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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 28 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport le problème grandissant des feux de forêt du Canada et des effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, dans l’ensemble du pays.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts est ouverte. Bonjour à tous. Je suis content de vous voir ici.

Avant de commencer, j’aimerais vous rappeler que les écouteurs et les microphones doivent être tenus à distance les uns des autres pour protéger les personnes qui travaillent pour nous et nous soutiennent en coulisses. Lorsque vous ne les utilisez pas, vous pouvez les déposer sur l’autocollant placé sur votre bureau. Merci de votre collaboration.

Je commencerais par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins en ligne et à ceux qui nous regardent sur le Web. Je m’appelle Robert Black, je suis un sénateur de l’Ontario et je préside le comité.

Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais demander aux sénatrices et aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

La sénatrice Burey : Sharon Burey, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 7.

La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 6, qui est aussi la terre ancestrale des Métis.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur le problème grandissant des feux de forêt au Canada et de leurs conséquences sur les secteurs forestier et agricole.

Nous avons deux groupes de témoins aujourd’hui. Dans le premier groupe, nous accueillons, à titre personnel, Mme Stephanie Montesanti, professeure et Chaire de recherche du Canada en intégration des systèmes de santé de l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, qui se joint à nous par vidéoconférence.

Nous accueillons également, par vidéoconférence, Mme Kara Westerlund, présidente des Municipalités rurales de l’Alberta.

Bienvenue et merci d’être parmi nous. Chacune d’entre vous disposera de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire.

La parole est à vous, madame Montesanti.

Stephanie Montesanti, professeure et Chaire de recherche du Canada en intégration des systèmes de santé, École de santé publique, Université de l’Alberta, à titre personnel : Bonjour, monsieur le sénateur, et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je m’appelle Stephanie Montesanti, et je vis et je travaille à Edmonton, le territoire visé par le Traité no 6, sur les terres ancestrales des Premières Nations et des Métis, y compris les Cris, les Pieds Noirs, les Nakota Sioux, les Iroquois, les Déné, les Ojibwé, les Saulteaux et les Anishinabe.

Dans ma déclaration préliminaire, je vais parler des répercussions des feux de forêt sur la santé des communautés rurales, éloignées et autochtones de l’Alberta.

Notre équipe de l’Université de l’Alberta a mené des recherches sur les répercussions des feux de forêt de 2016, à Fort McMurray, sur la santé physique et mentale des communautés autochtones ainsi que sur les préjudices sociaux subis. La recherche a été faite en partenariat avec la section locale de Fort McMurray de la nation métisse et le Centre d’amitié de l’Association Nistawoyou.

Le 1er mai 2016, un feu de forêt a dévasté la municipalité régionale de Wood Buffalo, dans le nord de l’Alberta, obligeant 88 000 résidents à évacuer les lieux et causant la perte de 2 400 logements et bâtiments commerciaux. Le feu de forêt, aussi connu sous le nom du feu de forêt de Horse River, a dévasté la communauté, causé des dommages, détruit des maisons, créé une insécurité d’emploi, entraîné des pertes financières, causé des blessures, nuit à la santé mentale et a obligé des gens à déménager et à s’éloigner de leurs proches.

Les catastrophes de cette nature sont stressantes et peuvent mettre à l’épreuve la capacité d’une personne et d’une communauté à faire face à un stress inattendu et soudain.

La région accueille cinq communautés des Premières Nations et cinq communautés métisses.

Nombre de communautés autochtones n’ont pas les ressources, les capacités et l’infrastructure nécessaires pour réagir adéquatement à une catastrophe, atténuer ses effets et se rétablir. Les inégalités sociales et économiques préexistantes ainsi que les traumatismes historiques ont également une incidence sur la façon dont les résidents autochtones vivent l’évacuation et le déplacement imposé pendant une catastrophe. Par exemple, les communautés autochtones ont moins facilement accès aux soins et ont des taux de maladie beaucoup plus élevés, ce qui aggrave d’autant leurs vulnérabilités et nuit à leur capacité d’adaptation pendant une catastrophe.

Les recherches menées par notre équipe ont montré non seulement le stress physique et émotionnel occasionné par le feu de forêt, mais aussi les difficultés qu’ont rencontrées les résidents autochtones en essayant d’accéder à des services et à du soutien essentiels pour la santé physique et mentale. Le soutien externe des organismes gouvernementaux locaux et provinciaux est considéré comme essentiel pour aider les communautés autochtones à s’adapter pendant et après un feu de forêt.

Dans les deux premiers mois après le feu de Fort McMurray, il y a eu une augmentation massive du nombre de personnes envoyées à des centres locaux de traitement de la toxicomanie et de santé mentale, c’est-à-dire 20 000 en 51 jours, alors qu’il y en a habituellement 1 200 par an.

Les recherches menées dans la région sur les répercussions des feux sur la santé ont mis en relief la prévalence et l’apparition tardive des problèmes de santé mentale. Puisque les personnes évacuées se préoccupent souvent de problèmes physiques et matériels immédiats, comme le logement ou la perte de biens, les problèmes émotionnels et de santé mentale sont généralement diagnostiqués des mois ou des années après le feu de forêt.

J’aimerais mettre en évidence quelques leçons importantes que nous avons tirées de nos travaux. D’abord, il faut prêter attention aux répercussions à long terme des feux de forêt sur la santé mentale. Les plans et les activités d’intervention d’urgence sont souvent conçus pour gérer et atténuer les répercussions immédiates sur la santé et la sécurité des communautés et des résidents touchés; toutefois, très peu anticipent pleinement les répercussions à long terme d’une catastrophe sur la santé mentale.

Par exemple, après le feu de forêt de 2016, à Fort McMurray, le gouvernement de l’Alberta a fourni du financement supplémentaire pour que des thérapeutes en santé mentale offrent leurs services dans la région, mais il s’agissait de contrats à court terme, et cela ne concorde pas avec les données probantes que j’ai mentionnées sur les répercussions à long terme sur la santé mentale.

Deuxièmement, les résidents autochtones doivent attendre avant de recevoir des services et du soutien en matière de santé mentale en raison des relations et de la coordination nécessaire entre les administrations. Par exemple, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ne s’entendent pas sur leur compétence respective en matière de financement de la santé, ce qui crée de la confusion, des contretemps et du ressentiment, et la santé physique et mentale des communautés autochtones est ignorée, non seulement pour ce qui est du financement des services de santé, mais aussi pour ce qui est des éléments qui ont une incidence sur les déterminants de la santé. Même si le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire envers la santé des Premières Nations et des Inuit du Canada, les résultats de notre recherche montrent que le leadership du gouvernement fédéral au chapitre de la gestion des catastrophes touchant les Premières Nations manque de clarté.

Il y a également un manque de reconnaissance des gouvernements et des droits des Métis, et, compte tenu de notre partenariat avec la section locale de Fort McMurray de la nation métisse, cela a également été remarqué pendant le feu de forêt. Lorsque le feu s’est déclaré, la section locale des Métis de la municipalité régionale de Wood Buffalo n’avait pas de plan d’intervention d’urgence, et la communauté n’a pas été intégrée ni prise en compte dans le plan d’intervention d’urgence de la région et n’était pas admissible au soutien de l’Agence de gestion des urgences de l’Alberta.

Les organismes autochtones et les centres de santé locaux n’avaient pas suffisamment de financement ni d’effectifs, et n’étaient donc pas prêts à faire face à des urgences sanitaires.

Voici nos recommandations : premièrement, nous devons inclure les communautés autochtones dans la planification des évacuations et des interventions d’urgence. Nous pouvons également améliorer la réactivité du système de santé, pendant un feu de forêt en encourageant la communauté à décider quels services seront offerts. Deuxièmement, en sensibilisant davantage les gens à la santé, à la société, aux inégalités et à la gestion des risques... Je crois que mon temps est écoulé.

Le président : Vous avez raison; je suis désolé. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, quelqu’un va vous poser une question sur vos recommandations et vous pourrez ainsi finir votre déclaration préliminaire.

Madame Westerlund, s’il vous plaît, allez-y.

Kara Westerlund, présidente, Municipalités rurales de l’Alberta : Merci. Je tiens à dire un bonjour tout spécial à la sénatrice Sorensen. Je vous parle ce matin de l’hôtel Buffalo Lodge, à Banff, donc je profite bien de votre communauté.

Merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Kara Westerlund, et je suis présidente des Municipalités rurales de l’Alberta, ou la RMA.

La RMA représente 69 districts municipaux, comtés et municipalités spécialisées ainsi que le Special areas board, en Alberta. Les membres de la RMA assurent la gouvernance municipale de 85 % du territoire total de l’Alberta, ce qui représente environ 15 % de la population. Vous pouvez imaginer les défis auxquels nous devons faire face.

Les membres de la RMA sont touchés chaque année par des feux de forêt. Je tiens à vous parler des répercussions de ces feux et à souligner le travail entrepris par la RMA pour trouver des solutions de gestion des feux de forêt. Je vais conclure ma déclaration préliminaire en parlant de mon expérience en tant que représentante élue du comté de Brazeau, qui a été directement touché par un immense feu de forêt en 2023.

Dans la foulée de la pire saison des feux de forêt de l’Alberta, en 2023, nous avons effectué un sondage auprès de nos membres pour mieux comprendre les difficultés qu’ils ont vécues en lien avec l’état de préparation et les interventions en cas de feu de forêt. Seulement 18 % des répondants ont dit ne pas avoir été touchés par les feux de forêt en 2023. La moitié des répondants ont dit qu’il y a eu un feu de forêt dans leur municipalité, 32 % ont accueilli des évacués, 29 % ont dû être évacués et 66 % ont fourni des ressources à d’autres municipalités. La saison des feux de forêt de 2023 a coûté aux municipalités rurales de l’Alberta plus de 78 millions de dollars. Ces chiffres montrent que les feux de forêt ont des répercussions étendues sur les communautés rurales, ce qui a d’importantes conséquences financières imprévisibles pour la région.

J’aimerais maintenant parler du rôle que jouent les municipalités de l’Alberta dans la lutte contre les feux de forêt. Je sais que la plupart des problèmes à cet égard relèvent de la compétence provinciale; toutefois, ils illustrent bien les répercussions des feux de forêt sur la capacité de planification et d’intervention à l’échelle locale. En Alberta, la responsabilité des interventions en cas de feu de forêt varie selon la région. Dans les zones de protection des forêts de l’Alberta, créées par des règlements provinciaux et qui recouvrent la majeure partie du Nord et des versants Est de l’Alberta, la province est responsable des interventions en cas de feu de forêt. À l’extérieur de la zone de protection des forêts, la responsabilité revient aux municipalités. Les grandes terres forestières et agricoles sont situées hors des zones de protection des forêts et les feux de forêt semblent, dans les dernières années, y augmenter en fréquence et en gravité, ce qui est un sujet d’intérêt pour le comité. Cela a mis à rude épreuve les capacités des municipalités rurales et a aggravé les problèmes d’accès à la formation et de financement des équipements de lutte contre les feux de forêt, exigé le recours massif aux pompiers volontaires, créé des problèmes de communication entre les municipalités et d’autres ordres de gouvernement pendant les feux de forêt, et bien d’autres choses encore.

Pour résoudre les problèmes de gestion des feux de forêt hors des zones de protection des forêts, la RMA a mis sur pied un groupe de travail multipartite. Le groupe s’est réuni pendant l’été 2024 et il finalise présentement son rapport; il présentera des recommandations en vue d’améliorer la planification, les interventions et le rétablissement pour les feux de forêt hors des zones de protection des feux de forêt. Même si les recommandations ne sont pas encore finalisées, bon nombre d’entre elles soulignent le besoin d’offrir du soutien supplémentaire aux services d’incendie municipaux pour qu’ils puissent réagir à des feux de forêt qui sont plus vastes, qui durent beaucoup plus longtemps et qui se produisent plus fréquemment que ce dont les communautés avaient l’habitude.

Un exemple précis de soutien qui aiderait les municipalités à gérer les feux de forêt est l’accès des données cartographiques sur la charge de carburants et d’autres facteurs de risque. Les municipalités ne sont pas capables de recueillir les données elles-mêmes et n’ont pas l’argent nécessaire pour payer pour ces données. On pourrait donc renforcer la collaboration entre le gouvernement fédéral et les municipalités, puisque nous savons que les autorités locales ne peuvent souvent pas accéder aux importantes quantités de données du gouvernement fédéral sur les risques liés aux feux de forêt. En plus de ce que coûte la lutte contre les feux de forêt, il est malheureusement de plus en plus fréquent que l’infrastructure des municipalités est endommagée ou détruite. Cela comprend les routes, les ponts, les installations de traitement des eaux usées, et même les installations de divertissement. Lorsque l’infrastructure critique des municipalités est détruite ou endommagée, cela a des répercussions financières importantes. L’augmentation du financement provenant d’autres ordres de gouvernement afin d’augmenter la résilience de l’infrastructure municipale rurale aux feux de forêt et aux autres catastrophes serait d’une grande aide pour réduire les répercussions des feux de forêt sur les communautés.

