LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Bonjour à tous, je suis heureux de vous voir ici.
Je commencerai en souhaitant la bienvenue aux membres du comité et aux témoins, ainsi qu’aux gens présents dans la salle ou qui nous regardent sur le Web.
Je m’appelle Robert Black, sénateur de l’Ontario, et je suis le président du comité. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de santé des sols au Canada.
Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais demander d’abord aux sénateurs de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : Je m’appelle Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, et je vis dans le territoire du Traité no 6.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.
Le président : Merci beaucoup.
Avant de commencer, je voudrais dire à nos témoins et à toutes les personnes présentes dans la salle que si vous éprouvez des difficultés techniques, surtout en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence et à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème, ce qui pourrait nous obliger à suspendre la séance.
Nous avons deux groupes de témoins ce matin. Dans le premier groupe, par vidéoconférence, nous accueillons Ted Taylor, spécialiste des ressources en sols, Groupe de ressources du sol; Paul Renaud, chef de la direction, Le groupe Lanigan; et Paul Arp, professeur, Sols forestiers, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick.
Je vous invite à faire vos déclarations. Nous commencerons par monsieur Taylor, suivi de messieurs Renaud et Arp. Chacun d’entre vous disposera de cinq minutes pour faire sa déclaration. Lorsqu’il restera une minute, je vous ferai signe en levant la main. Lorsque je lèverai les deux mains, il sera temps de conclure. Sur ce, la parole est à vous, monsieur Taylor.
E.P. (Ted) Taylor, spécialiste des ressources en sols, Groupe de ressources du sol : Mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial, collègues témoins, c’est un privilège de participer à la discussion aujourd’hui. Je suis Ted Taylor, spécialiste des ressources en sols au sein du Groupe de ressources du sol. Nous travaillons principalement sur un programme de recherche et développement à la ferme qui porte sur la santé et la dégradation des sols en Ontario.
J’ai récemment pris ma retraite du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales et pendant 30 ans, j’ai travaillé sur la planification de programmes agroenvironnementaux et l’éducation, en me concentrant sur les sols, l’eau, les enjeux environnementaux, la santé et la conservation des sols. J’ai aussi travaillé en agroforesterie, surtout sur la formation et la création de matériel pédagogique. Auparavant, dans les années 1980, j’étais spécialiste des sols forestiers sous contrat avec le ministère des Ressources naturelles, par l’entremise de l’Université de Guelph, pour étudier la productivité des espèces d’arbres en relation avec les sols et former le personnel en conséquence.
J’aimerais maintenant vous parler brièvement d’agroforesterie en Ontario. Je voudrais examiner les définitions, les types de pratiques ou d’écosystèmes agroforestiers que nous avons dans le Sud de l’Ontario, ainsi que certains des liens avec la santé et la conservation des sols. En termes simples, l’agroforesterie est tout ce qui a trait aux arbres et à l’agriculture. On trouve des définitions plus étoffées, mais cela résume assez bien l’idée.
Dans le Sud de l’Ontario, nous avons affaire à quatre grands types d’agroforesterie. Il y a les terres à bois ou les boisés de ferme, essentiellement ce que l’on voit à l’arrière de la propriété, généralement à feuilles caduques. Il y a les plantations; en conduisant sur les routes des comtés ou des concessions, on voit des plantations homogènes de conifères ou d’arbres à feuillage persistant en rangées équidistantes et ce sont des terrains boisés sur d’anciennes terres agricoles. Il y a également des plantations linéaires, sous forme de bandes boisées de protection, de brise-vent ou de bandes tampons le long de cours d’eau. On trouve aussi des plantations agroforestières spéciales, telles que les vergers d’arbres à noix, les cultures en couloir, les cultures intercalaires et le sylvopastoralisme. C’est à ces types de plantations que les gens font souvent référence lorsqu’ils pensent à l’agroforesterie.
Plus précisément, les boisés comprennent toutes les terres à bois des hautes terres aux basses terres. On y trouve de tout, des arbres à feuilles caduques aux conifères en passant par un mélange des deux. Ils sont généralement gérés pour l’utilisation du bois d’œuvre sur la ferme ou pour la vente, ainsi que pour le bois de chauffage et les piquets de clôture.
En ce qui concerne les plantations, il s’agit de zones qui ont fait l’objet de ce que nous qualifierions de reboisement. Il s’agit de terres qui étaient cultivées il y a plusieurs générations. Auparavant, elles étaient le plus souvent recouvertes de forêts. Nous plantons des arbres par reboisement sur deux types de terres. Il s’agit soit de terres marginales, trop humides, rocailleuses ou escarpées pour la production agricole, soit de ce que nous appelons des terres fragiles. Il s’agit de terres qui ont subi une dégradation du sol ou qui présentent un risque très élevé de dégradation du sol en raison de l’érosion ou du compactage. Il s’agit le plus souvent de plantations homogènes de conifères ou d’un mélange d’espèces de conifères, dans certains cas de conifères et de feuillus.
Il y a également les plantations linéaires, et comme je l’ai dit, il s’agit de brise-vent, de bandes boisées de protection ou de plantations riveraines que nous appelons des bandes tampons. Elles sont destinées à protéger les terres cultivées, les pâturages ou les fermes, mais aussi les eaux de surface, comme les étangs et les zones humides et, dans la plupart des cas, des cours d’eau.
Le quatrième type d’agroforesterie que nous voyons dans le Sud de l’Ontario est celui des plantations spécialisées. Il peut s’agir d’arbres de Noël, de vergers d’érables à sucre, de vergers d’arbres à noix ou de cultures en couloir, où l’on plante des arbres en rangées le long des courbes de niveau ou dans des endroits où les plantations séparent les champs, avec l’intention à long terme de faire du reboisement pour ramener ces terres à l’état de forêts.
En ce qui concerne les liens avec la santé des sols, il y en a trois principaux. Il y a tout simplement le couvert à long terme. Si nous conservons le couvert forestier, la terre sera protégée. Les sols resteront en très bonne santé et rempliront toutes les fonctions écologiques et économiques que l’on attend des boisés.
Si vous plantez des arbres dans un processus de reboisement, ces terres seront un jour réhabilitées, principalement grâce à des apports continus et substantiels de matière organique, mais aussi grâce à la prolifération des racines qui réduisent la densité du sol et améliorent sa structure.
Il ne fait aucun doute que l’une des dernières améliorations liées à la santé des sols est la séquestration du carbone. Non seulement vous ajoutez du bois, mais ce bois pousse longtemps, et c’est tributaire de la qualité des produits du bois qui en sortent. On peut dire que si vous cultivez quelque chose comme du placage ou des pièces qui feront partie de meubles, vous obtenez plusieurs centaines d’années de carbone enfoui dans le tissu ligneux. Il va sans dire que vous obtenez une bonne quantité de matière organique et de carbone organique réhabilités ou ajoutés au sol, ce qui améliore la santé du sol à long terme.
Le président : Merci, monsieur Taylor. Monsieur Renaud?
Paul Renaud, chef de la direction, Le groupe Lanigan : Je vous remercie. Je suis également acériculteur. En fait, j’ai été le premier acériculture climatiquement neutre. Je m’emploie à appliquer les leçons que j’en ai tirées pour introduire l’agroforesterie dans d’autres secteurs de l’agriculture. J’ai constaté que tout le monde parle des émissions en agriculture, mais personne ne parle de séquestration. Pourquoi?
C’est un fait établi que les arbres améliorent la qualité du sol en reconstituant l’azote et le carbone dans le sol. Y a-t-il suffisamment d’arbres dans les fermes pour aider à atténuer les changements climatiques? Malheureusement, il n’y a pas de source officielle pour répondre à cette question. Cela perpétue le mythe selon lequel les arbres dans les fermes n’ont pas d’importance et que l’agriculture canadienne n’est pas durable. Mon témoignage aujourd’hui vise à déconstruire ces mythes.
Le premier mythe est que la perte d’arbres attribuable à l’agriculture est un facteur majeur des changements climatiques au Canada. Selon le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat, le GIEC, l’énoncé est vrai à l’échelle mondiale, mais il ne s’applique pas à l’Amérique du Nord. En réalité, 90 % de la déforestation au Canada est due à la sylviculture, et non à l’agriculture, et les changements dans l’utilisation des terres dans l’agriculture canadienne n’ont pas contribué à aggraver les changements climatiques depuis plus de 20 ans.
Le deuxième mythe est qu’il n’y a pas assez d’arbres dans les fermes au Canada pour compter. Les enquêtes de Statistique Canada sur l’utilisation des terres en agriculture n’identifient pas les superficies boisées. Nous avons donc dû faire les calculs nous-mêmes en nous appuyant sur des études de cas d’exploitations agricoles et sur une modélisation descendante. Par exemple, une ferme de 200 acres située près de Stratford, dans le Centre-Sud de l’Ontario, une région où l’on pense généralement trouver peu d’arbres dans les exploitations agricoles, comptait 35 % de superficie boisée, soit une superficie suffisante pour compenser toutes ses émissions. La plupart de ces arbres se trouvaient dans des ravins, sur des pentes abruptes, le long de clôtures, etc., essentiellement des endroits que vous ne pouvez pas cultiver.
Une ferme de 1 300 acres située près de Perth, dans l’Est de l’Ontario, était boisée à 39 %, soit suffisamment pour compenser les émissions de 200 vaches laitières. En fait, si cet agriculteur recevait une juste valeur pour ses services de séquestration, disons sur la même base de 65 $ la tonne utilisée pour la taxe sur le carbone, cette ferme aurait un revenu net de plus de 100 000 $ par année après déduction de toutes ses émissions.
Au Canada, on dénombre 30 millions d’hectares d’exploitations agricoles recouverts de végétation pérenne, soit des arbres dans l’Est et en Colombie-Britannique, des arbustes ligneux et des graminées dans les Prairies. Cela représente une superficie 30 % plus grande que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick réunis; il y a donc manifestement assez d’arbres.
Pourquoi cet agriculteur ne vend-il pas des services de séquestration en tirant parti des crédits carbone? Parce que les crédits carbone ne fonctionnent pas dans les exploitations agricoles. Il n’y a pas assez de valeur, les frais généraux liés à la gestion du système sont trop élevés et la plupart des exploitations agricoles sont trop petites. Pour cette raison, moins de 2 % de tous les crédits carbone émis dans le monde concernent l’agriculture. On croit à tort que les arbres libèrent tout le carbone qu’ils ont stocké lorsqu’ils meurent. Cela n’est vrai que pour les incendies de forêt et, selon la base de données nationale sur les incendies de forêt, il n’y a pas d’incendies de forêt dans les exploitations agricoles.
