LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 février 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner l’état de la santé des sols au Canada et en faire rapport.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bonjour à tous. Je suis heureux de vous voir ici. J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins qui se joindront à nous en ligne et à ceux qui nous regardent sur le Web. Je m’appelle Rob Black. Je suis le président du comité et je viens de l’Ontario.
Avant de commencer la prochaine réunion sur l’état de la santé des sols au Canada, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue je suis Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.
La sénatrice Burey : Bonjour, je suis la sénatrice Burey, de l’Ontario.
La sénatrice Duncan : Je suis la sénatrice Pat Duncan, du Yukon.
La sénatrice Jaffer : Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Cotter : Je suis le sénateur Brett Cotter, de la Saskatchewan.
Le président : Si des difficultés ou des problèmes techniques surviennent, particulièrement en ce qui a trait à l’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière, et nous nous efforcerons de régler la question.
Nos témoins participent tous à distance. Aujourd’hui, nous accueillons notre premier groupe de témoins, Melissa Arcand, biogéochimiste du sol de l’Université de la Saskatchewan, et Candice Pete-Cardoso, directrice du Indigenous Land Management Institute de l’Université de la Saskatchewan. Je vous invite à écouter les exposés de Mme Arcand et de Mme Pete-Cardoso, après quoi nous passerons aux questions.
Melissa Arcand, biogéochimiste du sol, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci. Tanisi, Melissa Arcand nitisiyihkâson mahskehko sâkahikan Ochi Niya.
Je viens du territoire visé par le Traité no 6 de la nation crie de Muskeg Lake. Je suis professeure agrégée au département de science des sols de l’Université de la Saskatchewan, où une partie de mon programme de recherche porte sur l’évaluation de la santé des sols sur les terres agricoles des Premières Nations de la Saskatchewan.
J’enseigne un cours sur le terrain en sciences de l’environnement aux élèves des Premières Nations, dans le cadre du Kanawayihetaytan Askiy — ce qui signifie « prenons soin de la terre » en cri des plaines — qui est le programme de certificat en gestion des terres autochtones. Avec ma collègue Candice Pete-Cardoso, je suis la directrice universitaire de l’Indigenous Land Management Institute de l’Université de la Saskatchewan, qui sera bientôt rebaptisé « Kichi okawimaw Askiy », ce qui signifie centre de connaissances de la Terre mère.
Je remercie les membres du comité de m’avoir invitée à participer à cette importante conversation sur la santé des sols au Canada. Je vais brièvement souligner le rôle que jouent les peuples autochtones dans la protection et l’amélioration de la santé des sols et évoquer les cas où la santé des sols peut être menacée, en particulier pour les Premières Nations des Prairies, où je vis et travaille.
Premièrement, il est important de préciser que tous les sols au Canada se trouvent sur les territoires traditionnels des peuples autochtones. Les Prairies, qui abritaient autrefois de vastes étendues de prairies indigènes, représentent maintenant plus de 80 % des terres agricoles du Canada, qui se trouvent toutes sur des territoires visés par un traité.
Ce sont ces sols riches et fertiles qui se sont développés pendant des millénaires sous des prairies indigènes broutées par des bisons, en étroite relation avec les peuples autochtones, qui soutiennent aujourd’hui la production agricole dans cette région. Et bien que l’agriculture soit devenue une utilisation dominante des terres dans la plupart des réserves des Premières Nations dans les Prairies, les terres sont principalement cultivées par des producteurs non autochtones qui les louent à la Première Nation.
Les connaissances agricoles et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones ont été minées et marginalisées au fil du temps, alors que les décisions de gestion agricole ont été transférées à l’extérieur de la collectivité aux producteurs non autochtones.
Les peuples autochtones ont toujours été exclus de la science du sol et de l’éducation agricole. Les étudiants des Premières Nations sont sous-représentés dans les domaines des sciences du sol et de l’agriculture dans le premier cycle et dans les cycles supérieurs partout au Canada. Ainsi, les professionnels autochtones dans ces domaines sont incroyablement rares. M. Ken Bear, que vous entendrez au cours de la prochaine heure, est l’une des exceptions.
Le faible niveau d’éducation des peuples des Premières Nations en matière de science des sols et d’agriculture constitue un risque pour la santé des sols sur les terres de réserve des Premières Nations. Il faut accroître l’accès à la formation sur le sol et l’agriculture pour les peuples des Premières Nations à tous les niveaux d’éducation et pour divers rôles. La mesure la plus immédiate qui pourrait protéger la santé des sols consiste à accroître la formation offerte aux gestionnaires des terres des Premières Nations qui sont les travailleurs de première ligne.
Au-delà de l’éducation, l’accès des Premières Nations à l’information sur les sols est limité même s’agissant des données sur les sols recueillies sur leurs propres terres, ce qui freine la gestion durable des sols. Par le passé, les Premières Nations n’ont pas développé de relations solides avec les collecteurs et les détenteurs de données sur les sols, comme les universités, les gouvernements et l’industrie agricole. Les seules données sur les sols auxquelles de nombreuses Premières Nations de la Saskatchewan pourraient avoir accès sont des rapports d’arpentage des sols vieux de 60 ans, qui sont utiles pour la planification de l’utilisation des terres, mais pas pour l’évaluation des changements dans la santé des sols.
Bien que de nombreux producteurs qui cultivent des terres des Premières Nations soient susceptibles de recueillir des données sur le sol pour informer les épandages d’engrais, les résultats des analyses du sol ne sont pas souvent communiqués à la Première Nation. Des ressources sont nécessaires pour appuyer la collecte et la gestion des données sur les sols par les Premières Nations, pour leurs propres terres. Les initiatives et la gestion des données sur les sols élaborées dans le cadre d’une stratégie nationale sur la santé des sols pourraient être modélisées et appliquées à l’usage des Premières Nations.
De plus, le programme de gardiens autochtones pourrait être une voie possible pour la formation de superviseurs de la santé des sols autochtones. Même si, d’un point de vue occidental, des lacunes existent dans les connaissances en matière de science des sols, les peuples autochtones protègent et maintiennent actuellement la santé des sols sur les terres qu’ils gèrent. Les valeurs autochtones de Wahkohtowin respectent la parenté entre nous-mêmes et les membres vivants et non vivants de l’écosystème, ce qui mène à une utilisation prudente de ces terres qui favorise la biodiversité et la protection des sols.
À l’échelle mondiale, les terres gérées par des peuples autochtones abritent 80 % de la biodiversité. Dans les Prairies, les images satellites montrent clairement que la végétation pérenne est davantage présente sur les terres de réserve des Premières Nations que dans les municipalités rurales environnantes. Cette intendance des terres existante doit être mieux reconnue, et les Premières Nations ont besoin de ressources pour soutenir et étendre les aires autochtones de protection et de conservation dans les Prairies. Cela pourrait permettre de restaurer les terres peu productives pour le ramatriement des bisons. En effet, de nombreuses Premières Nations rétablissent leur relation avec le bison en le réinstallant sur leurs terres et en devenant signataires du Buffalo Treaty.
Nos connaissances portent sur la terre et les langues, et la revitalisation de ces connaissances peut protéger la santé des sols.
Sur ce, j’ai terminé mon exposé. Je vous remercie tous du temps que vous m’avez accordé. Kininaskomatinawow.
Merci à tous.
Le président : Merci beaucoup.
Candice Pete-Cardoso, directrice, Indigenous Land Management Institute, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour, Tanisi, je m’appelle Candice Pete-Cardoso nitisiyihkâson, waskichosi ocih Niya. Je viens du territoire visé par le Traité no 6 de la Première Nation Little Pine. Je suis la directrice de l’Indigenous Land Management Institute, qui sera bientôt rebaptisé « Kichi okawimaw Askiy », le centre de connaissances de la Terre mère.
Nous avons passé l’année dernière à travailler avec les peuples autochtones de diverses Premières Nations, ainsi que des organisations nationales et provinciales dirigées par des Autochtones, pour réinventer ce que devrait être un centre axé sur la terre, ici à l’Université de la Saskatchewan. Le travail du comité directeur a abouti à la vision suivante :
Kihci-okâwîmâw Askiy (Terre mère) kihmehinan (vous nous avez donné) pimâtisiwin (la vie), Poko kwayask manâcihitatân (nous sommes obligés de la respecter comme il se doit).
Notre mission consiste à travailler pour les peuples autochtones et avec eux afin de les habiliter à la gouvernance des terres en tirant parti de la capacité d’enseignement, de recherche et de mobilisation de l’Université de la Saskatchewan.
Le centre a la responsabilité de défendre la Kichi okawimaw Askiy, la Terre mère, et aujourd’hui, nous avons la responsabilité de défendre la santé de la terre.
Mme Arcand a souligné que la relation que les peuples autochtones entretiennent avec la terre a été endommagée par la colonisation. Pour approfondir la question, je ferai référence à une présentation récente de David Nahwegahbow dans laquelle il a parlé de la façon dont le droit est utilisé comme outil du colonisateur, du fait que les lois sont élaborées au sein des institutions coloniales, et du fait que les colons ont créé et assumé la souveraineté sur les peuples autochtones, et j’ajouterais, sur les territoires autochtones.
De nombreux outils ont été élaborés sous forme de lois et de politiques. La Loi sur les Indiens n’est qu’un exemple de ces outils de colonisation.
Cette loi a donné naissance à de nombreux régimes de politiques qui ont abouti au système des réserves, au système de carte de statut d’indien, aux pensionnats et à la politique agricole visant à empêcher les peuples autochtones de participer à l’économie agricole. Cette politique a notamment entraîné la perte des meilleures terres de réserves agricoles par suite de cessions. Toute conversation sur la santé des sols et les peuples autochtones doit inclure la voix de ces peuples. Les conversations doivent intégrer des concepts relatifs à la souveraineté des Autochtones sur nos terres et au savoir autochtone.
Des témoins précédents nous ont dit que la capacité des sols à fournir des services écosystémiques varie. D’un point de vue autochtone, nous ne commercialisons pas la terre et nous ne la valorisons pas uniquement en fonction de son potentiel de générer des revenus. La terre est considérée comme un écosystème et un territoire vivant, qui respire et avec lequel nous avons un lien de parenté. C’est un endroit dont nous devons tirer des leçons, que nous devons soigner et soutenir.
Le nombre et la capacité des membres des Premières Nations qui participent à la prise de décisions en matière de gestion des terres varient considérablement, ce qui a des répercussions sur la santé des sols. Pour bon nombre de Premières Nations des Prairies, il peut y avoir un seul gestionnaire des terres qui est chargé de nombreuses fonctions, dont l’une consiste à négocier avec des producteurs et à administrer des permis et des baux pour louer des terres agricoles dans les réserves. Cependant, si les dirigeants de la gestion des terres ou les membres d’un comité consultatif sur les terres n’ont pas une solide formation en agriculture, y compris sur la gestion des sols, ceux-ci peuvent être dégradés. À l’heure actuelle, le soutien du gouvernement fédéral à la formation de gestionnaires des terres issus des Premières Nations se limite à celles qui sont assujetties à divers régimes fonciers fédéraux. L’affectation des ressources pour la gestion des terres devrait être étendue à toutes les Premières Nations du Canada, et l’affectation des ressources pour la formation devrait s’étendre au-delà du financement d’un stagiaire par nation. La structure actuelle des régimes de gestion des terres est paternaliste et doit être réformée. Dans son état actuel, elle met la santé du sol en danger.
Merci.
Le président : Je vous remercie de vos exposés. Nous allons passer aux questions des sénateurs. Auparavant, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle et en ligne de ne pas se pencher trop près du microphone et de ne pas retirer leur oreillette. Cela permettra d’éviter tout effet Larsen qui pourrait affecter le personnel du comité dans la salle. Conformément à nos usages habituels, j’aimerais rappeler à chaque sénateur qu’il dispose de cinq minutes pour les questions et les réponses et je vous avertirai lorsqu’il ne restera qu’une minute.
