LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-275, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux (biosécurité dans les exploitations agricoles); et à huis clos pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, tout le monde. Je suis heureux de vous voir. Je rappelle à toutes les personnes dans la salle et aux témoins de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices sur l’utilisation des casques d’écoute et des microphones et sur la prévention des incidents de rétroaction acoustique. Je vous saurais gré d’y jeter un coup d’œil afin de protéger nos collègues qui s’occupent de la transcription et d’autres activités. Je vous remercie pour votre coopération.
Pour commencer, j’aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux personnes qui regardent la réunion sur le Web. Mon nom est Robert Black; je suis un sénateur de l’Ontario et le président du comité. J’invite les sénateurs à se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Simons : Bonjour, je suis la sénatrice Paula Simons. Je représente l’Alberta et je viens du territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec, division de La Salle.
[Traduction]
Le sénateur McNair : Bonjour, je suis John McNair, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bonjour. Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Bonjour, je suis Kim Pate et j’habite ici, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.
La sénatrice McBean : Bonjour, je suis Marnie McBean, de l’Ontario.
La sénatrice Marshall : Je suis Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Plett : Je suis Don Plett et je viens du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec. Je remplace la sénatrice Petitclerc.
[Traduction]
La sénatrice Muggli : Bonjour, je suis Tracy Muggli, de la Saskatchewan, le territoire visé par le Traité no 6.
Le président : Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-275, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux (biosécurité dans les exploitations agricoles). Nous accueillons deux témoins à titre personnel. Mme Angela Fernandez, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Toronto, est avec nous dans la salle. Mme Jodi Lazare, professeure agrégée de droit et vice-doyenne aux études, de l’Université Dalhousie, se joint à nous en ligne.
Vous disposerez de cinq minutes chacune pour faire votre déclaration préliminaire. Au bout de quatre minutes, je vous ferai un signal. Quand vous voyez deux mains levées, il est temps de conclure. Sur ce, je cède la parole à Mme Fernandez.
Angela Fernandez, professeure, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Je m’appelle Angela Fernandez. J’enseigne le droit animalier à la Faculté de droit de l’Université de Toronto.
Mes connaissances sur le projet de loi C-275 reposent sur les articles qui ont été publiés dans la revue canadienne Animal Law Digest à mesure que le projet de loi a avancé à la Chambre des communes et au Sénat. Je supervise ce service, qui est offert par la Faculté de droit de l’Université de Toronto. Deux fois par mois, il fait le point sur le droit animalier au Canada.
Dans ces articles, le projet de loi est critiqué principalement parce qu’il s’applique strictement aux personnes qui se trouvent dans une exploitation agricole « sans autorisation ou excuse légitime ». Par conséquent, il exclut les travailleurs agricoles. Pourtant, les données probantes montrent qu’en réalité, les éclosions de maladie sont attribuables aux travailleurs agricoles. Ces personnes se trouvent légalement, et non illégalement, sur les lieux. Autrement dit, ce sont les personnes qui se trouvent légalement sur les lieux qui posent un risque pour la biosécurité.
L’exclusion des travailleurs agricoles et l’attention exclusive sur les personnes qui pénètrent dans les exploitations agricoles sans raison légitime semblent indiquer que le projet de loi cible plutôt le deuxième groupe, c’est-à-dire les intrus.
Le fait que le projet de loi cible exclusivement les intrus pose deux problèmes. D’abord, si l’objectif du projet de loi est d’agir contre les intrus qui pénètrent dans les exploitations agricoles, alors son titre est trompeur; le projet de loi ne concerne pas vraiment la biosécurité dans les exploitations agricoles. Vous pensez peut-être que la disparité entre le titre et le fond du projet de loi a peu d’importance. Or en droit constitutionnel, quand le fond d’une loi ne concorde pas avec son objet et son effet, on dit parfois qu’il y a détournement de l’objet de la loi. C’est ce qu’on appelle la théorie du « détournement de pouvoir ».
Cette théorie de droit constitutionnel décrit spécifiquement une situation où une loi qui semble porter sur un sujet particulier porte en réalité sur un autre sujet. Cela pose problème lorsque le sujet ne relève pas de la compétence du gouvernement qui adopte la loi — en l’occurrence, le gouvernement fédéral.
Peter Hogg, un prééminent spécialiste du droit constitutionnel canadien, explique le détournement de pouvoir en ces termes :
Les tribunaux s’intéressent, bien entendu, au fond de la loi à qualifier et non simplement à sa forme. On invoque la théorie du « détournement de pouvoir » lorsqu’une loi semblant porter sur un sujet relevant de la compétence d’un gouvernement porte en réalité sur un sujet qui ne relève pas de cette compétence.
Voilà le problème.
Lorsqu’on examine les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, il faut se demander quel est le « caractère véritable » de la loi. Autrement dit, sur quel sujet la loi porte-t-elle; quel est son objet, d’après les preuves intrinsèques et extrinsèques; et quel est son effet?
Dans le cas du projet de loi C-275, des preuves abondantes provenant des débats à la Chambre des communes et au Sénat, ainsi que des discussions des comités, montrent qu’il a pour objet et pour effet de cibler exclusivement les personnes qui pénètrent dans des exploitations agricoles sans autorisation. Le projet de loi ignore les risques pour la biosécurité plus importants que posent les travailleurs qui se trouvent légalement sur les lieux. De facto, le projet de loi cible les intrus.
Quel est le problème? C’est que l’intrusion relève de la compétence des provinces. Conformément à l’article 92.13, ce sont les provinces qui adoptent les lois à ce sujet puisqu’il s’agit de protéger la « propriété et les droits civils dans la province ».
Il peut y avoir chevauchement des compétences provinciales et fédérales. C’est ce qu’on appelle la « théorie du double aspect ». Il peut y avoir une loi provinciale — comme la Loi sur la santé animale de l’Ontario, qui porte sur les risques biologiques relatifs aux animaux d’élevage —, ainsi qu’une loi fédérale comme celle dont il est question ici. Ce chevauchement est acceptable, et puisque la santé et la sécurité publique sont des sujets qui relèvent du droit criminel, le gouvernement fédéral a le pouvoir d’adopter des dispositions en la matière en vertu de l’article 91.27. Ce qui n’est pas acceptable, c’est qu’une loi donne l’apparence de porter sur la biosécurité alors qu’elle porte en réalité sur un sujet qui relève indubitablement de la compétence des provinces, à savoir la propriété et les droits civils.
Si la loi ne concerne pas la biosécurité, malgré l’utilisation de ce terme dans son titre, le gouvernement se trouve dans la position peu enviable d’être l’auteur d’une tentative de détournement de pouvoir; il tente d’empiéter sur la compétence des provinces en matière d’intrusion aux termes de l’article 92.13. Si les preuves montrent, comme c’est le cas ici, que le caractère véritable de la loi — son objet et son effet — n’est pas la biosécurité, il y aura des problèmes.
