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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

La sénatrice Paula Simons (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour à tous. Je voudrais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux personnes qui suivent nos délibérations en ligne.

[Français]

Bienvenue à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca. Je m’appelle Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, et je suis vice-présidente du comité. Ce matin, le comité se réunit dans le cadre de son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

[Traduction]

Avant de céder la parole aux témoins, je voudrais demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Klyne : Bonjour, et bienvenue à nos invités. Je suis le sénateur Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Bonjour. Je suis la sénatrice Pat Duncan, du Yukon.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Les témoins du premier groupe participent par vidéoconférence. Nous accueillons aujourd’hui Andrea Brocklebank, directrice générale du Beef Cattle Research Council, et Reynold Bergen, son directeur scientifique.

Je vous invite à faire votre exposé au nom de votre organisme. Vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Afin d’assurer une utilisation judicieuse de notre temps, je vous ferai signe en levant la main lorsqu’il vous restera une minute et en levant les mains lorsque votre temps sera écoulé. Aucun vol à main armée au programme, je vous rassure. Mais je présume que mon travail aujourd’hui est de présider le comité et non de faire des blagues. Dites-moi, madame Brocklebank, prenez-vous la parole en premier?

Andrea Brocklebank, directrice générale, Beef Cattle Research Council : Nous avions l’impression que seulement l’un de nous prenait la parole.

La vice-présidente : Désolée. D’accord. L’un de vous, peu importe qui, peut commencer.

Reynold Bergen, directeur scientifique, Beef Cattle Research Council : J’ai l’habitude de ce genre de signaux. Mme Brocklebank lève généralement les mains elle aussi quand elle en a assez entendu. Nous vous remercions de nous donner l’occasion d’être des vôtres aujourd’hui. Je m’appelle Reynold Bergen et je représente le Beef Cattle Research Council, tout comme Mme Brocklebank.

L’industrie canadienne du bœuf contribue de façon importante aux objectifs environnementaux du pays. Les prairies canadiennes séquestrent les émissions de carbone de plus de 3 millions de voitures chaque année, favorisent la biodiversité et permettent la production de protéines animales de grande qualité à partir de terres et d’aliments de faible qualité. En 2011, la production d’un kilogramme de bœuf canadien générait 15 % moins de gaz à effet de serre et nécessitait 17 % moins d’eau qu’en 1981.

Partant de là, l’industrie du bœuf s’est fixé des objectifs de durabilité ambitieux pour 2030, y compris la réduction de 33 % de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre, la conservation des 1,5 milliard de tonnes de carbone séquestrées dans les prairies canadiennes, la séquestration de 3,4 millions de tonnes supplémentaires annuellement et la conservation des 35 millions d’acres restants en prairies indigènes au pays. L’atteinte de ces objectifs favorisera la santé des sols. Les Grandes Plaines du Nord constituent l’un des écosystèmes les plus menacés au monde. Conservation de la nature Canada estime la perte de prairies à plus de 70 % dans la région canadienne des Prairies en raison de la grande culture, de l’urbanisation et du développement industriel.

Des recherches financées par l’industrie du bœuf portent sur les pertes en carbone des sols des prairies dues à leur utilisation pour la production de cultures. Les travaux proposés au prochain groupe scientifique porteront quant à eux sur l’incidence de la gestion des pâturages sur la santé des sols et la séquestration du carbone partout au pays. Comprendre cette incidence est important afin d’éclairer les politiques qui accordent une valeur adéquate à ces avantages des écosystèmes et aux incitatifs destinés aux producteurs.

Nous savons que les terres de graminées vivaces séquestrent plus de carbone que celles des cultures annuelles. Nous savons que les prairies indigènes séquestrent le carbone plus profondément dans le sol que celles qui sont cultivées. Nous savons que le sol est plus sain dans les prairies bien gérées que dans celles où il y a trop de pâturage ou encore aucun. Nous connaissons les extrêmes, mais n’avons pas de données précises, par exemple sur l’incidence de différentes pratiques de pâturage sur la santé des sols ou la séquestration du carbone.

La santé des sols est un processus très lent, contrairement à leur détérioration, qui survient rapidement. Les sols canadiens ont évolué sur des dizaines de milliers d’années. Les aider à se rétablir d’anciennes pratiques agricoles néfastes prend du temps. En outre, il n’y a pas de techniques abordables, rapides ou portatives qui permettent de mesurer la santé des sols à la ferme. Ces deux problèmes rendent vraiment difficile l’établissement de pratiques de gestion exemplaires qui amélioreront la santé des sols. Les pratiques exemplaires vont aussi varier d’un type de sol et d’une écorégion à l’autre. Les pressions économiques à court terme qui favorisent actuellement l’utilisation des prairies pour les cultures annuelles viennent quant à elles précariser encore plus le maintien ou le rétablissement à long terme de la santé des sols.

Pour accélérer l’amélioration de la santé des sols, il faut investir dans la recherche et la vulgarisation. L’innovation exige du temps et nécessite un financement constant à long terme. Notre industrie le comprend, et nous avons plus que quadruplé nos investissements dans la recherche au cours des dernières années, mais un partenariat gouvernemental est essentiel. Le gouvernement fédéral a mis en œuvre plusieurs programmes liés à ses objectifs climatiques, ce qui est positif, mais l’ajout de programmes à court terme ayant des priorités diverses ne compense pas la réduction des investissements dans la recherche appliquée à long terme. Malgré le succès des grappes du programme Agri-science, le financement n’a pas augmenté pour répondre à la demande croissante dans tous les secteurs. Les ratios de financement ont également diminué, ce qui a réduit le nombre de projets que l’industrie peut soutenir. Les programmes actuels de financement de la recherche durent cinq ans ou moins, mais il faut des décennies pour obtenir des améliorations mesurables de la santé des sols. Le financement à court terme nuit considérablement à la recherche à long terme sur la santé des sols et sur la séquestration du carbone.

Par ailleurs, les compétences en matière de recherche et les infrastructures de recherche sont également essentielles. En raison de pressions budgétaires, les universités ne remplacent pas les chercheurs qui partent à la retraite, ce qui crée des lacunes importantes. Cela veut aussi dire que la charge d’enseignement est transférée aux chercheurs qui restent, ce qui fait qu’ils ont moins de temps à consacrer à la recherche. Le financement institutionnel de base pour l’agriculture doit être revitalisé afin que nous puissions embaucher des chercheurs et renforcer les infrastructures. Les producteurs doivent également adopter des pratiques de production et de gestion fondées sur la science. Au cours de la dernière décennie, notre industrie a investi d’importantes sommes d’argent afin d’élaborer un programme de vulgarisation efficace et axé sur les producteurs. Nous sommes également impatients de travailler avec les responsables de la nouvelle initiative des laboratoires vivants qui est axée sur les meilleures pratiques en matière de séquestration du carbone et de santé des sols.

En conclusion, j’aimerais résumer mes propos. L’industrie canadienne du bœuf contribue de façon importante à la santé des sols du Canada, mais nous devons nous concentrer sur le maintien des prairies, sur l’évaluation appropriée des services écosystémiques qu’elles fournissent et sur l’amélioration continue de la durabilité globale de l’industrie. La recherche et l’innovation sont essentielles pour atteindre ces objectifs. Pour ce faire, il faudra que le gouvernement et l’industrie investissent davantage dans la capacité de recherche, les infrastructures et le financement de programmes à long terme cohérents pour inciter les producteurs à adopter des pratiques bénéfiques. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant commencer à entendre les questions des sénateurs. Chaque intervention au cours des séries de questions durera sept minutes, et cela comprendra les questions et les réponses.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils ne doivent pas se pencher trop près des microphones, et surtout pas s’ils portent un écouteur pour l’interprétation. Les sénateurs sont priés de ne pas approcher cet écouteur de leur microphone, car cela provoquera une rétroaction acoustique, qui rendra la tâche de nos interprètes très difficile.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup à nos témoins pour leur présentation. C’était très intéressant.

[Traduction]

Je tiens à vous poser une question concernant le pâturage et les changements liés à l’adoption d’un mode de fonctionnement plus conventionnel en matière de pâturage et à l’adoption d’un modèle qui est davantage... et je ne suis pas un expert en la matière, mais j’ai lu des articles sur le pâturage régénératif et le pâturage avec rotation.

J’aimerais savoir certaines choses : comment cela fonctionne‑t-il, exactement? Dans quelle mesure sommes-nous capables, au Canada, de faire la transition vers ce système? Quelles sont les répercussions de ce système sur les organisations et les propriétaires? Combien cette approche coûte‑t-elle, et les aidons‑nous à faire cette transition? C’est un grand nombre de questions.

Mme Brocklebank : Je peux commencer à répondre à ces questions. Je porte deux casquettes, car je suis également productrice, et nous pratiquons le pâturage en rotation, ce que nous ne faisions pas auparavant.

Fondamentalement, le pâturage en rotation ou le pâturage régénérateur consiste à déplacer les animaux dans une zone plus restreinte, ce qui, en général, nécessite l’installation d’un plus grand nombre de clôtures, à les faire paître intensément, puis à déplacer les animaux afin d’accorder aux sols des périodes de repos importantes, avant de ramener les animaux.

L’avantage de cette méthode, c’est que vous mettez le pâturage à l’épreuve, puis vous lui permettez de se reposer et de se rétablir au lieu de le mettre constamment à l’épreuve. C’est une approche très naturelle. C’est ainsi que les bisons procédaient dans les Prairies, en se rendant dans une zone, puis en la quittant. Cela permet à l’herbe de bien réagir, de prospérer vraiment et de contribuer à la biodiversité et à d’autres choses encore.

Pour ce qui est d’inciter les producteurs à le faire, c’est en grande partie une question de vulgarisation, et nous nous efforçons de faire en sorte d’enseigner ces concepts. Mais il est également très important de savoir que de nombreux producteurs doivent tenir compte de la main-d’œuvre qui est nécessaire pour déplacer les animaux plus fréquemment et de l’infrastructure qui est requise, comme les clôtures et les systèmes d’abreuvement, l’abreuvement étant probablement le facteur le plus important.

À cet égard, il est vraiment important de travailler avec les producteurs si nous voulons encourager ces pratiques. En période de sécheresse, il est évident que les plans changent, surtout en ce qui concerne l’eau, qui est l’un des facteurs les plus importants. Je crois qu’il est impératif pour les producteurs de travailler à la mise en place de cette infrastructure.

Également du point de vue de la recherche, nous reconnaissons qu’il est possible d’améliorer les pâturages. On peut ajouter des légumineuses pour cultiver les pâturages, ce qui améliorera la productivité. Nous encourageons donc les producteurs à envisager cette possibilité. Je sais que lorsque nous avons fait cela dans notre exploitation agricole, nous avons été en mesure d’augmenter le nombre d’animaux qui pouvaient paître dans ces prairies, ce qui est une solution gagnante pour produire plus de bœuf avec la même superficie, mais aussi pour les producteurs.

En ce sens, nous nous concentrons vraiment sur la sélection de nouveaux fourrages qui améliorent la productivité des sols.

M. Bergen : La seule chose que j’ajouterais, c’est que les pratiques de pâturage qui fonctionnent dans une région peuvent ne pas fonctionner exactement de la même manière dans d’autres régions. Cela signifie que les résultats de la recherche doivent être mis à l’épreuve dans une grande variété d’environnements différents des quatre coins du pays, car les producteurs élèvent du bétail partout au Canada.

J’ajouterais aussi que, du côté de la recherche, c’est là que la recherche à long terme entre vraiment en jeu. Si vous menez un projet de recherche dans cette région et qu’il coïncide avec trois années de sécheresse ou trois années de fortes précipitations, la recherche ne rendra pas nécessairement compte de ce qui peut se passer sur une période de 10, 15 ou 30 ans. La recherche à long terme est donc essentielle.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Pour aller un peu plus loin, disons qu’un producteur souhaite faire la transition. Obtient-il suffisamment d’informations, de mesures d’incitation et de soutien? Je suppose que cela coûte cher et qu’il faut savoir comment s’y prendre. Les producteurs ont-ils besoin de plus de soutien, ou sont-ils tous satisfaits du soutien reçu?

Mme Brocklebank : Il s’agit sans aucun doute d’un changement à plusieurs niveaux. En ce qui concerne l’accès à l’information, les services de vulgarisation ont vraiment diminué partout au pays par rapport aux modèles adoptés par les gouvernements précédents. Je pense que des associations de l’industrie, dont nous faisons partie, et des associations régionales de producteurs de cultures fourragères tentent de renforcer ces services. Je pense qu’un soutien supplémentaire existe, et nous considérons l’initiative des laboratoires vivants comme un débouché potentiel, mais nous essayons vraiment d’autonomiser les producteurs.