Je vais m’arrêter ici, monsieur le président, j’ai vu que vous avez la main levée. S’il y a d’autres questions, je n’ai pas eu la chance de parler de ma propre expérience dans ma communauté locale. C’est ce qu’il me restait à dire.

Le président : Merci beaucoup; nous allons passer aux questions. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous avez chacun cinq minutes pour poser vos questions et entendre les réponses. Je vais ouvrir le bal et demander à Mme Montesanti : quelles étaient vos recommandations?

Mme Montesanti : Merci, monsieur le président, j’avais deux recommandations. Premièrement, nous devons nous concentrer sur les investissements et les ressources pour traiter les effets à long terme des feux de forêt sur la santé mentale. J’ai dit que les plans et les activités d’intervention d’urgence sont souvent conçus de manière à régler et à atténuer les répercussions immédiates des catastrophes sur la santé et la sécurité. Toutefois, très peu de plans d’intervention d’urgence anticipent pleinement les répercussions à long terme d’une catastrophe sur la santé physique et mentale.

Deuxièmement, nous devons établir des relations entre les diverses compétences et améliorer la coordination de la gestion et de la planification des urgences. Nous devons également reconnaître les droits et les gouvernements des Autochtones, et les laisser cerner leurs propres besoins tout en leur fournissant du soutien pour qu’ils élaborent leurs propres plans d’intervention et de rétablissement. Parallèlement, et je crois que c’est possible, nous devons faire davantage reconnaître les inégalités sociales et sanitaires dans la gestion des risques. Il est important d’impliquer les communautés dans la planification de la réduction des risques afin d’encourager une gestion des catastrophes et des urgences par les communautés et adaptées à leur culture.

Le président : Madame Westerlund, quelles ont été, pour vous, les répercussions des feux?

Mme Westerlund : En mai 2023, comme beaucoup d’entre vous le savent probablement, ma communauté, dans la région de Drayton Valley et du comté de Brazeau, a dû être évacuée en raison d’un énorme feu de forêt. En effet, 10 000 habitants des deux communautés ont dû être évacués. Ils ont été envoyés à Edmonton, à environ une heure et demie de route vers le nord-est.

Le feu a touché les abords de la ville. Je crois que six maisons et une bonne partie des infrastructures pétrolières et gazières de la communauté ont été détruites. Évidemment, c’était ce qui permettait aux Albertains de chauffer leur maison. C’était donc difficile de chauffer nos maisons à ce moment-là; et le temps était encore frais.

Je l’ai vécu. J’ai dû évacuer ma propriété. J’ai de jeunes enfants. C’est difficile. Même un an et demi plus tard, j’ai toujours les larmes aux yeux lorsque j’en parle. Mme Montesanti a parlé des enjeux de santé mentale auxquels nous faisions face dans le Nord de l’Alberta, et c’est également ce qui s’est produit dans notre communauté. Lorsque des membres de la communauté entendent une sirène... J’ai vu des gens éclater en sanglots et revivre le moment. On nous a dit qu’on devait quitter notre maison pour deux semaines, on était hors de notre communauté et on ne savait pas ce qui avait été épargné par le feu et à quoi s’attendre à notre retour. C’était très difficile.

Je ne souhaite cela à personne, mais malheureusement, les feux de forêt sont de plus en plus fréquents, et ils ne sont pas à la veille de disparaître. Je crois que vous allez continuer d’entendre des histoires de ce genre, et que le travail que nous allons faire ensemble est extrêmement important et essentiel pour l’avenir.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Merci à nos deux témoins albertaines qui se sont levées très tôt ce matin pour assister à cette séance.

Madame Westerlund, je vais commencer par vous. Nous avons entendu, précédemment, des témoignages de personnes issues de communautés autochtones, qui nous ont raconté avec éloquence à quel point elles se sont senties impuissantes lorsqu’on leur a dit que leurs pompiers qualifiés ne pouvaient pas prêter main-forte. Elles avaient l’impression d’être coupées de leurs propres communautés.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la situation dans les municipalités rurales et sur la marge de manœuvre dont vous disposez pour intervenir, par rapport au personnel d’un centre de commandement provincial qui vous dit ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire.

Mme Westerlund : C’est difficile à dire. Nous avons vécu des histoires semblables dans ma communauté du comté de Brazeau. On a refusé que des travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière, hautement qualifiés en matière de feux de forêt et de protection contre les incendies, se joignent aux premières lignes. Je crois que les municipalités et la province ont eu beaucoup de discussions sur la façon de traiter ce genre de situations, quand des personnes qualifiées sont rejetées.

Ce sont des situations difficiles. Je n’essaie pas de justifier ce qui est arrivé, mais de vous donner un peu plus de contexte. En tant que représentante élue — j’étais d’ailleurs sous-préfète à ce moment-là. Notre préfet était à l’hôpital pour une opération au cœur, donc j’étais aux commandes. Le problème, c’est que nous n’avons pas le temps de vérifier les titres de compétences, et que, si nous autorisons une personne à travailler sans faire une vérification des références en bonne et due forme et que cette personne n’est pas qualifiée, si un incident se produit, nous aurons des problèmes avec l’assureur et ferons face à des poursuites judiciaires.

D’après ce que j’ai entendu dans les communautés et les municipalités rurales, on encourage les municipalités — y compris la mienne — à communiquer avec les employeurs et les personnes de la communauté pour savoir qui est réellement qualifié et à effectuer des vérifications des références pour s’assurer d’avoir sous la main les coordonnées et les titres de compétences les plus à jour. Lorsque cela va se reproduire — j’ose le dire et je vais le dire —, nous allons être beaucoup mieux préparés, et nous n’entendrons plus ce genre d’histoires, je l’espère, où des personnes qualifiées sont refusées.

La sénatrice Simons : Ce n’était pas vraiment ce que j’essayais de dire avec ma question sur les compétences. Je sais que la RMA était en désaccord avec certaines lois provinciales qui empiétaient sur ses compétences. Est-ce que vous pourriez nous en parler un peu?

Mme Westerlund : Oui, certaines des nouvelles dispositions législatives empiètent sur nos compétences. Elles donnent au gouvernement provincial des pouvoirs d’intervention considérables. Nous sommes également un peu confus quant aux dispositions législatives proposées, parce que ce pouvoir existait déjà et que le gouvernement pouvait le faire à ce moment-là, et qu’il l’a fait.

Nous espérions que la disposition législative...

La sénatrice Simons : Le pouvoir de faire quoi exactement?

Mme Westerlund : D’intervenir et de prendre le contrôle du centre de commandement de nos communautés. Par exemple, quand l’incendie s’est déclaré dans ma communauté, les pompiers du comté de Brazeau et de Drayton Valley avaient le contrôle. C’est nous qui étions à la tête du centre de contrôle, mais le feu est devenu trop gros pour la main-d’œuvre. J’ai dit qu’il y a beaucoup de pompiers volontaires dans les municipalités rurales.

La disposition législative nous a laissés perplexes, parce qu’il pouvait déjà intervenir et prendre le contrôle du centre de commandement en cas de feu. Nous nous préoccupions davantage du résultat final. Nous étions perplexes parce que nous savions qu’il avait déjà ce pouvoir. Que fera-t-il maintenant avec ce pouvoir considérable? La gestion des feux et des communautés doit nécessairement, nous insistons là-dessus, se faire en partenariat et en adoptant une approche collaborative. Nous disons souvent que la connaissance du terrain est essentielle, et lorsqu’une personne n’est pas issue de la communauté et ne comprend pas le système routier, cela peut représenter un défi.

La sénatrice Simons : J’aimerais beaucoup poser une question à Mme Montesanti pendant le deuxième tour, si possible.

La sénatrice Sorensen : Mme Westerlund, c’est un plaisir de vous voir. J’ai beaucoup de respect pour le travail de la RMA et, bien sûr, de nos conseils municipaux.

Nous savons qu’il ne sera pas facile ou rapide de dialoguer avec d’autres ordres de gouvernement pour obtenir du financement ou du soutien pour les communautés, c’est-à-dire d’aller comme des enfants de la province supplier à genoux en tendant la main, comme on le dit souvent dans le monde municipal. En tant que groupe de défense des intérêts et groupe de réseautage pour les municipalités rurales, je crois que vous avez évoqué certaines suggestions. J’allais vous poser une question sur la stratégie à long terme, mais j’aimerais plutôt que vous nous en disiez plus sur votre travail. Je ne suis pas sûre d’avoir compris si vous conseillez la province sur ce qui doit être fait en cas de feux de forêt ou s’il s’agit de quelque chose qui servira à outiller vos membres.

Mme Westerlund : C’est sans aucun doute une combinaison de toutes ces informations. Je suis d’accord avec vous, pour ce qui est de supplier à genoux la province et le gouvernement fédéral pour avoir du financement. Évidemment, pour nous, le plus important, c’est de protéger l’infrastructure de notre communauté. Pour ce qui est du financement, nous demandons, bien entendu, l’accès à du financement pour mieux protéger l’infrastructure de nos communautés.

L’autre chose que j’ai mentionnée est que nous devons avoir accès à des données existantes. Le gouvernement fédéral a accès à ces données. L’accès aux données nous permettrait de mieux planifier la manière dont nous allons régler certains de ces problèmes dans les communautés.

Par exemple, j’ai déjà siégé — je vais donner un exemple d’une entreprise privée — à Weyerhaeuser Canada. Je crois que certains d’entre vous qui venez de l’Alberta la connaissent bien. Il y a, je crois, 18 ans, j’ai siégé en tant qu’élue à un groupe consultatif de l’entreprise pour la gestion de la protection des forêts. On demandait qu’il y ait des activités de déboisement massif autour de ma communauté et, en toute honnêteté, le feu de forêt aurait probablement été moins grave.

Nous sommes à la recherche de cette information. Nous avons ratissé large, et nous allons partir de là. Je crois que le plus important, pour le gouvernement fédéral c’est, évidemment, de nous fournir du financement et de nous donner accès aux données nécessaires pour mieux planifier l’avenir de nos communautés.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. Par hasard, travaillez-vous avec Mme Beverly de l’Université de l’Alberta?

Mme Westerlund : Je ne crois pas.

La sénatrice Sorensen : Mon bureau va communiquer avec vous. Elle a comparu la semaine dernière, et après la séance, j’ai dîné avec elle et la mairesse de Banff. Depuis 25 ans, elle fait du travail très intéressant sur les données, la cartographie, etc. Je crois que ce serait peut-être intéressant que vous communiquiez avec elle.

Mme Westerlund : Excellent, c’est une bonne idée.

La sénatrice Sorensen : Nous allons communiquer avec vous, madame Westerlund.

Mme Westerlund : Merci.

La sénatrice McBean : Je crois que je vais faire comme la sénatrice Simons et poursuivre avec Mme Westerlund.

Nous avons entendu des témoins nous parler d’un besoin. Certains disent qu’il doit y avoir une équipe fédérale d’intervention pour les feux de forêt, capable de passer immédiatement à l’action et d’établir les priorités en fonction de la situation. D’autres ont dit qu’on devrait plutôt offrir davantage de formation et de soutien aux pompiers locaux et aux populations autochtones. C’était intéressant de vous entendre dire que l’un des obstacles qui les empêchait d’agir était les titres de compétences.

Comment devraient être distribuées les ressources? Selon vous, le gouvernement fédéral doit-il, pour soutenir de manière proactive les interventions en cas de feux de forêt, mettre sur pied une équipe flottante ou augmenter le soutien offert, y compris l’équipement, de manière plus locale, de manière à pouvoir réagir plus rapidement?

Mme Westerlund : Selon nous, il faut assurément plus de financement pour la formation, l’équipement et l’accès.

Puisque nous faisons partie de la RMA, nous avons notre propre compagnie d’assurance réciproque. C’est probablement une information que vous ignoriez. Nous assurons bon nombre de ces communautés grâce à une compagnie d’assurance privée.

Cela étant dit, dans les faits, nous avons accès à une équipe spécialisée en feux de forêt. Elle a été fortement sollicitée pendant le feu de Jasper et elle a réussi de manière incroyable à protéger l’infrastructure appartenant à la municipalité. C’est en soi un choix difficile, parce que seulement certains biens sont protégés dans la communauté par une équipe spécialisée. Vous pouvez comprendre les difficultés que cela suppose et l’impression que cela donne. Le public l’a critiqué.