En résumé, le gouvernement fédéral peut traiter de la santé des animaux dans son projet de loi sur la biosécurité, mais ce projet de loi doit être modifié de sorte qu’il s’attaque réellement à cet enjeu et non à d’autres problèmes que les activistes, les personnes qui occupent des exploitations agricoles et d’autres posent aux agriculteurs. Merci.
Le président : Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à Mme Lazare.
Jodi Lazare, professeure agrégée et vice-doyenne aux études, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci, c’est un privilège pour moi d’être ici.
Je m’appelle Jodi Lazare. Je suis professeure agrégée à l’École de droit Schulich de l’Université Dalhousie. Depuis 2014, je donne le cours obligatoire de droit constitutionnel, et depuis 2017, je dirige un séminaire à propos des animaux et de la loi.
J’ai précédemment reçu une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour étudier les aspects constitutionnels de la défense des droits des animaux et des lois sur l’intrusion dans les exploitations agricoles, et pour rédiger des articles à ce sujet.
Je vais utiliser le temps dont je dispose aujourd’hui pour parler de ma principale préoccupation à l’égard du projet de loi. Comme je l’ai dit au comité de la Chambre des communes il y a près d’un an, le projet de loi pourrait ne pas respecter la répartition constitutionnelle des pouvoirs; dans sa forme actuelle, il se peut qu’il ne relève pas de la compétence du gouvernement fédéral.
Certaines discussions sur le projet de loi ont laissé entendre que l’uniformité des lois provinciales est un objectif louable. Je suis d’accord. Une loi fédérale qui s’appliquerait de manière uniforme serait, dans bien des cas, plus efficace qu’une mosaïque de lois provinciales distinctes. Cependant, comme on vient de l’entendre, étant donné la nature de la structure constitutionnelle du Canada, il n’est pas toujours possible d’assurer la cohérence entre les provinces, et le gouvernement fédéral ne peut pas imposer la cohérence quand il agit en dehors de ses champs de compétence.
Je comprends que le projet de loi est censé améliorer la biosécurité dans les exploitations agricoles et qu’il concerne, dans une certaine mesure, la protection des animaux et la sécurité alimentaire. Toutefois, on a aussi dit très clairement que le projet de loi portait principalement sur l’intrusion. À la lumière de ces affirmations, je vais vous présenter mes réflexions sur les questions constitutionnelles qui se posent ici, comme la professeure Fernandez vient de le faire.
Pour établir si une loi a été adoptée comme il se doit par un ordre particulier de gouvernement, les tribunaux examinent ce que la loi fait réellement. Ils examinent l’objet et les effets de la loi pour découvrir ce que l’on appelle son « caractère véritable » ou sa caractéristique principale. Ils peuvent examiner le contexte de l’adoption d’une loi, comme les événements récents qui ont motivé sa proposition — c’est certainement pertinent ici —, ainsi que les discours, les débats ou les séances comme celle-ci. Dans le cas qui nous occupe, tous ces éléments indiquent clairement que la caractéristique principale de ce projet de loi n’est pas la protection de la biosécurité. En effet, outre ce qui a été dit sur le fait qu’il s’agit d’un projet de loi sur l’intrusion, comme le comité l’a déjà entendu, les menaces pour la biosécurité dans les exploitations agricoles ne sont à vrai dire pas le fait d’intrus, de manifestants, d’activistes ou de personnes sans autorisation légitime de se trouver sur les lieux.
Comme vous l’avez déjà entendu, les dossiers de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ou l’ACIA, montrent qu’il n’y a pas de preuve documentée de cas où un activiste ou un intrus aurait fait entrer une maladie dans une exploitation agricole, et que les plus grands risques pour les animaux sont les maladies transmises d’une ferme à l’autre, par les travailleurs, les fournisseurs, la machinerie, et cetera, ainsi que par les oiseaux et les animaux sauvages. Autrement dit, les maladies ne sont pas transmises par des personnes qui se trouvent illégalement sur les lieux.
D’un point de vue constitutionnel, il s’agit donc, à mon avis et comme on l’a répété ici, d’un projet de loi sur l’intrusion, intrusion qui peut ou non, sur la base des données probantes, avoir des effets accessoires ou secondaires sur la biosécurité. Il est indubitable que le projet de loi vise à mettre un terme à l’activisme et à l’intrusion, ainsi qu’à protéger la production animale. De fait, il a été affirmé explicitement à quelques occasions déjà que le projet de loi concernait la protection de la propriété privée. Comme on l’a entendu et comme on le sait, ces enjeux relèvent de la compétence des provinces puisqu’ils touchent la propriété et les droits civils. En d’autres mots, les lois visant à protéger la propriété privée ne font pas partie de la « boîte à outils » du gouvernement fédéral.
Le fait est que toutes les provinces ont des lois sur l’intrusion. Quelques-unes ont des lois portant spécifiquement sur les intrusions dans les exploitations agricoles, bien qu’une de ces lois vienne d’être abolie. D’ailleurs, le projet de loi contient des dispositions identiques à celles de la loi de l’Île-du-Prince-Édouard, et la constitutionnalité de cette loi n’a jamais été contestée.
Je tiens à préciser que je ne veux pas dire que le Parlement ne peut pas légiférer pour protéger la santé publique, la sécurité et la biosécurité dans les exploitations agricoles. Le Parlement peut certainement le faire, probablement en vertu du Code criminel. Je pense plutôt que ce n’est pas ce que fait le projet de loi dans son libellé actuel puisqu’il ne cible pas ce que l’ACIA considère comme les sources les plus probables de risque en matière de biosécurité. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Chers collègues, je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour les questions et les réponses. Quand il vous restera une minute, je lèverai la main. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup aux deux témoins pour leurs analyses très convaincantes. J’ai une question pour vous deux. À votre avis, la gravité des questions de compétence et de détournement de pouvoir est-elle telle que si quelqu’un contestait la constitutionnalité de la loi devant les tribunaux, cette contestation serait considérée comme étant de bonne foi?
Mme Fernandez : Oui, je pense que ce serait une contestation de bonne foi. Il y aurait beaucoup de motifs de ce faire. Le résultat ne serait pas garanti. Les résultats des analyses juridiques ne sont jamais garantis; le diable se cache toujours dans les détails. Toutefois, selon moi, le gouvernement court un risque réel; il est fort probable que la loi fasse l’objet de contestations bien fondées.
