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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 22 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner l’état de la santé des sols au Canada et en faire rapport.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bonjour. C’est agréable d’être de retour en personne et de voir vos visages souriants. Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue, à vous et à nos témoins, à cette réunion que je qualifierais d’historique. Je suis le sénateur Robert Black de l’Ontario, et je préside ce comité.

Ce matin, le comité tient sa première réunion pour étudier, afin d’en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. C’est un grand jour pour le Comité de l’agriculture et des forêts. Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais que nous nous présentions. Nous commencerons le tour de table par notre vice-présidente.

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, et je viens du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue à tous. Je suis Marty Klyne, de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le président : Aujourd’hui, nos témoins se joindront à nous par vidéoconférence. J’ai le plaisir d’accueillir M. Don Lobb, agriculteur, à titre personnel, et M. Cedric MacLeod, directeur général de l’Association canadienne des plantes fourragères. Le comité a déjà entendu ces deux témoins le 2 mai 2019, si je me souviens bien. Nous sommes heureux de vous revoir et nous avons hâte de vous entendre.

Nous vous invitons à présenter vos exposés, après quoi, nous passerons à la période des questions. Vous disposez de 15 minutes chacun, mais vous pouvez terminer avant. Nous avons hâte de vous entendre.

Permettez-moi d’abord de souhaiter la bienvenue à la sénatrice Duncan. Vous avez la parole, sénatrice, si vous voulez bien vous présenter.

La sénatrice Duncan : Bonjour, je suis Pat Duncan, du Yukon.

Le président : Je vous remercie.

Don Lobb, agriculteur, à titre personnel : Honorables membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je vous remercie de me donner le privilège de témoigner à cette réunion. Je vous remercie tout particulièrement en raison de l’importance du sol. La vie commence dans le sol. Le sol nourrit les végétaux, les animaux et les humains. La disponibilité des aliments en détermine le coût, et ce coût détermine ensuite la quantité de tous les autres biens que nous pouvons nous offrir. La productivité du sol détermine donc notre qualité de vie, tout en soutenant l’économie. L’histoire a démontré que lorsque le système alimentaire s’effondre, les gouvernements sont voués à l’échec.

Mon témoignage est motivé par l’inquiétude soulevée par l’état de nos sols et leur capacité à produire des aliments sains et abordables de façon durable. Tout cela a des conséquences pour mes enfants et les vôtres, sans parler des répercussions à long terme. J’aborde cette question en tant qu’agriculteur de carrière qui a consacré beaucoup d’énergie à étudier, bonifier et adopter une vaste gamme de pratiques de gestion du sol et de l’eau. Ces pratiques ont amélioré la santé et la productivité des sols, et ce, de façon durable et plus rentable.

Depuis la parution du rapport du Sénat du Canada, Nos sols dégradés, dirigé par le sénateur Sparrow il y a quatre décennies, beaucoup de choses ont changé et trop de choses n’ont pas changé. De façon générale, la gestion des sols s’est améliorée. Le rendement des cultures a augmenté grâce à l’amélioration de la génétique des plantes et des pratiques culturales. Cette amélioration a toutefois occulté l’impact de la dégradation des sols que nous constatons dans toutes les régions du Canada et qui est souvent le résultat de la pression exercée pour augmenter la production et des résultats trompeurs des pratiques de gestion des sols.

Les obstacles historiques à la production durable d’aliments et de fibres sont toujours présents, notamment l’occupation humaine et la construction d’infrastructures sur nos sols les plus productifs, la perturbation du cycle de gestion des nutriments au fur et à mesure que les collectivités urbaines et les exploitations agricoles prennent de l’expansion ainsi que les pratiques de travail du sol dans la production agricole. Pour garantir une production alimentaire durable et un environnement sain au Canada, nous devons prendre des mesures pour éliminer ces obstacles. Je vais m’attarder sur ce sujet.

Les résultats des recensements canadiens indiquent que, depuis 1971, la perte de terres agricoles au profit d’une utilisation non agricole est passée à 6,37 millions d’hectares de nos meilleures terres. C’est l’équivalent d’une bande de terre de 12,25 km de largeur sur une longueur de 5 000 km. Selon l’Institut canadien des politiques agroalimentaires, l’ampleur de la perte a plus triplé durant la période visée par les trois derniers recensements et représentait, en 2001, près de 500 hectares par jour. Ces terres agricoles sont perdues à jamais, ce qui repousse la production agricole vers des terres plus fragiles et plus écosensibles — des terres sur lesquelles la production alimentaire est plus faible et moins fiable.

Une tendance préoccupante est l’utilisation des sols par des exploitants qui n’en sont pas propriétaires. Selon Financement agricole Canada, en 2016, 43 % de nos meilleures terres étaient louées, ce qui représente une hausse de 9 % au cours des cinq années suivant le recensement de 2011. Nos meilleures terres agricoles sont ainsi devenues un bien à utiliser jusqu’à leur épuisement.

Parmi les nutriments provenant des cultures qui quittent le sol, seule une infime quantité retourne d’où elle vient. Le vide ainsi créé dans le cycle des nutriments a été comblé par des engrais minéraux provenant de ressources non renouvelables. Pour garantir la production d’aliments sains, il faut trouver d’autres moyens de le combler.

Le recensement de 2021 indique qu’il y a eu une reprise du travail du sol durant la période visée par les deux derniers recensements et que la perturbation excessive du sol s’est poursuivie dans un trop grand nombre d’exploitations agricoles. En érodant et en déstabilisant les sols, le travail du sol libère du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et perturbe la relation entre le sol et l’eau, ce qui constitue le premier facteur limitant la production agricole. À la longue, le travail du sol nous conduit au point de bascule de la production alimentaire.

La santé des sols est menacée par de nouveaux risques, notamment les pressions exercées pour la production de cultures destinées aux marchés où les répercussions environnementales ne sont pas pleinement prises en compte. Il existe plusieurs exemples. Prenons les produits Beyond Meat. Leur fabrication exige des cultures plus riches en protéines, et leur production entraîne une perte nette de la matière organique du sol. Les résultats des analyses de sols en Ontario le confirment. Lorsque la matière organique est réduite, la capacité de rétention de l’eau et la productivité des sols le sont également.

Il est clair que dorénavant, la gestion du sol, de l’eau et de l’air ne peut jamais se faire séparément, puisque chaque élément a un impact sur les deux autres. La seule façon d’assurer une production alimentaire durable consiste à imiter la nature. Cela est possible si nous produisons sans travail du sol ou avec un travail du sol en bandes, en combinaison avec des cultures de couverture et une gestion minutieuse des résidus de culture. Sur les terres fragiles, où le travail du sol est encore plus destructeur, la production alimentaire durable ne peut être réalisée qu’en cultivant des fourrages vivaces qui sont transformés par les ruminants pour produire de la nourriture. Pour répondre à la demande alimentaire mondiale, il sera de plus en plus nécessaire de cultiver sur des terres fragiles.

Outre les défis que nous devons relever au Canada, la croissance démographique et la demande alimentaire mondiales dépassent la capacité de produire des aliments de façon durable. Cela entraîne donc un épuisement des sols et de la productivité, tout simplement.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la croissance démographique mondiale annuelle d’environ 70 millions de personnes a entraîné une perte de 20 % des terres cultivées au cours de la période de 40 ans entre 1960 et 2000, et cette perte s’accélère. De 2010 à 2014, l’urbanisation mondiale a augmenté de 23 %, et ce :

de manière disproportionnée sur les terres les mieux adaptées à la production agricole. Cela représente une perte de 2,5 % de la production mondiale de céréales vivrières en cinq ans.

D’autres processus de dégradation des sols contribuent considérablement à la perte de productivité.

De plus, à peine 2 % de la superficie de terres agricoles du monde produisent 40 % de la nourriture mondiale. Il s’agit surtout de terres irriguées, et l’approvisionnement en eau pour l’irrigation est de plus en plus irrégulier et limité. Si nous ajoutons à cela les conséquences de la sécheresse, des inondations et de la guerre, il est clair que les terres agricoles du Canada seront bientôt soumises à de fortes pressions extérieures. Comme seulement 6,7 % de nos terres sont propices à la production agricole, comment pourrons-nous relever ce défi de façon durable? Une action stratégique s’impose dès maintenant.

Les conclusions et les recommandations du comité sénatorial seront d’une grande utilité pour établir notre feuille de route pour l’avenir. Nous devons définir le terme « durable » avec précision et objectivité dans le contexte des sols et de la production alimentaire. Ce terme ne doit pas être un mot parmi d’autres utilisés de façon vague ou malhonnête à des fins de marketing.

Avec le soutien des citoyens, des planificateurs, des décideurs et des élus, nous devons mettre fin à l’utilisation de nos meilleures terres agricoles aux fins de développement non agricole.

Nous devons calculer le coût réel des aliments en tenant compte du coût de la dégradation des sols. Cela nous donnerait la valeur à partir de laquelle les Canadiens peuvent investir dans l’entretien et la protection des sols. Nous savons que l’érosion à elle seule coûte plus de 3 milliards de dollars par année. Ajoutons à cela le compactage, la sédimentation des voies navigables, l’incidence des terres cultivées dans les inondations et d’autres facteurs.

Nous devons mesurer l’efficacité de la production alimentaire en termes de calories produites par litre d’eau utilisé, car l’eau est le premier facteur limitant la productivité du sol.

Nous devons veiller à ce que tous les travaux de recherche agricole analysent la gestion du carbone dans le sol, la stabilité de la couche arable et la gestion précise de l’eau. La création du Programme des laboratoires vivants par Agriculture et Agroalimentaire Canada constitue un grand pas pour adapter l’étude des sols aux conditions mondiales réelles et aux pratiques agricoles.