La sénatrice Simons : Tanisi et hiy hiy à vous deux. Madame Arcand, vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence de la difficulté qu’ont les Premières Nations à accéder aux données de base sur leurs propres terres. Ce thème a été évoqué à maintes reprises devant ce comité, et en particulier le manque de sources d’information centralisées ou de mise en commun de connaissances sur les charges de carbone ou la santé du sol. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est si difficile pour les Premières Nations d’avoir accès à cette information?
Mme Arcand : Je vous remercie de votre question. Je pense que la première raison pour laquelle c’est si difficile, c’est l’écart historique en matière d’éducation. Par exemple, il est encore plus difficile pour nous d’avoir accès aux agronomes dans le domaine agricole. Il y a peut-être des agronomes qui travaillent pour l’industrie ou les ministères provinciaux de l’Agriculture, mais il n’y a pas de communication constante entre ces parties, qui pourraient fournir des conseils et de l’aide, et la Première Nation elle-même. Cette relation qui existe entre les agriculteurs non autochtones et les conseils agricoles, relation dont les autochtones ne bénéficient pas, c’est le résultat d’un siècle de construction de réseaux de communication, ce sont des générations d’agriculteurs, de voisins agriculteurs et de gens qui ont été formés dans ce domaine. Un gestionnaire des terres des Premières Nations ou d’autres membres et dirigeants de la collectivité n’ont peut-être pas accès à ces réseaux.
La sénatrice Simons : J’ai beaucoup de questions, mais je vais devoir me limiter et demander à nouveau la parole au deuxième tour. Les terres de la Saskatchewan et de l’Alberta, dans le territoire visé par les traités n°s 6 et 7, ont évolué en lien à la présence des bisons. Lorsque les bisons sont partis et qu’ils n’étaient plus là pour brouter, cela a eu une incidence sur la santé du sol. Vous avez parlé du Buffalo Treaty, et j’aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.
Mme Arcand : Le Buffalo Treaty a vu le jour il y a quelques années. Il s’agit d’une initiative moderne qui transcende les lignes tribales et qui s’étend au-delà du Canada et des Premières Nations canadiennes pour inclure les tribus des États-Unis également. Les signataires se sont engagés à rétablir cette relation avec notre parent, le bison. Un certain nombre de signataires, tant aux États-Unis qu’au Canada, ont pris cet engagement. Il y en a d’autres qui, à titre de témoins et d’alliés, comme moi-même et d’autres non-Autochtones, se sont aussi engagés à rétablir cette relation avec le bison. Certaines des Premières Nations qui ont signé le Buffalo Treaty ont également réintroduit le bison dans leurs paysages et dans leurs terres de réserve.
La sénatrice Simons : Pour la santé du sol.
Mme Arcand : C’est un avantage supplémentaire. Ce n’est peut-être pas la raison pour laquelle l’initiative a lieu, mais c’est un avantage supplémentaire.
La sénatrice Simons : Parfait. Je vais poser une question à notre autre témoin.
Je suis vraiment fascinée par le travail que vous faites pour faire entrer ces savoirs à l’université. Quels sont les défis à relever pour s’assurer que ces connaissances sont à la fois intégrées au milieu universitaire officiel et transmises aux membres des Premières Nations dans les réserves ou sur les terres, par d’autres moyens?
Mme Pete-Cardoso : Le plus difficile est de veiller à ce que les relations soient envisagées à long terme. La communication est vraiment importante, tout comme l’établissement de relations. Je vais vous donner un exemple de la façon dont nous cherchons à relever ce défi.
Dans le cadre du travail que nous faisons pour créer un centre du savoir Askiy à l’Université de la Saskatchewan, nous mettons l’accent sur l’établissement de relations. Par exemple, nous sommes en train de créer un réseau de chercheurs à l’Université de la Saskatchewan. Notre objectif est d’établir un lien entre ce groupe et le travail du comité directeur, d’établir des relations et de créer ce dialogue, cette conversation et cette relation. Merci.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos témoins. Ma première question s’adresse à Mme Arcand. D’après vos recherches et vos travaux universitaires, pouvez-vous dire au comité ce qui rend les pratiques agricoles autochtones traditionnelles plus durables en général, et plus particulièrement celles visant à gérer la dégradation des sols?
Mme Arcand : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. En ce qui a trait aux pratiques agricoles autochtones traditionnelles, dans les Prairies, par exemple, avant la colonisation européenne et l’avènement de formes d’agriculture de type occidental, nos méthodes agricoles étaient différentes. Elles se distinguaient de celles des régions de l’Est du pays, où les gens cultivaient de vastes champs de maïs, de haricots, de courges et d’autres produits. Pour notre part, nous étions principalement des chasseurs et des cueilleurs.
D’après ce que m’ont dit des aînés et d’autres gardiens du savoir, nous étions tout à fait au courant de ce qui se passait ailleurs. En fait, il y avait manifestement beaucoup d’échanges qui avaient lieu, et certaines personnes s’adonnaient même à de petites cultures, surtout celles qui se déplaçaient vers le sud, où le climat était plus propice à la culture du maïs, par exemple, dans le contexte de la migration des familles.
Dans les Prairies, l’agriculture traditionnelle n’évoque pas le même genre de choses que dans l’Est ou probablement en Colombie-Britannique. Cela dit, je vais répondre à la deuxième partie de votre question, en disant que, de façon générale, même aujourd’hui, si vous allez dans une réserve, vous allez probablement trouver une zone où la terre a été laissée à son état naturel. On y trouve un vieux pâturage ou une petite prairie au milieu des arbres. Je pense qu’à l’heure actuelle, et même au cours des 50, 60, 70 ou 100 dernières années, la différence, c’est que nous savions qu’il fallait laisser certaines terres intouchées. Je pense que la reconnaissance du fait que ce ne sont pas toutes les terres qui doivent être exploitées est l’un des éléments permettant de protéger la santé des sols.
Comme nous l’avons déjà mentionné lors d’autres délibérations, les propriétés des sols varient considérablement et, du fait même, la mesure dans laquelle ils sont vulnérables à la dégradation. Certains sols peuvent se dégrader rapidement s’ils sont cultivés. Il est préférable de les laisser dans leur état naturel ou d’y maintenir un couvert végétal pérenne, favorable à l’entrée et à la séquestration du carbone, ou qui peut continuer à servir d’habitat. C’est un peu le point de vue que j’ai pour les Prairies. Si vous pouvez vous adresser à d’autres experts autochtones, je suis certaine qu’ils pourront ajouter quelque chose à cette conversation.
Le sénateur Klyne : Merci. Je ne sais pas qui de vous ou de Mme Pete-Cardoso est la mieux placée pour répondre à cette question. J’aimerais en savoir davantage sur les gardiens autochtones.
Mme Arcand : Je peux vous répondre. Le programme des gardiens autochtones est le résultat d’efforts visant à renforcer essentiellement la capacité communautaire des Premières Nations et des collectivités autochtones, particulièrement en ce qui concerne les aires de conservation.
Le programme des gardiens autochtones vise essentiellement à renforcer les capacités internes en matière de conservation. Il a vu le jour en premier dans les régions du Nord, dans les régions de la forêt boréale.
Je sais qu’une communauté de la Saskatchewan est sur le point de lancer son programme de gardiens autochtones. Elle travaillera en étroite collaboration avec les responsables du parc national de Prince Albert et du troupeau de bisons qui se trouve dans la partie sud du parc national de Prince Albert.
Ces gardiens ont des possibilités de formation, mais leur rôle principal est d’agir à titre de responsables de la conservation pour leurs collectivités. De toute façon, ils sont déjà présents sur le terrain. Ce sont essentiellement des protecteurs des terres, des gardiens des terres. C’est pourquoi j’ai suggéré que, peut-être, ce programme représenterait une excellente occasion de leur fournir les outils et les ressources nécessaires pour effectuer la surveillance de la santé des sols.
Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Cotter : Merci à chacun d’entre vous d’être ici et de nous avoir présenté des aspects fascinants des enjeux liés à la santé des sols.
J’ai deux questions terre-à-terre, des questions factuelles, ainsi qu’une autre qui est plus vaste, je crois. Je vais commencer par les deux premières.
Auparavant, à l’Université de la Saskatchewan, le gouvernement du Canada finançait un programme de gestion des terres des Premières Nations pour former des membres des Premières Nations, afin qu’ils prennent soin des sols des Premières Nations et qu’ils les gèrent. J’ai été doyen de la Faculté de droit pendant un certain temps à Saskatoon, et j’ai prêté quelques membres du corps professoral pour qu’ils contribuent à l’étude des aspects juridiques et des aspects environnementaux.
Est-ce que cette démarche se poursuit, ou est-ce que cela se déroule dans le cadre d’autres responsabilités comme la vôtre, madame Arcand?
Mme Arcand : Oui. Merci de la question. En fait, le programme existe toujours, mais il n’est plus financé par des fonds fédéraux. Je crois que ce financement a pris fin en 2012. Mme Pete-Cardoso peut me corriger si je me trompe. Le financement du gouvernement fédéral s’est terminé en 2012.
Les éléments de ce programme sont toujours en place. En fait, le Canada a consacré beaucoup de temps à le faire évoluer, l’ancien programme de gestion des ressources des peuples autochtones étant devenu le programme de certificat Kanawayihetaytan Askiy, avec l’ajout d’un plus grand nombre de cours d’études autochtones dans les cours obligatoires.
Les étudiants continuent de s’inscrire. Chaque année, j’ai le privilège de leur donner un cours pratique en juillet. Nous accueillons des étudiants de partout au Canada.
Le sénateur Cotter : Ma deuxième question concerne le fait que, dans les années 1990, lorsque l’Entente cadre sur les droits fonciers issus de traités a été signée, 29 Premières Nations ont eu accès à des sommes importantes pour récupérer des terres qui leur avaient échappé dans le cadre des traités conclus 100 ans plus tôt.
Si je me souviens bien, les Premières Nations ont dépensé une bonne partie de cet argent pour acquérir des terres agricoles. Pouvez-vous me dire si cela s’est produit réellement et dans quelle mesure les Premières Nations de la Saskatchewan en particulier ont accru leurs activités agricoles, ou si elles ont abandonné l’agriculture et acheté des terres qui se prêtent mieux aux genres de transitions que vous avez décrites?
Mme Arcand : Oui, je peux vous répondre. Je n’ai pas de statistiques précises sur le nombre d’acres qui ont été achetés, certainement plus d’un million, et cela s’est produit il y a quelques années.
Madame Pete-Cardoso, vous pouvez me corriger ou ajouter quelque chose.
Je peux parler pour ma propre communauté, par exemple, qui faisait partie des premiers signataires, et qui était bien placée pour acheter ces terres lorsque leur prix était encore assez bas. Ce n’est pas le cas actuellement. Il y a beaucoup de collectivités, beaucoup de Premières Nations, qui ont encore des droits fonciers issus de traités à racheter, mais elles ne sont plus aussi bien placées pour le faire que nous l’étions.
Nous avons pu acheter un quart de section ou deux de terres qui avaient été cédées en 1919, et il s’agissait de certaines des meilleures terres agricoles disponibles. Nous ne pourrions pas nous permettre de racheter ces terres aujourd’hui.
Le sénateur Cotter : C’est une information utile.
J’ai une question plus vaste. Il me semble que c’est l’une des dimensions les plus intéressantes de cette question, à savoir la fusion des connaissances traditionnelles en ce qui a trait à la terre et à la protection de la terre, d’une part, et de ce que j’appellerais la science dure concernant le sol, la santé du sol et des choses du genre, d’autre part.
Pouvez-vous me parler à tour de rôle de la façon dont ces éléments sont regroupés dans votre travail ou devraient l’être?
Mme Arcand : Bien sûr. Ironiquement, l’une des façons dont cela s’amalgame naturellement dans l’industrie agricole, c’est dans nombre des solutions fondées sur la nature ou des pratiques agricoles fondées sur des solutions climatiques. Par exemple, la culture associée est une pratique autochtone. À l’heure actuelle, beaucoup de recherches sur l’agriculture conventionnelle et moderne portent sur ces solutions et ces pratiques.
Il est intéressant que nous examinions maintenant les relations écologiques qui contribuent à la santé du sol, et il s’agit d’une valeur autochtone inhérente, c’est-à-dire examiner les choses en fonction de leur relation les unes avec les autres. Il est en fait de plus en plus facile de faire le pont entre les connaissances autochtones et la science agricole et la science des sols, parce que les pédologues examinent la santé des sols d’un point de vue écologique.