Mme Lazare : On trouve dans la jurisprudence des exemples de projets de loi dont le libellé ne concordait pas avec l’objectif présenté par le gouvernement durant des réunions de comités et des débats parlementaires. La professeure Fernandez a laissé entendre que c’est ce qui se passe ici; je le crois aussi. Les tribunaux examinent les raisons pour lesquelles un projet de loi a été adopté, au-delà de son titre ou de l’objectif déclaré; ils examinent ses effets réels et concrets. Ils ont abrogé des lois parce qu’elles étaient ultra vires ou invalides. Oui, je suis convaincue qu’il y a suffisamment de motifs pour qu’une contestation réussisse.
La sénatrice Simons : Ma prochaine question s’adresse à la professeure Fernandez. D’après les témoignages que nous avons reçus mardi durant notre réunion, les protocoles de biosécurité en place au Canada n’ont pas force de loi; ils sont volontaires. Certaines associations de producteurs adoptent leurs propres codes de conduite, mais aucune disposition législative canadienne ne donne force de loi aux protocoles de biosécurité. De plus, les agriculteurs ne sont pas tenus de déclarer les éclosions de maladie infectieuse dans leurs exploitations agricoles. Aucune loi ne les oblige à les signaler à qui que ce soit.
Ainsi, si le projet de loi est adopté, une personne pourrait être condamnée en vertu de la loi et elle pourrait être frappée d’une peine très sévère pour avoir commis un acte d’intrusion qui poserait un risque pour la biosécurité. En même temps, l’exploitation agricole n’est pas tenue de mettre en place un protocole de biosécurité, et s’il y a éclosion, l’agriculteur n’est pas tenu de la déclarer. D’après vous, cette situation aggrave-t-elle le problème de détournement de pouvoir?
Mme Fernandez : Oui, c’est très intéressant. Je n’ai pas eu l’occasion de suivre les délibérations de mardi, alors je ne sais donc pas exactement ce qui a été dit, bien que nous ayons jeté un coup d’œil rapide aux témoignages juste avant.
Le fait que les mesures soient volontaires pour les animaux de ferme — comme vous le savez à ce comité, la plupart des pratiques pour les animaux de ferme sont volontaires, car les codes, le Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage, ou CNSAE, n’ont pas été légalement adoptés. Ce ne sont pas vraiment des lois; ce sont des recommandations, des codes ou des choses de ce genre. La façon de procéder pour la biosécurité est tout à fait conforme à cela.
Est-ce que je pense que c’est une bonne idée? Non, je ne le crois pas. Je pense que vous devriez avoir une obligation légale, mais la bonne façon de procéder serait d’avoir un projet de loi sur la biodiversité qui soit réellement un projet de loi sur la biosécurité, un projet de loi qui obligera les fermes à faire des choses telles que, comme vous l’avez dit, signaler un incident dans les 24 heures ou 72 heures ou tout autre délai recommandé par les experts.
Tout cela pour dire oui. Mais une modification à la Loi sur la santé des animaux n’est pas vraiment le moyen d’y parvenir. La Loi sur la santé des animaux ne vise pas vraiment à faire cela. Elle ne s’occupera pas de votre risque en matière de biosécurité parce qu’elle ne cible pas la source du risque.
La sénatrice Simons : Ce qui m’inquiète, c’est l’hypocrisie de dire que l’intrus a enfreint une loi que l’agriculteur n’est pas tenu de respecter.
Mme Fernandez : Oui, je comprends, mais il y a de nombreuses incohérences entre différentes règles et différents règlements. Je pense que si vous voulez corriger les incohérences, il faut le faire directement. Le problème, c’est que cela fait quelque chose de complètement différent. Il ne s’agit même pas de biosécurité, mais d’une mesure indirecte. Le droit constitutionnel stipule également que l’on ne peut pas faire quelque chose indirectement que l’on ne peut pas faire directement. Donc, oui, il faut penser aux incohérences, mais il ne faut pas le faire par l’entremise d’une modification à la Loi sur la santé des animaux.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Plett : Je remercie les témoins. J’ai quelques observations à faire avant de poser une question. Bien entendu, il est tout à fait faux que les agriculteurs, les vétérinaires et les producteurs ne sont pas tenus de déclarer les maladies. Il y a 51 maladies animales qu’ils doivent légalement déclarer. Les gens ont tort de dire qu’ils ne sont pas obligés de déclarer les maladies.
Madame Fernandez, au début de vos remarques, vous avez dit que c’est un fait — je ne veux pas vous prêter de propos —, qu’il a été prouvé que les risques pour la sécurité ou les maladies proviennent de personnes qui sont allées légalement dans l’exploitation plutôt qu’illégalement. Bien entendu, rien ne prouve que c’est le cas. Puisqu’il est impossible de prouver que les maladies proviennent de l’extérieur de la ferme, il n’y a aucune preuve que ce n’est pas le cas. Tenons-en nous aux faits.
Les producteurs, l’ACIA et l’industrie agricole tentent de mettre des protocoles en place pour éviter qu’il y ait des maladies dans les exploitations.
Au cours de mes 15 années et demie au Sénat, je n’ai jamais participé à un projet de loi où les détracteurs du projet de loi n’ont pas réussi à trouver un avocat pour le déclarer inconstitutionnel. Pourtant, nous avons des avocats qui adoptent ces projets de loi dans l’autre enceinte et ici. En fait, tous les conservateurs et 133 libéraux ont voté en faveur de ce projet de loi. Je suis certain qu’il y avait quelques avocats parmi eux qui pensent que ce projet de loi est constitutionnel. Étudions adéquatement le projet de loi et, s’il est inconstitutionnel, il sera déclaré inconstitutionnel à un moment ou à un autre. Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas faire notre travail aujourd’hui.
Le projet de loi met précisément l’accent sur les problèmes de biosécurité. Étant donné que les maladies animales peuvent traverser les frontières provinciales et avoir une incidence sur le commerce international, ne pensez-vous pas qu’il soit raisonnable que le gouvernement fédéral assume un rôle pour prévenir ces menaces à la biosécurité? Comment expliquez-vous votre allégation selon laquelle le projet de loi est inconstitutionnel et le fait que le gouvernement fédéral réglemente déjà la biosécurité en vertu de la Loi sur la santé des animaux, ce que ce projet de loi vise à modifier?
La question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins. Je suis ravi d’entendre ce que vous avez à dire. Je m’adresse plus directement à Mme Fernandez, mais je suis disposé à entendre l’une ou l’autre d’entre vous.
Mme Fernandez : Les menaces à la biosécurité transfrontalières — absolument. Nous avons traversé la pandémie de COVID-19; nous savons tous comment cela fonctionne. Je pense qu’il faut se demander comment cibler efficacement ces menaces. Si vous voulez les cibler efficacement, ne devrait-on pas avoir un projet de loi sur la biosécurité? Et il ne devrait pas porter uniquement sur les animaux de ferme, n’est-ce pas?