En toute honnêteté, les municipalités rurales, nos membres, ont déjà accès à certaines de ces équipes spécialisées, surtout si elles sont assurées par notre programme. Honnêtement, pour aider les communautés, vous devriez plutôt dépenser votre argent pour améliorer la formation, les équipements et le soutien offerts aux pompiers locaux et aux entreprises locales qui existent déjà.

La sénatrice Muggli : Bonjour. J’ai une question pour Mme Montesanti. Que pensez-vous des interventions en santé mentale et croyez-vous que nous devons, en cas de catastrophe, mettre sur pied une structure de gestion des incidents en santé mentale pour répondre aux préoccupations immédiates, et ensuite élaborer un plan continu? Ayant moi-même vécu une situation traumatisante, je sais que la mise sur pied d’une structure de gestion des incidents en santé mentale a été très utile et nous a permis de nous assurer que personne n’était laissé de côté. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Montesanti : Je vous remercie de la question. Il est certain qu’il doit y avoir une approche ou une stratégie pour faire face aux répercussions immédiates. J’en ai discuté avec nos partenaires de la communauté autochtone et les conseils tribaux de Wood Buffalo.

En raison de l’urgence de la crise, on accorde plus de ressources et d’attention aux répercussions immédiates, comme les infrastructures endommagées, les maisons détruites et le plan d’évacuation, et on néglige, dès le départ, la santé mentale et les répercussions sur la santé physique et mentale.

Selon notre recherche, les répercussions sur la santé mentale se font sentir bien après le feu de forêt ou la catastrophe elle-même. Certaines des données que nous avons recueillies à Wood Buffalo montrent que les répercussions se faisaient encore sentir presque 10 ans après l’incendie. Si nous mettons sur pied un centre de gestion des incidents en santé mentale, l’intervention doit également aller au-delà de l’évaluation des répercussions immédiates; il faut fournir des ressources et du soutien supplémentaires dès le début et reconnaître que les répercussions sur la santé mentale se déclarent parfois de nombreuses années après l’événement. C’est un peu comme la réaction du combat ou de la fuite.

Les familles essaient de rester en sécurité, elles doivent communiquer avec les entreprises d’assurance pour la reconstruction de leur maison, et elles doivent ensuite y réaménager, après l’évacuation, et s’adapter à la nouvelle normalité.

C’est là que nous avons noté des lacunes dans la distribution des ressources, et pas seulement pour le feu de 2016; nous avons d’autres exemples.

La sénatrice Muggli : Le deuil, après avoir subi une perte, ce n’est pas toujours instantané. Vous avez raison. D’ailleurs, je suis certaine que de nombreuses communautés ont un taux de suicide plus élevé.

Pour ce qui est du processus de déplacement, je viens de la Saskatchewan, et Saskatoon reçoit souvent des évacués des feux et des inondations dans le Nord. Il y a toujours eu des problèmes importants de santé mentale et de dépendances, mais les personnes évacuées ont aussi des besoins urgents en matière de soins et de soins à domicile.

Que pensez-vous de collaborer avec les communautés ou de vous préparer à les recevoir? Peut-être que la structure de gestion des incidents en santé mentale doit être mise en place pour cela. J’aimerais connaître votre opinion. Nous pouvons commencer par Mme Westerlund.

Mme Westerlund : Merci de la question. C’est peut-être quelque chose de positif; une lueur d’espoir dans nos discussions d’aujourd’hui. La Ville d’Edmonton a accueilli de nombreux évacués de ma communauté. Je lui en suis extrêmement reconnaissante.

La ville était très bien préparée. Les gens avaient accès à des spécialistes en santé mentale.

Le problème est que, évidemment, les gens n’ont pas tous été envoyés à Edmonton. C’est difficile de trouver où sont les gens et de nous assurer qu’ils ont accès aux ressources.

Je suis d’accord. Nous devons travailler avec les communautés qui accueillent des évacués pour nous assurer que ces systèmes sont en place et que les gens sont envoyés au bon endroit. Il y a aussi des difficultés à ce chapitre. Comme je l’ai dit, lorsque vous devez gérer 10 000 personnes, c’est difficile de savoir exactement où elles sont et de déterminer la meilleure façon de les aider.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais moi aussi étudier la question des problèmes de santé mentale après un feu. Je vais poursuivre sur cette lancée.

Pour commencer, merci d’être parmi nous.

J’ai une question pour Mme Montesanti, et c’est une question précise. J’ai l’impression que les répercussions sur la santé mentale ou les traumatismes subséquents à un feu de forêt sont spécifiques. Je ne sais pas si vous pouvez répondre à ma question. Est-ce que les professionnels de la santé mentale doivent avoir une expertise ou des compétences précises pour traiter les problèmes de santé mentale après un feu? Le cas échéant, les aidons-nous à se préparer suffisamment pour aider les personnes souffrant de ce traumatisme?

Mme Montesanti : Merci de la question. Oui, je crois que les professionnels de la santé mentale sont bien outillés pour traiter les préoccupations en matière de santé mentale. Lorsqu’un feu de forêt se déclare, les résidants peuvent ne pas reconnaître ou ne pas ressentir le stress. Mais un professionnel de la santé mentale peut les soutenir, poser les bonnes questions et mieux comprendre comment ils peuvent les soutenir, dès le départ, et leur fournir des stratégies ou des mécanismes d’adaptation pour l’avenir.

Cela peut être du soutien axé sur le traumatisme, pour les aider à comprendre ce qu’ils ont vécu, surtout pour les résidants qui ont vu leur maison ou des entreprises de leur communauté être détruites par le feu. Le stress, en lui-même, aura des répercussions dans les semaines ou les mois à venir. Un professionnel de la santé mentale peut aider les résidants en proposant des stratégies ou des mécanismes d’adaptation qu’ils peuvent utiliser plus tard.

Vous avez raison, c’est compliqué. C’est difficile de savoir comment une personne vit un traumatisme, un deuil ou un stress. Cela diffère d’une personne à l’autre. Comme la plupart du soutien pour la santé mentale, ce soutien doit être personnalisé en fonction de la situation et de l’expérience de la personne.

La sénatrice Petitclerc : Merci. J’ai posé cette question parce que je sais que les experts en santé mentale peuvent se spécialiser pour certaines situations. C’est pourquoi j’ai demandé cela.

Dans le même ordre d’idées, croyez-vous que les personnes iront consulter des spécialistes en santé mentale? Quelle est notre capacité de planification? Ma question pour Mme Westerlund est la suivante : est-ce que votre capacité de planification permet aux experts en santé mentale d’aller dans la communauté? Est-ce qu’ils devraient aller dans les écoles? Dans les centres communautaires? Devrions-nous faire cela? Est-ce qu’il devrait plutôt y avoir une approche individuelle, c’est-à-dire que les personnes demandent elles-mêmes de l’aide?

Mme Montesanti : Après le feu de forêt de Fort McMurray, dans la municipalité de Wood Buffalo, Alberta Health Services a donné du financement pour que des professionnels de la santé mentale visitent les communautés. Ils étaient présents deux jours par semaine. Encore une fois, les services étaient ponctuels et irréguliers.

Les communautés nous ont fait part de leurs préoccupations à ce sujet, à savoir que les gens n’avaient pas assez de temps pour établir une relation de confiance avec les professionnels de la santé mentale. Des professionnels de la santé mentale visitaient aussi des écoles pour parler avec des jeunes ou des enfants. Pour répondre à votre question, oui.

Les soins primaires ont également une grande influence sur la répartition des ressources. Pendant le feu de forêt de Jasper, il y a eu une crise sanitaire à Hinton. La communauté de Hinton soutenait et accueillait des évacués, mais il y avait une pénurie de professionnels de la santé qualifiés, y compris des fournisseurs de soins primaires.

Je le souligne pour vous donner une idée de l’accès aux services de santé.

Mme Westerlund : Je vais me faire l’écho de Mme Montesanti. Nous entendons les mêmes histoires, les mêmes problèmes, des deux côtés. Des professionnels de la santé mentale doivent aller dans les communautés et les écoles et nous devons, parallèlement, être disponibles pour répondre aux appels téléphoniques des personnes touchées.

Cela sera essentiel pour l’avenir. Je suis d’accord avec Mme Montesanti. L’année dernière, en mai, nous avions encore le même problème, c’est-à-dire que nous n’arrivions pas à avoir suffisamment de professionnels de la santé mentale aux bons endroits. Comme je l’ai dit, les membres de la communauté sont également dispersés sur un grand territoire. C’est difficile et il faut y voir. Je ne crois pas que nous avons, ici, aujourd’hui, réponse à cela; nous allons simplement devoir continuer d’y travailler.

La sénatrice Burey : Bonjour tout le monde. Merci d’être ici et merci de nous faire profiter de votre expérience et de votre expertise.

Nous sommes tous à bord du train de la santé mentale. Je vais poursuivre sur cette lancée.

Nous savons qu’il y aura plus de catastrophes, que ce soit des feux de forêt, des agents pathogènes, des pandémies, tout ce que vous pouvez imaginer, et nous savons que, comme l’a dit Mme Montesanti, cela a des conséquences psychologiques à long terme. Elles peuvent se faire sentir très longtemps.

La semaine dernière, on a appris qu’elles étaient cumulatives, donc plus vous avez vécu de traumatismes, plus les répercussions sont importantes.

Nous devons déterminer la manière dont le gouvernement fédéral, à l’échelle du système, peut assurer un leadership — on parle de pratiques exemplaires, de normes, de données probantes, de professionnels de la santé — et nous avons aussi entendu parler de stratégies numériques par la messagerie texte et l’éducation.

Quel est le rôle du leadership fédéral pour la stratégie en matière de santé mentale? Quelle est votre opinion? Avez-vous des suggestions? Ma question s’adresse aux deux témoins.

Mme Montesanti : Je vous remercie de la question. Je tiens à reconnaître que vous avez dit ce que les résidants et les communautés nous disent souvent, à savoir que les traumatismes s’accumulent.

Nous devons reconnaître, surtout dans les communautés autochtones, qu’il y a déjà des traumatismes liés à la santé, aux inégalités sociales et à l’histoire, et que cela a une influence sur l’expérience des résidants autochtones lorsqu’ils sont évacués et déplacés pendant une catastrophe.

Nous pouvons, dès le début d’une catastrophe, comme un feu de forêt, investir pour offrir un meilleur accès à du soutien et des ressources de santé mentale, mais cela ne permet pas nécessairement de traiter les inégalités sanitaires et sociales préexistantes, c’est-à-dire ce que l’on appelle des déterminants sociaux de la santé.

Il est important de reconnaître que, même si nous pouvions fournir des ressources supplémentaires et un meilleur accès aux services de santé mentale jusqu’à trois à cinq ans après la catastrophe, nous devons garder en tête que lorsque les ressources ne sont plus offertes ou que les contrats arrivent à leur fin, les communautés souffrent encore de ces conditions préexistantes. Il est important de comprendre cela dans le contexte social et historique.

Pour ce qui est de ce que le gouvernement fédéral peut faire, j’ai souligné quelques complexités en matière de compétence sur la coordination et la distribution des ressources. C’est extrêmement important pour la relation entre le gouvernement fédéral et les autorités sanitaires provinciales et pour les ressources accessibles, compte tenu de la responsabilité du gouvernement fédéral envers la santé des Premières Nations, surtout dans le contexte de l’exemple que j’ai donné. Nous pouvons examiner la manière dont le gouvernement fédéral peut fournir ces ressources.

Plus important encore, les communautés en ont besoin. Nous devons reconnaître la souveraineté et les droits des communautés de choisir leurs propres programmes de santé et de bien-être communautaires après une catastrophe.

La sénatrice Burey : Madame Westerlund, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Westerlund : Pour faire suite à ce que Mme Montesanti a dit, que si nous choisissons de faire cela, si du financement ou des ressources sont fournis aux communautés, nous devons savoir que les municipalités veulent marcher main dans la main avec le soutien fédéral et provincial. Je crois que ce n’est pas productif de penser que nous avons besoin que quelqu’un vienne nous sauver. C’est nous qui connaissons le mieux nos communautés. Chaque communauté a des besoins différents, et chacun agira en fonction de cela à l’avenir.

Le sénateur McNair : Merci aux deux témoins d’être parmi nous aujourd’hui.

Madame Westerlund, vous avez parlé de l’accès à une équipe de pompiers forestiers spécialisés, en raison de votre assureur, ou du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre. Pourriez-vous nous en dire plus? Je m’interroge sur leur origine. Venaient-ils de la province, du secteur privé? Venaient-ils de l’extérieur de la province?

Vous avez également dit que le public a critiqué la décision d’affecter l’équipe à la protection de certains biens, de l’infrastructure, des choses de ce genre. Je crois que de dire qu’il y a eu un peu de résistance est un pâle reflet de la réalité.