Nous devons établir des bases de référence pour être en mesure de surveiller les tendances en matière de productivité, d’utilisation et d’entretien des sols. Les agrégats de sol stables à l’eau devraient être considérés comme le principal indicateur de la santé des sols.

Nous devons promouvoir l’éthique de conservation des sols comme le principal symbole professionnel de l’ensemble des propriétaires terriens et utilisateurs de sol, notamment des 10 % qui utilisent le sol pour générer les deux tiers de la totalité des revenus agricoles. Il ne sera pas possible de faire des progrès significatifs tant que ce groupe ne prendra pas de sérieuses mesures à cet égard.

En particulier, la responsabilité de la protection et de la conservation des sols doit incomber à l’ensemble du gouvernement, bien au-delà de la sphère de l’agriculture, car l’abondance alimentaire est essentielle au bien-être de la société et à la stabilité politique. Le sol est une ressource stratégique.

En résumé, aucune civilisation n’a jamais survécu aux conséquences d’une mauvaise utilisation des sols ou d’une exploitation agricole excessive. Avec le déclin de la production alimentaire, les gens n’ont cessé de repousser les frontières de l’agriculture. C’est l’histoire de la Mésopotamie, de la Grèce, de Rome et de bien d’autres civilisations. Aujourd’hui, la quasi‑totalité des sols les plus productifs du monde est déjà utilisée. Nous avons atteint l’ultime frontière. Cette frontière exige une gestion intensive des sols axée sur la santé. La survie à cette frontière dépend des avancées scientifiques et de l’entretien des sols afin de garantir la viabilité de l’agriculture intensive.

Depuis la parution du rapport Des sols dégradés en 1984, nous avons acquis de nouvelles connaissances sur les coûts liés à la dégradation, aux procédés agricoles et à la restauration des sols. Des agriculteurs progressistes et des scientifiques des sols ont démontré que, non seulement nous pouvons mettre fin à la dégradation des sols, mais que nous pouvons les régénérer et les reconstruire, tout en augmentant le rendement des cultures et la rentabilité des exploitations agricoles et en améliorant l’environnement. Pour la première fois dans l’histoire, nous disposons des outils et de la technologie nécessaires pour produire des aliments de façon durable. La durabilité est maintenant une question de choix. Nous devons analyser rigoureusement l’état des sols canadiens et prendre les mesures qui s’imposent pour les protéger et garantir leur productivité à long terme.

Avons-nous la vision, la détermination et le courage de formuler des recommandations difficiles, parfois impopulaires, pour le bien de la société? Nos choix sont importants. Si nous ne faisons pas des choix judicieux, comment pourrions-nous expliquer cela aux arrière-petits-enfants de nos petits-enfants, dans sept générations? Ce sol est leur sol, c’est la source de leur approvisionnement alimentaire. Nous avons tous un travail important à faire dès maintenant. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, monsieur Lobb.

Cedric MacLeod, directeur général, Association canadienne des plantes fourragères : Merci, sénateur Black, et merci également aux membres du comité de m’avoir invité aujourd’hui.

Sénateur Black, je tiens à vous féliciter d’avoir lancé cette initiative et je félicite également M. Lobb. Je sais qu’il a été un grand champion de ce projet. Félicitations à vous deux. Et merci de me faire l’honneur de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je vais d’abord vous décrire brièvement mon parcours et vous expliquer comment je suis devenu un membre de la famille Lobb. Au cours de ma première année d’université, je me suis inscrit à un programme d’études préparatoires à la médecine vétérinaire par amour de l’agriculture animale. Le professeur Ralph Martin, qui dirigeait un cours d’introduction, a parlé de la durabilité de sols. Il a expliqué que l’érosion des sols était un obstacle à leur viabilité à long terme. J’ai été frappé de plein fouet parce que je suis originaire de la région de la pomme de terre, ici au Nouveau-Brunswick, la patrie de McCain Foods, où le travail intensif du sol fait partie de l’industrie. Ces rivières brunes, je les ai vues durant toute mon enfance et je les ai revues ensuite sur vidéos à l’université. Après avoir assisté au cours du professeur Martin ce jour-là, j’ai changé d’orientation et me suis inscrit à une majeure en science des sols. Je ne l’ai jamais regretté.

Tout au long de ce parcours, M. David Lobb, le fils de Don, donnait parfois des conférences auxquelles j’assistais avec grand intérêt. Le professeur Lobb m’a ensuite invité à le retrouver à l’Université du Manitoba, où j’ai terminé ma maîtrise, toujours en science des sols. Ma recherche portait sur la réduction du travail du sol et la durabilité dans les Prairies canadiennes.

Dès mon retour chez moi à la fin de mes études, j’ai été recruté pour travailler à Ottawa dans le domaine des gaz à effet de serre. J’ai acheté une ferme, et ma première acquisition a été un semoir à céréales à semis direct et je ne l’ai jamais regretté. Je l’ai acheté sur le chemin tout près de l’endroit où vit maintenant M. Lobb.

Si je vous décris mon parcours, c’est parce qu’il fait écho aux propos de M. Lobb, au changement que nous n’avons pas encore vu et aux connaissances que nous avons. Quand j’ai acheté ce semoir à semis direct et que je l’ai apporté dans le comté de Carleton — le pays de la pomme de terre —, j’en ai fait sourciller plus d’un. Nombreux sont ceux qui m’ont dit que « cette machine ne fonctionnerait jamais ici, pas dans ces sols ». Mais je ne l’ai jamais regretté et un changement est en train de se produire. Les choses changent trop lentement, à mon avis. En effet, reportons-nous au 26 février 1937 quand le président Roosevelt a dit : « La nation qui détruit son sol se détruit elle‑même. » M. Lobb a donné des exemples de toutes ces civilisations qui, tout au long de l’histoire, ont été témoins de cette dégradation des sols.

Le moment est donc venu d’adopter la stratégie sur l’importance des sols et de se doter d’une stratégie nationale sur la santé des sols au Canada. Je vous félicite, sénateur Black, de faire avancer ce dossier.

À titre de directeur général de l’Association canadienne des plantes fourragères, je voudrais parler du rôle important que jouent les plantes fourragères vivaces dans le paysage. C’est une partie importante de ce que nous faisons. J’ai quelques observations à faire sur la valeur de ce secteur fourrager et sur ce que cela signifie pour la durabilité à long terme. Par la suite, j’ai hâte de discuter avec M. Lobb de la façon dont nous pouvons promouvoir cette cause et la faire avancer.

Dans l’agriculture canadienne, le secteur fourrager constitue le principal type d’utilisation des terres, avec plus de 70 millions d’acres couverts d’un océan à l’autre de cet or vert. Mais le défi que nous voyons, c’est qu’entre les années de recensement 2011 et 2016, un peu plus d’un million d’acres de parcours naturels, de prairies millénaires, ont disparu. Lorsque nous perdons ces prairies et qu’elles servent à la production de cultures annuelles, il y a une perte importante de carbone, de biodiversité et d’autres facteurs, dont je parlerai plus tard.

De plus, pour ce qui est du fourrage cultivé — qui est principalement ce que nous voyons dans l’est du pays, partout en Ontario, comme les cultures de luzerne et de fléole des prés —, nous avons observé une diminution semblable d’un peu moins de 800 000 acres. Cela donne donc, au total, 1,8 million d’acres perdus en cinq ans. Je n’ai pas eu le temps d’examiner le nouveau recensement, mais je soupçonne que cette tendance se poursuit. À mesure que nous perdons cette couverture permanente, il y a beaucoup de choses qui vont de pair, et c’est là que la stratégie sur la santé des sols devient vraiment importante.

Mes notes d’allocution, que j’ai communiquées à la greffière, font mention de certaines contributions économiques du secteur des cultures fourragères. Je ne vais pas en parler maintenant. J’aimerais parler davantage de la contribution environnementale de ces prairies et de ce qu’apporte leur couverture végétale permanente.

De toute évidence, en cette période de changement climatique, qui aura un impact sur la santé des sols en raison de l’irrégularité croissante des conditions météorologiques, la santé des sols devient encore plus importante du point de vue de la résilience des systèmes de culture. Lorsque nous perdons des prairies et que nous retirons indéfiniment des plantes fourragères pérennes de la rotation, nous perdons des milliers d’années de stockage du carbone, surtout dans les prairies naturelles. Il est donc impératif que ces terres de culture marginales qui sont habituellement recouvertes d’herbe gardent une couverture permanente et gardent le carbone séquestré de façon très sécuritaire.

Et il n’y a pas seulement les parcours naturels qui prédominent dans l’Ouest canadien. Les fourrages vivaces constituent, encore une fois, le principal type d’utilisation des terres dans le secteur agricole de toutes les provinces.

Deuxièmement, il y a l’habitat et la biodiversité. Je sais que nous parlons de la santé des sols, mais cela nous ramène à la fonctionnalité du paysage. Il est bien établi que les écosystèmes des prairies figurent parmi les plus menacés de la planète, et ces écosystèmes abritent des centaines et des centaines d’espèces végétales et animales en péril. Il est donc important d’avoir une vue d’ensemble de ce qu’une couverture pérenne représente pour les Canadiens et les valeurs que nous partageons.

Vient ensuite la qualité de l’eau. La majeure partie de l’eau qui touche le paysage agricole et qui n’est pas absorbée directement par le sol s’écoule généralement du paysage agricole vers la couverture pérenne. Je parle de la mer d’herbe qui s’étend d’un bout à l’autre du pays. Le secteur des fourrages occupe 40 % du paysage agricole canadien, mais tous les autres rubans verts qui nous relient — les terre-pleins autoroutiers, les pelouses résidentielles, les espaces verts et les zones riveraines — sont des couvertures permanentes très importantes et contribuent à la qualité de l’eau. Encore une fois, en ce qui concerne la culture sans labour, la réduction du ruissellement de surface et la réduction de l’érosion du sol, la qualité de l’eau devient un facteur très important.