Comme M. Taylor l’a dit, lorsque les arbres sont vivants, ils séquestrent le carbone à la fois dans leur biomasse et dans le sol. Lorsqu’ils meurent, un quart de la biomasse des racines reste dans le sol et la majorité de la biomasse aérienne se décompose dans le sol et une partie seulement est libérée dans l’atmosphère.
Qu’en est-il des émissions entériques? Sont-elles néfastes pour l’environnement? Les émissions de méthane représentent la moitié de toutes les émissions agricoles, mais là encore, personne ne parle de séquestration. Les vaches ne sont pas des réacteurs nucléaires, elles ne fabriquent pas de carbone à partir de particules subatomiques. Le carbone contenu dans le méthane ne peut provenir que du carbone contenu dans les aliments qu’ils consomment. À leur tour, le carbone contenu dans leur nourriture provient du carbone séquestré de l’atmosphère par photosynthèse. Chimiquement, il est impossible que ce volume de carbone dépasse la quantité séquestrée annuellement. Si nous tenons compte de la séquestration, et même du fait que le méthane est 25 fois pire que le dioxyde de carbone dans l’atmosphère, il s’avère que les vaches sont carboneutres. Selon le Rapport d’inventaire national, les émissions de méthane d’origine agricole n’ont pas augmenté au cours des 15 dernières années.
Si toute possibilité de réduire les émissions de méthane est utile pour lutter contre les changements climatiques, il s’agit davantage d’une occasion que d’un problème.
L’impression créée par le RIN est que l’agriculture contribue à 10 % des émissions du Canada, mais il s’agit d’émissions brutes, non compensées par les services de séquestration fournis par la végétation vivace dans les fermes et qui ne tiennent pas compte du cycle biogénique pour les émissions du bétail. Puisqu’il n’y a pas d’estimation officielle de l’empreinte carbone, nous avons tenté de l’estimer, et il s’avère que l’agriculture canadienne est déjà durable. Si nous évaluons sa séquestration excédentaire à l’aide de la taxe sur le carbone en utilisant le même montant que celui de la taxe sur le carbone, les exploitations agricoles devraient toucher 3 milliards de dollars par an, alors pourquoi le carbone n’est-il pas une culture commerciale au Canada? Merci de votre attention.
Le président : Merci, monsieur Renaud. Monsieur Arp, allez-y, je vous en prie.
Paul Arp, professeur, Sols forestiers, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Je vous remercie de votre invitation. Je me suis demandé si je devais ou non apporter ma contribution, car si j’ai grandi avec l’agroforesterie, ma vie professionnelle s’est déroulée dans le domaine de la foresterie, ici, à l’Université du Nouveau-Brunswick, pendant près de 50 ans.
À ce titre, nous avons travaillé avec l’industrie forestière et, depuis peu, avec l’agriculture et différentes ONG qui s’intéressent aux endroits où nous trouvons différentes choses sur le terrain. Nous nous concentrons sur la cartographie des provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard, de certaines parties de l’Ontario, d’une énorme partie de l’Alberta et d’un peu partout dans le monde, afin de comprendre comment nous pouvons représenter fidèlement où nous trouvons quoi dans la province et dans d’autres provinces, en fait de sols, d’eau, de forêts et de champs.
Dernièrement, nous avons travaillé sur l’adéquation des cultures et, dans ce cadre, nous atteignons une résolution d’un mètre dans les provinces.
Les produits issus des recherches que nous menons ici à l’université sont désormais disponibles sur plusieurs sites Web gouvernementaux, comme la cartographie de l’adéquation des cultures pour le Nouveau-Brunswick sur le site Web du ministère de l’Agriculture de cette province. Ces travaux ont également été réalisés en collaboration avec le ministère de l’Agriculture et avec les producteurs qui s’intéressent aux rotations des cultures et à la production de pommes de terre, en particulier.
Nous avons constaté que sur la seule base de la topographie, qui a une résolution d’un mètre — une couverture plus légère, qui s’étend au monde entier en raison de son utilité pratique pour la planification et la conduite des opérations, qui réduira les dommages causés aux routes et à la circulation hors route —, il s’agit essentiellement d’une situation gagnant-gagnant pour l’industrie, la sylviculture, l’agriculture et les pêches, surtout les pêches continentales. Nous ne sommes pas encore très engagés dans cette voie, mais il existe de grandes possibilités de tirer un meilleur parti de la façon dont la terre se présente à nous.
Fait à noter, lorsque nous avons examiné la cartographie de l’adéquation des cultures et que nous l’avons superposée aux endroits où nous trouvons effectivement les champs au Nouveau-Brunswick, les personnes qui ont établi les fermes dans la province savaient déjà où placer les champs, sur la base de l’évaluation que nous effectuons après coup. Comme nous l’avons dit, vous constaterez que les champs sont raisonnablement peu pentus et bien drainés. Nous pouvons cartographier l’écoulement de l’eau dans toute la province de manière homogène, à travers les champs, à travers les routes et jusqu’à la baie de Fundy et au détroit de Northumberland. Il s’agit là d’un progrès considérable.
L’industrie forestière en activité ici utilise les cartes que nous produisons pour naviguer en ligne pendant l’abattage des arbres. La plupart des pratiques forestières ici au Nouveau-Brunswick permettent aux forêts de repousser.
Je vous ai envoyé un résumé, et vous y trouverez toutes sortes de détails. Je pense que cela suffira pour mon témoignage à ce stade.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins.
Nous allons passer aux questions des sénateurs. Au préalable, je voudrais rappeler aux membres et aux témoins présents dans la salle de ne pas parler trop près de leur microphone afin d’éviter des retours sonores qui risquent d’incommoder notre personnel chargé d’interpréter et de prendre des notes.
Comme toujours, je rappelle aux sénateurs qu’ils ont cinq minutes pour poser leurs questions et obtenir une réponse. Au besoin, nous ferons d’autres tours.
Nous allons commencer par notre vice-présidente, la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Je viens de l’Alberta, monsieur Taylor, alors ce que vous décrivez par rapport à la culture d’arbres pour le bois dur et d’arbres à noix est tout à fait nouveau pour moi. Pouvez-vous nous l’expliquer, en ce qui concerne la santé du sol : si vous plantez un verger d’arbres à noix ou d’arbres fruitiers, est-ce que cela remet du carbone organique sain dans le sol, ou est-ce que ces arbres épuisent le sol de ses nutriments, ou y a-t-il un équilibre?
M. Taylor : Merci, madame la sénatrice. Étant spécialiste des sols et ayant travaillé au cours des 10 à 15 dernières années dans le domaine de la santé et de la conservation des sols, j’ai travaillé avec des spécialistes de la santé des sols. Ce que nous avons constaté au fil du temps, et c’est pourquoi nous préconisons des systèmes culturaux de conservation du sol et sans travail du sol, c’est que la plus grande source de perte de carbone — c’est probablement une contradiction — est principalement due au travail du sol et à l’absence de réintégration dans le sol de toute forme de carbone organique, qu’il s’agisse de résidus de culture ou de fumier.
Tout ce que vous faites avec un système agricole, si vous passez de la culture en rangs à la production de pâturages ou de fourrages, vous allez non seulement arrêter ou réduire complètement la perte de carbone — parce que vous ne perturbez pas le sol, que vous ne brisez pas la structure du sol pour l’exposer davantage à la décomposition microbienne et à la perte de carbone ou que vous ne convertissez aucun type de carbone organique en dioxyde de carbone — mais ajouter de la matière organique provenant à la fois de la croissance hors sol et des systèmes racinaires, parce que les racines poussent et meurent et qu’elles ajoutent toujours du carbone ainsi que ce qu’on appelle les exsudats provenant des cultures elles-mêmes.
Dans un système de culture ligneuse, cela va encore plus loin. Il y a moins de perturbations et, par conséquent, les pertes de carbone sont pratiquement éliminées, à moins qu’il n’y ait des pertes de méthane en raison de mauvaises conditions de drainage. Dans la plupart des cas, vous réduisez les pertes et vous ajoutez de la matière organique, provenant principalement de la chute des feuilles, qui s’ajoute à la couche supérieure, surtout s’il y a des vers de terre et d’autres créatures macrobiotiques du sol qui font ce travail pour vous. C’est aussi simplement par les racines des arbres qui poussent et meurent que vous ajoutez du carbone.
Si vous créez une forêt, comme les deux témoins l’ont dit, vous ajoutez une bonne quantité de carbone organique au sol. Au sens large, tout ce qui devient de la permaculture ou une sorte de culture permanente est beaucoup plus positif en ce qui concerne le carbone que tout ce que nous pouvons faire. Même avec l’incroyable production céréalière de l’Ouest canadien ou le maïs de 10 pieds que l’on trouve dans certains endroits du Sud de l’Ontario, on ajoute du carbone pendant un certain temps, mais si vous travaillez le sol, il y a aussi une perte. Avec un peu de chance, vous êtes carboneutre, mais pour n’importe quel type de plante ligneuse, il y a toujours un ajout positif de carbone.
La sénatrice Simons : Je suppose qu’il n’y a que certaines régions du Canada où cette forme d’agriculture est viable — dans la vallée de l’Okanagan en Colombie-Britannique, certaines régions de l’Ontario et du Québec et, je suppose, peut-être certaines régions du Nouveau-Brunswick. Où notre production est-elle la plus forte? Je ne parle pas de la culture de conifères, mais d’arbres fruitiers, d’arbres à noix, d’arbres pour le placage et ce genre de choses.
M. Taylor : Vous avez vu juste : il s’agit de tous les endroits où l’on pratique avec succès une forme d’horticulture à base de plantes ligneuses ou de vergers. Il ne fait aucun doute que la vallée du Fraser et l’Est du Canada, où l’on trouve des microclimats protégés, le sud de l’Ontario, où l’on bénéficie de la protection des Grands Lacs — tous ces mésoclimats sont mieux adaptés à tout type de production basée sur des vergers. Vous avez tout à fait raison.
La sénatrice Simons : J’ai une ferme de noisettes dans ma cour arrière.
Le sénateur Oh : Ma question s’adresse à tous les témoins. Je vous remercie de votre présence.
Selon un rapport de 2017 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 1,2 milliard de personnes dans le monde pratiquent l’agroforesterie sur environ 1 milliard d’hectares de terres. Quelles sont les possibles retombées économiques de l’agroforesterie pour les producteurs agricoles au Canada? Quels sont les possibles avantages environnementaux de l’agroforesterie pour les producteurs agricoles?