Le président : Madame Pete-Cardoso, pourriez-vous répondre à cette question également, s’il vous plaît?
Mme Pete-Cardoso : Bien sûr. J’aimerais parler un peu des connaissances écologiques traditionnelles. La question était de savoir comment les intégrer dans ce que nous faisons aujourd’hui. Cela est vraiment important, parce que pour revenir à ce que j’ai dit plus tôt, la façon dont nous voyons les terres et l’importance que nous leur accordons jouent un rôle dans leur protection et leur conservation. Je pense que je vais en rester là. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie toutes les deux de votre présence aujourd’hui. J’ai beaucoup appris de vous, alors merci.
J’ai une question, et je m’adresse à vous en premier, madame Pete-Cardoso. Selon vous, dans quelle mesure les besoins des collectivités autochtones s’harmonisent-ils avec les visions et les politiques des gouvernements fédéral et provinciaux en matière d’agriculture? Dans quelle mesure leurs besoins sont-ils intégrés aux plans gouvernementaux, et y a-t-il des provinces qui obtiennent de meilleurs résultats que d’autres? Qu’est-ce que les gouvernements provinciaux et les autres ordres de gouvernement peuvent apprendre les uns des autres? Je me rends compte que cela fait beaucoup de questions.
Mme Pete-Cardoso : Je vais faire de mon mieux pour répondre à tout cela. Vous avez demandé comment les besoins des peuples autochtones s’harmonisent avec l’approche adoptée par les gouvernements fédéral et provinciaux. Je vais commencer par un exemple. Lorsqu’il est question des besoins des collectivités autochtones, nous devons aller au-delà de certaines des politiques actuelles qui ont été mises en place par le gouvernement fédéral, dont une qui me servira d’exemple. Je vais vous parler de ce que je connais.
À l’heure actuelle, il existe un régime foncier appelé Programme de gestion de l’environnement et des terres de réserve, qui relève de la Loi sur les Indiens. Ce programme comporte trois niveaux de responsabilité, soit la formation et le perfectionnement, le niveau opérationnel et la délégation des pouvoirs en vertu des articles 53 ou 60. Du point de vue de cette politique et des besoins des collectivités autochtones, à l’heure actuelle, ces dernières reçoivent des fonds pour un seul stagiaire. Par ailleurs, pour ce qui est de la structure de la politique, les revenus découlant de tout le travail qu’une nation fait pour négocier des baux et des permis doivent être envoyés au gouvernement fédéral. Il y a un autre problème, à savoir que toutes les activités et toutes les décisions sont toujours assujetties à l’approbation du ministre. Lorsque nous pensons à la nécessité de progresser dans ce domaine particulier, si nous tenons compte des besoins des peuples autochtones, nous devons le faire dans un contexte d’autonomie. Il doit être question d’autonomie lorsque vient le temps de prendre des décisions concernant les terres.
Cela répond à la première partie de la question.
La sénatrice Jaffer : La deuxième partie était la suivante : y a-t-il des provinces qui obtiennent de meilleurs résultats que d’autres?
Mme Pete-Cardoso : Quand je pense à cela à l’échelle nationale, je ne dirais pas qu’il y a une province qui se démarque des autres. Je dirais que lorsqu’il est question de la gestion des terres dans les collectivités des Premières Nations, nous devons nous rappeler que c’est le gouvernement fédéral qui établit vraiment la politique qui s’y applique. Je vais m’arrêter ici. Merci.
La sénatrice Jaffer : À votre avis, sur quoi la recherche devrait-elle être axée pour mieux comprendre le recoupement entre la gestion des terres et des ressources autochtones et la santé des sols et la durabilité globale? Cette question a été abordée plus tôt, mais j’aimerais que vous en disiez davantage.
Mme Pete-Cardoso : Pour ce qui est de la recherche, je vais demander à mon estimée collègue d’intervenir, parce que c’est son domaine d’expertise particulier. Merci beaucoup.
Mme Arcand : Bien sûr, madame Pete-Cardoso. En ce qui concerne la santé des sols des Premières Nations, nous manquons de données démographiques de base et de données sur l’utilisation des terres. Nous ne savons même pas nécessairement le degré d’exploitation des terres par les agriculteurs des Premières Nations comparativement aux agriculteurs non autochtones. Nous ne savons pas nécessairement quelles sont les pratiques agricoles et dans quelle mesure elles sont semblables à l’extérieur et à l’intérieur des réserves. Nous ne savons pas dans quelle mesure les modalités de ces ententes de baux et de permis influent sur les pratiques qui sont appliquées et, par conséquent, les effets qu’elles ont sur la santé ou la dégradation des sols.
À l’extérieur des réserves, il y a beaucoup d’information, par exemple, grâce notamment au Recensement de l’agriculture. Ce n’est que lors du dernier Recensement de l’agriculture que l’on a recueilli des données sur les Autochtones. Il y a des lacunes dans les données.
Le président : Merci.
La sénatrice Duncan : Je remercie les deux témoins de comparaître devant nous aujourd’hui. Compte tenu du petit décalage horaire, je vous remercie de votre présence si tôt le matin.
J’aimerais revenir à la question du sénateur Klyne au sujet des gardiens des terres et à vos commentaires concernant le bison. Le bison a été réintroduit au Yukon. À la fin des années 1980, 170 bisons ont été réintroduits dans le cadre d’un programme national. Depuis, le troupeau est passé de 1 200 à 1 400 bisons, et leur aire de répartition comprend les lacs Aishihik, Sekulmun et Hutshi. Le lac Aishihik se trouve près de la ferme expérimentale du gouvernement fédéral. Il n’y a pas de réserves au Yukon. Il y a des Premières Nations dont les revendications ont été réglées et qui sont établies sur le territoire des Premières Nations de Champagne et de Aishihik.
Le bison est devenu une importante source de nourriture. Dans le cadre des programmes scolaires, des chasses au bison se tiennent chaque année, et il s’agit de chasses autorisées. Le bison est aussi très présent sur la route de l’Alaska entre Fort Nelson et Fort St. John, en Colombie-Britannique. Il y a toutes sortes de bisons. Je ne sais pas où en sont les ententes sur les revendications territoriales dans cette région, mais je sais qu’il existe un important programme de gardiens des terres autochtones des Premières Nations.
Compte tenu de l’expertise qui existe dans votre région, je me demande s’il y a un recoupement entre votre expertise et une étude de l’impact de ces bisons sur la santé du sol. Échangez‑vous des connaissances? Procédez-vous à des études? Travaillons-nous ensemble en tant que Canadiens?
Mme Arcand : C’est une très bonne question. Je ne suis pas certaine de la situation dans cette région. J’imagine qu’il y a peut-être des biologistes ou des phytoécologistes qui effectuent certaines recherches. Je n’en suis pas tout à fait sûre. Au moins dans le sud des Prairies, il y a eu un peu de recherche qui a commencé, surtout sur les effets du broutage et les différences entre le bison et le bétail.
Il y a plus de recherches aux États-Unis, où les chercheurs examinent les répercussions du broutage sur la diversité des espèces et sur les espèces rares d’oiseaux, par exemple. Quel est l’effet de la réintroduction du bison sur l’écosystème? Les données qui ont été publiées jusqu’à maintenant donnent à penser qu’il est très grand. Le bison est notre espèce clé, ce qui signifie que le reste de l’écosystème doit s’adapter. On voit que, lorsque des bisons sont réintroduits sur des terres où ils étaient absents depuis des générations, cela change complètement l’écosystème.
En ma qualité de pédologue, je m’intéresse vraiment à ce que cela signifie pour le carbone du sol, par exemple, parce que selon ce que je comprends, le bison broute très différemment du bétail. Quel est le comportement de cette espèce à cet égard? Comment son comportement en matière de broutage influence-t-il les entrées de carbone des plantes? Les racines dans les zones broutées commenceront à libérer du carbone dans le sol. Comment cela influence-t-il la séquestration du carbone dans le sol, ainsi que les relations écologiques? Je pense par exemple au bousier qui se nourrit du fumier des bisons, et à la façon dont cela influence ces relations et les relations écologiques qui influent sur la santé du sol.
Vous avez entendu des témoins précédents dire que la matière organique du sol et le carbone organique du sol sont probablement les indicateurs les plus importants de la santé du sol. Le carbone organique et les matières organiques du sol peuvent se former et s’accumuler grâce à l’activité des micro‑organismes du sol et d’autres organismes.
Je m’intéresse beaucoup à la façon dont le bison change ces relations. Cela suscite beaucoup de questions pour la recherche. Ce serait formidable si des étudiants autochtones travaillaient sur ces questions de recherche.
La sénatrice Burey : Je remercie nos distinguées invitées de leurs exposés et de leurs vastes connaissances. J’apprends beaucoup; je suis nouvelle comme sénatrice.
J’ai entendu mes collègues, et vous aussi, parler de la nécessité de la recherche, des données, de la formation, de l’éducation, de la connexion, de l’échange de connaissances et, bien sûr, de l’attention portée à notre mère la Terre.
Je suis pédiatre, alors je m’intéresse toujours au lien entre la santé des sols et la santé humaine. Je me demande quelles sont les pratiques agricoles autochtones qui permettent de combattre — pour moi, en particulier, pour les enfants — l’insécurité alimentaire dans les communautés autochtones. Comment les communautés non autochtones peuvent-elles profiter de ces siècles de connaissances accumulées?
Mme Arcand : Je vous remercie de cette question. Je vais parler de ma propre collectivité et de mon expérience.
Quand j’étais jeune, mes grands-parents faisaient beaucoup de jardinage. Ils ont commencé à jardiner une fois établis dans une réserve. J’ai eu la chance d’avoir toujours de bons aliments sains à manger parce que nous avions un congélateur rempli d’aliments que nous avions récoltés pendant l’été.
Il y a un écart entre ma génération et la jeune génération, et nous essayons de le combler. Il est important de parler de la santé humaine et de la nutrition.
Il y a environ cinq ans, notre collectivité a pu recevoir du financement d’un organisme sans but lucratif pour établir un jardin-forêt. Cela a grandement contribué à améliorer l’accès aux produits locaux frais et a fait l’objet d’une intégration étroite dans les écoles primaires. Les enfants sont enthousiastes à l’idée d’aller planter des choses. Ils ont planté des arbres fruitiers il y a quelques années, et ils sont maintenant en mesure d’en récolter les fruits. Il y a une jeune femme de ma collectivité qui travaille maintenant à transformer cette nourriture. Elle fabrique de la pâte de fruits déshydratée que les enfants peuvent manger.
Il y a tout un cycle. Les étudiants, les jeunes et les aînés ont un endroit où ils peuvent aller dans ce jardin-forêt et se réunir. Ils peuvent apprendre à connaître le sol et les plantes, mais ils ont aussi accès à la nourriture qu’on y produit.
De plus, je sais qu’au début de la pandémie, la sécurité alimentaire était une question très inquiétante dans beaucoup de collectivités. Nous ne savions pas si notre accès aux épiceries serait compromis. C’est ce qui nous a incités à reprendre l’élevage du bison, en tant que lien culturel, mais aussi en tant que source importante de nourriture.
Tous ces éléments sont étroitement liés. Le sol, la nutrition, la santé écologique et la santé humaine sont tous interreliés. Je pense que nous comprenons mieux que ces choses sont liées.
Je suis satisfaite de l’orientation que nous prenons, mais je pense que nous devons agir un peu plus rapidement, surtout en sachant que nos terres seront touchées encore davantage par les changements climatiques.
L’année dernière, le temps a été incroyablement sec. Nous avons eu une énorme sécheresse. Nous devons être en mesure de faire face à ces hauts et à ces bas.
La sénatrice Burey : Madame Pete-Cardoso, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Pete-Cardoso : Dans ma collectivité de la Première Nation de Little Pine, j’ai grandi en travaillant dans notre jardin communautaire familial. Je me souviens que lorsque j’avais 14 ou 15 ans, nous y étions très actifs. Ma famille était également active dans l’exploitation agricole.