L’une des initiatives que nous avons observées et qui, à mon avis, valent la peine d’être envisagées à long terme du point de vue des programmes, ce sont les programmes de mentorat en matière de pâturage, dans le cadre desquels des producteurs travaillent avec d’autres producteurs, car les producteurs qui ont été novateurs et qui ont adopté ce système dans une certaine région comprennent la dynamique de cette écorégion et peuvent travailler avec d’autres producteurs.

Pour ce qui est des investissements, qu’il s’agisse de l’achat de clôtures, de semences ou d’autres éléments, il est tout à fait possible de prendre des mesures pour les inciter à investir dans ce matériel. L’amélioration des fourrages exige de nombreuses années de travail. Elle ne se fait pas du jour au lendemain, et il est difficile d’observer une rentabilisation rapide de ces investissements. Parfois, les producteurs sont encouragés à convertir des terres en terres cultivées. Pourtant, nous connaissons les services écosystémiques fournis, la séquestration du carbone, entre autres choses, et je pense que c’est sur ce point que l’industrie se concentre vraiment, en essayant de faire des recherches pour aider à attribuer des valeurs à ces services, afin qu’ils puissent être valorisés et que les producteurs puissent être incités à les adopter, car ce n’est pas le cas en ce moment.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos témoins.

La production de viande industrielle a augmenté considérablement au cours des 50 dernières années, et il ne s’agit pas seulement du bœuf. Il y a d’autres sources de viande. Je dois admettre que je fais partie des consommateurs de bœuf. Rien ne vaut un bon steak accompagné d’un bon vin.

J’ai quelques questions qui vont exiger, je crois, des réponses courtes, et je remercie la présidente de nous donner un peu plus de temps.

Quel pourcentage des terres agricoles au Canada sert à la production animale industrielle, et quel pourcentage représentent le bœuf ou les bovins?

M. Bergen : Je peux tenter de répondre. Je vais devoir vous revenir au sujet du pourcentage exact de terres agricoles qui est consacré à la production de bœuf au Canada. C’est considérable. Pour ce qui est de la ventilation entre production intensive et extensive ou, je crois, ce à quoi vous faites allusion, production industrielle et basée sur les pâturages, je ne suis pas certain de pouvoir obtenir l’information.

Ce que je peux vous dire de façon très générale, c’est que la production intensive a une empreinte terrestre beaucoup moins importante, car nous faisons paître plus de bovins avec moins de ressources.

L’autre élément, et je suis certain qu’Andrea Brocklebank peut ajouter quelque chose — désolé pour les courtes réponses; ce n’est pas dans ma nature —, mais les deux systèmes ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils fonctionnent vraiment ensemble. La production en ranch où la famille vache-veau grandit mène à la production animale intensive où on engraisse les bovins, qui pèsent 400 ou 500 livres, jusqu’à ce qu’ils soient prêts pour la consommation.

Nous avons le système de production extensive pour utiliser les terres de faible qualité qui ne sont pas productives et ne se prêtent pas à la production des cultures, qui s’imbrique alors dans le système de production intensive qui dépend beaucoup de la production de cultures, car c’est là où les sous-produits ou les grains qui ne conviennent pas à la consommation humaine peuvent être utilisés pour nourrir le bétail.

Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Klyne : Oui, c’est très intéressant. Ce sont les répercussions sur les terres et les sols qui m’intéressent vraiment, mais je vous remercie des autres commentaires.

Mme Brocklebank : Je pense que le point vraiment important à ce sujet est qu’un animal passe presque 70 % de sa vie à consommer du fourrage. On a souvent l’impression qu’il passe beaucoup de temps dans un parc d’engraissement, alors qu’il passe, en fait, 70 % de sa vie dans les prairies, ou à être nourri du fourrage qui en provient. C’est l’élément concernant la santé des sols et la séquestration du carbone qui est important.

Le sénateur Klyne : Je ne sais pas si vous recueillez ces données, ou si vous avez commencé à mesurer cela — je ne sais pas s’il s’agit d’un enjeu important depuis longtemps pour le secteur des bovins —, mais quelle est la perte de terres arables due au surpâturage?

M. Bergen : C’est l’une des questions auxquelles nous n’avons pas de réponse. Nous nous efforçons par contre d’effectuer un suivi des pratiques de production qui sont adoptées, et nous savons qu’environ 50 % des producteurs pratiquent la rotation des pâturages. Toutefois, la rotation des pâturages se définit de bien des façons, alors l’information qu’on peut en tirer est limitée.

Le sénateur Klyne : À ce sujet, combien d’éleveurs de bovins ou de grands éleveurs utilisent la monoculture pour répondre à la demande?

M. Bergen : Je dirais qu’il n’y en a aucun.

Le sénateur Klyne : Est-ce plus fréquent aux États-Unis?

M. Bergen : Les pâturages, par définition, ne sont pas de la monoculture. On trouve une multitude de plantes différentes dans un pâturage. De plus, même quand les bovins se trouvent dans un parc d’engraissement, leur régime alimentaire est mixte.

Le sénateur Klyne : Très bien. C’est probablement un problème que je n’ai jamais vu comme tel, en particulier quand je passe dans la région de Kahkewistahaw, mais est-ce que la consommation de viande a incité des entreprises à procéder à des coupes à blanc pour accroître les pâturages?

M. Bergen : Je ne pense pas, non. Nous avons constaté un fait intéressant, soit que la foresterie et l’élevage de bovins vont ensemble. Lorsqu’une forêt est récoltée, avant le réensemencement, l’herbe pousse et les bovins sont une excellente façon de gérer la croissance des plantes pendant que les arbres repoussent. Nous pouvons vous donner plus de détails si vous le souhaitez.

Mme Brocklebank : Nous travaillons avec le secteur de la foresterie sur les pâturages en bandes et étudions comment cela améliore la production d’arbres, car les arbres ont ainsi accès à plus de lumière. Cela améliore aussi le fourrage entre les bandes et aide à prévenir les incendies. Nous avons vu qu’il y avait là des possibilités.

Le sénateur Klyne : On a beaucoup entendu parler du côté des producteurs de grains et de céréales qu’ils examinent diverses pratiques exemplaires, mais il semble y avoir des retardataires ou des adopteurs tardifs. Quand on pense aux éleveurs de bovins, il est facile pour quelqu’un de leur dire d’éviter le surpâturage, de trouver des réseaux d’eau de remplacement ou d’opter pour la gestion des pâturages. Toutefois, je pense que les coûts d’un élevage de bovins sont sans doute déjà élevés et que cela vient alors les augmenter.

La plupart des éleveurs de bovins sont-ils au courant de certaines de ces pratiques, comme le fait d’éviter le surpâturage, de trouver des réseaux d’eau de remplacement ou d’utiliser la gestion des pâturages, ou est-ce que beaucoup d’entre eux sont récalcitrants et n’utilisent tout simplement pas ces pratiques?

Mme Brocklebank : Je pense que beaucoup sont au courant. Je pense qu’il est avantageux pour eux de les adopter sur leur ferme. Chaque région, chaque ferme est unique. Il est donc parfois difficile pour eux de savoir ce qui fonctionne, car le problème peut être la sécheresse, la disponibilité de la main‑d’œuvre, etc. Ils auraient besoin d’analyse économique pour voir les avantages du côté de la rentabilité.

La vice-présidente : Je vais poser la prochaine question. Il y a une ou deux semaines, des témoins nous ont dit qu’il était souhaitable d’avoir des pâturages mixtes. J’imaginais des bœufs, des moutons, des chèvres et peut-être des bisons. Cela me semblait charmant, bucolique, mais je n’ai jamais vu de ranchs qui fonctionnent de cette façon.

Pouvez-vous me dire chacun si le fait d’avoir divers types d’animaux dans les pâturages comme stratégie de gestion par rotation est, en fait, un scénario plausible?

M. Bergen : C’est possible, mais c’est très rare.

Mme Brocklebank : Pour parler du point de vue d’une productrice, la façon de s’occuper de ces animaux est très différente et demande des infrastructures différentes, de même que plus de logistique. Pour les producteurs qui ont souvent un emploi à l’extérieur de la ferme et qui doivent s’occuper des infrastructures requises, le problème est le coût. Il faudrait que les avantages par rapport aux coûts soient vraiment clairs. Ce serait sans doute difficile à démontrer, à tout le moins à court terme.

Nous voyons surtout des possibilités d’amélioration du côté de la rotation des pâturages et de l’amélioration des pâturages grâce, par exemple, à l’ajout de légumineuses pour fixer l’azote, ce qui accroît la productivité. Nous voulons accroître la diversité du côté des pâturages, et non du bétail.

M. Bergen : Il n’est pas rare, en fait, de voir différentes espèces brouter ensemble dans les fermes d’élevage, mais souvent, il ne s’agit pas d’autres espèces domestiques. On trouve aussi beaucoup de chevreuils dans les pâturages.

La vice-présidente : Des chevreuils et des wapitis, etc.

Monsieur Bergen, j’ai été surprise lorsque vous avez parlé du manque de réinvestissement dans les universités pour la recherche en agriculture. Nous avons entendu le témoignage de nombreux chercheurs depuis un mois environ, et ils nous ont dit que nous avions besoin d’une approche coordonnée pour l’échange de données. Vous êtes le premier à nous signaler un problème très différent et important au sujet du manque de financement destiné à la recherche fondamentale à long terme dans les sciences et les sciences agricoles au sein des universités.

Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Je ne sais pas si vous avez des chiffres ou s’il s’agit d’une observation anecdotique à propos du manque de financement pour ce type de recherche dans le milieu universitaire.

Mme Brocklebank : Nous avons l’expérience. Nous finançons les recherches prioritaires pour l’industrie. Dans certains cas, en particulier pour ce qui est, disons, de la productivité du fourrage et de la santé des sols, nous demandons des propositions, mais nous n’obtenons pas celles que nous souhaitons, et c’est notamment parce que les chercheurs dans ce domaine ont déjà une pleine charge de travail et qu’on peut embaucher un nombre limité d’étudiants postdoctoraux et d’étudiants pour chaque projet de recherche. Ils nous ont dit que lorsque des gens partent à la retraite — les universités subissent des pressions financières, et c’est donc une des façons de les alléger —, cela accroît la charge d’enseignement ailleurs.

Je pense que le problème tient aussi au fait que les chercheurs passent beaucoup de temps à trouver du financement pour les programmes, qui sont des programmes à long terme. S’ils doivent obtenir du financement du provincial, du fédéral, de l’industrie — un exercice qu’ils doivent répéter aux trois ans —, ils consacrent beaucoup plus de temps à l’administration du financement de la recherche qu’à la recherche proprement dite.

Sur certains sujets, nous sommes très réalistes, en ce sens qu’on n’obtient pas de résultats significatifs en moins de cinq ans. Cela crée donc beaucoup d’incertitudes pour nos chercheurs, qui se concentrent alors sur le financement des programmes. Beaucoup de nouveaux programmes sont d’une durée de trois ans ou moins. C’est un problème pour eux.

M. Bergen : J’aimerais souligner que c’est tout particulièrement important quand il s’agit de la recherche sur les sols, car les changements peuvent prendre des décennies avant de se manifester.

La vice-présidente : Vous avez soulevé un très bon point un peu plus tôt en disant que si votre étude s’échelonne sur trois ans au cours desquels les conditions météorologiques ne se situent pas dans la moyenne, vous n’obtiendrez pas un résultat cohérent vous permettant d’extrapoler pour une saison climatique différente.

Le sénateur Mockler : Selon nos recherches — et je pose la question à nos deux témoins —, lors de son témoignage le 25 octobre 2022 devant le comité, Sean Thomas, professeur à l’Université de Toronto, a dit :

[...] il y a de vastes étendues de terre tourbeuse dans le Nord du Canada. Cette terre est typiquement très riche en matière organique et en carbone [...] le Canada a la responsabilité de protéger ses sols tourbeux.

Je connais bien les problèmes que nous avons au Canada atlantique et même dans certaines régions du Québec. Dans quelle mesure la dégradation des tourbières du Canada en raison du drainage agricole et forestier présente-t-elle une menace pour ces sols et leur riche biodiversité? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Bergen : Je n’en ai pas, non. Ce ne sont pas habituellement des zones où on fait de l’élevage de bœuf. Toutefois, au sujet des milieux humides, leur drainage est un problème environnemental important, notamment en raison de leurs répercussions sur les bassins versants. Les vastes inondations des terres que nous avons connues parfois au cours des dernières années sont dues en grande partie parce que beaucoup de milieux humides ont été drainés à des fins de production agricole sur des terres cultivées.

