 29 membres. Cinq sont assujettis à la gestion de l’offre et 24 ne le sont pas. Nous ressentons donc les répercussions des deux côtés, et il en a été abondamment question lors des réunions de notre conseil d’administration. Tous les membres du conseil appuient le projet de loi C-282 parce qu’ils estiment qu’il apporte une stabilité à une industrie vieille de plus de 50 ans qui favorise la sécurité alimentaire au Canada. Il ajoute de la valeur à l’économie du Canada, et absolument rien ne prouve que l’adoption du projet de loi C-282 aurait des répercussions sur d’autres produits dans les futurs accords commerciaux. En fait, l’ancien négociateur de l’ALENA, Steve Verheul, a déclaré que l’adoption de ce projet de loi n’aura aucune incidence sur les futures négociations commerciales. Ce projet de loi fait couler beaucoup d’encre, mais je suis d’avis que nous nous porterions mieux si nous cessions d’en faire un thème de bataille politique et si nous nous penchions davantage sur la signification de ce projet de loi.

Le sénateur MacDonald : Il arrive que tout ne soit que bataille politique.

J’ai une autre question. J’ai lu récemment que, sur une période de 10 ans, 7 % du lait du pays ont été jetés. Quand j’étais jeune, mon père s’opposait à l’idée de jeter quoi que ce soit du frigo si c’était encore bon. Je me souviens qu’à l’époque où Eugene Whelan était ministre de l’Agriculture, chaque année nous passions des millions d’œufs au bulldozer. Je trouve honteux et presque un sacrilège de détruire des aliments. Y a-t-il moyen de gérer la gestion de l’offre sans ressentir la nécessité de détruire des aliments qui pourraient être donnés aux banques alimentaires ou ailleurs?

Mme Nurse : J’aimerais intervenir. Je pense que vous faites allusion à une étude publiée récemment et dont les médias ont beaucoup parlé — probablement à dessein. Comme chercheuse, j’ai certaines préoccupations au sujet de cette étude, et je sais que d’autres chercheurs en ont aussi. On l’a déjà mentionné, mais les chiffres avancés par ces chercheurs ne sont que des estimations, et non des chiffres vérifiés. L’étude se fonde sur des données et une méthodologie douteuses, selon moi. Les auteurs eux-mêmes admettent qu’ils ne disposent pas des données nécessaires pour appuyer autre chose qu’une estimation.

Le sénateur MacDonald : Qu’il s’agisse de 4 millions, 6 millions, 10 millions, si des aliments encore bons sont jetés, c’est que quelque chose ne va pas. Y a-t-il une façon de modifier le système pour que cela ne se produise pas?

Mme Nurse : Les producteurs laitiers sont en mesure de parler de programmes précis en toute connaissance de cause. Ces programmes sont gérés différemment d’une province à l’autre, mais ils existent. Si les producteurs prévoient un surplus de lait d’un mois à l’autre, ils peuvent en aviser les transformateurs à l’avance. En Ontario, il y a une banque alimentaire à laquelle les producteurs peuvent faire don de leur lait. C’est pourquoi je trouve cet article vraiment problématique, parce qu’il laisse entendre que le gaspillage de lait est associé à la gestion de l’offre, et ce n’est pas le cas. Je pourrais continuer, mais je ne le ferai pas.

Le président : C’est très bien, vous ne le pourriez pas, car votre temps est écoulé. Désolé. Nous avons un peu dépassé le temps alloué, parce que c’était un bon échange.

Le sénateur Ravalia : Merci à tous les témoins. Ma question s’adresse à Mme Nurse. J’aimerais examiner plus particulièrement la protection de la ferme familiale. À votre avis, la gestion de l’offre protège-t-elle l’agriculture à petite échelle, les fermes familiales? Croyez-vous qu’il existe d’autres moyens de protéger les petites exploitations agricoles? Dans ce secteur, au Canada, comment l’agriculture à petite échelle, à l’échelle familiale, se compare-t-elle à l’agriculture industrielle en pourcentage? Si ce projet de loi n’était pas adopté, votre industrie serait-elle forcée d’envisager la production industrielle sur les marchés d’exportation?

Mme Nurse : La fédération pourrait traiter plus précisément des statistiques portant sur les diverses tailles d’exploitation agricole. La gestion de l’offre permet certainement une certaine diversité dans la taille des fermes. Si ce projet de loi n’était pas adopté et que, dans le cadre de futures négociations commerciales, on devait renoncer à d’autres pans du système, cela pourrait compromettre le système lui-même. Si nous perdions ce système, les agriculteurs devraient tenter de soutenir la concurrence à l’échelle industrielle et, selon mes recherches, ils n’y parviendraient pas, compte tenu de la force du marché au sud et du coût inférieur de tous les intrants aux États-Unis. Une foule de facteurs justifient la nécessité de protéger ce marché au Canada, si nous voulons avoir un approvisionnement national de lait, d’œufs et de volaille.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Currie, avez-vous quelque chose à dire?

M. Currie : Je suis d’accord avec Mme Nurse. Grands ou très grands, le fait est que nos plus gros agriculteurs sont probablement les plus efficaces. Pour revenir à ce que disait Mme Nurse, si nous perdions ce système, c’est fort probablement toute l’industrie laitière canadienne que nous perdrions. Les États-Unis adorent faire du dumping partout où ils le peuvent, tout comme la Nouvelle-Zélande. Ils inonderaient notre marché aux prix sur le marché mondial, des prix qui ne permettent pas aux agriculteurs de vivre de leur exploitation. Comme l’a dit Mme Nurse, le coût de nos intrants est beaucoup plus élevé, qu’il s’agisse des salaires ou de l’énergie, donc cela porterait un grave coup à l’industrie, actuellement protégée par la gestion de l’offre.

Le sénateur Ravalia : Le 26 septembre 2024, nous avons entendu Daniel Gobeil, vice-président des Producteurs laitiers du Canada, dire qu’en vertu de trois récents accords sur le commerce — l’AECG, l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP, et l’Accord États-Unis–Mexique–Canada, ou ACEUM — des concessions ont été accordées à l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC, qui ont des répercussions négatives sur votre secteur. Estimez-vous que la négociation de ces accords sur le commerce a eu des répercussions négatives sur votre industrie?

M. Currie : Je tiens à préciser que je ne suis pas un producteur soumis à la gestion de l’offre, mais que je représente la gestion de l’offre. Ces négociations ont-elles eu une incidence sur l’industrie? Tout à fait. On parle de concessions estimées à près de 20 % du marché pour les trois derniers accords de commerce. Pouvez-vous vous imaginer aller au Centre Rideau et dire à deux entreprises voisines : « Nous allons prendre 20 % de votre entreprise et la donner à votre voisin. » Quelles seraient les conséquences pour cette entreprise? Je sais que c’est un exemple hypothétique, mais il représente ce que la gestion de l’offre a dû affronter à la suite des trois derniers accords de commerce, en faisant des concessions sur l’accès aux marchés.

Leur seule option serait de tenter d’accroître la demande des consommateurs pour leurs produits. Dans un pays de seulement 39 millions d’habitants, ce n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît. Par conséquent, retirer un accès si important aux marchés à notre secteur soumis à la gestion de l’offre n’est pas une issue favorable.

[Français]

Le sénateur Gold : Merci et bienvenue à tout le monde. Monsieur Lefebvre, bien que vos membres ne soient pas soumis à la gestion de l’offre, votre association a déclaré, lors de l’étude du projet de loi au comité de la Chambre, que vous soutenez fermement le système de gestion de l’offre au Canada et les politiques commerciales internationales qui sont conformes à ce système — ce que vous avez bien rappelé dans vos remarques préliminaires. Vous croyez que le projet de loi C-282 est conforme à ce système. Pourriez-vous expliquer un peu mieux pourquoi votre organisation soutient fermement le système de gestion de l’offre du Canada et ce projet de loi?

M. Lefebvre : Merci beaucoup pour la question. Nos transformateurs d’œufs et de volailles sont situés à la grandeur du Canada, pas nécessairement toujours dans de grands centres. Pour l’économie canadienne, le fait d’avoir la transformation dans des régions où la concentration de la population n’est pas dense permet de faire vivre les régions. Je pense que c’est un élément et je voulais le préciser, car c’est important en ce qui nous concerne d’avoir une activité économique à la grandeur du Canada, et pas nécessairement sur un axe où les grandes villes sont présentes.

Pour répondre à votre question, en ce qui nous concerne, ce qui est important, c’est d’avoir un approvisionnement stable et une prévision de prix stables. La gestion de l’offre nous permet d’avoir ces deux aspects importants pour notre industrie : avoir des produits de très haute qualité et des programmes en place pour assurer une sécurité alimentaire. La gestion de l’offre nous permet de faire cela aussi à travers toutes les associations. Un bon exemple de la stabilité des prix, c’est que, lors du dernier épisode d’influenza aviaire, les Canadiens ont payé leurs œufs beaucoup moins cher que les Américains. La gestion de l’offre fait son travail en offrant des prix stables aux consommateurs.

Le sénateur Gold : Merci.

[Traduction]

Madame Nurse, compte tenu de votre expérience et de vos recherches, pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont ce projet de loi, qui inscrit dans la loi ce qui constitue déjà une politique gouvernementale, aidera à protéger la souveraineté et la sécurité alimentaires du Canada? Pourriez-vous nous donner plus de précisions, s’il vous plaît?

Mme Nurse : Oui, c’est un point très important. On a mentionné à plusieurs reprises que ce système permet la sécurité et la souveraineté alimentaires. Les recherches récentes que j’ai menées sur la sécurité alimentaire nationale reconnaissent, en premier lieu, que la production agricole est déjà une pratique courante. Selon toute vraisemblance, elle sera appelée à augmenter, vu la préoccupation grandissante pour l’approvisionnement alimentaire mondial. Garder en place ce système maintenant revêt donc une importance capitale, afin que nous puissions continuer à disposer de sources locales d’aliments.

Ce qui est extrêmement important dans ce projet de loi, c’est qu’il affirme aux agriculteurs que nous allons maintenir ce système, ce qui leur donne confiance, comme on l’a mentionné. L’érosion de leur part de marché au fil du temps a fait en sorte de saper leur confiance. Ce maintien en place est extrêmement important. La COVID-19 et la guerre en Ukraine ont démontré la nécessité de soutenir les sources alimentaires nationales. Les chercheurs en alimentation insistent également sur ce point.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici cet après-midi. Madame Nurse, je vais d’emblée vous poser une question.

Dans un article rédigé en 2020 et intitulé « The Long Road to Stability: Egg Farmers in Canada and Fair Farm Pricing », que vous avez corédigé avec Bruce Muirhead, qui a comparu devant nous le 10 octobre, vous avez écrit ceci :

Bien que la gestion de l’offre compte certains opposants, une majorité de Canadiens appuient ce système en raison de leurs préoccupations en matière de sécurité et de souveraineté alimentaires et de juste rémunération des producteurs et aussi, bien honnêtement, en raison des avantages connexes de la gestion de l’offre pour les collectivités rurales.