Depuis 20 ou 30 ans, notre communauté essaie de revitaliser ce secteur pour diverses raisons. En fait, la Première Nation de Little Pine est en contact avec l’Université de la Saskatchewan. L’insécurité alimentaire est importante dans notre collectivité.
À l’heure actuelle, la Première Nation de Little Pine collabore avec un groupe d’étudiants de quatrième année ici à l’Université de la Saskatchewan dans le cadre du programme de gestion des ressources renouvelables. Ces derniers travaillent avec la nation pour trouver des terrains convenables dans la collectivité où installer avec succès un jardin communautaire, ce qui permettrait d’assurer la sécurité alimentaire. Nous faisons aussi appel aux aînés et nous essayons de faire avancer les choses.
Le président : J’ai une question pour chacune d’entre vous, mais à titre personnel, j’aimerais en apprendre davantage sur le jardin-forêt. Quelqu’un de mon bureau fera un suivi auprès de vous pour en savoir plus à ce sujet, si vous le voulez bien.
Si vous étiez chargées de rédiger notre rapport final, quelles seraient une ou deux recommandations que vous aimeriez voir figurer parmi les quatre ou cinq principales? Quelles sont les deux recommandations que vous aimeriez voir incluses dans notre rapport? J’aimerais vous entendre toutes les deux.
Mme Arcand : La première serait de combler les lacunes des politiques qui, involontairement, mettent en péril la santé des sols des Premières Nations. Plus précisément, la façon dont la formule de financement fonctionne avec Services aux Autochtones Canada pour les Premières Nations peut en fait encourager le déboisement de terres marginales pour la production de cultures, parce que la bande recevra plus de financement si elle est en mesure de délivrer plus de permis ou si l’assise territoriale du permis est plus grande, ce qui menace en fait la santé du sol. Nous devons combler cette lacune.
Plutôt que d’encourager une mauvaise gestion des sols, nous devrions encourager ou récompenser l’intendance des sols qui se fait et nous assurer que cela ne comporte pas de risque. Ce serait la première chose.
Deuxièmement, il faut travailler plus efficacement sur nos relations de nation à nation avec les Premières Nations et le gouvernement fédéral, ainsi qu’avec les gouvernements provinciaux, pour veiller à ce que nous ayons accès à nos terres.
Comme vous le savez, les réserves des Premières Nations sont très petites. Elles sont beaucoup plus petites que nos territoires traditionnels. Le gouvernement provincial de la Saskatchewan s’apprête à commencer la revente de terres agricoles de la Couronne, qui sont des terres visées par un traité. La vente potentielle de ces terres est une occasion perdue pour les peuples autochtones de gérer ces terres et d’en prendre soin.
Encore une fois, je vais revenir sur l’idée du ramatriement du bison. Le bison a besoin d’un vaste territoire, et nous n’avons pas nécessairement la capacité requise pour les grands troupeaux. À mon avis, ces terres de la Couronne représentent une solution facile.
Mme Pete-Cardoso : Merci beaucoup. Je vais revenir sur certaines des choses que j’ai déjà dites. Pour ce qui est du soutien du gouvernement fédéral pour la formation des gestionnaires des terres des Premières Nations, il se limite aux Premières Nations qui relèvent de divers régimes fonciers fédéraux, et j’insiste là-dessus. La répartition des ressources pour la gestion des terres devrait être étendue à toutes les Premières Nations du Canada, et non pas se limiter à celles qui relèvent d’un régime foncier particulier.
De plus — Mme Arcand l’a dit, mais je vais le répéter —, l’affectation des ressources à la formation devrait aller au-delà du recrutement d’un stagiaire. Au lieu de se limiter à un stagiaire par nation, elle devrait répondre aux besoins de la nation.
Il y a un autre point que je voulais aborder et que je n’ai pas pu aborder tout à l’heure. Lorsqu’il est question de la protection des terres naturelles, on constate que de nombreuses terres des Premières Nations n’ont pas été cultivées parce qu’elles étaient trop pauvres pour soutenir la production agricole. Il est alarmant de voir que la politique actuelle de gestion des terres de réserve et les formules de financement de Services aux Autochtones Canada peuvent encourager la dégradation de la santé des sols. Cela vient du fait que les permis délivrés pour la location de terres peuvent être associés au montant du financement que reçoit la Première Nation.
Cela peut donner lieu à des décisions ayant pour effet d’élargir l’activité agricole, alors que ce n’est pas l’idéal. Cela signifie que des terres marginales sont cultivées pour augmenter le nombre de permis délivrés. Cela dit, une réforme des politiques est nécessaire pour décourager la culture des terres marginales et encourager plutôt la protection et la conservation de ces terres. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup. Nous passons au deuxième tour.
La sénatrice Simons : Pour faire suite à ce que Mme Pete-Cardoso nous a dit, quel pourcentage des terres de réserve est cultivé, selon vous? Comment cela se répartit-il entre les Premières Nations qui s’occupent elles-mêmes de l’exploitation et celles qui louent?
Mme Arcand : C’est une bonne question. En fait, j’aimerais pouvoir obtenir ces données. Grâce à l’inventaire annuel des cultures d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, nous pouvons obtenir une estimation de la superficie des terres cultivées par rapport aux terres de pâturage.
Je ne sais pas de mémoire quelle est cette répartition. Il faudrait que je fasse une recherche. Nous savons qu’il y a très peu d’agriculteurs autochtones. Je crois qu’il y en avait 140, selon les dernières et seules données qui ont été déclarées pour la Saskatchewan. Je crois qu’il y en a 150 en Alberta.
Dans ma collectivité, par exemple, un seul agriculteur s’adonne à l’exploitation. C’est une exploitation mixte — de céréales conventionnelles, mais aussi de bétail. Autrement, la terre est louée à un agriculteur qui cultive plus de 20 000 acres dans toute la région, pas seulement dans ma collectivité, mais dans une Première Nation voisine, ainsi que sur des terres privées.
Je crois que je me suis éloignée de votre question, désolée.
La sénatrice Simons : S’il y a un nombre important de personnes qui louent des terres, comment pouvons-nous nous assurer qu’elles le font sur les meilleures terres qui conviennent?
Mme Arcand : Cela varie vraiment d’une nation à l’autre. Certaines Premières Nations ont de très bonnes relations avec les agriculteurs qui louent leurs terres, mais j’ai aussi entendu dire le contraire. L’histoire de cette relation paternaliste se poursuit encore aujourd’hui, de sorte que la Première Nation ne peut presque rien faire pour orienter exactement le genre de pratiques agricoles utilisées. Cela varie vraiment. Comme vous pouvez l’imaginer, il y a toute une gamme de situations.
Le sénateur Cotter : Vous avez parlé des données et des défis. La Fédération des nations autochtones souveraines joue‑t‑elle un rôle? En tant qu’organisme central chargé de l’utilisation des terres et des pratiques qui peuvent être partagées entre les Premières Nations de la Saskatchewan, s’il disposait des ressources nécessaires, pourrait-il être une source pour ce genre d’information?
Mme Pete-Cardoso : Lorsque je pense à la fédération ici en Saskatchewan, je dirais que nos organisations ont beaucoup de possibilités de jouer un plus grand rôle à cet égard. Pour ce qui est des ressources destinées à nos organisations autochtones, cela nous aiderait certainement à nous orienter vers une participation active à ce type de travail.
Mme Arcand : Je crois que le Centre d’excellence en ressources naturelles des Premières Nations fait une partie de ce travail, en collaboration avec la fédération, je crois.
Mme Pete-Cardoso : Oui.
Mme Arcand : Je suis d’accord. Je pense qu’il pourrait être utile d’avoir un organisme de coordination de la même façon que nous parlons d’avoir une stratégie coordonnée à l’échelle nationale — presque comme une stratégie nationale — pour la santé des sols. Je pense que les Premières Nations doivent en faire partie. Je ne voudrais pas qu’il y ait deux processus parallèles, car je pense que cela nous fait manquer des occasions en ce qui concerne les données.
Le président : Merci.
La sénatrice Jaffer : Ma question s’adresse à vous, madame Arcand. On accorde actuellement beaucoup d’attention aux nouvelles technologies et aux innovations en matière d’agriculture et de santé des sols. Cependant, je me demande s’il y a des pratiques traditionnelles fondées sur le savoir autochtone que nous devrions examiner plus attentivement, selon vous. Y a‑t‑il des pratiques en particulier qui vous viennent à l’esprit? Quels sont leurs principaux avantages? C’est une vaste question. Y a-t-il des pratiques qui vous viennent à l’esprit?
Mme Arcand : Les pratiques varient d’une région à l’autre. Je dis cela parce que, comme d’autres intervenants l’ont déjà mentionné, le développement des sols est différent d’un climat à l’autre, d’une région à l’autre. Par conséquent, les pratiques autochtones élaborées varient également en raison de ces différences biogéographiques liées au climat. Il pourrait y avoir des pratiques agricoles autochtones vraiment uniques en Colombie-Britannique, qui sont uniques par rapport à celles du Sud de l’Ontario ou à celles des provinces des Prairies.
Si nous pensons aux provinces des Prairies, d’où je viens, traditionnellement, pour ce qui est de l’agriculture, je répète qu’il s’agissait de l’interrelation entre les prairies, le bison, les autres brouteurs et la récolte et la cueillette de plantes alimentaires; c’est ainsi que se définissait notre agriculture. Nous ne plantions pas nécessairement de grandes étendues de terre; c’est donc dire qu’il y a des différences sur le plan régional.
Le sénateur Klyne : J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Simons au sujet des terres cultivées et des terres louées. Habituellement, certaines de ces terres louées sont destinées à des fermes constituées en société. L’activité se limite à l’utilisation de cinq ou six moissonneuses-batteuses. Cette intensité n’est pas bonne pour la dégradation des sols. Y a-t-il des fluctuations internes autour de la question, à savoir que nous aimerions avoir les revenus de location des terres, mais que ce n’est pas bon pour nos sols et que nous devrions peut-être laisser tomber cette pratique?
Mme Arcand : Absolument. C’est quelque chose que nous allons essayer de régler avec ce laboratoire vivant de solutions climatiques agricoles que dirige Mistawasis Nêhiyawak en Saskatchewan, où nous allons essayer de travailler avec les producteurs pour faire des essais et appliquer des pratiques de gestion plus innovatrices et meilleures, qui pourraient réduire la dégradation des sols. En fait, nous espérons pouvoir améliorer la santé des sols. Je pense qu’il est important de travailler avec les producteurs. Nous n’avons pas une population de jeunes Autochtones qui vont entrer dans le secteur agricole; il s’agit de l’ensemble des non-Autochtones et des Autochtones. Notre population d’agriculteurs vieillit.
Nous devons trouver d’autres façons de travailler ensemble pour nous assurer que nous ne dégradons pas nos sols et notre habitat et que la collectivité est au courant de la façon dont l’agriculteur met en œuvre les pratiques sur ses terres et qu’elle a son mot à dire à ce sujet.
L’une des choses qui préoccupent beaucoup notre collectivité, c’est l’utilisation de pulvérisations aériennes près des lieux de résidence. Nous devons trouver un moyen pour que la collectivité fournisse une rétroaction à ce sujet.
Le président : Merci beaucoup, madame Arcand et madame Pete-Cardoso, de vos exposés.
Bienvenue à notre prochain groupe de témoins et merci de vous joindre à nous. Nous accueillons Kenneth Bear, agrologue professionnel des Premières Nations, gestionnaire du développement agricole, Groupe de sociétés de la Première Nation Pasqua, et Jacob Beaton, propriétaire de Tea Creek Training and Employment.
Nous vous invitons à faire votre exposé de cinq minutes. Je lèverai la main au bout d’une minute. Lorsque le temps sera écoulé, je lèverai les deux mains et vous devrez conclure à ce moment-là, puis nous passerons aux questions.
Sur ce, j’invite M. Bear à faire son exposé.
Kenneth Bear, agrologue professionnel des Premières Nations, gestionnaire du développement agricole, Groupe de sociétés de la Première Nation Pasqua : Merci, sénateur Black. Je pensais que j’allais être le dernier, mais ça va.
Monsieur Beaton, je vais être bref.