Ces milieux humides agissent comme des éponges, alors quand survient une grosse inondation, ils peuvent l’absorber. Lorsqu’il y a une sécheresse, ils peuvent libérer l’eau dans la région avoisinante, ce qui est très bon pour les parcours naturels, mais nuit aux tracteurs et aux cultivateurs.

De plus, les milieux humides sont un habitat pour de nombreuses espèces sauvages, en particulier les oiseaux migrateurs. Je ne peux pas vous parler des tourbières, mais je peux vous parler des milieux humides, de leur importance, tant pour l’environnement que pour l’industrie bovine, de même que du rôle que cette industrie joue pour les protéger et les préserver.

Le sénateur Mockler : Je vais passer à un autre témoin et à ce qu’il a dit le 6 octobre 2022 devant le Comité permanent de l’agriculture et des forêts. Asim Biswas, professeur agrégé à l’Université de Guelph, a mentionné que le Canada avait besoin d’un défenseur national de la santé des sols.

Ma question est la suivante : quel serait le rôle de ce défenseur, à la lumière de votre expérience dans tout le Canada?

M. Bergen : Il n’est pas facile de répondre à cette question. Nous n’avons pas de défenseur de la santé des sols, alors il est difficile de dire quel serait son rôle ou l’avantage d’en avoir un.

Je peux toutefois vous dire qu’au sein de la communauté agricole, nous avons des milliers de défenseurs de la santé des sols. Tous les agriculteurs savent ce qu’est un sol en santé.

Le sénateur Mockler : C’est exact.

Mme Brocklebank : Je pense que l’approche que j’adopterais serait de comprendre la complémentarité des secteurs au Canada. Nous comptons sur les sous-produits du secteur des cultures pour nourrir les bovins dans les parcs d’engraissement. De même, les bovins jouent un rôle important dans l’utilisation des terres et des aliments qui ne peuvent servir à d’autres fins.

La population a l’impression que les pâturages se porteraient mieux sans les bovins, mais nous savons que ce n’est pas le cas. Nous travaillons avec Canards Illimités et d’autres organismes comme Conservation de la nature Canada qui reconnaissent que les bovins favorisent, en fait, la biodiversité. Je pense qu’un défenseur national de la santé des sols devrait parler de l’agriculture à la population et faire valoir le rôle que nous jouons notamment dans la séquestration du carbone et la santé des sols.

Nous savons pertinemment que nous devons continuer à réduire notre empreinte environnementale, mais nous savons aussi que nous jouons un rôle de complémentarité pour ce qui est du carbone et de la biodiversité. Il faut assurément mieux informer la population qui ne comprend pas en quoi consistent l’agriculture et les technologies que nous utilisons.

M. Bergen : J’ajouterais rapidement au sujet de la complémentarité entre bovins et cultures qu’elle a souvent lieu au sein de la même exploitation. Il arrive souvent que le producteur de cultures élève aussi des bovins, alors cela ne s’oppose pas.

Le sénateur Mockler : Notre présidente vient d’en parler, et je veux le faire à nouveau, et j’aimerais avoir vos commentaires, si on peut être plus précis.

Je veux d’abord vous dire que je viens du Canada atlantique, du Nouveau-Brunswick, et que les meilleurs inventeurs dans le monde ou au Canada sont les agriculteurs.

Cela dit, nous avons un problème concernant l’échange de données avec nos partenaires. Comment procéderiez-vous si vous deviez mettre en place une structure pour l’échange de données et recenser les pratiques exemplaires? Que feriez-vous du côté des agriculteurs et comment procéderiez-vous?

Mme Brocklebank : Je pense qu’on en revient aux réseaux de vulgarisation qu’il faut mettre en place. Ils ont été beaucoup réduits dans le modèle traditionnel, et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de revenir à ce modèle. Les producteurs sont inventifs, et notre organisation s’est notamment employée à analyser leurs méthodes de travail et à diffuser l’information aux autres agriculteurs.

Nous pouvons demander à un chercheur de parler à un producteur d’une technologie. Il acquiescera et comprendra, mais si un autre producteur lui fait part de son expérience, c’est à lui qu’il posera des questions. Ils font confiance à la science, mais ils veulent savoir de quelle façon elle a été adoptée et mise en place.

Je pense que les Laboratoires vivants, et aussi d’autres programmes, sont une occasion pour nous de promouvoir la vulgarisation et le processus d’adoption, ce qui nécessite vraiment de travailler directement avec les producteurs, d’encourager le mentorat des producteurs et d’encourager les producteurs à discuter avec les chercheurs, car les chercheurs ont besoin de comprendre ce avec quoi les producteurs doivent composer. Les laboratoires et la recherche ont un rôle très important à jouer, mais si cela n’est pas utile sur la ferme, alors c’est tout simplement trop coûteux.

C’est une des choses que nous observons. Comme notre financement est limité, nous travaillons à très petite échelle, mais je pense qu’il est possible de développer cela.

Le sénateur Cotter : Je m’excuse d’avoir raté vos exposés. Je m’occupais des affaires du pays d’une certaine manière ailleurs.

Je m’intéresse en particulier à vos discussions et observations au sujet de la recherche, du financement de la recherche, et de la capacité de recherche dans les universités, en particulier. Je pense à cela presque dans une dimension bifocale.

J’aimerais mentionner en guise d’introduction que j’ai passé un peu de temps avec le sous-ministre de l’Agriculture de la Saskatchewan il y a quelques années et nous avons discuté des relations du ministère de l’Agriculture de la Saskatchewan avec l’université et la recherche universitaire. Je suis certain que cela est vrai dans l’ensemble du pays. Ils investissent des sommes importantes dans la recherche universitaire. Leur frustration venait du fait qu’ils voulaient des réponses en temps utile pour des projets qui, selon les chercheurs, allaient prendre plus de temps.

Je présume que — aussi diplomatiquement que possible — vous diriez sans doute la même chose, et l’avez sans doute fait. Je me demande donc si, pour la recherche dans laquelle investit l’industrie, pour avoir une valeur commerciale dans un temps relativement court, cela devrait être financé et soutenu par l’industrie — et dans certains cas peut-être par le gouvernement — mais que pour les projets à long terme, où le rendement du capital investi est en réalité un enjeu public, ces investissements — ceux importants et à long terme — devraient provenir de sources publiques?

J’aimerais demander à Mme Brocklebank et à M. Bergen de nous dire ce qu’ils en pensent, s’ils le veulent bien.

Mme Brocklebank : Je peux répondre en premier.

Je pense que vous avez raison. Nous finançons un grand nombre de recherches, accordant souvent la priorité à ce que nous appelons les travaux appliqués à court terme dont les producteurs, qui les financent, peuvent observer les bénéfices directs. Nous admettons que nous devons également investir dans la recherche à long terme dans certains domaines, mais les bénéfices sont plus difficiles à voir.

Certains de ces travaux ont des bénéfices pour le bien public. La santé des sols, la contribution au stockage du carbone, la biodiversité et toutes ces choses sont bénéfiques pour le bien public également. Je pense donc que l’investissement public a un rôle à jouer à cet égard. Par le passé, Agriculture et Agroalimentaire Canada a considérablement financé la recherche agricole dans ces domaines, mais ce financement a beaucoup diminué et est moins accessible. Dans la plupart des cas, l’industrie doit intervenir — et donc investir — pour inciter le gouvernement à financer la recherche. Voilà qui favorise la recherche appliquée, mais il faut travailler en amont et effectuer des recherches à long terme pour pouvoir réaliser des recherches appliquées à court terme. Le financement est donc difficile, en effet.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

Monsieur Bergen, voulez-vous ajouter votre grain de sel?

M. Bergen : Oui. Je voudrais en fait réitérer ce que Mme Brocklebank vient de dire. C’est un spectre ou un continuum, dans le cadre duquel la recherche appliquée à court terme découle de la recherche fondamentale à long terme. L’une ne va pas sans l’autre.

Je conviens en outre que nous adoptons habituellement la même approche. Les bailleurs de fonds publics ont certainement un rôle prépondérant à jouer dans le financement de la recherche fondamentale à long terme pour le bien public. Nous devons toutefois nous rappeler qu’ils ont des comptes à rendre quant à la valeur de leurs investissements.

Ils peuvent certainement être tentés d’investir dans des travaux à court terme qui offrent des gains immédiats, négligeant ainsi la recherche à long terne. C’est une préoccupation constante.

Le sénateur Cotter : Je n’ai pas d’autre question, juste une observation sur votre dernier commentaire, monsieur Bergen. Les sous-ministres de l’Agriculture doivent également rendre des comptes sur les résultats des investissements en fonds publics. Il leur est difficile de répondre au ministre qu’ils auront des renseignements très intéressants dans 20 ans. Je vous remercie.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup de témoigner aujourd’hui. Comme je suis arrivée en retard, je n’ai pas entendu vos exposés. Veuillez m’en excuser. Comme vous travaillez avec des représentants de toutes les provinces, quel serait, selon vous, le principal défi que les producteurs doivent affronter? Qu’est-ce que le gouvernement peut faire pour les aider à le relever?

Mme Brocklebank : Eh bien, notre industrie est complexe. Je pense que la rentabilité vache-veau constitue notre plus grand défi. Si des veaux ne naissent pas dans les fermes, les secteurs de l’engraissement et de la transformation sont en difficulté. La rentabilité vache-veau repose sur quelques dynamiques clés, comme l’alimentation adéquate, et des phénomènes comme les sécheresses et les inondations ont des répercussions considérables à cet égard. Le climat étant volatile, il est plus difficile pour les producteurs d’être économiquement viables et d’assurer la pérennité de leurs activités.

L’accès à la main-d’œuvre pose également des problèmes dans l’industrie. Un grand nombre d’exploitations dépendent énormément de la main-d’œuvre, que les travailleurs appartiennent à la famille ou soient embauchés. Cela a une incidence sur l’adoption de nouvelles technologies, car quand les producteurs adoptent des innovations et pratiques nouvelles, ils ont souvent besoin d’employés, qui sont difficiles à trouver dans bien des cas.

Nous devons également assurer l’accès à des terres adéquates. La demande en ressources agricoles continue manifestement d’augmenter, et le bétail a en quelque sorte été relégué sur les terres plus marginales. Nous utilisons fort bien, mais il est très important de veiller à ce que les producteurs aient accès à de nouvelles variétés de fourrage pour accroître la productivité de la terre et aient accès aux outils pour les aider à cet égard.

La sénatrice Jaffer : Je veux poursuivre sur le même sujet. La main-d’œuvre constitue un problème pour tous les agriculteurs du Canada. La pénurie est bien réelle. J’imagine que pour un producteur laitier, avec toute la technologie et la machinerie qu’il utilise, il est très difficile d’engager des travailleurs, et le gouvernement fait venir de travailleurs temporaires. Quelle est la solution?

Mme Brocklebank : Je pense que dans l’industrie du bœuf, que nous représentons, la solution passe principalement par les nouvelles technologies. Même sur notre propre exploitation, nous envisageons de recourir à des drones pour surveiller l’eau et les clôtures. Mon fils peut les faire voler mieux que quiconque. Cela nous aide. Nous devons certainement continuer d’encourager les gens à s’intéresser aux nouvelles technologies qui peuvent aider les producteurs. Il faut tenir compte de la courbe d’apprentissage, mais aussi améliorer les technologies pour pouvoir les utiliser.

Nous avons eu une forte tempête de neige hier, et c’est une des dynamiques particulières à prendre en compte. La technologie doit fonctionner au moins à des températures de plus 40 et de moins 30 degrés. Cela pose un défi. La technologie semble formidable dans certains cas, mais si elle ne fonctionne pas toute l’année pour les agriculteurs, c’est un problème. Il faut également s’assurer que les agriculteurs comprennent à quelle vitesse ils peuvent rentabiliser l’investissement en capital.

La sénatrice Jaffer : Vous avez parlé des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les inondations, les sécheresses et les vagues de chaleur. Je viens de la Colombie-Britannique, qui a connu son lot de problèmes à cet égard. Ces dernières années, quelles répercussions les phénomènes météorologiques extrêmes ont-ils eues sur le secteur de la viande et des produits laitiers au Canada?

Mme Brocklebank : Je vis au sud-ouest de Calgary, où nous mettons les animaux d’un an au pâturage pendant les mois d’été. Nous le faisons habituellement de juin à septembre. Or, il y a deux ans, nous avons retiré les animaux le 16 juillet. C’est un choix très difficile que nous avons dû faire pour maintenir la santé de nos pâturages, car s’ils sont surutilisés, il leur faut des années avant de se rétablir. D’un point de vue économique, cependant, cela a eu des répercussions considérables sur notre exploitation.