Vous avez également écrit que la gestion de l’offre avait été source de conflits dans les négociations commerciales internationales que le Canada a menées avec d’autres.

Compte tenu de la gestion de l’offre, des contingents tarifaires, des négociations sur le libre-échange et des accords de libre-échange — il s’agit de questions complexes, cela ne fait aucun doute —, pensez-vous que la majorité des Canadiens qui appuient la gestion de l’offre tiennent compte des répercussions qu’a la protection de la gestion de l’offre sur nos relations commerciales essentielles? À notre avis, ce projet de loi porte effectivement sur le commerce.

Mme Nurse : Encore une fois, les sondages ont démontré que les Canadiens souhaitent ardemment disposer de sources locales d’aliments, alors oui, c’est très important. Les Canadiens se soucient sincèrement de la provenance de leurs aliments.

Si nous devions éroder davantage ce système, ce serait très problématique, parce que nous perdrions nos sources locales d’aliments. Si j’ai bien mesuré l’attrait des Canadiens pour les aliments produits localement et leur préoccupation à ce sujet, oui, c’est important.

La sénatrice M. Deacon : Je comprends cela. Ma question est la suivante : pensez-vous que les gens qui appuient ce projet de loi comprennent les conséquences et la complexité associées à l’adoption de ce projet de loi?

Mme Nurse : Les gens reconnaissent que, comme dans toute négociation commerciale, il faudra faire des compromis. C’est la raison pour laquelle le projet de loi établit clairement les modalités de négociation.

Il n’y a aucune garantie, comme d’autres l’ont mentionné, que l’adoption de ce projet de loi nuira à d’autres aspects des négociations commerciales, mais en adoptant ce projet de loi, nous garantissons la sécurité qu’offre ce système. Cela revêt une importance capitale pour les agriculteurs, pour leurs investissements futurs et leur confiance dans le système.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Lors de votre dernière intervention, vous avez dit — au nom de la Fédération canadienne de l’agriculture —, qu’elle comprenait clairement les enjeux d’accès au commerce et aux marchés pour l’économie canadienne, mais qu’elle était également très préoccupée par les concessions en matière d’accès aux marchés pour les secteurs soumis à la gestion de l’offre.

Selon vous, qu’est-ce qui changera dans la façon dont la FCA s’acquittera des ses responsabilités si le projet de loi est adopté ou s’il ne l’est pas? Qu’entrevoyez-vous pour la suite?

M. Currie : Je n’entrevois aucun changement. Notre travail consiste à défendre les intérêts de nos membres, des agriculteurs et des éleveurs de partout au pays. Nous continuerons de veiller à ce qu’ils profitent de toutes les possibilités qui s’offrent à eux dans le domaine de la production alimentaire, tout en assurant la sécurité alimentaire dont nous avons parlé et en préservant ce qui est souvent perdu lors de ces tractations : la viabilité économique dont nos membres ont besoin.

Nous veillons à ce qu’ils profitent de toutes les possibilités et disposent de toutes les protections dont ils ont besoin pour approvisionner non seulement nos marchés alimentaires intérieurs, mais aussi nos marchés d’exportation.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je vais donner la possibilité à Mme Nurse de nous en dire un peu plus sur cette question de gaspillage, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias récemment. Dans un article que vous avez publié en octobre 2023 et que vous avez coécrit avec Bruce Muirhead, qui a récemment comparu devant ce comité, vous avez expliqué notamment que la gestion de l’offre est un outil légitime pour coordonner la production avec la demande et éviter la surproduction et le gaspillage.

Pourtant, on a entendu dire que des quantités importantes de lait auraient été gaspillées ces dernières années. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le rôle de la gestion de l’offre dans ce domaine? En quoi permet-elle de prévenir ces problèmes de surproduction et de gaspillage?

Mme Nurse : Merci beaucoup pour la question.

[Traduction]

La gestion de l’offre est conçue pour limiter le gaspillage alimentaire par la régulation de l’offre, au moyen de quotas établis pour arrimer la production à la demande du marché. C’est la raison pour laquelle l’insinuation qu’elle a l’effet contraire pose problème.

On a aussi laissé entendre récemment que, dans un système de gestion de l’offre, les agriculteurs sont incités à surproduire. Encore une fois, c’est exactement le contraire : les agriculteurs sont pénalisés lorsqu’ils surproduisent. On affirme également, au sujet du gaspillage, qu’il y en a moins aux États-Unis et ailleurs, en se fondant sur des enquêtes d’autodéclaration sur le lait rejeté à la ferme. Nous savons — ce ne sont pas des estimations — que de nombreux rapports indiquent que le lait est régulièrement gaspillé aux États-Unis, en raison de l’effondrement du marché et du refus des transformateurs de recevoir du lait.

Je trouve cela particulièrement troublant, parce que cela laisse supposer qu’il y a du gaspillage, mais cela n’a pas été évalué avec des nombres réels. Cela pose problème car l’un des points forts de la gestion de l’offre est justement une gestion de la production qui permet d’assurer la stabilité du marché et d’offrir des prix équitables aux producteurs. Je vous remercie de votre question.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci pour votre réponse. Certains critiques affirment que les consommateurs — et ma question s’adresse à l’un ou l’autre d’entre vous — paient plus cher pour les produits soumis à la gestion de l’offre, c’est-à-dire les produits laitiers, les œufs, les poulets et les autres volailles. Selon vous, est-ce vrai que les consommateurs paient plus pour ces produits que dans d’autres pays?

M. Lefebvre : Je peux répondre à cette question. J’ai donné un peu plus tôt l’exemple de l’influenza aviaire : ce qui se passe au sud de la frontière actuellement fait en sorte — c’est un secteur que je connais bien — que les consommateurs américains paient leurs œufs plus cher que les consommateurs canadiens. Ils sont plus sujets aux aléas, ils ont moins de stabilité dans leur production et ils ont moins de programmes que nous. Cela fait en sorte que l’industrie aux États-Unis, comme les membres que je représente, peut avoir des difficultés d’approvisionnement à un certain moment, et cela se reflète par une rareté et des prix plus élevés pour les consommateurs, comme cela se produit actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je remercie nos témoins de leur présence. Ma question s’adresse à Keith Currie. J’aimerais revenir à ce dont le comité est saisi, qui n’est pas de la gestion de l’offre. Il s’agit d’un projet de loi relatif à la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, qui exige que les négociateurs, lors de toute renégociation future ou de tout accord commercial futur, n’utilisent même pas les mots « gestion de l’offre » à la table des négociations. Cela concerne les négociations.

Le deuxième point que j’aimerais soulever et sur lequel j’aimerais que vous vous prononciez est votre ferme affirmation de la nécessité d’un secteur agricole dynamique, vivant et uni. Je suis tout à fait d’accord. Pourtant, ce projet de loi a divisé votre secteur agricole — peut-être pas votre organisation, mais l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, ou ACCA, qui est une organisation très importante et responsable, ainsi que d’autres organisations qui représentent les 90 % d’agriculteurs qui exportent. Pourquoi prendre ce risque? Vous avez dit vous-même que l’adoption de ce projet de loi ne changerait rien. Pourquoi prendre ce risque lors de nos négociations?

M. Currie : Je fais entièrement confiance à nos négociateurs pour l’avenir. Ils ont fait leurs preuves en négociant des ententes extraordinaires pour le Canada. Cependant, comme je l’ai mentionné, la gestion de l’offre a subi des concessions de l’ordre de 20 % en matière d’accès aux marchés au fil des trois derniers accords commerciaux. Cela équivaut à une mort à petit feu.

Pour revenir à ce que vous disiez au sujet de la division au sein du secteur agricole, nous travaillons sur tellement de dossiers tous les jours. Notre personnel et nos élus s’échangent les dossiers. Nous sommes réunis aujourd’hui, nous nous serrons la main et nous discutons des enjeux. Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur toutes les questions et si c’était le cas, attention, il faudrait s’attendre au pire. Nous aurons parfois des divergences d’opinions. Le problème avec ce projet de loi, c’est son sensationnalisme, plus que toute autre chose. En réalité, rien ne prouve que ce projet de loi, s’il est adopté, aura une incidence sur d’autres produits. Rien ne le prouve, mais cette crainte intrinsèque subsiste.

Le sénateur Harder : Vous partagez cette crainte intrinsèque.

M. Currie : Elle se fonde sur des événements passés : le fait d’avoir renoncé à certaines concessions de la gestion de l’offre.

Le sénateur Harder : Vous opposez-vous à l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, l’ACEUM, à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP, ou à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, l’AECG?

M. Currie : Non, pas du tout.

Le sénateur Harder : Alors sur quoi se fonde notre débat? Discutons-nous d’une négociation hypothétique à laquelle vous voulez que d’autres agriculteurs non assujettis à la gestion de l’offre soient les seuls à la table de négociation avec le reste des industries canadiennes? Vous ne voulez pas y participer?

M. Currie : Dans le secteur soumis à la gestion de l’offre, il existe encore des possibilités d’accès aux marchés grâce aux contingents tarifaires. Je veux que personne ne soit sacrifié. Voilà ce que je veux.

Le sénateur Harder : Cela relève de nos négociateurs. Ne les paralysons pas en modifiant la loi ministérielle à l’avantage d’un groupe de producteurs spécialisés.

M. Currie : Vous avez raison, mais pourquoi cet accord commercial devrait-il sacrifier l’agriculture?

Le sénateur Harder : Les représentants du secteur de l’aluminium ou de l’acier ne seraient pas d’accord avec vous. Merci.

La sénatrice Boniface : Merci à tous d’être venus. Comme vous l’avez dit, nous nous efforçons de comprendre ce projet de loi. Ma question s’adresse à M. Currie. J’essaie de comprendre votre organisme pour savoir qui vous représentez et comment vos membres se répartissent. Quel pourcentage des agriculteurs du Canada dépendraient du commerce et non de la gestion de l’offre?

M. Currie : Je n’en sais rien. Je n’ai pas vu ces chiffres. Peut-être que M. Berrigan les a vus. Je suis désolé.

La sénatrice Boniface : D’accord. Pourriez-vous me dire quel pourcentage des agriculteurs que vous représentez font surtout de l’exportation?

M. Currie : Il est difficile de répondre à cette question. Je vais vous expliquer notre composition. J’ai mentionné 24 secteurs non soumis à la gestion de l’offre et 5 secteurs soumis à la gestion de l’offre. Parmi ceux qui ne sont pas assujettis à la gestion de l’offre, il y a aussi toutes les organisations agricoles générales provinciales qui représentent les denrées produites dans leur province — disons aussi dans leur territoire, parce que celles du Yukon sont aussi membres. Nous représentons toute l’agriculture du pays. Notre organisme ne rassemble pas toutes les organisations agricoles nationales, mais certains de nos organismes membres comptent aussi certains de leurs membres, si vous voyez ce que je veux dire.