Nous parlerons de la santé des sols au cours de la prochaine heure, mais de toute évidence, il est absolument essentiel d’avoir des plantes vivaces qui produisent dans le sol du carbone et des matières organiques, et qui soutiennent la fonction microbienne. Alors que nous explorons certaines options aujourd’hui et que nous examinons de nouveaux programmes qui évoluent à l’échelle du pays, la reconnaissance du rôle des couvertures vivaces et des cultures fourragères en général devient un pilier important de l’amélioration de la santé des sols.

Tous ces facteurs sont liés à la fonctionnalité et à la résilience à l’échelle du paysage. Donc, la première étape — et encore une fois, cela vient de mon éducation, de la famille Lobb et de mon dévouement à la culture sans labour — consiste à garder le sol dans le paysage. Il doit rester dans les champs d’où il vient. Je me souviens de ces premiers cours où nous parlions d’une rigole de six pouces charroyant des centaines de tonnes de terre végétale par acre hors du paysage agricole et les déposant dans nos cours d’eau et dans des endroits où elles ne devraient pas se trouver pour de nombreuses raisons. La capacité de régénération naturelle de nos sols est bien inférieure à ce que nous perdons. Il est absolument essentiel que nous gardions ces sols intacts, là où ils doivent être.

Nous pouvons le faire avec les couvertures permanentes, dont nous avons déjà parlé, mais aussi avec des couvertures annuelles. La révolution des cultures de couverture que nous constatons dans certaines régions du pays et la promotion de cette révolution par l’entremise de divers programmes sont absolument essentielles. Nous devons protéger ces sols et les garder en place. Nous pourrons ensuite faire progresser la santé de cette précieuse ressource.

J’aimerais conclure en parlant des défis et des possibilités que nous entrevoyons.

Quels sont les défis qui se présentent à nous? À l’heure actuelle, le défi que nous voyons dans le secteur sans but lucratif se pose au niveau des gens. Nous avons besoin de personnes qui soutiennent les pratiques que M. Lobb a mentionnées — les pratiques de culture sans labour, les pratiques de culture de couverture — et nous devons vraiment intégrer la durabilité dans le système d’éducation afin que les agronomes de l’avenir soient prêts à appliquer et à faire progresser ce modèle de production agricole résilient.

De plus, nous avons besoin d’organismes sans but lucratif qui participent activement à ce processus. Bien entendu, l’Association canadienne des plantes fourragères est ici aujourd’hui. Le Conseil de conservation des sols du Canada, Canards Illimités Canada, Fertilisants Canada et tant d’autres organismes sans but lucratif travaillent activement à accroître la résilience de nos systèmes de culture. Cette résilience commence par la conservation et la santé des sols.

Quelles sont les opportunités? Les opportunités sont des investissements importants de la part du secteur public. Nous voyons Agriculture et Agroalimentaire Canada, ainsi qu’Environnement et Changement climatique Canada faire d’importantes annonces de financement qui contribueront à accroître la résilience. Je lève donc mon chapeau aux ministres pour avoir mis ces programmes en place. Encore une fois, le défi est d’avoir des gens pour déployer ces programmes et les distribuer efficacement dans le paysage. Nous allons relever ce défi au fur et à mesure.

Je lève également mon chapeau à la ministre Bibeau et à ses collègues des provinces qui ont déployé l’Énoncé de Guelph, et qui élaborent le prochain cadre stratégique en mettant clairement l’accent sur la durabilité. Ces programmes, ces initiatives, aideront aussi à faire progresser la santé des sols et à la mettre au premier plan de l’ordre du jour. Encore une fois, félicitations à la ministre Bibeau et à ses collègues.

Quelles sont les prochaines étapes? L’évolution des mentalités chez les producteurs et la promotion de ces pratiques de durabilité deviennent vraiment le défi de l’heure. Je pense qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles les producteurs n’ont pas adopté la conservation. Dans certains cas, nous faisons ce que nous savons faire et le passé dicte l’avenir : grand-père le faisait, papa l’a fait, alors je le fais.

Comme M. Lobb l’a mentionné plus tôt, nous sommes dans une situation critique. Pour continuer à nourrir la planète, nous ne pouvons pas continuer à voir le sol se dégrader.

Il est vrai qu’en tant que pays exportateur, le Canada va probablement bien s’en tirer. Mais nous sommes responsables de la production alimentaire pour des millions de personnes dans le monde entier. Il nous incombe, dans le secteur agricole canadien, d’avoir des sols résilients et sains et de préserver leur santé à l’avenir, non seulement pour nourrir les Canadiens, mais aussi pour nourrir le monde. C’est absolument essentiel.

Lorsque nous examinons ces nouveaux programmes et la fonctionnalité du paysage, la façon dont les plantes vivaces s’accordent avec les plantes annuelles et la façon dont nous faisons progresser la culture sans labour et la santé des sols, tous ces éléments forment un tout. M. Lobb a mentionné le modèle des laboratoires vivants qui est, j’en conviens, une façon très intéressante et novatrice d’examiner la recherche et de soutenir l’évolution de la mentalité des producteurs. Vous remarquerez que je ne parle pas d’un « changement », mais d’une« évolution ». Le changement est difficile. L’évolution est plus facile.

Cette stratégie, sa mise en place au centre des priorités du secteur agricole canadien, et le travail du sénateur Black et de vos collègues au sein de ce comité sont absolument essentiels. Je suis impatient de l’appuyer de toutes les façons possibles à l’avenir.

Je vous remercie de votre invitation et du temps que vous m’avez accordé.

Le président : Merci beaucoup à vous deux de partager votre passion et votre engagement envers la santé des sols. Cela nous a tous interpellés. Je vous en remercie infiniment.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Normalement, je demande à notre vice-président de poser la première question, mais je vais revendiquer le privilège de poser la première question.

Pouvez-vous tous les deux nous dire brièvement — je sais que nous pourrions en parler pendant des heures, des semaines, des mois et des jours — quels types de politiques ou de mesures gouvernementales aideraient à réduire ou à corriger le problème de la dégradation des sols?

M. MacLeod : Merci, sénateur Black.

Rapidement, il s’agit d’encourager les bonnes pratiques dans le paysage. C’est ce que nous constatons. J’ai mentionné les programmes d’investissement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada.

Il est également important de reconnaître que, sans bâton, vous n’avez qu’une carotte, et je crois donc qu’il faut une pénalité. Je sais que ce n’est pas une perspective très populaire. Cependant, nous connaissons ces pratiques depuis de nombreuses générations. Encore une fois, le président Roosevelt en a parlé en 1937. Nous devons continuer d’offrir des carottes, mais nous devons aussi être prêts à utiliser le bâton.

Le président : Merci beaucoup, monsieur MacLeod.

M. Lobb : Malheureusement, je n’ai pas entendu la réponse de M. MacLeod. Les politiques ou les mesures gouvernementales visant à réduire le problème de la dégradation des sols constituent un véritable défi. Depuis le rapport, Nos sols dégradés, publié il y a près de 40 ans, nous avons eu toute une série de programmes et d’actions.

Lorsque les prix des récoltes ont augmenté au cours des deux dernières décennies, une grande partie de ce qui avait été mis en place a disparu, et les gens ont simplement dépensé cet argent supplémentaire pour acheter plus de machinerie afin de travailler davantage le sol, et nous avons régressé.

Nous avons besoin de politiques et de mesures qui ont un effet à long terme. Nous en sommes vraiment au point où nous avons besoin d’une certaine forme de conditionnalité qui pourrait être liée à l’impôt foncier ou à l’assurance-récolte. Cela peut sembler lourd pour ceux qui n’aiment pas ce genre de mesures, mais notre expérience n’a pas été bonne avec des mesures moins agressives.

L’Association pour l’amélioration des sols et des récoltes de l’Ontario a versé 200 millions de dollars de fonds gouvernementaux aux agriculteurs de l’Ontario pour divers programmes au cours des 30 dernières années, en grande partie pour ce genre d’activité.

Lorsque les prix des récoltes ont augmenté, les gens sont retournés dans les champs pour travailler le sol. Nous devons vraiment faire preuve d’innovation dans la façon dont nous allons de l’avant afin de dépenser l’argent du gouvernement efficacement et raisonnablement.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je viens de l’Alberta, du genre de prairies dont parlait M. MacLeod. J’ai une question distincte pour chacun de nos témoins.

Monsieur MacLeod, votre exposé m’a rappelé une expérience que j’ai vécue, il y a quatre ou cinq ans, alors que je traversais le sud de l’Alberta au moment des récoltes. Il était presque dangereux pour nous de poursuivre notre route, car il y avait tellement de poussière dans l’air qu’il était difficile de voir où nous allions. Je me suis dit que c’était sans doute comme cela à l’époque des tempêtes de poussière dans les Prairies.

Étant donné que les Prairies sont aux prises avec de plus en plus de sécheresse, que les changements climatiques et le manque d’eau ont des répercussions sur cet écosystème, pourriez-vous expliquer, à la citadine que je suis, quelles sont les pratiques agricoles qui causent tant de perturbations dans la couche arable qu’elle se retrouve dans l’air, dans des nuages aveuglants? Comment pouvons-nous changer nos pratiques pour ne pas perdre de précieux sols de cette façon?

M. MacLeod : Je me souviens d’avoir lu — je ne sais plus dans quel livre; je vais devoir le retrouver — que la ville de New York a été plongée dans l’obscurité pendant deux jours lors d’une tempête de poussière. Ces tempêtes de poussière créent leur propre système météorologique. Il y a tellement d’énergie et d’inertie dans ce nuage de poussière que cette énergie cinétique génère, bien sûr, plus d’énergie cinétique, et alimente donc le phénomène.