J’ai changé mes notes. Je suis content de ne pas avoir envoyé de notes parce que je les ai changées trois ou quatre fois.
Merci de l’invitation. Je vais commencer par vous dire que je suis de la Première Nation d’Ochapowace. J’ai grandi ici, à Ochap. Je suis allé au pensionnat de Cowessess, et j’ai obtenu un diplôme en agronomie de l’Université de la Saskatchewan en mai 2000, avec spécialité en cultures agricoles.
J’ai commencé ma carrière à Financement agricole Canada. À partir de 2001, j’ai travaillé avec les Premières Nations. Je ne me rappelle plus en quelle année nous sommes maintenant. 2023? Pendant 22 ans, j’ai travaillé avec les Premières Nations.
À l’heure actuelle, je travaille avec la Première Nation Pasqua. Je suis un agrologue agréé du Saskatchewan Institute of Agrologists. Je suis membre du comité consultatif national d’examen des programmes de gestion des risques des entreprises. Je suis le président d’un groupe sans but lucratif constitué en vertu d’une loi fédérale appelé la National Indigenous Agriculture Association. Voilà pour la présentation.
Lorsque j’ai reçu le courriel de la greffière du comité la semaine dernière, j’ai commencé à penser à la santé des sols. La première chose qui m’est venue à l’esprit, et j’aimerais vous raconter cette histoire, c’est quelque chose qui s’est passé quand j’avais 12 ou 13 ans, alors que ma kokum vivait avec nous. Elle est née en 1900. Elle a vécu jusqu’à 98 ans.
Nous étions dehors dans la réserve. J’avais 12 ou 13 ans et elle m’a dit : « Vas-y, mange de la terre. » Je me suis dit, d’accord, ma kokum me demande de manger de la terre noire. Devrais-je lui demander pourquoi? Je ne croyais pas pouvoir contredire ma kokum. J’ai pris de la terre noire et je l’ai mangée. Je ne lui ai pas vraiment demandé pourquoi. Elle m’a dit de manger de la terre, alors je l’ai fait.
Lorsque j’étais à l’Université de la Saskatchewan, nous avons examiné de la terre noire au microscope, en y ajoutant de l’eau. J’ai alors vu tous les insectes, vous savez, qui flottaient et qui nageaient dans la terre. Je me suis demandé si ma kokum avait voulu m’empoisonner à l’époque. Je n’étais vraiment pas certain. Puis j’ai pensé que si ma kokum m’avait demandé de manger de la terre noire, c’est qu’elle savait que cela allait probablement renforcer mon système immunitaire.
Après ce courriel — et il y a des années — j’ai commencé à me demander si ma kokum m’aurait demandé de manger de la terre dans un champ conventionnel. Je ne pense pas qu’elle m’aurait demandé de manger la terre d’un champ cultivé.
Voilà. Je voulais vous raconter cette histoire.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Beaton?
Jacob Beaton, propriétaire, Tea Creek Training and Employment : Merci. Bonjour à tous. Je suis très heureux d’être ici. Je m’appelle Jacob Beaton. Mon nom tribal est Dzapl Gyiyaawn Sgyiik. J’appartiens au clan Laxsgiik ou Eagle de la nation Tsimshian de la côte nord-ouest.
Je m’adresse à vous depuis le territoire des Gitxsan, entre Smithers et Terrace, dans ce qui s’appelle maintenant la Colombie-Britannique. Je vous parle depuis notre ferme de formation. Tout le monde dort encore sur la côte Ouest. Je suis vraiment heureux d’être parmi vous. Comme on dit dans notre langue, j’ai le cœur qui chante d’être ici et de voir tout le monde.
Nous avons un site Web, teacreek.ca. Si vous êtes curieux d’en savoir davantage à notre sujet, n’hésitez pas à le consulter. Je suis entrepreneur autochtone depuis 20 ans. Tea Creek est dirigé par des Autochtones à tous les niveaux. La majorité de nos décisions quotidiennes, à tous les niveaux, sont prises par des Autochtones. Nous travaillons sur le terrain et pas en salle de classe. Nous sommes un milieu sûr sur le plan culturel. Nous sommes un endroit où les Autochtones sont libres d’être eux‑mêmes, dans un contexte de guérison, d’apprentissage, de renforcement de nos compétences et de réappropriation de notre culture.
Nous offrons de la formation professionnelle. Nous sommes également un mouvement de souveraineté alimentaire autochtone. Ces choses vont de pair. Notre vision en est une de collectivités et d’économies saines et résilientes, fondées sur une alimentation locale abondante. C’est une vision que nous croyons que tout le monde peut appuyer. C’est ainsi que vivaient nos ancêtres, et c’est à cela que nous voulons revenir. C’est notre vision.
L’an dernier seulement, nous avons présenté des systèmes agricoles et alimentaires à plus de 1 200 Autochtones. Nous avons remporté le B.C. Land Award pour l’utilisation optimale des terres destinées à l’alimentation.
L’an dernier, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture nous a nommés héros de l’alimentation au Canada. Qui plus est, nous avons été submergés par le nombre de participants autochtones qui cherchent désespérément à retourner sur nos terres et à produire de la nourriture en abondance.
En ce qui concerne le sol — je sais que c’est le sujet de la discussion d’aujourd’hui — il y a beaucoup à dire. Il ne me reste que quelques minutes. Je demanderais à M. Bear de répondre aux questions précises sur le sol; c’est lui l’expert, pas moi. Nous savons que la dégradation de la couche arable est un problème de plus en plus répandu. Ce qu’on appelle l’agriculture régénératrice comprend la naissance ou la restauration du sol.
Ce que je voulais dire, et vous l’avez probablement entendu, c’est que l’agriculture autochtone est régénératrice et plus encore. L’agriculture autochtone a toujours été et est toujours à la fine pointe des pratiques régénératrices. Une intervenante précédente a parlé de la culture associée. Il y a aussi le paillage. Le biochar fait l’objet de discussions. Ce sont toutes des technologies autochtones vieilles de plusieurs milliers d’années.
À notre avis, la situation actuelle est telle que le nombre d’agriculteurs canadiens est en déclin. En Colombie-Britannique, le nombre d’agriculteurs a diminué de 10 %. Cela représente près de 15 000 personnes qui ont quitté le secteur agricole. L’âge moyen de ceux qui restent est en hausse — 56 ans à l’échelle nationale et 59 ans ici en Colombie-Britannique.
Une autre chose que je veux dire, c’est que les systèmes alimentaires sont holistiques pour nous, les Autochtones. Nous ne pouvons pas créer un système alimentaire sans eau, par exemple. Lorsque l’eau disparaît, la nourriture disparaît. Le problème, c’est que de nombreuses discussions générales sur le sol et l’agriculture excluent des aspects comme l’eau. Nous avons tous besoin d’eau. La couche arable a besoin d’eau pour être vivante.
L’agriculture autochtone englobe beaucoup de choses qui sont cloisonnées. Si nous voulons réparer le sol, nous devons adopter un point de vue autochtone. Nous devons envisager cela comme un grand projet d’infrastructure qui touche de nombreux secteurs et ministères actuels. Pour nous, par exemple, les forêts, les ruisseaux, les lacs et les océans font tous partie de nos systèmes alimentaires.
Nous travaillons sur nos connaissances. Elles nous ont été volées, et nous devons nous les réapproprier.
Pour conclure, j’aimerais mentionner quelques chiffres. Nous avons entendu dire que 80 % de la biodiversité mondiale se trouve dans des terres contrôlées par les Autochtones, ce qui représente 20 % de la masse terrestre mondiale. Les peuples autochtones contribuent actuellement à 32 % des objectifs climatiques mondiaux avec moins de 1 % des ressources financières. Un seul prêt agricole a été accordé à un agriculteur autochtone de la Colombie-Britannique par Financement agricole Canada, et les ressources financières constituent un obstacle énorme pour nous.
L’an dernier, 1 200 Autochtones se sont présentés à nous pour participer.
En conclusion, si nous travaillons tous ensemble, tout le monde y gagne en ce qui concerne la nourriture, le sol et les systèmes alimentaires.
Nous, les Autochtones, pouvons retourner sur nos terres. Nous pouvons contribuer à la renaissance des agriculteurs, ainsi que nos sols. Nous pouvons apporter cette contribution. La planète gagnera, notre économie gagnera, tout le monde gagnera si les peuples autochtones jouent un rôle de premier plan dans l’agriculture et les sols.
Merci beaucoup de m’avoir invité.
Le président : Merci, monsieur Beaton et monsieur Bear.
Nous allons passer aux questions. Il y aura cinq minutes pour les questions et les réponses.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, messieurs, de vous être levés si tôt sur la côte Ouest.
Nos témoins précédents nous ont dit qu’il n’y a que 140 agriculteurs autochtones en Saskatchewan et 150 en Alberta. Ce n’est peut-être pas une question légitime, mais avez-vous une idée du nombre d’agriculteurs autochtones qui pratiquent activement l’agriculture en Colombie-Britannique?
M. Beaton : Oui. C’est moins de 1 %, donc probablement moins de 150. Mon organisation travaille avec le ministère provincial de l’Agriculture pour dresser la carte de tous les projets alimentaires autochtones à chaque étape, de la planification au démarrage, et jusqu’à l’exploitation, et parfois même jusqu’à l’échec ou, comme nous appelons cela, les expériences d’apprentissage. Nous nous occupons de tout cela.
Il n’y en a pas beaucoup, mais l’intérêt à la base est absolument incroyable. Les Premières Nations dont la principale priorité est la production alimentaire, l’agriculture et la sécurité alimentaire représentent la majorité ici.
La sénatrice Simons : Il n’y a pas un seul agriculteur des Premières Nations qui a pu obtenir ce genre de financement agricole fédéral. Est-ce parce que des prêts ont été refusés ou parce qu’il y a des obstacles au niveau de la demande? Est-ce parce qu’il est trop difficile de remplir toute la paperasse pour les gens qui n’ont pas d’expérience?
M. Beaton : C’est une excellente question. Merci, sénatrice.
J’ai parlé à un important bailleur de fonds ici, en Colombie-Britannique, qui est une fondation. Selon un audit récent de ses programmes, les Autochtones qui participent doivent remplir 25 fois plus de paperasse et de rapports que les non-Autochtones pour le même montant.
J’ai discuté activement avec Financement agricole Canada. Il y a quelques années, je leur ai parlé de prêts agricoles pour quelques-uns de nos partenaires des Premières Nations qui ont acheté des terres hors réserve — des terres agricoles en fief simple — et qui veulent les exploiter. On m’a dit qu’il n’y avait pas de politique de prêt pour les Premières Nations ou les agriculteurs autochtones en Colombie-Britannique. Depuis, on a créé une politique, mais comme je l’ai dit, il n’y a eu qu’un seul prêt à un agriculteur des Premières Nations en Colombie-Britannique par l’entremise de Financement agricole Canada.
Auparavant, on nous disait « Ne vous donnez pas la peine de présenter une demande parce que nous n’avons pas de politique » — ce que je dis, c’est que nous demandons instamment que les politiques soient changées. Nous n’avons même pas nécessairement besoin d’une loi. Cela peut être utile, mais les politiques ou les solutions qui dépendent d’un simple trait de plume sont des solutions très faciles à mettre en place, tout d’abord, pour assurer un accès équitable aux ressources, puis pour favoriser la réconciliation, afin de faciliter encore plus le processus. À l’heure actuelle, les choses ne sont certainement pas équitables, et les mesures de réconciliation ne font rien en ce sens. Nous avons donc besoin d’abord d’équité, puis de réconciliation lorsqu’il s’agit de l’accès aux ressources.
La sénatrice Simons : Monsieur Bear, votre kokum me semble être tout un personnage. Vous avez dit à la blague — mais ce n’était pas nécessairement une blague — qu’elle ne vous laisserait pas manger de la terre d’un champ cultivé maintenant, contrairement au sol naturel, je suppose, de votre enfance.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez qu’on ne devrait pas manger la terre des champs agricoles d’aujourd’hui?