La sénatrice Boniface : Oui. Je vous suis. D’accord.

Je vais prendre l’exemple de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, l’ACCAA, que ce comité a aussi entendue. Est-ce que votre organisme représente également certains de ses membres? Arrive-t-il que certains organismes soient représentés à deux endroits?

M. Currie : Non, pas dans le cas des produits de base à l’échelle nationale. Comme je l’ai dit, nous apprenons ce qui se passe dans des groupes comme l’ACCAA ou chez d’autres non-membres par l’entremise de nos organisations agricoles générales. De plus, comme je l’ai dit tout à l’heure, notre équipe traite tous les jours de divers enjeux avec toutes les équipes de l’agriculture, parce que nous tenons à appuyer l’agriculture au Canada. Même si ces organismes ne sont pas membres, nous élaborons ensemble des mémoires et des lettres ou nous les aidons à diffuser leurs messages. Nous ne nous entendons pas toujours sur les approches à suivre, mais nous ne nous querellons pas.

La sénatrice Boniface : Je comprends. Je n’insinuais pas cela. En fait, je crois qu’un de nos témoins de la semaine dernière a parlé de deux types d’exploitation. L’une est assujettie à la gestion de l’offre et l’autre ne l’est pas. La différence repose principalement sur leurs activités d’exportation.

Certaines de nos questions sur les sous-divisions nous aident à comprendre les multiples paliers de l’industrie agricole. Je vous remercie pour cette information.

La semaine dernière, j’ai demandé à l’un de nos anciens négociateurs quelle autre solution il envisagerait d’appliquer face à un projet de loi comme celui-ci s’il se trouvait de l’autre côté de la table. Prenons par exemple les États-Unis, qui ont signé l’accord. Qu’est-ce qu’ils présenteraient à la table en compensation?

Je ne pense pas qu’on puisse raisonnablement dire que le négociateur de l’autre côté de la table va considérer cela comme une évidence, que c’est dans la loi. Sur le plan politique, je suis sûr que toutes les tables de négociation l’ont bien compris. Le Canada s’efforce de protéger sa gestion de l’offre. Dès que c’est inscrit dans une loi, l’accord n’est plus sur la table.

Le président : Nous pourrons peut-être y revenir plus tard, car nous avons dépassé vos quatre minutes. C’est une question à laquelle il faut réfléchir. Nous pourrons peut-être l’aborder à l’étape de la conclusion.

Je tiens à souligner que le sénateur Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario, s’est joint à nous.

La sénatrice Busson : Je crois que le sénateur Harder a posé cette question à M. Currie, alors je vais l’adresser à M. Lefebvre.

Plus tôt ce mois-ci, l’association Pulse Canada a fait parvenir à votre comité un mémoire dans lequel elle soutient que le fait d’enchâsser la protection dans le projet de loi C-282 créerait un dangereux précédent. Elle ajoute que cela inciterait d’autres secteurs à demander la même protection au cours de leurs négociations commerciales, ce qui compliquera la capacité du Canada d’examiner les accords existants et de conclure de nouveaux accords globaux.

Je crois que je sais déjà ce que vous me répondrez, mais je me demande si vous êtes d’accord avec cela. Voudriez-vous nous expliquer ce que vous en pensez?

M. Lefebvre : Je vous remercie pour cette question.

[Français]

Je pense que, dans toute négociation — et on l’a mentionné précédemment —, on fait confiance au négociateur. Dans tous les pays où j’ai eu l’occasion de participer à certaines négociations commerciales, j’ai constaté que chaque pays a ses produits ou ses secteurs qui sont protégés. Je pense que, peu importe l’État ou le pays, les négociateurs font en sorte de négocier des ententes tout en protégeant les secteurs qu’ils ont la responsabilité de protéger.

À ce niveau, je ne vois pas vraiment de problème à faire en sorte que le Canada adopte le projet de loi C-282 pour protéger des secteurs qui sont déjà protégés depuis plusieurs années et pour lesquels on a quand même fait des brèches au cours des années. Si je prends seulement le secteur des œufs, que je connais bien, comme je le mentionnais plus tôt, à partir de l’OMC en passant par l’ACEUM et le PTPGP, on a eu une augmentation de 228,5 % des accès à l’extérieur.

Je pense donc que, à un moment donné, si l’on veut que nos industries demeurent viables et restent dans les régions, qu’elles fassent travailler nos gens, qu’elles développent les économies et qu’elles fassent des investissements, on n’est pas différent des autres États et des autres pays qui protègent certains secteurs pour faire en sorte de les développer. Cela n’empêche pas de mener des négociations avec d’autres pays et de conclure des ententes de commerce. C’est ma lecture de la situation.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Merci. Je voudrais que nous précisions un peu cette question de précédent. Vous nous avez avant tout répondu qu’il faut faire confiance aux négociateurs. Ce projet de loi ne laisse-t-il pas entendre que nous ne croyons pas que nos négociateurs réussiront à protéger le secteur?

[Français]

M. Lefebvre : Absolument pas. Je pense que, à un certain moment, on doit faire en sorte que nos consommateurs, ici au Canada, puissent s’approvisionner en produits de base qui auront un prix stable et une qualité donnée. Je pense que c’est aussi lié à l’économie, comme je l’ai mentionné. Je fais totalement confiance, mais je ne pense pas que les négociateurs pourraient faire en sorte qu’on ne fasse pas correctement leur travail. Ce n’est pas ce que je veux dire. Je leur fais confiance, l’industrie leur fait confiance, mais j’ai expliqué ce que nos membres ressentent et souhaitent. Je pense aussi que les consommateurs canadiens sont au même endroit. J’ai donné des exemples. Je pense qu’on a beaucoup donné au fil des dernières années. Nos industries un peu ont écopé. Dans d’autres secteurs, on a dû le mentionner, mais nous, nous préférons recevoir l’argent du marché plutôt que recevoir des chèques pour compenser des pertes subies à cause de négociations.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Je remercie tous les témoins pour leurs témoignages. J’ai une question pour M. Currie et une pour Mme Nurse. J’espère que j’y parviendrai.

Monsieur Currie, je voudrais bien comprendre les chiffres. Vous avez parlé des répercussions — je crois que vous avez parlé de la « mort à petit feu » — des concessions faites dans trois des accords commerciaux internationaux du Canada sur le secteur soumis à la gestion de l’offre. On nous dit que si le projet de loi C-282 n’était pas adopté, nous assisterons à l’érosion et à la menace continuelle d’érosion du secteur. C’est vraiment inquiétant.

Pourriez-vous nous parler, si vous avez des chiffres, de la force qu’avait le secteur avant ces concessions et de ce qu’elle est devenue depuis? Je ne sais pas comment l’on mesure ces choses, mais quels étaient les chiffres avant ces concessions, et comment le secteur soumis à la gestion de l’offre se présente-t-il aujourd’hui?

Brodie Berrigan, directeur principal, Relations gouvernementales et politique agricole, Fédération canadienne de l’agriculture : Je vous remercie pour cette question. Je vais consulter mes notes. Nous avons des chiffres qui reflètent les graves répercussions des concessions accordées dans les trois derniers grands accords commerciaux. Ils indiquent, par exemple, la croissance des importations de 2014 à 2024, particulièrement quand l’AECG, le PTPGP et l’ACEUM sont entrés en vigueur.

Les importations de produits laitiers au Canada — les concessions octroyées dans ces accords commerciaux ont accru l’accès au marché canadien — sont passées de 899 millions de dollars à 1,5 milliard de dollars, soit une croissance de 67 %.

La sénatrice Coyle : J’ai vu ces chiffres, mais ma question porte sur la santé de votre secteur. Je sais ce qui est permis, mais qu’est-il arrivé aux exploitations agricoles et à votre industrie, si l’on compare la situation d’avant les concessions à celle d’aujourd’hui? Vous êtes-vous adaptés d’une façon ou d’une autre?

Avez-vous ces chiffres à nous présenter?

M. Berrigan : En réalité, ces industries ont dû faire des concessions très importantes. Nos secteurs soumis à la gestion de l’offre et tous les secteurs agricoles du Canada ont dû composer avec une hausse des prix des intrants dans un certain nombre de secteurs. Cette hausse des prix — notamment de ceux des engrais, du carburant, des terres agricoles ainsi que le coût du service de la dette et autres — leur a rendu la vie très difficile pendant cette période. L’ensemble du secteur a également subi de fortes pressions dues à un certain nombre de facteurs mondiaux.

Je n’ai pas de chiffres précis sur la santé globale du secteur. Je sais que ce comité a entendu des commentaires sur l’augmentation des recettes monétaires agricoles, par exemple, dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre pendant la même période où ils devaient composer avec les répercussions des concessions faites dans ces accords commerciaux. Il est vrai que ces recettes ont augmenté dans tous les domaines du secteur agricole pendant cette période. Toutefois, les prix des intrants ont augmenté eux aussi, comme je l’ai déjà souligné.

La sénatrice Coyle : Je comprends. J’aimerais bien voir des chiffres et savoir si quelqu’un fait de la recherche sur les causes et les effets.

Ma question s’adresse à Mme Nurse. Vous avez dit une chose très intéressante. Je ne l’ai peut-être pas bien comprise, alors corrigez-moi si je me trompe. J’ai cru que vous disiez que la stabilité économique que procure la gestion de l’offre incite un plus grand nombre de jeunes agriculteurs à investir dans ce secteur que dans d’autres secteurs agricoles. Vous ai-je bien comprise?

Mme Nurse : Oui.

La sénatrice Coyle : Avez-vous des chiffres à ce sujet?

Mme Nurse : Oui, j’aurais dû inclure les chiffres dans mon mémoire, mais j’y cite les études qui les présentent. C’est tout à fait vrai. Grâce à ce système, les jeunes générations sont plus disposées à investir dans ce secteur que dans les secteurs qui ne sont pas soumis à la gestion de l’offre. J’ai également parlé de la vitalité économique de ces collectivités et de son lien avec le nombre de fermes soumises à la gestion de l’offre dans ces régions.

[Français]

La sénatrice Verner : J’aimerais juste compléter les réponses que M. Currie et M. Lefebvre ont données à une question de mon collègue le sénateur Harder.

M. Lefebvre a parlé de quelques brèches et M. Currie de quelques concessions qui ont été faites au cours des dernières négociations. Si je ne me trompe pas, il y a des compensations financières à hauteur de plusieurs milliards de dollars qui ont été versées pour cela. Est-ce que vous estimez que ce n’était pas suffisant pour compenser la perte de marché?

M. Lefebvre : Merci pour la question. Je pense que nous avons eu droit à des compensations dans l’industrie. Nos membres ont accès à des compensations pour les pertes qui ont été subies lors des dernières négociations. Honnêtement, je pense que cet argent aurait pu servir différemment pour des programmes d’innovation, pour qu’on aille chercher nos revenus sur le marché plutôt que d’être obligés de recevoir des compensations pour des brèches qui se sont produites.