C’est un défi de taille. Vous avez tout à fait raison. À mesure que nous nous tournons vers les changements climatiques et les périodes prolongées de sécheresse ou de temps pluvieux, ces défis risquent de devenir plus importants et plus fréquents.

Pour revenir à ce que disait M. Lobb, nous avons fait d’importants progrès dans l’Ouest canadien avec l’adoption de la culture sans labour et de l’ensemencement direct, et je pense que nous avons été un modèle pour le monde entier. L’Australie nous a suivis. Je pense aussi au Kazakhstan. Les semoirs pneumatiques se sont répandus en grand nombre, de l’Ouest canadien jusqu’au monde entier.

Malheureusement — comme M. Lobb l’a mentionné —, les prix des récoltes ont [Difficultés techniques] fait en sorte que le travail du sol fait davantage partie du modèle de production. Nous devons faire marche arrière. Le Conseil de la conservation des sols du Canada joue un rôle énorme dans la promotion d’un système de culture et d’une agriculture sans labour. Nous devons renverser la vapeur sur le travail du sol, incorporer des plantes fourragères vivaces de temps à autre et garder les sols couverts. C’est fondamental. On l’a vu lors des tempêtes de poussière. Roosevelt nous a transmis le message. Nous savons comment le faire avec une culture sans labour et une couverture permanente, peu importe que ce soit des plantes annuelles ou vivaces du moment que vous gardez les sols couverts. C’est la solution.

La sénatrice Simons : Monsieur Lobb, lorsque vous parlez de l’empiètement de l’urbanisation sur des terres agricoles de première qualité, c’est un problème à Edmonton, où j’habite, où certaines des meilleures terres agricoles ont été absorbées par l’étalement suburbain.

Nous avons un autre problème important en Alberta et dans les Prairies, soit le conflit entre les propriétaires des droits de surface, qui sont souvent les agriculteurs, et les propriétaires des droits d’exploitation du sous-sol, qui sont souvent les sociétés pétrolières et gazières.

En Alberta, les gens qui possèdent les droits d’exploitation du sous-sol ont souvent un privilège sur ceux qui possèdent les droits de surface. Nous avons dans la province un problème croissant de pollution des sols, y compris de certains de nos sols les meilleurs et les plus fertiles.

Je sais que ce n’est pas une question qui concerne l’Ontario, mais avez-vous quelque chose à dire sur ce qui pourrait être nécessaire pour améliorer l’équilibre du pouvoir entre les titulaires des droits sur le sous-sol et la surface?

M. Lobb : En fait, à un moment donné, une société pétrolière et gazière a signé un bail pour des droits miniers sur mes terres. La façon dont c’est traité varie selon les régions.

Je n’ai pas de bonne réponse à vous donner. Le gouvernement a un rôle à jouer à cet égard. Il lui incombe de prendre des décisions difficiles et d’avoir le courage de s’engager pour le bien à long terme de la société. C’est un sérieux problème. C’est une question importante.

Si vous me le permettez, je voudrais ajouter quelque chose aux commentaires de M. MacLeod sur la question de la végétation naturelle dans le paysage, à propos des agrégats de sol que l’on trouve dans une prairie naturelle ou un terrain boisé. Lorsque nous travaillons le sol, ils se décomposent et nous détruisons les champignons mycorhiziens et d’autres biotes du sol qui contribuent à leur formation. Un seul passage de machinerie peut causer d’énormes dommages; si vous en faites deux ou trois, vous les détruisez complètement, puis le sol s’envole avec le vent. Dans nos régions plus humides, le sol est lessivé.

J’ai fait une comparaison à long terme entre le travail du sol et la culture sans labour dans ma ferme, une comparaison que le milieu de la recherche a beaucoup utilisée. Au bout de 11 années, j’ai prélevé des échantillons de sol pour un groupe qui visitait la ferme, simplement pour lui montrer la différence de couleur qui s’était produite à mesure que le carbone s’était accumulé à long terme grâce à la culture sans labour. J’ai laissé ces échantillons sur une planche de carton pendant quelques mois, jusqu’à ce que je mette de l’ordre dans mes affaires. À ce moment-là, presque tout l’échantillon de sol labouré avait été lessivé, mais l’échantillon des 11 années de culture sans labour était encore totalement intact. En seulement 11 ans, j’avais rétabli la caractéristique des agrégats du sol qui avait sauvé les prairies des tempêtes de poussière.

L’érosion la plus importante que nous ayons, que ce soit sous l’effet du vent ou de l’eau, se produit lors des grosses tempêtes. Nous pouvons passer 5 ou 10 ans avec très peu d’érosion du sol, puis nous avons une grosse tempête et une énorme érosion.

Il y avait une station de recherche hydrologique à Coshocton, en Ohio, juste au sud du lac Érié, où les conditions sont très semblables aux nôtres. Elle a surveillé les effets des tempêtes pendant une période de 28 ans, et au cours de cette période, je crois qu’elle a observé 411 tempêtes. Sur ces 411 événements, 85 % de l’érosion du sol s’est produite lors de seulement 10 tempêtes majeures.

Donc, si nous ne rétablissons pas des agrégats du sol et des systèmes racinaires qui ne sont pas perturbés, nous ne limiterons jamais les effets des grandes tempêtes. Et si nous ne les limitons pas, nous n’aurons pas beaucoup d’effet.

La sénatrice Simons : C’est très instructif.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invités et je vous remercie beaucoup de vos observations préliminaires éclairantes.

Au-delà de la couverture médiatique et théorique, je n’ai pas eu l’occasion de prendre le pouls de l’industrie agricole depuis ma carrière dans le secteur bancaire, et cela ne date pas d’hier. Mais je peux dire, après avoir écouté vos observations, que nous nous lançons effectivement dans ce que j’appellerais une étude d’importance nationale, et je vous remercie donc de cet appel à l’action.

J’ai quelques questions à ce sujet. Quand on pense à la première étude des sols entreprise par le Parlement, en 1984, il est évident que nous avions beaucoup de terrain à couvrir, sans mauvais de jeu de mots. J’ai quelques questions à poser à ce sujet. Je vais simplement les lancer et vous pourrez y répondre comme bon vous semblera.

Y a-t-il des questions que nous devrions examiner? Ce qui me préoccupe vraiment, c’est que — même si, comme je l’ai dit, je ne prends pas souvent la température ou le pouls de l’industrie agricole autant que je le faisais auparavant, j’ai l’impression qu’il faut lancer un appel à l’action en ce qui concerne l’urgence qui devrait découler de cette étude, et j’espère qu’il ralliera toute la nation.

Y a-t-il des sujets ou des champs d’enquête que nous devrions explorer? Nous avons une bonne liste de témoins, mais après vous avoir écoutés, je veux m’assurer que nous nous efforçons aussi de parler aux agriculteurs individuels et aux petites exploitations agricoles.

Compte tenu de cela, y a-t-il quelqu’un d’autre à qui nous devrions parler au sujet de cette question particulière que nous devons examiner?

J’ai aussi l’impression que le statu quo — ce n’est pas juste une impression, car de toute évidence, le statu quo n’est pas envisageable. Dans quel délai pourrions-nous franchir le point de non-retour et sortir de la piste dans l’évolution dont vous parlez? À cet égard, y a-t-il des défis urgents sur lesquels notre étude devrait se concentrer? C’est assez général de parler seulement d’une étude des sols, mais le temps presse et j’ai l’impression que nous arrivons au bout de la piste.

Si vous pouviez m’aider à y voir plus clair, je pense que d’autres membres du comité en profiteraient également.

L’autre question que j’aimerais poser, c’est qu’un certain nombre de pratiques ont été établies au fil du temps. L’Accord de Paris a établi un cadre énumérant certaines mesures. Je comprends que les agriculteurs progressistes adhèrent à ces pratiques, mais en tant que nation, avons-nous perdu le fil? Donnez-moi un aperçu de ce que vous en pensez, s’il vous plaît.

M. Lobb : Je vous remercie de votre sensibilité à l’égard de la question dont nous parlons ici. Il y a certainement du très bon travail qui se fait au niveau de la recherche, tant dans l’Est du Canada que dans les Prairies. Nous devons prêter attention à ce que ces gens ont à offrir.

Deuxièmement, je dirais que nous devons vraiment tenir compte de l’information que certains de nos agriculteurs les plus innovateurs et les plus progressistes ont à offrir, car tout au long de ma vie, j’ai constaté que la plupart des progrès ont été réalisés par des agriculteurs innovateurs et qu’ils ont ensuite été soutenus par l’intérêt du milieu de la recherche. Nous pouvons apprendre beaucoup de certaines de nos personnes les plus compétentes. J’en connais plusieurs, d’un bout à l’autre du pays.

M. MacLeod : Je vous remercie de cette question.

Pour répondre à votre question, sénateur Klyne, je pense qu’il y a deux ou trois facteurs importants que nous devons examiner. Nous devons nous pencher sur la perte de terres humides dans les provinces des Prairies — c’est absolument essentiel — et aussi sur la perte de prairies naturelles. Ce sont là deux éléments du paysage qui revêtent une importance cruciale pour l’agriculture canadienne et que nous devons sérieusement chercher à préserver. Il y a des règlements en vigueur, surtout en ce qui concerne les terres humides. Je ne suis pas certain qu’ils soient appliqués adéquatement. Encore une fois, il y a un manque de personnel pour faire ce travail, mais nous devons examiner cela de près.

Je repense à ce que j’ai dit tout à l’heure — et M. Lobb en a parlé également — au sujet d’une politique musclée et de la conditionnalité. Nous avons fait beaucoup de travail pour essayer d’offrir des incitatifs avec des carottes, mais, encore une fois, les carottes ne sont pas très sucrées s’il n’y a pas l’autre côté de l’équation, c’est-à-dire le bâton. Nous devons vraiment nous pencher sérieusement sur la question pour vraiment préserver ces paysages pour l’avenir. Comme M. Lobb l’a si bien dit, j’ai un fils de 8 ans et 13 nièces et neveux qui adorent me côtoyer à la ferme. Mon but est de m’assurer que je la leur laisserai en meilleur état que je ne l’ai trouvée. Ce n’est pas la trajectoire actuelle pour des millions d’acres au Canada. C’est la prochaine génération qui en souffrira. Nous devons examiner cela très sérieusement.