M. Bear : Je vous remercie de la question.
Pour revenir à la première question, M. Beaton a mentionné Financement agricole Canada, où j’ai occupé mon premier emploi après l’université. Des professeurs m’ont dit que je n’avais pas besoin de chercher un emploi, et je me suis dit : « D’accord, c’est génial. Alors, pourquoi ne suis-je pas obligé de chercher un emploi? » Je m’étais identifié comme membre d’une Première Nation. Je n’ai donc pas cherché d’emploi. C’était le dernier mois de cours à l’université, personne ne me téléphonait, et j’ai pensé que j’aurais peut-être dû chercher un emploi finalement. Cinq entreprises différentes m’ont finalement téléphoné. Financement agricole Canada, à Yorkton, en faisait partie.
Je voulais revenir à Ochap et amener mes enfants à Ochap. J’ai donc accepté ce poste de Financement agricole Canada à Yorkton, et la première chose qu’ils ont faite, c’est de m’envoyer à Montréal.
En un mot, je ne pense pas que Financement agricole Canada était prêt à accueillir des Autochtones en 2000.
Pour répondre à la question concernant ma kokum et la raison pour laquelle elle ne me laisserait pas manger de la terre aujourd’hui, c’est à cause des produits chimiques. Je vais m’arrêter ici.
La sénatrice Simons : J’espère pouvoir poser une question au deuxième tour. Merci beaucoup à vous deux.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités.
Ma première question s’adresse à M. Beaton. Je vais vous parler un peu de vos antécédents. Tea Creek est une initiative primée de formation et de souveraineté alimentaire autochtone dirigée par des Autochtones et culturellement sécuritaire. Lorsque vous et votre famille avez échangé votre vie de banlieue contre une ferme de 140 acres en Colombie-Britannique, vous vous êtes fié à des vidéos sur YouTube pour apprendre à planter des légumes. Quatre ans et une pandémie mondiale plus tard, vous cultivez des milliers de kilos de légumes et êtes à la tête d’une relance de la souveraineté alimentaire dans les communautés autochtones de la côte Ouest.
Vous avez mentionné certaines pratiques visant la gestion de la santé des sols, mais pouvez-vous s’il vous plaît parler au comité des pratiques actuelles et prévues de Tea Creek visant la gestion des sols et la dégradation des sols?
M. Beaton : Oui, merci, sénateur. Je suis vraiment heureux d’entendre que vous avez fait vos recherches sur moi. Cela me touche beaucoup.
Pour ce qui est des pratiques actuelles, nous enseignons à un large éventail de personnes. Nous ne faisons pas de l’agriculture ce que j’appelle une « religion ». Nous sommes une organisation fondée sur des principes, alors tout comme nos ancêtres, nous sommes ouverts à tout outil ou technologie qui s’inscrit dans notre culture et nos principes de production alimentaire — les valeurs autochtones.
Ici, nous pratiquons l’agriculture manuelle. C’est le niveau de base, parce que c’est la façon la plus économique et la plus productive de produire des aliments. Pour ce qui est de la santé et de la régénération du sol, nous nous concentrons sur la réduction du travail du sol, encore une fois, comme nos ancêtres l’ont fait, et sur le paillage lourd de matières organiques sur le sol.
Nous sommes dans une zone environnementale où il y a des chevauchements, ce qui est vraiment spécial, donc si vous allez vers l’est, c’est beaucoup sur l’activité bactérienne que vous comptez pour faire vivre le sol et nourrir vos plantes; à l’ouest, c’est l’activité mycorhizienne et fongique. Nous avons les deux ici. C’est l’une des façons dont nous mesurons cela. C’est comme ce que faisait kokum, n’est-ce pas? Vous pouvez manger de notre terre. Et c’est ce que nous faisons; c’est pourquoi je riais quand M. Bear a raconté son histoire. La terre saine a un goût sucré, elle ne sent pas mauvais et n’est pas aigre, elle tient ensemble, elle est collante. L’agriculture que nous faisons est artisanale.
Nous enseignons aussi l’agriculture en tracteur. La réalité, c’est que si nous voulons accroître la production alimentaire et nourrir un très grand nombre de gens, nous devons le faire avec de la machinerie. Mais cela coûte plus cher, et beaucoup de Premières Nations n’ont pas cet argent. De toute façon, nous l’enseignons à ceux qui y ont accès, et nous enseignons les pratiques de régénération le plus possible avec le tracteur. Nous échangeons nos charrues et nos motoculteurs contre ce qu’on appelle une herse rotative ou une sous-soleuse, quelque chose qu’on utilise en Europe pour essayer de réduire les perturbations des strates du sol et produire une quantité incroyable de nourriture. Cela fonctionne très bien. Je vous remercie de la question.
Le sénateur Klyne : Merci, excellente réponse. Monsieur Bear, je suis certain que nos chemins se croiseront en Saskatchewan. Je vais vous raconter quelques histoires au sujet de ma kokum, ma grand-mère. Le Groupe de sociétés de la Première Nation Pasqua est donc un actionnaire important dans un certain nombre de projets qui intègrent l’agriculture à d’autres activités économiques. Pouvez-vous nous parler de l’importance de la santé des sols en général et, plus précisément, de la gestion des sols et de la dégradation des sols dans le cadre de votre surveillance avec la PNP?
M. Bear : Je vous remercie de la question. À l’heure actuelle, 10 000 acres sont loués. Je connais Richard Missens; il est le PDG du Groupe de sociétés de la PNP. J’ai rencontré M. Missens à la Fédération des nations autochtones souveraines, la FSIN. J’avais l’habitude de m’appeler l’agronome de la FSIN en 2001. J’ai vraiment aimé ça. J’ai enseigné l’agriculture à de nombreuses Premières Nations de la Saskatchewan. Je voyais toujours la main de M. Black se lever immédiatement. Je ne sais pas si je m’écarte du sujet, mais je vais répondre le plus rapidement possible.
Pour moi, la meilleure façon d’apprendre, c’est en fait de le faire. Pour cela, si vous examinez la production de céréales et d’oléagineux, il faut tenir compte du risque lié à l’équipement, du fait de dépendre de quelqu’un d’autre pour le faire et du climat. Si vous voulez savoir comment prendre soin de ces terres, vous devez savoir ce qu’on y met, ce qu’on en retire et quelle en est la capacité de production. Si un agriculteur envisage un bail foncier d’un an ou deux, on suppose que nous allons en retirer le plus possible dans cette courte période. En ce qui concerne la fierté d’être propriétaire, cette fierté signifie que vous voulez le faire de génération en génération.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos réponses et de vos exposés. En guise d’introduction, monsieur Bear, vous avez dit tout ce que nous devons savoir, alors merci beaucoup.
J’ai une question pour vous deux, mais je vais d’abord vous lire quelque chose. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a souligné l’importance d’inclure les voix autochtones et les pratiques agricoles autochtones dans les politiques et la planification. En 2021, elle déclarait dans son rapport que le monde ne peut s’alimenter de façon durable sans écouter les peuples autochtones.
J’aimerais maintenant l’appliquer au sol. Que devons-nous savoir de vous deux ou des peuples autochtones pour améliorer la santé des sols? Que pouvons-nous en tirer?
M. Bear : Je vous remercie de cette question. Je sais que ma kokum avait ce sentiment; elle possédait cette connaissance. Au cours de ma carrière universitaire, j’ai commencé à la voir comme le lien avec les Premières Nations, les aînés et la communauté. Je me demandais comment il se faisait qu’il n’y avait pas de lien ici à l’université? Étant donné que Mme Arcand et Mme Pete-Cardoso sont à l’université, je vois le potentiel pour ce lien.
Là où le lien se dissipe, c’est dans l’investissement dans ces connaissances. Comment mobiliser un groupe qui n’a pas confiance? Il ne fait pas confiance à cette colonisation. Il y a une histoire de méfiance. Il y a une histoire. Comment peut-on corriger cette histoire? Comment obtenez-vous cette information de nos aînés et de nos communautés? Il faut les mobiliser pour que la confiance s’installe.
Au cours de ma carrière professionnelle, je n’ai pas vu l’investissement nécessaire pour impliquer les Premières Nations afin de saisir ces connaissances et cette synergie qui peuvent aider le secteur, aider le monde et aider à créer une vision cohésive. C’est toujours une lutte.
La sénatrice Jaffer : Vous dites quelque chose de très important, monsieur Bear — impliquer. Nous avons tous une signification différente de ce que signifie être impliqué. Je viens d’un autre pays, je suis une réfugiée, alors je vois de différentes façons comment j’aurais aimé m’impliquer avec les Canadiens lorsque je suis arrivée. Je suis certaine que vous avez également des suggestions sur la façon dont nous devrions impliquer les peuples autochtones. Pouvez-vous nous le dire, monsieur Bear?
M. Bear : Oui, j’attendais que M. Black lève la main. Il a levé la main, alors je vais répondre rapidement à votre question, parce que je pense qu’elle est très importante pour ce qui est de la façon de s’impliquer. Comment acquérir ces connaissances?
J’entends parler de réconciliation. J’entends parler d’actes répréhensibles, nous sommes donc en train de nous remettre de choses qui se sont déjà produites. Dans ce processus de guérison, nous avons toujours des terres visées par des droits fonciers issus de traités; nous avons toujours ce lien avec nos communautés et avec la Terre mère.
Qui assume la responsabilité de recueillir cette information et de déterminer comment telle partie s’intègre à telle autre? C’est comme la science. Voilà pourquoi j’aime le domaine scientifique, parce que ce n’est pas vraiment aussi subjectif qu’on le pense. Ce sont les idéologies de l’agriculture qui ont été amenées ici pour la rendre productive ou pour créer des possibilités pour les colons. Ces possibilités ont peut-être été faites aux dépens des Premières Nations, et si elles existent toujours, il faut trouver des façons de les éliminer.
Le président : Merci.
La sénatrice Duncan : Je remercie tout particulièrement les témoins. Je vous remercie de vous être joints à nous à cette heure matinale.
Ma question s’adresse à M. Beaton, et je m’excuse si j’ai manqué cette partie. Pouvez-vous dire au comité jusqu’où, vers le nord, vont vos activités de sensibilisation à l’agriculture en Colombie-Britannique?
M. Beaton : Oui, je vous remercie de la question, sénatrice.
Pour ce qui est du Yukon, nous ne sommes pas aussi au nord que cela. Nous sommes à mi-chemin de la province. J’aime le rappeler; nous ne sommes pas le vrai Nord. Nous sommes à peu près aussi au nord qu’Edmonton, pour ceux qui savent où se trouve Edmonton.
La sénatrice Simons : Aussi au nord que cela.
M. Beaton : Nous sommes dans la région la plus peuplée de la province pour ce qui est de la répartition de la population dans la province. Le Nord-Ouest, ce qu’on appelle le Kitimat-Stikine, est à environ 60 % autochtone. Notre région immédiate, c’est‑à‑dire la vallée de Two Rivers, compte 10 000 habitants, dont environ 8 000 sont des Autochtones. Comme je l’ai dit, 1 200 personnes sont venues à notre ferme.
La sénatrice Duncan : Il y a d’importantes populations de Premières Nations plus au nord, et il se fait aussi un certain degré d’agriculture, surtout le long de la route de l’Alaska ainsi que dans la région de Fort Nelson et de Fort St. John. Il y a aussi d’importantes populations de bisons, sans oublier un programme de gardiens des terres très actif dans la région de Dease Lake et de Good Hope Lake.
Ma question est la suivante : quel est le point de rencontre entre la communauté agricole et les gardiens et les Premières Nations de la région en ce qui concerne l’étude de la santé des sols, l’évaluation de la santé des sols et la collaboration avec le gouvernement fédéral et la province? Il s’agit de Premières Nations qui n’ont pas encore conclu d’ententes de règlement territoriales ou d’autonomie gouvernementale, certaines d’entre elles du moins, je crois. Y a-t-il eu une quelconque évaluation ou incidence du bison sur la santé des sols?
M. Beaton : Excellente question. Je ne peux pas répondre au sujet du bison parce que nous sommes dans le Nord-Ouest, où il n’y en a pas. Les espèces traditionnelles clés étaient en fait le wapiti et le caribou de montagne. Ces deux espèces ont été chassées jusqu’à l’extinction dans notre région.