C’est le défi auquel les producteurs sont confrontés. S’ils veulent assurer la santé de leur herbe, de leurs pâturages et de leur fourrage, ils doivent souvent faire des choix économiques difficiles et ce n’est pas toujours faisable s’ils n’ont pas suffisamment de capitaux et de fonds propres. C’est ainsi que certains d’entre eux jettent l’éponge et quittent le domaine de l’élevage ou optent plutôt pour la culture agricole ou autre chose. Même la culture agricole a ses défis.

M. Bergen : J’ajouterais que pendant que Mme Brocklebank se demandait si elle pouvait laisser le bétail paître au début de juillet, les producteurs du Manitoba espéraient pouvoir envoyer le leur au pâturage, car les prés étaient sous l’eau depuis des mois. Les inondations et les sécheresses sont extrêmes, souvent en même temps à des endroits différents.

La sénatrice Jaffer : La Colombie-Britannique connaît de tels phénomènes extrêmes, et c’est très difficile. Je me demandais quelle était la situation dans l’industrie de l’élevage. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Petitclerc : J’ai deux questions à vous poser. Je vous remercie de nouveau de vos réponses. Selon la source consultée, il faut entre sept kilogrammes et deux kilogrammes et demi de grains pour produire un kilogramme de bœuf. Cela a évidemment un prix environnemental. Où le Canada se situe-t-il quant au rapport grain-bœuf?

Mon autre question entre dans la même catégorie. J’ai lu que le bétail est presque exclusivement nourri à l’herbe en Nouvelle‑Zélande. Je comprends que le climat est différent, mais envisage‑t-on de nourrir davantage le bétail à l’herbe, ou est-il simplement impossible de le faire au Canada?

Mme Brocklebank : Je dirais que le Canada a l’une des empreintes environnementales les plus faibles du monde sur le plan de la production de bœuf. Cela vient en partie du fait que nous le nourrissons au grain une partie du temps. Essentiellement, nous pouvons finir d’engraisser l’animal plus rapidement en utilisant moins d’eau, en produisant moins de fumier et en produisant plus de bœuf par unité de terre.

Cela ne signifie pas que la production de bœuf nourri à l’herbe est mauvaise. Tout dépend de l’accès que l’on a. Au Canada, nous avons aisément accès aux sous-produits et aux céréales fourragères qui ne peuvent pas servir à la consommation humaine. L’orge qui ne peut être utilisée dans l’industrie du malt prend souvent le chemin de l’industrie de la nourriture animale. Je pense que c’est fort avantageux. Nous essayons souvent de faire comprendre que le secteur de l’alimentation animale nous donne un avantage.

Nous avons été en mesure de réduire notre empreinte environnementale et poursuivons nos efforts en ce sens. Nous l’avons substantiellement réduite au cours des 30 dernières années, et nous continuons de mettre l’accent sur ces démarches afin de produire plus de bœuf avec moins d’intrants.

M. Bergen : Nous ne mettons pas en rapport la quantité de grains utilisée et la quantité de bœuf, mais la quantité de nourriture utilisée avec la quantité de bœuf. Nous avons ainsi constaté que la quantité de nourriture utilisée pour produire une livre d’animal est passée d’une quinzaine de livres à environ cinq livres au Canada. Comme Mme Brocklebank l’a indiqué, cela signifie deux choses : il faut moins de ressources pour produire une livre de bœuf, et la viande se retrouve plus rapidement sur le marché, alors que la quantité de méthane produite est moins importante. Comme elle l’a souligné, cela nous permet de faire du surcyclage.

Les humains ne peuvent pas consommer d’herbe du tout. Nous ne pouvons vivre de cet aliment. En outre, les céréales qui ne conviennent pas à la consommation humaine peuvent être surcyclées en nourrissant le bétail. Nous utilisons donc de la nourriture et des sous-produits qui seraient autrement inutiles et en faisons de la protéine de grande qualité destinée au bétail.

Vous aviez une question à propos de la Nouvelle-Zélande. Vous avez en quelque sorte répondu à votre propre question. Nous ne pouvons pas faire pousser de l’herbe toute l’année; nous ne pouvons donc pas finir l’engraissement du bétail en le nourrissant d’herbe toute l’année. Au Canada, nous avons trouvé des manières de laisser davantage les troupeaux de vaches dans les pâturages toute l’année. Les animaux peuvent ainsi brouter davantage en hiver, et nous utilisons moins de carburant fossile pour récolter le foin, le mettre en balles et le transporter pour nourrir les vaches. Nous pouvons les laisser aller et le récolter elles-mêmes.

La vice-présidente : Je me hasarderai à poser quelques questions. Je pense à ma propre province, l’Alberta, et plus précisément au sud de la province. L’Expédition Palliser a parcouru la région il y a longtemps et a déclaré qu’il ne pourrait pas y avoir d’agriculture dans le triangle de Pallister. Nous avons défié cette prédiction et utilisé l’irrigation pour faire de cette région une des terres les plus productives du pays. Cependant, à mesure que le climat continue de changer, pense-t-on d’une partie des prés du triangle de Palliser Triangle ne pourront plus servir de pâturages? De plus, si certaines terres sont cultivées, cesseront-elles d’être cultivables et seront-elles converties en pâturages?

M. Bergen : Je peux faire la lumière à ce sujet. Je pense que l’Expédition Palliser a indiqué que la terre ne convenait pas à la culture. Il s’agit d’un pâturage, qui devrait être utilisé comme tel. Les bisons y broutaient continuellement, et le bétail l’a simplement remplacé. Il y aura toujours de la place pour le broutage. Avec les changements climatiques, certaines pratiques de gestion continueront certainement d’évoluer en fonction des limites et des défis environnementaux.

Mme Brocklebank : Je pense que vous avez raison et que nous mettrons moins d’animaux aux pâturages à un moment donné. Quand nous nous sommes lancés dans le domaine, j’étais économiste de formation et je voyais les choses en blanc et noir. Mon père m’a dit sans détour qu’il n’y avait rien de blanc ou de noir dans ce domaine. Ce qui fonctionne une année ne fonctionne pas nécessairement l’année suivante, et il faut peut-être adopter une troisième approche l’année d’après.

Nous travaillons avec les producteurs pour examiner leur terre et prendre des décisions à ce sujet en fonction du climat de la région. La plus grande volatilité nous complique la tâche, car nous devons continuer d’évoluer au rythme de la volatilité. Nous savons qu’au bout du compte, le broutage stimule la croissance, et c’est important. Le retrait total du bétail n’aurait pas d’avantage pour les pâturages et le stockage du carbone. Mais nos pratiques devront incontestablement évoluer pour tenir compte du climat.

La vice-présidente : Madame Brocklebank, vous avez précédemment parlé du broutage en forêt. À mesure que le climat change, cette solution pourrait-elle s’ajouter à l’éventail d’options? Dans quelle mesure les gens de l’Ouest des Prairies font-ils paître leur bétail sur les terres de la Couronne, que ce soit dans des prés ou des forêts?

Mme Brocklebank : Je pense que c’est une possibilité. Intrinsèquement, quand le débat a commencé, on avait l’impression que le fait d’utiliser des parcelles de terres exploitées par l’industrie forestière pour en faire des pâturages représentait une perte pour la foresterie. Cependant, les recherches que nous menons nous aident à comprendre comment cela accroît les bénéfices de l’herbe non seulement pour le bétail, mais aussi pour la production forestière qui est tout à côté. Comme nous cherchons à assurer la santé à long terme des forêts en réduisant les risques d’incendie et évaluons les avantages de cette pratique, nous en sommes venus à considérer que le bétail est utile, car il atténue les risques d’incendie en nettoyant les sous-bois et ce genre de terrain près des régions urbaines.

Le bétail est une espèce très robuste qui peut être utilisée dans toutes sortes de régions. La manière dont on fait brouter le bétail dans l’Est du Canada est fort différente de celle employée en Colombie-Britannique. C’est notamment pour cette raison qu’on utilise différentes races de bétail. Les collines de la Colombie-Britannique sont très différentes de celles de l’Est du Canada.

L’industrie continuera d’évoluer. Elle est opportuniste. Si des aliments s’offrent à elle, elle évoluera. Cet opportunisme l’encourage à admettre les avantages supplémentaires que ces pratiques peuvent avoir pour des terres et les forêts qui sont importantes.

La vice-présidente : Quel pourcentage de producteurs font brouter leur bétail sur les terres de la Couronne par rapport à ceux qui le font sur des terres privées?

Mme Brocklebank : Je ne connais pas ces pourcentages. Il faudrait que j’effectue des recherches à cet égard. Les terres de la Couronne sont très importantes dans de nombreuses régions, particulièrement en Alberta, et il importe que les gens y aient accès. Ici encore, le bétail joue un rôle important en contribuant à entretenir et à stimuler les pâturages, mais je ne connais pas les pourcentages.

M. Bergen : Je ne les connais pas non plus.

La vice-présidente : Les sénateurs ont-ils encore des questions? Voyant que ce n’est pas le cas, je veux remercier Mme Brocklebank et M. Bergen de leur participation aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de l’aide que vous nous avez apportée dans le cadre de notre étude.

Si vous souhaitez écouter la deuxième moitié de la séance, vous pouvez rester branchés, mais nous vous demanderions de désactiver vos microphones et vos caméras alors que nous poursuivons nos travaux. Je vous remercie beaucoup.

M. Bergen : Je vous remercie.

La vice-présidente : Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins, composé de Pierre Petelle, président et chef de la direction, et Ian Affleck, vice-président à la biotechnologie, de CropLife Canda; ainsi que Cassandra Cotton, vice-présidente de la Politique et des programmes, de Fertilisants Canada.

Je vous invite à faire vos exposés. Chacun d’entre vous disposera de cinq minutes pour présenter une allocution d’ouverture. Je lèverai une main quand il vous restera une minute et les deux mains quand votre temps sera écoulé. Monsieur Petelle, vous pouvez faire votre exposé.

Pierre Petelle, président et chef de la direction, CropLife Canada : Je remercie tous les sénateurs de nous recevoir aujourd’hui. Qu’il est bon de témoigner en personne après tant d’années à échanger sur Zoom. Nous sommes enchantés d’être ici aujourd’hui.

CropLife Canada est l’association commerciale qui représente les concepteurs, les fabricants et les distributeurs de solutions de protection des cultures et d’innovations modernes de sélection des plantes que les agriculteurs utilisent pour produire les cultures dont nous dépendons.

Comme la présidente du comité le sait, cela fait plus de 35 ans que le Sénat n’a pas entrepris une étude comme celle-là. Inutile de dire que l’agriculture a beaucoup changé au Canada. La productivité et les exportations ont connu une croissance exponentielle, et la modernisation a rendu le secteur radicalement différent. Les agriculteurs canadiens doivent affronter une concurrence internationale plus féroce et les pressions croissantes des changements climatiques. Dans tout cela, la santé des sols demeure importante pour l’avenir à long terme de l’agriculture canadienne. Nous voudrions mettre en lumière le fait que l’agriculture moderne a été un avantage net pour la santé des sols au Canada et continuera de l’être si on nous permet de faire fond sur cette réussite.

Il est important de situer l’agriculture canadienne dans le contexte international. Le secteur agricole est responsable de 8 % des émissions au Canada, mais de 23 % des émissions dans le monde. L’exploitation agricole canadienne d’aujourd’hui peut produire deux fois plus qu’il y a 50 ans avec la même quantité totale d’intrants. Bien que la production ait augmenté considérablement, les émissions totales du secteur agricole canadien sont relativement stables depuis 20 ans, ce qui a fait diminuer l’intensité des émissions de gaz à effet de serre de 50 % entre 1997 et 2017.

Grâce à l’adoption de pratiques de conservation des sols, les sols agricoles du Canada séquestrent du carbone depuis 20 ans. Les progrès réalisés dans le domaine de la biotechnologie et des produits de protection des cultures ont contribué à rendre l’utilisation des pesticides plus efficace au Canada et à répondre aux principales préoccupations liées aux changements climatiques. L’avènement de l’agriculture de précision a maintenant permis aux agriculteurs de faire des applications de pesticides plus ciblées que jamais, ce qui appuie directement leurs efforts de conservation des sols.

Grâce aux innovations en sciences végétales, pas moins de 33 millions d’acres de terres sont maintenus dans leur état naturel, ce qui permet de préserver les habitats fauniques et la biodiversité. Sans les innovations en sciences végétales, les agriculteurs auraient besoin de 44 % de terres supplémentaires pour produire ce qu’ils produisent aujourd’hui. Loin d’être une menace pour la biodiversité, l’agriculture moderne fait partie des solutions pour la protéger.

De plus, les pratiques agricoles modernes aident à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à répondre aux préoccupations relatives aux changements climatiques. Les pratiques sans travail du sol et les pratiques de conservation du sol contribuent à empêcher le carbone de s’échapper du sol, ce qui a ainsi permis d’éviter que quelque 16,5 milliards de kilogrammes de dioxyde de carbone ne soient rejetés dans l’atmosphère depuis 1996.