L’autre chose que je suggérerais, sénateur Klyne, serait de parler à vos organismes de conservation, vos fiducies foncières — ceux qui travaillent à préserver ces prairies à perpétuité dans le paysage. Ce sont d’excellentes sources d’information et de soutien.

Le dernier commentaire que je ferai à ce sujet concerne la façon dont nous avons perdu du terrain. Vous avez la communauté des adopteurs précoces, c’est-à-dire les agriculteurs progressistes dont M. Lobb a parlé. À l’heure actuelle, les adopteurs intermédiaires sont vraiment notre cible. C’est bien établi dans la théorie de l’adoption de l’innovation. Les adopteurs intermédiaires surveilleront les agriculteurs progressistes. Ils surveilleront les adopteurs précoces et iront de l’avant. Les adopteurs tardifs — il y a plusieurs termes utilisés pour les décrire. Les adopteurs tardifs ne feront probablement rien de ce que nous demandons. Ils ne participeront pas à des programmes d’encouragement. Ils ne s’engageront pas dans l’innovation. C’est pour ce groupe que l’application de la loi est vraiment nécessaire en vue de progresser, car les adopteurs tardifs représentent environ 50 %. Donc, si 50 % du terrain est géré par les adopteurs tardifs, la longueur de piste restante est effectivement bien courte.

Le président : Merci beaucoup.

M. Lobb : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, d’après mon expérience, nos très grandes exploitations agricoles se classent parmi les adopteurs tardifs. C’est d’une importance vraiment critique parce qu’elles gèrent une grande partie du paysage. Nous ne réglerons pas le problème en nous contentant de nous occuper de certaines de nos fermes de taille moyenne et de nos petites fermes.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : Merci à nos témoins. Vous m’avez rendu plutôt triste aujourd’hui, parce que c’est ma dernière journée officielle en tant que membre de ce comité en raison de changements d’horaire, et c’est un sujet qui me tient à cœur. J’ai grandi dans une ferme et j’ai passé beaucoup de temps à travailler le sol, plusieurs fois dans le même champ avant de semer, afin de l’améliorer, du moins c’est ce que nous pensions.

Le sénateur Cotter et moi avons eu une conversation avec le cabinet du ministre au sujet de la stratégie que le gouvernement du Canada a mise en place ici. Nous en sommes arrivés à la conclusion que la stratégie actuelle est superficielle et fragmentée plutôt que ciblée et substantielle. Nous sommes déçus qu’il n’y ait pas eu de coopération ou d’interaction réelle entre Environnement et Changement climatique Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Lorsque l’USDA a annoncé, la semaine dernière, un important programme d’agriculture régénératrice visant à séquestrer 10 millions de tonnes métriques d’équivalent CO2 dans 25 millions d’acres, cela m’a donné des idées. Ce serait suffisant pour rendre carboneutre notre secteur agricole si nous atteignions cette cible avec un plan similaire. C’est un plan très important. Je me demande si l’un d’entre vous en sait plus à ce sujet et ce qu’il en pense. J’aimerais beaucoup que nous catalysions des mesures semblables au Canada.

M. Lobb : Je n’ai pas suivi cela parce que je me suis préparé pour aujourd’hui depuis une semaine.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur Lobb, j’aimerais beaucoup entendre votre réponse, peut-être seulement en tant que sénateur qui s’intéresse à la question et qui n’est plus membre du comité. Mais j’aimerais beaucoup que le comité entende également votre réponse lorsque vous aurez eu l’occasion d’examiner cette annonce. Je peux veiller à ce que la greffière l’ait en main pour qu’elle puisse vous la transmettre si vous le souhaitez.

M. Lobb : Ce serait utile. Je serais heureux de le faire.

M. MacLeod : Sénateur Deacon, je vous remercie de votre question. J’ai quelques idées. Moi non plus, je n’ai pas examiné le programme du département de l’Agriculture des États-Unis, même si nous avons entendu des rumeurs à ce sujet.

Je tiens à souligner que le Canada a investi 250 millions de dollars par l’entremise d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dans le Fonds d’action à la ferme pour le climat et que l’Association canadienne des plantes fourragères y participe. Nous avons environ 10 millions d’acres où nous pouvons promouvoir les pratiques de pâturage dans le paysage. Nous espérons voir des progrès à cet égard.

À l’instar des objectifs du programme de l’USDA, comme vous l’avez décrit, le plan du Fonds d’action à la ferme pour le climat vise à promouvoir la culture de couverture, les pratiques de gestion de l’azote et les bonnes pratiques de pâturage, et tous ces éléments entrent certainement dans le cadre de l’agriculture régénératrice.

Encore une fois, je félicite Agriculture et Agroalimentaire Canada d’avoir fait avancer ce dossier, et je crois qu’il y a eu une certaine interaction avec ECCC. Mais je suis d’accord pour dire qu’une meilleure collaboration interministérielle contribuerait probablement à renforcer la mise en œuvre plus uniforme des programmes à l’échelle du pays. Peut-être que le rapport que vous et vos collègues produirez appuiera cela en formulant des recommandations.

Je pense que c’est le genre de programme qui nous aidera à atteindre la carboneutralité dans le secteur agricole et à faire progresser les objectifs en matière de santé des sols. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un cas où les adopteurs précoces et intermédiaires sont susceptibles d’utiliser la part du lion de ce financement. Cela nous laisse, encore une fois, avec un écart de 50 % pour faire progresser l’agriculture régénératrice à l’égard de ces pratiques dans le paysage. C’est donc en soi probablement le plus grand défi que nous devons relever.

Le sénateur C. Deacon : Cela fait peut-être deux ans, j’ai eu une conversation avec des représentants d’Environnement et Changement climatique Canada et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada au sujet des possibilités à cet égard. Les fonctionnaires d’Agriculture et Agroalimentaire Canada m’ont carrément dit que les pratiques de culture sans labour étaient maintenant utilisées au maximum au Canada et qu’il n’y avait rien de mieux à faire. Ils ne voyaient pas la possibilité d’en faire plus. J’ai été étonné compte tenu de mes conversations avec des chercheurs de Summerland, de Guelph et de Dalhousie. Cela ne correspondait pas du tout. Leur opinion semblait vraiment divergente. Avez-vous eu des conversations au sein du ministère qui, je l’espère, pourraient contredire la conclusion très nette que j’ai tirée de ce qu’ils m’ont dit?

M. Lobb : Je n’ai pas eu de conversations au sein du ministère, mais je suis certainement au courant de cette façon de voir depuis plusieurs années. Des éléments importants leur échappent. Ils supposent que s’il y a des résidus de culture à la surface du sol dans les Prairies, le problème du sol est réglé. En fait, la machinerie utilisée pour l’ensemencement direct déplacent beaucoup de terre. Il faut utiliser de l’équipement moins agressif.

Au cours des deux ou trois dernières décennies, on a vendu beaucoup de machines pour ce qu’on appelle le labour vertical. Elles laissent les résidus de récolte à la surface du sol, mais effectuent en réalité un travail du sol sur toute la surface à une profondeur de deux à quatre pouces. Cela cause énormément de mouvement du sol en haut des pentes. La superficie de sol peu productif en haut des pentes et sur les buttes s’agrandit graduellement. C’est ce qui leur échappe.

Dans l’Est du Canada, nous pouvons certainement faire beaucoup plus, et il n’y a aucune raison de ne pas le faire. Je connais des pédologues des Maritimes et des Prairies qui contesteraient avec véhémence ce que vous avez entendu.

Le sénateur C. Deacon : C’est ce que j’ai entendu. J’aimerais beaucoup que vous m’indiquiez les points précis sur lesquels vous pensez qu’ils se trompent. Cela aiderait beaucoup le comité dans son travail, car je ne veux pas que nous nous heurtions à la même réaction superficielle qui n’est pas fondée sur les preuves et l’expérience auxquelles vous avez accès.

M. Lobb : Si vous parlez à M. David Burton, de l’Université Dalhousie ou à M. David Lobb, de l’Université du Manitoba, vous obtiendrez un point de vue très différent, j’en suis sûr.

M. MacLeod : Sénateur Deacon, je suis moi aussi préoccupé par le point de vue d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, car je suis entièrement d’accord avec M. Lobb. Comme je l’ai déjà mentionné, les progrès que nous avons réalisés dans les Prairies en ce qui concerne la culture sans labour et l’ensemencement direct sont en recul. Une plus grande partie de ces acres est de nouveau labourée. Cela va certainement à l’encontre de cette opinion.

Pour revenir à ce que disait M. Lobb, le labour est très répandu dans l’Est du Canada. Il y a beaucoup de progrès à faire en matière d’ensemencement direct et de culture sans labour de ce côté-là du pays, et il est absolument essentiel que nous y arrivions. Oui, vous pouvez compter sur moi pour faire avancer cette position et l’appuyer dans ce rapport.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Merci aux deux témoins. Vous nous fournissez, à moi en tout cas, des renseignements qui dépassent largement mes connaissances. Je viens de la Saskatchewan. J’ai grandi dans une petite ville des Prairies, mais je n’ai jamais vécu dans une ferme comme certains de mes collègues. Je n’avais pas beaucoup de perspective sur la question de la santé des sols. J’ai eu l’occasion d’assister avec le sénateur Black au Congrès mondial des sciences du sol 2022 plus tôt cet été. Je pense que je pourrais le dire ainsi : je suis venu pour douter et je suis resté pour prier. C’est comme si j’écoutais des prières, en vous entendant tous les deux, alors merci.