M. Taylor : En ce qui concerne les retombées économiques et les avantages environnementaux de l’agroforesterie, vous pouvez créer des produits du bois de haute qualité — que ce soit du placage, du bois de sciage, du bois de chauffage, des feuillus utilitaires pour des choses comme les palettes, des conifères pour des poteaux, et du bois à usage récréatif pour les terrasses ou les clôtures; on peut traiter ce type de bois sous pression ou chimiquement pour qu’il résiste à l’environnement. Il y a ces retombées économiques. En ce qui concerne l’utilisation à la ferme, une grande partie du bois est utilisée pour les clôtures, les enclos et la construction de wagons. Beaucoup de choses peuvent être utilisées dans l’agriculture.
D’un point de vue environnemental, la séquestration du carbone est l’avantage le plus important. La réhabilitation des sols est très importante, mais les arbres jouent également un rôle très important dans la protection des eaux de surface contre le ruissellement provenant de sources agricoles, qu’il s’agisse d’élevages intensifs ou simplement du ruissellement des terres cultivées. Ce sont quelques-uns des principaux avantages. Les arbres protègent également l’habitat des poissons et d’autres écosystèmes aquatiques.
M. Renaud : Par rapport aux retombées économiques, j’ai souligné celles de la séquestration. Si nous examinons d’autres sources de revenus, on a déjà mentionné qu’il est possible d’utiliser les arbres pour les noix, le sirop d’érable et ce type de produits.
Ce qui est intéressant, c’est que lorsque l’université de Guelph a fait sa démonstration de culture en rangées sur 30 ans, elle a pu prendre 15 % des terres agricoles pour les affecter au reboisement, mais n’a constaté aucune perte nette de rendement des cultures parce que les arbres agissaient comme des pompes à azote, récupérant l’azote excédentaire du sol et le redéposant sous forme de feuilles sur le sol pour qu’il soit décomposé et réintégré. Cela permet de réduire les coûts d’engrais et d’assurer un environnement plus sain pour le sol au fil du temps. Ainsi, vous ne perdez pas votre production agricole en raison de la dégradation des sols; vous la maintenez tout en réduisant vos coûts. Il s’agit d’un avantage considérable à long terme.
Le problème, c’est que tout le monde cherche une solution rapide. Les arbres mettent du temps à pousser et à s’établir. Nous devons abandonner cette mentalité de solution rapide et considérer la valeur à long terme de l’agroforesterie. Agriculture Canada est loin d’avoir financé l’agroforesterie autant qu’il le devrait.
M. Arp : Mes commentaires sur cette question concernent les situations opérationnelles qui ne font que des gagnants. Par exemple, si vous ne savez pas ce que vos machines font au sol, mais que vous avez toutes sortes de problèmes avec le sol — vous perdez du sol; vous avez plus d’érosion; vous avez plus de sédimentation; votre qualité est moindre, et l’ensemble de l’exploitation devient économiquement inefficace — fondamentalement, la cartographie des sols à une résolution d’un mètre vous permet de voir où aménager quelles parties de la composante agroforestière que vous souhaitez. Vous saurez à l’avance si vous disposez d’un terrain adapté à tel usage ou à tel autre usage.
Pour vous donner un exemple, les opérations forestières ont changé au cours des 50 dernières années — j’y ai en quelque sorte contribué — passant de parcelles rectangulaires indépendantes de la topographie à des terres dont les blocs de coupe sont conçus pour tenir compte de l’intégrité hydrologique, en relation également avec la quantité d’eau qui s’écoule des champs et des forêts, afin que nous soyons mieux préparés à faire face aux tempêtes. Tous ces éléments engendrent des coûts financiers importants s’ils ne sont pas mis en œuvre correctement.
C’est juste; nous bénéficions d’un bon soutien pour le travail que nous avons accompli au fil des ans.
La sénatrice Burey : Bonjour à tous. Merci de votre présence. J’apprends toujours beaucoup lors de ces réunions du comité.
Dans son Énoncé économique de l’automne de décembre 2020, le gouvernement du Canada a annoncé une initiative horizontale du Fonds pour des solutions climatiques naturelles de 4 milliards de dollars, qui comprend le Programme 2 milliards d’arbres de Ressources naturelles Canada, le Fonds des solutions climatiques axées sur la nature d’Environnement et Changement climatique Canada et Solutions agricoles pour le climat d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.
Cependant — et je parle ici du programme 2 milliards d’arbres — un rapport récent a révélé que le Canada n’était pas en voie d’atteindre ses objectifs en matière de plantation d’arbres. Quelle est la situation en Ontario, monsieur Taylor?
M. Taylor : Je ne suis pas très au fait du pourcentage de terres couvertes. D’après les dernières données que j’ai vues, il était très bas. Quelqu’un d’autre peut probablement me le dire; l’un des deux Paul le saurait mieux que moi. Je sais qu’il est beaucoup plus bas. Je peux vous expliquer pourquoi, mais je ne peux pas vous donner de statistiques, je suis désolé.
La sénatrice Burey : Très bien. Peut-être que monsieur Arp, avec sa cartographie des arbres, pourrait répondre à cette question, et je pourrais ensuite revenir à M. Taylor pour connaître les raisons de cette situation.
M. Arp : Nous n’avons pas non plus de réponse à cette question. Cependant, nous avons commencé à examiner toutes les terres boisées et non boisées du Nouveau-Brunswick pour voir comment les parcelles que nous obtenons ainsi sont adaptées aux cultures. Nous disposerons d’un bon inventaire de ce qui est utilisé à quels usages par rapport à la foresterie et aux champs dans l’ensemble du Nouveau-Brunswick. Nous pourrons établir des statistiques, mais nous ne les avons pas pour l’instant.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup. Monsieur Renaud, pourriez-vous nous parler alors de ces programmes? Vous avez souligné qu’Agriculture Canada ne les finançait pas suffisamment. Pourriez-vous nous en dire plus?
M. Renaud : L’initiative de plantation d’arbres relève de la foresterie et non de l’agriculture. En ce moment, il ne se passe rien en agriculture. L’Ontario compte le plus grand nombre de fermes au Canada. Ce sont des fermes plus petites que dans l’Ouest, mais si nous prenons le nombre total de fermes, c’est la province qui en compte le plus.
J’ai participé à une proposition que l’Ontario Woodlot Association a faite à Agriculture Canada pour créer une initiative d’agroforesterie au Canada. Nous avons demandé un financement de 10 millions de dollars et nous n’avons rien obtenu. En fait, aucune partie du financement fourni dans le cadre du programme des laboratoires vivants n’était destinée à l’agroforesterie. Ce programme cherchait simplement des solutions à court terme dans les cultures de couverture, qui sont loin d’assurer une séquestration aussi fiable que les arbres. Nous avons montré que la valeur à long terme de la séquestration par les arbres à l’horizon 2030-2050 était de loin supérieure, mais Agriculture Canada ne se concentrait que sur l’horizon 2030. C’est la pensée à court terme qui nous prive de notre avenir.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup pour cette réponse. Qu’est-ce que notre comité devrait faire dans le cadre de son étude sur la santé des sols? Comment pouvons-nous faire progresser ce dossier? Pouvez-vous nous faire quelques recommandations?
M. Taylor : Je peux essayer de répondre, mais je pense que Paul Renaud en sait plus que moi. Dans le passé, nous avons essayé d’encourager les gens à planter des arbres sur des terres agricoles — sur ce que nous appelons des terres fragiles — en offrant des incitatifs financiers pour compenser non seulement le coût de la plantation, mais aussi le coût d’opportunité lié à l’impossibilité de faire pousser des cultures en ligne, du fourrage ou des pâturages sur ces sites, afin de rendre la chose un peu plus lucrative pour quelqu’un qui n’envisagerait pas normalement de planter des arbres dans une certaine partie de son exploitation. Ainsi, si la terre est fragile ou marginale, la plantation d’arbres peut être envisagée si la compensation en vaut la peine. La prise en charge des coûts et la compensation des pertes de revenus pour les producteurs sont des moyens de le faire.
La deuxième chose dont nous avons bénéficié, ce sont des efforts de sensibilisation beaucoup plus concertés. En Ontario, le ministère de l’Agriculture, les offices de conservation et le personnel technique forestier du ministère des Ressources naturelles informaient les gens et fournissaient des services qui renforçaient les programmes de reboisement dans la province. Aujourd’hui, nous avons Forêts Ontario et les offices de conservation, mais il ne se passe pas grand-chose, exception faite des conseils techniques du ministère des Ressources naturelles. Il n’y a pas assez de techniciens pour faire la promotion et pour guider les propriétaires fonciers intéressés, et encore moins pour promouvoir l’idée de planter des arbres sur des terres cultivées moins productives. J’aimerais entendre M. Paul Arp ou M. Renaud.
M. Renaud : Pour revenir sur ce que M. Taylor a dit, l’initiative que nous avions proposée était de fournir lesdits experts. Elle a été rejetée.
Votre comité peut traiter cette question de deux façons. La première consiste à demander à Agriculture Canada et à Environnement Canada de répondre à cette question : comment se fait-il que nous ne connaissions pas l’empreinte carbone nette de l’agriculture au Canada? Pour ce faire, il leur faudrait connaître la superficie des terres couvertes d’arbres, et peut-être élargir le merveilleux programme de M. Arp, qui consiste à cartographier l’utilisation des terres dans tout le pays, et pas seulement au Nouveau-Brunswick, afin que nous puissions connaître les faits que nous pouvons mettre sur la table pour comprendre et prendre des décisions éclairées.
La deuxième, je pense que le comité peut se pencher sur la question de savoir pourquoi nous ne réaffectons pas les recettes de la taxe sur le carbone que nous percevons auprès des émetteurs de carbone afin d’inciter ceux qui séquestrent le carbone à le faire. Dès que l’on commence à encourager un exploitant agricole à séquestrer le carbone, devinez quoi? Il commence à planter des arbres. Il commence à réduire ses émissions. Pouvez-vous imaginer que si nous commencions à verser 100 000 $ à ce producteur laitier de Perth, comment ses voisins et les autres producteurs laitiers du Canada réagiraient? Ils sauteraient sur l’occasion. Ils voudraient plus d’arbres; ils chercheraient des moyens de réduire leurs émissions. Cela engendrerait un effet transformateur si étonnant qu’il en serait stupéfiant.
M. Taylor : Magnifique.
Le président : Je vous remercie. J’ai moi-même une question à poser. Vous avez ici quelqu’un qui a planté des milliers d’arbres sur son terrain et sur les propriétés voisines au cours des dernières années. Je les plante pour mes enfants et mes petits-enfants. C’est ce que nous faisons tous.