Les agriculteurs canadiens continuent d’augmenter leur superficie de culture sans travail du sol. Nous expliquerons plus tard ce que sont la « culture sans travail du sol » et le « travail de conservation du sol ». Le recours à ces pratiques a considérablement augmenté, surtout dans l’Ouest canadien, où plus de 70 % des terres sont maintenant soumises à des pratiques sans travail du sol ou de conservation du sol.

La réduction de la consommation de carburant qui résulte du recours à des pratiques sans travail du sol ou de conservation du sol a empêché le rejet de 3,3 milliards de kilogrammes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère entre 1996 et 2018. Si nous parlons du travail du sol, c’est parce que les mauvaises herbes sont l’ennemi de l’agriculture sans travail du sol. Sans les caractéristiques de tolérance aux herbicides et l’utilisation d’herbicides efficaces comme le glyphosate, il n’aurait pas été possible d’accomplir ces progrès. Les systèmes de culture sans travail du sol peuvent réduire le ruissellement du sol de près de 80 % tout en augmentant la quantité de nutriments pour les végétaux dans le sol. Plus de 80 % des terres agricoles au Canada présentent désormais un risque très faible d’érosion du sol. Il s’agit d’une amélioration considérable par rapport à il y a 40 ans, époque où l’érosion du sol était un problème important. Les pratiques sans travail du sol ou de conservation du sol font augmenter la teneur en matière organique et en microbes du sol.

Une étude a été entreprise récemment sur les cultures génétiquement modifiées et la séquestration du carbone dans les Prairies. On y compare les données d’aujourd’hui à celles d’il y a 30 ans pour mesurer les répercussions de l’agriculture moderne. Nous soumettrons cette étude au comité et nous serons heureux d’en parler au cours de la prochaine heure.

Bien que nous soyons fiers des progrès qui ont été réalisés grâce à l’agriculture moderne canadienne, nous ne nous arrêtons pas là dans nos efforts pour assurer la durabilité et améliorer la santé des sols. Des recherches et des investissements sont consacrés à de nouveaux biopesticides, à l’agriculture de précision et à l’édition génique. L’édition génique est un domaine particulièrement passionnant, car les progrès accomplis permettront de créer de nouvelles caractéristiques plus rapidement et à moindre coût pour faire face, par exemple, aux changements climatiques. Nous croyons que pour une grande partie de la recherche et développement, le Canada peut et devrait être une plaque tournante de la technologie agricole.

Nous avons trois recommandations. À l’instar du gouvernement, nous devons nous concentrer sur la modernisation de la réglementation pour favoriser l’innovation. Nous aimerions encourager les agriculteurs canadiens et les récompenser pour leurs efforts et promouvoir la durabilité de l’agriculture canadienne sur la scène mondiale. Je pourrai vous en dire plus à ce sujet.

La vice-présidente : C’est maintenant au tour de Mme Cassandra Cotton.

Cassandra Cotton, vice-présidente, politique et programmes, Fertilisants Canada : Bonjour. Merci de me donner l’occasion de prendre la parole ici aujourd’hui.

Les engrais ont joué un rôle déterminant lorsqu’il s’agit d’augmenter le rendement des cultures, de nourrir une population croissante et d’atténuer la pression exercée par le changement d’affectation des terres. En même temps, les producteurs agricoles et leurs conseillers subissent des pressions pour trouver des moyens de réduire les émissions tout en continuant à accroître le rendement des cultures et à améliorer la santé des sols. Nous croyons que les principes de gérance des nutriments ont beaucoup à offrir pour atteindre cet objectif.

Depuis plus d’une décennie, nous travaillons en partenariat avec des scientifiques de premier plan, des organisations agricoles et les gouvernements provinciaux pour mettre en œuvre les principes 4B, à savoir l’application de la bonne source d’engrais, à la bonne dose, au bon moment et au bon endroit. L’application de nos pratiques exemplaires de gestion améliore l’efficacité de l’utilisation des nutriments, c’est-à-dire la mesure de l’efficacité avec laquelle les cultures utilisent les apports en nutriments. Elle entraîne une réduction des surplus d’azote et peut contribuer à la séquestration du carbone dans le sol.

Les agriculteurs canadiens sont des chefs de file sur le plan de l’efficacité de l’utilisation des nutriments, se situant à 72 %, par rapport à nos concurrents. Bien que nous puissions et devions continuer à nous améliorer, notre marge est beaucoup moins grande par rapport à certains de nos concurrents, comme l’Union européenne, dont l’efficacité d’utilisation des nutriments est de 61 %.

À la fin de 2020, le gouvernement canadien a fixé une cible volontaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’utilisation d’engrais de 30 %. Récemment, nous avons publié un rapport dans lequel on évalue l’adoption potentielle de pratiques qui contribueraient à l’atteinte de cet objectif. On y indique que le taux actuel d’adoption des pratiques 4B, qui sont efficaces pour réduire les émissions, varie de 5 à 25 %, selon la pratique, la culture et la région du pays.

Réduire de 30 % les émissions absolues des engrais est un immense défi et nous croyons qu’il n’est pas réaliste qu’on puisse y parvenir sans imposer des coûts importants aux producteurs et sans exiger que pour pratiquement chaque acre de cultures fertilisées au Canada, des pratiques avancées 4B soient adoptées. Toutefois, les perspectives ne sont pas sombres. Si les tendances à la hausse des rendements des cultures se poursuivent et que les taux d’adoption des pratiques 4B restent réalistes, mais augmentent, nous croyons qu’il est possible de réduire ces émissions de 14 % d’ici 2030 si les bons investissements sont faits pour en accélérer l’adoption.

L’un des principes de la gérance des nutriments 4B qui a suscité beaucoup d’intérêt en raison de son potentiel sur le plan de l’innovation est « la bonne source ». Bien que les végétaux aient besoin des mêmes nutriments depuis toujours, l’industrie des engrais évolue constamment pour relever le défi de faire parvenir ces nutriments aux végétaux de la façon la plus efficace possible. Cela signifie qu’il faut optimiser la chimie des produits pour s’assurer que les nutriments peuvent être absorbés par les végétaux; introduire de nouveaux additifs ou enduits; et créer des produits qui ne fournissent pas directement des nutriments aux végétaux, mais qui offrent des suppléments pour améliorer les conditions dans le sol de façon indirecte.

En 2021, 14 % du volume d’azote destiné aux producteurs de canola, par exemple, a été appliqué sous une forme protégée. C’est un bon début et nous croyons que nous pouvons travailler à améliorer cela. Il sera important que la réglementation suive l’évolution de la science pour que les agriculteurs aient accès à ces engrais et suppléments efficaces. Bien sûr, chaque ferme est différente et chaque champ est différent, et la gérance des nutriments 4B incite les agriculteurs à recourir à des conseillers agricoles certifiés pour les aider à évaluer l’état de leurs sols et à élaborer des plans propres à chaque site.

En 2021, plus de six millions d’acres ont été vérifiés dans le cadre d’un plan axé sur les 4B au Canada. Notre objectif est d’atteindre 50 millions d’acres d’ici 2025.

Nous menons une enquête sur l’utilisation des engrais depuis 2014 afin d’en savoir plus sur l’adoption des pratiques 4B à la ferme. C’est essentiel pour connaître les taux d’adoption, les lacunes et les tendances. Par exemple, 33 % des producteurs de l’Ouest canadien déclarent effectuer des analyses de sol pour l’azote chaque année, un point de départ essentiel à tout plan axé sur les 4B. Cependant, bien que près de 60 % des répondants connaissent le concept des 4B, seulement 20 % travaillent avec un agronome désigné et 6 % ont un plan en place.

Manifestement, nous ne partons pas de zéro, mais il est possible de faire mieux.

La vice-présidente : Je remercie nos deux témoins. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités. Je vous remercie de vos exposés.

Ma question s’adresse à Mme Cotton, de Fertilisants Canada. Dans les témoignages que nous avons entendus, un point a été soulevé régulièrement, soit que les sols de ce pays, d’un océan à l’autre, diffèrent beaucoup d’une région à l’autre, non seulement d’une province à l’autre, mais d’une région à l’autre.

Sur le site Web de votre organisation, on indique que les plantes ont besoin de 17 nutriments essentiels pour survivre et grandir. Je penserais d’emblée que c’est le cas, quelles que soient les conditions du sol. Compte tenu des grandes différences à cet égard à l’échelle du pays, une plante peut-elle survivre dans un sol qui contient, disons, 9 ou 10 de ces 17 nutriments? Y a-t-il un nombre minimum de nutriments requis? Disposez-vous de données sur les différences entre les sols, non seulement en ce qui concerne leur dégradation ou leur santé, mais aussi en ce qui concerne les sols qui contiennent les 17 nutriments ou ceux qui en manquent considérablement?

Mme Cotton : Je suis désolée. Je crois qu’il y a eu quelques interruptions, mais je pense avoir compris l’essentiel de votre question.

La gérance des nutriments 4B repose sur la capacité à adapter le plan de fertilisation à la région de culture, au sol et aux conditions climatiques et c’est pourquoi nous comptons sur la relation entre l’agriculteur et son conseiller agricole afin que les meilleures pratiques possibles soient mises en œuvre.

L’analyse du sol est un élément clé du plan axé sur les 4B. C’est à la base de l’élaboration d’un tel plan. On peut ainsi savoir ce que le sol contient déjà et quels nutriments s’appauvrissent dans le sol, de sorte qu’on part avec cette base de connaissances. Dans la gérance des nutriments 4B, il est recommandé de procéder à une analyse du sol pour l’azote chaque année, et nous savons que les chiffres commencent à augmenter.

Vous avez tout à fait raison de dire que tous les sols sont différents et ont besoin de différentes choses. Grâce à notre enquête sur l’utilisation des engrais, que nous menons depuis 2014 dans différentes régions du pays pour comprendre ces pratiques, nous avons constaté qu’en 2021, par exemple, une dose moyenne d’azote plus faible a été appliquée au canola en raison de l’analyse du sol qui a été effectuée et de la prise en compte de l’azote résiduel dans le sol. Les doses ont été ajustées en fonction de cela. Au cours des dernières années, il y a eu de nombreuses sécheresses, en particulier dans l’Ouest canadien, et les producteurs ont donc ajusté leurs plans pour les nutriments en fonction des besoins du sol.

Par ailleurs, il y a aussi le fait que l’efficacité d’utilisation des nutriments est beaucoup plus grande au Canada que dans d’autres pays.

Le sénateur Klyne : Madame la présidente, j’aimerais inviter les autres témoins à intervenir s’ils ont une opinion à ce sujet.

Inventoriez-vous toutes ces données que vous recueillez à partir des analyses des sols et voyez-vous des tendances?

Mme Cotton : Nous voyons certainement des tendances concernant les analyses des sols partout au Canada. L’un des obstacles a trait à la logistique et au moment choisi.

Je pense que nous aimerions qu’il y ait davantage d’investissements afin de fournir aux producteurs de meilleurs outils pour analyser leurs sols. En général, beaucoup de producteurs font des analyses à l’automne, après la récolte, pour savoir ce qui reste dans le sol. Souvent, ils doivent s’en servir pour préparer la prochaine saison de croissance et déterminer quels intrants ils doivent commander bien avant le printemps. Le problème devient alors le suivant : si les producteurs veulent analyser le sol juste avant la plantation au printemps, qui est le moment idéal pour le faire afin de savoir ce dont leur culture aura besoin, la logistique et le calendrier constituent un obstacle à cet égard en raison des saisons de croissance que nous avons au Canada. Je pense qu’il y a une possibilité, je l’espère, sur le plan de l’innovation pour améliorer les outils d’analyse du sol pour que les producteurs aient une meilleure idée.

Le sénateur Klyne : Merci.

Ian Affleck, vice-président, biotechnologie, CropLife Canada : Comme vous l’avez mentionné, les sols sont si différents d’un bout à l’autre du pays. J’ai grandi sur une exploitation de pommes de terre à l’Île-du-Prince-Édouard, où le sol est incroyablement sablonneux, puis je suis allé à l’université, à Guelph, où le sol colle à votre botte et atteint une hauteur d’un demi-pied avant que vous ne sortiez du champ.

Or, il y a des constantes dans tout cela, et l’une d’elles est que les mauvaises herbes poussent bien dans tous ces sols dans un système agricole. Les mauvaises herbes cherchent à voler les nutriments que l’on souhaite que les cultures absorbent. Il n’y a que quelques moyens de gérer les mauvaises herbes. Dans le passé, avant l’apparition des nouvelles technologies, il fallait labourer le sol. Plus on retourne le sol, plus on perd de l’humidité et de la matière organique et plus on émet de gaz à effet de serre dans l’air.