J’aimerais revenir sur une question très importante que chacun d’entre vous a soulevée à certains égards. Monsieur MacLeod, vous avez parlé de la carotte et du bâton.

Presque toutes les terres agricoles productives canadiennes appartiennent à des intérêts privés. Nous avons fait preuve d’un grand respect à l’égard de la propriété privée au Canada, en ne disant pas aux gens comment utiliser leurs biens. C’est vrai dans d’autres pays. Je suppose que c’est une source d’inquiétude, mais je veux simplement observer certaines choses que j’ai apprises à ce congrès mondial et plus récemment.

Si vous prenez la Nouvelle-Zélande, par exemple, d’après ce que j’ai compris des séances d’information que nous avons reçues récemment, elle a insisté pour que ses producteurs agricoles, particulièrement dans le contexte de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, produisent simplement des plans de gestion agricole et prennent des mesures énergiques en ce qui concerne les émissions. À compter de 2025, ils devront payer le prix des émissions de gaz à effet de serre, un point c’est tout.

En Écosse, où l’utilisation de la tourbe a été importante, les propriétaires privés de tourbières sont tenus de mettre fin à cette activité.

En Irlande du Nord — et je dirais que je vois cela comme deux parties d’un pays gouverné par un gouvernement conservateur, qui était probablement très respectueux de la propriété privée —, chaque agriculteur est invité à participer à un plan lié à la santé des sols, mais s’il ne le fait pas, il devient inadmissible à toute subvention gouvernementale pour l’agriculture.

J’ai l’impression qu’à moins de prendre des mesures obligeant les producteurs à respecter certaines normes pour améliorer les sols et les terres en tant que patrimoine mondial, même s’ils sont entre les mains de particuliers, compte tenu de ce que vous avez charitablement décrit comme les adopteurs tardifs — j’aurais peut-être parlé de « non-adopteurs » — nous ne pourrons pas atteindre les objectifs dont vous avez parlé. Mais je crains aussi que nous n’ayons pas le courage d’imposer certaines de ces exigences. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Lobb : J’aime beaucoup ce que vous dites, sénateur Cotter. Nous vivons dans une société très préoccupée par les droits, mais nous n’avons pas vraiment de droits tant que nous n’avons pas démontré notre responsabilité. C’est ce que nous devons vraiment commencer à faire sur de nombreux fronts et certainement en ce qui concerne la gestion des terres.

Vous avez parlé de conditionnalité, et je ne vois vraiment pas d’autre façon de traiter les grandes exploitations. Nous avons dit que 50 % des agriculteurs sont des gestionnaires fonciers, des adopteurs ou non, mais la réalité, c’est que les 10 % qui produisent les deux tiers de toute la production agricole au Canada sont ceux qui doivent apporter des changements, sinon nous n’aurons pas une grande incidence sur le paysage.

M. MacLeod : Je vous remercie de votre question, sénateur Cotter.

Pour faire suite à ce qu’a dit M. Lobb, nous devons reconnaître que les résultats des décisions de gestion prises par un propriétaire foncier privé ne se répercutent pas uniquement sur la parcelle de terrain où la pratique de gestion est mise en œuvre. Si l’eau s’écoule du champ A et pénètre dans le cours d’eau B et a une incidence sur l’habitat du poisson C, et qu’il n’y a aucune pénalité pour cela, il n’y a aucune incitation à apporter un changement. Oui, les droits individuels des propriétaires fonciers doivent être respectés, mais les propriétaires fonciers doivent également assumer la responsabilité des répercussions en aval des décisions de gestion qu’ils prennent dans leur bassin hydrographique local.

Dans ma déclaration préliminaire, j’ai parlé de la résilience du paysage, et ce paysage comprend de nombreux producteurs, des groupes de bassins hydrographiques, des organismes de conservation, des terres humides et des prairies. Tous ces éléments sont réunis. Si nous voulons que l’agriculture canadienne soit vraiment résiliente, à long terme — je reviens aux commentaires de la sénatrice Simons au sujet de l’augmentation de la sécheresse —, la fonctionnalité du paysage devient très importante.

Je suis d’accord avec M. Lobb pour dire qu’il faut envisager le modèle de conditionnalité. Avoir un plan de gestion — un plan de conservation — pour être admissible à l’assurance-récolte me semble une bonne chose. Nous l’avons constaté dans le cadre du processus du Plan environnemental de la ferme, ou PEF. Je sais que je suis moi-même un agriculteur très soucieux de la conservation et en examinant le PEF, j’ai trouvé des choses à changer dans mon exploitation. Alors je l’ai fait. En parcourant ce plan de gestion, j’ai pu me livrer à un examen rigoureux et apporter les changements qui s’imposaient. J’étais prêt et disposé à le faire, et je serais probablement dans la catégorie des adopteurs précoces, tout comme M. Lobb lorsqu’il était agriculteur. Mais si nous n’exigeons pas une certaine conditionnalité pour accéder à l’assurance-récolte, il y a en fait une incitation inverse à l’égard de la conservation. En effet, si vous pouvez obtenir une assurance-récolte pour les terres de classe 4 ou 5 afin de cultiver du canola ou des pommes de terre alors que ces terres devraient être des prairies à couverture permanente, cela a un effet très négatif sur l’ensemble du paysage.

Vous me mettez un peu dans le pétrin parce que mes collègues agriculteurs ne vont pas beaucoup m’aimer. Mais pour ce qui est de ce dont nous parlons aujourd’hui, et pour vraiment stimuler la résilience des paysages et la santé des sols, il faut en tenir compte.

Le président : Monsieur MacLeod, c’est la raison pour laquelle nous vous payons grassement — non.

Le sénateur Cotter : C’est davantage une observation qu’une question.

J’ai l’impression que nous parlons à des gens qui connaissent la question, mais qui sont aussi des visionnaires, par rapport à beaucoup de gens qui cultivent leurs terres. Mon beau-père, qui est maintenant décédé, était agriculteur dans l’ouest de la Saskatchewan. Il a probablement cultivé cinq sections de terre. C’était un bon et honnête fermier. Il m’a dit, à moi et à d’autres, que nous ne cultivons pas la terre, mais que nous l’exploitons. Donc, d’une certaine façon, il a reconnu ce qu’il faisait. Mais il a continué à le faire. Cela a généré un bon revenu pour sa famille et un plan pour que ses enfants deviennent propriétaires de la terre plus tard. En l’absence d’un incitatif ou d’une obligation, il était peu probable qu’il change ses pratiques. Je suppose que c’est ce qui me préoccupe le plus — la mesure dans laquelle nous pouvons trouver des mécanismes qui permettent à tout le monde de comprendre que les exigences sont nécessaires , qu’il faut le « bâton », pour reprendre votre expression, monsieur MacLeod, afin de régler ce problème pour tout le monde.

Le gouvernement a un rôle à jouer dans l’élaboration d’un cadre réglementaire afin que les terres agricoles de bonne qualité ne soient pas consacrées à d’autres usages qui ne sont pas vraiment dans l’intérêt de l’humanité, comme peuvent l’être les terres agricoles et la production alimentaire. Cependant, pour faire ce grand pas et renverser la tendance actuelle, il semble aussi y avoir des interventions qui risquent d’être impopulaires.

M. MacLeod : J’ai noté un autre commentaire sur l’indépendance et le fait d’être propriétaire foncier.

Lorsque les choses vont mal et ne se passent pas comme prévu, même les indépendants vont se tourner vers les gouvernements provinciaux ou fédéral pour obtenir de l’aide. Je pense que c’est une considération importante. Ils s’opposent à l’élaboration de ce plan d’action, mais comme vous l’avez dit, sénateur Cotter, il n’est pas difficile d’élaborer un plan de gestion dans le cadre d’excellentes initiatives comme celles de l’Irlande et de la Nouvelle-Zélande. Si vous devez élaborer un plan de gestion pour obtenir l’incitatif, je pense que c’est un très bon point de départ.

Encore une fois, nous devons reconnaître que le fait de ne pas apporter de changements aura des répercussions négatives sur nous tous, peu importe à quel point nous nous considérons comme indépendants. Donc, pour le bien de tous, le rôle très clair du gouvernement est de se tenir debout et d’exiger des changements.

La sénatrice Petitclerc : Merci à nos invités. C’était très instructif et une excellente façon de commencer cette importante étude.

J’ai une question que j’aimerais approfondir. Nous avons parlé de l’importance de la transition potentielle vers une agriculture et des pratiques agricoles plus régénératrices. J’ai lu des articles à ce sujet. L’une des choses qui est ressortie de certains documents, c’est qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de programme de certification pour l’agriculture régénératrice. Je me demande donc si nos témoins ont une opinion à ce sujet.

Je crois comprendre qu’il est assez coûteux pour les agriculteurs de faire la transition vers l’agriculture régénératrice, surtout au cours des premières années de la transition. Sans certification — par exemple, si vous prenez les aliments biologiques, il y a un coût, mais la certification justifie peut-être ce coût. Cependant, les agriculteurs qui veulent faire la transition vers la culture régénératrice n’ont pas cette certification. Cela ferait-il une différence? Cette conversation a-t-elle lieu?

M. Lobb : Je ne sais pas si cela ferait une différence. Essentiellement, je pratiquais l’agriculture régénératrice il y a environ 40 ans. Je suppose que je le faisais pour mon bien parce que c’était une meilleure façon d’exploiter une ferme. Ce que je faisais était bon pour l’environnement. Je me servais des brise‑vent et des arbres dans mon plan agricole. Je cessais de cultiver des terres dont la productivité était plus faible et je les convertissais en plantations d’arbres et en réserve pour pollinisateurs — toutes ces choses. Je n’en ai jamais vu la nécessité.