Dans le comté de Wellington, nous avons le programme Green Legacy, qui fournit sans frais des arbres à toute personne possédant une propriété de plus de deux acres. Connaissez-vous d’autres programmes de ce genre au Canada?
M. Renaud : Des arbres gratuits sont également disponibles de façon générale en Ontario. Il y avait un programme d’arbres gratuits qui a été supprimé, mais les propriétaires de terres agricoles ont demandé qu’il soit rétabli dans le budget provincial, et il l’a été. Ce programme est certainement populaire. C’est un mythe de croire que les agriculteurs n’aiment pas les arbres.
Le président : Merci.
M. Arp : Pour le Nouveau-Brunswick — cela vous intéressera peut-être—, nous avons maintenant un problème dans notre paysage en forme de hamac où nous cultivons la pomme de terre et où la perte de sol dure depuis des décennies. La mission consiste à trouver comment transformer les terres actuellement destinées à la culture de la pomme de terre en forêts et à trouver de nouvelles terres qui seront à nouveau productives pour la culture de la pomme de terre. C’est un problème qui doit être résolu et j’aimerais que vous en soyez conscients.
Le président : Merci. M. Renaud a parlé de l’Université de Guelph et de ses cultures en couloir. Monsieur Taylor, il y a environ deux ans que l’université a abattu tous ces arbres. Pour quelqu’un qui passe assez régulièrement par là, c’était agréable à voir parce qu’on savait, comme consommateur, qu’il s’y passait quelque chose, et on y faisait pousser des cultures et des arbres.
Avec tous ces arbres abattus, quel message cela envoie-t-il? Au début, je me suis demandé si ce qu’ils avaient fait au cours des 30 dernières années avait une valeur. Je suis heureux d’entendre qu’il y en a eu, ce que je savais. Quel message cela envoie-t-il à tous ceux qui passent par le chemin Victoria et qui voient ce champ maintenant, monsieur Taylor?
M. Taylor : Je connais les personnes qui ont mené ce projet. En fait, j’ai aidé à planter certains arbres qui s’y trouvaient. Andrew Gordon était un de mes collègues. Il est à la retraite et vit actuellement près du parc Algonquin. Je n’ai pas eu l’occasion de lui demander pourquoi les arbres avaient été abattus. M. Renaud est manifestement mieux informé des recherches récentes.
Je sais qu’ils ont fait énormément d’études sur le sujet, avec des thèses de maîtrise et de doctorat. Je pense qu’ils ont réalisé leurs objectifs. Ils ont utilisé un modèle de blocs aléatoires reconnu. J’ai essayé de les encourager à le faire d’une manière linéaire et plus ciblée, car cela aurait constitué un meilleur outil de vulgarisation si les mêmes espèces d’arbres avaient poussé le long des différentes courbes de niveau, mais cela ne répondait pas aux besoins de conception de l’expérimentation. Cela aurait était une bien meilleure vitrine et un meilleur argument pour montrer aux gens que si le chêne rouge était cultivé sur les collines, et si l’érable argenté était cultivé dans les terres basses et humides, et si le noyer noir était cultivé là où le sol est légèrement humide — dans des conditions simplement idéales pour lui —, on aurait observé une meilleure productivité et trouvé peut-être un meilleur argument pour le conserver.
D’autres facteurs ont dû entrer en jeu dans cette décision qui sont liés aux attentes en matière d’immobilier. Je ne peux que supposer et faire des conjectures, et j’espère que Paul Renaud en sait plus que moi. Je ne sais pas.
M. Renaud : Le terrain appartenait en fait à la province et non à l’université. Avec le changement de gouvernement, la province a voulu récupérer le terrain pour l’utiliser à des fins de lotissement. L’université devait abattre les arbres et remettre le terrain dans son état d’origine, ce qu’elle a fait.
Ce faisant, elle a maximisé l’utilité de la recherche. Elle a effectué une analyse complète de la biomasse. Les résultats de cette recherche viennent d’être publiés. Ils font état de gains fantastiques, car devinez quoi, les arbres poussent mieux dans des fermes parce qu’ils sont dans des fermes. Ils ne sont pas dans des environnements forestiers; ils sont dans des conditions propices à la croissance et il y a une relation synergique entre les cultures et les arbres. C’est gagnant-gagnant à tous les égards.
Cependant, ils ont été contraints d’abattre cette forêt. Ils ne voulaient pas le faire; ils voulaient poursuivre cette étude. Comme M. Taylor le souligne, nous aurions pu en tirer beaucoup d’autres enseignements.
Le président : Merci, monsieur Renaud. Vous avez répondu à ma question.
J’aimerais poser une brève question à M. Arp parce qu’il n’a pas eu l’occasion d’y répondre. Quelle recommandation souhaiteriez-vous voir figurer dans notre rapport final?
M. Arp : La recommandation qui a vraiment porté ses fruits est que des cartes de meilleure qualité permettent aux gens de mieux planifier. Si vous savez où faire pousser quels arbres et où établir quelles cultures pour la production agricole, et non seulement cela, mais aussi comment traiter les zones humides — pas tant la protection des zones humides, mais plus généralement la protection de la biodiversité ou l’élargissement des objectifs en matière de biodiversité —, cela serait fondamental pour nous permettre de rester durables et autosuffisants.
Le président : Merci infiniment. Nous avons pris note de vos trois suggestions.
La sénatrice Simons : Monsieur Arp, je voulais vous poser une question parce que vous avez mentionné que vous aviez fait une cartographie détaillée dans ma province, l’Alberta. Lorsqu’ils pensent à l’Alberta, beaucoup de gens pensent aux prairies et aux montagnes. Ils ne pensent pas à la forêt boréale ou aux vastes zones humides — les fondrières de mousse que nous appelons muskeg, ce qui est parfaitement descriptif. C’est un mot parfait pour décrire ce type de zone.
Dans votre cartographie de l’Alberta, qu’avez-vous appris sur les endroits où les forêts prospèrent et où les zones humides doivent être protégées? Quel est le meilleur scénario pour l’Alberta par rapport à la sylviculture et à l’arboriculture pour l’avenir?
M. Arp : C’est une question intéressante. Notre initiative en Alberta concernait la cartographie, à un mètre de résolution, de la zone verte, qui comprend environ 40 millions d’hectares. Elle avait l’appui du gouvernement provincial. Nous l’avons fait pendant plusieurs années, et ces données sont disponibles. Nous n’avons pas cartographié la zone agricole, ce qui aurait été très intéressant, à mon avis, du point de vue de l’agriculture et de l’agroforesterie. Cela reste donc à faire.
À titre d’information, nous facturions environ 10 cents par hectare pour faire ce travail. En même temps, nous avons appris à faire tellement plus avec notre cartographie que nous pourrions répondre aux questions que vous venez de soulever. Nous avons examiné la répartition particulière des zones humides par rapport aux forêts et à l’agriculture. Nous avons fait des incursions dans le parc provincial Dinosaur que je trouvais particulièrement intéressant à cartographier, mais c’est, en gros, en suspens.
La sénatrice Simons : Il s’agit du parc de Grande Prairie et pas celui dans le Sud de l’Alberta?
M. Arp : C’est cela.
La sénatrice Simons : Pouvez-vous me fournir un lien? Je ne sais pas si tout le monde au comité est aussi intéressé que moi, mais j’aimerais beaucoup en savoir plus sur vos découvertes.
M. Arp : Il y a un site Web. Je dois contacter ma personne-ressource au gouvernement de l’Alberta pour vous informer. Si vous pouvez m’envoyer une adresse courriel, je vous mettrai en contact.
La sénatrice Simons : Formidable.
J’ai une question pour M. Taylor et peut-être pour M. Renaud aussi. Quand nous parcourions l’Alberta et la Saskatchewan, nombre de témoins et de personnes qui ont comparu devant le comité nous ont dit que le système d’assurances pose un problème en ceci qu’il incite à cultiver des terres marginales. Il n’y a pas ce type de filet de sécurité pour les personnes qui remettent leurs terres en fourrages ou en pâturages.
Que pouvez-vous me dire au sujet des boisés et de l’arboriculture? Estimez-vous qu’il y a de meilleures assurances pour les personnes qui plantent du blé, du canola et du maïs que pour celles qui veulent passer à l’arboriculture ou y consacrer plus de terres?
M. Taylor : Je vais céder la parole. Je ne sais pas s’il existe des assurances pour faire pousser des arbres. Je dois reconnaître mon ignorance sur le sujet. Je suis désolé. Je ne sais pas s’il en existe.
M. Renaud : En tant que producteur de sirop d’érable, je sais pertinemment que l’assurance-récolte ne marche pas. Quand on perd un champ de maïs, l’assurance-récolte paie pour replanter ce champ de maïs ou de quoi que ce soit qu’on faisait pousser.
Le problème avec les arbres, c’est qu’ils produisent sur la durée de vie de l’arbre. Dans bien des cas, par exemple, il faut 50 ans pour établir une production de sirop d’érable à partir d’un arbre. Il arrive de perdre un arbre pendant une tempête. Ainsi, le derecho qui a frappé l’Ontario l’an dernier a détruit 3 % des érables de la province. D’après mes calculs, la perte économique avoisine les 300 milliards de dollars, mais aucune assurance ne couvrait cela parce que l’on n’assure pas sur la valeur sur la durée de vie. On assure seulement sur la valeur annuelle.
Les producteurs de sirop d’érable avaient assuré leur infrastructure, par exemple, les tuyaux qu’ils ont pu remplacer en une année, mais si vous perdez 22 000 érables, comme certains, vous perdez la moitié de votre gagne-pain pour 50 ans, et rien de cela n’était assuré.
La sénatrice Simons : Vous avez peut-être vendu cette année-là, mais pas pour le...
M. Renaud : Même pas.
La sénatrice Simons : Même pas autant que cela, eh bien!
M. Renaud : Même pas autant que cela. En fait, c’est le plus gros risque pour le sirop d’érable, et avec les changements climatiques — le fait que cela puisse arriver tous les ans. Si vous perdez 2 % de vos arbres par an pendant 50 ans, vous perdez 100 % de vos arbres avant même qu’ils commencent à produire de nouveau. Autrement dit, vous n’avez plus d’activité.
La sénatrice Simons : Incroyable. C’est très intéressant. Vous n’êtes certainement pas la première personne à demander pourquoi nous n’avons pas un marché du carbone viable. Nous avons rencontré des personnes dans tout le pays —de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Onlario— qui se demandent bien comment nous pouvons créer un vrai marché du carbone qui ne se contente pas de distribuer des bons points, mais qui permette littéralement de mettre des sous en banque.