Mme Westerlund : Notre équipe spécialisée de pompiers forestiers vient des États-Unis. Notre compagnie d’assurances mène ses activités à l’échelle mondiale tout en respectant une norme mondiale. L’équipe vient des États-Unis pour des raisons liées à notre conseil d’administration et à nos assurances. Présentement, nous travaillons pour créer une équipe spécialisée permanente en Alberta. Le gouvernement provincial s’y intéresse lui aussi. Il envisage, lui aussi, de mettre sur pied une équipe tout autant qualifiée.

Je n’essaie pas d’embellir la réalité, mais je vais le faire. Je vais utiliser l’exemple de Jasper pour illustrer le problème et la perception. L’équipe est intervenue. Nous avions essuyé des pertes de plus ou moins 115 millions de dollars pour l’infrastructure que notre compagnie d’assurances avait assurée. L’équipe est intervenue. J’ai reçu les chiffres hier. Nous avons subi des pertes de 11,5 millions de dollars seulement pour l’infrastructure. Pour vous donner un contexte, nous n’avons pas perdu cela à Jasper, nous avons perdu d’autres infrastructures; par exemple, installation de traitement de l’eau et installation de traitement des eaux usées.

Le public a eu l’impression qu’il y avait une équipe spécialisée qui recouvrait de mousse les biens de la municipalité, et il se demandait pourquoi ne pas le faire aussi pour les maisons.

Malheureusement, c’est la dure réalité d’un feu et d’une catastrophe de cette ampleur. Il y a une hiérarchie. La vie en premier, l’infrastructure en deuxième et les maisons ne sont pas en haut de la liste des priorités pour ce qui est d’éteindre les feux. Il y a des décisions à prendre, sauver l’hôtel de ville ou sauver un quartier.

La dure réalité est que nous allons protéger en premier l’installation de traitement de l’eau, l’installation de traitement des eaux usées et l’hôtel de ville parce que nous voulons que ces biens soient fonctionnels après la catastrophe, quand nous essayons de reconstruire; nous avons évidemment tiré des leçons de l’incendie à Fort McMurray.

Oui, nous devons prendre des décisions difficiles. C’est difficile de le communiquer clairement au public. C’est difficile de communiquer ce genre de problèmes et de défis pendant que ça brûle.

Cela nous ramène à la santé mentale. J’ai même de la difficulté à en parler, j’ai moi-même souffert. Un an s’est écoulé et j’ai toujours de la difficulté, c’est difficile de prendre des décisions, de choisir de protéger soit l’installation de traitement de l’eau soit votre maison et celles de vos amis et de votre famille; c’est difficile.

Le président : Nous passons au deuxième tour de questions, madame la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Je n’ai pas eu la chance de parler à Mme Montesanti pendant le premier tour.

J’ai assuré la couverture de l’évacuation de Fort McMurray en tant que journaliste. Je me suis rendue à la mosquée Al Rashid, qui servait de refuge. Il y avait des familles de réfugiés de la Syrie et de l’Irak, qui arrivaient de Fort McMurray, et elles étaient doublement traumatisées parce que cela avait ravivé tous leurs traumatismes, les bombardements, le feu. Mais lorsqu’elles sont arrivées à la mosquée, elles ont rencontré des personnes qui parlaient l’arabe, qui leur offraient des aliments familiers et, même en tant que personne laïque, j’ai pu voir que c’était d’une grande aide pour leur santé mentale.

Lorsque je pense à certaines des communautés autochtones éloignées qui ont dû être évacuées — c’est quelque chose que le chef Conroy Sewepagaham de la nation crie de Little Red River m’a dit, en privé, c’est traumatisant pour les personnes autochtones issues d’un milieu protégé — « protégé » n’est pas le bon terme —, d’une communauté traditionnelle et rurale d’être soudainement évacuées dans une grande métropole où elles peuvent faire l’expérience d’obstacles linguistiques et culturels ou du racisme.

Pourriez-vous nous dire comment cela joue sur les répercussions à long terme sur la santé mentale des gens, pas seulement le choc d’être évacués pour fuir un feu, mais le choc culturel de se retrouver dans une communauté dans laquelle ils n’ont aucun repère?

Mme Montesanti : Merci, madame la sénatrice. Nous avons observé cela chez les communautés autochtones après l’incendie à Fort McMurray. Nous avons surtout vu cela chez les jeunes autochtones. Lorsque nous avons parlé avec des jeunes autochtones qui avaient été évacués à Edmonton, dans le cadre de notre recherche qualitative, ils nous ont dit qu’ils se sentaient complètement déconnectés de leur famille. Certaines familles avaient été séparées. Les membres n’étaient pas tous ensemble. Cela contribue à ce sentiment de déconnexion et d’isolement.

Ils n’étaient pas nécessairement confortables dans les centres d’évacuations. Nous leur avons posé beaucoup de questions sur l’évacuation, le lieu d’évacuation et leur sentiment de sécurité dans le lieu d’évacuation.

D’un autre côté, ils nous ont aussi dit que ces lieux peuvent être propices à la création d’un sentiment de communauté, à la création de liens avec d’autres personnes qui partagent leurs expériences et que cela permettait aux résidants évacués de tisser des liens et de ne pas se sentir seuls. C’est quelque chose qui est ressorti lorsque nous avons étudié la résilience et les facteurs favorisant la résilience, et les résidants nous ont dit directement ce qui leur avait permis de s’adapter et d’avoir une plus grande force et résilience pendant l’évacuation et le retour à la maison. L’esprit communautaire et l’échange avec la communauté étaient très importants.

Dans le cadre de notre travail avec les communautés autochtones, un an après le feu de forêt, nous avons invité les résidants autochtones au Centre d’amitié de Fort McMurray, un centre urbain, afin de casser la croûte, ensemble, discuter avec d’autres évacués et de raconter leur histoire. J’ai été extrêmement étonnée de savoir que, pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’on leur posait des questions sur leurs histoires et leurs expériences. C’était presque un an après le feu de forêt. Ils étaient très contents de pouvoir raconter leur histoire, même si c’était difficile et traumatisant. L’une des choses qui a été soulignée était l’esprit communautaire. Les gens nouaient des relations fondées sur l’expérience partagée qu’ils avaient.

La sénatrice McBean : Merci. Pour rester sur le sujet de la résilience, je vais encore revenir à Mme Westerlund. Vous avez dit que l’équipe d’intervention pour les feux de forêt doit faire un tri, établir les priorités et protéger certaines infrastructures. Pour ce qui est de la résilience de l’infrastructure, mais aussi de celle des maisons de particuliers, quelles mesures devraient être prises pour protéger l’infrastructure rurale critique, comme les lignes électriques, l’approvisionnement en eau et les refuges d’urgence? Pour ce qui est des logements privés, le Fonds pour accélérer la construction de logements a conclu des ententes avec le gouvernement fédéral et les municipalités. Il veut reconstruire et, je l’espère, reconstruire rapidement. Est-ce que les ententes du programme devraient inclure des priorités en matière de protection contre la fumée et le feu?

Mme Westerlund : Je vais répondre à vos questions dans l’ordre inverse que celui où vous les avez posées. Tout à fait. Nous en avons vraiment besoin. Ce serait de l’argent bien dépensé, dans nos communautés, si le financement est également ainsi alloué en fonction de ce besoin.

Pour revenir à la protection de l’infrastructure, des aqueducs et des lignes électriques, je vais commencer par parler des lignes électriques. C’est intéressant. Je ne sais pas si vous le saviez, mais le réseau d’électricité de l’Alberta est très différent des autres réseaux du Canada. Il est entièrement privatisé. Les municipalités et les provinces travaillent en collaboration avec les entreprises privées qui détiennent les lignes électriques, c’est-à-dire l’infrastructure critique. En toute franchise, des représentants de ces entreprises viennent nous voir dans la salle du conseil. Il y a un mois, ils sont venus me parler de la façon dont ils protègent leur actif. Lorsqu’il y a des obstacles à l’échelle municipale, comme le débroussaillage et le déblaiement, nous y travaillons et nous simplifions le processus d’autorisation pour que cela soit fait plus rapidement, pour leur permettre d’intervenir.

J’en ai parlé dans ma déclaration préliminaire, mais nous demandons du financement pour nous aider à protéger nos infrastructures avant, et non pendant un feu. Cela pourrait comprendre du financement pour rendre ignifuges les bâtiments et les installations et du financement pour nous aider à faire le débroussaillage et l’aménagement paysager nécessaires autour de certaines infrastructures critiques.

La sénatrice McBean : Vous avez dit que l’intervention du service des incendies devrait tenir compte du savoir local sur les autoroutes et sur ce qui est inaccessible. Vous aimeriez avoir accès à une mise en correspondance des données sur la charge de carburant et de combustible, mais serait-il utile de cartographier les données à l’échelle provinciale ou fédérale en mettant l’accent sur les routes, pour que les pompiers puissent établir les priorités en se fondant sur une carte commune?

Mme Westerlund : Nous serions très heureux de voir du financement et un système de mise en correspondance des données. Ma communauté, le comté de Brazeau, est unique puisque nous travaillons beaucoup dans l’industrie pétrolière et gazière. C’est une communauté éloignée. Il y a des communautés rurales et éloignées plus au nord également. Certains systèmes routiers sont la propriété privée d’industries, et nous devons superposer ces deux cartes et c’est très important pour la connaissance du terrain. Les résidants savent où sont les routes, où elles mènent, et, parfois, le public est au courant.

Le président : Merci.

La sénatrice Muggli : J’apprécie certainement ce qu’a dit Mme Westerlund sur la difficulté de parler de ces choses, parce que cela réveille des souvenirs et des émotions. Je ressens la même chose lorsque je pense à l’accident d’autobus des Broncos de Humboldt ou de la fusillade de l’école La Loche. Comme vous l’avez dit, non seulement l’expérience nous marque à jamais, mais elle reflète également le fonctionnement de la communauté, et c’est exactement ce qui s’est produit dans les tragédies dans lesquelles j’ai été impliquée.

Avant les événements, de nombreuses commissions scolaires et de nombreux professionnels de la santé mentale avaient suivi des formations sur les systèmes des événements traumatiques, et étaient capables d’intervenir auprès des personnes traumatisées tout en respectant leur culture. Présentement, le gouvernement municipal de Saskatoon suit des formations avec les leaders pour apprendre à réagir à ces événements traumatisants. Que pensez-vous de la formation offerte aux leaders pour mieux intervenir auprès des personnes traumatisées et orienter les communautés pendant et après un événement?

Mme Westerlund : Je suis très ouverte à l’idée. Je crois que vous abordez quelque chose d’essentiel. Étant moi-même une représentante élue, je n’ai ni la formation ni l’expérience pour gérer des problèmes de cette ampleur. Je crois que mon visage trahit souvent mes pensées. C’est difficile.

Ce genre de formation est une bonne idée. J’oublie parfois, ou j’ai vu le public, nos résidants et les gens oublier que nous sommes nous aussi des humains. Nous ressentons les répercussions, nous avons nous aussi quitté nos maisons et cela a également une incidence sur nos familles. Il pourrait être utile d’envisager ce genre de formation dans les communautés afin de bien nous outiller.

Je n’ai pas été formée, mais j’ai tenu la main de nombreuses personnes, j’ai serré des personnes en larmes dans mes bras, et je n’étais pas capable de demander... C’est très difficile en tant que représentante élue et en tant que leader. Vous voulez répondre aux questions sur-le-champ pour aider les gens, et puis vous vous retrouvez dans une situation où vous êtes complètement impuissante. Je deviens émotive, maintenant. J’ai grandi dans cette communauté et j’y élève ma famille. Lorsque les gens voient que nous sommes émotifs, cela les aide un peu, parce qu’ils constatent que cela a des répercussions sur tout le monde. Vous touchez un nerf sensible.

Une autre chose que nous ne devons pas oublier, c’est la santé physique et mentale des travailleurs de première ligne. Ce sont les pompiers, nos hommes sur le terrain. Il ne faut pas non plus oublier le personnel des municipalités qui est également concerné.

La sénatrice Muggli : Merci. Je comprends que vous soyez émotive. Merci.

Le sénateur McNair : Je suis d’accord avec la sénatrice Muggli, et je comprends moi aussi l’aspect affectif de cela. Madame Westerlund, quand vous dites que vous voyez les gens éclater en sanglots quand ils entendent une sirène, on prend la mesure de la situation. Évidemment, il faut du temps pour se remettre d’une telle situation. Avons-nous entendu des histoires positives au sujet d’une communauté qui fait bien les choses, ou est-ce trop tôt pour dire cela?