Ce qui est fascinant, c’est que les Autochtones d’ici, mes ancêtres, étaient des agriculteurs. Lorsque les colons sont arrivés ici, ils sont d’abord arrivés dans les plaines. En fait, il y a environ 2 millions d’acres de terres arables juste dans notre région du Nord-Ouest qui sont maintenant principalement retournés à la forêt en raison de l’absence de ces ruminants indigènes et de l’exclusion de propriétaires fonciers autochtones.
Un très grand nombre de ranchs et de fermes appartenant aux Premières Nations ont été saisis au fil du temps par les agents des Indiens et la police provinciale, puis essentiellement vendus aux enchères à des colons non autochtones. Cela a été très bien documenté.
Pour ce qui est des programmes des gardiens, beaucoup de Premières Nations — y compris dans le Nord-Est et le Nord‑Ouest — se concentrent sur le rétablissement de certaines de ces populations animales. La province vient tout juste de se joindre à nous, d’après ce que je comprends, mais ici, les Tahltan, par exemple, les Premières Nations Gitwangak, viennent tout juste de prendre la relève parce que la province n’a pas fait de relevés fauniques ou d’analyses du sol. Essentiellement, les Premières Nations interviennent et prennent la relève, le font elles-mêmes et prennent également en charge la gestion, avec ou sans la province. Merci.
La sénatrice Duncan : Les gardiens des terres s’occupent-ils également de la santé des sols et travaillent-ils avec des études ou est-ce l’objectif...
M. Beaton : À ma connaissance, pas directement. Dans ma région, nous n’avons pas de traité, et pour la majorité de la Colombie-Britannique, il n’y a pas encore d’ententes de règlement territoriales ou d’autonomie gouvernementale.
Le sénateur Cotter : Merci à nos deux témoins d’aujourd’hui. J’ai une question pour vous, monsieur Beaton, au sujet des obstacles. J’ai passé une bonne partie de ma vie dans les environs de Smithers et de Hazelton, et j’ai vraiment l’impression que l’imagination et la vision des communautés des Premières Nations où vous vivez maintenant orientent en quelque sorte l’avenir des Premières Nations et peut-être de la Colombie-Britannique.
Vous avez mentionné les problèmes concernant Financement agricole Canada et d’autres organismes du genre. Je me demande s’il existe un gabarit d’obstacles qui, s’ils pouvaient être éliminés, permettrait d’établir des règles du jeu équitables, comme vous l’avez décrit assez visuellement. Vous avez parlé de FAC et du processus, à savoir si FAC crée également des obstacles en raison de la façon dont les terres des Premières Nations visées par un traité sont détenues et, par conséquent, ne peuvent pas faire partie d’un processus de sécurisation, à savoir si on s’attaque à ces obstacles en utilisant des façons plus créatives de penser aux terres visées par les traités et aux réserves des Premières Nations.
Pourriez-vous nous dire quelles sont les sortes d’obstacles qui empêchent souvent les gouvernements de créer des débouchés pour les Premières Nations? Monsieur Bear, vous avez peut-être aussi des opinions à ce sujet.
M. Beaton : Bien sûr, ma réponse sera brève. Tout à fait, oui, nous pouvons cerner un certain nombre d’obstacles. Je ne veux pas m’en prendre uniquement à FAC. Les banques à charte ont aussi énormément d’obstacles en matière de politiques pour les Autochtones.
Je tiens également à préciser que beaucoup d’obstacles existent dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci. Nous fonctionnons hors réserve. Je suis un Indien inscrit. On me refuse toujours du financement simplement parce que je suis un Indien inscrit et pour aucune autre raison.
Il existe de toute évidence beaucoup de racisme institutionnalisé. Ce que j’ai réclamé, ce sont des changements de politiques qui nous permettraient de transformer ces réponses injustes de « non » en « oui » lorsqu’elles sont contestées. Malheureusement, une grande partie de la politique actuelle est le contraire, elle renforce le non injuste. Voilà ma réponse.
M. Bear : C’était une bonne réponse, monsieur Beaton. Je veux répondre rapidement parce que M. Black va lever la main assez rapidement.
Le programme de la LCPA s’appelait auparavant le programme de la LPAACFC. C’est une garantie fédérale de 95 % pour les agriculteurs. Je parle depuis 21 ans de ce programme de la LCPA; taux d’intérêt préférentiel plus 1 %, garantie fédérale de 95 %. Je ne connais aucune Première Nation au Canada qui participe à ce programme de la LCPA offert par des institutions autres que FAC.
Shaun Soonias et Milton Greyeyes ont été embauchés par Financement agricole Canada. Lorsque je travaillais à FAC, je ne voyais pas comment on allait inclure et restreindre l’article 89 de la Loi sur les Indiens, qui oblige les institutions financières à dire plus ou moins qu’elles font preuve de diligence raisonnable.
Si la Loi sur les Indiens a préséance sur la Loi sur les banques et la Loi sur la Société du crédit agricole, alors la question de la sûreté se pose. Ma Première Nation pouvait me louer 1 000 acres. Je vais à FAC. Si je n’ai pas d’expérience dans l’exploitation de ce millier d’acres, si je n’ai pas d’antécédents, si je n’ai pas fait la transition d’une exploitation agricole, les institutions financières se retrouvent immédiatement devant un feu rouge.
Une autre question est celle des capitaux propres. Si vous avez une participation dans votre terrain et dans vos immeubles, cela vous aide avec les institutions financières. Si vous exploitez une ferme dans une réserve, où est votre avoir propre? Où sont vos immeubles? Cela ne fait pas partie des pratiques de prêt de FAC. Cela place FAC dans une situation où il ne sait pas comment travailler avec la Première Nation. Comment peut-il obtenir une garantie? Il y a un certain nombre de choses auxquelles je ne peux pas répondre en peu de temps, mais ai-je des idées sur la façon de régler le problème? Tout à fait. Un investissement de 5 milliards de dollars — je plaisante.
Le sénateur Cotter : Plus je parle, plus il est probable que M. Black lèvera la main.
J’aimerais terminer sur ce point. Plus nous en savons sur les obstacles qui empêchent les communautés autochtones de participer à l’agriculture, comme vous l’avez mentionné, plus les observations dans notre étude sont riches, car elles sont liées à l’avenir de la santé des sols sur lesquels vous travaillez si fort. Plus vous pourrez nous en parler, mieux ce sera.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup à nos invités d’avoir apporté une telle légèreté si tôt le matin. Cela nous réveille. Il y a tellement de questions que vous avez abordées, et la richesse de votre contribution a été exceptionnelle.
Je vais revenir à l’insécurité alimentaire, et je crois que c’est M. Beaton qui en a parlé ainsi que de l’abondance de la production alimentaire locale. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous dire comment nous pouvons étendre ces pratiques à l’ensemble du Canada?
M. Beaton : Merci, sénatrice. C’est une question fantastique.
Notre vision pour Tea Creek, c’est que nous devenions un centre de formation en leadership, parce qu’il y a tellement de Premières Nations qui veulent travailler avec nous et s’associer à nous. Nous devons donc former les champions et les dirigeants de notre nation qui peuvent ensuite venir et mettre en œuvre notre modèle et ce que nous faisons dans leur culture, leur territoire et leur zone environnementale climatique.
Pour ce qui est de la sécurité alimentaire, mon Dieu, quel problème nous avons. Le revenu médian des Autochtones se situe entre 13 000 et 19 000 $ par année. Dans nos villes d’ici, cela monte à 70 000 $ environ. Il s’ensuit une insécurité alimentaire massive chez les enfants, les jeunes, les adultes et les aînés autochtones.
Selon moi, cela s’explique par le fait que nous étions tous souverains sur le plan alimentaire et que l’argent n’avait pas vraiment d’importance, mais ensuite nous avons été forcés de quitter nos terres, graduellement, au fil du temps, puis nous avons été marginalisés et sommes devenus des chasseurs-cueilleurs. Ce à quoi cela ressemble dans ma famille. Nous sommes des pêcheurs, et donc nous pêchons et nous remplissons nos sous-sols de saumon en conserve. Avec un faible revenu, on peut toujours avoir la sécurité alimentaire.
Mais qu’arrive-t-il lorsque les populations de saumon sont en déclin? Que se passe-t-il lorsque les orignaux sont poussés vers l’extinction? Que se passe-t-il lorsque votre chasse et votre cueillette ne remplissent plus votre sous-sol?
Voilà pourquoi j’ai insisté pour dire que ces répercussions qui nous ont été imposées, ces revenus médians ne bougent pas. L’insécurité alimentaire s’aggrave — elle ne s’améliore pas — au sein de notre population. C’est un élément énorme qui nous motive. Nous devons donc établir un partenariat. Quelle est la relation avec le Canada pour ce qui est de corriger la situation et de voir que tout le monde y gagne? Parce que nous devons essentiellement commencer à remplacer les calories le plus rapidement possible, que l’on retrouvait habituellement dans le saumon, l’orignal et les baies qui déclinent rapidement et qui disparaissent.
C’est très, très urgent pour nous, et c’est pour cette raison que les Premières Nations de la Colombie-Britannique — dont je peux vous parler en raison de notre travail — font maintenant de la souveraineté alimentaire une priorité absolue, parce qu’elles sont en train de vivre le déclin des aliments locaux abordables qui étaient produits à la ferme, au champ et dans l’océan. Nous nous sommes tournés vers la chasse et la cueillette à cause de ces pratiques coloniales génocidaires qui ont eu des répercussions. Maintenant, nous essayons de nous retirer de cette situation et de redevenir souverains sur le plan alimentaire sur nos propres terres, et nous faisons face à d’innombrables obstacles.
Oui, si nous pouvions travailler ensemble, nous pourrions résoudre une grande partie des problèmes dans notre communauté et notre pays, ou nous pouvons continuer dans cette voie. Nous sommes de toute évidence à un tournant critique en matière de sécurité alimentaire.
La sénatrice Burey : Merci.
Le président : Merci beaucoup. J’ai quelques questions, et je vais commencer par M. Bear.
Votre kokum semble être une personne merveilleuse, et je suis sûr qu’elle est très fière de vous. Je crois comprendre qu’en 2021, vous étiez le seul agronome autochtone en Saskatchewan. Vous avez réalisé des travaux très approfondis sur la santé des sols, et j’aimerais donc savoir quelle est, selon vous, la méthode la plus efficace de surveillance et de maintien de la santé des sols dans les collectivités rurales et communautés autochtones? Est-il possible, ensuite, d’appliquer ces concepts à plus grande échelle ailleurs au pays?
M. Bear : Je vous remercie de la question. Je vais répondre très rapidement.
J’avais l’habitude de présenter les programmes du Partenariat canadien pour l’agriculture, qu’on appelle le PCA, et les programmes de Cultivons l’avenir aux Premières Nations. On parlait de stabilité agricole et d’investissement agricole. Nous avions l’habitude de parler des programmes et des services offerts par le gouvernement provincial.
Le lien avec nos terres, le lien par rapport à la majorité des terres des Premières Nations qui sont détenues ici en Saskatchewan, c’est ce dont a parlé un sénateur au sujet des droits fonciers issus de traités, de l’achat de ces terres visées par des droits fonciers issus de traités. Une bonne partie, comme Melissa Arcand et Candice Pete-Cardoso l’ont mentionné, a été louée à des personnes qui ne font pas partie des Premières Nations.
Comment surveillez-vous la situation? Comment vous assurez‑vous qu’un agriculteur ajoute ceci et retire cela? Il faut être sur place pour voir à quoi sert cet équipement. Si vous voulez en savoir plus sur la durabilité de vos terres, la cultiver, ce que j’ai fait à Ochapowace avec 10 000 acres, et encourager les Cowessess à cultiver leurs terres, et maintenant encourager Pasqua à cultiver ses terres, nous savons ce qu’on va y mettre, nous savons quels produits chimiques on va utiliser. Nous nous intéressons aux produits biologiques. Nous nous penchons sur l’horticulture. Nous examinons le secteur de la volaille par rapport aux poulets à griller. Nous examinons ce secteur agricole par rapport aux terres de Pasqua et à l’expansion.