Du point de vue d’un fournisseur d’intrants qui aide les agriculteurs à utiliser ces technologies, voilà pourquoi l’innovation, les technologies et la possibilité de choisir pour les agriculteurs deviennent des éléments si importants. Moins on doit remuer le sol pour empêcher les mauvaises herbes de voler les nutriments et laisser les nutriments et la matière organique retourner dans l’air, plus les sols sont sains. C’est pourquoi nous avons observé une amélioration de la santé des sols au cours des 20 ou 30 dernières années grâce aux pratiques agricoles modernes.

La vice-présidente : C’était une réponse très intéressante.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup. Monsieur Affleck, j’avais l’impression que vous décriviez ma pelouse quand vous parliez des mauvaises herbes. Je comprends maintenant pourquoi j’ai tant de problèmes.

Messieurs Affleck et Petelle, je vais poser quelques questions, puis je vais vous écouter pendant que vous compléterez peut-être vos observations sur les trois thèmes que vous avez désignés comme des priorités pour améliorer les choses. Vous avez parlé de moderniser la réglementation, d’encourager les agriculteurs et de promouvoir la durabilité.

Madame Cotton, votre exposé était très intéressant et je vous remercie beaucoup. Pourriez-vous préciser quelles sont ou quelles pourraient être les techniques permettant d’atteindre la réduction de 30 % et votre observation selon laquelle une réduction de 14 % seulement est possible? Vous avez examiné la proportion d’agriculteurs qui effectuent des analyses chaque année, et je pense que vous avez parlé spécifiquement de l’azote à cet égard. Le sénateur Black, qui est le président de ce comité, et moi avons écouté une présentation cet été. On disait qu’en Irlande du Nord, tous les agriculteurs ont la possibilité de faire une analyse de leurs sols. Ils ne sont pas obligés de le faire, mais s’ils ne le font pas, ils ne seront pas admissibles à l’aide financière du gouvernement, ce qui est une carotte déguisée en bâton, si je peux m’exprimer ainsi. Comment faire pour que les agriculteurs s’engagent pleinement dans l’évaluation de la qualité de leur propre sol, dans leur intérêt et dans celui de ces objectifs publics plus vastes?

M. Petelle : Je vous remercie beaucoup. Je voulais vous en dire plus au sujet de nos recommandations, en me concentrant sur la modernisation de la réglementation comme outil pour encourager les innovations. Je pense que M. Affleck a bien présenté le sujet, c’est-à-dire que ces outils ont permis aux agriculteurs de faire de grandes choses pour la durabilité et la protection de la santé des sols. Nous devons nous assurer que notre système de réglementation est rapide, prévisible et fondé sur la science, afin d’attirer ces innovations au Canada.

Un grand nombre de nos membres sont des entreprises mondiales. Les fonds que ces entreprises investissent dans la recherche peuvent circuler d’un pays à l’autre, et notre travail consiste à faire en sorte que nos membres considèrent le Canada comme un bon endroit où investir et mettre ces technologies au service des agriculteurs.

Les agriculteurs canadiens sont parmi les premiers à adopter les nouvelles technologies. Ils sont toujours prêts à essayer de nouvelles choses et à innover, et nous tenons donc à nous assurer qu’ils ont accès à ces outils pour en faire l’essai. Nous n’avons aucun contrôle sur les agriculteurs. Il faut qu’un outil fonctionne pour qu’ils l’adoptent. Certaines des techniques et certains des processus que vous avez vus sont largement adoptés par les agriculteurs parce qu’ils fonctionnent, et parce que les agriculteurs se les recommandent entre eux. La politique gouvernementale doit également reconnaître les mesures que les agriculteurs ont déjà prises pour améliorer la santé de leurs propres sols.

Le dernier point concernait... Un peu plus tôt, les intervenants de Fertilisants Canada et du secteur bovin nous ont donné quelques statistiques. Le Canada réussit beaucoup de choses dans le domaine de l’agriculture comparativement à ses concurrents ailleurs dans le monde. Les intervenants de notre secteur tiennent donc à s’assurer que le gouvernement en est conscient et qu’il fait la promotion de ces réussites à l’échelle internationale, afin que les marchés d’exportation puissent se rendre compte des avantages que présente le secteur agricole canadien.

Mme Cotton : En ce qui concerne votre première question sur les techniques qui permettent d’atteindre un objectif de 30 %, nous avons essentiellement utilisé une série de scénarios régionaux pour les principaux systèmes de culture d’un bout à l’autre du Canada, afin de nous représenter une mise en œuvre à plus grande échelle. Nous avons examiné une prairie humide et sèche, et nous avons examiné la situation en Ontario, au Québec et à l’Île-du-Prince Édouard. Nous avons examiné les pratiques avec des taux d’adoption élevés en ce qui concerne les 4B et celles qui sont les plus susceptibles d’avoir une incidence sur la réduction des émissions, par exemple l’application fractionnée, l’utilisation de produits à efficacité accrue et certaines autres pratiques. Nous n’avons pas tenu compte de toutes les pratiques, mais seulement de celles qui sont le plus susceptibles d’être adoptées à court terme. Ainsi, nous n’avons pas inclus des techniques comme l’épandage en bandes comparativement à l’épandage à la volée, car nous pensons que les dépenses en immobilisations nécessaires pour l’équipement et d’autres considérations ne pourront pas être réalisées avant 2030.

Le sénateur Cotter : Puis-je vous interrompre pour poser une question? Existe-t-il un rapport accessible au public qui pourrait nous être envoyé pour nous aider à mieux comprendre ces techniques et stratégies?

Mme Cotton : Oui, certainement. Il y a un sommaire, ainsi que l’étude complète. Je peux aussi demander aux responsables de l’étude de fournir une ventilation complète des données. Une analyse économique a également été effectuée, ce qui, selon moi, est également important pour comprendre dans quelle mesure l’adoption de ces pratiques est rentable pour les cultivateurs.

Le sénateur Cotter : Qu’en est-il du pourcentage d’agriculteurs qui font des analyses et du grand pourcentage qui n’en font pas? Avez-vous des commentaires à formuler à cet égard?

Mme Cotton : Oui. Pour ce qui est de la façon d’inciter les agriculteurs à augmenter le nombre d’analyses du sol, je pense qu’au bout du compte, il s’agit de promouvoir des pratiques qui offrent un avantage agronomique à l’agriculteur et un rendement du capital investi. Pour adopter certaines de ces pratiques et diffuser ces données, les agriculteurs ont surtout besoin de voir qu’ils peuvent transformer les avantages pour la société qu’ils produisent en réduisant les émissions de gaz à effet de serre grâce à ces pratiques qui sont plus dispendieuses... Ils doivent voir des incitatifs et des avantages. Nous parlons, par exemple, de transformer le carbone en produit utilisable pour les cultivateurs, tout en leur offrant des récompenses et des mesures incitatives pour qu’ils adoptent ces nouvelles pratiques.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

La vice-présidente : Si vous pouviez envoyer un exemplaire de ce rapport à la greffière pour qu’elle le dépose auprès du comité, ce serait formidable.

Mme Cotton : Oui, c’est possible.

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Mes origines sont africaines, et je viens d’Afrique. Dans les écoles, là-bas, lorsqu’on parle du Canada, on parle seulement de ses agriculteurs et de ses vastes terres agricoles. Des agriculteurs canadiens venaient en Ouganda pour enseigner de nombreuses choses à nos agriculteurs. J’aimerais donc savoir — et je pose la question aux deux témoins — si vous diffusez vos connaissances à l’échelle internationale. Vous avez acquis tant de connaissances. Les diffusez-vous à l’échelle internationale? Quel type de travail faites-vous à l’échelle internationale? Monsieur Petelle, vous avez parlé des innovations de partout dans le monde qui sont adoptées par le Canada, mais le Canada pourrait-il exporter ses innovations?

M. Petelle : C’est une excellente question. Je peux commencer à répondre, et M. Affleck pourra ajouter ses commentaires. CropLife Canada fait partie d’un groupe d’organismes similaires à l’échelle mondiale. Par exemple, il y a un CropLife Afrique Moyen-Orient, et mon homologue là-bas fait une grande partie des choses que nous faisons ici, à savoir tenter d’expliquer les innovations aux gens qui ne les comprennent peut-être pas et encourager l’adoption de ces innovations au profit des agriculteurs africains.

Plus précisément, l’Afrique est sur le point d’adopter certaines des techniques que nous avons déjà largement adoptées ici. Cette situation est en grande partie attribuable à l’influence européenne sur l’Afrique et à la décision des Européens de ne pas utiliser certains des outils de modification génétique que nous avons largement adoptés ici. Cependant, une partie du potentiel de l’Afrique commence à être libéré, et certaines choses sont approuvées. Par exemple, le Kenya a récemment levé son moratoire sur les cultures génétiquement modifiées, et je pense que cela suscite beaucoup d’enthousiasme dans les régions concernées, car le potentiel et les répercussions de ces cultures peuvent changer des vies. En effet, j’ai parlé à des agriculteurs africains qui affirment qu’une année d’accès à des engrais adéquats, à des outils de protection des cultures et à de bonnes semences leur permet d’envoyer leurs enfants à l’école et de construire une maison. Cela peut donc changer des vies. Nous voulons donc certainement que ces innovations soient adoptées dans ces endroits qui présentent un grand potentiel.

La sénatrice Jaffer : Madame Cotton, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Cotton : Oui. J’aimerais rappeler que le programme Gérance des nutriments 4B est une innovation canadienne. Nous devrions être fiers, au Canada, de ce cadre et de la façon dont il a été élargi. En effet, depuis sa création, il a été traduit dans plus de 40 langues et il a été utilisé à l’échelle internationale. Ainsi, bien qu’il vise des sites précis, il s’agit d’un cadre très vaste.

Pour la question de l’influence en Afrique, nous avons actuellement un projet de 17 millions de dollars qui se poursuivra jusqu’en 2024 en partenariat avec le gouvernement du Canada. Ce projet s’appelle Solution 4B, et il est en œuvre sur 80 000 petites exploitations agricoles au Ghana, en Éthiopie et au Sénégal, afin de mettre en œuvre les 4B et de renforcer la résilience, les revenus et la sécurité alimentaire avec leurs exploitants. Nous envisageons de prolonger ce projet après 2024 dans d’autres pays. Lorsqu’il s’agit d’insécurité alimentaire, il est certainement extrêmement important de fournir ce service de vulgarisation et de diffuser ces connaissances aux agriculteurs concernés.

La sénatrice Jaffer : Je ne posais pas cette question parce que je suis Africaine et pour voir comment vous aidez l’Afrique, mais je vais poursuivre en demandant si nous sommes en mesure d’utiliser ou de vendre nos innovations en les exportant dans des pays qui n’ont pas cela, afin d’accroître nos exportations. Outre le partage de connaissances, sommes-nous en mesure de faire des échanges commerciaux?

M. Affleck : Je peux répondre à cette question. J’ai eu la chance de visiter l’Ouganda et de voir les champs de pommes de terre, ainsi que les montagnes. Comme je viens d’une exploitation de pommes de terre, je trouve cela très intéressant.

Lorsqu’il est question d’exportations et — comme l’a mentionné M. Petelle — de l’influence sur d’autres pays qui n’ont pas adopté ces innovations aussi rapidement, nous devons exporter en premier lieu nos approches en matière de réglementation moderne et fondée sur la science. Si nous pouvons exporter une approche en matière de réglementation qui est fondée sur la science et les faits, un pays peut adopter les technologies nécessaires pour pouvoir ensuite importer des produits canadiens sur son territoire. Les agriculteurs de ce pays auront alors accès aux mêmes outils que nos agriculteurs. C’est dommage, mais les agriculteurs canadiens ont le grand avantage d’avoir accès à des technologies qui sont malheureusement inaccessibles à certains des agriculteurs des pays où nous exportons. Même si c’est un avantage pour nous, d’autres agriculteurs n’ont malheureusement pas le même accès. Le Canada doit donc d’abord s’assurer de continuer d’être un chef de file scientifique dans ses programmes de réglementation et d’aider les autres à s’en rendre compte, afin d’établir un commerce sans entraves entre ces pays.

La sénatrice Jaffer : Ma prochaine question concerne un tout autre sujet. Je la poserai peut-être pendant la deuxième série de questions.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question n’est pas tout à fait dans le cadre de notre étude, mais elle porte sur un sujet qui m’intéresse beaucoup. Vous avez investi dans un produit et vous vendez ce produit sur le marché dans un monde qui évolue rapidement. Voilà donc le cadre de ma question.