Mme Westerlund : Mme Montesanti pourrait aussi parler de cela, mais je pense qu’il est trop tôt pour le dire. Je pense que Mme Montesanti l’a bien expliqué; certaines personnes ne montrent pas leurs émotions tout de suite. Parfois, les émotions ressortent 5, 8 ou 10 ans plus tard. Ce qui est malheureux, surtout si l’on fait partie de collectivités rurales, c’est l’effet cumulatif de plusieurs catastrophes. Je m’en voudrais de ne pas en parler. En général, quand il y a un feu de forêt, peu de temps après, il y a une inondation. Ce sera cette accumulation de catastrophes, et nous voyons déjà des problèmes d’inondations dans certaines des collectivités qui ont récemment été victimes de feux.

Je ne crois pas que nous ayons encore trouvé la solution. Je ne sais pas si nous la trouverons un jour. Ce que nous devons faire, c’est faire de notre mieux et travailler pour trouver une solution. Ce sera difficile à régler. Nous devons continuer sur notre lancée, parce que, comme je l’ai dit, je ne pense pas que nous ayons encore ressenti tous les effets. Même 10 ans plus tard, après Fort McMurray, je ne sais pas si nous connaissons toutes les répercussions.

Le sénateur McNair : Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Montesanti et madame Westerlund. Merci de votre témoignage aujourd’hui.

Votre témoignage, vos commentaires et votre passion sont très appréciés. Nous vous en remercions et nous avons hâte de vous faire part de notre rapport, et nous nous assurerons que vous l’aurez lorsqu’il sera terminé.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons, tous par vidéoconférence : Mme Lori Daniels, titulaire de la chaire Koerner sur la coexistence des feux de forêt, de l’Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel; M. Doug Chiasson, directeur général, de l’Institut de fourrure du Canada; Mme Andrea Van Iterson, membre et propriétaire, Westworld View Farms; ainsi que Mme Stacey Meunier, membre et propriétaire, Meunier Livestock, toutes deux de l’Association nationale des engraisseurs de bovins.

Bienvenue, mesdames et monsieur, et merci d’être là. Vous avez cinq minutes pour présenter vos exposés. Je vais vous faire un signe quand votre temps sera écoulé. Lorsque vous verrez une main levée, cela voudra dire qu’il vous reste environ une minute. Quand vous verrez deux mains, ce sera le temps de terminer rapidement. Sur ce, madame Daniels, vous avez la parole.

Lori Daniels, titulaire de la chaire Koerner sur la coexistence des feux de forêt, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, merci à vous tous de m’avoir invitée à me joindre à vous.

Je m’appelle Lori Daniels. Je suis professeure d’écologie forestière et titulaire de la chaire Koerner sur la coexistence des feux de forêt à l’Université de la Colombie-Britannique. Je reconnais respectueusement que je travaille et que je me trouve actuellement sur les territoires ancestraux non cédés de la nation Musqueam.

Au cours des 25 dernières années, j’ai étudié les régimes de feu passés, les changements constatés dans les forêts après un feu de forêt et la gestion proactive des forêts et des feux, et ce, dans diverses forêts de l’Ouest du Canada. Merci de me donner l’occasion de vous faire part de mes réflexions sur les causes et les conséquences des feux de forêt contemporains et sur le besoin urgent d’élaborer des stratégies qui permettront aux écosystèmes et aux collectivités d’être plus résilients.

Nous vivons à une époque de mégafeux. En 2023, les feux ont ravagé plus de 15 millions d’hectares de terres partout au Canada, fracassant les records passés à l’échelle nationale et régionale. Les feux de forêt ont forcé un quart de millions de personnes à évacuer leur domicile et cela a touché bien davantage les Autochtones et leurs communautés. Nous avons envoyé plus 410 mégatonnes de fumée et de monoxyde de carbone dans l’atmosphère, soit trois fois plus que les records précédents.

Chez moi, en Colombie-Britannique, le nombre grandissant des feux de forêt au cours des 10 dernières années a causé des torts immenses sur les plans social et écologique. Plus de sept millions d’hectares de terres ont brûlé, soit plus de deux fois la superficie de l’île de Vancouver; cela a perturbé les secteurs de l’agriculture et de la foresterie et provoqué une cascade de problèmes, comme les glissements de terrain et les inondations, entraînant des coûts socioéconomiques de dizaines de milliards de dollars. Ces feux de forêt extrêmes sont dus aux effets combinés du réchauffement climatique, d’une centaine d’années de gestion des terres et de changements dans l’occupation des terres ainsi que de l’exploitation naïve de ces environnements très propices aux feux.

Nous avons appelé cela « le triple paradoxe du feu » qui explique tant la cause que les conséquences. Les feux de forêt, c’est un agent de catastrophe particulier. Même si les feux de forêt menacent les domiciles, les vies et les valeurs et qu’ils doivent être arrêtés, à certains endroits, le feu est aussi une composante essentielle des écosystèmes; il fait partie de la solution aux feux de forêt catastrophiques et, en ce qui nous concerne, en tant que société, nous aide à nous adapter aux changements climatiques. Ce principe sous-tend le triple paradoxe du feu.

Premièrement, en tentant pendant plusieurs dizaines d’années de protéger nos écosystèmes adaptés aux feux en contrôlant et en arrêtant ceux-ci, nous avons en fait augmenté le volume de combustible qui contribue aux répercussions des feux de forêt contemporains.

Deuxièmement, la réintroduction de divers feux dans nos écosystèmes fait partie de la solution.

Troisièmement, le respect des connaissances autochtones et le retour de l’intendance autochtone du feu sont aussi des éléments clés.

Nous avons urgemment besoin de changements transformateurs. Nous devons diversifier nos approches, accélérer le rythme des mesures de gestion, et reconnaître que les stratégies précises sont complexes, aussi complexes que les écosystèmes de notre nation. Les actions proactives doivent être soutenues par tous les ordres du gouvernement, y compris le gouvernement fédéral.

Je voulais vous présenter quelques stratégies que nous pourrions envisager.

La première consisterait à investir tant dans la gestion proactive, pour atténuer les répercussions des feux de forêt dans l’avenir, que dans les interventions d’urgence. Actuellement, nous dépensons beaucoup plus pour les interventions d’urgence, et nous n’investissons pas suffisamment dans les mesures d’atténuation proactives; nous ne réalisons pas de bénéfices pour les Canadiens.

Nous devons investir dans des programmes Intelli-feu chez nous et à l’échelon des collectivités pour étendre l’éducation et multiplier les actions pour devenir plus résilients face aux feux de forêt.

Nous devons soutenir les initiatives autochtones qui ciblent les conséquences disproportionnées des feux de forêt et des évacuations sur les Autochtones, leurs communautés et leurs territoires.

Nous devons modifier la gestion des incendies de paysage pour atténuer les conséquences défavorables des feux de forêt catastrophiques et renforcer la résilience des écosystèmes. Pour ce faire, il faut changer fondamentalement la façon dont nous percevons la gestion des forêts afin de soutenir le secteur forestier.

Nous devons soutenir les secteurs de la bioéconomie novatrice et de la bioénergie pour surmonter les obstacles économiques qui ralentissent actuellement les mesures d’atténuation proactive qui pourraient être mises en œuvre et les traitements dont ont tant besoin les communautés.

Il est essentiel de fournir un financement durable à long terme tant pour les expériences que pour les essais scientifiques ciblant la gestion d’écosystèmes spécifiques pour atténuer nos risques de feux de forêt catastrophiques. Nous avons reçu récemment un financement de Ressources naturelles Canada qui nous a été très utile.

Ces actions transformatrices sont nécessaires pour atténuer les changements climatiques, adapter notre gestion des forêts et nous préparer activement à lutter contre les répercussions des feux de forêt sur les collectivités et les écosystèmes canadiens.

Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Chiasson, vous avez la parole.

Doug Chiasson, directeur général, Institut de fourrure du Canada : Bonjour, chers sénateurs. Je m’appelle Doug Chiasson et je suis directeur de l’IFC, l’Institut de la fourrure du Canada. L’IFC est l’expert en titre du pays dans la recherche sur les pièges sans cruauté et la conservation des animaux à fourrure. Il est aussi l’organisme officiel du gouvernement du Canada et des gouvernements provinciaux et territoriaux pour la mise à l’essai de ces pièges. Nous gérons aussi les obligations prises par le Canada en vertu de l’Accord sur les normes internationales de piégeage sans cruauté conclu avec l’Union européenne et la fédération russe. Nous sommes chargés de fournir de l’information exacte et crédible sur les enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux de l’exploitation de la fourrure au Canada, et nous sommes la voix nationale du secteur de la fourrure au Canada.

Le Canada compte des dizaines de milliers de trappeurs, d’un océan à l’autre. Ces trappeurs ciblent une incroyable diversité d’animaux à fourrure, des animaux des milieux humides semi-aquatiques, comme les castors et les loutres, aux animaux des forêts comme les pékans et les martes, en passant par les canidés, comme le loup, le lynx, et tous les autres.

Le trappage est l’une des rares industries à respecter le rythme naturel de la forêt. Le feu est une partie essentielle du cycle de vie d’une forêt en santé. Les forêts en santé sont essentielles pour produire des populations saines d’animaux à fourrure, qui en retour soutiennent les trappeurs et le marché international de la fourrure, lequel tient la fourrure canadienne en très haute estime.

Les feux de forêt peuvent avoir de vraies répercussions sur les trappeurs, surtout quand on voit l’évolution des tendances des feux de forêt et la croissance et l’augmentation de la fréquence des feux intenses résultant des changements climatiques et du changement du mode de gestion des forêts.

Les feux peuvent détruire d’importantes structures de trappage, y compris les routes forestières et les cabanes des trappeurs. Cela peut empêcher les trappeurs de se rendre à leurs lignes de piégeage, à moyen ou à long terme, et entraîner des coûts puisqu’il faudra reconstruire les cabanes, sans compter les coûts intangibles des objets perdus ayant une valeur sentimentale ou culturelle le long des lignes de piégeage.

Certaines organisations, comme l’Association des trappeurs cris, dans le Nord du Québec, ont établi leurs propres programmes d’assurance pour réduire les coûts des feux de forêt pour leurs membres, mais ces programmes s’appuient encore grandement sur les grandes compagnies d’assurance du sud, qui pourraient décider que c’est trop risqué d’assurer des cabanes de piégeage.

Dans un rapport de 2020 sur les répercussions des changements climatiques sur les trappeurs du Yukon, plus de 50 % de ces trappeurs ont dit que les feux de forêt avaient perturbé leurs lignes de piégeage dans les 10 années précédentes; 20 % ont dit que leur capacité de trappage avait été affectée dans les saisons qui ont suivi; et 23 % avaient perdu leur propriété en raison des feux.

Pour les familles des communautés éloignées, rurales et autochtones, cela peut avoir une incidence importante sur leurs revenus, et ce, possiblement, sur plusieurs années.

Quand j’ai dit à mon conseil d’administration que j’allais comparaître devant votre comité, un de mes directeurs m’a dit que, l’été dernier, il avait perdu six des sept lignes de piégeage qu’il avait depuis qu’il était enfant.

Outre les répercussions sur les trappeurs, il y a aussi des répercussions sur les forêts et sur les animaux à fourrure eux-mêmes. Certaines espèces d’animaux à fourrure, comme les coyotes, s’adaptent très facilement, mais d’autres ont des préférences précises. On trouve rarement des lynx dans des peuplements forestiers de moins de 20 ans, et rarement dans des forêts tout à fait matures. Les martes peuvent être particulièrement affectées par les feux puisqu’elles préfèrent les forêts de plus de 100 ans. D’autres animaux, comme les pékans, fréquentent différents types de forêts à différents moments, comme pour la mise bas, et des forêts matures, mais préfèrent une forêt au stade pionnier pour y chercher de la nourriture.

Dans le même rapport de 2020, il est indiqué que 50 % des trappeurs du Yukon ont noté que cela prendrait 5 à 10 ans de plus avant que les espèces qu’ils piègent se rétablissent après un feu.

La gestion du trappage et des animaux à fourrure relève essentiellement de la province. Cela dit, le gouvernement fédéral pourrait en faire beaucoup plus pour soutenir le secteur puisqu’il constitue une bonne partie de l’économie forestière.

Le Service canadien des forêts, même s’il est la voix nationale et internationale du secteur forestier canadien, se fait la voix du secteur des arbres des forêts du Canada. Les produits forestiers autres que le bois, comme la fourrure, font de plus en plus partie des conversations mondiales sur la conservation de la biodiversité et les moyens de subsistance. Le Service canadien des forêts pourrait, grâce à l’Institut de fourrure Canada et à des partenaires universitaires, mieux financer la science pour étayer la prise de décisions fondées sur des données probantes en ce qui concerne la gestion des feux et de leurs répercussions sur les animaux à fourrure et les retombées économiques du trappage. Il pourrait s’inspirer du modèle d’appui dont se sert son homologue, le Service canadien de la faune, pour financer l’IFC et soutenir ainsi les obligations du Canada au titre de l’Accord sur les normes internationales de piégeage sans cruauté. Soutenir les efforts visant à promouvoir l’utilisation et le port de la fourrure au Canada aiderait aussi les trappeurs à obtenir de meilleurs prix, ce qui leur permettrait de mieux résister aux répercussions économiques des feux de forêt.