La sénatrice Verner : Des pertes de 4,8 milliards de dollars depuis 2017 — c’est ce que j’ai comme chiffre —, ce n’est quand même pas rien pour les contribuables canadiens.

M. Lefebvre : C’est beaucoup d’argent, mais dans notre secteur, c’est beaucoup moins que cela — sur le plan de la transformation, c’est beaucoup plus — pour ce qui est de la production et des producteurs.

On est probablement sur la même longueur d’onde que les producteurs. On aimerait beaucoup mieux aller chercher notre argent sur le marché que de recevoir un chèque, qu’on aurait probablement un peu de plaisir à retourner et à échanger pour du vrai volume — en ce qui nous concerne — en transformant le poulet, les œufs et la volaille.

La sénatrice Verner : Merci.

Monsieur Berrigan, vous dit certaines choses en répondant à la question de ma collègue la sénatrice Coyle. Elle vous a demandé quel était le niveau de production avant ces accords où il y a eu quelques compensations qui ont été accordées. Comment l’industrie s’est-elle ajustée, et quel est le résultat aujourd’hui? Comment cela s’est-il passé?

Je me questionne sur le fait que vous dites que les coûts pour les producteurs sont beaucoup plus importants maintenant. Vous avez donné en exemple la hausse du prix de l’essence, les taxes sur l’essence, et cetera. Cela ne faisait pas partie des négociations. De toute façon, qu’il y ait eu des concessions ou des brèches, comme vous le dites, on en serait au même résultat aujourd’hui. Tous les Canadiens ont subi une hausse du coût de l’essence et des taxes sur l’essence et tout ce que vous voudrez.

Si on enlève ces éléments, comment peut-on comparer la production avant et les résultats maintenant?

[Traduction]

M. Berrigan : Les producteurs soumis à la gestion de l’offre ont reçu des compensations considérables pour les concessions faites dans le cadre de ces accords. Toutefois, elles indiquent que nous reconnaissions la magnitude de ces concessions. L’accès au marché ainsi accordé est permanent, et cela aura d’importantes répercussions à long terme sur les producteurs.

J’ai mentionné ces autres prix d’intrants parce que je croyais que votre question portait sur la santé globale du secteur. En effet, ces facteurs ont gravement touché les producteurs soumis à la gestion de l’offre et ceux qui se consacrent à l’exportation, et cette situation ne s’est pas améliorée. À ces facteurs s’ajoute maintenant le service de la dette, qui a augmenté de plus de 36 %. C’est le taux le plus élevé que subit ce secteur depuis les années 1980. Ce secteur produit nos aliments et maintient nos objectifs nationaux et internationaux en matière de sécurité alimentaire.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Berrigan. Notre temps est écoulé. Cette discussion a été très utile. Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins, MM. Brodie Berrigan, Keith Currie, Serge Lefebvre et Mme Jodey Nurse. Je souhaite la meilleure des chances à vos nièces.

Pour notre deuxième groupe de témoins, je souhaite la bienvenue à M. Kyle Larkin, directeur exécutif des Producteurs de grains du Canada, M. Patrick Heffernan, chef de l’exploitation de Tree of Life, M. Nathan Phinney, président, et Mme Jennifer Babcock, directrice principale, Affaires publiques et gouvernementales, tous deux de l’Association canadienne des bovins. Nous accueillons aussi M. Christoph Preusser, directeur du Conseil canadien des fromages internationaux.

Bienvenue et merci de vous être joints à nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Nous vous donnons trois minutes afin d’avoir plus de temps pour les questions. Monsieur Larkin, vous avez la parole.

Kyle Larkin, directeur exécutif, Producteurs de grains du Canada : Merci, monsieur le président et membres du comité, de nous avoir invités aujourd’hui.

Notre organisme, Les Producteurs de grains du Canada, est le porte-parole national de 65 000 producteurs de céréales, d’oléagineux et de légumineuses au Canada. En fait, 97 % d’entre eux sont des exploitations familiales. Dans notre rôle d’association de l’industrie céréalière axée sur les agriculteurs, nous préconisons une politique fédérale qui appuie la compétitivité et la rentabilité des producteurs de grains de tout le pays.

Le Canada est un pays axé sur l’exportation. En fait, il se classe au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Il compte sur ses relations commerciales avec des pays de partout au monde pour acheminer ses produits vers les marchés. Il assure ainsi le gagne-pain de milliers de céréaliculteurs partout au pays. Le Canada exporte non seulement des céréales brutes, mais aussi des produits à valeur ajoutée, comme le tourteau de canola, l’orge maltée et l’huile de soya.

En 2023, les producteurs de grains canadiens ont soutenu l’exportation de 55 millions de tonnes métriques de céréales et de produits céréaliers dans plus de 150 pays, générant une valeur d’exportation de 40 milliards de dollars.

Les producteurs de céréales canadiens dépendent entièrement du commerce. Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui pour nous opposer au projet de loi C-282. Ce projet de loi menace considérablement la capacité du Canada d’assurer et d’élargir l’accès de ses producteurs aux marchés internationaux. Comme plus de 70 % du grain canadien est vendu à l’étranger, nous ne pouvons pas risquer d’entraver ces réseaux commerciaux, qui sont essentiels au secteur agroalimentaire canadien et à l’économie en général.

Les céréaliculteurs s’inquiètent surtout des répercussions que ce projet de loi pourrait avoir sur l’examen conjoint de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, l’ACEUM, en 2026. Cet accord concerne deux de nos plus importants partenaires commerciaux. À l’heure actuelle, nous exportons chaque année vers les États-Unis en moyenne 7,9 millions de tonnes métriques de grains, pour une valeur de 9,5 milliards de dollars. Les États-Unis sont donc le principal partenaire commercial du secteur céréalier. Le Mexique, notre cinquième partenaire commercial en importance, importe 2,1 millions de tonnes métriques de nos céréales, pour une valeur de 1,7 milliard de dollars.

Le libre-échange ouvert que l’ACEUM a créé entre nos trois pays doit être maintenu et amélioré. Malheureusement, l’adoption du projet de loi C-282 lierait les mains de nos négociateurs commerciaux et pourrait nuire à d’autres dispositions de cet accord. Comme les deux candidats à la présidence des États-Unis ciblent l’ACEUM dans leur campagne, le secteur céréalier et l’économie du Canada ne devraient surtout pas faire face à un irritant commercial supplémentaire.

Je tiens à souligner que nous ne nous opposons aucunement à la gestion de l’offre. En fait, une grande partie des grains produits par les agriculteurs sert à nourrir les vaches laitières, les poulets et les dindons. Cependant, nous nous opposons à toute restriction imposée à nos négociateurs commerciaux, qui ont toujours réussi à accroître, dans des accords commerciaux, l’accès à des marchés internationaux pour les grains canadiens. En négociant des accords nouveaux et existants, ils ont toujours tenu compte des intérêts supérieurs de tous les Canadiens, notamment de ceux des agriculteurs. Soutenons donc leurs compétences en nous opposant à ce projet de loi néfaste. Merci.

Le président : Merci. Monsieur Heffernan, vous avez la parole.

Patrick Heffernan, chef de l’exploitation, Tree of Life : Merci. Bonjour, honorables sénateurs. Je suis ici aujourd’hui pour vous demander de ne pas appuyer le projet de loi C-282 à cause des répercussions dévastatrices qu’il aura sur de nombreuses petites entreprises au Canada.

Notre organisme, Tree of Life, est l’un des plus importants distributeurs d’aliments spécialisés et naturels au Canada. Bien que nous importions une vaste gamme de produits, je m’adresse à vous aujourd’hui à titre d’importateur de crèmes doubles et de crèmes caillées britanniques. Ces crèmes spécialisées font les délices de millions de personnes dans le monde. Elles sont offertes partout au Canada par plus de 2 000 petites et moyennes entreprises.

Soulignons que ces crèmes cotées pour l’exportation ne sont produites ni au Canada ni dans les pays avec lesquels le Canada a conclu des accords commerciaux. Bien que le Canada ne confectionne aucun produit similaire, Tree of Life s’est heurté à de nombreux défis en essayant d’importer ces crèmes de spécialité britanniques. Pendant des années, nous n’avons joui que d’un faible accès au marché canadien, parce que ces produits dépassaient les quotas de crème existants.

Je tiens cependant à souligner que nous ne préconisons pas le démantèlement de la gestion de l’offre. Nous voulons veiller à ce que la politique des quotas soutienne tous les secteurs.

Au fil des ans, à la demande d’Affaires mondiales Canada, nous avons déployé des efforts considérables pour trouver des fournisseurs nationaux capables de répondre à la demande canadienne. Malheureusement, ces tentatives ont été infructueuses. Comme la demande des consommateurs est constante et que notre pays ne produit pas ces crèmes, on imagine qu’il serait facile d’obtenir des permis d’importation. Malheureusement, c’est tout le contraire. De 2019 à 2021, nous n’avons pu importer aucun de ces produits en franchise. Ensuite, nous avons obtenu des permis temporaires, mais ce manque de certitude entrave la planification et la croissance des entreprises. Nous manquons continuellement de produits, ce qui nous oblige à renvoyer des clients.

Les négociations bilatérales positives menées avec le Royaume-Uni plus tôt cette année ont accru ce niveau d’incertitude. Comme vous le savez peut-être, ces négociations ont été interrompues en janvier en butant sur le problème de l’accès au marché des produits laitiers. Cela souligne la nécessité absolue d’adopter une approche équilibrée qui n’empêche pas des entreprises comme la nôtre de prospérer. Comme nous nous efforçons d’offrir aux Canadiens ces délices britanniques extrêmement particuliers, il est essentiel que les négociations reprennent en appuyant les petites entreprises de tout le Canada.

Toutefois, la mise en œuvre du projet de loi C-282 pourrait compromettre cet appui, car il exclura certains secteurs soumis à la gestion de l’offre des futures négociations commerciales, notamment de cet accord bilatéral avec le Royaume-Uni. Il nuira injustement aux importateurs comme Tree of Life en empêchant d’établir un quota de crème sur mesure.

En fait, le projet de loi C-282 pourrait paradoxalement protéger un secteur inexistant de l’industrie laitière canadienne, tout cela au détriment d’une entreprise très réelle et de ses clients. À cause de ces conséquences imprévues, Tree of Life exhorte respectueusement les sénateurs à s’opposer au projet de loi C-282 .

Merci de m’avoir consacré de votre temps.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Phinney, vous avez la parole.

Nathan Phinney, président, Association canadienne des bovins : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Je représente aujourd’hui 60 000 éleveurs de bovins, et la majorité d’entre elles sont des exploitations familiales situées partout au Canada. J’exploite une ferme juste à l’extérieur de Moncton, au Nouveau-Brunswick, avec ma femme, Jill, et nos trois enfants, Cole, 13 ans, et nos jumelles, Kate et Lauren. Nos enfants désirent eux aussi exploiter une ferme plus tard.