Je discutais avec mes étudiants hier avant de venir ici, et l’un d’eux a dit que ses parents avaient un vignoble et qu’ils doivent faire très attention aux maladies qui s’y introduisent et qui peuvent avoir une incidence sur le raisin, etc. Donc, les travailleurs et les visiteurs doivent mettre leurs bottes dans le désinfectant et suivre les protocoles. Les gens reconnaissent donc que ce sont des mesures qu’il faut prendre.
Dans cette modification à la Loi sur la santé des animaux, diriez-vous que la biosécurité est déjà réglementée? J’aimerais voir les dispositions à ce sujet, car on le mentionne concernant les écloseries, mais ce n’est pas très détaillé, d’après ce que j’ai pu voir. Mme Lazare a peut-être quelque chose à ajouter.
Mme Lazare : Certainement. Nous avons tous rempli des formulaires des douanes sur lesquels on nous demande si nous avons été dans une ferme dans les 14 jours précédant le passage à la frontière. C’est un exercice légitime de la compétence du gouvernement fédéral en matière d’échanges internationaux, de commerce et de frontières, en général.
Est-ce que je m’arrête ici?
Le président : Il vous reste 40 secondes.
Le sénateur Plett : Veuillez répondre rapidement, car je veux aborder le sujet.
Mme Lazare : J’allais dire qu’à part cela, à ma connaissance, le gouvernement fédéral n’élabore pas de normes en matière de biosécurité pour les protocoles à la ferme. Il y a un ensemble disparate de lois et de lignes directrices provinciales et fédérales et des lignes directrices volontaires de l’industrie — nous avons entendu parler des codes du CNSAE —, mais il n’y a aucun...
Le sénateur Plett : Madame, nous n’avons qu’à améliorer le projet de loi; ne l’éliminons pas. Vous avez sans doute raison, et nous devrions peut-être faire plus.
Mme Lazare : Absolument.
Le sénateur Plett : Mais vous avez dit tous les deux que le projet de loi ne va pas assez loin, alors améliorons-le. Proposez des amendements. Ne dites pas qu’il est inconstitutionnel et ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain. Améliorons-le.
Je vais poursuivre à la deuxième série de questions.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à Mme Fernandez. Je vais la poser en français, mais vous pouvez répondre dans la langue de votre choix.
Depuis la réunion de mardi, où l’on a entendu d’autres intervenants, j’ai un inconfort majeur, parce qu’on a entendu tout le monde dire que la biosécurité était importante. Les professeurs Hajek et Greer l’ont dit; aujourd’hui aussi, on vous entend dire la même chose. Par contre, chacun est venu confirmer, et on l’entend encore aujourd’hui, que cela se fait sur une base volontaire. L’agence ne fait aucun suivi et n’a aucune donnée. Chacun doit développer ses propres normes de sécurité. Il n’y a pas de suivi des incidents non plus.
Bref, il n’y a aucun portrait de la biosécurité. La professeure Greer est venue dire aussi en terminant que les producteurs comprennent très bien la biosécurité. L’agence dit qu’elle leur fait confiance pour établir des normes. Les associations de producteurs doivent avoir leurs propres données, donc chacun est responsable. J’ai du mal et de la difficulté à concilier le fait — et tout le monde le sait — que ce projet de loi est appuyé par les producteurs. De plus, les professeurs disent que les producteurs et les associations de producteurs sont très bien placés pour développer des normes de biosécurité. Vous comprendrez mon inconfort aujourd’hui. Il n’y a pas de normes plus élaborées et il n’y a pas d’inspections. Je ne veux pas entrer dans le débat fédéral-provincial ou la responsabilité des provinces. Je m’inquiète, et probablement que les Canadiens qui nous écoutent s’inquiètent aussi, de savoir pourquoi la biosécurité n’est pas prise en compte. Si l’on dit que ce sont les producteurs qui sont bien placés pour développer des normes, pourquoi ce projet de loi ne devrait-il pas être adopté?
[Traduction]
Mme Fernandez : Oui, c’est une excellente question. Je vous en remercie.
Les préoccupations que vous avez soulevées sont très graves, et vous avez tout à fait raison. Elles sont très inquiétantes pour toute personne qui suit le dossier. Mais est-ce que quelqu’un qui suit le dossier se demanderait pourquoi on ne fait pas quelque chose de plus ambitieux? D’après ce que l’on peut voir, cela ne résoudra pas les problèmes liés à l’absence de données et ne permettra pas non plus de cibler les menaces réelles. La preuve est que l’ACIA a elle-même déclaré que le problème provenait principalement des travailleurs légalement présents et d’autres personnes dans les exploitations agricoles — et non pas des personnes illégalement présentes. Nous sommes donc aux prises avec un gros problème, et nous avons quelque chose ici qui en fait fi.
Je pense que vous avez raison. Les litiges en matière de compétences sont toujours là. Nous avons toujours ce problème avec 91 et 92, mais si vous regardez ceci et que vous vous demandez ce que cet amendement essaie de faire, il est si partiel qu’il est problématique parce qu’il crée maintenant un autre problème, à savoir que vous ciblez les intrus.
Si le vrai problème est ce qui se passe dans les exploitations agricoles au quotidien, les agriculteurs devraient participer à trouver des solutions. Je ne pense pas que cela doive concerner précisément les éleveurs d’animaux de ferme. Tous les agriculteurs devraient être concernés si nous parlons de sécurité alimentaire, d’approvisionnement alimentaire, etc.
Je partage votre préoccupation, et je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’adopter un projet de loi qui fait croire aux gens que quelque chose a été fait pour résoudre ce problème alors que rien n’a vraiment été fait. C’est un autre problème qui comporte ses propres problèmes.
La sénatrice Marshall : Merci à nos deux témoins d’être ici.
Quand j’ai lu cette partie de l’amendement, la disposition 9.1, elle n’interdit pas toutes les formes d’intrusion. Lorsqu’il y a intrusion, on doit raisonnablement s’attendre à ce qu’elle entraîne à l’exposition. L’amendement me semble avoir une portée très étroite. J’aimerais entendre vos observations à ce sujet. Quelle est la portée de l’amendement? Il me semble que la portée est très étroite.
Dans cette optique, d’après votre expérience ou vos connaissances, y a-t-il eu de nombreux cas d’intrusion qui correspondraient aux critères énoncés dans la nouvelle disposition 9.1 proposée?
Mme Lazare : La réponse courte est non. Comme nous l’avons dit, il n’y a aucun cas documenté d’intrus qui fait entrer une maladie dans l’exploitation. Cela signifie donc que ce prétendu projet de loi sur la biodiversité ne fait rien. Comme nous l’avons entendu, les gens se sentent peut-être mieux si un amendement qui renferme le terme « biosécurité » est créé, mais il n’y a eu aucun cas d’intrus qui ont introduit une maladie dans une exploitation agricole. Par conséquent, l’incidence du projet de loi serait pratiquement inexistante.