Le problème que posent certaines de ces tendances, par exemple, c’est que l’agriculture biologique dépend entièrement d’un travail du sol très intensif, ce qui n’est pas durable. L’agriculture biologique a le même talon d’Achille que l’agriculture traditionnelle parce que les deux sont basées sur le travail du sol. Le mouvement de la régénération reconnaît que l’agriculture biologique ne suffit pas, et il cherche à pouvoir cultiver sans un travail excessif du sol. Je considère donc que c’est une très bonne initiative. Elle est très liée à la production animale, car elle utilise le fumier comme source de nutriments. Compte tenu de l’intérêt pour les régimes sans viande, je ne suis pas sûr de la place que cela occupe.

M. MacLeod : Je suis d’accord. J’étais un agriculteur régénérateur avant que ce soit cool. Merci à la famille Lobb de m’avoir inculqué cela.

Ma réponse est non, je ne pense pas que la certification fera nécessairement avancer les choses. Honnêtement, je ne pense pas que ce soit coûteux. Je suis un agriculteur sans labour. Je peux faire mes semis en un seul passage de la machine, et je le fais de façon très efficace. Cela nous ramène donc, sénatrice Petitclerc, à la question des mentalités. Cela ne fait aucun doute. Un champ fraîchement labouré qui est beau et lisse, brun foncé et prêt à recevoir des graines a l’air très beau et sent très bon. Cependant, ce n’est pas vraiment agréable quand il pleut. J’aimerais vous montrer les photos de la ferme située au-dessus de la mienne, sur la route, qui a reçu deux pouces de pluie et qui a déversé des centaines de tonnes de terre dans mes fossés. Cette terre n’est pas allée dans mon champ. Elle est allée dans le fossé. Puisque nous parlons de coût, il faut maintenant débarrasser de ces fossés ce qui allait permettre de manger aux enfants de cet agriculteur. Le coût n’est donc pas un facteur ici. C’est une question de mentalité.

Je dirais que ce qui aura probablement une incidence sur l’adoption des pratiques régénératrices, ce sont les exigences de la chaîne de valeur. Nous voyons cela de plus en plus souvent de la part de McCain Foods et de General Mills. Un acheteur de céréales de Parrish & Heimbecker, un important acheteur de blé, à qui je parlais, m’a dit : « Nous avons besoin que vous nous prouviez que ce blé a été cultivé de façon régénératrice. »

Nous voyons donc cette poussée en amont de la chaîne de valeur — ou en aval, selon votre point de vue —, mais elle nous demande de faire un meilleur travail sur le terrain.

Cela va faire bouger ceux d’entre nous qui ont des contrats. Ceux qui sont des exploitants du marché libre et qui n’ont aucun lien avec la chaîne de valeur, à part peut-être pour la livraison au silo à grande capacité, sont certainement laissés à eux-mêmes.

Je pense que toute cette conversation au sujet de la culture régénératrice, de ces pratiques et de ce qu’elles signifient, nécessite plus de réflexion et de discussions sur la façon dont nous pouvons faire avancer les choses. Il y a certainement une place dans le rapport que vous et vos collègues allez produire pour dire à quoi cela ressemblera. Dans bien des cas, j’ai presque décrit l’agriculture régénératrice comme la mentalité avec laquelle vous abordez votre sol et vos ressources animales, et comment vous les mélangez.

L’agriculture régénératrice signifie différentes choses pour différentes personnes. Il y a quatre facteurs; j’en ai une liste de neuf que j’utilise pour ma propre ferme. C’est mon plan personnel; il y en a neuf.

Il faut faire attention de ne pas essayer de mettre cela dans une boîte. Je dirais que l’évolution des mentalités repose notamment sur l’adoption de ce dont j’ai parlé plus tôt au sénateur Cotter, et la reconnaissance que nous jouons tous un rôle collectif dans nos décisions de gestion du paysage qui ont une incidence sur l’ensemble.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Mockler : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je tiens à vous féliciter d’examiner cette question de la santé des sols, et je pense que c’est très important pour l’avenir. Lorsque j’entends M. MacLeod, je tiens à vous dire qu’il faut utiliser la carotte et le bâton et non pas la pomme de terre et le bâton.

J’ai quelques questions à ce sujet. D’un bout à l’autre du pays — et le Nouveau-Brunswick est très semblable au Canada atlantique —, nous avons des terres de la Couronne, des terres qui appartiennent à des propriétaires privés, et des terres industrielles. Selon votre expérience, quel groupe ou quelle catégorie des trois que j’ai nommés fait un meilleur travail en ce qui concerne la santé des sols?

M. MacLeod : Je vous remercie pour cette question, sénateur Mockler.

Au Nouveau-Brunswick, le propriétaire foncier privé est le meilleur, haut la main, de mon point de vue.

Pour en revenir aux collectivités adopteuses précoces, moyennes ou tardives, les collectivités précoces de propriétaires fonciers privés font le meilleur travail. Les collectivités adopteuses moyennes suivent ce groupe de près. Dès qu’elles voient le succès des adopteuses précoces, elles se lancent à l’action.

Pour ce qui est des terres publiques ici au Nouveau-Brunswick — et j’ai beaucoup travaillé avec les secteurs des prairies et du bœuf ici —, nos pâturages des terres de la Couronne ont vraiment besoin d’améliorations; les responsables devraient faire un meilleur travail. Des initiatives sont en cours. Comprenez-moi bien, il y a des programmes, mais il faudrait les pousser plus fort et leur accorder plus d’importance.

Pour revenir à ce que disait M. Lobb, je suis très déçu, ici au Nouveau-Brunswick, de voir de grandes sociétés qui possèdent des terres et qui ne les exploitent pas comme elles le devraient. Il faut que les grandes entreprises qui, dans certains cas, imposent leurs pratiques à autrui, assument leurs responsabilités. Il faut qu’elles joignent le geste à la parole et qu’elles montrent l’exemple.

Le sénateur Mockler : Quel pays du monde a le meilleur programme de santé des sols?

M. Lobb : Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. Cela pourrait très bien être le Brésil ou l’Argentine. Comme ces pays ont développé leurs terres au cours de ces 40 ou 50 dernières années, ils n’ont presque plus de labour, en partie parce qu’ils étaient obligés de l’éliminer. D’après ce que je comprends, les terres du Brésil étaient particulièrement fragiles, alors il a fallu agir avec force pour instaurer de très bonnes pratiques de soin des sols dès le début.

Les États-Unis ont appliqué de très bons programmes au fil des ans. En fait, le Farm Bill de 1985 exigeait que les agriculteurs établissent un plan de conservation pour être admissibles aux programmes gouvernementaux. Ils se sont donc tous hâtés d’établir leurs plans à la fin des années 1980.

Bien que l’on constate de bonnes innovations et un excellent leadership dans ce pays, une grande partie des terres nécessiteraient plus d’attention, si j’ai bien compris.

M. MacLeod : Je m’en remets à la sagesse de M. Lobb à ce sujet, mais je pense à son utilisation du mot « leadership ». Je ne pourrais pas nommer un pays en particulier, mais je peux vous nommer des comtés et des municipalités où les gens tiennent fortement à la conservation et réussissent à mobiliser les producteurs locaux et à les influencer. On voit de grands progrès lorsque ces gens fournissent de l’aide individuelle aux producteurs.

Dans ma déclaration préliminaire, j’ai dit que malheureusement, nous manquons de gens pour rencontrer individuellement ces producteurs. Nos programmes de perfectionnement ne sont plus ce qu’ils étaient.

Je ne vais pas nommer un pays en particulier, mais je vais signaler ces régions et souligner l’importance d’y affecter des gens qui soutiennent la mise en œuvre des pratiques de conservation regénératrices.

Le sénateur Mockler : Monsieur MacLeod, d’où je viens, dans le comté de Madawaska — vous connaissez très bien ma région —, les meilleurs inventeurs, disons-nous, et les meilleurs innovateurs dans le domaine des sols, ce sont les agriculteurs eux-mêmes.

Quelle région du Canada a le meilleur programme de santé des sols?

M. MacLeod : Le meilleur leadership se trouve probablement au Québec, qui a lancé l’an dernier de nouveaux programmes axés sur la santé des sols. L’Ontario mène son initiative sur la santé des sols et s’efforce de promouvoir ce concept.

Cependant, je le répète, les meilleurs programmes dépendent des personnes qui savent les instaurer et les exécuter. Je sais, je ne cesse de répéter cette réponse, mais pour le moment, les ressources financières ne sont pas limitées. De grosses sommes s’écoulent des nombreux programmes d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et d’ECCC qui visent à appuyer ces initiatives. Le problème provient du manque de personnes qui savent intervenir sur place.

M. Lobb : Vous avez tout à fait raison. Nous ne manquons pas d’information. À l’heure actuelle, nous avons suffisamment d’information et de soutien scientifiques pour pratiquer l’agriculture de façon durable. Il nous manque la capacité de prendre des mesures concrètes.

L’Association pour l’amélioration des sols et des récoltes de l’Ontario assure ce leadership depuis que je suis né, en 1939. Nous avions l’Innovative Farmers Association of Ontario, un groupe de réseautage que j’ai aidé à créer. Nous échangions de l’information, et ce réseau est devenu un vaste organisme qui existe encore aujourd’hui. Nous avons maintenant un nouveau groupe, l’Ontario Soil Network, qui se concentre entièrement sur le transfert d’information entre agriculteurs. On commence vraiment à voir de l’action quand l’information circule entre les agriculteurs.

Nous n’avons plus les groupes de soutien gouvernementaux qui assuraient le leadership dans ce domaine. L’industrie fournit un certain leadership, mais trop souvent ses recommandations sont biaisées par ses intérêts particuliers. Il faut que nous encouragions les groupes qui œuvrent dans le milieu agricole.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Quand j’ai commencé à poser mes questions, je pensais aux dangers que posent la sécheresse et les vents qui provoquent l’érosion des sols. Ce n’est qu’en entendant vos exposés exhaustifs que j’ai vraiment compris l’importance des crues soudaines et des conditions météorologiques extrêmes dues aux changements climatiques.