Les programmes actuels sont vraiment axés sur les marchés d’exportation, et il n’y a pour ainsi dire aucun financement pour promouvoir les produits canadiens ici, au Canada.

Merci de m’avoir accordé de votre temps. Il me fera plaisir de répondre aux questions.

Le président : Merci beaucoup. C’est maintenant au tour de Mme Van Iterson et de Mme Meunier; vous avez cinq minutes, ensemble.

Stacey Meunier, membre et propriétaire, Meunier Livestock, Association nationale des engraisseurs de bovins : Merci. L’Association nationale des engraisseurs de bovins vous remercie de lui avoir donné l’occasion de discuter de son expérience des feux de forêt récents survenus en Colombie-Britannique et en Alberta. L’Association nationale des engraisseurs de bovins représente des engraisseurs de bovins situés partout au Canada, mais la taille des parcs d’engraissement varie de 1 000 à plus de 30 000 animaux.

Voici ce que j’ai vécu en Alberta. Je suis propriétaire et gérante de Meunier Livestock à Barrhead, en Alberta. En mai 2023, notre ferme a subi les conséquences dévastatrices des feux de forêt incontrôlés.

Durant les feux de forêt, nous avons déplacé nos bêtes plusieurs fois pour garantir leur sécurité. Les 2 300 bêtes de notre élevage, qui se trouvait à proximité du feu, ont survécu, mais, si le vent avait changé de direction, cela aurait été différent.

De petites fermes de notre région ont pu transporter leurs bêtes à l’extérieur de la zone d’évacuation, mais ce n’était physiquement pas possible pour nous d’éloigner tant de bêtes du feu.

De plus, à ce moment-là, on avait beaucoup de vaches qui vêlaient, donc nous ne pouvions pas les déplacer.

Afin de protéger nos pâturages et notre élevage, nous avons combattu le feu sur notre propriété de nos propres mains, en nous servant d’outils, de camions-citernes et de tracteurs, et nous avons même embauché des entrepreneurs pour nous aider.

Le service d’incendie local luttait aussi contre le feu, et sans ses efforts, cela aurait pu être bien pire. Toutefois, le service d’incendie ne comprenait pas la topographie de notre ferme, et il a envoyé l’équipement sur nos terres et créé des zones de protection au hasard sur notre propriété.

Le nettoyage et les réparations, après la création de ces zones de protection, ont été exigeants. Puisque la terre est si fragile, cela prendra de nombreuses années avant qu’elle ne se rétablisse. Certaines parties du terrain ne seront plus jamais les mêmes.

Le financement de soutien après le feu était très limité, et n’est pas arrivé à temps.

En juin 2023, notre parc d’engraissement à proximité de Niton Junction, en Alberta, s’est retrouvé dans une zone d’évacuation en raison du feu d’Edson. Les chefs des services d’incendie ne nous ont pas permis d’accéder au parc d’engraissement, donc nous avons dû trouver d’autres routes pour y aller et prendre soin des 12 000 animaux qui s’y trouvaient. Le parc d’engraissement n’a pas été touché directement par le feu, mais nous avons vécu un grand stress, durant cette période, car nous devions permettre à notre personnel de se rendre au parc d’engraissement pour prendre soin des animaux.

Compte tenu de ce que j’ai vécu, je recommanderais que les services d’incendie locaux reçoivent une formation en gestion de feux de forêt, ce qui est bien différent de la formation structurée que bon nombre d’entre eux ont suivie.

Les autorités locales doivent tirer profit des connaissances que nous avons en tant qu’éleveurs sur la topographie et des connaissances que nous avons pour décider comment approcher un feu de façon efficace.

Il faut prendre soin des bêtes durant une urgence, ou elles mourront. Laisser une ferme ou un ranch sans surveillance pendant plus de 12 heures n’est tout simplement pas une option.

Selon cette approche, les zones d’évacuation devraient tenir compte des personnes qui sont entrées dans la zone pour prendre soin des animaux, à défaut de quoi on les oblige à contourner les barrages routiers et à enfreindre la loi pour prendre soin de leur bétail.

Andrea Van Iterson, membre et propriétaire, Westworld View Farms, Association nationale des engraisseurs de bovins :

Bonjour, et merci de nous permettre de vous raconter nos histoires aujourd’hui. J’habite dans une petite collectivité dans la région du Nord de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, qui a vivement ressenti les répercussions importantes des feux de forêt et de ce qui s’en est ensuivi.

En 2021, notre ferme a été touchée par le feu de forêt de White Rock Lake, qui a détruit environ 83 000 hectares de terre. Même si ma famille n’a pratiquement pas été touchée, de nombreuses personnes dans notre collectivité ont perdu leur maison, leur élevage, leur peuplement forestier et leurs pâturages.

Pendant que nous faisions face aux ramifications d’un feu qui brûlait à proximité de notre collectivité, un autre feu à Osoyoos nous a forcés à évacuer les bovins élevés dans cette région. Le processus d’évacuation a été difficile, non seulement sur le plan opérationnel et stratégique, mais aussi sur le plan mental et affectif, et cela nous a épuisés.

Nous avons eu la chance de pouvoir envoyer ces bovins dans notre parc d’engraissement qui, à ce moment-là, était très loin du feu. Malheureusement, après avoir déplacé les bovins dans notre parc d’engraissement, un feu local est devenu un risque direct pour notre ferme. Nous avons pris la décision de nous réfugier sur place, avec environ 1 100 bêtes, dont il fallait prendre soin. Pour vous donner une idée, on aurait eu besoin de plus de 20 remorques bétaillères pour évacuer ces animaux, et cela n’aurait tout simplement pas été possible pour de nombreuses raisons, principalement parce que nous n’avions aucun autre endroit pour loger ces animaux et qu’il était impossible de trouver des camions.

En 2023, nous avons encore une fois été touchés par le feu de Rossmoore Lake, et nous avons dû évacuer plus de 500 bovins. Nous avons dû demander l’aide de voisins et de membres de la communauté pour rassembler les bêtes et les mettre en sécurité; nous en avons perdu sept. Durant les deux feux, nos familles ont subi non seulement les répercussions du feu, mais aussi les contraintes de la réglementation et la mauvaise communication avec les différents ordres de gouvernement, et elles ont dû se remettre seules de ces catastrophes.

Voici les recommandations que ma communauté et moi proposons : améliorer la cohésion de la réglementation et de la communication entre les ordres de gouvernement en tenant compte des commentaires et des actions de gens qui ont été directement touchés par les feux de forêt; concevoir un processus qui reconnaît que certains éleveurs de bétail doivent se réfugier sur place et aider ces éleveurs à se protéger; réévaluer la trousse d’aide accessible aux éleveurs qui éprouvent des difficultés financières en raison d’un feu; et élaborer des stratégies fondées sur les connaissances locales quand un feu est découvert et tout au long du combat contre ce feu.

Encore une fois, merci de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de nos expériences. Nous avons hâte de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le président : Un grand merci aux témoins. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Encore une fois, chers sénateurs, vous avez cinq minutes pour poser vos questions et écouter les réponses. Je vais maintenant donner la parole à la vice-présidente.

La sénatrice Simons : J’ai beaucoup de questions à poser à vous tous, mais je vais commencer par nos deux exploitantes de parcs d’engraissement.

Existe-t-il des programmes d’assurance qui offrent une forme de filet de sécurité? J’essaie d’imaginer comment vous pourriez évacuer 10 000 ou 20 000 bêtes en raison d’une urgence, c’est presque impossible. Avez-vous accès à un quelconque programme d’assurance ou de dédommagement?

Mme Van Iterson : Je suis heureuse que vous ayez posé la question. Il existe des programmes. De nombreux niveaux de gestion de risque sont offerts. La plupart doivent être mis en œuvre avant que de tels événements ne surviennent. Donc, même si nous pouvons acheter un programme d’assurance des prix, il ne serait pas utile durant ce genre d’événement parce que c’est un programme fondé sur le marché. Si nous perdons nos animaux, nous ne tirerons rien de ce programme.

Nous pouvons, évidemment, souscrire une assurance agricole afin d’assurer nos structures et ce genre de choses, mais en ce qui concerne le bétail lui-même, non, à ma connaissance, il n’y en a pas en Colombie-Britannique. Nous pouvons aussi déposer une demande au programme Agri-stabilité, qui est comme une assurance pour toute la ferme. Ce qui est malheureux avec Agri-stabilité, c’est que vous devez physiquement perdre des animaux, ce que nous ne voulons pas, et ce, en aucun cas. Nous devrions physiquement perdre des aliments pour animaux, et le programme n’est pas assez rapide pour nous aider en temps opportun. Donc, à l’heure actuelle, mon dossier chez Agri-stabilité existe depuis 2022. Si c’était une année où nous avions perdu suffisamment d’animaux ou d’aliments pour animaux dans un feu, je ne serais pas toujours dédommagée pour cela. Donc, nous n’avons aucun programme pour nous aider rapidement.

La sénatrice Simons : Madame Meunier, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose. Sinon, j’ai une deuxième question : dans les parcs d’engraissement ordinaires, les animaux ne sont pas en liberté, mais pourtant il semble que ce soit le cas pour vous deux. Pouvez-vous nous expliquer un peu plus à quel point il est difficile d’évacuer les bovins qui sont dans de grands pâturages libres plutôt que confinés dans un parc d’engraissement?

Mme Meunier : Dans les deux cas, c’est assez difficile. Bien entendu, dans les grands pâturages libres, nous devrons aller les rassembler et, selon l’endroit où se trouve le feu et la façon dont il progresse, c’est parfois impossible.

Nous ne pouvons pas mettre la vie des gens en danger en leur demandant de rassembler le bétail, donc c’est très difficile. Mais nous devons aussi penser à tout ce que cela exige. Donc, même quand il est question d’évacuer un parc d’engraissement, on a besoin de beaucoup de camions. Dans la plupart des cas, il est pratiquement impossible d’obtenir ces camions rapidement puis de trouver un autre endroit pour loger tant de têtes.

Selon notre expérience, ce sont les petites fermes de 50 têtes, qui ont pu déplacer leur élevage. C’est tout de même une expérience très stressante pour les éleveurs et pour les animaux aussi.

La sénatrice Simons : Y a-t-il eu un incident au Canada — je ne me rappelle pas avoir lu quelque chose à ce sujet — où un éleveur de bovins a perdu non pas 17 vaches, mais plutôt 1 000 ou 10 000? Avons-nous été tout simplement chanceux que cela ne soit pas encore arrivé?

Mme Meunier : À ma connaissance, nous sommes simplement chanceux que cela ne soit pas encore arrivé. Jusqu’à présent, nous avons réussi à protéger nos parcs d’engraissement, gérer les risques connexes, créer des zones de protection et ce genre de choses, donc nous n’avons pas encore vécu cela, à ma connaissance.

La sénatrice Sorensen : Merci à vous tous d’être ici. La sénatrice Simons a vraiment touché à un point que je voulais aborder avec les témoins qui travaillent dans le secteur bovin. Je n’avais tout simplement jamais pensé à cela, et c’est pour cette raison que nous sommes ici et que nous effectuons cette étude. Vos recommandations sont pleines de bon sens, mais je n’avais jamais pensé qu’il fallait déplacer un élevage dans ces situations.

Je suis un peu dépassée, et c’était seulement quelque chose que nous avons entendu au passage, qui ne concerne pas le fait d’être touché directement par le feu. L’Association canadienne des éleveurs de bovins a parlé de l’idée de pâturages ciblés pour diminuer la charge de carburant à proximité des collectivités. Êtes-vous au courant? Est-ce une bonne idée? Cela est-il logique?

Mme Van Iterson : Je peux en parler. Nous avons mis en œuvre plusieurs projets très réussis de pâturage ciblés en Colombie-Britannique. Nous éliminons ainsi le combustible qui propage le feu rapidement sous les peuplements forestiers et cela ralentit l’avancée du feu. Évidemment, cela ne l’arrête pas parce qu’il y a encore du bois, là, dans une région comme la Colombie-Britannique, mais nous éliminons l’herbe morte et sèche qui prend en feu beaucoup plus rapidement. C’est tout simplement un autre aspect de la gestion forestière où l’on pourrait être plus efficace.

La sénatrice Sorensen : Merci de la réponse. Encore une fois, félicitations pour votre témoignage, il est intéressant et un peu surprenant.