Si vous me permettez de répondre à une question précédente sur la façon dont nous pourrions amender le projet de loi plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain, si le projet s’appliquait à toute personne qui pénètre dans une exploitation agricole, si toute personne risquant d’introduire un contaminant ou une maladie dans une ferme pouvait être tenue responsable, ce serait un projet de loi sur la biodiversité. Ce serait quelque chose que le gouvernement fédéral pourrait faire dans le cadre de sa compétence en matière de droit pénal, ce qui couvre la santé publique et la sécurité. Dans sa forme actuelle, c’est un projet de loi sur l’intrusion; il ne cible pas la biodiversité. Je pense que cela répond à votre question. Je peux vous en dire plus, si vous voulez.
La sénatrice Marshall : Merci. Madame Fernandez?
Mme Fernandez : Oui. Je dirais qu’en ce qui concerne l’intrusion, elle est déjà interdite par la province. Vous entrez illégalement sur une propriété sans la permission de la personne. La barre n’est pas trop haute en ce qui concerne les conditions requises pour que cela s’applique. Il n’y a pas seulement le fait d’avoir une loi en la matière qui ne relève pas du gouvernement fédéral; c’est aussi inutilement redondant.
Ici, c’est une intrusion aggravée, car elle est assortie d’amendes plus élevées et d’une peine d’emprisonnement possible. C’est exactement ce que l’Ontario essayait de faire dans son projet de loi Security from Trespass, qui a été abrogé. Dans les audiences qui ont eu lieu en novembre dernier à Toronto, le juge s’inquiétait du fait que c’est déjà un crime. En faire un super-crime est problématique et probablement, comme il l’a dit, inconstitutionnel. Il semble déplacé que le gouvernement tente de faire quelque chose qui n’est même pas mûrement réfléchi et qui ne relève pas non plus de sa compétence.
La sénatrice Marshall : Je tiens à préciser que l’amendement en soi ne porte pas du tout sur l’intrusion. Quand je lis l’amendement, il y a intrusion si « [...] ce fait risquerait vraisemblablement d’exposer les animaux à une maladie ou à une substance toxique [...] ».
En lisant l’amendement, je n’ai pas l’impression que vous mettez l’accent sur l’intrusion; c’est un type précis d’intrusion. C’est une portée plus étroite. J’aimerais entendre votre avis à ce sujet.
Mme Fernandez : Oui. La version précédente du projet de loi ne renfermait pas le mot « vraisemblablement ». L’ajout du terme était probablement une amélioration. Ce terme existe toujours. À la faculté de droit, nous en parlons tout le temps avec les étudiants. C’est un terme très vague parce qu’on peut le mettre n’importe où.
Si cette disposition était modifiée pour s’appliquer à quiconque pénètre dans une exploitation agricole, imaginez ce à quoi vous devriez penser si vous voulez entrer dans l’exploitation. Pourrais-je vraisemblablement apporter quelque chose? Je ne sais pas. J’apporte mes chaussures. J’étais auparavant au Canadian Tire avec mes chaussures et il y avait de la terre au sol. Je ne sais pas. C’est très vague.
La sénatrice Marshall : Très vague. Merci.
La sénatrice McBean : Merci. Oui, je pense que cela nous ramène à la conversation probable et possible que nous avons eue hier avec Mme Greer.
Madame Lazare, j’aimerais respecter l’objectif des agriculteurs de renforcer leur biosécurité, mais je veux également protéger la transparence des dénonciateurs. Diriez‑vous que si un employé voit que des animaux sont mal traités et dénonce la situation, il pourrait être poursuivi en vertu de cette loi? On a entendu dire que si un journaliste obtenait un travail d’infiltration et faisait son rapport — peut-on se retrouver ainsi avec un cas d’ingénierie inverse? Y voyez-vous des inquiétudes?
Mme Lazare : Selon l’issue du litige en Ontario, où il est illégal de mentir pour pénétrer dans une ferme — un journaliste d’enquête, par exemple —, les gens seraient dans une ferme illégalement. La façon dont les deux lois interagissent est que ces gens seraient dans une ferme illégalement parce qu’il y a intrusion si on ne révèle pas qui l’on est en entrant dans une ferme.
Comme nous venons de l’entendre, « vraisemblablement » est un terme très vaste, alors je dirais que oui, un journaliste d’enquête ou une personne qui pénètre dans la ferme en ne révélant pas ses affiliations s’y trouverait illégalement, conformément à la loi de l’Ontario, ce qui signifie qu’il serait également capturé en vertu de cette loi.
La sénatrice McBean : Peut-on craindre pour un travailleur qui n’était pas journaliste, mais qui a fait un signalement et est devenu journaliste ou a participé à cette découverte? Pour quelqu’un qui est entré légalement, qui avait l’intention de devenir agriculteur ou ouvrier agricole ou de travailler légalement à la ferme, mais qui s’est ensuite senti préoccupé par ce qu’il voyait, peut-on craindre que cette personne puisse être considérée comme étant illégalement là — par exemple, quand est-elle devenue journaliste?
Mme Lazare : C’est une question d’interprétation et de comment on définit les termes « dénonciateur » ou « journaliste ». J’imagine qu’il y a un risque. D’après ce que j’en comprends, le risque n’est pas aussi grand que si une personne entre dans une ferme sachant qu’elle cherche à documenter les pratiques agricoles. C’est une question d’interprétation et de la manière dont le tribunal interpréterait l’interaction entre les deux lois.
La sénatrice McBean : Madame Fernandez?
Mme Fernandez : J’ajouterais simplement qu’il faut aussi réfléchir d’un point de vue pratique. Si une personne est là en tant qu’employé et qu’elle envisage de le faire, elle est légalement présente. Techniquement, cette version fédérale ne devrait pas être appliquée. La version ontarienne, comme le dit Mme Lazare, est une autre question. La loi fédérale ne devrait pas s’appliquer.
La question est de savoir s’il est raisonnable d’attendre des gens qu’ils analysent ces petites nuances lorsqu’ils se trouvent dans cette situation. Je dirais que ce n’est pas raisonnable et que ce sera une source de confusion. Si c’est l’effet escompté, soit d’empêcher les gens de parler publiquement de ce qu’ils voient dans des fermes parfois, est-ce l’objectif du projet de loi? Le cas échéant, vous vous heurtez certainement à des problèmes constitutionnels de liberté d’expression.
La sénatrice Pate : Merci. L’autre soir, Mme Rasmussen a parlé des véritables enjeux concernant la biosécurité, qui sont souvent liés à l’arrivée d’autres animaux, ainsi que des problèmes de sol qui ont été soulevés et sur lesquels on semble beaucoup se concentrer. Cela m’a étonné. J’ai fini par me demander comment réglementer ce genre de questions. Il semble que la question la plus importante, comme elle l’a mentionné, soit de créer des mesures incitatives pour que les agriculteurs s’auto-déclarent afin d’essayer d’endiguer le flot de problèmes comme la grippe porcine.