Si vous deviez donner des conseils sur la façon de créer un marché du carbone qui fonctionne, à quoi ressemblerait votre marché du carbone idéal?
M. Renaud : J’y ai beaucoup réfléchi. Je dirais de cesser d’utiliser un marteau pour enfoncer une vis. Les crédits de carbone ne marchent pas. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système incitatif qui reconnaisse les services de séquestration et qui fasse un versement annuel. Cela fournit une trésorerie pour apporter des améliorations. Les frais généraux sont réduits parce que ce système peut être géré avec le soutien des différentes associations de produits agricoles afin de garantir que des pratiques exemplaires sont suivies et d’éviter tous les frais supplémentaires liés à la vérification.
Il existe une façon bien plus simple de procéder, si nous arrêtons de penser que les marchés du carbone sont la seule solution.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Oh : J’aimerais déplacer la question sur les peuples autochtones. D’après Ressources naturelles Canada, près de 5 % de la population s’identifie comme étant autochtone et près de 70 % des Autochtones vivent sur des terres forestières ou à proximité. De plus, la culture et l’économie de plus de 200 groupes linguistiques autochtones sont étroitement liées à la terre.
Quel rôle le savoir traditionnel autochtone joue-t-il dans la santé et la gestion des sols forestiers? Quelqu’un souhaite-t-il répondre?
M. Renaud : Je dirai, en tant que personne d’origine métisse, qu’une partie de l’initiative relative à l’agroforesterie que nous proposions était dirigée par des Autochtones pour cette raison même. Par exemple, les Algonquins de la vallée de l’Outaouais ont utilisé des arbres pour élever des chevaux depuis que les colonisateurs français leur en ont donné. Il y a beaucoup à apprendre sur la pratique de l’agroforesterie et la façon d’exploiter la valeur d’écosystèmes forestiers que nous commençons seulement à comprendre maintenant, et il y a une tonne de connaissances que nous aurions pu exploiter, si Agriculture Canada avait financé un vrai programme d’agroforesterie en Ontario.
Le sénateur Oh : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il faire un commentaire à ce sujet?
M. Arp : J’ajouterai quelque chose. À un moment donné, nous avons été intéressés en raison de contacts que nous avions avec des exploitations minières dans le Nord du Canada, notamment dans le Cercle de feu — je crois que c’est ainsi qu’on l’appelait. Nous avons essayé de travailler avec l’ONG de Lakehead dans les rapports avec les Premières Nations de la région. Cela semblait donc prometteur, mais ça n’a abouti à rien. Nous aurions beaucoup aimé cartographier la situation dans le Cercle de feu afin de pouvoir, peut-être, mieux organiser les activités qui ont mené à l’exploitation des ressources minières qui continue là-bas, mais rien ne s’est fait.
Nos communications et notre volonté d’aider les Premières Nations n’ont rien donné pour l’instant, mais peut-être que sera différent cette fois.
Le sénateur Oh : Pensez-vous que le savoir traditionnel autochtone peut être approfondi et mieux intégré dans le processus décisionnel?
M. Arp : Certainement.
Le sénateur Oh : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : Je reviens aux cadres. Pour les exercices 2019 à 2024, le département de l’Agriculture des États-Unis fournit une version actualisée de son Agroforestry Strategic Framework, c’est-à-dire son cadre stratégique agroforestier, pour les agriculteurs, les éleveurs et les propriétaires forestiers, et il mentionne ce que nombre d’entre vous ont dit à propos de la nécessité de communiquer, d’enquêter et d’intégrer comme étant les piliers.
Je suis particulièrement impressionnée par la déconstruction de mythes à laquelle s’est livré M. Renaud. J’aimerais en avoir un aide-mémoire, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
J’ai deux questions pour tout le monde. Premièrement, est-ce que le Canada devrait avoir de type de politique? Deuxièmement, en quoi l’élaboration d’un tel cadre servirait-elle la sécurité alimentaire?
M. Renaud : Je vous remercie. Nous devrions absolument avoir ce type de politique. Tout mon témoignage porte sur le fait qu’Environnement Canada et Agriculture Canada doivent dire franchement ce qu’il en est de la viabilité de l’agriculture et expliquer pourquoi nous ne sommes pas au courant. C’est parce qu’ils n’en ont pas fait assez. En en faisant plus, nous en découvrirons plus.
Le gouvernement américain est en train de prendre de l’avance sur nous. Ce qui est vraiment triste, c’est que, pendant ce temps, les produits agricoles canadiens sont présentés comme non durables, alors que ce devrait être le contraire.. Nous pourrions promouvoir les produits canadiens sur les marchés internationaux comme étant durables, exporter plus et avoir un tout autre discours sur le sujet. C’est à cause de l’absence de cadre stratégique et du manque de fonds pour l’agroforesterie et pour la recherche qui doit être faite pour combler toutes les lacunes que cela arrive. Il faut arrêter de penser à court terme.
La sénatrice Burey : La deuxième partie concernait la sécurité alimentaire.
M. Arp : Je peux répondre sur ce point. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick m’a contacté au sujet d’une cartographie du choix des cultures les mieux adaptées précisément afin de renforcer la durabilité alimentaire de la province. Je ne sais pas si ce genre de programmes existe ailleurs, mais je dirai que nous avons la chance ici de disposer de toute une somme d’information sur le site Web du gouvernement qui montre exactement ce que nous devrions faire et où. La Nouvelle-Écosse fait des efforts, et nous avons également travaillé avec l’Île-du-Prince-Édouard. Ce travail pourrait s’étendre à d’autres provinces aussi, notamment à celles qui font faire cette cartographie des élévations à haute résolution.
Je crois comprendre que les données sont maintenant disponibles sans frais pour presque tout le Sud du Québec, ce qui aide énormément à inventorier les terres et l’eau dans les activités que nous devons mener pour améliorer la situation.
La sénatrice Burey : Monsieur Taylor, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Taylor : Incidemment, travaillant depuis des années avec le personnel, des experts et des consultants du milieu forestier, je peux dire qu’avoir un cadre en place, comme l’ont dit MM. Renaud et Arp, permettrait d’apporter des réponses à ce que nous constatons tous. Nous avons des terres boisées qui sont loin d’être gérées. Bien souvent, elles sont exploitées de manière excessive, mais la plupart du temps, elles sont ignorées et négligées. Si elles étaient exploitées et que les gens en voyaient la valeur économique, si on les éduquait — autrement dit, si nous avions du personnel sur place ou d’autres moyens d’information pour aider les gens à apprendre combien les terres forestières sont durables d’un point de vue environnemental et complémentaires des pratiques agricoles —, si on examinait les zones riveraines, les champs où des rangées de barrages verts ont été supprimées et où des arbres ont été abattus parce que l’on élargissait les opérations de drainage des terres cultivées, par exemple, on s’apercevrait qu’il existe des zones pratiquement illimitées dans le Sud de l’Ontario, sans parler d’autres écosystèmes au Canada, où une forme d’agroforesterie pourrait compléter et renforcer la sécurité alimentaire, diversifier les revenus et améliorer l’environnement. Avec un tel cadre en place, on pourrait beaucoup faire à cet égard. Nous ne devrions pas tarder à nous pencher sur la question.
La sénatrice Burey : Je vous remercie.
Le président : Monsieur Taylor, monsieur Renaud et monsieur Arp, je vous remercie de votre participation. Votre passion transparaissait dans votre témoignage et vos réponses. Merci d’avoir parlé avec nous aujourd’hui. Vous pouvez rester des nôtres, mais je vous demanderai d’éteindre vos caméras.
Pour le deuxième groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, Ken Van Rees, professeur émérite, Sols forestiers, Université de la Saskatchewan —c’est un plaisir de vous revoir, monsieur Van Rees—; Raju Soolanayakanahally, chercheur scientifique, Agriculture et Agroalimentaire Canada; et Kevin Boon, directeur général, British Columbia Cattlemen’s Association.
Je vous invite à présenter vos observations préliminaires. Nous parlerons dans l’ordre où je vous ai présentés. Monsieur Van Rees, vous avez la parole.
Ken Van Rees, professeur émérite, Sols forestiers, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Je vous remercie.
Le président : Vous disposez de cinq minutes et je vous ferai signe quand il vous restera une minute. Je vous remercie.
M. Van Rees : Je remercie, de nouveau, le comité de me permettre de présenter mes idées. Je suis professeur à la retraite de l’Université de la Saskatchewan et ancien directeur du Center for Northern Agroforestry and Afforestation du collège d’agriculture de la même université.
Depuis 20 ans, je travaille sur les systèmes agroforestiers. M. Taylor a mentionné plusieurs systèmes, mais je connais surtout les systèmes brise-vent, comme les rideaux d’arbres ou bandes boisées, qu’ils se trouvent dans des champs ou dans des cours de ferme, les systèmes de production de biomasse, comme les saules et les peupliers hybrides. J’ai beaucoup travaillé aussi sur la culture forestière et des systèmes de production comme la culture de peupliers hybrides dans de grandes plantations.
J’aimerais parler brièvement de l’impact sur la santé des sols et d’une partie du travail que nous faisons avec mes étudiants de cycle supérieur. Comme il a déjà été dit, les arbres font ceci de très important pour les systèmes agricoles qu’ils augmentent les réservoirs de matière organique du sol. Un de mes étudiants qui examinait 60 arbres de bandes boisées et les champs agricoles adjacents a constaté la présence de 6 à 38 mégagrammes de carbone supplémentaires par hectare dans les arbres qui poussaient sur les terres agricoles. Prenez le nombre de bandes boisées en Saskatchewan, nous en avons mesuré environ 61 000 kilomètres qui ont été plantées au cours des 100 dernières années. Avec une telle quantité, beaucoup de carbone a été ajouté au sol. De plus, il y a beaucoup de carbone produit en surface.
En ce qui concerne certaines plantations de peupliers hybrides —et je sais qu’un sénateur vient de l’Alberta—, Al-Pac avait un programme important de culture de peupliers hybrides pour sa scierie, mais au cours des 16 années où nous avons mesuré nos plantations, nous avons constaté des taux de croissance de trois à quatre fois supérieurs à ceux de la forêt boréale en Saskatchewan. Il y a un gros potentiel de production de carbone en surface, avec toutefois une incidence sur la matière organique du sol souterraine.
Nous avons pu, par ailleurs, constaté que les bandes boisées réduisent aussi les émissions de gaz à effet de serre. Un de mes étudiants —je parlerai de ses travaux— qui travaillait sur le modèle Holos mis au point par Agriculture et Agroalimentaire Canada a examiné sur 60 ans des exploitations agricoles où 5 % de l’exploitation était plantée d’arbres et il a constaté une réduction des gaz à effet de serre allant de 8 à 23 %, selon les essences plantées sur l’exploitation.