On sait que des recherches et des études environnementales sont faites. Des organismes comme Équiterre nous sensibilisent au fait que lorsqu’on parle d’agriculture, environ 70 % des émissions de gaz à effet de serre sont produites par des fertilisants à base d’azote. On sait tout cela. Il y a aussi les consommateurs qui, comme moi, s’informent de plus en plus, qui veulent savoir ce qu’ils consomment et comment cela a été produit.

Le Canada s’est fixé des cibles avec les provinces qui vont potentiellement devenir des contraintes.

En tant que compagnie, en tant qu’organisation, je me demande comment vous vous renouvelez afin de vous assurer que votre modèle d’affaires reste viable, bien sûr, et s’adapte à ce marché et à ces demandes qui évoluent.

[Traduction]

M. Petelle : Je vais commencer à répondre à cette question, et M. Affleck pourra ensuite parler du point de vue des producteurs.

Notre objectif premier est de veiller à ce que les systèmes restent fondés sur la science et que l’idéologie ne prenne pas sa place. Lorsqu’on parle de données liées aux systèmes de production, nous avons des données qui montrent que l’adoption de pratiques modernes, y compris la technologie de modification génétique et l’utilisation appropriée des herbicides, a permis la mise en place de millions d’acres de culture sans labour et de travail de conservation du sol, ce qui présente d’énormes avantages sur le plan environnemental. Ce sont des points irréfutables. Lorsque nous maintenons le débat sur la science et la prise de décision fondée sur les faits, notre industrie s’adapte et évolue continuellement.

Nous entendons souvent parler de transformation ou de la nécessité de transformer notre système alimentaire. Nous pensons qu’il s’agit en réalité d’un mot trompeur, car il attribue une connotation négative à ce qui se passe aujourd’hui. Nous pensons plutôt qu’il s’agit d’une évolution. Ainsi, un examen de l’évolution de l’agriculture au cours des 30 dernières années révèle que ce secteur a énormément évolué. Cependant, si on adopte une position idéologique et qu’on affirme qu’il ne faut pas produire de telle ou telle manière en se fondant sur une idéologie et non sur la science, cela va créer des risques importants.

Le public est tiraillé entre une surcharge de renseignements dans les médias sociaux et la désinformation. Je pense que le gouvernement — nous apportons certainement notre contribution — a un rôle à jouer pour corriger une grande partie de la désinformation qui est diffusée. De nombreux groupes alimentent activement une partie de cette désinformation. Je vais m’arrêter ici.

M. Affleck : J’aimerais ajouter quelque chose du point de vue d’un cultivateur ou de quelqu’un qui a grandi sur une exploitation agricole. Nous sommes à l’époque de la « chimiophobie » — et j’adore entendre ce mot —, car on affirme, en ce moment, que tous les produits chimiques sont nocifs. Quelqu’un m’a demandé ce que je pensais du calcitriol, car il était un scientifique et ce mot lui semblait inspirer la crainte. J’ai répondu que c’était de la vitamine D, mais que si on réduit les choses à des noms scientifiques bizarres, elles deviennent insolites et créent un malaise. C’est la raison pour laquelle il faut profiter des occasions de sensibiliser les gens au sujet de l’agriculture moderne, car l’agriculture moderne est une science. Les agriculteurs utilisent la science dans leurs champs tous les jours. Malheureusement, les consommateurs comprennent mal la situation ou on ne leur a pas présenté des renseignements qui prouvent que l’agriculture est une activité hautement scientifique. Plus nous pouvons contribuer à informer les consommateurs sur ce sujet, plus ils seront rassurés à l’égard des aliments offerts sur les tablettes.

Mme Cotton : Pour faire écho aux commentaires des représentants de CropLife Canada en ce qui concerne le fait d’être un organisme fondé sur la science, nous continuerons toujours à être fermement ancrés dans cette perspective.

Je pense que les gens commencent à vouloir comprendre d’où viennent leurs aliments. Même si le Canada est et demeure un chef de file dans ce domaine, il y a des lacunes dans les données et d’autres lacunes que nous devons combler pour mieux comprendre la situation. Si le Canada peut produire de meilleures récoltes et des céréales de meilleure qualité sans augmenter les émissions globales tout en améliorant la santé des sols, c’est un avantage concurrentiel pour notre pays. Nous devrions considérer cela en fonction des avantages que nous pourrions obtenir en améliorant la santé des sols, en limitant le réchauffement climatique et en encourageant l’innovation.

Le sénateur Mockler : Monsieur Affleck, j’ai été surpris lorsque vous avez dit que vous veniez de l’Île-du-Prince-Édouard et que vous n’avez pas mentionné le Nouveau-Brunswick.

J’ai quelques questions au sujet de la notion des choses « fondées sur la science » et de l’examen de certaines régions du Canada. Je suis d’accord avec vous, monsieur Petelle, lorsque vous dites que le Canada est le premier pays au monde en matière d’agriculture si l’on considère la production par habitant.

Lorsque vous parlez de choses « fondées sur la science », vous soulevez une notion importante. C’est la voie à suivre si nous souhaitons être concurrentiels. Nous excellons dans de nombreux domaines. J’aimerais donc que vous étoffiez ce point.

J’aimerais également que vous apportiez quelques précisions. Dans cinq régions du Canada — l’Est du Canada ou le Canada atlantique, le Québec, l’Ontario, l’Ouest du Canada, la Colombie-Britannique et même le Nord du Canada —, pouvons‑nous diffuser des pratiques exemplaires et des données qui sont fondées sur la science? Vous représentez l’industrie. Sur une échelle de 1 à 5, où pourrions-nous apporter des améliorations? Qui est un chef de file et dans quel domaine, si possible? J’ai inclus de nombreuses questions dans mes deux commentaires, mais je laisse maintenant la parole aux spécialistes.

La vice-présidente : Ils ont cinq minutes pour répondre.

M. Petelle : Je ne sais pas si je tiens à comparer publiquement des régions du Canada en fonction de leur classement, mais je comprends votre point de vue. On a mentionné plus tôt la variabilité des sols d’un bout à l’autre du pays. Ce n’est pas perdu. Certains des exemples que j’ai mentionnés concernant l’adoption de la culture sans labour et du travail de conservation du sol représentent des processus qui sont un peu plus faciles à réaliser dans les Prairies, par exemple. C’est un peu plus difficile à accomplir sur une exploitation de pommes de terre, par exemple, comme celle d’où vient M. Affleck, car on ne peut pas avoir de pommes de terre sans labour. Ce n’est pas une pratique agronomique réalisable. Certaines choses sont donc beaucoup plus faciles à adopter dans certaines régions que dans d’autres. C’est la raison pour laquelle nous affirmons toujours qu’il n’y a aucune solution universelle. Nous devons donc veiller à ce que toutes les innovations soient accessibles à tous les producteurs du pays, et nous devons veiller à continuer d’innover et à leur fournir ces technologies.

Parmi les avancées technologiques récentes qui ont été adoptées, certaines facettes de l’agriculture de précision, et notamment la numérisation des exploitations agricoles, sont particulièrement impressionnantes. Il suffit de penser aux moissonneuses-batteuses actuellement en usage qui peuvent collecter de grandes quantités de données. Un agriculteur peut ainsi connaître le rendement de chaque mètre carré de son champ. Il peut alors cibler les parcelles les plus productives et éviter d’ensemencer celles où il ne va rien pousser de toute manière. Les agriculteurs de toutes les provinces sont très nombreux à s’en remettre à ce genre de données. Ils sont ainsi mieux à même de prendre des décisions éclairées quant à savoir quel produit appliquer à quel endroit. La technologie permet désormais de détecter les zones en question et d’y appliquer la juste quantité d’engrais et de pesticides suivant des niveaux variables. Ce sont là des innovations phénoménales.

Il faut aussi noter dans notre secteur le recours à l’édition génétique qui permet, par exemple, de sélectionner les plantes les mieux aptes à fixer l’azote. On peut contribuer à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions provenant des engrais en modifiant simplement la plante et la façon dont elle synthétise les nutriments. Ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Vous pouvez obtenir des plantes qui ont des racines plus fibreuses entrant plus profondément dans le sol parce qu’elles exigent davantage d’humidité sans changer quoi que ce soit d’autre à ces plantes. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous accueillons ces innovations et certaines solutions plus ciblées qui ont pu être élaborées à l’échelon régional. Le bassin des utilisateurs possibles de l’édition génétique est beaucoup plus large que celui de la modification génétique, un processus extrêmement onéreux qui peut bénéficier uniquement aux exploitations agricoles de très grande superficie.

En revanche, on voit maintenant des chercheurs publics et privés ainsi que des petites entreprises s’investir à fond dans l’édition génétique. Nous espérons donc voir bientôt apparaître dans ce domaine des innovations intéressantes qui offriront de véritables solutions aux agriculteurs.

Mme Cotton : Peut-être pourrais-je ajouter un commentaire sur la mise en commun des données et des pratiques les plus efficaces. À nos yeux, il est absolument nécessaire de mettre à profit le talent, les compétences et le dévouement des conseillers agricoles certifiés, des agrologues et des agronomes de terrain. Ce sont les professionnels vers lesquels les agriculteurs canadiens peuvent se tourner en toute confiance.

Nous savons à quel point il peut être difficile pour des agriculteurs déjà surchargés de travail de collecter des données. Dans ce contexte, il est primordial de pouvoir s’en remettre encore un peu plus à ce très vaste réseau d’experts et de conseillers canadiens afin que le message soit transmis, que les connaissances soient mises en commun, et que les agriculteurs soient mieux à même de collecter les données pertinentes et de les utiliser à bon escient, c’est-à-dire en fonction de la réalité propre à leurs régions respectives. Comme les pratiques en usage diffèrent beaucoup d’une région à l’autre, il faut que les agriculteurs puissent travailler avec des experts connaissant leur région qui pourront leur fournir les conseils les plus judicieux possible, et ce, de préférence à une approche nationale.

La sénatrice Duncan : Merci à nos témoins. Vous voudrez bien m’excuser de m’être absentée temporairement de la réunion, mais le devoir m’appelait ailleurs.

J’aimerais réagir à un commentaire de M. Petelle. Il existe des données sur l’agriculture au Yukon qui remontent aux années 1800. Comme les terres ont relevé de la compétence fédérale jusqu’à la signature de l’entente sur le transfert des responsabilités en 2001, certains dossiers sont encore détenus par le gouvernement fédéral alors que le gouvernement du Yukon a les autres en sa possession. J’espère pouvoir mettre ces données à la disposition du comité.

Je veux seulement de signaler cet état de fait, car on ne peut pas s’intéresser uniquement à l’agriculture qui se fait d’un océan à l’autre. Il faut regarder également un peu plus au nord, surtout dans le contexte des changements climatiques. Mais même avant que cette réalité nous frappe, on pouvait noter autour de Dawson des activités agricoles vraiment fascinantes.

Vous m’excuserez si la question a déjà été posée, mais je vous ai entendu parler des mauvaises herbes. Existe-t-il des recherches ou des données que vous pourriez nous communiquer concernant les espèces envahissantes et la façon de les contrôler? Peut-être serait-il préférable de nous transmettre une réponse écrite, à moins que ce sujet n’ait déjà été abordé. Merci.

La vice-présidente : Nous n’en avons pas traité, et il serait bien d’avoir une brève réponse maintenant suivie d’une réponse par écrit.

M. Petelle : Les perspectives qu’offre l’agriculture dans le Nord sont tout à fait extraordinaires. Il faut d’abord et avant tout sélectionner les cultures en fonction de la quantité d’ensoleillement et d’autres considérations semblables. C’est un processus qui est assez long. Les nouvelles technologies de sélection végétale permettent de raccourcir cet échéancier pour fournir des plantes qui pousseront mieux dans ces régions. C’est l’un des atouts vraiment précieux que nous procurent les avancées technologiques.

Pour ce qui est d’autre part des espèces envahissantes, je peux vous dire à titre de représentant de l’industrie des fournisseurs d’intrants que des produits chimiques et des pesticides sont parfois utilisés dans le but de retarder l’arrivée de ravageurs envahissants, d’insectes, de mauvaises herbes ou de maladies. C’est l’un des éléments clés du travail de nos membres, et nous pourrons vous fournir des renseignements additionnels à ce sujet.

M. Affleck : Pour revenir à la question des nouvelles cultures, je vous signale simplement que j’ai vu l’autre jour aux actualités un reportage sur un homme qui fait pousser des ananas à Dawson.

La vice-présidente : Je vais me prévaloir de ma prérogative et poser moi-même quelques questions avant que nous passions au second tour.

J’aimerais que nous parlions du glyphosate. J’ai été récemment contactée par un journaliste d’Ottawa qui enquêtait sur le fait que les fabricants de pâtes italiens ont interdit l’importation ou plutôt cessé d’acheter du blé dur canadien en raison de préoccupations liées à l’utilisation du glyphosate comme agent de séchage après la récolte.