Vous êtes toutes les deux des expertes juridiques. D’après vous, serions-nous en mesure, au niveau fédéral de réglementer ou de proposer des changements aux lois — et dans quel contexte — pour tenter de résoudre certains de ces problèmes, le cas échéant? C’est une question qui s’adresse à vous deux, je vous prie.
Mme Lazare : Si vous le permettez, le gouvernement fédéral a compétence dans le domaine. Ce pourrait être par l’entremise de la Loi sur la santé des animaux ou une loi sur la biosécurité, dans la mesure où elle est fondée sur des questions de santé et de sécurité relevant du droit pénal. Je pense qu’une loi contraignante et applicable inciterait réellement les producteurs et les agriculteurs à respecter ces mesures.
À l’heure actuelle, comme nous l’avons entendu, ces mesures sont volontaires. Si elles ne l’étaient pas et s’il y avait des conséquences — je ne sais pas si c’est pour les licences, les parts de marché ou autres, ou simplement pour les amendes —, cela irait probablement très loin.
Mme Fernandez : Oui, je suis tout à fait d’accord. Je dirais simplement que l’autodéclaration représente souvent la manière la moins coûteuse de faire quelque chose, mais pas nécessairement la meilleure façon de faire. C’est particulièrement vrai dans les situations où les intérêts économiques vont à l’encontre de la sécurité, lorsqu’il est plus coûteux et plus compliqué d’emprunter la voie de la sécurité. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les gens le fassent de façon volontaire. Il faut les obliger à le faire.
Cela revient à une question précédente et au débat sur le besoin réel d’une telle mesure dans le monde post-pandémique.
Je crois qu’il faut faire très attention de ne pas donner l’impression à la population que nous prenons les choses en main alors que ce n’est pas tout à fait ce que font le projet de loi et son amendement.
La sénatrice Burey : Je vous remercie de votre témoignage d’expert.
Depuis que je siège au Comité de l’agriculture, nous avons toujours les projets de loi les plus intéressants à étudier, avec toutes sortes d’imprévus.
La sénatrice Oudar a parlé des agriculteurs et des producteurs qui veulent bien faire les choses parce qu’il est rentable pour eux d’assurer la sécurité et la biosécurité de leurs animaux. De plus, les stress liés à la santé mentale qui surviennent lorsque les gens s’introduisent... En tant que médecin, pendant la COVID, j’étais tellement stressée lorsque les gens venaient et qu’il était impossible de contrôler l’environnement. Je regarde la situation selon cet angle.
En ce qui a trait à la biosécurité et à l’intrusion, comme vous l’avez toutes deux dit à juste titre, madame Fernandez et notre autre éminente professeure, s’il ne s’agit pas vraiment d’un projet de loi sur la biosécurité et qu’il aborde plutôt la question de l’intrusion, alors l’un des recours pourrait être... Je parle de l’amendement qui a été retiré du projet de loi C-205 au Comité de l’agriculture au cours de la 43 e législature et qui s’appliquerait à toute personne qui entre dans un enclos pour animaux, peu importe si elle a une autorisation ou une excuse légitime pour s’y trouver. Pouvez-vous commenter cet aspect, qui a déjà été soulevé par Mme Lazare?
Mme Lazare : Bien sûr. Oui, merci. Ce serait une bonne solution. Elle permettrait d’aborder la question de la biosécurité. Elle permettrait aussi peut-être de tenir compte de certains événements qui se sont déjà produits : des éclosions de maladies émanant des déplacements entre les fermes, qu’il s’agisse des équipements, des personnes, des fournisseurs, des travailleurs, peu importe. Les données probantes montrent que ce sont ces gens qui sont les plus susceptibles d’introduire les maladies dans les fermes.
À mon avis — et je crois que c’est l’avis de la majorité des membres du comité qui ont étudié le projet de loi en 2021 —, cet amendement serait approprié. Il permettrait d’interdire à tous ceux qui se trouvent sur la ferme, de façon légale ou non, de créer un risque de danger pour la biosécurité.
Mme Fernandez : Je suis d’accord avec Mme Lazare. Cette uniformité représenterait une grande amélioration d’un point de vue constitutionnel, parce qu’elle permettrait d’éviter de traiter différemment les gens qui sont dans une ferme de façon illégale et ceux qui s’y trouvent de façon légale. Ainsi, on ne considérerait pas qu’il s’agit d’une loi sur l’intrusion appelée loi sur la biosécurité. On réglerait ce problème.
Malheureusement, il y aura toujours le problème des sanctions accrues en cas d’intrusion. Il faut se demander si les agriculteurs veulent exposer leurs employés à un risque d’intrusion accru parce qu’ils sont peut-être allés chez Canadian Tire, qu’ils ont eu de la terre sur leurs bottes et qu’ils se sont ensuite rendus au travail le lundi matin, et qui se retrouvent à devoir payer une amende maximale de 250 000 $. Je ne peux pas imaginer que ce serait bien accueilli et que ce serait une bonne façon de procéder.
Vous mettez le doigt sur le problème d’incohérence. C’est un vrai problème. Nous devons faire quelque chose au sujet de cette incohérence, mais il faudra aussi se pencher sur la nature de ces pénalités.
La sénatrice Burey : Lorsque la vétérinaire en chef de l’ACIA, la Dre Ireland, a témoigné devant nous, nous avons parlé de l’équilibre fragile du système en place, qui mise largement sur les producteurs.
Vous connaissez la situation avec le virus H5N1 aux États‑Unis, mais le Canada a réussi à éviter cette éclosion grâce à un ensemble de mesures. On se demande si l’on ne risque pas de compromettre l’équilibre en imposant une approche plus rigoureuse aux producteurs alors qu’ils arrivent à garder les maladies en dehors du pays, par leurs mesures volontaires. Nous ne sommes pas aux prises avec la peste porcine africaine. Nous avons déjà toutes ces mesures en place. C’est ce que je pense. J’aimerais vous entendre sur le sujet.
Mme Fernandez : Je ne sais pas. J’ai l’impression que vous vivez sur du temps emprunté.
Mme Lazare : Quinze secondes?
La sénatrice Burey : Allez-y, s’il vous plaît.
Mme Lazare : Nous avons peut-être réussi à éviter une éclosion du virus H5N1, mais pendant la pandémie de COVID-19, par exemple, les visons attrapaient le virus des travailleurs sur les fermes. Il est difficile de savoir si nous avons réellement atteint un équilibre à l’heure actuelle.
Le sénateur Dalphond : Je suis certain que le sénateur McNair, comme moi aujourd’hui, est très heureux d’entendre parler d’une tentative de détournement de pouvoir et du caractère véritable. Cela me rappelle beaucoup de souvenirs.