Nous venons de terminer une étude sur les répercussions des inondations dans la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique. J’aimerais offrir à chacun d’entre vous l’occasion de nous décrire plus en détail les répercussions potentielles des crues subites et des pluies abondantes. À cet instant même, nos amis de la Nouvelle-Écosse sont sur le point d’être frappés par un violent ouragan.

Quelles préoccupations cause l’érosion des sols découlant de cet aspect des changements climatiques?

M. Lobb : Ces violentes tempêtes ont causé de loin le plus de dommages aux terres cultivées. Nous pouvons considérablement minimiser l’impact de ces tempêtes sur les terres cultivées en développant les agrégats de sol que je vous ai montrés tout à l’heure. En protégeant les systèmes racinaires dans le sol, nous pouvons éviter les impacts de ces grosses tempêtes.

J’ai fait d’autres travaux à la ferme pour renforcer cette protection. Nous avons construit des bermes de terre sur les pentes pour ralentir le ruissellement de surface afin d’éviter que des sédiments et des éléments nutritifs ne se retrouvent dans nos cours d’eau. Les brise-vent aident à réduire cet effet en partie, et le drainage souterrain réduit au moins la teneur en humidité du sol pendant les saisons critiques où nous sommes le plus susceptibles d’avoir des écoulements de surface.

Le terme « drainage des terres cultivées » est inadéquat, parce qu’il s’agit d’un outil qui gère l’humidité du sol sans enlever l’eau. Cet outil vise à réduire suffisamment l’humidité pour que nous puissions travailler sur le terrain au début de la saison, mais nous voulons économiser le plus d’humidité possible pour les périodes de sécheresse. La gestion de l’humidité fait partie intégrante de la gestion des sols et elle contribue à résoudre les problèmes atmosphériques.

Est-ce que ma réponse vous aide à mieux comprendre?

La sénatrice Simons : Oui. Monsieur MacLeod?

M. MacLeod : Oui. Je suis tout à fait d’accord. Je me préparais justement à répondre que nous devons laisser l’eau sur le terrain. Les résidus nous aident à le faire.

Je vous encourage, sénatrice Simons, à faire une recherche dans Google intitulée « impact des gouttes de pluie sur le sol ». Lorsque chaque goutte de pluie touche directement le sol et que cette énergie n’est pas absorbée par les résidus de récolte, par les fourrages ou par du couvert de sol, elle cause une explosion. Lorsque ces particules de sol explosent, elles se libèrent et provoquent un ruissellement de surface qui emporte le sol. C’est un phénomène incroyable à observer. On se rend compte à quel point il est destructeur.

J’ai vu cela la semaine dernière. J’ai dit tout à l’heure à M. Lobb que nous venons de construire notre maison. J’ai un beau terrain de deux acres. J’ai fait un excellent travail. Mais avec l’approche des pluies d’automne, j’ai dû semer de l’avoine et du seigle comme culture de couverture. La météo nous annonçait une tempête de pluie qui allait déverser trois pouces d’eau, alors j’ai déposé des bottes de paille pour faire des terrasses, parce que je savais que la pluie allait emporter ma pelouse. On annonçait un millimètre de pluie par heure, alors je me suis réjoui en pensant que la pluie allait tomber doucement et lentement et qu’elle arroserait ma pelouse. Pendant que j’amenais mon fils à l’autobus, une cellule d’orage est passée, et quand je suis rentré chez moi, mon entrée et ma pelouse étaient en ébullition. Une vraie ébullition. La pluie emportait le sol. Heureusement, j’avais une remorque pleine de bottes de paille, alors j’ai réussi à sauver ma pelouse. Je vous décris là un exemple très localisé.

Ce matin, en me rendant au bureau, je me disais qu’au Nouveau-Brunswick, dans le comté de Carleton, on laboure encore beaucoup avec des charrues à versoir. C’est fréquent, chez nous. En pensant à l’ouragan Fiona qui va déverser trois pouces de pluie à un rythme d’un demi-pouce par heure, je pense à l’impact de ces milliards de gouttes de pluie sur le sol fraîchement labouré. Quand je serai de retour à Centreville, au Nouveau-Brunswick, je peux vous garantir que l’eau du ruisseau Big Presque Isle ressemblera à du lait au chocolat; je vous le garantis.

La sénatrice Simons : Vous nous dites donc que l’impact ne provient pas seulement du volume d’eau que l’on reçoit, mais de l’intensité avec laquelle l’eau tombe?

M. MacLeod : C’est l’intensité.

Pour répondre à votre question initiale, plus les tempêtes seront intenses, plus leur impact sera grave à la surface du sol, et plus il sera crucial d’y laisser de la végétation. Il faut cesser de labourer. Les répercussions de ces systèmes météorologiques ne feront qu’empirer si nous laissons le sol dénudé. Il va finir par se retrouver dans la rivière, il va tuer le poisson et à l’avenir, mon fils, mes 13 nièces et neveux et peut-être aussi leurs enfants auront beaucoup de peine à se nourrir. À un moment donné, cette situation deviendra dramatique.

Le sénateur C. Deacon : Cette conversation sur l’avenir de l’alimentation dans le monde est absolument fascinante. Je crois comprendre qu’au cours de ces 40 prochaines années, nous devrons nourrir autant de gens que nous l’avons fait jusqu’à maintenant sur terre. Nous avons une population croissante qui nécessite beaucoup plus de nourriture.

J’aimerais aborder la possibilité d’un crédit de carbone et ce que le Canada pourrait faire pour récompenser les agriculteurs qui séquestrent le carbone dans leur sol, afin d’augmenter les revenus à la ferme. Cette séquestration n’est malheureusement pas permanente, mais ce stockage précoce nous permettrait de progresser dans notre lutte contre les changements climatiques. Je crois également qu’il s’agit d’une excellente occasion pour les sociétés canadiennes qui se spécialisent dans ce domaine de créer des entreprises novatrices qui exportent les outils nécessaires, comme le suivi de la santé des sols par satellite, et qui favorisent le marché des crédits de carbone partout au monde. La grande société Indigo Ag aux États-Unis est déjà bien financée pour travailler dans ce domaine, et nous avons la société Terramera au Canada.

Que pensez-vous de la possibilité de verser de l’argent à la ferme pour récompenser les agriculteurs qui nous aident à lutter contre les changements climatiques? Quels conseils pouvez-vous donner à ce comité?

M. MacLeod : Ma carrière a surtout porté sur la gestion des gaz à effet de serre et sur l’adoption de pratiques de gestion bénéfique en agriculture.

Je vous remercie pour votre question, sénateur Deacon. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les systèmes de compensation de carbone peuvent générer de la valeur. Comme le prix du carbone monte à 1,70 $, le marché se concrétise. Au prix actuel de 20 $ sur le marché volontaire et de 50 $ sur le marché réglementé, oui, il y a de l’argent à faire dans ce domaine.

En nous engageant dans ces marchés de compensation, nous nous heurtons au fait que nous n’avons pas de protocoles de quantification. Ils n’ont pas été intégrés au système national de crédits compensatoires. Je sais que Jackie Mercer et son équipe à ECCC travaillent activement au développement de ce marché. Toutefois, sénateur Deacon, il faut élaborer ces protocoles avant que les fermes puissent y participer. C’est la prochaine étape, faire adopter le projet de loi pour que nous puissions nous prévaloir de cette occasion d’affaires.

Le sénateur C. Deacon : Autrement dit, il faut traiter cela en priorité, ce que nous n’avons pas fait jusqu’à présent. Si nous ne pouvons pas saisir les débouchés du marché privé, nous privons de cet argent les agriculteurs qui agissent correctement.

M. MacLeod : Oui, vous avez tout à fait raison. En outre, il y a deux façons d’obtenir une compensation pour le carbone. On peut passer par le programme de compensation de carbone ou accepter du financement pour la mise en œuvre de pratiques de gestion bénéfique. C’est ce que nous voyons actuellement avec le Fonds d’action à la ferme pour le climat. Le gouvernement fédéral a affecté 250 millions de dollars à la mise en œuvre de pratiques de gestion bénéfique. J’applique certaines de ces pratiques à ma ferme. Je perçois des incitatifs pour cela, et le gouvernement du Canada assume la propriété de ce carbone pendant la durée du programme. Je trouve que c’est un échange raisonnable.

Soit nous nous efforçons de développer ce marché de compensation dans la dynamique du marché, soit le Trésor paie l’adoption de pratiques de gestion bénéfique et absorbe ces compensations de carbone dans son propre inventaire. Je ne défends ni une approche ni l’autre. Je pense que les deux seront efficaces. Je me réjouis de discuter davantage de ces approches quand vous en étudierez les répercussions.

Le président : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Le président : Chers collègues, nous sommes arrivés à la fin de notre liste. J’aurais probablement 15 ou 16 autres questions à poser, mais je le ferai une autre fois.

Monsieur Lobb et monsieur MacLeod, je vous remercie beaucoup de votre participation aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de nous aider au début de cette étude. Je tiens à remercier mes collègues du comité de leur participation active et de leurs questions réfléchies.

Je veux aussi dire à mes collègues que, le 20 février 2018 — il y a quatre ans et sept mois, soit 1 670 jours —, un homme, qui est devenu un très cher ami, était assis à mes côtés et a dit : « Voici la dernière étude menée par le Sénat du Canada. Il est temps d’en entamer une nouvelle. » Et aujourd’hui, nous entamons cette nouvelle étude. Je tiens à vous dire que ce cher ami était notre premier témoin aujourd’hui. Je remercie beaucoup M. Lobb et M. MacLeod. Encore un gros merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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