Si vous voulez en savoir plus sur la quantité de carbone séquestrée, nous avons deux sites Web que je mentionne dans la documentation que nous avons envoyée au comité. Un de ces sites est plus scientifique et l’autre, plus général, mais vous pouvez entrer un nombre de kilomètres de bandes boisées pour obtenir la quantité de carbone qui y est accumulée.
Par ailleurs, à propos de la santé du sol, nous pensons aux sols salins en Saskatchewan. Nous en avons environ quatre millions d’hectares, et nous avons fait des recherches pour savoir quelles essences pousseraient dans ces conditions. Un étudiant qui s’intéressait aux saules a trouvé des variétés capables de survivre dans des sols très salins. Il existe un autre moyen d’essayer de réhabiliter ces systèmes édaphiques.
Des personnes ont parlé des avantages économiques et environnementaux. Je ne le ferai pas. Je parlerai plus des obstacles qui empêchent les producteurs agricoles d’adopter des pratiques agroforestières. Nous savons tous qu’il est très coûteux d’installer ces systèmes, surtout dans l’Ouest du Canada. Nous avons constaté que planter des peupliers hybrides revenait à 1 000 $ par hectare. Là encore, c’était il y a 15 ans. Et si on installe un système de production d’énergie à partir de la biomasse, on parle d’au moins 1 500 $ par hectare, et le coût principal dans tout cela, c’est la matière. Le plus coûteux, c’est de trouver la matière végétale à planter.
La fermeture du Centre des brise-vent de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies à Indian Head a porté un rude coup à l’agroforesterie dans l’Ouest du Canada et dans tout le Canada. Quand c’est arrivé en 2012, il est devenu très difficile d’encourager les pratiques agroforestières dans tout le pays.
Trouver des essences, le coût de la plantation et de la gestion des mauvaises herbes, tout cela est loin d’être facile, comme essayer de faire avancer ce genre de projet.
Je terminerai par ceci : les agriculteurs de l’Ouest du Canada ont souvent une mentalité traditionnelle qui leur fait dire qu’ils se sont débarrassés d’arbres toute leur vie, et il est difficile maintenant d’essayer de les convaincre de replanter des arbres. Il faut notamment les aider à comprendre les services et les avantages écologiques et mieux les informer sur les pratiques agroforestières.
Je dirai enfin qu’au cours de mes 20 années de recherche sur le sujet, personne à Agriculture Canada et à Ressources naturelles Canada ne voulait prendre la responsabilité de faire pousser des arbres sur des terres agricoles. Nous devons régler ce problème. Or, le Centre des brise-vent de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies était un élément essentiel à cet égard.
Le président : Je vous remercie, monsieur Van Rees.
La parole est maintenant à M. Boon.
Kevin Boon, directeur général, BC Cattlemen’s Association : Je vous remercie de l’invitation et de la possibilité que vous m’offrez de vous présenter mes observations aujourd’hui. Je représente la BC Cattlemen’s Association, qui regroupe environ 1 100 éleveurs de bétail de la Colombie-Britannique qui gèrent environ 85 % du bétail de la province.
Personnellement, j’ai été éleveur de la troisième génération en Alberta jusqu’en 2009, année où j’ai accepté le poste de directeur général de la BC Cattlemen’s Association, ce qui m’a amené à m’installer en Colombie-Britannique. J’ai passé toute ma vie dans l’agriculture et l’élevage, où je dépends de la santé du sol pour me faire vivre.
Je veux vous parler de l’importance de la gestion de l’eau et des terres et de son incidence sur la santé du sol du point de vue de la production. Je parlerai un peu des réalités auxquelles nous faisons face à cause de certains des incendies catastrophiques que nous connaissons depuis 2017.
En Colombie-Britannique, environ 85 % des terres sont des terres de la Couronne. Nous utilisons environ 22 millions d’hectares de ces terres de la Couronne comme pâturages en été pour répondre aux besoins en fourrage du bétail que nous élevons. En fait, nous les utilisons et nous devons les gérer comme en agroforesterie. Cependant, cette responsabilité, parce qu’il s’agit de terres de la Couronne, incombe au gouvernement provincial et une grande partie est gérée par voie de règlement et pas nécessairement en s’appuyant sur la science. Nous y voyons quelques problèmes.
Le défi que représente la gestion de ces terres remet parfois en question des initiatives telles que le programme 2 milliards d’arbres, qui a été mis en œuvre sans réfléchir à ses effets sur la biodiversité et le paysage dans des régions comme la Colombie-Britannique, où il est géré principalement par voie de règlement. Au fond, cela nous amène à nous demander quel est le but recherché entre les arbres et s’il y en a un.
Sur les flancs de montagne en Colombie-Britannique, les arbres font partie intégrante d’un paysage sain, mais seulement s’il y a un équilibre. Nous avons créé un état d’esprit dans lequel l’arbre sera la réponse ultime aux changements climatiques en raison de sa capacité de stockage de carbone. C’est une très bonne façon de stocker du carbone. Nous savons que si l’arbre est coupé à maturité et transformé en bois d’œuvre, le carbone y sera stocké pendant la vie du produit, mais quand l’arbre est consumé par le feu, le carbone est libéré rapidement et contribue à nos problèmes climatiques.
En 2017 et 2018, les feux de forêt auraient rejeté à eux seuls dans l’atmosphère plus de trois fois la quantité annuelle moyenne de gaz à effet de serre produite en Colombie-Britannique. Les arbres ne sont bons pour stocker du carbone et améliorer la santé des sols et de l’atmosphère que si ce carbone y reste stocké. Le stockage dans le sol est une des formes les plus sûres.
Le pâturage entre les arbres et dans les prairies contribue utilement à la séquestration du carbone. Il y a généralement une corrélation dans le rapport tige-racine d’une plante. Plus les racines vont profond, plus nous pouvons séquestrer de carbone. Si la tige ne monte pas assez, la racine sera courte. Si la tige est trop longue, la racine rapetisse. En gérant la croissance de la tige, nous pouvons gérer la racine et sa capacité de stocker du carbone.
Voyons maintenant l’autre aspect du feu qui est bien plus lourd de conséquences pour la santé du sol et qu’il faut examiner pour savoir comment gérer les terres après le passage du feu. À l’heure actuelle, après un feu, on cherche surtout à planter autant d’arbres que possible, aussi vite que possible. Nous sommes d’accord qu’il est impératif de reconstituer la végétation dans le paysage, et les arbres font partie de la stratégie à long terme, mais pour ce qui est d’un avantage immédiat, il ne sera pas aussi important après un feu qu’il faudrait.
Cependant, un programme de semis de fourrage après le passage du feu sera beaucoup plus bénéfique pour le rétablissement de la santé du sol pour un certain nombre de raisons. Il se produit deux choses aussitôt après un incendie : premièrement, toute une quantité de nutriments devient disponible et, deuxièmement, le sol devient hydrophobe. Quand ces deux choses arrivent sans la présence de semis qui puissent profiter des nutriments, la nature répulsive du sol brûlé permet à l’eau d’emporter les nutriments, laissant un sol sec, instable et en mauvaise santé.
Un ensemencement précoce permet au sol de devenir plus absorbent grâce à l’aération naturelle de la croissance végétale, ce qui permet aux fourrages de profiter de l’afflux de nutriments et favorise l’établissement d’une végétation, ce qui retardera l’infestation de mauvaises herbes et stabilisera le sol afin de prévenir l’érosion et de pouvoir utiliser les fourrages.
Je conclurai rapidement en disant que la santé du sol et de l’eau doit faire partie des grandes priorités et que nous devons examiner des moyens de prendre en compte l’adaptation de la rétention du sol et de l’eau après un incendie légèrement différents peut-être de ce que nous examinons actuellement. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Boon.
Il semble que nous ayons eu des problèmes de connexion avec notre troisième témoin; nous l’entendrons donc une autre fois, soit en personne, soit par vidéoconférence, ou encore au moyen d’un mémoire écrit.
Nous passons aux questions. Sénatrice Simons, vous avez la parole.
La sénatrice Simons : Monsieur Van Rees, j’ai posé une question au groupe précédent au sujet de l’assurance qui dissuade les agriculteurs de planter des arbres de culture commerciale. Lorsque vous parlez de la Saskatchewan et de la plantation non seulement de brise-vent, mais aussi d’arbres qui pourraient avoir une autre valeur commerciale, voyez-vous le même problème lié aux programmes d’assurance, à l’incitation à planter du canola sur des terres marginales et à ne pas faire l’expérience du fourrage ou des cultures arboricoles commerciales dont vous parlez?
M. Van Rees : Je ne suis pas un expert de l’assurance, mais la principale revendication des agriculteurs est la suivante : « Si je le fais, ça représente beaucoup d’argent au départ pour établir ces plantations et ces arbres. » C’est un engagement de cinq ans avant d’arriver à la fermeture de la couronne pour ce qui est des soins ainsi que du contrôle des mauvaises herbes. Une fois la couronne fermée, il n’y a plus à s’en préoccuper, mais je ne connais aucun programme qui inciterait les agriculteurs à faire ce dont on parle. Comme on le sait, le coût de la plantation est énorme, et maintenant qu’il n’y a plus d’approvisionnement en arbres, c’est encore plus difficile de le faire.
La sénatrice Simons : Même si je suis Albertaine et originaire d’une province des Prairies, j’ai été choquée lorsque notre comité s’est rendu en Saskatchewan cet été et a constaté le degré de salinité de certains champs. Pouvez-vous nous expliquer comment les saules pourraient avoir la capacité de remettre en état et peut-être de dessaler une partie de ce sol ou au moins de réduire le stress causé par la salinité?
M. Van Rees : Je sais que Raju Soolanayakanahally a participé à un projet à Indian Head. Il s’agit plutôt de trouver des espèces capables de tolérer la teneur élevée de sel dans le sol. Je ne veux pas entrer dans la physiologie, mais il y a des espèces qui sont capables de tolérer des quantités élevées de sel, de survivre et de grandir.
Si vous êtes en mesure de le faire, c’est que vous disposez d’une sorte de couvert. Peut-être que sur une longue période, en ce qui concerne la quantité de pluie et d’autres choses, il est possible de commencer à éliminer une partie de ces sels. Encore une fois, cela dépend de la façon dont les sels sont arrivés là, en fonction des processus hydrologiques dans les différents endroits, mais le sel est un gros problème.