D’après ce que vous nous dites aujourd’hui, certains de ces enjeux semblent vraiment soulever les passions au sein de l’Union européenne. Vous faites valoir que vous nous exposez simplement les faits, et j’imagine que les Européens ont la même prétention de leur côté.

Quels sont les risques pour nous d’avoir recours à certaines technologies alors même que cela pourrait inciter nos principaux partenaires commerciaux, comme l’Union européenne, à nous faire faux bond? En utilisant ces pesticides et ces dessiccants, nous risquons certes d’agir trop précipitamment au goût de certains.

M. Petelle : Nous pourrions discuter pendant longtemps de cette controverse avec l’Italie.

Prenons l’exemple du glyphosate. Même au sein de l’Union européenne, toutes les agences de réglementation à vocation scientifique, y compris l’Autorité européenne de sécurité des aliments, les autorités réglementaires allemandes et bien d’autres, ont étudié le glyphosate sous toutes ses coutures depuis cinq ou six ans sans pouvoir en arriver à une conclusion scientifique différente de celle du Canada, à savoir que le glyphosate est sans danger si on l’utilise en suivant les indications fournies sur l’étiquette. C’est donc la première chose.

Lorsque des considérations politiques entrent dans l’équation, et que des entreprises ou des pays prennent des décisions unilatérales quant à l’utilisation d’un tel produit, on ne peut pas prétendre que l’on s’en est remis à la science, car si on l’avait vraiment fait, le problème ne se poserait pas. Il y aura toujours des barrières commerciales non tarifaires et d’autres obstacles n’ayant aucun fondement scientifique. Un pays comme le nôtre qui est fortement tributaire de ses exportations doit apprendre à composer avec tout cela.

Je ne voudrais pas que des entités étrangères puissent imposer aux agriculteurs canadiens les outils et les méthodes qu’ils vont utiliser, car notre système agricole est véritablement basé sur la science et n’a rien à envier à ce que l’on retrouve ailleurs dans le monde. Nous devons nous assurer d’avoir notre mot à dire dans ces discussions. Nous avons fait le nécessaire pour nous faire entendre sur différentes tribunes — comme l’Organisation de coopération et de développement économiques et bien d’autres — et même pour que l’on discute d’une partie de ces enjeux dans le cadre de processus distincts lors de la négociation de certains de nos accords de libre-échange. Ce dialogue doit se poursuivre. La situation avec l’Italie est un bon exemple de ce qu’il convient d’éviter pour qu’un partenariat commercial fonctionne bien.

La vice-présidente : Madame Cotton, j’ai rencontré hier un représentant de Nutrien qui m’a parlé d’un engrais azoté à libération temporisée avec codification qui favorise une utilisation plus ciblée et une réduction des pertes. La libération lente permet en outre de diminuer le nombre d’applications.

Je comprends ce que vous nous dites au sujet de la cible de 30 % qui serait peut-être trop ambitieuse. Mais à partir du moment où nous nous sommes fixé cet objectif certes ambitieux et où nous prenons véritablement les moyens de l’atteindre, est‑ce que vous pouvez penser à des innovations qui pourraient nous permettre d’y parvenir?

Mme Cotton : Certainement. Il est important que nous nous montrions ambitieux et que nous participions à ce dialogue qui a été constructif pour nous depuis que la cible a été annoncée.

Je comprends que cette cible est optionnelle et se voulait ambitieuse, mais il n’en demeure pas moins que l’on semble l’avoir fixée sans recourir à une véritable démarche scientifique. C’est ce qui m’apparaît problématique. Il n’y a eu aucune modélisation économique ni aucune analyse qui aurait permis au gouvernement de nous indiquer comment il compte atteindre cette cible.

Je dois insister sur le fait que nous sommes favorables à la réduction des émissions provenant de l’utilisation d’engrais. Nous pouvons faire mieux et nous devons poursuivre nos efforts en ce sens. Cela ne change rien au fait que les cibles doivent être établies en fonction de ce qui est raisonnablement réalisable. Nous voulons y parvenir, et nous nous y employons avec tout le sérieux nécessaire.

Nous allons effectivement continuer d’investir dans des technologies novatrices comme les engrais à teneur en azote stabilisé et les engrais à libération contrôlée ou à libération lente. De nombreux produits novateurs arrivent sur le marché pour aider les agriculteurs à accroître leurs rendements tout en réduisant leur empreinte environnementale.

Il est possible que nous puissions bientôt profiter d’autres innovations, mais les outils et les connaissances actuellement à notre disposition ne nous permettent pas de croire que la cible de 30 % est atteignable. Il ne faut toutefois pas en conclure qu’aucun progrès ne pourra être réalisé. Il nous faut selon moi analyser les taux d’adhésion aux pratiques de gestion les plus efficaces pour réduire les émissions afin de pouvoir formuler des hypothèses réalistes quant à l’évolution de ces taux. En toute franchise, rien ne garantit que nous pourrions atteindre la cible, même si elle était fixée à 14 %. Il faudra de toute façon déployer des efforts considérables pour accélérer l’adoption de ces pratiques, favoriser le transfert des connaissances, offrir des incitatifs et prendre toutes sortes de mesures de la sorte. Il s’agit d’un défi de taille, mais nous sommes prêts à travailler avec les agriculteurs, les universitaires, le gouvernement et l’industrie pour faire progresser les choses aussi rapidement que possible.

La vice-présidente : Merci. Nous arrivons au tour de questions où la concision devra être à l’honneur. Chacun aura droit à trois minutes.

Le sénateur Klyne : Je vais demander à nos témoins de m’aider à être aussi bref et concis que possible. Vous nous parlez de ces mauvaises herbes qui peuvent être tellement nuisibles à l’agriculture, mais tous les moyens que l’on prend pour s’en débarrasser entraînent du même coup une dégradation des sols. Est-ce que la science nous offre des solutions à ce problème qui seraient à la fois écologiques et bénéfiques pour les sols?

M. Affleck : Certainement. Je pense qu’il s’agit du principal pôle d’intervention de nos entreprises membres du point de vue des sciences végétales. Certaines de ces technologies existent déjà. Les pesticides et les herbicides sont des outils de gestion des mauvaises herbes très efficaces et sans perturbation des sols du fait qu’ils ne permettent à aucun nutriment de s’en échapper. Nous pouvons combiner cette approche au recours à des cultures génétiquement modifiées qui permettent de n’utiliser qu’un seul herbicide. L’application peut se faire en une ou deux fois seulement, plutôt qu’au moyen de plusieurs passages avec le tracteur, ce qui réduit d’autant la compaction des sols. Tous ces éléments s’accumulent. C’est vraiment ce qui a permis aux Prairies de s’affranchir de leur situation de grande sécheresse pour pouvoir compter maintenant sur des sols vraiment stabilisés.

Le sénateur Klyne : Il y a donc bel et bien des avancées scientifiques. Est-ce que ces méthodes sont également écologiques?

M. Affleck : Tout à fait. Les émissions de gaz à effet de serre sont fortement réduites.

Le sénateur Klyne : Comme j’ai peu de temps, je vais passer tout de suite à une autre question. Les terres arables du Canada sont soumises à un stress considérable découlant notamment de l’étalement urbain et d’une population en pleine croissance dont les besoins ne cessent d’augmenter. Comme la sécurité alimentaire est en voie de devenir une préoccupation mondiale, ne devrions-nous pas nous inquiéter de ce qui se passe dans d’autres pays — qui laissent peut-être leurs sols se dégrader — étant donné que l’on risque ainsi de voir plus de gens encore se tourner vers le Canada pour lui demander de continuer à nourrir la planète, ce qui n’est bien sûr qu’une façon de parler. Pouvez-vous cependant me dire si cela pourrait exercer une pression supplémentaire sur les sols canadiens?

M. Petelle : Vous avez mis le doigt dessus. Notre population est en pleine croissance. Nous avons déjà des difficultés à surmonter du point de vue de la sécurité alimentaire. Tous les Canadiens doivent composer au quotidien avec une offre de produits alimentaires de moins en moins abordables. Le fait est que nous allons devoir poursuivre nos efforts de production sans toutefois nous limiter aux niveaux actuels. Nous devrons chaque année réaliser des gains de productivité. Il est vrai que nous allons perdre des terres en raison de l’étalement urbain et que certaines régions vont encore souffrir en raison des perturbations climatiques, des sécheresses et des inondations, et c’est justement pour cette raison que nous affirmons que les agriculteurs doivent avoir accès à tous les outils disponibles. À n’en pas douter, le défi est gigantesque.

Dans un contexte de croissance de la population, le Canada a l’obligation morale de continuer à jouer le rôle qui lui incombe en contribuant à nourrir la planète. J’ai parlé tout à l’heure d’idéologie. Nous devons veiller à ne rien faire qui mettrait en péril la croissance de productivité que nous avons connue au Canada au cours des 20 dernières années. Il est nécessaire pour nous que cette croissance se poursuive. En fait, nous devons l’accélérer.

Le sénateur Klyne : Est-ce que d’autres pays agricoles font preuve de négligence...

La vice-présidente : Je suis désolée, sénateur Klyne, mais nous allons devoir céder la parole à la sénatrice Petitclerc pour notre dernière question.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma dernière question fait suite à celle que j’ai posée plus tôt. Vous avez parlé de science. Nous avons entendu des agriculteurs nous dire comment ils allaient effectivement se tourner vers l’agriculture régénératrice tout en faisant confiance à la science des fertilisants, et ce, en utilisant moins et mieux ceux-ci.

Comment travaillez-vous avec les agriculteurs? Quelle est la nature de votre relation avec eux pour les aider à répondre à leurs besoins?

[Traduction]

M. Petelle : Nous travaillons en étroite collaboration avec tous les groupes du milieu agricole, aussi bien à l’échelle provinciale que nationale, comme la Canadian Canola Growers Association et les Producteurs de grains du Canada. C’est de concert avec eux que nous élaborons des politiques de telle sorte qu’ils voient les avantages des outils que nous mettons à leur disposition et qu’ils puissent préconiser avec nous des solutions aux différents problèmes liés à l’accès à ces outils.

Nous offrons des programmes de formation à ces agriculteurs pour qu’ils puissent faire une application optimale des pesticides. Nous avons mis sur pied des programmes en ligne à leur intention. Nous avons été le premier pays à instaurer le recyclage des contenants de pesticide. À la fin des années 1990, le Canada a ainsi été le premier à prendre en charge tous les contenants de pesticide dans le cadre d’un programme financé par l’industrie. Ce programme a depuis été exporté. Un peu comme le disait la représentante de Fertilisants Canada, notre réussite est désormais exportée un peu partout dans le monde. On peut ainsi retrouver la marque Agrirécup dans différents pays.

Nous collaborons de très près avec les agriculteurs afin de répondre à leurs besoins, notamment en matière de technologie, mais aussi du point de vue de la formation et des différents outils nécessaires.

Mme Cotton : Je pourrais ajouter que le programme Gérance des nutriments 4B semble grandement contribuer aux efforts déployés en agriculture régénératrice de concert avec les producteurs qui utilisent des engrais commerciaux ou biologiques. Le cadre et les pratiques exemplaires mis en place produisent les résultats escomptés dans le contexte de cette initiative.

J’estime qu’il nous faut garder à l’esprit la nécessité d’accroître sans cesse notre productivité et de contribuer à la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale. Je crois que l’absence d’une définition de l’agriculture régénératrice risque de devenir très problématique du fait que les entreprises alimentaires et les consommateurs veulent notamment savoir quelles pratiques agricoles ont été employées et quelles sont les priorités en matière de recherche.

La vice-présidente : Merci beaucoup à tous nos témoins, MM. Petelle et Affleck et Mme Cotton, pour leur participation à notre séance d’aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants pour votre contribution à notre étude.

[Français]

Merci aux membres du comité pour leur participation active et pour leurs questions réfléchies.

[Traduction]

Je veux aussi prendre un moment pour remercier tout le personnel qui contribue au bon déroulement des séances du comité. Merci donc à nos formidables interprètes, à l’équipe chargée de la transcription de nos délibérations, à la personne préposée à la salle de comité, aux techniciens multimédias, à l’équipe de diffusion — et je les remercie d’autant plus que nous devons composer aujourd’hui avec différentes difficultés techniques sur la Colline — au centre d’enregistrement, aux techniciens en informatique, à notre page, à notre analyste et à notre greffière.

[Français]

Notre prochaine réunion se tiendra le mardi 15 novembre à 18 h 30, et nous y entendrons d’autres témoins experts dans le cadre de cette étude.

[Traduction]

Si personne n’a d’autre question à soulever, je vais lever la séance.

(La séance est levée.)

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