Je suis outré que nous soyons ici aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi d’initiative parlementaire qui n’aurait jamais dû se rendre aussi loin, et tout cela pour des raisons politiques. Le commerce n’est pas un gain politique, c’est mon gagne-pain.

Le secteur canadien du bœuf apporte 21,8 milliards de dollars au PIB de notre pays et crée près de 350 000 emplois équivalents temps plein grâce à notre secteur de valeurs. Nous sommes essentiels à l’économie rurale et à l’ensemble de l’économie canadienne. Je tiens à préciser que le projet de loi C-282 ne porte pas sur la gestion de l’offre. Nous ne sommes pas ici pour parler de la gestion de l’offre. Le projet de loi C-282 n’est qu’une mauvaise politique commerciale.

En cherchant de nouveaux débouchés pour diversifier nos échanges commerciaux, n’oublions pas les États-Unis. Notre secteur à lui seul exporte 50 % de ses bovins sur pied et de sa viande de bœuf. Plus de 70 % de ces exportations vont aux États-Unis. Comme le commerce ajoute 40 % de valeur à nos producteurs, nous sommes en mesure de maintenir des coûts à la baisse pour les Canadiens. Je viens d’entendre, aux États-Unis, que le projet de loi C-282 allait créer des tensions inutiles avant même que l’on entame des négociations. Des représentants des États et des intervenants de toute l’Amérique du Nord ont exprimé leurs vives inquiétudes face aux répercussions que ce projet de loi aura sur nos relations commerciales. Depuis que le Sénat a commencé à l’étudier, les deux candidats à la présidence des États-Unis ont promis de renégocier l’ACEUM. Cela devrait profondément inquiéter toutes les entreprises et tous les fabricants de produits de base au Canada, car 60 % de notre économie dépend du commerce avec les États-Unis.

Le projet de loi C-282 servira de paratonnerre pour les Américains. Les anciens fonctionnaires canadiens et américains ont déclaré publiquement que si une mesure législative comme le projet de loi C-282 avait été adoptée avant la renégociation de l’ALENA, nous n’aurions pas obtenu gain de cause.

Le Canada doit regarder au-delà des prochaines élections canadiennes et envisager son potentiel d’exportation à long terme. Honorables sénateurs, vous avez maintenant deux choix : soit le projet de loi C-282 est adopté, et rien ne change pour la gestion de l’offre, le Canada se place en tête de file des pays protectionnistes, et toute l’économie canadienne est en danger. Ou alors le projet de loi C-282 meurt au Feuilleton, rien ne change pour la gestion de l’offre, mais l’économie canadienne continue à fonctionner comme si rien ne s’était passé.

À un moment où notre économie a besoin de tous les débouchés possibles, nous vous exhortons à rejeter le projet de loi C-282. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Preusser, s’il vous plaît.

Christoph Preusser, directeur, Conseil canadien des fromages internationaux : Honorables sénateurs, je suis l’un des directeurs du Conseil international des fromages du Canada, une association de petits et moyens importateurs et de leurs fournisseurs.

Notre conseil coexiste avec le secteur laitier canadien soumis à la gestion de l’offre depuis plus de quarante ans. Nous acceptons la raison d’être de la gestion de l’offre. Nous ne préconisons pas son démantèlement, mais nous collaborons avec le gouvernement pour veiller à ce que sa politique de quotas respecte nos engagements commerciaux et profite aux Canadiens.

Je suis ici pour expliquer pourquoi les sénateurs ne devraient pas appuyer le projet de loi C-282. Ils devraient considérer sérieusement les répercussions financières que ce projet de loi aurait sur de nombreuses PME qui importent du fromage. Si le projet de loi C-282 est adopté, il risque d’entraver même la possibilité de rouvrir les négociations bilatérales entre le Canada et le Royaume-Uni. Après l’expiration des « lettres sur le fromage » à la fin de 2023, les importateurs canadiens ont dû changer leur méthode d’importation des fromages britanniques.

Le quota que nous devons maintenant respecter est déjà pleinement atteint avec les fromages des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande, de la Suisse et de la Norvège et d’autres régions. Si rien ne change, il ne nous restera que trois options peu attrayantes : cesser d’importer des fromages du Royaume-Uni au Canada, remplacer certaines de nos importations d’autres pays non membres de l’UE par des importations du Royaume-Uni, ce qui créera une pénurie de fromages provenant de plusieurs pays, et importer des fromages du Royaume-Uni avec un tarif de 245,5 %. Cela triplerait le coût de certains fromages déjà sur le marché et les rendrait inabordables pour les Canadiens. Tous ces scénarios pénalisent injustement les entreprises canadiennes, alors que les Canadiens demandent toujours plus de fromages importés.

En effet, selon un sondage effectué par Léger plus tôt cette année, plus de 50 % des Canadiens âgés de 18 à 44 ans croient que le Canada devrait permettre l’importation d’un plus grand nombre de produits laitiers dans les épiceries canadiennes pour stimuler la concurrence et faire baisser les prix. Les Canadiens choisissent leurs fromages comme leurs vins, en fonction de la provenance. Ils devraient pouvoir continuer de le faire.

Ce projet de loi pourrait avoir de très graves répercussions sur nos relations commerciales. Le Canada devrait se conformer aux obligations commerciales existantes et éviter de prendre des mesures antagonistes et protectionnistes comme celles que propose le projet de loi C-282, qui risque de placer notre pays dans une position précaire par rapport à ses alliés. Pour ces raisons, notre conseil exhorte respectueusement les sénateurs à réfléchir aux conséquences désastreuses de ce projet de loi et à voter contre son adoption.

Le président : Merci.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup pour vos exposés. Je vais m’adresser à Tree of Life au sujet de cet accord avec le Royaume-Uni. Pourriez-vous nous en dire plus sur les répercussions que la cessation des négociations a eues sur votre organisme et particulièrement sur l’effet d’entraînement qu’en ont subi les petites entreprises?

M. Heffernan : Merci. Nous n’avons pas réussi à conclure des accords de quota à long terme pour la crème que nous importons. L’accord actuel nous désavantage, parce que cette crème n’est produite ni au Canada, ni aux États-Unis, ni par l’un de nos partenaires commerciaux. À l’instar du tarif imposé sur le fromage que nous avons mentionné, nous devrons imposer un tarif de 292 % pour importer cette crème sans cet accord de libre-échange.

Si cet accord continue d’être bloqué, nous courons le risque de ne plus pouvoir importer ce produit. Même à l’heure actuelle, nous ne pouvons l’importer que temporairement d’une année à l’autre.

La sénatrice Boniface : Merci. Ma question s’adresse soit aux Producteurs de grains du Canada, soit à l’Association canadienne des bovins. Vos commentaires ont été très directs, et je vous en suis reconnaissante. Avez-vous parlé à d’anciens négociateurs ou à d’autres personnes qui vous ont fait part de leurs préoccupations au sujet de ce projet de loi ou des répercussions qu’il aura sur vos activités et sur vos exportations?

M. Phinney : Oui. Essentiellement, il les bâillonnerait même avant le début de ces négociations. Les négociateurs américains qui se trouvaient la table l’ont affirmé très clairement. Ils ont souligné que les tensions qu’il créerait à l’entrée au pays établiraient tout un précédent. Ils nous ont exhortés très sérieusement à vous dire que ce projet de loi les empêcherait d’obtenir les conditions nécessaires pour l’ensemble du Canada.

La sénatrice Boniface : Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que vous ont dit les négociateurs des États-Unis, puisque c’est votre marché principal? Nous avons entendu dire — et vous aussi, j’en suis sûre — qu’ils surveillent cette situation de très près. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, surtout du point de vue des Américains?

M. Phinney : À notre époque, nous ne pouvons pas tenir nos bons partenaires commerciaux pour acquis. Il y a des raisons géopolitiques et des problèmes des deux côtés de la frontière, et le fait qu’une mesure législative contraignante entrave nos négociateurs ne fera qu’aggraver le problème. Nous devons faire preuve d’ouverture d’esprit — c’est ce qu’ils nous disent. Nos négociateurs font un excellent travail. Les négociateurs américains nous ont dit qu’ils font un travail absolument parfait et qu’ils connaissent très bien leur position sur la protection de la gestion de l’offre. Ce projet de loi leur lierait les mains. Ils ne pourront plus assurer l’avenir économique de tous les Canadiens et des producteurs de notre pays.

La sénatrice Boniface : Les Producteurs de grains du Canada ont-ils d’autres commentaires?

M. Larkin : Je suis d’accord avec M. Phinney. Cela créerait un précédent. Sur le plan législatif et juridique, le Canada deviendrait un paria dans le monde, parce qu’il exclurait tout un secteur des négociations commerciales. Sans vouloir sacrifier ce secteur, nous nous devons de laisser tous les outils à la disposition des négociateurs commerciaux en qui nous faisons confiance et qui ont à cœur les intérêts supérieurs du Canada et de son économie. Si nous leur enlevons des outils, nous créerons de graves répercussions sur les négociations commerciales actuelles et futures. Nous parlons beaucoup de l’ACEUM, mais nous participons aussi à bien d’autres négociations commerciales.

Mes collègues ont mentionné le Royaume-Uni et certaines des négociations commerciales qui s’y déroulent. À mon avis, ces négociations illustrent parfaitement la directive de politique que reçoivent nos négociateurs commerciaux. Je n’ai pas besoin de parler aux anciens négociateurs commerciaux assis autour de la table pour savoir qu’ils ont des directives pour protéger ce secteur, et ils l’ont fait lors des négociations commerciales au Royaume-Uni. Il est malheureux qu’elles se soient conclues ainsi, mais cela répond aux doutes que j’ai toujours eus sur la nécessité du projet de loi C-282. Pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi?

Le président : Merci beaucoup. Je suis désolé, le temps est écoulé.

La sénatrice M. Deacon : Monsieur Heffernan, je crois avoir compris l’essentiel de l’information sur la filière de la double-crème et de la crème caillée ainsi que le travail accompli par Tree of Life et sa relation avec l’industrie laitière. J’ai une dernière question à poser avant de partir. Selon vos calculs, combien d’emplois dépendent des importations de Tree of Life?

M. Heffernan : Je vais devoir vous répondre par écrit. Je n’ai pas le chiffre exact sous les yeux en ce moment.

La sénatrice M. Deacon : Très bien, je vous remercie. J’ai lu avec un grand intérêt le témoignage que la présidente de votre entreprise a livré devant le comité de la Chambre à ce sujet, et je vous en remercie.