Vous dites, en gros, que le projet de loi se veut une tentative de détournement. Or, devant les tribunaux, il n’y aurait aucune présomption en ce sens. On présumerait qu’il s’agit d’une loi valide et il incomberait à ceux qui la contestent de démontrer qu’il s’agit d’une tentative de détournement du pouvoir. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Merci.
Ma question porte sur le paragraphe 65(1.2) proposé, qui traite des personnes qui ne sont pas des particuliers, donc des organisations et des associations. Selon le sens réel de la disposition, toute association qui contrevient à l’article 9.1 est coupable d’une infraction passible d’une amende maximale de 100 000 ou 500 000 $ si elle est accusée d’un acte criminel.
Est-ce que ces dispositions visent à assurer la biosécurité? Visent-elles à prévenir le bioterrorisme? Je suppose. Si une organisation encourage les gens à contrevenir à l’article 9.1 en s’introduisant sans autorisation dans une propriété afin d’exposer les animaux à un risque, ne sommes-nous pas face à une infraction criminelle?
Mme Lazare : Il semble que l’on cible des organismes de défense des droits des animaux, dont les membres se sont déjà introduits sur les fermes afin d’exposer la violence faite contre les animaux et de dénoncer les élevages industriels. Il me semble que cette infraction relève du droit criminel, oui, et qu’elle est associée à une peine très sévère.
Le sénateur Dalphond : Je me demande si c’est nécessaire. On nous a parlé des événements qui se sont produits dans une porcherie de Saint-Hyacinthe. Nous avons vu des photos des manifestants qui étaient à la ferme. Ces intrus — des activistes, peut-être, qui étaient membres d’une organisation — avaient l’équipement de protection complet : les chaussures de protection résistant aux agents biochimiques, les combinaisons en plastique, les masques. Dans un tel cas, on ne commettrait pas cette infraction en particulier. L’organisation pourrait faire valoir que les manifestants avaient tout l’équipement de bioprotection nécessaire.
Mme Fernandez : Vous voyez là quelque chose de très intéressant. Je crois que c’est en partie — en fait, je n’en suis pas certaine — parce que les gens qui organisent ce genre de manifestations sont très conscients du fait qu’ils pourraient nuire aux animaux qu’ils cherchent à défendre et à protéger. Ils prennent donc eux-mêmes des mesures pour s’assurer de ne pas leur nuire parce que c’est la dernière chose qu’ils veulent faire, et c’est probablement la raison pour laquelle il n’y a jamais eu de cas documenté de ce genre.
L’amendement au projet de loi fait les choses à l’envers. Ce ne sont pas de ces gens ou de ces organisations qu’il faut se préoccuper. Les représentants d’une ONG constituée en personne morale n’introduiront pas de microbes dans une ferme. Ce n’est même pas une entité tangible, n’est-ce pas? Le projet de loi fait les choses à l’envers. On ne se soucie pas de connaître la véritable source. Ensuite, il y a le droit pénal renforcé, comme vous le dites, et les amendes imposées aux personnes qui, du moins historiquement, ont été plus prudentes à cet égard.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Mme Lazare : J’allais dire que je suis aussi d’avis que les activistes portent ni plus ni moins des tenues HAZMAT, et qu’aucune donnée probante ne montre que les éclosions de maladie ont été attribuables à des intrus ou à des manifestants.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le sénateur Richards : Merci. Je suis désolé d’être en retard. J’ai été pris dans la circulation en raison de la personne qui nous rend visite aujourd’hui. Je remercie les témoins.
Que des agents pathogènes soient introduits ou non dans la ferme, l’intrusion demeure illégale. C’est l’une des principales pierres d’achoppement de ce projet de loi : l’intrusion est illégale. Je ne voudrais pas que quelqu’un s’introduise dans mon petit hangar à la maison au Nouveau-Brunswick ou piétine mon petit champ de céréales. Je ne veux pas cela, et personne d’autre ne le voudrait non plus, alors c’est illégal. Si l’intrusion est illégale, il faut la traiter comme telle.
Ce dont il est question ici, c’est que les intrus — surtout ceux qui sont organisés, comme les défenseurs des droits des animaux — ont rarement en tête le bien-être de l’agriculteur. Ils sont là pour lui mettre des bâtons dans les roues. Nous savons qu’au bout du compte, les animaux sont abattus, et ces gens en sont profondément offensés. L’idée voulant qu’ils souhaitent protéger la ferme d’une quelconque façon... Ils veulent protéger les animaux, mais ils ne veulent pas que la ferme existe. C’est le plus gros problème avec les intrus. Ils ne veulent pas de cette industrie. Pour moi, c’est le véritable problème avec ce projet de loi ou avec tout autre projet de loi qui traite de cette question.
J’aimerais revenir à la question de la sénatrice McBean. Je sais qu’il s’agit d’une question nuancée. Si l’on introduit une disposition relative à la bonne foi, et qu’une personne est engagée en bonne et due forme, mais est là pour surveiller de manière calculée et clandestine les activités de la ferme afin de la discréditer, tandis qu’une autre est engagée et découvre les mauvaises pratiques d’un producteur, ce sont là deux scénarios différents, n’est-ce pas? Comment jaugeriez-vous l’un ou l’autre?
Mme Fernandez : Pouvez-vous répéter les deux scénarios?
Le sénateur Richards : Si une personne s’introduit dans la ferme de façon clandestine pour surveiller les activités d’un producteur afin de le discréditer ou de discréditer sa ferme, et qu’une autre est engagée de bonne foi, mais découvre de mauvaises pratiques sur la ferme, ce n’est pas la même chose. Pourriez-vous nous en parler?
Mme Fernandez : Oui, je comprends. Je vous remercie de cette précision.
Il est certain que la loi de l’Ontario fait cette distinction : quelqu’un qui se présente avec de faux semblants, ce qui serait votre catégorie de personnes discréditées, par opposition à une personne qui serait témoin de quelque chose et deviendrait ensuite un dénonciateur en raison de ce qu’elle a vu. C’est pertinent à ce niveau.
À l’échelon fédéral, le fait d’être un employé signifie que vous êtes là légalement. Que vous soyez là avec un motif... Je ne sais pas; vous êtes végétalien ou êtes en quelque sorte contre tout ce système, mais vous avez un emploi d’été et vous le faites simplement pour payer vos études universitaires ou quelque chose du genre... Je ne sais pas si les croyances ont une réelle importance ou non. Ce qu’il faut savoir, c’est si la personne est là légalement ou illégalement. Je ne suis pas certaine de répondre à votre question.
Le sénateur Richards : Comme je l’ai dit, c’est un problème qui est nuancé.