J’ai une question pour Mme Daniels. Je ne vous ai probablement pas donné beaucoup de temps pour répondre, mais vous pouvez peut-être le faire maintenant, ou si quelqu’un d’autre pose une question, vous le ferez à ce moment-là. Pouvez-vous en dire un peu plus sur le triple paradoxe du feu? J’ai trouvé cela très intéressant, dans votre rapport.

Mme Daniels : Merci de la question. La suppression des incendies a contribué en partie à l’intensité, à la taille et au caractère incontournable des incendies que nous connaissons actuellement. Parce que nous avons été très efficaces dans l’extinction des incendies, nous avons éliminé du paysage une grande partie des incendies. Au cours de ma vie en Colombie-Britannique, 92 % des incendies ont été éteints, ce qui veut dire que je n’ai connu et vu que 8 % des incendies les plus importants, qui ont dépassé la capacité d’extinction dans des conditions chaudes, sèches et venteuses.

Les incendies que nous éteignons sont souvent des incendies de temps plus frais, des incendies de faible intensité, qui auraient permis de réduire les combustibles et de créer une hétérogénéité dans le paysage ainsi que des paysages où les parcelles individuelles de forêt sont plus diversifiées et résistantes aux incendies.

La suppression des incendies a eu pour conséquence involontaire la modification des combustibles et la création de paysages plus vulnérables. C’est là un facteur important. Réintroduire les feux ou les substituts de feu, effectuer des traitements d’atténuation des combustibles, particulièrement autour des communautés, et recourir aux brûlages dirigés ou culturels, au pâturage ou à d’autres techniques novatrices pour continuer à maintenir de faibles charges de combustible, voilà des éléments essentiels de nos mesures d’atténuation proactive.

La sénatrice Sorensen : Merci.

La sénatrice McBean : Madame Daniels, pourriez-vous nous parler de votre expérience au sujet des avancées les plus prometteuses en matière de prédiction et de surveillance des feux de forêt et de la façon dont elles peuvent être mises en œuvre efficacement dans les diverses régions éloignées du Canada?

Mme Daniels : Merci. Notre capacité à détecter les feux à l’aide de techniques de télédétection comme les satellites, par exemple, représente un progrès incroyable qui augmente notre capacité à détecter un incendie et à prendre des décisions en matière d’intervention. Encore une fois, la lutte contre les incendies à proximité des communautés et des infrastructures précieuses et essentielles, qu’il s’agisse de réseaux de communication ou de transport, a été et reste très importante.

Il est essentiel de pouvoir détecter les incendies, mais aussi d’avoir trié le paysage à l’avance, de réfléchir aux endroits où le feu pourrait être réintroduit dans les écosystèmes et où le feu peut contribuer au bon fonctionnement de l’écosystème. Il nous faut cette diversité pour commencer à modifier et à restaurer la structure et la composition des combustibles qui rendent la biodiversité de nos écosystèmes et la suppression des incendies plus efficaces, quand nous devons supprimer des incendies.

Ces capacités de détection, qui permettent d’étudier et de prévoir les conditions dans lesquelles ces allumages se produisent et le type d’incendie qui pourrait en résulter, nous ramènent aux conditions météorologiques propices aux incendies et au comportement des incendies. Ces compétences en matière de détection et de prédiction sont essentielles.

L’un des aspects que nous devons encore améliorer au Canada concerne la cartographie de nos types de combustible et la compréhension de la quantité de combustible et de sa distribution. C’est un facteur du comportement des incendies que nous pouvons bien contrôler, mais sur lequel nous n’avons pas un ensemble de données solides qui nous permettraient de savoir exactement à quelles charges de combustible ou à quels types de forêts nous avons affaire. Cela nous empêche de prédire et de comprendre avec précision le comportement des incendies, la vitesse de propagation et les résultats potentiels.

La sénatrice McBean : Madame Meunier, j’ai trouvé intéressant votre témoignage sur la nécessité d’autoriser le personnel et les gens à entrer dans les zones d’évacuation des parcs d’engraissement. Si vous aviez les deux rôles, comment feriez-vous? Comment décideriez-vous de permettre à certaines personnes d’entrer dans une zone jugée dangereuse, mais où il est nécessaire de garder le bétail? Comment décideriez-vous de permettre à certaines personnes d’y entrer alors que vous dites à d’autres personnes de ne pas entrer dans une zone d’évacuation?

Mme Meunier : C’est une chose très difficile à faire. Dans le cas de notre feu de forêt, près de Cherhill, nous avons été chanceux. Notre agent de la paix local prenait les noms des participants à mesure qu’ils entraient et a pris le temps de demander pourquoi nous voulions entrer. Ensuite, il nous a permis d’entrer, pour que nous puissions nous occuper de notre bétail et des autres choses pendant que nous étions là. Ce n’est pas tout le monde qui prendra le temps et le soin de faire cela. Je suis d’accord; il est nécessaire de mettre en place une sorte de comptabilisation officielle, car de nombreuses personnes veulent entrer pendant ces périodes, alors qu’elles ne le devraient pas. C’est une période qui peut être dangereuse.

Je ne sais pas quelle est la façon exacte de le faire, mais il faut qu’il y ait une façon de comptabiliser les personnes qui sont là et d’assurer leur sécurité, de nous permettre de nous réfugier sur place, comme l’a dit Mme Van Iterson, de prendre soin de nos animaux et de faire en sorte que les autorités sachent que nous sommes là et pourquoi.

La sénatrice McBean : Donc, croyez-vous que quelque chose comme un plan, selon lequel tout le monde a le nom de deux personnes qui seraient responsables de certaines choses, serait utile?

Mme Meunier : Cela serait certainement utile. De tels plans ont été mis en place à l’avance, pour nos pipelines locaux. Quelque chose de similaire serait possible pour le secteur agricole.

Le sénateur McNair : À tous les témoins, merci d’être ici aujourd’hui et merci pour vos témoignages. Aux représentantes de l’Association nationale des engraisseurs de bovins, je voulais faire remarquer que notre président porte une cravate en votre honneur aujourd’hui, nous sommes donc très heureux que vous soyez là.

Ma question est pour M. Chiasson.

Monsieur Chiasson, vous avez, en tant que directeur général, dans une lettre adressée au comité au nom de l’Institut de fourrure du Canada, déclaré ceci :

Bien qu’ils n’appartiennent pas à proprement parler au secteur de l’agriculture et de la foresterie, l’industrie canadienne du piégeage et le commerce des fourrures qu’elle alimente occupent une place importante dans l’économie forestière du Canada.

Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet en expliquant quel rôle économique le piégeage joue dans l’économie forestière du Canada et comment l’industrie du piégeage soutient les communautés rurales et autochtones à travers le Canada?

M. Chiasson : Absolument. Merci, monsieur le sénateur, de la question.

La traite canadienne des fourrures aujourd’hui est répandue dans tout le pays. Le Canada est unique au monde dans la mesure où nous sommes le premier producteur mondial de fourrure sauvage et de fourrure d’élevage et le premier producteur mondial de peau de phoque également.

Dans les communautés rurales et éloignées et particulièrement dans les communautés autochtones éloignées, la chasse des fourrures est l’une des rares activités qui font le lien entre les économies traditionnelles et l’économie de marché mondiale, et c’est aussi une façon pour les membres de ces communautés de participer à l’économie de marché mondiale tout en renforçant les traditions culturelles et sociales. Dans les communautés éloignées, en particulier, cela peut être un moteur économique important, tant du point de vue de la valeur des fourrures piégées que du point de vue du soutien offert aux artisans locaux pour qu’ils créent des vêtements et des accessoires en fourrure.

À titre d’exemple, lors d’une vente aux enchères des chasseurs de fourrures, à North Bay en juin, la dernière en son genre en Amérique du Nord, le gros lot, qui était une peau de lynx, s’est vendu au prix de 2 640 $. C’est le prix pour une peau de lynx. Pour les personnes qui vivent dans des régions où il y a un nombre important d’animaux à fourrure, en particulier des animaux à fourrure de grande valeur, cela peut représenter une portion importante de leur revenu annuel qu’elles utilisent ensuite pour soutenir leur famille.

Le sénateur McNair : Monsieur Chiasson, vous avez dit que le gouvernement fédéral pourrait en faire plus. Vous avez parlé entre autres du financement afin de promouvoir les produits de fourrure dans le Canada. Que croyez-vous que le gouvernement fédéral pourrait faire de plus?

M. Chiasson : Au-delà du soutien financier, qui vient loin devant sur la liste des priorités, nous faisons assurément des efforts, ici, à l’institut. Nous sommes un organisme unique. Nous avons été créés par le gouvernement, mais nous n’en faisons pas partie. Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont membres de mon organisme et siègent à mon conseil d’administration, mais nous sommes un organisme non gouvernemental.

Environnement et Changement climatique Canada ainsi que différents ministères provinciaux et territoriaux fournissent une contribution pour nos activités essentielles. Cette contribution de base n’a pas augmenté depuis 1987. Bien entendu, avec l’évolution de l’inflation et du pouvoir d’achat, cette contribution aux activités essentielles n’offre pas le même niveau de soutien qu’en 1987.

La sénatrice Muggli : Merci d’être ici aujourd’hui. Tout comme la sénatrice Sorensen, il y a une chose à laquelle je n’avais pas réfléchi. Je pense à l’anxiété vécue par les trappeurs et les éleveurs de bovins et à ce que l’Association nationale des engraisseurs de bovins a dit à propos de la communication.

Avez-vous des préoccupations ou des réflexions concernant les tours de télécommunication? Sont-elles placées aux bons endroits? Devrions-nous les placer ailleurs? En avez-vous besoin de plus? Est-ce une préoccupation pour vous?

Mme Van Iterson : Oui. J’ai failli ne pas pouvoir me joindre à l’appel, aujourd’hui, parce que notre service Internet rural est de mauvaise qualité. Nous avons perdu beaucoup de tours de téléphonie cellulaire dans notre région pendant les feux. Évidemment, la région est plutôt montagneuse, et la reconstruction est une tâche très difficile. Nous avons perdu l’électricité pendant plusieurs jours. Une grande partie de notre infrastructure hydroélectrique, en Colombie-Britannique, est toujours en bois. Réparer cela a été une longue, longue tâche. Je crois que nous n’avons pas eu d’électricité pendant 10 jours, mais d’autres en ont manqué plus longtemps. Assurément, les services de télécommunication représentent un énorme problème, et nous en dépendons énormément, dans les temps modernes.

La sénatrice Muggli : Merci. Quelqu’un d’autre voudrait-il répondre à cela? Avez-vous des idées sur la manière dont nous pourrions assurer l’accès à des télécommunications fiables lors de ces incidents?

Mme Daniels : L’élément des télécommunications est essentiel. Pour faire parvenir des messages aux communautés pour leur dire qu’elles sont en état d’alerte d’évacuation ou, si elles reçoivent l’ordre d’évacuer, où elles doivent évacuer et comment elles doivent se préparer à tout cela, il faut un réseau de communication solide. Comme on l’a déjà dit, il s’agit d’un sérieux problème dans les communautés rurales et éloignées de tout le pays, où le réseau de communication est souvent faible et n’est pas aussi bien soutenu que dans les zones urbaines et, surtout, où il est exposé à un risque pendant la saison des feux de forêt.

La sénatrice Burey : Merci à tous nos témoins. J’aimerais poursuivre sur la question de la sénatrice Sorensen qui porte sur le triple paradoxe du feu. J’aimerais en apprendre davantage, particulièrement sur la gestion de l’aménagement du territoire et le développement naïf. Pourriez-vous en dire plus à ce sujet pour que le comité en sache davantage sur ces questions?

Mme Daniels : Absolument. Ce que nous constatons, avec la croissance de notre population, c’est, bien sûr, que les communautés sont également en croissance. Dans de nombreuses régions, il y a des lotissements urbains et des lotissements de banlieue en milieu périurbain, c’est-à-dire la zone entre les territoires sauvages, souvent propices aux feux, et nos lotissements urbains. Nous voyons de nouveaux quartiers et de nouvelles maisons se développer, souvent naïvement, en ce sens que la conception des routes, les entrées et les sorties ordinaires, les entrées ou les sorties en cas d’urgence, ne sont pas toujours planifiées avec soin. Un exemple classique serait les magnifiques culs-de-sac construits sur une pente montagneuse abrupte. Ces quartiers magnifiques sont construits sur des pentes abruptes sur des terrains montagneux ou sur des terrains boisés, car les gens souhaitent jouir à la fois de l’intimité et de la beauté de la nature, ne réalisant pas que leurs demeures sont construites dans un environnement risqué et propice au feu.