Je m’adresse maintenant aux Producteurs de grains du Canada. Dans votre site Web, sous la rubrique intitulée Trade and Marketing, il est dit que les producteurs exportent près de 80 % des céréales qu’ils cultivent et que l’accès aux marchés internationaux a une incidence directe sur la rentabilité des agriculteurs canadiens. C’est pour cette raison que la croissance et la diversification revêtent une grande importance. On peut également y lire ceci :

Le commerce bilatéral sans entrave et prévisible ainsi que la diversité des marchés constituent la meilleure protection contre les pénuries, les catastrophes naturelles, les maladies et les fluctuations des prix.

Cela ressemble à l’argument en faveur de la gestion de l’offre. Si le projet de loi C-282 est adopté alors que nos négociateurs ont les mains liées à la table des négociations, quel en serait l’impact sur le Canada en tant que cinquième exportateur de produits agroalimentaires au monde?

M. Larkin : Je vous remercie de cette question. Je constate avec satisfaction que vous avez fait une recherche sur notre site Web.

L’adoption du projet de loi aurait un impact énorme parce que cela créerait un précédent. Quand nos négociateurs commerciaux se rendent dans différents pays du monde, par exemple en Indonésie, en Équateur, aux États-Unis et au Royaume-Uni, ils ont besoin de tous les outils à leur disposition et ils ne peuvent pas dévoiler à leurs interlocuteurs certains enjeux qu’ils ne sont pas autorisés à communiquer. C’est là un principe fondamental de la négociation commerciale qui consiste à mettre des éléments sur la table, à en retirer d’autres et à en garder certains jusqu’à la fin des négociations commerciales. En supprimant cela par voie législative, vous privez les négociateurs d’un outil important pour conclure les meilleurs accords commerciaux possible pour les Canadiens et l’économie canadienne. Cela pourrait avoir un impact énorme.

C’est pourquoi, comme je l’ai dit tout à l’heure, je m’interroge sur la nécessité du projet de loi C-282. Si nous cherchons un équilibre entre la nécessité, qui est inexistante à mes yeux, et le risque, qui sont certes présents à mes yeux, cela me préoccupe vivement, et les céréaliculteurs s’inquiètent également du risque que cela représente pour nos négociations commerciales actuelles et futures.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Nous entendons des points de vue divergents. Nous avons entendu beaucoup de témoins ayant des expériences différentes. D’un côté, le secteur agricole nous dit qu’il est uni sur ce projet de loi et, d’un autre côté, on nous dit qu’il est très divisé. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet. Je peux sans doute faire mes propres déductions à partir de ce que j’entends, mais aux fins du compte rendu, j’aimerais entendre votre avis à cet égard.

M. Phinney : Les producteurs agricoles ne devraient pas être divisés à ce sujet, mais c’est exactement ce que ce projet de loi mal ficelé a fait. Nous travaillons ensemble sur de nombreux fronts; cependant, la gestion de l’offre ne s’applique pas à l’ensemble du secteur agricole, et l’agriculture est en grande partie axée sur le commerce. C’est là que le bât blesse. Nous n’appuyons pas ce projet de loi sous quelque forme que ce soit, et je crois que c’est ce qui crée la division.

Le président : Je vous remercie.

Monsieur Heffernan, je vous signale que si vous voulez nous faire parvenir une réponse par écrit — je pense qu’on vous a demandé de fournir des chiffres —, vous devez l’adresser à Chantal Cardinal, la greffière du comité. C’est notre façon habituelle de procéder ici.

Le sénateur MacDonald : C’est un sujet fascinant. S’il y a une chose qui me réjouit, c’est que le projet de loi a abouti au Comité des affaires étrangères. C’est fantastique.

Monsieur Phinney, il y a essentiellement cinq produits soumis à la gestion de l’offre et ce, depuis plus d’une cinquantaine d’années. Pourquoi d’autres secteurs, comme l’industrie du bœuf ou du porc, n’ont-ils pas adopté la gestion de l’offre il y a 50 ans? À quoi ressemblerait votre secteur aujourd’hui si vous aviez adopté la gestion de l’offre?

M. Phinney : Nous n’aurions pas de secteur parce que nous avons un produit unique, en ce sens que nous prenons un produit fini que nous débitons en une multitude de morceaux. Seules certaines parties de ce produit sont en demande et consommées au Canada. Vous avez parlé de gaspillage alimentaire et de dumping alimentaire. Que devons-nous faire avec le reste des carcasses? C’est ce qui fait notre valeur et c’est ce qui nous permet de contribuer à nourrir le reste de l’humanité.

Notre industrie a l’obligation morale de contribuer à nourrir le monde. Nos produits ainsi que les coupes et les portions diversifiées qui en proviennent nous permettent de le faire. En toute franchise, si nous avions opté pour la gestion de l’offre et avions essayé d’écouler sur le marché toutes les parties d’un bœuf, nous aurions fait faillite. Nous avons besoin de ces valeurs, et nous avons besoin de ces demandes provenant d’autres pays si nous voulons être concurrentiels et maintenir les coûts à un bas niveau pour les Canadiens.

Le sénateur MacDonald : Si je vous ai bien compris, monsieur Heffernan, certains types de crème ne sont pas produits au Canada, est-ce exact?

M. Heffernan : C’est exact.

Le sénateur MacDonald : Pourquoi ne les produisons-nous pas? S’il existe un marché pour ces produits, pour quelle raison ne les produisons-nous pas?

M. Heffernan : Nous parlons expressément de la double-crème et de la crème caillée que nous importons du Royaume-Uni. Comme je l’ai mentionné, nous avons essayé de trouver, par le biais d’Affaires mondiales Canada, un producteur national pouvant fabriquer ces produits. Nous n’avons pas réussi pour deux raisons. Premièrement, le capital qu’un producteur national doit investir pour se lancer dans un projet de cette envergure n’existait tout simplement pas. Il n’y avait pas d’intérêt. Même s’il existe une demande, celle-ci ne suffit pas à justifier la production de ces crèmes chez nous. La production reste donc là où elle est, c’est-à-dire exclusivement au Royaume-Uni, et pourtant le tarif s’applique toujours.

Le sénateur MacDonald : Merci. J’étais simplement curieux de savoir.

Le sénateur Harder : Je remercie nos témoins. J’ai quelques questions à poser, la première est pour M. Larkin. Je vous remercie de votre présence.

Dans votre témoignage, vous avez confirmé que ce projet de loi ne porte pas sur la gestion de l’offre — je suis tout à fait d’accord — et vous avez aussi confirmé que la gestion de l’offre ne vous pose aucun problème. Vous dites pourtant que, dans sa forme actuelle, ce projet de loi créerait un précédent. À votre connaissance, est-ce qu’un pays a déjà eu recours à sa législation primaire créant la capacité de négocier et qu’il la modifie afin de pouvoir négocier un enjeu particulier? Savez-vous si un autre pays a déjà fait cela?

M. Larkin : Non, je ne suis pas au courant.

Le sénateur Harder : N’êtes-vous pas d’accord avec moi pour dire que si ce projet de loi était adopté, il irait complètement à l’encontre des intérêts du Canada?

M. Larkin : Absolument. J’ajouterais qu’un nombre important de céréaliculteurs que nous représentons sont des exploitations agricoles mixtes. Ils produisent de l’orge, du maïs, du soja, mais aussi des produits laitiers, du poulet, du dindon, entre autres. Ces deux volets de leurs activités leur permettent de bien gagner leur vie. C’est pour cette raison que je m’interroge sur la nécessité du projet de loi C-282, car il crée un précédent, comme vous l’avez fait remarquer.

Aucun pays du monde ne lie les mains de ses négociateurs commerciaux, parce que les dirigeants comprennent que le commerce, surtout en cette ère de mondialisation, est important pour leur économie et le bien-être de leurs citoyens. C’est la même chose pour le Canada, d’autant plus que nous occupons le cinquième rang parmi les pays exportateurs de produits agricoles.

Le sénateur Harder : Ma deuxième question s’adresse à M. Phinney. Ce sujet fait généralement débat au sein de la communauté agricole. À mon avis, les risques ne sont pas seulement associés au secteur agricole non assujetti à la gestion de l’offre, mais à d’autres secteurs de l’économie canadienne. Dans le mémoire qu’il nous a adressé, le Conseil canadien des affaires, qui représente surtout de grandes entreprises non agricoles, affirme que ces dernières sont également exposées au risque que vous décrivez. Pouvez-vous nous rappeler pourquoi cela ne touche pas seulement le milieu agricole, mais l’ensemble des exportateurs du Canada?

M. Phinney : Vous avez tout à fait raison, sénateur. Je l’ai clairement compris lors de notre séjour au Japon, il y a environ un an, quand nous avons abordé la question des accords de libre-échange. Le secteur agricole porte peut-être une attention particulière aux accords de libre-échange et à leur fonctionnement. La mission regroupait 150 entreprises de tous les milieux d’affaires — intelligence artificielle, technologie, gaz naturel, entre autres. Ces gens ne comprenaient pas que, si jamais une mesure de cette nature créait un précédent, ce n’est pas seulement l’agriculture qui serait touchée. Ce projet de loi ne les met pas à l’abri contre les mesures potentielles que pourrait prendre un autre pays pour se protéger, si jamais il décidait d’emboîter le pas. Ces entreprises seraient autant à risque que le secteur agricole, si jamais une mesure comme ce projet de loi était adoptée.

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Mes questions s’adressent principalement à vous deux, monsieur Phinney et monsieur Larkin. Je vais d’abord poser mes deux questions, en espérant que vous aurez le temps d’y répondre.

Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur de nombreux aspects de cette question. On nous a notamment dit que les négociateurs commerciaux, même avant la signature des trois accords — surtout les trois accords dans le cadre desquels l’accès au marché a fait l’objet de concessions —, ont fait un excellent travail au nom des Canadiens. Monsieur Phinney, compte tenu de l’essor du secteur bovin et du volume élevé de vos exportations, pouvez-vous commenter les témoignages que nous avons entendus selon lesquels les protections prévues dans le projet de loi C-282 n’empêcheraient pas nos négociateurs de continuer à viser des objectifs élevés pour les industries exportatrices et pour nos industries en général?

Monsieur Larkin, des Producteurs de grains du Canada, je vous pose la même question. Il est important de maintenir l’accès marché pour les céréales, mais la gestion de l’offre et l’industrie céréalière coexistent depuis des décennies, comme vous l’avez fait remarquer. En quoi ce projet de loi, qui met en œuvre la politique gouvernementale, viendrait-il vraiment changer cela?

C’est ce que nous ont dit certains témoins. Nous avons évidemment entendu plusieurs versions de votre témoignage, mais nous avons aussi entendu de nombreuses versions divergentes. J’aimerais que vous commentiez les deux.

M. Larkin : Je peux répondre; je vous remercie, sénateur. Je vais répondre à votre question ainsi qu’à celle du sénateur Harder, car je crois qu’il y a des similitudes entre les deux.