Soi dit en passant, mon fils est végétalien. C’est une personne extraordinaire, mais je sais qu’il ne pourrait pas travailler dans une ferme avec des animaux destinés à l’abattoir.
Le président : Madame Lazare, voulez-vous répondre à la question? Nous avons une minute.
Mme Lazare : Encore une fois, cela dépendrait de la façon dont les dispositions concernant les dénonciateurs et les journalistes sont interprétées en Ontario. Je regarde simplement la loi de l’Ontario. C’est difficile à dire parce que cela fait présentement l’objet d’un litige et que la décision de la Cour supérieure est en appel.
Oui, il y a certainement une différence entre une personne qui raconte un mensonge calculé pour entrer dans une ferme et prendre des photos clandestinement et une personne qui est légitimement embauchée et qui découvre des actes de violence extrême. Le problème, c’est que ces personnes ne signalent généralement pas les incidents. Tout ce que nous savons sur la cruauté dans les fermes industrielles provient d’enquêtes d’infiltration menées par des journalistes ou par des gens qui entrent dans une ferme pour documenter clandestinement ses activités. Merci.
Le président : Nous passons maintenant à la deuxième série de questions. Nous disposons de cinq minutes.
Quatre sénateurs souhaitent poser des questions, alors il faudra faire vite. Nous allons nous arrêter à 10 heures.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à Mme Fernandez. Lors de témoignages entendus plus tôt cette semaine, on a dit que l’ACIA n’avait pas suffisamment de ressources pour l’application de la loi et que l’infraction provinciale serait traitée en priorité; cette loi serait appliquée de façon secondaire. Est-ce que cela compliquerait les choses sur le plan de la compétence et du détournement de pouvoir?
Mme Fernandez : C’est une excellente question. Je sais que je dois être brève. Je crois que oui, mais je n’en suis pas certaine.
Le sénateur Plett : Il y a eu un certain nombre de revendications ici. On prétend que les gens qui s’introduisent dans une propriété privée ne représentent pas un risque pour la sécurité, et c’est faux. En fait, il y a eu deux incidents au Canada : un au Québec où un rotavirus est apparu pour la première fois en 40 ans et un autre où la maladie de Carré a été introduite dans une ferme de visons après que des intrus aient envahi une propriété privée. De plus, l’an dernier, il y a eu deux incidents du genre en Californie. Selon le gouvernement, il semble que des manifestants dans deux fermes ont propagé la grippe aviaire, ce qui a entraîné la mort de 250 000 oiseaux.
Êtes-vous en train de dire, madame, que nous devrions attendre une éclosion d’influenza aviaire causée par des intrus illégaux avant de prendre des mesures? Est-ce bien ce que vous suggérez?
Mme Lazare : Je tiens à souligner que dans le cas du Québec et de l’affaire Porgreg de Saint-Hyacinthe, le juge a rejeté les preuves voulant que les intrus aient introduit la maladie dans la ferme.
Le sénateur Plett : Ils l’ont propagée. Soyons honnêtes. Merci. Ma question s’adressait à Mme Fernandez, et non à Mme Lazare.
Mme Fernandez : Je ne connais pas bien les détails de cette affaire, mais il faudrait que je l’examine de près, parce qu’il me semble qu’il pourrait y avoir...
Le sénateur Plett : Nous devrions examiner le projet de loi. Merci.
[Français]
La sénatrice Oudar : Je vais être brève et même chirurgicale. Madame Lazare, vous avez dit que le projet de loi serait acceptable s’il s’appliquait à toute personne. Nous avons ensuite parlé du projet de loi C-205 de 2021. Je n’étais pas là, mais j’ai consulté le projet de loi et je constate que finalement, si j’interprète bien vos propos, le projet de loi serait acceptable si on enlevait les mots qui sont placés entre les deux virgules, soit : « il est interdit, sans autorisation ou excuse légitime [...] ». Je les trouvais utiles, parce que comme juriste, et étant donné qu’il y a des infractions et des déclarations de culpabilité qui sont liées à cela, il faut que les gens soient protégés.
Si je comprends bien vos propos, si la suggestion d’amendement d’enlever l’incise entre les deux virgules était acceptée, le projet de loi deviendrait acceptable, comme l’était le projet de loi C-205.
Mme Lazare : Je pense que oui. Je suis d’accord avec Mme Fernandez pour dire que les fermiers ne voudront pas peut‑être d’une telle prohibition. Mais oui, cela corrigerait certaines infirmités constitutionnelles.
[Traduction]
La sénatrice McBean : J’aimerais vous poser une question semblable ou la même question, mais j’aimerais que Mme Fernandez y réponde. Est-ce que l’on respecterait l’objectif souhaité si, à l’article 9.1, on retirait les mots « sans autorisation ou excuse légitime » et que l’on parlait plutôt de pénétrer de manière imprudente dans un lieu? Si le projet de loi visait les personnes qui pénétraient de façon imprudente dans un immeuble, alors l’employé qui est allé chez Canadian Tire ne serait pas concerné. Est-ce que cela permettrait de régler la question? Sénateur Plett, est-ce que le projet de loi en serait amélioré?
Mme Fernandez : Oui, le projet de loi en serait probablement amélioré, mais on aurait tout de même le problème de l’imprudence... Est-ce que vous dites que vous retireriez la référence aux personnes qui se trouvent dans un lieu illégalement? Oh, d’accord. Oui, c’est ce qu’il faut faire, sans aucun doute. On pourrait utiliser le mot « imprudence », parce que de cette façon, les personnes qui pénètrent dans un lieu avec prudence... Ces personnes ne seraient pas visées.
Il y aurait tout de même encore les amendes très élevées. Je ne sais pas. Je demanderais à ce que l’on compare ce projet de loi à d’autres afin de voir quelles limites seraient plus raisonnables. Je n’ai pas de chiffres à vous donner, mais il me semble que ceux-ci soient exagérés.
La partie qui porte sur l’organisation... Il n’y a pas de fondement à cet égard, parce que l’organisation ne sera pas responsable...
Oui, je crois qu’il faudrait régler ces questions.
Le président : Nous remercions les témoins pour leur participation à la réunion d’aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir échangé avec nous. Je remercie aussi les membres du comité : votre participation active à la séance et vos questions réfléchies sont toujours les bienvenues.
De plus, j’aimerais remercier les personnes qui nous appuient en coulisses : les interprètes, les transcripteurs de l’équipe des Débats, les préposés aux comités, les techniciens des Services multimédias, l’équipe de télédiffusion, le Centre d’enregistrement, la Direction des services de l’information et notre page.
Sénateurs, acceptez-vous que nous mettions fin à la partie publique de la séance et que nous poursuivions à huis clos — je crois que nous en aurons pour 15 minutes, tout au plus — afin de discuter des travaux futurs du comité? D’accord.
(La séance se poursuit à huis clos.)