C’est là où le principe d’Intelli-feu, tant à l’échelle du propriétaire que de la communauté, devient essentiel. Modifier les codes du bâtiment et réfléchir à des façons d’améliorer les aménagements communautaires et la conception des bâtiments sont d’excellents moyens d’assurer la sécurité des propriétaires et des communautés, surtout avec les incendies qui augmentent en fréquence et leur incidence sur l’avenir en raison des changements climatiques.

La sénatrice Burey : Merci.

Le président : Merci. Nous passons au deuxième tour en commençant par la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Merci. J’espère pouvoir arriver à parler aux témoins avec lesquels je n’ai pas eu l’occasion de parler lors du premier tour.

Madame Daniels, je suis intriguée par le fait que la chaire que vous occupez s’appelle chaire sur la coexistence des feux de forêt. Il me semble qu’une grande partie de notre discours sur les feux de forêt s’appuie sur des métaphores militaires. Nous « combattons », nous sommes « sur la ligne de front ». J’ai entendu des personnes parler ainsi du cancer. Ce vocabulaire change la façon dont on envisage la maladie.

Pourriez-vous nous parler du changement de paradigme psychologique qui devrait peut-être arriver pour que nous comprenions que les feux de forêt se produiront désormais sur une échelle que nous n’avons pas anticipée il y a 20 ans et que cette coexistence deviendra la nouvelle normalité?

Mme Daniels : Absolument. Nous nous retrouvons face à une nouvelle normalité, en ce qui concerne tant le climat que les perturbations liées au climat, comme les incendies. Une partie de notre stratégie d’adaptation suppose d’avoir des moyens de nous adapter et d’être mieux préparés.

Cela peut fonctionner à tous les niveaux et à tous les échelons de la gestion : il peut s’agir de propriétaires individuels qui appliquent des principes de réduction des risques d’incendie; de réfléchir à l’échelle communautaire et d’évaluer les combustibles présents près des communautés; de réfléchir aux moyens d’éliminer ces combustibles grâce à une gestion forestière proactive, en éclaircissant le bas et en laissant les arbres ombragés pour la faune et la biodiversité; de créer des environnements ombragés, qui sont également moins propices aux incendies et de les entretenir par des brûlages culturels ou dirigés; et d’utiliser également des herbivores et d’autres innovations. Trouver des mécanismes interdisciplinaires pour maintenir de faibles charges de combustible dans les zones vulnérables près des maisons et des communautés est essentiel.

En repensant à notre mode de gestion forestière, nous avons travaillé selon un paradigme où notre gestion forestière, le type d’exploitation et de régénération de nos forêts, ont été conçus en fonction des incendies de forte intensité, en croyant que c’était le seul type d’incendie ou le type dominant dans nos écosystèmes. Cela était fondé sur, encore une fois, notre perception du feu, renforcée par le paradigme de la suppression des incendies, qui voulait que nous allions contrôler les feux toute notre vie. Le feu est beaucoup plus qu’un simple agent de dommage. Il fait partie de la solution et de notre trousse d’outils pour l’avenir, mais cela nécessite l’éducation du public et une meilleure compréhension.

Les communautés autochtones nous enseignent comment gérer le feu. Les récits oraux, étayés par la science occidentale, montrent clairement à quel point l’utilisation du feu était répandue dans nos paysages historiques. Nous constatons que la compréhension et le respect de ces connaissances représentent une grande partie de la solution. Cela nous offre une perspective à long terme du travail avec des collaborateurs autochtones et une vision différente de nos paysages.

Je vous encourage, si vous n’avez pas eu l’occasion de le faire, à consulter en ligne le projet Legs des montagnes. Il s’agit de photographies historiques des forêts montagneuses de l’Ouest canadien prises il y a 100 ans et reprises aujourd’hui. Vous verrez encore et encore que des paysages comme Jasper, la Colombie-Britannique, nos parcs nationaux, nos paysages montagneux ont énormément changé au cours du dernier siècle et qu’ils comptent de plus en plus de conifères, des conifères qui fournissent du combustible et qui nous rendent vulnérables. Comprendre ces changements, cela nous ouvre des opportunités et se traduit par des lignes directrices pour une restauration écologique et culturelle novatrice, en associant les populations autochtones à cette solution. Merci.

La sénatrice Simons : C’était fascinant de vous entendre parler de la manière dont différents animaux préféraient différentes zones avant et après un incendie. Vous avez également dit que les incendies sont un cycle qui suit naturellement son cours et dont ces forêts ont besoin. Voyez-vous des augmentations de la prise de certains animaux, à la suite d’un incendie, ou cela cause-t-il une telle perturbation que vos membres ne sont pas en mesure de récolter leurs prises?

M. Chiasson : Merci, sénatrice. Cela m’a été résumé de la meilleure manière possible, hier, par le coanimateur de ma balado qui est trappeur en Colombie-Britannique. Il a dit : « Le feu est bon pour les chiens, mais mauvais pour les chats. » Dans les zones incendiées, on observera une augmentation du nombre de coyotes et de loups, en particulier, car ils se profitent des territoires ouverts pour chasser de grosses proies plus efficacement. Il y a également une plus grande population de rongeurs qui aident à la survie des coyotes en particulier, et cet habitat n’est généralement pas aussi accueillant pour les lynx. C’est assurément une chose que les gens constatent, quand le feu change le paysage.

La sénatrice Simons : Qu’en est-il des animaux qui ressemblent aux belettes, que préfèrent-ils?

M. Chiasson : Les animaux qui ressemblent aux belettes, malheureusement, sont très variés, et cela dépend d’où ils se situent sur le spectre des animaux qui ressemblent à des belettes. Les pékans, comme celui qui se trouve derrière moi, utilisent différemment les différents types de forêts; ils ont vraiment besoin de forêts mixtes. Les martes, elles, ont besoin, au minimum, de très vieux étages dominants. Nous avons une très grande diversité de mustélidés — les animaux qui ressemblent à des belettes —, ici, au Canada.

Le président : Tout le monde l’a entendu ici, aujourd’hui : « des animaux qui ressemblent à des belettes ».

La sénatrice McBean : Ma question s’adresse aux agriculteurs. Êtes-vous inquiets à l’idée que les compagnies d’assurances cessent de couvrir certaines choses en cas d’incendie, étant donné l’augmentation de leur nombre et de leur intensité? Sachant que la réglementation des assurances est une compétence partagée entre les provinces et le gouvernement fédéral, croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait garantir de façon proactive la couverture des feux de forêt? Les témoins précédents nous ont dit que les inondations ont tendance à suivre les feux. Donc, la couverture des feux de forêt et des inondations n’est ni retirée, ni augmentée dans de tels cas.

Mme Meunier : C’est assurément une préoccupation. Il est déjà difficile d’assurer une exploitation agricole. Nous investissons beaucoup de capital, et il s’agit d’une activité commerciale à risque élevé. Présentement, il est difficile de nous assurer.

Après notre aventure avec le feu de forêt, de nombreuses personnes nous ont conseillé d’utiliser notre assurance. Nous avions bel et bien une assurance contre les feux de forêt, mais le montant maximum que nous pouvions réclamer était 10 000 $. Lorsque j’ai demandé si nous aurions pu bénéficier d’une police d’un niveau plus élevé, on m’a répondu non, que cela n’existait pas. Nous n’avons pas pu souscrire une assurance contre les feux de forêt, et nous avons payé toutes nos dépenses de notre poche, jusqu’à ce que des programmes spéciaux soient mis en place, par la suite, mais pas en temps voulu.

Mme Van Iterson : J’ai vécu une expérience similaire. Évidemment, nous avons eu beaucoup d’inondations et d’incendies dans les cinq dernières années, en Colombie-Britannique, et nous avons vu les taux d’assurance grimper rapidement. J’imagine que c’est un problème qui se pose dans tout le pays. Comme l’a dit Mme Meunier, il est très difficile d’assurer des exploitations agricoles. Aujourd’hui, lorsque nos polices d’assurance sont soumises à la souscription, elles se font examiner de beaucoup plus près. C’est un peu stressant quand on attend de savoir ce qu’ils vont assurer, quelles limites ils vont nous accorder et quels types de franchises ils vont nous imposer lorsque nous nous assurerons de nouveau.

La sénatrice McBean : Merci.

Le sénateur Richards : Monsieur Chiasson, je me demandais comment la communauté internationale, aujourd’hui, réagit aux animaux à fourrure et au trappage. Est-il difficile pour vous de vendre vos produits à l’étranger ou aux États-Unis? Est-ce toujours un marché rentable pour le trappeur moyen? Si l’on pense aux animaux à fourrure perdus dans les incendies, je me demandais à quel point cela est dévastateur pour votre industrie, monsieur.

M. Chiasson : Merci, sénateur. Je répondrai à votre question en deux parties.

Nous sommes toujours la cible de tentatives d’interdiction du commerce de la fourrure. Il y a eu quelques tentatives en ce sens, récemment, aux États-Unis, à Denver et à Washington D.C. Heureusement, la proposition de Denver a été rejetée par les électeurs de la ville, et la proposition de Washington est sans cesse repoussée. La Suisse essaie, elle, d’interdire le commerce de la fourrure, et un projet de loi d’initiative privée à la Chambre des communes du Royaume-Uni interdirait l’importation de fourrure dans ce pays.

Je ne dirais pas que la Suisse ou que le Royaume-Uni sont nos plus grands marchés, loin de là, mais il y a assurément un travail de sape contre l’industrie de la fourrure. S’ils parviennent à faire tomber un pays de plus, les groupes antifourrures pourront maintenant dire que 17 pays ont interdit la fourrure. À l’heure actuelle, le seul pays qui interdit totalement la vente de fourrure, sauf pour les articles religieux, c’est Israël. Nous assistons à des tentatives en Suisse et au Royaume-Uni. Je suis certain que nous assisterons également à des tentatives dans l’Union européenne dans les années à venir.

Nous n’avons pas peur de notre bilan en matière d’exploitation sans cruauté des animaux à fourrure sauvages. L’Institut de fourrure du Canada est le chef de file mondial en matière d’essai et de certification de pièges, et nous conseillons les programmes d’essai des pièges dans de nombreux pays européens. Ces pays viennent nous voir pour nous demander conseil. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos homologues américains de l’association des organismes de conservation des poissons et de la faune.

L’autre aspect difficile pour nous est la situation générale du commerce international. Nous avons été durement touchés par la COVID-19 et par les impacts que cela a eus pour nous tant dans le secteur manufacturier que dans les marchés de consommation en Chine et en Corée particulièrement, et aussi par la guerre en cours en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie. La Russie représentait notre deuxième marché en importance. La Russie était notre plus grand marché pour certains articles, particulièrement la fourrure de raton laveur. Le marché de la fourrure de raton laveur a reçu un dur coup quand les sanctions contre la Russie ont été mises en place. Nous ne demandons certainement pas que ces sanctions soient levées, mais d’autres industries qui ont été touchées par les sanctions ont reçu une compensation ou du financement pour les aider à commercialiser leurs produits sur d’autres marchés. Malheureusement pour nous, dans le commerce de la fourrure, nous n’avons pas nécessairement reçu la même attention lorsque ces sanctions ont été appliquées, donc, nous n’avons pas été en mesure de promouvoir la fourrure de raton laveur — une fourrure extraordinaire, soit dit en passant — auprès des consommateurs canadiens, américains ou européens, car nous ne disposons tout simplement pas de suffisamment de fonds propres pour le faire.

Le sénateur Richards : La deuxième partie de ma question était : savez-vous quels sont les impacts des feux de forêt sur les animaux que vous piégez? Avez-vous seulement une image générale de ce qui arrive aux animaux que vos trappeurs piègent au Yukon, dans le nord de l’Alberta ou ailleurs au Canada?

M. Chiasson : Sénateur, je dirais que c’est exactement le type de soutien que nous attendons du Service canadien des forêts et d’autres organismes afin de soutenir ce type de recherche, car nous n’avons tout simplement pas assez de fonds nous-mêmes. Le commerce de la fourrure est une affaire de trappeurs, de petites et moyennes entreprises et à petite échelle, en majeure partie, ici au Canada. Nous ne disposons donc pas nécessairement de fonds propres pour entreprendre ce genre de recherche à grande échelle.

Le sénateur Richards : Merci.

Le président : Je remercie les témoins de leur participation aujourd’hui. Vos témoignages et votre expertise nous ont été très utiles.

J’aimerais remercier les membres du comité. C’est formidable que vous soyez ici aujourd’hui. Vos questions sont toujours judicieuses et réfléchies, et j’apprécie cela.

J’aimerais prendre un instant pour remercier le personnel qui soutient le comité, les gens dans nos bureaux et derrière nous qui s’occupent de l’interprétation et de la transcription, les préposés à la salle des comités, les techniciens des services multimédias, l’équipe de la radiodiffusion, le centre d’enregistrement, la direction des services de l’information, et, bien sûr, M. Passmore, notre page.

(La séance est levée.)

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