Si l’on pense à l’énergie de la biomasse, et le saule est une culture qui s’y prête bien, il faut aussi une industrie pour prendre ce matériau et en faire quelque chose. C’est ce qui a fait la beauté du projet d’Indian Head. Le Centre des brise-vent de l’ARAP était équipé d’une centrale au bois pour chauffer les serres et d’autres bâtiments, et c’était une très bonne occasion de montrer ce que l’on peut faire dans ce genre de situation.
La sénatrice Simons : Monsieur Boon, si quelqu’un fait paître son bétail sur la réserve de terres forestières de la Couronne, quel est l’impact du bétail sur la santé de la forêt elle-même? Nous avons entendu beaucoup de témoignages de personnes qui nous ont dit qu’un bon pâturage des prairies les aidait à rester en bonne santé et à séquestrer le carbone. Pouvez-vous nous parler un peu du rôle des vaches dans les forêts? Si elles mangent tous les petits arbres au sol, est-ce que c’est bon pour le sol de la forêt?
M. Boon : Merci de cette question. En fait, le bétail ne mange pas et n’aime pas vraiment manger les arbres, donc là n’est pas le problème. Si les jeunes plants ne sont pas protégés, le bétail peut les piétiner. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous gérons nos terrains boisés. En Colombie-Britannique, nous avons un système de boisés et les éleveurs en sont les principaux gestionnaires. Ils font ce que nous appelons de la « plantation par obstacles », c’est-à-dire qu’ils utilisent des obstacles pour planter les arbres.
Il y a une différence entre l’agroforesterie et l’exploitation forestière. Les sociétés forestières le font strictement pour la sylviculture. Leur objectif est de respecter une réglementation, et il s’agit d’obtenir en fin de compte autant de tiges vivantes que nécessaire. Il peut y avoir d’autres problèmes à ce niveau.
Dans l’ensemble, ils n’ont aucun problème à obtenir les 1 200 tiges par hectare qu’ils sont tenus d’avoir dans ce paysage avec le bétail qui s’y trouve.
La sénatrice Simons : Lorsque vous dites que vous érigez des barrières dans certains cas, est-ce pour que le bétail ne puisse pas aller ici ou là?
M. Boon : Non, nous utilisons des barrières naturelles. Nous utilisons des rochers, des racines et des souches. Nous utilisons la topographie existante.
Les bovins ne sont pas les animaux les plus dynamiques. Ils recherchent la source de nourriture la plus facile à trouver. Si nous leur rendons la tâche un peu plus difficile, la survie des arbres s’en trouve améliorée.
La sénatrice Simons : Je suppose que la gestion de la santé de ces forêts est très importante pour la gestion de l’approvisionnement en eau?
M. Boon : L’une des choses que nous avons constatées avec les incendies ici, c’est que nous perdons le couvert ou la croissance, et il faut 20 à 30 ans pour que la croissance des conifères — les sapins et les épinettes — atteigne un point où ils retiennent le manteau neigeux afin que la crue n’avance pas si rapidement. C’est un des principaux aspects.
Si nous avons trop d’arbres et que la croissance est trop dense — c’est là que l’on se heurte à des problèmes lorsque l’on ne gère pas correctement les choses —, la neige n’atteint jamais le sol. Elle reste accrochée aux branches et il y a évaporation avant que la neige n’atteigne le sol. Il s’agit de créer l’équilibre dont nous avons besoin dans le système pour progresser.
La sénatrice Simons : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : Bonjour. Je vous remercie de votre présence. Nous avons pu visiter la Saskatchewan et l’Alberta cette année pour notre étude, et c’était merveilleux.
Ma question est celle que j’ai posée au groupe précédent. Comme vous le savez, le ministère de l’Agriculture des États-Unis publie, pour les années fiscales 2019-2024, un cadre stratégique agroforestier actualisé à l’intention des agriculteurs, des éleveurs et des propriétaires forestiers, et notamment des politiques sur des sujets tels que la sensibilisation de tous les propriétaires fonciers et toutes les collectivités, l’étude de la science et de la technologie de pointe, l’intégration des renseignements et de la recherche, et d’autres encore.
Le Canada devrait-il produire un tel cadre stratégique? Deuxièmement, ce cadre faciliterait-il la durabilité de la production alimentaire et la sécurité alimentaire?
M. Van Rees : Absolument. Je pense qu’il est très important que le Canada ait une telle politique. J’ai essayé pendant 20 ans de développer une industrie agroforestière en Saskatchewan et je n’ai pas réussi parce que je n’avais pas le soutien du gouvernement provincial. Je pense que le fait que le gouvernement fédéral fasse une telle chose, incorporer des arbres dans les paysages agricoles, est merveilleux. Au cours des années 1880, le gouvernement avait projeté de planter des arbres sur un tiers des Prairies. Cela ne s’est jamais concrétisé, parce qu’il n’y avait pas assez d’arbres, mais à mon avis, il faut que le gouvernement crée une stratégie afin que les choses avancent.
Cela ne règle pas tout, mais je pense que c’est un élément important de votre question sur la sécurité alimentaire. Si nous en sommes au stade où nous perdons des brise-vent pour une raison ou une autre, cela a un impact sur l’érosion éolienne et l’érosion des sols, sur la qualité de l’eau, et tous ces éléments ont un impact sur la durabilité de la production alimentaire. C’est un élément très important qui pourrait être bénéfique pour les agriculteurs et les producteurs.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup. J’ai aimé aussi ce que vous avez dépeint.
M. Boon : Je suis tout à fait d’accord. Nous avons besoin d’une stratégie. L’un des plus gros problèmes que nous rencontrons est que nous ne créons pas de stratégie pour l’ensemble du paysage ou pour l’ensemble du plan. Nous créons des monostratégies qui portent sur une chose ou une autre. L’avantage de l’agroforesterie, c’est que nous sommes en mesure d’en examiner plusieurs aspects.
Si je prends la Colombie-Britannique, où nous avons très peu de terres arables pour l’agriculture, nous ne pouvons pas prendre les flancs de montagne et planter du canola. Nous devons compter sur le fourrage et les arbres de ces flancs de montagne, qui sont d’excellents producteurs de ces deux éléments. Si nous gérons cela correctement, et si cette gestion intègre un plan complet du bassin hydrographique — et c’est l’un des problèmes avec les incendies —, nous pourrons y arriver. Ne sacrifions pas les bonnes leçons de cette crise.
En parlant de tableau, je considère que les incendies ont créé une toile vierge. La manière dont nous la peindrons déterminera ce à quoi la région ressemblera dans 50 ou 80 ans. C’est à nous qu’il incombe de le faire. Nous avons perdu des millions d’hectares de terres au cours des cinq ou six dernières années, avec tout ce qui y poussait. Nous avons maintenant la possibilité d’étudier sérieusement ce que nous allons faire et d’appliquer la science et les connaissances dont nous disposons pour peindre cette toile correctement.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup.
Le président : Merci. J’ai quelques questions à poser. Tout d’abord, pour vous deux, à la fin de cette étude, nous rédigerons un rapport qui comprendra un certain nombre de recommandations. Si c’est vous qui teniez le stylo, quelles recommandations rédigeriez-vous?
M. Van Rees : La première chose est de savoir quelle sera l’entité responsable. Est-ce Agriculture et Agroalimentaire Canada? Est-ce Ressources naturelles Canada? Personne ne sait qui chapeaute cela. Je pense qu’il faut définir clairement qui est responsable de l’agroforesterie sur les terres agricoles. Cela aidera énormément les agences gouvernementales à savoir ce qu’elles peuvent faire et ce qu’elles ne peuvent pas faire. Il faut qu’il y ait une coopération entre les deux. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas eu, mais je pense qu’il faut clairement définir qui est responsable et qui a produit le programme. Je pense que ce serait très utile.
Le président : Merci.
M. Boon : Je suis d’accord. Nous devons penser à ce dont nous aurons besoin à l’avenir. Nous devons créer un équilibre. Nous ne pouvons pas avancer sans créer un environnement biodiversifié, et l’agroforesterie permet les deux. Nous devons examiner les autres éléments de la composition. Qu’en est-il des insectes, des larves, des écureuils et tout cela, et en quoi contribuent-ils? Lorsque j’y pense, je me dis que lorsque l’on contrôle le stylo, il faut examiner tout l’éventail. J’ai l’impression que c’est ce que vous faites ici aujourd’hui et dans vos exposés précédents.
Il faut tenir compte de l’expérience de ceux qui sont sur le terrain. Je parle en tant qu’agriculteur et je pense que nous avons beaucoup à offrir, tout comme les Premières Nations qui ont eu cette capacité dans le passé, mais il y a aussi une raison pour laquelle notre rétroviseur est si petit et notre pare-brise si grand. Nous devons utiliser ce que nous voyons dans le rétroviseur pour nous propulser vers l’avenir, mais nous devons aussi planifier celui-ci. C’est là que les connaissances acquises aujourd’hui permettront une planification de ce que nous ferons à l’avenir.
Le président : Merci beaucoup de ces sages paroles.
M. Van Rees : Ce qui est important, c’est qu’au cours des 100 dernières années, beaucoup d’arbres ont été plantés au Canada. Je ne pense pas que nous ayons vraiment reconnu ou apprécié tout le travail qui a été fait au cours des 100 dernières années par diverses agences pour que cela se produise et les avantages que cela a représentés pour les Canadiens.
À l’avenir, qu’il y ait des agences comme le Centre des brise-vent de l’ARAP, quelle que soit la forme que cela prendra, je pense qu’il est important non seulement de reconnaître les avantages que nous avons eus dans le passé, mais aussi de réfléchir à la façon dont nous ferons avancer les choses à l’avenir.
Le président : Encore de sages paroles. Merci, monsieur Van Rees.
Plus précisément, réfléchissons aux incitatifs. Comment le gouvernement fédéral devrait-il inciter les forestiers et les agroforestiers à adopter des pratiques durables à l’avenir, en pensant à la gestion du carbone des sols et tout le reste. Des incitatifs précis. Qu’en pensez-vous?
M. Boon : J’ai trouvé très intéressant d’écouter l’exposé de M. Renaud, qui nous a précédés. Je suis d’accord avec lui. Le programme actuel des crédits de carbone ne nous incite guère à agir, et il rend les choses très difficiles.
Il nous oblige notamment à modifier nos pratiques pour pouvoir en bénéficier, sans reconnaître les avantages que nous apportons dès à présent. Bien sûr, je me suis toujours intéressé au fourrage. Je dois nourrir les animaux. La valeur de séquestration de ce fourrage est énorme, mais nous devons avoir les arbres, nous devons avoir cet équilibre pour y parvenir, comme nous l’avons souligné. Comment inciter à avoir la forêt et les arbres? Tout dépend de l’objectif que l’on se fixe entre ces arbres et la manière dont on s’y prend.