Voici ce qui nous inquiète. Si la gestion de l’offre n’est pas sur la table de négociation, sur quoi portent les négociations alors? Si je me mets à la place de nos homologues américains, par exemple, qui sont sans contredit nos principaux et nos plus importants partenaires commerciaux, que vont-ils chercher à négocier alors? S’ils ne peuvent pas parler de la gestion de l’offre, vont-ils proposer de restreindre les exportations de céréales ou de produits céréaliers vers les États-Unis? Vont-ils parler de l’acier et de l’aluminium? Vont-ils parler des règles d’origine du secteur automobile? Vont-ils demander de hausser le pourcentage en leur faveur par rapport à des endroits comme Windsor ou Oshawa? Vont-ils parler du bois d’œuvre? De nombreux enjeux peuvent être discutés à la table des négociations commerciales.

Je ne dis pas qu’il faut absolument discuter de la gestion de l’offre, mais si vous retirez cet enjeu de la boîte à outils des négociateurs commerciaux, cela va simplement limiter leur capacité d’obtenir les meilleurs accords commerciaux pour les Canadiens et les producteurs de grains canadiens.

M. Phinney : Oui, pour corroborer les propos de M. Larkin, je signale que tous les témoignages que nous avons entendus appuient sans réserve nos négociateurs. Depuis des décennies, ces derniers font un excellent travail pour l’agriculture canadienne. Alors pourquoi faudrait-il leur lier les mains? Pourquoi leur imposer un projet de loi qui crée un précédent? Il y a beaucoup d’hypothèses qui circulent. Le risque en vaut-il la chandelle? Si jamais ce projet de loi est adopté, il subira son premier test avec notre principal partenaire commercial au sud de la frontière.

Le sénateur Gold : Si j’ai encore un peu de temps, permettez-moi de faire un commentaire sous forme de question. Par souci de transparence, ceux d’entre nous qui ont déjà participé à des négociations, quelle que soit leur ampleur, savent qu’il y a toujours des enjeux qui ne sont pas sur la table.

Quoi qu’il en soit, tout le monde sait qu’il y a des lignes rouges que les négociateurs ne peuvent franchir, tant en coulisse que dans le cadre de leur mandat. Une foule d’hypothèses ont circulé, mais n’est-il pas vrai que les risques sont peut-être exagérés par rapport à la réalité, quand vous prenez place à la table des négociations, alors qu’il y a déjà de nombreux sujets très importants pour les deux parties?

M. Phinney : Le Canada a une politique visant à protéger et à préserver l’intégrité de la gestion de l’offre, et je pense que vous ne trouverez pas un seul secteur, d’un côté ou de l’autre, qui n’est pas d’accord avec cela. Mais c’est la partie législative qui pose problème. Encore une fois, en liant les mains des négociateurs et en leur disant de ne pas aborder un sujet particulier à la table, nous envoyons des messages erronés qui font croire que nous sommes un pays commerçant alors que nous semblons être un pays de plus en plus protectionniste.

Le président : Je vous remercie, monsieur Phinney.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Je me réjouis vraiment de vous entendre tous dire que vous êtes pour la gestion de l’offre. Je comprends qu’on peut être en faveur de la gestion de l’offre, mais en même temps, on veut continuer de l’utiliser comme monnaie d’échange — c’est ce que je comprends, en gros. Sinon, il n’y aurait aucune raison de s’opposer à ce projet de loi; c’est parce qu’on veut continuer de l’utiliser comme « monnaie d’échange ».

Les témoins précédents ont expliqué ici que, par le passé, il y a eu 12 accords de libre-échange qui ont été négociés sans faire aucune concession sur la gestion de l’offre. Cela montre bien qu’on peut conclure des accords sans utiliser la gestion de l’offre comme monnaie d’échange.

Dès lors, j’ai du mal à comprendre que vous soyez pour la gestion de l’offre, mais en même temps, vous voulez que l’on continue de l’utiliser comme monnaie d’échange, alors qu’il faudrait plutôt la protéger. La gestion de l’offre est déjà protégée, et vous êtes d’accord pour dire qu’on doit continuer de la protéger.

Pourriez-vous nous donner des raisons objectives — et j’apprécierais vraiment d’avoir des raisons claires — qui vous font croire que ce projet de loi va lier les mains de nos négociateurs? Je ne veux pas entendre des hypothèses, mais des raisons claires. Qu’est-ce qui, par le passé, a fait en sorte que les négociateurs ne puissent pas négocier, alors que 12 accords ont été conclus sans avoir besoin de toucher à la gestion de l’offre?

Je veux vraiment avoir des raisons spécifiques et objectives, pas hypothétiques.

M. Larkin : Merci, madame la sénatrice. Je peux répondre à votre question.

[Traduction]

Je vous remercie pour cette question. Voici ma réponse. Tout d’abord, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous ne sommes pas ici pour dire que nous voulons sacrifier notre secteur soumis à la gestion de l’offre, et nous ne voulons pas non plus le sacrifier dans les négociations commerciales.

J’ai cependant une question à poser aux sénateurs et à l’ensemble des Canadiens. Est-ce que c’est correct d’avoir sacrifié un tout petit peu la gestion de l’offre dans le cadre de nos négociations sur l’ACEUM il y a quelques années ou est-ce que nous ne voulions pas avoir d’accord avec les Américains? Est-ce que nous ne voulons plus avoir d’accord commercial? La même question se pose au sujet de l’AECG et du PTPGP. Voulons-nous sacrifier un tout petit peu...

[Français]

La sénatrice Gerba : Je veux une réponse. Je suis désolée, j’ai posé une question pour savoir si ce projet de loi qui est devant nous aujourd’hui, qui veut protéger des produits essentiels que les Canadiens consomment au quotidien, qui a été adopté par une Chambre représentée par les Canadiens, qui touche les produits des Canadiens, qui sont utilisés par les Canadiens, un projet de loi voté majoritairement par des Canadiens... Pourquoi pensez-vous que cela nuira désormais aux négociations futures? Je veux une réponse claire.

[Traduction]

M. Larkin : Votre question renvoie exactement ce que j’ai dit précédemment. Oui, la majorité des députés a voté en faveur de ce projet de loi, mais ce n’est pas la bonne question qui a été posée. Voulez-vous l’ACEUM, oui ou non? Voulez-vous des accords commerciaux, oui ou non? Voilà la question que vous devez vous poser au sujet de ce projet de loi.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos témoins. Monsieur Phinney, ma première question s’adresse à vous. Vous avez dit que vous allez souvent aux États-Unis, que vous travaillez en étroite collaboration avec vos partenaires et que vos échanges commerciaux avec ce pays sont importants. Qu’en est-il des autres pays vers lesquels vous exportez également? Communiquez-vous régulièrement avec eux pour leur demander ce qu’ils pensent de ce projet de loi et quels pourraient être les avantages ou les inconvénients potentiels?

M. Phinney : Oui, nous passons beaucoup de temps aux États-Unis en prévision des élections présidentielles et de l’examen de l’ACEUM, ou AEUMC, qui a une très large portée. Nous avons toutefois diversifié nos marchés et le PTPGP est un excellent exemple d’un accord négocié pour l’ensemble du Canada. La région de l’Indo-Pacifique et de l’ANASE, où nous concentrons une grande partie de nos échanges commerciaux, est en croissance.

Nous ne voulons pas discuter de ce que nous n’obtiendrions pas si nous décidions de lier les mains de nos négociateurs dans le but d’obtenir le meilleur accord commercial possible. Nous n’étions pas le seul secteur concerné. D’autres secteurs, tant non agricoles qu’agricoles, ont tous profité de ces accords commerciaux.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Larkin, nous avons vu les répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur les exportations de céréales, particulièrement à destination du Moyen-Orient. Le Canada est intervenu pour combler certaines pénuries. À votre avis, un projet de loi comme celui-ci pourrait-il avoir un impact négatif sur cette route d’exportation et porter préjudice aux pays qui dépendent de certains de nos produits agricoles?

M. Larkin : C’est une excellente question. Nathan Phinney en a déjà parlé. Compte tenu des abondantes ressources dont dispose le Canada, nous avons la responsabilité d’en faire profiter le reste du monde. Nous répondons à des besoins alimentaires très élevés dans plus de 150 pays. Je suis d’accord avec vous. Nous avons dû intervenir à cause de la guerre. Je suis heureux de voir que le secteur agricole de l’Ukraine se redresse. Nous sommes peut-être en train de revenir au point où nous étions, mais il fallait que nous réagissions.

Je ne suis pas certain que ce projet de loi aurait une incidence sur ce commerce, parce que cela aurait plutôt une incidence sur les accords commerciaux que nous avons à l’échelle mondiale. Nous n’avons pas encore conclu d’accords commerciaux avec bon nombre de ces pays. Pour ce qui est de l’avenir, vous devez vous demander si un projet de loi comme celui-ci pourrait avoir un impact sur d’éventuelles négociations commerciales avec des pays d’Afrique, par exemple. La réponse est oui.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Heffernan, je tiens à vous remercier pour la crème double et la crème caillée. Avez-vous un prix spécial pour les sénateurs?

M. Heffernan : Nous pouvons vous en faire parvenir.

Le président : Sénateur, je n’ai encore jamais déclaré un commentaire comme étant irrecevable, mais je suis sur le point de le faire.

La sénatrice Coyle : Je remercie les témoins de leur présence. C’est une véritable partie de ping-pong qui se déroule ici. Cela fait clairement partie de notre travail.

Monsieur Phinney, vous avez dit que le commerce n’était pas une joute politique, mais que c’était votre gagne-pain. Vous avez aussi dit que ce projet de loi est une mauvaise politique. Il a pourtant été adopté par un grand nombre de députés à la Chambre des communes, pas par tous, mais par bon nombre d’entre eux. Cela ajoute de la pression sur nous, comme vous pouvez l’imaginer. Pouvez-vous nous expliquer le plus clairement possible pourquoi il s’agit d’une mauvaise politique?

M. Phinney : Premièrement, il créerait un précédent. Le Canada serait le premier pays à adopter une mesure de cette nature. Nous ne savons pas quelles réactions cette mesure suscitera. Ce projet de loi ne vaut pas le risque. Il y aurait trop de conséquences. Sa portée est trop large.

En ce qui concerne votre premier point, je tiens à remercier sincèrement le Sénat de ne pas avoir cédé à la pression politique visant à accélérer le processus, d’avoir pris le temps de faire un examen approfondi du projet de loi et d’essayer de comprendre à quel point ce projet de loi est mauvais. Au nom de mon industrie et de mon gagne-pain, je vous remercie tous d’avoir pris le temps d’en faire un examen rigoureux.

La sénatrice Coyle : Je pose cette question par curiosité, sans savoir qui pourra y répondre. Dans le cadre de la négociation de précédents accords commerciaux — nous ne sommes pas tous des experts du commerce, mais nous apprenons —, je sais que nous avons fait des concession dans le cadre des trois accords dont nous avons parlé. Nous avons fait certaines concessions qui ont soulevé des inquiétudes dans les secteurs soumis à la gestion, pour des raisons évidentes. À votre connaissance, est-ce que des concessions ont été faites dans d’autres secteurs agricoles, des concessions qui ont entraîné des conséquences, peut-être moins graves que celles dont nous parlons?