Il est parfois difficile d’amener les gens à parler d’agriculture, parce que l’agriculture vient au vingt-troisième rang dans la liste de la Première Nation. Cependant, le chef Pasqua, Richard Missens, ils veulent que l’agriculture fasse partie de leur sécurité alimentaire ici, à Pasqua, parce que lorsque les frontières ont été fermées en raison de la pandémie, il y a eu des problèmes d’alimentation. Ils veulent maintenant assurer la survie de leur propre population au cas où une autre pandémie surviendrait. Nous avons les terres pour le faire, et nous allons acquérir ces connaissances auprès des experts du domaine.
Dire que je suis un expert, je l’apprécie vraiment, mais j’apprends des choses tous les jours, et j’ai tellement appris de la réunion d’aujourd’hui que — je ne sais pas quelle heure il est là‑bas, mais je suis sûr que personne ne s’est endormi. Je me suis presque endormi plus tôt.
Alors merci.
Le président : Il est en fait 10 h 45 ici à Ottawa, heure de l’Est.
Monsieur Beaton, vous avez de toute évidence fait beaucoup de travail pour rétablir les moyens de subsistance fondés sur la terre et pour intégrer des méthodes agricoles autosuffisantes et pour vivre. Je sais que vous avez parlé de l’agriculture manuelle et de l’agriculture en tracteur, mais quelles méthodes ou pratiques précises avez-vous découvertes qui seront bénéfiques pour la santé des sols dans votre région et partout au Canada?
M. Beaton : Une méthode précise pour nous consiste simplement à garder notre sol couvert. Nous avons maintenant recours aux cultures de couverture et nous essayons, encore une fois, de réduire au maximum la perturbation du sol. Nous faisons beaucoup de paillage. Nous voyons une incroyable microbiologie des sols, et la vie est tellement abondante.
Des chefs primés sont venus visiter notre ferme et nous ont dit que les légumes — parce que c’est un sujet dont nous devons aussi parler, la valeur en micronutriments des aliments diminue depuis 1960. Lorsque votre sol est sain, vos aliments le sont aussi, et vos gens sont en santé, et vous avez de l’eau.
Une autre chose que nous faisons, c’est d’essayer d’augmenter la quantité d’arbustes, de graminées, etc., parce que non seulement cela enrichit le sol, mais favorise aussi la rétention d’eau. J’en ai parlé dans ma déclaration préliminaire, mais nous ne pouvons avoir de nourriture dans un système, quel qu’il soit, sans eau. Lorsque nous avons commencé à pratiquer l’agriculture, l’une des premières choses que nous avons faites a été de voir où nous en étions en ce qui concerne l’eau et d’examiner de quelle façon nous pouvons bâtir un sol qui produise également de l’eau et nous donne un approvisionnement constant en eau tout au long de l’année.
Je suis certain que nous pourrions entrer dans toutes sortes de détails si nous avions plus de temps, mais ce n’est qu’une partie de ce que nous faisons.
Une dernière chose, si vous me le permettez, sénateur, c’est que nous devons parler du manque d’intrants disponibles pour faire cela, comme les composts certifiés biologiques qui sont sûrs et non contaminés. C’est un défi. Alors nous enseignons le compostage ici, parce que beaucoup de nos Premières Nations — nous ne sommes pas contre les produits chimiques, par exemple. Si une Première Nation veut vraiment apprendre à utiliser des produits chimiques, nous pouvons l’enseigner et nous le ferons de façon responsable, mais jusqu’à maintenant, tout le monde veut le faire naturellement. C’est ainsi que nous l’enseignons, et donc nous enseignons aussi le compostage pour intégrer un compost très riche et actif dans le sol et renforcer la biologie du sol.
Le président : Merci.
La sénatrice Simons : J’aimerais reprendre là où M. Beaton s’est arrêté. Je dois dire que j’ai eu le privilège de visiter le territoire des Gitxsan lors de mes déplacements il y a quelques années avec le Comité des transports et des communications, et nous avons voyagé de Prince Rupert à Terrace, et j’ai passé un certain temps à cet endroit.
Je n’aurais pas pensé que la sécheresse était un problème. Cela me semblait être une forêt pluviale.
Est-il important d’avoir une capacité de rétention d’eau dans le sol non seulement pour se protéger contre la sécheresse, mais aussi pour se protéger contre les inondations afin que le sol ne soit pas érodé s’il y a une grosse averse?
M. Beaton : Je vais probablement m’en remettre à l’expert en sols pour répondre à cette question précise. Cependant, pour ce qui est de la sécheresse, nous sommes ici depuis quatre ans, et nous avons connu de graves sécheresses pendant trois de ces années, même si nous sommes dans une zone de forêt pluviale. C’est dévastateur et c’est une chose à laquelle nous devons réfléchir maintenant. Notre ruisseau qui s’asséchait une fois tous les 20 ans s’assèche maintenant tous les deux ans.
À mon avis, cela est en grande partie lié aux pratiques d’exploitation forestière dans notre bassin hydrographique où la couche arable a été profondément érodée. Nous parlons du sol et nous ne parlons que des agriculteurs, mais notre industrie forestière contribue énormément à la perte de la terre végétale et à sa dégradation.
Comme Autochtones, nous nous penchons là-dessus. Cela fait partie de notre système alimentaire. Il est important d’avoir une forêt en santé, avec des herbes et des arbustes qui retiennent l’eau et la terre végétale. Ensuite, il y a toutes ces pratiques forestières qui consistent à replanter uniquement du pin ou du sapin — quelle que soit votre culture commercialisable — et à négliger les substrats de la forêt, ce qui mène à l’érosion de la couche de terre végétale et aux inondations. Alors oui, tout à fait.
La sénatrice Simons : Monsieur Bear, je ne sais pas si vous voulez glisser une réponse puisque M. Beaton vous a mentionné.
M. Bear : Non, je viens d’apprendre quelque chose, monsieur Beaton.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Beaton, vous avez parlé de sécurité alimentaire, et vous avez vraiment donné une très bonne explication. Je vais m’en souvenir longtemps.
Ensuite, vous vous êtes arrêté lorsque vous avez dit que nous allions devoir — si je me souviens bien — avoir besoin d’aide pour améliorer la sécurité alimentaire. Pouvez-vous terminer, s’il vous plaît?
M. Beaton : Oui, bien sûr.
Comme je l’ai dit, les deux plus grands obstacles que nous avons rencontrés comme Autochtones pour nous lancer dans la production alimentaire sont, premièrement, l’accès à la terre. Il est presque impossible pour nous, en Colombie-Britannique — et je vais simplement parler de mon expérience et de notre expérience ici — d’acheter des terres hors réserve.
Le deuxième obstacle est l’accès au capital et aux capitaux propres — l’accès à l’argent — pour que nous puissions faire ce que n’importe qui peut faire, c’est-à-dire emprunter de l’argent et ensuite mettre en valeur des terres. Ce n’est pas seulement pour les personnes comme moi que cela pose problème; les Premières Nations elles-mêmes font face à beaucoup de ces obstacles lorsqu’elles doivent s’entendre avec le gouvernement sur une infraction antérieure pour obtenir ce qu’on appelle des revenus autonomes afin de pouvoir acheter des terres.
Les Premières Nations avec lesquelles nous travaillons ont acheté des terres hors réserve en fief simple et des terres agricoles, et elles l’ont fait avec des revenus autonomes. Elles n’ont pas été en mesure d’obtenir un prêt bancaire pour le faire.
Un troisième obstacle est l’éducation, et nous l’avons entendu à maintes reprises. Vous avez la terre, et maintenant vous avez besoin de quelqu’un pour la travailler. Parce que les pensionnats ont été incroyablement dévastateurs — mes ancêtres ont été souverains sur le plan alimentaire jusqu’à ce que nous soyons trois générations de suite à être privés de ce savoir qui n’a pu nous être transmis. C’est vraiment à ce moment-là que l’utilisation des terres a été complètement limitée à ces minuscules réserves, mais les gens continuaient de produire une abondance de nourriture dans ces minuscules réserves, qui étaient indépendantes et souveraines au plan alimentaire. Puis, tout d’un coup, surgit un désert de savoir. La troisième chose, c’est de rétablir cela, et d’avoir un soutien adéquat pour le faire.
À l’heure actuelle, Tea Creek est très sous-financée par rapport aux organisations traditionnelles. Le financement est de loin notre principal problème.
Je vais m’arrêter ici.
Le sénateur Klyne : J’avais une question pour M. Bear au sujet des 10 000 acres de terres louées et de ce que vous faites pour les protéger pendant qu’elles sont cédées au locataire, mais je pense que vous avez répondu à cette question, alors c’est très bien.
Je voulais aborder toute la question de l’accès au capital. Quelques réflexions me viennent à l’esprit. Je suis au courant des préoccupations concernant la garantie. Vous ne devriez jamais conclure une entente de prêt simplement parce que vous vous inquiétez au sujet de la garantie. Vous devriez le faire parce que c’est un bon prêt. Le problème, c’est que toute caution potentielle pourrait se trouver dans une réserve et ne pourrait donc pas être saisie. Il y a plusieurs façons de contourner cela.
N’oubliez pas la Banque des Premières Nations du Canada, la Peace Hills Trust et l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, de qui relèvent 58 institutions financières autochtones, et ce sont toutes des organismes qui accordent des prêts au développement, ce qui signifie qu’elles travailleraient avec FAC pour utiliser l’argent qu’elles ont. Elles subordonneraient leur garantie à FAC — leur prêt — de façon à pouvoir en fait prêter de l’argent. Elles travailleront également avec les coopératives de crédit et les grandes banques. Ces 58 institutions financières autochtones sont réparties d’un océan à l’autre.
Je vais en énumérer rapidement quelques-unes. En Colombie-Britannique, il y a TRICORP, à Prince Rupert. Il y a la Burns Lake Native Development Corporation, à Burns Lake. Ensuite, Haida Gwaii Community Futures est aussi une source. En Saskatchewan, il y a la Beaver River Community Futures Development Corporation à Meadow Lake, et à Saskatoon, il y a la Saskatchewan Indian Equity Foundation Inc.
Elles comprennent tous les obstacles que vous envisagez, mais elles peuvent aussi exercer un levier sur les autres institutions pour vous donner de l’argent. Voilà quelques sources rapides pour vous.
Le président : Nous avons le temps pour une autre question.
La sénatrice Duncan : Ce n’est pas une question rapide, monsieur le président. Désolée. Je peux lancer l’idée, et peut-être que les témoins...
Le président : Ils pourraient répondre par écrit.
La sénatrice Duncan : Oui. M. Beaton voudra peut-être répondre.
Le comité a étudié les problèmes des inondations en Colombie-Britannique, cette situation désastreuse liée aux changements climatiques. Je ne vous ai pas entendu aborder la question des changements climatiques dans vos remarques et en quoi cela touche votre entreprise. Veuillez nous faire parvenir vos observations par écrit.
Enfin, en ce qui concerne le financement, au cours des deux dernières années, le Prix Inspiration Arctique a accordé un financement important à la Première Nation Tr’ondek Hwech’in pour l’agriculture à Dawson City.
Le président : Merci, monsieur Bear et monsieur Beaton, de vos témoignages d’aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide et de celle des témoins précédents dans le cadre de notre étude. Au nom du groupe, je peux vous dire que nos cœurs chantent, comme on l’a dit plus tôt.
Je tiens également à remercier mes collègues sénateurs et sénatrices de leur participation active et de leurs questions réfléchies. J’aimerais prendre un moment pour remercier les gens qui nous appuient dans cette salle, soit les traducteurs, le personnel administratif, nos collègues de bureau qui travaillent avec nous, les interprètes, l’équipe des débats, les équipes de transcription — la liste est presque infinie.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu mardi soir prochain, le 14 février, à 18 h 30, et nous continuerons d’entendre des témoins dans le cadre de l’étude du comité sur la santé des sols. Je tiens également à vous rappeler que mercredi prochain, le 15 février, sera le Jour de l’agriculture canadienne. Il y a un certain nombre d’activités qui se déroulent à l’intérieur et autour de la Colline du Parlement et de la Cité parlementaire. Si vous en avez l’occasion, participez au Jour de l’agriculture canadienne.
(La séance est levée.)