Il est difficile de dire que nous avons besoin de cet incitatif d’une part quand on voit ce qui se passe d’autre part, les gens qui achètent des crédits et les utilisent pour mal agir. Il faut trouver des moyens de créer cet équilibre.
Ce sont des personnes bien plus intelligentes que moi qui pourraient comprendre le système en place. Je n’ai pas vraiment l’impression que le système de crédits fonctionne, et il faut absolument déterminer comment payer pour ce qui est déjà fait lorsque ce qui se fait est peut-être ce qu’il y a de plus bénéfique.
M. Van Rees : Je suis d’accord. J’ai parlé à quelques économistes agricoles de notre université de ce qui se passe aujourd’hui. Il existe quelques petits programmes pour les meilleures pratiques de gestion en incorporant les arbres, le bétail ou la qualité de l’eau, mais ce qui compte, c’est l’approvisionnement en arbres. Le fait qu’il n’y ait pas d’approvisionnement gratuit en arbres a modifié l’opinion des agriculteurs sur ce qu’ils veulent faire. Le programme des brise-vent, qui fournit gratuitement des arbres aux agriculteurs, a été un énorme avantage. Sans cela, je ne sais pas comment on avance, parce que les arbres sont l’élément clé en ce qui concerne l’approvisionnement, et qu’il faudra disposer d’un nombre suffisant d’arbres de différentes espèces. Dans 60 ans, quels seront les meilleurs arbres si nous pensons à la séquestration du carbone, quels sont les arbres qui pousseront le mieux, et avec le changement climatique?
La sélection des arbres est très importante pour l’avenir. Il sera essentiel de disposer d’une réserve de ces arbres pour mettre en place un programme d’agroforesterie dans l’ensemble du Canada.
Le président : Merci.
La sénatrice Simons : Il est intéressant de noter que l’un des thèmes que nous avons entendus à maintes reprises dans notre étude est qu’il n’y a pas suffisamment de partage de renseignements et de données sur la santé des sols et la cartographie des sols.
Mais toute cette conversation me fait penser à un nouveau défi. Lorsqu’on pense aux producteurs de canola, de maïs ou de lait, il est vrai que les conditions sont différentes d’une province à l’autre, mais je ne sais pas si elles sont aussi radicalement différentes qu’elles le sont dans le cas de l’agroforesterie.
Si vous œuvrez en agroforesterie dans le nord de l’Alberta, c’est complètement différent que si vous le faites au centre de la Saskatchewan. Il en va de même si l’on cultive des arbres fruitiers en Colombie-Britannique ou des noyers ou des érables en Ontario pour la production de sirop.
Je me demande, pour les gens de l’agroforesterie, si vous avez un comité, un groupe de pression, un moyen d’échanger des renseignements, ou si vous faites tous des choses tellement différentes que vous n’avez pas de point de rencontre commun.
M. Boon : Je serai le premier à répondre à cette question. Je dirais que non, nous n’avons pas de point de rencontre commun, si ce n’est certains de nos chercheurs. Les chercheurs sont d’excellentes personnes autour desquelles se rassembler, car ils ont tendance à examiner les différents angles et à chercher des solutions en dehors de la norme. C’est ce que nous avons tendance à faire.
Lorsque nous examinons certaines choses ici, en particulier en Colombie-Britannique — parce que vous avez tout à fait raison — l’agroforesterie est totalement différente d’un endroit à l’autre. Dans les Prairies, si nous avions un peuplement de saules, nous en prenions soin avec respect parce que c’était le seul arbre que nous pouvions faire pousser, alors qu’ici, en Colombie-Britannique, à certains endroits, c’est presque comme une mauvaise herbe parce qu’il nous gêne.
C’est là qu’interviennent les associations de propriétaires de bois qui réunissent des personnes qui gèrent ce bois. Souvent, ce sont des éleveurs qui s’en chargent, parce qu’ils ont peut-être la tenure de terres de la Couronne. Ils gèrent donc le bois à plus d’un titre. On en revient à la notion de monoculture. Si l’on gère pour un seul objectif, on ne s’associe pas bien avec les autres. Il est un peu plus difficile de se regrouper sur le thème unique de l’agroforesterie, car nous le faisons tous différemment et ce ne serait pas aussi défini que certaines des autres associations que nous pourrions représenter.
La sénatrice Simons : Très bien.
M. Van Rees : Je reconnais que nous avons proposé à un moment donné la création d’un comité sur l’agroforesterie à l’échelle du Canada, mais cette proposition n’a jamais été financée lorsque nous l’avons présentée au gouvernement fédéral. À l’époque du PLGESA, le Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture, le Centre des brise-vent d’Indian Head était le centre de tous les renseignements concernant l’ensemble du Canada, qu’il s’agisse de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, du Québec ou d’autres régions. C’était en quelque sorte la plaque tournante où aboutissaient de nombreux renseignements. Il disposait également d’un excellent programme de vulgarisation pour diffuser les renseignements.
Il est clair qu’il n’y a pas de groupe cohérent dans tout le pays qui parle d’agroforesterie. À vrai dire, beaucoup d’entre nous qui travaillaient en agroforesterie ont pris leur retraite, et c’est donc une bataille difficile à mener. Mais ce serait bien d’avoir une sorte de centre national, comme il en existe un aux États-Unis à Lincoln, au Nebraska, pour faire ce genre de travail.
La sénatrice Simons : Nous allons avoir une liste de choses à faire assez longue. Je vous remercie. J’ai eu la chance, en décembre dernier, d’assister à une grande conférence à Edmonton qui regroupait deux conférences, l’une sur la santé des sols et l’autre sur les pâturages. Elle a rassemblé des personnes fascinantes de tout l’Ouest, des quatre provinces de l’Ouest et de certains États de l’Ouest, pour parler de la santé des sols et de pâturages. Je ne sais pas s’il existe quelque chose de semblable pour l’agroforesterie, ou êtes-vous chacun seul dans sa forêt?
M. Van Rees : En fait, dans le cadre du PLGESA, lors de la première phase, nous nous sommes réunis à titre de chercheurs pour parler de nos résultats, ce qui s’est révélé utile. Au cours de la deuxième phase du PLGESA, il n’y avait pas d’argent pour ce genre d’occasions, ce qui a vraiment entravé le programme. En tant que chercheurs, comme l’a dit M. Boon, nous avons toujours conversé. Je connaissais les gens de l’université de Guelph, du Québec, de l’Alberta et d’ailleurs. En tant que chercheurs, nous nous parlions toujours, mais il n’y avait pas de programme national recueillant tous les renseignements sur l’agroforesterie.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui.
Le président : Nous n’avons plus de questions. Puisqu’il nous reste un peu de temps, je vais donner le dernier mot à chacun de nos témoins. Y a-t-il des idées que vous aimeriez nous laisser, messieurs les témoins? Vous avez le dernier mot avant que nous mettions fin à la séance.
M. Van Rees : Je vous remercie infiniment de m’avoir donné l’occasion de parler de l’agroforesterie. Je pense que c’est une pratique très importante dans l’agriculture. Malheureusement, elle n’a pas pris racine comme elle l’a fait dans d’autres pays. Mais je continue de penser qu’il s’agit d’une pratique importante qui pourrait être gérée ici au Canada : nous avons simplement besoin d’une sorte d’agence centrale pour superviser et lancer le processus, mais il y a beaucoup d’intérêt envers cette pratique. Il y a de nombreux agriculteurs qui aimeraient incorporer des arbres dans leurs systèmes. Nous avons simplement besoin de quelque chose qui lance le processus. Je pense que c’est une partie importante du Canada et de notre histoire canadienne.
En passant, Bill Schroeder, qui travaillait au Centre des brise-vent de l’ARAP à Indian Head, vient d’écrire un livre intitulé Trees Against the Wind. Il s’agit de l’histoire des brise-vent dans l’Ouest canadien, un livre très intéressant qui vient d’être publié par Nature Saskatchewan. Si le sujet des arbres vous intéresse, c’est un excellent livre.
M. Boon : Tout d’abord, je suis très heureux d’avoir eu l’occasion de m’exprimer. Deuxièmement, d’une certaine manière, je vous envie votre travail, car vous avez l’occasion d’apprendre différents aspects de ce dont nous parlons ici aujourd’hui, principalement l’agroforesterie, et ce, dans tout le pays.
J’ajouterais que nous oublions parfois que l’eau est l’élément le plus important de l’agriculture et de la sylviculture. Ken Van Rees a beaucoup parlé de l’ARAP, l’Administration du rétablissement agricole des Prairies. J’aimerais beaucoup que l’ARAP soit rétablie. J’ai grandi à une époque où l’ARAP était très active dans les Prairies. Il y avait beaucoup de bons programmes, pas seulement pour la sylviculture et les arbres, mais aussi pour l’eau et le stockage de l’eau. Si nous pouvons créer ces terres riveraines et que le stockage nous permet de faire des choses comme cultiver des saules dans les Prairies, ici, en Colombie-Britannique, nous avons alloué toute l’eau dont nous disposons. Nous devons maintenant la stocker et la gérer en conséquence, car nous ne pouvons pas faire pousser les arbres, le fourrage ou les cultures si nous n’avons pas cette eau et cette gestion.
Nous devons tenir compte de l’eau dans tout ce que nous faisons, quel que soit le type d’agriculture, quel que soit le domaine considéré. Si nous voulons la sécurité alimentaire, nous devons nous en préoccuper. Quant à la gestion des sols, nous devons la cartographier, la planifier, l’équilibrer et nous assurer que l’eau figure dans tout cela.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Van Rees et monsieur Boon, de votre participation aujourd’hui. Nous vous sommes profondément reconnaissants de l’aide que vous nous apportez pour notre étude. Monsieur Boon, profitez bien de votre steak au déjeuner.
Je voudrais également remercier les membres du comité pour leur participation active et leurs questions réfléchies. Je voudrais prendre un moment, comme je le fais toujours, pour remercier le personnel qui nous soutient : les interprètes, l’équipe des débats, les transcripteurs, le préposé à la salle des comités, les techniciens des services multimédias, l’équipe de radiodiffusion et le centre d’enregistrement, la DSI et, bien sûr, nos pages.
Notre prochaine réunion aura lieu le mardi 7 novembre, à 18 h 30, quand nous continuerons à entendre des témoins concernant l’étude du comité sur la santé des sols.
S’il n’y a pas d’autres questions, honorables sénateurs, je déclare la séance levée.
(La séance est levée.)