M. Phinney : Tout d’abord, si nous parlons de compensation pour les concessions — et nous parlons tous de faits et de chiffres —, comment déterminer le coût de la perte potentielle résultant d’une entente en raison d’un projet de loi comme celui-ci?

Comment indemnisez-vous équitablement les producteurs de céréales, de bœuf et de canola qui ont perdu 21,8 milliards de dollars de revenus à cause d’un accord commercial? Il y a beaucoup d’hypothèses. Il est difficile d’évaluer le contrecoup ou les pertes qui en découleraient, avant même de commencer à parler de compensation.

La sénatrice Coyle : L’argument à l’appui de ce projet de loi repose en partie sur le fait qu’il y a eu érosion de la production — et on craint qu’elle ne s’aggrave — dans le secteur agricole soumis à la gestion de l’offre. Les agriculteurs en ont fait l’expérience. C’est l’un des arguments que nous entendons.

Cette érosion s’est-elle produite dans d’autres secteurs agricoles, pas de manière hypothétique, mais réelle? Avons-nous été obligés de faire des concessions?

M. Larkin : Je peux vous dire ce qui s’est passé dans le secteur des céréales, si vous voulez.

Pour nous, la question n’est pas de concéder quelque chose, mais de prendre. Nous faisons des affaires sur le marché international. Nous voulons accaparer la plus grande part du marché possible. Quand nous perçons sur le marché mondial, nous sommes constamment en concurrence avec des pays qui, pour être honnête, sont plus grands et plus prospères que nous, par exemple, les États-Unis, l’Australie, l’Union européenne et le Brésil. Le Brésil accroît de jour en jour ses exportations agricoles sur le marché mondial. Les Brésiliens arrivent à pénétrer des marchés que nous avons encore du mal à percer.

Quand nos négociateurs commerciaux et nos secteurs visent les marchés internationaux, nous essayons toujours d’élargir notre accès aux marchés. Nous essayons toujours de développer les marchés où nous sommes déjà présents, mais aussi dans d’autres pays, au moyen d’accords commerciaux, de négociations ou autrement.

Pour nous, il s’agit davantage de saisir l’occasion d’accroître nos exportations pour enrichir l’économie canadienne.

Le président : Je vous remercie.

Chers collègues, nous en sommes à notre deuxième tour de questions. Il nous reste une dizaine de minutes tout au plus. Cinq sénateurs veulent poser des questions. Vous pouvez retirer volontairement votre nom de la liste, si vous le souhaitez. Nous allons faire des tours de deux minutes et demie.

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à M. Preusser. On ne vous a pas entendu beaucoup dans ce débat aujourd’hui. Je vais vous donner l’occasion de participer. Ma question porte sur l’intérêt implicite du consommateur canadien. Votre Conseil est d’avis qu’il faut donner le choix au consommateur canadien. Pouvez-vous nous expliquer quelles seront les principales répercussions de ce projet de loi sur les consommateurs canadiens?

M. Preusser : Je vous remercie de cette question. Vous avez raison. Prenons, par exemple, l’entente conclue entre le Royaume-Uni et le Canada. Comme nous l’avons vu, les négociations ont été rompues, principalement à cause de la filière du lait.

Plusieurs de nos membres ont eu de la difficulté à faire venir d’Angleterre les fromages que les consommateurs canadiens recherchent. De plus, certains des fromages qu’ils ont obtenus coûtent plus cher en raison des contingents d’importation en vigueur.

Au début de l’année, notre organisation a mené un sondage auprès des Canadiens pour savoir ce qu’ils voulaient. La grande majorité a répondu vouloir un plus grand choix de produits sur les tablettes. Plus le choix est grand, plus la concurrence est forte et plus les prix sont plus bas. C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes contre ce projet de loi.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Gold : Vous avez tous dit que vous étiez en faveur de la gestion de l’offre. Je comprends cela.

Dans leurs témoignages, les intervenants soumis à la gestion de l’offre ont insisté sur l’importance de cette mesure pour la sécurité alimentaire des Canadiens, pour les économies et les collectivités régionales ainsi que pour les familles. Ils ont ajouté que la perte de 20 % du marché leur posait un sérieux problème. Je parle de gens de partout au pays, comme ceux que vous représentez.

Que voulez-vous dire à ces personnes quand vous dites que soit nous avons un accord de libre-échange, soit nous perdons la possibilité de conclure des accords de libre-échange si nous cédons davantage sur la gestion de l’offre? Que dites-vous aux familles d’agriculteurs qui survivent et aux collectivités qui comptent sur la gestion de l’offre pour assurer la stabilité et la sécurité alimentaires?

M. Phinney : Je le vis au quotidien en tant qu’agriculteur familial. Je dirais que la gestion de l’offre n’a pas un monopole sur les fermes familiales. Toutes les exploitations agricoles du pays, peu importe ce qu’elles produisent, sont des fermes familiales. De plus, elles ne produisent pas seulement des aliments destinés aux Canadiens; nous avons l’obligation morale, comme je l’ai dit tout à l’heure, de nourrir le reste du monde.

Nous avons beau comprendre la gestion de l’offre et y être favorables, nous sommes tous... J’ai trois enfants qui veulent travailler en agriculture. Si nous n’avons pas une solide assise commerciale pour le secteur bovin, ils n’auront pas cette possibilité.

Le sénateur Gold : Avez-vous quelque chose à dire aux gens qui prétendent que votre opposition à ce projet de loi met leur avenir en péril?

M. Larkin : Permettez-moi de renchérir sur ce que vient de dire M. Phinney.

Dans ma déclaration préliminaire, j’ai mentionné que 97 % des 65 000 fermes céréalières que nous représentons sont des fermes familiales. Tout comme celle de M. Phinney, ces fermes sont exploitées par des mères, des pères, des fils et des filles. Beaucoup de jeunes agriculteurs veulent se lancer dans ce secteur, mais ils ne pourront travailler dans le secteur céréalier et le secteur agricole en général que si nous avons des accords commerciaux en place qui favorisent leur rentabilité et leur permettent de vivre de leur travail. Sans accords commerciaux, nous n’aurions pas l’industrie céréalière que nous avons aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je voudrais juste vous donner quelques chiffres. Selon un sondage d’Abacus Data paru en 2023, 9 Canadiens sur 10 affirment qu’il est important pour eux que les produits laitiers, les œufs, les poulets et la dinde qu’ils achètent proviennent du Canada; 97 % croient qu’il est important que le Canada ait une chaîne d’approvisionnement alimentaire nationale robuste qui nous permet de produire suffisamment de nourriture pour alimenter les Canadiens tout au long de l’année; enfin, 94 % des Canadiens estiment aussi que c’est une bonne chose lorsqu’ils apprennent qu’un aliment a été produit par un producteur canadien sous gestion de l’offre, qui impose des normes importantes et obligatoires relativement à la salubrité alimentaire et au bien-être animal.

Considérant que les Canadiens ont à cœur leur production locale et leur sécurité alimentaire, pourquoi mettre en jeu la gestion de l’offre? C’est en fait ce que vous demandez de faire, si on refuse d’aller de l’avant et qu’on laisse tomber ce projet de loi.

Le président : À qui s’adresse la question?

La sénatrice Gerba : À MM. Preusser et Phinney.

M. Preusser : Je vous remercie pour la question.

[Traduction]

Nous ne sommes pas contre les systèmes de gestion de l’offre et des produits. Les consommateurs, et j’en suis moi-même un, ont simplement l’impression de ne pas avoir de choix. À titre d’exemple, quand les consommateurs vont au supermarché, ils choisissent leur vin en fonction de sa provenance. Ils devraient aussi pouvoir choisir leurs fromages en fonction de leur provenance. Les consommateurs ont aussi clairement indiqué qu’une concurrence plus forte ferait baisser les prix. Voilà pourquoi je suis d’avis que nous pouvons avoir les deux. Nous composons avec le système de gestion de l’offre, surtout pour les fromages, depuis 40 ou 50 ans, c’est donc possible d’y arriver.

M. Phinney : Notre industrie est fière de nourrir les Canadiens et de fournir de la viande de bœuf salubre à l’ensemble des Canadiens. La moitié de notre production est consommée, et l’autre moitié — comme je l’ai dit plus tôt dans mon témoignage — se compose de morceaux dont les Canadiens ne veulent pas. C’est ce qui nous permet de contribuer à nourrir le monde, et nous allons continuer à miser là-dessus et à nous assurer que chaque Canadien peut avoir sur sa table des aliments sains produits au Canada.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Larkin, j’ai une question à vous poser. Elle concerne notre relation avec le secteur céréalier américain. Nous avons une importante industrie céréalière qui exporte vers les États-Unis, surtout du canola et d’autres produits importants. Est-ce qu’une partie de cette industrie serait particulièrement vulnérable si les États-Unis décidaient de réagir à ce projet de loi, si jamais il était adopté? Si les Américains réagissaient en s’attaquant à l’industrie céréalière canadienne, est-ce qu’une céréale en particulier serait vulnérable?

M. Larkin : C’est une excellente question.

À mon avis, toutes les céréales seraient vulnérables, mais si je devais en nommer une en particulier, je dirais le canola. Il y a un énorme marché en plein essor — mes collègues du Conseil canadien du canola pourraient vous en dire plus à ce sujet —, et il y a un débouché très intéressant pour la farine et l’huile de canola sur le marché américain. Les Américains le savent; ils savent qu’ils ont besoin de ces produits. C’est ce qui explique cet essor. Mais ils savent aussi qu’il y a là une vulnérabilité.

Le sénateur MacDonald : Qui sont nos principaux concurrents? D’où provient la concurrence dans l’industrie du canola?

M. Larkin : Une grande partie provient clairement des agriculteurs américains. Les États-Unis produisent beaucoup de soja et d’huile de soja. Ils cultivent du soja. Les Américains importent aussi du monde entier d’autres huiles destinées à la production de biocarburants. À mon avis, ces huiles sont beaucoup plus polluantes que l’huile de canola. Pensons à l’huile de palme, par exemple. Des concurrents mondiaux cherchent toutefois à exporter leurs huiles aux États-Unis, en grande partie pour la production de biocarburants. Si vous allez faire le plein à une station-service en Californie, vous aurez toujours le choix entre le diésel ordinaire ou le biodiésel. C’est un marché en plein essor aux États-Unis.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons épuisé tout le temps à notre disposition. Vous avez généreusement contribué à alimenter notre réflexion, tout comme le groupe précédent. Je tiens à remercier chacun d’entre vous au nom de tous les sénateurs du comité. Nous vous sommes reconnaissants pour vos témoignages.

Chers collègues, avant de lever la séance, je vous rappelle que nous nous réunirons à nouveau demain, à 11 h 30 pour poursuivre notre étude du projet de loi C-282.

(La séance est levée.)

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